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Les qualités de l'offre de soins confessionnelle en Afrique

subsaharienne
Marc-Éric Gruénais
Dans Autrepart 2004/1 (n° 29) , pages 29 à 46
Éditions Presses de Sciences Po
ISSN 1278-3986
ISBN 9782200920043
DOI 10.3917/autr.029.0029
© Presses de Sciences Po | Téléchargé le 04/06/2024 sur www.cairn.info (IP: 41.202.219.167)

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Les qualités de l’offre de soins confessionnelle
en Afrique subsaharienne

Marc-Éric Gruénais *

Les structures de soins publiques, en Afrique subsaharienne, se caractérisent


et sont caractérisées très souvent par leur mauvais fonctionnement [Jaffré et Olivier
de Sardan, 2003] et le mauvais traitement des patients [Jewkes, Naeemah et alii,
1998], par des personnels de santé qui, confrontés à des conditions de vie diffici-
le, sont souvent davantage préoccupés à compléter leurs revenus qu’à dispenser
des soins [Ferrinho et Van Lerberghe, 2000], à tel point que l’on peut arriver à
se demander pourquoi les patients se rendent encore dans des établissements de
soins [Gruénais, 1996]. Face à ces constats sévères, qui attestent finalement du
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peu de considérations des personnels de santé à l’égard des patients dans les
structures publiques, les réflexions de santé publique se multiplient sur les stra-
tégies à adopter pour améliorer la qualité des soins [Haran, Iqbal et alii, 1993;
Whittaker et alii, 1998; Kegels, 1999] et dynamiser la performance des systèmes
de santé [Murray et Frenk, 2000]. Dans ce contexte, le secteur privé fait volon-
tiers figure d’alternative: «Initially, the message from international financial ins-
titutions such as the World Bank, and bilateral donors, such as USAID, was a
simple one: reduce the level of government involvement in health care and pro-
mote the private sector» [Bennett, Mc Pake et alii, 1997, p. 2]. Aujourd’hui,
l’ensemble des agences de développement et des instances internationales (Ban-
que mondiale, OMS, Union européenne, etc.) considèrent que toutes les structu-
res de soins, privées comme publiques, sont constitutives à part entière des
systèmes de santé nationaux. Plus que jamais, le secteur privé bénéficie d’une
opinion favorable au regard de la rigueur de sa gestion, liée notamment à la
nécessité de ne compter que sur ses propres forces pour assurer sa pérennité,
gage de la qualité du service. Cependant les bailleurs de fonds, représentants
d’États du Nord, employant nombre de fonctionnaires ou assimilés, qui œuvrent
pour le développement des États du Sud en accordant une attention particulière
aux plus pauvres, ont encore quelques réticences à traiter directement avec les
représentants du secteur privé lucratif. En revanche, ces réticences sont levées
dès qu’il s’agit du secteur privé non lucratif, prioritairement représenté par les
* Anthropologue, IRD, Institut d’Études Africaines, Université de Provence, case 58, 3, place Victor
Hugo, 13331 Marseille cedex 3, gruenais@up.univ-mrs.fr.

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ONG et les institutions confessionnelles. Ainsi, dès 1993, la Banque Mondiale


proposait de
subventionner les producteurs de soins de santé du secteur privé qui assurent des ser-
vices cliniques de premières nécessités aux pauvres. Cela commence déjà à se faire
et il faut poursuivre sur cette voie. Beaucoup de pays d’Afrique, comme le Malawi,
l’Ouganda et la Zambie, subventionnent les dépenses de fonctionnement d’hôpitaux
et dispensaires ruraux rattachés à des églises ainsi que la formation de leur personnel
de santé» [Banque Mondiale, 1993].
Les entreprises sanitaires confessionnelles, au premier rang desquelles il
convient de placer les entreprises chrétiennes 1, constituent des partenaires privés
d’autant plus «politiquement corrects» qu’elles se caractérisent, selon l’entende-
ment commun, par leur désintéressement et leur engagement envers les plus
démunis. Face aux dysfonctionnements des structures de santé publiques si sou-
vent soulignés, au manque de déontologie des personnels rémunérés par l’État,
les qualités reconnues à l’offre de soins confessionnelle amènent à poser la ques-
tion suivante: l’adhésion à des valeurs, en l’occurrence chrétiennes, qui vont au-
delà du savoir-faire technique («amour du prochain», désintéressement, attention
aux plus démunis, etc.) contribue-t-elle à dispenser des soins de qualité? Cepen-
dant, en amont d’une interrogation sur les valeurs, ne convient-il pas aussi de
s’interroger sur les conditions de production de soins de qualité, d’une part, et
de se demander, d’autre part, si la qualité attribuée à l’offre de soins confession-
nelle n’est pas parfois davantage postulée que véritablement documentée, et si,
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au bout du compte, cette qualité n’est pas aussi très limitée en regard de la
globalité et de la continuité des soins tant valorisées par les modèles de santé
publique. Je me propose ici d’aborder ces questions à partir d’observations
secondaires 2 effectuées principalement au Cameroun, mais aussi au Burkina
Faso, au Congo Brazzaville et en République Centrafricaine.

La proximité du religieux et du médical: un label de qualité?


Religion et guérison, on le sait, ont partie liée depuis la fondation du christia-
nisme, et ce lien «organique» se développe notamment en Afrique dans le cadre
d’églises prophétiques, des mouvements de Réveil et autres renouveaux charis-
matiques, la maladie et sa guérison étant le plus souvent les «formes élémentaires»
[Augé, 1984] de la conversion. Pour les prêtres et les pasteurs des Églises
«historiques», la maladie apparaît aussi comme une expérience ontologique et
religieuse fondamentale 3. Et il n’est jusque dans les discours des malades que
des correspondances sont identifiables. Ainsi, tous ceux qui se sont intéressés

1. Dans notre perspective de questionnement de la «qualité des soins», l’offre de soins confessionnels
dont il s’agira ici est celle issue des missions catholiques et protestantes européennes, à l’exclusion notamment
de «cultes de guérison» qui se situent dans les mouvances pentecôtistes et prophétiques et qui ne sauraient
être pris en compte dans une réflexion sur la structuration des systèmes de santé officiels nationaux.
2. J’appelle ici «observations secondaires» des éléments recueillis à la marge de divers travaux
d’enquête menés dans le cadre de projets portant pour l’essentiel sur l’organisation des systèmes de santé.
3. On pourra se reporter, par exemple, à E. de Rosny [1992], ou encore, sur les relations ambiguës
entre religion et guérison à propos du sida, à mon article [Gruénais, 1999].

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Les qualités de l’offre de soins confessionnelle en Afrique subsaharienne 31

aux associations de personnes vivant avec le VIH/sida en Afrique savent com-


bien est délicate et codifiée la période liminale du «témoignage» devant des
membres de l’association, le témoignage venant en quelque sorte officialiser la
reconnaissance par les pairs et l’entrée dans l’association. De même, dans les
assemblées de la mouvance pentecôtiste, dont on connaît le succès dans les pays
du Sud 4, le «témoignage» (à propos d’un événement censé manifester la puis-
sance divine) est aussi un élément central du rituel. La proximité entre l’ordre
médical et l’ordre religieux est aussi professionnelle, si l’on peut dire. Que l’on
songe, par exemple, à la référence à la «vocation» à l’origine du choix profes-
sionnel, religieux ou médical, aux vertus d’abnégation, de dévouement, de dispo-
nibilité pour traiter la douleur (physique ou morale) de personnes en détresse
communément associées aux deux univers.
Pour certains, ce parallèle, un peu convenu, entre professions médicale et
religieuse, va plus loin. Ainsi, E. Freidson [1984] faisait du médecin une figure
emblématique de «l’entrepreneur de morale», s’adressant à des «profanes» (ses
patients), et il comparait volontiers attitudes médicales et religieuses. M. Balint,
pour sa part, identifiait la «fonction apostolique» comme une des principales
caractéristiques de la pratique du médecin:
La mission ou fonction apostolique signifie d’abord que chaque médecin a une idée
vague mais presque inébranlable du comportement que doit adopter un patient lors-
qu’il est malade… Tout se passe comme si tout médecin possédait la connaissance
révélée de ce que les patients sont en droit ou non d’espérer, de ce qu’ils doivent pou-
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voir supporter et, en outre, comme s’il avait le devoir sacré de convertir à sa foi tous
les ignorants et tous les incroyants parmi ses patients [Balint, 1975, p. 228; souligné
par l’auteur].
Le médecin, comme le religieux dit la norme, donne les «bons conseils», tente
de modifier les comportements néfastes et connaît, mieux que le patient ou
l’adepte lui-même, le sens à donner à leur vie.
Nous sommes certes ici dans le domaine des analogies, des métaphores, voire
des jeux de mots. Cependant, dès lors que l’on s’interroge sur la qualité réelle
ou supposée des soins dans les pays du Sud, on va bien au-delà de la seule
rhétorique. La petite corruption, le racket, la violence, le mauvais accueil, etc.,
qui ponctuent assez généralement les descriptions des relations qui s’instaurent
entre usagers et personnels de santé dans des structures de santé publiques en
Afrique seraient absents des structures confessionnelles; le délabrement des
équipements, l’absence d’hygiène, l’absentéisme de personnels soumis à une
hiérarchie s’adonnant en priorité à des activités privées destinées aux plus riches
ne s’observerait pas dans des centres médicaux chrétiens tout entier dominés par
l’attention à l’autre et le désintéressement.
En fait les opinions favorables à l’égard des structures confessionnelles pro-
cèdent de l’intuition que les valeurs religieuses viendraient amplifier les vertus
(d’empathie, de dévouement, etc.) attendues des personnels de santé. Cependant,

4. Pour un ouvrage récent sur la question, on pourra se reporter à Corten et Mary [2000].

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les personnels de santé rencontrés dans les structures publiques, qui dispensent
donc plutôt des soins de mauvaise qualité, ne cachent pas leur adhésion aux
valeurs chrétiennes, surtout lorsqu’ils ont reçu une formation initiale et/ou profes-
sionnelle dans un environnement chrétien: pourquoi alors ces derniers, dès lors
qu’ils travaillent dans le secteur public, traitent-ils mal leurs patients? En d’autres
termes, si l’offre de soins dans les établissements chrétiens est globalement de
meilleure qualité que celle des établissements publics, alors que l’on est suscepti-
ble de trouver dans ces deux types de structure le même personnel chrétien, c’est
donc que la seule adhésion à des valeurs chrétiennes n’est pas explicative, et
qu’il faut bien plutôt rechercher les causes de la meilleure qualité dans les organi-
sations que sont les Églises chrétiennes et leur entreprise sanitaire. Les personnels
exerçant dans les structures confessionnelles seraient en quelque sorte contraints
à la mise en œuvre de bonnes pratiques cliniques par leur environnement profes-
sionnel religieux, par la «culture de service» propre aux structures confessionnel-
les, et non pas du fait d’une adhésion individuelle à des valeurs religieuses?
Les oppositions établies entre structures privées confessionnelles et structures
publiques sont parfois pas trop tranchées; la qualité des prestations des structures
confessionnelles n’est pas attestée toujours et partout, et il n’est certainement pas
aisé, à l’heure actuelle, d’évaluer rigoureusement l’ampleur réelle des différenc-
es entre les deux types d’offre de soins. Certaines observations tendent à mon-
trer que parfois structures confessionnelles et structures publiques diffèrent peu
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quant à la qualité du «service». À l'instar des secondes, les premières peuvent
être tout aussi vétustes avec des personnels dont les comportements ne se carac-
térisent pas toujours par la probité, comme l’atteste la description suivante à
propos d’un hôpital confessionnel urbain au Cameroun:
Quelques-uns des patients hospitalisés ne reçoivent pas régulièrement leur traitement
et leur état n’est pas surveillé par le personnel paramédical; ceux qui arrivent nou-
vellement dans le service sont ignorés; lorsqu’une perfusion doit être enlevée, c’est
le garde-malade qui est chargé de retirer lui-même l’aiguille. Des malades sont re-
foulés à l’entrée de l’hôpital ou à l’accueil, pour la simple raison qu’ils n’ont pas leur
carte de malade sur eux. Un commerce parallèle de médicaments… se développerait
depuis longtemps au sein de l’établissement… les règles de base en matière de salu-
brité ne sont pas respectées… [Nkoa Steinmetz, 2000, p. 72]
Dans les structures confessionnelles, comme dans les structures publiques, des
personnels de santé peuvent également faire grève, sans «service minimal»,
comme j’ai pu le constater au Burkina Faso. Souvent, les personnels des centres
de santé confessionnels ne bénéficient guère des formations de recyclage propo-
sés aux personnels de la fonction publique, et donc sont parfois moins informés
que ceux-ci sur certaines avancées thérapeutiques. Par ailleurs, dans les différ-
ents pays où j’ai pu enquêter, des témoignages concordants font état de person-
nels de structures confessionnelles périphériques pour lesquels seul leur centre
(surtout s’il est dirigé par un(e) expatrié(e), sœur, prêtre ou pasteur) est suscepti-
ble d’offrir les meilleurs soins; dès lors, les personnels de tels centres sont ame-
nés à aller au-delà de leurs compétences, référant alors parfois trop tard le/la
patient(e) à une structure publique dotée de compétences supérieures. Il existe

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donc aussi des centres confessionnels qui délivrent des soins de mauvaise qualité
à l’instar des structures publiques; et il ne suffit donc pas qu’une structure de
soins appartienne au secteur confessionnel pour que les services délivrés soient
ipso facto de bonne qualité.
Les structures confessionnelles sont soumises à des contraintes spécifiques,
par exemple en ce qui concerne leurs personnels. L’employeur étant le diocèse,
la congrégation islamique, ou une Église protestante, d’autres critères que pro-
fessionnels ou organisationnels peuvent présider au recrutement des personnels,
comme le prouve ce constat, toujours à propos d’établissements chrétiens du
Cameroun: «Les critères de sélection apparaissent plus proches de la doctrine
chrétienne que d’une stratégie de l’emploi en adéquation avec les contingences
auxquelles l’hôpital doit faire face…», comme l’illustre le cas d’une personne
dans une structure protestante, proche de la retraite, «choisie pour ses qualités
humaines et son engagement dans l’Église, [et dont le rôle était] d’encadrer le
personnel et d’assurer la discipline mais au-delà de cette mission très générale,
elle ne [connaissait] précisément ni ses attributions, ni ses pouvoirs» [Nkoa
Steinmetz, 2000, p. 54]. L’importance de l’adhésion des personnels des structu-
res confessionnelles à des valeurs chrétiennes pour exercer dans le cadre de
structures confessionnelles est confirmée dans un article qui rend hommage à
l’œuvre sanitaire de l’Église évangélique du Cameroun:
L’orientation chrétienne est-elle vraiment une motivation pour le personnel médical?
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Pour servir comme infirmier à l’hôpital de Njissé, il fallait au préalable signer un en-
gagement. Aux techniques médicales, il fallait joindre l’éthique chrétienne en faisant
appel aux préceptes évangéliques dont le fil conducteur est l’amour du prochain
[Peerenboom, 1991, p. 86].
Par ailleurs, les contraintes financières propres au secteur privé, associées au
caractère non lucratif de l’activité confessionnelle, conduisent souvent les structu-
res confessionnelles à proposer des salaires moins attractifs que le secteur public
et avec des possibilités d’avancement limitées. Aussi, il n’est pas rare de rencon-
trer dans ces structures de jeunes médecins, qui n’ont pu être recrutés dans le
secteur public mais qu’ils comptent bien cependant rejoindre le plus rapidement
possible; une implication mesurée des médecins dans leur service et un
«turnover» important sont parfois la conséquence de cette situation, avec des per-
sonnels paramédicaux, parfois peu qualifiés et n’ayant guère d’autre avenir que
de se maintenir dans la structure qui les a recrutés, et qui peuvent disposer d’une
marge de manœuvre importante pour soigner. Cette incertitude des statuts des
personnels des structures confessionnelles avait déjà été soulignée par T. Berche:
Le personnel religieux est toujours le personnel responsable du dispensaire. Le per-
sonnel des dispensaires ne se limite pourtant pas à ce personnel religieux. Des per-
sonnels nationaux sont engagés “sur le tas” et formés aux tâches d’exécution. Ces
personnels subalternes n’ont pas de statut officiel ni de possibilité de promotion
professionnelle… [1985, p. 88].
En l’absence de statut très précis, et de formation formelle, il n’est pas toujours
aisé de définir précisément les tâches et les rôles de ces personnels.

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Comme les structures publiques, les structures confessionnelles sont confron-


tées aux usagers qui ne payent pas, et bien plus que les premières, l’absence de
recettes peut compromettre leur pérennité. Les usagers soulignent plutôt la
meilleure accessibilité financière des structures confessionnelles par rapport aux
structures publiques 5 ; ils avancent en général que, dans les premières on prend a
priori en charge, même les démunis, ce qui ne serait plus jamais le cas dans les
structures publiques où celui qui se présente sans argent ne recevra pas de soins.
Cette opinion cependant en dit davantage sur la qualité de l’accueil que sur les
tarifs pratiqués. La logique privée des structures confessionnelles les obligent
néanmoins à des recettes, et elles ne peuvent évidemment accepter de ne rece-
voir que des «indigents», dans des contextes où nombre d’usagers ont tôt fait de
se présenter comme «démunis». Dès lors, des mesures de rétorsions contre les
usagers qui ne payent pas sont adoptées: confiscation des cartes d’identité et des
effets personnels, coût des prestations plus élevés pour les femmes enceintes qui ne
se sont pas présentées régulièrement aux consultations prénatales requises, etc.
Mais la qualité des soins s’arrête-t-elle à la qualité de l’accueil et des rela-
tions entre usagers et personnels de santé? Si l’on rapporte la qualité à la perfor-
mance des structures de soins mesurée notamment en fonction de la conformité
à des normes (en matière de traitement, de pratiques cliniques, etc.), existe-t-il,
par exemple, des mesures objectives permettant d’avancer que les prescriptions
contre le paludisme sont de meilleure qualité dans les structures confessionnelles
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que dans les structures publiques? Les personnels de santé dans les structures
confessionnelles prennent-ils systématiquement la température, l’âge, le poids
des enfants et des femmes souffrant de fièvres? Face à la chloroquinorésistance,
les prescriptions de traitements anti-palustres sont-elles toujours liées à un dia-
gnostic fondé sur un examen de laboratoire? Les structures privées, moins
contraintes que les structures publiques d’adopter les directives nationales, et
peut-être moins susceptibles d’être informées de la modification des protocoles
et des standards du fait de personnels qui sont moins touchés que les autres par
les formations organisées sous l’égide du Ministère de la santé, n’offrent-elles
pas alors des alternatives qui risquent de complexifier encore un peu plus un
«paysage thérapeutique» déjà fort perturbé en matière de prophylaxie et de prise
en charge des accès palustres en situation de résistance? 6 Par cet exemple précis
se rapportant au traitement du paludisme, je voulais surtout souligner qu’affirmer
que l’offre de soins proposée par les centres confessionnels est de meilleure

5. Les informations obtenues à ce jour ne me permettent cependant pas d’affirmer que les structures
confessionnelles seraient moins chères que les structures publiques. Une évaluation pour comparer les
prix pratiqués par les unes et les autres serait sans doute très difficile à réaliser, même si l’on s’en tient
aux tarifs officiels, tant les modes de tarification peuvent différer: ainsi, d’après mes observations très
partielles, pour une même pathologie, les structures confessionnelles privilégient souvent des tarifications
à l’épisode, alors que les structures publiques pratiquent plutôt des tarifications à l’acte; de plus, tout
dépend de ce que l’on fait entrer dans le coût demandé à l’usager: consultation, examens de laboratoire,
médicaments, etc.
6. Dans les systèmes de santé, «prescribing according to the national Essential Drugs List is not
enforced. In addition the Essential Drugs List is limited to the public sector alone. The private sector
therefore offers an alternative to prescribers and consumers» [Ofori-Adje et Arhinful, 1996, p. 1169].

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Les qualités de l’offre de soins confessionnelle en Afrique subsaharienne 35

qualité que l’offre proposée par les structures publiques procède souvent du seul
constat intuitif, en l’absence d’accord sur le type de réalités à mettre sous le
label de «qualité des soins», mais aussi en l’absence d’une évaluation compara-
tive «basée sur l’évidence» 7.

La légitimité historique du paradigme chrétien


Si l’évidence de la qualité des soins ne permet pas de fonder les opinions
globalement favorables à l’égard de l’offre de soins confessionnelles, ne faut-il
pas alors aussi en rechercher les raisons dans un paradigme de référence chrét-
ien, qui s’inscrirait en toile de fond des réflexions, positions et initiatives dans le
domaine de la santé en général 8. Deux types de réalités – il y en a sûrement
d’autres – repérables historiquement, permettent d’illustrer l’amplification du
paradigme chrétien dans les politiques de santé publique dès lors qu’elles
s’adressent aux pays du Sud.
L’offre de soins confessionnelle bénéficie d’une très grande légitimité auprès
des élites africaines. En Afrique subsaharienne, cadres, directeurs centraux
d’administration, techniciens supérieurs, personnels de santé de tout statut, voire
hommes politiques actuellement en fonction ont souvent été formés dans des
établissements confessionnels, et la culture chrétienne dont ils ont été nourris
contribuent à leurs bonnes dispositions à l’égard de tout ce qui vient des Églises
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chrétiennes. Les cadres de l’administration centrale de la santé envisagent aussi
plutôt favorablement aujourd’hui toutes les activités du secteur confessionnel 9 :
des responsables d’établissements de soins publics ne voient par exemple aucun
inconvénient à la présence de personnels religieux, surtout paramédicaux, dans
leurs structures, d’autant moins que ceux-ci sont bénévoles ou du moins n’émargent
pas au budget de l’État; ces personnels religieux, comme j’ai pu le constater par
exemple au Cameroun, sont parfois reconnus comme chefs de service dans la

7. Rappelons que l’OMS recommande désormais que les orientations à développer dans un secteur
particulier doivent être toutes «basées sur l’évidence» (evidence based medicine), c’est-à-dire que l’on
doit avoir la preuve que les choix qui seront faits apporteront une amélioration. Dans cette perspective, il
n’y aurait donc aucune évidence pour l’instant prouvant que les structures publiques offriraient des soins
de meilleure ou de moins bonne qualité que les structures confessionnelles.
8. Ce paradigme chrétien alimentant les réflexions sur la santé coexiste, bien évidemment, avec
d’autres paradigmes. On peut en effet considérer que toute politique de santé se structure à partir ou
autour de paradigmes spécifiques; ainsi, par exemple, du paradigme «communautaire» qui, depuis la
déclaration d’Alma Ata, continue de parcourir les politiques de santé destinées aux pays du Sud, ou
encore du paradigme «traditionnel» que l’on voit ressurgir régulièrement avec les tradipraticiens et les
accoucheuses traditionnelles; le paradigme «chrétien» en serait un autre. On pourra retrouver des réf-
lexions qui vont dans le même sens dans Dozon et Fassin [2001], et surtout dans les travaux de F. Ewald
[1996].
9. Ceci n’a pas toujours été vrai. Par exemple, lorsque le Congo Brazzaville était une république
populaire, les établissements sanitaires confessionnels avaient été nationalisés. Mais avec la crise de l’État
et l’effritement du modèle socialiste, on a vu réapparaître pasteurs, prêtres et sœurs, dès la fin des années
1980, dans des établissements alors anciennement confessionnels et qui ont fini par être remis aux
congrégations religieuses qui avaient créé ces dispensaires. Remarquons cependant que, tout socialiste
qu’il fût, le régime congolais d’alors n’avait jamais remis en cause le «petit» et le «grand» séminaire
dont nombre de dirigeants étaient issus.

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36 Marc-Éric Gruénais

structure de soins et supervisent alors l’activité des personnels de la fonction


publique, avec l’assentiment des administrations centrales de la santé. La culture
chrétienne des cadres des pays d’Afrique subsaharienne explique sans doute la
bienveillance à l’égard de toute entreprise religieuse de santé indépendamment
de toute évaluation des performances de celle-ci.
L’offre de soins confessionnelle bénéficie aussi d’une légitimité «exogène»
non négligeable. En effet, les partenaires du Nord les plus influents, représent-
ants d’agences de coopération bilatérale et multilatérale, acteurs directs (en tant
qu’assistants techniques en charge d’un projet spécifique) ou indirects (agissant
uniquement comme bailleurs de fonds) des projets de développement, sont en
général aussi plutôt de culture chrétienne et appuient volontiers les initiatives de
développement liées à une Église chrétienne en Afrique. Au Cameroun, la Coopér-
ation française examine avec bienveillance les demandes émanant d’institutions
catholiques; en Centrafrique, la Coopération allemande appuyait une institution
protestante dont les activités étaient essentiellement tournées vers les jeunes et
en particulier les activités de prévention du sida; ou encore, dans ce même pays,
c’est une église catholique japonaise qui affecte un médecin et offre tout le sou-
tien logistique à un centre de prise en charge des personnes infectées par le VIH,
installé dans un dispensaire public, et qui était érigé en modèle par les autorités
nationales. Par ailleurs, il ne faut pas minimiser la puissance historique des rés-
eaux chrétiens dans l’aide au développement. Par exemple, L.P. Aujoulat, qui
participa au gouvernement de la IVe république comme Secrétaire d’État à la
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France d’Outre Mer, fut le fondateur de l’Association de laïcs universitaires et
chrétiens et missionnaires (Adlucem) qui œuvra beaucoup pour le développem-
ent sanitaire au Cameroun. Au sein du conseil d’administration d’une fondation
qui soutient une importante action sanitaire, éducative et de développement agri-
cole au nord du Cameroun siégeaient des grands commis de l’État français, dont
un ancien directeur d’une grande société nationale française qui fut également
ministre de laVe République.
On le sait: l’entreprise sanitaire chrétienne dispose d’une légitimité historique
ancienne. «L’œuvre de santé» émanant des Églises chrétiennes (catholiques et
protestantes) est indissolublement liée à l’entreprise missionnaire sur l’ensemble
du continent africain, et l’offre de soins confessionnelle a très largement contri-
bué à la structuration de l’offre de soins en Afrique. Les administrations colonia-
les, en effet, concentraient plutôt leurs efforts sur les hôpitaux des grandes villes,
et laissaient volontiers aux missionnaires la prise en charge de la santé des popu-
lations rurales [Van Lerberghe et De Brouwere, 2000]. Dès la fin du XIXe siècle,
les Pères Blancs, la Church Missionary Society ou la Mission de Bâle ont formé
des personnels africains pour œuvrer dans les dispensaires de leurs missions.
Encore aujourd’hui il est fréquent de rencontrer, notamment dans les structures
périphériques publiques, des personnels ayant bénéficié d’une formation auprès
d’une institution confessionnelle (formation «sur le tas» dans un dispensaire
chrétien, ou formation formelle dans une école paramédicale confessionnelle).
Nombre de villages encore très difficiles d’accès restent desservis principalement

Autrepart (29), 2004


Les qualités de l’offre de soins confessionnelle en Afrique subsaharienne 37

par des structures confessionnelles, comme dans la province de l’Extrême Nord


du Cameroun; dans les villes également, les structures confessionnelles ont parfois
un volume d’activités dans certains domaines qui dépasse celui des structures de
référence nationales 10.
L’œuvre de santé chrétienne a donc eu un rôle majeur dans la structuration
de l’offre de soins en Afrique, mais aussi dans le développement des métiers de
la santé. Un des facteurs fréquemment avancé pour expliquer la faible perfor-
mance des systèmes de santé en Afrique est l’absence d’un corps professionnel
qui se serait constitué de manière endogène, à l’instar de l’émergence de la pro-
fession médicale en Europe ou aux États-Unis. J. Illife rappelle ainsi que dans
les années 1970, T. Johnson «argued that, except perhaps in colonies of white
settlement, no true professions had come into being in former colonies, because
the occupations concerned had not grown up and organised themselves from
below, as they had in Britain and America, but had been created and controlled
by colonial states and their successors» [Illife, 1998, p. 3]. Dans son ouvrage
consacré à l’histoire des médecins en Afrique orientale, Illife récuse cette idée;
ce qu’avance Johnson est sans doute vrai si l’on en reste au seul système public
et laïc de formation, mais beaucoup moins dès que l’on envisage le système
confessionnel. En effet, à considérer l’ancienneté, l’importance (en termes de
volume de formation et d’offre de soins), et l’influence encore très perceptible
aujourd’hui de l’entreprise sanitaire confessionnelle, en accord avec Illife,
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j’avancerais qu’il existe aussi en Afrique une tradition médicale relativement
ancienne (depuis la fin du XIXe siècle) qui prend ses sources dans une action
missionnaire qui a contribué à forger une «profession médicale» au sens de
Freidson [1984], ou du moins des métiers de santé. D’une manière générale, la
bienveillance a priori des bailleurs de fonds, des cadres nationaux, voire des
spécialistes de santé publique du Nord comme du Sud aujourd’hui à l’égard des
dispositifs sanitaires chrétiens doit aussi être recherchée dans les multiples
dimensions d’un paradigme chrétien qui a largement contribué à structurer les
systèmes de santé et les «mentalités» des cadres du Nord et du Sud.

L’œuvre sanitaire chrétienne: une entreprise économique


Il convient aussi de rechercher les raisons de la performance des établissem-
ents confessionnels dans leur organisation, dans le fonctionnement de leurs insti-
tutions de tutelle, et dans leur importance en tant qu’acteurs économiques
nationaux. L’offre de santé confessionnelle dans les pays d’Afrique subsaharien-
ne représente en effet encore une proportion non négligeable de l’offre de santé
nationale. Une revue de l’offre de soins catholique pour les années 1981-1983
portant sur le Bénin, le Burundi, le Cameroun, le Rwanda, le Sénégal, le Togo et
l’ex-Zaïre estimait que 30 à 50 % des prestations fournies par des centres de
santé des pays africains le sont par des structures confessionnelles [Berche,
10. C’est le cas, par exemple, à Ouagadougou où la clinique Sainte Camille, catholique, est certai-
nement la structure de soins qui réalise le plus grand nombre d’accouchements de tout le pays.

Autrepart (29), 2004


38 Marc-Éric Gruénais

1985, p. 86]. Le cas du Cameroun est à cet égard exemplaire: sur l’ensemble du
territoire camerounais, selon les chiffres fournis pas le Ministère de la santé pour
l’année 1990 à propos de la carte sanitaire, les établissements confessionnels
offrent 13 % de l’ensemble des lits disponibles sur le territoire national; la prés-
ence du secteur confessionnel étant très inégalement répartie, dans certaines rég-
ions du pays il occupe une place prépondérante, avec plus de 50 % des lits. Par
ailleurs, une estimation officielle portant sur la fin des années 1990 situe
l’importance du financement du secteur confessionnel de la santé à près de 10
milliards de francs CFA par an, alors que la moyenne annuelle de l’ensemble de
l’aide internationale dans le secteur de la santé pour la même période était de 6
milliards de francs CFA 11.
Des structures périphériques telles que des hôpitaux de district ou des centres
de santé de première ligne confessionnels comptent parmi leurs personnels des
techniciens de haut niveau et des expatriés. Ainsi, toujours au Cameroun, alors
beaucoup de centres de santé n’ont pas de médecins, des structures périphériques
confessionnels équivalant à des centres de santé bénéficient des services de méd-
ecins ou de techniciens spécialisés expatriés, et reçoivent par ailleurs régulière-
ment la visite d’équipes de chirurgiens du Nord qui viennent opérer en continu
pendant des missions d’une quinzaine de jours. Ces centres, situés au second
niveau, voire au premier niveau de la pyramide sanitaire, qui voient donc œuvrer
des spécialistes, en viennent rapidement à drainer une clientèle nationale voire
internationale; ainsi de ce dispensaire protestant de l’extrême nord du Came-
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roun, qui procédait régulièrement à des opérations ophtalmologiques et qui atti-
rait des patients de la capitale, Yaoundé, mais aussi du Tchad et du Nigeria
limitrophes. On conviendra aisément qu’il est plus facile d’offrir des soins de
qualité lorsque l’on bénéficie de prestations de spécialistes hautement qualifiés,
qui ne coûtent rien à la structure, et qui viennent avec matériels et médicaments
qui resteront sur place. Les structures confessionnelles sont donc certes privées,
mais sont aussi largement aidées par les Églises du Nord, pour l’approvisionne-
ment en médicaments et l’équipement (qui parviennent sous forme de dons), et
la rémunération des personnels notamment expatriés. Ces structures, en tant que
structures privées, doivent certes veiller à leur équilibre financier en ce qui
concerne leur fonctionnement courant, mais elles bénéficient la plupart du temps
d’un volume important «d’extras» qui ne sauraient être pris en charge par les
recettes propres de la structure.
Les services de santé confessionnels peuvent aussi devenir de fait des acteurs
économiques nationaux importants. Pour rester sur l’exemple du Cameroun, le
service catholique de la santé dispose de sa propre centrale d’achat, évidemment
totalement autonome par rapport à la centrale d’achat nationale; des rumeurs,
mais qui malgré tout sont fort plausibles, font état de laboratoires pharmaceuti-
ques du Nord qui proposaient des ristournes importantes, voire une exonération
du coût du port pour les commandes de la centrale catholique, «geste commercial»
finalement bien ordinaire en faveur d’un bon client solvable.
11. Plan National de Développement sanitaire du Cameroun 1999-2008, Yaoundé, Ministère de la santé.

Autrepart (29), 2004


Les qualités de l’offre de soins confessionnelle en Afrique subsaharienne 39

Dès lors que l’on dispose de personnels formés, régulièrement payés, béné-
ficiant de l’encadrement de spécialistes, dans des structures subventionnées, dis-
posant d’équipements et de médicaments, il est alors beaucoup plus facile d’offrir
des soins de qualité et d’attirer une clientèle nombreuse. La bonne qualité des
soins délivrés par les établissements chrétiens, y compris les plus périphériques,
s’expliquerait donc aussi très largement, autant par l’importance de l’organisation
et des réseaux (internationaux) dans lesquels ils s’insèrent, que par la seule
adhésion à des valeurs religieuses de ses personnels.

Des choix et des tensions induits par la foi


Comme je le précisais ci-dessus, l’action sanitaire confessionnelle pendant la
période coloniale se concentrait plutôt en dehors des grands centres urbains;
conformément à l’esprit de «mission» qui anime ses acteurs, les initiatives mis-
sionnaires s’exerçaient davantage dans le cadre de dispensaires ruraux, de rég-
ions difficiles d’accès, alors que l’action sanitaire de l’administration coloniale
était surtout centrée sur l’hôpital. Aux légitimités historiques, politiques et écon-
omiques, soulignées plus haut, il conviendrait également d’ajouter la légiti-mité
de «proximité». Ce souci de l’offre de proximité, immédiatement accessible aux
populations les moins bien desservies, perdure encore aujourd’hui dans nombre
de projets de développement sanitaire, même si la tendance à créer des centres
hospitaliers avec un plateau technique développé, y compris dans les centres
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urbains, s’est depuis également très largement affirmée.
Entreprendre des actions de proximité, c’est entre autres mener des actions
avec et au plus près des populations en favorisant un engagement de «la
communauté» pour qu’elle contribue elle-même à la prise en charge de ses pro-
blèmes de santé. À cet égard, certains hagiographes de l’œuvre missionnaire ou
encore certains prêtres médecins n’hésitent pas à affirmer que l’œuvre de santé
missionnaire proposait déjà en germe, dès les années 1940, des stratégies de
prévention ou de soins de santé primaires dont on sait le succès ultérieur sous
l’égide de l’OMS 12. L’œuvre de santé chrétienne a largement contribué à former
«sur le tas» des auxiliaires de santé, des «leaders de la communauté», des tradi-
praticiens et autres accoucheuses dites «traditionnelles», soit des acteurs non
professionnels de la santé, dont l’action réelle est impossible à évaluer 13, qui fort
de la légitimité qui leur est ainsi conférée pourraient poser des actes au-delà de
leurs compétences et donc éventuellement dangereux, et qui n’ont guère à rendre
des comptes (au sens de accountability). Si bien qu’aujourd’hui cette stratégie
d’identification et de formation de «spécialistes» de la santé non professionnels
issus de la «communauté» est largement remise en question.
De la proximité de l’action missionnaire naît également une connaissance
approfondie des populations qu’il convient de desservir, ainsi qu’une sensibilité

12. On en trouvera quelques illustrations dans Pirotte et Derroitte [1991].


13. Par exemple, à propos des impossibilités à évaluer l’action positive des accoucheuses traditionnelles
pour la réduction des risques obstétricaux, on pourra se reporter à Bergstrom et Goodburn [2001].

Autrepart (29), 2004


40 Marc-Éric Gruénais

particulière à des pratiques populaires qui peuvent parfois être jugées incompati-
bles avec certaines valeurs religieuses. On pense ici évidemment à des attitudes
de refus de certains missionnaires ou de sœurs, aux temps héroïques de l’évang-
élisation, de soigner des individus qui montraient par le port d’amulettes leur
attachement à des pratiques «fétichistes» [Ranger, 1981]. Cette «connaissance du
milieu» des acteurs de l’œuvre de santé chrétienne peut aujourd’hui, comme j’ai
pu le constater, conduire à anticiper certains comportements: éviter d’hospitali-
ser dans la même pièce des patients de deux groupes culturels distincts dont on
sait qu’ils sont traditionnellement ennemis, ou isoler des patients qui présentent
tous les symptômes évocateurs de l’infection par le VIH parce que le sida fait
peur à des populations peu éduquées. Dès lors, proximité et sensibilité particu-
lière aux pratiques populaires peuvent parfois conduire à des anticipations
«culturalistes», c’est-à-dire à adapter ses décisions à ce que l’on suppose être la
réaction d’une personne originaire de tel groupe ethnique, et qui peuvent influer
sur la nature des prestations offertes.
Mais la proximité recherchée et affirmée est évidemment aussi religieuse. Le
lien organique, et finalement indissociable, entre le religieux et le médical finit
par transparaître de toute œuvre médicale confessionnelle et pourrait constituer un
terrain particulièrement favorable pour mettre en valeur les «guérisons spirituelles».
Au Congo, des médecins, membres d’une influente association médicale chrét-
ienne, déclaraient combien il était nécessaire d’associer la prière à la médecine,
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affirmant qu’ils n’hésitaient pas à prier avant le début des consultations, et
notamment lorsqu’ils étaient confrontés à des cas difficiles, pour accroître l’effi-
cacité des soins qu’ils pouvaient prodiguer. En Afrique centrale, les Églises
«historiques» (Église catholique romaine, Église évangélique, Église presbytér-
ienne notamment) doivent faire face aux adhésions de plus en plus prononcées
de leur «clientèle» potentielle à différents mouvements charismatiques et pente-
côtistes dont la fonction affichée est la guérison spirituelle 14. L’action des struc-
tures de soins confessionnelles doit aussi s’organiser dans un contexte général
favorable aux «guérisons spirituelles», mis en forme autant par les Églises histo-
riques que par les «nouveaux mouvements» religieux, et on peut se demander
dans quelle mesure ce contexte n’est pas particulièrement propice à répondre à
certaines attentes de populations alors sans doute attirées également par la reli-
giosité émanant des structures confessionnelles.
Comme j’ai pu l’observer dans un hôpital confessionnel au Cameroun, une
séance de prière collective des personnels de santé et des patients est organisée
quotidiennement au début de la journée de travail, et de la musique religieuse est
diffusée toute la journée dans la salle d’attente. Dans un autre centre de santé
confessionnel, d’obédience protestante mais non dénominationel 15, qui disposait

14. Certains représentants de ces Églises historiques ne sont pas toujours en reste, ainsi, Mgr Milingo,
archevêque de Zambie, un des leaders africains du Renouveau charismatique, qui est entré en conflit avec
le Vatican pour cause de «ministère de guérison» [Harr, 1996]. On pourra également se reporter aux écrits
du père jésuite E. de Rosny [1992] qui souligne toute la compatibilité existant entre certaines pratiques de
guérison qualifiées «d’africaines» et le message de la foi chrétienne.

Autrepart (29), 2004


Les qualités de l’offre de soins confessionnelle en Afrique subsaharienne 41

d’un plateau technique très satisfaisant, chaque porte était ornée de versets de la
Bible et du Coran. Le responsable de cette structure en 1998, un chirurgien
nord-américain, affirmait avoir été guidé par l’Esprit saint pour implanter son
hôpital dans une zone islamisée. D’une manière générale, un pasteur n’est
jamais très loin des structures confessionnelles protestantes en milieu rural, et un
prosélytisme, plus ou moins patent selon les structures, n’est jamais totalement
absent de l’entreprise sanitaire confessionnelle.
La tension entre religion et médecine, dans l’œuvre médicale confessionnelle,
est un débat peut-être toujours non résolu, et qui a parcouru les milieux chrétiens
depuis le début de l’action missionnaire: de l’action sanitaire, menée par des
confessionnels, ou de l’action religieuse, laquelle doit primer? La conscience de
cette tension était déjà présente chez le fondateur de ces ordres missionnaires
soignants que sont les Pères Blancs et les Sœurs Blanches; dans ses instructions
aux missionnaires, datant de 1877, le Cardinal Lavigerie rappelait à «ses»
missionnaires: «Gardons-nous de nous faire appeler médecins. Nous ne sommes
pas des médecins, mais des hommes de prière, des serviteurs de Dieu», tout en
précisant qu’il ne fallait pas «abuser de l’état dépressif des malades» et en inter-
disant toute prédication auprès d’eux, estimant qu’il s’agirait là «d’une faute
grave qui retarderait indéfiniment et empêcherait même, peut-être à toujours, le
rapprochement que nous devons désirer» avec les populations soignées par les
missionnaires [Renault, 1991, p. 28-29]. À propos de l’Afrique orientale, M.
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Vaughan écrit: «The suspicion that medical work represented a superficial way
of attracting converts remained. Medical missionaries… had continually to
emphasize, in their writings and in their practice, that their medical work was
subordinate to their evangelical role… and the connection between sin and
disease was a central feature of medical missionary ideology. An effective cure
to any medical problem could only come about through conversion» [1992,
p. 273]. La primauté du religieux sur le médical, a pu ainsi amener parfois au
choix de soigner plutôt certaines populations en fonction de leur adhésion aux
valeurs religieuses, attitude qui a pu être critiquée par des responsables de santé
publique, comme l’atteste cette déclaration récente faite par un délégué provin-
cial de la santé devant un aréopage d’évêques:
… dans ce contexte [d’absence de véritable politique de santé nationale jusque dans
les années 1995] l’Église s’est frayée une place dans le vaste champ de la santé. Les
besoins étaient si importants qu’un intervenant pouvait s’implanter n’importe où
sans risquer d’être de trop. Les Églises s’orientaient surtout vers des zones défavor-
isées, enclavées et pauvres. L’une des stratégies d’intervention des Églises, perçues
comme défaillance, était le fait que l’existence d’une communauté chrétienne de sa
confession passait comme critère prioritaire du choix du site. C’est ainsi que l’Église
était, pendant plusieurs années, accusée de prosélytisme religieux. Cette situation a
entraîné un double emploi en plusieurs endroits du pays, à savoir que dans une même
localité se trouvaient, en concurrence, des formations sanitaires créées par différents
intervenants, pour répondre aux besoins d’une partie de la population. Pour se soi-
gner, des malades se déplaçaient sur de longues distances à la recherche d’une for-

15. Appellation reconnue pour désigner un «mouvement» qui refuse tout lien avec une Église.

Autrepart (29), 2004


42 Marc-Éric Gruénais

mation sanitaire de leur confession religieuse. Sur le plan préventif, le personnel


sélectionnait les villages pouvant bénéficier de leurs interventions, ceci en rapport
avec la coloration religieuse. C’est ainsi que les équipes des dispensaires privés
confessionnels traversaient plusieurs villages pourtant nécessiteux, pour aller donner
des soins là où le catéchiste a réussi à réunir quelques fidèles 16.

Une offre de soins de qualité mais incomplète?


Nous avons ici l’illustration de ce que T. Berche affirmait dans l’article déjà
cité [1985, p. 88]: «Fréquemment, les objectifs de la présence missionnaire et
les objectifs de développement de la santé ne sont pas intimement accordés»; et
il poursuivait: «chaque formation sanitaire catholique est isolée (à quelques
exceptions près), ne reconnaissant pas d’autorité en termes sanitaires, jalouse
d’une indépendance affirmée comme vitale… Les formations sanitaires catholi-
ques représentent un sous-système social organisé, partie du système d’Église,
ayant ses propres normes de régulation» [1985, p. 97 et 99]. L’autonomie des
services de santé confessionnels, leur idéologie religieuse, conduisent les étab-
lissements chrétiens à définir des priorités, à opérer des choix, qui les amènent
parfois à ne pas offrir nécessairement toute l’offre de soins que l’on pourrait en
attendre. Il y a, certes, les exemples un peu convenus de l’attitude de certains
centres de santé confessionnels de ne pas mettre en œuvre des aspects des pro-
grammes de planning familial nationaux validés internationalement, en refusant
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la mise à disposition des méthodes contraceptives modernes, et en prônant les
méthodes «naturelles» d’espacement des naissances dans le cadre de séances
d’éducation à «la vie familiale» 17, ou encore du refus de la promotion de l’utili-
sation du préservatif dans des contextes à forte prévalence du VIH/sida. Mais je
retiendrai surtout que les choix opérés par les services de santé confessionnels se
fondent aussi parfois sur une conception de l’offre de soins qui ne s’accordent
pas avec les modèles actuels d’organisation des systèmes de santé.
Toujours au Cameroun j’ai pu constater que certaines structures confession-
nelles de première ligne ne délivraient pas l’ensemble des activités prévues dans
le «paquet minimum d’activités» tel qu’il a pu être défini par l’OMS et adopté
par le Ministère de la santé. Par exemple, il est prévu que tous les centres de
santé organisent des consultations prénatales et procèdent aux accouchements
normaux. Tous les centres de santé confessionnels que j’ai pu visiter offraient
des consultations prénatales (c’est même là souvent une des principales activités
des centres de santé de première ligne), généralement faites par des auxiliaires
de santé et non des infirmiers. Cependant, en raison de pénuries d’infirmiers
accoucheurs dans certains centres – ce qui est le cas de la majorité des centres
de santé publics ruraux –, certaines structures confessionnelles n’étaient pas
autorisées par leur hiérarchie à procéder à des accouchements, les femmes alors
16. J. Inrombe, «L’Église et la politique sanitaire au Cameroun: état des lieux», Séminaire des
Évêques du Cameroun, Yagoua, 5-12 janvier 1999.
17. Les services de santé confessionnels, essentiellement catholiques, refusent l’utilisation de
l’expression «planning familial».

Autrepart (29), 2004


Les qualités de l’offre de soins confessionnelle en Afrique subsaharienne 43

reçues en consultations prénatales devant organiser elles-mêmes leur accou-


chement à domicile, avec éventuellement l’aide d’accoucheuses traditionnelles,
formées par ces mêmes structures confessionnelles, et dont j’ai déjà précisé qu’il
était impossible d’en évaluer l’apport en matière de réduction des risques obstét-
ricaux. La critique peut très rapidement être balayée en arguant que dans les
centres de santé publics, y compris ceux bénéficiant des services d’un infirmier
accoucheur ou d’une sage femme, les parturientes sont mal ou pas reçues, et
qu’elles accoucheront de toute manière à domicile; dès lors, autant organiser les
accouchements à domicile 18. Reste à savoir si, dans le cadre d’une politique de
réduction de la morbidité et de la mortalité maternelles, un raisonnement fondé
sur des choix opérés ici parce que «ce n’est pas mieux ailleurs» est toujours
recevable. On peut également se demander si effectuer une bonne surveillance
prénatale mais laisser les femmes accoucher à domicile correspond à ce qu’il est
convenu d’appeler une offre de soins de qualité.
Ne délivrer qu’une partie des prestations que l’on pourrait attendre d’un centre
de santé, étant donné la qualité de ses personnels et de son plateau technique, ne
semble pas exceptionnel dans les centres de santé confessionnels. Ainsi, dans
une capitale d’Afrique de l’ouest, un centre de santé confessionnel, qui bénéficie
du service de plusieurs personnels expatriés, qui comptabilise le plus grand nom-
bre d’accouchements de la ville, ne dispose pas de bloc opératoire; dès lors, en
cas de complications obstétricales, ce centre réfère les femmes au centre hospita-
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lier universitaire, qui offre des services de très mauvaise qualité, avec une ban-
que de sang déficiente, ce qui, chacun le sait, ouvre de grandes incertitudes
quant aux chances de survie de l’enfant et de la femme dès lors que cette dernière
entre en urgence dans cet hôpital.
Un contexte moins dramatique, mais qui ressortit au même type d’interroga-
tion, est celui de la délivrance d’activités curatives et préventives. Comme le
soulignait T. Berche, les centres confessionnels mettent l’accent sur le curatif et
la distribution des médicaments [Berche, 1985, p. 91-92]. Les activités prévent-
ives, «en stratégie avancée», pour employer les termes consacrés, c’est-à-dire à
mener en dehors de l’enceinte de la structure de soins, entrent aussi dans le
«paquet minimum d’activités» évoqué plus haut. Or certains centres confession-
nels de première ligne refusent d’organiser des «sorties» pour des activités de
prévention considérant que ces actions sont du seul ressort de l’autorité publi-
que. Sans compter, comme il m’a été dit, que les centres confessionnels étaient
des centres privés, qu’ils devaient veiller eux-mêmes à leur viabilité financière,
or les activités de prévention coûtent cher et ne génèrent pas de revenus contrai-
rement aux activités curatives. Là aussi, parfois, face à la critique, il est parfois
rappelé que les centres publics, censés mener ces activités préventives, ne les
organisent pas faute de moyens, et que ce n’est donc pas aux centres confession-
nels privés à se substituer aux obligations de l’État.

18. Pour une description des conditions d’accouchement dans les centres de santé publics, on pourra
se reporter à J.-P. Olivier de Sardan, A. Moumouni, et alii [2000].

Autrepart (29), 2004


44 Marc-Éric Gruénais

Dans un contexte de délitement du service public en Afrique, on comprend


que les structures confessionnelles puissent arguer du fait «qu’elles ne peuvent
pas tout faire», qu’elles ne sauraient se substituer aux obligations de service
public de l’État, qu’elles sont privées et autonomes, et que de toute manière «ici,
c’est mieux qu’ailleurs», pour définir et limiter leurs interventions en position de
force eu égard aux puissantes organisations (les Églises de tutelle) dont elles
dépendent. Nous touchons là aux difficiles questions de l’organisation des systèmes
de santé et de l’intégration de toutes les structures de santé, publiques, privées,
confessionnelles dans une même démarche (nationale) de santé publique, alors
même que les différentes institutions de tutelles ne partagent pas les mêmes para-
digmes de référence.

Conclusion
Je précisais, au début de cet article, que l’opinion favorable à l’égard des
structures de soins confessionnelles était souvent plus intuitive que réellement
fondée sur l’évidence. Tout aussi intuitivement, en Afrique subsaharienne, qui-
conque est entré dans un centre de santé confessionnel et un centre public est
souvent saisi par la différence: propreté, importance et qualité de l’équipement,
présence des personnels caractérisent le premier et font souvent largement défaut
dans le second. Dès lors, toujours intuitivement, j’affirmerais volontiers que
l’offre de service dans les structures confessionnelles est de meilleure qualité
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que dans les structures publiques. Il n’est cependant pas dans mes compétences,
ni d’ailleurs dans mes intentions, d’évaluer rigoureusement la qualité comparée
de telle ou telle prestation.
Mon intention ici était tout d’abord de tenter de démontrer que la bonne
opinion partagée, au Nord comme au Sud, à propos des centres de santé confes-
sionnels était largement informée par un paradigme chrétien qui sourd de la pra-
tique médicale, de l’organisation des systèmes de santé et des modèles de santé
publique observables en Afrique. Ce paradigme chrétien diffus viendrait parfois
tout autant structurer l’opinion sur la bonne qualité des soins confessionnels
qu’une évaluation qui, en la circonstance, n’est pas toujours «objective». Plus
simplement, il peut aussi exister des prestations de mauvaises qualités dans des
centres confessionnels.
Par ailleurs, si empathie et compassion sont des vertus cardinales d’attitudes
chrétiennes, elles pèsent sans doute très peu dans l’explication de la qualité des
soins confessionnels en regard de la légitimité historique, et de la puissance politi-
que et économique des réseaux chrétiens en Afrique depuis la fin du XIXe siècle et
qui contribuent très largement à faire de la structure confessionnelle la plus recu-
lée un centre de santé offrant des prestations de très grande qualité. La question
de savoir si les valeurs que l’on souhaiterait voir informer les pratiques des per-
sonnels de santé en général (des secteurs publics et privés), et qui semblent si
souvent absentes de l’offre publique, sont affirmées grâce à l’adhésion à certaines
valeurs religieuses n’est pas résolue. Pas davantage que la question des raisons de

Autrepart (29), 2004


Les qualités de l’offre de soins confessionnelle en Afrique subsaharienne 45

l’attirance particulière des populations pour l’offre de soins confessionnelle: est-ce


toujours parce que la qualité technique des prestations est meilleure ou parfois, à
qualité égale avec une offre publique, la religiosité de l’offre confessionnelle
constitue-t-elle un atout important pour les usagers des structures de soins, et
éventuellement aussi pour l’évaluation positive implicite qu’en font les bailleurs
de fonds et les autorités nationales? Cependant, il ne faut pas exagérer l’importan-
ce des valeurs religieuses, ni minimiser celle de l’entreprise religieuse chrétienne
en tant qu’organisation pour l’évaluation de la qualité des soins confessionnels.
Au-delà de ce plaidoyer pour une évaluation «laïque» de la qualité des soins
confessionnels, c’est évidemment la notion même de «qualité des soins» que
cette réflexion sur l’offre de soins confessionnelle vient interroger. Offrir une
prestation de qualité, mais limitée, voire très limitée, en se souciant peu (parfois
par force) de ce que fera le/la patient(e) lorsque son cas dépassera les compétenc-
es (pour des raisons de qualification des personnels et/ou de plateau technique) de
la structure confessionnelle où il/elle a été reçu(e) est-il une marque de qualité
des soins? Fonder sa pratique de soins sur l’expérience acquise de la «proximité»
en ajustant son attitude et son choix sur les caractéristiques attribuées à telle
population ou à tel type de malade, contribue-t-il à des soins de qualité? Le prag-
matisme, l’urgence des situations, l’affirmation selon laquelle «de toute façon ici,
c’est mieux qu’ailleurs» (sous entendu, «que dans les structures publiques»)
sont-ils suffisants pour justifier les choix limités qui sont faits? Ces questions
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prennent d’autant plus de pertinence aujourd’hui que les modèles de santé publi-
que actuellement en vigueur prônent, comme gage de qualité, la continuité et la
globalité des soins dans des systèmes où tous les dispensateurs de soins officiels
situés aux mêmes niveaux de la pyramide sanitaire sont censés avoir les mêmes
droits et les mêmes devoirs. Sans pouvoir évidemment répondre à de telles inter-
rogations, il est évident que les mêmes questions se posent pour les structures
publiques et confessionnelles, et que si différences de qualité il y a entre les deux
types de structure, elles sont sans doute beaucoup plus de degré que de nature.

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