Clinique Des Soins Biblio
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2006/1 N° 84 | pages 11 à 15
ISSN 0297-2964
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-recherche-en-soins-infirmiers-2006-1-page-11.htm
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Chercher à cerner la clinique en soins infirmiers Les infirmières sont passées d’un savoir empirique
revient à parler simultanément de choses assez dif- et oral, à l’origine des soins, à deux types de savoirs
férentes, car ce terme assez large recouvre à la fois professionnels, celui du rôle propre indéfini et fluc-
des savoirs, des méthodes, et des outils. Hors la tuant, (dont nous serions les dépositaires et les
particularité de ces trois éléments reste leur garantes,) essentiellement appuyé sur les sciences
absence de définition claire. Les savoirs en soins humaines et celui du rôle sur prescription délégué
sont encore flous cela est lié à leur nature et à leurs car médical, appuyé sur les sciences médicales, la
conditions de production. Les méthodes sont peu pharmacologie, la biologie, la génétique. Il est facile
lisibles car la méthode principale, la démarche cli- de voir que cette dichotomie introduit une hiérar-
nique, est confondue avec la démarche de soins, la chisation dans les savoirs, donnant, dans notre sys-
première se référant à la fois aux sciences humaines tème de santé, la prééminence aux savoirs médi-
et à la démarche médicale, la seconde se référant caux.
à la démarche de résolution de problème. Les outils
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s’inscrivent à la fois dans le champ du diagnostic et Les savoirs des sciences médicales ont été
dans celui de la thérapeutique. Aussi investir le construits progressivement grâce à la clinique
champ clinique demande aux soignants un change- médicale et à la recherche, il n’en est pas de même
ment de position car cela suppose de sortir de la pour les savoirs dans le champ du rôle propre.
position d’auxiliaire médicale historiquement fon- Ceux-ci restent flous, dans la mesure où ils ne
dée sur l’évolution de la médecine, et d’investir à sont clairement mis en évidence qu’au coeur de
la fois le champ du diagnostic et celui de la théra- l’activité professionnelle, c’est-à-dire dans une cli-
peutique. Investir le champ du diagnostic suppose- nique en soins infirmiers. Il faut donc accepter que
rait d’utiliser le raisonnement clinique alors que les savoirs, sur lesquels s’appuie la fonction d’un
l’on constate actuellement plutôt un recul dans le clinicien, maintiennent une forme tacite et ne
milieu soignant et enseignant dans l’appropriation trouvent de consistance réelle qu’en lien avec leur
du concept de diagnostic infirmier. Investir le champ mise en pratique, c’est pour cette raison qu’ils
de la thérapeutique signifierait aller jusqu’au bout de restent encore difficiles à définir et sont source
la démarche diagnostique en proposant au patient d’ambiguïté pour la majorité des soignants car il
des interventions spécifiques. Il s’agit bien là d’une s’agit d’un savoir d’une autre nature, un savoir
évolution du positionnement professionnel visant contextualisé, un savoir circonstanciel, un savoir
l’augmentation des compétences en soin. personnalisé. En effet, il importe ici, de com-
prendre comment le malade vit ce qui lui arrive,
comment il se représente sa maladie, quelle est
sa dynamique, si le traitement lui convient, com-
DES SAVOIRS FLOUS ment il l’intègre dans sa vie, quel est son système
de support relationnel et social et comment ses
proches vivent eux aussi cette situation.
La clarification de la clinique en soins infirmiers
passe par l’élaboration et l’explicitation des savoirs Cela implique d’utiliser trois niveaux différents de
en jeu dans les situations de soins. Mais définir les fonctionnement mental, à la fois une méthode
savoirs est une entreprise toujours ardue même si scientifique (de résolution de problème), une pen-
cette question alimente la réflexion du milieu infir- sée systémique (comprendre ce qui est vivant, ce
mier depuis une bonne vingtaine d’années. qui est en interaction, ce qui fait lien...) et un mode
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on la pense dans le champ médical, c’est à dire
dans ses trois dimensions de sémiologie, diagnostic,
Les programmes de formation ont intégré les sciences et traitement.
humaines depuis au moins 20 ans, en terme de conte-
nus de connaissances, mais non en terme de démarche, Mais, comme pour le champ médical, nous considérons
or, il existe aussi une démarche clinique en sciences que la clinique est constituée de l’ensemble des moyens
humaines. Il s’avère qu’il est toujours difficile de disso- nécessaires à l’examen d’un patient, des résultats tirés
cier les connaissances de leurs modes de production, de ses investigations permettant d’identifier un diagnostic
les sciences humaines ont produit des savoirs en lien et de proposer une direction thérapeutique. Nous avons
avec leur propre mode de production et il s’agit pour donc reproduit cette démarche dans les soins infirmiers
les soignants d’intégrer des contenus de connaissances et avons repris ces trois éléments, la sémiologie, le dia-
dans une démarche autre que celle dans laquelle ils ont gnostic et le traitement en les déclinant en 5 étapes,
été produits. On peut constater dans la pratique com- recueil de données, analyse et diagnostic des problèmes
ment dans la formation initiale, les étudiantes infirmières, de soins, interventions et évaluation, ce que nous appe-
puis ensuite les infirmières, ont du mal à intégrer dans lons démarche de soins. Ceci a aboutit à confondre
une démarche de soins des connaissances ou des démarche clinique et démarche de soins, cette dernière
concepts qui viennent des sciences humaines, par étant un processus de résolution de problème et non
exemple le concept de transfert issu de la psychanalyse, pas la démarche clinique mais son opérationnalisation.
est difficilement intégrable dans la démarche de soin. Penser la démarche clinique en soins infirmiers sur le
même modèle que la démarche clinique médicale a
Selon Revault d’Allonnes (1989) les caractéristiques de conduit à la réduire car les soins infirmiers s’inscrivent
la démarche clinique en sciences humaines se déclinent dans le champ des sciences humaines tout autant que
comme suit : dans le champ de la médecine. Ainsi, entre réduction et
- Lien avec la pratique : ces pratiques peuvent être confusion nous avons transmis un modèle dont nous
diverses, en situation duelle, groupale, institutionnelle, devons constater aujourd’hui les limites, tant pour la
l’important est la notion d’expérience et celle de dis- prise en charge des malades que pour la construction
tance, d’une pensée infirmière.
- Rôle de la demande : la démarche clinique a tou-
jours à faire avec une demande, exprimée par un sujet En résumé, nous dirions aujourd’hui qu’il ne suffit pas
ou un groupe, demande d’élucidation,de reconnais- d’intégrer des connaissances en sciences humaines dans
sance, de soutien, de formation, de soin, elle peut la formation et la pratique des infirmières mais qu’il s’agit
être explicite, implicite, confuse voire déguisée et se d’intégrer également une démarche clinique en sciences
déplacer, humaines qui prendra en compte les dimensions
négligées jusqu’ici, c’est-à-dire, le rôle de la demande, la demande, va utiliser la relation d’aide en créant un
la prise en compte de l’implication et les rapports avec climat de confiance et de sécurité permettant au patient
la psychanalyse d’aborder ce qui le préoccupe tant sur le plan physique,
psychique que social. En fonction du problème identifié
ou de la demande du patient, la relation d’aide, outil
principal des soins relationnels, va permettre d’accom-
DES OUTILS DIAGNOSTIQUE pagner la personne, de l’aider à identifier ses difficultés
ET THÉRAPEUTIQUE et ses ressources, de mobiliser son énergie, de donner
du sens à ce qui lui arrive, ou d’accepter ce qui est iné-
luctable, tout au long de la prise en charge. Les concepts
Ces outils sont utilisés dans des situations de soins com- d’empathie, d’écoute active, de congruence, mobilisés
plexes dans le champ des soins relationnels et des soins dans la relation avec le patient engagent les acteurs
éducatifs. Ils nécessitent une formation complémentaire, comme des partenaires, cela suppose que le soignant
permettant d’entrer dans la démarche clinique en s’implique à la fois professionnellement et personnelle-
sciences humaines et d’intégrer les différentes dimen- ment mais aussi qu’il apprenne à gérer son implication.
sions, du rôle de la demande, de la prise en compte de Elle permet au patient de construire un lien-support
l’implication et des rapports avec la psychanalyse. Leur avec le soignant, lien auquel il puisse avoir recours dans
particularité est d’être utilisable à la fois dans une dimen- les moments les plus difficiles...
sion diagnostique et thérapeutique des soins.
La relation d’aide est indispensable pour l’utilisation de
En effet, pour les interventions répondant à des pro- tous les outils qui vont suivre qui ne peuvent se soute-
blèmes d’ordre physiologique les réponses sont plus nir que dans une relation soigné/soignant de grande
faciles, soit parce qu’elles sont médicales, soit parce qualité.
qu’elles sont dans les modèles de formations transmis
par les structures d’enseignement. La relaxation
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Ce sont les interventions qui ne sont ni médicales ni Mise au point par un psychiatre allemand au début du
dans le champ habituellement reconnu aux infirmières XXème siècle, le training autogène de Schultz est une des
qui posent problème, en particulier les difficultés ren- méthodes les plus connues, en proposant à la personne
contrées par les patients comme la perte de l’espoir, la d’être attentive à ses perceptions elle vise à obtenir une
peur, le sentiment d’impuissance, le deuil, la perturba- détente physique et mentale. Complétée par la méthode
tion de l’image corporelle, la perte de l’estime de soi, la de relaxation progressive d’Edmond Jacobson (1908)
douleur etc. qui font partie à un moment ou à un autre centrée sur le principe de la relation existant entre les
du processus pathologique. tensions musculaires et le vécu émotionnel de la per-
sonne, la relaxation est un outil permettant au patient
Lors des situations de soins, ces outils vont être pro- de prendre conscience de ses tensions, de libérer des
posés et utilisés par l’infirmière soit comme une aide à zones de son corps bloquées par le stress, d’agir sur la
l’identification d’un problème, soit comme une aide pour douleur et de sentir qu’il peut modifier les perceptions
permettre au patient d’avancer ou de résoudre une dif- désagréables. On a montré que les émotions se tradui-
ficulté. sent par des processus de contractions transitoires et
variables localisés dans les diverses parties du systèmes
Actuellement, ce qu’on entend par outils de la clinique musculaire et viscéral. Dans sa visée thérapeutique elle
comprend des interventions comme : la relation d’aide, permet non seulement au patient de prendre conscience
la relaxation, l’imagerie mentale, le travail avec le dessin, de son corps, de ses sensations corporelles, mais aussi
et le toucher. des tensions et de la façon dont il est conscient ou non
de celles-ci, il s’agit donc de l’aider à développer le plus
La relation d’aide finement possible la conscience de sa sensibilité pro-
fonde. Elle permet par la diminution de la tension et de
Formalisé par Carl Rogers (1955) elle se développe dans l’anxiété une meilleure connaissance du corps une prise
le milieu infirmier, en psychiatrie d’abord après 1968, de conscience de son schéma corporel, ce travail
puis dans les soins généraux avec la formation continue, permet de mettre en lien les affects, plus
elle apparaît dans les programmes de formation en IFSI ou moins conscients, et le corps et de faciliter une
à partir du décret de 1984 sous l’appellation « relation élaboration.
d’aide thérapeutique ». Elle est particulièrement déve-
loppée dans la formation des infirmières cliniciennes car Jacobson avait établi qu’angoisse et détente musculaire
elle peut être utilisée avec une visée diagnostique et/ou ne pouvaient pas cohabiter et il décrit des résultats
thérapeutique selon les situations. Dans la démarche cli- remarquables aux Etats-Unis tant sur le plan physique
nique, l’infirmière attentive à la dimension implicite de que psychologique.
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Dans sa dimension diagnostique l’imagerie mentale peut une grille de lecture rigoureuse ne laissant pas place à
permettre au patient de prendre conscience de l’image l’interprétation (Filliozat Anne Marie 1990) car il ne s’agit
qu’il a de son corps, de la façon dont il se prépare soit pas là de donner un sens, qui risquerait d’être une pro-
à la fuite soit à la lutte, du conflit entre les capacités de jection du soignant, mais d’ouvrir à des ressources mobi-
raisonnement et les images inconscientes, elle peut pré- lisables par le patient. Ce travail d’accompagnement fait
ciser sur quoi porte la difficulté du patient, comprendre par le soignant peut avoir une durée plus ou moins
où est le problème, et ouvrir un échange avec le soi- longue, et dans certains cas une séance peut suffire à la
gnant. personne ayant pris conscience de la difficulté, à mobi-
liser ses ressources pour son bénéfice.
Dans la dimension thérapeutique l’imagerie mentale va
être utilisée comme une ressource importante pour lut- Le toucher
ter contre la maladie.
La dimension corporelle a toujours été au cœur des
Il s’agit de mettre en scène des images destinées à soins, ainsi le toucher est utilisé par les soignants depuis
envoyer au corps malade des messages positifs qui l’origine des professions soignantes. L’utilisation de cet
auront un effet direct sur le système immunitaire et la outil dans la dimension de la relation d’aide, permet aux
balance hormonale par l’intermédiaire du cerveau lim- infirmières de compléter l’approche par la parole, et
bique. Il y a de ce fait transformation de l’espoir en modi- d’être un moyen de contact avec des personnes en dif-
fications physico-chimiques. ficulté dans l’expression verbale pour des raisons phy-
siques ou psychologiques. Dans certains secteurs, géria-
Concernant la maladie dont elle est atteinte la personne trie, soins palliatifs, handicaps profonds, ce moyen est
à besoin d’évaluer le plus clairement possible quelles quelquefois le dernier lien possible pour rester en
sont les images mentales qui l’habitent quelles sont ses contact avec la personne.
pensées, ses émotions et ses croyances au sujet de cette
maladie. Les techniques utilisées peuvent être diverses, toucher
californien, réflexologie, toucher thérapeutique, ces dif-
L’imagerie mentale stimule le travail d’élaboration psy- férentes dimensions vont être mobilisées par le soignant
chique et permet au patient de prendre conscience en regard de la situation, de la demande ou de l’objec-
de ses conflits internes, de travailler sur les croyances tif visé, soulagement de la douleur par exemple.
négatives, de renforcer les croyances positives, et d’en-
visager des changements en liens avec sa situation. Il Certaines techniques ancestrales de toucher comme la
devient ainsi l’acteur principal de la lutte contre la réflexologie, utilisée par la médecine chinoise, peuvent
maladie. donner des indications diagnostiques sur la dimension
Dans la dimension thérapeutique le toucher vise le sou- Damasio Antonio article « le cerveau et l’es-
lagement de certaines douleurs, des troubles liés à prit » in Pour la Science n° 267 Janvier 2000
l’anxiété ou au sommeil, mais il peut aussi mettre le
patient en contact avec des sentiments, des images, des Filliozat Anne Marie article « Images, source de
souvenirs, des croyances, des schémas de vie, somati- santé » juin 1988 in Etudes psychothérapiques
sés dans le corps (Abrassart Jean Louis 2001) et qui sont n° 2 Privat Toulouse
à la source de ses tensions. Cette approche en intégrant
les dimensions de toucher, d’émotion et de parole, per- Filliozat Anne Marie article « Utilisation du des-
met à la personne de trouver des ressources pour faire sin dans le travail d’imagerie mentale » Forum
face à sa maladie. relaxation visualisation, Montpellier Novembre
1990
Il va de soi que l’utilisation de ces différents outils néces-
site non seulement une formation complémentaire, mais Revault D’Allonnes et Al « la démarche clinique
aussi des temps de supervision permettant aux infir- en sciences humaines » 1989 Dunod Paris
mières engagées dans ce travail, de parler de leurs dif-
ficultés, d’analyser les processus transférentiels, et de Rogers Carl « le développement de la per-
prendre conscience de leur implication dans la relation sonne » Dunod
en soins cliniques.
Abrassart Jean Louis « le toucher libérateur »
Trédaniel 2001
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EN CONCLUSION Saint Etienne Mireille « La clinique infirmière :
fondement de l’acte de soins » Mémoire de
DEA Sciences de l’éducation Nanterre 2000
C’est par l’appropriation progressive de la démarche et
des outils cliniques qu’une infirmière va développer un
positionnement culturellement différent. La possibilité
de proposer au patient un outil de soins inhabituel, de
l’expliquer, de le mettre en œuvre et de l’évaluer avec
celui-ci, va obliger le soignant à sortir de son rôle d’exé-
cutant, à changer son regard sur le malade qui devient
réellement un partenaire et à ouvrir dans le champ des
soins la dimension contractuelle. C’est la contractuali-
sation qui va rendre le soignant responsable donc auto-
nome et le patient acteur de sa maladie.