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Jean-Maurice Blassel
Dans Dialogue 2002/1 (no 155), pages 41 à 48
Éditions Érès
ISSN 0242-8962
ISBN 274920013X
DOI 10.3917/dia.155.0041
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Existe-t-il une souffrance psychique spécifique à la relation de couple et
comment peut-on l’appréhender ? Telle est la question dont je voudrais
débattre. La réponse est d’importance, car elle détermine le travail thérapeu-
tique. On soigne en effet ce qu’on définit comme pathologique. Mais s’inter-
roger sur une psychopathologie du couple nécessite de préciser l’angle sous
lequel les phénomènes sont examinés. Dans la perspective psychanalytique
qui sera la nôtre ici, j’aborderai la psychopathologie sous l’angle intrapsy-
chique, interactif et groupal. Précisons enfin que j’utilise le terme psychopa-
thologie dans un sens très large, à savoir l’expression de la souffrance
psychique.
DIALOGUE - Recherches cliniques et sociologiques sur le couple et la famille - 2002, 1er trimestre
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nomène est étudié.
des motifs inconscients et refoulés servaient chez lui à rendre les motifs
conscients en lutte entre eux, et dans les cas de ce genre, je cherche à mettre
fin au conflit par une analyse. »
S. Freud était-il le premier thérapeute de couple, comme le suggère avec
humour G. Bonnet ? Nous pouvons le penser si nous estimons qu’un théra-
peute de couple a pour fonction de « rétablir la vie conjugale ». Mais S. Freud
ne s’intéresse pas directement au couple. Il se centre sur le sujet et son conflit
intrapsychique, conflit désir – défense, ayant des effets dans la sphère du
couple. Dans cette perspective, la psychopathologie n’est pas référée au
couple mais à l’individu pris isolément. La singularité de la relation de
couple, le lien entre partenaires ne sont pas pris en compte pour comprendre
la souffrance psychique du sujet. Freud exprime d’ailleurs sa plus grande
méfiance à l’égard des proches des patients. Dans son article « La thérapeu-
tique analytique » (1916), il précise : « Nous sommes armés contre les résis-
tances intérieures qui viennent du malade et que nous savons nécessaires.
Mais comment nous défendre contre ces résistances extérieures ? En ce qui
concerne la famille du patient, il est impossible de lui faire entendre raison et
de la décider à se tenir à l’écart de toute l’affaire… Celui qui sait quelles dis-
cordes déchirent souvent une famille ne sera pas étonné de constater en pra-
tiquant la psychanalyse que les proches du malade sont souvent plus
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intéressés à le voir rester tel qu’il est qu’à le voir guérir… Dans les cas, fré-
quents d’ailleurs, où la névrose est en rapport avec des conflits entre les
membres d’une même famille, le bien portant n’hésite pas lorsqu’il s’agit de
choisir entre son propre intérêt et le rétablissement du malade. »
Dès 1916, S. Freud constate la difficulté d’analyser certains patients du
fait de conflits familiaux. Il nous révèle que le traitement individuel peut
déstabiliser la famille, que ses membres s’organisent pour mettre en échec le
traitement individuel afin de protéger l’homéostasie familiale. Autrement dit,
pour Freud, la cure individuelle s’adresse aux patients reconnaissant en eux
l’existence d’un conflit interne et non pas aux sujets impliqués dans des rela-
tions d’emprise avec leurs proches.
La psychopathologie du lien
Dans la perspective freudienne classique, l’objet est avant tout Objet
interne. L’objet externe n’est que le support, le vecteur, au travers duquel le
sujet actualise un investissement d’Objet interne. Si nous voulons prendre en
compte la souffrance résultant de l’interaction, nous recourons généralement
aux diverses théories de la relation d’objet.
Pionnier de la recherche psychanalytique sur le lien entre conjoints,
J. Lemaire ose aborder le champ de l’interaction. Pour lui, le partenaire est
certes objet de la pulsion, mais il est avant tout agent de la défense. La rela-
tion entre conjoints n’est plus pensée uniquement en référence à un Objet
interne, via le partenaire. Elle est envisagée comme lien homéostatique entre
deux sujets.
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Le lien repose sur une alliance inconsciente destinée à renforcer les pro-
cessus inconscients de chacun. Chaque partenaire assure son homéostasie
psychique grâce à la réalité d’un lien singulier construit par les conjoints.
Comment penser le lien ? Le lien met en scène trois registres de dépen-
dance. En effet, le sujet est dépendant de sa pulsion, de l’objet, de l’indépen-
dance de l’objet (Robion, 2000). Le sujet est tout d’abord dépendant de sa
pulsion. Le concept freudien de pulsion implique une dépendance fonda-
mentale du sujet à sa pulsion. Le sujet ne peut s’en affranchir que par une
satisfaction. Dépendant de sa pulsion, le sujet est également dépendant d’un
objet pour se satisfaire. L’action sur l’objet est donc un mouvement naturel
du sujet pour réduire sa tension interne. Plus la tension et la frustration aug-
mentent, plus le sujet renforce son emprise sur l’objet (P. Denis, 1999). Le
sujet est alors sous la dépendance de l’objet. Il est confronté à la réponse de
l’objet pour retrouver sa stabilité interne. Le lien met donc en scène trois
registres de dépendance : la dépendance à la pulsion, la dépendance à l’objet,
la dépendance de l’objet. Le lien se conçoit ainsi dans une logique de l’offre
et de la demande autour de la recherche de satisfaction pulsionnelle.
La nature du lien dépend de l’articulation entre narcissisme et objectalité
et des conflits psychiques qui s’y réfèrent. La pathologie du lien apparaît
lorsque prédominent les investissements narcissiques s’accompagnant d’une
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défaillance générale de la mentalisation et de la symbolisation.
L’investissement narcissique
L’investissement narcissique vise, à travers l’autre, une quête de soi
comme totalité autosuffisante et atemporelle. Il diffère donc de la prime nar-
cissique qui accompagne l’investissement objectal. Je distinguerai trois
modalités d’investissement narcissique liées aux avatars du deuil originaire
(Racamier), et ayant entre elles des relations d’emboîtement. Comme dans
les poupées russes, une modalité d’investissement narcissique peut s’ouvrir
sur une autre ou se refermer régressivement sur une précédente dans un ren-
forcement narcissique.
Sous l’emprise de sa pulsion, le sujet est confronté au défaut de son auto-
suffisance. La tension pulsionnelle stipule une incomplétude du sujet. Or cer-
tains individus luttent farouchement contre ce démenti de leur omnipotence.
S’accepter manquant et donc tributaire d’un objet leur est insupportable. Ils
luttent alors pour dénier le manque qui les pousserait vers l’objet. La patho-
logie du lien se traduit ici par une perversion narcissique effrénée, dans
laquelle le sujet tente farouchement de consolider son omnipotence contra-
riée. L’objet n’est recherché que pour être anéanti, il n’est qu’un ustensile
destiné à assurer la mégalomanie narcissique du sujet.
Le sujet narcissique souffre de sa béance identitaire. S’il admet suffi-
samment son incomplétude pour se tourner vers l’objet, il engage son omni-
potence dans sa dépendance à l’objet. La pathologie du lien se caractérise
alors essentiellement par l’oscillation narcissique paradoxale (Caillot,
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la frustration insupportable et l’élaboration psychique qu’elle implique. Cette
recherche de maîtrise se traduit généralement par un fonctionnement pervers
à la fois narcissique et sexuel. L’objet est attaqué dans son identité narcis-
sique et sexuelle. Le sujet tente de posséder le psychisme et le corps de
l’autre. La jouissance qu’il tire de cette possession constitue une vengeance
contre l’altérité de l’objet, source de frustration insupportable. Nous retrou-
vons là une forme fréquente de perversion entre conjoints, qui repose sur
l’érotisation de la haine, de la vengeance et du triomphe sur l’objet (Stoller,
2000).
La tension intersubjective perverse ligature les deux partenaires (Hurni,
Stoll, 1996). Elle évacue la conflictualité psychique insupportable par des
mécanismes d’expulsion psychique et d’annexion du corps de l’autre. Elle
actualise, dans la relation entre conjoints, des blessures narcissiques dues à
l’excès ou la carence de réponses parentales concernant les attentes fonda-
mentales de l’enfant. L’acte pervers apporte la jouissance du triomphe et
simultanément occulte l’insupportable élaboration de la blessure infantile.
Malgré la violence des attaques, les partenaires ne peuvent se séparer sous
peine de retrouver le traumatisme initial. Les partenaires ont perdu leur pos-
sibilité de se désinvestir faute d’avoir pu être investis dans leur altérité.
L’investissement objectal
Contrairement à l’investissement narcissique, l’investissement objectal
se caractérise par l’acceptation du manque et de la dépendance mutuelle. Le
sujet ne souffre pas de cette dépendance et n’organise pas d’emprise patho-
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La psychopathologie groupale dans le couple
L’approche groupale du couple est contestée par certains thérapeutes.
Ceux-ci considèrent en effet que le couple n’est pas un groupe.
Cette remarque est pertinente si nous estimons que la perspective grou-
pale s’adresse à des groupes objectivables. Si nous concevons l’approche
groupale dans une perspective psychanalytique, nous considérons qu’elle
s’adresse à tout groupement d’individus, quel qu’en soit le nombre, investis-
sant le groupement comme une unité distincte des individus qui le compo-
sent. Le groupement n’est pas alors rattaché à une réalité, il est considéré
comme un objet d’investissement engendrant des processus et productions
psychiques spécifiques.
Le couple peut être analysé dans cette perspective. Nous n’appréhendons
plus le couple comme une dyade d’individus. Nous nous attachons au couple
en tant que représentation d’une unité et objet d’investissement divers. Le
couple n’existe pas en dehors d’une représentation qui le fonde comme tel.
Le type d’investissement de cet objet couple engendre les processus et pro-
ductions psychiques des partenaires.
Pour décrire ce mouvement qui va de l’individu au groupement et du
groupement à l’individu, nous disposons notamment des concepts d’appareil
psychique groupal (Kaës, 1976), de résonance fantasmatique (Anzieu,
Pigott), d’interfantasmatisation (Eiguer, 1984), de pacte dénégatif (Kaës).
Ces concepts nous permettent de comprendre comment les partenaires s’in-
ter-stimulent, produisent des constructions groupales, répriment groupale-
ment des informations psychiques, construisent ainsi des liens et investissent
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chiques difficilement gérables intra-psychiquement.
Quatre figures imagoïques apparaissent régulièrement dans la clinique
des couples, examinons-les sous leur forme prototypique.
L’imago maternelle incestuelle conduit à la représentation d’un couple
tyrannique, annulant toute altérité du sujet. Les partenaires attaquent le
couple pour ne pas sombrer sous la faux de cette imago qui dénie leur iden-
tité narcissique et sexuelle.
L’imago maternelle phallique conduit à la représentation d’un couple
constamment menacé par la pénétration sadique de l’autre. Les luttes de pou-
voir qui excitent et épuisent le narcissisme des partenaires correspondent à
l’angoisse d’être passivement pénétré par le pénis anal de l’imago maternelle.
L’imago paternelle incestueuse est porteuse de séduction abusive, trans-
gression et abandon. Elle insécurise le sujet par la représentation d’un couple
instable, oscillant entre l’excès d’excitations érotiques et narcissiques, et la
rupture par défaut d’excitations.
L’imago paternelle punitive réprime la sexualité et conduit à la repré-
sentation d’un couple interdit, désexualisant les individus.
Face à ces figures groupales, les sujets souffrent d’être victimes de
l’imago et identifiés à l’imago ou encore immobilisés dans une représenta-
tion-incarnation de l’imago (Pigott, 1999). Chacun à sa manière combat
l’imago, conteste, disqualifie, dénie ou rejette son appartenance au couple
pour se protéger des productions qu’il génère. Le travail psychothérapique
consiste alors à permettre le déploiement transférentiel et l’interprétation de
l’imago groupale. L’analyse se centre sur les productions groupales en tant
que constructions de couple.
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Conclusion
Nous nous étions donné pour projet de définir une psychopathologie du
couple. Les conflictualités psychiques inhérentes au couple résident dans
l’investissement du couple comme relation exclusive et élective. Ce type
d’investissement, source de satisfactions pour certains, génère d’importantes
souffrances psychiques pour d’autres. Les différentes manifestations psycho-
pathologiques que nous avons développées ne sont pas exclusives, mais
dépendent de l’angle sous lequel le couple est appréhendé. En revanche, la
définition d’une psychopathologie détermine le travail psychothérapeutique.
Nous aurons à questionner, dans une publication ultérieure, la spécificité, la
pertinence et l’articulation de ces différentes approches psychothérapiques.
BIBLIOGRAPHIE
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STOLLER, R.J. 2000. La Perversion, Paris, Payot.
RÉSUMÉ
Comment définir une psychopathologie conjugale ? Telle est la question développée dans cet
article. Après avoir défini la spécificité de la conflictualité conjugale, l’auteur examine les dif-
férentes expressions psychopathologiques sous l’angle intrapsychique, interactif et groupal.
MOTS CLÉS
Psychopathologie conjugale. Investissement narcissique. Perversion. Imago groupale.