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Archéologie d’une montagne brûlée, Olivier Passarrius, Aymat Catafau et Michel Martzluff (dir.), éd. Trabucaire, Perpignan, 2009, 504 p.

Archéologie d’une montagne brûlée Massif de Rodès, Pyrénées-Orientales O   Olivier Passarrius Aymat Catafau Michel Martzluff C Patrice Alessandri Patrick Barthes Marjorie Bernat-Gaubert Marc Calvet Jean-Pierre Comps Carine Coupeau-Passarrius Johanna Faerber Denis Fontaine Pierre Giresse Richard Iund Céline Jandot Jérôme Kotarba Peter McPhee Nicolas Marty Sabine Nadal Valérie Porra-Kuténi Alain Vignaud Archéologie d’une montagne brûlée massif de Rodès, Pyrénées-Orientales Collection Archéologie départementale Pôle archéologique départemental Archéologie d’une montagne brûlée massif de Rodès, Pyrénées-Orientales Olivier Passarrius, Aymat Catafau, Michel Martzluff directeurs de publication éditions Trabucaire ISBN 978-2-84974-101-6 ©2009 Auteurs et collaborateurs Ouvrage dirigé par - Olivier Passarrius, Docteur en histoire médiévale, Pôle Archéologique Départemental, Conseil Général des Pyrénées‑Orientales. - Aymat Catafau, maître de conférences, Centre de Recherches Historiques sur les Sociétés Méditerranéennes (CRHiSM), Université de Perpignan. - Michel Martzluff, Maître de conférences, Université de Perpignan, UMR 5608 - CNRS - CRPPM - EHESS, Toulouse, président de l’AAPO. Avec les contributions de - Patrice Alessandri, Ingénieur de Recherches, Institut National de Recherches Archéologiques Préventives (INRAP). - Patrick Barthes, Technicien, Laboratoire d’Études des Géo-Environnements Marins, IMAGES, Université de Perpignan. - Marjorie Bernat-Gaubert, Étudiante, Master de Géographie, Université de Perpignan. - Marc Calvet, Professeur, Université de Perpignan, directeur du laboratoire Médi-Terra. - Jean-Pierre Comps, Chercheur associé à l’UMR 5140 du CNRS. - Carine Coupeau-Passarrius, PEMF, Éducation Nationale, Perpignan. - Johanna Faerber, Maître de conférences, Université de Perpignan, laboratoire Médi-Terra. - Denis Fontaine, Archives Départementales, Conseil Général des Pyrénées-Orientales. - Pierre Giresse, Professeur émérite, Laboratoire d’Études des Géo-Environnements Marins, IMAGES, Université de Perpignan. - Richard Iund, Archéologue animateur au Château-Musée de Bélesta, chercheur associé à l’UMR 5608 CNRS - CRPPM - EHESS, Toulouse. - Céline Jandot, Institut National de Recherches Archéologiques Préventives (INRAP). - Jérôme Kotarba, Ingénieur de Recherches, Institut National de Recherches Archéologiques Préventives (INRAP). - Peter McPhee, Professeur, Université de Melbourne (Australie). - Nicolas Marty, Maître de conférences, Université de Perpignan, Centre de Recherches Historiques sur les Sociétés Méditerranéennes (CRHiSM). - Sabine Nadal, Archéologue, Association Archéologique des Pyrénées-Orientales. - Valérie Porra-Kuténi, Pôle Archéologique Départemental, Conseil Général des Pyrénées-Orientales, chercheur associé à l’UMR 5608 - CNRS - CRPPM - EHESS, Toulouse. - Alain Vignaud, Archéologue, UMR 5608 - CNRS - CRPPM - EHESS, Toulouse. Remerciements Les auteurs tiennent à remercier pour leur soutien au projet d’étude de la Montagne brûlée et pour leur participation à la préparation de cet ouvrage : l’Association Archéologique des Pyrénées-Orientales (AAPO), l’Université de Perpignan-Via Domitia (UPVD), le Conseil Général des Pyrénées-Orientales, le CRHiSM (Centre de Recherches Historiques sur les Sociétés Méditerranéennes - UPVD), le laboratoire Médi-Terra (UPVD), le CAUE des PyrénéesOrientales (Conseil d’Architecture, d’Urbanisme et d’Environnement). Ce travail n’aurait pu être réalisé sans le dévouement des membres de l’Association Archéologique des PyrénéesOrientales, bénévoles ou étudiants de l’Université de Perpignan : Anne Besnier-Desportes, Claude Ducar, Jeanne Ferrer, Monique Formenti, Huguette Grzesik, Marcel Henric, Marie Huc, Pauline Illes, Marie-Lou Lannuzel, Gilbert Lannuzel, Farid Melal, Sabine Nadal, Philippe Roca, Joseph-Michel Vila. Ont aussi participé aux stages de prospections et de relevés : Anne‑Charlotte Astrou, Valentine Baudry, Sandrine Bienfait, Noëlle Canadell, Carine Coupeau-Passarrius, Renaud Prats, Clément Ternisien, Simon Tible. Préface Christian Bourquin - Président du Conseil général des Pyrénées‑Orientales Il n’aura fallu finalement que quelques heures pour que près de 2 000 hectares de forêt méditerranéenne soient réduits en cendres, dans le verrou de Rodès, aux portes du Conflent, dans les Pyrénées-Orientales. L’incendie, qui s’est déclaré le 22 août 2005, a nécessité l’intervention de 700 pompiers des Pyrénées-Orientales, de l’Aude, de l’Hérault, du Gard mais aussi du Vaucluse et de la Drôme. Plus de 200 véhicules secondés par huit avions bombardiers d’eau et deux hélicoptères ont également été engagés dans la lutte contre le feu, qui ne fut réellement maîtrisé que le 24 août. Les dégâts sont immenses et il faudra des années pour effacer la cicatrice, dans une zone déjà sinistrée plusieurs fois par le passé. Dans les semaines suivant l’incendie, la désolation s’exprimait partout, dans les branches et les arbres carbonisés, les pierres et les bâtiments noircis ou encore dans ce silence troublant, sans insecte ni oiseau. Ce livre prend la tragédie à contrepied, il bouscule notre représentation de la montagne brûlée et l’on s’émerveille et s’étonne alors du paysage qui se dévoile sous nos yeux, au fil des pages et des photographies. Nous voilà propulsés quelques générations en arrière, presque celles de nos arrières grands-parents, qui arpentaient une autre montagne, pleine de vie, aménagée de terrasses, d’enclos, desservies par des sentiers muletiers, des chemins de troupeaux menant à un semis de cabanes, de bergeries, les casots et les cortals catalans. Ce paysage s’est construit au gré des flux et reflux du peuplement et ce livre nous permet d’en découvrir toute l’histoire, depuis le plus lointain Paléolithique avec les premières traces d’installation humaine, il y a un demi-million d’années, jusqu’au XXe siècle avec les nouveaux usages de la montagne. Cet ouvrage est l’aboutissement d’une formidable aventure initiée, encore une fois, par l’Association Archéologique des Pyrénées-Orientales. Ceci est la preuve de la vitalité du tissu associatif et de la nécessité de le maintenir et de soutenir ses actions, notamment dans le domaine culturel. Regroupant des bénévoles, des universitaires, des chercheurs, des étudiants et des professionnels de l’archéologie, cette association a constitué le socle de l’étude en organisant les longues journées de terrain destinées à arpenter et étudier, parfois mètre carré par mètre carré, le sol calciné de la montagne. Elle a fédéré autour de ce projet les institutionnels qui ont permis la poursuite des études et les premiers essais de valorisation et de présentation au public avec l’organisation en juin 2007 de deux journées d’étude consacrées à la montagne brûlée : l’Université de Perpignan, au travers du Centre de Recherches Historiques sur les Sociétés Méditerranéennes (CRHiSM) et du laboratoire Médi-Terra, mais aussi le Conseil Général des Pyrénées-Orientales et notamment le Pôle Archéologique Départemental, la Direction des Archives Départementales et le Conseil d’Architecture, d’Urbanisme et d’Environnement (CAUE). Ce livre marque aussi le second opus de la toute jeune « Collection Archéologie Départementale » initiée par le Conseil Général des Pyrénées-Orientales et destinée à soutenir la publication de la recherche archéologique en Pays catalan. En diffusant la connaissance de notre passé, en la rendant accessible au plus grand nombre, elle nous permet de mieux comprendre et de protéger l’héritage qui nous a été transmis. Aujourd’hui la cicatrice du sinistre sur la montagne s’est à peine résorbée et il faudra du temps, beaucoup de temps encore pour que le massif ne se régénère. L’empreinte de l’homme, de son activité séculaire, offerte aux regards le temps d’un hiver, s’est effacée, à nouveau, sous le maquis naissant. Il ne reste en somme plus que quelques bâtisses anciennes qui surgissent des broussailles et ce livre, pour mémoire. Collection Archéologie Départementale Comité de direction : Olivier Passarrius, Aymat Catafau, Christine Langé Comité scientifique : Aymat Catafau, Christine Langé, Michel Martzluff, Olivier Passarrius, Olivier Poisson, Valérie Porra-Kuténi, Marie-Pasquine Subes Ouvrages parus dans la Collection Archéologie Départementale : no 1 : PASSARRIUS (O.), DONAT (R.), CATAFAU (A.) dir. – Vilarnau. Un village du Moyen Âge en Roussillon, Collection Archéologie Départementale, Pôle Archéologique Départemental, éd. Trabucaire, 2008, 516 p. no 2 : PASSARRIUS (O.), CATAFAU (A.), MARTZLUFF (M.) dir. – Archéologie d’une montagne brûlée, Collection Archéologie Départementale, Pôle Archéologique Départemental, éd. Trabucaire, 2009, 504 p. Table des matières Introduction De la prospection à l’histoire des paysages ..................................................................13 Olivier Passarrius, Aymat Catafau, Michel Martzluff première partie : l’événement et le cadre chapitre I L’incendie de Tarerach du 22-23 août 2005 : caractéristiques du feu et impact sur la végétation................................................. 29 Johanna Faerber chapitre II Géomorphologie d’une montagne brûlée....................................................................... 39 Marc Calvet Deuxième partie : Les premières occupations humaines chapitre III Nouveaux jalons sur le peuplement paléolithique du bassin moyen de la Têt, entre Roussillon et Conflent........................................ 59 Michel Martzluff avec la collaboration de Sabine Nadal chapitre IV L’occupation du plateau de Rodès et Montalba-le-Château à l’âge du Bronze................................................................................................................. 101 Alain Vignaud Annexe I Bracelets et autres artefacts, aspects technologiques......................................... 139 Alain Vignaud Annexe II Les anses à appendice du plateau de Ropidera............................................................ 167 Richard Iund Annexe III Les deux petits dolmens de Rodès et leur place dans le mégalithisme des Pyrénées-Orientales............................... 171 Valérie Porra-Kuteni chapitre V Le plateau de Ropidera à l’époque romaine : un secteur inoccupé entre deux groupes culturels................................................. 179 Jérôme Kotarba Troisième partie : La montagne et les sociétés traditionnelles chapitre VI Ropidera, le village médiéval.......................................................................................... 187 Olivier Passarrius, Aymat Catafau chapitre VII Le temps des chemins. La circulation en Bas-Conflent, au nord de la Têt du Moyen Âge à la fin du XIXe siècle............................................................................. 207 Jean-Pierre Comps chapitre VIII Aménagements agraires et élevage au Moyen Âge...................................................229 Olivier Passarrius, Aymat Catafau avec la collaboration de Denis Fontaine chapitre IX La montagne de la fin du Moyen Âge au début du XIXe siècle : cultures aux marges et terrains de pâture............................................................... 245 Aymat Catafau, Olivier Passarrius avec la collaboration de Denis Fontaine Chapitre X Une carrière de marbre en Roussillon : Les Pedreres (Bouleternère), source méconnue du bâti monumental médiéval et moderne............................................... 263 Michel Martzluff, Pierre Giresse avec la collaboration de Denis Fontaine et de patrick Barthes chapitre XI des pierres pour bâtir. exploitation traditionnelle du substrat minéral depuis le moyen âge aux marges de la plaine du roussillon (montagne de rodès, Bouleternère et ille-sur-têt).....................299 Michel Martzluff avec la collaboration de Sabine Nadal et de Denis Fontaine Annexe I Sur le plateau de Ropidera (Rodès) : le four de matériaux de construction de Les Clottes.............................................343 Céline Jandot Annexe II Le four à chaux de Les Pedreres (Bouleternère)..................................................... 353 Céline Jandot Quatrième partie : Vers la modernité. D’un monde plein à des territoires en déprise chapitre XII Des routes aux sentiers de randonnée...................................................................... 361 Jean-pierre Comps chapitre XIII Des terrasses à perte de vue... De la mise en valeur systématique d’un territoire à sa déprise (de 1832 à nos jours).......... 369 Olivier Passarrius, Aymat Catafau avec la collaboration de Patrice Alessandri et de Carine Coupeau-Passarrius chapitre XIV Démographie et activités économiques : éléments pour une histoire des transformations de Rodès entre 1850 et 1940............................................................................................................. 417 Nicolas Marty chapitre XV Riches et pauvres, royalistes et républicains à Rodès (1789-1851)......................... 431 Peter McPhee chapitre XVI L’héritage archéologique du monde industriel dans les zones brûlées : mines et carrières contemporaines............................................................................ 453 Michel Martzluff avec la collaboration de Sabine Nadal chapitre XVII Les nouveaux usages de la montagne.......................................................................... 475 Marjorie Bernat-Gaubert conclusion De l’histoire des paysages à la valorisation des sites........................................... 485 Olivier Passarrius, Aymat Catafau, Michel Martzluff Bibliographie . .............................................................................................................................................. 493 À la mémoire de Pierre-Yves Genty (1944-2005) pionnier des prospections archéologiques en Languedoc‑Roussillon Se n’han fet un fart de muntar murs i rocs per aixecar les feixes i guanyar a la muntanya l’espai de la garrofa, les espatlles dels homes. Perquè tot torni avui reialme de ginestes. Elles s’y sont crevées, les épaules des hommes, à monter murs et pierres pour construire ces feixes et gagner sur la montagne l’espace qu’il faut pour vivre. Pour que tout redevienne aujourd’hui royaume des genêts. Jordi Pere Cerdà (traduction : Marie Grau) Introduction De la prospection à l’histoire des paysages Olivier Passarrius, Aymat Catafau, Michel Martzluff Photo J. Roig - RMD agency Le feu dit de Tarerach débute le lundi 22 août 2005, aux alentours de 14 h 00, en bordure de la RD 47, entre les villages de Montalba-le-Château et de Tarerach. Il n’est maîtrisé que le mardi 23 août et éteint le jeudi 25, ayant ainsi parcouru 1 970 hectares de maquis, de landes, de bosquets de chêne vert et de chêne liège. La zone brûlée, immense, s’étire sur environ 6 km d’est en ouest et sur 3,5 km du nord au sud. Dans un premier temps, le feu s’est d’abord étendu sur la rive nord de la Têt (environ 1 200 hectares) depuis la route départementale no 17, le village de Montalba-leChâteau et la route départementale no 2 au nord, entre le ruisseau de Tarerach et la route départementale no 13 à l’ouest et le ravin de la Coume Dardenne à l’est. Puis le 22 août, vers 18 h 30, attisées par la tramontane, les flammes ont franchi le fleuve, traversé la route nationale 116 à hauteur du Col de Ternère et embrasé les hauteurs dominant le village de Bouleternère, entre la route départementale no 618 et l’ermitage de Domanova, avant d’être définitivement étouffées. Les territoires communaux de Rodès, Ille-sur-Têt, Tarerach, Montalba-le-Château et Bouleternère ont été touchés par l’incendie, à des degrés divers. Le feu, dont le développement a été très véloce compte tenu du vent violent de nord-ouest (vitesse de progression évaluée à 1700 m/h), a parcouru rapidement la végétation, ne brûlant pas les arbres en profondeur et permettant à bon nombre d’entre eux de survivre. Archéologie d’une montagne brûlée France Marseille Perpignan Espagne Département de l'Aude Barcelone ly L'Ag e nt d eme part t e La Tê g l'Ariè MER MÉDITERRANÉE Dé AND ORR E 14 La t h Te c Te Le Canigou ESPAGNE Altitude 2500 m Montalba-le-Château 2000 m 1500 m 1000 m 350 m 0 25 km 150 m Plateau Casesnoves Ropidera Ille-sur-Têt La Têt Rodès Bouleternère Vinça - - - limites de la zone incendiée 0 2 km Localisation du massif incendié. Au cœur même de la zone, les vents tourbillonnants ou la présence d’habitations défendues par les pompiers, ont préservé certains secteurs boisés, sur le versant sud-est du massif de la Cougoulère, autour des mas habités, ou encore au confluent du ravin d’El Bosc Negre et du Bellagre. Depuis la route nationale no 116, le long des rives du lac de Vinça, le regard est saisi par la richesse et la variété du paysage révélé par l’incendie. Partout des terrasses jusqu’à perte de vue, dans des endroits les plus improbables, accrochées à des pentes quasiment verticales ! Les temps peu lointains où la montagne toute entière était parcourue, aménagée et travaillée à main d’homme, se sont brusquement imposés à notre esprit étonné, et même stupéfait par l’ampleur de cette œuvre. En ce début de XXIe siècle, on a bien du mal à imaginer quelle somme de labeur, d’énergie et d’espoirs était investie chaque année, chaque saison, chaque journée, pour construire les murettes, égaliser les terrasses, remonter la terre, aménager les ruisseaux et les chemins, bêcher, planter, greffer, tailler, récolter... Pourtant les hommes et les femmes qui construisirent ces paysages étaient bien réels, et si proches de nous : à peine deux ou trois générations ont passé, et tout un monde s’est défait. En septembre 2005, les premières visites sur place ont permis d’apprécier rapidement le potentiel archéologique de la zone. Deux villages médiévaux désertés et leur territoire avaient été brûlés et « libérés » du maquis : le village de Ropidera, sur la commune de Rodès avec son église dite de « Les Cases » (Las Cazes sur les cartes IGN) et celui de Casesnoves sur la commune d’Ille-sur-Têt, en bordure de la Têt. Le contraste géographique entre le plateau de Rodès et de Montalba, émaillé de cuvettes hydromorphes dans les zones de chaos granitiques qui parsèment cet espace au nord et, vers le sud, les reliefs plus escarpés de la bordure du fleuve où le socle est souvent affleurant, laissait supposer un potentiel archéologique en adéquation avec les atouts des différents territoires : installations humai- Introduction nes nombreuses sur le plateau, élevage, arboriculture et installations temporaires sur les versants, sites défensifs ou de surveillance le long des crêtes dominant la vallée de la Têt. Ces reconnaissances ont également permis de prendre conscience de l’ampleur de l’impact de l’homme sur ce milieu. Peu de versants qui ne soient couverts de terrasses (les feixes en catalan), ou de murs d’épierrement, avec leur semis de cabanes, soit de forme rectangulaire avec couverture de matériaux périssables ou de tuiles, soit de forme carrée ou arrondie avec une couverture de dalles de granit disposées en encorbellement. Sur le plateau de Rodès, occupé en grande partie par des prairies jalonnées de vastes chaos granitiques, ont été localisées de nombreuses bergeries, mentionnées cortals sur les plans cadastraux napoléoniens, et dont les élévations gardaient la trace d’aménagements successifs, peutêtre le reflet dans la pierre d’évolutions agricoles des deux derniers siècles. incendies du Midi méditerranéen : vers une nouvelle forme d’investigation archéologique Notre projet de prospection systématique de la montagne brûlée reposait sur quelques travaux précédents du même type, sur une première expérience locale et sur quelques éléments de comparaison dans le Midi de la France. En Roussillon, les premières recherches concernant un massif incendié ont été menées sur le piémont des Albères, sur le secteur de la Pave (communes d’Argelèssur-Mer et de Sorède). Cette zone a été ravagée durant l’été 1989 par un violent incendie qui a réduit en cendres près de 150 hectares de maquis, autour de l’ermitage de Notre-Dame du Château et des ruines du château d’Ultrera, mentionné dès le VIIe siècle dans la documentation historique. Sur le terrain, les recherches menées dans le cadre du programme de prospection et d’inventaire des sites archéologiques de la basse vallée du Tech, coordonné par Jérôme Kotarba, se sont surtout concentrées sur la partie orientale de l’emprise. Les prospections pédestres ont été réalisées de façon systématique durant le mois de juin 1991, soit près de deux ans après le sinistre. Ces travaux ont permis l’inventaire de plusieurs sites de l’âge du Bronze ou du premier âge du Fer, . Récit de l’expédition de Wamba, en 673. . Kotarba, Pezin, Vignaud 1991. de faible superficie, installés le plus souvent sur un replat ou à l’abri d’un rocher. Cette occupation dense semble marquer le premier peuplement du massif : aucun site antérieur à cette période n’a en effet été mis au jour sur la zone d’étude. L’époque romaine n’est pas représentée et les quelques fragments d’amphore africaine collectés, attribuables à l’Antiquité tardive, sont probablement à mettre en relation avec le Castrum Vulturaria cité en 673 lors du passage des troupes de Wamba. Plusieurs sites médiévaux ont également été mis en évidence. Ils sont liés pour la plupart à la présence de ce castrum et à la surveillance de la voie qui passe en contrebas, dans la vallée. Certains peuvent être interprétés comme des structures domestiques, des maisons villageoises ou des habitats dispersés dont les derniers sont abandonnés aux XIIIe‑XIVe siècles. Le site d’Ultrera fait aujourd’hui l’objet de fouilles programmées. Dans la région de Montpellier, des recherches similaires ont été entreprises dans la garrigue par Pierre-Yves Genty, sur les massifs situés au nord de la ville, en particulier dans des zones touchées par un incendie. En 1994, et après quatre années de prospections, près de 200 sites archéologiques inédits avaient été inventoriés mettant en lumière la richesse de ces territoires. Le 28 août 1989, un violent incendie ravage la montagne Sainte-Victoire, immortalisée par Cézanne. 5 500 hectares de maquis ont été réduits en cendres, surtout sur le versant méridional de ce massif calcaire limité au sud par la vallée de l’Arc, un tributaire de l’Étang de Berre, et au nord par les plateaux de Peyrolles et la vallée de la Durance. Dès le mois de novembre, des prospections systématiques ont été entreprises sur les communes de Saint-Antonin et le plateau du Cengle qui présente une unité géographique de dimensions réduites mais bien définie sur le terrain : un piémont érodé, un plateau tabulaire, des terrasses alluviales, des dépressions en partie drainées. Sur certains oppida et notamment sur les sites de Saint-Antonin et de Bramefan, une prospection fine précédée par la mise en place d’un carroyage a été réalisée. . Se reporter à l’étude d’Alain Vignaud dans Kotarba, Pezin, Vignaud, 1991. . Ces travaux sont restés inédits mais tous les sites ont bien entendu fait l’objet d’une notice et sont inventoriés au sein de la Carte Archéologique Nationale. . D’Anna, Leveau, Mocci 1995, Walsh, Mocci 2003. Ce programme, coordonné par André D’Anna, a été retenu par le C.N.R.S dans le cadre de l’ATP « Grands projets d’archéologie métropolitaine », sous le titre « Occupations des sols et évolutions des paysages dans une montagne méditerranéenne : la Sainte-Victoire ». L’équipe plurisdiciplinaire regroupait, de 1990 à 1995, des chercheurs et des enseignants du C.N.R.S, des universités de Provence, de Tübingen en Allemagne et d’York en Angleterre. 15 16 Archéologie d’une montagne brûlée Le village de Rodès menacé par l’incendie (cl. J. Roig - RMD agency). Au pied du château, le village de Rodès, le jour de l’incendie (cl. J. Roig - RMD agency). Introduction Quelques sondages, de faible superficie au sol, ont été implantés pour préciser la durée d’occupation. Les observations effectuées sur le massif permettent de distinguer plusieurs phases qui s’intègrent assez bien aux grandes tendances du peuplement élaborées pour la Provence. Une longue période de fréquentation épisodique couvre toute la Préhistoire jusqu’au milieu du Néolithique, elle est suivie d’une anthropisation généralisée du massif dont le processus est abouti à la fin du Néolithique. Cette époque est ensuite suivie d’une phase de déprise correspondant au recul, quasi-généralisé d’ailleurs en Provence, du peuplement à l’âge du Bronze. La période suivante, à partir du second âge du Fer est marquée par un foisonnement de nouveaux sites et la mise en place d’un peuplement dense et durable durant plusieurs siècles. Pendant l’époque romaine, et notamment à partir du milieu du Ier siècle avant J.-C., la plupart des sites de hauteur sont abandonnés, car le changement du mode d’exploitation antique favorise la dispersion de l’habitat autour de vastes établissements agricoles installés plus bas dans la vallée. Ce projet, à l’origine une simple prospection diachronique, avait pour objectif de montrer que même sans fouille, à partir de la seule collecte de données de surface, il était possible de faire des observations sur l’occupation du sol allant au-delà du simple inventaire ou catalogage de sites. Pour la Préhistoire, le projet a permis de compléter la carte d’occupation du sol mais n’a entraîné aucune découverte originale par rapport aux connaissances antérieures. Pour les périodes protohistoriques et romaines, la prospection a surtout permis une meilleure connaissance des amphores permettant ainsi de mieux déterminer des sites peu marqués au sol. Les problèmes de conservation différentielle de la céramique, le relief souvent très escarpé et les difficultés de lisibilité du sol sont des contraintes qui n’ont pu être réellement maîtrisées et la carte archéologique obtenue reflète partiellement – comme le soulignent les auteurs de l’étude – celle des activités agricoles. En effet, l’abandon des labours et donc l’absence de renouvellement des indices en surface ont été considérés comme le principal obstacle pour la détection des sites. Dans le massif des Maures, un incendie a ravagé plus de 8 000 ha de forêt et de maquis en 1990, il fut suivi d’un projet de prospection archéologique, intégré au programme « Fréjus-Argens » mis en place un an avant le sinistre. . D’Anna, Leveau, Mocci 1995. . Projet « Hommes, espaces et techniques dans la région de Fréjus », sous Ces travaux de prospection, complétés par des sondages, ont permis de mettre en évidence une dynamique de peuplement particulière à ce massif, avec une occupation dense au second âge du Fer suivie d’une déprise et d’un hiatus dans l’occupation du massif durant l’Antiquité romaine. Les recherches méthodiques dans les massifs méditerranéens incendiés sont donc récentes et les premiers travaux ne remontent pas au-delà du début des années 1990 alors même que la forêt s’embrase quasiment tous les étés, réduisant en cendres 25 000 hectares par an en moyenne. Dans le département des Pyrénées-Orientales, plus de 50 000 hectares ont été détruits depuis 1973 et, à ce jour, seulement 2 000 ha ont fait l’objet de prospections archéologiques. Certes, depuis quelques années, ces recherches archéologiques ne peuvent plus être assimilées à des opérations d’archéologie préventive, car les aménagements des espaces à reboiser sont réduits au minimum. Le reboisement après l’incendie, avec la plantation de résineux sur des terrains aplanis au bulldozer, est désormais abandonné : les acteurs qui interviennent après le sinistre préfèrent accompagner la repousse et la reconquête naturelle de la forêt réduisant ainsi l’impact négatif sur le patrimoine. Les prospections menées sur ces massifs présentent un intérêt scientifique et patrimonial certain car elles offrent, en tous cas en Roussillon, des modèles de peuplement divergents de ceux de la plaine et permettent la mise au jour de vestiges dans un état de conservation remarquable. Sur le village de Ropidera par exemple, l’étude du bâti visible sans fouille a permis de lever le plan souvent complet de plusieurs maisons des XIVe-XVe siècles dont l’élévation était conservée jusqu’au premier étage. Le faible nombre d’opérations archéologiques sur ces massifs incendiés s’explique par la difficulté à mettre en place dans un délai très court des interventions d’envergure qui nécessitent un investissement lourd en temps, en fonction de la superficie du sinistre et de la nature du terrain, souvent accidenté dans le Midi et difficile à arpenter. De plus, excepté pour quelques cas particuliers, la reprise de la végétation est rapide et, dès le printemps et sur la zone qui nous occupe ici, l’herbe, les ronces et les buissons ont réduit quasiment à néant la lisibilité dès le mois de mai 2006, neuf mois après le passage du feu. la coordination de F. Audouze, J.-L. Fiches et S. Van Der Leeuw, avec pour objectif de suivre l’organisation et l’exploitation du bassin-versant de l’Argens entre le Néolithique et l’époque moderne, en combinant trois approches complémentaires (écologique, géographique et technologique). . Bertoncello, Gazenbeek 1997. . Données extraites de la base Prométhée (http ://www.promethee.com). 17 18 Archéologie d’une montagne brûlée Juché sur un piton du chaos de Ropidera, face au Mas Molins, un superpe chêne liège dont l’écorce était encore exploitée dans la seconde moitié du XXe siècle. Six mois seulement après l’incendie, sa frondaison en panache défie la puissante tramontane soufflant du nord-ouest. (Cl. A. Catafau, printemps 2006). Projet collectif et moyens mis en œuvre Les premières reconnaissances effectuées sur le massif incendié de Rodès ont été réalisées dès le mois de septembre 2005, un mois environ après le sinistre et après les premières pluies d’automne qui ont délavé le sol. Le projet de prospection-inventaire a été mis en place à l’initiative de l’Association Archéologique des Pyrénées-Orientales qui joue, depuis plus de 20 ans, un rôle moteur dans les projets départementaux d’étude archéologique du territoire, notamment par la réalisation du programme d’inventaire des sites. Cette opération a fait l’objet d’une autorisation de prospection-inventaire délivrée par le Service Régional de l’Archéologie et a été en grande partie financée sur les fonds propres de l’Association, avec la contribution du CRHiSM (Université de Perpignan). Un projet d’étude diachronique des occupations humaines et de l’évolution des paysages a été mis en place en collaboration avec l’Université de Perpignan, le Centre de Recherches Historiques sur les Sociétés Méditerranéennes et le laboratoire de géographie physique Médi-Terra. L’équipe de recherche a donc été constituée en regroupant des chercheurs d’horizons différents, dans un souci de réelle pluridisciplinarité, pouvant déboucher, nous l’espérions, sur une compréhension globale, géographique, historique et archéologique, du secteur. Afin de faire profiter chacun des éclairages des autres chercheurs et de permettre un véritable dialogue entre les disciplines, nous avons décidé de deux étapes antérieures à la publication de cet ouvrage : d’abord la rédaction du rapport de prospection-inventaire, qui a réuni à la fin de l’année 2006 la totalité des résultats des recherches de terrain et d’archives et les premiers textes de réflexion sur ces données. Chacun des chercheurs a donc eu à disposition, pour écrire son texte, les données et les analyses des autres collègues impliqués dans l’étude de la zone brûlée. Ensuite, l’organisation de deux journées d’études, les 1er et 2 juin 2007, à l’Université de Perpignan, a permis de mettre en commun les premiers résultats, et de les présenter au public et aux acteurs du territoire (collectivités, associations)10. Une collaboration étroite a aussi été développée avec le Conseil d’Architecture, Urbanisme et Environnement (CAUE des P.-O., conseil général) avec pour objectif de valoriser les résultats de nos travaux et de proposer aux communes et collectivités concernées des projets d’aménagement et de mise en valeur du patrimoine de la zone et des mesures de mise en protection des secteurs paysagers les plus remarquables. Cette collaboration a fait l’objet de plusieurs conférences et communications, elle donnera lieu à une publication future. L’équipe réunie pour les travaux de terrain, de laboratoire et d’archives est diverse, dans ses compétences, ses méthodes, ses professions, ses qualifications et ses rattachements. On y trouve, à la base, les membres de l’Association Archéologique des Pyrénées-Orientales, qui reflètent la richesse et la variété des acteurs de l’archéologie départementale : employés de l’AAPO, stagiaires étudiants, adhérents actifs ou retraités, enseignants du premier et du second 10. Ces journées ont été organisées par l’association archéologique des Pyrénées-Orientales, l’université de Perpignan et le conseil général des Pyrénées-Orientales. Depuis cette date, une première communication au colloque d’Alguaire, où nous avions été invités par Jordi Bolòs et Enric Vicedo, nous a permis de présenter les premières conclusions partielles, v. Passarrius, Catafau 2009. Introduction degré ou de l’université, professionnels de l’INRAP ou de structures territoriales (pôle archéologique, conseil général des P.‑O.). Sont venus renforcer cette équipe, en fonction de nos sollicitations, quatre géographes : spécialistes des incendies de forêt, de la géomorphologie des Pyrénées, des aménagements ruraux contemporains, un géologue expert auprès des pouvoirs publics pour les carrières des P.-O., un archiviste connaisseur des fonds notariaux, deux historiens du monde rural et de l’entreprise des XIXe et XXe siècles, enfin une spécialiste en architecture traditionnelle et patrimoine des sociétés rurales. De ce qui aurait pu être un patchwork, un assemblage de contributions disparates, nous avons essayé de faire un livre. Au lecteur de juger si nous y sommes parvenus. Par son objet d’étude, ce projet était, pour nous, archéologues et historiens, à la fois séduisant et inquiétant. Qui ne parle aujourd’hui de « paysages » ? À ce mot les géographes et les historiens donnent le sens précis d’un espace investi et transformé par l’homme, du résultat de l’action séculaire, ou millénaire, de l’homme sur un espace. Il semble aujourd’hui que tous les spécialistes des sciences humaines raisonnent en termes de « paysage ». Le paysage est à la mode, il s’impose comme un mot « fourre-tout » qui veut exprimer une ambition renouvelée des chercheurs en lui Prospection archéologique dans le massif incendié (cl. A. Catafau). donnant une dimension globale, presque exhaustive, des activités humaines. Pour nous, cette approche en terme de paysage était indispensable et inévitable. Elle s’imposait et nous a aussi imposé son cadre. Notre point de départ est géographique et territorial : des reliefs et un donné naturel, mais aussi des espaces transformés, dominés et délimités par les sociétés qui les occupent, les exploitent. Le défi que nous nous sommes donné était de tenter de mettre de l’histoire dans cette géographie, de tracer les évolutions chronologiques de cette occupation humaine pluri-millénaire, de dater des faits visibles, d’apparence immémoriale (les murettes, les cabanes, les chemins) ou d’autres à peine perceptibles (l’exploitation des chaos granitiques). Les résultats, on le verra, ne sont pas minces, même si les limites d’une « archéologie légère », celle d’une approche « de surface », par les seules prospections, sont souvent rappelées. Rappelées, mais non déplorées, car nous espérons que cet ouvrage apportera la preuve qu’une archéologie « superficielle », qui ne détruit rien et ne coûte guère, peut, renforcée par l’apport des spécialistes de toute nature, et avec le complément des archives, fournir des résultats valables, des informations neuves, des bases d’une réflexion enrichie sur le peuplement, l’habitat, l’occupation du sol, les activités des hommes, et surtout, donc, leurs évolutions. 19 20 Archéologie d’une montagne brûlée L’église et le pierrier du village de Ropidera peu après l’incendie (cl. P. Roca). Les connaissances préalables sur le secteur incendié Le secteur étudié ici n’avait jamais fait l’objet de prospections pédestres systématiques, même s’il avait été maintes fois parcouru, notamment par Yves Blaize ou le docteur Francis Catala dans les années 1950. Ce dernier s’est attaché à prospecter les secteurs du Col de Ternère ou de Motzanes (commune de Rodès), en marge de la zone brûlée. À propos du lieu-dit Cogulera, une crête rocheuse qui domine la vallée de Têt, Louis Bassède indique que « cette colline porte des vestiges préromains, peut-être un ancien oppidum qui aurait laissé son nom au lieu-dit voisin, Coma d’Otreira ou château des vautours »11. Cette information n’a pu être vérifiée par Jérôme Kotarba et Florent Mazière, qui n’ont collecté à cet endroit que deux fragments de céramique protohistorique. Lors de leur observation sur place, la densité de la végétation n’a pas permis de pousser au-delà les investigations et le site n’a pas été inventorié12. Au centre archéologique dé11. Basseda 1990, p. 639. 12. Kotarba, Castellvi, Mazière 2007, 539-540. partemental est conservée une ancienne collection déposée par Anny de Pous, ramassée à la Cogulera. Un inventaire récent de cette petite série permet de dater l’occupation de ce site des IIIe‑IIe siècles avant J.‑C. (céramique modelée, céramique grise monochrome, céramique de la côte catalane, amphore gréco-italique et ibérique)13. À environ 1 km à l’est se trouve le lieu-dit de La Guardiola dont le toponyme pourrait garder le souvenir de La Gaiardia, peut-être une tour ou une fortification, mentionnée dans la documentation en 953 et localisée, toujours par Louis Bassède, au nord de la Têt14. À l’intérieur du massif, l’un des sites de hauteur protohistoriques (l’« oppidum ») pris en compte dans cette étude avait été identifié par Yves Blaize et prospecté avant que le feu ne le libère du maquis dense qui le rendait difficile d’accès15. Le dolmen du Serrat Blanc, en bordure de l’une des pistes DFCI était également connu d’Yves Blaize. 13. Ibidem. 14. Basseda 1990. 15. Blaize 1987, p. 7-12. Ce site a été désigné sous le nom d’« oppidum » dans cet ouvrage. Introduction Le village abandonné de Casesnoves avec sa tour sur motte et son église (cl. P. Roca). Le village médiéval déserté de Ropidera se trouve au cœur de la zone incendiée et a fait l’objet de plusieurs notes ou articles16. Jusqu’à l’incendie, les vestiges du village de Ropidera étaient noyés sous un épais maquis rendant difficile voire impossible leur appréciation. Seules les ruines de l’église étaient visibles et surtout son abside surmontée d’une tour massive, fortification dont font état les textes du début du XIVe siècle. Une rapide visite sur place a permis de percevoir une multitude de constructions, de murs délimitant des ruelles, probablement les derniers vestiges des habitations villageoises. Sur la commune d’Ille-sur-Têt enfin, le feu a parcouru la quasi-totalité de l’ancien territoire du village médiéval déserté de Casesnoves, épargnant l’église et la tour, et leurs abords immédiats où se trouvent les vestiges d’habitations. De l’autre côté du bassin versant, sur la commune de Bouleternère, les textes font état d’un autre lieu de peuplement, l’alleu de Croses mentionné dès 1011 (alode de Crodos). On retrouve ce lieu mentionné en 1267, 1319, 16. Tosti 1987, Bolòs 1995, p. 500-502. 1358 et en 1519 est cité le cimeterium de Croes17. Des vestiges médiévaux appartenant vraisemblablement à ce noyau de peuplement ont été signalés à proximité de l’église de Domanova, sur le versant est qui domine le ruisseau du Fagès18, en dehors de la zone concernée par l’incendie. Un des intérêts de la zone incendiée réside dans ses contrastes géographiques et environnementaux, on l’a vu, et à ce titre elle marque en direction méridienne la limite entre la plaine du Roussillon et la vallée du Conflent qui conduit aux hautes terres de Cerdagne et Capcir. Mais il réside aussi dans ses divisions politiques. En effet la montagne brûlée est une frontière, entre Fenouillèdes (Montalba), Roussillon (Ille) et Conflent (Tarerach, Rodès, Vinça). Vicomtés et comtés du Moyen Âge s’y rejoignent, s’en disputent les accès, contrôlent les passages. Puis, entre 1258 et 1659, du Traité de Corbeil au Traité des Pyrénées, la frontière entre royaumes de France et d’Aragon passe entre Montalba et Ropidera. 17. Ponsich 1980. 18. Tosti 1987. 21 22 Archéologie d’une montagne brûlée Prospection archéologique sur le plateau de Rodès (cl. O. Passarrius). Le déroulement des recherches Borne frontière entre royaume de France et courronne d’Aragon, portant à sa base la date 1658, aujourd’hui limite des territoires d’Ille et de Montalba (cl. O. Passarrius). Le château de Vinça (cité dès le Xe siècle), ceux de Montalba, de Rodès, de Casesnoves, les églises fortifiées de Ropidera et de Reglella, les murailles des villages de Vinça et d’Ille-sur-Têt témoignent des nécessités défensives et de la volonté d’affirmation politique des divers pouvoirs présents sur cet espace resserré. Il était intéressant de se demander dans quelle mesure cette position frontalière, la délimitation de ces territoires politiques était sensible dans le paysage et dans les usages que les hommes en faisaient. Perméables ou fermées, pleines de dangers ou riches d’opportunités, les frontières étaient-elles une réalité vécue par les populations voisines, étaient-elles réelles ou seulement abstraites ? Dans le paysage, nous les avons cependant rencontrées, sous la forme des bornes frontalières qui délimitent encore le territoire d’Ille-sur-Têt de celui de Montalba, et qui ne sont autres que les bornes entre États, rénovées en 1658, soit juste un an avant que l’annexion des comtés nord-catalans ne les rendent obsolètes d’un point de vue étatique, mais elles avaient continué à marquer le partage des territoires communaux, à l’époque entre Casesnoves et Montalba. Après la première phase de reconnaissance, les prospections pédestres ont démarré à la mi-novembre 2005, pour s’achever dans le courant du mois d’avril 2006, à raison de deux jours d’intervention par semaine. Elles ont été réalisées par une équipe d’une dizaine de personnes, chercheurs et bénévoles. Un stage de prospection destiné aux étudiants a été organisé durant les vacances scolaires du mois de décembre et a permis d’accueillir en continu une équipe d’une quinzaine de personnes. L’étude des terrasses et des aménagements agraires a été menée en parallèle et s’est achevée au mois de mai. Le relevé des ruines du village médiéval déserté de Ropidera a donné lieu à une opération à part entière, durant les vacances universitaires de printemps. Enfin, le relevé des bergeries et des enclos a été réalisé en grande partie durant l’été, à la fin de l’opération. D’autres opérations ponctuelles ont été effectuées jusqu’en octobre 2008 par de petites équipes de deux ou trois chercheurs afin de préciser certains points portant sur la préhistoire ou l’étude des marbres. Ces recherches ont souvent débordé du cadre strict du brûlis, en particulier celles qui ont concerné les berges du barrage de Vinca, lors de son étiage, pendant l’hiver 2007. Enfin, l’équipe de l’AAPO conduite par J.‑P. Comps pour la recherche des chemins a dédié ses sorties hebdomadaires à l’étude de ce territoire. Les reconnaissances préalables ont permis de subdiviser la zone en trois secteurs distincts pour lesquels l’investissement était très variable. Sur la partie nord de la Introduction Contraste entre une zone brûlée et une zone de maquis épargnée par l’incendie, où il est impossible de prospecter et de lire les éléments du paysage (cl. O. Passarrius). commune de Rodès, sur le plateau et à l’ouest du Bellagre, la topographie offre une zone propice aux installations humaines : relief assez doux, abris fournis par les chaos granitiques, dépressions humides et eaux abondantes en hiver. Lors de cette première phase, plusieurs sites ont été découverts ce qui nous a encouragés à mettre en place une prospection fine systématique de l’ensemble de la zone. Cette approche a consisté à parcourir le terrain en rangs serrés, espacés tous les 5 à 10 m, en piquetant et en signalant systématiquement à haute voix aux chefs d’équipes la nature et la densité des artefacts observés. Les concentrations de mobilier ont fait l’objet d’une collecte exhaustive de l’ensemble des céramiques et autres objets présents en surface. Le relevé des artefacts a été réalisé à l’aide d’un GPS. Sur le terrain, les prises de notes consistaient à relever la topographie du terrain, la végétation résiduelle, les aménagements culturaux postérieurs susceptibles d’avoir menacé l’intégrité des vestiges, la nature, l’état de conservation et la densité des céramiques, le taux de lisibilité et enfin l’observation de vestiges bâtis (murs...) présents en nombre en surface et pouvant être rattachés à la période d’occupation du site. À l’est du ravin du Bellagre et sur les versants qui dominent la Têt, notre prospection a été plus légère. La totalité de la surface a été parcourue mais de façon plus rapide et en rangs moins serrés compte tenu de la quasi absence de vestiges archéologiques. Il en a été de même pour la partie méridionale du feu, du col de Ternère aux hauteurs de Bouleternère où les aménagements récents (constructions, ouvertures de pistes, replantations au bulldozer) ont bouleversé le paysage. La totalité du territoire incendié a été parcouru et prospecté, plus ou moins finement en fonction des particularités du terrain, permettant ainsi l’inventaire de 74 sites archéologiques inédits. Dans le cadre de ce projet, une attention particulière a été portée à l’étude du paysage. L’analyse n’a pu bien entendu être réalisée sur l’ensemble du massif incendié. Elle s’est attachée à cinq secteurs, choisis pour leur représentativité. Ces secteurs, dont certains dépassent 70 ha de superficie, ont été finement prospectés et tous les aménagements visibles ont été pris en compte (terrasses, enclos, canaux, cabanes, bergeries...). Sur le terrain, l’analyse de chaque parcelle et le relevé des aménagements liés aux travaux de mise en culture ont été confrontés aux deux cadastres existant sur la zone : le plan cadastral dit napoléonien (1832/1834) et les cadastres de 1941/1946. 23 24 Archéologie d’une montagne brûlée Cabane à encorbellement dans un paysage de terrasses (cl. A. Catafau). Terrasses découvertes par le feu, près de secteurs où le maquis a été épargné par l’incendie (cl. O. Passarrius). Introduction L’analyse des registres des états des sections a permis d’identifier les propriétaires et les types de cultures pratiquées et sur les communes de Montalba-le-Château et d’Ille-sur-Têt, qui ont conservé les registres de mises à jour de l’état de section (entre le XIXe et le milieu du XXe siècle), le suivi précis de l’histoire de chaque parcelle a permis de mieux comprendre les évolutions globales du territoire, touché par les crises phytosanitaires du XIXe siècle et l’effondrement démographique dû à la première guerre mondiale. La confrontation de ces données avec la collecte systématique du mobilier présent en surface a permis des tentatives de mise en phase chronologique de certains aménagements sans toutefois réussir à appréhender réellement les travaux de mises en culture antérieurs à l’Ancien Régime. Les cabanes et les constructions de pierre sèche ont toutes été relevées mais n’ont pas donné lieu à une étude spécifique qui aurait pu s’intéresser à la typologie et à l’évolution architecturale de ces bâtis vernaculaires qui génèrent tant de curiosité et de fascination19. Le nombre de publications récentes ou anciennes concernant ce thème a, comme le souligne Christian Lassure après Jean Chapelot, littéralement envahi la bibliographie, provoquant chez les chercheurs méfiance et désintérêt20. En Roussillon, de nombreux historiens ou archéologues se sont intéressés à ce thème : Pierre Ponsich à partir du milieu des années 195021 puis Anny de Pous22, Françoise Claustre23 ou encore Jean Tosti24. Dans les recherches récentes, on peut aussi signaler les travaux entrepris par Christian Lassure, le dépouillement bibliographique qu’il a mené à bien sur ce thème et la fondation de la revue L’architecture rurale en pierre sèche en 197725. Dans les Pyrénées-Orientales, les programmes de prospection-inventaire puis le Projet Collectif de Recherche sur la montagne cerdane (Estivage, structuration sociale d’un espace montagnard) dirigés par Christine Rendu ont abouti à la mise en place d’une approche ar19. Dans la zone brûlée, près de 400 cabanes construites en pierre sèche, à la toiture en encorbellement ou couvertes de tuile ronde, ont été inventoriées et photographiées. 20. Lassure, Repérant 2006, p. 6. 21. Ponsich 1956, p. 305-317. 22. Pous 1959a, Pous 1959b, Pous 1964a, Pous 1964b, Pous 1965, Pous 1967a, Pous 1967b, Pous 1967c, Pous 1969, Pous 1975, Pous 1976, Pous 1977, Pous 1984, Salavy, Pous 1985, Lassure, Pous 1977. 23. Claustre 1985, p. 38-39. 24. Tosti 1995. 25. Revue devenue rapidement L’architecture rurale puis L’architecture vernaculaire. Citons aussi son dernier ouvrage consacré aux cabanes en pierre sèche en France (Lassure, Repérant 2006). chéologique et anthropologique des systèmes d’estivage dans la très longue durée avec notamment la fouille fine de nombreuses cabanes dont les plus anciennes ont été datées de l’âge du Bronze26. On est assez loin, avec les estives d’Enveigt comprises entre 1 900 et 2 100 mètres, des problématiques soulevées par l’étude qui nous occupe, les plus hauts sommets de notre zone culminant à 530 m, avec une altitude moyenne au niveau du plateau de 480 m. Et pourtant, depuis le début de l’âge du Bronze, l’élevage semble jouer un rôle non négligeable dans l’occupation, la mise en valeur et l’organisation de la montagne brûlée, autour de cuvettes hydromorphes creusées par déflation et dont les prés et les pâturages ont été fréquentés dès l’âge du Bronze. L’étude menée dans la montagne de Rodès fut pour nous tous un intermède dans nos recherches personnelles, une fenêtre ouverte sur d’autres problèmes, parfois bien différents de ceux posés dans la plaine où se concentre la quasi-totalité de l’archéologie aujourd’hui et de nos activités. Les prospections ont permis la mise au jour de nombreux sites, notamment de la Préhistoire récente ou du Moyen Âge, souvent des habitats mais aussi des dolmens, des fours à chaux, des tuileries, des zones d’extraction de matériaux avec des carrières de granit, de feldspath, de marbre ou des zones de débitage de meules de moulin. Ces résultats, les réflexions menées sur les périodes non représentées sur le terrain, ont permis de dresser les grandes lignes du peuplement du massif, depuis le Paléolithique jusqu’au XXe siècle. L’ensemble des données est issu des seules prospections et études documentaires et il nous est apparu nécessaire de montrer que ce type d’approche, sans fouille et avec des moyens limités, pouvait permettre de faire des observations sur l’occupation du sol et la mise en valeur d’un territoire en allant bien au-delà du simple travail d’inventaire. Bien évidemment, cette recherche ne peut se substituer à des fouilles – ayant pour but de confirmer les hypothèses mises en avant et de répondre aux nombreuses questions restées sans réponse – mais elle est susceptible d’en orienter les stratégies. 26. Rendu 2003a, Rendu 2003b, p. 142-244. 25 26 Archéologie d’une montagne brûlée Le plan que nous avons adopté pour cet ouvrage est logique et, somme toute, sans surprises ni originalité. Il part de l’événement, le feu, puis s’attarde sur le milieu, relief, eaux et sols, pour tracer le cadre de l’établissement des hommes. Vient ensuite la longue préhistoire, époque des premières occupations humaines, où la connaissance des temps anciens est liée à la genèse des paysages et des sols, et la préhistoire récente, celle des agriculteurs et pasteurs de l’âge du Bronze, artisans potiers et métallurgistes, qui amorcent la main mise de l’homme sur le paysage. La troisième partie s’intéresse aux traces d’un monde rural disparu, celui qui, après un relatif abandon dans la longue Antiquité, s’étend depuis le Moyen Âge jusqu’aux lendemains de la Révolution française, vivant en relation étroite avec les milieux dont il tire ses ressources. C’est le temps de la plus grande densité d’occupation et d’exploitation agro-pastorale de la montagne. Les prospections ont aussi révélé à quel point les ressources minérales du massif de Rodès-Montalba-Bouleternère étaient d’une grande importance pour ces hommes, qui n’étaient pas seulement paysans. Enfin la dernière partie fait le point des évolutions récentes, celles des deux derniers siècles, qui nous ont légué l’essentiel du paysage que nous contemplons maintenant. Des modes de vie et des travaux proches dans le temps que beaucoup d’entre nous ont connus ou entendus évoquer par leurs parents, et dont les traces s’effacent rapidement. Aujourd’hui, alors que des pratiques nouvelles de la montagne, résidence secondaire, aire de loisirs et de promenade, s’y substituent, nous avons aussi voulu en faire l’inventaire, pour peut-être parvenir à orienter les regards de ces néo-ruraux ou ruraux occasionnels vers un héritage à connaître et à sauvegarder. Mise au point sur les orthographes fautives, barbares ou dissemblables des toponymes de la Montagne brûlée L’orthographe des toponymes mineurs n’a été ni harmonisée ni corrigée, malgré de nombreuses formes de toute évidence erronées, et parfois de vrais barbarismes. Devant la variété des usages en vigueur chez les différents auteurs, certains pouvant avoir leur logique propre (orthographes des éditions successives des cartes IGN, graphies des cadastres anciens ou actuel, formes « figées » par les auteurs précédents ayant écrit sur le secteur, citations des textes anciens ou contemporains, etc.) nous avons renoncé à réécrire sous leur forme catalane correcte les toponymes mineurs dans les textes, les cartes, les tableaux, les légendes. Nous en demandons pardon aux amoureux et aux défenseurs de la langue catalane, qui trouveront dans Bécat 2008 et dans IEC 2007 les graphies correctes de quelques lieux-dits des villages ici étudiés. Seule l’orthographe de Ropidera et Casesnoves a été uniformisée, sauf oubli de notre part... Les directeurs de l’ouvrage Première partie L’événement et le cadre Photo J. Roig - RMD agency chapitre I L’incendie de Tarerach du 22-23 août 2005 : caractéristiques du feu et impact sur la végétation Johanna Faerber En région méditerranéenne, les incendies constituent un risque omniprésent. Dans les Pyrénées-Orientales, les statistiques PROMéTHéE ne dénombrent pas moins de 3 724 « feux de forêts » pour la période 1974 à 2007, soit une moyenne de 110 feux par an. L’incendie qui s’est déclaré le 22 août 2005 sur la commune de Tarerach n’est donc pas un phénomène isolé. Toutefois, il reste un événement exceptionnel par sa taille : avec 1970 ha parcourus, l’incendie occupe dans les statistiques la 4e place. C’est le plus grand feu dans le département depuis 1978. Nous allons tenter de replacer le feu de Tarerach dans le contexte des incendies dans le département des Pyrénées-Orientales, de décrire les caractéristiques de l’incendie et d’analyser son impact sur la végétation. . Prométhée est une base de données sur les incendies de forêts de la région méditerranéenne. Conçue et lancée en 1973, cette opération couvre 15 départements du Sud-Est. . D’après la définition officielle de PROMéTHéE, le terme « feu de forêt » regroupe dans les statistiques les « incendies qui ont atteint des forêts, landes, garrigues ou maquis d’une superficie d’au moins un hectare d’un seul tenant ». Toutefois, de nombreux feux d’une superficie inférieure à 1 ha ont été intégrés dans les statistiques (1 034 incendies pour les Pyrénées-Orientales, soit 27,5 % des feux). Les incendies dans les PyrénéesOrientales En région méditerranéenne française, le risque de feu est maximal en été. Dans les Pyrénées-Orientales, 47 % des incendies se produisent dans les mois de juillet, août et septembre, contre seulement 12 % en hiver (décembre-février). La concentration des feux en été est assez constante dans le temps, car elle est la conséquence directe du climat méditerranéen avec ses étés chauds et secs. En termes de superficie, on note par contre des variations interannuelles importantes (graph. 1). Dans les Pyrénées-Orientales, la surface moyenne brûlée par an est de 1 477 ha, mais les chiffres réels s’échelonnent entre 76 ha pour l’année la plus « froide » (1999) et 10 899 ha pour l’année la plus « chaude » (1978), soit 143 fois plus. Ces grandes différences s’expliquent pour une large partie par l’inconstance du climat méditerranéen : les précipitations affichent de fortes variations d’une année à l’autre, en termes de cumuls annuels comme de répartition au cours d’une année. Par conséquent, les périodes de sécheresse particulièrement propices à l’éclosion des feux sont plus ou moins nombreuses suivant les années. Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre I 12000 10000 surface incendiée (ha) •500 ha 100<500 ha 8000 <100 ha 6000 4000 2000 2007 2006 2005 2004 2003 2002 2001 2000 1999 1998 1997 1996 1995 1994 1993 1992 1991 1990 1989 1988 1987 1986 1985 1984 1983 1982 1981 1980 1979 1978 1977 1976 1975 0 1974 30 1 - Surface brûlée dans les Pyrénées-Orientales en fonction de la taille des incendies (1973-2007). Figure 1 Toutefois, cette explication n’est pas entièrement satisfaisante, car on n’observe pas la même ampleur des variations interannuelles pour le nombre des feux : l’année « chaude » (1978) dénombre 225 incendies contre seulement 63 pour l’année « froide » (1999), soit 3,6 fois plus. La prise en compte de la taille des incendies permet d’apporter une clarification. Dans le graphique 1, les surfaces incendiées par an ont été classées en fonction de la taille des feux. Trois classes ont été établies : les « petits et moyens incendies » (<100 ha), les « grands incendies » (100<500 ha) et les « très grands incendies » (≥500ha). La figure montre que la forte variabilité interannuelle est en très grande partie liée à la présence de grands et, surtout, de très grands feux. Les « petits et moyens » incendies représentent 98,2 % des feux, mais seulement 26,8 % de la surface brûlée. De l’autre côté, les très grands incendies (dont le feu de Tarerach) sont rares (0,3 % des feux), mais ils sont responsables de 47,2 % de la surface totale incendiée. Les grands incendies représentent 1,5 % des feux et 26 % des superficies brûlées. Le facteur « variabilité du climat méditerranéen » joue un rôle important dans l’explication des très grands feux : leur probabilité d’occurrence est plus élevée dans les années les plus sèches et chaudes. Toutefois, le lien avec ces paramètres généraux n’est pas systématique : l’année 2003 (l’année de la canicule) est caractérisée dans les Pyrénées-Orientales par un bilan plutôt modeste : un seul grand feu (200 ha), mais aucun « très grand », et un chiffre global largement inférieur à la moyenne (567 ha brûlés). On peut donc conclure que, si les grands incendies se produisent toujours lors de périodes sèches, la présence de périodes sèches ne se traduit pas automatiquement par l’occurrence de feux spectaculaires. D’autres facteurs doivent être réunis pour déclencher un très grand incendie. Un de ces facteurs incontournables dans le département est le vent. Tous les très grands feux se sont produits lors de jours de tramontane : le vent accélère la progression du feu, provoque des « sautes » permettant à l’incendie de franchir des obstacles, et rend les opérations de lutte difficiles voire impossibles. Ensuite, il faut noter que les très grands feux ne peuvent se produire que dans les secteurs à couverture végétale continue et fortement combustible (Aspres, Fenouillèdes, Côte Rocheuse éventuellement). En outre, l’extension d’un feu dépend de l’efficacité des dispositifs de lutte. Enfin, c’est le facteur « hasard » qui doit être évoqué : un très grand incendie se déclare si l’éclosion du feu se produit pendant une période sèche, un jour de tramontane, dans un secteur à forte combustibilité et continuité végétale, et si ce feu n’est pas combattu immédiatement (détection tardive, éloignement du centre de secours, indisponibilité des moyens aériens...). Dans ce cas, l’incendie devient rapidement incontrôlable et ne peut être stoppé qu’à la faveur de facteurs propices (accalmie du vent, zone à plus faible combustibilité...). L’incendie de Tarerach Les statistiques montrent que la conjonction de tous ces facteurs est assez rare : seulement quatorze très grands feux ont été recensés dans le département des Pyrénées-Orientales depuis la mise en place de PROMéTHéE (tableau 2). On note que le secteur FenouillèdesAspres est particulièrement concerné par le phénomène ; les communes touchées par l’incendie de 2005 l’ont été déjà en partie par deux feux survenus en 1978. Année Date Heure d’éclosion Commune Surface 1976 28-juil 12h Corbère-les-Cabanes 6600 ha 1976 28-juil 13 h Sournia 1500 ha 1978 31-août 10 h Campôme 2000 ha 1978 12-sept 18 h Port-Vendres 2500 ha 1978 18-sept 9h Montalba-le-Château 1800 ha 1978 23-sept 12 h Bouleternère 1981 28-août 12 h Passa 500 ha 1983 11-août 20 h Banyuls-sur-Mer 780 ha 1986 20-juil 00 h Campôme 1260 ha 1986 21-juil 05 h Banyuls-sur-Mer 1500 ha 1986 26-août 16 h Latour-de-Carol 510 ha 1989 26-août 13 h Opoul-Périllos 2000 27-août 20 h Port-Vendres 2005 22-août 14 h Tarerach 1800 ha 1500 ha 500 ha 1970 ha 2 - Les très grands incendies dans les Pyrénées-Orientales (1974–2007). Le feu de Tarerach L’éclosion du feu de Tarerach a été signalée le lundi 22 août à 14 h 13, en bordure de la D17 qui relie les villages de Montalba et Tarerach, sur le territoire de cette dernière commune. L’origine du feu a été anthropique, fait habituel dans une région où seulement 2 % des feux sont causés par la foudre. Ici, de toute évidence, il s’agissait d’un allumage volontaire. L’éloignement du site des centres de secours a retardé l’intervention des pompiers : ils n’arrivent sur les lieux que 20 minutes après le signalement, à un moment où la superficie du feu est déjà estimée à 3 ha. Il est alors impossible d’éteindre le feu : d’après les données Météo-France (station d’Eus) et les enregistrements 3 2 1 3 - Nombre de très grands incendies (≥500ha) par an dans les Pyrénées-Orientales entre 1974 et 2007. Source : statistiques PROMéTHéE. 2006 2004 2002 2000 1998 1996 1994 1992 1990 1988 1986 1984 1982 1980 1978 1976 0 1974 Nombre de très grands incendies/an Source : statistiques Figure 3 PROMéTHéE. On peut remarquer aussi que les très grands incendies, particulièrement intéressants pour une recherche archéologique, semblent avoir tendance à se raréfier. Le graphique 3 replace les événements sur une échelle temporelle : seuls deux incendies ont eu lieu dans la deuxième partie de la période d’observation de 34 ans. S’agit-il d’une variation des conditions atmosphériques (périodes dangereuses avec sécheresse et vent moins nombreuses), d’un progrès en matière de lutte (détection plus précoce, moyens de lutte plus efficaces), de l’effet d’une meilleure prévention (sensibilisation de la population, cloisonnement du territoire par des coupures DFCI) ? Il est probable que c’est la conjonction de tous ces facteurs – combinés peut-être avec le facteur hasard – qui explique cette tendance. En tout état de cause, la rareté des très grands feux au cours de ces deux dernières décennies souligne l’intérêt de saisir l’occasion. 31 32 Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre I de la cellule REX 66 rapidement dépêchée sur place, la tramontane souffle à 15 heures à 30km/heure, avec des rafales pouvant atteindre 72 km/h et une direction de NO (320°). La température de l’air est plutôt basse pour la saison (23°C à 15 heures), mais la tramontane se traduit par une humidité atmosphérique faible (36 % d’humidité relative). La progression d’un feu dépend aussi de l’hygrométrie de la végétation. Or, l’analyse des données Météo France relève pour le mois d’août 2005 un déficit hydrique marqué : la demie-année qui précédait l’incendie était beaucoup trop sèche, à l’exception du seul mois de mai qui avait affiché des précipitations à peu près « normales ». Ce déficit hydrique se traduit par un assèchement de la végétation : Cl. Moro (2005) indique pour le 22 août une teneur en eau de 42,2 % pour le Genévrier oxycèdre et de 35,7 % pour le Ciste de Montpellier. Le seuil du dessèchement extrême (Indice de sécheresse >700) a été dépassé la veille de l’incendie. Notons que ces valeurs sont très faibles, mais pas exceptionnelles : au cours des dernières années, les chiffres enregistrés s’échelonnent en été entre 35,1 et 61,5 % pour le Genévrier, et entre 28,6 et 60,4 % pour le Ciste de Montpellier. D’ailleurs, le même constat s’impose pour le vent, avec des valeurs élevées, mais pas exceptionnelles : les vitesses de pointe de la tramontane sont fréquemment supérieures à celles du 22 août, avec des rafales atteignant 90, voire 100 km/h. C’est donc bien la conjonction de facteurs défavorables qui est à l’origine de ce très grand feu : dessèchement du combustible, tramontane, intervention un peu tardive des pompiers... Les caractéristiques de la couverture végétale avant le feu sont le dernier paramètre à prendre en compte pour expliquer l’ampleur de l’incendie. Le secteur brûlé était majoritairement recouvert par un maquis assez dense, résultant de la dégradation de la forêt méditerranéenne due au surpâturage, aux défrichements et aux incendies. Toutefois, en même temps, ces formations buissonnantes constituent des successions secondaires progressives vers la forêt, après l’abandon de l’exploitation agricole et pastorale. Installés sur sol siliceux (arènes de granite du plateau de Montalba), . La cellule REX 66 (Retour d’EXpérience sur les incendies de forêt dans les Pyrénées-Orientales) est une équipe Pompiers-Forestiers hors dispositif qui se déplace en observateur sur le feu selon un protocole établi SDIS/DDAF. L’objectif est de recueillir un maximum d’informations sur le déroulement des incendies marquants du département pour mieux anticiper les événements futurs. . Les données ont été récoltées à la station le Vigné (Eus), à 5 km du secteur incendié, dans le cadre du bilan annuel sur le combustible forestier méditerranéen. les peuplements végétaux sont à structure et à composition spécifique légèrement variables suivant la profondeur du sol, l’exposition, la date du dernier feu... Toutefois, on y trouve toujours le même cortège floristique typique du maquis méditerranéen : Cistes (Cistus albidus L., C. monspeliensis L., Cistus laurifolius L.), Bruyère à balais (Erica scoparia L.) et surtout Bruyère blanche (Erica arborea L.), Genévrier oxycèdre ( Juniperus oxycedrus L.), Calicotome épineux (Calicotome spinosa [L.] Link), Pistachier lentisque (Pistacia lentiscus L.), Lavande stéchade (Lavandula stoechas L.), et, plus localement, Genêt d’Espagne (Spartium junceum L.) et Ajonc de Provence (Ulex parviflorus Pourr.). Cette formation buissonnante était en voie de colonisation par des ligneux hauts, en particulier par le chêne vert (Quercus ilex L.), mais aussi par le chêne-liège (Quercus suber L.), des oléastres (Olea europaea var. sylvestris L.), et, plus localement, quelques pins (Pinus pinea L.) ou des mimosas (Acacia dealbata Link). 4 - Une formation buissonnante typique : maquis d’un âge d’environ 10 ans. Secteur Bouleternère, 25/5/2007. 5 - Maquis d’un âge d’environ 30 ans ; strate arbustive dense, formation colonisée par des arbres. Secteur Bouleternère, 25/5/2007. L’incendie de Tarerach Par ailleurs, on constate la présence de formations arborescentes, dominées par des espèces caducifoliées, dans les secteurs les plus humides (ravins), ainsi que de quelques reboisements de résineux (pins surtout, mais aussi cèdres). Finalement, quelques bosquets de chêne-liège témoignent des activités économiques du passé. Néanmoins, les formations arborées n’ont pas eu une influence sensible sur la dynamique du feu : l’extension spatiale des plantations était trop limitée, et les formations spontanées étaient protégées par leur situation topographique. Il va sans dire que les formations buissonnantes dominantes dans le secteur étudié sont très combustibles. Sur la carte départementale de l’aléa «incendie de végétation», une grande partie de la zone incendiée est carto- 6 - L’aléa « incendie de végétation » dans le secteur parcouru par le feu de Tarerach du 22/23 août 2005. Extrait de la carte proposée par la DDAF et le Syndicat des Propriétaires Forestiers Sylviculteurs des Pyrénées-Orientales, complétée. 7 - Historique des incendies dans le secteur du feu de Tarerach. Extrait de Guillemat 2006, complétée. . Un aléa est défini comme la probabilité qu’un phénomène naturel d’intensité donnée se produise en un lieu ; il est évalué à partir de l’historique des feux et basé sur la quantification de l’aléa. graphiée « risque moyen » et « risque élevé » (ill. 6). Il est d’ailleurs intéressant de noter que l’éclosion du feu s’est produite dans un des rares secteurs classés « à risque faible ». Ce fait souligne bien que les jours de tramontane le « risque faible » n’existe pas ; d’ailleurs, les feux allumés volontairement le sont le plus souvent à proximité immédiate des routes, facilitant la fuite rapide de l’auteur du feu. La progression rapide du feu s’explique aussi par l’accumulation sur plusieurs décennies du combustible : en effet, dans la partie parcourue au cours des premiers heures de l’incendie de Tarerach, aucun feu n’avait été recensé depuis les années 70. Dans les secteurs brûlés plus tardivement (partie Est du secteur Fenouillèdes et secteur Aspres), des incendies antérieurs sont documentés, datés de 1978, 1883, 1984, 1995 et 1997 (ill. 7). Il est évident que l’accumulation du combustible dépend en grande partie de la date du dernier feu (ill. 4 et 5). C’est dans la partie non brûlée au cours des derniers 40 ans que l’on a enregistré la propagation la plus rapide du front des flammes. Attisé par la tramontane, l’incendie a atteint la Têt, située à une distance d’environ 5 km du point d’éclosion, en seulement 2 h 30, soit une vitesse du feu de 2 km/h environ (ill. 9). à ce moment, le feu aurait parcouru quelque 700 ha et possèdait une circonférence de 24 km (Guillemat 2006). Puis, la progression du feu ralentit. C’est la conséquence d’un affaiblissement de la tramontane (25-50 km/h à 18 h 53 , 25 km/h à 19 h 30), mais aussi des changements au niveau du combustible : le feu progresse dans une zone à plus forte empreinte humaine (parcelles agricoles de la vallée de la Têt), et dans des secteurs qui avaient déjà brûlé en 1995 et 1997, d’où une biomasse plus faible. Néanmoins, le feu parvient à franchir à plusieurs reprises la Têt (vers 17 heures) ; le village de Rodès est alors menacé, d’autant plus que les largages sont impossibles à cause du vent fort. Vers 18 h 25, l’incendie franchit la Route Nationale et se dirige vers les Aspres. Finalement, il est maîtrisé sur le territoire de la commune de Bouleternère, à la faveur d’une baisse de la puissance du feu (secteur déjà brûlé en 1997 et combustible réduit par une utilisation pastorale), mais surtout suite à l’affaiblissement de la tramontane. Le feu est fixé après 13 heures de progression, vers 3 heures le matin, le 23 août 2005. 33 34 Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre I Impact sur la végétation 8 - Le village de Rodès pendant l’incendie. Cl. A. Emilian, 22/8/2005, vers 17 h 30. Il faut noter que l’ensemble du massif des Aspres était potentiellement menacé : la continuité de la végétation et l’accumulation de la biomasse depuis les grands incendies de 1976 et 1978 auraient rendu un arrêt du feu impossible si la tramontane avait persisté. Une dernière saute de feu qui s’est produite vers minuit à l’extrémité sud de l’incendie, projetant le feu à une distance de 550 m et allumant un nouveau foyer sur un versant opposé, illustre bien ce risque potentiel. 9 - Périmètre incendié et progression du feu de Tarerach du 22/23 août 2005. L’impact d’un feu sur la végétation dépend des caractéristiques de celle-ci (résistance des espèces au feu, structure des formations végétales...), des conditions atmosphériques avant et après le feu, et des paramètres de l’incendie (qui dépendent eux-mêmes du combustible et des conditions atmosphériques au moment du feu). Notons d’abord que le feu de Tarerach s’est traduit par une combustion incomplète de la couverture végétale. La progression très rapide de l’incendie et la présence de multiples sautes, conséquence directe de la tramontane soufflant le jour du feu, ont permis la préservation des secteurs encaissés plus humides, ainsi que de quelques secteurs plus minéraux et sous le vent. Le maintien de ces îlots verts est particulièrement important dans la qualification d’un incendie, car il contribue à limiter les effets négatifs des grands feux : limitation de l’érosion post-feu, de l’impact paysager, conservation de porte-graines, et surtout espace de refuge et d’abri pour la faune. Une combustion incomplète accélère non seulement la reconquête végétale et animale, elle crée aussi un espace-mosaïque à biodiversité supérieure par rapport aux espaces uniformes. Dans les secteurs non protégés par leur situation topographique, la végétation aérienne a été dans sa totalité soit brûlée, soit tuée par le contact avec le panneau radiant. Toutefois, plusieurs facteurs ont limité l’impact sur la couverture végétale : - L’accumulation de la biomasse et son dessèchement prononcé ont dû entraîner des températures élevées, mais l’exposition à ces températures extrêmes n’a été que de courte durée (progression rapide du feu). L’incendie de Tarerach - Le dessèchement extrême de la végétation n’a pas été accompagné par un dessèchement aussi prononcé du sol. Dans le bilan annuel du combustible méditerranéen déjà évoqué, C. Moro (2006) indique que l’indice humus (IH) est le 22 août avec un peu plus de 80 loin du seuil de dessèchement marqué (IH>120) ou extrême (IH>175). L’humidité résiduelle et la propagation rapide du feu ont limité l’impact de l’incendie sur le sol et favorisé la survie des parties souterraines des plantes et des graines. - l’impact potentiel d’un incendie dépend aussi des conditions atmosphériques après le feu : il sera d’autant plus important que la perturbation du feu est suivie par un stress hydrique lié à une pluviométrie déficitaire. Or, dans le cas du feu de Tarerach, les précipitations ont été assez abondantes dans le mois suivant l’incendie : plus de 50 mm en septembre et même plus de 100 mm en octobre et en novembre. Logiquement, ces précipitations abondantes favorisent la reprise de la végétation. - enfin, la végétation concernée par l’incendie est une végétation méditerranéenne, parfaitement adaptée à ce type de perturbation. Les végétaux ont développé différentes stratégies de survie : résistance au feu, survie des parties souterraines et réapparition par rejets de souche, ou encore stimulation de la germination conduisant à une multiplication des pieds après le feu. Ces différentes stratégies de survie – qui déterminent aussi les vitesses de régénération des formations végétales – sont bien visibles après l’incendie de Tarerach. Ce sont les formations dominées par des espèces résistantes au feu qui reconstituent le plus rapidement des peuplements semblables à l’état initial. C’est le cas notamment du chêne-liège, du fait de la protection offerte par le liège : sur le secteur brûlé de Tarerach, tous les individus examinés ont survécu à l’incendie. Le feu a détruit le feuillage, par incinération ou par dessèchement, mais quelques mois seulement après l’incendie, les branches émettent de nouvelles feuilles qui gomment l’effet visuel du feu ; seule l’absence du sous-bois témoigne encore de l’incendie passé (ill. 10 et 11). D’après Trabaud (1989), une suberaie brûlée retrouve une composition spécifique et une structure du peuplement proches de l’état initial au bout d’une dizaine d’années après le feu. Dans une moindre mesure, ce constat est valable également pour les quelques boisements de pin (Pinus pinea L. surtout) présents sur le site. Toutefois, leur protection 10 - Peuplement à chênes-lièges deux ans après le feu. Vue du versant opposé, l’absence presque complète du sous-bois est la seule trace visible de l’incendie. Secteur Bouleternère, 25 mai 2007. 11 - Chêne-liège deux ans après l’incendie. Seule l’écorce noircie et la présence de branches mortes (à gauche) témoignent encore du feu. Secteur Bouleternère, 25 mai 2007. par l’écorce est moins efficace, et les individus ne peuvent survivre que si leur cime échappe au feu. Ainsi, les individus jeunes et croissant dans les formations à sous-bois développé ont été tués par le feu, tandis que les individus plus grands ont survécu : la distance entre les strates basses et les cimes n’a pas permis de communiquer le feu. 35 36 Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre I 12 - Impact du feu sur une plantation de pins. Cliché pris au-dessus du village de Rodès, le 25 mai 2007. Dans ces cas, l’effet du feu s’est limité à un « élagage thermique » (ill. 12). Le pin pignon est également capable de régénérer par germination ; toutefois, la faible production de graines défavorise cette espèce si les feux sont trop rapprochés (Rodrigo, Retana, Pico 2004). à l’exception des secteurs qui ont échappé à l’incendie et des espèces résistantes, les parties aériennes des végétaux ont été entièrement détruites par le feu. La réapparition des espèces se fait alors soit par régénération végétative, soit par germination. Aucun relevé n’avait été effectué sur le site de Tarerach avant le feu, mais la comparaison de secteurs brûlés et non brûlés montre clairement qu’il n’y a pas de modifications significatives de la composition floristique des peuplements : la régénération se fait à partir des espèces présentes avant l’incendie. Toutefois, le feu entraîne la multiplication de quelques taxons fugaces, thérophytes, rudéraux ou anémochores. Nous avons par exemple noté l’envahissement par le Seneçon du Cap (Senecio inaequidens DC) d’une parcelle de la plane de Coundomy, au sud-est de Montalba. L’extension spatiale de l’invasion est limitée, et ce néophyte introduit de l’Afrique du Sud est présent également dans les secteurs non brûlés, mais sa multiplication est clairement liée à la mise à nu du sol par le feu. Parmi les espèces ligneuses caractéristiques du maquis, on remarque la variation des abondances et dominances spécifiques dans les années suivant le feu, liées aux caractères de survie (« attributs vitaux ») des espèces : les taxons qui se régénèrent exclusivement par germination sont dans un premier temps plus abondants, mais à do- minance plus faible. C’est le cas notamment des Cistes, arbustes à stratégie « r », qui sont d’ailleurs de véritables pyrophytes : le choc thermique du feu provoque une levée de la dormance des graines et entraîne un taux de germination élevé (Trabaud et Oustric 1989) ; aussi, l’automne humide a dû favoriser la réapparition des cistes. Les caractéristiques du milieu et les conditions atmosphériques dans les mois après le feu déterminent ensuite le taux de survie des semis, mais aussi la croissance des plantules au cours des premières années après l’incendie. Deux ans après l’incendie, on peut remarquer que les semis sont plus denses et les plantules mieux développées en zone découverte (entre les touffes de végétaux rejetant de souche), certainement à cause de l’absence de compétition pour la lumière, les nutriments et l’eau de la part des autres végétaux. Bien entendu, la stimulation de la germination n’est effective que jusqu’à une certaine limite ; des températures trop élevées sont létales. Dans le cas de l’incendie de Tarerach, c’est la propagation rapide du feu qui a limité la montée des températures dans le sol et évité la destruction du stock de graines. Par conséquent, les plantules . Les stratégies r/K correspondent à un modèle évolutif proposé par les écologues R. MacArthur et E. O. Wilson en 1967 : les espèces à stratégie « r » assurent la survie des populations par la production d’un grand nombre de jeunes, le plus tôt possible, pour contrecarrer une mortalité très élevée. La survie des espèces à stratégie « K » est basée sur une durée de vie très longue ; leur reproduction est plus rare et tardive. . L’importance de ce facteur est cependant incertaine : des études récentes (Cespedes et Moreno 2007) ont en effet démontré que la présence de périodes sèches ne se traduit pas automatiquement par une densité inférieure de semis de cistes. . La sensibilité vis-à-vis des températures élevées est variable entre les espèces, mais c’est en général autour de 150° que l’on constate une mortalité élevée des graines (Valbuena 1992). L’incendie de Tarerach 13 - omniprésence des plantules de cistes deux ans après le feu. Secteur Bouleternère, 25 mai 2007. 14 - deux ans seulement après le feu, les premiers pieds du Ciste cotonneux (Cistus albidus) sont en fleurs. Secteur Rodès, 25 mai 2007. de cistes sont omniprésentes (ill. 13). Toutefois, si leur abondance augmente fortement après l’incendie, les cistes restent peu visibles dans les années après le feu à cause de leur petite taille. Notons que la fertilité précoce des cistes protège les peuplements en cas de feux trop rapprochés : deux ans seulement après le feu, les premiers cistes cotonneux montent en graines (ill. 14). Parmi les espèces se régénérant uniquement par germination, c’est le Genévrier oxycèdre qui semble le plus fortement affecté : nos recherches ont donné seulement quelques rares semis sur le plateau de Montalba. Toutefois, il faut noter que l’espèce était peu abondante avant le feu. Elle n’a donc certainement pas été éliminée par le feu, mais fait partie des espèces les plus sensibles aux incendies. La très grande majorité des espèces du maquis se régénère par reprise de souche ou par rejets sur rameaux bas qui assureront une rapide occupation en biovolume. Sur le site de Tarerach, les exemples les plus visibles de cette stratégie sont la bruyère arborescente et le chêne vert (ill. 15 et 16), mais d’autres espèces moins abondantes appartiennent au même groupe d’arbustes à stratégie « k » : Filaire (Phillyrea angustifolia L.), Nerprun alaterne (Rhamnus alaternus L.), Pistachier lentisque (Pistacia lentiscus L.)... Certaines de ces espèces (par ex. le chêne vert) ont la capacité de produire des rejets vigoureux immédiatement après le feu, d’autres rejettent seulement à la faveur des pluies automnales. Dans le cas du feu de Tarerach intervenu à la fin de l’été, les différences des vitesses de réapparition étaient logiquement insignifiantes. Ce modèle de résistance est parfaitement adapté aux perturbations : deux ans après le feu, la hauteur des rejets varie, suivant les espèces et les conditions stationnelles, entre 40 cm et plus d’un mètre. à titre de comparaison, les plantules issues de la germination n’atteignent au même moment que 20-35 cm. Ainsi, les premiers stades de régénération sont dominés par le chêne vert et par la bruyère arborescente ; cependant, l’abondance des semis de cistes 15 - Rejets de souche de la bruyère blanche (Erica arborea) et plantules de cistes deux ans après le feu. Secteur Bouleternère, 25 mai 2007. 16 - Rejets de souche d’un chêne vert (Quercus ilex) deux ans après le feu. Secteur Bouleternère, 25 mai 2007. laisse prévoir une reconstitution à moyen terme de peuplements proches de leur composition initiale. Les observations effectuées à proximité immédiate du secteur incendié confirment d’ailleurs la bonne résilience du maquis à la perturbation d’un feu : 10 ans seulement après un incendie, les formations végétales sont cicatrisées et reforment un maquis dense d’une hauteur moyenne de 1,5 mètre environ (ill. 4). 37 38 Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre I Conclusion L’analyse a bien démontré le caractère exceptionnel de l’incendie de Tarerach : c’est le feu le plus important du département depuis 30 ans en superficie. Il est d’autant plus intéressant pour une étude archéologique qu’une partie importante de la surface brûlée n’avait pas été touchée par un incendie depuis les années 60. Cependant, si le feu a rendu un tel travail possible, en supprimant la couverture végétale et en rendant les traces d’une ancienne occupation humaine visibles, la vitesse de la régénération végétale limite le temps potentiel disponible. Deux ans seulement après l’incendie, les peuplements dominés par des taxons à régénération végétative deviennent à nouveau impénétrables, et les vestiges disparaissent sous la couverture végétale. Enfin, si le feu de Tarerach était un événement exceptionnel qui constituait de ce fait une bonne opportunité, d’autres occasions peuvent se présenter dans les années à venir : des incendies d’une taille inférieure certainement, mais peut-être aussi un nouveau très grand feu. En effet, la réduction au cours des dernières deux décennies de la surface incendiée et du nombre de grands feux, suite au progrès en matière de lutte et de prévention, a conduit à une augmentation de la biomasse et donc à une accumulation du combustible. Par conséquent, la réduction des surfaces brûlées a paradoxalement augmenté le risque. Ainsi, un nouveau très grand feu reste dans un proche avenir non seulement possible mais, peut-être même, probable – d’autant plus que des mesures préventives (réduction du combustible par l’élevage par exemple) sont depuis plusieurs années en régression sur le département, faute de moyens. chapitre II Géomorphologie d’une montagne brûlée Marc Calvet Du milieu physique aux hommes et à leurs activités : c’est l’approche classique de la géographie « vidalienne », née en France au XIXe siècle finissant sous l’impulsion de Paul Vidal de La Blache, qui fut initialement, il faut le rappeler, historien et docteur avec une thèse sur Hérode Atticus (Claval 1998). Une approche que nombre de nos collègues de géographie humaine, qui ont renvoyé déterminisme et possibilisme au rang des vieilles lunes, considèrent depuis longtemps comme désuète et dépassée. Ce n’est manifestement pas le cas pour les historiens, les archéologues et les préhistoriens, dont l’objectif fondamental reste l’Homme, mais que leur confrontation au terrain pour les uns et leur familiarité avec la profondeur du Temps rendent certainement plus sensibles au poids de l’espace et à ses contraintes. C’est, je présume, pour cette raison que les responsables du programme « Archéologie d’une montagne brûlée » ont sollicité cette intervention et souhaité ce texte. Je planterai donc le décor du milieu physique, dans cet espace brûlé et ces territoires où les hommes ont laissé tant de traces révélées par le passage du feu. Puis je m’attacherai à exhumer des cendres du passé une histoire des paysages, en explorant trois échelles de temps. D’abord le temps profond du lointain passé géologique, qui conditionne les grandes lignes du relief. Puis le temps médian du Quaternaire, où les premiers groupes de chasseurscueilleurs ont exploité ces espaces aux ressources variées. Enfin le temps historique des sociétés, qui plonge ses racines dans le Néolithique et offre une perspective de quelques millénaires ; des sociétés agro-pastorales dont l’impact apparaît à l’analyse bien tardif et fugace à l’aune des temporalités terrestres, mais si long et encore bien obscur à celle des temporalités humaines. La montagne brûlée et son cadre : paysages, terroirs et territoires L’espace concerné (ill.1) s’inscrit à la charnière du bassin méditerranéen du Roussillon et de la montagne pyrénéenne, une montagne néanmoins encore largement baignée par les influences climatiques issues de la Méditerranée proche (Calvet 1996 : 698 et suiv.). La zone brûlée se développe au pied des premières crêtes, qui atteignent 1000 m au massif de Roque Jalère, et prend en écharpe la vallée de la Têt, depuis le plateau de Montalba (500 m) jusqu’aux Aspres, en passant par le seuil de Ternère (250 m), limite géographique et géologique du bassin du Conflent. Mais on ne peut se limiter strictement à l’espace sinistré : il faut intégrer un cadre plus large pour comprendre les logiques de ces espaces et de ces territoires. 40 Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre II 2°30 2°15 P. de Sault Corbières 2°45 3° Agly Fenouilledes 42°45 Dourmidou Aude Têt zone d’étude Madrès Roussillon t Tê Capcir Aspres Conflent h c Te Canigou 42°30 Albères Vallespir 25 km 1 - Carte de localisation : le plateau de Montalba dans son cadre géographique, d’après le Modèle numérique de terrain SRTM, 2004, au pas de 90 m. Un relief à trois étages De la plaine du Roussillon à la montagne, les paysages s’organisent simplement, en trois plans étagés successifs, séparés par des escarpements raides et rectilignes (ill. 1, 2 et 3). Le plus bas forme entre 100 et 300 m le plancher des bassins du Roussillon et du Conflent, installé sur leur remplissage détritique néogène et les alluvions quaternaires. C’est, en aval du seuil de Ternère, une véritable plaine très régulière, simplement accidentée par les talus décamétriques séparant les différents niveaux de terrasses étagées ; en Conflent par contre les plans se restreignent à de petites unités discontinues, à Rodès, Vinça, sur la Lentilla, séparées par des collines convexes allongées. La Têt longe étroitement, d’Eus à Millas, un haut talus granitique calé sur la faille bordière majeure qui limite au nord les fossés du Conflent-Roussillon ; cet escarpement rocheux, raide et rectiligne, voit son ampleur augmenter d’est en ouest, passant de 150 à 300 m de dénivelé. Le plateau granitique de Montalba constitue le palier intermédiaire, légèrement basculé de 550 à 300 m d’ouest en est (ill. 4 et 6). Ce vaste plateau est très accidenté, juxtaposant alvéoles, plans de taille hectométrique à kilométrique et bosses rocheuses hautes de quelques mètres à quelques décamètres ; les cours d’eau y inscrivent aussi d’étroites vallées en V à flancs raides, de plus en plus incisées vers les bordures du plateau. Un deuxième talus, plus sinueux, précédé parfois de hauts pitons rocheux comme le Roc del Maure (775 m), sépare le plateau de Montalba des hauts massifs de Roque Jalère. Il semble lui aussi lié au jeu de failles NE-SW (Lagasquie 1984, 1989 ; Calvet 1996), moins clairement toutefois que pour le premier talus. Ces versants, comme le plateau de Montalba, sont hérissés d’un très grand nombre de chaos granitiques et ils donnent accès au palier supérieur. Ce sont de hautes surfaces onduleuses, doucement inclinées au nord-est, entre 900 et 1200 m. Ces lambeaux de plateau sont très dégradés par des vallons concaves affluents de la Desix et eux aussi ponctués de très nombreux chaos de blocs. Au-delà du Pic del Roussillou, ils sont dominés par les croupes convexes assez molles des Quarante Croix (1356 m) à la Serre d’Escales (1724 m), toujours piquetées de chaos, qui contrastent avec celles remarquablement émoussées et régularisées du Dourmidou (1843 m), où l’on retrouve les séries schisteuses du Paléozoïque, identiques à celles des Aspres. L’étagement des milieux bioclimatiques et des terroirs La plaine est le domaine verdoyant des terres irriguées, vergers de pêchers et maraîchage, files de cyprès ou de peupliers en abri du vent, réseau dense et complexe des canaux ; seules les collines du Conflent sont retournées au maquis épineux qui voile mal le lacis des murettes et des terrasses abandonnées du vignoble. Symétriques, Aspres et plateau de Montalba appartiennent encore pleinement à l’étage méditerranéen : la forêt de chênes verts, associés parfois au pin pignon, à sous-bois de cistes, d’arbousiers, de bruyères blanches et d’ajoncs épineux, forme plutôt un taillis dense, souvent un simple maquis, encore largement troué par le vignoble sur le plateau. Sur ces terres sèches la rétraction de l’ager depuis le XIXe siècle est considérable dès que la pente augmente et partout se lisent les traces d’anciens terroirs à travers le réseau des murettes et les vestiges d’olivettes. Géomorphologie d’une montagne brûlée Une hydrologie fantasque Les écoulements pérennes sont rares, sauf tout à l’ouest, plus montagnard. Passé la Têt, qui étale son lit en tresses multiples au débouché de la gorge de Rodès, seuls quelques ruisseaux principaux, Crabayrisse, rivière de Tarerach, Bellagre, ont un écoulement continu à peu près assuré, mais souvent bien maigre. La plupart des talwegs restent à sec une bonne partie de l’année, pas seulement en été mais aussi en semestre hivernal les années sèches. Cependant, lors Sournia 540 P. Aubeil 540 Agly % S. Espinets Desix Avec le massif de Roque Jalère, on entre dans l’étage subméditerranéen, avec des boisements de chênes pubescents, en mélange avec les chênes verts d’abord puis très dominants au-dessus de 800 m. Sur les hauts plateaux apparaissent les genêts et les hêtres de l’étage montagnard, omniprésent dès le Roc des Quarante Croix. La transition est ici très rapide avec les influences océaniques humides et fraîches qui marquent fortement les paysages à l’ouest d’une ligne Mosset-Rabouillet ; en hiver la neige y tient bien plus bas que dans les autres massifs qui enserrent le Conflent. Ce domaine n’a guère abrité d’habitat permanent, hormis le village ruiné de Comes (794 m) et quelques métairies isolées ; mais l’homme l’a pourtant fortement transformé, par une exploitation saisonnière agro-pastorale intense (Sorre 1913 : 352). Quelques escaliers de terrasses y marquent les vallons les mieux exposés, mais l’essentiel est la disparition quasi généralisée, au dessous de 1300 m, du couvert végétal naturel, au profit d’immenses landes à cistes à feuilles de laurier et, plus haut, à genêts. 270 804 Bélesta 670 816 1163 Montalba R. Jalère 1160 1025 R. Couret 862 T0 Tarerach Ille 340 T2 Prades T1 T4 Conflent 2° 30 Riberal T1 42° 40 T2 T2 Vinça Têt Têt 150 466 Arboussols 590 T1 T1 Rodès T1 311 483 Aspres 270 T2 664 2° 40 10 km 2 - Les trois étages du relief, d’après la carte des pentes en pourcentage extraite du Modèle numérique de terrain. Les pentes très faibles des nappes alluviales quaternaires des bassins apparaissent en blanc, celles des plateaux en blanc et vert clair ; les escarpements ressortent en jaune-orangé-rouge, ainsi que les versants des massifs très découpés par l’érosion, synclinal de Boucheville-Serre d’Espinets, Aspres, versant sud de Roque Jalère. des longues sécheresses, le plateau granitique de Montalba recèle en son sein des ressources hydriques inattendues. Le manteau d’altération très épais et, dessous, le granite fracturé renferment des nappes phréatiques permanentes. Elles affleurent dans les fonds de cuvettes où s’étalent en toute saison de surprenantes prairies verdoyantes, ponctuées de bas-fonds marécageux piquetés de joncs (ill. 4). De nombreux puits les exploitent à faible profondeur et elles alimentent à la périphérie du plateau plusieurs sources pérennes, comme celle de Montalba, au nord du village. Les prospections ont révélé de nombreux aménagements de petite hydraulique dans les vallons actuellement secs du plateau, comme celui du ravin de Ropidera, voire sur des replats culminants du Pont de Labau (Passarrius et alii 2007, 188-191). Si les travaux de canalisation des écoulements pour limiter l’érosion sont fréquents, dans ces cas-là une fonction d’irrigation est plausible. Cette fréquence ne doit pas nous faire croire à une abondance passée des eaux plus généreuse. Le Petit Âge de Glace, du XIVe au XIXe siècle, s’est traduit sur les rives de la Méditerranée surtout par une recrudescence des événements pluvieux extrêmes (Grove, Rackham 2001 : 131 et suiv.) ; la légère baisse des températures a pu restreindre l’évapotranspiration, mais la saison sèche estivale n’avait pas disparu et l’irrégularité dans l’alimentation des nappes phréatiques restait la règle. L’étroitesse du plateau de Labau exclut toute source permanente au débit suffisant pour justifier le calibre des canaux décrits ; tout au plus on envisagera, en particulier dans les vallons, une irrigation opportuniste de printemps, pour favoriser la pousse du fourrage ou alimenter de petits jardins. 41 ARCHÉOLOGIE D’UNE mONTAGNE BRûLÉE CHAPITRE II ly ix Ag D es 42 540 540 483 S. Espinet Sournia P. Aubeil 804 670 816 311 466 R. Jalère 1163 270 Belesta Montalba 862 1160 Têt T0 Ille-sur-Têt 150 1025 42° 40 T1 590 Arboussols Rodès T2 T2 Vinça 270 Têt T1 T2 T1 T4 340 664 T2 T4 Prades 1 Aspres T2 2° 40 10 km 2° 30 2 3 a a 4 5 b 6 b 7 T2 8 3 - Carte géomorphologique schématique du domaine étudié. Fond topographique d’après le Modèle numérique de terrain. 1- Série sédimentaire détritique continentale du Miocène inférieur du Conflent. 2- Pliocène marin et continental du Roussillon. 3- Nappes alluviales quaternaires. 4- Restes de la surface d’aplanissement du Miocène moyen sur les granites du plateau de Montalba. 5- Replats d’érosion et alvéoles pliocènes. 6- Principales failles. a : failles inverses et/ou décrochantes de l’orogenèse pyrénéenne au Paléogène. b : failles normales extensives néogènes délimitant les fossés d’effondrement du Conflent-Roussillon. En tireté, failles supposées ou masquées. 7- Formes de relief structurales. a : facettes d’escarpement de faille récent. b : crêts et barres d’érosion différentielle dans les marbres mésozoïques du synclinal de Boucheville. Pour ne pas surcharger, l’escarpement de faille composite du plateau de Montalba, exhumé du Pliocène, n’a pas été représenté. 8- talus de terrasses alluviales et numérotation des niveaux. un espace charnière sur de vieux itinéraires pastoraux Le plateau de montalba occupe une position-clé dans l’organisation de l’espace régional, au contact de la plaine méditerranéenne et des hauts massifs montagneux (ill. 1), une position certainement valorisée par les sociétés agropastorales depuis leurs lointaines origines néolithiques. C’est en effet le chemin le plus direct et le plus facile, en moins d’une trentaine de kilomètres, soit une journée de marche, entre les bas pays et les pâturages d’altitude de la montagne, vers le dourmidou, le madrès et, au-delà, le donnezan et le Capcir. Cette voie de crêtes évite les vallées étroites aux passages en gorge malcommodes et escarpés, comme la Têt et ses affluents ; elle passe à l’écart des vil- lages et de leurs terroirs cultivés, source de conflits entre pasteurs et agriculteurs ; elle est ponctuée de ressources herbagères intermédiaires non négligeables, dès le plateau de montalba puis sur les croupes de Roque Jalère, ainsi que de ressources en eau, sources et ruisseaux, bien plus abondantes et régulières que sur les versants schisteux. Cet axe potentiel de transhumance facile, encore marqué par les carrerades qui escaladent depuis Ille ou Rodès le plateau de montalba, est aussi ponctué de nombreux monuments mégalithiques, menhir de la Peyre drete, dolmens de Lieussanès, de Campoussy, du col de Tribes, de Cortal Fosset..., voire de rochers à cupules ou gravés comme celui des Quarante Croix (Abélanet 1990, 1992). GÉOmORPHOLOGIE D’UNE mONTAGNE BRûLÉE plancher marécageux de l’alvéole relief résiduel (inselberg) aplanissement miocène alvéole de Montalba, excavé dans les granites arénisés sous le plan miocène 4 - Le plateau de Montalba : un aplanissement miocène dominé par des reliefs résiduels et fortement dégradé au PlioQuaternaire, par le creusement de cuvettes dans le granite arénisé. lA Genèse eT l’évoluTIon Du plATeAu De monTAlBA : une plonGée DAns le Temps profonD Cette unité de relief s’inscrit presque exclusivement dans le massif granitique d’âge hercynien dit de millas, une roche gris clair, à gros grains, souvent de faciès porphyroïde avec de grands cristaux de feldspath orthose pluri centimétriques ; il y existe des différenciations non porphyroïdes et de nombreuses enclaves locales de schistes métamorphiques, de gabbros, d’albitites, des filons de microgranite acide et de quartz blanc. une surface d’érosion réalisée au miocène Le plan bosselé actuel du plateau dérive d’une très vieille topographie d’aplanissement réalisée au miocène, au détriment de la vieille chaîne plissée pyrénéenne, née de la collision entre l’Ibérie et l’Europe, du Crétacé supérieur au début de l’Oligocène (soit entre 70 et 30 ma). Les traces de cette collision existent sur la limite nord du plateau, marquée par la faille nord-pyrénéenne qui court de Sournia à millas, par Trévillach et Bélesta et fait la suture entre les deux plaques (ill. 3). Cet accident décrochant-inverse vient chevaucher le synclinal de Boucheville et ses calcaires et marnes mésozoïques, fortement plissés et métamorphisés en marbres et cornéennes noires pendant l’orogenèse pyrénéenne (Fonteilles et alii 1993). On démontre en réalité dans le cadre régional (Calvet 1996) que deux aplanissements successifs se sont développés sur les Pyrénées et leurs restes existent aussi bien sur les plus hauts sommets (plas du madrès, 2400 m, du Campcardos, 2900 m, du Carlit, 2800 et 2200 m, Pla Guillem, 2300 m...) que sur les marges de la chaîne (Corbières orientales, entre 400 et 100 m). Le plus ancien, S0, élaboré à l’Oligo-Aquitanien, a été le plus généralisé et il est conservé toujours en position culminante sur des reliefs résiduels. Le plus récent, S1, est emboîté quelques hectomètres en contrebas, à la suite de jeux de blocs faillés datés du Burdigalien ancien par les dépôts détritiques du Conflent, et il s’est élaboré entre 18 et 10 ma au miocène moyen. C’est ce deuxième aplanissement qui est représenté sur le plateau de montalba ; on le suit vers l’est en continu sur les gneiss de Bélesta, puis sur les calcaires mésozoïques plissés où il est parfaitement conservé en raison de l’immunité karstique, de Latour-de-France à Vingrau, Baixas, Fitou et Port-laNouvelle ; vers l’ouest le plan est disloqué par des failles et soulevé, encore reconnaissable sur le plateau de Séquières (650 à 700 m), plus dégradé sur les hautes surfaces de Roque Jalère (entre 900 et 1200 m). Il faut imaginer il y a 10 ma une topographie de plaine d’érosion bien plus régulière que le paysage bosselé actuel (ill. 4), seulement dominée par quelques buttes ou barres résiduelles isolées et aux flancs raides, des inselbergs, dans les granites acides ou les filons de quartz, et au nord par les dalles calcaires redressées (ill. 3) et les croupes de cornéennes noires du synclinal de Boucheville, toutes roches plus résistantes à l’altération que les granites du plateau. 43 44 ARCHÉOLOGIE D’UNE mONTAGNE BRûLÉE CHAPITRE II une chronologie précise des aplanissements La datation de ces formes relève de méthodes diverses, aussi est-elle maintenant bien assurée (Calvet 1996, Calvet, Gunnell 2008). Ils tranchent toutes les structures plissées pyrénéennes et sont donc postérieurs à la première moitié de l’Oligocène. Le plan S1 dans les Corbières recoupe les sédiments déformés de l’Aquitanien et il vient se raccorder aux dépôts littoraux du miocène moyen. Sur les calcaires ce plan porte de très nombreux gisements de faunes de rongeurs piégées dans les fissures superficielles du karst et datés pour la plupart entre 21 et 10 ma (sites de Baixas, de Tautavel, de Castelnou...). Les sites datés entre 18 et 10 ma renferment d’abondants apports détritiques allogènes, sables et graviers quartzeux, prouvant que ces plans servaient de plan de transport à des épandages fluviatiles depuis la zone axiale et que donc la région était en voie d’aplanissement généralisé. La juxtaposition, à la surface, de sites d’âge très différent démontre aussi la très faible érosion ultérieure de ces plateaux calcaires, extraordinaires conservatoires de paléo formes âgées de 20 à 10 ma. Les secteurs où le plan se développait sur le socle hercynien sont beaucoup moins bien conservés, comme sur le plateau chaotique de montalba ; par contre ces roches renferment des minéraux qui renseignent sur l’histoire de la dénudation érosive. La thermochronologie par les traces de fission, associée aux âges hélium dans les cristaux d’apatite, un minéral accessoire présent dans les granites, fournit l’âge auquel les échantillons de roche maintenant en surface ont franchi les isothermes 110° et 60° dans la croûte terrestre, lors de la dénudation érosive qui a conduit à l’aplanissement des Pyrénées paléogènes ; le gradient géothermique moyen étant de 30° par km, cela implique l’ablation d’au moins 4 km de roches. La méthode a été appliquée aux aplanissements des Pyrénées orientales et en particulier à la région de l’Agly et de montalba (Calvet, Gunnell 2005 ; Gunnell et alii 2008, 2009) ; les âges obtenus et la statistique des longueurs de traces (≥14 µm) démontrent que l’exhumation a été très rapide autour de 35-25 ma et que depuis cette date les échantillons sont à l’affleurement. En croisant nos deux marqueurs, il est donc évident que les aplanissements (S0 principalement) sont achevés après 30-25 ma (âges traces de fission-hélium) et déjà en place lorsque se déposent à leur surface les gisements de rongeurs (particulièrement nombreux entre 18 et 10 ma). Dégradation lente et histoire ultérieure du plateau de montalba Le paysage actuel du plateau traduit une très longue évolution sous le contrôle de deux processus antagonistes. d’une part l’altération chimique des roches, qui produit d’épaisses arènes meubles, plus ou moins évoluées et plus ou moins riches en argiles selon les conditions paléo climatiques, à des rythmes variables aussi selon ces mêmes conditions. Les climats subtropicaux chauds et humides du Tortonien ou du Pliocène ont été très favorables, les phases arides du messinien ou du Pliocène supérieur beaucoup moins, ainsi d’ailleurs que les phases froides quaternaires. Le processus se poursuit activement sous nos yeux, comme pendant tous les interglaciaires tempérés, dans la nappe phréatique qui baigne le plancher des alvéoles. Sa vitesse a pu être mesurée en région méditerranéenne : dans les maures (martin 1987, 1988) l’abaissement du front d’altération serait de l’ordre de 20 à 30 mm/ka, soit 20 à 30 m par ma, mais l’extrapolation linéaire sur la base de la géochimie actuelle des eaux n’est certainement pas licite et le processus doit se ralentir à mesure que le manteau d’altération s’épaissit. Plus généralement d’autres auteurs indiquent que la vitesse d’arénisation, mal connue, serait de l’ordre de 5 à 20 m/ma, seulement 5 à 10 m/ma en zone tempérée à fraîche (migon, Thomas 2002 : 15-19). La tranche d’arènes minimale qui s’est formée sur le plateau peut être estimée à partir du dénivelé entre le plancher des alvéoles et les plus hauts chaos de blocs, soit une cinquantaine de mètres, ce qui implique sur les bases précédentes une durée de 5 ma. colluvions quaternaires remaniant arènes et blocs arène granitique en place volume de roche saine : tor en cours de dégagement 5 - L’altération du granite de Montalba : l’arénisation sableuse pénètre inégalement en profondeur ; à gauche volume rocheux sain en voie d’exhumation (« tor ») par les processus érosifs d’ablation du Quaternaire froid (colluvions solifluées à blocs). Géomorphologie d’une montagne brûlée surface miocène Montalba synclinal de Boucheville pic Aubeil Força Real 7 - Vieilles alluvions quartzeuses résiduelles jonchant l’« oppidum » 1025 de Ropidera. Noter l’émoussé éolien des arêtes et les facettes légèrement concaves des deux cailloux du bas, ainsi que leur forte patine ferrugineuse rouge violacé. 6 - Un tor exhumé des arènes, sur l’« oppidum » 1025 de Ropidera. L’altération préalable a exploité un réseau de diaclases subverticales bien visibles. Au fond, l’aplanissement miocène et ses reliefs résiduels. Le déblaiement de ces arènes se fait beaucoup plus rapidement, au rythme des crises climatiques qui éclaircissent ou éliminent le tapis végétal. La solifluxion, en particulier pendant les périodes froides, entraîne à la fois les arènes et les blocs granitiques qu’elles emballent, comme le montrent des coupes sur la route entre Marcevol et Arboussols (ill 5). Le ruissellement décape plus activement encore ces manteaux meubles et nettoie parfaitement les volumes rocheux sains, qui émergent sous forme de chaos de boules ou de tors en place, lorsque le front d’altération est atteint. Sur le plateau de Montalba, le bilan est depuis longtemps à la faveur du déblaiement, comme le montrent la quasi absence de colluvions quaternaires, l’abondance et surtout l’ampleur des tors ; il s’agit soit de dômes rocheux massifs, présentant parfois à leur surface des dalles d’exfoliation limitées par des diaclases courbes, soit d’empilements géométriques montrant la trace des diaclases orthogonales, élargies par l’altération (ill. 6). L’exhumation des tors et le creusement des alvéoles sur le plateau sont un fait ancien acquis pour l’essentiel avant le Quaternaire, certainement antérieur au Paléolithique inférieur lorsque les hommes y ont semé incidemment quelques pièces d’outillage. On trouve aussi sur le plateau, aussi bien dans les cuvettes que sur les bosses culminantes, des restes démantelés de très vieilles alluvions quartzeuses d’origine locale (ill. 7) ; il s’agit de cailloux parfois roulés, souvent très éolisés, avec un émoussé et un toucher « savonneux » caractéristique, des facettes concaves ; ces cailloux ont acquis postérieurement à leur éolisation un épais cortex ferrugineux, ocre rouge à violacé, qui témoigne d’une très longue altération. Ce type de façonnement est caractéristique des galets des hautes terrasses alluviales du Roussillon (Calvet 1996 : 800-811) et implique un âge qui remonte au moins au début du pléistocène moyen. L’éolisation suppose des vents très violents dans un milieu quasi dépourvu de couverture végétale, pendant des crises froides et sèches du Pléistocène ancien et moyen ; elle a contribué à exporter la fraction fine des arènes et ainsi à surcreuser les alvéoles, expliquant ainsi le caractère fermé et marécageux des cuvettes autour de Montalba. Il existe, sur les dalles et blocs rocheux, des microformes caractéristiques, dont la lenteur avérée de formation confirme l’âge très ancien de l’exhumation des tors. Les taffonis ou alvéoles, sur les faces verticales et à la base des blocs, sont assez rares et peu développés. Par contre les vasques sont très fréquentes sur les dalles subhorizontales ; fonctionnelles, elles abritent périodiquement une flaque d’eau et leur margelle dessine un encorbellement plus ou moins marqué. Il en existe de très anciennes, éventrées par des diaclases ouvertes, basculées avec leur support. Parmi celles qui sont actives, on relève soit des formes circulaires très régulières, dont le diamètre peut dépasser 1 m et le creux minimum au déversoir 0,2 à 0,3 m, mais avec un creux maximum 45 46 ARCHÉOLOGIE D’UNE mONTAGNE BRûLÉE CHAPITRE II compRendRe L’hISToIRe du ReLIeF : L’eScaRpemenT méRIdIonaL du pLaTeau de monTaLBa eT Le cReuSemenT deS VaLLéeS 160 cm 180 cm 8 - Grandes vasques fonctionnelles affectant les tors granitiques (secteur de plateau de la Sybille, Ille-sur-Têt). Leur formation, à l’air libre, par l’eau de pluie, suppose des durées de plusieurs centaines de millénaires. Sur celle de gauche, les restes de trois planchers étagés suggèrent un creusement à des vitesses très variables au cours du temps. métrique (ill. 8), soit des formes multilobées complexes, couvrant plusieurs m², toujours de 20 à 30 cm de creux, par exemple sur le dôme rocheux sud-ouest de l’« oppidum » 1025. On a peu de repères pour quantifier la vitesse d’évolution de ces formes, lente de toute manière. Sur le Carlit, les vasques sur dalles ou blocs abandonnés par les glaciers depuis ≈15 ka sont petites et profondes de 27 à 46 mm, soit 1,8 à 3,06 mm/ka (delmas 1998 : 86-90) ; en Laponie sur 10 ka les valeurs sont de 2 à 3,5 mm/ka (André 1995 : 116-117), comme en Irlande. En Bretagne littorale, où grâce à l’action de l’haloclastie le processus est plus rapide, les platiers éémiens portent des vasques profondes de 200 mm, voire 500 mm, âgées au moins de 100 ka, soit 2 à 5 mm/ka ; à Carnac le creusement des vasques post mégalithiques est de 48 mm au maximum et en moyenne 15 mm/ka (Sellier 1998). Le même auteur fournit aussi des évaluations en volume, plus justes pour apprécier les vitesses de creusement : au plus 2000 à 1600 cm3/ka et en moyenne 300 cm3/ka pour les vasques post mégalithiques. Sur le plateau de montalba, des vasques démantelées atteignent 3 m de diamètre pour un creux métrique ; les plus grandes vasques fonctionnelles atteignent 1,3 m3, soit une durée de vie possible de 600 à 4000 ka. Il est donc clair que les chaos évoluent à l’air libre depuis de très longues durées. Cet escarpement, d’origine tectonique, est étroitement suivi à son pied par le cours de la Têt (ill. 9). C’est une zone-clé pour reconstituer l’histoire du relief ; en effet les dépôts tertiaires et quaternaires, ces « dépôts corrélatifs » qui sont les archives du géomorphologue, sont nombreux et variés et leurs relations géométriques mutuelles, comme avec les roches du socle hercynien, sont particulièrement bien exposées grâce à l’incision des vallées. Plonger dans ces vallées c’est aborder une histoire qui est déjà celle de l’humanité, à peine effleurée sur les plateaux mais qui ici se démultiplie en autant de niveaux de terrasses, où les vestiges d’outillages lithiques témoignent du passage des premiers Homo erectus et de leurs successeurs. le fossé d’effondrement du conflent-roussillon et ses enseignements L’escarpement du plateau de montalba forme la bordure du fossé tectonique du Roussillon et de son annexe du Conflent (ill. 3). Ce secteur est crucial car affleurent ici l’ensemble des séries sédimentaires détritiques qui remblaient ce graben et permettent d’en restituer l’évolution (Guitard et alii 1992 ; Calvet 1996). Elle se déroule en deux grandes étapes. L’étape miocène est exposée par les dépôts du Conflent, qui affleurent à l’ouest de Vinça mais restent profondément enfouis à l’est, sous le Roussillon. La série stratigraphique, visible dans les coupes de la Lentilla, est basculée de 10 à 20° vers le sud-est et épaisse de plusieurs centaines de mètres. Elle débute par les arkoses de marquixanes, qui marquent l’ouverture du fossé à l’Aquitanien (~24 à 21 ma) et viennent reposer en discordance sur le socle granitique au niveau du village d’Eus ; ce sont des sables feldspathiques à passées caillouteuses, qui résultent du décapage torrentiel d’arènes peu évoluées sur le massif granitique septentrional ; du massif des Aspres provenaient au même moment des cailloutis rutilants à éclats de schistes. Ces arkoses, chimiquement peu évoluées (Lagasquie 1984) et envahies par des encroûtements calcaires en grille, témoignent de conditions climatiques semi-arides et chaudes, avec un couvert vé- GÉOmORPHOLOGIE D’UNE mONTAGNE BRûLÉE lambeau de T5 554 m replat pliocène 530 m barrage de Vinça tracé de la faille de la Têt 9 - L’escarpement bordier du plateau de Montalba entre Rodès et Vinça ; calé sur la faille de la Têt, il résulte pour l’essentiel de l’exhumation du contact tectonique entre granites et sédiments néogènes, lors du creusement de la vallée au Quaternaire. gétal discontinu et une érosion active sur les bordures du bassin, peut-être corrélative du façonnement de l’aplanissement culminant S0. La séquence se poursuit avec la formation de la Lentilla, paléontologiquement datée à sa base (Baudelot, Crouzel 1974) du Burdigalien ancien (~21 à 18 ma). Ce sont des cailloutis fluvio-torrentiels à galets bien roulés de schistes et surtout de gneiss, issus exclusivement de la bordure sud du fossé, où le horst du Canigou-Carança se soulève alors très activement, de 1 à 2 km. La preuve en est fournie par le passage latéral de ces cailloutis à des formations torrentielles à méga blocs issues de ce massif, mais aussi à de grands paquets de roches plurihectométriques glissés depuis le massif dans le bassin de sédimentation (des olistolites), alors que la bordure nord du bassin, peu soulevée, ne fournit pratiquement plus de matériaux détritiques. La mer miocène a pénétré dans le bassin du Roussillon, sans en atteindre toutefois les bordures occidentales ; ses dépôts s’accrochent aux marges des Corbières maritimes et ont été retrouvés en sondage à 900 m de profondeur sous Canet-en-Roussillon ; le maximum transgressif se place au miocène moyen (~16,3 à 15 ma), avant une longue régression pendant laquelle se parachève l’aplanissement S1 du plateau de montalba. L’étape pliocène est précédée par un hiatus sédimentaire ; une phase tectonique déforme assez fortement les matériaux miocènes et l’érosion inscrit dans l’axe du bassin une profonde paléovallée, classiquement mise au compte d’une puissante érosion régressive contrôlée par l’abaissement drastique du niveau de la méditerranée au messinien (~5,8 à 5,4 ma). Le retour brutal de la mer au tout début du Pliocène transforme cette vallée en ria (Clauzon, Aguilar, michaux 1987), très rapidement comblée par les apports détritiques d’une montagne alors en pleine phase de surrection et d’érosion. Les argiles bleutées et les sables gris marins ou deltaïques se suivent de millas jusqu’à Vinça et ils sont surmontés par d’épais cailloutis fluviatiles grossiers, de teinte ocre, qui forment en particulier les collines à l’est de Vinça et de Rodès, ainsi que les grands escarpements des Orgues d’Ille. manifestement le dépôt de cette série, qui s’achève vers 3,8 à 3,5 ma, est contemporain d’un rejeu de la faille bordière, comme le démontrent des déformations synsédimentaires. L’abondance des apports sableux arkosiques issus du massif granitique exprime le creusement principal des grandes alvéoles qui défoncent le plateau de montalba, comme ceux de Trévillach et de Tarerach ; leur plancher aplani se suit jusque sur le rebord de l’escarpement où il forme des replats perchés (ill. 9) initialement en continuité avec le toit de la sédimentation pliocène. un escarpement de ligne de faille exhumé et faiblement réactivé par la tectonique récente La tectonique de faille récente est de style complexe, associant ou faisant se succéder décrochement, extension et compression ; le jeu décrochant de la faille bordière ou faille de la Têt est de type senestre, en bon accord d’ailleurs avec les mécanismes au foyer des séismes actuels (Goula et alii 1999 ; Calvet 1999). Sur cette bordure nord du fossé, l’essentiel de la déformation semble pré et syn Pliocène inférieur. La tectonique post pliocène est 47 48 Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre II 256 m terrasse T5 Pliocène marin deltaïque faille N 45°, stries 20° SE Pliocène continental fluvio-torrentiel 244 m T5 7°NW 10 - Les Orgues d’Ille-sur-Têt et la déformation tectonique du Pliocène. Dans le compartiment de droite, le Pliocène marin est sous le lit de la Têt, surmonté par les couches continentales ocres ; le rejet total de la faille est donc de plus de 100 m ; mais le décalage postérieur à la haute terrasse T5 est beaucoup plus faible. Dans ces roches meubles, les ravinements (« bad lands ») sont très actifs. attestée par le basculement de toute la série de 7° nordouest dans la grande coupe des orgues d’Ille, hachée par des failles à jeu senestre-normal (ill. 10) ; ces failles semblent avoir joué encore après le dépôt de la haute terrasse T5, qui couronne les Orgues à Matte Rodone et dont la base est décalée d’une dizaine de mètres. Au total cette déformation, qui soulève le plateau de Montalba par rapport au bassin, voit son rejet augmenter vers l’ouest, comme le montrent les replats fini pliocènes de plus en plus perchés sur la bordure de l’escarpement, de 280 m sur la Crabayrisse à 450 m face à Vinça. Mais sa valeur est au plus d’une centaine de mètres à l’ouest. C’est dire que, pour une bonne part de son dénivelé, l’escarpement bordier du plateau de Montalba résulte du creusement facile de la vallée de la Têt dans les sédiments meubles du fossé. Ce creusement a exhumé l’escarpement tectonique initial, fossilisé par le Pliocène, et moins du tiers de la hauteur du talus correspond à des rejeux tectoniques récents. Initialement installée sur le plan composite d’érosion et d’accumulation fini pliocène, à peu près à l’aplomb du contact faillé, la Têt, en s’enfonçant sur place pendant le Quaternaire, a localement inscrit sa vallée dans le substrat granitique (ill. 3). C’est ainsi, par surimposition, que s’expliquent les petites gorges épigéniques de la Guillera (Rodès), de Saint Pierre, site du barrage de Vinça, et du pont de Tarerach. Les étapes du creusement quaternaire des vallées Pour une analyse détaillée des terrasses et de leur bibliographie on renverra à Calvet 1996 : 541-545, 639-641, 745-823. La plus haute terrasse, numérotée T5 (Matte Rodone, 244 m, ill. 10), est surtout bien représentée en aval, à Mas Ferréol, Baixas, Cabestany et Canet ; vers l’amont, un jalon démantelé existe au dessus du pont de Tarerach, à 340 m, et des lambeaux dans le bassin de Prades ; sur la colline de Rodès des gros blocs et d’abondants galets de quartz rubéfiés en dérivent, tapissant le Pliocène sur les versants et ponctuellement la crête. Cette nappe alluviale est profondément altérée, rubéfiée et ses galets transformés en arènes, à l’exception des quartz ; on l’attribue au Quaternaire ancien sans plus de précision, peut-être vers 1,5 Ma. Elle correspond à un stade où la Têt était encore peu encaissée sous le plateau de Montalba (150 m au droit d’Ille et 60 m sous le replat fini pliocène) et où les gorges épigéniques n’existaient pas encore ; la rivière construisait alors un vaste épandage formé par des chenaux en tresses, largement étalé du Conflent au Roussillon et coalescent à l’aval avec les épandages du Réart et du Tech. L’essentiel du creusement de la vallée, 120 m, est postérieur à T5. Cet enfoncement s’est fait par saccades, marqué par des arrêts et la construction de nappes alluviales (ill. 3) pendant les principales phases froides du Quaternaire, en phase avec le développement de glaciations dans la montagne, dans un contexte de soulèvement GÉOmORPHOLOGIE D’UNE mONTAGNE BRûLÉE 1m 11 - Nappe alluviale quaternaire T2 (Riss) à la butte des Escatllars. Altération assez générale des galets et coloration rouille vif. tectonique d’ensemble qui explique l’étagement de ces niveaux de terrasses. Les étapes les plus anciennes sont peu ou pas représentées sur notre secteur ; ce sont toujours des alluvions caillouteuses profondément altérées et rubéfiées. T4 forme en amont, vers +100 m, le vaste plan qui porte en rive droite de la Têt les villages de Llonat à Sirach, relié au cône de piémont de Fillols, nourri par le massif du Canigou ; Llech et Lentilla ont construit un cône similaire dont il reste un lambeau au dessus de Finestret. T3, qui est très étendu en Roussillon et démultiplié en quatre nappes faiblement emboîtées (terrasse de la Llabanère), n’est ici jalonné, vers +60 m, que par un petit lambeau accroché au flanc est de la colline de Rodès, au dessus de la chapelle Ste Anne, ainsi que par un témoin construit par la rivière de Rigarda et conservé à 270 m, sous domanova. À ce stade il est possible que les écoulements aient difflué par le col de Ternère, même si l’essentiel s’engouffrait dans la gorge de la Guillera. Les basses terrasses sont mieux conservées dans notre secteur. La nappe T2, aux galets déjà fragilisés ou en partie arénisés (ill. 11), offre une matrice ocre vif encore peu argilifiée et porte des sols rubéfiés. En aval de Rodès elle forme surtout le grand plan de Corbère-Thuir ; elle est conservée à +35 m sur la butte des Escatllars, au Pont de Vigne et, en rive gauche, sous forme de quelques lambeaux accrochés au versant granitique. Vers l’amont, T2, porte Vinça et la gare de Prades ; il se raccorde à un épais cône affluent sur le Rigarda et surtout au grand cône de piémont de Vinça, construit par la Lentilla. L’épaisseur de toutes ces nappes est de l’ordre d’une dizaine de mè- tres et elles coïncident avec une phase d’englacement majeure en montagne, assimilable au Riss. La nappe T1 est de teinte grise, à matrice sableuse et présente des galets sains en grande majorité ainsi qu’un sol brun clair, caractères qui permettent de l’individualiser très clairement et de la rapporter au Würm. En aval de la gorge de Rodès elle s’étale très largement vers Bouleternère, enserrant la butte isolée des Escatllars, et elle porte la ville d’Ille, où elle se tient à +20 m. Au débouché de la gorge elle est à +30 m et son incision s’est faite par étapes, avec un palier vers +20 m et un autre plus étroit encore à +15 m (site de mas Polyroc). En amont, T1 forme au moins deux paliers dans le bassin de Rodès, le plus haut en rive gauche portant le site moustérien des Anecs (Abélanet et alii 1985 ; Blaize 1990), ce qui confirme son âge wurmien. T1 constitue le plan principal du bassin de Prades ; les affluents issus du Canigou ont construit d’importants cônes de piémont, néanmoins subordonnés à T2 qui fait figure d’événement majeur : ceux du Llech-Lentilla diffluent autour de la colline isolée du Serrat d’en moulins, en deux paliers étagés. La nappe T0 correspond au lit majeur actuel de la Têt, largement remanié à chaque crue exceptionnelle comme celle de 1940, qui s’est étalée sur 500 à 700 m à partir d’Ille, effaçant à peu près toute trace des épisodes plus anciens dans ce secteur de vallée. Les deux dernières crises froides contemporaines de T1 et T2 ont laissé peu de traces sur les versants dans les bas pays et on en a déduit, au moins pour le Würm, une morphogenèse périglaciaire très modérée, en raison de milieux relativement préservés dans ces bassins méditerranéens abrités (Calvet 1996 : 819-823). dans le secteur qui nous occupe ici, les versants raides granitiques ont nourri quelques tabliers d’éboulis de gravité, alimentés par les pinacles rocheux instables, et les convois limoneux à blocs, de style périglaciaire et d’âge würmien, ne deviennent fréquents qu’au dessus de 600 à 700 m. Plus bas, les vallons et les pieds de versant sont parfois tapissés par des colluvions à blocs extrêmement altérés, pulvérulents parfois, gage d’une grande ancienneté. La coupe de la route d’Arboussols, à la cote 319, suggère leur raccord avec T3, en bon accord avec leur état poussé d’altération. La conservation de ces matériaux fragiles sur ce versant granitique raide implique une très faible efficacité des morphogenèses postérieures. Les collines taillées dans le Pliocène sablo-caillouteux, autour de Rodès et Vinça confortent cette image. 49 50 ARCHÉOLOGIE D’UNE mONTAGNE BRûLÉE CHAPITRE II qu’on ne l’imagine, fréquemment balafrés de ravines, mais dont on démontre le fonctionnement quaternaire bien antérieur aux premières civilisations agropastorales. A 2 lessivé Bt argileux polyédrique 12 - Vieux sol fersiallitique sur les versants convexo-concaves des collines taillées dans le Pliocène de Rodès. En effet ces formes convexo-concaves (ill. 14), raccordées systématiquement aux restes de terrasse T2, portent une couverture continue de sols rouges fersiallitiques (ill. 12), très évolués, et dont le développement implique au moins un âge éémien, anté würmien. Leur conservation témoigne de l’inertie considérable de ces versants, dont la pente peut dépasser 20°, qui ont non seulement résisté à l’érosion anthropique holocène et historique, mais aussi à celle de toute la période froide würmienne. le Temps Des hommes eT Des socIéTés, érosIon eT DynAmIQue Du pAysAGe paysages méditerranéens et mythe du paradis perdu Les paysages méditerranéens relèvent trop souvent encore d’une interprétation mythique, forgée par les poètes et les écrivains depuis l’Antiquité jusqu’au XVIIIe siècle et récupérée ensuite par le discours scientifique, celle d’un âge d’or verdoyant et fertile, irrémédiablement dégradé par l’insouciance des hommes (Grove, Rackham 2001 : 8-23). Illusion tenace, qui réside dans l’ambiguïté de ces paysages aux formes spectaculaires, soumis à des manifestations météoriques violentes ; en fait mosaïque de milieux évoluant à des vitesses très variables, dans le temps comme dans l’espace, et qu’il faut se garder de considérer à l’aune seule de l’histoire des sociétés. Apparences trompeuses de ces espaces, souvent rocailleux, mais depuis bien plus longtemps Des marques d’érosion souvent spectaculaires, mais très localisées Certes, dans notre domaine, l’érosion récente et actuelle laisse apparemment des blessures vives évidentes, en particulier dans les roches meubles du remplissage tertiaire du bassin, dans les collines de Vinça, de Rodès, d’Ille et de Néfiach. Les bad lands les plus spectaculaires, comme ceux des Orgues d’Ille (ill. 10 et 13) et de Néfiach, montrent des torrents élémentaires encore très actifs, dont les cônes s’édifient rapidement à chaque averse automnale et envahissent régulièrement la route de Casesnoves. mais ces formes ont aussi une longue histoire quaternaire, sur ces versants très raides constamment ravivés par le sapement de la Têt, dont le cours d’Ille à millas glisse vers le nord, comme le montre le dispositif des nappes quaternaires T2 à T0, échelonnées du sud au nord. (ill. 3) Beaucoup de ravines, par exemple celles de la colline de Rodès (ill. 14), sont beaucoup moins actives qu’elles en ont l’air. Leur plancher est fixé par une dense végétation arborée et des chênes centenaires ; les cônes de déjection qui en sortent sont à peu près éteints, densément occupés par des terroirs agricoles anciens toujours exploités ; la chapelle Sainte-Anne, attestée au moins depuis le XVIe siècle dans son état actuel et pourtant située au débouché d’un bassin versant de 1 km² très raviné, à l’est du col de Ternère, ne montre aucun signe d’enfouissement. Ajoutons que ces ravines, très localisées, n’ont pas réussi à faire disparaître de très vieux héritages, comme les versants convexo-concaves et leurs sols rouges fersiallitiques, pourtant bien fragiles. Il s’agit donc de formes quasi figées, malgré leurs apparences vives, et dont le fonctionnement épisodique a pu s’initier au cours du Würm, comme le montrent les relations géométriques du ravin de Bourbona avec les lambeaux de T2 qui encadrent son débouché ; il est clair que là un vallon würmien aux flancs émoussés précède et prépare le bassin torrentiel actuel. Les parois amont nues et subverticales de ces ravins suggèrent un recul rapide, qui peut s’avérer une illusion, comme le montre l’examen soigneux de quelques vieux terroirs de vignoble abandonnés, sur cette même colline de Rodès où l’incendie de 2005 est passé. des ravines de 1000 à 2000 m3 mordent sur les alignements Géomorphologie d’une montagne brûlée ravine aménagée avec murettes (détail ci-dessous) 13 - Vue aérienne des Orgues d’Ille : ravinements actifs dans les sédiments pliocènes meubles et cônes torrentiels sablo‑caillouteux recouvrant régulièrement la petite route de Casesnoves ; au fond, le lit de la Têt et ses chenaux multiples en tresses. ravin de Bourbona ravin Naret ravin de de Naret ravin de Bourbona ravine aménagée avec murettes (détail ci-dessous) lambeau de T2 14 - Érosion ravinante dans le Pliocène de la colline de Rodès, face est. Des formes peu actives et bien antérieures à l’aménagement du vieux terroir de vignoble maintenant abandonné. Sur la photo du bas on note que les murettes s’adaptent au tracé de la ravine rectiligne. de murettes, dans le ravin de Naret. Mais, en réalité, les ravines précèdent largement l’aménagement de ce terroir, car on voit localement ces systèmes de murettes contourner les ravins, voire aménager en banquettes leur partie amont moins incisée, pour les stabiliser (ill. 14). 51 52 Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre II En fait, depuis l’abandon du terroir, soit au moins un demi-siècle, les ravines n’ont fait que s’élargir un peu, d’une valeur métrique ; mais ce n’est pas l’abandon du terroir et le non entretien des murettes qui les a initiées. Des paysages stables sur le long terme Plateau et escarpement granitique participent très largement des paysages que le géomorphologue nomme « insensibles », selon la terminologie anglo-saxonne (mise au point in Giusti, Calvet, Gunnell 2008), c’est-à-dire peu susceptibles de s’ajuster rapidement et complètement aux paramètres du complexe morphogénétique ambiant. Pourtant, sur les versants granitiques, il y a d’indiscutables traces d’érosion ponctuelles. On n’insistera pas sur les quelques ravines de profondeur métrique qui affectent les arènes et leur couverture discontinue de colluvions würmiennes, assez fréquentes sur les hauts versants du massif de Roque Jalère, sous un couvert très dégradé de landes à cistes. Par contre les chemins qui gravissent l’escarpement du plateau de Montalba permettent quelques observations quantitatives qui aident à fixer la vitesse et les rythmes d’incision des formes d’érosion ravinantes, ici clairement d’origine anthropique. La carrerade qui mène de Rodès au plateau est transformée en chemin creux sur une bonne partie de son tracé, d’autant mieux qu’elle s’inscrit dans un talweg élémentaire préexistant. L’enfoncement dans les arènes est d’ordre métrique ; il atteint ponctuellement 2 m pour toute la période antérieure au XIXe siècle, auquel on peut rapporter raisonnablement le dernier état ou la dernière réfection systématique du pavage de galets qui en tapisse le fond. Depuis la destruction du pavage et donc sur un siècle au plus, l’incision atteint en moyenne 20-30 cm, très localement 80 cm. À ce rythme moyen il a suffi de 500 à 1000 ans pour creuser ces chemins. Le décapage aréolaire des sols cultivés, sur plusieurs décimètres, est localement attesté, autour du village de Ropidera par exemple, par la mise à nu de traces de socs d’araire sur les dalles rocheuses schisteuses. Par ailleurs des terrasses de culture à murettes en très gros blocs alignés, attribuées par M. Martzluff (in Passarrius et alii 2007, ch. IX, 162‑165 et vol. 2 fig. 29, 30) aux premiers aménagements de terroirs médiévaux et datables des XIIIe-XVe siècles, ont été totalement vidangées de leur remblaiement cultivable, sur 60 cm au moins à l’aval de la parcelle aménagée. Mais il faut se garder de généraliser ces observations ponctuelles, comme le montrent des espaces beaucoup plus vastes, où l’on peut établir des bilans de l’érosion des sols sur de très longues durées. Sur l’escarpement raide du plateau, à toutes hauteurs, il reste d’importants volumes d’arènes meubles, que laissent voir les murettes de culture éboulées. Ces murettes, datées en général ici du XIXe siècle, sont d’ailleurs souvent fondées sur le substrat arénisé et non sur la roche en place saine. Sur le plateau, on est frappé par l’abondance et l’extension spatiale des sites superficiels de l’âge du Bronze jonchés de tessons, même sur les pentes du chaos de l’« oppidum » 1025 de Ropidera, où ils sont souvent de grande taille : leur préservation implique évidemment un décapage insignifiant par le ruissellement sur ces versants, depuis l’occupation des sites, datée du Bronze ancien au Bronze final (2200‑700 av. J.‑C.) (Vignaud, in Passarrius et alii 2007 : 69-74 et vol. 2, IV, cartes 1 et 2), soit depuis 4000 ans. Sur le même mode et pour une durée plus brève, il faut relever l’abondance de débris de poterie médiévale, présumés épandus sur les parcelles cultivées avec la fumure et toujours en place, sur certains sites des secteurs de Ca del Mach - Roc de Sabardanne, comme près du village de Ropidera (Passarrius et alii 2007 : 192, 196, 210 et carte vol. 2, X-6). La contre-épreuve est fournie par les vallons et les dépressions fermées du plateau, qui n’auraient pas manqué de piéger d’épais dépôts colluviaux si l’érosion hydrique des versants proches avait été très active. Or cela n’est apparemment jamais le cas, puisque aux marges des cuvettes, voire en leur centre, le substrat granitique apparaît sous forme de chaos de blocs ou, dans la moindre entaille de fossé, d’arènes et d’éclats de roche que les labours des parcelles de vigne immédiatement contiguës aux prairies marécageuses ramènent en surface. Seuls des sondages systématiques au cœur des prairies humides pourraient en dire plus. Les rares coupes des vallons drainés, par exemple celui de Bosc Nègre dans le secteur des Balmettes, où le plan alluvial est large de quelques décamètres, n’exposent que 1 à 1,5 m de dépôts sur le substrat granitique, chenal de cailloux mal roulé à la base et dessus arènes sablo-graveleuses remaniées, en lits plans alternativement fins et plus caillouteux, le tout n’ayant pour le moment livré aucun indice chronologique. Géomorphologie d’une montagne brûlée 15 - L’érosion hydrique postérieure à l’incendie de 2005 sur les versants d’arènes granitiques. Le liseré clair donne la mesure du décapage par ruissellement diffus. La formation d’un pavage de graviers, bien visible sur la photo, a limité l’ablation. Les effets modestes d’un incendie catastrophique Les incendies méditerranéens sont réputés décupler l’activité de l’érosion hydrique ultérieure (Martin et alii 1997). Celui d’août 2005 a été très sévère et suivi par un automne très pluvieux, avec en novembre une violente perturbation méditerranéenne, dont l’épicentre était dans les Corbières, mais qui a délivré dans le secteur concerné ici entre 50 et 100 mm en 24 heures, soit à la fois de forts cumuls et de fortes intensités, même si l’on reste loin des records régionaux. Aucune étude systématique et quantifiée de la morphogenèse hydrique, sur site expérimental, n’a été menée à la suite de l’incendie, mais un certain nombre d’observations qualitatives significatives ont pu être faites, aux deux printemps suivants. Les marques érosives fraîches, en particulier les ravinements, étaient relativement rares et discrètes dans l’espace brûlé. Certes, les talwegs élémentaires de l’escarpement bordier ont été ravivés. Mais sur les versants eux-mêmes, que se soient les collines dans le Pliocène de Rodès ou les plages d’arènes meubles des pays granitiques, les rigoles élémentaires restaient exceptionnelles et discontinues, longues au plus de quelques mètres et profondes de quelques centimètres pour une largeur d’une dizaine. Des formes très fragiles, comme des bermes de terre aréneuse surmontant les murettes de culture perpendiculaires au versant (par exemple sur la pente est de l’« oppidum » 1025 de Ropidera), ont été intégralement conservées et non échancrées de rigoles. Dans certaines des brèches de ces murettes écroulées, qui logiquement devaient canaliser des flux hydriques plus puissants, le cerne de suie noire laissé par l’incendie sur les blocs jusqu’à leur base montrait l’absence d’ablation postérieure. Sur des panneaux de versant arénacés plans, inclinés à 10-15°, le pavage de graviers et cailloux noircis par l’incendie et jonché de fragments de branches, écorces et brindilles calcinées, démontrait l’absence d’ablation. Un décapage épidermique de 2 à 3 cm au plus a affecté des secteurs limités, en particulier sur des ruptures de pente entre terrasses, comme le démontrait un cerne blanc centimétrique sous la bande de suie des cailloux enchâssés dans le sol (ill. 15). Cette résistance à l’érosion des substrats arénacés semble confirmée par les données quantitatives obtenues sur parcelles expérimentales dans un site proche, à 1100 m sur le versant nord du massif de Roque Jalère, sous lande à callune (Faerber, Emilian soumis). Les parcelles soumises à un brûlage n’ont pas vu leur érosion augmenter significativement par rapport aux parcelles non brûlées et, toutes parcelles confondues, les pertes en terre ont été de 46 t/km²/an sur deux ans, pour un site, et de 26 t/km² sur 10 mois pour l’autre site. En prenant une densité de 1,7, cela donne des tranches érodées de l’ordre de 15 à 27 mm par millénaire : sur ces bases et en contexte végétal très dégradé permanent, il faudrait 660 à 370 millénaires pour décaper une couche d’arènes de 10 m. On est très loin des 800 à 1600 t/km² annuelles mesurées sur parcelle expérimentale en gneiss, dans les Maures, les trois années qui ont suivi un incendie, mais du même ordre que les 31 t fournies la quatrième année par cette même parcelle (Martin et alii 1997). La présence de pavages caillouteux en surface (ill. 15) explique pour une bonne part cette résistance à l’érosion ; on notera d’ailleurs que l’incendie a contribué à améliorer ce pavage, en produisant en grande abondance des éclats et des écailles au détriment de la base des parois et des blocs granitiques des chaos. 53 54 Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre II Conclusions : entre nature et culture, la stabilité des paysages morphologiques Face à l’image commune, mais fausse ou abusivement simplificatrice, d’une érosion continue dans l’espace et dans le temps et de son agressivité particulière dans les régions méditerranéennes, cette réflexion sur les territoires de l’incendie de 2005 dans la longue durée géomorphologique permet de proposer un cadre conceptuel plus réaliste et plus opérationnel à ceux, historiens ou archéologues, qui tentent de reconstituer la trajectoire temporelle et la logique des sociétés dans un espace concret donné. Les territoires des hommes sont avant tout des milieux, des systèmes naturels et anthropisés complexes et évolutifs, dont la logique et la dynamique ne peuvent se comprendre sans une approche globale et multiscalaire, qui prenne en compte et mette en perspective toutes les temporalités des paysages. Le faisceau d’observations rassemblé ici a mis l’accent, parfois d’une façon volontairement provocatrice, sur la stabilité relative de ces milieux. Les concepts de la Landscape sensitivity, dont relèvent ces paysages que l’on a qualifiés plus haut d’insensibles, sont relatifs et très dépendants des échelles spatio-temporelles considérées (Giusti, Calvet, Gunnel 2008 : 210-211). Pourtant, dans notre domaine, la stabilité est, assez exceptionnellement et sur une large partie de l’espace considéré, une réalité qui s’exprime à travers une très large gamme d’échelles spatio-temporelles : du temps immédiat de la saison pluvieuse au temps pluriséculaire des parcelles médiévales et plurimillénaire des sites superficiels du Bronze, du temps médian des vieux versants à sols rouges et des chaos granitiques exhumés et troués de vasques (quelques centaines de millénaires) au temps profond des surfaces d’aplanissement (quelques millions d’années). Le résultat est une mosaïque très fine, ou plutôt un palimpseste d’unités topographiques diachrones et multidimensionnelles, dont la stabilité et la conservation demandent explication. On cherchera d’abord du côté des facteurs naturels, seuls en cause pour les évolutions quaternaires et plus anciennes, que l’on ne considèrera pas ici en détail car d’un intérêt strictement géomorphologique. La conservation des fragiles volumes de granites arénisés jusque sur les versants raides se comprend mieux à la lumière de la géométrie du bâti lithologique. Il alterne en effet des bandes subverticales de granites acides ou très massifs peu altérables et des bandes très altérables où l’arénisation a pénétré très profondément et qui sont ainsi protégées de l’ablation, d’autant que les bandes résistantes sont subparallèles à l’escarpement du plateau. La résistance de ces arènes à l’érosion hydrique, comme des versants sur cailloutis néogènes dans le bassin, répond aussi à leur forte perméabilité, qui favorise l’infiltration et limite d’autant le ruissellement ; ajoutons la formation facile de pavages superficiels de graviers et de cailloux, par départ des éléments fins, qui immunisent rapidement ces milieux vis-à-vis du ruissellement diffus et stabilisent même le plancher des rigoles. Dans ce milieu climatique subhumide et sur des roches imperméables où les réserves hydriques sont non négligeables, même un maquis bas mais dense constitue une protection efficace vis-à-vis de l’impact des averses et du ruissellement ; mousses et lichens fixent souvent le substrat minéral sous ces couvertures végétales. D’autre part il faut insister sur la rapidité de la repousse après les incendies : dès l’automne et l’hiver, un dense tapis herbacé s’est mis en place et moins de deux ans après le feu la multiplication des plantules de cistes était spectaculaire, ainsi que le reverdissement des souches de bruyère blanche, des chênes verts et des oliviers. Mais le résultat des travaux de prospections archéologiques et d’archive consacrés au secteur (in Passarrius et alii 2007 : 208-215) apporte aussi une riche moisson de faits et permet de proposer quelques hypothèses quant aux responsabilités des hommes. En effet le domaine granitique en particulier n’a subi qu’une anthropisation à éclipses et/ou peu agressive. La colonisation dense de l’âge du Bronze est marquée par un pastoralisme extensif sans traces d’agriculture ; une lacune quasi-totale marque l’âge du Fer et l’Antiquité, voire le haut Moyen Âge. L’habitat permanent médiéval n’est attesté qu’au village de Ropidera, sans habitat intercalaire isolé, des environs de l’an mille jusqu’au cours des XIVe‑XVe siècles où il est abandonné ; les activités agricoles y semblent localisées à certains terroirs seulement et associées à un pastoralisme, avec développement de vastes devèzes encloses. La mise en culture intensive et généralisée, pour la vigne et l’olivier en particulier, n’intervient qu’au XIXe siècle, mais elle n’a guère duré plus d’un siècle. On doit aussi mettre l’accent sur l’ampleur des travaux pro- Géomorphologie d’une montagne brûlée tecteurs réalisés sur les versants, qui ont remarquablement résisté et joué pleinement leur rôle. Des murettes de style cyclopéen suivent apparemment les premiers défrichements médiévaux, peut‑être à la suite de déboires érosifs constatés et en phase avec les prémices du Petit Âge de Glace si l’on accepte la datation XIIIe-XVe siècles proposée par M. Martzluff ; leur vidange locale par l’érosion prouve qu’elles n’ont fait que retarder le processus, ce qui est déjà positif. Au XIXe siècle c’est tout le paysage qui est aménagé en terrasses, avec des murettes soignées et tout un réseau de drainage canalisé et organisé. Le devenir de ces aménagements est évidemment incertain, mais ils ont tenu pour l’essentiel le choc de l’abandon et permis le retour à un couvert végétal subnaturel dense et protecteur. En définitive, dans ces territoires en perpétuelles mutations, l’idée de paradis perdu est bien un mythe et les responsabilités des hommes autrement moins lourdes que l’on a coutume de le dire. 55 Deuxième partie Les premières occupations humaines chapitre III Nouveaux jalons sur le peuplement paléolithique du bassin moyen de la Têt, entre Roussillon et Conflent Michel Martzluff avec la collaboration de Sabine Nadal Introduction L’intérêt de cette étude réside surtout dans sa dimension géographique. En effet, l’incendie de l’été 2005 a balayé trois types de milieux dans un secteur qui, depuis 130 m d’altitude au droit d’Ille-sur-Têt jusqu’à 530 m au sommet de la Cougoulère, face à Vinça, constitue la frontière géographique et historique entre la plaine du Roussillon et les premières vallées encaissées pénétrant les massifs montagneux du Conflent. Au centre de l’aire étudiée (ill. 1 et 2), la plaine alluviale de la Têt peut se scinder en deux unités. Vers l’amont, en Conflent, les replats des terrasses quaternaires de Vinça et de Rodès forment de petits bassins enfoncés dans des collines sédimentaires qui barrent la vallée et la compartimentent. Ces éminences culminent vers 300 m d’altitude et témoignent de puissants épandages détritiques du Tertiaire dans le fossé d’effondrement de la Têt. Déporté contre la faille qui borde le socle granitique, le fleuve s’est enfoncé dans des verrous rocheux, l’un au barrage de Vinça, l’autre dans les gorges de La Guillera et ces épigénies réalisées pendant le Quaternaire ont contribué à mieux fermer les dépressions que forment les bas niveaux de terrasses logées le long des cours d’eaux tributaires venant du Canigou. C’est donc vers l’aval, à l’issue du défilé de La Guillera et du col de Ternère sur les communes d’Ille-sur-Têt et de Bouleternère, que s’étale la plaine du Roussillon. Les bonnes terres arables dévolues à l’arboriculture sur ces terrains plans sont encadrées par de l’aspre, c’est-àdire aujourd’hui par d’inextricables maquis qui se développent à partir des premiers versants abrupts, puis par de vastes friches parsemées de quelques vignes encore cultivées qui se trouvent sur le plateau granitique de Montalba-Tarerach, vers le nord ou encore, vers le sud, sur les éminences calcaires et schisteuses qui dominent Bouleternère. Ces prospections furent donc l’occasion d’approcher au plus près une large bande de terrain située en travers du bassin moyen de la Têt et de l’axe de la principale voie de pénétration des massifs montagneux du Canigou et du Madres, au débouché du fleuve majeur des PyrénéesOrientales dans la plaine littorale du Roussillon, un bas pays qu’il a d’ailleurs largement contribué à former (Martzluff 2007a). Pour notre part, elles avaient pour objectif principal de tester le potentiel archéologique concernant les temps paléolithiques sur les différentes unités de relief, en fonction d’un cadre chrono-culturel déjà bien établi sur la très longue durée dans la région (Martzluff 2006). Concernant les périodes les plus anciennes, au Paléolithique inférieur, il s’agissait de mieux comprendre pourquoi les vieilles industries taillées dans le quartz, celles qui jonchent abondamment la surface des vieilles terrasses du Quaternaire près du littoral, disparaissent brusquement au seuil des premiers contreforts montagneux. 1 - Zones profondément remaniées en sous sol (DAO M. Martzluff ). 60 Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre III 2 - Terrains quaternaires et répartition des industries lithiques paléolithiques (DAO M. Martzluff ).. 2 Le peuplement paléolithique 61 62 Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre III Ces recherches offraient enfin la possibilité de discuter des résultats déjà publiés, en particulier de l’épineuse question d’une homogénéité des industries archaïques « pré-acheuléennes », ainsi que de l’absence problématique de vestiges des campements de plein air pour toute la durée du Paléolithique supérieur et de l’Épipaléolithique-Mésolithique, une lacune qui couvre environ 25 millénaires et qui est désormais avérée dans la plaine du Roussillon (Martzluff 1998). I - Historique des recherches et bornes méthodologiques des travaux de terrain La plaine alluviale comprend plusieurs niveaux de terrasses étagées depuis le lit majeur de la Têt, étroit et très encaissé à cet endroit, jusqu’à de discrètes reliques sédimentaires conservées haut perchées sur les versants, 100 m plus haut. Certains de ces dépôts avaient déjà livré des industries paléolithiques bien avant nos recherches, dès 1968, en particulier dans le bassin de Rodès (Blaize 1985a). C’est ainsi qu’avait pu être clairement identifié un gisement moustérien de plein air, détruit lors de la création du barrage de Vinça, mais aussi que des industries d’allure archaïque avaient été mises en relation avec la « Pebble culture » des vieilles terrasses du Roussillon pour partie et, pour l’autre, avec un Paléolithique inférieur anté-würmien plus évolué (Collina-Girard 1975‑76, 1978 ; Blaize 1990, 2005). Par contre, la plaine s’étendant autour d’Ille-surTêt était vierge d’information sur ces périodes. De même, la vieille surface d’érosion du massif granitique de Montalba, oscillant entre 300 et 500 m d’altitude, n’avait jamais été investie au titre d’une archéologie méthodique car presque totalement envahie par un maquis impénétrable. La même remarque s’impose aussi pour le vieux substrat paléozoïque qui arme les versants de la rive droite de la Têt et du bassin du Boulès. Sur l’ensemble de ces contreforts montagneux, la présence de dolmens ou de gravures rupestres et, quelquefois, la collecte ponctuelle de mobiliers en quelques points encore cultivés en vigne, témoignaient d’un peuplement étalé du Néolithique aux premiers âges des métaux (Abélanet 1990, Blaize 2006). La Préhistoire ancienne n’y avait, par contre, répercuté aucun écho. En réalité, le peuplement paléolithique de cette interface méditerranéenne entre plaine et montagne était bien attesté à partir du dernier glaciaire (Würm, entre 100 000 et 10 000 ans), en particulier pour le Moustérien, le Solutréen et le Magdalénien (avec une lacune pour le début du Paléolithique supérieur concernant l’Aurignacien et le Gravettien, comme partout ailleurs dans les P.‑O.). Mais l’on devait ces connaissances aux fouilles réalisées en milieu troglodyte. L’une de ces cavités se trouve non loin de Bouleternère, en limite de la plaine du Roussillon (grotte de Montou) et les autres en fond de vallée du Conflent, plus précisément à la confluence des rivières drainant les massifs du Canigou et du Madres vers la Têt, dans le synclinal calcaire de Villefranche-de-Conflent (Cova del Mitg, Grotte d’En Gorner, Grotte Marie, Grotte des Ambullas, Trou souffleur). À l’inverse et toujours en Conflent, un site de montagne au-dessus de Prades, unique en France, le rocher de Fornols-Haut (alt. 780 m), offre en pleine lumière un art rupestre magdalénien du Tardiglaciaire habituellement réservé au milieu souterrain (Abélanet 1985, Sacchi 1987, Martzluff et alii 2005). C’est dans ce cadre général sommairement balisé que plusieurs problèmes se sont posés à nous, sur les conditions même de la recherche, dont il faut ici parler. Sur l’étendue de la zone prospectée, tout d’abord, car celle-ci est très vaste et les prospections nous concernant se sont étalées au total sur trois années. Le quadrillage d’un vaste espace, à la fois sur le plateau de Montalba ou sur les pentes du Causse de Bouleternère, par des équipes, certes diverses, mais comprenant toujours des archéologues aguerris, nous incite finalement à dire que l’essentiel des vestiges paléolithiques présents sur le sol prospecté, très lisible après l’incendie, n’a guère pu nous échapper. Ceci d’autant plus que les découvertes d’outillages lithiques en quartz ou en jaspe, souvent minuscules, effectuées en cours d’opération par des personnes au départ non-initiées à ces difficiles repérages, ont rapidement montré les progrès d’une sensibilisation en la matière. Par ailleurs, nous avons complété les informations obtenues en 2005‑2006 sur ces parcours méthodiques dans le maquis brûlé en y intégrant des prospections de contrôle sur des sites limitrophes, hors de la zone incendiée. C’est ainsi que nous avons poursuivi des repérages sur les terres arboricoles de la vallée, à peine effleurées par l’incendie, en particulier sur le plan rissien des Escallars, à Ille-sur-Têt, mais aussi sur l’aire de marnage des eaux du barrage de Vinça, accessible lorsque le barrage subit sa vidange annuelle en hiver et où les sols limoneux ont Le peuplement paléolithique été décapés, mettant au jour les éléments pierreux du sous-sol. De même, nous avons opéré des incursions de part et d’autre du plateau de Montalba, vers le nord et vers l’ouest, dans les chaos de Tarerach, puis vers l’est, dans ceux de Reglella. La connaissance que nous avions du Causse de Thuir, également incendié, nous a pareillement aidé à mieux comprendre le petit massif calcaire du Dévonien qui jouxte Bouleternère. Deux difficultés de poids demeurent cependant. La première tient à la conservation inégale des sols, l’autre à la caractérisation des industries. D’autre part, le problème des mobiliers absents – celui des vides en quelque sorte – est ici posé avec une certaine acuité. C’est le cas pour les industries lithiques, en relation possible avec des lacunes dans l’occupation de l’espace ou bien à cause de gisements supprimés par l’érosion, ou encore masqués par des comblements. C’est le cas ensuite pour l’absence d’art rupestre là où il était fort probable d’en trouver. Ça l’est enfin pour une carence qui affecte les formes d’habitats, en particulier les habitats troglodytes. I.1 - Un sous-sol inégalement remanié Quasiment tous les plans de terrasse situés en fond de vallée, mais aussi la plupart des lambeaux de vieilles formations alluviales perchées sur les versants, ont subi des labours profonds qui, dans la seconde moitié du XXe siècle et surtout après 1970, ont largement mordu dans leur base caillouteuse, bouleversant les dépôts limoneux où les sols d’habitat pouvaient être conservés. En témoignent d’impressionnants tas d’épierrements assemblés sous forme d’épais murs de galets qui ceinturent partout les propriétés complantées d’arbres fruitiers, en particulier autour d’Ille-sur-Têt. Les bas flancs des échines tertiaires ont également subi la manie des remodelages en terrasses au bulldozer. Tous ces terrains plans et irrigués sont aujourd’hui travaillés au « rotovator », une machine qui pulvérise les mobiliers archéologiques, en particulier les éléments lithiques. Par ailleurs, ces terrains se révèlent souvent peu lisibles, car herbeux. Globalement, il est quand même évident que l’absence de mobilier archéologique en surface de ces terrains alluviaux plans et profondément charrués tient à l’absence de gisement en sous-sol. D’autres défonçages ont largement perturbé la zone couverte par le brûlis. Ainsi, les plantations forestières en résineux ont griffé profondément le sous-sol sur l’échine pliocène qui ferme la vallée entre Rodès et Ille, ainsi que sur une bonne part du plateau de Montalba, dans le secteur des Balmettes (ill. 1). Finalement, seuls quelques rares terrains alluviaux ont été épargnés par ces travaux aratoires dévastateurs (une vieille terrasse un peu isolée sur un versant de la rive gauche de la Têt, au débouché du ravin du Bellagre, et une partie des petites propriétés englouties depuis 1976 en fond de vallée par les eaux du barrage de Vinça). Les versants les plus abrupts qui flanquent la vallée en rive gauche, mais aussi les pentes moins prononcées d’un espace intermédiaire donnant accès au plateau de Montalba sur la commune de Rodès, sont des surfaces qui se sont révélées négatives pour la conservation des vestiges préhistoriques anciens, soit sous l’effet des ravinements, soit à cause des mises en culture, les deux étant liés. De même, les pentes ravinées du Causse de Bouleternère, en rive droite, n’ont pas livré d’industries lithiques. Il semble bien que la falaise calcaire qui domine le ravin de Montjuich, avec son versant bien exposé au sud, a nettement reculé au Quaternaire sous l’effet de l’érosion, les éboulements ayant laissé des mégablocs sur le versant. Les cavités qui ont pu abriter des chasseurs au Paléolithique ancien et moyen ne sont plus que des fissures dans les parois, ou peuvent rester masquées par de l’éboulis. Contrairement à ce que nous avions observé antérieurement dans cette zone des Aspres, après les incendies du Causse de Thuir, en rive droite du Castelnou où les pentes situées sous la ligne de falaise livrent quelques artefacts du Paléolithique ancien-moyen en quartz, le recul des barres rocheuses calcaires est ici moins parlant. En effet, le sol très pentu des éboulis situés en contrebas des falaises de Les Pedreres est fortement remanié par de puissantes murettes (feixes) et reste peu lisible, avec des broussailles à peine touchées par l’incendie. Enfin, sur le plan de Montalba, les chaos granitiques ont été un peu partout simplement égratignés à l’araire. Toutefois, sur de larges parties entourant les zones basses et humides, le bulldozer a totalement remodelé le sol, arrachant les boules granitiques et nivelant de vastes champs, replantés en vigne ou en céréale pour le gibier. Il reste que les industries prélevées sur cette aire remaniée se trouvent in situ, et il en est de même pour celles qui furent recueillies dans les parties travaillées à l’araire ou dévolues aux troupeaux. Par contre, sur les espaces nivelés, la présence d’artefacts est très aléatoire du fait du raclage des parties saillantes et du comblement des parties en creux, ou encore de leur déplacement dans les bourrelets de terre qui ceinturent ces champs. 63 64 Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre III 3 - Cavité karstique ouverte à l’est et en partie détruite par les carrières sur l’affleurement dévonien de la montagne de Bouleternère (photo aérienne O. Passarrius) Enfin, au contact entre les bas versants des éminences chaotiques et les dépressions, l’apport des fines a pu masquer des niveaux archéologiques sous un matelas d’arène, lequel ne semble cependant jamais très épais. Partout ailleurs, les remplissages qui coiffent le substrat cristallin sont très minces. Le rebord méridional du plateau, comme les versants des vallées le pénétrant, très pentus, ont été ravinés jusqu’au socle en maints endroits. Pour le Pléistocène, en témoignent quelques évidements creusés et polis par des ruissellements canalisés qui se trouvent suspendus sur des affleurements granitiques, au-dessus du fond des talwegs actuels (en particulier à l’est de la carrière de Rodès). Pour l’Holocène, le contact très fréquent des plus vieilles murettes de pierres avec la roche-mère ou des altérites montre que les premiers défrichements médiévaux ont vite nécessité de puissants aménagements en terrasse pour retenir la terre arable (cf. chap. XI). Les secteurs où les phases de déprise agricole post-médié- vales ont été suivies de pâtures sans remise en état de ces pentes par des murettes, sont aujourd’hui mis à nu quasiment jusqu’au roc (toujours dans ce même secteur de Rodès, par exemple, mais au-dessus de la carrière). Cependant, bien que le modelé de détail ait été sensiblement modifié sur les pentes les plus prononcées, des lambeaux de terrasse quaternaire y ont parfois conservé, 50 m au-dessus du fleuve, des industries paléolithiques anciennes. Elles sont dans un étonnant état de fraîcheur, montrant que de très vieux sols archéologiques ont pu être épargnés par l’érosion sur ces replats très étroits (voir ci-dessous III. 2). I.2 - Critères de sélection des industries paléolithiques sur le plateau granitique L’attribution à la Préhistoire ancienne des industries le plus souvent produites à partir de quartz ou quartzites locaux, parfois même de granitoïdes, sur une base typologique ne pose pas trop de problème sur les formations Le peuplement paléolithique alluviales de la vallée, surtout lorsqu’elles ont été roulées, éolisées ou patinées. Par contre, les vestiges paléolithiques provenant du plateau de Montalba sont très dispersés. Ils ont été triés pour cette étude dans les lots comprenant la totalité des ramassages lithiques pour chaque point coté ; ils gardent donc leur attribution de site pour une présentation cartographique, finalement assez peu signifiante (ill. 4 à 10). Si ces artefacts sont ici regroupés et présentés en un seul et même lot, c’est bien parce qu’il est impossible de retenir un gisement particulier sur ces reliefs, et encore moins une station pouvant caractériser de rares mobiliers mélangés en surface, parfois déplacés par la lame du bulldozer dans les dépressions. D’ailleurs, presque tous les sites pointés comportent aussi les copieux restes d’un artisanat de fabrication d’anneaux en pierre clairement associés à de la céramique modelée. À l’exception de quelques artefacts érodés ou de typologie Levallois qui gisaient en position isolée, les mêmes données se répètent d’un point à l’autre du plateau. C’est pourquoi nous ne pouvons faire l’économie d’un regard critique sur la totalité du matériel pré- et protohistorique avec lequel se sont mélangées les industries du Paléolithique. Notre sélection la plus sûre a d’abord retenu les éléments présentant au moins un léger degré d’usure, le plus souvent très discret (échelle 1, 5 sur 4 stades) et aussi la présence de patine sur les enlèvements. Il est vrai que ces éléments furent parfois difficiles à déterminer sur de nombreux taxons ayant été soumis à l’action du feu. Cela dit, le lot très majoritaire de l’industrie, à cassure très fraîche, en quartz, ne comprend quasiment que des éléments atypiques. En réalité, la grosse part des déchets lithiques frais trouvés sur le plateau provient pour l’essentiel des chocs de percuteurs en quartz trouvés en très grand nombre avec les ébauches d’anneaux disques. Une autre part vient du débitage aléatoire d’éclats qui furent ensuite fracturés pour profiter des dièdres ainsi créés et qui ont probablement servi à racler les ébauches. Cette industrie a posteriori et ce débitage très mal maîtrisé, en tout cas pour des fonctions liées à la boucherie et aux travaux domestiques, n’a sûrement rien à voir avec le Paléolithique et guère plus avec le Néolithique. Percuteurs et burins de fortune furent donc vraisemblablement utilisés pour fabriquer des anneaux en schiste, la roche-mère se trouvant sur place. D’ailleurs, une prospection très fine du secteur ar- chéologique le plus riche sur une surface de 5 000 m2 (points 1005‑1006) a totalement confirmé cet état de fait, ainsi que l’absence d’armatures microlithiques. Il s’agit d’une industrie sur quartz qui s’attache donc plutôt à l’usage opportuniste du matériau local pendant la Protohistoire pour piqueter et racler les ébauches d’anneaux, qui sont ensuite polis (chap. IV). Les rares éléments très peu usés qui sont rattachables à un mode de débitage paléolithique n’ont donc aucun mal à s’individualiser dans cet ensemble. S’ajoute à cette considération l’extrême pauvreté des outils du fonds commun, en particulier des grattoirs, et la part très mineure des jaspes et des silex face à l’omniprésence du quartz. Ce sont des signes qui excluent, selon toute évidence, la présence d’habitats pour la Préhistoire récente qu’évoquent très timidement une ou deux armatures foliacées et une seule hache de pierre sur la totalité des mobiliers préhistoriques recueillis. Comme les restes d’un débitage lami- ou lamellaire font totalement défaut, si ce n’est sous forme d’un seul minuscule débris, nous pouvons encore plus nettement écarter une occupation un tant soi peu conséquente de ce secteur pendant la phase médiane du Néolithique tout comme pour le Paléolithique supérieur et l’Épipaléolithique azilien. La rareté des outils de meunerie est par ailleurs fort parlante sur le caractère probablement fugace des occupations préhistoriques liées à de l’habitat agricole dans le secteur et renvoie l’occupation préhistorique récente et protohistorique de cet espace à un pastoralisme plus ou moins nomade. Nous avons cependant dû tenir compte du fait que l’exploitation opportuniste des roches locales et que le débitage discoïde diminutif, caractérisant les industries mésolithiques du Sauveterrien à l’est des Pyrénées, pouvait en principe offrir un risque de confusion avec les industries moustériennes évoluées, généralement trouvées en bon état de fraîcheur. C’est pourquoi nous n’avons retenu ici comme procédant du Paléolithique que les éléments assimilables à des processus de débitage typiquement moustériens. Mais en réalité, il n’y a pas d’outils ou de déchets pertinents habituellement associés aux industries de l’Épipaléolithique-Mésolithique dans la masse assez conséquente du lithique recueilli sur ce vaste territoire (pas de grattoirs et une seule petite pièce esquillée en quartz qu’accompagnent deux ou trois débris d’éclats obtenus par percussion posée). 65 66 Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre III I.3 - Pertinence des lacunes dans les industries Le peuplement antérieur à l’Âge du Bronze n’a donc laissé que de discrètes traces dans la zone du brûlis, tout comme dans ses abords, et les rares, quoique précieux, témoignages restreints à l’industrie lithique sont par ailleurs discontinus dans le temps. Raisonner en termes de présence/absence de mobiliers pour cette très longue séquence étalée du Paléolithique inférieur au Mésolithique est un passage obligé, mais en principe bien moins pertinent que pour des périodes récentes ayant généré un matériel archéologique - céramique en particulier - plus abondant et mieux conservé, ainsi que des structures ayant modifié l’espace ( J. Kotarba, chap. V). Afin d’affûter quelque peu notre réflexion en la matière, nous avons par conséquent essayé de prendre en compte l’évolution géomorphologique des sites jusqu’aux perturbations anthropiques récentes, en relevant tout élément intrusif dans le milieu naturel y compris les roches étrangères au substrat. Dans tous les cas, couplée avec une lecture du sol rendue possible et pertinente par l’incendie, la présence de traces humaines très anciennes sur le plateau de Montalba, ou sur les flancs des échines tertiaires qui ferment les bassins de Vinça et de Rodès, montre bien que l’érosion a été incapable d’effacer totalement ces reliques sur les reliefs anciens. Ainsi, lorsque la présence humaine a été intensive, c’est-à-dire lorsqu’elle a été prolongée pendant très longtemps sur les mêmes sites favorables, eu égard aux très faibles densités de peuplement envisageables pour les sociétés de chasseurs, nous considérons comme parfaitement signifiant de ne pas en avoir détecté quelques signes. I.4 - L’absence d’art rupestre Les témoignages d’un art rupestre attesté sur la longue durée, depuis le Paléolithique sur le proche plateau de Vall en So (Martzluff et alii 2005) ou à partir du Néolithique dans les Aspres, non loin de Bouleternère (Abélanet 1990) et encore à Tarerach, face au plateau de Montalba (Valat de la Figarassa, cf. Abélanet 1990 et carte, ill. 2), mettent en avant une autre lacune constatée au cours de ces recherches. La prospection minutieuse de la zone du granite de Las Cases, à Rodès où notre plus grande attention s’est justement portée sur les bandes hectométriques de schistes qui parcourent les versants (carte géologique, chap XI, ill. 1) n’a rien donné. Il en est de même pour le ravin de Montjuich et la colline de La Bouffeta, sur la montagne de Bouleternère, sur le flanc opposé de la vallée, dont les terrains paléozoïques sont bien plus favorables (série schisteuse de Jujols). Nous devons en conclure que l’aménagement total du substrat par des terrasses de mises en culture a, depuis le Moyen Âge, presque totalement ruiné les rares affleurements de roches tendres sur les versants très abrupts de la vallée dans la zone brûlée. Si quelques roches gravées ont été épargnées par les travaux aratoires dans des écarts moins remaniés au sud de Tarerach ou sur les flancs du Canigou, nul doute que la proximité de Vinça, de Rodès et d’Ille-sur-Têt, trois agglomérations qui ont impulsé sur leur environnement immédiat une très forte pression paysanne liée à l’oléiculture et à la viticulture, nous prive ici de savoir s’il y avait sur ces pentes des roches gravées préhistoriques ou protohistoriques. I.5 - Typologie des sites archéologiques La présence d’industries du Paléolithique ancienmoyen en surface des formations alluviales suppose des campements de plein air. Toutefois, sur le plateau de Montalba, au voisinage des chaos, aucune concentration archéologique ne peut être rapportée à une « station ». Il en ressort globalement que ces artefacts obtenus sur des roches locales sont mélangés avec des éléments plus récents. Les gisements n’étant donc que très rarement conservés, la possibilité qu’une part des industries puisse provenir de sites troglodytes ou d’abris démantelés existe. Or, sur l’ensemble de la zone prospectée, il ne se trouve que fort peu de grottes et d’abris-sous-roche qui puissent offrir des repaires potentiels pour la Préhistoire ancienne. Ainsi, dans le petit synclinal perché de Bouleternère, en rive droite de la Têt, un karst résiduel ne possède pas de remplissage conséquent. Les deux cavités découvertes sur son flanc nord, au contact avec les schistes du Silurien, ont été mises à mal par l’exploitation des carrières, les segments occupés par les porches ayant été détruits (ill. 3). Par ailleurs, comme nous l’avons vu, les falaises calcaires situées sur le flanc sud de cette éminence, dominant un versant bien exposé car protégé du vent, en rive gauche du vallon de Montjuich, se sont éboulées jusqu’à une période récente, au moins jusqu’aux temps modernes où le secteur de Les Pedreres était exploité par les ateliers de tailleurs de pierre (chap. X). Le peuplement paléolithique 4 - Industries du Paléolithique ancien-moyen du plateau de Tarerach-Montalba. 67 68 Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre III 5 - Industries du Paléolithique ancien-moyen du plateau de Tarerach-Montalba. Le peuplement paléolithique 6 - Industries du Paléolithique ancien-moyen du plateau de Tarerach-Montalba. 69 70 Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre III 7 - Industries du Paléolithique ancien-moyen du plateau de Tarerach-Montalba. Le peuplement paléolithique 8 - Industries du Paléolithique ancien-moyen du plateau de Tarerach-Montalba. 71 72 Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre III 9 - Industries du Paléolithique ancien-moyen du plateau de Tarerach-Montalba. Le peuplement paléolithique 0 10 - Industries du Paléolithique ancien-moyen du plateau de Tarerach-Montalba. 5 73 74 Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre III En principe, les chaos encombrant les pitons du plan granitique de Tarerach-Montalba, ont pu servir de protection à des groupes de chasseurs lors d’occupations de faible intensité. Toutefois, si l’on considère que le relief actuel de cette surface est en place pour l’essentiel depuis le début du Quaternaire moyen, c’est-à-dire depuis près d’un million d’années (chap. II), ces abris naturels dans les chaos ne devaient pas offrir des lieux très propices à l’habitat dans les phases froides car ils se trouvent sur des éminences balayées par les vents et sont privés de la proximité immédiate des cours d’eau ou des sources de bas de pente. D’ailleurs, les flancs de ces reliefs ont surtout livré des témoignages préhistoriques récents. En sus d’un positionnement défensif, il est possible que l’exposition au vent de ces sites de hauteur, cernés par des dépressions humides, ait offert une protection aux hommes et à leurs troupeaux contre miasmes et moustiques. C’est bien ce qui a pu les rendre attractifs à partir du plein Holocène, du Néolithique au premier âge du Fer. En fait, sur cet espace, le secteur le plus propice pour offrir des abris avec un bon potentiel de conservation pour la Préhistoire ancienne, se trouve dans le secteur des Balmettes, toponyme signifiant justement : « petits abris-sous-roche » (ill. 2). Bien exposé sur un versant adouci ouvert au sud, dans un vallon où sourdent des écoulements de bas de pente, l’un d’eux offre une bonne protection contre la Tramontane. Comme c’est le cas dans ce secteur pour quelques rares abris de même type, l’auvent rocheux a servi d’appui à une construction moderne du type bergerie qui est actuellement ruinée. Les aménagements d’une piste et les « sous-solages » liés à une plantation en résineux qui couvrait la zone, ont sensiblement bouleversé les abords et une partie aval de l’abri, montrant que le remplissage n’était pas épais (carte des zones remaniées, ill. 1). Nous n’avons pas trouvé le moindre témoignage archéologique probant dans les déblais. II - Les très anciens peuplements du plateau granitique de MontalbaTarerach Nous analyserons ici les industries paléolithiques en tenant compte de leur contexte géomorphologique local. Ces artefacts sont surtout représentés de part et d’autre de la vallée du Tarerach ; ils deviennent rarissimes à l’est du Bellagre. II. 1 - Le contexte Le relief granitique de Montalba-Tarerach, en rive gauche de la Têt, hérite d’une pénéplaine tertiaire (Calvet 1996 et chap. II). Le soulèvement de ce plan d’érosion, dès la fin du Miocène, est balisé au sud par l’abrupt très raviné que longe le fleuve, le long de l’escarpement de faille. Ce relief est défoncé par des cuvettes qui résultent d’une altération différentielle du substrat cristallin sous un climat sub-tropical humide, puis d’une vidange des arènes, favorisée par la surrection du massif et par la mise en place d’un climat marqué par l’aridité saisonnière à la fin du Tertiaire. Comblées par les altérites, les plus larges de ces dépressions sont plus ou moins fermées par des pitons arrondis, où le socle fut anciennement immunisé de l’altération chimique et où le ruissellement a dégagé et entassé les miches granitiques saines déracinées du substrat, formant des chaos. Ces dépressions ont vraisemblablement été surcreusées par les vents au cours des épisodes froids et secs du Quaternaire. Les modelés ruiniformes encerclant les zones déprimées n’offrent plus aujourd’hui que de maigres remplissages sableux acides. Dans la zone brûlée, les exutoires des cuvettes débouchent dans trois modestes affluents de la Têt : le plus large est le Tarerach à l’ouest ; le Bellagre balise le centre et la Riberette ferme la zone étudiée à l’est. Ces profondes saignées dans le substrat cristallin forment autant d’axes de pénétration vers le nord. Leur régime est intermittent, avec des étiages sévères et de violentes crues lors des orages. Sur les interfluves adoucis de ces mêmes reliefs, gisent çà et là quelques artefacts en quartz saccharoïde, en jaspe ou en grès, qui sont très légèrement à faiblement usés (ill. 5 à 10) et qui peuvent se rapporter à une occupation moustérienne, au sens large. De plus rares éclats très altérés et polis par le vent constituent les rarissimes reliques acheuléennes d’un Paléolithique inférieur indéterminé dans le temps (ill. 4). Le peuplement paléolithique Les lacunes concernant les industries du Paléolithique supérieur et de l’Épipaléolithique-Mésolithique sont donc d’autant plus remarquables que la probabilité d’occupations masquées par un piégeage dans le sous-sol est très faible. - Observations sur les remplissages sédimentaires du secteur central, à Montalba Certains éléments détritiques nous ont semblé pouvoir témoigner de très anciens apports sédimentaires allogènes au cœur du plateau. Ce sont des quartz émoussés de dimensions modestes (très rarement plus de 10‑15 cm pour les plus gros éléments, de la taille d’un gros gravillon pour l’essentiel) qui sont affectés d’une profonde patine brune à violacée, tous ayant été polis, voire carénés par l’érosion éolienne. Toutefois, alors que ces éléments sont très présents dans certains chaos situés près des dépressions humides, tel celui de Ropidera, au sud du Mas Molins, par exemple, ils sont absents à la même altitude dans certains secteurs voisins, en particulier autour du Serrat blanc. Cela pourrait signifier que la plupart des quartz érodés proviennent du démantèlement sur place des puissantes digues de quartz qui parcourent cet espace selon des axes précis (cf. carte géologique, chap. XI). C’est en particulier le cas pour des blocs émoussés déjà très usés, mais encore peu patinés et qui présentent des marbrures rouges (oxydation dans les fissures) car ils se trouvent toujours près de ces filons de quartz. D’ailleurs, parmi les éléments fortement usés et patinés des secteurs déprimés, s’observent aussi les roches les plus dures et cohérentes du substrat immédiat (nodules de gabbro, microgranites acides, gros cristaux d’orthose, etc.). Il ne s’agit donc probablement pas de galets de rivière. Il existe cependant des matériaux plus sûrement étrangers au substrat géologique dont la présence peut avoir une origine naturelle ou anthropique. Pour les quartzites gris, les calcaires, les schistes durs et de très rares et minuscules fragments très érodés de marne noire indurée ‑ une cornéenne provenant des séries albiennes du synclinal de Boucheville qui affleurent vers l’amont, à 2 km au nord de Montalba ‑ un transport naturel peut être envisagé, mais sans certitude. Du reste, un lambeau de ce que nous interprétons comme un ancien lit de rivière, se trouve en limite du brûlis, entre Las Planas et Las Caneletas, sur le flanc nord-occidental du plateau. Il semble correspondre à un très ancien méandre du Tarerach, aujourd’hui per- ché au-dessus des cuvettes du plan principal. Les galets issus de ces matériaux exogènes sont rares, peu roulés et très altérés (alt. 500 m, cf. ill. 2). Nous n’y avons pas trouvé d’industries. Au cœur du plateau, ces galets de roches exogènes ont été piégés dans les chaos et sur les flancs des dépressions. Quelques galettes de schiste dur, des quartzites, des nodules émoussés de cornéennes, ainsi que deux galets de calcaire, proviennent vraisemblablement de l’amont, avec des ruissellements venus du nord. Par contre, le seul petit galet de gneiss trouvé dans ces mêmes chaos a certainement une origine anthropique car le massif du Canigou, où ces roches affleurent, se trouve séparé du plateau par la vallée de la Têt ; les épandages possibles de ces roches avant le soulèvement du plateau à la fin du Miocène sont trop anciens pour que ce type de roche n’ait pas été météorisé. Les débris de jaspes ferrugineux, dont les gisements se trouvent aussi sur le flanc opposé de la vallée, dans les remplissages pliocènes flanquant le Canigou audessus de Vinça, mais aussi de rares silexites et le seul éclat de lave acide, de type rhyolite, sont des roches dures qui peuvent être associées avec certitude à des transports par l’homme pour la fabrication d’outils. Il semble donc que l’essentiel des roches les plus dures et les plus homogènes ait été usé sur place, alors qu’une fraction, mineure, serait imputable à des écoulements venant du nord, balisant les très anciens lits de rivières actuellement encaissés dans leurs ravins. Seule une part minime est donc imputable à des transports par l’homme. Fracturés par le gel jusqu’à des tailles diminutives, éolisés et patinés, les matériaux les plus tenaces se sont empilés à divers stades d’usure en surface des dépressions lorsqu’elles ont été évidées dans les altérites par l’érosion. Quelquesuns de ces résidus ont été bloqués par l’empilement des chaos. Partout ailleurs, les ravinements les ont dispersés sur les pentes. Sur le flanc sud du plateau, par exemple, il s’en trouve sous forme d’amas dans les alluvions de petits ruisseaux au niveau de replats entre deux verrous rocheux, tel le ravin de Bosc negre (ill. 2). Mieux conservés dans ces pièges, ces émoussés peuvent atteindre le double du volume de ceux trouvés sur le plateau et leur patine est souvent effacée sur les angles par roulement dans les ruisseaux. Ces roches tenaces ont été utilisées pendant la Préhistoire, marnes indurées comprises, mais il semble évident que les lourds outils du Paléolithique ancien, choppers et chopping-tools qui auraient pu être aménagés 75 76 Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre III dans les galets de quartz, ont été très déformés par l’érosion au cours du Quaternaire, et surtout par la cryoclastie ; ils ne sont plus identifiables en tant que tels aujourd’hui. Quelques galets très altérés que nous avons recueillis, car ils présentent des encochements ou une double patine, ne peuvent prétendre à la qualification d’outil ou de nucléus sans contestation. Curieusement, il semble donc que ce soient les plus petits éléments, dont quelques éclats bien formés à l’origine, mais difficilement reconnaissables aujourd’hui, qui ont survécu ici lorsque la pente n’était pas trop forte pour les entraîner ou qu’ils ont été retenus par quelque entassement de boules granitiques (ill. 4). Le relief du plateau, fortement érodé sur les inflexions de sa marge méridionale à la fin du Tertiaire, au vu des puissants épandages sédimentaires à mégablocs du piémont (site de Casesnoves et « orgues » d’Ille-sur-Têt), n’a donc pas été bouleversé dans ses grandes lignes en son centre au cours du Pléistocène moyen et final. C’est du moins ce que tendent à montrer les roches usées et patinées les plus dures et cohérentes au voisinage de leurs gîtes, tout comme la présence des très vieux artefacts dans le même état. L’incision des rivières dans le socle sous l’effet de la poussée tectonique, la dispersion des fines avec le ruissellement sur les versants adoucis et leur ablation éolienne dans les secteurs déprimés, représentent sans doute les érosions quaternaires majeures. - Les restes alluviaux très anciens sur la marge méridionale du plan granitique Au bord de l’escarpement de faille de la Têt, sur la progressive rupture de pente qui domine les abrupts, on retrouve quelques éléments alluviaux épars, piégés par les chaos rocheux. Ce sont des galets de roches granitiques, schisteuses, quartzeuses, y compris de gros galets de quartz saccharoïde blanc et de quartzite gris bleuté. Les rares quartz et quartzites ne sont pas patinés (pas de patine ferrugineuse ocre ou violacée). Nous les avons d’abord identifiés dans le bâti des ruines médiévales du village de Ropidera à Las Cases, où les galets de granite sains sont relativement nombreux (altitude 400‑430 m, commune de Rodès). Ces galets, d’assez gros calibre et fort peu altérés, nous ont logiquement semblé provenir des alluvions actuelles du fleuve avec d’autres apports anthropiques médiévaux, ce qui est le cas pour l’ardoise et le calcaire destiné à fabriquer la chaux. En réalité, ces roches siliceuses rares gisent tout au long de la principale inflexion du plateau, face à la plaine, entre la côte 350 m à l’amont (Vinça) et 250 m à l’aval (Ille-sur-Têt). En limite du brûlis, une « vieille terrasse démantelée » a été signalée au-dessus du barrage de Vinça (La Coste, alt. 330 m), près de l’ancien chemin de Marcevol (Blaize 1990). Mais ces alluvions comprennent de très rares galets de quartz patinés. Au-dessus de Casesnoves (commune d’Ille-sur-Têt), un semis très discret de galets non patinés surmonte immédiatement, à l’altitude 270‑250 m, une belle coupe faite par un ruisseau dans les apports détritiques latéraux du versant, des sables arkosiques à mégablocs du Pliocène terminal. Ces reliques de nappe fantôme correspondent donc peu ou prou au toit du Pliocène, si nous les comparons au sommet des buttes tertiaires dans les bassins de Vinça et de Rodès, lequel s’établit à la côte 345 m au Serrat d’en Molins (Vinça) et à 301 m au Château de Rodès. Dans la plaine d’Ille, le sommet des « orgues » culmine à 245 m. Vu leur dispersion, il est impossible de savoir si ces galets épars correspondent aux apports longitudinaux d’une paléo-Têt pliocène ou à ceux du Quaternaire ancien. Nous avons constaté pour les quartz qu’ils constituent le matériau de base des plus vieilles industries paléolithiques dans la vallée, ce que nous verrons plus loin. L’absence de patine sur les roches dures des alluvions associées aux plus hauts niveaux du Quaternaire a déjà été signalée (Collina-Girard 1975‑76). Elle pourrait se rapporter à la nature des sédiments fins encaissants, les arènes acides du plateau en particulier, qui auraient empêché le dépôt d’une patine, mais aussi à l’érosion des horizons pédologiques anciens. Dans tous les cas, à l’aval des gorges de Rodès, on retrouve en rive gauche, sur les flancs de l’abrupt granitique, vers 210-200 m d’altitude (+ 40 m du fleuve), des restes de nappes sédimentaires qui correspondent à une phase alluviale tardive de type T2 (Riss alpin). La surface a livré une abondante industrie paléolithique non éolisée et systématiquement taillée dans des galets de quartz non patinés. Les quartz de la terrasse T2 étant fort rares et un peu plus altérés, ces derniers semblent donc avoir été ramassés dans ce type d’alluvions perchés au-dessus des terrasses quaternaires. Ces outils seront présentés avec les remplissages quaternaires de la vallée. Le peuplement paléolithique II.2 - Typologie des industries paléolithiques du plateau de Montalba-Tarerach Sur le Plan de Tarerach (Mas Llosanes et Valat de la Figarassa), une prospection de contrôle sur des parcelles défrichées et le plus souvent nivelées avec des engins mécaniques, a permis de détecter la présence d’industries moustéroïdes en quartz, peu altérées et très proches de celles rencontrées sur le plateau de Montalba. Ces industries sont peu abondantes et également dispersées, en présence ou pas des sites de la Préhistoire récente (ill. 2). Le néocortex des galets de quartz saccharoïde utilisés, matériau absent du substrat géologique immédiat, est parfois légèrement patiné. Ces galets peuvent provenir des vieilles terrasses quaternaires de la vallée, dans les environs de Rodès, puisque les industries sur galets patinés ne se trouvent vraiment que là. Sur le plan de Montalba, la petite série retenue pour la Préhistoire ancienne a été divisée en deux lots. Le premier, nettement à fortement éolisé (stades 3 à 4) et parfois patiné, regroupe une poignée d’éclats (ill. 4) ainsi qu’un galet denticulé très altéré (non figuré). Ce lot peut être mis au compte d’un Paléolithique inférieur, au sens large, car il a subi de longues périodes d’altération et/ou d’abrasion, des états d’érosion qui peuvent correspondre à la fin du Pléistocène moyen et au début du Pléistocène final. Dans ce cas, la quasi-absence de galets aménagés ou de nucléus est problématique, comme nous l’avons vu. L’autre série est plus représentative, quoique peu étoffée également, soit une trentaine de pièces. Elle regroupe des artefacts faiblement usés et exempts de patine sur les enlèvements, principalement des nucléus et des produits du débitage discoïde. Quelques-uns, plus proches du mode Levallois, sont de facture nettement moustérienne (ill. 5 à 9) ; d’autres seront qualifiés de « moustéroïdes », ce qui est assez peu discriminant, il faut bien le reconnaître, mais comment faire autrement ? Ces artefacts ne peuvent être mis en phase avec d’autres époques. L’émoussé prononcé des éclats de cornéenne de ce lot est moins signifiant que pour les roches plus siliceuses, ces marnes albiennes indurées étant plus sensibles à l’altération chimique dans le sol (ill. 9). Au total, cette industrie sur quartz, ou grès-quartzite, très peu usée, pourrait témoigner d’une fréquentation du plateau à partir de la vallée du Tarerach pendant la dernière glaciation alpine et l’interstade qui la précède. En effet, l’essentiel des outils « moustéroïdes » de la plaine du Roussillon, en particulier dans le bassin du Réart où ils forment la part la plus copieuse des assemblages paléolithiques mélangés, ne sont guère plus émoussés que ceux du plateau de Montalba (stades 1 à 2), alors que le creusement des dépressions hydroéoliennes par les vents violents est envisagé jusqu’à la fin du dernier glaciaire. Les artefacts Levallois en silex qui sont associés aux plus grosses concentrations dans la plaine, pour une valeur de 2 sur 1 000 environ, ne sont jamais éolisés, mais au contraire en très bon état de fraîcheur (Martzuff 2004). L’éolisation, qu’il faut bien distinguer des pièces roulées dans les alluvions ou les chenaux de ruissellement, semble donc n’avoir provoqué que très peu de dégâts sur les industries en quartz dans cette région depuis 100 000 ans et quasiment aucun après 50 000 ans. III - Le peuplement paléolithique dans la plaine du Roussillon, à Illesur-Têt et à Bouleternère L’espace alluvial de la vallée fut à peine effleuré par l’incendie sur ses marges. Le cours de la Têt s’encaisse dans des dépôts fluviatiles inégalement conservés selon que l’on se place en amont ou en aval du col de Ternère (Ternera). En rive gauche et jusqu’au débouché des gorges de Rodès sur le Roussillon, l’encaissement rectiligne du fleuve dans le substrat cristallin a quasiment anéanti tous les remplissages alluviaux qui ne sont conservés que par lambeaux sur les flancs de la pente et parfois sous forme de galets dispersés sur le substrat rocheux, comme nous l’avons vu. Vers l’aval, au contraire, apparaissent sur cette rive gauche les couches tertiaires qui forment le site spectaculaire des « orgues », à Ille-surTêt ainsi que quelques tronçons de terrasses quaternaires. En rive droite, c’est en quelque sorte le contraire. Les alluvions quaternaires sont emboîtées, à Vinça et à Rodès, dans les puissantes strates du Miocène et du Pliocène qui ont comblé le fossé du Conflent et qui arment encore le piémont du Canigou. Sur cette même rive droite, en aval du défilé de La Guillera et du col de Ternera, les remplissages du Tertiaire ont par contre été excavés à la jonction du Boulès et de la Têt, où il ne reste quasiment plus que le substrat rocheux paléozoïque. 77 78 Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre III Ces accumulations ayant été totalement balayées par l’érosion, les dépôts étagés des bas niveaux quaternaires qui occupent largement la plaine d’Ille-sur-Têt ont été mis en place au cours des deux derniers cycles alpins. Dominant le cours du fleuve d’une vingtaine de mètres, le plan alluvial le plus développé en surface est relativement jeune puisqu’il peut être daté du premier Pléniglaciare würmien (vers 60 000 ans). C’est pourquoi les sols bruns y sont fertiles et ils le sont d’autant plus que ces terres, situées hors d’atteinte des terribles crues post-glaciaires, ont été irriguées dès la fin du Moyen Âge. Ce sont les verrous de Vinça et de Rodès qui commandent en effet la distribution des eaux d’arrosage par gravité sur une bonne part de la plaine du Roussillon où les canaux traversent successivement vers l’aval, et jusqu’à Perpignan, au moins deux plans de terrasses plus anciens. III.1 - Les restes ambigus de très vieilles formations quaternaires en rive gauche de la Têt Au-dessus de la zone à rares galets quartzeux « frais » sise sur la rupture de pente méridionale qui flanque le plateau, nous n’avons pas trouvé de galets patinés ou de traces de sols altérés qui pourraient témoigner de l’ancrage de très vieilles formations quaternaires sur ce versant entre les côtes 350 et 400 m. Mais nous ne les avons pas systématiquement recherchées. En réalité, la géométrie des remplissages alluviaux du Quaternaire ancien, entre 2,2 et 0,7 millions d’années (peu ou prou l’ex-Villafranchien), nous échappe, et pas simplement dans cette vallée. Une large part de cette phase du Pléistocène est lacunaire. En effet, la plus vieille formation alluviale du Quaternaire dans la plaine du Roussillon coiffe, sous forme d’une haute terrasse (T5), les buttes témoins du Tertiaire dont les molasses sableuses sont datées d’une première moitié de l’étage pliocène (Zancléen, 5,3 à 3,5 millions d’années) par la végétation et la faune fossile au toit de cette série (Serrat d’en Vaquer). Entre 3,5 et 1,5 Ma, les changements climatiques (ici l’accentuation d’un climat contrasté avec froid hivernal, abats d’eau et sècheresse), mais surtout une tectonique compressive très active, avec un soulèvement généralisé depuis les montagnes, expliquent sans doute l’ablation des accumulations sédimentaires en plaine, à la charnière Pliocène-Pléistocène sous l’effet d’une très puissante érosion. Sur de petits reliefs haut perchés, les plus anciennes terrasses résiduelles d’une paléo-Têt quaternaire sont donc mal datées de la fin du Pléistocène ancien, entre 1,5 et 0,7 millions d’années. Dans la plaine d’Ille-sur-Têt, les plus vieilles alluvions quaternaires couronnent les orgues d’Ille-sur-Têt à Mata Rodona (T5, alt. 244 m). Les deux moignons de terrasse sont perchés sur les sables et les galets des épandages tertiaires et se trouvent séparés de quelques mètres en hauteur par un décrochement de faille transverse, preuve qu’une tectonique plus modérée continue à jouer (Calvet 1988, p. 12, 1996). Ce secteur se trouve hors limite du brûlis actuel, dans le maquis, et nous ne l’avons pas prospecté. Donnés comme les plus anciens pour le Quaternaire du Roussillon sur la carte géologique au 1/50 000, ces restes alluviaux de Mata Rodona sont caractérisés par de gros galets de gneiss « friables ou réduits à l’état de fantômes (...) emballés dans une argile rouge vif » et les « quartz restés en surface sont couverts d’une épaisse patine ferrugineuse ou rouge violacée » (Calvet 1988, 1994). Selon une nomenclature prudente, cette formation T5 d’Ille-sur-Têt, qu’une forte altération corrèle – faute de mieux – à un « Villafranchien terminal », se prolonge vers l’aval sur cette rive gauche jusqu’à celle du Mas Ferréol, au Nord de Millas. Dans ce secteur apparaissent aussi les lambeaux d’un plan T4, alors que vers la mer, de grands plans de terrasse T3, démultipliés en quatre niveaux au nord de Perpignan (La Llabanère), sont plus ou moins clairement rapportés par différents auteurs au Pléistocène moyen, mindélien dans la nomenclature alpine (entre 600 et 300 000 ans). Toutefois, dans sa thèse, Jacques Collina-Girard signale en 1975 que les galets de quartz d’un de ces témoins perchés sur les « orgues » ne montrent pas plus de patine que ceux des alluvions tertiaires sous-jacentes auquel il les assimile. Un « épannelé bifacial d’une très belle symétrie » a été récolté sur cette surface en 1968 (Blaize 1985b). Ce galet aménagé n’a cependant pas été mentionné par Collina-Girard, probablement à cause de l’attribution de cette formation alluviale en totalité au Tertiaire. D’ailleurs – toujours d’après cet auteur – la terrasse quaternaire ancienne la plus proche, celle du Mas Ferreol à Millas, est peu colorée et rappelle aussi les alluvions tertiaires où les quartz auraient « subi une perte de patine secondaire », alors que ceux des plus vieilles terrasses de la plaine côtière, à Cabestany, sont Le peuplement paléolithique « tous affectés par des profondes patines lie-de-vin, caramel ou orangées » (Collina-Girard 1975). L’exiguïté des vestiges de ces plus hauts niveaux quaternaires dans cette partie du bassin de la Têt, et leur proximité stratigraphique avec les alluvions arkosiques du Pliocène, posent par conséquent de sérieux problèmes pour identifier les vieilles industries paléolithiques selon le seul critère de la patine, comme nous le verrons. L’épandage alluvial T5 de type Mata rodona représenterait donc, vers le milieu du Quaternaire semble-t-il, une nappe très peu épaisse et probablement très large. Selon Marc Calvet, elle correspondrait sans doute bien plus à la divagation du fleuve au sein de chenaux en tresse lors d’une stase dans les crises tectoniques soulevant le massif, qu’à une puissante accumulation d’alluvions dans un lit bien tracé, d’autant que les glaciations anciennes semblent avoir été jusqu’alors peu sévères sous cette latitude. Lors des poussées suivantes, le surcreusement de la vallée par un régime fluvial de forte énergie, mordant sur des piémonts encombrés d’alluvions grossières accumulées en périodes froides, a brutalement incisé les hauts niveaux par un balayage très large au sortir des gorges de La Guillera, rejoint par les apports du Boulès, dévalant des contreforts du Canigou (Calvet, op. cit.). Cette violence peut expliquer que l’on ne retrouve aucun mélange de galets quartzeux à patine prononcée dans les alluvions T2 et T1 de cette plaine d’Ille où l’érosion fluviatile semble avoir totalement vidangé les formations du Pléistocène moyen (divers plans T4 et T3). Il n’est donc pas étonnant que les industries acheuléennes patinées et éolisées fassent absolument défaut sur cet espace, y compris en position secondaire, contrairement à ce qui est le cas dans la basse plaine du Roussillon, en particulier dans le bassin inférieur du Réart (Martzluff 2004, 2006). En effet, au centre de la plaine littorale, entre les bassins du Tech et de la Têt, l’érosion progressive des buttes témoins des très anciennes nappes T5 et T4 a libéré les quartz très altérés, repris dans les chenaux creusés sur les glacis pliocènes qui les encadrent, pour les mêler à ceux des grands plans de terrasse postérieurs, et en particulier à T3. Ici par contre, les très anciennes alluvions sont donc parfaitement déconnectées des formations suivantes qui apparaissent entre 30 et 40 m en contrebas. III.2 - Les épisodes T4 et T3 sont-ils totalement lacunaires ? Bien qu’il n’existe dans le relief de ce secteur aucun plan de terrasse pouvant être rapporté à cette très longue séquence du Pléistocène située entre T5 et T2, soit au bas mot un demi‑million d’années, voire le double, certains indices permettent de suggérer qu’il en reste quelques traces sur le flanc oriental de la colline de Rodès. - Sites du ravin de Les Collades et de Naret En limite occidentale de la plaine d’Ille, au débouché des gorges de La Guillera, nous avons observé en rive droite une flaque sédimentaire très altérée, accrochée au substrat pliocène sur un replat, à ras des affleurements du socle (alt. 230-235 m, ill. 2). Le sol rougeâtre est nourri en galets de quartz et les roches granitoïdes décomposées ont produit en surface une arène. Très curieusement, ces quartz ne sont quasiment pas patinés, pas plus en tout cas que ceux de la Têt actuelle ou ceux provenant de la masse alluviale tertiaire. Une grande part des galets a été transportée vers l’aval, semble-t-il, dans un chenal qui traverse un lambeau de remplissage sableux surmontant des alluvions à très gros blocs. Ces derniers s’appuient sur le socle granitique et semblent, pour leur part, antéQuaternaire (coupe du ravin de Les Collades, alt. 220 m, et coupe faite au bulldozer dans un verger). Ce site fut touché par l’incendie. Il a livré quelques éléments d’une industrie faiblement érodée sur galet de quartz, mais sans patine, comme ceux du substrat (ill. 11). Ils sont affectés d’une légère usure, probablement fluviatile et sont associés aux restes d’un débitage d’éclats en meilleur état de fraîcheur. Or, ces quartz taillés, accompagnés de quelques éclats de jaspe, sont représentés le long du même versant de l’échine tertiaire, depuis les gorges de La Guillera jusqu’au col de Ternère. Vers le sud, une industrie dispersée et dotée de mêmes états de surface, gît en position secondaire au débouché de grands évidements faits par les ravines (secteur de Naret, alt. 250‑200 m). Près du col de Ternère, au-dessus de la chapelle Sainte-Anne, Marc Calvet signale l’ancrage d’une terrasse T3 (chap. II et ill. 2) Il faut avouer que nous ne savons pas interpréter ces traces sédimentaires rubéfiées enrichies en galets de quartz non patinés et liées aux industries taillées dans ces roches alluvionnaires. Elles semblent nettement amputées de la part altérée et éolisée en surface. 79 80 Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre III Ille-sur Têt La Guillera, alt. 235 m Quartz saccharoïde blanc, Pièce roulée, stade 2 Pseudo-cortex à léger voile terne Fissures nappées d’oxyde orangé Pièce brûlée. Un enlèvement frais Chopping-tool ou amorce de nucléus discoïde 11 - Colline de Rodès, industrie localisée entre les côtes 340-330 m (formation T3 ?). Le peuplement paléolithique C’est d’autant plus troublant qu’il s’en trouve un écho dans le bassin de Rodès, sur une bande située à la même altitude (autour de 230‑240 m) d’où proviennent les principales concentrations d’industries à pebble tools déjà publiées (cf. ci-dessous, IV.1, IV.2 et ill. 2). S’agitil d’un ancien bas de pente se branchant sur un plan alluvial T3 ? L’industrie obtenue à partir des galets de quartz non patinés que libèrent ces sols rougis donnant sur la plaine d’Ille pose d’ailleurs problème. Les séries se divisent en deux lots selon leurs états de surface : soit les artefacts sont affectés par une usure nette, mais peu prononcée, dérivant d’une érosion par roulement (dièdres plus usés que les négatifs), soit ils sont en assez bon état de fraîcheur. La série roulée, minoritaire, comporte de gros choppingtools, de forts éclats ou des débris (ill. 11) ; la série fraîche ne se distingue du lot que par des nucléus, parfois volumineux et de plus nombreux et plus petits éclats bien formés. La gestion des galets épannelés est voisine de celle le plus souvent rencontrée sur le plan T3 en Roussillon, parfois discoïde, elle tend vers une exploitation proche du mode Levallois ou Quina. Aucun mélange avec des industries du Tardiglaciaire ou de l’Holocène n’est associé à ces gisements mal conservés in situ. III.3 - La séquence rissienne T2 Les formations alluviales suivantes ne sont que peu étendues, une trentaine de mètres en contrebas des traces ponctuelles des hauts niveaux quaternaires. Datées du Würm ancien sur la carte géologique au 1/50 000 (Berger et alii 1993), elles correspondent plus vraisemblablement au plan T2 de Thuir, soit à un Riss alpin terminal (Calvet 1996). L’une de ces terrasses a conservé un gisement paléolithique probablement en place. - Rive droite : le plan des Escatllars et de Borbona (gorges de La Guillera) La nappe la mieux conservée est la butte des Escatllars, sur la rive droite. Elle sépare le lit de la Têt de celui du Boulès (alt. 180-190 m). Elle réapparaît plus loin en aval vers Corbère-les-Cabanes. Entre le fleuve qu’elle domine par un abrupt de 30 m et la voie ferrée qui la longe, au sud, elle prend un pente de direction méridienne. Reposant sur les sables tertiaires, l’accumulation sédimentaire imputable à la Têt est plus épaisse vers le nord. Au sud, le faible remplissage de la zone déprimée aval s’appuie sur un pointement schisteux du socle paléozoïque (ill. 2). En coupe, dans un sol altéré de teinte ocre, les galets de gneiss, de granites et quelques schistes durs sont cohérents, mais déjà bien cariés ; les quartzites bleus ou gris sont faiblement patinés de brun et les quartz, assez rares, ne le sont que très faiblement par un voile blanchâtre mat, parfois beige clair de tonalité « coquille d’œuf ». Dans cet épandage isolé au centre la plaine et bien séparé des flancs de la vallée par les lits de la Têt et du Boulès, on ne trouve donc ni dreikanters, ni galets de quartz à profondes patines rouges ou violacées en position secondaire. Seuls quelques rarissimes gros galets quartzeux (40 cm) couverts d’une mince patine jaunâtre à orangée pâle, peuvent attester d’un discret mélange avec une formation plus ancienne. En surface, de très rares petits galets de quartz (5‑10 cm) portant des patines de cet ordre sont mieux représentés vers le sud, dans la partie aval de la formation, avec une plus grande proportion de petits galets de schiste. Ces derniers apparaissent en coupe dans les poches de limons beiges, ce qui laisse à penser qu’il s’agit là d’une part imputable au Boulès. Repoussé par les alluvions de la Têt, le cours de celui-ci s’est progressivement encaissé vers le sud, dans le socle schisteux des Aspres. Le plan T2 des Escatllars, peu propice aux mélanges suspectés sur les échines tertiaires du bassin de Rodès, mais sensiblement bouleversé par la remise en culture à la fin du XXe siècle, n’a fourni que des fragments d’éclats atypiques très dispersés et un éclat retouché, pièces qui ne sont toutes que très légèrement usées. Ce sont les seuls échos d’une présence paléolithique sur quelques secteurs bien lisibles. L’examen rapide des puissants tas d’épierrement n’a rien donné de mieux. Cet interfluve semble donc avoir été peu attractif au Moustérien, après la phase rissienne de dépôt des alluvions. Toujours en rive droite, une étroite bande du même niveau alluvial est conservée au débouché des gorges de La Guillera, où elle est partiellement recouverte par des colluvions du versant (alt. 200 m, coupe au bas du ravin de Les Collades). Malgré leur excellente situation topographique sur le flanc du défilé, ces lambeaux, en partie remaniés au buldozzer et peu touchés par l’incendie, sont difficilement exploitables en prospection du fait de leur mise en friche. Ils n’ont rien livré de très probant hormis un ou deux éclats de quartz non usés. 81 82 Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre III - Rive gauche, les restes de terrasses T2 à la confluence du Bellagre Au débouché du Bellagre sur la Têt, la séquence alluviale rissienne de type plan T2 est bien attestée de part et d’autre du torrent (alt. 200 m). Encastrés sur le flanc granitique du versant, les lambeaux de terrasse T2 surmontent d’une quinzaine de mètres les restes de la haute formation T1, que l’on peut dater du Würm ancien. La terrasse rissienne qui se trouve sur la rive gauche du Bellagre est dédoublée en deux paliers par un ressaut de deux mètres. Facilement accessible, elle a été défoncée par un charruage profond. Le sol étant déjà peu lisible lors de la prospection, nous n’avons pu répertorier qu’une rare industrie moustérienne dispersée, composée de quelques petits éclats de quartz et de jaspe très faiblement usés. À la même altitude sur le versant opposé, en rive droite du torrent, cette formation T2 est restée en partie boisée malgré l’incendie. L’absence de chemin carrossable fait que la surface du replat anciennement cultivé ne fut qu’égratignée à l’araire. Bien lisible au sol, la terrasse est exiguë. Elle s’ancre sur le versant abrupt du Bellagre et déborde le long de la Têt sous forme d’une lanière étroite s’allongeant sur le versant, face au sud, bien abritée d’une tramontane qui balaye le plateau 45 jours sur 100 en moyenne. En amont, vers les gorges de Rodès, elle est recoupée par des ravines qui dégagent de bonnes coupes où le remplissage sablo-argileux roux emballe une composante pierreuse où dominent les galets de gneiss cariés, avec de rares quartz peu patinés. La formation se perd très vite le long d’un chaos granitique dont les blocs ont très probablement servi d’abri. En effet, une seconde concentration d’artefacts se trouve au pied de ce chaos. Sur sa surface la plus large, ce plan est incliné dans le sens de la pente. Vers la coupe, au-dessus de la vallée, l’érosion a enlevé les fines et l’on touche presque la racine caillouteuse alors que vers le versant, au nord, les colluvions sableuses ont atterri sur ce piémont, masquant l’ancienne surface alluviale sous plus d’un mètre de hauteur. Il en résulte que l’industrie est plutôt concentrée dans une bande centrale, là où l’araire a pu toucher le niveau archéologique faiblement enfoui sous une vingtaine de cm. Vers l’aval, ce niveau a probablement disparu. Nous supposons qu’il a été protégé en amont. L’industrie ne présente aucun stigmate d’usure, fait remarquable qui renvoie très probablement à sa bonne conservation en sous-sol. La présence de minuscules éclats, tout comme le remontage d’un casson à fracture Siret, attestent qu’il s’agit bien là d’un site primaire. Ce lot compte 203 artefacts pour une masse de 9 680 g, dont 51 ex. (2 720 g) pour la partie sise au bas du chaos, laquelle ne présente pas de différence typologique, ni pour les roches utilisées (sauf les granitoïdes), ni pour les processus de débitage, ni pour l’outillage. Cette industrie résulte principalement, soit pour 177 ex. (87 %, 6 973 g), de l’exploitation de plusieurs variétés de quartz pris sous forme de galets non patinés. Ces matériaux sont rarement bleus (5 ex.) et représentent pour l’essentiel un quartz blanc saccharoïde comportant des cristaux hyalins, des adhérences granitiques et des fissures nappées de placages verdâtres (chlorite ?) ou d’oxydes de fer diffusant dans le matériau des colorations rosâtres ou orangées. Un quartzite gris à grain fin, mais très fissuré, que l’on peut trouver dans le ruisseau de la Font del Farre à Reglella, est simplement attesté sous forme de galet et par un percuteur allongé et lourd dont les cupules médianes sont associables à la percussion posée. Les 5 petits éclats de jaspe ferrugineux du Canigou sont plus fréquemment transformés en outils (3 ex., ill. 16, n° 6 et 7). L’élément remarquable, outre l’absence totale de silexites, est la présence d’un percuteur et d’un débitage d’éclats (20 ex.) qui furent tirés d’un filon local de microgranite (ill. 15, n° 1). Le débitage n’est pas Levallois, rarement discoïde et relativement opportuniste aux dépens de formes prismatiques, proches du mode Quina (ill. 13). Les 15 nucléus sur galets ou sur débris ont produit des éclats bien formés aux talons parfois dièdres ou facettés (ill. 13, 14 et 16). Sur les quartz, la phase préparatoire (21 éclats corticaux) et les éléments fracturés (78 cassons et débris) laissent une bonne place au plein débitage dans le lot des 177 produits de taille, dont 13 sont retouchés. Sauf pour les jaspes, la part des éclats épais (> 1 cm d’épaisseur), est relativement importante, de même que celle des éclats dépassant 3 cm d’extension (94 ex.). La percussion posée est attestée pour le débitage de petits galets (ill. 14, n° 2), mais la pièce esquillée est absente. Sur un total de 25 outils, on ne trouve que 3 galets aménagés,dont l’un diminutif,qui sont difficiles à isoler des nucléus, car peu typiques (ill. 12, n° 1 et ill. 14, n° 1). Les 18 éclats et débris transformés le sont également, soit un bec, deux éclats encochés, des petits racloirs sur éclats épais à retouche écailleuse plate, souvent inverse ou biface (ill. 15 et 16). Le peuplement paléolithique 2 1 0 12 - Gisement paléolithique de la formation T2 (Riss alpin), terrasse du Bellagre. Nucléus en quartz saccharoïde blanc, le n° 1 sur galet non patiné est proche du chopping tool (mais les enlèvements sont courts, rebroussés et discontinus), le n° 2 sur débris est prismatique et diminutif. 83 84 Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre III 0 5 13 - Gisement paléolithique de la formation T2 (Riss alpin), terrasse du Bellagre. Nucléus en quartz et production de divers petits éclats - l’un retouché (n° 5) - dans le même matériau saccharoïde blanc. Industrie fraîche au stade 1. Le peuplement paléolithique 0 5 14 - Gisement paléolithique de la formation T2 (Riss alpin), terrasse du Bellagre. Galets aménagés en quartz saccharoïde blanc. La pièce n° 2 est un petit galet partagé par percussion posée, puis retouché sur un bord, mimant le grattoir. Industrie fraîche au stade 1. 85 86 Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre III 0 3 15 - Gisement paléolithique de la formation T2 (Riss alpin), terrasse du Bellagre. Outillages en microgranite local (n° 1), en jaspe (n° 4) et en quartz blanc saccharoïde. Bec (n° 5) et pièces épaisses à retouche a posteriori (n° 1), inverses ou bifaces (2 à 4). Industrie fraîche au stade 1. Le peuplement paléolithique 0 3 16 - Gisement paléolithique de la formation T2 (Riss alpin), terrasse du Bellagre. Outils faiblement retouchés en quartz saccharoïde blanc, en lave acide (n° 5) ou en jaspe (nos 6 et 7). Courte retouche alternante et fréquemment inverse. Industrie fraîche au stade 1. 87 88 Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre III Cette industrie homogène est très probablement antérieure au dernier glaciaire. Sous réserve d’autres éléments chronologiques plus sûrs, elle pourrait se rattacher à un moustérien ancien du Riss ou de l’interglaciaire éémien, hélas fort mal identifié en stratigraphie dans le Midi (Martzluff 2006). Le mobilier associé à cet ensemble lithique se résume à une plaque de chloritoschiste vaguement épannelée, 4 tessons vernissés et 1 en porcelaine, 2 minuscules tessons à pâte mal cuite et un petit fragment de tuile canal. III.4 - Les formations würmiennes T1 Alors que, dans la basse plaine littorale du Roussillon, les terrasses du dernier glaciaire sont pratiquement cantonnées au lit majeur actuel avec lequel elles se confondent, voire sont masquées par les alluvions holocènes, elles ont ici conquis un espace majoritaire perché au-dessus du fleuve d’une vingtaine de mètres. Comme dans le bassin du Tech, le principal épandage du Würm est ici très proche du niveau rissien. En rive droite, le haut niveau T1 forme l’essentiel de la plaine d’Ille et s’étale en effet à moins d’une quinzaine de mètres en contrebas du plan T2 des Escatllars (alt. 175 m entre Ille et Bouleternère, 160 m à Ille et 130 m à l’aval). Il s’agit d’une forte accumulation d’alluvions datable du premier pléniglaciaire würmien (Calvet, op. cit.). Cette terrasse T1 touche en rive droite le lit majeur du Boulès dont le cours avait déjà été dévié vers le sud. Nous ne l’avons que très peu prospectée, les tests effectués ayant été négatifs. Elle trouve son pendant en rive gauche, dans la zone incendiée, sous forme de quelques lambeaux accrochés aux flancs du versant granitique. Les surfaces les mieux conservées sur cette rive bordant le plateau de Montalba sont occupées par les sites médiévaux de Casesnoves (alt. 160 m) et de Reglella (alt. 130 m) et donc bouleversés par des habitats médiévaux. Deux replats T1 sont cependant attestés en amont de part et d’autre de la confluence du Bellagre avec la Têt (alt. 180 m), immédiatement sous les restes de plan T2. Ils sont assez peu lisibles et nous n’y avons quasiment pas trouvé d’industries préhistoriques. Sur la rive droite du Bellagre, le minuscule vestige de plan T1 a livré une poignée d’artefacts en quartz, dont 4 éclats non usés et une pièce épaisse de même roche à retouche biface, très roulée, qui rappellent l’industrie de la proche terrasse T2. En face, sur le versant dominant la Têt, au milieu de la friche du haut plan T1, quelques quartz taillés atypiques et en bon état de fraîcheur sont associés à 4 tessons modelés. III.5 - Les formations du second Pléniglaciaire würmien et de l’Holocène L’encaissement brutal de la rivière 20 à 25 m plus bas se situe probablement après le premier Pléniglaciaire, soit après 50 000 ans, et correspond à un phénomène constaté par ailleurs dans la vallée du Tech, au niveau du Boulou (Martzluff 2003) ou sur l’Agly, à Caramany (Martzluff 1990). Cette incision caractérise donc des fleuves côtiers au sortir des montagnes et forme ici avec la Têt un véritable canyon après le défilé de la Guillera. On ne sait trop quelle est la part d’héritage que doit cet enfoncement à un sursaut tectonique ou à la forte variation eustatique (niveau marin à - 120 m) couplée à un allègement de la charge sédimentaire du fleuve dans le contexte d’un second Pléniglaciaire bien plus sec, autour de 20 000 ans. Cette phase a laissé quelques banquettes en position intermédiaire (deux plans successifs). Dans tous les cas, les berges immédiates ont ici rétréci et, vers l’aval, les surfaces alluvionnaires actuellement susceptibles d’abriter les traces d’habitats du Paléolithique supérieur se confondent quasiment avec le lit inondable actuel (T0), lequel fut soumis à des crues extrêmement violentes (Aiguat de 1940, par exemple). IV - Le peuplement paléolithique de la cuvette de Rodès Il s’agit d’un compartiment de la vallée en Conflent où le lit actuel du fleuve est très étroit et tendu entre les deux verrous rocheux incisés dans le socle, celui d’amont où est bâtie la chapelle Saint-Pierre (barrage de Vinça) et le piton aval où s’ancre le château de Rodès (ill. 2). Le petit bassin de Rodès a été excavé sur la rive droite dans les accumulations détritiques du Tertiaire par un petit tributaire dévalant du Canigou, le Riu Fagès ou rivière de Rigarda, dont le régime est aujourd’hui celui d’un oued. Au Pléistocène moyen (épisodes T4/T3), ce cours d’eau pouvait déboucher directement dans la plaine du Roussillon par le col de Ternère (M. Calvet, chap. II). Ce secteur fut peu touché par les flammes (colline de Rodès) et nous ne l’avons que peu prospecté. Toutefois, la compréhension globale des industries répertoriées lors de nos prospections dans la vallée ne peut ignorer un cadre déjà tracé par les données publiées et sur lequel il faut revenir. Le peuplement paléolithique IV.1 - L’évolution des industries d’après les anciennes recherches Les copieuses industries « archaïques » du bassin de Rodès avaient été données comme pré-acheuléennes par Jacques Collina-Girard qui avait fait porter son diagnostic sur la part éolisée des « stations » (CollinaGirard 1975‑76 et 1978). Yves Blaize, qui en est l’inventeur, a par la suite daté les séries altérées d’allure archaïque dans les débuts du Mindel (vers 600 000 ans), et les autres séries « anté-würmiennes », dans un acheuléen plus évolué du Riss final (Blaize 1985a, b, et 1987b). Visiblement troublé par des concentrations livrant systématiquement des séries à différents stades d’altération et d’usure pour une même altitude, il considéra d’abord qu’il s’agissait d’un enfouissement plus rapide de certaines pièces (Blaize 1985a et b), puis qu’il valait mieux parler d’industries in situ que de stations (Blaize 1990). C’est en effet plus raisonnable. L’érosion a logiquement pu mélanger les artefacts anciens à ceux du bas de pente. De plus, notre prospection du brûlis au sommet de la butte tertiaire qui sépare le bassin de Rodès de la plaine d’Ille, a permis de recueillir, sur les replats étalés au voisinage de l’ancien col de Ternère griffés par la sous-soleuse lors des reboisements, quelques nucléus sur galets non patinés et un débitage moustéroïde en bon état de fraîcheur qui ne présente pas de différences avec ce que l’on trouve plus bas. Cela pourrait témoigner d’un parcours de ces pentes chargées de matière première sur la très longue durée. Toutefois, les recherches conduites par Yves Blaize dans ce bassin pendant quarante ans ont montré qu’il existait de véritables concentrations d’artefacts, tout à la fois signifiantes de ces peuplements et d’une complexité certaine quant à leur interprétation. - La colline de Rodès Les principaux gisements découverts anciennement se focalisent en plusieurs sites sur le flanc de la butte tertiaire. Deux concentrations sont situées à mi-pente, entre 240 et 230 m d’altitude, l’une au-dessus du village de Rodès, vers l’entrée des gorges de La Guillera (Los Tourous, sites Rodès A et Rodès H‑H’, I‑I’), l’autre au col de Ternère (Terra alba, sites Ternère B, C et D). La série Rodès A regroupe 150 pièces éolisées et fortement patinées, dont 40 éclats. Elle provient, comme les concentrations voisines, d’un léger repli du versant dont le sol rougi pourrait baliser l’ancrage d’une formation alluviale ancienne au-dessus du village. Ce « niveau » situé sous la côte 250 m a été attribué par l’auteur à une phase mindellienne ancienne sur la foi de très nombreuses pièces roulées ou très éolisées à patine orange sombre. La série usée est cependant mêlée de toute évidence à des artefacts de même type, mais non patinés et bien plus frais. L’industrie du col de Ternère regroupe 300 pièces concentrées à la même altitude dans les ravinements d’un substrat tertiaire « arkosique ». Aux « galets aménagés » s’ajoutent des éclats tout aussi érodés. L’absence de patine est analysée ici comme résultant d’une carence en oxydes ferriques dans les sables feldspatiques tertiaires. L’inévitable série fraîche comprend aussi deux racloirs en jaspe et un nucléus en silex plus clairement moustériens (Ternère D). Bien en contrebas de cette ligne des 240-230 m, les concentrations D et L touchent un replat plus étendu et aujourd’hui urbanisé, qui s’étale entre les côtes 220‑215 m au voisinage du cimetière du village. Cette formation de Los Tourous a été interprétée par l’inventeur comme un reste d’un plan T3 fini mindélien (Blaize 1987b) surmontant immédiatement un mince lambeau rissien T2. Ces lots comprennent 25 galets aménagés éolisés dont la patine « orange vif » a été notée comme exceptionnelle, comparée à celle des industries supposées représenter ce niveau. En effet, la série de Rodès E‑E’, présentée comme de l’Acheuléen supérieur, compte aussi de nombreux choppers, des racloirs, encoches et pièces « bifaçoïdes » non patinées et peu éolisées. Légèrement en contrebas, sont mentionnées deux autres concentrations J et K dans « une colluvion issue de la terrasse T2 sur T1 » (industries non décrites). - La formation T2 du Riu Fagès Sur le plan de Los Puigs baixos (alt. 230 m, fig 2), 15 galets aménagés sans éclats associés ont été récoltés par ce chercheur (pas de descriptions, en particulier des patines). Ils complètent les découvertes faites sur ce même versant du bassin par Jean Abélanet, à la même altitude, mais près du col de Conillac/Saint-Pierre par où passe la départementale (sites notés Saint-Pierre 1 et 2). Par la suite, des sols rubéfiés situés en amont, vers la côte 245 m, livrèrent 12 pebble tools (non décrits). Ces gisements furent détruits lors du déplacement de la route nationale faisant suite à la construction du barrage (Blaize 1990). 89 90 Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre III - Rive gauche de la Têt, le gisement moustérien des Ànecs Sur le versant sud du plateau granitique, face au défilé de Sant Pere, le même chercheur découvrit en 1970 une industrie sûrement moustérienne dans une vigne perchée au-dessus du fleuve sur un décrochement rocheux qui avait conservé un lambeau sédimentaire « résiduel de teinte rougeâtre ». Ce site des Ànecs fut détruit en 1974 par les travaux de terrassement du barrage. Les 2 300 pièces de faible dimension comptent des petits nucléus Levallois et des éclats retouchés typiques à denticulés dominants. Au côté des quartz, les matériaux utilisés sont des quartzites, des jaspes du Canigou et du silex dont il a été trouvé, lors des travaux, un dépôt de 40 petits rognons pas plus grands que 6 cm gisant sur une surface de 2 m2 (Blaize 1990). L’étude de la série conservée à Tautavel indique la présence unique de quartzite gris, de jaspe et de phtanite (?) locales (Duran 2002). IV.2 - Problèmes chronologiques soulevés par les terrasses Quaternaires à Rodès Bien qu’il soit périlleux de s’appuyer sur l’altitude absolue des formations quaternaires (compte tenu de pentes longitudinales fortes), tout comme sur la typologie des industries de surface, pour établir une chronologie, il est nécessaire de mettre le doigt sur quelques aspects problématiques soulevés par les interprétations qui en ont été faites. Les replats sommitaux des accumulations tertiaires qui compartimentent la vallée à Rodès et Vinça avaient été attribués à un « Plioquaternaire », puis à un postPliocène sur la carte géologique de Prades au 1/80 000 (Autran et alii 1968), car le flanc occidental est enrichi en galets de quartz patinés qui ne peuvent pas être rapportés au Pliocène terminal. Marc Calvet pense que ces galets erratiques pourraient provenir de colluvions libérées par d’anciennes formations quaternaires ayant nappé le plan tertiaire vers 300 m lors d’une période très reculée (M. Calvet op. cit. supra et ill. 2). En face, vers le sud, un lambeau de haut niveau quaternaire perché sur le versant paléozoïque du Canigou, vers 270 m, sous Domanova, est donné sous toutes réserves comme T3 (Calvet, op. cit. supra). Un âge plus ancien n’est peut-être pas impossible, compte tenu de ce qui suit. En effet, emboîté dans le Pliocène, le puissant épandage du cône affluent de la rivière de Rigarda, où s’encaisse actuellement le Riu Fagès, est bien conservé sur sa rive gauche (site de Los Puigs Baixos). Yves Blaize avait corrélé cette formation et ses rares industries au plan T3 (Blaize 1990). Près du pont du chemin de fer, une belle coupe, haute d’une quinzaine de mètres laisse apparaître, dans des sédiments rougeâtres, la racine altérée de ces dépôts. La surface est cependant riche en schistes et pauvre en galets de quartz. D’après Marc Calvet, elle se raccorde au plan T2 de la Têt. Cette accumulation semble trouver un écho plus loin vers la confluence, au col de Sant Pere de Conillac dans le contexte de placages argileux rouges situés à la même altitude ou même un peu plus haut et livrant le même type de galets aménagés. Mais le problème est que cette formation T2 des Puigs Baixos est logée à 240‑230 m, c’est-à-dire au même niveau, sous la côte des 240 m, où des concentrations d’industries acheuléennes plus ou moins patinées ont été répertoriées juste en face, au-dessus du village de Rodès, dans un contexte de sols rougis dont nous avons également parlé pour le versant dominant la plaine d’Ille-sur-Têt vers la même altitude. Et en effet, les reliques sédimentaires liées à ces concentrations d’artefacts sont bien plus hautes et visiblement plus anciennes (en réalité probablement rapportables à un épisode T3) que les alluvions T2 de la Têt. Or, à Rodès, c’est sur le petit replat des Tourous, logé près du cimetière autour de 218 m, qu’il faut voir un reste de terrasse T2 (ill. 2). Cela suppose donc sur une distance de 500 m une pente importante de 2,2 % du cône affluent entre Los Puigs Baixos et Los Tourous. Au village de Rodès, cette formation est très proche du plan T1 qui n’a rien donné ici de préhistorique en rive droite. Par contre, sur l’autre rive de la Têt, la terrasse des Ànecs, aujourd’hui détruite et qu’Yves Blaize hésitait à rapprocher du Würm, est attribuée au premier plan T1 par Marc Calvet (+ 15 m de l’étiage, alt. 210 m, d’après le plan de masse du barrage de Vinça). Puisqu’il s’agit de la formation du Würm ancien qui fut suivie d’un encaissement rapide du fleuve après le premier Pléniglaciaire, entre 60‑40 000, comme partout ailleurs, ce campement préhistorique ne pourrait donc être que très tardif et cela peut être mis en rapport avec les matières premières (abondance des silexites) et la typologie de l’industrie moustérienne (caractère diminutif et mode Levallois). Le peuplement paléolithique V - Le peuplement paléolithique du bassin de Vinça et des berges du barrage sur la Têt Une partie de cet espace déborde un peu du cadre cartographique présenté sur la carte, mais ne peut s’en séparer pour une compréhension globale. Il n’a été touché par l’incendie qu’en rive gauche de la Têt, sur le versant sud très abrupt du plateau de Tarerach, à la Coma d’Outreilla (ill. 2). En rive droite, les alluvions quaternaires forment donc un autre compartiment de la vallée du Conflent, logé entre l’échine tertiaire de Conillac-Puigs Baixos s’appuyant sur le verrou granitique de Sant Pere où s’ancre le barrage, vers l’est, et celle de Vente Farine – Serrat d’en Molins, dominant vers l’ouest le ravin de la Lentilla et s’accrochant sur le piton cristallin du Castello. L’encaissement du bassin entre les croupes tertiaires est sans doute dû à un creusement de la Lentilla, avant que cette rivière ne soit captée par le Llech, coulant à l’ouest, au cours du Würm (T1). L’érosion fluviatile n’a ensuite que peu touché cette cuvette drainée par trois modestes ruisseaux : Le Real-Sahorle, Les Escoumes et Le Conillac. Mis à part la présence de quelques rarissimes galets de quartz teintés d’une patine jaune pâle en position secondaire sur la terrasse T1, le long du fleuve, les industries lithiques de ce bassin sont produites à partir de galets de quartz ou quartzites non altérés et de galets de jaspes ferrugineux issus de la vallée du Llech-Lentilla V.1 - Les hautes terrasses du bassin En amont, vers le sud et le village de Joch, un glacis T1 dérivant du piémont du Canigou ainsi que des sols limoneux bruns nappent les hautes formations alluviales de la Lentilla qui sont rapportées au plan T2 et qui sont visiblement découplées en plusieurs niveaux jusqu’au village de Vinça, entre les côtes 310 et 250 m, à partir de laquelle s’étalent les nappes T1 de la Têt. Ce plan n’a pas été prospecté. Vers l’est, au débouché des gorges de la Lentilla à Finestret et à sa confluence actuelle avec le Llech, dans la commune voisine d’Espira-de-Conflent, une haute terrasse de la rive gauche (alt. 330‑350 m) est également donnée comme rissienne. Elle s’emboîte dans des accumulations détritiques du Néogène témoignant du démantèlement des filons de quartz et de jaspes issus des affleurements paléozoïques situés dans ce contrefort du Canigou, entre Prades et Vinça. Cette terrasse altérée, dont les surfaces aux sols rougis ont presque partout été nivelées au bulldozer, livre de gros galets de jaspes ainsi qu’une industrie taillée dans ce matériau et dont les états de surface sont très divers, quelques artefacts étant très usés. Les industries récoltées par Yves Blaize sur ces reliefs représentent actuellement la limite amont de la présence de l’homme fossile sur les sites de plein air en Conflent (Blaize 2005). Ces prospections ont permis de réunir un lot de 468 pièces, dont 330 éclats de petite taille et 6 lames (fortuites). Ces pièces sont dispersées, parfois trouvées en coupe dans les ravins. Les états de surface sont très divers : très usés pour 15 éléments, mais le plus souvent en assez bon état de fraîcheur, quoique parfois gélifs, patinés ou fracturés et faiblement roulés. Cette industrie est liée à la présence abondante de matière première et témoigne d’une fréquentation de cette formation sur un temps long, quoique plutôt centrée sur la fin du Riss (« Riss III » d’après l’auteur). Elle correspond tout à fait à l’ambiance moustérienne des autres industries du bassin de Vinça, qui sont moins bien identifiables cependant, car taillées dans les quartz, mais qui sont peu usées et comportent une faible part de galets aménagés-nucléus. V.2 - Barrage de Vinça, les sites paléolithiques des terrasses würmiennes Les industries trouvées autour du barrage de Vinça et dans le ravin de Conillac participent de la même ambiance « moustéroïde » : nombreux éclats de faible dimension en roches locales (quartz principalement et quelques jaspes), aspect frais et non patiné des cortex et des enlèvements, supports plus fréquemment retouchés (denticulés surtout), faible représentation des galets aménagés (ill. 17 et 18). Le débitage Levallois n’est cependant pas bien attesté alors que la pièce esquillée est présente. - Les formations inférieures des ruisseaux affluents Les petits affluents de la Têt qui drainent le plateau de Vinça débouchent dans le fleuve sur la haute terrasse würmienne (plan T1). À l’est et au centre, ils s’encaissent dans le Tertiaire et ont été barrés pour une mise en eau. Les berges du ravin de Conillac, quoique partiellement raclées par des engins mécaniques lors de la création de la retenue, recèlent un gisement localisé sur la rive gauche, en amont des aménagements (ill. 17). Le lac des Escoumes n’est jamais vidangé, car l’alimentation de ce site balnéaire touristique est faible. Les berges sont donc inaccessibles en permanence. 91 92 Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre III 17 - industrie moustéroïde de la terrasse T1, sites de Conillac et de Nossa, autour du barrage de Vinça. Le peuplement paléolithique 18 - industrie moustéroïde de la terrasse T1, sites de Conillac et de Nossa, autour du barrage de Vinça. 93 94 Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre III Par contre, les berges du ruisseau de Sahorle ont donné une rare industrie moustérienne fraîche et diminutive sur éclats de quartz et de jaspe, depuis l’amont (Cuscullera) jusqu’à leur jonction avec le lac de barrage sur la Têt (Donnets). La dispersion de ces vestiges liés aux alluvions T1 d’une paléo-Lentilla doit être mise au compte des aménagements agricoles dont nous avons parlé. - Les berges de la Têt ennoyées par le barrage La construction du barrage de Vinça, au milieu des années 1970, n’a pas donné lieu à des fouilles de sauvetage. Avec d’autres disparitions probables, celle du gisement des Ànecs fut un dommage à déplorer. C’est d’ailleurs ce qui poussa l’Association Archéologique des P.-O., à la fin des années 1980, à entreprendre des prospections méthodiques lors des études d’impact du barrage d’Ansignan-Caramany, avec les résultats spectaculaires que l’on sait pour les sondages et les fouilles de sauvetage réalisées par l’AFAN et l’AAPO, dans une vallée où rien n’était connu antérieurement. Le barrage de Vinça écrête les crues de printemps ; il est vidé chaque année à la fin de l’été, ce qui permet en hiver la prospection systématique des berges sur la zone de marnage des eaux, celle-ci occupant sur les deux tiers amont tout l’espace de la vallée jusqu’au lit actuel, alors que le tiers aval, plus encaissé vers les gorges de Sant Pere, reste toujours en eau jusqu’à la basse terrasse. Trois raisons nous ont poussé à étendre nos prospections dans cette zone touchant l’incendie à la marge, en rive gauche. La première est une lisibilité supérieure à celle des brûlis pour la détection du lithique, bien que le lessivage des fines ait conduit à leur dépôt dans des dépressions boueuses, boues qui colmatent également l’ancien lit majeur. La seconde est que les petites propriétés installées sur la haute terrasse würmienne (plan T1) n’ont jamais subi les remaniements au bulldozer, les labours profonds et les passages du rotovator, constatés partout ailleurs dans la vallée. Enfin, comme la haute terrasse T1 domine de très près le fleuve dans un secteur très favorable, bien abrité du vent dominant, il paraissait utile de tester ces berges pour voir si l’absence des industries du Tardiglaciaire était pareillement avérée ici. C’est bien le cas sur ce point précis : aucun signe du Paléolithique supérieur ! Mais ce résultat ne peut être totalement validé. Nous avons en effet remarqué d’importantes perturbations affectant de vastes secteurs sur les deux rives. Ces perturbations sont marquées par des voies réalisées avec de très gros engins mécaniques et par le remodelage des versants, bien balisés par les alluvions prélevées dans le lit actuel de la Têt lors des travaux du barrage. Ces alluvions comportent en effet des décombres roulés avec de la brique mécanique et, surtout, de nombreux fragments de laitier provenant de l’exploitation des hauts-fourneaux de Ria, depuis la fin du XIXe siècle. Ces galets particuliers n’existent pas dans les anciennes formations T1, bien entendu. L’absence de tessons vernissés rapportables aux mises en culture du XIXe siècle, comme celle des murettes liées aux épierrements, permet par ailleurs de suspecter des perturbations mineures de cet ordre sur certains points paraissant moins touchés. Un contrôle sur les photos aériennes prises au moment des travaux sur le barrage a confirmé la pertinence des observations de terrain et permis de mieux cibler les zones peu perturbées (cf. carte des zones remaniée ill. 1). Il en ressort que seule une partie de la haute terrasse est digne d’intérêt, les bas niveaux würmiens et holocènes, compris dans le lit majeur, étant tous détruits ou illisibles (figurés sur l’emprise du barrage, ill. 2). En rive droite, sur un replat qui longe l’ancienne route nationale, de part et d’autre du ravin où s’encaisse le ruisseau de Sahorle, se trouvent quelques pièces d’une industrie très faiblement usée, sur éclats de quartz et de jaspe, mais très dispersée. Elles rappellent les éléments moustériens trouvés en amont dans les parcelles cultivées. Le segment central de la rive droite, de part et d’autre du déversoir des Escoumes, est aménagé par des feixes. Plus abrupt, il a été remodelé par les travaux sur la partie haute et n’a livré par ailleurs qu’un ou deux éclats frais qui ont le même aspect que les précédents. Finalement, deux points remarquables, situés aux deux extrémités du barrage, méritent un signalement. L’un se trouve en amont, au débouché de la Lentilla, sur un lambeau de haute terrasse T1 situé pratiquement au niveau des plus hautes eaux, vers la côte 240 m. Sur ce replat, quelques anciennes vignes ont été peu lessivées par les eaux et ont livré en surface un ou deux éclats frais en quartz laissant supposer une meilleure conservation des gisements. Il se prolonge le long de la Têt, jusque sous le pont de la route de Tarerach, dans un secteur très touché par les travaux d’aménagement, mais où restent quelques lambeaux stratigraphiques en place. Le fleuve est ici encaissé dans le socle granitique sur plus de 10 m. Le peuplement paléolithique L’autre espace remarquable, hélas situé dans un secteur fort remanié lui aussi, se trouve en aval, entre le débouché du ravin de Conillac et le défilé rocheux où est implanté le barrage. On y trouve d’abord une belle coupe dans l’entaille creusée par le débouché du ruisseau dans la Têt. Latéralement, une poignée d’artefacts participe de la même industrie moustéroïde trouvée par ailleurs (débitage, états de surface). Plus loin, un piton granitique se détache du versant et émerge des eaux à l’entrée des gorges. Cette éminence conserve un bourrage sédimentaire induré et très altéré coincé dans les fissures du rocher et un lambeau de sol qui relie son sommet au versant. Aux alentours gisent quelques artefacts dispersés légèrement usés (stade 2). Une murette sépare le replat sommital en deux enclos. Dans l’un d’eux apparaît une structure circulaire faite de très gros galets plantés et que l’érosion a dégagée. Dans les murs et au sol gisent des débris où des éclats frais débités par percussion posée sur enclume à partir de gros galets de quartz, sans autre indice qu’une grande quantité de ces produits conservés sur place jusqu’à des dimensions diminutives. L’absence de céramique modelée permet d’envisager un âge ancien pour ces éléments étranges et azoïques en surface. Sur la rive gauche, une source d’eau sulfureuse (ravin de Caldes, près du pont de Tarerach) avait été aménagée au XIXe siècle par un petit établissement balnéaire : les Bains de Nossa (Tosti 1987). Ces bâtiments, comme l’ancien pont, ont été détruits par les travaux du barrage. Sur la terrasse T1 qui domine la Têt, s’accrochent encore quelques souches des haies de cyprès, jusqu’à l’ancienne route. Un géologue de l’université de Perpignan, F. Gadel, proche parent des propriétaires, avait constitué une petite collection provenant des feixes établies sur ces terrains, mais plus haut sur le versant (lieu-dit Mare de Deu). Il nous avait confié l’un des éléments qu’il pensait être un biface. Il s’agit d’un nucléus que nous lui avons restitué après l’avoir dessiné (collection Gadel, ill. 18). Le lieu est assez remarquable. Il s’étale sur un replat très partiellement nivelé jusqu’à un piton de granite détaché du versant et autour duquel s’enroulait un paléo-lit du fleuve (flèche bleue, ill. 2). À cet endroit, en bas de pente, coulait une source, qui est encore utilisée aujourd’hui par les habitants de Vinça, quoiqu’elle jaillisse désormais au milieu des enrochements qui soutiennent la nouvelle voirie. Ces enrochements ont totalement masqué les éboulis qui formaient un chaos très propice à l’habitat au ras de la terrasse. Ce relief est mieux conservé vers l’aval où est implanté un remarquable abri sous-roche (ill. 2). Sur la berge gauche de cet ancien lit, qu’emprunte la vieille route de Tarerach, un bourrelet caillouteux a livré une industrie moustéroïde (ill. 18). L’absence de vestiges liés à d’autres périodes et la présence d’éclats de retouche montrent que ce lot relativement homogène se trouve en place, quoique lessivé par les eaux. Hélas ! la partie la plus intéressante du gisement, celle qui se développait vers le bas de pente, fut raclée pour construire la nouvelle route. Ensuite, les terrains situés vers l’aval, le long de la berge, ont été très perturbés par les travaux du barrage, puis deviennent très abrupts et rocheux. VI - Bilan de la recherche : une meilleure approche spatiale du Paléolithique régional Replacées dans leur contexte géomorphologique et dans l’historique des recherches, ces prospections, conduites sur un très vaste espace entre plaine du Roussillon et montagnes du Conflent, ont permis de préciser l’état de la documentation sur le peuplement paléolithique régional. VI.1 - Pas de Pebble culture, ni d’industries très archaïques entre Roussillon et Conflent Les industries attribuables à l’Acheuléen ancien, disons celles qui seraient antérieures à un demi-million d’années – déjà rares dans la plaine littorale du Roussillon et généralement déplacées sur des formations alluviales plus récentes (Martzluff 2004) – ne sont pas représentées ici, le cas de Mata Rodona n’ayant pu être vérifié dans le cadre de cette prospection. On peut encore moins parler de Pebble culture, bien entendu. Les alluvions quartzeuses très patinées et carénées par le vent qui sont sensées accompagner les plus anciennes industries manquent également, sauf sur le plateau de Montalba. Bien que les premiers remplissages quaternaires fassent donc défaut dans ce secteur, l’érosion n’en a toutefois pas gommé toute trace. Dans le bassin de Rodès, ces reliefs semblent avoir été vidangés moins brutalement par des crues directes de la Têt qu’en amont de Vinça ou que dans la plaine d’Illesur-Têt, vers l’aval, du moins si l’on en croit la présence erratique d’industries patinées et éolisées sur galets. Il est toutefois erroné de parler d’industries « archaïques préacheuléennes » pour les séries trouvées dans ce contexte. 95 96 Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre III En tout état de cause, l’Acheuléen n’est pas connu en stratigraphie à l’est des Pyrénées et sur leurs marges avant 700 000 ans. Seul le gisement d’Atapuerca, près de Burgos, témoigne d’une présence plus ancienne de l’homme fossile vers 1,2 Ma. VI.2 - Les premiers peuplements discernables d’un Acheuléen accompli C’est donc un Acheuléen plutôt terminal et bien mieux attesté dans la plaine littorale sur différents niveaux de terrasses T3 où il se trouve parfois in situ, qui apparaît dans le bassin de Rodès. Il s’agit d’une industrie sans vrais bifaces, mimant la Pebble culture archaïque dans un faciès opportuniste qu’il faut associer à l’utilisation massive des galets de quartz locaux et que nous avons proposé d’appeler « Tautavelien » (Martzluff 2006). Un lot conséquent de galets aménagés, à patine orangée et d’éclats éolisés, se trouve à Rodès en position secondaire, hors de son contexte du Pléistocène moyen (fin du Mindel alpin), lequel a disparu des formes de relief, si l’on excepte peut-être quelques chicots résiduels dans la vallée du Riu Fagès. Signalée depuis près de quarante ans, cette série altérée et usée d’artefacts en quartz ou en jaspes locaux se focalise donc sur une lanière de sols rougis difficiles à identifier à Rodès et sur sa correspondance au long du flanc de l’échine pliocène enrichie en galets de quartz qui forme le substrat collinaire du bassin. Au même niveau, le statut de quelques galets aménagés roulés et de quelques éclats faiblement usés, qui ont été tirés de galets de quartz ou quartzite non patinés, demande à être précisé. Ces industries sont libérées par des remplissages sédimentaires altérés, situés autour de la côte 240‑230 m, sur la colline sédimentaire qui sépare le bassin de Rodés de la plaine d’Ille-sur-Têt. En effet, que ce soit au col de Ternère, ou près des gorges de La Guillera, ces plaquages de sols argileux rougis, toujours très proches des arkoses pliocènes ou associés à des chenaux bourrés de galets quartzeux non patinés pouvant provenir du substrat tertiaire, pourraient se rapporter à la jonction des paléo versants avec les nappes alluviales fantomatiques du plan T3. Les traces de peuplements acheuléens existent aussi sur des formations données comme rissiennes, à la fois en rive gauche du Rigarda à Rodès (Puigs Baixos) ‑ mais cet épandage semble plus ancien que les niveaux T2 de la Têt - et sur une haute terrasse du Llech, à Espira-de- Conflent, en limite du bassin de Vinça. Sur cette dernière, une poignée d’artefacts extrêmement usés est associée à un lot plus conséquent de pièces moustéroïdes fraîches sur un gisement de galets de jaspes férugineux locaux, très abondants dans les colluvions néogènes du piémont. La présence de ces matériaux dans les niveaux d’habitat du complexe moyen à Tautavel prouve que cette source de matière première était déjà exploitée à partir de ces gîtes secondaires du bassin de la Têt, au moins entre 500 et 300 000 ans. Cependant, tous les gisements où ces industries se trouvent plus ou moins concentrées font état de mélanges systématiques, pour peu que l’on tienne compte des états de surface de chaque série et c’est bien pourquoi les études typologiques globales qui en ont été faites sont une source de confusion (Collina-Girard 1975‑76, 1978 ; Blaize 1985a et b, 1987b, 1990). En effet, les défilés rocheux et les cols, en particulier celui de Ternère, constituent des passages obligés pour les faunes, lieux très favorables à des campements de chasse, vraisemblablement renouvelés sur le temps long. Autre élément attractif : l’enrichissement des échines tertiaires en galets de quartz, en particulier un quartz saccharoïde proche du quartzite, alors que les terrasses quaternaires, finalement bien conservées à partir de la phase « rissienne » T2, n’en comportent en réalité que fort peu, et les épandages würmiens encore moins. L’abondance des galets de jaspe dans le Néogène d’Espira participe à cette attractivité. Ce qu’il faut finalement retenir, c’est que les vestiges acheuléens balisent une sorte de frontière passant par les bassins de Rodès - Vinça (Blaize 1985a, 1985b, 1987, 1990) et en amont de laquelle le premier peuplement des vallées pénétrant les massifs montagneux est brusquement occulté en surface, comme c’est le cas en Vallespir après le Boulou (Martzluff 2003, 2007b), ou encore dans la vallée de l’Agly, au-delà du bassin de Caramany-Ansignan (Martzluff 1990). C’est donc bien l’érosion qui en a gommé les traces en faisant disparaître la quasi-totalité des formations alluviales antérieures au dernier glaciaire. D’ailleurs, la fréquentation du plateau de Montalba lors du Paléolithique inférieur L. S., est attestée bien plus haut, vers 450 m d’altitude, sous forme de quelques éclats épars, rongés par l’altération et l’éolisation. Elle est très vraisemblablement antérieure au Riss. Le peuplement paléolithique Par hypothèse, les éléments plus volumineux de type Pebble culture qui devraient s’y retrouver en plus grand nombre qu’un ou deux artefacts presque totalement déformés par l’érosion, auront été émiettés par le gel sur la surface du plateau et éolisés lors des phases froides des deux derniers glaciaires alpins, pendant lesquelles ont été surcreusées les dépressions. Les patines violacées d’une partie des quartz résiduels sont la preuve d’une longue météorisation sur place des secteurs déprimés pendant le Pléistocène moyen alors que les versants plus adoucis des paléo-vallées pénétrant le massif offraient sans doute des reliefs favorables à ce peuplement (ill. 4 à 10 et cartes). VI.3 - Les abondantes industries « moustéroïdes », entre Riss et Würm alpins Les industries faiblement éolisées et non patinées, le plus souvent très dispersées, qui intègrent un débitage discoïde et parfois Levallois pour la production d’éclats de modeste dimension, quoique non diminutifs (entre 6 et 3 cm), sont désormais attestées sur le plateau de Tarerach et de Montalba, comme c’était le cas dans le bassin de Rodès et de Vinça où elles sont associées à un débitage discoïde ou Quina et à des nucléus opportunistes sur galets, mimant la Pebble culture. Elles comprennent une part de jaspe ferrugineux qui peut aller jusqu’à être majoritaire près des gisements de cette roche, par exemple à Espira-de-Conflent, en surface et dans des coupes de la terrasse donnée comme T2 (Blaize 2005). Curieusement, il n’en reste que quelques rarissimes traces dans la plaine d’Ille, sur le lambeau de niveau T2 des Escatllars logé entre la Têt et le Boulès, cet interfluve ayant sans doute été peu attractif. Elles sont de même type et présentent les mêmes états de surface que celles identifiées dans la plaine littorale, en particulier dans le bassin du Réart, dans un contexte où l’approvisionnement en galets de quartz était plus facile (Martzluff 2004, 2006). La présence de stations en place ne peut pas être déterminée, sauf sur deux sites liés à « l’événement majeur » qu’a constitué en montagne la glaciation rissienne. L’un se trouve près du cimetière à Rodès (E’) sur un vestige assez bas de plan T2 (cimetière) et comporte aussi des outillages patinés venus du versant (Blaize 1990). L’autre semble bien mieux conservé à Ille-sur-Têt sur un lambeau de terrasse T2 situé en rive gauche, sur le flanc abrupt du plateau de Montalba, à la confluence avec le Bellagre. Compte tenu du contexte et de l’homogénéité typologique des restes copieux et non patinés de l’industrie lithique, ce dernier gisement est même relativement exceptionnel (ill. 12 à 16). Un autre problème est posé par la haute terrasse T1 du bassin de Vinça, aujourd’hui ennoyée par le barrage. En effet, deux gisements ont livré des industries en quartz d’allure archaïque, très peu usées et non patinées, parfois bien concentrées (Conillac et Nossa). Elles devraient théoriquement être plus récentes que le premier Pléniglaciaire würmien. Le débitage Levallois y est rare (ill. 17 et 18) et elles font appel à la technique de la pièce esquillée. La présence d’éclats retouchés ainsi que celle de minuscules enlèvements permet d’envisager un très faible déplacement post-dépositionnel. C’est bien pourquoi il est quand même extrêmement périlleux de proposer une attribution chrono-culturelle précise pour l’ensemble de ces séries d’artefacts « moustéroïdes », d’autant que la référence stratigraphique la mieux documentée, celle de la Caune de l’Arago, offre justement peu de certitude typologique pour la séquence que nous envisageons à la transition entre l’Acheuléen et le Moustérien (lambeaux de remplissage entre les planchers stalagmitiques du Complexe terminal, ensemble 4, « rissien », cf. Martzluff 2006). Cette phase du peuplement régional, sans aucun doute très étalée dans le temps, demeure donc très floue (ill. 19). Ce sont toutefois ces industries peu usées et sur éclats de roches locales qui apparaissent comme les plus abondantes et les mieux conservées en surface sur l’ensemble de la vallée. Elles peuvent se mettre en rapport avec une fréquentation comprise entre un Acheuléen final du Riss et un Moustérien ancien dans les épisodes ultimes de cette séquence alpine (entre 300 et 150 ka), voire jusqu’à un Moustérien accompli au début du dernier glaciaire et pendant l’interstade qui le précède (éémien vers 120 ka). C’est en tout cas un peuplement qui a été moins oblitéré que les précédents et les suivants, mais qui semble ne pouvoir offrir, d’après ces prospections, qu’un seul gisement éventuellement conservé en sous-sol. Et c’est tout à fait regrettable, car le Paléolithique moyen régional n’est correctement connu en stratigraphie dans les gisements troglodytes des deux côtés de la chaîne, que dans ses moments terminaux (stades isotopiques 4 à 3, vers 60-30 ka). 97 Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre III 707 m Soclegranitique granitique et intrusions cristallines associées Socle et intrusions cristallines associées aux gneiss de la Catazone et de la Mésezone aux gneiss de la Catazone et de la Mésozone 1 2 de Jujols-Canaveilles et schistes à chlorite de l'Épizone Calcaires, et calcschistes du Dévonien, Calcaires,poudingues poudingues et calcschistes du Dévonien, Calcaires et marnes noires du Secondaire e Calcaires et marnes noires du Secondaire Molasses Néogène et alluvions Molassesdudu Néogène et alluvions quaternaires terrasses quaternairesdesdes terrasses Principaux sommets Principaux sommets Principaux de plein air air Principauxsitessites de plein Sitesen en grotte ou abri Sites grotte ou sous sous abri e ièg Ar CORBIÈRES CORBIÈRES FENOUILLÈDES de Au 2469 m 3 8 7 17 21 22 ANDORRE CONFLENT art Re 24 20 26 VALLESPIR VALLESPIR 2465 m Étang de Canet 25 h c Te 27 28 2881 m 15 23 1307 m Canigou 2785 m 2897 m 16 18 19 ROUSSILLON 780 m 6 CERDAGNE Segre 11 9 y Agl SALANQUE 12 Tet ASPRES Carlit 2921 m 14 13 10 750 m 5 4 782 m 1314 m CAPCIR N Étang de Salses MER MÉDITERRANÉE Micaschistes et roches métamorphisées diversesdiverses Micaschistes et roches métamorphisées (intercalations de de marbres, quartzites, cornéennes...) (intercalations marbres, quartzites, cornéennes ...) Schistes de l’Ordovicien et du Cambrien, dits dits Schistes de l'Ordovicien et du Cambrien, de Jujols-Canaveilles et schistes à chlorite de l’Épizone Au d 98 ALBÈRES 1256 m 1450 m 2910 m GENERALITAT DE CATALUNYA 1394 m 25 km Michel Martzluff PRINCIPAUX SITES DU PALÉOLITHIQUE ANCIEN ET MOYEN DES PYRÉNÉES-ORIENTALES N°10: :Grotte terrasses Millas,(Corbère-les-Cabanes),P.M. P.A.-P.M. N°1 de l’Arago l'Arago(Tautavel), (Tautavel), Paleo Anc.-Moy. N°11 N°1:: Caune Caune de Paléo Anc.-Moy. de de Montou N°11: :terrasses Grotte dedeMontou (Corbè-les-Cabanes),P.M. N°2 terrasseduduVerdouble, Verdouble, N°2:: haute haute terrasse P.A.P.A. N°12 Baho-Saint-Estève, P.A.-P.M. N°12: :La terrasses de Baho-Saint-Estève, P.A.-P.M. N°3 terrassededeCaramany, Caramany, P.A-P.M. N°3:: haute haute terrasse P.A-P.M. N°13 Llabanère (Perpignan), P.A.-P.M. N°13: :terrasse La Llabanère (Perpignan), N°4 d'Estagel,P.M. P.M. N°4:: terrasse terrasse d’Estagel, N°14 du Robol, P.M. P.A.-P.M. N°14: :terrasse terrassede duCanet-Saint-Nazaire, Robol, P.M. N°5 Julieta(Salses), (Salses), P.M. N°5:: La La Julieta P.M. N°15 P.A.-P.M. N°15: :terrasses terrasse de de Canet-Saint-Nazaire, N°6 delMitg Mitg(Villefranche-de-Conflent), (Villefranche-de-Conflent), N°6:: Cova Cova del P.M.P.M. N°16 Cabestany, P.A.-P.M. P.A.-P.M. N°16: :terrasse terrassesdedelaCabestany, P.A.-P.M.P.A.-P.M. N°7 (Vinçca), P.M.. N°7:: Les Les Anecs Anecs (Vinça), P.M. N°17 Basse (Perpignan), N°17: :site terrasse de la Basse (Perpignan), P.A.-P.M. N°8 Ternère(Vinça), (Vinça),P.A.-P.M. P.A.-P.M. N°8:: Col Col de de Ternère N°18 du Petit-Clos (Perpignan), P.A.-P.M. N°18: :terrasses site du Petit Clos (Perpignan), N°9 d'Ille-sur-Têt, P.A.-P.M. N°9:: terrasses terrasses d’Ille-sur-Têt, P.A.-P.M. N°19 du Réart, P.A.-P.M. P.A.-P.M. N°10 : terrasses de Millas, P.A.-P.M. N°19 : terrasses du Réart, P.A.-P.M. N°20::dépression dépression de de Bages, Bages, P.A.-P.M. P.A.-P.M. N°20 N°21::sites sitesde dePonteilla, Ponteilla, P.A.-P.M. P.A.-P.M. N°21 N°22 :: sites sitesdedePollestres, Pollestres,P.A-P.M. P.A-P.M. N°22 N°23 :: Mas Mas Camomille Camomille (Ortaffa), N°23 (Ortaffa),P.A.-P.M. P.A.-P.M. N°24:: sites sitesde de Saint-Cyprien, Saint-Cyprien, P.A.-P.M. N°24 P.A.-P.M. N°25:: site site d’Argelès, d'Argelès, P.A.-P.M. P.A.-P.M. N°25 N°26:: sites sitesde deTresserre TresserreetetBanyuls-dels-Aspres, Banyuls-dels-Aspres,P.A.-P.M. P.A.-P.M. N°26 N°27:: sites sitesde de Montesquieu, Montesquieu, P.A.-P.M. N°27 P.A.-P.M. N°28:: Pic Pic Saint-Christophe, Saint-Christophe, P.M. N°28 P.M. 19 - Les sites paléolithiques dans les P.-O. (DAO M. Martzluff ). VI.4 - Le rarissime Moustérien évolué du Würm En réalité, le Moustérien n’est caractérisé de façon claire dans cette portion de vallée que dans une phase évoluée et sur une seule station remarquable - les Ànecs - aujourd’hui détruite par les travaux du barrage au débouché des gorges de Vinça (ill. 19). Il s’agit d’industries fraîches et diminutives, à denticulés, intégrant le débitage Levallois et où la part des jaspes locaux, des grés-quartzites et des silexites est importante, au côté des quartz blancs saccharoïdes, toujours dominants (Blaize 1990, Duran 2002). Les quelques éléments Levallois non éolisés relevés par ailleurs, au col de Ternère ou sur le plateau de Montalba par exemple, ne sont pas assez concentrés ou copieux pour parler d’habitat. Ils confirment une fréquentation de ces espaces par Néanderthal au cours la dernière glaciation, présence qui est bien attestée dans le bassin de la Têt, à la grotte de Montou (Corbères-les-Cabanes) et dans celle du Mitg (Corneilla-de-Conflent). En surface, ce peuplement est curieusement bien moins assuré en chronologie pour cette phase tardive dans la plaine du Roussillon, sur le gisement de La Joliette (Salses) ou dans le bassin du Réart, par exemple (Duran 2002 ; Martzluff 2004, 2006). Il est donc fort probable que les stations en plein air de ce Moustérien final, logées au plus près du fleuve alors que s’accentuait son incision dans la terrasse T1, aient subi un sort identique à celles du Paléolithique supérieur. Le peuplement paléolithique 707 m Principaux Principauxsommets sommets Micaschistes et roches métamorphisées Micaschistes et roches métamorphisées diversesdiverses (intercalations de marbres, quartzites, cornéennes...) (intercalations de marbres, quartzites, cornéennes ...) Schistesde de l'Ordovicien du Cambrien, Schistes l’Ordovicien et duetCambrien, dits dits dedeJujols-Canaveilles et schistes à chlorite de l’Épizone Jujols-Canaveilles et schistes à chlorite de l'Épizone 1 Calcaires, poudingues et calcschistes du Dévonien, Calcaires, poudingues et calcschistes du Dévonien, 9 Calcaires et marnes noires du Secondaire Calcaires et marnes noires du Secondaire Principauxsites sitesde de plein Principaux plein air air ANDORRE Sitesenengrotte grotteouousous sousabri abri Sites Fleuves e Fleuves g è au auWürm Würm Ari ancien ancien e de Aud Molasses du du Néogène et alluvions Molasses Néogène et alluvions du quaternaires quaternaireancien-Moyen ancien-Moyen Terrasses moraines et limites des glaces Terrasses ,moraines et limites des auglaces Würmau (après 40 ka) Würm (après 40 ka) Au CAPCIR CAPCIR 11 12 13 Étang de Salses 8 y Agl SALANQUE Tet Étang de Canet ROUSSILLON art Re CONFLENT 1307 m ASPRES 780 m Canigou 2785 m VALLESPIR 2465 m 1256 m 1450 m 2910 m GENERALITAT DE CATALUNYA ch Te 14 ALBÈRES 2881 m Montleo 1130 m 6 7 CORBIÈRES 10 2897 m Segre 4 3 750 m CERDAGNE CERDAGNE 15 2 FENOUILLÈDES 782 m 1314 m 2469 m Carlit 2921 m N 5 MER MÉDITERRANÉE Socle et intrusions cristallines associées aux Soclegranitique granitique et intrusions cristallines associées gneiss de la Catazone et de la Mésezone aux gneiss de la Catazone et de la Mésozone 1394 m 25 km M. Martzluff PRINCIPAUX SITES DU PALÉOLITHIQUE SUPÉRIEUR-ÉPIPALÉOLITHIQUE DES PYRÉNÉES-ORIENTALES N°1 la Roque Roque(St-Paul-de-Fenouillet). (St-Paul-de-Fenouillet). Azilien. N°1: :Four Four de de la Azilien. N°6N°7 : Cova de l’Esperit (Salses). 20 Ka,Magda. Gravettien ?N°10 N°11 : CovaBastera Bastera(Vill.-de-Conflent). (Vill.-de-Conflent). Signes peints. : Cova del PasC.3 Estret (Opoul). : Cova Signes peints. N°2 Penjat(Vingrau). (Vingrau).Magdalénien. Magdalénien. ancien.Magda. Epipal. ancien.N°11 N°2: :Rec Rec del del Penjat N°7 : Cova del Pas Epipal. Estret (Opoul). N°12 : Trou souffleur(Fuilla). (Fuilla). Magdalénien. : Trou souffleur Magdalénien. N°3 (Vingrau). Solutréen. : Station du Ravanell : Balmes -Ambulles(Fulla). (Fulla). Solutréen. N°3: :Les Les Espassoles Espassoles (Vingrau). Solutréen. N°8N°8 : Station du Ravanell (Salses).(Salses). Magda. ?Magda. ? N°12 N°13 : BalmesBerges Berges-Ambulles Solutréen. N°4 (Tautavel).Magdalénien. Magdalénien. Grotte la gare (Estagel). Sup. indét. N°13 : Station N°4: :La La Teulera Teulera (Tautavel). N°9N°9 : Grotte de ladegare (Estagel). P. Sup.P.indét. N°14 : StationdedeSaint-Genis. Saint-Genis. Solutréen Solutréen ?? N°5 : Grotte des Conques (Vingrau). Magdalénien. N°10 : Rocher gravé de Fornols (Campôme). N°14 : Station de Saint-Genis. ? N°5 : Grotte des Conques (Vingrau). Magdalénien. N°10 : Rocher gravé de Fornols (Campôme). Magdalénien N°15 : Montleo 1130 m (Prats,Solutréen Espagne) Magdalénien. N°6 : Cova de l'Esperit C.3 (Salses). 20 Ka, Gravettien ? Magdalénien N°15 : Montleo 1130 m (Prats, Espagne) Magdalénien. 20 - Les sites du paléolithique supérieur dans les P.-O. (DAO M. Martzluff ). VI.5 - Un long hiatus documentaire entre le Paléo­ lithique moyen et le Néolithique Les premiers peuplements de l’homme moderne correspondent ici à une lacune des vestiges sur l’ensemble de la zone prospectée, en particulier sur la formation T1. Cette absence est particulièrement notable sur la haute terrasse würmienne du barrage de Vinça, très proche du fleuve et très lisible dans les parties agricoles non remaniées par les travaux d’aménagements avec les engins mécaniques, à la fin du siècle dernier. Cela pose un sérieux problème, car la pénétration de la vallée du Conflent est bien attestée dans les grottes en amont, au moins pour le Tardiglaciaire (Solutréen et Magdalénien). D’autre part, un Magdalénien ancien, situé en chronologie absolue autour de 16 000 ans BP, est bien présent sur un site de plein air en Cerdagne à 1 100 m d’altitude (Montlleò) ; il a livré des outillages pris dans un jaspe ferrugineux dont nous savons à présent que les seuls gisements régionaux se trouvent entre Prades et le Bassin de Vinça (Mangado et alii, 2004). Ce Magdalénien est également attesté vers 1 000 m d’altitude au-dessus de Prades sur le rocher gravé de Fornols. À la fin de la dernière glaciation, le parcours des Magdaléniens vers les hautes vallées situées au cœur de la chaîne est donc bien fléché en Conflent (ill. 20). Il est donc difficile d’expliquer l’absence totale de vestiges du Paléolithique supérieur. D’une part, les habitats de plein air sont généralement étendus à ces époques ; d’autre part le débitage sélectionne préférentiellement les meilleures roches dures isotropes (jaspes, silex) et tend à la production de lames. Les déchets techniques générés par un campement de cette séquence ne pourraient donc passer inaperçus, même mêlés en surface à des vestiges de périodes plus anciennes ou plus récentes. 99 100 Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre III C’est pourquoi cette lacune sur l’ensemble de l’aire géographique prospectée nous paraît signifiante. Nul doute que la vallée était peuplée. Or, cette absence ne peut s’expliquer pour des raisons telles que la dangerosité des crues estivales, certainement réelle, ou la pénibilité due à des vents très violents, fort probable également, car les chasseurs paléolithiques ont occupé des campements de plein air dans des milieux bien plus hostiles pour peu que leurs proies y fussent abondantes. Il faut donc tenir compte de plusieurs facteurs qui constituent de sérieux handicaps pour la prospection de surface concernant ces périodes dans ce secteur : 1 - L’encaissement du fleuve après le premier Pléniglaciaire würmien et la création de nouvelles terrasses favorables à l’habitat au plus près du cours d’eau, formations qui ont ensuite été démantelées par les crues du lit majeur. 2 - La difficulté de prospecter le terroir des terrasses alluviales dévolu à l’arboriculture, où les labours profonds ont presque toujours accroché la nappe de galets, (épierrements, rotovator). 3 - Avec un faible écho prévisible des microlithes en surface, le fait que les terres acides soient azoïques supprime l’appui pertinent des faunes pour détecter les gisements concernant ces périodes, en particulier pour les petits sites épipaléolithiques. 4 - Les remaniements anthropiques d’ampleur s’ajoutent à ces difficultés (villages médiévaux de Casesnoves et Reglella sur les niveaux les mieux protégés et bien exposés de la rive gauche de la Têt, plantations forestières et suppression des affleurements schisteux pour la mise en terrasse des versants, urbanisation galopante actuelle...). 5 - Enfin, la rareté des sites troglodytes et des grands abris favorables, en particulier dans le petit synclinal calcaire de Bouleternère et sur le plateau granitique de Montalba, situés dans un maquis impénétrable, a rendu cette zone peu attractive pour les chercheurs qui ont fourni dans le passé l’essentiel de la documentation trouvée en grotte pour ces périodes. Malgré ces difficultés, l’absence de gisements de surface pouvant se rapporter à l’intervalle AurignacienSauveterrien sur cette aire géographique reflète dans ce travail un résultat indubitable du terrain. Il confirme ce que nous avions déjà diagnostiqué pour l’ensemble du département où les occupations de plein air du Paléolithique supérieur au Mésolithique sont uniquement attestées dans les bassins fluviaux à faible régime nival et dénivelé modéré des Corbières, tels le Maury et le Verdouble, par exemple (Martzluff 1998b, 1999b). Il s’en suit que notre connaissance des peuplements anciens des Pyrénées catalanes à partir du dernier glaciaire, Moustérien compris, repose essentiellement sur l’investigation des sites en grottes ou sous abri, en particulier pour les vallées du Tech, de la Têt et pour la haute vallée de l’Agly. chapitre IV L’occupation du plateau de Rodès et Montalba-le-Château à l’âge du Bronze Alain Vignaud I - L’environnement, les lieux et les sites I.1 - Cadre naturel de l’occupation Dans le territoire prospecté dans le cadre de ces travaux, les secteurs ayant livré des traces d’occupation de la Préhistoire récente sont disséminés sur une aire d’environ 150 hectares, se développant principalement au nord-ouest de la zone brûlée. Si quelques points paraissent isolés, l’essentiel des vestiges se situe sur le plateau dit de Montalba (470 m NGF) animé par différents reliefs (520 m NGF), et surtout, limité à l’est et à l’ouest par les profondes incisions des cours d’eau intermittents, le Bellagre, et le Tarerach, coulant plus de 80 mètres en contrebas (ill. 1). À l’ouest, au-delà du Tarerach, en zone non brûlée, des vestiges apparemment contemporains de ceux qui nous intéressent sont attestés. En contrepartie, à l’est, de l’autre côté du Bellagre, d’importantes surfaces mises à nu par l’incendie et donc aux sols bien lisibles, n’ont fourni aucune trace d’occupation, même ténue : il est évident que l’important ravin constitue une limite spatiale majeure de l’occupation. Dans un paysage assez contrasté, alternant « serrats » parfois prononcés, collines et plateaux plus ou moins encombrés de chaos et d’affleurements rocheux, près de 50 points ont livré différents vestiges,en densités variables. . Cf. chap. II Marc Calvet, « Géomorphologie d’une montagne brûlée » : la genèse et l’évolution du plateau de Montalba. . L’enregistrement des points issus des prospections s’est fait soit par chiffres, soit par lettres. Ce « désordre » apparent est dû à la forte densité de points « à Ces derniers s’articulent avec et autour d’importantes niches écologiques dont on peut estimer qu’elles sont à l’origine du choix de l’occupation. Il s’agit essentiellement de larges espaces bien sédimentés, plans ou en légère cuvette, évoquant pour certains d’anciennes dépressions hydromorphes. La présence de l’eau, sous forme de sources, de mouillères ou de retenues épisodiques est d’ailleurs attestée en plusieurs points. La topographie des lieux est également importante : de nombreux vestiges sont situés à proximité ou dans l’axe des vallées ou de légers cols, l’ensemble suggérant des itinéraires plus ou moins obligés, dont on devine encore aujourd’hui le cheminement. Ces derniers, à l’échelle du plateau, sont principalement orientés vers le sud, la vallée de la Têt, et surtout sur un axe sud-est/nord-ouest, matérialisant une jonction avec les crêtes voisines, au nord-ouest, ou la vallée de l’Agly plus au nord. céramique modelée » (ici âges du Bronze) découverts lors des prospections initiales. Au départ, afin de distinguer cette période particulière, il avait été convenu de n’utiliser pour désigner ces sites que des lettres : A, B, C,... cependant, il s’est vite avéré que l’alphabet avec ses 26 lettres ne suffirait pas. La décision a donc été prise de continuer l’enregistrement avec des chiffres, en partant de 1001, afin de conserver une bonne marge de sécurité par rapport à l’enregistrement des sites des autres périodes déjà découverts. Pour éviter toute confusion, on a jugé plus prudent de garder cette « nomenclature » qui figurait déjà sur bon nombre de documents (listes, relevés, clichés) et de mobiliers. . cf. Calvet Marc « Une hydrologie fantasque ». . cf. Calvet Marc « Un espace charnière sur de vieux itinéraires pastoraux ». 102 Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV Montalba N Le Planal v. Ra Mas d’en Colom de Roc del Maure Be llagre T Le arerach Lieusanes La Cougoulère Limites du feu La Tet Vestiges découverts lors des prospections Rodès Zones humides Vestiges déjà connus Barrage de Vinça 0 1000 m Lo Castello Vinça 1 - Situation des vestiges découverts lors des prospections dans leur contexte archéologique (âges du Bronze et 1er âge du Fer). L’occupation à l’âge du bronze I.2 - Environnement archéologique connu Sur ces secteurs de l’arrière-pays, généralement peu fréquentés et peu prospectés, quelques sites sont cependant connus. Ils ont surtout été détectés par leur situation remarquable sur des hauteurs bien limitées (oppidum), ou, pour l’essentiel, sur des terres aux sols relativement bien lisibles, qu’il s’agisse de terres mises en culture ou de surfaces bien dégagées. Ces sites sont de taille très variable, se résumant parfois à quelques tessons ou artefacts lithiques. On peut estimer, et les vestiges mis au jour suite à l’incendie le démontrent, que la densité de l’occupation, occultée par la garrigue et les zones boisées, était plus importante que celle que nous connaissons aujourd’hui. La majorité de ces sites connus se situe à l’ouest, hors zone brûlée. Le plus important est le Roc del Maure, sur la commune de Tarerach, grand oppidum reconnu dans les années 60, et qui depuis a fait l’objet de différents travaux par plusieurs intervenants. L’essentiel de l’occupation, sans exclure une présence plus ancienne, est daté du 1er âge du Fer. Le Mas de Lieusanes (ou Llosanes), sur la même commune, a également livré les traces d’un habitat de l’âge du Bronze associé à deux dolmens, dont le plus imposant est le dolmen de la Barraca (Abélanet 1987b). Le mobilier, tant céramique que lithique, dont des « anneaux disques », est similaire à celui des sites du plateau. Jean Abélanet, lors de prospections dans les années 70, avait de même découvert quelques industries disséminées au nord est du village de Montalba-le-Château, non loin de l’église, ainsi que trois « anneaux disques en roche », contemporains de ceux mis au jour sur le plateau de Montalba (Abélanet 1987b). Cette occupation peu importante, ne semblait pas caractériser d’habitat, mais plutôt une fréquentation. Toujours au nord nordouest du plateau, une récente publication d’Yves Blaize signale la découverte de deux stations sur la commune de Tarerach : Le Planal (Néolithique moyen) et le Mas d’en Colom daté du Bronze ancien (Blaize 2006) Au sud, en position basse, non loin de la Têt, quelques habitats plus récents (présence de céramique tournée) sont cités dans la littérature : La Cogoulère et Lo Castelló (ill. 1). Enfin, dans un environnement plus large, les principaux vestiges de la période qui nous intéresse ont été mis au jour lors des fouilles de la Caune de Bélesta, distante de près . Kotarba, Castellvi, Mazière 2007 (CAG 66), notices : 165 – Rodès (C.A.N. 00H) ; 201 – Tarerach (C.A.N. 001P). . Voir CAG 66, notices : 230 –  Vinça (C.A.N. 001H, C.A.N. 009H et C.A.N. 011H). de 6 km (Claustre, Zammit, Blaize 1993), et également à Caramany, lors des importants travaux archéologiques liés à la construction du barrage sur l’Agly (Kotarba 1991 – Porra 1991). II - Abondances ou absences, variabilité et limites des prospections La découverte et la collecte de mobiliers, lors de prospections pédestres, reste évidemment le point de départ fondamental de ce travail. Au-delà d’une première approche, établie à partir de la densité et de la qualité de ces documents épars à la surface du sol, la réflexion a pu s’étendre à partir du point de la découverte, quelquefois très limité, jusqu’à son environnement large, à l’échelle du plateau. Outre l’étude de cette répartition dans l’espace, essentielle pour une vision d’ensemble, les observations fondées sur ces objets de la culture matérielle sont primordiales. Elles restent cependant très lacunaires, les limites d’une telle approche étant connues : au-delà de l’équipe de prospection proprement dite, composée d’individus avec leurs qualités (grandes) ou leurs défaillances (infimes), les conditions naturelles jouent un rôle important, qu’il s’agisse de l’éclairage, des conditions climatiques (atmosphériques), mais aussi de l’aspect et de l’état des secteurs prospectés, de totalement à très moyennement lisibles pour différentes raisons. Ces diverses variables influent sur les collectes qui peuvent ainsi s’avérer plus ou moins fournies, plus ou moins pourvues en gros éléments ou au contraire en tessons centimétriques. Dans un autre registre, en ce qui concerne les sols et leur genèse, divers selon leur situation topographique ou leur composition géologique, on peut estimer que l’érosion, naturelle ou anthropique, ait en certains secteurs faussé les traces des anciennes occupations. Ainsi, et c’est l’une des conséquences, au moment de cartographier et donc de donner des limites aux sites détectés, ces dernières peuvent s’avérer quelquefois arbitraires, notamment sur les secteurs ayant fourni une densité de mobiliers faible ou très moyenne, répandus sur de grandes surfaces. En revanche, si certains points n’ayant livré qu’une dizaine de tessons sur un petit espace sont difficilement interprétables, plusieurs zones d’occupation se révèlent nettement, à partir des mobiliers mais surtout de limites spatiales naturelles clairement avérées (chaos rocheux, abrupts...). 103 104 Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV Une seconde conséquence indirecte des érosions concerne, de façon variable, l’aspect et l’état de conservation du mobilier, essentiellement céramique. En effet, d’une façon générale, les tessons découverts dans les chaos ou près de blocs sont de bonne taille (ce qui confirme la moindre évolution de ce paysage particulier), et à l’opposé, les tessons collectés sur de légers glacis ou des zones plus planes, souvent dévolues aux cultures il y a encore quelques années, sont très fragmentés et érodés, par les travaux agricoles et les passages sur ces sols dénudés. Dans ces cas l’étude des céramiques, notamment celle des surfaces et des cassures, est très malaisée. Cette perte est assez pénalisante pour la mise en évidence ou l’identification de certains traceurs. Dans une approche plus fine attachée à l’étude de ces mobiliers, un préjudice important, toujours inhérent aux prospections de surface, est à souligner : en l’absence de fouille et de stratigraphie, l’attribution chrono-culturelle d’une majorité de tessons peu caractéristiques n’est pas assurée. L’ensemble, dont on ne peut affiner la chronologie, reste néanmoins assez cohérent, comme nous le verrons par la suite. III - Habitat ou fréquentation ? Au-delà des doutes sur la contemporanéité ou la succession chronologique des sites découverts, doutes impossibles à lever à partir des mobiliers, se posait le problème des formes d’occupation du territoire à l’âge du Bronze. En effet, dans notre région, nous n’avons pas connaissance d’une telle densité de vestiges de cette période, dispersés sur plusieurs hectares, et donc aucune référence pour leur interprétation, leur fonction, leur durée d’utilisation et leurs éventuelles relations. Afin de donner une base commune à cette étude, pour aller au-delà d’une simple présentation factuelle, nous avons pris le parti de considérer tout l’ensemble des sites et du mobilier comme globalement contemporains, puis de mener leur étude en privilégiant la situation topographique des différents points pour identifier des modalités d’implantations similaires et ainsi d’effectuer des regroupements pertinents. Cette démarche reste bien entendu un parti pris, mais elle nous a semblé à même d’ouvrir des perspectives de réflexion intéressantes. . Voir sous-partie : « Mobiliers et chronologies ». L’étude de ces sites s’est donc d’abord attachée à l’examen de la cartographie, des reliefs et des altitudes. La répartition spatiale des vestiges, disséminés surtout sur les hauteurs encadrant des prairies humides, montre trois grands ensembles, séparés de près de 800 mètres, distance qui semble suffisante pour justifier ce partage (ill. 2). Ces ensembles sont composés chacun de 8 à 10 concentrations, bien différentes. Habitats pérennes de différentes tailles ou zones de fréquentation plus ou moins intensive ? Au sein des trois ensembles, trois groupes hiérarchisés ont été distingués, à partir de leur situation topographique, de leur surface, des différentes composantes paysagères ou géomorphologiques, et en relation avec la densité des mobiliers (ill. 3). Ainsi se distinguent les sites de hauteur plus ou moins importante, mais dominant toujours les secteurs alentour (groupe 1). Ces sites sont spatialement limités par d’importants abrupts, des chaos rocheux naturels, ou par endroits peut-être aménagés, suggérant une manière d’« oppidum ». Ces points, qui ont fourni d’importantes séries concentrées (2110 tessons de céramique pour le point 1025, sommet et base) ne sont pas obligatoirement très étendus, leur principale caractéristique étant leur élévation, situation qui semble exclure d’ailleurs une fonction autre que celle d’habitat, surtout si l’on considère la variété des vases représentés, allant des gros récipients de stockage aux petites coupes à boire. Il semblerait que ces points forts constituent le noyau principal des occupations, certainement pérennes. En contrebas de ces sites de hauteur s’étendent les zones « médianes », intermédiaires (groupe 2), composées de petits plateaux, généralement cernés par des barres rocheuses ou des chaos, au sein desquels se devinent ponctuellement des points remarquables, naturels ou « aménagés », sans que l’on puisse dire pour autant si ces « constructions » sont contemporaines de la période qui nous occupe. Malgré une assez grande densité de mobilier dispersé sur ces secteurs, avec de plus fortes concentrations sur et à proximité de ces possibles aménagements, il n’existe aucune preuve que ces zones soient celles d’un habitat. Un habitat, en relation éventuelle avec des secteurs à vocation économique ou artisanale, est toutefois probable sur ces emplacements, sous une autre forme que celle des « oppida ». L’occupation à l’âge du bronze Montalba Limites du feu Zones humides 105 N Ensembles écartés Vestiges “isolés” 1003 ENSEMBLE 1 1025 1005 de v. 1007 Ra 1008 1002 1004 1026 1043 1006 1027 1042 1011 V J I T Le H L M K 1016 G arerach C A D E 1034 W U Be llagre 1013 1030 1012 1014 1029 1015 1019 1018 1021 1020 1031 1022 ENSEMBLE 2 1038 ENSEMBLE 3 1037 1036 1033 La Cougoulère 1024 143 (citadelle) La Tet Rodès Barrage de Vinça 0 1000 m 2 - Les différents points et les ensembles distingués à partir des concentrations. Ra vin d eM on Vinça tju ic h Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV Montalba Limites du feu Groupe 1 N Groupe 2 Groupe 3 Vestiges “isolés” 1002 400 ENSEMBLE 1 Ra 518 de 1007 v. 1008 1025 1043 1005 500 Be 437 1006 554 469 484 1030 1014 485 500 llagre T Le L M H K 1016 arerach 470 D W U 1020 467 463 1021 ENSEMBLE 2 A 1038 ENSEMBLE 3 1037 1036 1033 La Cougoulère 1024 530 143 (citadelle) La Tet Rodès Barrage de Vinça 0 1000 m Pla 3 - Les ensembles et leurs trois différents groupes, discriminés principalement à partir des altitudes. Seuls figurent ici les points les plus importants. vin d Vinça Ra 106 L’occupation à l’âge du bronze 4 - L’ensemble 1 avec ses principaux groupes. Vue cavalière du sud-ouest. En aval de ces paliers médians, et donc en situation la plus basse, un troisième groupe a été défini (groupe 3). Celui-ci, le moins évident car le plus lâche et le plus étendu, concerne de larges zones, généralement situées sur les versants conduisant aux marges des plateaux ou dépressions bien dégagés. Les éléments de la culture matérielle, céramique, mais surtout « objets lithiques », y sont abondants. Il semblerait que l’importante superficie mais aussi la topographie de ces secteurs, assez rocailleux et pentus, doivent exclure l’habitat, tout au moins tel qu’il se présente de façon remarquable sur les sommets (groupe 1) et éventuellement sur les petits plateaux intermédiaires (groupe 2). Quoi qu’il en soit, l’intense fréquentation des zones de ce groupe 3, situées à proximité des axes naturels et en bordure des niches écologiques, est certaine, qu’il s’agisse de secteurs d’habitat pérenne ou secondaire, ou plutôt, comme on peut l’envisager, liés à un important stationnement ou passage. Étant entendu que ces schémas et ces partages effectués à partir des trois types d’observations élémentaires (situation géomorphologique, surface et densité des mobiliers) sont pertinents quant au fond et pour chacun de ces groupes, autorisant ainsi des comparaisons, il n’en reste pas moins que des variantes peuvent être perçues dans leur forme. IV - L’occupation, les ensembles et les groupes Trois grands ensembles, chacun avec les trois groupes respectifs définis ci-dessus, ont été distingués. L’ensemble 1, le plus évident car bien dissocié des autres, se situe au nord. Il comprend les points 1001, 1002, 1003, 1004, 1005, 1006, 1025, 1026, 1027, 1042 et 1043, couvrant au total environ 3,5 ha (ill. 3, 4 et 5). 107 108 Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV 5 - Profil de l’ensemble 1 vu du nord, avec ses différents paliers distinguant chacun des trois groupes. 6 - Ensemble 1, le point 1025, site perché de type oppidum constituant le groupe 1 (habitat pérenne). Au sein de cet ensemble on peut singulariser : - Le groupe 1, sans doute l’habitat, est caractérisé par le point 1025, de type oppidum, cerné par de gros chaos rocheux associés, surtout au nord et à l’ouest, à de forts abrupts. Au sud, une rampe d’accès au sommet est encore bien visible. Cette dernière, peut-être légèrement « aménagée », semble naturelle (ill. 6). Ce site perché, malgré sa faible superficie d’environ 350 m2, a fourni d’importantes séries céramiques, dont des tessons de bonne taille, appartenant à des récipients de capacité et d’usage variés. À l’origine, lors des collectes de mobilier, ce point avait été scindé en plusieurs secteurs : 1025 – S1 correspondant au sommet de l’oppidum, et les secteurs 1025 – S2 à S7 aux versants et aux bases. Pour des facilités de gestion, s’agissant d’un mobilier homogène, ces derniers secteurs ont été fusionnés (voir inventaires). De même, Yves Blaize, archéologue, lors de reconnaissances préalables, dans les années 90, avait collecté et étudié une série provenant de ce point, nommé alors par lui « Oppidum de Ropidera ». Ce mobilier, qu’il nous a transmis, a été incorporé à cette étude. Nous l’en remercions (planches 1 et 2). - Le groupe 2 intègre le point 1043 et ses abords, situé en contrebas à quelques dizaines de mètres, et 1026, tout proche sur un léger replat. L’occupation à l’âge du bronze 8 - Ensemble 1, groupe 2, une partie de l’intérieur du point 1043 « limité » par des chaos rocheux. 7 - Ensemble 1, groupes 1 et 2 vus du nord. Le point 1043, le plus important, se distingue surtout par un espace à peu près plan, d’environ 800 m2, grossièrement ceinturé par d’importants chaos rocheux et de gros blocs donc certains pourraient avoir été déplacés. En son centre, une petite cabane en pierre sèche, ruinée, plus récente, attesterait la fonction, probablement reconduite au fil des siècles, que nous proposons pour ce point : aire de parcage ou de stabulation de troupeaux avec cabane de berger ou plus simplement espace dévolu à l’économie agropastorale (ill. 3, 7, 8, 9 et 10). - Le groupe 3 est composé, au nord du site de hauteur 1025, par les points 1002, 1003 et 1004, difficilement interprétables, et au sud, sur le versant bien exposé menant à la dépression et en bordure de cette dernière, par les points 1005, 1006, 1042 et 1027. Ces sites, particulièrement 1005 et 1006 que l’on pourrait associer car tangents, ont donné de grandes séries de céramique : 665 tessons pour le point 1005, à proximité duquel se trouve un petit dolmen, et 727 tessons pour le point 1006 (planches 6, 7 et 8). Les fragments d’objets manufacturés, en pierre, y sont également très abondants (123 unités). La présence du dolmen (cf. V. Porra, annexe III) peut suggérer l’existence d’un axe de circulation, ces monuments mégalithiques étant souvent situés en bordure des voies. Pérennité, bon sens ou contrainte topographique : le chemin actuel passe tout à côté. 9 - Ensemble 1, « parement » extérieur du point 1043 vu du sud‑ouest. 10 - Ensemble 1, petite cabane ruinée, probablement médiévale ou moderne, au centre du point 1043. 109 110 Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV 11 - ensemble 2, avec ses différents groupes, vus de l’ouest. 12 - Ensemble 2, groupes 1 et 2 vus du sud-est. L’occupation à l’âge du bronze 13 - Ensemble 2, groupe 1. Au sein du point U, un aménagement estimé contemporain de l’occupation. 14 - La construction du point U, possible cabane. L’ensemble 2, également bien marqué, est situé à environ 650 mètres au sud-est du précédent. Il intègre les points W, U, V, 1018, 1019, 1020, 1021, 1031, 1012, 1011, 1013, 1029, 1030, 1014 et 1015. L’ensemble s’étend également sur près de 3,5 ha. (ill. 3 et 11) - Le groupe 1 a comme noyau principal dominant le point W (et son élargissement U et en moindre part V). Parmi les gros blocs des chaos qui l’occupent, parfois aménagés, de gros panneaux de céramique ont été collectés (ainsi qu’un petit nodule de métal cuivreux, possible résidu de fonte). Les grands vases de stockage y sont particulièrement représentés, suggérant un habitat (ill. 12 et 13). À l’extrémité sud-ouest du point U, la présence d’un petit aménagement circulaire, d’envi- ron 3,5 m de diamètre intérieur, est matérialisé par des pierres et de gros blocs subcirculaires, tangents, posés sur un seul lit. L’absence de fouille ne permet pas d’interpréter cette construction, possible cabane, dont on ne sait, en outre, si elle est contemporaine (ill. 14). - Le groupe 2 se développe en contrebas, vers le sud, séparé par un court espace plat et bien dégagé, dont on peut estimer, vu sa situation, qu’il occupe également un « lieu de passage » (axe d’un col). Une piste y est encore actuellement en service, la même qui passe au pied des points 1005 et 1006 de l’ensemble 1. Il est composé par les points 1018, 1019, 1020, 1021, 1022 et 1031, contigus, distingués par différents petits paliers, mais surtout par d’importantes barrières rocheuses limitant partiellement de grands ensembles. Ainsi les points 1020, 1021 et 1022, que l’on pourrait associer, se démarquent en outre par une forte densité de mobiliers : près de 1 500 tessons pour les trois points ainsi que 60 objets manufacturés en roche (ill. 15). Le statut de ce site, auquel l’on accède aussi par une rampe naturelle encadrée par d’énormes blocs en place, est peu probant, l’espace relativement plan, partiellement circonscrit ou cloisonné par les barres rocheuses ou les chaos, couvrant près de 2 500 m2. Ce dernier pourrait tout aussi bien être lié à un habitat (pérenne ?), qu’à l’activité productrice, comme éventuellement le secteur 1043 de l’ensemble 1, par exemple à une zone de parcage ou de stabulation de troupeaux. - Le groupe 3, légèrement à l’écart, à l’est, comprend les points 1011, 1012, 1013, 1014, 1015, 1029 et 1030. Ces derniers, installés sur des replats étagés en pente douce, sont relativement groupés. Au nord‑nord-est, ils s’adossent aux chaos (non occupés) dominant les abrupts très prononcés, presque à pic, menant au Bellagre, tandis qu’au sud, dans le sens de la pente, les vestiges se terminent en bordure d’un replat humide, sur lequel passe le chemin actuel déjà évoqué, passage également obligé, car au-delà de ce palier, toujours vers le sud, le relief plonge vers une vallée encaissée. Indépendamment du point 1030 ayant livré près de 600 tessons, les traces de l’occupation restent très modestes. Cette (relative) faiblesse est néanmoins à pondérer : toute cette zone a été particulièrement bouleversée anciennement par la présence probable de champs et, récemment, par d’importants travaux mécanisés (replantations par l’ONF) (ill. 16). 111 112 Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV 15 - Ensemble 2, les groupes 2 et 3 vus de l’ouest. 16 - Ensemble 2, groupe 3, concentrations terminant la série des sites avant la rupture de pente descendant vers le sud. Noter les profonds sillons dus aux replantations de l’ONF. L’ensemble 3, à l’ouest, est à plus de 850 mètres de l’ensemble précédent. Il est constitué par les points assez lâches : A, D, G, H, I, J, K, L, M et 1034 (ill. 3 et 17). - Le point H, constituant le groupe 1, est un petit site de hauteur installé au sein de la ligne de crête d’un fort relief orienté nord-sud. Relativement plan et dégagé de tout matériau, l’espace circonscrit, de 18 m de long pour 10 m de large, est bordé au nord-est par les vestiges d’un alignement de pierres et de gros blocs posés sur un seul lit, formant une barrière artificielle, alors qu’à l’ouest, les très fortes pentes menant au Tarerach, ici particulièrement encaissé, constituent une limite naturelle. Ses marges nord et sud sont matérialisées par d’importantes barres ou chaos rocheux. Bien que de surface réduite, ce site a fourni une intéressante série céramique collectée sur les parties bien sédimentées de la plate-forme où la roche affleure par endroits, mais aussi sur les premiers mètres de la pente ouest, où il a été jeté ou déplacé par les pertes sédimentaires. Ces vestiges attestent certainement de l’ancienne présence d’un habitat pérenne en ces lieux (ill. 18 et 19). - Au pied du point H, à l’est, se développe une large prairie, bordée au nord par des chaos rocheux en légère élévation, s’appuyant sur les premiers contreforts du Serrat Blanc. Dans L’occupation à l’âge du bronze cet ensemble peu cohérent, les points I, J, K et L ont été enregistrés. Ils constituent le groupe 2 sans pouvoir distinguer si celui-ci se rapporte à l’habitat ou à une « zone d’activité » liée à l’économie (ou aux deux). - À l’extrémité sud du plateau, en léger pendage dans cette direction, une « mouillère » est à l’origine d’un petit ruisseau assez encaissé s’épanchant vers le sud. C’est à proximité de cette modeste résurgence que se situent plusieurs petites concentrations, difficilement interprétables, semblant plutôt signaler des zones de fréquentation, éventuellement associées à la présence de l’eau ou à la proximité de la prairie (pâtures). Il s’agit des points M, G, D et 1034 constituant le groupe 3. Sur la totalité de l’ensemble 3 les objets manufacturés en roche sont absents (plusieurs prospections postérieures ont été effectuées sur ce site, elles ont confirmé cette absence assez surprenante). Bien que la série céramique collectée soit globalement similaire à celle des autres ensembles, cette distinction pourrait signaler un écart chronologique ou éventuellement une économie particulière, autre. On doit prendre en compte également le fait que ces concentrations sont nettement excentrées par rapport à l’axe de communication naturel qui relie les ensembles précédents, 1 et 2 (cette question est plus amplement développée dans le paragraphe 7). 17 - ensemble 3 avec ses groupes, vus du sud. 18 - le point H, site de hauteur installé au sein de la ligne de crête. Vue zénithale. Outre ces ensembles circonscrits, quelques points « isolés » ont été enregistrés. Certains, anecdotiques, attestant probablement d’un court épisode de fréquentation, n’ont livré que quelques tessons de céramique. Par contre, le point 1036 a fourni 64 tessons, le point 1033, installé sur un petit col, 126 tessons, et le point 1024, bien à l’écart à près de 1000 m au sud, a livré 241 tessons. Ce dernier site, associé à un probable petit dolmen, semble situé sur une ancienne piste descendant vers la Têt (cf. V. Porra, annexe III). 113 114 Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV 19 - Vue du sud, la plate-forme sommitale du point H et les vestiges d’une « limite » la bordant, à l’est. V - Mobiliers et chronologies La série céramique, forte de près de 10 000 tessons, serait à elle seule suffisante pour proposer une attribution chrono-culturelle. On peut en effet affirmer que l’ensemble des traceurs observés est attribuable aux âges du Bronze. Ces périodes couvrent toutefois près de 1 500 ans, du Bronze ancien (2200 ans av. J.-C.) au Bronze final (1300/700 av. J.-C.). La faiblesse des références fiables à notre disposition dans les Pyrénées-Orientales pour ces périodes (Claustre 1997), l’absence de fouilles, et donc de relations stratigraphiques, mais aussi l’état de la série, très érodée, s’avèrent assez dommageables pour affiner cette fourchette. Ce dernier aspect est assez gênant, notamment pour apprécier la qualité des finitions et surtout des décors (décor « rustiqué », incisé, estampé ou à base de cannelures). Certains types ont toutefois été reconnus. La caractérisation des formes, par exemple les décors plastiques ou les éléments de préhension, est parfois hésitante : cordons lisses ou impressionnés ? boutons, tétons ou départ d’anse ? fragment d’anse, de bracelet ou de pied polypode ? bord ou fragment de panse aux arêtes érodées, arrondies ? Ce dernier inconvénient est particulièrement pénalisant : il n’est pas rare que sur certaines séries fortes de près de 200 tessons, seuls 2 ou 3 bords, évidents car particuliers (digités, à forte lèvre...) aient été reconnus. Ce décompte semble loin de la réalité. Malgré ces pertes probables, l’étude des différents pourcentages et ratios entre les panses et les formes, bien que légèrement déficiente quant aux formes, reste assez satisfaisante pour un habitat de plein air : les formes représentent près de 9 %, et les panses 91 % (voir inventaires et graphiques en annexe). L’attribution chrono-culturelle des différentes zones d’occupations ou même de l’ensemble est donc problématique, d’autant que certains points, les plus importants et les plus fournis, ce qui est logique, ont restitué des éléments présumés appartenir, dans les grandes lignes (?), au Bronze ancien : décor rustiqué, décor de « coups d’ongles », cordons cupulés droits ou « en guirlandes », associés à des tétons sur un même cordon ; ou au Bronze moyen : anses à poucier (cf. R. Iund, annexe II), impressions ou décors en ligne, parfois sur carène ; ou enfin au Bronze final : également anses à poucier, décors de cannelures parfois larges, horizontales ou agencées, en chevrons. La répartition et la répétitivité de certains marqueurs (accessoirement la proximité des sites du Mas Lluisanes et du Mas d’en Colom datés du Bronze ancien, Blaize 2006) suggèreraient que l’essentiel du mobilier, et donc de l’occupation, doive être attribué à cette période (Bronze ancien, 2200/1700 av. J.‑C.), ce que nous serions assez enclin à proposer (planches 1 à 12). Cela n’exclut évidemment pas une occupation plus longue, probablement en continu pendant cette période, tout au moins sur certains points, notamment sur l’ensemble 1, autour du site de hauteur 1025 (4 180 tessons). L’industrie lithique, macro ou micro outillage, n’est guère plus éloquente : quelques éclats de silex atypiques plus ou moins retouchés (hors un fragment de pointe de flèche probablement pédonculée, à retouches couvrantes), quelques éclats de roches tenaces exogènes (radiolarites, jaspes) et enfin, comme habituellement, quelques artefacts de quartz, dont une majorité de percuteurs (voir inventaires). À peine perçoit-on une légère prédominance de ces derniers, abondance relative qui pourrait être mise en relation avec l’artisanat présenté ci-dessous. Les éléments de meunerie sont aussi peu attestés : quelques molettes et seulement 6 meules à va-et-vient. Ce chiffre, particulièrement bas par rapport à l’étendue des vestiges, confirme la faiblesse de l’agriculture chez ces populations. L’occupation à l’âge du bronze VI - Un artisanat très original VI.1 - Les artefacts en chloritoschiste Les occupations du plateau de Montalba ont donc livré des mobiliers « communs » pour les sites de l’âge du Bronze, mais ces secteurs se distinguent surtout par une importante production, tout à fait originale, celle d’un artisanat local utilisant un type de roche particulier pour la fabrication d’« objets circulaires » en pierre. L’ensemble de l’occupation du plateau est datée de l’âge du Bronze, avec une plus forte densité d’éléments du Bronze ancien. Aucun mobilier discordant n’a été reconnu, malgré une série étoffée. Sachant que cet artisanat a été constamment découvert associé à cette céramique, on peut proposer que ces différents mobiliers soient contemporains, bien que nous n’ayons trouvé aucune référence bibliographique pour confirmer cette hypothèse, la littérature scientifique au sujet de ces artefacts sur pierre étant très limitée. Près de 250 fragments en relation avec cette production ont été collectés. Certaines pièces restent énigmatiques, mais l’essentiel, soit plus de 90 %, se rapporte à des bracelets (voir étude technique ci-après). Ces pièces, qui témoignent de toutes les étapes de la chaîne opératoire, allant du disque grossièrement ébauché pour aboutir à l’objet fini, sont à 99 % exécutées à partir d’une roche particulière, les chloritoschistes (cf. M. Martzluff, P. Giresse chap. X), offrant des qualités intéressantes pour une exploitation intensive, facile à travailler (dureté moyenne), et qui présente à la finition un toucher et un aspect agréable, poli et légèrement brillant (ill. 20, 21, 22). Plusieurs gîtes de cette roche ont été découverts à l’ouest, de l’autre côté du Tarerach, hors de la zone brûlée (ravin de la Figuerassa), ou en limite nord-ouest du plateau, à quelques centaines de mètres, où ce minéral affleure (voir ill. 24, en fin de texte). Un seul artefact a été trouvé à proximité de ce dernier gisement, et aucun sur le premier. Il est donc clair que ces bracelets n’étaient pas élaborés sur place. Une petite partie de cette production (9 %) a été collectée sur les secteurs présumés d’habitat (groupes 1 des ensembles 1 et 2), cependant le solde, soit 91 %, était dispersé sur des zones autres. Il s’agit des groupes 3 des ensembles 1 et 2 : de grands espaces s’étirant sur un axe sud-est nord-ouest, aux pendages peu prononcés vers le sud, où ils viennent au contact de zones basses, planes et relativement humides (prairies). Ces dernières s’étirent également sur un même axe de bas de versants (inventaires et graphiques dans l’étude ci-après). Ces secteurs bien exposés au sud, à proximité de pâtures, avaient été interprétés comme zones de pacages ou de stabulation de troupeaux, l’élevage représentant traditionnellement la principale économie de ces populations. Cette situation amène plusieurs remarques : les chloritoschistes manufacturés ne présentent pas de concentration particulière attestant l’existence d’une ou de plusieurs structures pérennes spécialisées, ateliers de débitage ou de façonnage des bracelets. D’autre part, ces vestiges semblent avoir été dispersés sur des secteurs que l’on suppose fréquentés par les bergers surveillant des troupeaux sur les pâtures en contrebas. 20 - Ébauches de bracelets en chloritoschiste. 21- Bracelets en cours d’élaboration. 22- Fragments de bracelets terminés. 115 116 Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV Cette occupation peu astreignante procure du temps libre pour s’adonner à de petits travaux artisanaux, surtout s’ils peuvent s’avérer lucratifs. On pourrait donc estimer qu’une grande partie de cette production était élaborée par des bergers. Le fait qu’il s’agisse là d’« artisans » improvisés, parmi lesquels probablement des enfants, explique peut-être la présence, au sein de cette série, d’une quantité importante de bris et de quelques maladresses observées, sans remettre pour autant en question la qualité de la production. Il semblerait donc que nous soyons en présence d’une industrie locale opportuniste, dictée par la présence des chloritoschistes à proximité, et en aucun cas d’un marqueur culturel comme cela a été mis en évidence dans certains groupes du Néolithique ancien, dans le centre, l’est et le nord de la France. Hors de rares exceptions, les bracelets appartenant à ces populations diffèrent d’ailleurs par leurs profils et la matière première utilisée, généralement des schistes tendres. VI.2 - À propos de l’artisanat du plateau de Montalba Les fragments de bracelets finis (et probablement portés) découverts sur les sites, sont sans doute à rapprocher des éléments de la culture matérielle « classique », les productions céramiques et lithiques que l’on retrouve habituellement sur les gisements, vestiges perdus ou brisés lors de l’occupation ou a posteriori. Cette observation, apparemment banale, est en fait plus complexe. Ces artefacts, notamment les bracelets, sont surreprésentés sur le plateau de Montalba par rapport à d’autres sites de cette période. D’où une première interrogation : les occupants des lieux avaient-ils une forte propension à se parer ? En serait-il de même s’ils n’avaient pas eu à disposition et en abondance les matériaux nécessaires à cet artisanat et le temps pour l’élaborer ? On peut en douter, cette « vogue » n’étant pas un des traits caractéristiques de ces périodes, tout au moins sur les sites connus dans notre région où ces parures de pierre sont rares si ce n’est totalement absentes. Ce constat tend à montrer que cette production ne procédait donc pas du goût de ces populations pour la parure ou d’une habitude culturelle. Il s’agirait plutôt d’une industrie opportuniste, dirigée vers l’économie et le commerce. Ces fragments de bracelets ont parcouru des millénaires, pour ressurgir aujourd’hui, seules preuves conservées d’un artisanat par lequel le plateau de Montalba se dis- tingue... simplement parce que ces témoins ont pu sans grand dommage nous parvenir. On peut supposer que d’autres artisanats, sur des sites contemporains, pouvaient exister, la sparterie, la vannerie, le tissage ou l’élaboration d’objets en bois ou en os, utilitaires ou prestigieux. Ces productions, au même titre que celle des bracelets pourraient donc singulariser des sites, des groupes ou des familles, au sens large, « spécialisés » dans certains types de produits, selon la matière première se trouvant sur leur territoire. Mais ces artisanats en matériaux périssables ne laissent aucune trace... Deux autres aspects, plus techniques cette fois, pourraient conforter l’idée d’une production destinée aux échanges et éclaircir certains points. Les pièces liées à la production des bracelets sont au nombre de 214. Découvertes en prospections de surface, on peut estimer ce nombre comme minimal. Cet aspect quantitatif, dont le rapport avec le reste du mobilier est de toute façon proportionnel, n’est donc pas essentiel dans cette démonstration, la série étant homogène et nombreuse. Bien plus pénalisante nous paraît être pour cette approche l’incapacité de quantifier la part des bracelets « finis ». En simplifiant, les bris provenant de cette élaboration représentent 93 %, et donc le nombre de bracelets aboutis découverts 7 %. Il semblerait au premier abord, vu l’énorme part des « ratés », que cette production ne bénéficie pas d’un grand savoir faire, et ne soit guère performante. Nous ne le pensons pas, au vu du haut degré de régularité et de finition des fragments « finis », souvent très délicats. Ce schéma n’est donc pas si simple : il est certain que les déchets sont représentatifs de maladresses (« débutants », enfants ?), par contre les artefacts qui ont pu traverser toutes les étapes de la chaîne opératoire sans dommages, jusqu’à l’aboutissement, n’ont pas laissé de traces, car ces objets ne se trouvent plus sur les sites. La part des objets achevés avec succès est impossible à évaluer à partir des éléments à notre disposition (bris, techniques de fabrication), et elle ne saurait être quantifiée sans l’archéologie expérimentale. Il semble toutefois, et c’est une question de bons sens pour un minimum de « rentabilité », que la part des objets finis devait au moins atteindre le tiers de celle des « ratés ». Cette proposition donne une idée différente de la quantité de bracelets fabriqués et donc « exportés ». L’occupation à l’âge du bronze 23 - Ensemble 1, le plus représentatif du schéma de l’occupation en pyramide, dont les zones basses, de pacage (et d’artisanat) sont installées en bordure d’un itinéraire. VII - Propositions sur l’organisation collective des sites et des ensembles L’ensemble 3, autour du point H, habitat de hauteur de type oppidum, occupe une place à part, tant réelle que figurée : cet ensemble, a priori contemporain des autres (cordons digités, décors « rustiqués » et anse à poucier), n’a pourtant livré que deux artefacts en chloritoschiste, de plus informes. Cette originalité ne peut être imputée à une économie différente de celle des autres ensembles, cet ensemble possédant pareillement des prairies humides (pacages), associées à une « mouillère », mais plutôt à sa situation géographique particulière sur le plateau. En effet, l’ensemble 3, situé à l’ouest sur les forts reliefs dominant le ruisseau encaissé du Tarerach, bien qu’établi à proximité d’une possible voie (secondaire) se dirigeant vers le sud, est à l’écart du centre du plateau de Montalba, plateau traversé par un important axe de communication naturel, orienté nord-ouest sud-est. Les secteurs de bas de pente (constituant les groupes 3 des ensembles décrits), ont livré la majorité de la production en chloritoschiste (183 pièces). Ces derniers ont été mis en relation avec le pastoralisme (zones de pacage ou de stabulation), et ont surtout été interprétés comme « zones de fréquentation », ou de passage, du fait de la proximité de cet axe, qualifié d’ailleurs (encore ?) aujourd’hui de « vieil itinéraire pastoral », et sur lequel passe le chemin actuel. Sur le point 1005, de l’ensemble 1, groupe 3, particulièrement riche en mobiliers, à quelques mètres de ce chemin, se trouve un petit dolmen (ill. 23). Font écho à ces sites, plus de 1 500 m à l’ouest, hors zone brûlée, au-delà du ruisseau encaissé du Tarerach, les importants vestiges de même époque du Mas de Lluisannes (Abélanet 1987b), associés à deux dolmens, où J. Abélanet avait également découvert des artefacts en chloritoschiste, ébauches et bracelets (ill. 24). Il semblerait donc que la clef de la vie des sites du plateau consiste en pastoralisme, itinéraires pastoraux (indissociables des dolmens), et artisanat de bracelets, élaborés et probablement proposés, sur le plateau, le long de ces cheminements. Ce dernier volet pourrait s’accommoder tout à fait de réunions plus importantes, saisonnières, foires ou autres, notamment lors de mouvements ou de rassemblements liés à la transhumance. 117 118 Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV 24 - à l’ouest, au delà du point H et hors zone brûlée, le Mas de Lluisannes sur lequel se situent des vestiges contemporains ainsi que deux dolmens. Des gîtes de chloritoschiste se trouvent en bordure et en amont du ravin de la Figuerrassa. VIII - Itinéraires et résonances Le plateau de Montalba occupe une situation originale dans le paysage agro-pastoral des sociétés médiévales et modernes assurant la liaison entre la plaine du Roussillon et les pâturages d’altitude situés plus au nord ouest (cf. J.-P. Comps, chap. VII). « Cet axe potentiel de transhumance facile, encore marqué par les carrerades qui escaladent depuis Ille ou Rodès le plateau de Montalba, est aussi ponctué de nombreux monuments mégalithiques, menhir de la Peyre Drete, dolmens de Lieusanes, de Campoussy, du col de Tribes, de Cortal Fosset..., voire de rochers à cupules ou gravés comme celui des Quarante Croix (Abélanet 1990, 1992) » (cf. M. Calvet, chap. II : « Un espace charnière sur de vieux itinéraires pastoraux »). La chance nous est donnée de pouvoir attester, par la présence de ce segment d’itinéraire de plus de 3 km, balisé par les mobiliers et les dolmens, une telle fonction déjà en place aux âges du Bronze (ill. 25). Un problème subsiste cependant, celui de la diffusion des bracelets. En effet, ces derniers, que l’on peut considérer comme de bons traceurs, sont à ce jour totalement absents du paysage archéologique départemental, hormis trois artefacts trouvés à moindre distance, dans les environs de Montalba-le-Château, au nord-est, près de la chapelle. Les fragments de bracelets découverts dans notre département se résument à quatre ou cinq pièces et n’ont à notre connaissance (trois ont été découverts par nous même) aucun point commun avec les productions du plateau de Montalba, qu’il s’agisse de la matière première employée (autre que chloritoschiste), ou surtout de l’écart chronologique, certaines de ces découvertes s’inscrivant dans un contexte plus ancien (Néolithique). Plusieurs travaux archéologiques ont été menés sur des sites de la même période, tout proches, au nord de ces secteurs, comme la fouille de la Caune de Bélesta, ou les importants travaux de prospections, sondages et fouilles effectués dans le cadre de la construction du barrage sur l’Agly à Caramany. Complétant ces travaux, des prospections pédestres ont permis d’enregistrer près d’une dizaine de ces habitats de plein air, parfois importants (Caramany, Trilla, Trévillach, Felluns), dont une bonne part s’échelonne le long des crêtes dominant la vallée de l’Agly. Ces prospections, reprises tout récemment afin de vérifier ou non l’existence de cette production à l’époque méconnue, se sont avérées stériles, tout comme les précédentes fouilles : aucune trace de cet artisanat sous quelque forme que ce soit. On pourrait ainsi avancer que les zones au nord du plateau de Montalba, vers l’Agly et le Fenouillèdes, n’ont pas eu de contacts privilégiés avec ces sites, et que la présence de ces artefacts serait plutôt à rechercher vers le nord-ouest, dans l’axe proposé par ce travail, c’est-à-dire vers les lignes de crête se déroulant du plateau de Montalba jusqu’à Roque Jalère ou bien plus haut, vers le Conflent ou le Capcir, terres de transhumance. En l’état actuel de la recherche, seuls quelques fragments de bracelets sont connus, en Cerdagne et en Catalogne sud, mais ces parures, de même type, élaborées avec des techniques identiques, ont utilisé des matières premières différentes (lignite ou talc). Ils témoignent en fait d’un artisanat parallèle local, opportuniste, sans relation avec celui du plateau de Montalba. Il faut donc convenir que là encore, les productions de la « Montagne brûlée » sont totalement absentes. Sur le plateau de Montalba, cet artisanat nous est parvenu parce qu’il était extrêmement abondant, probablement bien plus important que celui que les collectes de surface nous ont permis de révéler. Serait-il envisageable, comme pour d’autres éléments de la culture matérielle, que suite à leur dispersion, aux processus de dégradation naturelle ou aux prélèvements réalisés par les hommes des siècles suivants, réduisant le stock de départ, ces industries ne puissent plus être retrouvées ailleurs ? L’occupation à l’âge du bronze Montalba Tarerach Le Planal v. Ra Mas d’en Colom Roc del Maure de Be llagre T Le arerach Lieusanes La Cougoulère 0 1000m Rodès Gîtes de chloritoschiste Sites déjà connus Barrage de Vinça Lo Castello Vinça 25 - Ensemble des vestiges du plateau de Rodès élargi. Propositions d’itinéraires liés au pastoralisme à l’âge du Bronze. 119 120 Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV IX - Conclusions Les différentes données issues des prospections et de l’étude des vestiges du plateau de Montalba attestent d’une importante présence durant l’âge du Bronze, avec une forte prédominance au Bronze ancien, période en conséquence à l’origine de l’occupation durant cet âge. Cette occupation, qui couvre de grandes surfaces, tant sur les secteurs brûlés faisant l’objet de ce travail (150 ha), que sur les secteurs limitrophes où d’importants vestiges contemporains étaient déjà connus, est tout à fait inédite dans notre département. L’étude de la répartition spatiale de près de 50 concentrations, scindées en 3 grands ensembles distincts divisés en 3 groupes, a été menée sur la base d’une organisation hiérarchisée à partir de la topographie et de la géographie des lieux. Ainsi, au sommet se trouve l’habitat principal de hauteur (groupe 1) ; en situation médiane, des secteurs « secondaires », sans exclure l’habitat sous une autre forme, paraissent liés aux activités économiques (groupe 2) ; enfin la base est constituée par des versants peu prononcés, bien exposés au sud, aboutissant à de larges prairies humides, zones de pacages probables (groupe 3). L’élevage, en effet, et cette orientation est bien en accord avec les connaissances que nous avons de l’économie de ces périodes, semble être la principale ressource de ces populations, ce qui est ici tout à fait adéquat, ces paliers de moyenne montagne constitués par de larges plateaux, sur lesquels les pâtures et l’eau sont bien présentes, étant tout à fait propices à une activité agro-pastorale. De plus – est-ce un hasard ? – ces vestiges sont situés sur un itinéraire lié au pastoralisme, confirmé par la cartographie et la présence de dolmens. Le chemin actuel passe d’ailleurs encore sur cette voie. Contemporain de l’occupation, un important artisanat original de fabrication de bracelets en chloritoschistes à partir de matière première locale est attesté par près de 250 pièces, décrivant la totalité de la chaîne opératoire, de la matière première brute à l’objet fini, finement lustré. Cette production opportuniste, à vocation sans doute commerciale, semble élaborée par les bergers lors de la garde des troupeaux, la grande majorité de ces objets, des rebuts de production, ayant été découverts en bordure des prairies. La diffusion de cet artisanat d’appoint pose problème. quasiment aucun de ces artefacts bien caractéristiques n’ayant été découvert sur les sites voisins, pas plus que sur d’autres zones, limitrophes ou plus éloignées comme le Conflent ou le Capcir, destinations privilégiées des éleveurs en période de transhumance (M. Calvet chap. II et M. Bernat-Gaubert chap. XVII) . Bien que de nombreuses contingences affectent cette étude, l’occupation du plateau de Montalba devient désormais un site de référence pour l’habitat et l’économie des âges du Bronze. Ces populations pourraient avoir initié des schémas empreints de connaissances et de bon sens, schémas qui se répèteront au Moyen Âge, pour ce qui est de la « pyramide féodale », sans parler des formes d’organisation sociale : château, ville basse et terres basses mises en culture, mais aussi, pour ce qui a trait à l’économie agro-pastorale et à son fonctionnement, des « itinéraires pastoraux », attestés jusqu’à la période moderne, et semblant déjà mis en place près de trois millénaires avant. . Cet absence de bracelets en pierre dans les proches stratigraphies de l’âge du Bronze à Bélesta et à Montou (Corbères-les-Cabanes) est troublante. Et l’on ne trouve en effet que de très ambigus et rares signes de cet artisanat dans le contexte local. C’est le cas pour un tout petit anneau cranté de pierre verte trouvé dans le dolmen 1 du Serrat de les Fonts à Saint-Marsal par Jean Abélanet, dans un environnement de roches gravées protohistoriques des Aspres (J. Abélanet, Dolmens et rites funéraires en Roussillon et Pyrénées catalanes : itinéraires mégalithiques, AAPO éd., publication à paraître). Seul vestige trouvé dans la fouille du coffre, ce petit objet d’ornement – est une imitation en pierre des parures en bronze de la fin du second millénaire avant notre ère. Par ailleurs, Florent Mazière signale sur le site du Bronze final de Los Valls, à Camélas, toujours dans les Aspres, la présence « d’une rondelle en schiste sommairement dégrossie, portant, en son milieu, une sommaire perforation qui n’a pas été achevée ». (Kotarba, Castellvi, Mazière 2007, notice 033, p. 268). Au Sud des Pyrénées, dans le bassin moyen de l’Èbre, en Aragon, d’importants habitats défensifs de hauteur de la fin du Bronze moyen (proto oppida), ont livré une production de bracelets en pierre, tel le site de Geno, prov. de Lleida (R. Iund, ce chapitre, annexe II). Une relation avec les sites du plateau de Montalba est cependant peu probable. L’occupation à l’âge du bronze ø 14 ø 32 5 cm Dessins A. Vignaud Planche 1 : Ensemble 1, groupe 1 – 1025-1 (Y. Blaize). 121 122 Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV 5 cm Ensemble 1, Groupe 1 - 1025-1 (Y. Blaize) 5 cm Décor "rustiqué” Ensemble 1, Groupe 1 - 1025 S1 Planche 2 : Ensemble 1, groupe 1 – 1025 S1. Dessins A. Vignaud L’occupation à l’âge du bronze 5 cm Dessins A. Vignaud Planche 3 : Ensemble 1, groupe 1 – 1025 S2, 3, 4, 5, 6 et 7 (bases du site de hauteur 1025). 123 124 Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV 5 cm Planche 4 - Ensemble 1, Groupe 1, 1025 S2, 3, 4, 5, 6 et 7 (bases 1025-S1) 5 cm Décor "rustiqué" Planche 5- Ensemble 1, Groupe 2, point 1043 Dessins A. Vignaud Planches 4-5 : Ensemble 1, groupe 1 (1025 S) et groupe 2 (1043). L’occupation à l’âge du bronze 1002 1005 carène digitée 5 cm décor “rustiqué” 1006 Planche 6 : Ensemble 1, groupe 3. Points 1002, 1005 et 1006. Dessins A. Vignaud 125 126 Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV 1042 5 cm décor “rustiqué” 1027 Planche 7 - Ensemble 1, Groupe 3. Points 1042 et 1027 W 5 cm décor “rustiqué” Planche 8 - Ensemble 2, Groupe 1, point W Planches 7 et 8 : Ensemble 1, groupe 3, et Ensemble 2 groupe 1, point W. Dessins A. Vignaud L’occupation à l’âge du bronze U 5 cm Ensemble 2, Groupe 1, points U et V V 1020 5 cm 1021 Ensemble 2, Groupe 2, points 1020 et 1021 Planche 9 : Ensemble 2, groupe 1, points U et V, et groupe 2, points 1020 et 1021. Dessins A. Vignaud 127 128 Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV 1022 5 cm Ensemble 2, Groupe 2, point 1022 1012 1013 1015 carène digitée 1030 5 cm ø intérieur 45 mm (?) 1031 Ensemble 2, Groupe 3, points 1012, 1013, 1015, 1030 et 1031 Dessins A. Vignaud Planche 10 : Ensemble 2, groupe 2 (point 1022) et groupe 3, points 1012, 1013, 1015, 1030 et 1031. L’occupation à l’âge du bronze H 5 cm I-i K 5 cm Dessins A. Vignaud Planche 11 : Ensemble 3, groupe 1 (H) et groupe 2 (I, K). 129 130 Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV 5 cm L D J 5 cm G 1036 (point isolé) 1034 bracelet ou anse ? 5 cm Dessins A. Vignaud Planche 12 : Ensemble 3, groupe 2 (L et J) et groupe 3 (D, G et 1034). La céramique de l’ensemble 1, groupe 1, point 1025. Total tessons Panses Décor rustiqué ("crépi") Décor incisé/estampé Carène vive Carène môle Préhension indéterminée Languette Téton double horizontal Téton sous bord Téton Anse à poucier Anse Cordons agençés Cordon incisé/estampé Cordon cupulé Cordon lisse Fond plat Bord digité/incisé Bord aplani Bord L’occupation à l’âge du bronze 2500 Total Ensemble 1, Groupe 1 (1025) 2000 1500 1000 500 0 131 La céramique de l’ensemble 1, groupes 2 et 3. Total tessons Panses Décor rustiqué ("crépi") Décor incisé/estampé Carène vive Carène môle Préhension indéterminée Languette Téton double horizontal Téton sous bord Téton Anse à poucier 1400 Anse 600 Cordons agençés Cordon incisé/estampé Cordon cupulé Cordon lisse Fond plat Bord digité/incisé Bord aplani Bord 132 Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV Ensemble 1, Groupe 2 (1043,1026) 500 400 300 200 100 0 Ensemble 1, Groupe 3 (1005, 1006…) 1200 1000 800 600 500 400 200 0 La céramique de l’ensemble 1 avec ses 3 groupes, totaux et pourcentages. Formes ou décors Décor rustiqué ("crépi") Décor incisé/estampé Carène vive Carène môle Préhension indéterminée Languette Téton double horizontal Téton sous bord 0 400 Ensemble 1, pourcentage sans les panses (sur 387 formes ou décors) 300 250 200 150 100 50 0 Nombre tessons Panses 4000 Téton 350 Anse à poucier Anse Cordons agençés Cordon incisé/estampé Cordon cupulé Cordon lisse Fond plat Bord digité/incisé Bord aplani Bord L’occupation à l’âge du bronze 4500 Ensemble 1, total (4180 tessons) 3500 3000 2500 2000 1500 1000 500 133 0 La céramique de l’ensemble 2, groupes 1, 2 et 3. Total tessons Panses Décor rustiqué ("crépi") Décor incisé/estampé 1000 Carène vive 0 1800 Carène môle 1400 Préhension indéterminée 1600 Languette Téton double horizontal Téton sous bord Téton Anse à poucier Anse Cordons agençés Cordon incisé/estampé Cordon cupulé Cordon lisse Fond plat Bord digité/incisé Bord aplani Bord 134 Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV Ensemble 2, groupe 1 1200 1000 800 600 400 200 1600 Ensemble 2, groupe 2 1400 1200 1000 800 600 400 200 0 1200 Ensemble 2, groupe 3 800 600 400 200 La céramique de l’ensemble 2, avec ses 3 groupes, totaux et pourcentages. 0 Ensemble 2, pourcentage sans panses (250 formes et décors) 200 150 100 50 0 Nombre tessons Panses 250 Formes ou décors Décor rustiqué ("crépi") Décor incisé/estampé Carène vive Carène môle Préhension indéterminée Languette Téton double horizontal Téton sous bord Téton Anse à poucier Anse Cordons agençés Cordon incisé/estampé Cordon cupulé Cordon lisse Fond plat Bord digité/incisé Bord aplani Bord L’occupation à l’âge du bronze 4500 4000 Ensemble 2, total (4269 tessons) 3500 3000 2500 2000 1500 1000 500 135 0 La céramique de l’ensemble 3, groupes 1, 2 et 3. Total tessons Panses Décor rustiqué ("crépi") Décor incisé/estampé Carène vive Carène môle Préhension indéterminée Languette Téton double horizontal Téton sous bord Téton Anse à poucier Anse Cordons agençés Cordon incisé/estampé Cordon cupulé Cordon lisse Fond plat Bord digité/incisé Bord aplani Bord 136 Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV 250 200 Ensemble 3, groupe 1 150 100 50 300 0 250 Ensemble 3, groupe 2 200 150 100 50 0 250 Ensemble 3, groupe 3 200 150 100 50 0 La céramique des points isolés, totaux et pourcentages. 0 Points isolés, pourcentage des formes et décors (34 unités) 30 25 20 15 10 5 Nombre tessons Panses 35 Formes ou décors Décor rustiqué ("crépi") Décor incisé/estampé Carène vive Carène môle Préhension indéterminée Languette Téton double horizontal Téton sous bord Téton Anse à poucier Anse Cordons agençés Cordon incisé/estampé Cordon cupulé Cordon lisse Fond plat Bord digité/incisé Bord aplani Bord L’occupation à l’âge du bronze 300 Points isolés, total (299 tessons) 250 200 150 100 50 137 Total général des céramiques du plateau de Montalba, tous points confondus. 0 Formes ou décors Décor rustiqué ("crépi") Décor incisé/estampé Carène vive Carène môle Préhension indéterminée Languette 0 800 Total général, formes et décors (777 unités) 600 500 400 300 200 100 Total tessons Panses 9000 Téton double horizontal Téton sous bord 700 Téton Anse à poucier Anse Cordons agençés Cordon incisé/estampé Cordon cupulé Cordon lisse Fond plat Bord digité/incisé Bord aplani Bord 138 Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV 10000 Total général (9460 tessons) 8000 7000 6000 5000 4000 3000 2000 1000 Annexe I Bracelets et autres artefacts, aspects technologiques Alain Vignaud Cette annexe présente l’étude d’une production originale mise en évidence lors des prospections sur le plateau de Montalba, sur les sites occupés durant l’âge du Bronze. Cet artisanat, attesté par 245 individus, est élaboré à partir d’une roche locale : le chloritoschiste (voir infra : « les vestiges de l’âge du Bronze »). La série est composée par 214 fragments liés à la fabrication de bracelets, de 29 pièces nommées « disques perforés de petite taille », à la fonction énigmatique, et enfin de 2 artefacts dissemblables et inclassables. Aspects techniques, vocabulaire Afin de donner une description de la chaîne opératoire et des différentes pièces, quelques aspects sont à préciser, de même que la terminologie utilisée dans les fiches d’inventaires. Pour l’ébauche discoïde préformée (phase 1), la circonférence (la tranche) correspond donc également à la partie extérieure du futur bracelet (grand diamètre ou diamètre extérieur). Le petit diamètre ou diamètre intérieur du bracelet est déterminé par le creusement ou la dépose (enlèvement) du centre de l’ébauche (du bracelet) par différentes techniques que nous présentons par la suite. L’ébauche, à plat (et donc également le bracelet), présente deux faces : la face supérieure et la face inférieure. La première est le plus souvent concernée par le façonnage. La partie pleine à enlever à l’intérieur du bracelet (diamètre intérieur) y est dans un premier temps matérialisée par un « piquetage » linéaire, en pointillé, plus ou moins poussé. Cette première amorce, pas toujours vérifiée, est quelquefois également effectuée sur la face inférieure. À l’intérieur du cercle ainsi circonscrit (piqueté), la matière est enlevée, par différentes techniques (phase 2), jusqu’à obtention de l’anneau dégagé, présentant encore des excroissances résiduelles du façonnage, notamment sur la circonférence du diamètre intérieur (phase 3). Ces proéminences sont par la suite enlevées, par raclage ou abrasion, jusqu’à l’obtention d’un anneau plus ou moins régulier (phase 4), assez éloigné de l’aspect d’un bracelet « fini », bien poli et lustré (phase 6). La phase 5, qui n’apparaît pas ici, sera commentée par la suite. 140 Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV I - Les bracelets Sauf quelques ébauches plus ou moins élaborées, la totalité des restes de cette production est fragmentée : aucune pièce entière n’a été découverte. Toutefois, les différents stades de la chaîne opératoire sont suffisamment documentés pour permettre son étude (voir inventaires et graphiques en annexe). Ainsi, de façon schématique, se distinguent des volumes bruts ou préformés, généralement discoïdes (ébauches), des disques ou anneaux à différents niveaux de façonnage (phases 2, 3 et 4), largement majoritaires, et enfin des bracelets aboutis, finis, mais brisés. Outre ces fragments d’artefacts bien identifiés, quelques débris, essentiellement des « chutes techniques » souvent informes, résultent de la préparation du plan de travail (débrutage et égrisage pour les lapidaires). I.1 - La matière première Les chloritoschistes à biotite employés pour la fabrication des bracelets et autres ustensiles sont globalement homogènes. Seules quelques petites variantes sont perceptibles, surtout dans l’aspect et la couleur, dues à la densité ou à la répartition des composantes de base du minéral et à son degré de schistosité et donc de dureté. Cette roche provient sans doute d’une même formation, d’un même horizon géologique et donc géographique. Ce matériau a été découvert en plusieurs points. Il est présent sous forme de galets supposés erratiques (en contrebas et au nord du point 1025) et d’affleurements ou de filons bien marqués. Ceux-ci ont été détectés au nord-ouest du plateau, en limite des vestiges, sur de petits reliefs collinaires érodés (gîte 1), et à l’ouest, hors zone brûlée, en contrebas du mas de Lieusannes, aux abords et en amont du Vallat de la Figerrassa (gîte 2, ill. 24, 25 du texte précédent). On peut penser, vue l’étendue du territoire, que d’autres gîtes de cette roche ont pu nous échapper lors des prospections pédestres, ces gisements pouvant s’avérer très discrets ou dans des secteurs difficiles d’accès. L’origine locale de cette matière première est bien confirmée, par la carte géologique du plateau de Montalba et par les analyses pétrographiques (cf. P. Giresse ci-dessous) « Les bracelets en micaschiste au sud de Montalba-le-Château-66 ») réalisées sur les artefacts et sur un échantillon de roches similaires, en place sur le site. 1 - Affleurement d’un banc de chloritoschiste au nord-ouest du plateau. Pour ce travail, trois groupes principaux de chloritoschistes ont été reconnus, à partir de leur aspect et de leur couleur, suggérant une origine gîtologique différente ou variable. Ces groupes apparaissent dans les grilles des fiches d’inventaires. - Le groupe dit « standard », le plus courant, se caractérise par une roche gris verdâtre, incluant de toutes petites particules de biotite et de mica argenté. Assez homogène dans son aspect, ce minéral semble d’une bonne densité. Cette matière première proviendrait du Vallat de la Figuerrassa. Sa représentation, au sein des différents habitats ou zones de fréquentation, est également répartie. - Le groupe dit « à gros mica », se caractérise par une plus forte quantité de mica, argenté ou plus foncé, dont les particules sont aussi de format plus grand. La couleur verte, dominante, est également plus soutenue. Ils proviendraient du gîte 1, localisé au nord-ouest du point 1005, peu distant (ill. 1). - Le groupe des « chloritoschistes autres » est composé de roches plus grenues, moins homogènes, proches des gneiss. Leur coloration est plus claire, d’un beige parfois rosé (oxydes). Ce matériau peut être vacuolé (petites géodes), veiné ou parsemé de cristaux, essentiellement d’orthose (feldspath), blanchâtres et différemment altérés. - Un quatrième groupe pourrait être distingué, caractérisé par un chloritoschiste en plaquettes, peu épaisses et de couleur gris foncé. Il n’est représenté que par 3 artefacts, tous 3 découverts sur le point 1016 proche de l’ensemble 2. Ce rapprochement, vu la faiblesse de l’échantillon, semble anecdotique. Une roche semblable se retrouve également sur le gîte 2. annexe I Les bracelets de l’âge du Bronze Ces variantes, peu importantes dans le cadre de ce travail, sont l’indice d’une morphogenèse ou micromorphologie différente, probablement très limitée, ne remettant nullement en cause l’origine locale de ces différentes matières premières. Au sein de ces groupes, les chloritoschistes « standard » sont de loin les plus représentés. Ils constituent près de 94  % de l’ensemble. On les retrouve dans tous les secteurs du plateau ayant fourni une telle industrie. Le groupe des « chloritoschistes autres », avec près de 5 %, occupe la seconde position. Il semblerait que ce type de matériau soit mieux attesté sur l’ensemble 2, groupe 2 (points 1020, 1022). Les « chloritoschistes à gros mica » atteignent 1 %. On les trouve surtout dans l’ensemble 1, points 1025, et accessoirement 1005 et 1006. Cette situation est assez logique, car ces zones ont fourni l’essentiel des séries, et d’autre part le gîte originel présumé est peu éloigné, à quelques centaines de mètres au nord-ouest. Malgré cette proximité, ce faible pourcentage pourrait s’expliquer par le fait que ce chloritoschiste, plus dense et compact, soit plus malaisé à façonner. 1.2 - Les marques d’élaboration La très grande majorité des stigmates d’élaboration correspond à des enlèvements, à des négatifs laissés par des « outils » (ill. 2) et en phase finale à un traitement des surfaces ne laissant que peu de traces. D’autre part, l’exposition prolongée des pièces à l’air libre a, selon les cas, atténué ces marques, quelquefois visibles uniquement en lumière rasante. Cet inconvénient est accentué pour le groupe des « chloritoschistes autres », plus sensibles à l’érosion, mécanique ou chimique. - Les forts impacts, produisant des enlèvements de plusieurs centimètres, sont uniquement marginaux. Ils sont destinés à dégrossir ou préformer, par épannelage, la matière première brute. - Les négatifs larges sont des cupules d’environ 3,5 à 5 mm de diamètre pour une profondeur variable, selon la puissance de l’impact, allant de 1 à 2,5 mm. Le négatif, à la base irrégulière, montre une couleur généralement plus claire, la roche ayant été déstructurée par le choc. Ces enlèvements, grossiers et non ordonnés, inter- viennent lors de la première phase de façonnage destinée à dégrossir le matériau. Ils sont localisés sur la face supérieure de l’ébauche et sur la tranche. - Les petits négatifs sont de même type que les précédents, mais correspondent à un travail plus fin et régulier, avec des marques plus réduites, surtout en diamètre, n’excédant pas 2 mm. Leur profondeur peut être identique ou même plus prononcée que celle des négatifs larges. Ces traces, affectant la totalité des surfaces, tranches comprises, dominent largement. On les retrouve sur les phases de façonnage 2 et 3. - Les sillons larges sont de courts enlèvements linéaires, de 4 à 5 mm de large pour 1,5 à 2,5 mm de profondeur. Leur longueur, variable, se situe entre 8 et 13 mm. Ces enlèvements, désordonnés, sont peu représentés, et, comme les négatifs larges, uniquement sur la face supérieure et sur la tranche de l’ébauche (phase 1). Ces sillons sont associés aux négatifs larges. - Les sillons étroits sont identiques aux précédents, mais moins larges (2 mm). Ils découlent d’un travail en oblique (de 45o à 80o d’inclinaison par rapport au plan de l’artefact), plus précis, notamment lors de la mise à plat des faces, et surtout de la destruction de la chute centrale, à l’intérieur du bracelet. Contre la tranche intérieure de ce dernier, ces sillons sont réguliers, parallèles et très rapprochés. Sur certains objets, le flanc d’attaque de la roche montre plusieurs lignes de ces négatifs, parfois différemment orientés, ou se recoupant en « tresses ». - Abrasion ou raclage ? La différence déjà peu évidente d’un point de vue sémantique, l’est encore moins à partir des marques. Ces dernières se présentent sous la forme de micro sillons ou rayures, entre ces rayures un « lustré » est le résultat du frottement répétitif d’un outil abrasif ou tranchant au fil irrégulier produisant stries ou lissages sur la surface raclée. Ces traces, parallèles ou d’orientation différente, que l’on peut retrouver à divers stades du façonnage, sont surtout représentées sur les tranches, qu’il s’agisse du grand diamètre (tranche extérieure de l’ébauche et donc du bracelet), ou tranche intérieure (petit diamètre). En fin de chaîne, ce travail peut aussi intervenir sur toute la surface du bracelet (phase 4). 141 142 Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV 1- Ébauche avec matérialisation de l'encombrement du bracelet Cette limite peut être exécutée sur une ou 2 faces selon le type de phase 2 projeté (voir ci-dessous) 2- Dépose de la chute centrale par piquetage (sillons étroits) en alterne, à partir des 2 faces (”pointe centre”) 3- Dépose de la chute centrale par piquetage (sillons étroits) à partir de la face supérieure (”pointe base”) 5 cm 4- Destruction de la chute centrale par piquetage sub vertical (”petits négatifs”) puis par des “sillons étroits”, en oblique, en alterne à partir des 2 faces (”pointe centre”) Grands ou petits négatifs 5- Destruction de la chute centrale par piquetage sub vertical (”petits négatifs”) puis par des “sillons étroits”, en oblique, à partir de la face supérieure (”pointe base”) Sillons larges ou étroits Dessins A. Vignaud 2 - Dessins techniques schématisés des différentes mises en œuvre et des stigmates occasionnés par ces divers façonnages. annexe I Les bracelets de l’âge du Bronze - Polissages. Cette opération, en principe la dernière de la chaîne opératoire et donc intéressant les bracelets « finis », n’est pas non plus facile à observer. En effet, de nombreux facteurs viennent occulter cette ultime phase. Tout d’abord l’érosion naturelle, plutôt chimique, donne à l’objet resté longtemps à l’air libre une apparence et un toucher finement grenu, alors que ce dernier pouvait à l’origine être poli. De même, une abrasion fine ou un raclage soigné, peut donner aux surfaces un tel aspect. Enfin, si l’on considère que la parure a été portée, parfois sur une longue période, cet usage, peut être à l’origine d’un lustré très proche d’un polissage artificiel. Ces diverses marques de travail sont logiques et cohérentes dans la place qu’elles occupent au sein de la chaîne opératoire : les forts impacts, négatifs ou sillons concernent principalement les premières phases de taille pouvant s’accommoder d’un travail assez grossier ; les petits négatifs et les sillons étroits sont liés au travail plus fin caractérisant les derniers stades du façonnage ; les raclages ou abrasions interviennent en fin d’élaboration. Ces étapes sont globalement respectées, mais il faut noter quelques discordances. 1.3 - Ébauches et préliminaires Le bloc de chloritoschiste retenu pour l’élaboration du bracelet se présente sous différentes formes. Il peut s’agir de rares « galets » sphéroïdes ou discoïdes aux surfaces naturelles plus ou moins irrégulières, ou d’un matériau prélevé sur les affleurements (extrait ?) ou ramassé à proximité immédiate (bris par cryoclastie ou autre processus érosif ). Dans ce cas les blocs ont généralement des surfaces plus uniformes et un plan presque rectangulaire. Le chloritoschiste en fines plaquettes occupe dans cet éventail une place à part. Le bloc réservé doit répondre à un critère : la roche métamorphique offrant un débit en feuillets, soit des plans de schistosité parallèles, il est primordial, pour un façonnage correct limitant le bris lors de la mise en œuvre, de sélectionner un volume dont les plans de clivage sont horizontaux, parallèles aux faces supérieures et inférieures, et donc au futur bracelet (180o). Cette règle est respectée sur 85 % de la production, on note cependant quelques ébauches dont les plans de clivage sont en oblique à 45o (13,5 %), et de très rares cas (1,5 %), où les plans sont perpendiculaires aux faces (90o). Quelques blocs ont subi un traitement « économique » : lorsque le nodule de base était particulièrement épais, ce dernier, posé de chant, a été dédoublé par de forts impacts médians, dans l’axe du clivage, afin de détacher deux parties sensiblement égales, permettant de façonner deux bracelets au lieu d’un. Après le choix du bloc, il convient de préformer l’ébauche dans le but d’obtenir une pièce régulière, dans son plan (circulaire) et dans son épaisseur, pour des dimensions proches de celles du futur bracelet. Plusieurs travaux de mise en forme sont nécessaires pour cela, plus ou moins soignés et aboutis selon la dextérité de l’artisan. En effet, sur bon nombre d’objets, cette chaîne opératoire « idéale » est loin d’être respectée, certaines transformations assez avancées (phase 2 ou 3), intervenant sur des ébauches grossières, généralement en « chloritoschistes autres ». Ce protocole simplifié pourrait traduire un manque de savoir faire de l’artisan. Il est cependant difficile d’en juger, à ce stade, seul l’objet fini pouvant faire référence. L’un des tout premiers façonnages débutant la fabrication, lorsque l’ébauche le requiert, se traduit par l’épannelage du bloc : il est rogné par de fortes percussions directes causant d’importants enlèvements marginaux, destinés à lui donner une forme circulaire (planche 1, no 1 ; ill. 3). 3 - Matière première, brute ou mise en forme à des degrés divers par différentes techniques (phase 1). 143 144 Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV 5 - Débuts de phase 2 de l’élaboration de l’artefact (piquetage central ou périphérique). 4 - Ébauches « accomplies », avant les premières phases de façonnage du bracelet proprement dit (phases 2 et 3). Par la suite, les faces supérieures et inférieures n’étant pas obligatoirement régulières et parallèles (surtout pour les « galets »), on procède à une mise à plat de ces dernières, par la suppression des reliefs, de la matière excédentaire. Ce travail, au vu des stigmates de façonnage très variés, peut être mené selon diverses techniques et outils, sous différents angles d’attaque. Les traces les plus sûres de cette étape sont les petits négatifs (78 %), ou, en cas de masse plus importante à détruire (parfois plus de 2 cm d’épaisseur/hauteur), les sillons étroits, obliques ou presque verticaux, plus ou moins rapprochés selon la densité ou la qualité de la matière première (planche 1 no 57). Les deux faces à présent planes et parallèles, le travail s’attache essentiellement à la mise en forme de la tranche (diamètre extérieur), plus ou moins poussée (planche 1, nos 55, 67 et 12 et ill. 4 et 5). Trois types de façonnages sont attestés, en pourcentages sensiblement égaux : les tranches grossièrement apprêtées, les tranches régulières verticales, orthogonales aux plans, et enfin une troisième variante qui semble procéder d’un bon niveau technique ou en tous cas d’un soin particulier, consistant à arrondir cette partie en arc de cercle, préfigurant déjà à ce stade le profil extérieur du bracelet « fini ». Les trois types portent les marques d’enlèvements « classiques » (grands négatifs et sillons – petits négatifs et sillons), mais un nouveau type de façonnage (et donc d’outil) intervient à ce stade, pour les deux dernières variantes : l’abrasion ou le raclage. I.4 - Taille et façonnage Une fois l’ébauche terminée, le façonnage du bracelet proprement dit débute. Il faut pour cela et dans un premier temps, estimer la largeur de ce dernier et donc le diamètre de la partie centrale à enlever (diamètre intérieur du bracelet). Quelle que soit la technique employée pour cette opération, et nous en avons retenu deux, il n’est pas rare d’observer sur certaines ébauches un piquetage linéaire circulaire, plus ou moins régulier, destiné à matérialiser cette limite. Ce tracé préliminaire peut être effectué sur la face supérieure ou sur les deux faces, selon le protocole envisagé pour la suite (ill. 2 no 1, planche 1, no 12). Ce tracé attribue au bracelet une largeur (épaisseur) plus importante que celle qu’aura l’objet fini (plus de la moitié), ce qui est logique, une trop grande minceur à ce stade d’élaboration assez « incisif », fragiliserait l’objet, et d’autre part plusieurs autres phases de façonnage et de finition doivent encore intervenir. Deux techniques ont été distinguées pour la suppression de la partie centrale. Au sein de chacune de ces techniques, deux types d’aboutissement sont également reconnus. L’un consiste en la dépose de ce noyau, dont le résultat est un petit disque correspondant à la « chute centrale ». L’autre a pour objectif la destruction totale de cette partie. Ce dernier façonnage est très majoritaire. annexe I Les bracelets de l’âge du Bronze type de façonnage est dans l’ensemble peu soigné, allant généralement de pair avec une ébauche et une mise en forme assez grossière. Encore une fois, cela ne permet pas d’augurer de l’aspect du bracelet fini, ce dernier, malgré ces prémices défavorables, ayant pu s’avérer de bonne facture. Le seul commentaire que nous pouvons avancer est que ce travail intervient surtout sur les objets en « chloritoschistes autres », matière première de moins bonne qualité. 6 - Technique de dépose de la chute centrale par piquetage du diamètre intérieur du bracelet. Chute centrale dégagée, au centre et à droite. - La destruction de la partie centrale constitue le second type de façonnage mis en évidence, généralement sur des ébauches soignées en « chloritoschiste standard ». Cette technique est différente de la première : ici, ce noyau est totalement abattu, désintégré. Ce façonnage produit de minces et profonds sillons, parallèles ou imbriqués. Cette « destruction » débute généralement au centre de l’artefact pour devenir de plus en plus serrée et précise à l’approche de la tranche intérieure du bracelet, ce qui est tout à fait logique. La dépose de la chute centrale utilise deux procédés : - Accentuation du piquetage initial linéaire, délimitant la chute, à partir de la face supérieure mais aussi inférieure. Ce travail, prenant de plus en plus d’ampleur (de largeur) avec l’avancement, est exécuté en alternance, d’un côté puis de l’autre. Les marques produites par cette opération peuvent être de larges négatifs (sur des artefacts assez grossiers), ou des négatifs plus réduits, révélateurs d’un travail plus minutieux. Les deux sont parfois associés. Lorsque ces deux creusements se rejoignent, au centre de l’épaisseur de l’ébauche, la chute centrale est dégagée (planche 2, no 113). Ce procédé est identifiable par la présence résiduelle d’un petit bec, visible au centre de la tranche intérieure (point de jonction du travail alterne) du futur bracelet, sur toute sa circonférence intérieure (« pointe centrale » de la terminologie utilisée pour l’inventaire, cf. ill. 2, no 2 ; planche 1, no 67 et 12 ; planche 2, no 31 ; ill. 4). - Un autre procédé, pour ce même type de façonnage, utilise la même technique et probablement les mêmes outils, mais l’artisan exécute cette dépose uniquement à partir de la face supérieure de l’ébauche. Le résultat, lorsque l’anneau est dégagé, est également la présence d’un bec résiduel, mais situé cette fois à la base de l’anneau (« pointe base », cf. ill. 2, no 3 ; planche 2, no 118). Ce Ce travail peut aussi être effectué conjointement sur les deux faces, avec jonction au centre de l’épaisseur de l’ébauche, de la partie intérieure du bracelet, dégageant à cet endroit et sur toute la circonférence, tout comme pour la technique précédente, un petit bec, une excroissance caractéristique (« pointe centrale ») (ill. 2, no 4 ; planche 1 no 67 ; planche 2 nos 68, 69 et 16). La destruction de la partie centrale à partir d’une unique face est bien attestée, surtout sur les ébauches soigneusement préformées. Le piquetage initial destiné à délimiter la partie à enlever, n’est effectué que sur la face sélectionnée (face supérieure). À l’opposé, la face inférieure est bien plane, soit naturellement, soit suite à un apprêt par petits impacts, effectués dans le cadre de l’aménagement initial de l’ébauche. Aucun travail ne sera mené sur cette face, sauf dans de très rares cas où un léger piquetage circulaire délimite la ligne du futur bris (voir « outils et gestes »). Les stigmates d’élaboration sont similaires à ceux induits par la technique précédente : de minces sillons rapprochés, réguliers et profonds. La fabrication est donc totalement identique, si ce n’est qu’elle s’attaque à une seule face. Il en résulte sur toute la circonférence un petit bec, cette fois à la base de la pièce (« pointe base », cf. ill. 2, no 5 ; planche 2 no 208, 6, 75 et 109 ; ill. 7). 145 146 Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV 7 - Destruction totale de la partie centrale de l’artefact, à partir de la face supérieure (négatifs divers et sillons étroits verticaux contre la tranche intérieure de la parure). I.5 - L’objet presque abouti et les finitions Suite à ces opérations de façonnage, l’artefact se présente sous la forme d’un anneau plus ou moins grossier (ill. 8). Il est nécessaire d’affiner le travail, par différentes interventions de raclage ou d’abrasion. En premier lieu, et cela a été constaté sur tous les objets à ce stade (phase 3), c’est la tranche intérieure du bracelet qui est concernée. Celle-ci, et quelle qu’ait été la technique d’alésage employée, conserve, sur toute la circonférence, une excroissance résiduelle (« pointe centre » ou « pointe base ») qu’il convient de supprimer. Ce travail génère deux types de traces, peut-être produites par le même outil. Ce sont des rayures, plus ou moins marquées (profondes), parallèles ou non selon le sens du travail et la largeur de l’outil. À ces minuscules sillons est associé un aspect vaguement glacé, lustré. La tranche intérieure du bracelet étant façonnée, restent la tranche extérieure et éventuellement les deux faces selon le profil souhaité pour la parure (profil rectangulaire ou carré). Il est certain que la même méthode et donc le ou les mêmes outils ont été utilisés pour ce travail, les marques présentes sur la circonférence extérieure consistent en de longues rayures, parallèles aux faces, ainsi qu’en un aspect « érodé » assez important. À ce stade (phase 4 – ill. 9) le bracelet présente un aspect et des dimensions bien éloignés de ceux attestés sur les fragments aboutis (phase 6 – ill. 10 et 11), séquence immédiatement consécutive à la précédente d’après les artefacts découverts sur les sites. Il faudrait donc envisager l’existence d’une phase intermédiaire (phase 5) pour laquelle nous n’avons aucune référence. 8 - L’anneau est totalement dégagé (phase 3), et porte encore, dans sa tranche intérieure, les résidus du précédent façonnage (« pointe base » ou « pointe centre »). 9 - Phase 4. L’artefact, débarrassé des résidus de la chute centrale montre des surfaces plus affinées. On peut observer, principalement sur la tranche intérieure, les stries occasionnées par l’abrasion. Ce problème est plus amplement développé dans le paragraphe : « Aspects technologiques et morphométriques ». annexe I Les bracelets de l’âge du Bronze 10 - Fragments de bracelets finis, polis et lustrés, n’ayant aucun point commun avec les individus de la phase 4 présumée précédente. II - Les autres ustensiles II.1 - Les disques perforés de petit diamètre Vingt-neuf artefacts en pierre, autres que des bracelets, et donc la fonction n’est pas établie (planches 5 et 6, ill. 12) ont été collectés. La très grande majorité (plus de 98 %) est discoïde, de petit diamètre. Le centre a été perforé. Comme pour les bracelets, hors quelques ébauches au tout premier stade, aucun de ces objets n’est entier. Il s’agit de fragments ne dépassant pas la moitié d’un disque. Ces objets sont similaires en nature (disque perforé) par contre ils sont loin de l’être dans la forme et les dimensions. La matière première utilisée pour ces ustensiles est identique à celle des bracelets, avec cependant l’emploi (rare) de quelques minéraux inédits. Il s’agit d’un chloritoschiste (probable), très riche en gros cristaux de quartz, mais aussi d’un quartz opaque, légèrement jaunâtre. L’utilisation de cette dernière roche (un seul exemplaire sur galet originellement érodé) est assez surprenante lorsqu’on connaît sa dureté (planche 6, no 19). Pour ce qui est de l’ébauche, son choix et son apprêt, quelques interrogations subsistent. En effet, les dimensions reconnues pour ces objets se situent dans une large fourchette allant de 2,8 cm à 7 cm de diamètre extérieur, pour une épaisseur de 0,8 cm à 2,5 cm. Pour documenter ce premier stade, nous avons à disposition quelques pièces, légèrement différentes : un seul galet 11 - Autres fragments de bracelets finis, polis et lustrés. 12 - Fragments d’objets perforés de petit diamètre, à la fonction énigmatique. de forme à peu près sphérique portant au centre de nombreux piquetages, des fragments circulaires plats, ou des artefacts grossièrement discoïdes. Certains de ces nodules, éventuellement bruts ou apprêtés par épannelage, raclage ou abrasion (notamment de la tranche) constituent une matière première « propre », uniquement conçue, prélevée et sélectionnée pour ces objets. Par ailleurs une autre partie, environ la moitié de la production, provient de la récupération d’artefacts déjà à disposition, générés par l’élaboration des bracelets. 147 148 Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV Il peut donc s’agir soit de chutes occasionnées par la mise en forme de l’ébauche (notamment en cas de dédoublement), soit des bris résultant des premières phases de travail où la matière conserve encore un important volume, soit de la chute centrale du bracelet produite par la technique particulière décrite précédemment. Le diamètre, l’épaisseur, et quelquefois de vagues traces d’un précédent façonnage en témoignent. Cette ébauche étant plus ou moins préformée, l’opération consécutive, essentielle pour cette pièce, est la perforation du nodule, à peu près en son centre. Ces orifices ont des diamètres très divers, allant de 3 mm à 3 cm, la taille de la perforation n’étant pas en proportion avec celle de l’objet, pas plus que le diamètre de la pièce ne l’est avec son épaisseur. Comme pour les bracelets, deux techniques ont été utilisées pour la perforation. La première, la percussion directe ou indirecte, est illustrée par des bases de négatifs (« érodés ») grands ou petits. Ces marques, visibles sur les deux faces, traduisent donc un travail alterne, mené à partir de chacun des deux plans, ce qui est tout à fait logique. La seconde technique, qui ne présente pas de négatifs, si ce n’est de très rares et minuscules sillons, semble avoir été menée à l’aide d’un « perçoir » utilisé en vrille. On peut supposer que ce façonnage a été effectué par courtes rotations, probablement manuelles, et comme pour la précédente technique, de part et d’autre de l’objet, avec jonction centrale. Cette technique laisse sur l’objet une perforation biconique (troncs de cônes affrontés par leurs sommets au centre de l’épaisseur de la pièce), dont les parois, très lisses, en « entonnoir », sont plus ou moins évasées selon la taille et le profil du « taraud », parfois très large, pouvant occasionner un angle inférieur à 45o par rapport aux plans. Ce procédé s’accompagne d’un aspect « lustré », qui paraît normal, mais qui pose toutefois un problème : on ne peut distinguer si ce « polissage » est dû au façonnage, ou à l’utilisation répétitive de l’objet a posteriori (« lustré » occasionné par des frottements). Dans ce cas, la partie « utile » de la pièce se résumerait à la perforation : le reste de l’objet, les faces et surtout la tranche extérieure, étant quasiment bruts, sans traces d’usure visible. La plupart des artefacts témoignent d’une perforation « biconique », exécutée conjointement à partir des deux faces (« pointe centrale » de l’inventaire), mais il existe aussi, comme pour les bracelets, un autre procédé de fabrication, c’est-à-dire un travail effectué principalement à partir d’une face (« pointe base » de l’inventaire). Par ailleurs, plusieurs artefacts montrent aussi des techniques de perforation mixtes, façonnage sur une face par percussion, et sur l’autre face par « taraudage ». Il est possible que cette situation soit tout simplement due au type d’outils à disposition (planches 5 et 6). II.2 - Les objets indéterminés La documentation pour ce type d’objets est faible, se résumant à trois exemplaires. Rien ne s’oppose néanmoins à ce que dans le stock d’objets plus ou moins manufacturés découverts, d’autres individus puissent entrer dans cette catégorie, notamment ceux pour lesquels le stade d’élaboration est trop sommaire pour autoriser une identification correcte. On peut ainsi supposer qu’à l’origine cette production était plus étoffée. Ces trois pièces (est-ce un hasard ?) sont sur des chloritoschistes en plaquettes, peu épaisses, de plan sub-rectangulaire (présence d’angles « droits »). Les plus facilement identifiables sont deux fragments d’objet, dont l’aspect et la technique de fabrication utilisée évoquent ceux des bracelets. Le premier (planche 6 no 25) pourrait être une ébauche élaborée avec une technique inédite (seule la partie centrale de l’artefact est façonnée, à l’exclusion de la tranche extérieure). Le second (planche 6 no 27) semble également être l’ébauche bien dégrossie d’un mince anneau (7 mm de section), partiellement dégagé en haut-relief, sur la circonférence d’un fragment dont l’épaisseur maximale est de 11 mm. Le segment de cercle du possible anneau projeté, s’il s’agissait bien de cela, est aussi inattendu : son diamètre est supérieur à 12 cm. Le troisième artefact, plus énigmatique, est une plaquette de forme trapézoïdale à hauteur importante, et dont le sommet (petite base) est absent (planche 6 no 26). La base opposée (grande base) offre un profil hémisphérique aménagé par abrasion - raclage. Les deux angles situés de part et d’autre de cette base ont été abattus, par percussion. Les négatifs des impacts à l’origine de ces bris assez réguliers sont nettement visibles. Il semblerait que ces derniers, légèrement conchoïdaux, aient été produits par des percussions indirectes. II.3 - D’hypothétiques fonctions... Les « disques perforés de petit diamètre », bien que très différents dans leur forme, sont semblables dans le fond : un volume, grossièrement discoïde, de petite taille (par rapport aux bracelets), dont seule la perforation cen- annexe I Les bracelets de l’âge du Bronze trale, essentielle pour sa fonction, semble avoir fait l’objet d’un soin relatif, sans atteindre pour autant une finition soignée, comme on le voit sur les parures. Des traces d’usure, plus accentuées sur les parois de la perforation, sont suspectées. Ces dernières sont peu prononcées et n’attestent pas de frottements appuyés répétitifs, actions qui procureraient à l’objet un certain lustré, notamment sur les parties proéminentes, les faces et surtout la tranche extérieure. La relative abondance de ces artefacts semble être l’indice d’un objet « commun », ou en tous cas suffisamment reproduit et donc utilisé pour avoir sa place dans l’éventail ordinaire des éléments de la culture matérielle conservés. Leur fonction reste totalement énigmatique, les nombreuses pistes prospectées s’avérant incertaines. Dans un contexte d’éleveurs, probablement d’ovi-caprins, on pense au travail de la laine : ces objets pourraient correspondre à des fusaïoles utilisées pour le filage, ou à des poids de métier à tisser verticaux. La documentation et la littérature scientifique ne donnent cependant aucun exemple de ce type d’ustensile à ces périodes : les fusaïoles identifiées comme telles sont surtout en terre cuite (nous en avons deux fragments sur la zone), et les poids en pierre des métiers à tisser sont en principe plus lourds que les spécimens étudiés ici et plus ou moins normalisés. D’autres voies explorées ne sont pas plus satisfaisantes, essentiellement du fait que ces ustensiles ne présentent pas de lustré ou d’érosion latérale. Ainsi sont évoqués les « poids » de « bolas », utilisées par les bergers pour la garde des troupeaux ou éventuellement comme arme ; les poids de filets de pêche ou de chasse ; ou aussi, ce qui est assez séduisant, une pièce technique de fermeture, d’entrave ou de maintien, associée à un ou plusieurs liens, libres, fixes, ou coulissant en boucle dans la perforation centrale, couplés à un « arrêt » en bois ou autre, (licous, guides, lassos ?). En ce qui concerne les trois autres « ébauches » sur plaquettes, aucune interprétation rationnelle ne peut être avancée. La seule remarque, pour le segment d’un possible anneau, c’est que ce dernier a un diamètre bien trop grand pour un bracelet (12 cm), et que d’autre part, d’un point de vue technique, le dégagement de « l’objet » de sa matrice s’avèrerait impossible, justement en référence à ce grand diamètre, et en parallèle à sa finesse (7 mm). Pour ce qui est de la pièce trapézoïdale, sa forme évoque vague- ment un fer de lance dont la pointe serait « coupée ». Il est évident que la comparaison s’arrête là, la matière première utilisée étant incompatible, à moins qu’il ne s’agisse d’un jouet ou d’un objet rituel... II.4 - Les objets en terre cuite Ce petit paragraphe ne concerne que deux artefacts, éventuellement trois, dont la particularité, est d’être en terre cuite. Il s’agit de fragments circulaires n’excédant pas le tiers de la circonférence projetée, si l’on admet que ces objets de type anneaux étaient circulaires, ce qui n’est pas sûr. Ces objets, très réguliers, pourraient tout aussi bien être des fragments de bracelet que des fragments d’anses en boudin, ou même de pieds de vases polypodes, bien attestés à l’âge du Bronze. D’ailleurs la série céramique montre une grande variété de fragments présumés d’anses, parfois très fins et à la finition très poussée. Rien ne s’oppose à ce que ces pièces soient des fragments de bracelets en terre cuite (voir planches 1 à 12 de la contribution de l’âge du Bronze). II.5 - Une présence métallique... Un fragment de moule de fusion, de bronze probablement, a été découvert dans l’ensemble 1, au point 1025. Il est ménagé dans un bloc de chloritoschiste, d’aspect et de couleur différents de ceux utilisés pour les objets (différence due à de fortes températures ?). Cet objet, dans cette petite étude, pourrait être estimé hors sujet, si ce n’est qu’il montre un négatif (hémi-négatif ) dont les dimensions et le profil, sont les mêmes que ceux d’un bracelet « fini » en pierre, ce qui est remarquable. Si la fabrication de bracelets de terre cuite et de métal était confirmée, cela donnerait à penser que les populations du plateau de Rodès étaient spécialisées dans la production de cette parure (planche 6 no 28 ; ill. 13). 13 - Fragment de moule de fondeur, de bronze probable, dont le négatif est similaire au profil des bracelets finis en chloritoschiste. 149 150 Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV III - Les outils et les gestes III.1 - Éventail de l’outillage à disposition L’artisanat en chloritoschiste est bien documenté par les découvertes. En contrepartie, malgré des prospections attentives, les outils utilisés pour ces différents façonnages sont peu représentés. Quelques rapprochements peuvent être faits, mais nous n’avons aucune certitude que ces « outils » aient été conçus ou employés pour ce travail. Pour une production de ce type, particulière, spécialisée, on pouvait espérer mettre en évidence un type d’outil particulier, or il n’en est rien, soit que ces outils n’existent pas, soit que nous n’en ayons trouvé aucun. L’éventail de l’outillage associé à ces objets reste donc banal et peu fourni, similaire à celui que l’on trouve habituellement sur ce genre de sites, pour des occupations de l’âge du Bronze, époque pauvre en micro outillage lithique, notamment durant la phase la plus récente (Bronze final). - Le silex (contemporain ?) est rare, se résumant à une dizaine d’éclats souvent atypiques. Certaines typologies sont en outre à exclure d’emblée pour cette utilisation (pointe de flèche). - Les roches dures autres (hématites, jaspes, radiolarites...) sont mieux représentées, mais comme pour les précédents, la typologie est peu affirmée, les « outils » dominants étant des « grattoirs » ou assimilés (retouches marginales partielles). - Le quartz est de très loin le matériau le plus abondant. On le trouve dans toute cette zone, sous diverses formes : erratique, en filons, ou en inclusions sous forme de nodules ou de veines, dans la roche en place ou au sein d’énormes blocs. Les marques d’aménagement ou d’usage sur ce matériau utilisé depuis toujours par l’homme sont quelquefois discutables, cependant, il est certain qu’un bon nombre de ces pièces a été utilisé, dont probablement une partie pour l’élaboration des artefacts en chloritoschiste. Ces outils potentiels, préparés et utilisés avec compétence, pourraient s’avérer satisfaisants pour ce travail et expliquer une bonne partie des enlèvements observés sur les artefacts. - Indépendamment de ces outils « à percussion » direc- te ou indirecte, en majorité des percuteurs sphéroïdes, certains stades du travail témoignent d’un façonnage « doux », requérant une gamme d’instruments différents. Ces derniers étaient utilisés lors des phases de « raclages » ou d’abrasions. Les « outils » susceptibles d’avoir servi pour ces opérations ne sont pas clairement identifiés. Cependant, comme pour les outils précédents, on peut supposer qu’une partie était apte à ce façonnage, comme le raclage, par exemple de nombreux cassons ou pièces sobrement aménagées, surtout en quartz. Deux petits polissoirs, sur plaquettes de chloritoschiste au grain très fin, seraient à retenir dans cette perspective. Leur intérêt est néanmoins limité : ces objets, d’une vingtaine de centimètres carrés, sont bruts, et n’ont qu’un léger poli affectant localement une seule face, plane. Quelle qu’en soit la fonction, leur usage a été court et peu intensif. Quelques percuteurs, quelques fragments de meules et quelques molettes en roches grenues pourraient compléter cette série, mais aussi être des éléments de meunerie liés à l’occupation. Les prospections ont été menées dans un milieu naturel assez accidenté, encombré de chaos rocheux de toutes tailles, sur un sol jonché par de nombreuses pierres, de taille et d’origine diverses. Il semblerait que cette abondance ait été préjudiciable à la détection d’outils caractérisés par des traces mal identifiables. De nombreux fragments de bracelets, parfois minuscules, ont certes été découverts, mais il faut tenir compte que la couleur gris verdâtre particulière de la roche y est pour beaucoup, ce matériau se distinguant facilement du contexte caillouteux ambiant. Cette constatation pourrait éclaircir en partie ces carences sans les expliquer totalement. III.2 - Traces, outils et gestes Les principales traces d’élaboration retenues sont ici mises en correspondance avec un outil ou un type d’outil, supposé ou bien découvert sur le site. Les techniques et les gestes à l’origine de ces marques sont aussi déchiffrés ou proposés, selon les différents stades de la chaîne opératoire. - Les enlèvements importants, aux arêtes droites ou conchoïdales, entraînent de fortes cassures, toujours périphériques, qui interviennent sur la circonférence de la matière première en vue de la préformer, pour lui don- annexe I Les bracelets de l’âge du Bronze ner une forme discoïde. Cette technique d’épannelage, la plus sommaire qui soit, consiste en de fortes percussions directes. On peut supposer que le « percuteur » est en quartz, mais il pourrait être pris dans une roche autre, ayant un degré de dureté supérieur à celui du chloritoschiste, ce qui dans cet environnement ne manque pas. On peut supposer que « l’outil », pris sur place, n’a pas fait l’objet d’un choix rigoureux, pas plus que d’une conservation particulière. - Les négatifs larges et les sillons larges. Ces deux types de marques sont associées car causées par un même outil, orienté différemment, soit avec un angle d’attaque perpendiculaire au plan de travail (environ 90o = négatifs larges), soit oblique (40o et moins = sillons). Ce travail de préforme, assez grossier, pourrait être fait en percussion directe (négatifs larges) ou en percussion indirecte, cette dernière technique étant plus contrôlable et donc plus précise (notamment pour les sillons). Comme pour l’épannelage, l’outil utilisé a pu être pris dans le stock local à disposition immédiate. Le quartz semble être la roche la mieux adaptée (et la plus abondante). Sur un quartz de volume approprié à la technique envisagée (taille, forme et poids), quelques enlèvements dégageant ou accentuant une pointe à l’extrémité d’un casson seraient suffisants pour ce façonnage. Bien qu’il s’agisse ici d’un « outil » un peu plus élaboré, rien ne prouve qu’il ait été conservé en vue d’une prochaine utilisation. Dans le cas d’un emploi unique, l’aménagement et les traces de l’outil seraient peu prononcés et donc difficilement identifiables. - Les petits négatifs et les sillons étroits. Ces deux types de négatifs sont également générés par un type d’outil unique, leurs variations traduisant une orientation différente de la force par rapport au plan de travail, tout comme pour les négatifs et les sillons larges. Quelques différences existent toutefois : la densité des négatifs ainsi que leur « agencement », en lignes régulières, de même la longueur des sillons, parallèles, ne peuvent s’accommoder d’un travail en percussion directe, difficile à maîtriser. L’emploi d’un outil intermédiaire, probablement emmanché, s’avère indispensable. La possibilité d’utilisation d’une pointe en quartz, aménagée dans ce sens (fine et aigue) pourrait être proposée. Cependant il faut admettre que ce minéral, au vu de l’importance et du nombre des sillons, réguliers, devrait tout d’abord être de premier choix, et surtout être souvent retouché ou changé. L’emploi d’une roche plus dense et plus dure, en silex ou en hématite/jaspe serait préférable, avec cependant les mêmes inconvénients. Il semblerait donc, en dernière hypothèse, que ces traces aient pu être laissées par une pointe en métal, idéale pour cette phase du façonnage (ill. 14). Plusieurs spécialistes, à l’observation de ces négatifs, ont cautionné cette idée. Nous n’avons pas de vestiges pour confirmer l’utilisation de pointes de pierre, et nous n’en avons pas plus pour ce qui est de l’emploi d’un outil en métal. Deux éléments attestent néanmoins, de façon certaine, de la présence de la métallurgie sur le site, ce qui est tout à fait normal pour cette période. Un indice est fourni par un petit nodule de bronze, possible résidu de fonte (point U ensemble 2). Le second, plus important, confirme indirectement cette production. Il s’agit du fragment de moule de fusion, de bronze probable, présenté ci-dessus. Bien que discrets, ces témoins d’une métallurgie (et d’objets en métal) sont bien réels. L’absence, ou plutôt la non découverte de ce type d’ustensile n’exclut pas leur existence. Il est en effet concevable que ces pointes (bronze bien additionné d’arsenic), emmanchées, aient été de petite taille. Leur découverte reste donc difficile dans le cadre de prospections pédestres. Ces outils devaient en outre faire l’objet d’une attention particulière, tout comme les bracelets de bronze résultant de la fonte. 14 - Stigmates d’élaboration, longs et étroits, attribués à des pointes de bronze emmanchées. 151 152 Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV - Raclage et abrasion. Le raclage ne pose aucun problème, il peut se faire avec n’importe quel éclat de quartz tranchant, aménagé ou non. Différents types de roches grenues se trouvant sur les sites, la disposition d’un tel outillage est aisée. L’interprétation des traces et leur situation sur l’objet livrent cependant quelques observations complémentaires. D’une manière générale, quand ces traces sur les tranches sont « verticales », c’est-à-dire perpendiculaires aux faces, au bracelet, ce travail, intéressant une surface très courte (l’épaisseur du bracelet) a pu être fait avec un outil abrasif mobile, oblong et de petite taille pour permettre le passage à l’intérieur de l’anneau. En revanche, si ces marques sont « horizontales », c’est-à-dire parallèles aux faces, on peut envisager, sans exclure un outil abrasif, l’utilisation d’un racloir, plus performant. Les traces sont ainsi bien plus longues et régulières. Hormis ce critère, la distinction entre l’une ou l’autre de ces techniques est quasiment impossible, d’autant plus, et quel que soit l’outil, que ces traces, sur un même plan de travail, peuvent avoir différentes orientations, horizontales ou verticales, mais aussi obliques, voire affrontées. Ces deux techniques (abrasion et raclage) ont en outre été utilisées conjointement (ill. 9). Une variante complémentaire peut être proposée pour l’abrasion : si le faible diamètre du bracelet exclut l’emploi d’un outil de grand format, le reste de l’objet, les faces et surtout la tranche extérieure, s’accommodent bien d’un travail plus ample, sûrement plus efficace. Ce ne serait plus l’outil qui serait frotté contre le bracelet, mais au contraire ce dernier contre une surface abrasive dormante de grande taille. Ce type de façonnage avait déjà été reconnu pour le traitement de la tranche de l’ébauche où il s’avérait idéal, le disque, plein, permettant une bonne prise, nécessaire pour un travail performant sur une grande surface. IV - Aspects technologiques et morphométriques IV.1 - Pour les bracelets Cet artisanat, élaboré à partir d’une matière première locale abondante, bien qu’assez étonnant par sa densité et son originalité, est très rudimentaire, tant dans la fabrication que dans l’outillage utilisé, tout au moins à partir des vestiges découverts, qui ne sont pas obligatoirement représentatifs de l’ensemble de la production, car de nombreux objets ont pu être achevés sans laisser de traces. En effet, si les grands schémas de la chaîne opératoire sont globalement respectés, à l’aide d’outils banals, il semblerait que cette élaboration, tout au moins dans ses premières phases, soit plus ou moins anarchique, à la discrétion de l’« artisan », autant redevable à son bon sens, qu’à son habileté et à son savoir-faire, ou à son sens du raccourci. Ceux-ci semblent au demeurant très variables, comme le signalent des artefacts de bonne facture, dont l’élaboration est nettement maîtrisée, de l’ébauche à l’objet fini, ou, en contrepartie, d’autres pièces beaucoup plus « primitives » qui se démarquent par plusieurs « anomalies ». Tout d’abord dans le choix du bloc originel, mal adapté : chloritoschiste parfois veiné, de forme très irrégulière, au clivage de 180o non respecté..., puis par les diverses phases du façonnage : - phase 1, absence de préforme de l’ébauche (mise à plat des faces et apprêt de la tranche), pas de délimitation du diamètre extérieur ou intérieur, si ce n’est, épisodiquement, par piquetage irrégulier et peu circulaire ; - phases 2 et 3 utilisant la technique de la percussion directe, avec des « outils » hétérogènes produisant des traces variées et désordonnées. Il n’est pas surprenant que ces objets représentent environ les 3/5e de l’ensemble : il s’agit en vérité de « ratés », de déchets provenant des pièces brisées en cours d’élaboration, ce qui était quelquefois prévisible. Si les bris qui nous sont parvenus proviennent des différents stades de la chaîne opératoire, pour ces artefacts mais aussi pour les pièces plus soignées faisant preuve de plus de maîtrise ou tout au moins d’un travail plus exigeant et abouti, la majorité des cassures s’observe sur les phases 2 et 3 du façonnage. Cette représentation est logique, s’agissant ici de dégager le futur bracelet de sa matrice, et donc d’obtenir un anneau fragile. Si le déroulement de ce protocole est clair jusqu’à ce stade, et même annexe I Les bracelets de l’âge du Bronze au-delà (abattage du résidu de la chute centrale, raclage/ abrasion = phase 3), il faut convenir que la suite est plus incertaine. Pour documenter ces dernières phases, nous avons à disposition, d’une part, des « bracelets » à la section épaisse, légèrement irrégulière, mais dont toutes les faces ou les tranches sont façonnées, offrant un aspect et un toucher relativement fin (ill. 9 et planche 3), et d’autre part, une vingtaine de fragments qui appartiennent sans conteste à des bracelets finis (planches 3 et 4). Ces derniers ont un profil très étroit, aux environs de 7 mm d’épaisseur. Ils sont aussi réguliers, polis et lustrés, que cet aspect soit imputable à une ultime phase de la chaîne opératoire ou occasionné par le port et donc l’usure de la parure. Les bracelets finis, de très bonne facture, ont de nombreux caractères communs, dont un profil hémisphérique répétitif (90 % de la production). Par contre pour les bracelets à section épaisse, irrégulière, plus abondants, on constate une forte disparité de formats et de profils. Cette dissemblance semble traduire le fait que nous soyons ici à une étape intermédiaire, l’objet requérant d’ultimes phases d’affinage tendant à le normaliser. Il semblerait donc qu’une phase 5 soit nécessaire avant le lustrage définitif, avant dernière étape dont nous n’avons sur les sites aucun témoignage. Deux propositions peuvent être avancées pour expliquer cette carence. La première est technique : les artefacts témoignant de cette phase 5 sont tout simplement absents car aucun bris n’est intervenu durant cette dernière, ce qui se conçoit, s’agissant d’un travail peu impétueux. La seconde, plus discutable, pourrait s’expliquer par le fait que les bracelets aient été mis en « circulation » à un stade inachevé pour être finis ailleurs. Il ne s’agit là que d’une piste. Si cet artisanat paraissait à première vue assez brouillon au vu des nombreux bris (encore une fois pas obligatoirement représentatifs de la totalité de la production), à l’arrivée le produit est de bonne facture et relativement standardisé. Des variantes, normales et admises, concernent les diamètres intérieurs des bracelets. Ces derniers se situent sur une échelle allant de 3,75 cm à 8 cm. Ces dernières dimensions, extrêmes, sont donc peu attestées, l’essentiel de la production se situant dans une fourchette de 6,2 cm à 7,2 cm, soit 6,7 cm de moyenne. Quelques prises de mesures sur des bracelets contemporains féminins, montrent une grande similitude, le diamètre moyen de ces derniers se situant autour de 7 cm. Les productions du plateau de Rodès sont de diamètre légèrement inférieur à l’actuel, observation en accord avec les études anthropologiques menées sur des individus de cette période. Les bracelets sortant de ces normes devaient être destinés soit à des personnes de grande taille ou robustes, les plus larges, soit à des individus graciles ou des enfants, les plus étroits. IV.2 - Pour les ustensiles autres L’approvisionnement en matière première pour ces objets perforés de petit diamètre ne posant aucun problème, ces derniers peuvent être produits à partir de petits volumes sélectionnés pour cet usage, ou à partir des chutes centrales provenant du façonnage des bracelets. Les traits dominants de cette production, peu calibrée, à partir des artefacts découverts, se résument donc à un format circulaire, brut ou à peine dégrossi, portant une perforation centrale, également de diamètre très variable, essentielle pour la fonction de cet ustensile qui nous reste inconnue, et qui ne semble pas obéir à des critères esthétiques. Il s’agit sans doute d’objets utilitaires, banals. Il faut souligner que seuls sont représentés les objets cassés, généralement par moitié, ce qui est assez surprenant, eu égard à leur petite taille et à leur volume assez « trapu », et donc à leur présumée robustesse. Pour quelques-uns l’éventualité de cassures liées au façonnage peut être avancée, mais il ne semble pas que ce soit le cas pour le plus grand nombre, probablement brisés accidentellement lors de leur utilisation ou par la suite. V - Conclusions Les productions en chloritoschiste du plateau de Montalba concernent surtout la fabrication de bracelets, les autres artefacts associés, essentiellement de petits disques perforés, élaborés sobrement dans le même minéral à partir des chutes des premiers, sont probablement des pièces techniques n’ayant dans ce contexte qu’une importance anecdotique. La production, opportuniste car établie à partir d’une gîtologie locale, offre une série forte de 245 pièces, décrivant l’ensemble de la chaîne opératoire, relativement bien documentée. Les artefacts qui nous sont parvenus, à différents degrés d’élaboration, se rapportent donc à des pièces brisées lors de leur fabrication. 153 154 Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV La présence de fragments de bracelets finis, de très bonne facture, reste donc assez discordante en référence à ces « ratés » produits par des « artisans » inexpérimentés, voire des enfants. Les techniques de façonnage sont assez primitives, utilisant des « outils » banals tirés du substrat rocheux local, surtout des quartz. Lors des ultimes phases de façonnage, requérant des outils plus fins et performants, l’utilisation de pointes en bronze est proposée. La métallurgie est d’ailleurs attestée sur le site. La production, révélée sur de grandes surfaces, sans concentrations particulières, n’est donc pas subordonnée à des ateliers « homologués ». Ces maladresses et cette dispersion confirmeraient l’hypothèse avancée pour le fonctionnement des sites et leur économie, principalement axée sur le pastoralisme : cet artisanat, d’appoint, serait imputable aux bergers occupés à la garde des troupeaux, à proximité des pâtures, elles-mêmes situées en bordure d’une importante voie de communication, « ancien itinéraire » fréquenté lors des transhumances, balisé par ces vestiges et plusieurs dolmens. Ces parures semblent destinées au marchandage, et donc à être diffusées. Cette proposition pose un problème de taille : aucun de ces artéfacts n’a été mis au jour, au cours de différents travaux archéologiques, tant sur les sites limitrophes que sur des secteurs plus éloignés. Analyse pétrographique des bracelets en micaschistes Pierre Giresse L’étude a pour objet l’analyse pétrographique et notamment minéralogique de quelques fragments de ces bracelets récoltés sur le terrain à proximité de divers affleurements micaschisteux. À titre de comparaison, d’autres analyses pétrographiques sont dédiées à ces affleurements, un autre objet de l’étude étant de contribuer à la reconnaissance des matières premières qui ont été employées dans l’artisanat de ces bracelets sur le secteur granitique de Montalba-le-Château (cartes géologiques au 80 000e de Quillan (Casteras et alii, 1967), au 1/50 000e de Rivesaltes (Berger et alii, 1993) et ibid. carte chap. XI, ill. 1). Analyse pétrographique de quelques affleurements Ce sont les affleurements de micaschistes (au sens large) qui ont fourni principalement la matière première utilisée par les artisans préhistoriques de ce secteur. Ces affleurements ont pu être échantillonnés en plusieurs points à proximité du Mas Molins et du Serrat Blanc. Ils se présentent sous plusieurs faciès que l’on caractérise en fonction du développement des minéraux phylliteux qui recouvrent les surfaces de foliation. Dans plusieurs cas, ces minéraux de taille millimétrique sont parfaitement visibles à l’œil nu. Les micaschistes à « grands cristaux » s’avèrent en fait être des chloritoschistes : 89 % de chlorite et 11 % de muscovite ou 95 % de chlorite et 5 % de muscovite. Les faciès plus lustrés, où les minéraux phylliteux ne sont pas visibles à l’œil nu et où la schistosité est moins développée, sont encore des chloritoschistes, mais avec des teneurs un peu plus faibles en chlorite : 75 % de chlorite et 25 % de muscovite ou 70 % de chlorite et 30 % de muscovite. Dans tous les cas, la composante feldspathique est très faible, voire absente. Analyses pétrographiques des bracelets Quatre débris de bracelets ont été analysés. Ils ne présentent pas de minéraux phylliteux apparents à l’œil nu. Les analyses diffractométriques indiquent chaque fois des teneurs en chlorite assez faibles, du moins par référence à celles trouvées dans les roches à l’affleurement : 70 % de chlorite et 30 % de muscovite, 73 % de chlorite et 27 % de muscovite, 69 % de chlorite et 31 % de muscovite, 66 % et 34 % de muscovite. Ces compositions permettent donc de rattacher ces matériaux à celles des faciès lustrés observés à l’affleurement. Cependant quelques bracelets en micaschiste à éclat plus brillant ont pu aussi être observés (Alain Vignaud, communication orale). Discussion Il est probable que les faciès lustrés de ces chloritoschistes aient pu avoir été sélectionnés préférentiellement par les artisans préhistoriques. L’assez grande hétérogénéité de la roche, le petit grain de la texture et surtout une moindre foliation ont pu définir des propriétés mécaniques plus favorables à la tailles et peut-être au polissage. Ces matériaux étaient probablement plus tendres et plutôt moins sujets à l’éclatement sous le choc des burins. Il est à noter que d’autres roches à faciès schisteux ont été aussi prélevées à l’affleurement (granite schisteux, microgrès schisteux) et analysés dans le cadre de cette étude. Il s’avère qu’ils n’ont jamais été employés pour la confection des bracelets car trop riches en silice et donc vraisemblablement trop difficiles à travailler. annexe I Les bracelets de l’âge du Bronze 1 5 cm 57 55 12 67 Les n° sont ceux des inventaires Dessins A. Vignaud Planche 1 - Nos 1, 57 et 55, transformation de la matière première à différents stades. Nos 67 et 12 : mise en œuvre de la phase 2, par piquetage à partir du centre, en alterne (n° 67), ou sur la totalité de la chute centrale, également en alterne (no 12). 155 156 Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV 113 31 118 5 cm 99 68 208 109 6 69 75 16 Les n° sont ceux des inventaires Dessins A. Vignaud Planche 2 - Dépose de la chute centrale (no 113) par piquetage périphérique alterne (no 31), ou à partir de la face supérieure (n° 118). Destruction totale de la chute centrale par piquetage alterne (no 68), ou à partir de la face supérieure (nos 99, 208, 6 et 75). annexe I Les bracelets de l’âge du Bronze ø 7,5 cm ø 5,8 cm 18 27 0 1025 ø 6,5 cm 50 ø 7 cm ø 8,5 cm ø 7 cm 51 52 1043 5 cm ø 7 cm 54 49 1005 ø 7 cm ø 6,7 cm 81 ø 6,25 cm ø 6,2 cm 82 83 80 1006 ø 8,2 cm 95 ø 8 cm 94 ø 7,7 cm 92 ø 7,7 cm 93 ø 7,3 cm 96 Les n° sont ceux des inventaires Dessins A. Vignaud Planche 3 - En grisé, fragments de bracelets de la phase 4, à la finition assez soignée, mais non aboutie. En noir, les fragments de bracelets terminés, polis et lustrés (phase 6). à noter la différence de format et de profils entre ces 2 types. 157 158 Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV ø 7 cm ø 7 cm ø 7 cm ø 6,25 cm 85 ø 5,3 cm 89 87 84 ø 5,5 cm ø 4,2 cm ø 3,75 cm 91 90 88 86 0 1006 ø 7,35 ø 7,25 ø 8 cm 111 110 150 U-V 5 cm ø 7 cm ø 5,20 130 131 1018 1021 ø 7,15 ø 7,8 cm 157 167 1013 Point 143 (isolé) Les n° sont ceux des inventaires Planche 4 - Fragments de bracelets finis. Les profils, hémisphériques verticaux, sont assez répétitifs. Dessins A. Vignaud annexe I Les bracelets de l’âge du Bronze 2 1 5 cm 3 1025 perforation par rotations par percussions 4 5 Mise en œuvre mixte 7 6 8 1005 perforation par rotations 1026 percu 9 10 11 12 1006 13 5 cm 14 perforation par rotations 16 15 mise en œuvre mixte 17 Dessins A. Vignaud Planche 5 - Objets circulaires perforés, de petit diamètre, à la fonction énigmatique. 159 160 Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV 1020 18 quartz 19 5 cm Ensemble 2, Groupe 3, point 1014 perforation par rotations perforation par rotations par percussions par percussions 1022 20 1031 22 21 Mise en œuvre mixte Mise en œuvre mixte 1022 Ensemble 2, Groupe 2, points 1020, 1022 et 1031 208 5 cm 23 1033 24 Points isolés, 208 et 1033 1025 (E1) 25 5 cm 26 1016 (”isolé”) ø intérieur 10 cm 27 28 1016 (”isolé”) 1025 Fragment de moule de fondeur (bracelet probable) 1016 (”isolé”) Objets non identifiés sur plaquettes de chloritoschiste Dessins A. Vignaud Planche 6 - Objets circulaires perforés de petit diamètre, artefacts non identifiés (nos 25, 26 et 27), et fragment de moule de fondeur (n° 28). annexe I Les bracelets de l’âge du Bronze 30 Ensemble 1, Groupes 1 et 2 20 10 0 40 Ensemble 1, Groupe 3 (1005) 20 0 80 Ensemble 1, Groupe 3 (1006, 1042 et 1027) 60 40 Unités 20 0 160 % Les graphiques sont à la même échelle (5 mm = 10 u) Les données sont à partir des bracelets horizontaux (180°) Ensemble 1, total général 140 120 100 80 60 40 Matière première Type d'unité Phases / mise en œuvre 1 - Production de bracelets. Ensemble 1, groupes 1, 2 et 3, et total général. Diamètres intérieurs Profils des bracelets finis Polissage/lustrage stigmates d'élaboration Fragment bracelet fini Raclage vert. Raclage Horiz. < sillons étroits < négatifs cupulés > sillons larges Épannelé > négatifs cupulés Carré Subrectang. horiz. Subcirculaire Subrectang. vert. Hémicirc. vert. Oblong vertical Ovale large Horiz. Ovale large vertic. ø de 6 à 7 ø > à 7 mm ø de 5 à 6 De 4 à 5 mm Pointe base Pointe centre Phase 3 Phase 2 Fragment Chute centrale Ébauche entière Clivage 90° Clivage 45° Clivage 180° Chlorito autre Chlorito à > mica Chlorito Standard 0 Dégrossi phase 1 20 161 Matière première Type d'unité Phases / mise en œuvre 2 - Production de bracelets. Ensemble 2, groupes 1, 2 et 3, et total général. Diamètres intérieurs Profils des bracelets finis Stigmates d'élaboration Fragment bracelet fini Polissage/lustrage Raclage Horiz. Raclage vert. < sillon étroit < négatif cupulé > sillon large > négatif cupulé Épannelé Carré Subrectang. horiz. Subrectang. vert. Subcirculaire Hémicirc. vert. Oblong vertical Ovale large Horiz. Ovale large vertic. ø > à 7 mm ø de 6 à 7 ø de 5 à 6 De 4 à 5 mm Pointe centre Pointe base Phase 3 Phase 2 Dégrossi phase 1 Chute centrale Fragment Ébauche entière Clivage 90° Clivage 45° Clivage 180° Chlorito autre 0 Chlorito à > mica Chlorito Standard Unités 162 Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV Ensemble 2, Groupe 1 10 % 30 Ensemble 2, Groupe 2 20 10 0 10 Ensemble 2, Groupe 3 0 Les graphiques sont à la même échelle (5 mm = 10 u) Les données sont à partir des bracelets horizontaux (180°) 60 Total Ensemble 2 50 40 30 20 10 0 annexe I Les bracelets de l’âge du Bronze Ensemble 1, total général 160 140 120 100 80 60 40 Unités 20 0 % Les graphiques sont à la même échelle (5 mm = 10 u) Les données sont à partir des bracelets horizontaux (180°) Ensemble 2, total général 60 50 40 30 20 10 0 Ensemble 3, total général 1 Points isolés et "H. S.", total 9 Matière première Type d'unité Phases / mise en œuvre 3 - Production de bracelets. Ensembles 1, 2, 3 et points isolés, total général. Profils des bracelets finis Fragment bracelet fini Raclage Horiz. stigmates d'élaboration Polissage/lustrage Raclage vert. < sillon étroit < négatif cupulé > sillon large > négatif cupulé Carré Épannelé Subrectang. vert. Subrectang. horiz. Subcirculaire Hémicirc. vert. Oblong vertical Ovale large Horiz. ø > à 7 mm Diamètres intérieurs Ovale large vertic. ø de 5 à 6 ø de 6 à 7 De 4 à 5 mm Pointe centre Phase 3 Pointe base Phase 2 Dégrossi phase 1 Fragment Chute centrale Clivage 90° Ébauche entière Clivage 45° Clivage 180° Chlorito autre Chlorito à > mica Chlorito Standard 0 163 Matière première Type d'unité Phases / mise en œuvre Diamètres intérieurs Total général 4 - Production de bracelets. Total général regroupant l’ensemble des artefacts découverts sur les sites. Profils des bracelets finis Carré stigmates d'élaboration Fragment bracelet fini Polissage/lustrage Raclage Horiz. Raclage vert. < sillon étroit < négatif cupulé > sillon large > négatif cupulé Épannelé 250 Subrectang. horiz. Subrectang. vert. Subcirculaire Hémicirc. vert. Oblong vertical Ovale large Horiz. Ovale large vertic. ø > à 7 mm ø de 6 à 7 ø de 5 à 6 De 4 à 5 mm Pointe centre Pointe base Phase 3 Phase 2 Dégrossi phase 1 Chute centrale Fragment Ébauche entière Clivage 90° Clivage 45° Clivage 180° Chlorito autre 0 Chlorito à > mica Chlorito Standard Unités 164 Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV Échelle : 5 mm = 10 unités Les données sont à partir des bracelets horizontaux (180°) 237 u 200 150 100 50 % Unités annexe I Les bracelets de l’âge du Bronze Total Ensemble 1, Groupe 1 3 2 1 0 % Total Ensemble 1, Groupe 2 4 3 2 1 0 Total Ensemble 1, Groupe 3 15 10 5 1 0 Total Ensemble 1 16 14 12 10 8 6 4 2 1 0 Total ensemble 2, groupe 2 7 5 3 1 0 Total Ensemble 2, groupe 3 2 1 0 Total Ensemble 2 7 5 3 1 0 Total Ensemble 3 1 0 Ustensiles de petit diamètre - total général 25 20 15 10 5 Matière première Phases / mise en œuvre Diamètres intérieurs Ustensiles de petit diamètre 5 - Objets circulaires de petit diamètre. Ensembles 1, 2 et 3 et total général. Perforation raclée Perforation percut. Sillons < négatifs > négatifs Raclage latéral ext. Plus de 70mm Diamètres extérieurs Raclage général de 50 à 70 mm de 40 à 50 mm ø extér. 30 à 40mm De 20 à 30 mm et + De 5 à 10 mm De 10 à 20 mm ø perfo., 2 à 5mm Pointe centre Pointe base Phase 3 Phase 2 Chûte centrale Type d'unité Dégrossi phase 1 Fragment Entière Clivage 45° Clivage 180° Terre cuite Roche autre Chlorito autre Chlorito à > mica Chlorito Standard 1 0 stigmates d'élaboration Profil des ustensiles Informe Subcirculaire, En amande, base aplanie pointe centrale 16,5 % 16,5 % 67 % 165 166 Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV ENSEMBLES - POINTS Groupe 1 1025-1 et 2 = sommet de l’oppidum + collectes Y. Blaize 1025-3 et 4 = base, à l’est 1025-5 =Base Ouest 1025-6 = Base nord 1025-7 = Base, nord-ouest isolée (cabane ?) TOTAL Groupe 1 Groupe 2 1043 1026 TOTAL Groupe 2 Groupe 3 1002 1003 1004 1005 1006 (+1042) 1027 TOTAL Groupe 3 TOTAL Ensemble 1 W U (+V) TOTAL Groupe 1 Groupe 1 Groupe 2 1021 1020 (+ 1022+1031) 1018 (+1019) TOTAL Groupe 2 Groupe 3 1012 (+1011) 1013 1030 (+1029) 1014 (+1015) TOTAL Groupe 3 TOTAL Ensemble 2 H TOTAL Groupe 1 I J K L M TOTAL Groupe 2 Groupe 1 Groupe 2 CÉRAMIQUE bracelets LITHIQUE DIVERS 1413 9 8 1 bloc “meule” 565 8 247 30 2263 1 16 6 1 33 6 9 4 2 29 2 percuteurs à cupule 1fgt moule fondeur Schiste poli à cupule 385 166 551 6 1 7 5 5 10 185 106 21 662 727 112 1813 4627 2 ENSEMBLE 1 21 85 1 109 149 1 13 9 6 29 68 1 schiste poli 1 hache polie 570 720 1290 16 16 2 27 28 1 nodule cuivre/bronze 878 775 98 1751 24 30 6 60 10 14 2 26 60 73 606 288 1027 4068 3 4 5 2 14 90 1 3 14 2 20 74 1 1 4 4 1 meule 3 dont 1 flèche en silex ENSEMBLE 2 1 meule “Polissoir” sur plaquette ENSEMBLE 3 260 260 24 12 164 48 75 323 0 1 4 Groupe 3 G A (+C) D (+E) 1034 1023 TOTAL Groupe 3 TOTAL Ensemble 3 37 92 66 44 13 252 835 1 1 2 1 2 6 13 TOTAUX des Ensembles 1, 2 et 3 9377 239 155 4 Inventaire général des mobiliers de l’âge du Bronze, plateau de Rodès et montalba-le-château, tous points confondus. A. Vignaud Annexe II Les anses à appendice du plateau de Ropidera Richard Iund Les anses à appendice sont caractéristiques de l’âge du Bronze moyen/récent des régions méditerranéennes de la France méridionale. Deux principaux types d’appendices se rencontrent au sommet des anses des vases de ces périodes. Les pouciers, appendices cylindriques et les ad ascia, « en hache », appendices plats. Fruits de contacts avec le monde italique (culture des Terramares de la côte orientale, et dans une moindre mesure Apenninique et Subapenninique du centre de la péninsule), en France, ces anses adoptent une répartition originale sur les trois aires géographiques constituant le pourtour méditerranéen. À l’est du Rhône, seules les anses ad ascia sont présentes sur des sites peu éloignés des rivages. En Languedoc, les anses ad ascia se rencontrent en contexte Bronze récent/final. Elles sont parfois associées à des pouciers cylindriques, particulièrement sur les sites lagunaires de l’Hérault. L’est des Pyrénées montre une situation originale. À proximité des rivages, les pouciers et anses ad ascia sont peu présents, parfois associés sur le même site (La Fonollera, Pons 1977). Plus à l’intérieur des terres, sur l’axe Têt/Sègre et en Bas Aragon, les anses ad ascia sont pratiquement absentes, les pouciers par contre sont très abondants et de morphologies variées. Inventaire des anses à appendice de l’âge du Bronze du plateau de Ropidera La typologie utilisée dans cette étude a été définie lors de travaux précédents (Iund, 1997, 1998, 2005). les numéros de l’inventaire ci-dessus renvoient à la planche en annexe. 1 - Anse en ruban large et massive, la base est déviée vers la gauche. Elle porte en son sommet, à la jonction anse/ bord, la trace d’un poucier. La surface, beige clair, est lissée, le dégraissant est fin (1 mm). 2 - Poucier à sommet plan débordant le corps de l’appendice (type 2A). Le tenon conique ayant servi à la fixation de l’appendice sur l’anse est visible. La surface grise est très érodée. Le dégraissant est moyen (3 mm). 3 - Petit poucier à sommet plan ne débordant pas le corps de l’appendice (type 1). La surface est noire, érodée. Le dégraissant est fin (1 mm). 4 - Poucier à sommet plan débordant le corps de l’appendice (type 2A). Le tenon conique servant à la fixation de l’appendice sur l’anse est visible. La surface brun rougeâtre est érodée. Le dégraissant est moyen (3 mm). 5 - Poucier à sommet plan ne débordant pas le corps de l’appendice (type 1). La surface brun marron est lissée. Le dégraissant est fin (1 mm). 168 Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV 6 - Poucier à sommet arrondi (type 6B). La surface brun noir est très érodée. Le dégraissant est gros (5 mm). 7 - Poucier à sommet plan ne débordant pas le corps de l’appendice (type 1). La surface est lissée. Le dégraissant est fin (1 mm). 8 - Fragment d’anse portant, à la jonction anse/bord, la trace d’un poucier. La surface est lissée. Le dégraissant est fin. 9 - Poucier à sommet plan débordant le corps de l’appendice et formant une étoile à quatre branches. Il est proche du type 7B. En son centre le sommet est orné d’un petit téton. La surface rougeâtre est lissée. Le dégraissant est gros (5 mm). 10 - Fragment d’anse portant, à la jonction anse/bord, la base d’un gros poucier. La surface rougeâtre est érodée. Le dégraissant est moyen (2 mm). 11 - Partie supérieure d’une anse en ruban. Elle porte, à la jonction avec le bord, un petit poucier à sommet arrondi (type 6B). La surface beige est finement lissée. Le dégraissant n’est pas visible. 12 - Appendice ad ascia de type 1 (profil subcirculaire, partie sommitale droite ou légèrement convexe, avec étranglement basal). La surface, beige sur la partie supérieure, rosâtre en dessous, est lissée. Le dégraissant est fin. 13 - Gros poucier dont le sommet est manquant. La surface noire est lissée. Le dégraissant est fin (1 mm). 14 - Fragment d’anse portant, à la jonction avec le bord, un gros poucier de type 2A. Elle est probablement portée par un vase de dimension importante (jatte ou urne). La surface brune est très érodée, le dégraissant est gros (5 mm). Sur cet ensemble de moyens de préhension à appendices on peut dénombrer : - 4 pouciers de type 2A à sommet plan débordant le corps de l’appendice ; - 3 pouciers de type 1 à sommet plan ne débordant pas le corps de l’appendice ; - 2 pouciers de type 6B à sommet arrondi ; - 1 poucier à sommet plan à profil en étoile à 4 branches et à téton central. Il est raisonnable de le considérer comme une variante du type 7B (à sommet plan et téton central) ; - 1 appendice ad ascia de type 1 à profil triangulaire, partie sommitale droite ou légèrement convexe et étranglement basal. Répartition géographique des anses à poucier Les pouciers, quand l’anse nous est parvenue, sont situés à la jonction avec la lèvre, caractéristique propre à la céramique de l’âge du Bronze. Les pouciers à sommet plan ou légèrement concave (type 1, 2A) représentent les 3/4 de l’ensemble des effectifs au nord des Pyrénées (Iund 1997). Ils sont très nombreux à Montou, ainsi que sur l’ensemble des sites de la vallée de la Têt (Caune de Bélesta, grotte de la Chance, Llo). Le type 6B (à sommet arrondi) se rencontre assez peu au nord des Pyrénées, il est beaucoup plus fréquent au sud. Les pouciers de type 7 (A et B) sont présents au nord des Pyrénées à Montou II, en contexte bouleversé (Iund 1997). Au sud on les rencontre en Bas Aragon (Los Estancos, Lecinena), et Bas Sègre (Rocaferida, Lérida). À Geno (Lérida), habitat de type défensif de la charnière Bronze moyen/final richement documenté en anses à appendice, le poucier se distingue par un profil du sommet en étoile à 6 branches. Ce site a d’autre part livré des anneaux en pierre verte (Maya, Cuesta 1998). Chronologie des anses à poucier dans les Pyrénées de l’est Les vases à anse à poucier des Pyrénées de l’est ont, dans un premier temps, été considérés comme traceurs chrono-culturels du Bronze moyen. Ils seraient apparus à la fin du Bronze ancien, après les dernières manifestations du phénomène campaniforme (Guilaine, Abélanet 1966). Les datations 14C de ces dernières années ont légèrement rajeuni leur genèse au nord des Pyrénées, et de façon beaucoup plus franche leur diffusion au sud. La couche 11 de la Cauna de Bélesta, (Bélesta-de-laFrontière, Pyrénées-Orientales), qui a livré plusieurs anses à poucier de type 2A, est datée d’une phase récente du Bronze moyen. La grotte de Montou, Corbère-lesCabanes (Pyrénées-Orientales), toute proche de la Caune de Bélesta, renfermait dans les couches 3D et 4 plusieurs pouciers de type 2A et 1, associés à des tasses carénées à profil convexo-concave, vases polypodes, anses à nervure médiane, rangées d’ongulations sur la lèvre ou la panse. Les dates obtenues pour ces couches sont compatibles avec celle de Bélesta-de-la-Frontière et renvoient à une phase terminale du Bronze moyen. . Ly-5105 : 2975 +/- 60 BP : Cal B.C. 1 sigma : 1312‑1103 (Claustre, Zammit et Blaize 1993). . Ly-5909 : 3070 +/- 45 BP : Cal B.C. 1 sigma : 1400‑1260 ; Ly 5910 : 3090 +/- 50 BP. : Cal B.C 1 sygma : 1410‑1260 ; 1280‑1260 (Claustre 1993). annexe II les anses à appendice de l’âge du Bronze Au sud des Pyrénées, à Geno (Aytona, Lerida), habitat de plein air, la céramique marque la charnière entre Bronze moyen, avec de nombreux profils carénés convexo-concaves, décors de cordons en résilles (probable perduration du Bronze ancien), et le Bronze final II illustré par les nombreux décors de cannelures et des profils biconiques anguleux. L’une des datations obtenues par J. L. Maya renvoie au Bronze final II catalan. Plus à l’ouest, en Bas Aragon, le site de Masada de Raton, à Fraga, a livré un abondant mobilier céramique qui, comme à Géno, marque la charnière Bronze moyen/Bronze final II : nombreux pouciers de tous types, cordons digités en résilles, bords éversés anguleux à lèvres biseautées, décors de cannelures. Les datations obtenues sur le site sont légèrement plus basses que celles de Geno. Encore à l’ouest, dans la province de Saragosse, le site d’el Macedo (Lecinena), donne une datation qui renvoie au plein Bronze final. Répartition géographique des anses ad ascia Les anses ad ascia (en hache) apparaissent en contexte Protoapenninique, Bronze ancien de l’Italie méridionale, et y perdurent pendant l’Appenninique classique qui caractérise de façon unitaire l’Italie méridionale et centrale (Cecanti 1979). Au nord de la péninsule, les appendices de la culture de la Polada (culture subcontemporaine du Protoappenninique méridional) sont de dimensions plus modestes, mais de morphologie similaire. À l’ouest des Alpes, c’est en Provence que l’on trouve les plus anciens spécimens de cette céramique. Dans la couche III de la grotte Murée de Montpezat (Alpes-de-HauteProvence), l’appendice décoré de deux rangées de triangles hachurés est porté par une tasse à carène douce. Il appartient à la première phase du Bronze moyen : 1525‑1450 B.C. (Vital 1999). D’autres sites à l’est du Rhône ont livré ce type d’appendice : la grotte des Monnaies (le Plan d’Aups, Var), daté du Bronze moyen II (1450-1425 B. C.) ; l’Aven de Vauclare à Esparron-de-Verdon (Alpes-de-HauteProvence), sur une jatte carénée en contexte Bronze final I/II (Lagrand 1968). Les exemplaires les plus récents (Salins de Ferrières à Martigues, Bouches-du-Rhône et Ilot de la Mouette à Saint-Tropez, Var) se rencontrent en contexte Bronze final II/IIIa, avec des décors de cannelures internes, vase à col oblique et pied annulaire (Iund 1998). . Ubar - 519 : 2815 +/- BP : Cal BC 1 sigma : 1008-901 (Maya, Cuesta 1998). . GrN - 18640 : 2816 +/- 16 BP : Cal BC 1 sigma : 990-955, 945-920 (Iund 1997). . GrN 14946 : 2805 +/6 BP : Cal BC 1 sigma : 995-905 (Ferreruela 1993). À l’ouest du Rhône, les anses ad ascia de type III sont peu nombreuses et concentrées sur des sites proches du littoral. Station du Roc de Conilhac à Gruissan, dans l’Aude, où l’appendice est porté par une tasse à carène médiane, contexte Bronze final I (Guilaine 1972). À la grotte Basse de la Vigne perdue (Narbonne), toute proche, une tasse à carène très marquée porte une anse ad ascia de type III. Le contexte sépulcral Chalcolithique/âge du Bronze est mal établi (Guilaine 1972). C’est sur le littoral héraultais en contexte lagunaire que l’on trouve les principaux sites à anses ad ascia : Camp Redon et Tonnerre (Prades et le G.A.P. 1985, Dedet et alii 1985). Les contextes de ces deux sites sont centrés sur le Bronze final II avec de nombreux décors de cannelures, urnes à col, carènes à méplats. Au sud des Pyrénées de l’est les anses ad ascia sont peu nombreuses et concentrées dans la partie orientale de l’Ampurdan, à proximité de la mer. Cau de les Dents, La Fonollera et Puig Mascaro, à Toroella-de-Montgrí (Gérone), sont trois sites tout proches du littoral qui ont livré des anses surmontées d’appendices de type III, certains portant un décor de cannelures. Le contexte, quand il est lisible, appartient au Bronze final II. Plus à l’ouest, à la Bauma del Serra del Pont, Tortella (Gérone), dans la couche II 2b, on a trouvé un appendice ad ascia de type III ainsi qu’un fragment d’anse à poucier. Comme pour les sites du littoral le contexte est Bronze final II. Conclusion Dans les Pyrénées de l’est, les anses à appendices, poucier et ad ascia, sont probablement le fruit de contacts répétés avec le monde italique. Ces contacts sont à envisager par voie maritime, le cabotage est un mode de transport bien maîtrisé à la fin de l’âge du Bronze. Les anses à poucier, à partir de contacts au nord des Pyrénées, sur les rivages du Roussillon, vont, par les vallées de la Têt et du Sègre gagner le Bas Sègre et le Bas Aragon. En ce qui concerne les anses ad ascia, leur parcours est beaucoup moins lisible, on les retrouve en nombre très limité, et surtout au bord des rivages. L’ensemble des anses à appendices du plateau de Ropidera peut, en rapport avec les datations obtenues à Montou et Bélesta, être daté de la fin du Bronze moyen. . Une datation 14C obtenue à la Fonollera donne une date un peu haute : MC 1246 : 3400 + : - 100 BP : Cal 1 sigma 1870‑1840 ; 1780‑1520. . Avec une datation 14C sensiblement plus basse : UBAR 180 : 3160 +/- 100 BP : Cal BC 1 sigma : 1505‑1368 ; 1362‑1313 ; 1271‑1264. 169 170 Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV 1 13 5 cm 3 2 11 5 4 10 7 6 14 12 8 5 cm 9 Dessin Richard Iund Anses à pouciers, et anses ad ascia, âge du Bronze, plateau de Montalba. Annexe III Les deux petits dolmens de Rodès et leur place dans le mégalithisme des Pyrénées-Orientales Valérie Porra-Kuteni Le plateau de Montalba et ses contreforts vers la vallée de la Têt ont longuement été occupés pendant la Préhistoire, mais les traces qu’il en reste dans le paysage sont plutôt ténues et seulement visibles pour un œil averti. Seuls deux monuments mégalithiques sont remarquables bien que discrets. La multitude de chaos parsemant tout l’environnement offrait des matériaux immédiatement accessibles pour la construction de mégalithes durant la fin du Néolithique, période du début de la construction des dolmens à l’est des Pyrénées. Or, sur la totalité de la surface prospectée, seules deux structures de ce type ont été retrouvées. Si le dolmen du Serrat Blanc, sur la commune de Rodès, avait déjà été signalé par Yves Blaize anciennement, celui de la Guardiola, toujours à Rodès, n’était pas connu. Bien que très dégradés, ces monuments attestent de la présence de pratiques funéraires, particulières à ce début du IIe millénaire avant notre ère. I - Les dolmens de Rodès I.1 - Le dolmen de La Guardiola (commune de Rodès) Quand on arrive sur le site par le sud, après une approche sportive de 200 m de dénivelé depuis le lit du fleuve, si la vue panoramique sur la vallée de la Têt et le Canigou récompense un effort certain, le monument attendu est un peu déconcertant. Le premier coup d’œil donne davantage à penser à un abri de fortune plutôt qu’à un dolmen que l’on imagine toujours plus imposant... Et pourtant, à bien y regarder, plusieurs indices indiquent une construction préhistorique (ill. 1). Ce dolmen est situé au sud du plateau de Montalba, près du lieu-dit La Guardiola, sur une ligne de crête qui amorce une descente abrupte, au droit des gorges de la Guillera. C’est la crête la plus visible des environs immédiats, et la petite taille du monument devait être compensée par un tumulus mieux repérable dans le paysage (ill. 2). 172 Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV 1 - Dolmen de la Guardiola (vue sud) (cl. Olivier Passarrius). 2 - Versant de la Guardiola (vue sud du massif ) (cl. V. Porra-Kuteni). N 0 0,50 1m 3 - Dolmen de la Guardiola (vue sud-est) (cl. V. Porra-Kuteni). 4 - Dolmen de la Guardiola (plan et coupe) ( relevé V. Porra-Kuteni.). Particulièrement dégradé et remanié, il est difficile d’imaginer son aspect initial : une cella de plan apparemment carré, est composée de deux orthostates, qui devaient directement supporter à l’origine la dalle de couverture horizontale. Seules les dalles verticales semblent réellement en place. La dalle horizontale a été surélevée par des murets formés de quelques pierres sèches, de manière à permettre à un homme de tenir assis sur le sol actuel de la structure. Une roche du substratum en place a été utilisée comme chevet de la cella, et là aussi, des pierres ont été placées au-dessus pour surélever la « table » (ill. 3). Les orthostates ne sont distants que de 1,20 m pour 1,15 m de profondeur, du chevet à la partie distale de ceux-ci. La dalle de couverture possède des dimensions (L. 1,50 m x l. 1,15 m) lui permettant de clore parfaitement un carré constitué par les pierres en place et fermé au sud par une éventuelle pierre plate disparue (Ill. 4). Cette pierre manquante devait faire office de porte, à moins que l’ouverture ait été effectuée par le soulèvement de la dalle de couverture, ce qui est souvent le cas pour les dolmens de très petite taille. La structure était au total vraisemblablement très modeste, ce qui est fréquent dans la région pour la période de construction envisagée, comme nous allons le voir. annexe III les dolmens de Rodès Dans la mesure où le chevet semble en place (roche du substratum affleurant), le monument voyait son entrée orientée vers le sud, suivant en cela le sens du pendage du versant. Actuellement, la construction paraît s’adosser à un mur de terrasse, qui pourrait bien avoir été construit avec les pierres de l’ancien tumulus le recouvrant. Les chaos de granite, présents dans l’environnement proche, offrent des matériaux en abondance, qu’il suffisait de choisir aux bonnes dimensions pour la réalisation du cairn comme du monument en lui-même. Le contenu du dolmen a depuis longtemps été vidé, donc aucun mobilier archéologique ne peut directement participer à un essai de datation relative. Pourtant, il faut signaler la découverte en surface d’un ensemble de tessons modelés, à trente mètres plus haut vers le nord‑est. Répertoriée sous le no 1024, cette concentration de céramiques présente des formes bien datables de l’âge du Bronze moyen (1re moitié du IIe millénaire avant J.‑C.) et leur représentativité est tout à fait homogène. La pâte de ces récipients est essentiellement cuite en ambiance oxydante. Bien que très fragmenté, ce mobilier permet de reconnaître des fonds plats et un rond, un pied de vase polypode, une oreille de préhension, un départ d’anse orné sous l’anse d’une ligne d’impressions « en coin », des anses en ruban, des décors ongulés, des cordons digités, et un tesson de gros vase de stockage dont le bord est orné d’un cordon digité sous la lèvre à impressions digitées. Le vase polypode et le décor de coups d’ongle sont des caractéristiques que l’on retrouve dans toutes les Pyrénées à cette époque, de manière presque exclusive (Martin 1989 et Rouquerol 2004). On compte un minimum de huit poteries dont un gros vase à provision, en général signe d’un habitat à proximité. Il est difficile d’interpréter la présence de cet ensemble céramique, sans autre mobilier associé : fond de cabane ou reste de fosse dépotoir ? la Têt, réalisés par J.-Ph. Bocquenet (Bocquenet 1997), ont montré des exemples proches, du point de vue de la datation et de la typologie, comme celui du dolmen de Valltorta à Saint-Michel-de-Llotes ou encore celui des Rières à Bouleternère (Iund, Porra-Kuteni 2003). Si un doute était permis au premier regard sur cette construction, compte tenu de la morphologie ancienne des terrasses sur la montagne de Rodès, le plus souvent armées par des dalles redressées dès une phase médiévale d’aménagement du terroir (cf. Passarrius chap. VIII, Martzluff chap. XI) les arguments avancés ici nous donnent la certitude d’avoir affaire à un dolmen et nous essaierons plus loin de comprendre pourquoi il fut implanté en ce lieu. I.2 - Le dolmen du Serrat Blanc (commune de Rodès) à la différence de La Guardiola, l’approche de ce dolmen est une vraie promenade, car il se trouve juste à l’est du principal chemin traversant le plateau de Montalba du nord au sud, au niveau du Mont Serrat Blanc. Découvert il y a quelques années par Yves Blaize, il est situé au pied d’une petite butte constituée d’albites développées dans les granites porphyroïdes, et semble se cacher dans un petit bosquet de chênes (ill. 5). Il est intéressant de noter que la datation de cet ensemble céramique pourrait tout à fait correspondre à celle du dolmen. En effet Françoise Claustre, dans sa chrono-typologie des dolmens des Pyrénées de l’est, datait de la 1re moitié du IIe millénaire avant notre ère, ce type de « petites cistes aériennes couvertes d’un tumulus » (Claustre 1998). Les derniers travaux de prospection et restauration de mégalithes dans la vallée de . Ciste aérienne : coffre de pierre constitué de petites dalles plates, non enfoui. 5 - Dolmen du Serrat Blanc et son tumulus (vue ouest) (cl. V. Porra-Kuteni). 173 174 Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV N 0 0,5 1,00 m 6 - Dolmen du Serrat Blanc, plan et coupe (relevé V. Porra-Kuteni). 7 - Dolmen du Serrat Blanc, avant l’intervention de la mairie de Rodès en mai 2006 (cl. Michel Martzluff ). 8 - Dolmen du Serrat Blanc - vue est, après intervention de la mairie (cl. V. Porra-Kuteni). Dès que l’on s’approche, on aperçoit un « caisson » rectangulaire comme planté sur son tumulus bien visible. Dans son état actuel, ce dernier est constitué de petits blocs de granite (entre 20 et 30 cm d’extension). Il est de forme circulaire et d’un diamètre d’environ 6 à 7 m. Il s’appuie sur de plus gros blocs fichés en terre et des affleurements de la roche granitique. Si l’on ne doute pas d’être en présence d’un dolmen, son aspect actuel montre bien qu’il a subi de nombreux remaniements qui rendent peu lisibles son plan initial et donc son fonctionnement. Une grande roche plate sert de couverture à une cella aux dimensions intérieures modestes (L. 1,15 m x l. 1,00 m x H. 0,90 m). Dans son état actuel, elle est de plan rectangulaire et délimitée par des dalles verticales sur les quatre côtés (ill. 6). En 2005, la structure se présentait différemment. La dalle de couverture était basculée sur le côté, vers l’ouest. Les orthostates n’étaient pas parallèles ni de même niveau, certains fort bas, d’autres bien plus haut et même l’un d’eux (côté sud-est) est si bas qu’il pourrait être interprété comme une porte-fenêtre (ill. 7). Les dimensions réduites de la construction plaident aussi en faveur d’une éventuelle ouverture par la dalle de couverture. Il apparaît que seules les dalles délimitant la chambre funéraire, seraient en place. Murets en pierres sèches et autres doublements d’orthostotes ont été rajoutés au cours des siècles (ill. 8). On ne peut que déplorer l’absence de mobilier remarquable qui autoriserait une datation relative. Le ramassage d’un maigre mobilier récolté en surface entre les pierres du tumulus montre : 3 percuteurs de quartz et une dizaine de tessons de céramiques modelées (6 en cuisson oxydante et 4 en cuisson réductrice) dépourvus de décors ou de profils reconnaissables. Toutefois, un seul tesson de poterie modelée de 8 mm d’épaisseur, à pâte brun-orangé avec gros dégraissant, provient d’un vase de stockage. Trouvé sur le tumulus, cet élément associable à l’habitat peut avoir été emmené avec la terre pour sa construction, ou par d’autres hasards... Cet ensemble mobilier pourrait appartenir autant à la fin de la Préhistoire qu’au début de la Protohistoire. Comme pour celui de la Guardiola, le plan rectangulaire de ce dolmen et ses dimensions réduites invitent à rattacher sa période d’érection au Chalcolithique ou au début de l’âge du Bronze, si l’on s’en tient toujours aux propositions de F. Claustre (Claustre 1998). . En particulier la fermeture des espaces vides entre les dalles, par de petits murets de pierres sèches. annexe III les dolmens de Rodès France Marseille Perpignan Espagne Barcelone 0 15 km 9 - Carte de répartition des dolmens des Pyrénées-Orientales (cl. V. Porra-Kuteni). II - Questions de mégalithes Dans le sud de la France, plusieurs concentrations de mégalithes ont été identifiées : celle des Pyrénées de l’est occupe un territoire circonscrit au nord par le fleuve Aude et au sud par celui de l’Ebre en Catalogne, à l’est l’Ariège en serait la limite. Dans les Pyrénées-Orientales, on perçoit trois grands ensembles de dolmens et quelques « isolats » aux marges. Au sud, les Albères françaises (12 dolmens) et espagnoles (60 dolmens) forment un premier groupe, puis un second – d’une trentaine de monuments, dont ceux de Rodes, surplombant la vallée de la Têt – occupe les hauteurs du Vallespir et des Aspres. Enfin le troisième voit une cinquantaine d’exemplaires répartis sur les hauteurs du Conflent et des Fenouillèdes. Quelques uns se trouvent isolés (aujourd’hui ?) en Cerdagne à Eyne, à Enveigt et dans les Corbières à Salses (Ill. 9). Les dolmens les plus proches de Rodès sont ceux de Bélesta à l’est, Tarerach et Trévillach à l’ouest et Trilla au nord. Au sud, de l’autre côté de la vallée de la Têt, les crêtes du versant nord sont elles aussi occupées par la concentration des dolmens de Saint-Michel-de-Llotes. . Notamment étudiés et restaurés par J‑Ph. Bocquenet, à la fin des années 1990 (Bocquenet 1997 - Iund, Porra 2003). 2.1 - Bref historique de la recherche Participant à la celtomanie qui précédait les premiers temps de l’archéologie préhistorique, Jaubert de Réart signala des mégalithes dès 1832. Ce n’est qu’en 1921 que Pierre Vidal dresse le premier inventaire de 25 dolmens. Pierre Ponsich en fait un décompte plus précis en 1949 (Ponsich 1949). Depuis, Jean Abélanet a patiemment prospecté et découvert des dolmens pour en fixer le nombre à 90 en 1987 (Abélanet 1990). Ces mêmes années 1980, les chantiers archéologiques de Françoise Claustre, nouvellement installée en Roussillon, ont dynamisé la recherche en Préhistoire récente, sous l’égide du CNRS et avec l’appui de l’École des Hautes études en Sciences Sociales installée à l’Université de Toulouse, dirigée par Jean Guilaine. C’est ainsi que fut publiée la première fouille programmée d’un mégalithe (Claustre, Pons 1988). Dans ce mouvement, qui allait par ailleurs à la rencontre du plus large public par des conférences et la création de musées, se sont inscrits à partir des années 1990 les travaux de Jean-Philippe Bocquenet, Richard Iund et moi-même. . Qu’il publia dans le n° 4 du « Publicateur des Pyrénées-Orientales » puis présenta ceux de Llauro et l’année suivante celui de Taulis dans un article intitulé « Monuments druidiques sur la montagne de Molitg ». . Paru sous le titre « le Roussillon préhistorique » dans la revue Ruscino nos 15, 16, 17, 18. . Château-Musée de Bélesta en 1992 et Maison de l’Archéologie à Céret en 1995. 175 176 Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV 10 - Dolmen du Moli del Vent à Bélesta (cl. V. Porra-Kuteni). La réponse à l’intérêt de la population fut l’élaboration du projet « Piste des dolmens » par les élus du canton de Vinça. Ainsi fut créée une charte intercommunale pour mettre en place un chantier école qui avait pour but d’étudier et valoriser les dolmens destinés à faire partie d’un circuit pour le grand public randonneur et/ou familial. Cette étude commença par la fouille du dolmen du Moli del vent à Bélesta, en 1993 (Porra 2003). Pour la première fois dans notre département, le décapage de la totalité du tumulus montra l’apport d’une telle démarche, ne se restreignant plus à la chambre funéraire : une meilleure connaissance de l’architecture et la découverte de mobilier, souvent absent de la cella pillée et certes généralement très fragmentaire, mais bien représentatif des diverses occupations (ill. 10). Ce projet de « piste des dolmens » a permis la fouille, l’étude et la restauration de 5 dolmens du canton de Vinça par l’équipe dirigée par J.‑Ph. Bocquenet. Aujourd’hui, l’état des lieux que Jean Abélanet prépare pour une prochaine publication recense plus d’une centaine de dolmens sur le territoire de la Catalogne nord. . Dolmen du Poste de tir à Saint-Michel-de-Llotes, Dolmen de la Creu de la Falibe ou de la Llose à Saint-Michel-de-Llotes, dolmen du Serrat d’en Jacques à Saint-Michel-de-Llotes, dolmen du Coll de la Llosa à Casefabre et dolmen des Rières à Bouleternère. II.2 - Quelques constantes du mégalithisme dans les Pyrénées-Orientales L’implantation des dolmens est généralement située en région montagneuse sur des emplacements privilégiés (très souvent une vue panoramique avec angle à 360°) comme un col, une crête, à des altitudes pouvant atteindre 1 500 m en Cerdagne (Abélanet 1987a). Le caisson de La Guardiola pourrait fort bien rentrer dans ce cas de figure, mais pas vraiment celui du Serrat blanc. Les matériaux employés sont des roches disponibles sur place (schiste, granite, gneiss, calcaire pour les plus courants). Leurs dimensions sont dans l’ensemble modestes. Il faut bien reconnaître que les mégalithes des Pyrénées orientales n’ont de mega que le nom, comparés à bon nombre de monuments chez nos voisins les plus proches en Catalogne du sud ou dans l’Aude (le dolmen de Las Fades à Pépieux et le dolmen de Saint‑Eugène à LaureMinervois, dolmens dont le tumulus dépasse les 15 m). Toutefois, l’un des deux dolmens du Mas Llosanes, qui fait face aux caissons de Rodès, sur le très proche plateau de Tarrerach, est quand même assez imposant pour notre département et jouxte un habitat où furent découverts des restes de bracelets et d’ébauches d’anneaux-disques en chloritoschiste, ainsi qu’un site à gravures rupestres datées par l’inventeur de l’âge du Bronze (Abélanet 1990). Le plan de ces dolmens est toujours très simple : un caisson dont les dimensions et l’accès varient selon les périodes. L’orientation de l’entrée de la structure est le plus souvent dirigée vers le sud, plus précisément vers le sud-est et moins fréquemment vers le sud-ouest. Malheureusement, le mauvais état de ces mégalithes ne permet pas toujours de la mettre en évidence et l’on trouve parfois des orientations vers l’est (dolmen du Pla de l’Arca à Molitg-les-bains) ou l’ouest (dolmen de los Masos à Saint-Michel-de-Llotes), ou encore, vers le nord-ouest (Saint‑Martin à Latour-de-France). Certains monuments pouvaient être clos et ne s’ouvrir qu’en remuant la dalle de couverture ou par un sas dans la partie supérieure. Il est donc difficile de se prononcer pour nos deux structures, vu leur état de conservation. Gravures et cupules accompagnent souvent ces monuments, soit sur les dalles ellesmêmes, soit dans l’environnement proche. Les tumulus sont constitués de pierres, blocs et/ou terre. Parfois ces tertres possèdent un parement de pierres plates (Moli del vent à Bélesta). Leur forme est essentiellement circulaire dont quelques rares cas ovales avec annexe III les dolmens de Rodès un péristalithe, constitué de dalles verticales fichées en terre, délimitant ainsi un espace funéraire (rectangulaire au dolmen du Roc del Llamp à Castelnou). À Rodès, le tumulus du caisson du Serrat Blanc rentre dans ce cadre et, si nous ne savons rien de la couverture de celui de La Guardiola, on peut supposer qu’il était semi-enterré puisqu’il touche le socle sur une pente, dans une formule qui existe déjà dans les Pyrénées catalanes au Néolithique moyen, par exemple à La feixa del Moro de Juberri, en Andorre (Yanez 2005). Leur contenu est souvent indigent à cause des pillages anciens et surtout de l’acidité de certains sols, à deux exceptions près : le dolmen de l’Oliva d’En David à Salses (sol calcaire) où plusieurs restes osseux humains ont été retrouvés et le dolmen du Serrat d’En Jacques à SaintMichel-de-Llotes où juste un fragment de boite crânienne humaine avait été conservé. II.3 - Une chronologie toujours difficile à établir Rien n’est plus difficile que de dater ces constructions en l’absence de matériaux organiques (charbons, ossements) utilisés par les moyens de datation physicochimique et vue la rareté des mobiliers remarquables associés de manière certaine. D’après la chrono-typologie touchant surtout l’architecture et établie par Françoise Claustre (Claustre 1998) et les travaux de Josep Tarrus (Tarrus 1990, 2002) cinq phases sont discernées. Tarerach, Bélesta). Certains de ces dolmens se rapprochent de l’allée couverte (Prat-Clos à Ria, Poste de tir à SaintMichel-de-Llotes). Ces monuments correspondent aux « galeries catalanes » côté Catalogne-sud. Leur datation serait du Néolithique final (fin IVe/début IIIe millénaire). Pour certains monuments, la période Vérazienne peut être avancée, d’après la céramique à cordons lisses et les habitats de la même époque aux alentours. - Phase 4 : Les dolmens à couloir sont réutilisés et les dolmens simples sont construits au Chalcolithique (2e moitié du IIIe millénaire). Les dolmens simples sont les plus nombreux en Roussillon (Llauro, Arles, Argelès, Molitg, Campoussy, etc.). Trois dalles ou davantage délimitent une chambre carrée ou rectangulaire. L’orientation de leur entrée est fréquente au sud (essentiellement sud-est et parfois sud-ouest). L’accès à la cella est possible par une dalle frontale à l’entrée du dolmen (Enveitg), ou par une dalle mobile (par rapport à une dalle inférieure fixe) qui fait office de porte-fenêtre (ill. 11). Parfois, un vestibulepuits sert de passage, devant la chambre à l’intérieur du tumulus ou bien une porte en bois aujourd’hui disparue. - Phase 5 : On constate la réutilisation de tous les monuments mégalithiques déjà existants et la construction de petites cistes aériennes couvertes d’un tumulus durant la fin du Chalcolithique et jusqu’à l’âge du Bronze ancien (première moitié du IIe millénaire avant notre ère). Les petites structures de Bouleternère pourraient correspondre à cette étape. ‑ Phase 1 : Le ciste (coffre de quatre dalles souvent couvertes) avec sépulture encore individuelle, mais des coffres parfois regroupés dans un tumulus complexe, daté du Néolithique moyen (2e moitié du Ve millénaire) du groupe Montbolo (pour exemple la nécropole du Camp del Ginèbre, à Caramany). - Phase 2 : Les cistes petites ou grandes, totalement enterrées, sans tumulus (pour F. Claustre comme pour J. Abélanet, il n’y a pas chez nous de véritables dolmens à couloir et chambre circulaire ou polygonale). On trouve aussi de petits coffres enterrés ou semi-enterrés, avec ou sans tumulus apparent, avec ou sans péristalithe (Caixas, Catllar, Conat, Eyne, Saint-Marsal, etc.). Leur datation pourrait se situer à la fin du IVe millénaire ? - Phase 3 : Le dolmen à couloir évolué : dolmen à couloir aussi large que la chambre à plan rectangulaire en U ou en V (Laroque-des-Albères, Saint-Jean-de-l’Albère, 11 - Dolmen de La Siureda à Maureillas (cl. Jean-Marie Porra). 177 178 Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV Conclusion L’intérêt de la découverte des deux petits dolmens de Rodès tient déjà dans leur emplacement remarquable. La question s’est posée de savoir pourquoi la situation des dolmens privilégie de manière générale les hauteurs, les cols, les crêtes, les plateaux dominant les terres basses. Doit-on y voir des espaces plutôt dévolus aux éleveurs ? Peut-on y reconnaître le choix d’un peuple de pasteurs, avec ses « repères » mégalithiques sur des territoires de pacages et de routes de transhumance (ill. 12) ? Quant à la dimension spirituelle du choix du lieu de l’érection de ces sépultures collectives (ou peut-être simplement de quelques individus d’un groupe ou une famille), elle nous échappe. Gageons qu’elle devait revêtir une importance primordiale pour des gens qui donnaient sens à la majorité des gestes de leur vie quotidienne (leur survie en dépendait souvent), qui interprétaient constamment les mouvements climatiques et sacralisaient la plupart des éléments naturels (l’eau, les arbres, les roches, la terre, etc.). Un autre intérêt de ces mégalithes est paradoxalement leur rareté. Il est rare qu’un si vaste territoire soit prospecté de manière presque exhaustive. Compte tenu que les recherches sur le plateau ont montré que les vestiges préhistoriques récents les plus nombreux dataient du Bronze ancien et moyen, sans pouvoir toutefois le préciser, on est poussé à faire correspondre la typologie tardive de ces structures avec ce qu’exprime le contexte, c’est-àdire une occupation devenue intensive de ce piémont par un peuple probablement pasteur et semi-nomade au début de la Protohistoire. Malgré les outrages du temps, les pillages ou les réutilisations possibles, la persistance de ces deux petits mégalithes dans le paysage du plateau cristallin de RodèsMontalba offre les plus anciens témoignages d’une emprise de l’homme sur la nature. À ce titre, ils procèdent d’un patrimoine dont il nous appartient de réfléchir sur la meilleure façon de le conserver et, après l’avoir étudié, de le transmettre aux générations futures (PorraKuteni 2005). 12 - Vue panoramique depuis le dolmen de la Guardiola, vers le sud-ouest (cl. V. Porra-Kuteni). chapitre V Le plateau de Ropidera à l’époque romaine : un secteur inoccupé entre deux groupes culturels Jérôme Kotarba I - Les résultats des prospections    pédestres de la zone incendiée I.1 - Absence de vestiges d’époque romaine Pour l’époque romaine, le bilan des prospections pédestres de la zone incendiée de Rodès est vite établi : aucun site n’a été mis en évidence et aucun débris n’a été repéré. Un seul endroit de découverte, de très petite surface, sera présenté dans cette étude, mais nous verrons plus loin qu’il s’inscrit chronologiquement sur la période suivante, celle du haut Moyen Âge. Ainsi, malgré le caractère systématique des prospections réalisées par O. Passarrius et son équipe, malgré les collectes intégrales des artefacts de toutes les époques présents sur des zones particulières (les sites et leur environnement), nous devons constater l’absence totale de vestiges de l’époque romaine. Aucun débris d’amphore ou de céramique fine importée comme la sigillée sud-gauloise n’est présent dans les inventaires réalisés. Pourtant, les céramiques d’époque moderne, pâtes orangées bien cuites, qui sont proches visuellement des productions antiques ont été ramassées systématiquement et donc d’éventuelles confusions sur le terrain, lors des collectes, auraient été corrigées au moment des inventaires. On peut en conclure que cette absence totale de céramiques typiques de l’époque romaine classique, c’està-dire de vestiges datables entre le IIe siècle avant J.‑C. et le Ve siècle de notre ère, cette longue période où les importations sont nombreuses et diversifiées, constitue une caractéristique remarquable de la zone incendiée. La découverte, dans le même contexte géographique, de nombreux sites (ou concentrations de mobilier) antérieurs à l’époque romaine montre bien que cette absence ne peut pas être expliquée par des recouvrements sédimentaires postérieurs, car ils auraient aussi touché les vestiges plus anciens. Il reste bien sûr possible que ces installations plus anciennes occupent des espaces différents de ceux qui auraient pu l’être à l’époque romaine. Toutefois, comme nous allons le voir avec des exemples proches, le grand plateau de Ropidera, avec ses collines et ses étendues planes, offre des surfaces cultivables intéressantes qui auraient pu être exploitées ou mises en culture à l’époque romaine comme elles le furent précédemment. 180 Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre V I.2 - Une petite concentration de mobilier d’époque wisigothique Au lieu-dit Cortal Baudet (dénomination point R sur le terrain), les prospections ont mis en évidence une petite concentration de céramiques communes présentant des caractéristiques de la fin de l’époque romaine et du haut Moyen Âge. On y distingue un premier lot de céramiques communes correspondant surtout à des panses assez épaisses à pâte brune à grise contenant de nombreux grains de sable assez fin. Leur façonnage semble modelé et correspondre à une fabrication locale. Aux 26 panses de ce lot, s’ajoute un fond légèrement bombé épais (supérieur à 10 mm). Le second groupe de céramiques est plus hétérogène, il s’agit de céramiques communes tournées dont les parois sont nettement plus fines que celles du premier lot. Les pâtes sont brunes à grises, parfois noires, et comprennent un dégraissant sableux fin incluant souvent de fins micas en surface. Ce second lot est constitué de 10 panses, 3 bords et un fond (ill. 1). L’une des panses, en pâte réductrice bien cuite (allure sèche), porte une cannelure. Le fond bombé, d’environ 11 cm de diamètre, appartient à un vase assez grand (ill. 1, n° 4). Les rebords présentent tous une mouluration. Un premier rebord dont l’épaisseur est constante porte simplement une légère gorge interne (n° 1). Les deux autres présentent de petits bandeaux verticaux plus ou moins dégagés et une gorge interne peu accentuée (n° 2 et 3). D’un point de vue typologique, sans qu’un classement précis n’ait encore été publié pour le Roussillon, ces bords se rapportent aux contextes d’époque wisigothique retrouvés tant en plaine du Roussillon que dans les sites explorés du barrage de l’Agly. Ils appartiennent à un faciès un peu plus tardif que celui des urnes à bord en bandeau que l’on trouve dans le dépotoir des Bonissos II à Tautavel (Kotarba, Castellvi, Mazière 2007) daté du milieu et de la seconde moitié du Ve siècle de notre ère. Comme les rebords moulurés ne sont plus présents à l’époque carolingienne, nous proposerons de dater cet assemblage de mobilier des VIe‑VIIIe siècles. . CAG 66, site n° 971, p. 593. Les références retenues pour les sites archéologiques décrits ou cités dans ce chapitre sont celles de la CAG 66 publiée en 2007. Les références bibliographiques antérieures pourront être retrouvées en consultant les notices de chaque site. . Cette datation est donc plus tardive que celle proposée dans la notice de la Carte Archéologique (CAG 66, site n° 804, p. 540), trop rapidement formulée. Les vestiges sur le terrain se répartissaient sur environ 10 m2, ce qui laisse entrevoir la possibilité d’une fosse, en relation avec un petit habitat rural. À partir de la documentation recueillie sur le massif incendié, ce petit endroit occupé entre le VIe et le VIIIe siècle de notre ère marque donc un timide retour sur cette partie du territoire de Rodès, déserté depuis un millier d’années environ. Cette découverte d’un petit site d’époque wisigothique ne doit pas à nos yeux faire l’objet d’une interprétation exagérée. Les progrès faits ces dernières années dans la caractérisation des indices matériels du haut Moyen Âge apportent un ensemble d’informations considérable pour une période qui était restée méconnue. Toutefois, il convient de ne pas trop mettre en exergue ces occupations d’époque wisigothique, aussi modestes ou importantes soient-elles, pour laisser le temps aux historiens et archéologues de les comprendre dans le cadre de véritables dynamiques d’occupation. 1 2 3 4 0 5 10 15 cm 1 - Les céramiques communes tournées du Cortal Baudet à Rodès (dessin J. Kotarba). . Voir à titre d’exemple les travaux d’archéologie préventive de la LGV Perpignan–Espagne (Kotarba 2007). Le plateau de Ropidera à l’époque romaine II - L’occupation d’époque romaine dans l’arrière-pays des PyrénéesOrientales L’absence constatée de vestiges de l’époque romaine prend de l’intérêt si on la compare à ce que l’on connaît à proximité. D’une manière générale, en plaine du Roussillon, mais aussi dans les premiers contreforts montagneux, les indices d’une présence humaine à l’époque romaine sont nombreux (ill. 2). Il est même fréquemment difficile de savoir comment prendre en compte à leur juste valeur ces débris antiques si caractéristiques par rapport à ceux des périodes juste antérieures ou postérieures disposant de moins de céramiques importées reconnaissables à partir du moindre débris. À proximité de la zone incendiée de Rodès, l’Association Archéologique des Pyrénées-Orientales a pris en charge, il y a 20 ans, des prospections pédestres sur l’emprise du futur barrage de l’Agly (communes d’Ansignan, de Caramany, de Cassagnes et de Trilla). Celles-ci ont permis de constater une présence régulière de débris d’époque romaine sur les parcelles du fond de vallée, mais aussi sur les premiers coteaux. Des habitats s’y trouvaient aussi, et étaient bien structurés comme l’ont montré les diagnostics et les fouilles qui ont suivi ces premières reconnaissances. La prospection s’est aussi développée sur une zone de collines promises à des remises en culture (commune de Lansac). Dans un milieu géographique paraissant pourtant hostile aux occupations humaines, des débris diffus de l’é