Archéologie
d’une
montagne
brûlée
Massif de Rodès, Pyrénées-Orientales
O
Olivier Passarrius
Aymat Catafau
Michel Martzluff
C
Patrice Alessandri
Patrick Barthes
Marjorie Bernat-Gaubert
Marc Calvet
Jean-Pierre Comps
Carine Coupeau-Passarrius
Johanna Faerber
Denis Fontaine
Pierre Giresse
Richard Iund
Céline Jandot
Jérôme Kotarba
Peter McPhee
Nicolas Marty
Sabine Nadal
Valérie Porra-Kuténi
Alain Vignaud
Archéologie
d’une montagne brûlée
massif de Rodès, Pyrénées-Orientales
Collection Archéologie départementale
Pôle archéologique départemental
Archéologie
d’une montagne brûlée
massif de Rodès, Pyrénées-Orientales
Olivier Passarrius, Aymat Catafau, Michel Martzluff
directeurs de publication
éditions Trabucaire
ISBN 978-2-84974-101-6
©2009
Auteurs et collaborateurs
Ouvrage dirigé par
- Olivier Passarrius,
Docteur en histoire médiévale, Pôle Archéologique Départemental, Conseil Général des Pyrénées‑Orientales.
- Aymat Catafau,
maître de conférences, Centre de Recherches Historiques sur les Sociétés Méditerranéennes (CRHiSM),
Université de Perpignan.
- Michel Martzluff,
Maître de conférences, Université de Perpignan, UMR 5608 - CNRS - CRPPM - EHESS, Toulouse, président de l’AAPO.
Avec les contributions de
- Patrice Alessandri, Ingénieur de Recherches, Institut National de Recherches Archéologiques Préventives (INRAP).
- Patrick Barthes, Technicien, Laboratoire d’Études des Géo-Environnements Marins, IMAGES, Université de Perpignan.
- Marjorie Bernat-Gaubert, Étudiante, Master de Géographie, Université de Perpignan.
- Marc Calvet, Professeur, Université de Perpignan, directeur du laboratoire Médi-Terra.
- Jean-Pierre Comps, Chercheur associé à l’UMR 5140 du CNRS.
- Carine Coupeau-Passarrius, PEMF, Éducation Nationale, Perpignan.
- Johanna Faerber, Maître de conférences, Université de Perpignan, laboratoire Médi-Terra.
- Denis Fontaine, Archives Départementales, Conseil Général des Pyrénées-Orientales.
- Pierre Giresse, Professeur émérite, Laboratoire d’Études des Géo-Environnements Marins, IMAGES,
Université de Perpignan.
- Richard Iund, Archéologue animateur au Château-Musée de Bélesta, chercheur associé à l’UMR 5608
CNRS - CRPPM - EHESS, Toulouse.
- Céline Jandot, Institut National de Recherches Archéologiques Préventives (INRAP).
- Jérôme Kotarba, Ingénieur de Recherches, Institut National de Recherches Archéologiques Préventives (INRAP).
- Peter McPhee, Professeur, Université de Melbourne (Australie).
- Nicolas Marty, Maître de conférences, Université de Perpignan, Centre de Recherches Historiques sur les Sociétés
Méditerranéennes (CRHiSM).
- Sabine Nadal, Archéologue, Association Archéologique des Pyrénées-Orientales.
- Valérie Porra-Kuténi, Pôle Archéologique Départemental, Conseil Général des Pyrénées-Orientales,
chercheur associé à l’UMR 5608 - CNRS - CRPPM - EHESS, Toulouse.
- Alain Vignaud, Archéologue, UMR 5608 - CNRS - CRPPM - EHESS, Toulouse.
Remerciements
Les auteurs tiennent à remercier pour leur soutien au projet d’étude de la Montagne brûlée et pour leur participation à la préparation de cet ouvrage : l’Association Archéologique des Pyrénées-Orientales (AAPO), l’Université de
Perpignan-Via Domitia (UPVD), le Conseil Général des Pyrénées-Orientales, le CRHiSM (Centre de Recherches
Historiques sur les Sociétés Méditerranéennes - UPVD), le laboratoire Médi-Terra (UPVD), le CAUE des PyrénéesOrientales (Conseil d’Architecture, d’Urbanisme et d’Environnement).
Ce travail n’aurait pu être réalisé sans le dévouement des membres de l’Association Archéologique des PyrénéesOrientales, bénévoles ou étudiants de l’Université de Perpignan : Anne Besnier-Desportes, Claude Ducar, Jeanne
Ferrer, Monique Formenti, Huguette Grzesik, Marcel Henric, Marie Huc, Pauline Illes, Marie-Lou Lannuzel,
Gilbert Lannuzel, Farid Melal, Sabine Nadal, Philippe Roca, Joseph-Michel Vila. Ont aussi participé aux stages de
prospections et de relevés : Anne‑Charlotte Astrou, Valentine Baudry, Sandrine Bienfait, Noëlle Canadell, Carine
Coupeau-Passarrius, Renaud Prats, Clément Ternisien, Simon Tible.
Préface
Christian Bourquin - Président du Conseil général des Pyrénées‑Orientales
Il n’aura fallu finalement que quelques heures pour que près de 2 000 hectares de forêt méditerranéenne soient réduits
en cendres, dans le verrou de Rodès, aux portes du Conflent, dans les Pyrénées-Orientales. L’incendie, qui s’est déclaré
le 22 août 2005, a nécessité l’intervention de 700 pompiers des Pyrénées-Orientales, de l’Aude, de l’Hérault, du Gard
mais aussi du Vaucluse et de la Drôme. Plus de 200 véhicules secondés par huit avions bombardiers d’eau et deux
hélicoptères ont également été engagés dans la lutte contre le feu, qui ne fut réellement maîtrisé que le 24 août.
Les dégâts sont immenses et il faudra des années pour effacer la cicatrice, dans une zone déjà sinistrée plusieurs fois
par le passé. Dans les semaines suivant l’incendie, la désolation s’exprimait partout, dans les branches et les arbres
carbonisés, les pierres et les bâtiments noircis ou encore dans ce silence troublant, sans insecte ni oiseau.
Ce livre prend la tragédie à contrepied, il bouscule notre représentation de la montagne brûlée et l’on s’émerveille et
s’étonne alors du paysage qui se dévoile sous nos yeux, au fil des pages et des photographies. Nous voilà propulsés
quelques générations en arrière, presque celles de nos arrières grands-parents, qui arpentaient une autre montagne,
pleine de vie, aménagée de terrasses, d’enclos, desservies par des sentiers muletiers, des chemins de troupeaux menant
à un semis de cabanes, de bergeries, les casots et les cortals catalans. Ce paysage s’est construit au gré des flux et reflux
du peuplement et ce livre nous permet d’en découvrir toute l’histoire, depuis le plus lointain Paléolithique avec les
premières traces d’installation humaine, il y a un demi-million d’années, jusqu’au XXe siècle avec les nouveaux usages
de la montagne.
Cet ouvrage est l’aboutissement d’une formidable aventure initiée, encore une fois, par l’Association Archéologique
des Pyrénées-Orientales. Ceci est la preuve de la vitalité du tissu associatif et de la nécessité de le maintenir et de soutenir ses actions, notamment dans le domaine culturel. Regroupant des bénévoles, des universitaires, des chercheurs,
des étudiants et des professionnels de l’archéologie, cette association a constitué le socle de l’étude en organisant les
longues journées de terrain destinées à arpenter et étudier, parfois mètre carré par mètre carré, le sol calciné de la
montagne. Elle a fédéré autour de ce projet les institutionnels qui ont permis la poursuite des études et les premiers
essais de valorisation et de présentation au public avec l’organisation en juin 2007 de deux journées d’étude consacrées
à la montagne brûlée : l’Université de Perpignan, au travers du Centre de Recherches Historiques sur les Sociétés
Méditerranéennes (CRHiSM) et du laboratoire Médi-Terra, mais aussi le Conseil Général des Pyrénées-Orientales
et notamment le Pôle Archéologique Départemental, la Direction des Archives Départementales et le Conseil d’Architecture, d’Urbanisme et d’Environnement (CAUE).
Ce livre marque aussi le second opus de la toute jeune « Collection Archéologie Départementale » initiée par le Conseil
Général des Pyrénées-Orientales et destinée à soutenir la publication de la recherche archéologique en Pays catalan.
En diffusant la connaissance de notre passé, en la rendant accessible au plus grand nombre, elle nous permet de mieux
comprendre et de protéger l’héritage qui nous a été transmis.
Aujourd’hui la cicatrice du sinistre sur la montagne s’est à peine résorbée et il faudra du temps, beaucoup de temps
encore pour que le massif ne se régénère. L’empreinte de l’homme, de son activité séculaire, offerte aux regards le
temps d’un hiver, s’est effacée, à nouveau, sous le maquis naissant. Il ne reste en somme plus que quelques bâtisses
anciennes qui surgissent des broussailles et ce livre, pour mémoire.
Collection Archéologie Départementale
Comité de direction :
Olivier Passarrius, Aymat Catafau, Christine Langé
Comité scientifique :
Aymat Catafau, Christine Langé, Michel Martzluff,
Olivier Passarrius, Olivier Poisson, Valérie Porra-Kuténi, Marie-Pasquine Subes
Ouvrages parus dans la Collection Archéologie Départementale :
no 1 : PASSARRIUS (O.), DONAT (R.), CATAFAU (A.) dir. – Vilarnau. Un village du Moyen Âge en Roussillon,
Collection Archéologie Départementale, Pôle Archéologique Départemental, éd. Trabucaire, 2008, 516 p.
no 2 : PASSARRIUS (O.), CATAFAU (A.), MARTZLUFF (M.) dir. – Archéologie d’une montagne brûlée, Collection
Archéologie Départementale, Pôle Archéologique Départemental, éd. Trabucaire, 2009, 504 p.
Table des matières
Introduction De la prospection à l’histoire des paysages ..................................................................13
Olivier Passarrius, Aymat Catafau, Michel Martzluff
première partie : l’événement et le cadre
chapitre I L’incendie de Tarerach du 22-23 août 2005 :
caractéristiques du feu et impact sur la végétation................................................. 29
Johanna Faerber
chapitre II Géomorphologie d’une montagne brûlée....................................................................... 39
Marc Calvet
Deuxième partie : Les premières occupations humaines
chapitre III Nouveaux jalons sur le peuplement paléolithique
du bassin moyen de la Têt, entre Roussillon et Conflent........................................ 59
Michel Martzluff avec la collaboration de Sabine Nadal
chapitre IV L’occupation du plateau de Rodès et Montalba-le-Château
à l’âge du Bronze................................................................................................................. 101
Alain Vignaud
Annexe I Bracelets et autres artefacts, aspects technologiques......................................... 139
Alain Vignaud
Annexe II Les anses à appendice du plateau de Ropidera............................................................ 167
Richard Iund
Annexe III Les deux petits dolmens de Rodès
et leur place dans le mégalithisme des Pyrénées-Orientales............................... 171
Valérie Porra-Kuteni
chapitre V Le plateau de Ropidera à l’époque romaine :
un secteur inoccupé entre deux groupes culturels................................................. 179
Jérôme Kotarba
Troisième partie : La montagne et les sociétés traditionnelles
chapitre VI Ropidera, le village médiéval.......................................................................................... 187
Olivier Passarrius, Aymat Catafau
chapitre VII Le temps des chemins. La circulation en Bas-Conflent, au nord de la Têt
du Moyen Âge à la fin du XIXe siècle............................................................................. 207
Jean-Pierre Comps
chapitre VIII Aménagements agraires et élevage au Moyen Âge...................................................229
Olivier Passarrius, Aymat Catafau avec la collaboration de Denis Fontaine
chapitre IX La montagne de la fin du Moyen Âge au début du XIXe siècle :
cultures aux marges et terrains de pâture............................................................... 245
Aymat Catafau, Olivier Passarrius avec la collaboration de Denis Fontaine
Chapitre X Une carrière de marbre en Roussillon : Les Pedreres (Bouleternère),
source méconnue du bâti monumental médiéval et moderne............................................... 263
Michel Martzluff, Pierre Giresse avec la collaboration de Denis Fontaine et de patrick Barthes
chapitre XI des pierres pour bâtir.
exploitation traditionnelle du substrat minéral depuis le moyen âge aux marges
de la plaine du roussillon (montagne de rodès, Bouleternère et ille-sur-têt).....................299
Michel Martzluff avec la collaboration de Sabine Nadal et de Denis Fontaine
Annexe I Sur le plateau de Ropidera (Rodès) :
le four de matériaux de construction de Les Clottes.............................................343
Céline Jandot
Annexe II Le four à chaux de Les Pedreres (Bouleternère)..................................................... 353
Céline Jandot
Quatrième partie : Vers la modernité.
D’un monde plein à des territoires en déprise
chapitre XII Des routes aux sentiers de randonnée...................................................................... 361
Jean-pierre Comps
chapitre XIII Des terrasses à perte de vue...
De la mise en valeur systématique d’un territoire à sa déprise (de 1832 à nos jours).......... 369
Olivier Passarrius, Aymat Catafau avec la collaboration de Patrice Alessandri et de Carine
Coupeau-Passarrius
chapitre XIV Démographie et activités économiques :
éléments pour une histoire des transformations de Rodès
entre 1850 et 1940............................................................................................................. 417
Nicolas Marty
chapitre XV Riches et pauvres, royalistes et républicains à Rodès (1789-1851)......................... 431
Peter McPhee
chapitre XVI L’héritage archéologique du monde industriel dans les zones brûlées :
mines et carrières contemporaines............................................................................ 453
Michel Martzluff avec la collaboration de Sabine Nadal
chapitre XVII Les nouveaux usages de la montagne.......................................................................... 475
Marjorie Bernat-Gaubert
conclusion De l’histoire des paysages à la valorisation des sites........................................... 485
Olivier Passarrius, Aymat Catafau, Michel Martzluff
Bibliographie . .............................................................................................................................................. 493
À la mémoire de Pierre-Yves Genty (1944-2005)
pionnier des prospections archéologiques en Languedoc‑Roussillon
Se n’han fet un fart
de muntar murs i rocs
per aixecar les feixes
i guanyar a la muntanya
l’espai de la garrofa,
les espatlles dels homes.
Perquè tot torni
avui
reialme de ginestes.
Elles s’y sont crevées,
les épaules des hommes,
à monter murs et pierres
pour construire ces feixes
et gagner sur la montagne
l’espace qu’il faut pour vivre.
Pour que tout redevienne
aujourd’hui
royaume des genêts.
Jordi Pere Cerdà
(traduction : Marie Grau)
Introduction
De la prospection à l’histoire des paysages
Olivier Passarrius, Aymat Catafau, Michel Martzluff
Photo J. Roig - RMD agency
Le feu dit de Tarerach débute le lundi 22 août 2005,
aux alentours de 14 h 00, en bordure de la RD 47, entre
les villages de Montalba-le-Château et de Tarerach. Il
n’est maîtrisé que le mardi 23 août et éteint le jeudi 25,
ayant ainsi parcouru 1 970 hectares de maquis, de landes, de bosquets de chêne vert et de chêne liège. La zone
brûlée, immense, s’étire sur environ 6 km d’est en ouest
et sur 3,5 km du nord au sud.
Dans un premier temps, le feu s’est d’abord étendu sur
la rive nord de la Têt (environ 1 200 hectares) depuis la
route départementale no 17, le village de Montalba-leChâteau et la route départementale no 2 au nord, entre
le ruisseau de Tarerach et la route départementale no 13
à l’ouest et le ravin de la Coume Dardenne à l’est. Puis
le 22 août, vers 18 h 30, attisées par la tramontane, les
flammes ont franchi le fleuve, traversé la route nationale 116 à hauteur du Col de Ternère et embrasé les
hauteurs dominant le village de Bouleternère, entre la
route départementale no 618 et l’ermitage de Domanova,
avant d’être définitivement étouffées.
Les territoires communaux de Rodès, Ille-sur-Têt,
Tarerach, Montalba-le-Château et Bouleternère ont
été touchés par l’incendie, à des degrés divers. Le feu,
dont le développement a été très véloce compte tenu
du vent violent de nord-ouest (vitesse de progression évaluée à 1700 m/h), a parcouru rapidement la
végétation, ne brûlant pas les arbres en profondeur
et permettant à bon nombre d’entre eux de survivre.
Archéologie d’une montagne brûlée
France
Marseille
Perpignan
Espagne
Département de l'Aude
Barcelone
ly
L'Ag
e
nt d
eme
part
t
e
La Tê
g
l'Ariè
MER
MÉDITERRANÉE
Dé
AND
ORR
E
14
La
t
h
Te
c
Te
Le
Canigou
ESPAGNE
Altitude
2500 m
Montalba-le-Château
2000 m
1500 m
1000 m
350 m
0
25 km
150 m
Plateau
Casesnoves
Ropidera
Ille-sur-Têt
La Têt
Rodès
Bouleternère
Vinça
- - - limites de la zone incendiée
0
2 km
Localisation du massif incendié.
Au cœur même de la zone, les vents tourbillonnants ou
la présence d’habitations défendues par les pompiers, ont
préservé certains secteurs boisés, sur le versant sud-est du
massif de la Cougoulère, autour des mas habités, ou encore
au confluent du ravin d’El Bosc Negre et du Bellagre.
Depuis la route nationale no 116, le long des rives du lac
de Vinça, le regard est saisi par la richesse et la variété du
paysage révélé par l’incendie. Partout des terrasses jusqu’à perte de vue, dans des endroits les plus improbables,
accrochées à des pentes quasiment verticales ! Les temps
peu lointains où la montagne toute entière était parcourue, aménagée et travaillée à main d’homme, se sont
brusquement imposés à notre esprit étonné, et même
stupéfait par l’ampleur de cette œuvre. En ce début de
XXIe siècle, on a bien du mal à imaginer quelle somme
de labeur, d’énergie et d’espoirs était investie chaque année, chaque saison, chaque journée, pour construire les
murettes, égaliser les terrasses, remonter la terre, aménager les ruisseaux et les chemins, bêcher, planter, greffer,
tailler, récolter... Pourtant les hommes et les femmes qui
construisirent ces paysages étaient bien réels, et si proches
de nous : à peine deux ou trois générations ont passé, et
tout un monde s’est défait.
En septembre 2005, les premières visites sur place ont
permis d’apprécier rapidement le potentiel archéologique
de la zone. Deux villages médiévaux désertés et leur territoire avaient été brûlés et « libérés » du maquis : le village
de Ropidera, sur la commune de Rodès avec son église
dite de « Les Cases » (Las Cazes sur les cartes IGN) et
celui de Casesnoves sur la commune d’Ille-sur-Têt, en
bordure de la Têt.
Le contraste géographique entre le plateau de Rodès
et de Montalba, émaillé de cuvettes hydromorphes dans
les zones de chaos granitiques qui parsèment cet espace
au nord et, vers le sud, les reliefs plus escarpés de la bordure du fleuve où le socle est souvent affleurant, laissait
supposer un potentiel archéologique en adéquation avec
les atouts des différents territoires : installations humai-
Introduction
nes nombreuses sur le plateau, élevage, arboriculture et
installations temporaires sur les versants, sites défensifs
ou de surveillance le long des crêtes dominant la vallée
de la Têt. Ces reconnaissances ont également permis de
prendre conscience de l’ampleur de l’impact de l’homme
sur ce milieu. Peu de versants qui ne soient couverts de
terrasses (les feixes en catalan), ou de murs d’épierrement,
avec leur semis de cabanes, soit de forme rectangulaire
avec couverture de matériaux périssables ou de tuiles, soit
de forme carrée ou arrondie avec une couverture de dalles
de granit disposées en encorbellement.
Sur le plateau de Rodès, occupé en grande partie par
des prairies jalonnées de vastes chaos granitiques, ont été
localisées de nombreuses bergeries, mentionnées cortals
sur les plans cadastraux napoléoniens, et dont les élévations gardaient la trace d’aménagements successifs, peutêtre le reflet dans la pierre d’évolutions agricoles des deux
derniers siècles.
incendies du Midi méditerranéen :
vers une nouvelle forme d’investigation archéologique
Notre projet de prospection systématique de la montagne brûlée reposait sur quelques travaux précédents du
même type, sur une première expérience locale et sur quelques éléments de comparaison dans le Midi de la France.
En Roussillon, les premières recherches concernant
un massif incendié ont été menées sur le piémont des
Albères, sur le secteur de la Pave (communes d’Argelèssur-Mer et de Sorède). Cette zone a été ravagée durant
l’été 1989 par un violent incendie qui a réduit en cendres
près de 150 hectares de maquis, autour de l’ermitage de
Notre-Dame du Château et des ruines du château d’Ultrera, mentionné dès le VIIe siècle dans la documentation historique. Sur le terrain, les recherches menées
dans le cadre du programme de prospection et d’inventaire des sites archéologiques de la basse vallée du Tech,
coordonné par Jérôme Kotarba, se sont surtout concentrées sur la partie orientale de l’emprise. Les prospections pédestres ont été réalisées de façon systématique
durant le mois de juin 1991, soit près de deux ans après
le sinistre. Ces travaux ont permis l’inventaire de plusieurs sites de l’âge du Bronze ou du premier âge du Fer,
. Récit de l’expédition de Wamba, en 673.
. Kotarba, Pezin, Vignaud 1991.
de faible superficie, installés le plus souvent sur un replat
ou à l’abri d’un rocher. Cette occupation dense semble
marquer le premier peuplement du massif : aucun site
antérieur à cette période n’a en effet été mis au jour sur
la zone d’étude. L’époque romaine n’est pas représentée
et les quelques fragments d’amphore africaine collectés,
attribuables à l’Antiquité tardive, sont probablement à
mettre en relation avec le Castrum Vulturaria cité en 673
lors du passage des troupes de Wamba. Plusieurs sites
médiévaux ont également été mis en évidence. Ils sont
liés pour la plupart à la présence de ce castrum et à la
surveillance de la voie qui passe en contrebas, dans la
vallée. Certains peuvent être interprétés comme des
structures domestiques, des maisons villageoises ou des
habitats dispersés dont les derniers sont abandonnés
aux XIIIe‑XIVe siècles. Le site d’Ultrera fait aujourd’hui
l’objet de fouilles programmées.
Dans la région de Montpellier, des recherches similaires ont été entreprises dans la garrigue par Pierre-Yves
Genty, sur les massifs situés au nord de la ville, en particulier dans des zones touchées par un incendie. En 1994,
et après quatre années de prospections, près de 200 sites
archéologiques inédits avaient été inventoriés mettant en
lumière la richesse de ces territoires.
Le 28 août 1989, un violent incendie ravage la montagne
Sainte-Victoire, immortalisée par Cézanne. 5 500 hectares de maquis ont été réduits en cendres, surtout sur
le versant méridional de ce massif calcaire limité au sud
par la vallée de l’Arc, un tributaire de l’Étang de Berre,
et au nord par les plateaux de Peyrolles et la vallée de
la Durance. Dès le mois de novembre, des prospections
systématiques ont été entreprises sur les communes de
Saint-Antonin et le plateau du Cengle qui présente une
unité géographique de dimensions réduites mais bien
définie sur le terrain : un piémont érodé, un plateau tabulaire, des terrasses alluviales, des dépressions en partie
drainées. Sur certains oppida et notamment sur les sites
de Saint-Antonin et de Bramefan, une prospection fine
précédée par la mise en place d’un carroyage a été réalisée.
. Se reporter à l’étude d’Alain Vignaud dans Kotarba, Pezin, Vignaud, 1991.
. Ces travaux sont restés inédits mais tous les sites ont bien entendu fait l’objet
d’une notice et sont inventoriés au sein de la Carte Archéologique Nationale.
. D’Anna, Leveau, Mocci 1995, Walsh, Mocci 2003. Ce programme, coordonné par André D’Anna, a été retenu par le C.N.R.S dans le cadre de l’ATP
« Grands projets d’archéologie métropolitaine », sous le titre « Occupations
des sols et évolutions des paysages dans une montagne méditerranéenne : la
Sainte-Victoire ». L’équipe plurisdiciplinaire regroupait, de 1990 à 1995, des
chercheurs et des enseignants du C.N.R.S, des universités de Provence, de
Tübingen en Allemagne et d’York en Angleterre.
15
16
Archéologie d’une montagne brûlée
Le village de Rodès menacé par l’incendie (cl. J. Roig - RMD agency).
Au pied du château, le village de Rodès, le jour de l’incendie (cl. J. Roig - RMD agency).
Introduction
Quelques sondages, de faible superficie au sol, ont été
implantés pour préciser la durée d’occupation. Les observations effectuées sur le massif permettent de distinguer
plusieurs phases qui s’intègrent assez bien aux grandes
tendances du peuplement élaborées pour la Provence.
Une longue période de fréquentation épisodique couvre
toute la Préhistoire jusqu’au milieu du Néolithique, elle
est suivie d’une anthropisation généralisée du massif dont
le processus est abouti à la fin du Néolithique. Cette époque est ensuite suivie d’une phase de déprise correspondant au recul, quasi-généralisé d’ailleurs en Provence, du
peuplement à l’âge du Bronze. La période suivante, à partir
du second âge du Fer est marquée par un foisonnement de
nouveaux sites et la mise en place d’un peuplement dense
et durable durant plusieurs siècles. Pendant l’époque romaine, et notamment à partir du milieu du Ier siècle avant
J.-C., la plupart des sites de hauteur sont abandonnés, car
le changement du mode d’exploitation antique favorise la
dispersion de l’habitat autour de vastes établissements
agricoles installés plus bas dans la vallée.
Ce projet, à l’origine une simple prospection diachronique, avait pour objectif de montrer que même sans fouille,
à partir de la seule collecte de données de surface, il était
possible de faire des observations sur l’occupation du sol
allant au-delà du simple inventaire ou catalogage de sites. Pour la Préhistoire, le projet a permis de compléter la
carte d’occupation du sol mais n’a entraîné aucune découverte originale par rapport aux connaissances antérieures.
Pour les périodes protohistoriques et romaines, la prospection a surtout permis une meilleure connaissance des
amphores permettant ainsi de mieux déterminer des sites
peu marqués au sol. Les problèmes de conservation différentielle de la céramique, le relief souvent très escarpé et
les difficultés de lisibilité du sol sont des contraintes qui
n’ont pu être réellement maîtrisées et la carte archéologique obtenue reflète partiellement – comme le soulignent
les auteurs de l’étude – celle des activités agricoles. En
effet, l’abandon des labours et donc l’absence de renouvellement des indices en surface ont été considérés comme
le principal obstacle pour la détection des sites.
Dans le massif des Maures, un incendie a ravagé plus
de 8 000 ha de forêt et de maquis en 1990, il fut suivi d’un
projet de prospection archéologique, intégré au programme « Fréjus-Argens » mis en place un an avant le sinistre.
. D’Anna, Leveau, Mocci 1995.
. Projet « Hommes, espaces et techniques dans la région de Fréjus », sous
Ces travaux de prospection, complétés par des sondages,
ont permis de mettre en évidence une dynamique de peuplement particulière à ce massif, avec une occupation dense au second âge du Fer suivie d’une déprise et d’un hiatus
dans l’occupation du massif durant l’Antiquité romaine.
Les recherches méthodiques dans les massifs méditerranéens incendiés sont donc récentes et les premiers travaux ne remontent pas au-delà du début des années 1990
alors même que la forêt s’embrase quasiment tous les étés,
réduisant en cendres 25 000 hectares par an en moyenne.
Dans le département des Pyrénées-Orientales, plus de
50 000 hectares ont été détruits depuis 1973 et, à ce jour,
seulement 2 000 ha ont fait l’objet de prospections archéologiques. Certes, depuis quelques années, ces recherches
archéologiques ne peuvent plus être assimilées à des opérations d’archéologie préventive, car les aménagements des
espaces à reboiser sont réduits au minimum. Le reboisement après l’incendie, avec la plantation de résineux sur
des terrains aplanis au bulldozer, est désormais abandonné : les acteurs qui interviennent après le sinistre préfèrent
accompagner la repousse et la reconquête naturelle de la
forêt réduisant ainsi l’impact négatif sur le patrimoine.
Les prospections menées sur ces massifs présentent un
intérêt scientifique et patrimonial certain car elles offrent,
en tous cas en Roussillon, des modèles de peuplement
divergents de ceux de la plaine et permettent la mise au
jour de vestiges dans un état de conservation remarquable. Sur le village de Ropidera par exemple, l’étude du
bâti visible sans fouille a permis de lever le plan souvent
complet de plusieurs maisons des XIVe-XVe siècles dont
l’élévation était conservée jusqu’au premier étage.
Le faible nombre d’opérations archéologiques sur ces
massifs incendiés s’explique par la difficulté à mettre en
place dans un délai très court des interventions d’envergure qui nécessitent un investissement lourd en temps, en
fonction de la superficie du sinistre et de la nature du terrain, souvent accidenté dans le Midi et difficile à arpenter.
De plus, excepté pour quelques cas particuliers, la reprise
de la végétation est rapide et, dès le printemps et sur la
zone qui nous occupe ici, l’herbe, les ronces et les buissons
ont réduit quasiment à néant la lisibilité dès le mois de
mai 2006, neuf mois après le passage du feu.
la coordination de F. Audouze, J.-L. Fiches et S. Van Der Leeuw, avec pour
objectif de suivre l’organisation et l’exploitation du bassin-versant de l’Argens
entre le Néolithique et l’époque moderne, en combinant trois approches complémentaires (écologique, géographique et technologique).
. Bertoncello, Gazenbeek 1997.
. Données extraites de la base Prométhée (http ://www.promethee.com).
17
18
Archéologie d’une montagne brûlée
Juché sur un piton du chaos de Ropidera, face au Mas Molins, un superpe chêne liège dont l’écorce était encore
exploitée dans la seconde moitié du XXe siècle. Six mois seulement après l’incendie, sa frondaison en panache défie
la puissante tramontane soufflant du nord-ouest. (Cl. A. Catafau, printemps 2006).
Projet collectif
et moyens mis en œuvre
Les premières reconnaissances effectuées sur le massif incendié de Rodès ont
été réalisées dès le mois de septembre 2005, un mois environ après le sinistre et
après les premières pluies d’automne qui ont délavé le sol. Le projet de prospection-inventaire a été mis en place à l’initiative de l’Association Archéologique
des Pyrénées-Orientales qui joue, depuis plus de 20 ans, un rôle moteur dans
les projets départementaux d’étude archéologique du territoire, notamment par
la réalisation du programme d’inventaire des sites. Cette opération a fait l’objet
d’une autorisation de prospection-inventaire délivrée par le Service Régional de
l’Archéologie et a été en grande partie financée sur les fonds propres de l’Association, avec la contribution du CRHiSM (Université de Perpignan).
Un projet d’étude diachronique des occupations humaines et de l’évolution des
paysages a été mis en place en collaboration avec l’Université de Perpignan, le
Centre de Recherches Historiques sur les Sociétés Méditerranéennes et le laboratoire de géographie physique Médi-Terra. L’équipe de recherche a donc été constituée en regroupant des chercheurs d’horizons différents, dans un souci de réelle
pluridisciplinarité, pouvant déboucher, nous l’espérions, sur une compréhension
globale, géographique, historique et archéologique, du secteur. Afin de faire profiter chacun des éclairages des autres chercheurs et de permettre un véritable dialogue entre les disciplines, nous avons décidé de deux étapes antérieures à la publication de cet ouvrage : d’abord la rédaction du rapport de prospection-inventaire,
qui a réuni à la fin de l’année 2006 la totalité des résultats des recherches de terrain et d’archives et les premiers textes de réflexion sur ces données. Chacun des
chercheurs a donc eu à disposition,
pour écrire son texte, les données et
les analyses des autres collègues impliqués dans l’étude de la zone brûlée.
Ensuite, l’organisation de deux journées d’études, les 1er et 2 juin 2007,
à l’Université de Perpignan, a permis
de mettre en commun les premiers
résultats, et de les présenter au public
et aux acteurs du territoire (collectivités, associations)10.
Une collaboration étroite a aussi été développée avec le Conseil
d’Architecture,
Urbanisme
et
Environnement (CAUE des P.-O.,
conseil général) avec pour objectif
de valoriser les résultats de nos travaux et de proposer aux communes
et collectivités concernées des projets d’aménagement et de mise en
valeur du patrimoine de la zone et
des mesures de mise en protection
des secteurs paysagers les plus remarquables. Cette collaboration a
fait l’objet de plusieurs conférences et
communications, elle donnera lieu à
une publication future.
L’équipe réunie pour les travaux
de terrain, de laboratoire et d’archives est diverse, dans ses compétences,
ses méthodes, ses professions, ses
qualifications et ses rattachements.
On y trouve, à la base, les membres
de l’Association Archéologique des
Pyrénées-Orientales, qui reflètent
la richesse et la variété des acteurs
de l’archéologie départementale :
employés de l’AAPO, stagiaires étudiants, adhérents actifs ou retraités,
enseignants du premier et du second
10. Ces journées ont été organisées par l’association archéologique des Pyrénées-Orientales, l’université de Perpignan et le conseil général des Pyrénées-Orientales. Depuis cette date, une première
communication au colloque d’Alguaire, où nous
avions été invités par Jordi Bolòs et Enric Vicedo,
nous a permis de présenter les premières conclusions partielles, v. Passarrius, Catafau 2009.
Introduction
degré ou de l’université, professionnels de l’INRAP ou de
structures territoriales (pôle archéologique, conseil général des P.‑O.). Sont venus renforcer cette équipe, en fonction de nos sollicitations, quatre géographes : spécialistes
des incendies de forêt, de la géomorphologie des Pyrénées,
des aménagements ruraux contemporains, un géologue
expert auprès des pouvoirs publics pour les carrières des
P.-O., un archiviste connaisseur des fonds notariaux, deux
historiens du monde rural et de l’entreprise des XIXe et
XXe siècles, enfin une spécialiste en architecture traditionnelle et patrimoine des sociétés rurales. De ce qui aurait
pu être un patchwork, un assemblage de contributions disparates, nous avons essayé de faire un livre. Au lecteur de
juger si nous y sommes parvenus.
Par son objet d’étude, ce projet était, pour nous, archéologues et historiens, à la fois séduisant et inquiétant. Qui
ne parle aujourd’hui de « paysages » ? À ce mot les géographes et les historiens donnent le sens précis d’un espace investi et transformé par l’homme, du résultat de l’action séculaire, ou millénaire, de l’homme sur un espace. Il semble
aujourd’hui que tous les spécialistes des sciences humaines
raisonnent en termes de « paysage ». Le paysage est à la
mode, il s’impose comme un mot « fourre-tout » qui veut
exprimer une ambition renouvelée des chercheurs en lui
Prospection archéologique dans le massif incendié (cl. A. Catafau).
donnant une dimension globale, presque exhaustive, des
activités humaines. Pour nous, cette approche en terme de
paysage était indispensable et inévitable. Elle s’imposait et
nous a aussi imposé son cadre. Notre point de départ est
géographique et territorial : des reliefs et un donné naturel, mais aussi des espaces transformés, dominés et délimités par les sociétés qui les occupent, les exploitent. Le défi
que nous nous sommes donné était de tenter de mettre
de l’histoire dans cette géographie, de tracer les évolutions
chronologiques de cette occupation humaine pluri-millénaire, de dater des faits visibles, d’apparence immémoriale
(les murettes, les cabanes, les chemins) ou d’autres à peine
perceptibles (l’exploitation des chaos granitiques). Les résultats, on le verra, ne sont pas minces, même si les limites
d’une « archéologie légère », celle d’une approche « de surface », par les seules prospections, sont souvent rappelées.
Rappelées, mais non déplorées, car nous espérons que cet
ouvrage apportera la preuve qu’une archéologie « superficielle », qui ne détruit rien et ne coûte guère, peut, renforcée par l’apport des spécialistes de toute nature, et avec
le complément des archives, fournir des résultats valables,
des informations neuves, des bases d’une réflexion enrichie
sur le peuplement, l’habitat, l’occupation du sol, les activités des hommes, et surtout, donc, leurs évolutions.
19
20
Archéologie d’une montagne brûlée
L’église et le pierrier du village de Ropidera peu après l’incendie (cl. P. Roca).
Les connaissances préalables
sur le secteur incendié
Le secteur étudié ici n’avait jamais fait l’objet de prospections pédestres systématiques, même s’il avait été maintes
fois parcouru, notamment par Yves Blaize ou le docteur
Francis Catala dans les années 1950. Ce dernier s’est attaché
à prospecter les secteurs du Col de Ternère ou de Motzanes
(commune de Rodès), en marge de la zone brûlée. À propos
du lieu-dit Cogulera, une crête rocheuse qui domine la vallée de Têt, Louis Bassède indique que « cette colline porte des
vestiges préromains, peut-être un ancien oppidum qui aurait
laissé son nom au lieu-dit voisin, Coma d’Otreira ou château
des vautours »11. Cette information n’a pu être vérifiée par
Jérôme Kotarba et Florent Mazière, qui n’ont collecté à cet
endroit que deux fragments de céramique protohistorique.
Lors de leur observation sur place, la densité de la végétation n’a pas permis de pousser au-delà les investigations et
le site n’a pas été inventorié12. Au centre archéologique dé11. Basseda 1990, p. 639.
12. Kotarba, Castellvi, Mazière 2007, 539-540.
partemental est conservée une ancienne collection déposée
par Anny de Pous, ramassée à la Cogulera. Un inventaire
récent de cette petite série permet de dater l’occupation de
ce site des IIIe‑IIe siècles avant J.‑C. (céramique modelée, céramique grise monochrome, céramique de la côte catalane,
amphore gréco-italique et ibérique)13.
À environ 1 km à l’est se trouve le lieu-dit de La
Guardiola dont le toponyme pourrait garder le souvenir
de La Gaiardia, peut-être une tour ou une fortification,
mentionnée dans la documentation en 953 et localisée,
toujours par Louis Bassède, au nord de la Têt14. À l’intérieur du massif, l’un des sites de hauteur protohistoriques (l’« oppidum ») pris en compte dans cette étude
avait été identifié par Yves Blaize et prospecté avant que
le feu ne le libère du maquis dense qui le rendait difficile
d’accès15. Le dolmen du Serrat Blanc, en bordure de l’une
des pistes DFCI était également connu d’Yves Blaize.
13. Ibidem.
14. Basseda 1990.
15. Blaize 1987, p. 7-12. Ce site a été désigné sous le nom d’« oppidum »
dans cet ouvrage.
Introduction
Le village abandonné de Casesnoves avec sa tour sur motte et son église (cl. P. Roca).
Le village médiéval déserté de Ropidera se trouve au
cœur de la zone incendiée et a fait l’objet de plusieurs
notes ou articles16. Jusqu’à l’incendie, les vestiges du village de Ropidera étaient noyés sous un épais maquis rendant difficile voire impossible leur appréciation. Seules
les ruines de l’église étaient visibles et surtout son abside
surmontée d’une tour massive, fortification dont font état
les textes du début du XIVe siècle. Une rapide visite sur
place a permis de percevoir une multitude de constructions, de murs délimitant des ruelles, probablement les
derniers vestiges des habitations villageoises.
Sur la commune d’Ille-sur-Têt enfin, le feu a parcouru
la quasi-totalité de l’ancien territoire du village médiéval déserté de Casesnoves, épargnant l’église et la tour,
et leurs abords immédiats où se trouvent les vestiges
d’habitations.
De l’autre côté du bassin versant, sur la commune de
Bouleternère, les textes font état d’un autre lieu de peuplement, l’alleu de Croses mentionné dès 1011 (alode de
Crodos). On retrouve ce lieu mentionné en 1267, 1319,
16. Tosti 1987, Bolòs 1995, p. 500-502.
1358 et en 1519 est cité le cimeterium de Croes17. Des
vestiges médiévaux appartenant vraisemblablement à ce
noyau de peuplement ont été signalés à proximité de
l’église de Domanova, sur le versant est qui domine le
ruisseau du Fagès18, en dehors de la zone concernée par
l’incendie.
Un des intérêts de la zone incendiée réside dans ses
contrastes géographiques et environnementaux, on l’a
vu, et à ce titre elle marque en direction méridienne
la limite entre la plaine du Roussillon et la vallée du
Conflent qui conduit aux hautes terres de Cerdagne et
Capcir. Mais il réside aussi dans ses divisions politiques.
En effet la montagne brûlée est une frontière, entre
Fenouillèdes (Montalba), Roussillon (Ille) et Conflent
(Tarerach, Rodès, Vinça). Vicomtés et comtés du Moyen
Âge s’y rejoignent, s’en disputent les accès, contrôlent les
passages. Puis, entre 1258 et 1659, du Traité de Corbeil
au Traité des Pyrénées, la frontière entre royaumes de
France et d’Aragon passe entre Montalba et Ropidera.
17. Ponsich 1980.
18. Tosti 1987.
21
22
Archéologie d’une montagne brûlée
Prospection archéologique sur le plateau de Rodès (cl. O. Passarrius).
Le déroulement des recherches
Borne frontière entre royaume de France et courronne d’Aragon, portant à sa base la
date 1658, aujourd’hui limite des territoires d’Ille et de Montalba (cl. O. Passarrius).
Le château de Vinça (cité dès le Xe siècle), ceux de
Montalba, de Rodès, de Casesnoves, les églises fortifiées de
Ropidera et de Reglella, les murailles des villages de Vinça
et d’Ille-sur-Têt témoignent des nécessités défensives et
de la volonté d’affirmation politique des divers pouvoirs
présents sur cet espace resserré. Il était intéressant de se
demander dans quelle mesure cette position frontalière,
la délimitation de ces territoires politiques était sensible
dans le paysage et dans les usages que les hommes en
faisaient. Perméables ou fermées, pleines de dangers ou
riches d’opportunités, les frontières étaient-elles une réalité vécue par les populations voisines, étaient-elles réelles
ou seulement abstraites ? Dans le paysage, nous les avons
cependant rencontrées, sous la forme des bornes frontalières qui délimitent encore le territoire d’Ille-sur-Têt de
celui de Montalba, et qui ne sont autres que les bornes
entre États, rénovées en 1658, soit juste un an avant que
l’annexion des comtés nord-catalans ne les rendent obsolètes d’un point de vue étatique, mais elles avaient continué à marquer le partage des territoires communaux, à
l’époque entre Casesnoves et Montalba.
Après la première phase de reconnaissance, les prospections pédestres ont démarré à la mi-novembre 2005,
pour s’achever dans le courant du mois d’avril 2006, à raison de deux jours d’intervention par semaine. Elles ont
été réalisées par une équipe d’une dizaine de personnes,
chercheurs et bénévoles. Un stage de prospection destiné
aux étudiants a été organisé durant les vacances scolaires
du mois de décembre et a permis d’accueillir en continu
une équipe d’une quinzaine de personnes. L’étude des
terrasses et des aménagements agraires a été menée en
parallèle et s’est achevée au mois de mai. Le relevé des
ruines du village médiéval déserté de Ropidera a donné
lieu à une opération à part entière, durant les vacances
universitaires de printemps. Enfin, le relevé des bergeries
et des enclos a été réalisé en grande partie durant l’été, à
la fin de l’opération. D’autres opérations ponctuelles ont
été effectuées jusqu’en octobre 2008 par de petites équipes de deux ou trois chercheurs afin de préciser certains
points portant sur la préhistoire ou l’étude des marbres.
Ces recherches ont souvent débordé du cadre strict du
brûlis, en particulier celles qui ont concerné les berges du
barrage de Vinca, lors de son étiage, pendant l’hiver 2007.
Enfin, l’équipe de l’AAPO conduite par J.‑P. Comps pour
la recherche des chemins a dédié ses sorties hebdomadaires à l’étude de ce territoire.
Les reconnaissances préalables ont permis de subdiviser la zone en trois secteurs distincts pour lesquels l’investissement était très variable. Sur la partie nord de la
Introduction
Contraste entre une zone brûlée et une zone de maquis épargnée par l’incendie, où il est impossible de prospecter et de lire les
éléments du paysage (cl. O. Passarrius).
commune de Rodès, sur le plateau et à l’ouest du Bellagre,
la topographie offre une zone propice aux installations
humaines : relief assez doux, abris fournis par les chaos
granitiques, dépressions humides et eaux abondantes en
hiver. Lors de cette première phase, plusieurs sites ont été
découverts ce qui nous a encouragés à mettre en place une
prospection fine systématique de l’ensemble de la zone.
Cette approche a consisté à parcourir le terrain en rangs
serrés, espacés tous les 5 à 10 m, en piquetant et en signalant systématiquement à haute voix aux chefs d’équipes la
nature et la densité des artefacts observés.
Les concentrations de mobilier ont fait l’objet d’une collecte exhaustive de l’ensemble des céramiques et autres objets présents en surface. Le relevé des artefacts a été réalisé
à l’aide d’un GPS. Sur le terrain, les prises de notes consistaient à relever la topographie du terrain, la végétation
résiduelle, les aménagements culturaux postérieurs susceptibles d’avoir menacé l’intégrité des vestiges, la nature,
l’état de conservation et la densité des céramiques, le taux
de lisibilité et enfin l’observation de vestiges bâtis (murs...)
présents en nombre en surface et pouvant être rattachés à
la période d’occupation du site. À l’est du ravin du Bellagre
et sur les versants qui dominent la Têt, notre prospection
a été plus légère. La totalité de la surface a été parcourue
mais de façon plus rapide et en rangs moins serrés compte
tenu de la quasi absence de vestiges archéologiques. Il en
a été de même pour la partie méridionale du feu, du col
de Ternère aux hauteurs de Bouleternère où les aménagements récents (constructions, ouvertures de pistes, replantations au bulldozer) ont bouleversé le paysage. La totalité
du territoire incendié a été parcouru et prospecté, plus ou
moins finement en fonction des particularités du terrain,
permettant ainsi l’inventaire de 74 sites archéologiques
inédits.
Dans le cadre de ce projet, une attention particulière a
été portée à l’étude du paysage. L’analyse n’a pu bien entendu être réalisée sur l’ensemble du massif incendié. Elle
s’est attachée à cinq secteurs, choisis pour leur représentativité. Ces secteurs, dont certains dépassent 70 ha de
superficie, ont été finement prospectés et tous les aménagements visibles ont été pris en compte (terrasses, enclos,
canaux, cabanes, bergeries...). Sur le terrain, l’analyse de
chaque parcelle et le relevé des aménagements liés aux
travaux de mise en culture ont été confrontés aux deux
cadastres existant sur la zone : le plan cadastral dit napoléonien (1832/1834) et les cadastres de 1941/1946.
23
24
Archéologie d’une montagne brûlée
Cabane à encorbellement dans un paysage de terrasses (cl. A. Catafau).
Terrasses découvertes par le feu, près de secteurs où le maquis a été épargné par l’incendie (cl. O. Passarrius).
Introduction
L’analyse des registres des états des sections a permis
d’identifier les propriétaires et les types de cultures pratiquées et sur les communes de Montalba-le-Château
et d’Ille-sur-Têt, qui ont conservé les registres de mises
à jour de l’état de section (entre le XIXe et le milieu du
XXe siècle), le suivi précis de l’histoire de chaque parcelle a permis de mieux comprendre les évolutions globales du territoire, touché par les crises phytosanitaires
du XIXe siècle et l’effondrement démographique dû à
la première guerre mondiale. La confrontation de ces
données avec la collecte systématique du mobilier présent en surface a permis des tentatives de mise en phase
chronologique de certains aménagements sans toutefois
réussir à appréhender réellement les travaux de mises
en culture antérieurs à l’Ancien Régime.
Les cabanes et les constructions de pierre sèche ont
toutes été relevées mais n’ont pas donné lieu à une étude
spécifique qui aurait pu s’intéresser à la typologie et à
l’évolution architecturale de ces bâtis vernaculaires qui
génèrent tant de curiosité et de fascination19. Le nombre de publications récentes ou anciennes concernant
ce thème a, comme le souligne Christian Lassure après
Jean Chapelot, littéralement envahi la bibliographie,
provoquant chez les chercheurs méfiance et désintérêt20.
En Roussillon, de nombreux historiens ou archéologues
se sont intéressés à ce thème : Pierre Ponsich à partir du
milieu des années 195021 puis Anny de Pous22, Françoise
Claustre23 ou encore Jean Tosti24. Dans les recherches
récentes, on peut aussi signaler les travaux entrepris par
Christian Lassure, le dépouillement bibliographique
qu’il a mené à bien sur ce thème et la fondation de la
revue L’architecture rurale en pierre sèche en 197725.
Dans les Pyrénées-Orientales, les programmes de
prospection-inventaire puis le Projet Collectif de
Recherche sur la montagne cerdane (Estivage, structuration sociale d’un espace montagnard) dirigés par Christine
Rendu ont abouti à la mise en place d’une approche ar19. Dans la zone brûlée, près de 400 cabanes construites en pierre sèche, à
la toiture en encorbellement ou couvertes de tuile ronde, ont été inventoriées
et photographiées.
20. Lassure, Repérant 2006, p. 6.
21. Ponsich 1956, p. 305-317.
22. Pous 1959a, Pous 1959b, Pous 1964a, Pous 1964b, Pous 1965,
Pous 1967a, Pous 1967b, Pous 1967c, Pous 1969, Pous 1975, Pous 1976,
Pous 1977, Pous 1984, Salavy, Pous 1985, Lassure, Pous 1977.
23. Claustre 1985, p. 38-39.
24. Tosti 1995.
25. Revue devenue rapidement L’architecture rurale puis L’architecture vernaculaire. Citons aussi son dernier ouvrage consacré aux cabanes en pierre sèche
en France (Lassure, Repérant 2006).
chéologique et anthropologique des systèmes d’estivage
dans la très longue durée avec notamment la fouille fine
de nombreuses cabanes dont les plus anciennes ont été
datées de l’âge du Bronze26. On est assez loin, avec les
estives d’Enveigt comprises entre 1 900 et 2 100 mètres,
des problématiques soulevées par l’étude qui nous occupe, les plus hauts sommets de notre zone culminant
à 530 m, avec une altitude moyenne au niveau du plateau de 480 m. Et pourtant, depuis le début de l’âge du
Bronze, l’élevage semble jouer un rôle non négligeable
dans l’occupation, la mise en valeur et l’organisation de
la montagne brûlée, autour de cuvettes hydromorphes
creusées par déflation et dont les prés et les pâturages
ont été fréquentés dès l’âge du Bronze.
L’étude menée dans la montagne de Rodès fut pour
nous tous un intermède dans nos recherches personnelles, une fenêtre ouverte sur d’autres problèmes, parfois bien différents de ceux posés dans la plaine où se
concentre la quasi-totalité de l’archéologie aujourd’hui
et de nos activités. Les prospections ont permis la mise
au jour de nombreux sites, notamment de la Préhistoire
récente ou du Moyen Âge, souvent des habitats mais
aussi des dolmens, des fours à chaux, des tuileries, des
zones d’extraction de matériaux avec des carrières de
granit, de feldspath, de marbre ou des zones de débitage de meules de moulin. Ces résultats, les réflexions
menées sur les périodes non représentées sur le terrain,
ont permis de dresser les grandes lignes du peuplement
du massif, depuis le Paléolithique jusqu’au XXe siècle.
L’ensemble des données est issu des seules prospections
et études documentaires et il nous est apparu nécessaire
de montrer que ce type d’approche, sans fouille et avec
des moyens limités, pouvait permettre de faire des observations sur l’occupation du sol et la mise en valeur
d’un territoire en allant bien au-delà du simple travail
d’inventaire. Bien évidemment, cette recherche ne peut
se substituer à des fouilles – ayant pour but de confirmer les hypothèses mises en avant et de répondre aux
nombreuses questions restées sans réponse – mais elle
est susceptible d’en orienter les stratégies.
26. Rendu 2003a, Rendu 2003b, p. 142-244.
25
26
Archéologie d’une montagne brûlée
Le plan que nous avons adopté pour cet ouvrage est
logique et, somme toute, sans surprises ni originalité. Il
part de l’événement, le feu, puis s’attarde sur le milieu,
relief, eaux et sols, pour tracer le cadre de l’établissement
des hommes. Vient ensuite la longue préhistoire, époque
des premières occupations humaines, où la connaissance
des temps anciens est liée à la genèse des paysages et des
sols, et la préhistoire récente, celle des agriculteurs et pasteurs de l’âge du Bronze, artisans potiers et métallurgistes,
qui amorcent la main mise de l’homme sur le paysage. La
troisième partie s’intéresse aux traces d’un monde rural
disparu, celui qui, après un relatif abandon dans la longue
Antiquité, s’étend depuis le Moyen Âge jusqu’aux lendemains de la Révolution française, vivant en relation étroite
avec les milieux dont il tire ses ressources. C’est le temps
de la plus grande densité d’occupation et d’exploitation
agro-pastorale de la montagne. Les prospections ont aussi
révélé à quel point les ressources minérales du massif de
Rodès-Montalba-Bouleternère étaient d’une grande importance pour ces hommes, qui n’étaient pas seulement
paysans. Enfin la dernière partie fait le point des évolutions récentes, celles des deux derniers siècles, qui nous
ont légué l’essentiel du paysage que nous contemplons
maintenant. Des modes de vie et des travaux proches dans
le temps que beaucoup d’entre nous ont connus ou entendus évoquer par leurs parents, et dont les traces s’effacent
rapidement. Aujourd’hui, alors que des pratiques nouvelles de la montagne, résidence secondaire, aire de loisirs et
de promenade, s’y substituent, nous avons aussi voulu en
faire l’inventaire, pour peut-être parvenir à orienter les regards de ces néo-ruraux ou ruraux occasionnels vers un
héritage à connaître et à sauvegarder.
Mise au point sur les orthographes fautives, barbares ou dissemblables des toponymes de la Montagne brûlée
L’orthographe des toponymes mineurs n’a été ni harmonisée ni corrigée, malgré de nombreuses formes de toute évidence erronées,
et parfois de vrais barbarismes. Devant la variété des usages en vigueur chez les différents auteurs, certains pouvant avoir leur
logique propre (orthographes des éditions successives des cartes IGN, graphies des cadastres anciens ou actuel, formes « figées »
par les auteurs précédents ayant écrit sur le secteur, citations des textes anciens ou contemporains, etc.) nous avons renoncé à
réécrire sous leur forme catalane correcte les toponymes mineurs dans les textes, les cartes, les tableaux, les légendes. Nous en
demandons pardon aux amoureux et aux défenseurs de la langue catalane, qui trouveront dans Bécat 2008 et dans IEC 2007 les
graphies correctes de quelques lieux-dits des villages ici étudiés. Seule l’orthographe de Ropidera et Casesnoves a été uniformisée,
sauf oubli de notre part...
Les directeurs de l’ouvrage
Première partie
L’événement et le cadre
Photo J. Roig - RMD agency
chapitre I
L’incendie de Tarerach du 22-23 août 2005 :
caractéristiques du feu et impact sur la végétation
Johanna Faerber
En région méditerranéenne, les incendies constituent
un risque omniprésent. Dans les Pyrénées-Orientales, les
statistiques PROMéTHéE ne dénombrent pas moins
de 3 724 « feux de forêts » pour la période 1974 à 2007,
soit une moyenne de 110 feux par an. L’incendie qui s’est
déclaré le 22 août 2005 sur la commune de Tarerach
n’est donc pas un phénomène isolé. Toutefois, il reste un
événement exceptionnel par sa taille : avec 1970 ha parcourus, l’incendie occupe dans les statistiques la 4e place.
C’est le plus grand feu dans le département depuis 1978.
Nous allons tenter de replacer le feu de Tarerach dans
le contexte des incendies dans le département des Pyrénées-Orientales, de décrire les caractéristiques de l’incendie et d’analyser son impact sur la végétation.
. Prométhée est une base de données sur les incendies de forêts de la
région méditerranéenne. Conçue et lancée en 1973, cette opération couvre
15 départements du Sud-Est.
. D’après la définition officielle de PROMéTHéE, le terme « feu de forêt »
regroupe dans les statistiques les « incendies qui ont atteint des forêts, landes,
garrigues ou maquis d’une superficie d’au moins un hectare d’un seul tenant ».
Toutefois, de nombreux feux d’une superficie inférieure à 1 ha ont été intégrés
dans les statistiques (1 034 incendies pour les Pyrénées-Orientales, soit 27,5 %
des feux).
Les incendies dans les PyrénéesOrientales
En région méditerranéenne française, le risque de feu est
maximal en été. Dans les Pyrénées-Orientales, 47 % des
incendies se produisent dans les mois de juillet, août et
septembre, contre seulement 12 % en hiver (décembre-février). La concentration des feux en été est assez constante
dans le temps, car elle est la conséquence directe du climat
méditerranéen avec ses étés chauds et secs.
En termes de superficie, on note par contre des variations interannuelles importantes (graph. 1). Dans les
Pyrénées-Orientales, la surface moyenne brûlée par an
est de 1 477 ha, mais les chiffres réels s’échelonnent entre
76 ha pour l’année la plus « froide » (1999) et 10 899 ha
pour l’année la plus « chaude » (1978), soit 143 fois plus.
Ces grandes différences s’expliquent pour une large partie
par l’inconstance du climat méditerranéen : les précipitations affichent de fortes variations d’une année à l’autre,
en termes de cumuls annuels comme de répartition au
cours d’une année. Par conséquent, les périodes de sécheresse particulièrement propices à l’éclosion des feux sont
plus ou moins nombreuses suivant les années.
Archéologie d’une montagne brûlée
Chapitre I
12000
10000
surface incendiée (ha)
500 ha
100<500 ha
8000
<100 ha
6000
4000
2000
2007
2006
2005
2004
2003
2002
2001
2000
1999
1998
1997
1996
1995
1994
1993
1992
1991
1990
1989
1988
1987
1986
1985
1984
1983
1982
1981
1980
1979
1978
1977
1976
1975
0
1974
30
1 - Surface brûlée dans les Pyrénées-Orientales en fonction de la taille des incendies (1973-2007).
Figure 1
Toutefois, cette explication n’est pas entièrement satisfaisante, car on n’observe pas la même ampleur des variations interannuelles pour le nombre des feux : l’année
« chaude » (1978) dénombre 225 incendies contre seulement 63 pour l’année « froide » (1999), soit 3,6 fois plus.
La prise en compte de la taille des incendies permet
d’apporter une clarification. Dans le graphique 1, les surfaces incendiées par an ont été classées en fonction de la
taille des feux. Trois classes ont été établies : les « petits
et moyens incendies » (<100 ha), les « grands incendies »
(100<500 ha) et les « très grands incendies » (≥500ha).
La figure montre que la forte variabilité interannuelle
est en très grande partie liée à la présence de grands et,
surtout, de très grands feux. Les « petits et moyens »
incendies représentent 98,2 % des feux, mais seulement
26,8 % de la surface brûlée. De l’autre côté, les très grands
incendies (dont le feu de Tarerach) sont rares (0,3 % des
feux), mais ils sont responsables de 47,2 % de la surface totale incendiée. Les grands incendies représentent
1,5 % des feux et 26 % des superficies brûlées.
Le facteur « variabilité du climat méditerranéen »
joue un rôle important dans l’explication des très grands
feux : leur probabilité d’occurrence est plus élevée dans
les années les plus sèches et chaudes. Toutefois, le lien
avec ces paramètres généraux n’est pas systématique :
l’année 2003 (l’année de la canicule) est caractérisée dans
les Pyrénées-Orientales par un bilan plutôt modeste : un
seul grand feu (200 ha), mais aucun « très grand », et un
chiffre global largement inférieur à la moyenne (567 ha
brûlés). On peut donc conclure que, si les grands incendies se produisent toujours lors de périodes sèches,
la présence de périodes sèches ne se traduit pas automatiquement par l’occurrence de feux spectaculaires.
D’autres facteurs doivent être réunis pour déclencher un
très grand incendie.
Un de ces facteurs incontournables dans le département est le vent. Tous les très grands feux se sont produits lors de jours de tramontane : le vent accélère la
progression du feu, provoque des « sautes » permettant
à l’incendie de franchir des obstacles, et rend les opérations de lutte difficiles voire impossibles. Ensuite, il faut
noter que les très grands feux ne peuvent se produire que
dans les secteurs à couverture végétale continue et fortement combustible (Aspres, Fenouillèdes, Côte Rocheuse
éventuellement). En outre, l’extension d’un feu dépend de
l’efficacité des dispositifs de lutte.
Enfin, c’est le facteur « hasard » qui doit être évoqué :
un très grand incendie se déclare si l’éclosion du feu se
produit pendant une période sèche, un jour de tramontane, dans un secteur à forte combustibilité et continuité
végétale, et si ce feu n’est pas combattu immédiatement
(détection tardive, éloignement du centre de secours,
indisponibilité des moyens aériens...). Dans ce cas, l’incendie devient rapidement incontrôlable et ne peut être
stoppé qu’à la faveur de facteurs propices (accalmie du
vent, zone à plus faible combustibilité...).
L’incendie de Tarerach
Les statistiques montrent que la conjonction de tous
ces facteurs est assez rare : seulement quatorze très
grands feux ont été recensés dans le département des Pyrénées-Orientales depuis la mise en place de PROMéTHéE (tableau 2). On note que le secteur FenouillèdesAspres est particulièrement concerné par le phénomène ;
les communes touchées par l’incendie de 2005 l’ont été
déjà en partie par deux feux survenus en 1978.
Année
Date
Heure
d’éclosion
Commune
Surface
1976 28-juil
12h
Corbère-les-Cabanes
6600 ha
1976 28-juil
13 h
Sournia
1500 ha
1978 31-août
10 h
Campôme
2000 ha
1978 12-sept
18 h
Port-Vendres
2500 ha
1978 18-sept
9h
Montalba-le-Château 1800 ha
1978 23-sept
12 h
Bouleternère
1981 28-août
12 h
Passa
500 ha
1983 11-août
20 h
Banyuls-sur-Mer
780 ha
1986 20-juil
00 h
Campôme
1260 ha
1986 21-juil
05 h
Banyuls-sur-Mer
1500 ha
1986 26-août
16 h
Latour-de-Carol
510 ha
1989 26-août
13 h
Opoul-Périllos
2000 27-août
20 h
Port-Vendres
2005 22-août
14 h
Tarerach
1800 ha
1500 ha
500 ha
1970 ha
2 - Les très grands incendies dans les Pyrénées-Orientales (1974–2007).
Le feu de Tarerach
L’éclosion du feu de Tarerach a été signalée le lundi
22 août à 14 h 13, en bordure de la D17 qui relie les villages de Montalba et Tarerach, sur le territoire de cette dernière commune. L’origine du feu a été anthropique, fait
habituel dans une région où seulement 2 % des feux sont
causés par la foudre. Ici, de toute évidence, il s’agissait d’un
allumage volontaire. L’éloignement du site des centres de
secours a retardé l’intervention des pompiers : ils n’arrivent sur les lieux que 20 minutes après le signalement, à
un moment où la superficie du feu est déjà estimée à 3 ha.
Il est alors impossible d’éteindre le feu : d’après les données Météo-France (station d’Eus) et les enregistrements
3
2
1
3 - Nombre de très grands incendies (≥500ha) par an dans les Pyrénées-Orientales entre 1974 et 2007. Source : statistiques PROMéTHéE.
2006
2004
2002
2000
1998
1996
1994
1992
1990
1988
1986
1984
1982
1980
1978
1976
0
1974
Nombre de très grands incendies/an
Source : statistiques
Figure
3 PROMéTHéE.
On peut remarquer aussi que les très grands incendies,
particulièrement intéressants pour une recherche archéologique, semblent avoir tendance à se raréfier. Le graphique 3 replace les événements sur une échelle temporelle :
seuls deux incendies ont eu lieu dans la deuxième partie de
la période d’observation de 34 ans. S’agit-il d’une variation
des conditions atmosphériques (périodes dangereuses avec
sécheresse et vent moins nombreuses), d’un progrès en matière de lutte (détection plus précoce, moyens de lutte plus
efficaces), de l’effet d’une meilleure prévention (sensibilisation de la population, cloisonnement du territoire par des
coupures DFCI) ? Il est probable que c’est la conjonction
de tous ces facteurs – combinés peut-être avec le facteur
hasard – qui explique cette tendance. En tout état de cause,
la rareté des très grands feux au cours de ces deux dernières
décennies souligne l’intérêt de saisir l’occasion.
31
32
Archéologie d’une montagne brûlée
Chapitre I
de la cellule REX 66 rapidement dépêchée sur place, la
tramontane souffle à 15 heures à 30km/heure, avec des
rafales pouvant atteindre 72 km/h et une direction de
NO (320°). La température de l’air est plutôt basse pour
la saison (23°C à 15 heures), mais la tramontane se traduit par une humidité atmosphérique faible (36 % d’humidité relative).
La progression d’un feu dépend aussi de l’hygrométrie
de la végétation. Or, l’analyse des données Météo France
relève pour le mois d’août 2005 un déficit hydrique marqué : la demie-année qui précédait l’incendie était beaucoup trop sèche, à l’exception du seul mois de mai qui
avait affiché des précipitations à peu près « normales ».
Ce déficit hydrique se traduit par un assèchement de la
végétation : Cl. Moro (2005) indique pour le 22 août une
teneur en eau de 42,2 % pour le Genévrier oxycèdre et de
35,7 % pour le Ciste de Montpellier. Le seuil du dessèchement extrême (Indice de sécheresse >700) a été dépassé
la veille de l’incendie. Notons que ces valeurs sont très
faibles, mais pas exceptionnelles : au cours des dernières
années, les chiffres enregistrés s’échelonnent en été entre
35,1 et 61,5 % pour le Genévrier, et entre 28,6 et 60,4 %
pour le Ciste de Montpellier. D’ailleurs, le même constat
s’impose pour le vent, avec des valeurs élevées, mais pas
exceptionnelles : les vitesses de pointe de la tramontane
sont fréquemment supérieures à celles du 22 août, avec
des rafales atteignant 90, voire 100 km/h. C’est donc bien
la conjonction de facteurs défavorables qui est à l’origine
de ce très grand feu : dessèchement du combustible, tramontane, intervention un peu tardive des pompiers...
Les caractéristiques de la couverture végétale avant le feu
sont le dernier paramètre à prendre en compte pour expliquer l’ampleur de l’incendie. Le secteur brûlé était majoritairement recouvert par un maquis assez dense, résultant
de la dégradation de la forêt méditerranéenne due au surpâturage, aux défrichements et aux incendies. Toutefois,
en même temps, ces formations buissonnantes constituent
des successions secondaires progressives vers la forêt, après
l’abandon de l’exploitation agricole et pastorale. Installés
sur sol siliceux (arènes de granite du plateau de Montalba),
. La cellule REX 66 (Retour d’EXpérience sur les incendies de forêt dans les
Pyrénées-Orientales) est une équipe Pompiers-Forestiers hors dispositif qui se
déplace en observateur sur le feu selon un protocole établi SDIS/DDAF. L’objectif
est de recueillir un maximum d’informations sur le déroulement des incendies
marquants du département pour mieux anticiper les événements futurs.
. Les données ont été récoltées à la station le Vigné (Eus), à 5 km du secteur
incendié, dans le cadre du bilan annuel sur le combustible forestier méditerranéen.
les peuplements végétaux sont à structure et à composition spécifique légèrement variables suivant la profondeur
du sol, l’exposition, la date du dernier feu... Toutefois, on
y trouve toujours le même cortège floristique typique du
maquis méditerranéen : Cistes (Cistus albidus L., C. monspeliensis L., Cistus laurifolius L.), Bruyère à balais (Erica
scoparia L.) et surtout Bruyère blanche (Erica arborea L.),
Genévrier oxycèdre ( Juniperus oxycedrus L.), Calicotome
épineux (Calicotome spinosa [L.] Link), Pistachier lentisque
(Pistacia lentiscus L.), Lavande stéchade (Lavandula stoechas L.), et, plus localement, Genêt d’Espagne (Spartium
junceum L.) et Ajonc de Provence (Ulex parviflorus Pourr.).
Cette formation buissonnante était en voie de colonisation
par des ligneux hauts, en particulier par le chêne vert (Quercus ilex L.), mais aussi par le chêne-liège (Quercus suber L.),
des oléastres (Olea europaea var. sylvestris L.), et, plus localement, quelques pins (Pinus pinea L.) ou des mimosas
(Acacia dealbata Link).
4 - Une formation buissonnante typique : maquis d’un âge d’environ 10 ans. Secteur
Bouleternère, 25/5/2007.
5 - Maquis d’un âge d’environ 30 ans ; strate arbustive dense, formation colonisée par
des arbres. Secteur Bouleternère, 25/5/2007.
L’incendie de Tarerach
Par ailleurs, on constate la présence de formations arborescentes, dominées par des espèces caducifoliées, dans
les secteurs les plus humides (ravins), ainsi que de quelques reboisements de résineux (pins surtout, mais aussi
cèdres). Finalement, quelques bosquets de chêne-liège
témoignent des activités économiques du passé. Néanmoins, les formations arborées n’ont pas eu une influence
sensible sur la dynamique du feu : l’extension spatiale des
plantations était trop limitée, et les formations spontanées étaient protégées par leur situation topographique.
Il va sans dire que les formations buissonnantes dominantes dans le secteur étudié sont très combustibles.
Sur la carte départementale de l’aléa «incendie de végétation», une grande partie de la zone incendiée est carto-
6 - L’aléa « incendie de végétation » dans le secteur parcouru par le feu de Tarerach
du 22/23 août 2005. Extrait de la carte proposée par la DDAF et le Syndicat des
Propriétaires Forestiers Sylviculteurs des Pyrénées-Orientales, complétée.
7 - Historique des incendies dans le secteur du feu de Tarerach. Extrait de
Guillemat 2006, complétée.
. Un aléa est défini comme la probabilité qu’un phénomène naturel d’intensité donnée se produise en un lieu ; il est évalué à partir de l’historique des feux
et basé sur la quantification de l’aléa.
graphiée « risque moyen » et « risque élevé » (ill. 6). Il est
d’ailleurs intéressant de noter que l’éclosion du feu s’est
produite dans un des rares secteurs classés « à risque faible ». Ce fait souligne bien que les jours de tramontane le
« risque faible » n’existe pas ; d’ailleurs, les feux allumés
volontairement le sont le plus souvent à proximité immédiate des routes, facilitant la fuite rapide de l’auteur
du feu.
La progression rapide du feu s’explique aussi par l’accumulation sur plusieurs décennies du combustible : en
effet, dans la partie parcourue au cours des premiers heures de l’incendie de Tarerach, aucun feu n’avait été recensé
depuis les années 70. Dans les secteurs brûlés plus tardivement (partie Est du secteur Fenouillèdes et secteur Aspres), des incendies antérieurs sont documentés, datés de
1978, 1883, 1984, 1995 et 1997 (ill. 7). Il est évident que
l’accumulation du combustible dépend en grande partie
de la date du dernier feu (ill. 4 et 5).
C’est dans la partie non brûlée au cours des derniers
40 ans que l’on a enregistré la propagation la plus rapide
du front des flammes. Attisé par la tramontane, l’incendie
a atteint la Têt, située à une distance d’environ 5 km du
point d’éclosion, en seulement 2 h 30, soit une vitesse du
feu de 2 km/h environ (ill. 9). à ce moment, le feu aurait
parcouru quelque 700 ha et possèdait une circonférence
de 24 km (Guillemat 2006). Puis, la progression du feu
ralentit. C’est la conséquence d’un affaiblissement de la
tramontane (25-50 km/h à 18 h 53 , 25 km/h à 19 h 30),
mais aussi des changements au niveau du combustible :
le feu progresse dans une zone à plus forte empreinte humaine (parcelles agricoles de la vallée de la Têt), et dans
des secteurs qui avaient déjà brûlé en 1995 et 1997, d’où
une biomasse plus faible.
Néanmoins, le feu parvient à franchir à plusieurs reprises la Têt (vers 17 heures) ; le village de Rodès est alors
menacé, d’autant plus que les largages sont impossibles à
cause du vent fort.
Vers 18 h 25, l’incendie franchit la Route Nationale et
se dirige vers les Aspres. Finalement, il est maîtrisé sur
le territoire de la commune de Bouleternère, à la faveur
d’une baisse de la puissance du feu (secteur déjà brûlé en
1997 et combustible réduit par une utilisation pastorale),
mais surtout suite à l’affaiblissement de la tramontane. Le
feu est fixé après 13 heures de progression, vers 3 heures
le matin, le 23 août 2005.
33
34
Archéologie d’une montagne brûlée
Chapitre I
Impact sur la végétation
8 - Le village de Rodès pendant l’incendie. Cl. A. Emilian, 22/8/2005, vers 17 h 30.
Il faut noter que l’ensemble du massif des Aspres était potentiellement
menacé : la continuité de la végétation et l’accumulation de la biomasse
depuis les grands incendies de 1976 et 1978 auraient rendu un arrêt du
feu impossible si la tramontane avait persisté. Une dernière saute de feu
qui s’est produite vers minuit à l’extrémité sud de l’incendie, projetant le
feu à une distance de 550 m et allumant un nouveau foyer sur un versant
opposé, illustre bien ce risque potentiel.
9 - Périmètre incendié et progression du feu de Tarerach du 22/23 août 2005.
L’impact d’un feu sur la végétation dépend des caractéristiques de celle-ci (résistance des espèces au feu, structure des
formations végétales...), des conditions
atmosphériques avant et après le feu, et
des paramètres de l’incendie (qui dépendent eux-mêmes du combustible et des
conditions atmosphériques au moment
du feu).
Notons d’abord que le feu de Tarerach
s’est traduit par une combustion incomplète de la couverture végétale. La progression très rapide de l’incendie et la présence de multiples sautes, conséquence
directe de la tramontane soufflant le jour
du feu, ont permis la préservation des secteurs encaissés plus humides, ainsi que de
quelques secteurs plus minéraux et sous
le vent. Le maintien de ces îlots verts est
particulièrement important dans la qualification d’un incendie, car il contribue à
limiter les effets négatifs des grands feux :
limitation de l’érosion post-feu, de l’impact paysager, conservation de porte-graines, et surtout espace de refuge et d’abri
pour la faune. Une combustion incomplète accélère non seulement la reconquête
végétale et animale, elle crée aussi un espace-mosaïque à biodiversité supérieure
par rapport aux espaces uniformes.
Dans les secteurs non protégés par
leur situation topographique, la végétation aérienne a été dans sa totalité soit
brûlée, soit tuée par le contact avec le
panneau radiant. Toutefois, plusieurs
facteurs ont limité l’impact sur la couverture végétale :
- L’accumulation de la biomasse et son
dessèchement prononcé ont dû entraîner des températures élevées, mais l’exposition à ces températures extrêmes
n’a été que de courte durée (progression
rapide du feu).
L’incendie de Tarerach
- Le dessèchement extrême de la végétation n’a pas été
accompagné par un dessèchement aussi prononcé du sol.
Dans le bilan annuel du combustible méditerranéen déjà
évoqué, C. Moro (2006) indique que l’indice humus (IH)
est le 22 août avec un peu plus de 80 loin du seuil de dessèchement marqué (IH>120) ou extrême (IH>175).
L’humidité résiduelle et la propagation rapide du feu ont
limité l’impact de l’incendie sur le sol et favorisé la survie
des parties souterraines des plantes et des graines.
- l’impact potentiel d’un incendie dépend aussi des
conditions atmosphériques après le feu : il sera d’autant
plus important que la perturbation du feu est suivie par
un stress hydrique lié à une pluviométrie déficitaire. Or,
dans le cas du feu de Tarerach, les précipitations ont été
assez abondantes dans le mois suivant l’incendie : plus de
50 mm en septembre et même plus de 100 mm en octobre et en novembre. Logiquement, ces précipitations
abondantes favorisent la reprise de la végétation.
- enfin, la végétation concernée par l’incendie est une
végétation méditerranéenne, parfaitement adaptée à ce
type de perturbation. Les végétaux ont développé différentes stratégies de survie : résistance au feu, survie des
parties souterraines et réapparition par rejets de souche,
ou encore stimulation de la germination conduisant à
une multiplication des pieds après le feu.
Ces différentes stratégies de survie – qui déterminent
aussi les vitesses de régénération des formations végétales – sont bien visibles après l’incendie de Tarerach. Ce
sont les formations dominées par des espèces résistantes
au feu qui reconstituent le plus rapidement des peuplements semblables à l’état initial. C’est le cas notamment
du chêne-liège, du fait de la protection offerte par le
liège : sur le secteur brûlé de Tarerach, tous les individus examinés ont survécu à l’incendie. Le feu a détruit
le feuillage, par incinération ou par dessèchement, mais
quelques mois seulement après l’incendie, les branches
émettent de nouvelles feuilles qui gomment l’effet visuel
du feu ; seule l’absence du sous-bois témoigne encore de
l’incendie passé (ill. 10 et 11). D’après Trabaud (1989),
une suberaie brûlée retrouve une composition spécifique
et une structure du peuplement proches de l’état initial
au bout d’une dizaine d’années après le feu.
Dans une moindre mesure, ce constat est valable également pour les quelques boisements de pin (Pinus pinea L.
surtout) présents sur le site. Toutefois, leur protection
10 - Peuplement à chênes-lièges deux ans après le feu. Vue du versant opposé, l’absence presque complète du sous-bois est la seule trace visible de l’incendie. Secteur
Bouleternère, 25 mai 2007.
11 - Chêne-liège deux ans après l’incendie. Seule l’écorce noircie et la présence
de branches mortes (à gauche) témoignent encore du feu. Secteur Bouleternère,
25 mai 2007.
par l’écorce est moins efficace, et les individus ne peuvent
survivre que si leur cime échappe au feu. Ainsi, les individus jeunes et croissant dans les formations à sous-bois
développé ont été tués par le feu, tandis que les individus plus grands ont survécu : la distance entre les strates
basses et les cimes n’a pas permis de communiquer le feu.
35
36
Archéologie d’une montagne brûlée
Chapitre I
12 - Impact du feu sur une plantation de pins. Cliché pris au-dessus du village de Rodès, le 25 mai 2007.
Dans ces cas, l’effet du feu s’est limité à un « élagage thermique » (ill. 12). Le pin pignon est également capable de
régénérer par germination ; toutefois, la faible production de graines défavorise cette espèce si les feux sont
trop rapprochés (Rodrigo, Retana, Pico 2004).
à l’exception des secteurs qui ont échappé à l’incendie et
des espèces résistantes, les parties aériennes des végétaux
ont été entièrement détruites par le feu. La réapparition
des espèces se fait alors soit par régénération végétative, soit
par germination. Aucun relevé n’avait été effectué sur le site
de Tarerach avant le feu, mais la comparaison de secteurs
brûlés et non brûlés montre clairement qu’il n’y a pas de
modifications significatives de la composition floristique
des peuplements : la régénération se fait à partir des espèces
présentes avant l’incendie. Toutefois, le feu entraîne la multiplication de quelques taxons fugaces, thérophytes, rudéraux ou anémochores. Nous avons par exemple noté l’envahissement par le Seneçon du Cap (Senecio inaequidens DC)
d’une parcelle de la plane de Coundomy, au sud-est de Montalba. L’extension spatiale de l’invasion est limitée, et ce néophyte introduit de l’Afrique du Sud est présent également
dans les secteurs non brûlés, mais sa multiplication est clairement liée à la mise à nu du sol par le feu.
Parmi les espèces ligneuses caractéristiques du maquis,
on remarque la variation des abondances et dominances
spécifiques dans les années suivant le feu, liées aux caractères de survie (« attributs vitaux ») des espèces : les
taxons qui se régénèrent exclusivement par germination
sont dans un premier temps plus abondants, mais à do-
minance plus faible. C’est le cas notamment des Cistes,
arbustes à stratégie « r », qui sont d’ailleurs de véritables
pyrophytes : le choc thermique du feu provoque une levée
de la dormance des graines et entraîne un taux de germination élevé (Trabaud et Oustric 1989) ; aussi, l’automne
humide a dû favoriser la réapparition des cistes. Les caractéristiques du milieu et les conditions atmosphériques
dans les mois après le feu déterminent ensuite le taux de
survie des semis, mais aussi la croissance des plantules
au cours des premières années après l’incendie. Deux ans
après l’incendie, on peut remarquer que les semis sont plus
denses et les plantules mieux développées en zone découverte (entre les touffes de végétaux rejetant de souche),
certainement à cause de l’absence de compétition pour la
lumière, les nutriments et l’eau de la part des autres végétaux. Bien entendu, la stimulation de la germination n’est
effective que jusqu’à une certaine limite ; des températures trop élevées sont létales. Dans le cas de l’incendie de
Tarerach, c’est la propagation rapide du feu qui a limité
la montée des températures dans le sol et évité la destruction du stock de graines. Par conséquent, les plantules
. Les stratégies r/K correspondent à un modèle évolutif proposé par les
écologues R. MacArthur et E. O. Wilson en 1967 : les espèces à stratégie « r »
assurent la survie des populations par la production d’un grand nombre de
jeunes, le plus tôt possible, pour contrecarrer une mortalité très élevée. La
survie des espèces à stratégie « K » est basée sur une durée de vie très longue ;
leur reproduction est plus rare et tardive.
. L’importance de ce facteur est cependant incertaine : des études récentes
(Cespedes et Moreno 2007) ont en effet démontré que la présence de périodes
sèches ne se traduit pas automatiquement par une densité inférieure de semis
de cistes.
. La sensibilité vis-à-vis des températures élevées est variable entre les espèces, mais c’est en général autour de 150° que l’on constate une mortalité
élevée des graines (Valbuena 1992).
L’incendie de Tarerach
13 - omniprésence des plantules de cistes
deux ans après le feu. Secteur Bouleternère,
25 mai 2007.
14 - deux ans seulement après le feu, les premiers pieds du Ciste cotonneux (Cistus albidus)
sont en fleurs. Secteur Rodès, 25 mai 2007.
de cistes sont omniprésentes (ill. 13). Toutefois, si leur abondance
augmente fortement après l’incendie, les cistes restent peu visibles
dans les années après le feu à cause de leur petite taille. Notons que
la fertilité précoce des cistes protège les peuplements en cas de feux
trop rapprochés : deux ans seulement après le feu, les premiers cistes
cotonneux montent en graines (ill. 14).
Parmi les espèces se régénérant uniquement par germination, c’est
le Genévrier oxycèdre qui semble le plus fortement affecté : nos recherches ont donné seulement quelques rares semis sur le plateau de
Montalba. Toutefois, il faut noter que l’espèce était peu abondante
avant le feu. Elle n’a donc certainement pas été éliminée par le feu,
mais fait partie des espèces les plus sensibles aux incendies.
La très grande majorité des espèces du maquis se régénère par
reprise de souche ou par rejets sur rameaux bas qui assureront une
rapide occupation en biovolume. Sur le site de Tarerach, les exemples les plus visibles de cette stratégie sont la bruyère arborescente
et le chêne vert (ill. 15 et 16), mais d’autres espèces moins abondantes appartiennent au même groupe d’arbustes à stratégie « k » :
Filaire (Phillyrea angustifolia L.), Nerprun alaterne (Rhamnus alaternus L.), Pistachier lentisque (Pistacia lentiscus L.)... Certaines
de ces espèces (par ex. le chêne vert) ont la capacité de produire
des rejets vigoureux immédiatement après le feu, d’autres rejettent
seulement à la faveur des pluies automnales. Dans le cas du feu de
Tarerach intervenu à la fin de l’été, les différences des vitesses de
réapparition étaient logiquement insignifiantes.
Ce modèle de résistance est parfaitement adapté aux perturbations : deux ans après le feu, la hauteur des rejets varie, suivant les
espèces et les conditions stationnelles, entre 40 cm et plus d’un
mètre. à titre de comparaison, les plantules issues de la germination n’atteignent au même moment que 20-35 cm. Ainsi, les premiers stades de régénération sont dominés par le chêne vert et par
la bruyère arborescente ; cependant, l’abondance des semis de cistes
15 - Rejets de souche de la bruyère blanche (Erica arborea) et plantules
de cistes deux ans après le feu. Secteur Bouleternère, 25 mai 2007.
16 - Rejets de souche d’un chêne vert (Quercus ilex) deux ans après le
feu. Secteur Bouleternère, 25 mai 2007.
laisse prévoir une reconstitution à moyen terme
de peuplements proches de leur composition
initiale. Les observations effectuées à proximité immédiate du secteur incendié confirment
d’ailleurs la bonne résilience du maquis à la perturbation d’un feu : 10 ans seulement après un
incendie, les formations végétales sont cicatrisées et reforment un maquis dense d’une hauteur moyenne de 1,5 mètre environ (ill. 4).
37
38
Archéologie d’une montagne brûlée
Chapitre I
Conclusion
L’analyse a bien démontré le caractère exceptionnel de
l’incendie de Tarerach : c’est le feu le plus important du
département depuis 30 ans en superficie. Il est d’autant
plus intéressant pour une étude archéologique qu’une
partie importante de la surface brûlée n’avait pas été touchée par un incendie depuis les années 60. Cependant,
si le feu a rendu un tel travail possible, en supprimant la
couverture végétale et en rendant les traces d’une ancienne occupation humaine visibles, la vitesse de la régénération végétale limite le temps potentiel disponible. Deux
ans seulement après l’incendie, les peuplements dominés
par des taxons à régénération végétative deviennent à
nouveau impénétrables, et les vestiges disparaissent sous
la couverture végétale.
Enfin, si le feu de Tarerach était un événement exceptionnel qui constituait de ce fait une bonne opportunité,
d’autres occasions peuvent se présenter dans les années à
venir : des incendies d’une taille inférieure certainement,
mais peut-être aussi un nouveau très grand feu. En effet,
la réduction au cours des dernières deux décennies de la
surface incendiée et du nombre de grands feux, suite au
progrès en matière de lutte et de prévention, a conduit à
une augmentation de la biomasse et donc à une accumulation du combustible. Par conséquent, la réduction des
surfaces brûlées a paradoxalement augmenté le risque.
Ainsi, un nouveau très grand feu reste dans un proche
avenir non seulement possible mais, peut-être même,
probable – d’autant plus que des mesures préventives (réduction du combustible par l’élevage par exemple) sont
depuis plusieurs années en régression sur le département,
faute de moyens.
chapitre II
Géomorphologie d’une montagne brûlée
Marc Calvet
Du milieu physique aux hommes et à leurs activités :
c’est l’approche classique de la géographie « vidalienne »,
née en France au XIXe siècle finissant sous l’impulsion
de Paul Vidal de La Blache, qui fut initialement, il faut le
rappeler, historien et docteur avec une thèse sur Hérode
Atticus (Claval 1998). Une approche que nombre de
nos collègues de géographie humaine, qui ont renvoyé
déterminisme et possibilisme au rang des vieilles lunes,
considèrent depuis longtemps comme désuète et dépassée. Ce n’est manifestement pas le cas pour les historiens,
les archéologues et les préhistoriens, dont l’objectif fondamental reste l’Homme, mais que leur confrontation au
terrain pour les uns et leur familiarité avec la profondeur
du Temps rendent certainement plus sensibles au poids
de l’espace et à ses contraintes.
C’est, je présume, pour cette raison que les responsables du programme « Archéologie d’une montagne brûlée » ont sollicité cette intervention et souhaité ce texte.
Je planterai donc le décor du milieu physique, dans cet
espace brûlé et ces territoires où les hommes ont laissé
tant de traces révélées par le passage du feu. Puis je m’attacherai à exhumer des cendres du passé une histoire des
paysages, en explorant trois échelles de temps. D’abord le
temps profond du lointain passé géologique, qui conditionne les grandes lignes du relief. Puis le temps médian
du Quaternaire, où les premiers groupes de chasseurscueilleurs ont exploité ces espaces aux ressources variées.
Enfin le temps historique des sociétés, qui plonge ses
racines dans le Néolithique et offre une perspective de
quelques millénaires ; des sociétés agro-pastorales dont
l’impact apparaît à l’analyse bien tardif et fugace à l’aune
des temporalités terrestres, mais si long et encore bien
obscur à celle des temporalités humaines.
La montagne brûlée et son cadre :
paysages, terroirs et territoires
L’espace concerné (ill.1) s’inscrit à la charnière du bassin
méditerranéen du Roussillon et de la montagne pyrénéenne, une montagne néanmoins encore largement baignée
par les influences climatiques issues de la Méditerranée
proche (Calvet 1996 : 698 et suiv.). La zone brûlée se développe au pied des premières crêtes, qui atteignent 1000 m
au massif de Roque Jalère, et prend en écharpe la vallée de
la Têt, depuis le plateau de Montalba (500 m) jusqu’aux
Aspres, en passant par le seuil de Ternère (250 m), limite
géographique et géologique du bassin du Conflent. Mais
on ne peut se limiter strictement à l’espace sinistré : il faut
intégrer un cadre plus large pour comprendre les logiques
de ces espaces et de ces territoires.
40
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre II
2°30
2°15
P. de Sault
Corbières
2°45
3°
Agly
Fenouilledes
42°45
Dourmidou
Aude
Têt
zone d’étude
Madrès
Roussillon
t
Tê
Capcir
Aspres
Conflent
h
c
Te
Canigou
42°30
Albères
Vallespir
25 km
1 - Carte de localisation : le plateau de Montalba dans son cadre géographique, d’après le Modèle numérique de
terrain SRTM, 2004, au pas de 90 m.
Un relief à trois étages
De la plaine du Roussillon à la montagne, les paysages s’organisent simplement, en trois plans étagés successifs, séparés par des escarpements raides et
rectilignes (ill. 1, 2 et 3). Le plus bas forme entre 100 et 300 m le plancher
des bassins du Roussillon et du Conflent, installé sur leur remplissage détritique néogène et les alluvions quaternaires. C’est, en aval du seuil de Ternère,
une véritable plaine très régulière, simplement accidentée par les talus décamétriques séparant les différents niveaux de terrasses étagées ; en Conflent
par contre les plans se restreignent à de petites unités discontinues, à Rodès,
Vinça, sur la Lentilla, séparées par des collines convexes allongées. La Têt
longe étroitement, d’Eus à Millas, un haut talus granitique calé sur la faille
bordière majeure qui limite au nord les fossés du Conflent-Roussillon ; cet
escarpement rocheux, raide et rectiligne, voit son ampleur augmenter d’est en
ouest, passant de 150 à 300 m de dénivelé.
Le plateau granitique de Montalba constitue le palier intermédiaire, légèrement basculé de 550 à 300 m d’ouest en est (ill. 4 et 6). Ce vaste plateau est
très accidenté, juxtaposant alvéoles, plans de taille hectométrique à kilométrique et bosses rocheuses hautes de quelques mètres à quelques décamètres ; les
cours d’eau y inscrivent aussi d’étroites vallées en V à flancs raides, de plus en
plus incisées vers les bordures du plateau. Un deuxième talus, plus sinueux,
précédé parfois de hauts pitons rocheux comme le Roc del Maure (775 m),
sépare le plateau de Montalba des hauts massifs de Roque Jalère. Il semble
lui aussi lié au jeu de failles NE-SW (Lagasquie 1984, 1989 ; Calvet 1996),
moins clairement toutefois que pour le premier talus.
Ces versants, comme le plateau de Montalba, sont hérissés d’un très
grand nombre de chaos granitiques et ils donnent accès au palier supérieur.
Ce sont de hautes surfaces onduleuses, doucement inclinées au nord-est,
entre 900 et 1200 m. Ces lambeaux
de plateau sont très dégradés par des
vallons concaves affluents de la Desix
et eux aussi ponctués de très nombreux chaos de blocs. Au-delà du
Pic del Roussillou, ils sont dominés
par les croupes convexes assez molles des Quarante Croix (1356 m) à la
Serre d’Escales (1724 m), toujours
piquetées de chaos, qui contrastent
avec celles remarquablement émoussées et régularisées du Dourmidou
(1843 m), où l’on retrouve les séries
schisteuses du Paléozoïque, identiques à celles des Aspres.
L’étagement des milieux bioclimatiques et des terroirs
La plaine est le domaine verdoyant des terres irriguées, vergers de pêchers et maraîchage, files
de cyprès ou de peupliers en abri
du vent, réseau dense et complexe
des canaux ; seules les collines du
Conflent sont retournées au maquis épineux qui voile mal le lacis
des murettes et des terrasses abandonnées du vignoble.
Symétriques, Aspres et plateau
de Montalba appartiennent encore
pleinement à l’étage méditerranéen :
la forêt de chênes verts, associés
parfois au pin pignon, à sous-bois
de cistes, d’arbousiers, de bruyères
blanches et d’ajoncs épineux, forme
plutôt un taillis dense, souvent un
simple maquis, encore largement
troué par le vignoble sur le plateau.
Sur ces terres sèches la rétraction de
l’ager depuis le XIXe siècle est considérable dès que la pente augmente et
partout se lisent les traces d’anciens
terroirs à travers le réseau des murettes et les vestiges d’olivettes.
Géomorphologie d’une montagne brûlée
Une hydrologie fantasque
Les écoulements pérennes sont
rares, sauf tout à l’ouest, plus montagnard. Passé la Têt, qui étale son
lit en tresses multiples au débouché
de la gorge de Rodès, seuls quelques
ruisseaux principaux, Crabayrisse,
rivière de Tarerach, Bellagre, ont un
écoulement continu à peu près assuré,
mais souvent bien maigre. La plupart
des talwegs restent à sec une bonne
partie de l’année, pas seulement en
été mais aussi en semestre hivernal
les années sèches. Cependant, lors
Sournia
540
P. Aubeil
540
Agly
%
S. Espinets
Desix
Avec le massif de Roque Jalère, on
entre dans l’étage subméditerranéen,
avec des boisements de chênes pubescents, en mélange avec les chênes
verts d’abord puis très dominants
au-dessus de 800 m. Sur les hauts
plateaux apparaissent les genêts et
les hêtres de l’étage montagnard, omniprésent dès le Roc des Quarante
Croix. La transition est ici très rapide avec les influences océaniques
humides et fraîches qui marquent
fortement les paysages à l’ouest d’une
ligne Mosset-Rabouillet ; en hiver la
neige y tient bien plus bas que dans
les autres massifs qui enserrent le
Conflent. Ce domaine n’a guère abrité d’habitat permanent, hormis le village ruiné de Comes (794 m) et quelques métairies isolées ; mais l’homme
l’a pourtant fortement transformé,
par une exploitation saisonnière
agro-pastorale intense (Sorre 1913 :
352). Quelques escaliers de terrasses
y marquent les vallons les mieux exposés, mais l’essentiel est la disparition quasi généralisée, au dessous de
1300 m, du couvert végétal naturel,
au profit d’immenses landes à cistes
à feuilles de laurier et, plus haut, à
genêts.
270
804
Bélesta
670
816
1163
Montalba
R. Jalère
1160
1025
R. Couret
862
T0
Tarerach
Ille
340
T2
Prades
T1
T4
Conflent
2° 30
Riberal
T1
42° 40
T2
T2
Vinça
Têt
Têt
150
466
Arboussols 590
T1
T1 Rodès
T1
311
483
Aspres
270
T2
664
2° 40
10 km
2 - Les trois étages du relief, d’après la carte des pentes en pourcentage extraite du Modèle numérique de terrain.
Les pentes très faibles des nappes alluviales quaternaires des bassins apparaissent en blanc, celles des plateaux
en blanc et vert clair ; les escarpements ressortent en jaune-orangé-rouge, ainsi que les versants des massifs très
découpés par l’érosion, synclinal de Boucheville-Serre d’Espinets, Aspres, versant sud de Roque Jalère.
des longues sécheresses, le plateau granitique de Montalba recèle en son sein
des ressources hydriques inattendues. Le manteau d’altération très épais et,
dessous, le granite fracturé renferment des nappes phréatiques permanentes.
Elles affleurent dans les fonds de cuvettes où s’étalent en toute saison de surprenantes prairies verdoyantes, ponctuées de bas-fonds marécageux piquetés
de joncs (ill. 4). De nombreux puits les exploitent à faible profondeur et elles alimentent à la périphérie du plateau plusieurs sources pérennes, comme
celle de Montalba, au nord du village.
Les prospections ont révélé de nombreux aménagements de petite hydraulique dans les vallons actuellement secs du plateau, comme celui du ravin
de Ropidera, voire sur des replats culminants du Pont de Labau (Passarrius
et alii 2007, 188-191). Si les travaux de canalisation des écoulements pour
limiter l’érosion sont fréquents, dans ces cas-là une fonction d’irrigation est
plausible. Cette fréquence ne doit pas nous faire croire à une abondance passée des eaux plus généreuse. Le Petit Âge de Glace, du XIVe au XIXe siècle,
s’est traduit sur les rives de la Méditerranée surtout par une recrudescence
des événements pluvieux extrêmes (Grove, Rackham 2001 : 131 et suiv.) ; la
légère baisse des températures a pu restreindre l’évapotranspiration, mais la
saison sèche estivale n’avait pas disparu et l’irrégularité dans l’alimentation
des nappes phréatiques restait la règle. L’étroitesse du plateau de Labau exclut toute source permanente au débit suffisant pour justifier le calibre des
canaux décrits ; tout au plus on envisagera, en particulier dans les vallons,
une irrigation opportuniste de printemps, pour favoriser la pousse du fourrage ou alimenter de petits jardins.
41
ARCHÉOLOGIE D’UNE mONTAGNE BRûLÉE CHAPITRE II
ly
ix
Ag
D es
42
540
540
483
S. Espinet
Sournia
P. Aubeil
804
670
816
311
466
R. Jalère
1163
270
Belesta
Montalba
862
1160
Têt
T0
Ille-sur-Têt
150
1025
42° 40
T1
590
Arboussols
Rodès
T2
T2
Vinça
270
Têt
T1
T2
T1
T4
340
664
T2 T4
Prades
1
Aspres
T2
2° 40
10 km
2° 30
2
3
a
a
4
5
b
6
b
7
T2
8
3 - Carte géomorphologique schématique du domaine étudié. Fond topographique d’après le Modèle numérique de terrain. 1- Série sédimentaire détritique continentale du
Miocène inférieur du Conflent. 2- Pliocène marin et continental du Roussillon. 3- Nappes alluviales quaternaires. 4- Restes de la surface d’aplanissement du Miocène moyen
sur les granites du plateau de Montalba. 5- Replats d’érosion et alvéoles pliocènes. 6- Principales failles. a : failles inverses et/ou décrochantes de l’orogenèse pyrénéenne au
Paléogène. b : failles normales extensives néogènes délimitant les fossés d’effondrement du Conflent-Roussillon. En tireté, failles supposées ou masquées. 7- Formes de relief
structurales. a : facettes d’escarpement de faille récent. b : crêts et barres d’érosion différentielle dans les marbres mésozoïques du synclinal de Boucheville. Pour ne pas surcharger, l’escarpement de faille composite du plateau de Montalba, exhumé du Pliocène, n’a pas été représenté. 8- talus de terrasses alluviales et numérotation des niveaux.
un espace charnière sur de vieux itinéraires pastoraux
Le plateau de montalba occupe une position-clé dans
l’organisation de l’espace régional, au contact de la plaine
méditerranéenne et des hauts massifs montagneux (ill. 1),
une position certainement valorisée par les sociétés agropastorales depuis leurs lointaines origines néolithiques.
C’est en effet le chemin le plus direct et le plus facile, en
moins d’une trentaine de kilomètres, soit une journée de
marche, entre les bas pays et les pâturages d’altitude de la
montagne, vers le dourmidou, le madrès et, au-delà, le
donnezan et le Capcir. Cette voie de crêtes évite les vallées
étroites aux passages en gorge malcommodes et escarpés,
comme la Têt et ses affluents ; elle passe à l’écart des vil-
lages et de leurs terroirs cultivés, source de conflits entre
pasteurs et agriculteurs ; elle est ponctuée de ressources
herbagères intermédiaires non négligeables, dès le plateau
de montalba puis sur les croupes de Roque Jalère, ainsi
que de ressources en eau, sources et ruisseaux, bien plus
abondantes et régulières que sur les versants schisteux. Cet
axe potentiel de transhumance facile, encore marqué par
les carrerades qui escaladent depuis Ille ou Rodès le plateau de montalba, est aussi ponctué de nombreux monuments mégalithiques, menhir de la Peyre drete, dolmens
de Lieussanès, de Campoussy, du col de Tribes, de Cortal
Fosset..., voire de rochers à cupules ou gravés comme celui
des Quarante Croix (Abélanet 1990, 1992).
GÉOmORPHOLOGIE D’UNE mONTAGNE BRûLÉE
plancher marécageux de l’alvéole
relief résiduel (inselberg)
aplanissement miocène
alvéole de Montalba, excavé dans les
granites arénisés sous le plan miocène
4 - Le plateau de Montalba : un aplanissement miocène dominé par des reliefs résiduels et fortement dégradé au PlioQuaternaire, par le creusement de cuvettes dans le granite arénisé.
lA Genèse eT l’évoluTIon Du plATeAu De monTAlBA :
une plonGée DAns le Temps profonD
Cette unité de relief s’inscrit presque exclusivement dans le massif granitique
d’âge hercynien dit de millas, une roche gris clair, à gros grains, souvent de faciès
porphyroïde avec de grands cristaux de feldspath orthose pluri centimétriques ;
il y existe des différenciations non porphyroïdes et de nombreuses enclaves locales de schistes métamorphiques, de gabbros, d’albitites, des filons de microgranite acide et de quartz blanc.
une surface d’érosion réalisée au miocène
Le plan bosselé actuel du plateau dérive d’une très vieille topographie d’aplanissement réalisée au miocène, au détriment de la vieille chaîne plissée pyrénéenne, née de la collision entre l’Ibérie et l’Europe, du Crétacé supérieur au début de l’Oligocène (soit entre 70 et 30 ma). Les traces de cette collision existent
sur la limite nord du plateau, marquée par la faille nord-pyrénéenne qui court
de Sournia à millas, par Trévillach et Bélesta et fait la suture entre les deux
plaques (ill. 3). Cet accident décrochant-inverse vient chevaucher le synclinal
de Boucheville et ses calcaires et marnes mésozoïques, fortement plissés et métamorphisés en marbres et cornéennes noires pendant l’orogenèse pyrénéenne
(Fonteilles et alii 1993).
On démontre en réalité dans le cadre régional (Calvet 1996) que deux
aplanissements successifs se sont développés sur les Pyrénées et leurs restes
existent aussi bien sur les plus hauts sommets (plas du madrès, 2400 m, du
Campcardos, 2900 m, du Carlit,
2800 et 2200 m, Pla Guillem,
2300 m...) que sur les marges de la
chaîne (Corbières orientales, entre
400 et 100 m). Le plus ancien, S0,
élaboré à l’Oligo-Aquitanien, a été
le plus généralisé et il est conservé
toujours en position culminante
sur des reliefs résiduels. Le plus
récent, S1, est emboîté quelques
hectomètres en contrebas, à la
suite de jeux de blocs faillés datés du Burdigalien ancien par les
dépôts détritiques du Conflent,
et il s’est élaboré entre 18 et
10 ma au miocène moyen. C’est
ce deuxième aplanissement qui
est représenté sur le plateau de
montalba ; on le suit vers l’est en
continu sur les gneiss de Bélesta,
puis sur les calcaires mésozoïques plissés où il est parfaitement
conservé en raison de l’immunité
karstique, de Latour-de-France à
Vingrau, Baixas, Fitou et Port-laNouvelle ; vers l’ouest le plan est
disloqué par des failles et soulevé,
encore reconnaissable sur le plateau de Séquières (650 à 700 m),
plus dégradé sur les hautes surfaces de Roque Jalère (entre 900
et 1200 m).
Il faut imaginer il y a 10 ma une
topographie de plaine d’érosion
bien plus régulière que le paysage
bosselé actuel (ill. 4), seulement
dominée par quelques buttes ou
barres résiduelles isolées et aux
flancs raides, des inselbergs, dans
les granites acides ou les filons de
quartz, et au nord par les dalles
calcaires redressées (ill. 3) et les
croupes de cornéennes noires du
synclinal de Boucheville, toutes
roches plus résistantes à l’altération que les granites du plateau.
43
44
ARCHÉOLOGIE D’UNE mONTAGNE BRûLÉE CHAPITRE II
une chronologie précise des aplanissements
La datation de ces formes relève de méthodes diverses, aussi est-elle maintenant bien assurée (Calvet 1996,
Calvet, Gunnell 2008). Ils tranchent toutes les structures
plissées pyrénéennes et sont donc postérieurs à la première moitié de l’Oligocène. Le plan S1 dans les Corbières
recoupe les sédiments déformés de l’Aquitanien et il vient
se raccorder aux dépôts littoraux du miocène moyen. Sur
les calcaires ce plan porte de très nombreux gisements de
faunes de rongeurs piégées dans les fissures superficielles du karst et datés pour la plupart entre 21 et 10 ma
(sites de Baixas, de Tautavel, de Castelnou...). Les sites
datés entre 18 et 10 ma renferment d’abondants apports
détritiques allogènes, sables et graviers quartzeux, prouvant que ces plans servaient de plan de transport à des
épandages fluviatiles depuis la zone axiale et que donc la
région était en voie d’aplanissement généralisé. La juxtaposition, à la surface, de sites d’âge très différent démontre aussi la très faible érosion ultérieure de ces plateaux
calcaires, extraordinaires conservatoires de paléo formes
âgées de 20 à 10 ma.
Les secteurs où le plan se développait sur le socle hercynien sont beaucoup moins bien conservés, comme sur
le plateau chaotique de montalba ; par contre ces roches
renferment des minéraux qui renseignent sur l’histoire
de la dénudation érosive. La thermochronologie par les
traces de fission, associée aux âges hélium dans les cristaux d’apatite, un minéral accessoire présent dans les granites, fournit l’âge auquel les échantillons de roche maintenant en surface ont franchi les isothermes 110° et 60°
dans la croûte terrestre, lors de la dénudation érosive qui
a conduit à l’aplanissement des Pyrénées paléogènes ; le
gradient géothermique moyen étant de 30° par km, cela
implique l’ablation d’au moins 4 km de roches. La méthode a été appliquée aux aplanissements des Pyrénées
orientales et en particulier à la région de l’Agly et de
montalba (Calvet, Gunnell 2005 ; Gunnell et alii 2008,
2009) ; les âges obtenus et la statistique des longueurs de
traces (≥14 µm) démontrent que l’exhumation a été très
rapide autour de 35-25 ma et que depuis cette date les
échantillons sont à l’affleurement.
En croisant nos deux marqueurs, il est donc évident que
les aplanissements (S0 principalement) sont achevés après
30-25 ma (âges traces de fission-hélium) et déjà en place
lorsque se déposent à leur surface les gisements de rongeurs (particulièrement nombreux entre 18 et 10 ma).
Dégradation lente et histoire ultérieure du plateau de
montalba
Le paysage actuel du plateau traduit une très longue
évolution sous le contrôle de deux processus antagonistes. d’une part l’altération chimique des roches, qui produit d’épaisses arènes meubles, plus ou moins évoluées
et plus ou moins riches en argiles selon les conditions
paléo climatiques, à des rythmes variables aussi selon
ces mêmes conditions. Les climats subtropicaux chauds
et humides du Tortonien ou du Pliocène ont été très favorables, les phases arides du messinien ou du Pliocène
supérieur beaucoup moins, ainsi d’ailleurs que les phases
froides quaternaires. Le processus se poursuit activement
sous nos yeux, comme pendant tous les interglaciaires
tempérés, dans la nappe phréatique qui baigne le plancher des alvéoles. Sa vitesse a pu être mesurée en région
méditerranéenne : dans les maures (martin 1987, 1988)
l’abaissement du front d’altération serait de l’ordre de 20 à
30 mm/ka, soit 20 à 30 m par ma, mais l’extrapolation
linéaire sur la base de la géochimie actuelle des eaux n’est
certainement pas licite et le processus doit se ralentir à
mesure que le manteau d’altération s’épaissit. Plus généralement d’autres auteurs indiquent que la vitesse d’arénisation, mal connue, serait de l’ordre de 5 à 20 m/ma, seulement 5 à 10 m/ma en zone tempérée à fraîche (migon,
Thomas 2002 : 15-19). La tranche d’arènes minimale qui
s’est formée sur le plateau peut être estimée à partir du
dénivelé entre le plancher des alvéoles et les plus hauts
chaos de blocs, soit une cinquantaine de mètres, ce qui
implique sur les bases précédentes une durée de 5 ma.
colluvions quaternaires
remaniant arènes et blocs
arène granitique en place
volume de roche saine :
tor en cours de dégagement
5 - L’altération du granite de Montalba : l’arénisation sableuse pénètre inégalement
en profondeur ; à gauche volume rocheux sain en voie d’exhumation (« tor ») par les
processus érosifs d’ablation du Quaternaire froid (colluvions solifluées à blocs).
Géomorphologie d’une montagne brûlée
surface miocène
Montalba
synclinal de Boucheville
pic Aubeil
Força Real
7 - Vieilles alluvions quartzeuses résiduelles jonchant l’« oppidum »
1025 de Ropidera. Noter l’émoussé éolien des arêtes et les facettes
légèrement concaves des deux cailloux du bas, ainsi que leur forte
patine ferrugineuse rouge violacé.
6 - Un tor exhumé des arènes, sur l’« oppidum » 1025 de Ropidera. L’altération préalable a exploité un réseau de diaclases subverticales bien visibles. Au fond, l’aplanissement miocène et ses reliefs résiduels.
Le déblaiement de ces arènes se fait beaucoup plus rapidement, au
rythme des crises climatiques qui éclaircissent ou éliminent le tapis
végétal. La solifluxion, en particulier pendant les périodes froides,
entraîne à la fois les arènes et les blocs granitiques qu’elles emballent, comme le montrent des coupes sur la route entre Marcevol et
Arboussols (ill 5). Le ruissellement décape plus activement encore
ces manteaux meubles et nettoie parfaitement les volumes rocheux
sains, qui émergent sous forme de chaos de boules ou de tors en place,
lorsque le front d’altération est atteint. Sur le plateau de Montalba,
le bilan est depuis longtemps à la faveur du déblaiement, comme le
montrent la quasi absence de colluvions quaternaires, l’abondance et
surtout l’ampleur des tors ; il s’agit soit de dômes rocheux massifs, présentant parfois à leur surface des dalles d’exfoliation limitées par des
diaclases courbes, soit d’empilements géométriques montrant la trace
des diaclases orthogonales, élargies par l’altération (ill. 6).
L’exhumation des tors et le creusement des alvéoles sur le plateau
sont un fait ancien acquis pour l’essentiel avant le Quaternaire, certainement antérieur au Paléolithique inférieur lorsque les hommes y
ont semé incidemment quelques pièces d’outillage. On trouve aussi
sur le plateau, aussi bien dans les cuvettes que sur les bosses culminantes, des restes démantelés de très vieilles alluvions quartzeuses
d’origine locale (ill. 7) ; il s’agit de cailloux parfois roulés, souvent très
éolisés, avec un émoussé et un toucher « savonneux » caractéristique, des facettes concaves ; ces cailloux ont acquis postérieurement à
leur éolisation un épais cortex ferrugineux, ocre rouge à violacé, qui
témoigne d’une très longue altération. Ce type de façonnement est
caractéristique des galets des hautes terrasses alluviales du Roussillon (Calvet 1996 :
800-811) et implique un âge qui remonte
au moins au début du pléistocène moyen.
L’éolisation suppose des vents très violents
dans un milieu quasi dépourvu de couverture végétale, pendant des crises froides et
sèches du Pléistocène ancien et moyen ; elle
a contribué à exporter la fraction fine des
arènes et ainsi à surcreuser les alvéoles, expliquant ainsi le caractère fermé et marécageux des cuvettes autour de Montalba.
Il existe, sur les dalles et blocs rocheux,
des microformes caractéristiques, dont la
lenteur avérée de formation confirme l’âge
très ancien de l’exhumation des tors. Les taffonis ou alvéoles, sur les faces verticales et
à la base des blocs, sont assez rares et peu
développés. Par contre les vasques sont très
fréquentes sur les dalles subhorizontales ;
fonctionnelles, elles abritent périodiquement une flaque d’eau et leur margelle dessine un encorbellement plus ou moins marqué. Il en existe de très anciennes, éventrées
par des diaclases ouvertes, basculées avec
leur support. Parmi celles qui sont actives,
on relève soit des formes circulaires très
régulières, dont le diamètre peut dépasser
1 m et le creux minimum au déversoir 0,2
à 0,3 m, mais avec un creux maximum
45
46
ARCHÉOLOGIE D’UNE mONTAGNE BRûLÉE CHAPITRE II
compRendRe L’hISToIRe du ReLIeF :
L’eScaRpemenT méRIdIonaL du pLaTeau de monTaLBa eT Le cReuSemenT
deS VaLLéeS
160 cm
180 cm
8 - Grandes vasques fonctionnelles affectant les tors granitiques (secteur de plateau
de la Sybille, Ille-sur-Têt). Leur formation, à l’air libre, par l’eau de pluie, suppose des
durées de plusieurs centaines de millénaires. Sur celle de gauche, les restes de trois
planchers étagés suggèrent un creusement à des vitesses très variables au cours du
temps.
métrique (ill. 8), soit des formes multilobées complexes,
couvrant plusieurs m², toujours de 20 à 30 cm de creux,
par exemple sur le dôme rocheux sud-ouest de l’« oppidum » 1025. On a peu de repères pour quantifier la vitesse d’évolution de ces formes, lente de toute manière.
Sur le Carlit, les vasques sur dalles ou blocs abandonnés
par les glaciers depuis ≈15 ka sont petites et profondes
de 27 à 46 mm, soit 1,8 à 3,06 mm/ka (delmas 1998 :
86-90) ; en Laponie sur 10 ka les valeurs sont de 2 à
3,5 mm/ka (André 1995 : 116-117), comme en Irlande.
En Bretagne littorale, où grâce à l’action de l’haloclastie
le processus est plus rapide, les platiers éémiens portent des vasques profondes de 200 mm, voire 500 mm,
âgées au moins de 100 ka, soit 2 à 5 mm/ka ; à Carnac
le creusement des vasques post mégalithiques est de
48 mm au maximum et en moyenne 15 mm/ka (Sellier
1998). Le même auteur fournit aussi des évaluations en
volume, plus justes pour apprécier les vitesses de creusement : au plus 2000 à 1600 cm3/ka et en moyenne
300 cm3/ka pour les vasques post mégalithiques. Sur
le plateau de montalba, des vasques démantelées atteignent 3 m de diamètre pour un creux métrique ; les plus
grandes vasques fonctionnelles atteignent 1,3 m3, soit
une durée de vie possible de 600 à 4000 ka. Il est donc
clair que les chaos évoluent à l’air libre depuis de très
longues durées.
Cet escarpement, d’origine tectonique, est étroitement suivi à son pied par le cours de la Têt (ill. 9). C’est
une zone-clé pour reconstituer l’histoire du relief ; en
effet les dépôts tertiaires et quaternaires, ces « dépôts
corrélatifs » qui sont les archives du géomorphologue,
sont nombreux et variés et leurs relations géométriques
mutuelles, comme avec les roches du socle hercynien,
sont particulièrement bien exposées grâce à l’incision
des vallées. Plonger dans ces vallées c’est aborder une
histoire qui est déjà celle de l’humanité, à peine effleurée sur les plateaux mais qui ici se démultiplie en autant
de niveaux de terrasses, où les vestiges d’outillages lithiques témoignent du passage des premiers Homo erectus
et de leurs successeurs.
le fossé d’effondrement du conflent-roussillon et ses
enseignements
L’escarpement du plateau de montalba forme la bordure du fossé tectonique du Roussillon et de son annexe du
Conflent (ill. 3). Ce secteur est crucial car affleurent ici
l’ensemble des séries sédimentaires détritiques qui remblaient ce graben et permettent d’en restituer l’évolution
(Guitard et alii 1992 ; Calvet 1996). Elle se déroule en
deux grandes étapes.
L’étape miocène est exposée par les dépôts du
Conflent, qui affleurent à l’ouest de Vinça mais restent
profondément enfouis à l’est, sous le Roussillon. La série
stratigraphique, visible dans les coupes de la Lentilla, est
basculée de 10 à 20° vers le sud-est et épaisse de plusieurs centaines de mètres. Elle débute par les arkoses de
marquixanes, qui marquent l’ouverture du fossé à l’Aquitanien (~24 à 21 ma) et viennent reposer en discordance
sur le socle granitique au niveau du village d’Eus ; ce sont
des sables feldspathiques à passées caillouteuses, qui résultent du décapage torrentiel d’arènes peu évoluées sur
le massif granitique septentrional ; du massif des Aspres
provenaient au même moment des cailloutis rutilants
à éclats de schistes. Ces arkoses, chimiquement peu
évoluées (Lagasquie 1984) et envahies par des encroûtements calcaires en grille, témoignent de conditions
climatiques semi-arides et chaudes, avec un couvert vé-
GÉOmORPHOLOGIE D’UNE mONTAGNE BRûLÉE
lambeau de T5
554 m
replat pliocène
530 m
barrage de Vinça
tracé de la faille de la Têt
9 - L’escarpement bordier du plateau de Montalba entre Rodès et Vinça ; calé sur la faille de la Têt, il résulte pour l’essentiel de l’exhumation du contact tectonique entre granites
et sédiments néogènes, lors du creusement de la vallée au Quaternaire.
gétal discontinu et une érosion active sur les bordures du
bassin, peut-être corrélative du façonnement de l’aplanissement culminant S0. La séquence se poursuit avec
la formation de la Lentilla, paléontologiquement datée à
sa base (Baudelot, Crouzel 1974) du Burdigalien ancien
(~21 à 18 ma). Ce sont des cailloutis fluvio-torrentiels
à galets bien roulés de schistes et surtout de gneiss, issus
exclusivement de la bordure sud du fossé, où le horst du
Canigou-Carança se soulève alors très activement, de 1
à 2 km. La preuve en est fournie par le passage latéral
de ces cailloutis à des formations torrentielles à méga
blocs issues de ce massif, mais aussi à de grands paquets
de roches plurihectométriques glissés depuis le massif
dans le bassin de sédimentation (des olistolites), alors
que la bordure nord du bassin, peu soulevée, ne fournit pratiquement plus de matériaux détritiques. La mer
miocène a pénétré dans le bassin du Roussillon, sans en
atteindre toutefois les bordures occidentales ; ses dépôts
s’accrochent aux marges des Corbières maritimes et ont
été retrouvés en sondage à 900 m de profondeur sous
Canet-en-Roussillon ; le maximum transgressif se place
au miocène moyen (~16,3 à 15 ma), avant une longue
régression pendant laquelle se parachève l’aplanissement
S1 du plateau de montalba.
L’étape pliocène est précédée par un hiatus sédimentaire ; une phase tectonique déforme assez fortement
les matériaux miocènes et l’érosion inscrit dans l’axe du
bassin une profonde paléovallée, classiquement mise au
compte d’une puissante érosion régressive contrôlée par
l’abaissement drastique du niveau de la méditerranée
au messinien (~5,8 à 5,4 ma). Le retour brutal de la
mer au tout début du Pliocène transforme cette vallée
en ria (Clauzon, Aguilar, michaux 1987), très rapidement comblée par les apports détritiques d’une montagne alors en pleine phase de surrection et d’érosion. Les
argiles bleutées et les sables gris marins ou deltaïques
se suivent de millas jusqu’à Vinça et ils sont surmontés
par d’épais cailloutis fluviatiles grossiers, de teinte ocre,
qui forment en particulier les collines à l’est de Vinça et
de Rodès, ainsi que les grands escarpements des Orgues
d’Ille. manifestement le dépôt de cette série, qui s’achève
vers 3,8 à 3,5 ma, est contemporain d’un rejeu de la faille
bordière, comme le démontrent des déformations synsédimentaires. L’abondance des apports sableux arkosiques issus du massif granitique exprime le creusement
principal des grandes alvéoles qui défoncent le plateau
de montalba, comme ceux de Trévillach et de Tarerach ;
leur plancher aplani se suit jusque sur le rebord de l’escarpement où il forme des replats perchés (ill. 9) initialement en continuité avec le toit de la sédimentation
pliocène.
un escarpement de ligne de faille exhumé et faiblement
réactivé par la tectonique récente
La tectonique de faille récente est de style complexe,
associant ou faisant se succéder décrochement, extension
et compression ; le jeu décrochant de la faille bordière
ou faille de la Têt est de type senestre, en bon accord
d’ailleurs avec les mécanismes au foyer des séismes actuels (Goula et alii 1999 ; Calvet 1999). Sur cette bordure nord du fossé, l’essentiel de la déformation semble pré
et syn Pliocène inférieur. La tectonique post pliocène est
47
48
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre II
256 m
terrasse T5
Pliocène marin deltaïque
faille N 45°, stries 20° SE
Pliocène continental fluvio-torrentiel
244 m
T5
7°NW
10 - Les Orgues d’Ille-sur-Têt et la déformation tectonique du Pliocène. Dans le compartiment de droite, le Pliocène marin est sous le lit de la Têt, surmonté par les couches
continentales ocres ; le rejet total de la faille est donc de plus de 100 m ; mais le décalage postérieur à la haute terrasse T5 est beaucoup plus faible. Dans ces roches meubles,
les ravinements (« bad lands ») sont très actifs.
attestée par le basculement de toute la série de 7° nordouest dans la grande coupe des orgues d’Ille, hachée par
des failles à jeu senestre-normal (ill. 10) ; ces failles semblent avoir joué encore après le dépôt de la haute terrasse T5, qui couronne les Orgues à Matte Rodone et dont
la base est décalée d’une dizaine de mètres. Au total cette
déformation, qui soulève le plateau de Montalba par
rapport au bassin, voit son rejet augmenter vers l’ouest,
comme le montrent les replats fini pliocènes de plus en
plus perchés sur la bordure de l’escarpement, de 280 m
sur la Crabayrisse à 450 m face à Vinça. Mais sa valeur
est au plus d’une centaine de mètres à l’ouest.
C’est dire que, pour une bonne part de son dénivelé,
l’escarpement bordier du plateau de Montalba résulte
du creusement facile de la vallée de la Têt dans les sédiments meubles du fossé. Ce creusement a exhumé l’escarpement tectonique initial, fossilisé par le Pliocène, et
moins du tiers de la hauteur du talus correspond à des
rejeux tectoniques récents. Initialement installée sur le
plan composite d’érosion et d’accumulation fini pliocène,
à peu près à l’aplomb du contact faillé, la Têt, en s’enfonçant sur place pendant le Quaternaire, a localement
inscrit sa vallée dans le substrat granitique (ill. 3). C’est
ainsi, par surimposition, que s’expliquent les petites gorges épigéniques de la Guillera (Rodès), de Saint Pierre,
site du barrage de Vinça, et du pont de Tarerach.
Les étapes du creusement quaternaire des vallées
Pour une analyse détaillée des terrasses et de leur
bibliographie on renverra à Calvet 1996 : 541-545,
639-641, 745-823. La plus haute terrasse, numérotée
T5 (Matte Rodone, 244 m, ill. 10), est surtout bien représentée en aval, à Mas Ferréol, Baixas, Cabestany et
Canet ; vers l’amont, un jalon démantelé existe au dessus
du pont de Tarerach, à 340 m, et des lambeaux dans le
bassin de Prades ; sur la colline de Rodès des gros blocs
et d’abondants galets de quartz rubéfiés en dérivent, tapissant le Pliocène sur les versants et ponctuellement la
crête. Cette nappe alluviale est profondément altérée,
rubéfiée et ses galets transformés en arènes, à l’exception
des quartz ; on l’attribue au Quaternaire ancien sans plus
de précision, peut-être vers 1,5 Ma. Elle correspond à un
stade où la Têt était encore peu encaissée sous le plateau
de Montalba (150 m au droit d’Ille et 60 m sous le replat fini pliocène) et où les gorges épigéniques n’existaient
pas encore ; la rivière construisait alors un vaste épandage formé par des chenaux en tresses, largement étalé
du Conflent au Roussillon et coalescent à l’aval avec les
épandages du Réart et du Tech.
L’essentiel du creusement de la vallée, 120 m, est postérieur à T5. Cet enfoncement s’est fait par saccades,
marqué par des arrêts et la construction de nappes alluviales (ill. 3) pendant les principales phases froides du
Quaternaire, en phase avec le développement de glaciations dans la montagne, dans un contexte de soulèvement
GÉOmORPHOLOGIE D’UNE mONTAGNE BRûLÉE
1m
11 - Nappe alluviale quaternaire T2 (Riss) à la butte des Escatllars. Altération assez
générale des galets et coloration rouille vif.
tectonique d’ensemble qui explique l’étagement de ces niveaux de terrasses. Les étapes les plus anciennes sont peu
ou pas représentées sur notre secteur ; ce sont toujours
des alluvions caillouteuses profondément altérées et rubéfiées. T4 forme en amont, vers +100 m, le vaste plan
qui porte en rive droite de la Têt les villages de Llonat
à Sirach, relié au cône de piémont de Fillols, nourri par
le massif du Canigou ; Llech et Lentilla ont construit
un cône similaire dont il reste un lambeau au dessus de
Finestret. T3, qui est très étendu en Roussillon et démultiplié en quatre nappes faiblement emboîtées (terrasse
de la Llabanère), n’est ici jalonné, vers +60 m, que par
un petit lambeau accroché au flanc est de la colline de
Rodès, au dessus de la chapelle Ste Anne, ainsi que par
un témoin construit par la rivière de Rigarda et conservé
à 270 m, sous domanova. À ce stade il est possible que
les écoulements aient difflué par le col de Ternère, même
si l’essentiel s’engouffrait dans la gorge de la Guillera.
Les basses terrasses sont mieux conservées dans notre
secteur. La nappe T2, aux galets déjà fragilisés ou en partie arénisés (ill. 11), offre une matrice ocre vif encore peu
argilifiée et porte des sols rubéfiés. En aval de Rodès elle
forme surtout le grand plan de Corbère-Thuir ; elle est
conservée à +35 m sur la butte des Escatllars, au Pont
de Vigne et, en rive gauche, sous forme de quelques lambeaux accrochés au versant granitique. Vers l’amont, T2,
porte Vinça et la gare de Prades ; il se raccorde à un épais
cône affluent sur le Rigarda et surtout au grand cône de
piémont de Vinça, construit par la Lentilla. L’épaisseur
de toutes ces nappes est de l’ordre d’une dizaine de mè-
tres et elles coïncident avec une phase d’englacement majeure en montagne, assimilable au Riss. La nappe T1 est
de teinte grise, à matrice sableuse et présente des galets
sains en grande majorité ainsi qu’un sol brun clair, caractères qui permettent de l’individualiser très clairement et
de la rapporter au Würm. En aval de la gorge de Rodès
elle s’étale très largement vers Bouleternère, enserrant la
butte isolée des Escatllars, et elle porte la ville d’Ille, où
elle se tient à +20 m. Au débouché de la gorge elle est à
+30 m et son incision s’est faite par étapes, avec un palier vers +20 m et un autre plus étroit encore à +15 m
(site de mas Polyroc). En amont, T1 forme au moins
deux paliers dans le bassin de Rodès, le plus haut en rive
gauche portant le site moustérien des Anecs (Abélanet
et alii 1985 ; Blaize 1990), ce qui confirme son âge wurmien. T1 constitue le plan principal du bassin de Prades ;
les affluents issus du Canigou ont construit d’importants
cônes de piémont, néanmoins subordonnés à T2 qui fait
figure d’événement majeur : ceux du Llech-Lentilla diffluent autour de la colline isolée du Serrat d’en moulins,
en deux paliers étagés. La nappe T0 correspond au lit
majeur actuel de la Têt, largement remanié à chaque crue
exceptionnelle comme celle de 1940, qui s’est étalée sur
500 à 700 m à partir d’Ille, effaçant à peu près toute trace
des épisodes plus anciens dans ce secteur de vallée.
Les deux dernières crises froides contemporaines de
T1 et T2 ont laissé peu de traces sur les versants dans
les bas pays et on en a déduit, au moins pour le Würm,
une morphogenèse périglaciaire très modérée, en raison de milieux relativement préservés dans ces bassins
méditerranéens abrités (Calvet 1996 : 819-823). dans
le secteur qui nous occupe ici, les versants raides granitiques ont nourri quelques tabliers d’éboulis de gravité, alimentés par les pinacles rocheux instables, et les
convois limoneux à blocs, de style périglaciaire et d’âge
würmien, ne deviennent fréquents qu’au dessus de 600
à 700 m. Plus bas, les vallons et les pieds de versant sont
parfois tapissés par des colluvions à blocs extrêmement
altérés, pulvérulents parfois, gage d’une grande ancienneté. La coupe de la route d’Arboussols, à la cote 319,
suggère leur raccord avec T3, en bon accord avec leur
état poussé d’altération. La conservation de ces matériaux fragiles sur ce versant granitique raide implique
une très faible efficacité des morphogenèses postérieures. Les collines taillées dans le Pliocène sablo-caillouteux, autour de Rodès et Vinça confortent cette image.
49
50
ARCHÉOLOGIE D’UNE mONTAGNE BRûLÉE CHAPITRE II
qu’on ne l’imagine, fréquemment balafrés de ravines, mais
dont on démontre le fonctionnement quaternaire bien antérieur aux premières civilisations agropastorales.
A 2 lessivé
Bt argileux polyédrique
12 - Vieux sol fersiallitique sur les versants convexo-concaves des collines taillées
dans le Pliocène de Rodès.
En effet ces formes convexo-concaves (ill. 14), raccordées
systématiquement aux restes de terrasse T2, portent une
couverture continue de sols rouges fersiallitiques (ill. 12),
très évolués, et dont le développement implique au moins
un âge éémien, anté würmien. Leur conservation témoigne de l’inertie considérable de ces versants, dont la pente
peut dépasser 20°, qui ont non seulement résisté à l’érosion anthropique holocène et historique, mais aussi à
celle de toute la période froide würmienne.
le Temps Des hommes eT Des socIéTés,
érosIon eT DynAmIQue Du pAysAGe
paysages méditerranéens et mythe du paradis perdu
Les paysages méditerranéens relèvent trop souvent encore d’une interprétation mythique, forgée par les poètes
et les écrivains depuis l’Antiquité jusqu’au XVIIIe siècle
et récupérée ensuite par le discours scientifique, celle d’un
âge d’or verdoyant et fertile, irrémédiablement dégradé par
l’insouciance des hommes (Grove, Rackham 2001 : 8-23).
Illusion tenace, qui réside dans l’ambiguïté de ces paysages
aux formes spectaculaires, soumis à des manifestations météoriques violentes ; en fait mosaïque de milieux évoluant à
des vitesses très variables, dans le temps comme dans l’espace, et qu’il faut se garder de considérer à l’aune seule de
l’histoire des sociétés. Apparences trompeuses de ces espaces, souvent rocailleux, mais depuis bien plus longtemps
Des marques d’érosion souvent spectaculaires, mais très
localisées
Certes, dans notre domaine, l’érosion récente et actuelle
laisse apparemment des blessures vives évidentes, en particulier dans les roches meubles du remplissage tertiaire
du bassin, dans les collines de Vinça, de Rodès, d’Ille et
de Néfiach. Les bad lands les plus spectaculaires, comme
ceux des Orgues d’Ille (ill. 10 et 13) et de Néfiach, montrent des torrents élémentaires encore très actifs, dont les
cônes s’édifient rapidement à chaque averse automnale et
envahissent régulièrement la route de Casesnoves. mais ces
formes ont aussi une longue histoire quaternaire, sur ces
versants très raides constamment ravivés par le sapement
de la Têt, dont le cours d’Ille à millas glisse vers le nord,
comme le montre le dispositif des nappes quaternaires T2
à T0, échelonnées du sud au nord. (ill. 3)
Beaucoup de ravines, par exemple celles de la colline de
Rodès (ill. 14), sont beaucoup moins actives qu’elles en
ont l’air. Leur plancher est fixé par une dense végétation
arborée et des chênes centenaires ; les cônes de déjection
qui en sortent sont à peu près éteints, densément occupés par des terroirs agricoles anciens toujours exploités ;
la chapelle Sainte-Anne, attestée au moins depuis le
XVIe siècle dans son état actuel et pourtant située au débouché d’un bassin versant de 1 km² très raviné, à l’est du
col de Ternère, ne montre aucun signe d’enfouissement.
Ajoutons que ces ravines, très localisées, n’ont pas réussi à faire disparaître de très vieux héritages, comme les
versants convexo-concaves et leurs sols rouges fersiallitiques, pourtant bien fragiles. Il s’agit donc de formes quasi
figées, malgré leurs apparences vives, et dont le fonctionnement épisodique a pu s’initier au cours du Würm,
comme le montrent les relations géométriques du ravin
de Bourbona avec les lambeaux de T2 qui encadrent son
débouché ; il est clair que là un vallon würmien aux flancs
émoussés précède et prépare le bassin torrentiel actuel.
Les parois amont nues et subverticales de ces ravins
suggèrent un recul rapide, qui peut s’avérer une illusion,
comme le montre l’examen soigneux de quelques vieux
terroirs de vignoble abandonnés, sur cette même colline de Rodès où l’incendie de 2005 est passé. des ravines de 1000 à 2000 m3 mordent sur les alignements
Géomorphologie d’une montagne brûlée
ravine aménagée avec murettes
(détail ci-dessous)
13 - Vue aérienne des Orgues d’Ille : ravinements actifs dans les sédiments pliocènes meubles et cônes torrentiels sablo‑caillouteux recouvrant régulièrement la petite route
de Casesnoves ; au fond, le lit de la Têt et ses chenaux multiples en tresses.
ravin de Bourbona
ravin
Naret
ravin de
de Naret
ravin de Bourbona
ravine aménagée avec murettes
(détail ci-dessous)
lambeau de T2
14 - Érosion ravinante dans le Pliocène de la colline de Rodès, face est. Des formes peu actives et bien antérieures à l’aménagement du vieux terroir de vignoble maintenant abandonné. Sur la photo du bas on note que les murettes s’adaptent au tracé de la ravine rectiligne.
de murettes, dans le ravin de Naret. Mais, en réalité, les
ravines précèdent largement l’aménagement de ce terroir, car on voit localement ces systèmes de murettes
contourner les ravins, voire aménager en banquettes leur
partie amont moins incisée, pour les stabiliser (ill. 14).
51
52
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre II
En fait, depuis l’abandon du terroir, soit au moins un
demi-siècle, les ravines n’ont fait que s’élargir un peu,
d’une valeur métrique ; mais ce n’est pas l’abandon du terroir et le non entretien des murettes qui les a initiées.
Des paysages stables sur le long terme
Plateau et escarpement granitique participent très largement des paysages que le géomorphologue nomme « insensibles », selon la terminologie anglo-saxonne (mise au
point in Giusti, Calvet, Gunnell 2008), c’est-à-dire peu
susceptibles de s’ajuster rapidement et complètement aux
paramètres du complexe morphogénétique ambiant.
Pourtant, sur les versants granitiques, il y a d’indiscutables traces d’érosion ponctuelles. On n’insistera
pas sur les quelques ravines de profondeur métrique qui
affectent les arènes et leur couverture discontinue de
colluvions würmiennes, assez fréquentes sur les hauts
versants du massif de Roque Jalère, sous un couvert très
dégradé de landes à cistes. Par contre les chemins qui
gravissent l’escarpement du plateau de Montalba permettent quelques observations quantitatives qui aident à
fixer la vitesse et les rythmes d’incision des formes d’érosion ravinantes, ici clairement d’origine anthropique.
La carrerade qui mène de Rodès au plateau est transformée en chemin creux sur une bonne partie de son tracé,
d’autant mieux qu’elle s’inscrit dans un talweg élémentaire préexistant. L’enfoncement dans les arènes est d’ordre
métrique ; il atteint ponctuellement 2 m pour toute la période antérieure au XIXe siècle, auquel on peut rapporter
raisonnablement le dernier état ou la dernière réfection
systématique du pavage de galets qui en tapisse le fond.
Depuis la destruction du pavage et donc sur un siècle
au plus, l’incision atteint en moyenne 20-30 cm, très localement 80 cm. À ce rythme moyen il a suffi de 500 à
1000 ans pour creuser ces chemins. Le décapage aréolaire des sols cultivés, sur plusieurs décimètres, est localement attesté, autour du village de Ropidera par exemple,
par la mise à nu de traces de socs d’araire sur les dalles
rocheuses schisteuses. Par ailleurs des terrasses de culture à murettes en très gros blocs alignés, attribuées par
M. Martzluff (in Passarrius et alii 2007, ch. IX, 162‑165
et vol. 2 fig. 29, 30) aux premiers aménagements de terroirs médiévaux et datables des XIIIe-XVe siècles, ont été
totalement vidangées de leur remblaiement cultivable,
sur 60 cm au moins à l’aval de la parcelle aménagée.
Mais il faut se garder de généraliser ces observations
ponctuelles, comme le montrent des espaces beaucoup
plus vastes, où l’on peut établir des bilans de l’érosion des
sols sur de très longues durées. Sur l’escarpement raide
du plateau, à toutes hauteurs, il reste d’importants volumes d’arènes meubles, que laissent voir les murettes de
culture éboulées. Ces murettes, datées en général ici du
XIXe siècle, sont d’ailleurs souvent fondées sur le substrat
arénisé et non sur la roche en place saine. Sur le plateau,
on est frappé par l’abondance et l’extension spatiale des
sites superficiels de l’âge du Bronze jonchés de tessons,
même sur les pentes du chaos de l’« oppidum » 1025 de
Ropidera, où ils sont souvent de grande taille : leur préservation implique évidemment un décapage insignifiant par le ruissellement sur ces versants, depuis l’occupation des sites, datée du Bronze ancien au Bronze final
(2200‑700 av. J.‑C.) (Vignaud, in Passarrius et alii 2007 :
69-74 et vol. 2, IV, cartes 1 et 2), soit depuis 4000 ans.
Sur le même mode et pour une durée plus brève, il faut
relever l’abondance de débris de poterie médiévale, présumés épandus sur les parcelles cultivées avec la fumure
et toujours en place, sur certains sites des secteurs de
Ca del Mach - Roc de Sabardanne, comme près du village de Ropidera (Passarrius et alii 2007 : 192, 196, 210
et carte vol. 2, X-6). La contre-épreuve est fournie par
les vallons et les dépressions fermées du plateau, qui
n’auraient pas manqué de piéger d’épais dépôts colluviaux si l’érosion hydrique des versants proches avait
été très active. Or cela n’est apparemment jamais le cas,
puisque aux marges des cuvettes, voire en leur centre,
le substrat granitique apparaît sous forme de chaos de
blocs ou, dans la moindre entaille de fossé, d’arènes et
d’éclats de roche que les labours des parcelles de vigne
immédiatement contiguës aux prairies marécageuses
ramènent en surface. Seuls des sondages systématiques
au cœur des prairies humides pourraient en dire plus.
Les rares coupes des vallons drainés, par exemple celui
de Bosc Nègre dans le secteur des Balmettes, où le plan
alluvial est large de quelques décamètres, n’exposent que
1 à 1,5 m de dépôts sur le substrat granitique, chenal de
cailloux mal roulé à la base et dessus arènes sablo-graveleuses remaniées, en lits plans alternativement fins et
plus caillouteux, le tout n’ayant pour le moment livré
aucun indice chronologique.
Géomorphologie d’une montagne brûlée
15 - L’érosion hydrique postérieure à l’incendie de 2005 sur les versants d’arènes granitiques. Le liseré clair donne la mesure du décapage par ruissellement diffus. La
formation d’un pavage de graviers, bien visible sur la photo, a limité l’ablation.
Les effets modestes d’un incendie catastrophique
Les incendies méditerranéens sont réputés décupler
l’activité de l’érosion hydrique ultérieure (Martin et alii
1997). Celui d’août 2005 a été très sévère et suivi par un
automne très pluvieux, avec en novembre une violente
perturbation méditerranéenne, dont l’épicentre était dans
les Corbières, mais qui a délivré dans le secteur concerné
ici entre 50 et 100 mm en 24 heures, soit à la fois de forts
cumuls et de fortes intensités, même si l’on reste loin des
records régionaux. Aucune étude systématique et quantifiée de la morphogenèse hydrique, sur site expérimental, n’a été menée à la suite de l’incendie, mais un certain
nombre d’observations qualitatives significatives ont pu
être faites, aux deux printemps suivants.
Les marques érosives fraîches, en particulier les ravinements, étaient relativement rares et discrètes dans
l’espace brûlé. Certes, les talwegs élémentaires de l’escarpement bordier ont été ravivés. Mais sur les versants
eux-mêmes, que se soient les collines dans le Pliocène de
Rodès ou les plages d’arènes meubles des pays granitiques, les rigoles élémentaires restaient exceptionnelles et
discontinues, longues au plus de quelques mètres et profondes de quelques centimètres pour une largeur d’une
dizaine. Des formes très fragiles, comme des bermes de
terre aréneuse surmontant les murettes de culture perpendiculaires au versant (par exemple sur la pente est de
l’« oppidum » 1025 de Ropidera), ont été intégralement
conservées et non échancrées de rigoles. Dans certaines
des brèches de ces murettes écroulées, qui logiquement
devaient canaliser des flux hydriques plus puissants, le
cerne de suie noire laissé par l’incendie sur les blocs jusqu’à leur base montrait l’absence d’ablation postérieure.
Sur des panneaux de versant arénacés plans, inclinés à
10-15°, le pavage de graviers et cailloux noircis par l’incendie et jonché de fragments de branches, écorces et
brindilles calcinées, démontrait l’absence d’ablation. Un
décapage épidermique de 2 à 3 cm au plus a affecté des
secteurs limités, en particulier sur des ruptures de pente
entre terrasses, comme le démontrait un cerne blanc centimétrique sous la bande de suie des cailloux enchâssés
dans le sol (ill. 15).
Cette résistance à l’érosion des substrats arénacés semble confirmée par les données quantitatives obtenues sur
parcelles expérimentales dans un site proche, à 1100 m
sur le versant nord du massif de Roque Jalère, sous lande
à callune (Faerber, Emilian soumis). Les parcelles soumises à un brûlage n’ont pas vu leur érosion augmenter
significativement par rapport aux parcelles non brûlées
et, toutes parcelles confondues, les pertes en terre ont
été de 46 t/km²/an sur deux ans, pour un site, et de
26 t/km² sur 10 mois pour l’autre site. En prenant une
densité de 1,7, cela donne des tranches érodées de l’ordre de 15 à 27 mm par millénaire : sur ces bases et en
contexte végétal très dégradé permanent, il faudrait 660
à 370 millénaires pour décaper une couche d’arènes de
10 m. On est très loin des 800 à 1600 t/km² annuelles
mesurées sur parcelle expérimentale en gneiss, dans les
Maures, les trois années qui ont suivi un incendie, mais
du même ordre que les 31 t fournies la quatrième année
par cette même parcelle (Martin et alii 1997). La présence de pavages caillouteux en surface (ill. 15) explique
pour une bonne part cette résistance à l’érosion ; on notera d’ailleurs que l’incendie a contribué à améliorer ce
pavage, en produisant en grande abondance des éclats et
des écailles au détriment de la base des parois et des blocs
granitiques des chaos.
53
54
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre II
Conclusions :
entre nature et culture, la stabilité des paysages morphologiques
Face à l’image commune, mais fausse ou abusivement
simplificatrice, d’une érosion continue dans l’espace et
dans le temps et de son agressivité particulière dans les
régions méditerranéennes, cette réflexion sur les territoires de l’incendie de 2005 dans la longue durée géomorphologique permet de proposer un cadre conceptuel
plus réaliste et plus opérationnel à ceux, historiens ou
archéologues, qui tentent de reconstituer la trajectoire
temporelle et la logique des sociétés dans un espace
concret donné. Les territoires des hommes sont avant
tout des milieux, des systèmes naturels et anthropisés
complexes et évolutifs, dont la logique et la dynamique
ne peuvent se comprendre sans une approche globale et
multiscalaire, qui prenne en compte et mette en perspective toutes les temporalités des paysages.
Le faisceau d’observations rassemblé ici a mis l’accent,
parfois d’une façon volontairement provocatrice, sur
la stabilité relative de ces milieux. Les concepts de la
Landscape sensitivity, dont relèvent ces paysages que l’on
a qualifiés plus haut d’insensibles, sont relatifs et très
dépendants des échelles spatio-temporelles considérées
(Giusti, Calvet, Gunnel 2008 : 210-211). Pourtant, dans
notre domaine, la stabilité est, assez exceptionnellement
et sur une large partie de l’espace considéré, une réalité
qui s’exprime à travers une très large gamme d’échelles
spatio-temporelles : du temps immédiat de la saison
pluvieuse au temps pluriséculaire des parcelles médiévales et plurimillénaire des sites superficiels du Bronze,
du temps médian des vieux versants à sols rouges et des
chaos granitiques exhumés et troués de vasques (quelques centaines de millénaires) au temps profond des
surfaces d’aplanissement (quelques millions d’années).
Le résultat est une mosaïque très fine, ou plutôt un palimpseste d’unités topographiques diachrones et multidimensionnelles, dont la stabilité et la conservation demandent explication.
On cherchera d’abord du côté des facteurs naturels,
seuls en cause pour les évolutions quaternaires et plus
anciennes, que l’on ne considèrera pas ici en détail car
d’un intérêt strictement géomorphologique. La conservation des fragiles volumes de granites arénisés jusque
sur les versants raides se comprend mieux à la lumière
de la géométrie du bâti lithologique. Il alterne en effet
des bandes subverticales de granites acides ou très massifs peu altérables et des bandes très altérables où l’arénisation a pénétré très profondément et qui sont ainsi
protégées de l’ablation, d’autant que les bandes résistantes sont subparallèles à l’escarpement du plateau. La résistance de ces arènes à l’érosion hydrique, comme des
versants sur cailloutis néogènes dans le bassin, répond
aussi à leur forte perméabilité, qui favorise l’infiltration
et limite d’autant le ruissellement ; ajoutons la formation
facile de pavages superficiels de graviers et de cailloux,
par départ des éléments fins, qui immunisent rapidement ces milieux vis-à-vis du ruissellement diffus et
stabilisent même le plancher des rigoles. Dans ce milieu
climatique subhumide et sur des roches imperméables
où les réserves hydriques sont non négligeables, même
un maquis bas mais dense constitue une protection efficace vis-à-vis de l’impact des averses et du ruissellement ; mousses et lichens fixent souvent le substrat minéral sous ces couvertures végétales. D’autre part il faut
insister sur la rapidité de la repousse après les incendies :
dès l’automne et l’hiver, un dense tapis herbacé s’est mis
en place et moins de deux ans après le feu la multiplication des plantules de cistes était spectaculaire, ainsi que
le reverdissement des souches de bruyère blanche, des
chênes verts et des oliviers.
Mais le résultat des travaux de prospections archéologiques et d’archive consacrés au secteur (in Passarrius
et alii 2007 : 208-215) apporte aussi une riche moisson
de faits et permet de proposer quelques hypothèses
quant aux responsabilités des hommes. En effet le domaine granitique en particulier n’a subi qu’une anthropisation à éclipses et/ou peu agressive. La colonisation dense
de l’âge du Bronze est marquée par un pastoralisme extensif sans traces d’agriculture ; une lacune quasi-totale
marque l’âge du Fer et l’Antiquité, voire le haut Moyen
Âge. L’habitat permanent médiéval n’est attesté qu’au
village de Ropidera, sans habitat intercalaire isolé, des environs de l’an mille jusqu’au cours des XIVe‑XVe siècles
où il est abandonné ; les activités agricoles y semblent
localisées à certains terroirs seulement et associées à
un pastoralisme, avec développement de vastes devèzes
encloses. La mise en culture intensive et généralisée,
pour la vigne et l’olivier en particulier, n’intervient qu’au
XIXe siècle, mais elle n’a guère duré plus d’un siècle. On
doit aussi mettre l’accent sur l’ampleur des travaux pro-
Géomorphologie d’une montagne brûlée
tecteurs réalisés sur les versants, qui ont remarquablement
résisté et joué pleinement leur rôle. Des murettes de style
cyclopéen suivent apparemment les premiers défrichements médiévaux, peut‑être à la suite de déboires érosifs
constatés et en phase avec les prémices du Petit Âge de
Glace si l’on accepte la datation XIIIe-XVe siècles proposée par M. Martzluff ; leur vidange locale par l’érosion
prouve qu’elles n’ont fait que retarder le processus, ce qui
est déjà positif. Au XIXe siècle c’est tout le paysage qui
est aménagé en terrasses, avec des murettes soignées et
tout un réseau de drainage canalisé et organisé. Le devenir de ces aménagements est évidemment incertain, mais
ils ont tenu pour l’essentiel le choc de l’abandon et permis
le retour à un couvert végétal subnaturel dense et protecteur. En définitive, dans ces territoires en perpétuelles
mutations, l’idée de paradis perdu est bien un mythe et
les responsabilités des hommes autrement moins lourdes
que l’on a coutume de le dire.
55
Deuxième partie
Les premières occupations humaines
chapitre III
Nouveaux jalons sur le peuplement paléolithique
du bassin moyen de la Têt,
entre Roussillon et Conflent
Michel Martzluff
avec la collaboration de Sabine Nadal
Introduction
L’intérêt de cette étude réside surtout dans sa dimension géographique. En effet, l’incendie de l’été 2005 a balayé trois types de milieux dans un secteur qui, depuis
130 m d’altitude au droit d’Ille-sur-Têt jusqu’à 530 m
au sommet de la Cougoulère, face à Vinça, constitue la
frontière géographique et historique entre la plaine du
Roussillon et les premières vallées encaissées pénétrant
les massifs montagneux du Conflent.
Au centre de l’aire étudiée (ill. 1 et 2), la plaine alluviale
de la Têt peut se scinder en deux unités. Vers l’amont, en
Conflent, les replats des terrasses quaternaires de Vinça
et de Rodès forment de petits bassins enfoncés dans des
collines sédimentaires qui barrent la vallée et la compartimentent. Ces éminences culminent vers 300 m d’altitude et témoignent de puissants épandages détritiques du
Tertiaire dans le fossé d’effondrement de la Têt. Déporté
contre la faille qui borde le socle granitique, le fleuve s’est
enfoncé dans des verrous rocheux, l’un au barrage de
Vinça, l’autre dans les gorges de La Guillera et ces épigénies réalisées pendant le Quaternaire ont contribué à
mieux fermer les dépressions que forment les bas niveaux
de terrasses logées le long des cours d’eaux tributaires venant du Canigou.
C’est donc vers l’aval, à l’issue du défilé de La Guillera
et du col de Ternère sur les communes d’Ille-sur-Têt
et de Bouleternère, que s’étale la plaine du Roussillon.
Les bonnes terres arables dévolues à l’arboriculture sur
ces terrains plans sont encadrées par de l’aspre, c’est-àdire aujourd’hui par d’inextricables maquis qui se développent à partir des premiers versants abrupts, puis
par de vastes friches parsemées de quelques vignes encore cultivées qui se trouvent sur le plateau granitique de
Montalba-Tarerach, vers le nord ou encore, vers le sud,
sur les éminences calcaires et schisteuses qui dominent
Bouleternère.
Ces prospections furent donc l’occasion d’approcher au
plus près une large bande de terrain située en travers du
bassin moyen de la Têt et de l’axe de la principale voie
de pénétration des massifs montagneux du Canigou et
du Madres, au débouché du fleuve majeur des PyrénéesOrientales dans la plaine littorale du Roussillon, un
bas pays qu’il a d’ailleurs largement contribué à former
(Martzluff 2007a). Pour notre part, elles avaient pour
objectif principal de tester le potentiel archéologique
concernant les temps paléolithiques sur les différentes
unités de relief, en fonction d’un cadre chrono-culturel
déjà bien établi sur la très longue durée dans la région
(Martzluff 2006). Concernant les périodes les plus anciennes, au Paléolithique inférieur, il s’agissait de mieux
comprendre pourquoi les vieilles industries taillées dans
le quartz, celles qui jonchent abondamment la surface
des vieilles terrasses du Quaternaire près du littoral, disparaissent brusquement au seuil des premiers contreforts
montagneux.
1 - Zones profondément remaniées en sous sol (DAO M. Martzluff ).
60
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre III
2 - Terrains quaternaires et répartition des industries lithiques paléolithiques (DAO M. Martzluff )..
2
Le peuplement paléolithique
61
62
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre III
Ces recherches offraient enfin la possibilité de discuter des résultats déjà publiés, en particulier de l’épineuse
question d’une homogénéité des industries archaïques
« pré-acheuléennes », ainsi que de l’absence problématique de vestiges des campements de plein air pour toute
la durée du Paléolithique supérieur et de l’Épipaléolithique-Mésolithique, une lacune qui couvre environ 25 millénaires et qui est désormais avérée dans la plaine du
Roussillon (Martzluff 1998).
I - Historique des recherches
et bornes méthodologiques
des travaux de terrain
La plaine alluviale comprend plusieurs niveaux de terrasses étagées depuis le lit majeur de la Têt, étroit et très
encaissé à cet endroit, jusqu’à de discrètes reliques sédimentaires conservées haut perchées sur les versants,
100 m plus haut. Certains de ces dépôts avaient déjà livré
des industries paléolithiques bien avant nos recherches,
dès 1968, en particulier dans le bassin de Rodès (Blaize
1985a). C’est ainsi qu’avait pu être clairement identifié un
gisement moustérien de plein air, détruit lors de la création
du barrage de Vinça, mais aussi que des industries d’allure
archaïque avaient été mises en relation avec la « Pebble
culture » des vieilles terrasses du Roussillon pour partie et,
pour l’autre, avec un Paléolithique inférieur anté-würmien
plus évolué (Collina-Girard 1975‑76, 1978 ; Blaize 1990,
2005). Par contre, la plaine s’étendant autour d’Ille-surTêt était vierge d’information sur ces périodes.
De même, la vieille surface d’érosion du massif granitique de Montalba, oscillant entre 300 et 500 m d’altitude,
n’avait jamais été investie au titre d’une archéologie méthodique car presque totalement envahie par un maquis
impénétrable. La même remarque s’impose aussi pour le
vieux substrat paléozoïque qui arme les versants de la rive
droite de la Têt et du bassin du Boulès. Sur l’ensemble de
ces contreforts montagneux, la présence de dolmens ou de
gravures rupestres et, quelquefois, la collecte ponctuelle
de mobiliers en quelques points encore cultivés en vigne,
témoignaient d’un peuplement étalé du Néolithique aux
premiers âges des métaux (Abélanet 1990, Blaize 2006).
La Préhistoire ancienne n’y avait, par contre, répercuté
aucun écho.
En réalité, le peuplement paléolithique de cette interface méditerranéenne entre plaine et montagne était bien
attesté à partir du dernier glaciaire (Würm, entre 100 000
et 10 000 ans), en particulier pour le Moustérien, le
Solutréen et le Magdalénien (avec une lacune pour le début du Paléolithique supérieur concernant l’Aurignacien
et le Gravettien, comme partout ailleurs dans les P.‑O.).
Mais l’on devait ces connaissances aux fouilles réalisées en
milieu troglodyte. L’une de ces cavités se trouve non loin de
Bouleternère, en limite de la plaine du Roussillon (grotte
de Montou) et les autres en fond de vallée du Conflent,
plus précisément à la confluence des rivières drainant les
massifs du Canigou et du Madres vers la Têt, dans le synclinal calcaire de Villefranche-de-Conflent (Cova del Mitg,
Grotte d’En Gorner, Grotte Marie, Grotte des Ambullas,
Trou souffleur). À l’inverse et toujours en Conflent, un
site de montagne au-dessus de Prades, unique en France,
le rocher de Fornols-Haut (alt. 780 m), offre en pleine lumière un art rupestre magdalénien du Tardiglaciaire habituellement réservé au milieu souterrain (Abélanet 1985,
Sacchi 1987, Martzluff et alii 2005).
C’est dans ce cadre général sommairement balisé que
plusieurs problèmes se sont posés à nous, sur les conditions même de la recherche, dont il faut ici parler. Sur
l’étendue de la zone prospectée, tout d’abord, car celle-ci
est très vaste et les prospections nous concernant se sont
étalées au total sur trois années. Le quadrillage d’un vaste espace, à la fois sur le plateau de Montalba ou sur les
pentes du Causse de Bouleternère, par des équipes, certes diverses, mais comprenant toujours des archéologues
aguerris, nous incite finalement à dire que l’essentiel des
vestiges paléolithiques présents sur le sol prospecté, très
lisible après l’incendie, n’a guère pu nous échapper. Ceci
d’autant plus que les découvertes d’outillages lithiques
en quartz ou en jaspe, souvent minuscules, effectuées en
cours d’opération par des personnes au départ non-initiées à ces difficiles repérages, ont rapidement montré les
progrès d’une sensibilisation en la matière.
Par ailleurs, nous avons complété les informations
obtenues en 2005‑2006 sur ces parcours méthodiques
dans le maquis brûlé en y intégrant des prospections de
contrôle sur des sites limitrophes, hors de la zone incendiée. C’est ainsi que nous avons poursuivi des repérages
sur les terres arboricoles de la vallée, à peine effleurées par
l’incendie, en particulier sur le plan rissien des Escallars,
à Ille-sur-Têt, mais aussi sur l’aire de marnage des eaux
du barrage de Vinça, accessible lorsque le barrage subit
sa vidange annuelle en hiver et où les sols limoneux ont
Le peuplement paléolithique
été décapés, mettant au jour les éléments pierreux du
sous-sol. De même, nous avons opéré des incursions de
part et d’autre du plateau de Montalba, vers le nord et
vers l’ouest, dans les chaos de Tarerach, puis vers l’est,
dans ceux de Reglella. La connaissance que nous avions
du Causse de Thuir, également incendié, nous a pareillement aidé à mieux comprendre le petit massif calcaire du
Dévonien qui jouxte Bouleternère.
Deux difficultés de poids demeurent cependant. La
première tient à la conservation inégale des sols, l’autre
à la caractérisation des industries. D’autre part, le problème des mobiliers absents – celui des vides en quelque
sorte – est ici posé avec une certaine acuité. C’est le cas
pour les industries lithiques, en relation possible avec des
lacunes dans l’occupation de l’espace ou bien à cause de
gisements supprimés par l’érosion, ou encore masqués
par des comblements. C’est le cas ensuite pour l’absence
d’art rupestre là où il était fort probable d’en trouver. Ça
l’est enfin pour une carence qui affecte les formes d’habitats, en particulier les habitats troglodytes.
I.1 - Un sous-sol inégalement remanié
Quasiment tous les plans de terrasse situés en fond
de vallée, mais aussi la plupart des lambeaux de vieilles
formations alluviales perchées sur les versants, ont subi
des labours profonds qui, dans la seconde moitié du
XXe siècle et surtout après 1970, ont largement mordu
dans leur base caillouteuse, bouleversant les dépôts limoneux où les sols d’habitat pouvaient être conservés. En témoignent d’impressionnants tas d’épierrements assemblés
sous forme d’épais murs de galets qui ceinturent partout
les propriétés complantées d’arbres fruitiers, en particulier
autour d’Ille-sur-Têt. Les bas flancs des échines tertiaires
ont également subi la manie des remodelages en terrasses au bulldozer. Tous ces terrains plans et irrigués sont
aujourd’hui travaillés au « rotovator », une machine qui
pulvérise les mobiliers archéologiques, en particulier les
éléments lithiques. Par ailleurs, ces terrains se révèlent souvent peu lisibles, car herbeux. Globalement, il est quand
même évident que l’absence de mobilier archéologique en
surface de ces terrains alluviaux plans et profondément
charrués tient à l’absence de gisement en sous-sol.
D’autres défonçages ont largement perturbé la zone
couverte par le brûlis. Ainsi, les plantations forestières en
résineux ont griffé profondément le sous-sol sur l’échine
pliocène qui ferme la vallée entre Rodès et Ille, ainsi que sur
une bonne part du plateau de Montalba, dans le secteur des
Balmettes (ill. 1). Finalement, seuls quelques rares terrains
alluviaux ont été épargnés par ces travaux aratoires dévastateurs (une vieille terrasse un peu isolée sur un versant de la
rive gauche de la Têt, au débouché du ravin du Bellagre, et
une partie des petites propriétés englouties depuis 1976 en
fond de vallée par les eaux du barrage de Vinça).
Les versants les plus abrupts qui flanquent la vallée
en rive gauche, mais aussi les pentes moins prononcées
d’un espace intermédiaire donnant accès au plateau de
Montalba sur la commune de Rodès, sont des surfaces qui
se sont révélées négatives pour la conservation des vestiges
préhistoriques anciens, soit sous l’effet des ravinements,
soit à cause des mises en culture, les deux étant liés. De
même, les pentes ravinées du Causse de Bouleternère, en
rive droite, n’ont pas livré d’industries lithiques. Il semble
bien que la falaise calcaire qui domine le ravin de Montjuich,
avec son versant bien exposé au sud, a nettement reculé au
Quaternaire sous l’effet de l’érosion, les éboulements ayant
laissé des mégablocs sur le versant. Les cavités qui ont pu
abriter des chasseurs au Paléolithique ancien et moyen ne
sont plus que des fissures dans les parois, ou peuvent rester masquées par de l’éboulis. Contrairement à ce que nous
avions observé antérieurement dans cette zone des Aspres,
après les incendies du Causse de Thuir, en rive droite du
Castelnou où les pentes situées sous la ligne de falaise livrent quelques artefacts du Paléolithique ancien-moyen en
quartz, le recul des barres rocheuses calcaires est ici moins
parlant. En effet, le sol très pentu des éboulis situés en
contrebas des falaises de Les Pedreres est fortement remanié par de puissantes murettes (feixes) et reste peu lisible,
avec des broussailles à peine touchées par l’incendie.
Enfin, sur le plan de Montalba, les chaos granitiques
ont été un peu partout simplement égratignés à l’araire.
Toutefois, sur de larges parties entourant les zones basses et humides, le bulldozer a totalement remodelé le
sol, arrachant les boules granitiques et nivelant de vastes
champs, replantés en vigne ou en céréale pour le gibier. Il
reste que les industries prélevées sur cette aire remaniée
se trouvent in situ, et il en est de même pour celles qui furent recueillies dans les parties travaillées à l’araire ou dévolues aux troupeaux. Par contre, sur les espaces nivelés,
la présence d’artefacts est très aléatoire du fait du raclage
des parties saillantes et du comblement des parties en
creux, ou encore de leur déplacement dans les bourrelets
de terre qui ceinturent ces champs.
63
64
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre III
3 - Cavité karstique ouverte à l’est et en partie détruite par les carrières sur l’affleurement dévonien de la montagne de Bouleternère (photo aérienne O. Passarrius)
Enfin, au contact entre les bas versants des éminences
chaotiques et les dépressions, l’apport des fines a pu masquer des niveaux archéologiques sous un matelas d’arène,
lequel ne semble cependant jamais très épais. Partout
ailleurs, les remplissages qui coiffent le substrat cristallin
sont très minces.
Le rebord méridional du plateau, comme les versants
des vallées le pénétrant, très pentus, ont été ravinés jusqu’au socle en maints endroits. Pour le Pléistocène, en
témoignent quelques évidements creusés et polis par
des ruissellements canalisés qui se trouvent suspendus
sur des affleurements granitiques, au-dessus du fond
des talwegs actuels (en particulier à l’est de la carrière
de Rodès). Pour l’Holocène, le contact très fréquent des
plus vieilles murettes de pierres avec la roche-mère ou
des altérites montre que les premiers défrichements médiévaux ont vite nécessité de puissants aménagements
en terrasse pour retenir la terre arable (cf. chap. XI). Les
secteurs où les phases de déprise agricole post-médié-
vales ont été suivies de pâtures sans remise en état de
ces pentes par des murettes, sont aujourd’hui mis à nu
quasiment jusqu’au roc (toujours dans ce même secteur
de Rodès, par exemple, mais au-dessus de la carrière).
Cependant, bien que le modelé de détail ait été sensiblement modifié sur les pentes les plus prononcées, des
lambeaux de terrasse quaternaire y ont parfois conservé,
50 m au-dessus du fleuve, des industries paléolithiques
anciennes. Elles sont dans un étonnant état de fraîcheur,
montrant que de très vieux sols archéologiques ont pu
être épargnés par l’érosion sur ces replats très étroits
(voir ci-dessous III. 2).
I.2 - Critères de sélection des industries paléolithiques
sur le plateau granitique
L’attribution à la Préhistoire ancienne des industries le
plus souvent produites à partir de quartz ou quartzites
locaux, parfois même de granitoïdes, sur une base typologique ne pose pas trop de problème sur les formations
Le peuplement paléolithique
alluviales de la vallée, surtout lorsqu’elles ont été roulées,
éolisées ou patinées. Par contre, les vestiges paléolithiques provenant du plateau de Montalba sont très dispersés. Ils ont été triés pour cette étude dans les lots comprenant la totalité des ramassages lithiques pour chaque
point coté ; ils gardent donc leur attribution de site pour
une présentation cartographique, finalement assez peu
signifiante (ill. 4 à 10). Si ces artefacts sont ici regroupés
et présentés en un seul et même lot, c’est bien parce qu’il
est impossible de retenir un gisement particulier sur ces
reliefs, et encore moins une station pouvant caractériser
de rares mobiliers mélangés en surface, parfois déplacés
par la lame du bulldozer dans les dépressions. D’ailleurs,
presque tous les sites pointés comportent aussi les copieux restes d’un artisanat de fabrication d’anneaux en
pierre clairement associés à de la céramique modelée. À
l’exception de quelques artefacts érodés ou de typologie Levallois qui gisaient en position isolée, les mêmes
données se répètent d’un point à l’autre du plateau. C’est
pourquoi nous ne pouvons faire l’économie d’un regard
critique sur la totalité du matériel pré- et protohistorique avec lequel se sont mélangées les industries du
Paléolithique.
Notre sélection la plus sûre a d’abord retenu les éléments présentant au moins un léger degré d’usure, le plus
souvent très discret (échelle 1, 5 sur 4 stades) et aussi la
présence de patine sur les enlèvements. Il est vrai que
ces éléments furent parfois difficiles à déterminer sur de
nombreux taxons ayant été soumis à l’action du feu. Cela
dit, le lot très majoritaire de l’industrie, à cassure très fraîche, en quartz, ne comprend quasiment que des éléments
atypiques. En réalité, la grosse part des déchets lithiques
frais trouvés sur le plateau provient pour l’essentiel des
chocs de percuteurs en quartz trouvés en très grand
nombre avec les ébauches d’anneaux disques. Une autre
part vient du débitage aléatoire d’éclats qui furent ensuite
fracturés pour profiter des dièdres ainsi créés et qui ont
probablement servi à racler les ébauches. Cette industrie
a posteriori et ce débitage très mal maîtrisé, en tout cas
pour des fonctions liées à la boucherie et aux travaux domestiques, n’a sûrement rien à voir avec le Paléolithique
et guère plus avec le Néolithique. Percuteurs et burins
de fortune furent donc vraisemblablement utilisés pour
fabriquer des anneaux en schiste, la roche-mère se trouvant sur place.
D’ailleurs, une prospection très fine du secteur ar-
chéologique le plus riche sur une surface de 5 000 m2
(points 1005‑1006) a totalement confirmé cet état de
fait, ainsi que l’absence d’armatures microlithiques. Il
s’agit d’une industrie sur quartz qui s’attache donc plutôt à l’usage opportuniste du matériau local pendant la
Protohistoire pour piqueter et racler les ébauches d’anneaux, qui sont ensuite polis (chap. IV). Les rares éléments très peu usés qui sont rattachables à un mode de
débitage paléolithique n’ont donc aucun mal à s’individualiser dans cet ensemble.
S’ajoute à cette considération l’extrême pauvreté des
outils du fonds commun, en particulier des grattoirs, et
la part très mineure des jaspes et des silex face à l’omniprésence du quartz. Ce sont des signes qui excluent, selon
toute évidence, la présence d’habitats pour la Préhistoire
récente qu’évoquent très timidement une ou deux armatures foliacées et une seule hache de pierre sur la totalité des mobiliers préhistoriques recueillis. Comme les
restes d’un débitage lami- ou lamellaire font totalement
défaut, si ce n’est sous forme d’un seul minuscule débris,
nous pouvons encore plus nettement écarter une occupation un tant soi peu conséquente de ce secteur pendant
la phase médiane du Néolithique tout comme pour le
Paléolithique supérieur et l’Épipaléolithique azilien. La
rareté des outils de meunerie est par ailleurs fort parlante
sur le caractère probablement fugace des occupations
préhistoriques liées à de l’habitat agricole dans le secteur
et renvoie l’occupation préhistorique récente et protohistorique de cet espace à un pastoralisme plus ou moins
nomade.
Nous avons cependant dû tenir compte du fait que l’exploitation opportuniste des roches locales et que le débitage discoïde diminutif, caractérisant les industries mésolithiques du Sauveterrien à l’est des Pyrénées, pouvait
en principe offrir un risque de confusion avec les industries moustériennes évoluées, généralement trouvées en
bon état de fraîcheur. C’est pourquoi nous n’avons retenu
ici comme procédant du Paléolithique que les éléments
assimilables à des processus de débitage typiquement
moustériens. Mais en réalité, il n’y a pas d’outils ou de déchets pertinents habituellement associés aux industries
de l’Épipaléolithique-Mésolithique dans la masse assez
conséquente du lithique recueilli sur ce vaste territoire
(pas de grattoirs et une seule petite pièce esquillée en
quartz qu’accompagnent deux ou trois débris d’éclats obtenus par percussion posée).
65
66
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre III
I.3 - Pertinence des lacunes dans les industries
Le peuplement antérieur à l’Âge du Bronze n’a donc
laissé que de discrètes traces dans la zone du brûlis, tout
comme dans ses abords, et les rares, quoique précieux,
témoignages restreints à l’industrie lithique sont par
ailleurs discontinus dans le temps. Raisonner en termes de présence/absence de mobiliers pour cette très
longue séquence étalée du Paléolithique inférieur au
Mésolithique est un passage obligé, mais en principe bien
moins pertinent que pour des périodes récentes ayant
généré un matériel archéologique - céramique en particulier - plus abondant et mieux conservé, ainsi que des
structures ayant modifié l’espace ( J. Kotarba, chap. V).
Afin d’affûter quelque peu notre réflexion en la matière,
nous avons par conséquent essayé de prendre en compte
l’évolution géomorphologique des sites jusqu’aux perturbations anthropiques récentes, en relevant tout élément
intrusif dans le milieu naturel y compris les roches étrangères au substrat.
Dans tous les cas, couplée avec une lecture du sol rendue
possible et pertinente par l’incendie, la présence de traces
humaines très anciennes sur le plateau de Montalba, ou
sur les flancs des échines tertiaires qui ferment les bassins de Vinça et de Rodès, montre bien que l’érosion a été
incapable d’effacer totalement ces reliques sur les reliefs
anciens. Ainsi, lorsque la présence humaine a été intensive, c’est-à-dire lorsqu’elle a été prolongée pendant très
longtemps sur les mêmes sites favorables, eu égard aux
très faibles densités de peuplement envisageables pour
les sociétés de chasseurs, nous considérons comme parfaitement signifiant de ne pas en avoir détecté quelques
signes.
I.4 - L’absence d’art rupestre
Les témoignages d’un art rupestre attesté sur la longue durée, depuis le Paléolithique sur le proche plateau
de Vall en So (Martzluff et alii 2005) ou à partir du
Néolithique dans les Aspres, non loin de Bouleternère
(Abélanet 1990) et encore à Tarerach, face au plateau
de Montalba (Valat de la Figarassa, cf. Abélanet 1990 et
carte, ill. 2), mettent en avant une autre lacune constatée
au cours de ces recherches. La prospection minutieuse de
la zone du granite de Las Cases, à Rodès où notre plus
grande attention s’est justement portée sur les bandes
hectométriques de schistes qui parcourent les versants
(carte géologique, chap XI, ill. 1) n’a rien donné. Il en est
de même pour le ravin de Montjuich et la colline de La
Bouffeta, sur la montagne de Bouleternère, sur le flanc opposé de la vallée, dont les terrains paléozoïques sont bien
plus favorables (série schisteuse de Jujols).
Nous devons en conclure que l’aménagement total du
substrat par des terrasses de mises en culture a, depuis le
Moyen Âge, presque totalement ruiné les rares affleurements de roches tendres sur les versants très abrupts de
la vallée dans la zone brûlée. Si quelques roches gravées
ont été épargnées par les travaux aratoires dans des écarts
moins remaniés au sud de Tarerach ou sur les flancs du
Canigou, nul doute que la proximité de Vinça, de Rodès
et d’Ille-sur-Têt, trois agglomérations qui ont impulsé
sur leur environnement immédiat une très forte pression
paysanne liée à l’oléiculture et à la viticulture, nous prive
ici de savoir s’il y avait sur ces pentes des roches gravées
préhistoriques ou protohistoriques.
I.5 - Typologie des sites archéologiques
La présence d’industries du Paléolithique ancienmoyen en surface des formations alluviales suppose des
campements de plein air. Toutefois, sur le plateau de
Montalba, au voisinage des chaos, aucune concentration
archéologique ne peut être rapportée à une « station ».
Il en ressort globalement que ces artefacts obtenus sur
des roches locales sont mélangés avec des éléments plus
récents. Les gisements n’étant donc que très rarement
conservés, la possibilité qu’une part des industries puisse provenir de sites troglodytes ou d’abris démantelés
existe. Or, sur l’ensemble de la zone prospectée, il ne
se trouve que fort peu de grottes et d’abris-sous-roche qui puissent offrir des repaires potentiels pour la
Préhistoire ancienne.
Ainsi, dans le petit synclinal perché de Bouleternère,
en rive droite de la Têt, un karst résiduel ne possède pas
de remplissage conséquent. Les deux cavités découvertes sur son flanc nord, au contact avec les schistes du
Silurien, ont été mises à mal par l’exploitation des carrières, les segments occupés par les porches ayant été détruits (ill. 3). Par ailleurs, comme nous l’avons vu, les falaises calcaires situées sur le flanc sud de cette éminence,
dominant un versant bien exposé car protégé du vent,
en rive gauche du vallon de Montjuich, se sont éboulées
jusqu’à une période récente, au moins jusqu’aux temps
modernes où le secteur de Les Pedreres était exploité par
les ateliers de tailleurs de pierre (chap. X).
Le peuplement paléolithique
4 - Industries du Paléolithique ancien-moyen du plateau de Tarerach-Montalba.
67
68
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre III
5 - Industries du Paléolithique ancien-moyen du plateau de Tarerach-Montalba.
Le peuplement paléolithique
6 - Industries du Paléolithique ancien-moyen du plateau de Tarerach-Montalba.
69
70
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre III
7 - Industries du Paléolithique ancien-moyen du plateau de Tarerach-Montalba.
Le peuplement paléolithique
8 - Industries du Paléolithique ancien-moyen du plateau de Tarerach-Montalba.
71
72
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre III
9 - Industries du Paléolithique ancien-moyen du plateau de Tarerach-Montalba.
Le peuplement paléolithique
0
10 - Industries du Paléolithique ancien-moyen du plateau de Tarerach-Montalba.
5
73
74
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre III
En principe, les chaos encombrant les pitons du plan
granitique de Tarerach-Montalba, ont pu servir de protection à des groupes de chasseurs lors d’occupations
de faible intensité. Toutefois, si l’on considère que le
relief actuel de cette surface est en place pour l’essentiel depuis le début du Quaternaire moyen, c’est-à-dire
depuis près d’un million d’années (chap. II), ces abris
naturels dans les chaos ne devaient pas offrir des lieux
très propices à l’habitat dans les phases froides car ils
se trouvent sur des éminences balayées par les vents et
sont privés de la proximité immédiate des cours d’eau
ou des sources de bas de pente. D’ailleurs, les flancs de
ces reliefs ont surtout livré des témoignages préhistoriques récents. En sus d’un positionnement défensif,
il est possible que l’exposition au vent de ces sites de
hauteur, cernés par des dépressions humides, ait offert
une protection aux hommes et à leurs troupeaux contre
miasmes et moustiques. C’est bien ce qui a pu les rendre
attractifs à partir du plein Holocène, du Néolithique au
premier âge du Fer.
En fait, sur cet espace, le secteur le plus propice pour
offrir des abris avec un bon potentiel de conservation
pour la Préhistoire ancienne, se trouve dans le secteur
des Balmettes, toponyme signifiant justement : « petits
abris-sous-roche » (ill. 2). Bien exposé sur un versant
adouci ouvert au sud, dans un vallon où sourdent des
écoulements de bas de pente, l’un d’eux offre une bonne
protection contre la Tramontane. Comme c’est le cas
dans ce secteur pour quelques rares abris de même type,
l’auvent rocheux a servi d’appui à une construction moderne du type bergerie qui est actuellement ruinée. Les
aménagements d’une piste et les « sous-solages » liés
à une plantation en résineux qui couvrait la zone, ont
sensiblement bouleversé les abords et une partie aval de
l’abri, montrant que le remplissage n’était pas épais (carte des zones remaniées, ill. 1). Nous n’avons pas trouvé
le moindre témoignage archéologique probant dans les
déblais.
II - Les très anciens peuplements
du plateau granitique de MontalbaTarerach
Nous analyserons ici les industries paléolithiques en
tenant compte de leur contexte géomorphologique local.
Ces artefacts sont surtout représentés de part et d’autre
de la vallée du Tarerach ; ils deviennent rarissimes à l’est
du Bellagre.
II. 1 - Le contexte
Le relief granitique de Montalba-Tarerach, en rive
gauche de la Têt, hérite d’une pénéplaine tertiaire
(Calvet 1996 et chap. II). Le soulèvement de ce plan
d’érosion, dès la fin du Miocène, est balisé au sud par
l’abrupt très raviné que longe le fleuve, le long de l’escarpement de faille. Ce relief est défoncé par des cuvettes
qui résultent d’une altération différentielle du substrat
cristallin sous un climat sub-tropical humide, puis d’une
vidange des arènes, favorisée par la surrection du massif et par la mise en place d’un climat marqué par l’aridité saisonnière à la fin du Tertiaire. Comblées par les
altérites, les plus larges de ces dépressions sont plus ou
moins fermées par des pitons arrondis, où le socle fut
anciennement immunisé de l’altération chimique et où
le ruissellement a dégagé et entassé les miches granitiques saines déracinées du substrat, formant des chaos.
Ces dépressions ont vraisemblablement été surcreusées par les vents au cours des épisodes froids et secs
du Quaternaire. Les modelés ruiniformes encerclant les
zones déprimées n’offrent plus aujourd’hui que de maigres remplissages sableux acides. Dans la zone brûlée, les
exutoires des cuvettes débouchent dans trois modestes
affluents de la Têt : le plus large est le Tarerach à l’ouest ;
le Bellagre balise le centre et la Riberette ferme la zone
étudiée à l’est. Ces profondes saignées dans le substrat
cristallin forment autant d’axes de pénétration vers le
nord. Leur régime est intermittent, avec des étiages sévères et de violentes crues lors des orages.
Sur les interfluves adoucis de ces mêmes reliefs, gisent çà
et là quelques artefacts en quartz saccharoïde, en jaspe ou en
grès, qui sont très légèrement à faiblement usés (ill. 5 à 10)
et qui peuvent se rapporter à une occupation moustérienne,
au sens large. De plus rares éclats très altérés et polis par le
vent constituent les rarissimes reliques acheuléennes d’un
Paléolithique inférieur indéterminé dans le temps (ill. 4).
Le peuplement paléolithique
Les lacunes concernant les industries du Paléolithique supérieur et de l’Épipaléolithique-Mésolithique sont donc
d’autant plus remarquables que la probabilité d’occupations masquées par un piégeage dans le sous-sol est très
faible.
- Observations sur les remplissages sédimentaires du
secteur central, à Montalba
Certains éléments détritiques nous ont semblé pouvoir
témoigner de très anciens apports sédimentaires allogènes au cœur du plateau. Ce sont des quartz émoussés de
dimensions modestes (très rarement plus de 10‑15 cm
pour les plus gros éléments, de la taille d’un gros gravillon pour l’essentiel) qui sont affectés d’une profonde
patine brune à violacée, tous ayant été polis, voire carénés
par l’érosion éolienne. Toutefois, alors que ces éléments
sont très présents dans certains chaos situés près des dépressions humides, tel celui de Ropidera, au sud du Mas
Molins, par exemple, ils sont absents à la même altitude
dans certains secteurs voisins, en particulier autour du
Serrat blanc. Cela pourrait signifier que la plupart des
quartz érodés proviennent du démantèlement sur place
des puissantes digues de quartz qui parcourent cet espace selon des axes précis (cf. carte géologique, chap. XI).
C’est en particulier le cas pour des blocs émoussés déjà
très usés, mais encore peu patinés et qui présentent des
marbrures rouges (oxydation dans les fissures) car ils se
trouvent toujours près de ces filons de quartz. D’ailleurs,
parmi les éléments fortement usés et patinés des secteurs
déprimés, s’observent aussi les roches les plus dures et
cohérentes du substrat immédiat (nodules de gabbro,
microgranites acides, gros cristaux d’orthose, etc.). Il ne
s’agit donc probablement pas de galets de rivière.
Il existe cependant des matériaux plus sûrement étrangers au substrat géologique dont la présence peut avoir
une origine naturelle ou anthropique. Pour les quartzites
gris, les calcaires, les schistes durs et de très rares et minuscules fragments très érodés de marne noire indurée ‑ une
cornéenne provenant des séries albiennes du synclinal de
Boucheville qui affleurent vers l’amont, à 2 km au nord
de Montalba ‑ un transport naturel peut être envisagé,
mais sans certitude. Du reste, un lambeau de ce que nous
interprétons comme un ancien lit de rivière, se trouve en
limite du brûlis, entre Las Planas et Las Caneletas, sur le
flanc nord-occidental du plateau. Il semble correspondre
à un très ancien méandre du Tarerach, aujourd’hui per-
ché au-dessus des cuvettes du plan principal. Les galets
issus de ces matériaux exogènes sont rares, peu roulés
et très altérés (alt. 500 m, cf. ill. 2). Nous n’y avons pas
trouvé d’industries.
Au cœur du plateau, ces galets de roches exogènes ont
été piégés dans les chaos et sur les flancs des dépressions.
Quelques galettes de schiste dur, des quartzites, des nodules émoussés de cornéennes, ainsi que deux galets de
calcaire, proviennent vraisemblablement de l’amont, avec
des ruissellements venus du nord. Par contre, le seul petit
galet de gneiss trouvé dans ces mêmes chaos a certainement une origine anthropique car le massif du Canigou,
où ces roches affleurent, se trouve séparé du plateau par
la vallée de la Têt ; les épandages possibles de ces roches
avant le soulèvement du plateau à la fin du Miocène sont
trop anciens pour que ce type de roche n’ait pas été météorisé. Les débris de jaspes ferrugineux, dont les gisements se trouvent aussi sur le flanc opposé de la vallée,
dans les remplissages pliocènes flanquant le Canigou audessus de Vinça, mais aussi de rares silexites et le seul
éclat de lave acide, de type rhyolite, sont des roches dures
qui peuvent être associées avec certitude à des transports
par l’homme pour la fabrication d’outils.
Il semble donc que l’essentiel des roches les plus dures
et les plus homogènes ait été usé sur place, alors qu’une
fraction, mineure, serait imputable à des écoulements
venant du nord, balisant les très anciens lits de rivières
actuellement encaissés dans leurs ravins. Seule une part
minime est donc imputable à des transports par l’homme.
Fracturés par le gel jusqu’à des tailles diminutives, éolisés
et patinés, les matériaux les plus tenaces se sont empilés à
divers stades d’usure en surface des dépressions lorsqu’elles
ont été évidées dans les altérites par l’érosion. Quelquesuns de ces résidus ont été bloqués par l’empilement des
chaos. Partout ailleurs, les ravinements les ont dispersés
sur les pentes. Sur le flanc sud du plateau, par exemple, il
s’en trouve sous forme d’amas dans les alluvions de petits
ruisseaux au niveau de replats entre deux verrous rocheux,
tel le ravin de Bosc negre (ill. 2). Mieux conservés dans ces
pièges, ces émoussés peuvent atteindre le double du volume de ceux trouvés sur le plateau et leur patine est souvent
effacée sur les angles par roulement dans les ruisseaux.
Ces roches tenaces ont été utilisées pendant la
Préhistoire, marnes indurées comprises, mais il semble
évident que les lourds outils du Paléolithique ancien,
choppers et chopping-tools qui auraient pu être aménagés
75
76
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre III
dans les galets de quartz, ont été très déformés par l’érosion au cours du Quaternaire, et surtout par la cryoclastie ;
ils ne sont plus identifiables en tant que tels aujourd’hui.
Quelques galets très altérés que nous avons recueillis, car
ils présentent des encochements ou une double patine, ne
peuvent prétendre à la qualification d’outil ou de nucléus
sans contestation. Curieusement, il semble donc que ce
soient les plus petits éléments, dont quelques éclats bien
formés à l’origine, mais difficilement reconnaissables
aujourd’hui, qui ont survécu ici lorsque la pente n’était pas
trop forte pour les entraîner ou qu’ils ont été retenus par
quelque entassement de boules granitiques (ill. 4).
Le relief du plateau, fortement érodé sur les inflexions
de sa marge méridionale à la fin du Tertiaire, au vu des
puissants épandages sédimentaires à mégablocs du piémont (site de Casesnoves et « orgues » d’Ille-sur-Têt), n’a
donc pas été bouleversé dans ses grandes lignes en son
centre au cours du Pléistocène moyen et final. C’est du
moins ce que tendent à montrer les roches usées et patinées les plus dures et cohérentes au voisinage de leurs gîtes, tout comme la présence des très vieux artefacts dans
le même état. L’incision des rivières dans le socle sous l’effet de la poussée tectonique, la dispersion des fines avec
le ruissellement sur les versants adoucis et leur ablation
éolienne dans les secteurs déprimés, représentent sans
doute les érosions quaternaires majeures.
- Les restes alluviaux très anciens sur la marge méridionale du plan granitique
Au bord de l’escarpement de faille de la Têt, sur la
progressive rupture de pente qui domine les abrupts, on
retrouve quelques éléments alluviaux épars, piégés par
les chaos rocheux. Ce sont des galets de roches granitiques, schisteuses, quartzeuses, y compris de gros galets
de quartz saccharoïde blanc et de quartzite gris bleuté.
Les rares quartz et quartzites ne sont pas patinés (pas
de patine ferrugineuse ocre ou violacée). Nous les avons
d’abord identifiés dans le bâti des ruines médiévales du
village de Ropidera à Las Cases, où les galets de granite
sains sont relativement nombreux (altitude 400‑430 m,
commune de Rodès). Ces galets, d’assez gros calibre et
fort peu altérés, nous ont logiquement semblé provenir
des alluvions actuelles du fleuve avec d’autres apports anthropiques médiévaux, ce qui est le cas pour l’ardoise et le
calcaire destiné à fabriquer la chaux.
En réalité, ces roches siliceuses rares gisent tout au
long de la principale inflexion du plateau, face à la plaine,
entre la côte 350 m à l’amont (Vinça) et 250 m à l’aval
(Ille-sur-Têt). En limite du brûlis, une « vieille terrasse démantelée » a été signalée au-dessus du barrage de
Vinça (La Coste, alt. 330 m), près de l’ancien chemin de
Marcevol (Blaize 1990). Mais ces alluvions comprennent de très rares galets de quartz patinés. Au-dessus
de Casesnoves (commune d’Ille-sur-Têt), un semis très
discret de galets non patinés surmonte immédiatement,
à l’altitude 270‑250 m, une belle coupe faite par un ruisseau dans les apports détritiques latéraux du versant,
des sables arkosiques à mégablocs du Pliocène terminal.
Ces reliques de nappe fantôme correspondent donc peu
ou prou au toit du Pliocène, si nous les comparons au
sommet des buttes tertiaires dans les bassins de Vinça
et de Rodès, lequel s’établit à la côte 345 m au Serrat d’en
Molins (Vinça) et à 301 m au Château de Rodès. Dans la
plaine d’Ille, le sommet des « orgues » culmine à 245 m.
Vu leur dispersion, il est impossible de savoir si ces galets épars correspondent aux apports longitudinaux
d’une paléo-Têt pliocène ou à ceux du Quaternaire ancien. Nous avons constaté pour les quartz qu’ils constituent le matériau de base des plus vieilles industries paléolithiques dans la vallée, ce que nous verrons plus loin.
L’absence de patine sur les roches dures des alluvions
associées aux plus hauts niveaux du Quaternaire a déjà
été signalée (Collina-Girard 1975‑76). Elle pourrait se
rapporter à la nature des sédiments fins encaissants, les
arènes acides du plateau en particulier, qui auraient empêché le dépôt d’une patine, mais aussi à l’érosion des
horizons pédologiques anciens.
Dans tous les cas, à l’aval des gorges de Rodès, on retrouve en rive gauche, sur les flancs de l’abrupt granitique,
vers 210-200 m d’altitude (+ 40 m du fleuve), des restes
de nappes sédimentaires qui correspondent à une phase
alluviale tardive de type T2 (Riss alpin). La surface a livré une abondante industrie paléolithique non éolisée et
systématiquement taillée dans des galets de quartz non
patinés. Les quartz de la terrasse T2 étant fort rares et
un peu plus altérés, ces derniers semblent donc avoir été
ramassés dans ce type d’alluvions perchés au-dessus des
terrasses quaternaires. Ces outils seront présentés avec
les remplissages quaternaires de la vallée.
Le peuplement paléolithique
II.2 - Typologie des industries paléolithiques du plateau
de Montalba-Tarerach
Sur le Plan de Tarerach (Mas Llosanes et Valat de la
Figarassa), une prospection de contrôle sur des parcelles
défrichées et le plus souvent nivelées avec des engins mécaniques, a permis de détecter la présence d’industries
moustéroïdes en quartz, peu altérées et très proches de
celles rencontrées sur le plateau de Montalba. Ces industries sont peu abondantes et également dispersées,
en présence ou pas des sites de la Préhistoire récente
(ill. 2). Le néocortex des galets de quartz saccharoïde
utilisés, matériau absent du substrat géologique immédiat, est parfois légèrement patiné. Ces galets peuvent
provenir des vieilles terrasses quaternaires de la vallée,
dans les environs de Rodès, puisque les industries sur
galets patinés ne se trouvent vraiment que là.
Sur le plan de Montalba, la petite série retenue pour
la Préhistoire ancienne a été divisée en deux lots. Le
premier, nettement à fortement éolisé (stades 3 à 4) et
parfois patiné, regroupe une poignée d’éclats (ill. 4) ainsi
qu’un galet denticulé très altéré (non figuré). Ce lot peut
être mis au compte d’un Paléolithique inférieur, au sens
large, car il a subi de longues périodes d’altération et/ou
d’abrasion, des états d’érosion qui peuvent correspondre
à la fin du Pléistocène moyen et au début du Pléistocène
final. Dans ce cas, la quasi-absence de galets aménagés
ou de nucléus est problématique, comme nous l’avons
vu.
L’autre série est plus représentative, quoique peu étoffée également, soit une trentaine de pièces. Elle regroupe
des artefacts faiblement usés et exempts de patine sur
les enlèvements, principalement des nucléus et des produits du débitage discoïde. Quelques-uns, plus proches
du mode Levallois, sont de facture nettement moustérienne (ill. 5 à 9) ; d’autres seront qualifiés de « moustéroïdes », ce qui est assez peu discriminant, il faut bien
le reconnaître, mais comment faire autrement ? Ces artefacts ne peuvent être mis en phase avec d’autres époques.
L’émoussé prononcé des éclats de cornéenne de ce lot est
moins signifiant que pour les roches plus siliceuses, ces
marnes albiennes indurées étant plus sensibles à l’altération chimique dans le sol (ill. 9). Au total, cette industrie sur quartz, ou grès-quartzite, très peu usée, pourrait
témoigner d’une fréquentation du plateau à partir de la
vallée du Tarerach pendant la dernière glaciation alpine
et l’interstade qui la précède.
En effet, l’essentiel des outils « moustéroïdes » de la
plaine du Roussillon, en particulier dans le bassin du
Réart où ils forment la part la plus copieuse des assemblages paléolithiques mélangés, ne sont guère plus
émoussés que ceux du plateau de Montalba (stades 1
à 2), alors que le creusement des dépressions hydroéoliennes par les vents violents est envisagé jusqu’à la
fin du dernier glaciaire. Les artefacts Levallois en silex
qui sont associés aux plus grosses concentrations dans
la plaine, pour une valeur de 2 sur 1 000 environ, ne
sont jamais éolisés, mais au contraire en très bon état de
fraîcheur (Martzuff 2004). L’éolisation, qu’il faut bien
distinguer des pièces roulées dans les alluvions ou les
chenaux de ruissellement, semble donc n’avoir provoqué que très peu de dégâts sur les industries en quartz
dans cette région depuis 100 000 ans et quasiment
aucun après 50 000 ans.
III - Le peuplement paléolithique
dans la plaine du Roussillon, à Illesur-Têt et à Bouleternère
L’espace alluvial de la vallée fut à peine effleuré par
l’incendie sur ses marges. Le cours de la Têt s’encaisse
dans des dépôts fluviatiles inégalement conservés selon
que l’on se place en amont ou en aval du col de Ternère
(Ternera). En rive gauche et jusqu’au débouché des gorges de Rodès sur le Roussillon, l’encaissement rectiligne
du fleuve dans le substrat cristallin a quasiment anéanti
tous les remplissages alluviaux qui ne sont conservés
que par lambeaux sur les flancs de la pente et parfois
sous forme de galets dispersés sur le substrat rocheux,
comme nous l’avons vu. Vers l’aval, au contraire, apparaissent sur cette rive gauche les couches tertiaires qui
forment le site spectaculaire des « orgues », à Ille-surTêt ainsi que quelques tronçons de terrasses quaternaires.
En rive droite, c’est en quelque sorte le contraire.
Les alluvions quaternaires sont emboîtées, à Vinça et
à Rodès, dans les puissantes strates du Miocène et du
Pliocène qui ont comblé le fossé du Conflent et qui arment encore le piémont du Canigou. Sur cette même
rive droite, en aval du défilé de La Guillera et du col de
Ternera, les remplissages du Tertiaire ont par contre été
excavés à la jonction du Boulès et de la Têt, où il ne reste quasiment plus que le substrat rocheux paléozoïque.
77
78
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre III
Ces accumulations ayant été totalement balayées par
l’érosion, les dépôts étagés des bas niveaux quaternaires
qui occupent largement la plaine d’Ille-sur-Têt ont été
mis en place au cours des deux derniers cycles alpins.
Dominant le cours du fleuve d’une vingtaine de mètres, le plan alluvial le plus développé en surface est
relativement jeune puisqu’il peut être daté du premier
Pléniglaciare würmien (vers 60 000 ans). C’est pourquoi les sols bruns y sont fertiles et ils le sont d’autant
plus que ces terres, situées hors d’atteinte des terribles
crues post-glaciaires, ont été irriguées dès la fin du
Moyen Âge. Ce sont les verrous de Vinça et de Rodès
qui commandent en effet la distribution des eaux d’arrosage par gravité sur une bonne part de la plaine du
Roussillon où les canaux traversent successivement vers
l’aval, et jusqu’à Perpignan, au moins deux plans de terrasses plus anciens.
III.1 - Les restes ambigus de très vieilles formations quaternaires en rive gauche de la Têt
Au-dessus de la zone à rares galets quartzeux « frais »
sise sur la rupture de pente méridionale qui flanque le
plateau, nous n’avons pas trouvé de galets patinés ou
de traces de sols altérés qui pourraient témoigner de
l’ancrage de très vieilles formations quaternaires sur ce
versant entre les côtes 350 et 400 m. Mais nous ne les
avons pas systématiquement recherchées. En réalité, la
géométrie des remplissages alluviaux du Quaternaire
ancien, entre 2,2 et 0,7 millions d’années (peu ou
prou l’ex-Villafranchien), nous échappe, et pas simplement dans cette vallée. Une large part de cette phase
du Pléistocène est lacunaire. En effet, la plus vieille
formation alluviale du Quaternaire dans la plaine du
Roussillon coiffe, sous forme d’une haute terrasse (T5),
les buttes témoins du Tertiaire dont les molasses sableuses sont datées d’une première moitié de l’étage
pliocène (Zancléen, 5,3 à 3,5 millions d’années) par la
végétation et la faune fossile au toit de cette série (Serrat
d’en Vaquer). Entre 3,5 et 1,5 Ma, les changements climatiques (ici l’accentuation d’un climat contrasté avec
froid hivernal, abats d’eau et sècheresse), mais surtout
une tectonique compressive très active, avec un soulèvement généralisé depuis les montagnes, expliquent
sans doute l’ablation des accumulations sédimentaires
en plaine, à la charnière Pliocène-Pléistocène sous l’effet
d’une très puissante érosion. Sur de petits reliefs haut
perchés, les plus anciennes terrasses résiduelles d’une
paléo-Têt quaternaire sont donc mal datées de la fin du
Pléistocène ancien, entre 1,5 et 0,7 millions d’années.
Dans la plaine d’Ille-sur-Têt, les plus vieilles alluvions quaternaires couronnent les orgues d’Ille-sur-Têt
à Mata Rodona (T5, alt. 244 m). Les deux moignons
de terrasse sont perchés sur les sables et les galets des
épandages tertiaires et se trouvent séparés de quelques
mètres en hauteur par un décrochement de faille transverse, preuve qu’une tectonique plus modérée continue
à jouer (Calvet 1988, p. 12, 1996). Ce secteur se trouve
hors limite du brûlis actuel, dans le maquis, et nous ne
l’avons pas prospecté. Donnés comme les plus anciens
pour le Quaternaire du Roussillon sur la carte géologique au 1/50 000, ces restes alluviaux de Mata Rodona
sont caractérisés par de gros galets de gneiss « friables
ou réduits à l’état de fantômes (...) emballés dans une
argile rouge vif » et les « quartz restés en surface sont
couverts d’une épaisse patine ferrugineuse ou rouge
violacée » (Calvet 1988, 1994). Selon une nomenclature prudente, cette formation T5 d’Ille-sur-Têt,
qu’une forte altération corrèle – faute de mieux – à un
« Villafranchien terminal », se prolonge vers l’aval sur
cette rive gauche jusqu’à celle du Mas Ferréol, au Nord
de Millas. Dans ce secteur apparaissent aussi les lambeaux d’un plan T4, alors que vers la mer, de grands
plans de terrasse T3, démultipliés en quatre niveaux
au nord de Perpignan (La Llabanère), sont plus ou
moins clairement rapportés par différents auteurs au
Pléistocène moyen, mindélien dans la nomenclature alpine (entre 600 et 300 000 ans).
Toutefois, dans sa thèse, Jacques Collina-Girard signale en 1975 que les galets de quartz d’un de ces témoins perchés sur les « orgues » ne montrent pas plus
de patine que ceux des alluvions tertiaires sous-jacentes
auquel il les assimile. Un « épannelé bifacial d’une très
belle symétrie » a été récolté sur cette surface en 1968
(Blaize 1985b). Ce galet aménagé n’a cependant pas été
mentionné par Collina-Girard, probablement à cause
de l’attribution de cette formation alluviale en totalité
au Tertiaire. D’ailleurs – toujours d’après cet auteur – la
terrasse quaternaire ancienne la plus proche, celle du
Mas Ferreol à Millas, est peu colorée et rappelle aussi
les alluvions tertiaires où les quartz auraient « subi une
perte de patine secondaire », alors que ceux des plus
vieilles terrasses de la plaine côtière, à Cabestany, sont
Le peuplement paléolithique
« tous affectés par des profondes patines lie-de-vin, caramel ou orangées » (Collina-Girard 1975). L’exiguïté
des vestiges de ces plus hauts niveaux quaternaires dans
cette partie du bassin de la Têt, et leur proximité stratigraphique avec les alluvions arkosiques du Pliocène,
posent par conséquent de sérieux problèmes pour identifier les vieilles industries paléolithiques selon le seul
critère de la patine, comme nous le verrons.
L’épandage alluvial T5 de type Mata rodona représenterait donc, vers le milieu du Quaternaire semble-t-il,
une nappe très peu épaisse et probablement très large.
Selon Marc Calvet, elle correspondrait sans doute bien
plus à la divagation du fleuve au sein de chenaux en tresse lors d’une stase dans les crises tectoniques soulevant
le massif, qu’à une puissante accumulation d’alluvions
dans un lit bien tracé, d’autant que les glaciations anciennes semblent avoir été jusqu’alors peu sévères sous
cette latitude. Lors des poussées suivantes, le surcreusement de la vallée par un régime fluvial de forte énergie,
mordant sur des piémonts encombrés d’alluvions grossières accumulées en périodes froides, a brutalement
incisé les hauts niveaux par un balayage très large au
sortir des gorges de La Guillera, rejoint par les apports
du Boulès, dévalant des contreforts du Canigou (Calvet,
op. cit.). Cette violence peut expliquer que l’on ne retrouve aucun mélange de galets quartzeux à patine prononcée dans les alluvions T2 et T1 de cette plaine d’Ille
où l’érosion fluviatile semble avoir totalement vidangé
les formations du Pléistocène moyen (divers plans T4
et T3).
Il n’est donc pas étonnant que les industries acheuléennes patinées et éolisées fassent absolument défaut sur cet espace, y compris en position secondaire,
contrairement à ce qui est le cas dans la basse plaine
du Roussillon, en particulier dans le bassin inférieur du
Réart (Martzluff 2004, 2006). En effet, au centre de la
plaine littorale, entre les bassins du Tech et de la Têt,
l’érosion progressive des buttes témoins des très anciennes nappes T5 et T4 a libéré les quartz très altérés, repris dans les chenaux creusés sur les glacis pliocènes qui
les encadrent, pour les mêler à ceux des grands plans
de terrasse postérieurs, et en particulier à T3. Ici par
contre, les très anciennes alluvions sont donc parfaitement déconnectées des formations suivantes qui apparaissent entre 30 et 40 m en contrebas.
III.2 - Les épisodes T4 et T3 sont-ils totalement lacunaires ?
Bien qu’il n’existe dans le relief de ce secteur aucun plan
de terrasse pouvant être rapporté à cette très longue séquence du Pléistocène située entre T5 et T2, soit au bas
mot un demi‑million d’années, voire le double, certains
indices permettent de suggérer qu’il en reste quelques
traces sur le flanc oriental de la colline de Rodès.
- Sites du ravin de Les Collades et de Naret
En limite occidentale de la plaine d’Ille, au débouché
des gorges de La Guillera, nous avons observé en rive
droite une flaque sédimentaire très altérée, accrochée au
substrat pliocène sur un replat, à ras des affleurements du
socle (alt. 230-235 m, ill. 2). Le sol rougeâtre est nourri
en galets de quartz et les roches granitoïdes décomposées
ont produit en surface une arène. Très curieusement, ces
quartz ne sont quasiment pas patinés, pas plus en tout
cas que ceux de la Têt actuelle ou ceux provenant de la
masse alluviale tertiaire. Une grande part des galets a été
transportée vers l’aval, semble-t-il, dans un chenal qui
traverse un lambeau de remplissage sableux surmontant
des alluvions à très gros blocs. Ces derniers s’appuient
sur le socle granitique et semblent, pour leur part, antéQuaternaire (coupe du ravin de Les Collades, alt. 220 m,
et coupe faite au bulldozer dans un verger).
Ce site fut touché par l’incendie. Il a livré quelques
éléments d’une industrie faiblement érodée sur galet
de quartz, mais sans patine, comme ceux du substrat
(ill. 11). Ils sont affectés d’une légère usure, probablement fluviatile et sont associés aux restes d’un débitage
d’éclats en meilleur état de fraîcheur. Or, ces quartz
taillés, accompagnés de quelques éclats de jaspe, sont représentés le long du même versant de l’échine tertiaire,
depuis les gorges de La Guillera jusqu’au col de Ternère.
Vers le sud, une industrie dispersée et dotée de mêmes
états de surface, gît en position secondaire au débouché
de grands évidements faits par les ravines (secteur de
Naret, alt. 250‑200 m). Près du col de Ternère, au-dessus
de la chapelle Sainte-Anne, Marc Calvet signale l’ancrage
d’une terrasse T3 (chap. II et ill. 2)
Il faut avouer que nous ne savons pas interpréter
ces traces sédimentaires rubéfiées enrichies en galets
de quartz non patinés et liées aux industries taillées
dans ces roches alluvionnaires. Elles semblent nettement amputées de la part altérée et éolisée en surface.
79
80
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre III
Ille-sur Têt La Guillera, alt. 235 m
Quartz saccharoïde blanc,
Pièce roulée, stade 2
Pseudo-cortex à léger voile terne
Fissures nappées d’oxyde orangé
Pièce brûlée. Un enlèvement frais
Chopping-tool ou amorce de nucléus discoïde
11 - Colline de Rodès, industrie localisée entre les côtes 340-330 m (formation T3 ?).
Le peuplement paléolithique
C’est d’autant plus troublant qu’il s’en trouve un écho
dans le bassin de Rodès, sur une bande située à la même
altitude (autour de 230‑240 m) d’où proviennent les
principales concentrations d’industries à pebble tools
déjà publiées (cf. ci-dessous, IV.1, IV.2 et ill. 2). S’agitil d’un ancien bas de pente se branchant sur un plan
alluvial T3 ?
L’industrie obtenue à partir des galets de quartz non
patinés que libèrent ces sols rougis donnant sur la plaine
d’Ille pose d’ailleurs problème. Les séries se divisent en
deux lots selon leurs états de surface : soit les artefacts
sont affectés par une usure nette, mais peu prononcée, dérivant d’une érosion par roulement (dièdres plus usés que
les négatifs), soit ils sont en assez bon état de fraîcheur.
La série roulée, minoritaire, comporte de gros choppingtools, de forts éclats ou des débris (ill. 11) ; la série fraîche
ne se distingue du lot que par des nucléus, parfois volumineux et de plus nombreux et plus petits éclats bien formés. La gestion des galets épannelés est voisine de celle
le plus souvent rencontrée sur le plan T3 en Roussillon,
parfois discoïde, elle tend vers une exploitation proche du
mode Levallois ou Quina. Aucun mélange avec des industries du Tardiglaciaire ou de l’Holocène n’est associé à
ces gisements mal conservés in situ.
III.3 - La séquence rissienne T2
Les formations alluviales suivantes ne sont que peu
étendues, une trentaine de mètres en contrebas des traces ponctuelles des hauts niveaux quaternaires. Datées
du Würm ancien sur la carte géologique au 1/50 000
(Berger et alii 1993), elles correspondent plus vraisemblablement au plan T2 de Thuir, soit à un Riss alpin terminal (Calvet 1996). L’une de ces terrasses a conservé un
gisement paléolithique probablement en place.
- Rive droite : le plan des Escatllars et de Borbona (gorges
de La Guillera)
La nappe la mieux conservée est la butte des Escatllars,
sur la rive droite. Elle sépare le lit de la Têt de celui du
Boulès (alt. 180-190 m). Elle réapparaît plus loin en
aval vers Corbère-les-Cabanes. Entre le fleuve qu’elle
domine par un abrupt de 30 m et la voie ferrée qui la
longe, au sud, elle prend un pente de direction méridienne. Reposant sur les sables tertiaires, l’accumulation
sédimentaire imputable à la Têt est plus épaisse vers le
nord. Au sud, le faible remplissage de la zone déprimée
aval s’appuie sur un pointement schisteux du socle paléozoïque (ill. 2). En coupe, dans un sol altéré de teinte
ocre, les galets de gneiss, de granites et quelques schistes
durs sont cohérents, mais déjà bien cariés ; les quartzites bleus ou gris sont faiblement patinés de brun et les
quartz, assez rares, ne le sont que très faiblement par
un voile blanchâtre mat, parfois beige clair de tonalité
« coquille d’œuf ».
Dans cet épandage isolé au centre la plaine et bien
séparé des flancs de la vallée par les lits de la Têt et du
Boulès, on ne trouve donc ni dreikanters, ni galets de
quartz à profondes patines rouges ou violacées en position secondaire. Seuls quelques rarissimes gros galets
quartzeux (40 cm) couverts d’une mince patine jaunâtre
à orangée pâle, peuvent attester d’un discret mélange avec
une formation plus ancienne. En surface, de très rares petits galets de quartz (5‑10 cm) portant des patines de cet
ordre sont mieux représentés vers le sud, dans la partie
aval de la formation, avec une plus grande proportion de
petits galets de schiste. Ces derniers apparaissent en coupe dans les poches de limons beiges, ce qui laisse à penser
qu’il s’agit là d’une part imputable au Boulès. Repoussé
par les alluvions de la Têt, le cours de celui-ci s’est progressivement encaissé vers le sud, dans le socle schisteux
des Aspres.
Le plan T2 des Escatllars, peu propice aux mélanges
suspectés sur les échines tertiaires du bassin de Rodès,
mais sensiblement bouleversé par la remise en culture à
la fin du XXe siècle, n’a fourni que des fragments d’éclats
atypiques très dispersés et un éclat retouché, pièces qui
ne sont toutes que très légèrement usées. Ce sont les seuls
échos d’une présence paléolithique sur quelques secteurs
bien lisibles. L’examen rapide des puissants tas d’épierrement n’a rien donné de mieux. Cet interfluve semble
donc avoir été peu attractif au Moustérien, après la phase
rissienne de dépôt des alluvions.
Toujours en rive droite, une étroite bande du même
niveau alluvial est conservée au débouché des gorges de
La Guillera, où elle est partiellement recouverte par des
colluvions du versant (alt. 200 m, coupe au bas du ravin
de Les Collades). Malgré leur excellente situation topographique sur le flanc du défilé, ces lambeaux, en partie
remaniés au buldozzer et peu touchés par l’incendie, sont
difficilement exploitables en prospection du fait de leur
mise en friche. Ils n’ont rien livré de très probant hormis
un ou deux éclats de quartz non usés.
81
82
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre III
- Rive gauche, les restes de terrasses T2 à la confluence
du Bellagre
Au débouché du Bellagre sur la Têt, la séquence alluviale rissienne de type plan T2 est bien attestée de part
et d’autre du torrent (alt. 200 m). Encastrés sur le flanc
granitique du versant, les lambeaux de terrasse T2 surmontent d’une quinzaine de mètres les restes de la haute formation T1, que l’on peut dater du Würm ancien.
La terrasse rissienne qui se trouve sur la rive gauche du
Bellagre est dédoublée en deux paliers par un ressaut de
deux mètres. Facilement accessible, elle a été défoncée par
un charruage profond. Le sol étant déjà peu lisible lors de
la prospection, nous n’avons pu répertorier qu’une rare
industrie moustérienne dispersée, composée de quelques
petits éclats de quartz et de jaspe très faiblement usés.
À la même altitude sur le versant opposé, en rive droite
du torrent, cette formation T2 est restée en partie boisée malgré l’incendie. L’absence de chemin carrossable
fait que la surface du replat anciennement cultivé ne fut
qu’égratignée à l’araire. Bien lisible au sol, la terrasse est
exiguë. Elle s’ancre sur le versant abrupt du Bellagre et
déborde le long de la Têt sous forme d’une lanière étroite
s’allongeant sur le versant, face au sud, bien abritée d’une
tramontane qui balaye le plateau 45 jours sur 100 en
moyenne. En amont, vers les gorges de Rodès, elle est
recoupée par des ravines qui dégagent de bonnes coupes où le remplissage sablo-argileux roux emballe une
composante pierreuse où dominent les galets de gneiss
cariés, avec de rares quartz peu patinés. La formation se
perd très vite le long d’un chaos granitique dont les blocs
ont très probablement servi d’abri. En effet, une seconde
concentration d’artefacts se trouve au pied de ce chaos.
Sur sa surface la plus large, ce plan est incliné dans le
sens de la pente. Vers la coupe, au-dessus de la vallée,
l’érosion a enlevé les fines et l’on touche presque la racine
caillouteuse alors que vers le versant, au nord, les colluvions sableuses ont atterri sur ce piémont, masquant l’ancienne surface alluviale sous plus d’un mètre de hauteur.
Il en résulte que l’industrie est plutôt concentrée dans
une bande centrale, là où l’araire a pu toucher le niveau
archéologique faiblement enfoui sous une vingtaine de
cm. Vers l’aval, ce niveau a probablement disparu. Nous
supposons qu’il a été protégé en amont.
L’industrie ne présente aucun stigmate d’usure, fait
remarquable qui renvoie très probablement à sa bonne
conservation en sous-sol. La présence de minuscules
éclats, tout comme le remontage d’un casson à fracture
Siret, attestent qu’il s’agit bien là d’un site primaire. Ce
lot compte 203 artefacts pour une masse de 9 680 g,
dont 51 ex. (2 720 g) pour la partie sise au bas du chaos,
laquelle ne présente pas de différence typologique, ni
pour les roches utilisées (sauf les granitoïdes), ni pour
les processus de débitage, ni pour l’outillage. Cette industrie résulte principalement, soit pour 177 ex. (87 %,
6 973 g), de l’exploitation de plusieurs variétés de quartz
pris sous forme de galets non patinés. Ces matériaux
sont rarement bleus (5 ex.) et représentent pour l’essentiel un quartz blanc saccharoïde comportant des cristaux hyalins, des adhérences granitiques et des fissures
nappées de placages verdâtres (chlorite ?) ou d’oxydes
de fer diffusant dans le matériau des colorations rosâtres ou orangées. Un quartzite gris à grain fin, mais très
fissuré, que l’on peut trouver dans le ruisseau de la Font
del Farre à Reglella, est simplement attesté sous forme
de galet et par un percuteur allongé et lourd dont les cupules médianes sont associables à la percussion posée.
Les 5 petits éclats de jaspe ferrugineux du Canigou sont
plus fréquemment transformés en outils (3 ex., ill. 16,
n° 6 et 7). L’élément remarquable, outre l’absence totale
de silexites, est la présence d’un percuteur et d’un débitage d’éclats (20 ex.) qui furent tirés d’un filon local de
microgranite (ill. 15, n° 1).
Le débitage n’est pas Levallois, rarement discoïde et
relativement opportuniste aux dépens de formes prismatiques, proches du mode Quina (ill. 13). Les 15 nucléus sur galets ou sur débris ont produit des éclats bien
formés aux talons parfois dièdres ou facettés (ill. 13, 14
et 16). Sur les quartz, la phase préparatoire (21 éclats
corticaux) et les éléments fracturés (78 cassons et débris)
laissent une bonne place au plein débitage dans le lot des
177 produits de taille, dont 13 sont retouchés. Sauf pour
les jaspes, la part des éclats épais (> 1 cm d’épaisseur), est
relativement importante, de même que celle des éclats
dépassant 3 cm d’extension (94 ex.). La percussion posée
est attestée pour le débitage de petits galets (ill. 14, n° 2),
mais la pièce esquillée est absente.
Sur un total de 25 outils, on ne trouve que 3 galets aménagés,dont l’un diminutif,qui sont difficiles à isoler des nucléus,
car peu typiques (ill. 12, n° 1 et ill. 14, n° 1). Les 18 éclats
et débris transformés le sont également, soit un bec, deux
éclats encochés, des petits racloirs sur éclats épais à retouche écailleuse plate, souvent inverse ou biface (ill. 15 et 16).
Le peuplement paléolithique
2
1
0
12 - Gisement paléolithique de la formation T2 (Riss alpin), terrasse du Bellagre. Nucléus en quartz saccharoïde blanc, le n° 1 sur galet non patiné est proche du chopping tool
(mais les enlèvements sont courts, rebroussés et discontinus), le n° 2 sur débris est prismatique et diminutif.
83
84
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre III
0
5
13 - Gisement paléolithique de la formation T2 (Riss alpin), terrasse du Bellagre. Nucléus en quartz et production de divers petits éclats - l’un retouché (n° 5) - dans le même
matériau saccharoïde blanc. Industrie fraîche au stade 1.
Le peuplement paléolithique
0
5
14 - Gisement paléolithique de la formation T2 (Riss alpin), terrasse du Bellagre. Galets aménagés en quartz saccharoïde blanc. La pièce n° 2 est un petit galet partagé par
percussion posée, puis retouché sur un bord, mimant le grattoir. Industrie fraîche au stade 1.
85
86
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre III
0
3
15 - Gisement paléolithique de la formation T2 (Riss alpin), terrasse du Bellagre. Outillages en microgranite local (n° 1), en jaspe (n° 4) et en quartz blanc saccharoïde. Bec (n° 5)
et pièces épaisses à retouche a posteriori (n° 1), inverses ou bifaces (2 à 4). Industrie fraîche au stade 1.
Le peuplement paléolithique
0
3
16 - Gisement paléolithique de la formation T2 (Riss alpin), terrasse du Bellagre. Outils faiblement retouchés en quartz saccharoïde blanc, en lave acide (n° 5) ou en jaspe (nos 6
et 7). Courte retouche alternante et fréquemment inverse. Industrie fraîche au stade 1.
87
88
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre III
Cette industrie homogène est très probablement antérieure
au dernier glaciaire. Sous réserve d’autres éléments chronologiques plus sûrs, elle pourrait se rattacher à un moustérien
ancien du Riss ou de l’interglaciaire éémien, hélas fort mal
identifié en stratigraphie dans le Midi (Martzluff 2006). Le
mobilier associé à cet ensemble lithique se résume à une
plaque de chloritoschiste vaguement épannelée, 4 tessons
vernissés et 1 en porcelaine, 2 minuscules tessons à pâte
mal cuite et un petit fragment de tuile canal.
III.4 - Les formations würmiennes T1
Alors que, dans la basse plaine littorale du Roussillon,
les terrasses du dernier glaciaire sont pratiquement cantonnées au lit majeur actuel avec lequel elles se confondent,
voire sont masquées par les alluvions holocènes, elles ont
ici conquis un espace majoritaire perché au-dessus du fleuve d’une vingtaine de mètres. Comme dans le bassin du
Tech, le principal épandage du Würm est ici très proche
du niveau rissien. En rive droite, le haut niveau T1 forme
l’essentiel de la plaine d’Ille et s’étale en effet à moins d’une
quinzaine de mètres en contrebas du plan T2 des Escatllars
(alt. 175 m entre Ille et Bouleternère, 160 m à Ille et 130 m
à l’aval). Il s’agit d’une forte accumulation d’alluvions datable du premier pléniglaciaire würmien (Calvet, op. cit.).
Cette terrasse T1 touche en rive droite le lit majeur du
Boulès dont le cours avait déjà été dévié vers le sud. Nous
ne l’avons que très peu prospectée, les tests effectués
ayant été négatifs. Elle trouve son pendant en rive gauche,
dans la zone incendiée, sous forme de quelques lambeaux
accrochés aux flancs du versant granitique. Les surfaces
les mieux conservées sur cette rive bordant le plateau
de Montalba sont occupées par les sites médiévaux de
Casesnoves (alt. 160 m) et de Reglella (alt. 130 m) et donc
bouleversés par des habitats médiévaux. Deux replats T1
sont cependant attestés en amont de part et d’autre de
la confluence du Bellagre avec la Têt (alt. 180 m), immédiatement sous les restes de plan T2. Ils sont assez peu
lisibles et nous n’y avons quasiment pas trouvé d’industries préhistoriques. Sur la rive droite du Bellagre, le minuscule vestige de plan T1 a livré une poignée d’artefacts
en quartz, dont 4 éclats non usés et une pièce épaisse de
même roche à retouche biface, très roulée, qui rappellent
l’industrie de la proche terrasse T2. En face, sur le versant
dominant la Têt, au milieu de la friche du haut plan T1,
quelques quartz taillés atypiques et en bon état de fraîcheur sont associés à 4 tessons modelés.
III.5 - Les formations du second Pléniglaciaire würmien
et de l’Holocène
L’encaissement brutal de la rivière 20 à 25 m plus bas
se situe probablement après le premier Pléniglaciaire,
soit après 50 000 ans, et correspond à un phénomène
constaté par ailleurs dans la vallée du Tech, au niveau
du Boulou (Martzluff 2003) ou sur l’Agly, à Caramany
(Martzluff 1990). Cette incision caractérise donc des
fleuves côtiers au sortir des montagnes et forme ici avec
la Têt un véritable canyon après le défilé de la Guillera.
On ne sait trop quelle est la part d’héritage que doit cet
enfoncement à un sursaut tectonique ou à la forte variation eustatique (niveau marin à - 120 m) couplée à un
allègement de la charge sédimentaire du fleuve dans le
contexte d’un second Pléniglaciaire bien plus sec, autour
de 20 000 ans. Cette phase a laissé quelques banquettes
en position intermédiaire (deux plans successifs). Dans
tous les cas, les berges immédiates ont ici rétréci et, vers
l’aval, les surfaces alluvionnaires actuellement susceptibles d’abriter les traces d’habitats du Paléolithique supérieur se confondent quasiment avec le lit inondable
actuel (T0), lequel fut soumis à des crues extrêmement
violentes (Aiguat de 1940, par exemple).
IV - Le peuplement paléolithique de
la cuvette de Rodès
Il s’agit d’un compartiment de la vallée en Conflent
où le lit actuel du fleuve est très étroit et tendu entre les
deux verrous rocheux incisés dans le socle, celui d’amont
où est bâtie la chapelle Saint-Pierre (barrage de Vinça)
et le piton aval où s’ancre le château de Rodès (ill. 2). Le
petit bassin de Rodès a été excavé sur la rive droite dans
les accumulations détritiques du Tertiaire par un petit
tributaire dévalant du Canigou, le Riu Fagès ou rivière
de Rigarda, dont le régime est aujourd’hui celui d’un
oued. Au Pléistocène moyen (épisodes T4/T3), ce cours
d’eau pouvait déboucher directement dans la plaine du
Roussillon par le col de Ternère (M. Calvet, chap. II).
Ce secteur fut peu touché par les flammes (colline de
Rodès) et nous ne l’avons que peu prospecté. Toutefois,
la compréhension globale des industries répertoriées
lors de nos prospections dans la vallée ne peut ignorer
un cadre déjà tracé par les données publiées et sur lequel il faut revenir.
Le peuplement paléolithique
IV.1 - L’évolution des industries d’après les anciennes
recherches
Les copieuses industries « archaïques » du bassin de
Rodès avaient été données comme pré-acheuléennes
par Jacques Collina-Girard qui avait fait porter son
diagnostic sur la part éolisée des « stations » (CollinaGirard 1975‑76 et 1978). Yves Blaize, qui en est l’inventeur, a par la suite daté les séries altérées d’allure archaïque dans les débuts du Mindel (vers 600 000 ans), et les
autres séries « anté-würmiennes », dans un acheuléen
plus évolué du Riss final (Blaize 1985a, b, et 1987b).
Visiblement troublé par des concentrations livrant systématiquement des séries à différents stades d’altération
et d’usure pour une même altitude, il considéra d’abord
qu’il s’agissait d’un enfouissement plus rapide de certaines pièces (Blaize 1985a et b), puis qu’il valait mieux parler d’industries in situ que de stations (Blaize 1990).
C’est en effet plus raisonnable. L’érosion a logiquement
pu mélanger les artefacts anciens à ceux du bas de pente.
De plus, notre prospection du brûlis au sommet de la
butte tertiaire qui sépare le bassin de Rodès de la plaine
d’Ille, a permis de recueillir, sur les replats étalés au voisinage de l’ancien col de Ternère griffés par la sous-soleuse
lors des reboisements, quelques nucléus sur galets non
patinés et un débitage moustéroïde en bon état de fraîcheur qui ne présente pas de différences avec ce que l’on
trouve plus bas. Cela pourrait témoigner d’un parcours de
ces pentes chargées de matière première sur la très longue
durée. Toutefois, les recherches conduites par Yves Blaize
dans ce bassin pendant quarante ans ont montré qu’il
existait de véritables concentrations d’artefacts, tout à la
fois signifiantes de ces peuplements et d’une complexité
certaine quant à leur interprétation.
- La colline de Rodès
Les principaux gisements découverts anciennement se
focalisent en plusieurs sites sur le flanc de la butte tertiaire. Deux concentrations sont situées à mi-pente, entre 240 et 230 m d’altitude, l’une au-dessus du village
de Rodès, vers l’entrée des gorges de La Guillera (Los
Tourous, sites Rodès A et Rodès H‑H’, I‑I’), l’autre au col
de Ternère (Terra alba, sites Ternère B, C et D). La série
Rodès A regroupe 150 pièces éolisées et fortement patinées, dont 40 éclats. Elle provient, comme les concentrations voisines, d’un léger repli du versant dont le sol
rougi pourrait baliser l’ancrage d’une formation alluviale
ancienne au-dessus du village. Ce « niveau » situé sous la
côte 250 m a été attribué par l’auteur à une phase mindellienne ancienne sur la foi de très nombreuses pièces roulées ou très éolisées à patine orange sombre. La série usée
est cependant mêlée de toute évidence à des artefacts de
même type, mais non patinés et bien plus frais.
L’industrie du col de Ternère regroupe 300 pièces
concentrées à la même altitude dans les ravinements d’un
substrat tertiaire « arkosique ». Aux « galets aménagés »
s’ajoutent des éclats tout aussi érodés. L’absence de patine est analysée ici comme résultant d’une carence en
oxydes ferriques dans les sables feldspatiques tertiaires.
L’inévitable série fraîche comprend aussi deux racloirs en
jaspe et un nucléus en silex plus clairement moustériens
(Ternère D).
Bien en contrebas de cette ligne des 240-230 m, les
concentrations D et L touchent un replat plus étendu et
aujourd’hui urbanisé, qui s’étale entre les côtes 220‑215 m
au voisinage du cimetière du village. Cette formation de
Los Tourous a été interprétée par l’inventeur comme un
reste d’un plan T3 fini mindélien (Blaize 1987b) surmontant immédiatement un mince lambeau rissien T2.
Ces lots comprennent 25 galets aménagés éolisés dont la
patine « orange vif » a été notée comme exceptionnelle,
comparée à celle des industries supposées représenter ce
niveau. En effet, la série de Rodès E‑E’, présentée comme de l’Acheuléen supérieur, compte aussi de nombreux
choppers, des racloirs, encoches et pièces « bifaçoïdes »
non patinées et peu éolisées. Légèrement en contrebas,
sont mentionnées deux autres concentrations J et K dans
« une colluvion issue de la terrasse T2 sur T1 » (industries non décrites).
- La formation T2 du Riu Fagès
Sur le plan de Los Puigs baixos (alt. 230 m, fig 2), 15
galets aménagés sans éclats associés ont été récoltés par
ce chercheur (pas de descriptions, en particulier des patines). Ils complètent les découvertes faites sur ce même
versant du bassin par Jean Abélanet, à la même altitude,
mais près du col de Conillac/Saint-Pierre par où passe
la départementale (sites notés Saint-Pierre 1 et 2). Par
la suite, des sols rubéfiés situés en amont, vers la côte
245 m, livrèrent 12 pebble tools (non décrits). Ces gisements furent détruits lors du déplacement de la route
nationale faisant suite à la construction du barrage
(Blaize 1990).
89
90
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre III
- Rive gauche de la Têt, le gisement moustérien des Ànecs
Sur le versant sud du plateau granitique, face au défilé de Sant Pere, le même chercheur découvrit en 1970
une industrie sûrement moustérienne dans une vigne
perchée au-dessus du fleuve sur un décrochement rocheux qui avait conservé un lambeau sédimentaire
« résiduel de teinte rougeâtre ». Ce site des Ànecs fut
détruit en 1974 par les travaux de terrassement du barrage. Les 2 300 pièces de faible dimension comptent des
petits nucléus Levallois et des éclats retouchés typiques
à denticulés dominants. Au côté des quartz, les matériaux utilisés sont des quartzites, des jaspes du Canigou
et du silex dont il a été trouvé, lors des travaux, un dépôt de 40 petits rognons pas plus grands que 6 cm gisant sur une surface de 2 m2 (Blaize 1990). L’étude de
la série conservée à Tautavel indique la présence unique de quartzite gris, de jaspe et de phtanite (?) locales
(Duran 2002).
IV.2 - Problèmes chronologiques soulevés par les terrasses Quaternaires
à Rodès
Bien qu’il soit périlleux de s’appuyer sur l’altitude absolue des formations quaternaires (compte tenu de pentes
longitudinales fortes), tout comme sur la typologie des
industries de surface, pour établir une chronologie, il est
nécessaire de mettre le doigt sur quelques aspects problématiques soulevés par les interprétations qui en ont
été faites.
Les replats sommitaux des accumulations tertiaires
qui compartimentent la vallée à Rodès et Vinça avaient
été attribués à un « Plioquaternaire », puis à un postPliocène sur la carte géologique de Prades au 1/80 000
(Autran et alii 1968), car le flanc occidental est enrichi en
galets de quartz patinés qui ne peuvent pas être rapportés au Pliocène terminal. Marc Calvet pense que ces galets erratiques pourraient provenir de colluvions libérées
par d’anciennes formations quaternaires ayant nappé le
plan tertiaire vers 300 m lors d’une période très reculée
(M. Calvet op. cit. supra et ill. 2). En face, vers le sud, un
lambeau de haut niveau quaternaire perché sur le versant
paléozoïque du Canigou, vers 270 m, sous Domanova,
est donné sous toutes réserves comme T3 (Calvet, op. cit.
supra). Un âge plus ancien n’est peut-être pas impossible,
compte tenu de ce qui suit.
En effet, emboîté dans le Pliocène, le puissant épandage du cône affluent de la rivière de Rigarda, où s’encaisse actuellement le Riu Fagès, est bien conservé sur sa
rive gauche (site de Los Puigs Baixos). Yves Blaize avait
corrélé cette formation et ses rares industries au plan T3
(Blaize 1990). Près du pont du chemin de fer, une belle
coupe, haute d’une quinzaine de mètres laisse apparaître,
dans des sédiments rougeâtres, la racine altérée de ces dépôts. La surface est cependant riche en schistes et pauvre
en galets de quartz. D’après Marc Calvet, elle se raccorde
au plan T2 de la Têt. Cette accumulation semble trouver
un écho plus loin vers la confluence, au col de Sant Pere
de Conillac dans le contexte de placages argileux rouges
situés à la même altitude ou même un peu plus haut et livrant le même type de galets aménagés. Mais le problème
est que cette formation T2 des Puigs Baixos est logée à
240‑230 m, c’est-à-dire au même niveau, sous la côte des
240 m, où des concentrations d’industries acheuléennes
plus ou moins patinées ont été répertoriées juste en face,
au-dessus du village de Rodès, dans un contexte de sols
rougis dont nous avons également parlé pour le versant
dominant la plaine d’Ille-sur-Têt vers la même altitude.
Et en effet, les reliques sédimentaires liées à ces concentrations d’artefacts sont bien plus hautes et visiblement
plus anciennes (en réalité probablement rapportables à
un épisode T3) que les alluvions T2 de la Têt.
Or, à Rodès, c’est sur le petit replat des Tourous, logé
près du cimetière autour de 218 m, qu’il faut voir un
reste de terrasse T2 (ill. 2). Cela suppose donc sur une
distance de 500 m une pente importante de 2,2 % du
cône affluent entre Los Puigs Baixos et Los Tourous. Au
village de Rodès, cette formation est très proche du
plan T1 qui n’a rien donné ici de préhistorique en rive
droite. Par contre, sur l’autre rive de la Têt, la terrasse
des Ànecs, aujourd’hui détruite et qu’Yves Blaize hésitait à rapprocher du Würm, est attribuée au premier
plan T1 par Marc Calvet (+ 15 m de l’étiage, alt. 210 m,
d’après le plan de masse du barrage de Vinça). Puisqu’il
s’agit de la formation du Würm ancien qui fut suivie
d’un encaissement rapide du fleuve après le premier
Pléniglaciaire, entre 60‑40 000, comme partout ailleurs,
ce campement préhistorique ne pourrait donc être que
très tardif et cela peut être mis en rapport avec les matières premières (abondance des silexites) et la typologie de l’industrie moustérienne (caractère diminutif et
mode Levallois).
Le peuplement paléolithique
V - Le peuplement paléolithique du
bassin de Vinça et des berges du barrage sur la Têt
Une partie de cet espace déborde un peu du cadre cartographique présenté sur la carte, mais ne peut s’en séparer pour une compréhension globale. Il n’a été touché par
l’incendie qu’en rive gauche de la Têt, sur le versant sud
très abrupt du plateau de Tarerach, à la Coma d’Outreilla
(ill. 2). En rive droite, les alluvions quaternaires forment
donc un autre compartiment de la vallée du Conflent,
logé entre l’échine tertiaire de Conillac-Puigs Baixos s’appuyant sur le verrou granitique de Sant Pere où s’ancre
le barrage, vers l’est, et celle de Vente Farine – Serrat d’en
Molins, dominant vers l’ouest le ravin de la Lentilla et s’accrochant sur le piton cristallin du Castello. L’encaissement
du bassin entre les croupes tertiaires est sans doute dû à
un creusement de la Lentilla, avant que cette rivière ne
soit captée par le Llech, coulant à l’ouest, au cours du
Würm (T1). L’érosion fluviatile n’a ensuite que peu touché cette cuvette drainée par trois modestes ruisseaux :
Le Real-Sahorle, Les Escoumes et Le Conillac.
Mis à part la présence de quelques rarissimes galets de
quartz teintés d’une patine jaune pâle en position secondaire sur la terrasse T1, le long du fleuve, les industries
lithiques de ce bassin sont produites à partir de galets
de quartz ou quartzites non altérés et de galets de jaspes
ferrugineux issus de la vallée du Llech-Lentilla
V.1 - Les hautes terrasses du bassin
En amont, vers le sud et le village de Joch, un glacis T1
dérivant du piémont du Canigou ainsi que des sols limoneux bruns nappent les hautes formations alluviales de la
Lentilla qui sont rapportées au plan T2 et qui sont visiblement découplées en plusieurs niveaux jusqu’au village de
Vinça, entre les côtes 310 et 250 m, à partir de laquelle
s’étalent les nappes T1 de la Têt. Ce plan n’a pas été prospecté. Vers l’est, au débouché des gorges de la Lentilla à
Finestret et à sa confluence actuelle avec le Llech, dans la
commune voisine d’Espira-de-Conflent, une haute terrasse de la rive gauche (alt. 330‑350 m) est également donnée
comme rissienne. Elle s’emboîte dans des accumulations
détritiques du Néogène témoignant du démantèlement
des filons de quartz et de jaspes issus des affleurements
paléozoïques situés dans ce contrefort du Canigou, entre
Prades et Vinça. Cette terrasse altérée, dont les surfaces
aux sols rougis ont presque partout été nivelées au bulldozer, livre de gros galets de jaspes ainsi qu’une industrie
taillée dans ce matériau et dont les états de surface sont
très divers, quelques artefacts étant très usés.
Les industries récoltées par Yves Blaize sur ces reliefs
représentent actuellement la limite amont de la présence
de l’homme fossile sur les sites de plein air en Conflent
(Blaize 2005). Ces prospections ont permis de réunir un
lot de 468 pièces, dont 330 éclats de petite taille et 6 lames (fortuites). Ces pièces sont dispersées, parfois trouvées en coupe dans les ravins. Les états de surface sont très
divers : très usés pour 15 éléments, mais le plus souvent
en assez bon état de fraîcheur, quoique parfois gélifs, patinés ou fracturés et faiblement roulés. Cette industrie est
liée à la présence abondante de matière première et témoigne d’une fréquentation de cette formation sur un temps
long, quoique plutôt centrée sur la fin du Riss (« Riss III »
d’après l’auteur). Elle correspond tout à fait à l’ambiance
moustérienne des autres industries du bassin de Vinça,
qui sont moins bien identifiables cependant, car taillées
dans les quartz, mais qui sont peu usées et comportent
une faible part de galets aménagés-nucléus.
V.2 - Barrage de Vinça, les sites paléolithiques des terrasses würmiennes
Les industries trouvées autour du barrage de Vinça et
dans le ravin de Conillac participent de la même ambiance « moustéroïde » : nombreux éclats de faible dimension
en roches locales (quartz principalement et quelques
jaspes), aspect frais et non patiné des cortex et des enlèvements, supports plus fréquemment retouchés (denticulés surtout), faible représentation des galets aménagés
(ill. 17 et 18). Le débitage Levallois n’est cependant pas
bien attesté alors que la pièce esquillée est présente.
- Les formations inférieures des ruisseaux affluents
Les petits affluents de la Têt qui drainent le plateau de
Vinça débouchent dans le fleuve sur la haute terrasse würmienne (plan T1). À l’est et au centre, ils s’encaissent dans
le Tertiaire et ont été barrés pour une mise en eau. Les berges du ravin de Conillac, quoique partiellement raclées par
des engins mécaniques lors de la création de la retenue, recèlent un gisement localisé sur la rive gauche, en amont des
aménagements (ill. 17). Le lac des Escoumes n’est jamais vidangé, car l’alimentation de ce site balnéaire touristique est
faible. Les berges sont donc inaccessibles en permanence.
91
92
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre III
17 - industrie moustéroïde de la terrasse T1, sites de Conillac et de Nossa, autour du barrage de Vinça.
Le peuplement paléolithique
18 - industrie moustéroïde de la terrasse T1, sites de Conillac et de Nossa, autour du barrage de Vinça.
93
94
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre III
Par contre, les berges du ruisseau de Sahorle ont donné
une rare industrie moustérienne fraîche et diminutive sur
éclats de quartz et de jaspe, depuis l’amont (Cuscullera)
jusqu’à leur jonction avec le lac de barrage sur la Têt
(Donnets). La dispersion de ces vestiges liés aux alluvions T1 d’une paléo-Lentilla doit être mise au compte
des aménagements agricoles dont nous avons parlé.
- Les berges de la Têt ennoyées par le barrage
La construction du barrage de Vinça, au milieu des années 1970, n’a pas donné lieu à des fouilles de sauvetage.
Avec d’autres disparitions probables, celle du gisement
des Ànecs fut un dommage à déplorer. C’est d’ailleurs
ce qui poussa l’Association Archéologique des P.-O., à
la fin des années 1980, à entreprendre des prospections
méthodiques lors des études d’impact du barrage d’Ansignan-Caramany, avec les résultats spectaculaires que l’on
sait pour les sondages et les fouilles de sauvetage réalisées
par l’AFAN et l’AAPO, dans une vallée où rien n’était
connu antérieurement.
Le barrage de Vinça écrête les crues de printemps ; il
est vidé chaque année à la fin de l’été, ce qui permet en
hiver la prospection systématique des berges sur la zone
de marnage des eaux, celle-ci occupant sur les deux tiers
amont tout l’espace de la vallée jusqu’au lit actuel, alors
que le tiers aval, plus encaissé vers les gorges de Sant Pere,
reste toujours en eau jusqu’à la basse terrasse. Trois raisons nous ont poussé à étendre nos prospections dans
cette zone touchant l’incendie à la marge, en rive gauche.
La première est une lisibilité supérieure à celle des brûlis
pour la détection du lithique, bien que le lessivage des fines ait conduit à leur dépôt dans des dépressions boueuses, boues qui colmatent également l’ancien lit majeur.
La seconde est que les petites propriétés installées sur la
haute terrasse würmienne (plan T1) n’ont jamais subi les
remaniements au bulldozer, les labours profonds et les
passages du rotovator, constatés partout ailleurs dans la
vallée. Enfin, comme la haute terrasse T1 domine de très
près le fleuve dans un secteur très favorable, bien abrité
du vent dominant, il paraissait utile de tester ces berges
pour voir si l’absence des industries du Tardiglaciaire
était pareillement avérée ici.
C’est bien le cas sur ce point précis : aucun signe du
Paléolithique supérieur ! Mais ce résultat ne peut être
totalement validé. Nous avons en effet remarqué d’importantes perturbations affectant de vastes secteurs sur
les deux rives. Ces perturbations sont marquées par des
voies réalisées avec de très gros engins mécaniques et par
le remodelage des versants, bien balisés par les alluvions
prélevées dans le lit actuel de la Têt lors des travaux du
barrage. Ces alluvions comportent en effet des décombres
roulés avec de la brique mécanique et, surtout, de nombreux fragments de laitier provenant de l’exploitation des
hauts-fourneaux de Ria, depuis la fin du XIXe siècle. Ces
galets particuliers n’existent pas dans les anciennes formations T1, bien entendu. L’absence de tessons vernissés
rapportables aux mises en culture du XIXe siècle, comme
celle des murettes liées aux épierrements, permet par
ailleurs de suspecter des perturbations mineures de cet
ordre sur certains points paraissant moins touchés. Un
contrôle sur les photos aériennes prises au moment des
travaux sur le barrage a confirmé la pertinence des observations de terrain et permis de mieux cibler les zones
peu perturbées (cf. carte des zones remaniée ill. 1). Il en
ressort que seule une partie de la haute terrasse est digne
d’intérêt, les bas niveaux würmiens et holocènes, compris
dans le lit majeur, étant tous détruits ou illisibles (figurés
sur l’emprise du barrage, ill. 2).
En rive droite, sur un replat qui longe l’ancienne route
nationale, de part et d’autre du ravin où s’encaisse le ruisseau de Sahorle, se trouvent quelques pièces d’une industrie très faiblement usée, sur éclats de quartz et de jaspe,
mais très dispersée. Elles rappellent les éléments moustériens trouvés en amont dans les parcelles cultivées. Le
segment central de la rive droite, de part et d’autre du
déversoir des Escoumes, est aménagé par des feixes. Plus
abrupt, il a été remodelé par les travaux sur la partie
haute et n’a livré par ailleurs qu’un ou deux éclats frais
qui ont le même aspect que les précédents. Finalement,
deux points remarquables, situés aux deux extrémités
du barrage, méritent un signalement. L’un se trouve en
amont, au débouché de la Lentilla, sur un lambeau de
haute terrasse T1 situé pratiquement au niveau des plus
hautes eaux, vers la côte 240 m. Sur ce replat, quelques
anciennes vignes ont été peu lessivées par les eaux et ont
livré en surface un ou deux éclats frais en quartz laissant
supposer une meilleure conservation des gisements. Il se
prolonge le long de la Têt, jusque sous le pont de la route
de Tarerach, dans un secteur très touché par les travaux
d’aménagement, mais où restent quelques lambeaux stratigraphiques en place. Le fleuve est ici encaissé dans le
socle granitique sur plus de 10 m.
Le peuplement paléolithique
L’autre espace remarquable, hélas situé dans un secteur
fort remanié lui aussi, se trouve en aval, entre le débouché du ravin de Conillac et le défilé rocheux où est implanté le barrage. On y trouve d’abord une belle coupe
dans l’entaille creusée par le débouché du ruisseau dans
la Têt. Latéralement, une poignée d’artefacts participe de
la même industrie moustéroïde trouvée par ailleurs (débitage, états de surface). Plus loin, un piton granitique se
détache du versant et émerge des eaux à l’entrée des gorges. Cette éminence conserve un bourrage sédimentaire
induré et très altéré coincé dans les fissures du rocher et
un lambeau de sol qui relie son sommet au versant. Aux
alentours gisent quelques artefacts dispersés légèrement
usés (stade 2). Une murette sépare le replat sommital en
deux enclos. Dans l’un d’eux apparaît une structure circulaire faite de très gros galets plantés et que l’érosion a
dégagée. Dans les murs et au sol gisent des débris où des
éclats frais débités par percussion posée sur enclume à
partir de gros galets de quartz, sans autre indice qu’une
grande quantité de ces produits conservés sur place jusqu’à des dimensions diminutives. L’absence de céramique
modelée permet d’envisager un âge ancien pour ces éléments étranges et azoïques en surface.
Sur la rive gauche, une source d’eau sulfureuse (ravin
de Caldes, près du pont de Tarerach) avait été aménagée
au XIXe siècle par un petit établissement balnéaire : les
Bains de Nossa (Tosti 1987). Ces bâtiments, comme
l’ancien pont, ont été détruits par les travaux du barrage.
Sur la terrasse T1 qui domine la Têt, s’accrochent encore
quelques souches des haies de cyprès, jusqu’à l’ancienne
route. Un géologue de l’université de Perpignan, F. Gadel,
proche parent des propriétaires, avait constitué une petite collection provenant des feixes établies sur ces terrains,
mais plus haut sur le versant (lieu-dit Mare de Deu). Il
nous avait confié l’un des éléments qu’il pensait être un
biface. Il s’agit d’un nucléus que nous lui avons restitué
après l’avoir dessiné (collection Gadel, ill. 18).
Le lieu est assez remarquable. Il s’étale sur un replat très
partiellement nivelé jusqu’à un piton de granite détaché
du versant et autour duquel s’enroulait un paléo-lit du
fleuve (flèche bleue, ill. 2). À cet endroit, en bas de pente,
coulait une source, qui est encore utilisée aujourd’hui par
les habitants de Vinça, quoiqu’elle jaillisse désormais au
milieu des enrochements qui soutiennent la nouvelle voirie. Ces enrochements ont totalement masqué les éboulis
qui formaient un chaos très propice à l’habitat au ras de
la terrasse. Ce relief est mieux conservé vers l’aval où est
implanté un remarquable abri sous-roche (ill. 2). Sur la
berge gauche de cet ancien lit, qu’emprunte la vieille route
de Tarerach, un bourrelet caillouteux a livré une industrie
moustéroïde (ill. 18). L’absence de vestiges liés à d’autres
périodes et la présence d’éclats de retouche montrent que
ce lot relativement homogène se trouve en place, quoique
lessivé par les eaux. Hélas ! la partie la plus intéressante
du gisement, celle qui se développait vers le bas de pente,
fut raclée pour construire la nouvelle route. Ensuite, les
terrains situés vers l’aval, le long de la berge, ont été très
perturbés par les travaux du barrage, puis deviennent très
abrupts et rocheux.
VI - Bilan de la recherche :
une meilleure approche spatiale du
Paléolithique régional
Replacées dans leur contexte géomorphologique et dans
l’historique des recherches, ces prospections, conduites
sur un très vaste espace entre plaine du Roussillon et
montagnes du Conflent, ont permis de préciser l’état de la
documentation sur le peuplement paléolithique régional.
VI.1 - Pas de Pebble culture, ni d’industries très archaïques entre Roussillon et Conflent
Les industries attribuables à l’Acheuléen ancien, disons
celles qui seraient antérieures à un demi-million d’années
– déjà rares dans la plaine littorale du Roussillon et généralement déplacées sur des formations alluviales plus
récentes (Martzluff 2004) – ne sont pas représentées ici,
le cas de Mata Rodona n’ayant pu être vérifié dans le cadre de cette prospection. On peut encore moins parler
de Pebble culture, bien entendu. Les alluvions quartzeuses très patinées et carénées par le vent qui sont sensées
accompagner les plus anciennes industries manquent
également, sauf sur le plateau de Montalba. Bien que les
premiers remplissages quaternaires fassent donc défaut
dans ce secteur, l’érosion n’en a toutefois pas gommé toute
trace. Dans le bassin de Rodès, ces reliefs semblent avoir
été vidangés moins brutalement par des crues directes de
la Têt qu’en amont de Vinça ou que dans la plaine d’Illesur-Têt, vers l’aval, du moins si l’on en croit la présence
erratique d’industries patinées et éolisées sur galets. Il est
toutefois erroné de parler d’industries « archaïques préacheuléennes » pour les séries trouvées dans ce contexte.
95
96
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre III
En tout état de cause, l’Acheuléen n’est pas connu en
stratigraphie à l’est des Pyrénées et sur leurs marges
avant 700 000 ans. Seul le gisement d’Atapuerca, près de
Burgos, témoigne d’une présence plus ancienne de l’homme fossile vers 1,2 Ma.
VI.2 - Les premiers peuplements discernables d’un
Acheuléen accompli
C’est donc un Acheuléen plutôt terminal et bien mieux
attesté dans la plaine littorale sur différents niveaux de
terrasses T3 où il se trouve parfois in situ, qui apparaît
dans le bassin de Rodès. Il s’agit d’une industrie sans
vrais bifaces, mimant la Pebble culture archaïque dans
un faciès opportuniste qu’il faut associer à l’utilisation
massive des galets de quartz locaux et que nous avons
proposé d’appeler « Tautavelien » (Martzluff 2006). Un
lot conséquent de galets aménagés, à patine orangée et
d’éclats éolisés, se trouve à Rodès en position secondaire, hors de son contexte du Pléistocène moyen (fin du
Mindel alpin), lequel a disparu des formes de relief, si
l’on excepte peut-être quelques chicots résiduels dans la
vallée du Riu Fagès.
Signalée depuis près de quarante ans, cette série altérée
et usée d’artefacts en quartz ou en jaspes locaux se focalise donc sur une lanière de sols rougis difficiles à identifier à Rodès et sur sa correspondance au long du flanc de
l’échine pliocène enrichie en galets de quartz qui forme le
substrat collinaire du bassin. Au même niveau, le statut
de quelques galets aménagés roulés et de quelques éclats
faiblement usés, qui ont été tirés de galets de quartz ou
quartzite non patinés, demande à être précisé. Ces industries sont libérées par des remplissages sédimentaires
altérés, situés autour de la côte 240‑230 m, sur la colline
sédimentaire qui sépare le bassin de Rodés de la plaine
d’Ille-sur-Têt. En effet, que ce soit au col de Ternère, ou
près des gorges de La Guillera, ces plaquages de sols argileux rougis, toujours très proches des arkoses pliocènes
ou associés à des chenaux bourrés de galets quartzeux
non patinés pouvant provenir du substrat tertiaire, pourraient se rapporter à la jonction des paléo versants avec
les nappes alluviales fantomatiques du plan T3.
Les traces de peuplements acheuléens existent aussi
sur des formations données comme rissiennes, à la fois
en rive gauche du Rigarda à Rodès (Puigs Baixos) ‑ mais
cet épandage semble plus ancien que les niveaux T2 de
la Têt - et sur une haute terrasse du Llech, à Espira-de-
Conflent, en limite du bassin de Vinça. Sur cette dernière, une poignée d’artefacts extrêmement usés est associée
à un lot plus conséquent de pièces moustéroïdes fraîches
sur un gisement de galets de jaspes férugineux locaux,
très abondants dans les colluvions néogènes du piémont.
La présence de ces matériaux dans les niveaux d’habitat
du complexe moyen à Tautavel prouve que cette source
de matière première était déjà exploitée à partir de ces
gîtes secondaires du bassin de la Têt, au moins entre 500
et 300 000 ans.
Cependant, tous les gisements où ces industries se
trouvent plus ou moins concentrées font état de mélanges systématiques, pour peu que l’on tienne compte des
états de surface de chaque série et c’est bien pourquoi
les études typologiques globales qui en ont été faites
sont une source de confusion (Collina-Girard 1975‑76,
1978 ; Blaize 1985a et b, 1987b, 1990). En effet, les défilés rocheux et les cols, en particulier celui de Ternère,
constituent des passages obligés pour les faunes, lieux
très favorables à des campements de chasse, vraisemblablement renouvelés sur le temps long. Autre élément attractif : l’enrichissement des échines tertiaires en galets
de quartz, en particulier un quartz saccharoïde proche
du quartzite, alors que les terrasses quaternaires, finalement bien conservées à partir de la phase « rissienne » T2, n’en comportent en réalité que fort peu, et les
épandages würmiens encore moins. L’abondance des galets de jaspe dans le Néogène d’Espira participe à cette
attractivité.
Ce qu’il faut finalement retenir, c’est que les vestiges acheuléens balisent une sorte de frontière passant
par les bassins de Rodès - Vinça (Blaize 1985a, 1985b,
1987, 1990) et en amont de laquelle le premier peuplement des vallées pénétrant les massifs montagneux
est brusquement occulté en surface, comme c’est le cas
en Vallespir après le Boulou (Martzluff 2003, 2007b),
ou encore dans la vallée de l’Agly, au-delà du bassin de
Caramany-Ansignan (Martzluff 1990). C’est donc bien
l’érosion qui en a gommé les traces en faisant disparaître
la quasi-totalité des formations alluviales antérieures au
dernier glaciaire.
D’ailleurs, la fréquentation du plateau de Montalba
lors du Paléolithique inférieur L. S., est attestée bien
plus haut, vers 450 m d’altitude, sous forme de quelques éclats épars, rongés par l’altération et l’éolisation.
Elle est très vraisemblablement antérieure au Riss.
Le peuplement paléolithique
Par hypothèse, les éléments plus volumineux de type
Pebble culture qui devraient s’y retrouver en plus grand
nombre qu’un ou deux artefacts presque totalement déformés par l’érosion, auront été émiettés par le gel sur la
surface du plateau et éolisés lors des phases froides des
deux derniers glaciaires alpins, pendant lesquelles ont
été surcreusées les dépressions. Les patines violacées
d’une partie des quartz résiduels sont la preuve d’une
longue météorisation sur place des secteurs déprimés
pendant le Pléistocène moyen alors que les versants
plus adoucis des paléo-vallées pénétrant le massif offraient sans doute des reliefs favorables à ce peuplement
(ill. 4 à 10 et cartes).
VI.3 - Les abondantes industries « moustéroïdes », entre Riss et Würm alpins
Les industries faiblement éolisées et non patinées, le
plus souvent très dispersées, qui intègrent un débitage
discoïde et parfois Levallois pour la production d’éclats
de modeste dimension, quoique non diminutifs (entre 6 et 3 cm), sont désormais attestées sur le plateau
de Tarerach et de Montalba, comme c’était le cas dans
le bassin de Rodès et de Vinça où elles sont associées
à un débitage discoïde ou Quina et à des nucléus opportunistes sur galets, mimant la Pebble culture. Elles
comprennent une part de jaspe ferrugineux qui peut aller jusqu’à être majoritaire près des gisements de cette
roche, par exemple à Espira-de-Conflent, en surface
et dans des coupes de la terrasse donnée comme T2
(Blaize 2005). Curieusement, il n’en reste que quelques
rarissimes traces dans la plaine d’Ille, sur le lambeau de
niveau T2 des Escatllars logé entre la Têt et le Boulès,
cet interfluve ayant sans doute été peu attractif. Elles
sont de même type et présentent les mêmes états de
surface que celles identifiées dans la plaine littorale, en
particulier dans le bassin du Réart, dans un contexte où
l’approvisionnement en galets de quartz était plus facile
(Martzluff 2004, 2006).
La présence de stations en place ne peut pas être déterminée, sauf sur deux sites liés à « l’événement majeur » qu’a constitué en montagne la glaciation rissienne.
L’un se trouve près du cimetière à Rodès (E’) sur un vestige assez bas de plan T2 (cimetière) et comporte aussi
des outillages patinés venus du versant (Blaize 1990).
L’autre semble bien mieux conservé à Ille-sur-Têt sur un
lambeau de terrasse T2 situé en rive gauche, sur le flanc
abrupt du plateau de Montalba, à la confluence avec le
Bellagre. Compte tenu du contexte et de l’homogénéité
typologique des restes copieux et non patinés de l’industrie lithique, ce dernier gisement est même relativement
exceptionnel (ill. 12 à 16).
Un autre problème est posé par la haute terrasse T1
du bassin de Vinça, aujourd’hui ennoyée par le barrage. En effet, deux gisements ont livré des industries en
quartz d’allure archaïque, très peu usées et non patinées,
parfois bien concentrées (Conillac et Nossa). Elles devraient théoriquement être plus récentes que le premier
Pléniglaciaire würmien. Le débitage Levallois y est rare
(ill. 17 et 18) et elles font appel à la technique de la pièce
esquillée. La présence d’éclats retouchés ainsi que celle
de minuscules enlèvements permet d’envisager un très
faible déplacement post-dépositionnel.
C’est bien pourquoi il est quand même extrêmement
périlleux de proposer une attribution chrono-culturelle
précise pour l’ensemble de ces séries d’artefacts « moustéroïdes », d’autant que la référence stratigraphique la
mieux documentée, celle de la Caune de l’Arago, offre
justement peu de certitude typologique pour la séquence que nous envisageons à la transition entre l’Acheuléen et le Moustérien (lambeaux de remplissage entre
les planchers stalagmitiques du Complexe terminal, ensemble 4, « rissien », cf. Martzluff 2006). Cette phase du
peuplement régional, sans aucun doute très étalée dans
le temps, demeure donc très floue (ill. 19).
Ce sont toutefois ces industries peu usées et sur éclats
de roches locales qui apparaissent comme les plus abondantes et les mieux conservées en surface sur l’ensemble de la vallée. Elles peuvent se mettre en rapport avec
une fréquentation comprise entre un Acheuléen final du
Riss et un Moustérien ancien dans les épisodes ultimes
de cette séquence alpine (entre 300 et 150 ka), voire jusqu’à un Moustérien accompli au début du dernier glaciaire et pendant l’interstade qui le précède (éémien vers
120 ka). C’est en tout cas un peuplement qui a été moins
oblitéré que les précédents et les suivants, mais qui semble ne pouvoir offrir, d’après ces prospections, qu’un seul
gisement éventuellement conservé en sous-sol. Et c’est
tout à fait regrettable, car le Paléolithique moyen régional n’est correctement connu en stratigraphie dans les
gisements troglodytes des deux côtés de la chaîne, que
dans ses moments terminaux (stades isotopiques 4 à 3,
vers 60-30 ka).
97
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre III
707 m
Soclegranitique
granitique
et intrusions
cristallines
associées
Socle
et intrusions
cristallines
associées
aux
gneiss
de la Catazone
et de la Mésezone
aux gneiss
de la Catazone
et de la Mésozone
1 2
de Jujols-Canaveilles et schistes à chlorite de l'Épizone
Calcaires,
et calcschistes
du Dévonien,
Calcaires,poudingues
poudingues
et calcschistes
du Dévonien,
Calcaires et marnes noires du Secondaire
e
Calcaires et marnes noires du Secondaire
Molasses
Néogène
et alluvions
Molassesdudu
Néogène
et alluvions
quaternaires
terrasses
quaternairesdesdes
terrasses
Principaux
sommets
Principaux
sommets
Principaux
de plein
air air
Principauxsitessites
de plein
Sitesen en
grotte
ou abri
Sites
grotte
ou sous
sous abri
e
ièg
Ar
CORBIÈRES
CORBIÈRES
FENOUILLÈDES
de
Au
2469 m
3
8
7
17
21
22
ANDORRE
CONFLENT
art
Re
24
20
26
VALLESPIR
VALLESPIR
2465 m
Étang
de
Canet
25
h
c
Te
27
28
2881 m
15
23
1307 m
Canigou
2785 m
2897 m
16
18
19
ROUSSILLON
780 m
6
CERDAGNE
Segre
11
9
y
Agl
SALANQUE
12 Tet
ASPRES
Carlit
2921 m
14
13
10
750 m
5
4
782 m
1314 m
CAPCIR
N
Étang
de
Salses
MER MÉDITERRANÉE
Micaschistes
et roches
métamorphisées
diversesdiverses
Micaschistes
et roches
métamorphisées
(intercalations
de de
marbres,
quartzites,
cornéennes...)
(intercalations
marbres,
quartzites,
cornéennes ...)
Schistes
de
l’Ordovicien
et
du
Cambrien,
dits dits
Schistes de l'Ordovicien et du Cambrien,
de Jujols-Canaveilles et schistes à chlorite de l’Épizone
Au d
98
ALBÈRES
1256 m
1450 m
2910 m
GENERALITAT DE CATALUNYA
1394 m
25 km
Michel Martzluff
PRINCIPAUX SITES DU PALÉOLITHIQUE ANCIEN ET MOYEN DES PYRÉNÉES-ORIENTALES
N°10: :Grotte
terrasses
Millas,(Corbère-les-Cabanes),P.M.
P.A.-P.M.
N°1
de l’Arago
l'Arago(Tautavel),
(Tautavel),
Paleo
Anc.-Moy. N°11
N°1:: Caune
Caune de
Paléo
Anc.-Moy.
de de
Montou
N°11: :terrasses
Grotte dedeMontou
(Corbè-les-Cabanes),P.M.
N°2
terrasseduduVerdouble,
Verdouble,
N°2:: haute
haute terrasse
P.A.P.A.
N°12
Baho-Saint-Estève,
P.A.-P.M.
N°12: :La
terrasses
de Baho-Saint-Estève,
P.A.-P.M.
N°3
terrassededeCaramany,
Caramany,
P.A-P.M.
N°3:: haute
haute terrasse
P.A-P.M.
N°13
Llabanère
(Perpignan), P.A.-P.M.
N°13: :terrasse
La Llabanère
(Perpignan),
N°4
d'Estagel,P.M.
P.M.
N°4:: terrasse
terrasse d’Estagel,
N°14
du Robol,
P.M. P.A.-P.M.
N°14: :terrasse
terrassede
duCanet-Saint-Nazaire,
Robol, P.M.
N°5
Julieta(Salses),
(Salses),
P.M.
N°5:: La
La Julieta
P.M.
N°15
P.A.-P.M.
N°15: :terrasses
terrasse de
de Canet-Saint-Nazaire,
N°6
delMitg
Mitg(Villefranche-de-Conflent),
(Villefranche-de-Conflent),
N°6:: Cova
Cova del
P.M.P.M. N°16
Cabestany, P.A.-P.M. P.A.-P.M.
N°16: :terrasse
terrassesdedelaCabestany,
P.A.-P.M.P.A.-P.M.
N°7
(Vinçca),
P.M..
N°7:: Les
Les Anecs
Anecs (Vinça),
P.M.
N°17
Basse (Perpignan),
N°17: :site
terrasse
de la Basse
(Perpignan),
P.A.-P.M.
N°8
Ternère(Vinça),
(Vinça),P.A.-P.M.
P.A.-P.M.
N°8:: Col
Col de
de Ternère
N°18
du Petit-Clos
(Perpignan),
P.A.-P.M.
N°18: :terrasses
site du Petit
Clos (Perpignan),
N°9
d'Ille-sur-Têt,
P.A.-P.M.
N°9:: terrasses
terrasses d’Ille-sur-Têt,
P.A.-P.M.
N°19
du Réart,
P.A.-P.M. P.A.-P.M.
N°10 : terrasses de Millas, P.A.-P.M.
N°19 : terrasses du Réart, P.A.-P.M.
N°20::dépression
dépression de
de Bages,
Bages, P.A.-P.M.
P.A.-P.M.
N°20
N°21::sites
sitesde
dePonteilla,
Ponteilla, P.A.-P.M.
P.A.-P.M.
N°21
N°22 :: sites
sitesdedePollestres,
Pollestres,P.A-P.M.
P.A-P.M.
N°22
N°23 :: Mas
Mas Camomille
Camomille (Ortaffa),
N°23
(Ortaffa),P.A.-P.M.
P.A.-P.M.
N°24:: sites
sitesde
de Saint-Cyprien,
Saint-Cyprien, P.A.-P.M.
N°24
P.A.-P.M.
N°25:: site
site d’Argelès,
d'Argelès, P.A.-P.M.
P.A.-P.M.
N°25
N°26:: sites
sitesde
deTresserre
TresserreetetBanyuls-dels-Aspres,
Banyuls-dels-Aspres,P.A.-P.M.
P.A.-P.M.
N°26
N°27:: sites
sitesde
de Montesquieu,
Montesquieu, P.A.-P.M.
N°27
P.A.-P.M.
N°28:: Pic
Pic Saint-Christophe,
Saint-Christophe, P.M.
N°28
P.M.
19 - Les sites paléolithiques dans les P.-O. (DAO M. Martzluff ).
VI.4 - Le rarissime Moustérien évolué du Würm
En réalité, le Moustérien n’est caractérisé de façon
claire dans cette portion de vallée que dans une phase évoluée et sur une seule station remarquable - les
Ànecs - aujourd’hui détruite par les travaux du barrage
au débouché des gorges de Vinça (ill. 19). Il s’agit d’industries fraîches et diminutives, à denticulés, intégrant
le débitage Levallois et où la part des jaspes locaux, des
grés-quartzites et des silexites est importante, au côté
des quartz blancs saccharoïdes, toujours dominants
(Blaize 1990, Duran 2002). Les quelques éléments
Levallois non éolisés relevés par ailleurs, au col de Ternère ou sur le plateau de Montalba par exemple, ne sont
pas assez concentrés ou copieux pour parler d’habitat.
Ils confirment une fréquentation de ces espaces par
Néanderthal au cours la dernière glaciation, présence
qui est bien attestée dans le bassin de la Têt, à la grotte
de Montou (Corbères-les-Cabanes) et dans celle du
Mitg (Corneilla-de-Conflent).
En surface, ce peuplement est curieusement bien
moins assuré en chronologie pour cette phase tardive dans la plaine du Roussillon, sur le gisement de La
Joliette (Salses) ou dans le bassin du Réart, par exemple
(Duran 2002 ; Martzluff 2004, 2006). Il est donc fort
probable que les stations en plein air de ce Moustérien
final, logées au plus près du fleuve alors que s’accentuait
son incision dans la terrasse T1, aient subi un sort identique à celles du Paléolithique supérieur.
Le peuplement paléolithique
707 m
Principaux
Principauxsommets
sommets
Micaschistes
et roches
métamorphisées
Micaschistes
et roches
métamorphisées
diversesdiverses
(intercalations
de marbres,
quartzites,
cornéennes...)
(intercalations
de marbres,
quartzites,
cornéennes ...)
Schistesde de
l'Ordovicien
du Cambrien,
Schistes
l’Ordovicien
et duetCambrien,
dits dits
dedeJujols-Canaveilles
et schistes
à chlorite
de l’Épizone
Jujols-Canaveilles
et schistes
à chlorite
de l'Épizone
1
Calcaires,
poudingues
et calcschistes
du Dévonien,
Calcaires,
poudingues
et calcschistes
du Dévonien,
9
Calcaires
et marnes
noires
du Secondaire
Calcaires
et marnes
noires
du Secondaire
Principauxsites
sitesde de
plein
Principaux
plein
air air
ANDORRE
Sitesenengrotte
grotteouousous
sousabri
abri
Sites
Fleuves
e
Fleuves
g
è
au
auWürm
Würm Ari
ancien
ancien
e
de
Aud
Molasses
du du
Néogène
et alluvions
Molasses
Néogène
et alluvions du
quaternaires
quaternaireancien-Moyen
ancien-Moyen
Terrasses
moraines
et limites
des glaces
Terrasses
,moraines
et limites
des
auglaces
Würmau
(après
40 ka)
Würm
(après 40 ka)
Au
CAPCIR
CAPCIR
11
12
13
Étang
de
Salses
8
y
Agl
SALANQUE
Tet
Étang
de
Canet
ROUSSILLON
art
Re
CONFLENT
1307 m
ASPRES
780 m
Canigou
2785 m
VALLESPIR
2465 m
1256 m
1450 m
2910 m
GENERALITAT DE CATALUNYA
ch
Te 14
ALBÈRES
2881 m
Montleo
1130 m
6 7
CORBIÈRES
10
2897 m
Segre
4
3
750 m
CERDAGNE
CERDAGNE
15
2
FENOUILLÈDES
782 m
1314 m
2469 m
Carlit
2921 m
N
5
MER MÉDITERRANÉE
Socle
et intrusions
cristallines
associées
aux
Soclegranitique
granitique
et intrusions
cristallines
associées
gneiss
de la Catazone
et de la Mésezone
aux gneiss
de la Catazone
et de la Mésozone
1394 m
25 km
M. Martzluff
PRINCIPAUX SITES DU PALÉOLITHIQUE SUPÉRIEUR-ÉPIPALÉOLITHIQUE DES PYRÉNÉES-ORIENTALES
N°1
la Roque
Roque(St-Paul-de-Fenouillet).
(St-Paul-de-Fenouillet).
Azilien.
N°1: :Four
Four de
de la
Azilien.
N°6N°7
: Cova
de l’Esperit
(Salses).
20 Ka,Magda.
Gravettien ?N°10
N°11
: CovaBastera
Bastera(Vill.-de-Conflent).
(Vill.-de-Conflent). Signes
peints.
: Cova
del PasC.3
Estret
(Opoul).
: Cova
Signes
peints.
N°2
Penjat(Vingrau).
(Vingrau).Magdalénien.
Magdalénien.
ancien.Magda. Epipal. ancien.N°11
N°2: :Rec
Rec del
del Penjat
N°7 : Cova del Pas Epipal.
Estret (Opoul).
N°12
: Trou
souffleur(Fuilla).
(Fuilla). Magdalénien.
: Trou
souffleur
Magdalénien.
N°3
(Vingrau).
Solutréen.
: Station
du Ravanell
: Balmes
-Ambulles(Fulla).
(Fulla).
Solutréen.
N°3: :Les
Les Espassoles
Espassoles (Vingrau).
Solutréen.
N°8N°8
: Station
du Ravanell
(Salses).(Salses).
Magda. ?Magda. ? N°12
N°13
: BalmesBerges
Berges-Ambulles
Solutréen.
N°4
(Tautavel).Magdalénien.
Magdalénien.
Grotte
la gare
(Estagel).
Sup. indét. N°13
: Station
N°4: :La
La Teulera
Teulera (Tautavel).
N°9N°9
: Grotte
de ladegare
(Estagel).
P. Sup.P.indét.
N°14
: StationdedeSaint-Genis.
Saint-Genis. Solutréen
Solutréen ??
N°5
:
Grotte
des
Conques
(Vingrau).
Magdalénien.
N°10
: Rocher
gravé
de Fornols
(Campôme).
N°14
: Station
de Saint-Genis.
?
N°5 : Grotte des Conques (Vingrau). Magdalénien.
N°10
: Rocher
gravé de
Fornols
(Campôme).
Magdalénien
N°15
: Montleo
1130 m (Prats,Solutréen
Espagne) Magdalénien.
N°6 : Cova de l'Esperit C.3 (Salses). 20 Ka, Gravettien ?
Magdalénien
N°15 : Montleo 1130 m (Prats, Espagne) Magdalénien.
20 - Les sites du paléolithique supérieur dans les P.-O. (DAO M. Martzluff ).
VI.5 - Un long hiatus documentaire entre le Paléo
lithique moyen et le Néolithique
Les premiers peuplements de l’homme moderne
correspondent ici à une lacune des vestiges sur l’ensemble de la zone prospectée, en particulier sur la formation T1. Cette absence est particulièrement notable
sur la haute terrasse würmienne du barrage de Vinça,
très proche du fleuve et très lisible dans les parties agricoles non remaniées par les travaux d’aménagements
avec les engins mécaniques, à la fin du siècle dernier.
Cela pose un sérieux problème, car la pénétration de
la vallée du Conflent est bien attestée dans les grottes
en amont, au moins pour le Tardiglaciaire (Solutréen
et Magdalénien). D’autre part, un Magdalénien ancien,
situé en chronologie absolue autour de 16 000 ans BP,
est bien présent sur un site de plein air en Cerdagne
à 1 100 m d’altitude (Montlleò) ; il a livré des outillages
pris dans un jaspe ferrugineux dont nous savons à présent que les seuls gisements régionaux se trouvent entre
Prades et le Bassin de Vinça (Mangado et alii, 2004).
Ce Magdalénien est également attesté vers 1 000 m
d’altitude au-dessus de Prades sur le rocher gravé de
Fornols. À la fin de la dernière glaciation, le parcours
des Magdaléniens vers les hautes vallées situées au cœur
de la chaîne est donc bien fléché en Conflent (ill. 20).
Il est donc difficile d’expliquer l’absence totale de vestiges du Paléolithique supérieur. D’une part, les habitats
de plein air sont généralement étendus à ces époques ;
d’autre part le débitage sélectionne préférentiellement
les meilleures roches dures isotropes (jaspes, silex) et
tend à la production de lames. Les déchets techniques
générés par un campement de cette séquence ne pourraient donc passer inaperçus, même mêlés en surface à
des vestiges de périodes plus anciennes ou plus récentes.
99
100
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre III
C’est pourquoi cette lacune sur l’ensemble de l’aire géographique prospectée nous paraît signifiante. Nul doute que la vallée était peuplée. Or, cette absence ne peut
s’expliquer pour des raisons telles que la dangerosité des
crues estivales, certainement réelle, ou la pénibilité due
à des vents très violents, fort probable également, car les
chasseurs paléolithiques ont occupé des campements
de plein air dans des milieux bien plus hostiles pour peu
que leurs proies y fussent abondantes. Il faut donc tenir
compte de plusieurs facteurs qui constituent de sérieux
handicaps pour la prospection de surface concernant
ces périodes dans ce secteur :
1 - L’encaissement du fleuve après le premier Pléniglaciaire
würmien et la création de nouvelles terrasses favorables à
l’habitat au plus près du cours d’eau, formations qui ont
ensuite été démantelées par les crues du lit majeur.
2 - La difficulté de prospecter le terroir des terrasses alluviales dévolu à l’arboriculture, où les labours profonds
ont presque toujours accroché la nappe de galets, (épierrements, rotovator).
3 - Avec un faible écho prévisible des microlithes en surface, le fait que les terres acides soient azoïques supprime
l’appui pertinent des faunes pour détecter les gisements
concernant ces périodes, en particulier pour les petits sites épipaléolithiques.
4 - Les remaniements anthropiques d’ampleur s’ajoutent à ces difficultés (villages médiévaux de Casesnoves et
Reglella sur les niveaux les mieux protégés et bien exposés de la rive gauche de la Têt, plantations forestières et
suppression des affleurements schisteux pour la mise en
terrasse des versants, urbanisation galopante actuelle...).
5 - Enfin, la rareté des sites troglodytes et des grands abris
favorables, en particulier dans le petit synclinal calcaire
de Bouleternère et sur le plateau granitique de Montalba,
situés dans un maquis impénétrable, a rendu cette zone
peu attractive pour les chercheurs qui ont fourni dans le
passé l’essentiel de la documentation trouvée en grotte
pour ces périodes.
Malgré ces difficultés, l’absence de gisements de surface pouvant se rapporter à l’intervalle AurignacienSauveterrien sur cette aire géographique reflète dans ce
travail un résultat indubitable du terrain. Il confirme ce
que nous avions déjà diagnostiqué pour l’ensemble du département où les occupations de plein air du Paléolithique
supérieur au Mésolithique sont uniquement attestées
dans les bassins fluviaux à faible régime nival et dénivelé
modéré des Corbières, tels le Maury et le Verdouble, par
exemple (Martzluff 1998b, 1999b). Il s’en suit que notre connaissance des peuplements anciens des Pyrénées
catalanes à partir du dernier glaciaire, Moustérien compris, repose essentiellement sur l’investigation des sites
en grottes ou sous abri, en particulier pour les vallées du
Tech, de la Têt et pour la haute vallée de l’Agly.
chapitre IV
L’occupation du plateau
de Rodès et Montalba-le-Château
à l’âge du Bronze
Alain Vignaud
I - L’environnement,
les lieux et les sites
I.1 - Cadre naturel de l’occupation
Dans le territoire prospecté dans le cadre de ces travaux, les secteurs ayant livré des traces d’occupation de
la Préhistoire récente sont disséminés sur une aire d’environ 150 hectares, se développant principalement au
nord-ouest de la zone brûlée.
Si quelques points paraissent isolés, l’essentiel des vestiges se situe sur le plateau dit de Montalba (470 m NGF)
animé par différents reliefs (520 m NGF), et surtout, limité à l’est et à l’ouest par les profondes incisions des cours
d’eau intermittents, le Bellagre, et le Tarerach, coulant plus
de 80 mètres en contrebas (ill. 1). À l’ouest, au-delà du
Tarerach, en zone non brûlée, des vestiges apparemment
contemporains de ceux qui nous intéressent sont attestés.
En contrepartie, à l’est, de l’autre côté du Bellagre, d’importantes surfaces mises à nu par l’incendie et donc aux
sols bien lisibles, n’ont fourni aucune trace d’occupation,
même ténue : il est évident que l’important ravin constitue une limite spatiale majeure de l’occupation.
Dans un paysage assez contrasté, alternant « serrats »
parfois prononcés, collines et plateaux plus ou moins
encombrés de chaos et d’affleurements rocheux, près de
50 points ont livré différents vestiges,en densités variables.
. Cf. chap. II Marc Calvet, « Géomorphologie d’une montagne brûlée » : la
genèse et l’évolution du plateau de Montalba.
. L’enregistrement des points issus des prospections s’est fait soit par chiffres,
soit par lettres. Ce « désordre » apparent est dû à la forte densité de points « à
Ces derniers s’articulent avec et autour d’importantes
niches écologiques dont on peut estimer qu’elles sont à
l’origine du choix de l’occupation. Il s’agit essentiellement
de larges espaces bien sédimentés, plans ou en légère cuvette, évoquant pour certains d’anciennes dépressions hydromorphes. La présence de l’eau, sous forme de sources,
de mouillères ou de retenues épisodiques est d’ailleurs
attestée en plusieurs points. La topographie des lieux
est également importante : de nombreux vestiges sont
situés à proximité ou dans l’axe des vallées ou de légers
cols, l’ensemble suggérant des itinéraires plus ou moins
obligés, dont on devine encore aujourd’hui le cheminement.
Ces derniers, à l’échelle du plateau, sont principalement
orientés vers le sud, la vallée de la Têt, et surtout sur un
axe sud-est/nord-ouest, matérialisant une jonction avec
les crêtes voisines, au nord-ouest, ou la vallée de l’Agly
plus au nord.
céramique modelée » (ici âges du Bronze) découverts lors des prospections
initiales. Au départ, afin de distinguer cette période particulière, il avait été
convenu de n’utiliser pour désigner ces sites que des lettres : A, B, C,... cependant, il s’est vite avéré que l’alphabet avec ses 26 lettres ne suffirait pas. La
décision a donc été prise de continuer l’enregistrement avec des chiffres, en
partant de 1001, afin de conserver une bonne marge de sécurité par rapport
à l’enregistrement des sites des autres périodes déjà découverts. Pour éviter
toute confusion, on a jugé plus prudent de garder cette « nomenclature » qui
figurait déjà sur bon nombre de documents (listes, relevés, clichés) et de mobiliers.
. cf. Calvet Marc « Une hydrologie fantasque ».
. cf. Calvet Marc « Un espace charnière sur de vieux itinéraires pastoraux ».
102
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
Montalba
N
Le Planal
v.
Ra
Mas d’en Colom
de
Roc del Maure
Be
llagre
T
Le
arerach
Lieusanes
La Cougoulère
Limites du feu
La Tet
Vestiges découverts
lors des prospections
Rodès
Zones humides
Vestiges déjà connus
Barrage de Vinça
0
1000 m
Lo Castello
Vinça
1 - Situation des vestiges découverts lors des prospections dans leur contexte archéologique (âges du Bronze et 1er âge du Fer).
L’occupation à l’âge du bronze
I.2 - Environnement archéologique connu
Sur ces secteurs de l’arrière-pays, généralement peu fréquentés et peu prospectés, quelques sites sont cependant
connus. Ils ont surtout été détectés par leur situation remarquable sur des hauteurs bien limitées (oppidum), ou,
pour l’essentiel, sur des terres aux sols relativement bien
lisibles, qu’il s’agisse de terres mises en culture ou de surfaces bien dégagées. Ces sites sont de taille très variable, se
résumant parfois à quelques tessons ou artefacts lithiques.
On peut estimer, et les vestiges mis au jour suite à l’incendie le démontrent, que la densité de l’occupation, occultée
par la garrigue et les zones boisées, était plus importante
que celle que nous connaissons aujourd’hui. La majorité
de ces sites connus se situe à l’ouest, hors zone brûlée.
Le plus important est le Roc del Maure, sur la commune de Tarerach, grand oppidum reconnu dans les années 60, et qui depuis a fait l’objet de différents travaux
par plusieurs intervenants. L’essentiel de l’occupation,
sans exclure une présence plus ancienne, est daté du
1er âge du Fer. Le Mas de Lieusanes (ou Llosanes), sur la
même commune, a également livré les traces d’un habitat
de l’âge du Bronze associé à deux dolmens, dont le plus
imposant est le dolmen de la Barraca (Abélanet 1987b).
Le mobilier, tant céramique que lithique, dont des « anneaux disques », est similaire à celui des sites du plateau.
Jean Abélanet, lors de prospections dans les années 70,
avait de même découvert quelques industries disséminées au nord est du village de Montalba-le-Château,
non loin de l’église, ainsi que trois « anneaux disques en
roche », contemporains de ceux mis au jour sur le plateau de Montalba (Abélanet 1987b). Cette occupation
peu importante, ne semblait pas caractériser d’habitat,
mais plutôt une fréquentation. Toujours au nord nordouest du plateau, une récente publication d’Yves Blaize
signale la découverte de deux stations sur la commune de
Tarerach : Le Planal (Néolithique moyen) et le Mas d’en
Colom daté du Bronze ancien (Blaize 2006)
Au sud, en position basse, non loin de la Têt, quelques habitats plus récents (présence de céramique tournée) sont cités dans la littérature : La Cogoulère et Lo Castelló (ill. 1).
Enfin, dans un environnement plus large, les principaux
vestiges de la période qui nous intéresse ont été mis au jour
lors des fouilles de la Caune de Bélesta, distante de près
. Kotarba, Castellvi, Mazière 2007 (CAG 66), notices : 165 – Rodès (C.A.N. 00H) ;
201 – Tarerach (C.A.N. 001P).
. Voir CAG 66, notices : 230 – Vinça (C.A.N. 001H, C.A.N. 009H et C.A.N. 011H).
de 6 km (Claustre, Zammit, Blaize 1993), et également à
Caramany, lors des importants travaux archéologiques liés
à la construction du barrage sur l’Agly (Kotarba 1991 –
Porra 1991).
II - Abondances ou absences, variabilité et limites des prospections
La découverte et la collecte de mobiliers, lors de prospections pédestres, reste évidemment le point de départ fondamental de ce travail. Au-delà d’une première approche,
établie à partir de la densité et de la qualité de ces documents épars à la surface du sol, la réflexion a pu s’étendre
à partir du point de la découverte, quelquefois très limité,
jusqu’à son environnement large, à l’échelle du plateau.
Outre l’étude de cette répartition dans l’espace, essentielle pour une vision d’ensemble, les observations fondées sur ces objets de la culture matérielle sont primordiales. Elles restent cependant très lacunaires, les limites
d’une telle approche étant connues : au-delà de l’équipe
de prospection proprement dite, composée d’individus
avec leurs qualités (grandes) ou leurs défaillances (infimes), les conditions naturelles jouent un rôle important,
qu’il s’agisse de l’éclairage, des conditions climatiques
(atmosphériques), mais aussi de l’aspect et de l’état des
secteurs prospectés, de totalement à très moyennement
lisibles pour différentes raisons. Ces diverses variables
influent sur les collectes qui peuvent ainsi s’avérer plus ou
moins fournies, plus ou moins pourvues en gros éléments
ou au contraire en tessons centimétriques.
Dans un autre registre, en ce qui concerne les sols et leur
genèse, divers selon leur situation topographique ou leur
composition géologique, on peut estimer que l’érosion,
naturelle ou anthropique, ait en certains secteurs faussé
les traces des anciennes occupations. Ainsi, et c’est l’une
des conséquences, au moment de cartographier et donc de
donner des limites aux sites détectés, ces dernières peuvent
s’avérer quelquefois arbitraires, notamment sur les secteurs ayant fourni une densité de mobiliers faible ou très
moyenne, répandus sur de grandes surfaces. En revanche,
si certains points n’ayant livré qu’une dizaine de tessons
sur un petit espace sont difficilement interprétables, plusieurs zones d’occupation se révèlent nettement, à partir
des mobiliers mais surtout de limites spatiales naturelles
clairement avérées (chaos rocheux, abrupts...).
103
104
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
Une seconde conséquence indirecte des érosions concerne, de façon variable, l’aspect et l’état de
conservation du mobilier, essentiellement céramique.
En effet, d’une façon générale, les tessons découverts
dans les chaos ou près de blocs sont de bonne taille (ce
qui confirme la moindre évolution de ce paysage particulier), et à l’opposé, les tessons collectés sur de légers
glacis ou des zones plus planes, souvent dévolues aux
cultures il y a encore quelques années, sont très fragmentés et érodés, par les travaux agricoles et les passages sur ces sols dénudés. Dans ces cas l’étude des céramiques, notamment celle des surfaces et des cassures,
est très malaisée. Cette perte est assez pénalisante pour
la mise en évidence ou l’identification de certains traceurs. Dans une approche plus fine attachée à l’étude
de ces mobiliers, un préjudice important, toujours inhérent aux prospections de surface, est à souligner :
en l’absence de fouille et de stratigraphie, l’attribution
chrono-culturelle d’une majorité de tessons peu caractéristiques n’est pas assurée. L’ensemble, dont on ne peut
affiner la chronologie, reste néanmoins assez cohérent,
comme nous le verrons par la suite.
III - Habitat ou fréquentation ?
Au-delà des doutes sur la contemporanéité ou la
succession chronologique des sites découverts, doutes
impossibles à lever à partir des mobiliers, se posait le
problème des formes d’occupation du territoire à l’âge
du Bronze. En effet, dans notre région, nous n’avons pas
connaissance d’une telle densité de vestiges de cette période, dispersés sur plusieurs hectares, et donc aucune
référence pour leur interprétation, leur fonction, leur
durée d’utilisation et leurs éventuelles relations. Afin
de donner une base commune à cette étude, pour aller
au-delà d’une simple présentation factuelle, nous avons
pris le parti de considérer tout l’ensemble des sites et
du mobilier comme globalement contemporains, puis
de mener leur étude en privilégiant la situation topographique des différents points pour identifier des modalités d’implantations similaires et ainsi d’effectuer des
regroupements pertinents. Cette démarche reste bien
entendu un parti pris, mais elle nous a semblé à même
d’ouvrir des perspectives de réflexion intéressantes.
. Voir sous-partie : « Mobiliers et chronologies ».
L’étude de ces sites s’est donc d’abord attachée à l’examen de la cartographie, des reliefs et des altitudes. La répartition spatiale des vestiges, disséminés surtout sur les
hauteurs encadrant des prairies humides, montre trois
grands ensembles, séparés de près de 800 mètres, distance qui semble suffisante pour justifier ce partage (ill. 2).
Ces ensembles sont composés chacun de 8 à 10
concentrations, bien différentes. Habitats pérennes de
différentes tailles ou zones de fréquentation plus ou
moins intensive ? Au sein des trois ensembles, trois
groupes hiérarchisés ont été distingués, à partir de leur
situation topographique, de leur surface, des différentes
composantes paysagères ou géomorphologiques, et en
relation avec la densité des mobiliers (ill. 3).
Ainsi se distinguent les sites de hauteur plus ou moins
importante, mais dominant toujours les secteurs alentour (groupe 1). Ces sites sont spatialement limités par
d’importants abrupts, des chaos rocheux naturels, ou
par endroits peut-être aménagés, suggérant une manière
d’« oppidum ». Ces points, qui ont fourni d’importantes
séries concentrées (2110 tessons de céramique pour le
point 1025, sommet et base) ne sont pas obligatoirement très étendus, leur principale caractéristique étant
leur élévation, situation qui semble exclure d’ailleurs une
fonction autre que celle d’habitat, surtout si l’on considère la variété des vases représentés, allant des gros récipients de stockage aux petites coupes à boire. Il semblerait que ces points forts constituent le noyau principal
des occupations, certainement pérennes.
En contrebas de ces sites de hauteur s’étendent les zones « médianes », intermédiaires (groupe 2), composées
de petits plateaux, généralement cernés par des barres
rocheuses ou des chaos, au sein desquels se devinent
ponctuellement des points remarquables, naturels ou
« aménagés », sans que l’on puisse dire pour autant si ces
« constructions » sont contemporaines de la période qui
nous occupe. Malgré une assez grande densité de mobilier
dispersé sur ces secteurs, avec de plus fortes concentrations sur et à proximité de ces possibles aménagements,
il n’existe aucune preuve que ces zones soient celles d’un
habitat. Un habitat, en relation éventuelle avec des secteurs à vocation économique ou artisanale, est toutefois
probable sur ces emplacements, sous une autre forme que
celle des « oppida ».
L’occupation à l’âge du bronze
Montalba
Limites du feu
Zones humides
105
N
Ensembles écartés
Vestiges “isolés”
1003
ENSEMBLE 1
1025
1005
de
v.
1007
Ra
1008
1002
1004
1026
1043
1006
1027
1042
1011
V
J
I
T
Le
H
L
M
K
1016
G
arerach
C
A
D
E
1034
W
U
Be
llagre
1013
1030
1012
1014
1029 1015
1019 1018
1021
1020
1031 1022
ENSEMBLE 2
1038
ENSEMBLE 3
1037
1036
1033
La Cougoulère
1024
143
(citadelle)
La Tet
Rodès
Barrage de Vinça
0
1000 m
2 - Les différents points et les ensembles distingués à partir des concentrations.
Ra
vin
d
eM
on
Vinça
tju
ic h
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
Montalba
Limites du feu
Groupe 1
N
Groupe 2
Groupe 3
Vestiges “isolés”
1002
400
ENSEMBLE 1
Ra
518
de
1007
v.
1008
1025
1043
1005
500
Be
437
1006
554
469
484
1030
1014
485
500
llagre
T
Le
L
M
H
K
1016
arerach
470
D
W
U
1020
467
463
1021
ENSEMBLE 2
A
1038
ENSEMBLE 3
1037
1036
1033
La Cougoulère
1024
530
143
(citadelle)
La Tet
Rodès
Barrage de Vinça
0
1000 m
Pla
3 - Les ensembles et leurs trois différents groupes, discriminés principalement à partir des altitudes. Seuls figurent ici les points les plus importants.
vin
d
Vinça
Ra
106
L’occupation à l’âge du bronze
4 - L’ensemble 1 avec ses principaux groupes. Vue cavalière du sud-ouest.
En aval de ces paliers médians, et donc en situation la
plus basse, un troisième groupe a été défini (groupe 3).
Celui-ci, le moins évident car le plus lâche et le plus étendu, concerne de larges zones, généralement situées sur les
versants conduisant aux marges des plateaux ou dépressions bien dégagés. Les éléments de la culture matérielle,
céramique, mais surtout « objets lithiques », y sont abondants. Il semblerait que l’importante superficie mais aussi
la topographie de ces secteurs, assez rocailleux et pentus,
doivent exclure l’habitat, tout au moins tel qu’il se présente de façon remarquable sur les sommets (groupe 1)
et éventuellement sur les petits plateaux intermédiaires
(groupe 2). Quoi qu’il en soit, l’intense fréquentation des
zones de ce groupe 3, situées à proximité des axes naturels et en bordure des niches écologiques, est certaine,
qu’il s’agisse de secteurs d’habitat pérenne ou secondaire,
ou plutôt, comme on peut l’envisager, liés à un important
stationnement ou passage.
Étant entendu que ces schémas et ces partages effectués à partir des trois types d’observations élémentaires
(situation géomorphologique, surface et densité des mobiliers) sont pertinents quant au fond et pour chacun de
ces groupes, autorisant ainsi des comparaisons, il n’en
reste pas moins que des variantes peuvent être perçues
dans leur forme.
IV - L’occupation,
les ensembles et les groupes
Trois grands ensembles, chacun avec les trois groupes
respectifs définis ci-dessus, ont été distingués.
L’ensemble 1, le plus évident car bien dissocié des
autres, se situe au nord. Il comprend les points 1001,
1002, 1003, 1004, 1005, 1006, 1025, 1026, 1027, 1042
et 1043, couvrant au total environ 3,5 ha (ill. 3, 4 et 5).
107
108
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
5 - Profil de l’ensemble 1 vu du nord, avec ses différents paliers distinguant chacun des trois groupes.
6 - Ensemble 1, le point 1025, site perché de type oppidum constituant le groupe 1 (habitat pérenne).
Au sein de cet ensemble on peut
singulariser :
- Le groupe 1, sans doute
l’habitat, est caractérisé par le
point 1025, de type oppidum,
cerné par de gros chaos rocheux associés, surtout au nord
et à l’ouest, à de forts abrupts.
Au sud, une rampe d’accès au
sommet est encore bien visible.
Cette dernière, peut-être légèrement « aménagée », semble
naturelle (ill. 6). Ce site perché,
malgré sa faible superficie d’environ 350 m2, a fourni d’importantes séries céramiques, dont
des tessons de bonne taille, appartenant à des récipients de capacité et d’usage variés. À l’origine, lors des collectes de mobilier, ce point avait été scindé en
plusieurs secteurs : 1025 – S1
correspondant au sommet de
l’oppidum, et les secteurs 1025
– S2 à S7 aux versants et aux
bases. Pour des facilités de gestion, s’agissant d’un mobilier
homogène, ces derniers secteurs ont été fusionnés (voir
inventaires). De même, Yves
Blaize, archéologue, lors de reconnaissances préalables, dans
les années 90, avait collecté et
étudié une série provenant de
ce point, nommé alors par lui
« Oppidum de Ropidera ». Ce
mobilier, qu’il nous a transmis,
a été incorporé à cette étude.
Nous l’en remercions (planches 1 et 2).
- Le groupe 2 intègre le
point 1043 et ses abords, situé en contrebas à quelques
dizaines de mètres, et 1026,
tout proche sur un léger replat.
L’occupation à l’âge du bronze
8 - Ensemble 1, groupe 2, une partie de l’intérieur du point 1043
« limité » par des chaos rocheux.
7 - Ensemble 1, groupes 1 et 2 vus du nord.
Le point 1043, le plus important, se distingue surtout par un espace à peu près plan, d’environ 800 m2, grossièrement ceinturé
par d’importants chaos rocheux et de gros blocs donc certains
pourraient avoir été déplacés. En son centre, une petite cabane en
pierre sèche, ruinée, plus récente, attesterait la fonction, probablement reconduite au fil des siècles, que nous proposons pour ce
point : aire de parcage ou de stabulation de troupeaux avec cabane
de berger ou plus simplement espace dévolu à l’économie agropastorale (ill. 3, 7, 8, 9 et 10).
- Le groupe 3 est composé, au nord du site de hauteur 1025, par
les points 1002, 1003 et 1004, difficilement interprétables, et au
sud, sur le versant bien exposé menant à la dépression et en bordure de cette dernière, par les points 1005, 1006, 1042 et 1027.
Ces sites, particulièrement 1005 et 1006 que l’on pourrait associer
car tangents, ont donné de grandes séries de céramique : 665 tessons pour le point 1005, à proximité duquel se trouve un petit
dolmen, et 727 tessons pour le point 1006 (planches 6, 7 et 8).
Les fragments d’objets manufacturés, en pierre, y sont également
très abondants (123 unités).
La présence du dolmen (cf. V. Porra, annexe III) peut suggérer
l’existence d’un axe de circulation, ces monuments mégalithiques
étant souvent situés en bordure des voies. Pérennité, bon sens ou
contrainte topographique : le chemin actuel passe tout à côté.
9 - Ensemble 1, « parement » extérieur du point 1043 vu du sud‑ouest.
10 - Ensemble 1, petite cabane ruinée, probablement médiévale ou
moderne, au centre du point 1043.
109
110
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
11 - ensemble 2, avec ses différents groupes, vus de l’ouest.
12 - Ensemble 2, groupes 1 et 2 vus du sud-est.
L’occupation à l’âge du bronze
13 - Ensemble 2, groupe 1. Au sein du point U, un aménagement estimé contemporain de l’occupation.
14 - La construction du point U, possible cabane.
L’ensemble 2, également bien marqué, est situé à environ 650 mètres au sud-est du précédent. Il intègre les
points W, U, V, 1018, 1019, 1020, 1021, 1031, 1012,
1011, 1013, 1029, 1030, 1014 et 1015. L’ensemble
s’étend également sur près de 3,5 ha. (ill. 3 et 11)
- Le groupe 1 a comme noyau principal dominant le
point W (et son élargissement U et en moindre part V).
Parmi les gros blocs des chaos qui l’occupent, parfois
aménagés, de gros panneaux de céramique ont été collectés (ainsi qu’un petit nodule de métal cuivreux, possible résidu de fonte). Les grands vases de stockage y
sont particulièrement représentés, suggérant un habitat (ill. 12 et 13). À l’extrémité sud-ouest du point U,
la présence d’un petit aménagement circulaire, d’envi-
ron 3,5 m de diamètre intérieur, est matérialisé par des
pierres et de gros blocs subcirculaires, tangents, posés
sur un seul lit. L’absence de fouille ne permet pas d’interpréter cette construction, possible cabane, dont on
ne sait, en outre, si elle est contemporaine (ill. 14).
- Le groupe 2 se développe en contrebas, vers le sud,
séparé par un court espace plat et bien dégagé, dont on
peut estimer, vu sa situation, qu’il occupe également un
« lieu de passage » (axe d’un col). Une piste y est encore actuellement en service, la même qui passe au pied
des points 1005 et 1006 de l’ensemble 1. Il est composé
par les points 1018, 1019, 1020, 1021, 1022 et 1031,
contigus, distingués par différents petits paliers, mais
surtout par d’importantes barrières rocheuses limitant partiellement de grands ensembles. Ainsi les
points 1020, 1021 et 1022, que l’on pourrait associer,
se démarquent en outre par une forte densité de mobiliers : près de 1 500 tessons pour les trois points ainsi
que 60 objets manufacturés en roche (ill. 15). Le statut
de ce site, auquel l’on accède aussi par une rampe naturelle encadrée par d’énormes blocs en place, est peu probant, l’espace relativement plan, partiellement circonscrit ou cloisonné par les barres rocheuses ou les chaos,
couvrant près de 2 500 m2. Ce dernier pourrait tout
aussi bien être lié à un habitat (pérenne ?), qu’à l’activité
productrice, comme éventuellement le secteur 1043 de
l’ensemble 1, par exemple à une zone de parcage ou de
stabulation de troupeaux.
- Le groupe 3, légèrement à l’écart, à l’est, comprend
les points 1011, 1012, 1013, 1014, 1015, 1029 et 1030.
Ces derniers, installés sur des replats étagés en pente
douce, sont relativement groupés. Au nord‑nord-est, ils
s’adossent aux chaos (non occupés) dominant les abrupts
très prononcés, presque à pic, menant au Bellagre, tandis qu’au sud, dans le sens de la pente, les vestiges se terminent en bordure d’un replat humide, sur lequel passe
le chemin actuel déjà évoqué, passage également obligé,
car au-delà de ce palier, toujours vers le sud, le relief
plonge vers une vallée encaissée. Indépendamment du
point 1030 ayant livré près de 600 tessons, les traces
de l’occupation restent très modestes. Cette (relative)
faiblesse est néanmoins à pondérer : toute cette zone a
été particulièrement bouleversée anciennement par la
présence probable de champs et, récemment, par d’importants travaux mécanisés (replantations par l’ONF)
(ill. 16).
111
112
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
15 - Ensemble 2, les groupes 2 et 3 vus de l’ouest.
16 - Ensemble 2, groupe 3, concentrations terminant la série des sites avant la rupture de pente descendant vers le sud.
Noter les profonds sillons dus aux replantations de l’ONF.
L’ensemble 3, à l’ouest, est à
plus de 850 mètres de l’ensemble précédent. Il est constitué
par les points assez lâches : A,
D, G, H, I, J, K, L, M et 1034
(ill. 3 et 17).
- Le point H, constituant
le groupe 1, est un petit site
de hauteur installé au sein
de la ligne de crête d’un
fort relief orienté nord-sud.
Relativement plan et dégagé
de tout matériau, l’espace circonscrit, de 18 m de long pour
10 m de large, est bordé au
nord-est par les vestiges d’un
alignement de pierres et de
gros blocs posés sur un seul
lit, formant une barrière artificielle, alors qu’à l’ouest, les
très fortes pentes menant au
Tarerach, ici particulièrement
encaissé, constituent une limite naturelle. Ses marges nord
et sud sont matérialisées par
d’importantes barres ou chaos
rocheux. Bien que de surface
réduite, ce site a fourni une intéressante série céramique collectée sur les parties bien sédimentées de la plate-forme où
la roche affleure par endroits,
mais aussi sur les premiers
mètres de la pente ouest, où
il a été jeté ou déplacé par les
pertes sédimentaires. Ces vestiges attestent certainement de
l’ancienne présence d’un habitat pérenne en ces lieux (ill. 18
et 19).
- Au pied du point H, à l’est,
se développe une large prairie,
bordée au nord par des chaos
rocheux en légère élévation, s’appuyant sur les premiers contreforts du Serrat Blanc. Dans
L’occupation à l’âge du bronze
cet ensemble peu cohérent, les
points I, J, K et L ont été enregistrés. Ils constituent le groupe 2 sans pouvoir distinguer si
celui-ci se rapporte à l’habitat
ou à une « zone d’activité » liée
à l’économie (ou aux deux).
- À l’extrémité sud du plateau, en léger pendage dans
cette direction, une « mouillère » est à l’origine d’un petit ruisseau assez encaissé
s’épanchant vers le sud. C’est
à proximité de cette modeste
résurgence que se situent plusieurs petites concentrations,
difficilement interprétables,
semblant plutôt signaler des
zones de fréquentation, éventuellement associées à la présence de l’eau ou à la proximité
de la prairie (pâtures). Il s’agit
des points M, G, D et 1034
constituant le groupe 3. Sur
la totalité de l’ensemble 3 les
objets manufacturés en roche
sont absents (plusieurs prospections postérieures ont été
effectuées sur ce site, elles ont
confirmé cette absence assez
surprenante). Bien que la série
céramique collectée soit globalement similaire à celle des
autres ensembles, cette distinction pourrait signaler un écart
chronologique ou éventuellement une économie particulière, autre. On doit prendre en
compte également le fait que
ces concentrations sont nettement excentrées par rapport à
l’axe de communication naturel qui relie les ensembles précédents, 1 et 2 (cette question
est plus amplement développée
dans le paragraphe 7).
17 - ensemble 3 avec ses groupes, vus du sud.
18 - le point H, site de hauteur installé au sein de la ligne de crête. Vue zénithale.
Outre ces ensembles circonscrits, quelques points « isolés » ont été enregistrés.
Certains, anecdotiques, attestant probablement d’un court épisode de fréquentation, n’ont livré que quelques tessons de céramique. Par contre, le point 1036
a fourni 64 tessons, le point 1033, installé sur un petit col, 126 tessons, et le
point 1024, bien à l’écart à près de 1000 m au sud, a livré 241 tessons. Ce dernier
site, associé à un probable petit dolmen, semble situé sur une ancienne piste descendant vers la Têt (cf. V. Porra, annexe III).
113
114
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
19 - Vue du sud, la plate-forme sommitale du point H et les vestiges d’une « limite »
la bordant, à l’est.
V - Mobiliers et chronologies
La série céramique, forte de près de 10 000 tessons,
serait à elle seule suffisante pour proposer une attribution chrono-culturelle. On peut en effet affirmer que
l’ensemble des traceurs observés est attribuable aux
âges du Bronze. Ces périodes couvrent toutefois près
de 1 500 ans, du Bronze ancien (2200 ans av. J.-C.) au
Bronze final (1300/700 av. J.-C.).
La faiblesse des références fiables à notre disposition
dans les Pyrénées-Orientales pour ces périodes (Claustre
1997), l’absence de fouilles, et donc de relations stratigraphiques, mais aussi l’état de la série, très érodée, s’avèrent
assez dommageables pour affiner cette fourchette. Ce dernier aspect est assez gênant, notamment pour apprécier
la qualité des finitions et surtout des décors (décor « rustiqué », incisé, estampé ou à base de cannelures). Certains
types ont toutefois été reconnus. La caractérisation des
formes, par exemple les décors plastiques ou les éléments
de préhension, est parfois hésitante : cordons lisses ou
impressionnés ? boutons, tétons ou départ d’anse ? fragment d’anse, de bracelet ou de pied polypode ? bord ou
fragment de panse aux arêtes érodées, arrondies ? Ce dernier inconvénient est particulièrement pénalisant : il n’est
pas rare que sur certaines séries fortes de près de 200 tessons, seuls 2 ou 3 bords, évidents car particuliers (digités,
à forte lèvre...) aient été reconnus. Ce décompte semble
loin de la réalité. Malgré ces pertes probables, l’étude des
différents pourcentages et ratios entre les panses et les
formes, bien que légèrement déficiente quant aux formes,
reste assez satisfaisante pour un habitat de plein air : les
formes représentent près de 9 %, et les panses 91 % (voir
inventaires et graphiques en annexe).
L’attribution chrono-culturelle des différentes zones
d’occupations ou même de l’ensemble est donc problématique, d’autant que certains points, les plus importants et les plus fournis, ce qui est logique, ont restitué
des éléments présumés appartenir, dans les grandes
lignes (?), au Bronze ancien : décor rustiqué, décor de
« coups d’ongles », cordons cupulés droits ou « en guirlandes », associés à des tétons sur un même cordon ;
ou au Bronze moyen : anses à poucier (cf. R. Iund, annexe II), impressions ou décors en ligne, parfois sur carène ; ou enfin au Bronze final : également anses à poucier, décors de cannelures parfois larges, horizontales ou
agencées, en chevrons.
La répartition et la répétitivité de certains marqueurs (accessoirement la proximité des sites du Mas
Lluisanes et du Mas d’en Colom datés du Bronze ancien,
Blaize 2006) suggèreraient que l’essentiel du mobilier,
et donc de l’occupation, doive être attribué à cette période (Bronze ancien, 2200/1700 av. J.‑C.), ce que nous
serions assez enclin à proposer (planches 1 à 12). Cela
n’exclut évidemment pas une occupation plus longue,
probablement en continu pendant cette période, tout au
moins sur certains points, notamment sur l’ensemble 1,
autour du site de hauteur 1025 (4 180 tessons).
L’industrie lithique, macro ou micro outillage, n’est
guère plus éloquente : quelques éclats de silex atypiques
plus ou moins retouchés (hors un fragment de pointe
de flèche probablement pédonculée, à retouches couvrantes), quelques éclats de roches tenaces exogènes
(radiolarites, jaspes) et enfin, comme habituellement,
quelques artefacts de quartz, dont une majorité de percuteurs (voir inventaires). À peine perçoit-on une légère prédominance de ces derniers, abondance relative qui
pourrait être mise en relation avec l’artisanat présenté
ci-dessous.
Les éléments de meunerie sont aussi peu attestés :
quelques molettes et seulement 6 meules à va-et-vient.
Ce chiffre, particulièrement bas par rapport à l’étendue
des vestiges, confirme la faiblesse de l’agriculture chez ces
populations.
L’occupation à l’âge du bronze
VI - Un artisanat très original
VI.1 - Les artefacts en chloritoschiste
Les occupations du plateau de Montalba ont donc livré des mobiliers « communs » pour les sites de l’âge du
Bronze, mais ces secteurs se distinguent surtout par une
importante production, tout à fait originale, celle d’un artisanat local utilisant un type de roche particulier pour
la fabrication d’« objets circulaires » en pierre. L’ensemble
de l’occupation du plateau est datée de l’âge du Bronze,
avec une plus forte densité d’éléments du Bronze ancien.
Aucun mobilier discordant n’a été reconnu, malgré une
série étoffée. Sachant que cet artisanat a été constamment
découvert associé à cette céramique, on peut proposer que
ces différents mobiliers soient contemporains, bien que
nous n’ayons trouvé aucune référence bibliographique
pour confirmer cette hypothèse, la littérature scientifique
au sujet de ces artefacts sur pierre étant très limitée.
Près de 250 fragments en relation avec cette production ont été collectés. Certaines pièces restent énigmatiques, mais l’essentiel, soit plus de 90 %, se rapporte à des
bracelets (voir étude technique ci-après). Ces pièces, qui
témoignent de toutes les étapes de la chaîne opératoire,
allant du disque grossièrement ébauché pour aboutir à
l’objet fini, sont à 99 % exécutées à partir d’une roche particulière, les chloritoschistes (cf. M. Martzluff, P. Giresse
chap. X), offrant des qualités intéressantes pour une exploitation intensive, facile à travailler (dureté moyenne),
et qui présente à la finition un toucher et un aspect agréable, poli et légèrement brillant (ill. 20, 21, 22). Plusieurs
gîtes de cette roche ont été découverts à l’ouest, de l’autre
côté du Tarerach, hors de la zone brûlée (ravin de la
Figuerassa), ou en limite nord-ouest du plateau, à quelques centaines de mètres, où ce minéral affleure (voir
ill. 24, en fin de texte). Un seul artefact a été trouvé à
proximité de ce dernier gisement, et aucun sur le premier.
Il est donc clair que ces bracelets n’étaient pas élaborés
sur place.
Une petite partie de cette production (9 %) a été collectée sur les secteurs présumés d’habitat (groupes 1 des
ensembles 1 et 2), cependant le solde, soit 91 %, était
dispersé sur des zones autres. Il s’agit des groupes 3 des
ensembles 1 et 2 : de grands espaces s’étirant sur un axe
sud-est nord-ouest, aux pendages peu prononcés vers le
sud, où ils viennent au contact de zones basses, planes
et relativement humides (prairies). Ces dernières s’étirent
également sur un même axe de bas de versants (inventaires et graphiques dans l’étude ci-après). Ces secteurs
bien exposés au sud, à proximité de pâtures, avaient été
interprétés comme zones de pacages ou de stabulation
de troupeaux, l’élevage représentant traditionnellement
la principale économie de ces populations.
Cette situation amène plusieurs remarques : les
chloritoschistes manufacturés ne présentent pas de
concentration particulière attestant l’existence d’une
ou de plusieurs structures pérennes spécialisées, ateliers de débitage ou de façonnage des bracelets. D’autre
part, ces vestiges semblent avoir été dispersés sur des
secteurs que l’on suppose fréquentés par les bergers
surveillant des troupeaux sur les pâtures en contrebas.
20 - Ébauches de bracelets en chloritoschiste.
21- Bracelets en cours d’élaboration.
22- Fragments de bracelets terminés.
115
116
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
Cette occupation peu astreignante procure du temps libre pour s’adonner à de petits travaux artisanaux, surtout
s’ils peuvent s’avérer lucratifs. On pourrait donc estimer
qu’une grande partie de cette production était élaborée
par des bergers. Le fait qu’il s’agisse là d’« artisans » improvisés, parmi lesquels probablement des enfants, explique peut-être la présence, au sein de cette série, d’une
quantité importante de bris et de quelques maladresses
observées, sans remettre pour autant en question la qualité de la production.
Il semblerait donc que nous soyons en présence d’une
industrie locale opportuniste, dictée par la présence des
chloritoschistes à proximité, et en aucun cas d’un marqueur culturel comme cela a été mis en évidence dans
certains groupes du Néolithique ancien, dans le centre,
l’est et le nord de la France. Hors de rares exceptions,
les bracelets appartenant à ces populations diffèrent
d’ailleurs par leurs profils et la matière première utilisée,
généralement des schistes tendres.
VI.2 - À propos de l’artisanat du plateau de Montalba
Les fragments de bracelets finis (et probablement portés) découverts sur les sites, sont sans doute à rapprocher des éléments de la culture matérielle « classique »,
les productions céramiques et lithiques que l’on retrouve
habituellement sur les gisements, vestiges perdus ou brisés lors de l’occupation ou a posteriori. Cette observation,
apparemment banale, est en fait plus complexe. Ces artefacts, notamment les bracelets, sont surreprésentés sur le
plateau de Montalba par rapport à d’autres sites de cette
période. D’où une première interrogation : les occupants
des lieux avaient-ils une forte propension à se parer ? En
serait-il de même s’ils n’avaient pas eu à disposition et en
abondance les matériaux nécessaires à cet artisanat et le
temps pour l’élaborer ? On peut en douter, cette « vogue »
n’étant pas un des traits caractéristiques de ces périodes,
tout au moins sur les sites connus dans notre région où
ces parures de pierre sont rares si ce n’est totalement absentes. Ce constat tend à montrer que cette production
ne procédait donc pas du goût de ces populations pour
la parure ou d’une habitude culturelle. Il s’agirait plutôt
d’une industrie opportuniste, dirigée vers l’économie et
le commerce.
Ces fragments de bracelets ont parcouru des millénaires, pour ressurgir aujourd’hui, seules preuves conservées
d’un artisanat par lequel le plateau de Montalba se dis-
tingue... simplement parce que ces témoins ont pu sans
grand dommage nous parvenir. On peut supposer que
d’autres artisanats, sur des sites contemporains, pouvaient
exister, la sparterie, la vannerie, le tissage ou l’élaboration
d’objets en bois ou en os, utilitaires ou prestigieux. Ces
productions, au même titre que celle des bracelets pourraient donc singulariser des sites, des groupes ou des familles, au sens large, « spécialisés » dans certains types de
produits, selon la matière première se trouvant sur leur
territoire. Mais ces artisanats en matériaux périssables ne
laissent aucune trace...
Deux autres aspects, plus techniques cette fois, pourraient conforter l’idée d’une production destinée aux
échanges et éclaircir certains points.
Les pièces liées à la production des bracelets sont au
nombre de 214. Découvertes en prospections de surface,
on peut estimer ce nombre comme minimal. Cet aspect
quantitatif, dont le rapport avec le reste du mobilier est
de toute façon proportionnel, n’est donc pas essentiel
dans cette démonstration, la série étant homogène et
nombreuse. Bien plus pénalisante nous paraît être pour
cette approche l’incapacité de quantifier la part des
bracelets « finis ». En simplifiant, les bris provenant de
cette élaboration représentent 93 %, et donc le nombre
de bracelets aboutis découverts 7 %. Il semblerait au
premier abord, vu l’énorme part des « ratés », que cette
production ne bénéficie pas d’un grand savoir faire, et
ne soit guère performante. Nous ne le pensons pas, au
vu du haut degré de régularité et de finition des fragments « finis », souvent très délicats. Ce schéma n’est
donc pas si simple : il est certain que les déchets sont
représentatifs de maladresses (« débutants », enfants ?),
par contre les artefacts qui ont pu traverser toutes les
étapes de la chaîne opératoire sans dommages, jusqu’à
l’aboutissement, n’ont pas laissé de traces, car ces objets
ne se trouvent plus sur les sites. La part des objets achevés avec succès est impossible à évaluer à partir des éléments à notre disposition (bris, techniques de fabrication), et elle ne saurait être quantifiée sans l’archéologie
expérimentale. Il semble toutefois, et c’est une question
de bons sens pour un minimum de « rentabilité », que
la part des objets finis devait au moins atteindre le tiers
de celle des « ratés ». Cette proposition donne une idée
différente de la quantité de bracelets fabriqués et donc
« exportés ».
L’occupation à l’âge du bronze
23 - Ensemble 1, le plus représentatif du schéma de l’occupation en pyramide, dont les zones basses, de pacage (et d’artisanat) sont installées en bordure d’un itinéraire.
VII - Propositions sur l’organisation
collective des sites et des ensembles
L’ensemble 3, autour du point H, habitat de hauteur
de type oppidum, occupe une place à part, tant réelle que
figurée : cet ensemble, a priori contemporain des autres
(cordons digités, décors « rustiqués » et anse à poucier),
n’a pourtant livré que deux artefacts en chloritoschiste,
de plus informes. Cette originalité ne peut être imputée
à une économie différente de celle des autres ensembles,
cet ensemble possédant pareillement des prairies humides (pacages), associées à une « mouillère », mais plutôt à sa situation géographique particulière sur le plateau. En effet, l’ensemble 3, situé à l’ouest sur les forts
reliefs dominant le ruisseau encaissé du Tarerach, bien
qu’établi à proximité d’une possible voie (secondaire) se
dirigeant vers le sud, est à l’écart du centre du plateau
de Montalba, plateau traversé par un important axe de
communication naturel, orienté nord-ouest sud-est.
Les secteurs de bas de pente (constituant les groupes 3 des ensembles décrits), ont livré la majorité de la
production en chloritoschiste (183 pièces). Ces derniers
ont été mis en relation avec le pastoralisme (zones de
pacage ou de stabulation), et ont surtout été interprétés
comme « zones de fréquentation », ou de passage, du fait
de la proximité de cet axe, qualifié d’ailleurs (encore ?)
aujourd’hui de « vieil itinéraire pastoral », et sur lequel
passe le chemin actuel.
Sur le point 1005, de l’ensemble 1, groupe 3, particulièrement riche en mobiliers, à quelques mètres de ce chemin, se trouve un petit dolmen (ill. 23). Font écho à ces sites, plus de 1 500 m à l’ouest, hors zone brûlée, au-delà du
ruisseau encaissé du Tarerach, les importants vestiges de
même époque du Mas de Lluisannes (Abélanet 1987b),
associés à deux dolmens, où J. Abélanet avait également
découvert des artefacts en chloritoschiste, ébauches et
bracelets (ill. 24).
Il semblerait donc que la clef de la vie des sites du plateau consiste en pastoralisme, itinéraires pastoraux (indissociables des dolmens), et artisanat de bracelets, élaborés et probablement proposés, sur le plateau, le long de
ces cheminements. Ce dernier volet pourrait s’accommoder tout à fait de réunions plus importantes, saisonnières,
foires ou autres, notamment lors de mouvements ou de
rassemblements liés à la transhumance.
117
118
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
24 - à l’ouest, au delà du point H et hors zone brûlée, le Mas de Lluisannes sur lequel se situent des vestiges
contemporains ainsi que deux dolmens. Des gîtes de chloritoschiste se trouvent en bordure et en amont du
ravin de la Figuerrassa.
VIII - Itinéraires et résonances
Le plateau de Montalba occupe une situation originale dans le paysage
agro-pastoral des sociétés médiévales et modernes assurant la liaison entre
la plaine du Roussillon et les pâturages d’altitude situés plus au nord ouest
(cf. J.-P. Comps, chap. VII). « Cet axe potentiel de transhumance facile, encore marqué par les carrerades qui escaladent depuis Ille ou Rodès le plateau de
Montalba, est aussi ponctué de nombreux monuments mégalithiques, menhir
de la Peyre Drete, dolmens de Lieusanes, de Campoussy, du col de Tribes, de
Cortal Fosset..., voire de rochers à cupules ou gravés comme celui des Quarante
Croix (Abélanet 1990, 1992) » (cf. M. Calvet, chap. II : « Un espace charnière sur de vieux itinéraires pastoraux »). La chance nous est donnée de
pouvoir attester, par la présence de ce segment d’itinéraire de plus de 3 km,
balisé par les mobiliers et les dolmens, une telle fonction déjà en place aux
âges du Bronze (ill. 25).
Un problème subsiste cependant, celui de la diffusion des bracelets.
En effet, ces derniers, que l’on peut considérer comme de bons traceurs,
sont à ce jour totalement absents du paysage archéologique départemental, hormis trois artefacts trouvés à moindre distance, dans les environs
de Montalba-le-Château, au nord-est, près de la chapelle. Les fragments
de bracelets découverts dans notre département se résument à quatre ou
cinq pièces et n’ont à notre connaissance (trois ont été découverts par nous
même) aucun point commun avec les productions du plateau de Montalba,
qu’il s’agisse de la matière première employée (autre que chloritoschiste),
ou surtout de l’écart chronologique, certaines de ces découvertes s’inscrivant dans un contexte plus ancien (Néolithique).
Plusieurs travaux archéologiques ont été menés sur des sites de la même
période, tout proches, au nord de ces secteurs, comme la fouille de la Caune
de Bélesta, ou les importants travaux de prospections, sondages et fouilles
effectués dans le cadre de la construction du barrage sur l’Agly à Caramany.
Complétant ces travaux, des prospections
pédestres ont permis d’enregistrer près
d’une dizaine de ces habitats de plein air,
parfois importants (Caramany, Trilla,
Trévillach, Felluns), dont une bonne part
s’échelonne le long des crêtes dominant la
vallée de l’Agly. Ces prospections, reprises
tout récemment afin de vérifier ou non
l’existence de cette production à l’époque
méconnue, se sont avérées stériles, tout
comme les précédentes fouilles : aucune
trace de cet artisanat sous quelque forme
que ce soit. On pourrait ainsi avancer que
les zones au nord du plateau de Montalba,
vers l’Agly et le Fenouillèdes, n’ont pas eu
de contacts privilégiés avec ces sites, et que
la présence de ces artefacts serait plutôt à
rechercher vers le nord-ouest, dans l’axe
proposé par ce travail, c’est-à-dire vers les
lignes de crête se déroulant du plateau de
Montalba jusqu’à Roque Jalère ou bien
plus haut, vers le Conflent ou le Capcir,
terres de transhumance. En l’état actuel de
la recherche, seuls quelques fragments de
bracelets sont connus, en Cerdagne et en
Catalogne sud, mais ces parures, de même
type, élaborées avec des techniques identiques, ont utilisé des matières premières
différentes (lignite ou talc). Ils témoignent
en fait d’un artisanat parallèle local, opportuniste, sans relation avec celui du plateau
de Montalba. Il faut donc convenir que là
encore, les productions de la « Montagne
brûlée » sont totalement absentes. Sur le
plateau de Montalba, cet artisanat nous
est parvenu parce qu’il était extrêmement
abondant, probablement bien plus important que celui que les collectes de surface
nous ont permis de révéler. Serait-il envisageable, comme pour d’autres éléments
de la culture matérielle, que suite à leur
dispersion, aux processus de dégradation
naturelle ou aux prélèvements réalisés par
les hommes des siècles suivants, réduisant
le stock de départ, ces industries ne puissent plus être retrouvées ailleurs ?
L’occupation à l’âge du bronze
Montalba
Tarerach
Le Planal
v.
Ra
Mas d’en Colom
Roc del Maure
de
Be
llagre
T
Le
arerach
Lieusanes
La Cougoulère
0
1000m
Rodès
Gîtes de chloritoschiste
Sites déjà connus
Barrage de Vinça
Lo Castello
Vinça
25 - Ensemble des vestiges du plateau de Rodès élargi. Propositions d’itinéraires liés au pastoralisme à l’âge du Bronze.
119
120
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
IX - Conclusions
Les différentes données issues des prospections et de
l’étude des vestiges du plateau de Montalba attestent
d’une importante présence durant l’âge du Bronze, avec
une forte prédominance au Bronze ancien, période en
conséquence à l’origine de l’occupation durant cet âge.
Cette occupation, qui couvre de grandes surfaces, tant
sur les secteurs brûlés faisant l’objet de ce travail (150 ha),
que sur les secteurs limitrophes où d’importants vestiges
contemporains étaient déjà connus, est tout à fait inédite
dans notre département. L’étude de la répartition spatiale
de près de 50 concentrations, scindées en 3 grands ensembles distincts divisés en 3 groupes, a été menée sur
la base d’une organisation hiérarchisée à partir de la topographie et de la géographie des lieux. Ainsi, au sommet se trouve l’habitat principal de hauteur (groupe 1) ;
en situation médiane, des secteurs « secondaires », sans
exclure l’habitat sous une autre forme, paraissent liés
aux activités économiques (groupe 2) ; enfin la base est
constituée par des versants peu prononcés, bien exposés
au sud, aboutissant à de larges prairies humides, zones de
pacages probables (groupe 3).
L’élevage, en effet, et cette orientation est bien en accord avec les connaissances que nous avons de l’économie
de ces périodes, semble être la principale ressource de ces
populations, ce qui est ici tout à fait adéquat, ces paliers
de moyenne montagne constitués par de larges plateaux,
sur lesquels les pâtures et l’eau sont bien présentes, étant
tout à fait propices à une activité agro-pastorale. De plus
– est-ce un hasard ? – ces vestiges sont situés sur un itinéraire lié au pastoralisme, confirmé par la cartographie et
la présence de dolmens. Le chemin actuel passe d’ailleurs
encore sur cette voie.
Contemporain de l’occupation, un important artisanat
original de fabrication de bracelets en chloritoschistes à
partir de matière première locale est attesté par près de
250 pièces, décrivant la totalité de la chaîne opératoire,
de la matière première brute à l’objet fini, finement lustré. Cette production opportuniste, à vocation sans doute
commerciale, semble élaborée par les bergers lors de la
garde des troupeaux, la grande majorité de ces objets, des
rebuts de production, ayant été découverts en bordure
des prairies.
La diffusion de cet artisanat d’appoint pose problème.
quasiment aucun de ces artefacts bien caractéristiques
n’ayant été découvert sur les sites voisins, pas plus que sur
d’autres zones, limitrophes ou plus éloignées comme le
Conflent ou le Capcir, destinations privilégiées des éleveurs en période de transhumance (M. Calvet chap. II
et M. Bernat-Gaubert chap. XVII) . Bien que de nombreuses contingences affectent cette étude, l’occupation
du plateau de Montalba devient désormais un site de référence pour l’habitat et l’économie des âges du Bronze.
Ces populations pourraient avoir initié des schémas empreints de connaissances et de bon sens, schémas qui se
répèteront au Moyen Âge, pour ce qui est de la « pyramide féodale », sans parler des formes d’organisation sociale : château, ville basse et terres basses mises en culture,
mais aussi, pour ce qui a trait à l’économie agro-pastorale
et à son fonctionnement, des « itinéraires pastoraux »,
attestés jusqu’à la période moderne, et semblant déjà mis
en place près de trois millénaires avant.
. Cet absence de bracelets en pierre dans les proches stratigraphies de l’âge
du Bronze à Bélesta et à Montou (Corbères-les-Cabanes) est troublante. Et l’on
ne trouve en effet que de très ambigus et rares signes de cet artisanat dans le
contexte local. C’est le cas pour un tout petit anneau cranté de pierre verte
trouvé dans le dolmen 1 du Serrat de les Fonts à Saint-Marsal par Jean Abélanet, dans un environnement de roches gravées protohistoriques des Aspres
(J. Abélanet, Dolmens et rites funéraires en Roussillon et Pyrénées catalanes :
itinéraires mégalithiques, AAPO éd., publication à paraître). Seul vestige trouvé
dans la fouille du coffre, ce petit objet d’ornement – est une imitation en pierre
des parures en bronze de la fin du second millénaire avant notre ère. Par
ailleurs, Florent Mazière signale sur le site du Bronze final de Los Valls, à
Camélas, toujours dans les Aspres, la présence « d’une rondelle en schiste
sommairement dégrossie, portant, en son milieu, une sommaire perforation qui
n’a pas été achevée ». (Kotarba, Castellvi, Mazière 2007, notice 033, p. 268).
Au Sud des Pyrénées, dans le bassin moyen de l’Èbre, en Aragon, d’importants
habitats défensifs de hauteur de la fin du Bronze moyen (proto oppida), ont
livré une production de bracelets en pierre, tel le site de Geno, prov. de Lleida
(R. Iund, ce chapitre, annexe II). Une relation avec les sites du plateau de
Montalba est cependant peu probable.
L’occupation à l’âge du bronze
ø 14
ø 32
5 cm
Dessins A. Vignaud
Planche 1 : Ensemble 1, groupe 1 – 1025-1 (Y. Blaize).
121
122
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
5 cm
Ensemble 1, Groupe 1 - 1025-1 (Y. Blaize)
5 cm
Décor "rustiqué”
Ensemble 1, Groupe 1 - 1025 S1
Planche 2 : Ensemble 1, groupe 1 – 1025 S1.
Dessins A. Vignaud
L’occupation à l’âge du bronze
5 cm
Dessins A. Vignaud
Planche 3 : Ensemble 1, groupe 1 – 1025 S2, 3, 4, 5, 6 et 7 (bases du site de hauteur 1025).
123
124
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
5 cm
Planche 4 - Ensemble 1, Groupe 1, 1025 S2, 3, 4, 5, 6 et 7 (bases 1025-S1)
5 cm
Décor "rustiqué"
Planche 5- Ensemble 1, Groupe 2, point 1043
Dessins A. Vignaud
Planches 4-5 : Ensemble 1, groupe 1 (1025 S) et groupe 2 (1043).
L’occupation à l’âge du bronze
1002
1005
carène digitée
5 cm
décor “rustiqué”
1006
Planche 6 : Ensemble 1, groupe 3. Points 1002, 1005 et 1006.
Dessins A. Vignaud
125
126
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
1042
5 cm
décor “rustiqué”
1027
Planche 7 - Ensemble 1, Groupe 3. Points 1042 et 1027
W
5 cm
décor “rustiqué”
Planche 8 - Ensemble 2, Groupe 1, point W
Planches 7 et 8 : Ensemble 1, groupe 3, et Ensemble 2 groupe 1, point W.
Dessins A. Vignaud
L’occupation à l’âge du bronze
U
5 cm
Ensemble 2, Groupe 1, points U et V
V
1020
5 cm
1021
Ensemble 2, Groupe 2, points 1020 et 1021
Planche 9 : Ensemble 2, groupe 1, points U et V, et groupe 2, points 1020 et 1021.
Dessins A. Vignaud
127
128
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
1022
5 cm
Ensemble 2, Groupe 2, point 1022
1012
1013
1015
carène digitée
1030
5 cm
ø intérieur 45 mm (?)
1031
Ensemble 2, Groupe 3, points 1012, 1013, 1015, 1030 et 1031
Dessins A. Vignaud
Planche 10 : Ensemble 2, groupe 2 (point 1022) et groupe 3, points 1012, 1013, 1015, 1030 et 1031.
L’occupation à l’âge du bronze
H
5 cm
I-i
K
5 cm
Dessins A. Vignaud
Planche 11 : Ensemble 3, groupe 1 (H) et groupe 2 (I, K).
129
130
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
5 cm
L
D
J
5 cm
G
1036 (point isolé)
1034
bracelet ou anse ?
5 cm
Dessins A. Vignaud
Planche 12 : Ensemble 3, groupe 2 (L et J) et groupe 3 (D, G et 1034).
La céramique de l’ensemble 1, groupe 1, point 1025.
Total tessons
Panses
Décor rustiqué ("crépi")
Décor incisé/estampé
Carène vive
Carène môle
Préhension indéterminée
Languette
Téton double horizontal
Téton sous bord
Téton
Anse à poucier
Anse
Cordons agençés
Cordon incisé/estampé
Cordon cupulé
Cordon lisse
Fond plat
Bord digité/incisé
Bord aplani
Bord
L’occupation à l’âge du bronze
2500
Total Ensemble 1, Groupe 1 (1025)
2000
1500
1000
500
0
131
La céramique de l’ensemble 1, groupes 2 et 3.
Total tessons
Panses
Décor rustiqué ("crépi")
Décor incisé/estampé
Carène vive
Carène môle
Préhension indéterminée
Languette
Téton double horizontal
Téton sous bord
Téton
Anse à poucier
1400
Anse
600
Cordons agençés
Cordon incisé/estampé
Cordon cupulé
Cordon lisse
Fond plat
Bord digité/incisé
Bord aplani
Bord
132
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
Ensemble 1, Groupe 2 (1043,1026)
500
400
300
200
100
0
Ensemble 1, Groupe 3 (1005, 1006…)
1200
1000
800
600
500
400
200
0
La céramique de l’ensemble 1 avec ses 3 groupes, totaux et pourcentages.
Formes ou décors
Décor rustiqué ("crépi")
Décor incisé/estampé
Carène vive
Carène môle
Préhension indéterminée
Languette
Téton double horizontal
Téton sous bord
0
400
Ensemble 1, pourcentage sans les panses
(sur 387 formes ou décors)
300
250
200
150
100
50
0
Nombre
tessons
Panses
4000
Téton
350
Anse à poucier
Anse
Cordons agençés
Cordon incisé/estampé
Cordon cupulé
Cordon lisse
Fond plat
Bord digité/incisé
Bord aplani
Bord
L’occupation à l’âge du bronze
4500
Ensemble 1, total (4180 tessons)
3500
3000
2500
2000
1500
1000
500
133
0
La céramique de l’ensemble 2, groupes 1, 2 et 3.
Total tessons
Panses
Décor rustiqué ("crépi")
Décor incisé/estampé
1000
Carène vive
0
1800
Carène môle
1400
Préhension indéterminée
1600
Languette
Téton double horizontal
Téton sous bord
Téton
Anse à poucier
Anse
Cordons agençés
Cordon incisé/estampé
Cordon cupulé
Cordon lisse
Fond plat
Bord digité/incisé
Bord aplani
Bord
134
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
Ensemble 2, groupe 1
1200
1000
800
600
400
200
1600
Ensemble 2, groupe 2
1400
1200
1000
800
600
400
200
0
1200
Ensemble 2, groupe 3
800
600
400
200
La céramique de l’ensemble 2, avec ses 3 groupes, totaux et pourcentages.
0
Ensemble 2, pourcentage sans panses (250 formes et décors)
200
150
100
50
0
Nombre
tessons
Panses
250
Formes ou décors
Décor rustiqué ("crépi")
Décor incisé/estampé
Carène vive
Carène môle
Préhension indéterminée
Languette
Téton double horizontal
Téton sous bord
Téton
Anse à poucier
Anse
Cordons agençés
Cordon incisé/estampé
Cordon cupulé
Cordon lisse
Fond plat
Bord digité/incisé
Bord aplani
Bord
L’occupation à l’âge du bronze
4500
4000
Ensemble 2, total (4269 tessons)
3500
3000
2500
2000
1500
1000
500
135
0
La céramique de l’ensemble 3, groupes 1, 2 et 3.
Total tessons
Panses
Décor rustiqué ("crépi")
Décor incisé/estampé
Carène vive
Carène môle
Préhension indéterminée
Languette
Téton double horizontal
Téton sous bord
Téton
Anse à poucier
Anse
Cordons agençés
Cordon incisé/estampé
Cordon cupulé
Cordon lisse
Fond plat
Bord digité/incisé
Bord aplani
Bord
136
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
250
200
Ensemble 3, groupe 1
150
100
50
300
0
250
Ensemble 3, groupe 2
200
150
100
50
0
250
Ensemble 3, groupe 3
200
150
100
50
0
La céramique des points isolés, totaux et pourcentages.
0
Points isolés, pourcentage des formes et décors (34 unités)
30
25
20
15
10
5
Nombre
tessons
Panses
35
Formes ou décors
Décor rustiqué ("crépi")
Décor incisé/estampé
Carène vive
Carène môle
Préhension indéterminée
Languette
Téton double horizontal
Téton sous bord
Téton
Anse à poucier
Anse
Cordons agençés
Cordon incisé/estampé
Cordon cupulé
Cordon lisse
Fond plat
Bord digité/incisé
Bord aplani
Bord
L’occupation à l’âge du bronze
300
Points isolés, total (299 tessons)
250
200
150
100
50
137
Total général des céramiques du plateau de Montalba, tous points confondus.
0
Formes ou décors
Décor rustiqué ("crépi")
Décor incisé/estampé
Carène vive
Carène môle
Préhension indéterminée
Languette
0
800
Total général, formes et décors (777 unités)
600
500
400
300
200
100
Total
tessons
Panses
9000
Téton double horizontal
Téton sous bord
700
Téton
Anse à poucier
Anse
Cordons agençés
Cordon incisé/estampé
Cordon cupulé
Cordon lisse
Fond plat
Bord digité/incisé
Bord aplani
Bord
138
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
10000
Total général (9460 tessons)
8000
7000
6000
5000
4000
3000
2000
1000
Annexe I
Bracelets et autres artefacts,
aspects technologiques
Alain Vignaud
Cette annexe présente l’étude d’une production originale mise en évidence lors des prospections sur le plateau de Montalba, sur les sites occupés durant l’âge du
Bronze. Cet artisanat, attesté par 245 individus, est élaboré à partir d’une roche locale : le chloritoschiste (voir
infra : « les vestiges de l’âge du Bronze »). La série est
composée par 214 fragments liés à la fabrication de bracelets, de 29 pièces nommées « disques perforés de petite
taille », à la fonction énigmatique, et enfin de 2 artefacts
dissemblables et inclassables.
Aspects techniques, vocabulaire
Afin de donner une description de la chaîne opératoire
et des différentes pièces, quelques aspects sont à préciser, de même que la terminologie utilisée dans les fiches
d’inventaires.
Pour l’ébauche discoïde préformée (phase 1), la circonférence (la tranche) correspond donc également à la partie extérieure du futur bracelet (grand diamètre ou diamètre extérieur). Le petit diamètre ou diamètre intérieur
du bracelet est déterminé par le creusement ou la dépose
(enlèvement) du centre de l’ébauche (du bracelet) par différentes techniques que nous présentons par la suite.
L’ébauche, à plat (et donc également le bracelet), présente deux faces : la face supérieure et la face inférieure.
La première est le plus souvent concernée par le façonnage. La partie pleine à enlever à l’intérieur du bracelet
(diamètre intérieur) y est dans un premier temps matérialisée par un « piquetage » linéaire, en pointillé, plus ou
moins poussé. Cette première amorce, pas toujours vérifiée, est quelquefois également effectuée sur la face inférieure. À l’intérieur du cercle ainsi circonscrit (piqueté), la
matière est enlevée, par différentes techniques (phase 2),
jusqu’à obtention de l’anneau dégagé, présentant encore
des excroissances résiduelles du façonnage, notamment
sur la circonférence du diamètre intérieur (phase 3). Ces
proéminences sont par la suite enlevées, par raclage ou
abrasion, jusqu’à l’obtention d’un anneau plus ou moins
régulier (phase 4), assez éloigné de l’aspect d’un bracelet
« fini », bien poli et lustré (phase 6).
La phase 5, qui n’apparaît pas ici, sera commentée par
la suite.
140
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
I - Les bracelets
Sauf quelques ébauches plus ou moins élaborées, la
totalité des restes de cette production est fragmentée :
aucune pièce entière n’a été découverte. Toutefois, les différents stades de la chaîne opératoire sont suffisamment
documentés pour permettre son étude (voir inventaires
et graphiques en annexe). Ainsi, de façon schématique,
se distinguent des volumes bruts ou préformés, généralement discoïdes (ébauches), des disques ou anneaux à
différents niveaux de façonnage (phases 2, 3 et 4), largement majoritaires, et enfin des bracelets aboutis, finis,
mais brisés. Outre ces fragments d’artefacts bien identifiés, quelques débris, essentiellement des « chutes techniques » souvent informes, résultent de la préparation
du plan de travail (débrutage et égrisage pour les lapidaires).
I.1 - La matière première
Les chloritoschistes à biotite employés pour la fabrication des bracelets et autres ustensiles sont globalement
homogènes. Seules quelques petites variantes sont perceptibles, surtout dans l’aspect et la couleur, dues à la
densité ou à la répartition des composantes de base du
minéral et à son degré de schistosité et donc de dureté.
Cette roche provient sans doute d’une même formation,
d’un même horizon géologique et donc géographique.
Ce matériau a été découvert en plusieurs points. Il est
présent sous forme de galets supposés erratiques (en
contrebas et au nord du point 1025) et d’affleurements
ou de filons bien marqués. Ceux-ci ont été détectés au
nord-ouest du plateau, en limite des vestiges, sur de petits reliefs collinaires érodés (gîte 1), et à l’ouest, hors
zone brûlée, en contrebas du mas de Lieusannes, aux
abords et en amont du Vallat de la Figerrassa (gîte 2,
ill. 24, 25 du texte précédent). On peut penser, vue
l’étendue du territoire, que d’autres gîtes de cette roche
ont pu nous échapper lors des prospections pédestres,
ces gisements pouvant s’avérer très discrets ou dans
des secteurs difficiles d’accès. L’origine locale de cette
matière première est bien confirmée, par la carte géologique du plateau de Montalba et par les analyses pétrographiques (cf. P. Giresse ci-dessous) « Les bracelets
en micaschiste au sud de Montalba-le-Château-66 »)
réalisées sur les artefacts et sur un échantillon de roches
similaires, en place sur le site.
1 - Affleurement d’un banc de chloritoschiste au nord-ouest du plateau.
Pour ce travail, trois groupes principaux de chloritoschistes ont été reconnus, à partir de leur aspect et de leur
couleur, suggérant une origine gîtologique différente ou
variable. Ces groupes apparaissent dans les grilles des fiches d’inventaires.
- Le groupe dit « standard », le plus courant, se caractérise par une roche gris verdâtre, incluant de toutes petites particules de biotite et de mica argenté. Assez homogène dans son aspect, ce minéral semble d’une bonne
densité. Cette matière première proviendrait du Vallat
de la Figuerrassa. Sa représentation, au sein des différents habitats ou zones de fréquentation, est également
répartie.
- Le groupe dit « à gros mica », se caractérise par une plus
forte quantité de mica, argenté ou plus foncé, dont les particules sont aussi de format plus grand. La couleur verte,
dominante, est également plus soutenue. Ils proviendraient du gîte 1, localisé au nord-ouest du point 1005,
peu distant (ill. 1).
- Le groupe des « chloritoschistes autres » est composé
de roches plus grenues, moins homogènes, proches
des gneiss. Leur coloration est plus claire, d’un beige
parfois rosé (oxydes). Ce matériau peut être vacuolé
(petites géodes), veiné ou parsemé de cristaux, essentiellement d’orthose (feldspath), blanchâtres et différemment altérés.
- Un quatrième groupe pourrait être distingué, caractérisé par un chloritoschiste en plaquettes, peu épaisses et de couleur gris foncé. Il n’est représenté que par
3 artefacts, tous 3 découverts sur le point 1016 proche
de l’ensemble 2. Ce rapprochement, vu la faiblesse de
l’échantillon, semble anecdotique. Une roche semblable
se retrouve également sur le gîte 2.
annexe I Les bracelets de l’âge du Bronze
Ces variantes, peu importantes dans le cadre de ce travail, sont l’indice d’une morphogenèse ou micromorphologie différente, probablement très limitée, ne remettant
nullement en cause l’origine locale de ces différentes matières premières.
Au sein de ces groupes, les chloritoschistes « standard » sont de loin les plus représentés. Ils constituent
près de 94 % de l’ensemble. On les retrouve dans tous
les secteurs du plateau ayant fourni une telle industrie.
Le groupe des « chloritoschistes autres », avec près de
5 %, occupe la seconde position. Il semblerait que ce
type de matériau soit mieux attesté sur l’ensemble 2,
groupe 2 (points 1020, 1022). Les « chloritoschistes
à gros mica » atteignent 1 %. On les trouve surtout
dans l’ensemble 1, points 1025, et accessoirement 1005
et 1006. Cette situation est assez logique, car ces zones
ont fourni l’essentiel des séries, et d’autre part le gîte originel présumé est peu éloigné, à quelques centaines de
mètres au nord-ouest. Malgré cette proximité, ce faible
pourcentage pourrait s’expliquer par le fait que ce chloritoschiste, plus dense et compact, soit plus malaisé à
façonner.
1.2 - Les marques d’élaboration
La très grande majorité des stigmates d’élaboration
correspond à des enlèvements, à des négatifs laissés par
des « outils » (ill. 2) et en phase finale à un traitement
des surfaces ne laissant que peu de traces. D’autre part,
l’exposition prolongée des pièces à l’air libre a, selon les
cas, atténué ces marques, quelquefois visibles uniquement en lumière rasante. Cet inconvénient est accentué
pour le groupe des « chloritoschistes autres », plus sensibles à l’érosion, mécanique ou chimique.
- Les forts impacts, produisant des enlèvements de plusieurs centimètres, sont uniquement marginaux. Ils sont
destinés à dégrossir ou préformer, par épannelage, la matière première brute.
- Les négatifs larges sont des cupules d’environ 3,5 à
5 mm de diamètre pour une profondeur variable, selon
la puissance de l’impact, allant de 1 à 2,5 mm. Le négatif, à la base irrégulière, montre une couleur généralement plus claire, la roche ayant été déstructurée par le
choc. Ces enlèvements, grossiers et non ordonnés, inter-
viennent lors de la première phase de façonnage destinée
à dégrossir le matériau. Ils sont localisés sur la face supérieure de l’ébauche et sur la tranche.
- Les petits négatifs sont de même type que les précédents, mais correspondent à un travail plus fin et régulier, avec des marques plus réduites, surtout en diamètre,
n’excédant pas 2 mm. Leur profondeur peut être identique ou même plus prononcée que celle des négatifs larges. Ces traces, affectant la totalité des surfaces, tranches
comprises, dominent largement. On les retrouve sur les
phases de façonnage 2 et 3.
- Les sillons larges sont de courts enlèvements linéaires,
de 4 à 5 mm de large pour 1,5 à 2,5 mm de profondeur.
Leur longueur, variable, se situe entre 8 et 13 mm. Ces
enlèvements, désordonnés, sont peu représentés, et,
comme les négatifs larges, uniquement sur la face supérieure et sur la tranche de l’ébauche (phase 1). Ces sillons
sont associés aux négatifs larges.
- Les sillons étroits sont identiques aux précédents, mais
moins larges (2 mm). Ils découlent d’un travail en oblique (de 45o à 80o d’inclinaison par rapport au plan de
l’artefact), plus précis, notamment lors de la mise à plat
des faces, et surtout de la destruction de la chute centrale, à l’intérieur du bracelet. Contre la tranche intérieure
de ce dernier, ces sillons sont réguliers, parallèles et très
rapprochés. Sur certains objets, le flanc d’attaque de la
roche montre plusieurs lignes de ces négatifs, parfois différemment orientés, ou se recoupant en « tresses ».
- Abrasion ou raclage ? La différence déjà peu évidente
d’un point de vue sémantique, l’est encore moins à partir
des marques. Ces dernières se présentent sous la forme
de micro sillons ou rayures, entre ces rayures un « lustré » est le résultat du frottement répétitif d’un outil
abrasif ou tranchant au fil irrégulier produisant stries
ou lissages sur la surface raclée. Ces traces, parallèles ou
d’orientation différente, que l’on peut retrouver à divers
stades du façonnage, sont surtout représentées sur les
tranches, qu’il s’agisse du grand diamètre (tranche extérieure de l’ébauche et donc du bracelet), ou tranche
intérieure (petit diamètre). En fin de chaîne, ce travail
peut aussi intervenir sur toute la surface du bracelet
(phase 4).
141
142
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
1- Ébauche avec matérialisation de l'encombrement du bracelet
Cette limite peut être exécutée sur une ou 2 faces
selon le type de phase 2 projeté (voir ci-dessous)
2- Dépose de la chute centrale
par piquetage (sillons étroits) en alterne,
à partir des 2 faces (”pointe centre”)
3- Dépose de la chute centrale
par piquetage (sillons étroits) à partir
de la face supérieure (”pointe base”)
5 cm
4- Destruction de la chute centrale
par piquetage sub vertical (”petits négatifs”)
puis par des “sillons étroits”, en oblique,
en alterne à partir des 2 faces (”pointe centre”)
Grands ou petits négatifs
5- Destruction de la chute centrale
par piquetage sub vertical (”petits négatifs”)
puis par des “sillons étroits”, en oblique,
à partir de la face supérieure (”pointe base”)
Sillons larges ou étroits
Dessins A. Vignaud
2 - Dessins techniques schématisés des différentes mises en œuvre et des stigmates occasionnés par ces divers façonnages.
annexe I Les bracelets de l’âge du Bronze
- Polissages. Cette opération, en principe la dernière
de la chaîne opératoire et donc intéressant les bracelets
« finis », n’est pas non plus facile à observer. En effet, de
nombreux facteurs viennent occulter cette ultime phase.
Tout d’abord l’érosion naturelle, plutôt chimique, donne
à l’objet resté longtemps à l’air libre une apparence et un
toucher finement grenu, alors que ce dernier pouvait
à l’origine être poli. De même, une abrasion fine ou un
raclage soigné, peut donner aux surfaces un tel aspect.
Enfin, si l’on considère que la parure a été portée, parfois sur une longue période, cet usage, peut être à l’origine
d’un lustré très proche d’un polissage artificiel.
Ces diverses marques de travail sont logiques et cohérentes dans la place qu’elles occupent au sein de la chaîne
opératoire : les forts impacts, négatifs ou sillons concernent principalement les premières phases de taille pouvant s’accommoder d’un travail assez grossier ; les petits
négatifs et les sillons étroits sont liés au travail plus fin
caractérisant les derniers stades du façonnage ; les raclages ou abrasions interviennent en fin d’élaboration. Ces
étapes sont globalement respectées, mais il faut noter
quelques discordances.
1.3 - Ébauches et préliminaires
Le bloc de chloritoschiste retenu pour l’élaboration du
bracelet se présente sous différentes formes. Il peut s’agir
de rares « galets » sphéroïdes ou discoïdes aux surfaces
naturelles plus ou moins irrégulières, ou d’un matériau
prélevé sur les affleurements (extrait ?) ou ramassé à
proximité immédiate (bris par cryoclastie ou autre processus érosif ). Dans ce cas les blocs ont généralement des
surfaces plus uniformes et un plan presque rectangulaire.
Le chloritoschiste en fines plaquettes occupe dans cet
éventail une place à part.
Le bloc réservé doit répondre à un critère : la roche métamorphique offrant un débit en feuillets, soit des plans
de schistosité parallèles, il est primordial, pour un façonnage correct limitant le bris lors de la mise en œuvre, de
sélectionner un volume dont les plans de clivage sont horizontaux, parallèles aux faces supérieures et inférieures,
et donc au futur bracelet (180o). Cette règle est respectée
sur 85 % de la production, on note cependant quelques
ébauches dont les plans de clivage sont en oblique à 45o
(13,5 %), et de très rares cas (1,5 %), où les plans sont
perpendiculaires aux faces (90o). Quelques blocs ont subi
un traitement « économique » : lorsque le nodule de base
était particulièrement épais, ce dernier, posé de chant, a
été dédoublé par de forts impacts médians, dans l’axe du
clivage, afin de détacher deux parties sensiblement égales,
permettant de façonner deux bracelets au lieu d’un.
Après le choix du bloc, il convient de préformer l’ébauche dans le but d’obtenir une pièce régulière, dans son
plan (circulaire) et dans son épaisseur, pour des dimensions proches de celles du futur bracelet. Plusieurs travaux de mise en forme sont nécessaires pour cela, plus
ou moins soignés et aboutis selon la dextérité de l’artisan.
En effet, sur bon nombre d’objets, cette chaîne opératoire
« idéale » est loin d’être respectée, certaines transformations assez avancées (phase 2 ou 3), intervenant sur des
ébauches grossières, généralement en « chloritoschistes autres ». Ce protocole simplifié pourrait traduire un
manque de savoir faire de l’artisan. Il est cependant difficile d’en juger, à ce stade, seul l’objet fini pouvant faire
référence.
L’un des tout premiers façonnages débutant la fabrication, lorsque l’ébauche le requiert, se traduit par l’épannelage du bloc : il est rogné par de fortes percussions
directes causant d’importants enlèvements marginaux,
destinés à lui donner une forme circulaire (planche 1,
no 1 ; ill. 3).
3 - Matière première, brute ou mise en forme à des degrés divers par différentes
techniques (phase 1).
143
144
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
5 - Débuts de phase 2 de l’élaboration de l’artefact (piquetage central ou périphérique).
4 - Ébauches « accomplies », avant les premières phases de façonnage du bracelet
proprement dit (phases 2 et 3).
Par la suite, les faces supérieures et inférieures n’étant
pas obligatoirement régulières et parallèles (surtout
pour les « galets »), on procède à une mise à plat de ces
dernières, par la suppression des reliefs, de la matière
excédentaire. Ce travail, au vu des stigmates de façonnage très variés, peut être mené selon diverses techniques
et outils, sous différents angles d’attaque. Les traces les
plus sûres de cette étape sont les petits négatifs (78 %),
ou, en cas de masse plus importante à détruire (parfois
plus de 2 cm d’épaisseur/hauteur), les sillons étroits,
obliques ou presque verticaux, plus ou moins rapprochés selon la densité ou la qualité de la matière première
(planche 1 no 57).
Les deux faces à présent planes et parallèles, le travail
s’attache essentiellement à la mise en forme de la tranche
(diamètre extérieur), plus ou moins poussée (planche 1,
nos 55, 67 et 12 et ill. 4 et 5). Trois types de façonnages
sont attestés, en pourcentages sensiblement égaux : les
tranches grossièrement apprêtées, les tranches régulières
verticales, orthogonales aux plans, et enfin une troisième
variante qui semble procéder d’un bon niveau technique
ou en tous cas d’un soin particulier, consistant à arrondir
cette partie en arc de cercle, préfigurant déjà à ce stade le
profil extérieur du bracelet « fini ». Les trois types portent
les marques d’enlèvements « classiques » (grands négatifs
et sillons – petits négatifs et sillons), mais un nouveau type
de façonnage (et donc d’outil) intervient à ce stade, pour
les deux dernières variantes : l’abrasion ou le raclage.
I.4 - Taille et façonnage
Une fois l’ébauche terminée, le façonnage du bracelet
proprement dit débute. Il faut pour cela et dans un premier temps, estimer la largeur de ce dernier et donc le
diamètre de la partie centrale à enlever (diamètre intérieur du bracelet). Quelle que soit la technique employée
pour cette opération, et nous en avons retenu deux, il
n’est pas rare d’observer sur certaines ébauches un piquetage linéaire circulaire, plus ou moins régulier, destiné à
matérialiser cette limite. Ce tracé préliminaire peut être
effectué sur la face supérieure ou sur les deux faces, selon
le protocole envisagé pour la suite (ill. 2 no 1, planche 1,
no 12). Ce tracé attribue au bracelet une largeur (épaisseur) plus importante que celle qu’aura l’objet fini (plus
de la moitié), ce qui est logique, une trop grande minceur
à ce stade d’élaboration assez « incisif », fragiliserait l’objet, et d’autre part plusieurs autres phases de façonnage et
de finition doivent encore intervenir.
Deux techniques ont été distinguées pour la suppression de la partie centrale. Au sein de chacune de ces
techniques, deux types d’aboutissement sont également
reconnus. L’un consiste en la dépose de ce noyau, dont
le résultat est un petit disque correspondant à la « chute
centrale ». L’autre a pour objectif la destruction totale de
cette partie. Ce dernier façonnage est très majoritaire.
annexe I Les bracelets de l’âge du Bronze
type de façonnage est dans l’ensemble peu soigné, allant
généralement de pair avec une ébauche et une mise en
forme assez grossière. Encore une fois, cela ne permet
pas d’augurer de l’aspect du bracelet fini, ce dernier, malgré ces prémices défavorables, ayant pu s’avérer de bonne
facture. Le seul commentaire que nous pouvons avancer est que ce travail intervient surtout sur les objets en
« chloritoschistes autres », matière première de moins
bonne qualité.
6 - Technique de dépose de la chute centrale par piquetage du diamètre intérieur du
bracelet. Chute centrale dégagée, au centre et à droite.
- La destruction de la partie centrale constitue le second
type de façonnage mis en évidence, généralement sur des
ébauches soignées en « chloritoschiste standard ». Cette
technique est différente de la première : ici, ce noyau est
totalement abattu, désintégré. Ce façonnage produit de
minces et profonds sillons, parallèles ou imbriqués.
Cette « destruction » débute généralement au centre
de l’artefact pour devenir de plus en plus serrée et précise
à l’approche de la tranche intérieure du bracelet, ce qui est
tout à fait logique.
La dépose de la chute centrale utilise deux procédés :
- Accentuation du piquetage initial linéaire, délimitant la
chute, à partir de la face supérieure mais aussi inférieure.
Ce travail, prenant de plus en plus d’ampleur (de largeur)
avec l’avancement, est exécuté en alternance, d’un côté puis
de l’autre. Les marques produites par cette opération peuvent être de larges négatifs (sur des artefacts assez grossiers), ou des négatifs plus réduits, révélateurs d’un travail
plus minutieux. Les deux sont parfois associés. Lorsque ces
deux creusements se rejoignent, au centre de l’épaisseur de
l’ébauche, la chute centrale est dégagée (planche 2, no 113).
Ce procédé est identifiable par la présence résiduelle d’un
petit bec, visible au centre de la tranche intérieure (point
de jonction du travail alterne) du futur bracelet, sur toute
sa circonférence intérieure (« pointe centrale » de la terminologie utilisée pour l’inventaire, cf. ill. 2, no 2 ; planche 1,
no 67 et 12 ; planche 2, no 31 ; ill. 4).
- Un autre procédé, pour ce même type de façonnage,
utilise la même technique et probablement les mêmes
outils, mais l’artisan exécute cette dépose uniquement à
partir de la face supérieure de l’ébauche. Le résultat, lorsque l’anneau est dégagé, est également la présence d’un
bec résiduel, mais situé cette fois à la base de l’anneau
(« pointe base », cf. ill. 2, no 3 ; planche 2, no 118). Ce
Ce travail peut aussi être effectué conjointement sur
les deux faces, avec jonction au centre de l’épaisseur de
l’ébauche, de la partie intérieure du bracelet, dégageant
à cet endroit et sur toute la circonférence, tout comme
pour la technique précédente, un petit bec, une excroissance caractéristique (« pointe centrale ») (ill. 2, no 4 ;
planche 1 no 67 ; planche 2 nos 68, 69 et 16).
La destruction de la partie centrale à partir d’une unique face est bien attestée, surtout sur les ébauches soigneusement préformées. Le piquetage initial destiné à
délimiter la partie à enlever, n’est effectué que sur la face
sélectionnée (face supérieure). À l’opposé, la face inférieure est bien plane, soit naturellement, soit suite à un apprêt
par petits impacts, effectués dans le cadre de l’aménagement initial de l’ébauche. Aucun travail ne sera mené sur
cette face, sauf dans de très rares cas où un léger piquetage circulaire délimite la ligne du futur bris (voir « outils
et gestes »). Les stigmates d’élaboration sont similaires
à ceux induits par la technique précédente : de minces
sillons rapprochés, réguliers et profonds. La fabrication
est donc totalement identique, si ce n’est qu’elle s’attaque
à une seule face. Il en résulte sur toute la circonférence un
petit bec, cette fois à la base de la pièce (« pointe base »,
cf. ill. 2, no 5 ; planche 2 no 208, 6, 75 et 109 ; ill. 7).
145
146
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
7 - Destruction totale de la partie centrale de l’artefact, à partir de la face supérieure
(négatifs divers et sillons étroits verticaux contre la tranche intérieure de la parure).
I.5 - L’objet presque abouti et les finitions
Suite à ces opérations de façonnage, l’artefact se présente sous la forme d’un anneau plus ou moins grossier
(ill. 8). Il est nécessaire d’affiner le travail, par différentes
interventions de raclage ou d’abrasion.
En premier lieu, et cela a été constaté sur tous les objets
à ce stade (phase 3), c’est la tranche intérieure du bracelet
qui est concernée. Celle-ci, et quelle qu’ait été la technique d’alésage employée, conserve, sur toute la circonférence, une excroissance résiduelle (« pointe centre » ou
« pointe base ») qu’il convient de supprimer. Ce travail
génère deux types de traces, peut-être produites par le
même outil. Ce sont des rayures, plus ou moins marquées
(profondes), parallèles ou non selon le sens du travail et
la largeur de l’outil. À ces minuscules sillons est associé
un aspect vaguement glacé, lustré.
La tranche intérieure du bracelet étant façonnée, restent la tranche extérieure et éventuellement les deux faces
selon le profil souhaité pour la parure (profil rectangulaire ou carré). Il est certain que la même méthode et donc
le ou les mêmes outils ont été utilisés pour ce travail, les
marques présentes sur la circonférence extérieure consistent en de longues rayures, parallèles aux faces, ainsi qu’en
un aspect « érodé » assez important.
À ce stade (phase 4 – ill. 9) le bracelet présente un aspect et des dimensions bien éloignés de ceux attestés sur
les fragments aboutis (phase 6 – ill. 10 et 11), séquence
immédiatement consécutive à la précédente d’après les
artefacts découverts sur les sites. Il faudrait donc envisager l’existence d’une phase intermédiaire (phase 5) pour
laquelle nous n’avons aucune référence.
8 - L’anneau est totalement dégagé (phase 3), et porte encore, dans sa tranche intérieure, les résidus du précédent façonnage (« pointe base » ou « pointe centre »).
9 - Phase 4. L’artefact, débarrassé des résidus de la chute centrale montre des surfaces plus affinées. On peut observer, principalement sur la tranche intérieure, les stries
occasionnées par l’abrasion.
Ce problème est plus amplement développé dans le
paragraphe : « Aspects technologiques et morphométriques ».
annexe I Les bracelets de l’âge du Bronze
10 - Fragments de bracelets finis, polis et lustrés, n’ayant aucun point commun avec
les individus de la phase 4 présumée précédente.
II - Les autres ustensiles
II.1 - Les disques perforés de petit diamètre
Vingt-neuf artefacts en pierre, autres que des bracelets, et donc la fonction n’est pas établie (planches 5
et 6, ill. 12) ont été collectés. La très grande majorité
(plus de 98 %) est discoïde, de petit diamètre. Le centre
a été perforé. Comme pour les bracelets, hors quelques
ébauches au tout premier stade, aucun de ces objets
n’est entier. Il s’agit de fragments ne dépassant pas la
moitié d’un disque. Ces objets sont similaires en nature
(disque perforé) par contre ils sont loin de l’être dans la
forme et les dimensions. La matière première utilisée
pour ces ustensiles est identique à celle des bracelets,
avec cependant l’emploi (rare) de quelques minéraux
inédits. Il s’agit d’un chloritoschiste (probable), très riche en gros cristaux de quartz, mais aussi d’un quartz
opaque, légèrement jaunâtre. L’utilisation de cette dernière roche (un seul exemplaire sur galet originellement
érodé) est assez surprenante lorsqu’on connaît sa dureté
(planche 6, no 19).
Pour ce qui est de l’ébauche, son choix et son apprêt,
quelques interrogations subsistent. En effet, les dimensions reconnues pour ces objets se situent dans une
large fourchette allant de 2,8 cm à 7 cm de diamètre
extérieur, pour une épaisseur de 0,8 cm à 2,5 cm. Pour
documenter ce premier stade, nous avons à disposition
quelques pièces, légèrement différentes : un seul galet
11 - Autres fragments de bracelets finis, polis et lustrés.
12 - Fragments d’objets perforés de petit diamètre, à la fonction énigmatique.
de forme à peu près sphérique portant au centre de
nombreux piquetages, des fragments circulaires plats,
ou des artefacts grossièrement discoïdes. Certains
de ces nodules, éventuellement bruts ou apprêtés par
épannelage, raclage ou abrasion (notamment de la tranche) constituent une matière première « propre », uniquement conçue, prélevée et sélectionnée pour ces objets. Par ailleurs une autre partie, environ la moitié de la
production, provient de la récupération d’artefacts déjà
à disposition, générés par l’élaboration des bracelets.
147
148
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
Il peut donc s’agir soit de chutes occasionnées par la mise
en forme de l’ébauche (notamment en cas de dédoublement), soit des bris résultant des premières phases de travail où la matière conserve encore un important volume,
soit de la chute centrale du bracelet produite par la technique particulière décrite précédemment. Le diamètre,
l’épaisseur, et quelquefois de vagues traces d’un précédent
façonnage en témoignent.
Cette ébauche étant plus ou moins préformée, l’opération
consécutive, essentielle pour cette pièce, est la perforation
du nodule, à peu près en son centre. Ces orifices ont des diamètres très divers, allant de 3 mm à 3 cm, la taille de la perforation n’étant pas en proportion avec celle de l’objet, pas
plus que le diamètre de la pièce ne l’est avec son épaisseur.
Comme pour les bracelets, deux techniques ont été
utilisées pour la perforation. La première, la percussion
directe ou indirecte, est illustrée par des bases de négatifs
(« érodés ») grands ou petits. Ces marques, visibles sur les
deux faces, traduisent donc un travail alterne, mené à partir de chacun des deux plans, ce qui est tout à fait logique.
La seconde technique, qui ne présente pas de négatifs, si
ce n’est de très rares et minuscules sillons, semble avoir été
menée à l’aide d’un « perçoir » utilisé en vrille. On peut
supposer que ce façonnage a été effectué par courtes rotations, probablement manuelles, et comme pour la précédente technique, de part et d’autre de l’objet, avec jonction
centrale. Cette technique laisse sur l’objet une perforation
biconique (troncs de cônes affrontés par leurs sommets
au centre de l’épaisseur de la pièce), dont les parois, très
lisses, en « entonnoir », sont plus ou moins évasées selon
la taille et le profil du « taraud », parfois très large, pouvant occasionner un angle inférieur à 45o par rapport aux
plans. Ce procédé s’accompagne d’un aspect « lustré », qui
paraît normal, mais qui pose toutefois un problème : on
ne peut distinguer si ce « polissage » est dû au façonnage,
ou à l’utilisation répétitive de l’objet a posteriori (« lustré »
occasionné par des frottements). Dans ce cas, la partie
« utile » de la pièce se résumerait à la perforation : le reste
de l’objet, les faces et surtout la tranche extérieure, étant
quasiment bruts, sans traces d’usure visible.
La plupart des artefacts témoignent d’une perforation
« biconique », exécutée conjointement à partir des deux
faces (« pointe centrale » de l’inventaire), mais il existe
aussi, comme pour les bracelets, un autre procédé de fabrication, c’est-à-dire un travail effectué principalement
à partir d’une face (« pointe base » de l’inventaire). Par
ailleurs, plusieurs artefacts montrent aussi des techniques
de perforation mixtes, façonnage sur une face par percussion, et sur l’autre face par « taraudage ». Il est possible que
cette situation soit tout simplement due au type d’outils à
disposition (planches 5 et 6).
II.2 - Les objets indéterminés
La documentation pour ce type d’objets est faible, se résumant à trois exemplaires. Rien ne s’oppose néanmoins à
ce que dans le stock d’objets plus ou moins manufacturés
découverts, d’autres individus puissent entrer dans cette
catégorie, notamment ceux pour lesquels le stade d’élaboration est trop sommaire pour autoriser une identification
correcte. On peut ainsi supposer qu’à l’origine cette production était plus étoffée.
Ces trois pièces (est-ce un hasard ?) sont sur des chloritoschistes en plaquettes, peu épaisses, de plan sub-rectangulaire (présence d’angles « droits »).
Les plus facilement identifiables sont deux fragments
d’objet, dont l’aspect et la technique de fabrication utilisée
évoquent ceux des bracelets. Le premier (planche 6 no 25)
pourrait être une ébauche élaborée avec une technique
inédite (seule la partie centrale de l’artefact est façonnée, à
l’exclusion de la tranche extérieure). Le second (planche 6
no 27) semble également être l’ébauche bien dégrossie d’un
mince anneau (7 mm de section), partiellement dégagé en
haut-relief, sur la circonférence d’un fragment dont l’épaisseur maximale est de 11 mm. Le segment de cercle du
possible anneau projeté, s’il s’agissait bien de cela, est aussi
inattendu : son diamètre est supérieur à 12 cm.
Le troisième artefact, plus énigmatique, est une plaquette de forme trapézoïdale à hauteur importante, et dont le
sommet (petite base) est absent (planche 6 no 26). La base
opposée (grande base) offre un profil hémisphérique aménagé par abrasion - raclage. Les deux angles situés de part
et d’autre de cette base ont été abattus, par percussion. Les
négatifs des impacts à l’origine de ces bris assez réguliers
sont nettement visibles. Il semblerait que ces derniers, légèrement conchoïdaux, aient été produits par des percussions indirectes.
II.3 - D’hypothétiques fonctions...
Les « disques perforés de petit diamètre », bien que
très différents dans leur forme, sont semblables dans le
fond : un volume, grossièrement discoïde, de petite taille
(par rapport aux bracelets), dont seule la perforation cen-
annexe I Les bracelets de l’âge du Bronze
trale, essentielle pour sa fonction, semble avoir fait l’objet
d’un soin relatif, sans atteindre pour autant une finition
soignée, comme on le voit sur les parures. Des traces
d’usure, plus accentuées sur les parois de la perforation,
sont suspectées. Ces dernières sont peu prononcées et
n’attestent pas de frottements appuyés répétitifs, actions
qui procureraient à l’objet un certain lustré, notamment
sur les parties proéminentes, les faces et surtout la tranche extérieure.
La relative abondance de ces artefacts semble être l’indice d’un objet « commun », ou en tous cas suffisamment reproduit et donc utilisé pour avoir sa place dans
l’éventail ordinaire des éléments de la culture matérielle
conservés. Leur fonction reste totalement énigmatique,
les nombreuses pistes prospectées s’avérant incertaines.
Dans un contexte d’éleveurs, probablement d’ovi-caprins, on pense au travail de la laine : ces objets pourraient correspondre à des fusaïoles utilisées pour le filage,
ou à des poids de métier à tisser verticaux. La documentation et la littérature scientifique ne donnent cependant
aucun exemple de ce type d’ustensile à ces périodes : les
fusaïoles identifiées comme telles sont surtout en terre
cuite (nous en avons deux fragments sur la zone), et les
poids en pierre des métiers à tisser sont en principe plus
lourds que les spécimens étudiés ici et plus ou moins normalisés.
D’autres voies explorées ne sont pas plus satisfaisantes,
essentiellement du fait que ces ustensiles ne présentent
pas de lustré ou d’érosion latérale. Ainsi sont évoqués
les « poids » de « bolas », utilisées par les bergers pour
la garde des troupeaux ou éventuellement comme arme ;
les poids de filets de pêche ou de chasse ; ou aussi, ce qui
est assez séduisant, une pièce technique de fermeture,
d’entrave ou de maintien, associée à un ou plusieurs liens,
libres, fixes, ou coulissant en boucle dans la perforation
centrale, couplés à un « arrêt » en bois ou autre, (licous,
guides, lassos ?).
En ce qui concerne les trois autres « ébauches » sur
plaquettes, aucune interprétation rationnelle ne peut être
avancée. La seule remarque, pour le segment d’un possible anneau, c’est que ce dernier a un diamètre bien trop
grand pour un bracelet (12 cm), et que d’autre part, d’un
point de vue technique, le dégagement de « l’objet » de sa
matrice s’avèrerait impossible, justement en référence à ce
grand diamètre, et en parallèle à sa finesse (7 mm). Pour
ce qui est de la pièce trapézoïdale, sa forme évoque vague-
ment un fer de lance dont la pointe serait « coupée ». Il
est évident que la comparaison s’arrête là, la matière première utilisée étant incompatible, à moins qu’il ne s’agisse
d’un jouet ou d’un objet rituel...
II.4 - Les objets en terre cuite
Ce petit paragraphe ne concerne que deux artefacts,
éventuellement trois, dont la particularité, est d’être en
terre cuite. Il s’agit de fragments circulaires n’excédant
pas le tiers de la circonférence projetée, si l’on admet que
ces objets de type anneaux étaient circulaires, ce qui n’est
pas sûr. Ces objets, très réguliers, pourraient tout aussi
bien être des fragments de bracelet que des fragments
d’anses en boudin, ou même de pieds de vases polypodes,
bien attestés à l’âge du Bronze. D’ailleurs la série céramique montre une grande variété de fragments présumés
d’anses, parfois très fins et à la finition très poussée. Rien
ne s’oppose à ce que ces pièces soient des fragments de
bracelets en terre cuite (voir planches 1 à 12 de la contribution de l’âge du Bronze).
II.5 - Une présence métallique...
Un fragment de moule de fusion, de bronze probablement, a été découvert dans l’ensemble 1, au point 1025.
Il est ménagé dans un bloc de chloritoschiste, d’aspect et
de couleur différents de ceux utilisés pour les objets (différence due à de fortes températures ?). Cet objet, dans
cette petite étude, pourrait être estimé hors sujet, si ce
n’est qu’il montre un négatif (hémi-négatif ) dont les dimensions et le profil, sont les mêmes que ceux d’un bracelet « fini » en pierre, ce qui est remarquable.
Si la fabrication
de bracelets de terre
cuite et de métal était
confirmée, cela donnerait à penser que les
populations du plateau
de Rodès étaient spécialisées dans la production de cette parure (planche 6 no 28 ;
ill. 13).
13 - Fragment de moule de fondeur, de bronze
probable, dont le négatif est similaire au profil
des bracelets finis en chloritoschiste.
149
150
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
III - Les outils et les gestes
III.1 - Éventail de l’outillage à disposition
L’artisanat en chloritoschiste est bien documenté par
les découvertes. En contrepartie, malgré des prospections
attentives, les outils utilisés pour ces différents façonnages sont peu représentés.
Quelques rapprochements peuvent être faits, mais
nous n’avons aucune certitude que ces « outils » aient été
conçus ou employés pour ce travail. Pour une production
de ce type, particulière, spécialisée, on pouvait espérer
mettre en évidence un type d’outil particulier, or il n’en
est rien, soit que ces outils n’existent pas, soit que nous
n’en ayons trouvé aucun. L’éventail de l’outillage associé à
ces objets reste donc banal et peu fourni, similaire à celui
que l’on trouve habituellement sur ce genre de sites, pour
des occupations de l’âge du Bronze, époque pauvre en micro outillage lithique, notamment durant la phase la plus
récente (Bronze final).
- Le silex (contemporain ?) est rare, se résumant à une
dizaine d’éclats souvent atypiques. Certaines typologies
sont en outre à exclure d’emblée pour cette utilisation
(pointe de flèche).
- Les roches dures autres (hématites, jaspes, radiolarites...) sont mieux représentées, mais comme pour les
précédents, la typologie est peu affirmée, les « outils »
dominants étant des « grattoirs » ou assimilés (retouches
marginales partielles).
- Le quartz est de très loin le matériau le plus abondant.
On le trouve dans toute cette zone, sous diverses formes :
erratique, en filons, ou en inclusions sous forme de nodules ou de veines, dans la roche en place ou au sein d’énormes blocs. Les marques d’aménagement ou d’usage sur ce
matériau utilisé depuis toujours par l’homme sont quelquefois discutables, cependant, il est certain qu’un bon
nombre de ces pièces a été utilisé, dont probablement une
partie pour l’élaboration des artefacts en chloritoschiste.
Ces outils potentiels, préparés et utilisés avec compétence, pourraient s’avérer satisfaisants pour ce travail et
expliquer une bonne partie des enlèvements observés sur
les artefacts.
- Indépendamment de ces outils « à percussion » direc-
te ou indirecte, en majorité des percuteurs sphéroïdes,
certains stades du travail témoignent d’un façonnage
« doux », requérant une gamme d’instruments différents.
Ces derniers étaient utilisés lors des phases de « raclages » ou d’abrasions. Les « outils » susceptibles d’avoir
servi pour ces opérations ne sont pas clairement identifiés. Cependant, comme pour les outils précédents, on
peut supposer qu’une partie était apte à ce façonnage,
comme le raclage, par exemple de nombreux cassons ou
pièces sobrement aménagées, surtout en quartz.
Deux petits polissoirs, sur plaquettes de chloritoschiste
au grain très fin, seraient à retenir dans cette perspective.
Leur intérêt est néanmoins limité : ces objets, d’une vingtaine de centimètres carrés, sont bruts, et n’ont qu’un léger poli affectant localement une seule face, plane. Quelle
qu’en soit la fonction, leur usage a été court et peu intensif. Quelques percuteurs, quelques fragments de meules
et quelques molettes en roches grenues pourraient compléter cette série, mais aussi être des éléments de meunerie liés à l’occupation.
Les prospections ont été menées dans un milieu naturel assez accidenté, encombré de chaos rocheux de toutes
tailles, sur un sol jonché par de nombreuses pierres, de
taille et d’origine diverses. Il semblerait que cette abondance ait été préjudiciable à la détection d’outils caractérisés par des traces mal identifiables. De nombreux
fragments de bracelets, parfois minuscules, ont certes été
découverts, mais il faut tenir compte que la couleur gris
verdâtre particulière de la roche y est pour beaucoup, ce
matériau se distinguant facilement du contexte caillouteux ambiant. Cette constatation pourrait éclaircir en
partie ces carences sans les expliquer totalement.
III.2 - Traces, outils et gestes
Les principales traces d’élaboration retenues sont ici
mises en correspondance avec un outil ou un type d’outil,
supposé ou bien découvert sur le site. Les techniques et
les gestes à l’origine de ces marques sont aussi déchiffrés
ou proposés, selon les différents stades de la chaîne opératoire.
- Les enlèvements importants, aux arêtes droites ou
conchoïdales, entraînent de fortes cassures, toujours périphériques, qui interviennent sur la circonférence de la
matière première en vue de la préformer, pour lui don-
annexe I Les bracelets de l’âge du Bronze
ner une forme discoïde. Cette technique d’épannelage, la
plus sommaire qui soit, consiste en de fortes percussions
directes. On peut supposer que le « percuteur » est en
quartz, mais il pourrait être pris dans une roche autre,
ayant un degré de dureté supérieur à celui du chloritoschiste, ce qui dans cet environnement ne manque pas. On
peut supposer que « l’outil », pris sur place, n’a pas fait
l’objet d’un choix rigoureux, pas plus que d’une conservation particulière.
- Les négatifs larges et les sillons larges. Ces deux types
de marques sont associées car causées par un même outil,
orienté différemment, soit avec un angle d’attaque perpendiculaire au plan de travail (environ 90o = négatifs
larges), soit oblique (40o et moins = sillons). Ce travail
de préforme, assez grossier, pourrait être fait en percussion directe (négatifs larges) ou en percussion indirecte,
cette dernière technique étant plus contrôlable et donc
plus précise (notamment pour les sillons). Comme pour
l’épannelage, l’outil utilisé a pu être pris dans le stock local
à disposition immédiate. Le quartz semble être la roche
la mieux adaptée (et la plus abondante). Sur un quartz de
volume approprié à la technique envisagée (taille, forme
et poids), quelques enlèvements dégageant ou accentuant
une pointe à l’extrémité d’un casson seraient suffisants
pour ce façonnage. Bien qu’il s’agisse ici d’un « outil » un
peu plus élaboré, rien ne prouve qu’il ait été conservé en
vue d’une prochaine utilisation. Dans le cas d’un emploi
unique, l’aménagement et les traces de l’outil seraient peu
prononcés et donc difficilement identifiables.
- Les petits négatifs et les sillons étroits. Ces deux types
de négatifs sont également générés par un type d’outil unique, leurs variations traduisant une orientation différente
de la force par rapport au plan de travail, tout comme
pour les négatifs et les sillons larges. Quelques différences
existent toutefois : la densité des négatifs ainsi que leur
« agencement », en lignes régulières, de même la longueur
des sillons, parallèles, ne peuvent s’accommoder d’un travail en percussion directe, difficile à maîtriser. L’emploi
d’un outil intermédiaire, probablement emmanché, s’avère indispensable. La possibilité d’utilisation d’une pointe
en quartz, aménagée dans ce sens (fine et aigue) pourrait
être proposée. Cependant il faut admettre que ce minéral,
au vu de l’importance et du nombre des sillons, réguliers,
devrait tout d’abord être de premier choix, et surtout être
souvent retouché ou changé. L’emploi d’une roche plus
dense et plus dure, en silex ou en hématite/jaspe serait
préférable, avec cependant les mêmes inconvénients. Il
semblerait donc, en dernière hypothèse, que ces traces
aient pu être laissées par une pointe en métal, idéale pour
cette phase du façonnage (ill. 14). Plusieurs spécialistes,
à l’observation de ces négatifs, ont cautionné cette idée.
Nous n’avons pas de vestiges pour confirmer l’utilisation
de pointes de pierre, et nous n’en avons pas plus pour ce
qui est de l’emploi d’un outil en métal. Deux éléments
attestent néanmoins, de façon certaine, de la présence de
la métallurgie sur le site, ce qui est tout à fait normal pour
cette période.
Un indice est fourni par un petit nodule de bronze,
possible résidu de fonte (point U ensemble 2). Le second, plus important, confirme indirectement cette
production. Il s’agit du fragment de moule de fusion, de
bronze probable, présenté ci-dessus. Bien que discrets,
ces témoins d’une métallurgie (et d’objets en métal) sont
bien réels. L’absence, ou plutôt la non découverte de ce
type d’ustensile n’exclut pas leur existence. Il est en effet concevable que ces pointes (bronze bien additionné
d’arsenic), emmanchées, aient été de petite taille. Leur
découverte reste donc difficile dans le cadre de prospections pédestres. Ces outils devaient en outre faire l’objet
d’une attention particulière, tout comme les bracelets de
bronze résultant de la fonte.
14 - Stigmates d’élaboration, longs et étroits, attribués à des pointes de bronze emmanchées.
151
152
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
- Raclage et abrasion. Le raclage ne pose aucun problème, il peut se faire avec n’importe quel éclat de quartz
tranchant, aménagé ou non. Différents types de roches
grenues se trouvant sur les sites, la disposition d’un tel
outillage est aisée. L’interprétation des traces et leur situation sur l’objet livrent cependant quelques observations complémentaires.
D’une manière générale, quand ces traces sur les tranches sont « verticales », c’est-à-dire perpendiculaires
aux faces, au bracelet, ce travail, intéressant une surface
très courte (l’épaisseur du bracelet) a pu être fait avec un
outil abrasif mobile, oblong et de petite taille pour permettre le passage à l’intérieur de l’anneau. En revanche,
si ces marques sont « horizontales », c’est-à-dire parallèles aux faces, on peut envisager, sans exclure un outil
abrasif, l’utilisation d’un racloir, plus performant. Les traces sont ainsi bien plus longues et régulières. Hormis ce
critère, la distinction entre l’une ou l’autre de ces techniques est quasiment impossible, d’autant plus, et quel que
soit l’outil, que ces traces, sur un même plan de travail,
peuvent avoir différentes orientations, horizontales ou
verticales, mais aussi obliques, voire affrontées. Ces deux
techniques (abrasion et raclage) ont en outre été utilisées
conjointement (ill. 9).
Une variante complémentaire peut être proposée pour
l’abrasion : si le faible diamètre du bracelet exclut l’emploi d’un outil de grand format, le reste de l’objet, les faces et surtout la tranche extérieure, s’accommodent bien
d’un travail plus ample, sûrement plus efficace. Ce ne serait plus l’outil qui serait frotté contre le bracelet, mais
au contraire ce dernier contre une surface abrasive dormante de grande taille. Ce type de façonnage avait déjà
été reconnu pour le traitement de la tranche de l’ébauche où il s’avérait idéal, le disque, plein, permettant une
bonne prise, nécessaire pour un travail performant sur
une grande surface.
IV - Aspects technologiques et morphométriques
IV.1 - Pour les bracelets
Cet artisanat, élaboré à partir d’une matière première
locale abondante, bien qu’assez étonnant par sa densité et
son originalité, est très rudimentaire, tant dans la fabrication que dans l’outillage utilisé, tout au moins à partir des
vestiges découverts, qui ne sont pas obligatoirement représentatifs de l’ensemble de la production, car de nombreux objets ont pu être achevés sans laisser de traces.
En effet, si les grands schémas de la chaîne opératoire sont globalement respectés, à l’aide d’outils banals, il
semblerait que cette élaboration, tout au moins dans ses
premières phases, soit plus ou moins anarchique, à la discrétion de l’« artisan », autant redevable à son bon sens,
qu’à son habileté et à son savoir-faire, ou à son sens du
raccourci. Ceux-ci semblent au demeurant très variables,
comme le signalent des artefacts de bonne facture, dont
l’élaboration est nettement maîtrisée, de l’ébauche à l’objet fini, ou, en contrepartie, d’autres pièces beaucoup plus
« primitives » qui se démarquent par plusieurs « anomalies ». Tout d’abord dans le choix du bloc originel, mal
adapté : chloritoschiste parfois veiné, de forme très irrégulière, au clivage de 180o non respecté..., puis par les
diverses phases du façonnage :
- phase 1, absence de préforme de l’ébauche (mise à plat
des faces et apprêt de la tranche), pas de délimitation du
diamètre extérieur ou intérieur, si ce n’est, épisodiquement, par piquetage irrégulier et peu circulaire ;
- phases 2 et 3 utilisant la technique de la percussion directe, avec des « outils » hétérogènes produisant des traces variées et désordonnées.
Il n’est pas surprenant que ces objets représentent environ les 3/5e de l’ensemble : il s’agit en vérité de « ratés »,
de déchets provenant des pièces brisées en cours d’élaboration, ce qui était quelquefois prévisible.
Si les bris qui nous sont parvenus proviennent des différents stades de la chaîne opératoire, pour ces artefacts
mais aussi pour les pièces plus soignées faisant preuve
de plus de maîtrise ou tout au moins d’un travail plus
exigeant et abouti, la majorité des cassures s’observe sur
les phases 2 et 3 du façonnage. Cette représentation est
logique, s’agissant ici de dégager le futur bracelet de sa
matrice, et donc d’obtenir un anneau fragile. Si le déroulement de ce protocole est clair jusqu’à ce stade, et même
annexe I Les bracelets de l’âge du Bronze
au-delà (abattage du résidu de la chute centrale, raclage/
abrasion = phase 3), il faut convenir que la suite est plus
incertaine.
Pour documenter ces dernières phases, nous avons à
disposition, d’une part, des « bracelets » à la section épaisse, légèrement irrégulière, mais dont toutes les faces ou les
tranches sont façonnées, offrant un aspect et un toucher
relativement fin (ill. 9 et planche 3), et d’autre part, une
vingtaine de fragments qui appartiennent sans conteste
à des bracelets finis (planches 3 et 4). Ces derniers ont
un profil très étroit, aux environs de 7 mm d’épaisseur.
Ils sont aussi réguliers, polis et lustrés, que cet aspect soit
imputable à une ultime phase de la chaîne opératoire ou
occasionné par le port et donc l’usure de la parure.
Les bracelets finis, de très bonne facture, ont de nombreux caractères communs, dont un profil hémisphérique répétitif (90 % de la production). Par contre pour les
bracelets à section épaisse, irrégulière, plus abondants, on
constate une forte disparité de formats et de profils. Cette
dissemblance semble traduire le fait que nous soyons ici à
une étape intermédiaire, l’objet requérant d’ultimes phases d’affinage tendant à le normaliser. Il semblerait donc
qu’une phase 5 soit nécessaire avant le lustrage définitif,
avant dernière étape dont nous n’avons sur les sites aucun
témoignage.
Deux propositions peuvent être avancées pour expliquer cette carence. La première est technique : les artefacts témoignant de cette phase 5 sont tout simplement
absents car aucun bris n’est intervenu durant cette dernière, ce qui se conçoit, s’agissant d’un travail peu impétueux. La seconde, plus discutable, pourrait s’expliquer
par le fait que les bracelets aient été mis en « circulation »
à un stade inachevé pour être finis ailleurs. Il ne s’agit là
que d’une piste.
Si cet artisanat paraissait à première vue assez brouillon
au vu des nombreux bris (encore une fois pas obligatoirement représentatifs de la totalité de la production), à
l’arrivée le produit est de bonne facture et relativement
standardisé.
Des variantes, normales et admises, concernent les diamètres intérieurs des bracelets. Ces derniers se situent sur
une échelle allant de 3,75 cm à 8 cm. Ces dernières dimensions, extrêmes, sont donc peu attestées, l’essentiel de
la production se situant dans une fourchette de 6,2 cm à
7,2 cm, soit 6,7 cm de moyenne. Quelques prises de mesures sur des bracelets contemporains féminins, montrent
une grande similitude, le diamètre moyen de ces derniers
se situant autour de 7 cm. Les productions du plateau de
Rodès sont de diamètre légèrement inférieur à l’actuel,
observation en accord avec les études anthropologiques
menées sur des individus de cette période. Les bracelets
sortant de ces normes devaient être destinés soit à des personnes de grande taille ou robustes, les plus larges, soit à
des individus graciles ou des enfants, les plus étroits.
IV.2 - Pour les ustensiles autres
L’approvisionnement en matière première pour ces objets perforés de petit diamètre ne posant aucun problème,
ces derniers peuvent être produits à partir de petits volumes sélectionnés pour cet usage, ou à partir des chutes
centrales provenant du façonnage des bracelets. Les traits
dominants de cette production, peu calibrée, à partir des
artefacts découverts, se résument donc à un format circulaire, brut ou à peine dégrossi, portant une perforation
centrale, également de diamètre très variable, essentielle
pour la fonction de cet ustensile qui nous reste inconnue,
et qui ne semble pas obéir à des critères esthétiques. Il
s’agit sans doute d’objets utilitaires, banals.
Il faut souligner que seuls sont représentés les objets
cassés, généralement par moitié, ce qui est assez surprenant, eu égard à leur petite taille et à leur volume assez
« trapu », et donc à leur présumée robustesse. Pour quelques-uns l’éventualité de cassures liées au façonnage peut
être avancée, mais il ne semble pas que ce soit le cas pour
le plus grand nombre, probablement brisés accidentellement lors de leur utilisation ou par la suite.
V - Conclusions
Les productions en chloritoschiste du plateau de
Montalba concernent surtout la fabrication de bracelets,
les autres artefacts associés, essentiellement de petits disques perforés, élaborés sobrement dans le même minéral
à partir des chutes des premiers, sont probablement des
pièces techniques n’ayant dans ce contexte qu’une importance anecdotique.
La production, opportuniste car établie à partir
d’une gîtologie locale, offre une série forte de 245 pièces, décrivant l’ensemble de la chaîne opératoire, relativement bien documentée. Les artefacts qui nous sont
parvenus, à différents degrés d’élaboration, se rapportent donc à des pièces brisées lors de leur fabrication.
153
154
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
La présence de fragments de bracelets finis, de très bonne facture, reste donc assez discordante en référence à
ces « ratés » produits par des « artisans » inexpérimentés, voire des enfants. Les techniques de façonnage sont
assez primitives, utilisant des « outils » banals tirés du
substrat rocheux local, surtout des quartz. Lors des ultimes phases de façonnage, requérant des outils plus
fins et performants, l’utilisation de pointes en bronze
est proposée. La métallurgie est d’ailleurs attestée sur
le site.
La production, révélée sur de grandes surfaces, sans
concentrations particulières, n’est donc pas subordonnée
à des ateliers « homologués ». Ces maladresses et cette
dispersion confirmeraient l’hypothèse avancée pour le
fonctionnement des sites et leur économie, principalement axée sur le pastoralisme : cet artisanat, d’appoint,
serait imputable aux bergers occupés à la garde des troupeaux, à proximité des pâtures, elles-mêmes situées en
bordure d’une importante voie de communication, « ancien itinéraire » fréquenté lors des transhumances, balisé
par ces vestiges et plusieurs dolmens.
Ces parures semblent destinées au marchandage, et
donc à être diffusées. Cette proposition pose un problème de taille : aucun de ces artéfacts n’a été mis au jour, au
cours de différents travaux archéologiques, tant sur les
sites limitrophes que sur des secteurs plus éloignés.
Analyse pétrographique des bracelets en micaschistes
Pierre Giresse
L’étude a pour objet l’analyse pétrographique et notamment
minéralogique de quelques fragments de ces bracelets récoltés
sur le terrain à proximité de divers affleurements micaschisteux.
À titre de comparaison, d’autres analyses pétrographiques sont
dédiées à ces affleurements, un autre objet de l’étude étant de
contribuer à la reconnaissance des matières premières qui ont
été employées dans l’artisanat de ces bracelets sur le secteur granitique de Montalba-le-Château (cartes géologiques au 80 000e
de Quillan (Casteras et alii, 1967), au 1/50 000e de Rivesaltes
(Berger et alii, 1993) et ibid. carte chap. XI, ill. 1).
Analyse pétrographique de quelques affleurements
Ce sont les affleurements de micaschistes (au sens large) qui ont
fourni principalement la matière première utilisée par les artisans préhistoriques de ce secteur. Ces affleurements ont pu être
échantillonnés en plusieurs points à proximité du Mas Molins
et du Serrat Blanc. Ils se présentent sous plusieurs faciès que l’on
caractérise en fonction du développement des minéraux phylliteux qui recouvrent les surfaces de foliation. Dans plusieurs cas,
ces minéraux de taille millimétrique sont parfaitement visibles
à l’œil nu.
Les micaschistes à « grands cristaux » s’avèrent en fait être des
chloritoschistes : 89 % de chlorite et 11 % de muscovite ou 95 %
de chlorite et 5 % de muscovite. Les faciès plus lustrés, où les minéraux phylliteux ne sont pas visibles à l’œil nu et où la schistosité est moins développée, sont encore des chloritoschistes, mais
avec des teneurs un peu plus faibles en chlorite : 75 % de chlorite
et 25 % de muscovite ou 70 % de chlorite et 30 % de muscovite.
Dans tous les cas, la composante feldspathique est très faible,
voire absente.
Analyses pétrographiques des bracelets
Quatre débris de bracelets ont été analysés. Ils ne présentent pas
de minéraux phylliteux apparents à l’œil nu. Les analyses diffractométriques indiquent chaque fois des teneurs en chlorite assez
faibles, du moins par référence à celles trouvées dans les roches
à l’affleurement : 70 % de chlorite et 30 % de muscovite, 73 % de
chlorite et 27 % de muscovite, 69 % de chlorite et 31 % de muscovite, 66 % et 34 % de muscovite. Ces compositions permettent
donc de rattacher ces matériaux à celles des faciès lustrés observés à l’affleurement. Cependant quelques bracelets en micaschiste à éclat plus brillant ont pu aussi être observés (Alain Vignaud,
communication orale).
Discussion
Il est probable que les faciès lustrés de ces chloritoschistes aient
pu avoir été sélectionnés préférentiellement par les artisans préhistoriques. L’assez grande hétérogénéité de la roche, le petit
grain de la texture et surtout une moindre foliation ont pu définir
des propriétés mécaniques plus favorables à la tailles et peut-être
au polissage. Ces matériaux étaient probablement plus tendres
et plutôt moins sujets à l’éclatement sous le choc des burins. Il est
à noter que d’autres roches à faciès schisteux ont été aussi prélevées à l’affleurement (granite schisteux, microgrès schisteux) et
analysés dans le cadre de cette étude. Il s’avère qu’ils n’ont jamais
été employés pour la confection des bracelets car trop riches en
silice et donc vraisemblablement trop difficiles à travailler.
annexe I Les bracelets de l’âge du Bronze
1
5 cm
57
55
12
67
Les n° sont ceux des inventaires
Dessins A. Vignaud
Planche 1 - Nos 1, 57 et 55, transformation de la matière première à différents stades. Nos 67 et 12 : mise en œuvre de la phase 2, par piquetage à partir du centre, en alterne
(n° 67), ou sur la totalité de la chute centrale, également en alterne (no 12).
155
156
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
113
31
118
5 cm
99
68
208
109
6
69
75
16
Les n° sont ceux des inventaires
Dessins A. Vignaud
Planche 2 - Dépose de la chute centrale (no 113) par piquetage périphérique alterne (no 31), ou à partir de la face supérieure (n° 118). Destruction totale de la chute centrale
par piquetage alterne (no 68), ou à partir de la face supérieure (nos 99, 208, 6 et 75).
annexe I Les bracelets de l’âge du Bronze
ø 7,5 cm
ø 5,8 cm
18
27
0
1025
ø 6,5 cm
50
ø 7 cm
ø 8,5 cm
ø 7 cm
51
52
1043
5 cm
ø 7 cm
54
49
1005
ø 7 cm
ø 6,7 cm
81
ø 6,25 cm
ø 6,2 cm
82
83
80
1006
ø 8,2 cm
95
ø 8 cm
94
ø 7,7 cm
92
ø 7,7 cm
93
ø 7,3 cm
96
Les n° sont ceux des inventaires Dessins A. Vignaud
Planche 3 - En grisé, fragments de bracelets de la phase 4, à la finition assez soignée, mais non aboutie. En noir, les fragments de bracelets terminés, polis et lustrés (phase 6).
à noter la différence de format et de profils entre ces 2 types.
157
158
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
ø 7 cm
ø 7 cm
ø 7 cm
ø 6,25 cm
85
ø 5,3 cm
89
87
84
ø 5,5 cm
ø 4,2 cm
ø 3,75 cm
91
90
88
86
0
1006
ø 7,35
ø 7,25
ø 8 cm
111
110
150
U-V
5 cm
ø 7 cm
ø 5,20
130
131
1018
1021
ø 7,15
ø 7,8 cm
157
167
1013
Point 143 (isolé)
Les n° sont ceux des inventaires
Planche 4 - Fragments de bracelets finis. Les profils, hémisphériques verticaux, sont assez répétitifs.
Dessins A. Vignaud
annexe I Les bracelets de l’âge du Bronze
2
1
5 cm
3
1025
perforation par rotations
par percussions
4
5
Mise en œuvre mixte
7
6
8
1005
perforation par rotations
1026
percu
9
10
11
12
1006
13
5 cm
14
perforation par rotations
16
15
mise en œuvre mixte
17
Dessins A. Vignaud
Planche 5 - Objets circulaires perforés, de petit diamètre, à la fonction énigmatique.
159
160
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
1020
18
quartz
19
5 cm
Ensemble 2, Groupe 3, point 1014
perforation par rotations
perforation par rotations
par percussions
par percussions
1022
20
1031
22
21
Mise en œuvre mixte
Mise en œuvre mixte
1022
Ensemble 2, Groupe 2, points 1020, 1022 et 1031
208
5 cm
23
1033
24
Points isolés, 208 et 1033
1025 (E1)
25
5 cm
26
1016 (”isolé”)
ø intérieur 10 cm
27
28
1016 (”isolé”)
1025
Fragment de moule de fondeur (bracelet probable)
1016 (”isolé”)
Objets non identifiés sur plaquettes de chloritoschiste
Dessins A. Vignaud
Planche 6 - Objets circulaires perforés de petit diamètre, artefacts non identifiés (nos 25, 26 et 27), et fragment de moule de fondeur (n° 28).
annexe I Les bracelets de l’âge du Bronze
30
Ensemble 1, Groupes 1 et 2
20
10
0
40
Ensemble 1, Groupe 3 (1005)
20
0
80
Ensemble 1, Groupe 3 (1006, 1042 et 1027)
60
40
Unités
20
0
160
%
Les graphiques sont à la même échelle (5 mm = 10 u)
Les données sont à partir des bracelets horizontaux (180°)
Ensemble 1, total général
140
120
100
80
60
40
Matière première Type d'unité
Phases / mise
en œuvre
1 - Production de bracelets. Ensemble 1, groupes 1, 2 et 3, et total général.
Diamètres
intérieurs
Profils des bracelets finis
Polissage/lustrage
stigmates d'élaboration
Fragment bracelet fini
Raclage vert.
Raclage Horiz.
< sillons étroits
< négatifs cupulés
> sillons larges
Épannelé
> négatifs cupulés
Carré
Subrectang. horiz.
Subcirculaire
Subrectang. vert.
Hémicirc. vert.
Oblong vertical
Ovale large Horiz.
Ovale large vertic.
ø de 6 à 7
ø > à 7 mm
ø de 5 à 6
De 4 à 5 mm
Pointe base
Pointe centre
Phase 3
Phase 2
Fragment
Chute centrale
Ébauche entière
Clivage 90°
Clivage 45°
Clivage 180°
Chlorito autre
Chlorito à > mica
Chlorito Standard
0
Dégrossi phase 1
20
161
Matière première Type d'unité
Phases / mise
en œuvre
2 - Production de bracelets. Ensemble 2, groupes 1, 2 et 3, et total général.
Diamètres
intérieurs
Profils des bracelets finis
Stigmates d'élaboration
Fragment bracelet fini
Polissage/lustrage
Raclage Horiz.
Raclage vert.
< sillon étroit
< négatif cupulé
> sillon large
> négatif cupulé
Épannelé
Carré
Subrectang. horiz.
Subrectang. vert.
Subcirculaire
Hémicirc. vert.
Oblong vertical
Ovale large Horiz.
Ovale large vertic.
ø > à 7 mm
ø de 6 à 7
ø de 5 à 6
De 4 à 5 mm
Pointe centre
Pointe base
Phase 3
Phase 2
Dégrossi phase 1
Chute centrale
Fragment
Ébauche entière
Clivage 90°
Clivage 45°
Clivage 180°
Chlorito autre
0
Chlorito à > mica
Chlorito Standard
Unités
162
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
Ensemble 2, Groupe 1
10
%
30
Ensemble 2, Groupe 2
20
10
0
10
Ensemble 2, Groupe 3
0
Les graphiques sont à la même échelle (5 mm = 10 u)
Les données sont à partir des bracelets horizontaux (180°)
60
Total Ensemble 2
50
40
30
20
10
0
annexe I Les bracelets de l’âge du Bronze
Ensemble 1, total général
160
140
120
100
80
60
40
Unités
20
0
%
Les graphiques sont à la même échelle (5 mm = 10 u)
Les données sont à partir des bracelets horizontaux (180°)
Ensemble 2, total général
60
50
40
30
20
10
0
Ensemble 3, total général
1
Points isolés et "H. S.", total
9
Matière première Type d'unité
Phases / mise
en œuvre
3 - Production de bracelets. Ensembles 1, 2, 3 et points isolés, total général.
Profils des bracelets finis
Fragment bracelet fini
Raclage Horiz.
stigmates d'élaboration
Polissage/lustrage
Raclage vert.
< sillon étroit
< négatif cupulé
> sillon large
> négatif cupulé
Carré
Épannelé
Subrectang. vert.
Subrectang. horiz.
Subcirculaire
Hémicirc. vert.
Oblong vertical
Ovale large Horiz.
ø > à 7 mm
Diamètres
intérieurs
Ovale large vertic.
ø de 5 à 6
ø de 6 à 7
De 4 à 5 mm
Pointe centre
Phase 3
Pointe base
Phase 2
Dégrossi phase 1
Fragment
Chute centrale
Clivage 90°
Ébauche entière
Clivage 45°
Clivage 180°
Chlorito autre
Chlorito à > mica
Chlorito Standard
0
163
Matière première Type d'unité
Phases / mise
en œuvre
Diamètres
intérieurs
Total général
4 - Production de bracelets. Total général regroupant l’ensemble des artefacts découverts sur les sites.
Profils des bracelets finis
Carré
stigmates d'élaboration
Fragment bracelet fini
Polissage/lustrage
Raclage Horiz.
Raclage vert.
< sillon étroit
< négatif cupulé
> sillon large
> négatif cupulé
Épannelé
250
Subrectang. horiz.
Subrectang. vert.
Subcirculaire
Hémicirc. vert.
Oblong vertical
Ovale large Horiz.
Ovale large vertic.
ø > à 7 mm
ø de 6 à 7
ø de 5 à 6
De 4 à 5 mm
Pointe centre
Pointe base
Phase 3
Phase 2
Dégrossi phase 1
Chute centrale
Fragment
Ébauche entière
Clivage 90°
Clivage 45°
Clivage 180°
Chlorito autre
0
Chlorito à > mica
Chlorito Standard
Unités
164
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
Échelle : 5 mm = 10 unités
Les données sont à partir des bracelets horizontaux (180°)
237 u
200
150
100
50
%
Unités
annexe I Les bracelets de l’âge du Bronze
Total Ensemble 1, Groupe 1
3
2
1
0
%
Total Ensemble 1, Groupe 2
4
3
2
1
0
Total Ensemble 1, Groupe 3
15
10
5
1
0
Total Ensemble 1
16
14
12
10
8
6
4
2
1
0
Total ensemble 2, groupe 2
7
5
3
1
0
Total Ensemble 2, groupe 3
2
1
0
Total Ensemble 2
7
5
3
1
0
Total Ensemble 3
1
0
Ustensiles de petit diamètre - total général
25
20
15
10
5
Matière première
Phases / mise
en œuvre
Diamètres
intérieurs
Ustensiles de petit diamètre
5 - Objets circulaires de petit diamètre. Ensembles 1, 2 et 3 et total général.
Perforation raclée
Perforation percut.
Sillons
< négatifs
> négatifs
Raclage latéral ext.
Plus de 70mm
Diamètres
extérieurs
Raclage général
de 50 à 70 mm
de 40 à 50 mm
ø extér. 30 à 40mm
De 20 à 30 mm et +
De 5 à 10 mm
De 10 à 20 mm
ø perfo., 2 à 5mm
Pointe centre
Pointe base
Phase 3
Phase 2
Chûte centrale
Type d'unité
Dégrossi phase 1
Fragment
Entière
Clivage 45°
Clivage 180°
Terre cuite
Roche autre
Chlorito autre
Chlorito à > mica
Chlorito Standard
1
0
stigmates d'élaboration
Profil des ustensiles
Informe Subcirculaire, En amande,
base aplanie pointe centrale
16,5 %
16,5 %
67 %
165
166
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
ENSEMBLES - POINTS
Groupe 1
1025-1 et 2 = sommet de l’oppidum + collectes Y.
Blaize
1025-3 et 4 = base, à l’est
1025-5 =Base Ouest
1025-6 = Base nord
1025-7 = Base, nord-ouest isolée (cabane ?)
TOTAL Groupe 1
Groupe 2
1043
1026
TOTAL Groupe 2
Groupe 3
1002
1003
1004
1005
1006 (+1042)
1027
TOTAL Groupe 3
TOTAL Ensemble 1
W
U (+V)
TOTAL Groupe 1
Groupe 1
Groupe 2
1021
1020 (+ 1022+1031)
1018 (+1019)
TOTAL Groupe 2
Groupe 3
1012 (+1011)
1013
1030 (+1029)
1014 (+1015)
TOTAL Groupe 3
TOTAL Ensemble 2
H
TOTAL Groupe 1
I
J
K
L
M
TOTAL Groupe 2
Groupe 1
Groupe 2
CÉRAMIQUE
bracelets
LITHIQUE
DIVERS
1413
9
8
1 bloc “meule”
565
8
247
30
2263
1
16
6
1
33
6
9
4
2
29
2 percuteurs à cupule
1fgt moule fondeur
Schiste poli à cupule
385
166
551
6
1
7
5
5
10
185
106
21
662
727
112
1813
4627
2
ENSEMBLE 1
21
85
1
109
149
1
13
9
6
29
68
1 schiste poli
1 hache polie
570
720
1290
16
16
2
27
28
1 nodule cuivre/bronze
878
775
98
1751
24
30
6
60
10
14
2
26
60
73
606
288
1027
4068
3
4
5
2
14
90
1
3
14
2
20
74
1
1
4
4
1 meule
3
dont 1 flèche en silex
ENSEMBLE 2
1 meule
“Polissoir” sur plaquette
ENSEMBLE 3
260
260
24
12
164
48
75
323
0
1
4
Groupe 3
G
A (+C)
D (+E)
1034
1023
TOTAL Groupe 3
TOTAL Ensemble 3
37
92
66
44
13
252
835
1
1
2
1
2
6
13
TOTAUX des Ensembles 1, 2 et 3
9377
239
155
4
Inventaire général des mobiliers de l’âge du Bronze, plateau de Rodès et montalba-le-château, tous points confondus. A. Vignaud
Annexe II
Les anses à appendice du plateau de Ropidera
Richard Iund
Les anses à appendice sont caractéristiques de l’âge du
Bronze moyen/récent des régions méditerranéennes de
la France méridionale. Deux principaux types d’appendices se rencontrent au sommet des anses des vases de ces
périodes. Les pouciers, appendices cylindriques et les ad
ascia, « en hache », appendices plats.
Fruits de contacts avec le monde italique (culture des
Terramares de la côte orientale, et dans une moindre
mesure Apenninique et Subapenninique du centre de la
péninsule), en France, ces anses adoptent une répartition
originale sur les trois aires géographiques constituant le
pourtour méditerranéen. À l’est du Rhône, seules les anses ad ascia sont présentes sur des sites peu éloignés des
rivages. En Languedoc, les anses ad ascia se rencontrent en
contexte Bronze récent/final. Elles sont parfois associées
à des pouciers cylindriques, particulièrement sur les sites
lagunaires de l’Hérault. L’est des Pyrénées montre une situation originale. À proximité des rivages, les pouciers et
anses ad ascia sont peu présents, parfois associés sur le
même site (La Fonollera, Pons 1977). Plus à l’intérieur
des terres, sur l’axe Têt/Sègre et en Bas Aragon, les anses ad ascia sont pratiquement absentes, les pouciers par
contre sont très abondants et de morphologies variées.
Inventaire des anses à appendice de l’âge du Bronze du
plateau de Ropidera
La typologie utilisée dans cette étude a été définie lors de
travaux précédents (Iund, 1997, 1998, 2005). les numéros
de l’inventaire ci-dessus renvoient à la planche en annexe.
1 - Anse en ruban large et massive, la base est déviée vers
la gauche. Elle porte en son sommet, à la jonction anse/
bord, la trace d’un poucier. La surface, beige clair, est lissée, le dégraissant est fin (1 mm).
2 - Poucier à sommet plan débordant le corps de l’appendice (type 2A). Le tenon conique ayant servi à la fixation
de l’appendice sur l’anse est visible. La surface grise est
très érodée. Le dégraissant est moyen (3 mm).
3 - Petit poucier à sommet plan ne débordant pas le corps
de l’appendice (type 1). La surface est noire, érodée. Le
dégraissant est fin (1 mm).
4 - Poucier à sommet plan débordant le corps de l’appendice (type 2A). Le tenon conique servant à la fixation de
l’appendice sur l’anse est visible. La surface brun rougeâtre est érodée. Le dégraissant est moyen (3 mm).
5 - Poucier à sommet plan ne débordant pas le corps de
l’appendice (type 1). La surface brun marron est lissée. Le
dégraissant est fin (1 mm).
168
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
6 - Poucier à sommet arrondi (type 6B). La surface brun
noir est très érodée. Le dégraissant est gros (5 mm).
7 - Poucier à sommet plan ne débordant pas le corps de
l’appendice (type 1). La surface est lissée. Le dégraissant
est fin (1 mm).
8 - Fragment d’anse portant, à la jonction anse/bord, la
trace d’un poucier. La surface est lissée. Le dégraissant
est fin.
9 - Poucier à sommet plan débordant le corps de l’appendice et formant une étoile à quatre branches. Il est proche
du type 7B. En son centre le sommet est orné d’un petit
téton. La surface rougeâtre est lissée. Le dégraissant est
gros (5 mm).
10 - Fragment d’anse portant, à la jonction anse/bord, la
base d’un gros poucier. La surface rougeâtre est érodée.
Le dégraissant est moyen (2 mm).
11 - Partie supérieure d’une anse en ruban. Elle porte, à
la jonction avec le bord, un petit poucier à sommet arrondi (type 6B). La surface beige est finement lissée. Le
dégraissant n’est pas visible.
12 - Appendice ad ascia de type 1 (profil subcirculaire,
partie sommitale droite ou légèrement convexe, avec étranglement basal). La surface, beige sur la partie supérieure,
rosâtre en dessous, est lissée. Le dégraissant est fin.
13 - Gros poucier dont le sommet est manquant. La surface noire est lissée. Le dégraissant est fin (1 mm).
14 - Fragment d’anse portant, à la jonction avec le bord,
un gros poucier de type 2A. Elle est probablement portée par un vase de dimension importante (jatte ou urne).
La surface brune est très érodée, le dégraissant est gros
(5 mm).
Sur cet ensemble de moyens de préhension à appendices on peut dénombrer :
- 4 pouciers de type 2A à sommet plan débordant le
corps de l’appendice ;
- 3 pouciers de type 1 à sommet plan ne débordant pas le
corps de l’appendice ;
- 2 pouciers de type 6B à sommet arrondi ;
- 1 poucier à sommet plan à profil en étoile à 4 branches et à téton central. Il est raisonnable de le considérer
comme une variante du type 7B (à sommet plan et téton
central) ;
- 1 appendice ad ascia de type 1 à profil triangulaire, partie sommitale droite ou légèrement convexe et étranglement basal.
Répartition géographique des anses à poucier
Les pouciers, quand l’anse nous est parvenue, sont situés à la jonction avec la lèvre, caractéristique propre à la
céramique de l’âge du Bronze.
Les pouciers à sommet plan ou légèrement concave (type 1, 2A) représentent les 3/4 de l’ensemble des effectifs
au nord des Pyrénées (Iund 1997). Ils sont très nombreux
à Montou, ainsi que sur l’ensemble des sites de la vallée de
la Têt (Caune de Bélesta, grotte de la Chance, Llo). Le type 6B (à sommet arrondi) se rencontre assez peu au nord
des Pyrénées, il est beaucoup plus fréquent au sud.
Les pouciers de type 7 (A et B) sont présents au
nord des Pyrénées à Montou II, en contexte bouleversé
(Iund 1997). Au sud on les rencontre en Bas Aragon
(Los Estancos, Lecinena), et Bas Sègre (Rocaferida,
Lérida). À Geno (Lérida), habitat de type défensif de la
charnière Bronze moyen/final richement documenté en
anses à appendice, le poucier se distingue par un profil du
sommet en étoile à 6 branches. Ce site a d’autre part livré
des anneaux en pierre verte (Maya, Cuesta 1998).
Chronologie des anses à poucier dans les Pyrénées de l’est
Les vases à anse à poucier des Pyrénées de l’est ont,
dans un premier temps, été considérés comme traceurs
chrono-culturels du Bronze moyen. Ils seraient apparus à la fin du Bronze ancien, après les dernières manifestations du phénomène campaniforme (Guilaine,
Abélanet 1966). Les datations 14C de ces dernières
années ont légèrement rajeuni leur genèse au nord des
Pyrénées, et de façon beaucoup plus franche leur diffusion au sud.
La couche 11 de la Cauna de Bélesta, (Bélesta-de-laFrontière, Pyrénées-Orientales), qui a livré plusieurs anses à poucier de type 2A, est datée d’une phase récente
du Bronze moyen. La grotte de Montou, Corbère-lesCabanes (Pyrénées-Orientales), toute proche de la
Caune de Bélesta, renfermait dans les couches 3D et 4
plusieurs pouciers de type 2A et 1, associés à des tasses
carénées à profil convexo-concave, vases polypodes, anses
à nervure médiane, rangées d’ongulations sur la lèvre ou
la panse. Les dates obtenues pour ces couches sont compatibles avec celle de Bélesta-de-la-Frontière et renvoient
à une phase terminale du Bronze moyen.
. Ly-5105 : 2975 +/- 60 BP : Cal B.C. 1 sigma : 1312‑1103 (Claustre, Zammit
et Blaize 1993).
. Ly-5909 : 3070 +/- 45 BP : Cal B.C. 1 sigma : 1400‑1260 ; Ly 5910 : 3090
+/- 50 BP. : Cal B.C 1 sygma : 1410‑1260 ; 1280‑1260 (Claustre 1993).
annexe II les anses à appendice de l’âge du Bronze
Au sud des Pyrénées, à Geno (Aytona, Lerida), habitat
de plein air, la céramique marque la charnière entre Bronze
moyen, avec de nombreux profils carénés convexo-concaves, décors de cordons en résilles (probable perduration du
Bronze ancien), et le Bronze final II illustré par les nombreux décors de cannelures et des profils biconiques anguleux. L’une des datations obtenues par J. L. Maya renvoie
au Bronze final II catalan. Plus à l’ouest, en Bas Aragon,
le site de Masada de Raton, à Fraga, a livré un abondant
mobilier céramique qui, comme à Géno, marque la charnière Bronze moyen/Bronze final II : nombreux pouciers
de tous types, cordons digités en résilles, bords éversés
anguleux à lèvres biseautées, décors de cannelures. Les
datations obtenues sur le site sont légèrement plus basses
que celles de Geno. Encore à l’ouest, dans la province de
Saragosse, le site d’el Macedo (Lecinena), donne une datation qui renvoie au plein Bronze final.
Répartition géographique des anses ad ascia
Les anses ad ascia (en hache) apparaissent en contexte
Protoapenninique, Bronze ancien de l’Italie méridionale,
et y perdurent pendant l’Appenninique classique qui caractérise de façon unitaire l’Italie méridionale et centrale
(Cecanti 1979). Au nord de la péninsule, les appendices
de la culture de la Polada (culture subcontemporaine du
Protoappenninique méridional) sont de dimensions plus
modestes, mais de morphologie similaire.
À l’ouest des Alpes, c’est en Provence que l’on trouve les
plus anciens spécimens de cette céramique. Dans la couche III de la grotte Murée de Montpezat (Alpes-de-HauteProvence), l’appendice décoré de deux rangées de triangles
hachurés est porté par une tasse à carène douce. Il appartient à la première phase du Bronze moyen : 1525‑1450
B.C. (Vital 1999). D’autres sites à l’est du Rhône ont livré ce
type d’appendice : la grotte des Monnaies (le Plan d’Aups,
Var), daté du Bronze moyen II (1450-1425 B. C.) ; l’Aven
de Vauclare à Esparron-de-Verdon (Alpes-de-HauteProvence), sur une jatte carénée en contexte Bronze final I/II
(Lagrand 1968). Les exemplaires les plus récents (Salins
de Ferrières à Martigues, Bouches-du-Rhône et Ilot de la
Mouette à Saint-Tropez, Var) se rencontrent en contexte
Bronze final II/IIIa, avec des décors de cannelures internes,
vase à col oblique et pied annulaire (Iund 1998).
. Ubar - 519 : 2815 +/- BP : Cal BC 1 sigma : 1008-901 (Maya, Cuesta 1998).
. GrN - 18640 : 2816 +/- 16 BP : Cal BC 1 sigma : 990-955, 945-920 (Iund 1997).
. GrN 14946 : 2805 +/6 BP : Cal BC 1 sigma : 995-905 (Ferreruela 1993).
À l’ouest du Rhône, les anses ad ascia de type III sont
peu nombreuses et concentrées sur des sites proches du littoral. Station du Roc de Conilhac à Gruissan, dans l’Aude,
où l’appendice est porté par une tasse à carène médiane,
contexte Bronze final I (Guilaine 1972). À la grotte Basse
de la Vigne perdue (Narbonne), toute proche, une tasse
à carène très marquée porte une anse ad ascia de type III.
Le contexte sépulcral Chalcolithique/âge du Bronze est
mal établi (Guilaine 1972). C’est sur le littoral héraultais
en contexte lagunaire que l’on trouve les principaux sites
à anses ad ascia : Camp Redon et Tonnerre (Prades et le
G.A.P. 1985, Dedet et alii 1985). Les contextes de ces deux
sites sont centrés sur le Bronze final II avec de nombreux
décors de cannelures, urnes à col, carènes à méplats.
Au sud des Pyrénées de l’est les anses ad ascia sont
peu nombreuses et concentrées dans la partie orientale
de l’Ampurdan, à proximité de la mer. Cau de les Dents,
La Fonollera et Puig Mascaro, à Toroella-de-Montgrí
(Gérone), sont trois sites tout proches du littoral qui ont
livré des anses surmontées d’appendices de type III, certains portant un décor de cannelures. Le contexte, quand
il est lisible, appartient au Bronze final II. Plus à l’ouest,
à la Bauma del Serra del Pont, Tortella (Gérone), dans
la couche II 2b, on a trouvé un appendice ad ascia de
type III ainsi qu’un fragment d’anse à poucier. Comme
pour les sites du littoral le contexte est Bronze final II.
Conclusion
Dans les Pyrénées de l’est, les anses à appendices, poucier et ad ascia, sont probablement le fruit de contacts répétés avec le monde italique. Ces contacts sont à envisager par voie maritime, le cabotage est un mode de transport bien maîtrisé à la fin de l’âge du Bronze. Les anses
à poucier, à partir de contacts au nord des Pyrénées, sur
les rivages du Roussillon, vont, par les vallées de la Têt et
du Sègre gagner le Bas Sègre et le Bas Aragon. En ce qui
concerne les anses ad ascia, leur parcours est beaucoup
moins lisible, on les retrouve en nombre très limité, et
surtout au bord des rivages. L’ensemble des anses à appendices du plateau de Ropidera peut, en rapport avec les
datations obtenues à Montou et Bélesta, être daté de la
fin du Bronze moyen.
. Une datation 14C obtenue à la Fonollera donne une date un peu haute :
MC 1246 : 3400 + : - 100 BP : Cal 1 sigma 1870‑1840 ; 1780‑1520.
. Avec une datation 14C sensiblement plus basse : UBAR 180 : 3160 +/- 100
BP : Cal BC 1 sigma : 1505‑1368 ; 1362‑1313 ; 1271‑1264.
169
170
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
1
13
5 cm
3
2
11
5
4
10
7
6
14
12
8
5 cm
9
Dessin Richard Iund
Anses à pouciers, et anses ad ascia, âge du Bronze, plateau de Montalba.
Annexe III
Les deux petits dolmens de Rodès
et leur place dans le mégalithisme
des Pyrénées-Orientales
Valérie Porra-Kuteni
Le plateau de Montalba et ses contreforts vers la vallée de la Têt ont longuement été occupés pendant la
Préhistoire, mais les traces qu’il en reste dans le paysage sont plutôt ténues et seulement visibles pour un
œil averti. Seuls deux monuments mégalithiques sont
remarquables bien que discrets. La multitude de chaos
parsemant tout l’environnement offrait des matériaux
immédiatement accessibles pour la construction de mégalithes durant la fin du Néolithique, période du début de la construction des dolmens à l’est des Pyrénées.
Or, sur la totalité de la surface prospectée, seules deux
structures de ce type ont été retrouvées. Si le dolmen
du Serrat Blanc, sur la commune de Rodès, avait déjà
été signalé par Yves Blaize anciennement, celui de la
Guardiola, toujours à Rodès, n’était pas connu. Bien que
très dégradés, ces monuments attestent de la présence
de pratiques funéraires, particulières à ce début du IIe
millénaire avant notre ère.
I - Les dolmens de Rodès
I.1 - Le dolmen de La Guardiola (commune de Rodès)
Quand on arrive sur le site par le sud, après une approche sportive de 200 m de dénivelé depuis le lit du
fleuve, si la vue panoramique sur la vallée de la Têt et
le Canigou récompense un effort certain, le monument
attendu est un peu déconcertant. Le premier coup d’œil
donne davantage à penser à un abri de fortune plutôt
qu’à un dolmen que l’on imagine toujours plus imposant... Et pourtant, à bien y regarder, plusieurs indices
indiquent une construction préhistorique (ill. 1).
Ce dolmen est situé au sud du plateau de Montalba, près
du lieu-dit La Guardiola, sur une ligne de crête qui amorce
une descente abrupte, au droit des gorges de la Guillera.
C’est la crête la plus visible des environs immédiats, et la
petite taille du monument devait être compensée par un
tumulus mieux repérable dans le paysage (ill. 2).
172
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
1 - Dolmen de la Guardiola (vue sud) (cl. Olivier Passarrius).
2 - Versant de la Guardiola (vue sud du massif ) (cl. V. Porra-Kuteni).
N
0
0,50
1m
3 - Dolmen de la Guardiola (vue sud-est) (cl. V. Porra-Kuteni).
4 - Dolmen de la Guardiola (plan et coupe) ( relevé V. Porra-Kuteni.).
Particulièrement dégradé et remanié, il est difficile
d’imaginer son aspect initial : une cella de plan apparemment carré, est composée de deux orthostates, qui
devaient directement supporter à l’origine la dalle de
couverture horizontale. Seules les dalles verticales semblent réellement en place. La dalle horizontale a été
surélevée par des murets formés de quelques pierres
sèches, de manière à permettre à un homme de tenir
assis sur le sol actuel de la structure. Une roche du substratum en place a été utilisée comme chevet de la cella,
et là aussi, des pierres ont été placées au-dessus pour
surélever la « table » (ill. 3).
Les orthostates ne sont distants que de 1,20 m pour
1,15 m de profondeur, du chevet à la partie distale de
ceux-ci. La dalle de couverture possède des dimensions
(L. 1,50 m x l. 1,15 m) lui permettant de clore parfaitement un carré constitué par les pierres en place et fermé
au sud par une éventuelle pierre plate disparue (Ill. 4).
Cette pierre manquante devait faire office de porte, à
moins que l’ouverture ait été effectuée par le soulèvement
de la dalle de couverture, ce qui est souvent le cas pour
les dolmens de très petite taille. La structure était au total vraisemblablement très modeste, ce qui est fréquent
dans la région pour la période de construction envisagée,
comme nous allons le voir.
annexe III les dolmens de Rodès
Dans la mesure où le chevet semble en place (roche du
substratum affleurant), le monument voyait son entrée
orientée vers le sud, suivant en cela le sens du pendage du
versant. Actuellement, la construction paraît s’adosser à
un mur de terrasse, qui pourrait bien avoir été construit
avec les pierres de l’ancien tumulus le recouvrant.
Les chaos de granite, présents dans l’environnement
proche, offrent des matériaux en abondance, qu’il suffisait de choisir aux bonnes dimensions pour la réalisation du cairn comme du monument en lui-même.
Le contenu du dolmen a depuis longtemps été vidé,
donc aucun mobilier archéologique ne peut directement
participer à un essai de datation relative. Pourtant, il faut
signaler la découverte en surface d’un ensemble de tessons modelés, à trente mètres plus haut vers le nord‑est.
Répertoriée sous le no 1024, cette concentration de céramiques présente des formes bien datables de l’âge du
Bronze moyen (1re moitié du IIe millénaire avant J.‑C.)
et leur représentativité est tout à fait homogène.
La pâte de ces récipients est essentiellement cuite en
ambiance oxydante. Bien que très fragmenté, ce mobilier permet de reconnaître des fonds plats et un rond,
un pied de vase polypode, une oreille de préhension, un
départ d’anse orné sous l’anse d’une ligne d’impressions
« en coin », des anses en ruban, des décors ongulés, des
cordons digités, et un tesson de gros vase de stockage
dont le bord est orné d’un cordon digité sous la lèvre
à impressions digitées. Le vase polypode et le décor de
coups d’ongle sont des caractéristiques que l’on retrouve
dans toutes les Pyrénées à cette époque, de manière
presque exclusive (Martin 1989 et Rouquerol 2004).
On compte un minimum de huit poteries dont un gros
vase à provision, en général signe d’un habitat à proximité. Il est difficile d’interpréter la présence de cet ensemble céramique, sans autre mobilier associé : fond de
cabane ou reste de fosse dépotoir ?
la Têt, réalisés par J.-Ph. Bocquenet (Bocquenet 1997),
ont montré des exemples proches, du point de vue de la
datation et de la typologie, comme celui du dolmen de
Valltorta à Saint-Michel-de-Llotes ou encore celui des
Rières à Bouleternère (Iund, Porra-Kuteni 2003).
Si un doute était permis au premier regard sur cette
construction, compte tenu de la morphologie ancienne
des terrasses sur la montagne de Rodès, le plus souvent armées par des dalles redressées dès une phase
médiévale d’aménagement du terroir (cf. Passarrius
chap. VIII, Martzluff chap. XI) les arguments avancés
ici nous donnent la certitude d’avoir affaire à un dolmen
et nous essaierons plus loin de comprendre pourquoi il
fut implanté en ce lieu.
I.2 - Le dolmen du Serrat Blanc (commune de Rodès)
à la différence de La Guardiola, l’approche de ce dolmen est une vraie promenade, car il se trouve juste à l’est
du principal chemin traversant le plateau de Montalba du
nord au sud, au niveau du Mont Serrat Blanc. Découvert
il y a quelques années par Yves Blaize, il est situé au pied
d’une petite butte constituée d’albites développées dans
les granites porphyroïdes, et semble se cacher dans un
petit bosquet de chênes (ill. 5).
Il est intéressant de noter que la datation de cet ensemble céramique pourrait tout à fait correspondre à
celle du dolmen. En effet Françoise Claustre, dans sa
chrono-typologie des dolmens des Pyrénées de l’est,
datait de la 1re moitié du IIe millénaire avant notre ère,
ce type de « petites cistes aériennes couvertes d’un tumulus » (Claustre 1998). Les derniers travaux de prospection et restauration de mégalithes dans la vallée de
. Ciste aérienne : coffre de pierre constitué de petites dalles plates, non enfoui.
5 - Dolmen du Serrat Blanc et son tumulus (vue ouest) (cl. V. Porra-Kuteni).
173
174
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
N
0
0,5
1,00 m
6 - Dolmen du Serrat Blanc, plan et coupe (relevé V. Porra-Kuteni).
7 - Dolmen du Serrat Blanc, avant l’intervention de la mairie de Rodès en mai 2006
(cl. Michel Martzluff ).
8 - Dolmen du Serrat Blanc - vue est, après intervention de la mairie (cl. V. Porra-Kuteni).
Dès que l’on s’approche, on aperçoit un « caisson » rectangulaire comme planté sur son tumulus bien visible. Dans son état
actuel, ce dernier est constitué de petits blocs de granite (entre
20 et 30 cm d’extension). Il est de forme circulaire et d’un diamètre d’environ 6 à 7 m. Il s’appuie sur de plus gros blocs fichés
en terre et des affleurements de la roche granitique.
Si l’on ne doute pas d’être en présence d’un dolmen, son aspect actuel montre bien qu’il a subi de
nombreux remaniements qui rendent peu lisibles
son plan initial et donc son fonctionnement. Une
grande roche plate sert de couverture à une cella
aux dimensions intérieures modestes (L. 1,15 m x
l. 1,00 m x H. 0,90 m). Dans son état actuel, elle
est de plan rectangulaire et délimitée par des dalles
verticales sur les quatre côtés (ill. 6). En 2005, la
structure se présentait différemment. La dalle de
couverture était basculée sur le côté, vers l’ouest.
Les orthostates n’étaient pas parallèles ni de même
niveau, certains fort bas, d’autres bien plus haut
et même l’un d’eux (côté sud-est) est si bas qu’il
pourrait être interprété comme une porte-fenêtre
(ill. 7). Les dimensions réduites de la construction
plaident aussi en faveur d’une éventuelle ouverture
par la dalle de couverture. Il apparaît que seules les
dalles délimitant la chambre funéraire, seraient en
place. Murets en pierres sèches et autres doublements d’orthostotes ont été rajoutés au cours des
siècles (ill. 8).
On ne peut que déplorer l’absence de mobilier remarquable qui autoriserait une datation relative. Le
ramassage d’un maigre mobilier récolté en surface
entre les pierres du tumulus montre : 3 percuteurs
de quartz et une dizaine de tessons de céramiques
modelées (6 en cuisson oxydante et 4 en cuisson
réductrice) dépourvus de décors ou de profils reconnaissables. Toutefois, un seul tesson de poterie
modelée de 8 mm d’épaisseur, à pâte brun-orangé
avec gros dégraissant, provient d’un vase de stockage. Trouvé sur le tumulus, cet élément associable à
l’habitat peut avoir été emmené avec la terre pour sa
construction, ou par d’autres hasards... Cet ensemble mobilier pourrait appartenir autant à la fin de la
Préhistoire qu’au début de la Protohistoire. Comme
pour celui de la Guardiola, le plan rectangulaire de
ce dolmen et ses dimensions réduites invitent à rattacher sa période d’érection au Chalcolithique ou au
début de l’âge du Bronze, si l’on s’en tient toujours
aux propositions de F. Claustre (Claustre 1998).
. En particulier la fermeture des espaces vides entre les dalles, par de
petits murets de pierres sèches.
annexe III les dolmens de Rodès
France
Marseille
Perpignan
Espagne
Barcelone
0
15 km
9 - Carte de répartition des dolmens des Pyrénées-Orientales (cl. V. Porra-Kuteni).
II - Questions de mégalithes
Dans le sud de la France, plusieurs concentrations de
mégalithes ont été identifiées : celle des Pyrénées de l’est
occupe un territoire circonscrit au nord par le fleuve Aude
et au sud par celui de l’Ebre en Catalogne, à l’est l’Ariège en
serait la limite. Dans les Pyrénées-Orientales, on perçoit
trois grands ensembles de dolmens et quelques « isolats »
aux marges. Au sud, les Albères françaises (12 dolmens)
et espagnoles (60 dolmens) forment un premier groupe,
puis un second – d’une trentaine de monuments, dont
ceux de Rodes, surplombant la vallée de la Têt – occupe
les hauteurs du Vallespir et des Aspres. Enfin le troisième voit une cinquantaine d’exemplaires répartis sur les
hauteurs du Conflent et des Fenouillèdes. Quelques uns
se trouvent isolés (aujourd’hui ?) en Cerdagne à Eyne, à
Enveigt et dans les Corbières à Salses (Ill. 9).
Les dolmens les plus proches de Rodès sont ceux de
Bélesta à l’est, Tarerach et Trévillach à l’ouest et Trilla
au nord. Au sud, de l’autre côté de la vallée de la Têt, les
crêtes du versant nord sont elles aussi occupées par la
concentration des dolmens de Saint-Michel-de-Llotes.
. Notamment étudiés et restaurés par J‑Ph. Bocquenet, à la fin des années 1990
(Bocquenet 1997 - Iund, Porra 2003).
2.1 - Bref historique de la recherche
Participant à la celtomanie qui précédait les premiers
temps de l’archéologie préhistorique, Jaubert de Réart signala des mégalithes dès 1832. Ce n’est qu’en 1921 que
Pierre Vidal dresse le premier inventaire de 25 dolmens.
Pierre Ponsich en fait un décompte plus précis en 1949
(Ponsich 1949). Depuis, Jean Abélanet a patiemment
prospecté et découvert des dolmens pour en fixer le nombre à 90 en 1987 (Abélanet 1990).
Ces mêmes années 1980, les chantiers archéologiques de
Françoise Claustre, nouvellement installée en Roussillon,
ont dynamisé la recherche en Préhistoire récente, sous l’égide du CNRS et avec l’appui de l’École des Hautes études en
Sciences Sociales installée à l’Université de Toulouse, dirigée par Jean Guilaine. C’est ainsi que fut publiée la première
fouille programmée d’un mégalithe (Claustre, Pons 1988).
Dans ce mouvement, qui allait par ailleurs à la rencontre du
plus large public par des conférences et la création de musées, se sont inscrits à partir des années 1990 les travaux
de Jean-Philippe Bocquenet, Richard Iund et moi-même.
. Qu’il publia dans le n° 4 du « Publicateur des Pyrénées-Orientales » puis
présenta ceux de Llauro et l’année suivante celui de Taulis dans un article
intitulé « Monuments druidiques sur la montagne de Molitg ».
. Paru sous le titre « le Roussillon préhistorique » dans la revue Ruscino
nos 15, 16, 17, 18.
. Château-Musée de Bélesta en 1992 et Maison de l’Archéologie à Céret en 1995.
175
176
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
10 - Dolmen du Moli del Vent à Bélesta (cl. V. Porra-Kuteni).
La réponse à l’intérêt de la population fut l’élaboration
du projet « Piste des dolmens » par les élus du canton de
Vinça. Ainsi fut créée une charte intercommunale pour
mettre en place un chantier école qui avait pour but d’étudier et valoriser les dolmens destinés à faire partie d’un
circuit pour le grand public randonneur et/ou familial.
Cette étude commença par la fouille du dolmen du
Moli del vent à Bélesta, en 1993 (Porra 2003). Pour la
première fois dans notre département, le décapage de la
totalité du tumulus montra l’apport d’une telle démarche, ne se restreignant plus à la chambre funéraire : une
meilleure connaissance de l’architecture et la découverte
de mobilier, souvent absent de la cella pillée et certes généralement très fragmentaire, mais bien représentatif des
diverses occupations (ill. 10). Ce projet de « piste des
dolmens » a permis la fouille, l’étude et la restauration de
5 dolmens du canton de Vinça par l’équipe dirigée par
J.‑Ph. Bocquenet. Aujourd’hui, l’état des lieux que Jean
Abélanet prépare pour une prochaine publication recense plus d’une centaine de dolmens sur le territoire de la
Catalogne nord.
. Dolmen du Poste de tir à Saint-Michel-de-Llotes, Dolmen de la Creu de la
Falibe ou de la Llose à Saint-Michel-de-Llotes, dolmen du Serrat d’en Jacques
à Saint-Michel-de-Llotes, dolmen du Coll de la Llosa à Casefabre et dolmen
des Rières à Bouleternère.
II.2 - Quelques constantes du mégalithisme dans les
Pyrénées-Orientales
L’implantation des dolmens est généralement située
en région montagneuse sur des emplacements privilégiés
(très souvent une vue panoramique avec angle à 360°)
comme un col, une crête, à des altitudes pouvant atteindre 1 500 m en Cerdagne (Abélanet 1987a). Le caisson
de La Guardiola pourrait fort bien rentrer dans ce cas de
figure, mais pas vraiment celui du Serrat blanc. Les matériaux employés sont des roches disponibles sur place
(schiste, granite, gneiss, calcaire pour les plus courants).
Leurs dimensions sont dans l’ensemble modestes. Il
faut bien reconnaître que les mégalithes des Pyrénées
orientales n’ont de mega que le nom, comparés à bon
nombre de monuments chez nos voisins les plus proches
en Catalogne du sud ou dans l’Aude (le dolmen de Las
Fades à Pépieux et le dolmen de Saint‑Eugène à LaureMinervois, dolmens dont le tumulus dépasse les 15 m).
Toutefois, l’un des deux dolmens du Mas Llosanes, qui
fait face aux caissons de Rodès, sur le très proche plateau
de Tarrerach, est quand même assez imposant pour notre
département et jouxte un habitat où furent découverts
des restes de bracelets et d’ébauches d’anneaux-disques en
chloritoschiste, ainsi qu’un site à gravures rupestres datées par l’inventeur de l’âge du Bronze (Abélanet 1990).
Le plan de ces dolmens est toujours très simple : un
caisson dont les dimensions et l’accès varient selon les
périodes. L’orientation de l’entrée de la structure est le
plus souvent dirigée vers le sud, plus précisément vers
le sud-est et moins fréquemment vers le sud-ouest.
Malheureusement, le mauvais état de ces mégalithes ne
permet pas toujours de la mettre en évidence et l’on trouve parfois des orientations vers l’est (dolmen du Pla de
l’Arca à Molitg-les-bains) ou l’ouest (dolmen de los Masos
à Saint-Michel-de-Llotes), ou encore, vers le nord-ouest
(Saint‑Martin à Latour-de-France). Certains monuments
pouvaient être clos et ne s’ouvrir qu’en remuant la dalle de
couverture ou par un sas dans la partie supérieure. Il est
donc difficile de se prononcer pour nos deux structures,
vu leur état de conservation. Gravures et cupules accompagnent souvent ces monuments, soit sur les dalles ellesmêmes, soit dans l’environnement proche.
Les tumulus sont constitués de pierres, blocs et/ou
terre. Parfois ces tertres possèdent un parement de pierres plates (Moli del vent à Bélesta). Leur forme est essentiellement circulaire dont quelques rares cas ovales avec
annexe III les dolmens de Rodès
un péristalithe, constitué de dalles verticales fichées en
terre, délimitant ainsi un espace funéraire (rectangulaire
au dolmen du Roc del Llamp à Castelnou). À Rodès, le
tumulus du caisson du Serrat Blanc rentre dans ce cadre
et, si nous ne savons rien de la couverture de celui de La
Guardiola, on peut supposer qu’il était semi-enterré puisqu’il touche le socle sur une pente, dans une formule qui
existe déjà dans les Pyrénées catalanes au Néolithique
moyen, par exemple à La feixa del Moro de Juberri, en
Andorre (Yanez 2005).
Leur contenu est souvent indigent à cause des pillages
anciens et surtout de l’acidité de certains sols, à deux exceptions près : le dolmen de l’Oliva d’En David à Salses
(sol calcaire) où plusieurs restes osseux humains ont été
retrouvés et le dolmen du Serrat d’En Jacques à SaintMichel-de-Llotes où juste un fragment de boite crânienne humaine avait été conservé.
II.3 - Une chronologie toujours difficile à établir
Rien n’est plus difficile que de dater ces constructions
en l’absence de matériaux organiques (charbons, ossements) utilisés par les moyens de datation physicochimique et vue la rareté des mobiliers remarquables
associés de manière certaine. D’après la chrono-typologie
touchant surtout l’architecture et établie par Françoise
Claustre (Claustre 1998) et les travaux de Josep Tarrus
(Tarrus 1990, 2002) cinq phases sont discernées.
Tarerach, Bélesta). Certains de ces dolmens se rapprochent
de l’allée couverte (Prat-Clos à Ria, Poste de tir à SaintMichel-de-Llotes). Ces monuments correspondent aux
« galeries catalanes » côté Catalogne-sud. Leur datation
serait du Néolithique final (fin IVe/début IIIe millénaire).
Pour certains monuments, la période Vérazienne peut
être avancée, d’après la céramique à cordons lisses et les
habitats de la même époque aux alentours.
- Phase 4 : Les dolmens à couloir sont réutilisés et les dolmens simples sont construits au Chalcolithique (2e moitié du IIIe millénaire). Les dolmens simples sont les plus
nombreux en Roussillon (Llauro, Arles, Argelès, Molitg,
Campoussy, etc.). Trois dalles ou davantage délimitent
une chambre carrée ou rectangulaire. L’orientation de
leur entrée est fréquente au sud (essentiellement sud-est
et parfois sud-ouest). L’accès à la cella est possible par une
dalle frontale à l’entrée du dolmen (Enveitg), ou par une
dalle mobile (par rapport à une dalle inférieure fixe) qui
fait office de porte-fenêtre (ill. 11). Parfois, un vestibulepuits sert de passage, devant la chambre à l’intérieur du
tumulus ou bien une porte en bois aujourd’hui disparue.
- Phase 5 : On constate la réutilisation de tous les monuments mégalithiques déjà existants et la construction de
petites cistes aériennes couvertes d’un tumulus durant la
fin du Chalcolithique et jusqu’à l’âge du Bronze ancien
(première moitié du IIe millénaire avant notre ère). Les
petites structures de Bouleternère pourraient correspondre à cette étape.
‑ Phase 1 : Le ciste (coffre de quatre dalles souvent couvertes) avec sépulture encore individuelle, mais des coffres parfois regroupés dans un tumulus complexe, daté
du Néolithique moyen (2e moitié du Ve millénaire) du
groupe Montbolo (pour exemple la nécropole du Camp
del Ginèbre, à Caramany).
- Phase 2 : Les cistes petites ou grandes, totalement
enterrées, sans tumulus (pour F. Claustre comme pour
J. Abélanet, il n’y a pas chez nous de véritables dolmens à
couloir et chambre circulaire ou polygonale). On trouve
aussi de petits coffres enterrés ou semi-enterrés, avec ou
sans tumulus apparent, avec ou sans péristalithe (Caixas,
Catllar, Conat, Eyne, Saint-Marsal, etc.). Leur datation
pourrait se situer à la fin du IVe millénaire ?
- Phase 3 : Le dolmen à couloir évolué : dolmen à couloir aussi large que la chambre à plan rectangulaire en U
ou en V (Laroque-des-Albères, Saint-Jean-de-l’Albère,
11 - Dolmen de La Siureda à Maureillas (cl. Jean-Marie Porra).
177
178
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
Conclusion
L’intérêt de la découverte des deux petits dolmens de
Rodès tient déjà dans leur emplacement remarquable. La
question s’est posée de savoir pourquoi la situation des
dolmens privilégie de manière générale les hauteurs, les
cols, les crêtes, les plateaux dominant les terres basses.
Doit-on y voir des espaces plutôt dévolus aux éleveurs ?
Peut-on y reconnaître le choix d’un peuple de pasteurs,
avec ses « repères » mégalithiques sur des territoires de
pacages et de routes de transhumance (ill. 12) ?
Quant à la dimension spirituelle du choix du lieu de
l’érection de ces sépultures collectives (ou peut-être simplement de quelques individus d’un groupe ou une famille),
elle nous échappe. Gageons qu’elle devait revêtir une importance primordiale pour des gens qui donnaient sens à
la majorité des gestes de leur vie quotidienne (leur survie
en dépendait souvent), qui interprétaient constamment les
mouvements climatiques et sacralisaient la plupart des éléments naturels (l’eau, les arbres, les roches, la terre, etc.).
Un autre intérêt de ces mégalithes est paradoxalement
leur rareté. Il est rare qu’un si vaste territoire soit prospecté de manière presque exhaustive. Compte tenu que
les recherches sur le plateau ont montré que les vestiges
préhistoriques récents les plus nombreux dataient du
Bronze ancien et moyen, sans pouvoir toutefois le préciser, on est poussé à faire correspondre la typologie tardive
de ces structures avec ce qu’exprime le contexte, c’est-àdire une occupation devenue intensive de ce piémont par
un peuple probablement pasteur et semi-nomade au début de la Protohistoire.
Malgré les outrages du temps, les pillages ou les réutilisations possibles, la persistance de ces deux petits mégalithes dans le paysage du plateau cristallin de RodèsMontalba offre les plus anciens témoignages d’une emprise de l’homme sur la nature. À ce titre, ils procèdent
d’un patrimoine dont il nous appartient de réfléchir sur
la meilleure façon de le conserver et, après l’avoir étudié, de le transmettre aux générations futures (PorraKuteni 2005).
12 - Vue panoramique depuis le dolmen de la Guardiola, vers le sud-ouest (cl. V. Porra-Kuteni).
chapitre V
Le plateau de Ropidera à l’époque romaine :
un secteur inoccupé entre deux groupes culturels
Jérôme Kotarba
I - Les résultats des prospections
pédestres de la zone incendiée
I.1 - Absence de vestiges d’époque romaine
Pour l’époque romaine, le bilan des prospections pédestres de la zone incendiée de Rodès est vite établi :
aucun site n’a été mis en évidence et aucun débris n’a
été repéré. Un seul endroit de découverte, de très petite surface, sera présenté dans cette étude, mais nous
verrons plus loin qu’il s’inscrit chronologiquement sur
la période suivante, celle du haut Moyen Âge. Ainsi,
malgré le caractère systématique des prospections réalisées par O. Passarrius et son équipe, malgré les collectes
intégrales des artefacts de toutes les époques présents
sur des zones particulières (les sites et leur environnement), nous devons constater l’absence totale de vestiges de l’époque romaine. Aucun débris d’amphore ou de
céramique fine importée comme la sigillée sud-gauloise
n’est présent dans les inventaires réalisés. Pourtant, les
céramiques d’époque moderne, pâtes orangées bien
cuites, qui sont proches visuellement des productions
antiques ont été ramassées systématiquement et donc
d’éventuelles confusions sur le terrain, lors des collectes, auraient été corrigées au moment des inventaires.
On peut en conclure que cette absence totale de céramiques typiques de l’époque romaine classique, c’està-dire de vestiges datables entre le IIe siècle avant J.‑C.
et le Ve siècle de notre ère, cette longue période où les
importations sont nombreuses et diversifiées, constitue
une caractéristique remarquable de la zone incendiée.
La découverte, dans le même contexte géographique, de
nombreux sites (ou concentrations de mobilier) antérieurs à l’époque romaine montre bien que cette absence
ne peut pas être expliquée par des recouvrements sédimentaires postérieurs, car ils auraient aussi touché les
vestiges plus anciens. Il reste bien sûr possible que ces
installations plus anciennes occupent des espaces différents de ceux qui auraient pu l’être à l’époque romaine.
Toutefois, comme nous allons le voir avec des exemples
proches, le grand plateau de Ropidera, avec ses collines
et ses étendues planes, offre des surfaces cultivables intéressantes qui auraient pu être exploitées ou mises en
culture à l’époque romaine comme elles le furent précédemment.
180
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre V
I.2 - Une petite concentration de mobilier d’époque wisigothique
Au lieu-dit Cortal Baudet (dénomination point R
sur le terrain), les prospections ont mis en évidence une
petite concentration de céramiques communes présentant des caractéristiques de la fin de l’époque romaine
et du haut Moyen Âge. On y distingue un premier lot
de céramiques communes correspondant surtout à des
panses assez épaisses à pâte brune à grise contenant
de nombreux grains de sable assez fin. Leur façonnage
semble modelé et correspondre à une fabrication locale.
Aux 26 panses de ce lot, s’ajoute un fond légèrement
bombé épais (supérieur à 10 mm). Le second groupe de
céramiques est plus hétérogène, il s’agit de céramiques
communes tournées dont les parois sont nettement plus
fines que celles du premier lot. Les pâtes sont brunes à
grises, parfois noires, et comprennent un dégraissant
sableux fin incluant souvent de fins micas en surface.
Ce second lot est constitué de 10 panses, 3 bords et un
fond (ill. 1). L’une des panses, en pâte réductrice bien
cuite (allure sèche), porte une cannelure. Le fond bombé, d’environ 11 cm de diamètre, appartient à un vase
assez grand (ill. 1, n° 4). Les rebords présentent tous
une mouluration. Un premier rebord dont l’épaisseur
est constante porte simplement une légère gorge interne
(n° 1). Les deux autres présentent de petits bandeaux
verticaux plus ou moins dégagés et une gorge interne
peu accentuée (n° 2 et 3).
D’un point de vue typologique, sans qu’un classement
précis n’ait encore été publié pour le Roussillon, ces
bords se rapportent aux contextes d’époque wisigothique retrouvés tant en plaine du Roussillon que dans les
sites explorés du barrage de l’Agly. Ils appartiennent à un
faciès un peu plus tardif que celui des urnes à bord en
bandeau que l’on trouve dans le dépotoir des Bonissos II
à Tautavel (Kotarba, Castellvi, Mazière 2007) daté
du milieu et de la seconde moitié du Ve siècle de notre ère. Comme les rebords moulurés ne sont plus présents à l’époque carolingienne, nous proposerons de
dater cet assemblage de mobilier des VIe‑VIIIe siècles.
. CAG 66, site n° 971, p. 593. Les références retenues pour les sites archéologiques décrits ou cités dans ce chapitre sont celles de la CAG 66 publiée
en 2007. Les références bibliographiques antérieures pourront être retrouvées
en consultant les notices de chaque site.
. Cette datation est donc plus tardive que celle proposée dans la notice de la
Carte Archéologique (CAG 66, site n° 804, p. 540), trop rapidement formulée.
Les vestiges sur le terrain se répartissaient sur environ 10 m2, ce qui laisse entrevoir la possibilité d’une
fosse, en relation avec un petit habitat rural. À partir
de la documentation recueillie sur le massif incendié,
ce petit endroit occupé entre le VIe et le VIIIe siècle de
notre ère marque donc un timide retour sur cette partie
du territoire de Rodès, déserté depuis un millier d’années environ. Cette découverte d’un petit site d’époque
wisigothique ne doit pas à nos yeux faire l’objet d’une
interprétation exagérée. Les progrès faits ces dernières
années dans la caractérisation des indices matériels du
haut Moyen Âge apportent un ensemble d’informations considérable pour une période qui était restée
méconnue. Toutefois, il convient de ne pas trop mettre
en exergue ces occupations d’époque wisigothique, aussi
modestes ou importantes soient-elles, pour laisser le
temps aux historiens et archéologues de les comprendre
dans le cadre de véritables dynamiques d’occupation.
1
2
3
4
0
5
10
15
cm
1 - Les céramiques communes tournées du Cortal Baudet à Rodès (dessin J. Kotarba).
. Voir à titre d’exemple les travaux d’archéologie préventive de la LGV Perpignan–Espagne (Kotarba 2007).
Le plateau de Ropidera à l’époque romaine
II - L’occupation d’époque romaine
dans l’arrière-pays des PyrénéesOrientales
L’absence constatée de vestiges de l’époque romaine prend
de l’intérêt si on la compare à ce que l’on connaît à proximité. D’une manière générale, en plaine du Roussillon, mais
aussi dans les premiers contreforts montagneux, les indices
d’une présence humaine à l’époque romaine sont nombreux
(ill. 2). Il est même fréquemment difficile de savoir comment
prendre en compte à leur juste valeur ces débris antiques si
caractéristiques par rapport à ceux des périodes juste antérieures ou postérieures disposant de moins de céramiques
importées reconnaissables à partir du moindre débris.
À proximité de la zone incendiée de Rodès, l’Association Archéologique des Pyrénées-Orientales a pris
en charge, il y a 20 ans, des prospections pédestres sur
l’emprise du futur barrage de l’Agly (communes d’Ansignan, de Caramany, de Cassagnes et de Trilla). Celles-ci
ont permis de constater une présence régulière de débris
d’époque romaine sur les parcelles du fond de vallée, mais
aussi sur les premiers coteaux. Des habitats s’y trouvaient
aussi, et étaient bien structurés comme l’ont montré les
diagnostics et les fouilles qui ont suivi ces premières reconnaissances. La prospection s’est aussi développée sur
une zone de collines promises à des remises en culture
(commune de Lansac). Dans un milieu géographique
paraissant pourtant hostile aux occupations humaines,
des débris diffus de l’é