Archéologie
d’une
montagne
brûlée
Massif de Rodès, Pyrénées-Orientales
O
Olivier Passarrius
Aymat Catafau
Michel Martzluff
C
Patrice Alessandri
Patrick Barthes
Marjorie Bernat-Gaubert
Marc Calvet
Jean-Pierre Comps
Carine Coupeau-Passarrius
Johanna Faerber
Denis Fontaine
Pierre Giresse
Richard Iund
Céline Jandot
Jérôme Kotarba
Peter McPhee
Nicolas Marty
Sabine Nadal
Valérie Porra-Kuténi
Alain Vignaud
Archéologie
d’une montagne brûlée
massif de Rodès, Pyrénées-Orientales
Collection Archéologie départementale
Pôle archéologique départemental
Archéologie
d’une montagne brûlée
massif de Rodès, Pyrénées-Orientales
Olivier Passarrius, Aymat Catafau, Michel Martzluff
directeurs de publication
éditions Trabucaire
ISBN 978-2-84974-101-6
©2009
Auteurs et collaborateurs
Ouvrage dirigé par
- Olivier Passarrius,
Docteur en histoire médiévale, Pôle Archéologique Départemental, Conseil Général des Pyrénées‑Orientales.
- Aymat Catafau,
maître de conférences, Centre de Recherches Historiques sur les Sociétés Méditerranéennes (CRHiSM),
Université de Perpignan.
- Michel Martzluff,
Maître de conférences, Université de Perpignan, UMR 5608 - CNRS - CRPPM - EHESS, Toulouse, président de l’AAPO.
Avec les contributions de
- Patrice Alessandri, Ingénieur de Recherches, Institut National de Recherches Archéologiques Préventives (INRAP).
- Patrick Barthes, Technicien, Laboratoire d’Études des Géo-Environnements Marins, IMAGES, Université de Perpignan.
- Marjorie Bernat-Gaubert, Étudiante, Master de Géographie, Université de Perpignan.
- Marc Calvet, Professeur, Université de Perpignan, directeur du laboratoire Médi-Terra.
- Jean-Pierre Comps, Chercheur associé à l’UMR 5140 du CNRS.
- Carine Coupeau-Passarrius, PEMF, Éducation Nationale, Perpignan.
- Johanna Faerber, Maître de conférences, Université de Perpignan, laboratoire Médi-Terra.
- Denis Fontaine, Archives Départementales, Conseil Général des Pyrénées-Orientales.
- Pierre Giresse, Professeur émérite, Laboratoire d’Études des Géo-Environnements Marins, IMAGES,
Université de Perpignan.
- Richard Iund, Archéologue animateur au Château-Musée de Bélesta, chercheur associé à l’UMR 5608
CNRS - CRPPM - EHESS, Toulouse.
- Céline Jandot, Institut National de Recherches Archéologiques Préventives (INRAP).
- Jérôme Kotarba, Ingénieur de Recherches, Institut National de Recherches Archéologiques Préventives (INRAP).
- Peter McPhee, Professeur, Université de Melbourne (Australie).
- Nicolas Marty, Maître de conférences, Université de Perpignan, Centre de Recherches Historiques sur les Sociétés
Méditerranéennes (CRHiSM).
- Sabine Nadal, Archéologue, Association Archéologique des Pyrénées-Orientales.
- Valérie Porra-Kuténi, Pôle Archéologique Départemental, Conseil Général des Pyrénées-Orientales,
chercheur associé à l’UMR 5608 - CNRS - CRPPM - EHESS, Toulouse.
- Alain Vignaud, Archéologue, UMR 5608 - CNRS - CRPPM - EHESS, Toulouse.
Remerciements
Les auteurs tiennent à remercier pour leur soutien au projet d’étude de la Montagne brûlée et pour leur participation à la préparation de cet ouvrage : l’Association Archéologique des Pyrénées-Orientales (AAPO), l’Université de
Perpignan-Via Domitia (UPVD), le Conseil Général des Pyrénées-Orientales, le CRHiSM (Centre de Recherches
Historiques sur les Sociétés Méditerranéennes - UPVD), le laboratoire Médi-Terra (UPVD), le CAUE des PyrénéesOrientales (Conseil d’Architecture, d’Urbanisme et d’Environnement).
Ce travail n’aurait pu être réalisé sans le dévouement des membres de l’Association Archéologique des PyrénéesOrientales, bénévoles ou étudiants de l’Université de Perpignan : Anne Besnier-Desportes, Claude Ducar, Jeanne
Ferrer, Monique Formenti, Huguette Grzesik, Marcel Henric, Marie Huc, Pauline Illes, Marie-Lou Lannuzel,
Gilbert Lannuzel, Farid Melal, Sabine Nadal, Philippe Roca, Joseph-Michel Vila. Ont aussi participé aux stages de
prospections et de relevés : Anne‑Charlotte Astrou, Valentine Baudry, Sandrine Bienfait, Noëlle Canadell, Carine
Coupeau-Passarrius, Renaud Prats, Clément Ternisien, Simon Tible.
Préface
Christian Bourquin - Président du Conseil général des Pyrénées‑Orientales
Il n’aura fallu finalement que quelques heures pour que près de 2 000 hectares de forêt méditerranéenne soient réduits
en cendres, dans le verrou de Rodès, aux portes du Conflent, dans les Pyrénées-Orientales. L’incendie, qui s’est déclaré
le 22 août 2005, a nécessité l’intervention de 700 pompiers des Pyrénées-Orientales, de l’Aude, de l’Hérault, du Gard
mais aussi du Vaucluse et de la Drôme. Plus de 200 véhicules secondés par huit avions bombardiers d’eau et deux
hélicoptères ont également été engagés dans la lutte contre le feu, qui ne fut réellement maîtrisé que le 24 août.
Les dégâts sont immenses et il faudra des années pour effacer la cicatrice, dans une zone déjà sinistrée plusieurs fois
par le passé. Dans les semaines suivant l’incendie, la désolation s’exprimait partout, dans les branches et les arbres
carbonisés, les pierres et les bâtiments noircis ou encore dans ce silence troublant, sans insecte ni oiseau.
Ce livre prend la tragédie à contrepied, il bouscule notre représentation de la montagne brûlée et l’on s’émerveille et
s’étonne alors du paysage qui se dévoile sous nos yeux, au fil des pages et des photographies. Nous voilà propulsés
quelques générations en arrière, presque celles de nos arrières grands-parents, qui arpentaient une autre montagne,
pleine de vie, aménagée de terrasses, d’enclos, desservies par des sentiers muletiers, des chemins de troupeaux menant
à un semis de cabanes, de bergeries, les casots et les cortals catalans. Ce paysage s’est construit au gré des flux et reflux
du peuplement et ce livre nous permet d’en découvrir toute l’histoire, depuis le plus lointain Paléolithique avec les
premières traces d’installation humaine, il y a un demi-million d’années, jusqu’au XXe siècle avec les nouveaux usages
de la montagne.
Cet ouvrage est l’aboutissement d’une formidable aventure initiée, encore une fois, par l’Association Archéologique
des Pyrénées-Orientales. Ceci est la preuve de la vitalité du tissu associatif et de la nécessité de le maintenir et de soutenir ses actions, notamment dans le domaine culturel. Regroupant des bénévoles, des universitaires, des chercheurs,
des étudiants et des professionnels de l’archéologie, cette association a constitué le socle de l’étude en organisant les
longues journées de terrain destinées à arpenter et étudier, parfois mètre carré par mètre carré, le sol calciné de la
montagne. Elle a fédéré autour de ce projet les institutionnels qui ont permis la poursuite des études et les premiers
essais de valorisation et de présentation au public avec l’organisation en juin 2007 de deux journées d’étude consacrées
à la montagne brûlée : l’Université de Perpignan, au travers du Centre de Recherches Historiques sur les Sociétés
Méditerranéennes (CRHiSM) et du laboratoire Médi-Terra, mais aussi le Conseil Général des Pyrénées-Orientales
et notamment le Pôle Archéologique Départemental, la Direction des Archives Départementales et le Conseil d’Architecture, d’Urbanisme et d’Environnement (CAUE).
Ce livre marque aussi le second opus de la toute jeune « Collection Archéologie Départementale » initiée par le Conseil
Général des Pyrénées-Orientales et destinée à soutenir la publication de la recherche archéologique en Pays catalan.
En diffusant la connaissance de notre passé, en la rendant accessible au plus grand nombre, elle nous permet de mieux
comprendre et de protéger l’héritage qui nous a été transmis.
Aujourd’hui la cicatrice du sinistre sur la montagne s’est à peine résorbée et il faudra du temps, beaucoup de temps
encore pour que le massif ne se régénère. L’empreinte de l’homme, de son activité séculaire, offerte aux regards le
temps d’un hiver, s’est effacée, à nouveau, sous le maquis naissant. Il ne reste en somme plus que quelques bâtisses
anciennes qui surgissent des broussailles et ce livre, pour mémoire.
Collection Archéologie Départementale
Comité de direction :
Olivier Passarrius, Aymat Catafau, Christine Langé
Comité scientifique :
Aymat Catafau, Christine Langé, Michel Martzluff,
Olivier Passarrius, Olivier Poisson, Valérie Porra-Kuténi, Marie-Pasquine Subes
Ouvrages parus dans la Collection Archéologie Départementale :
no 1 : PASSARRIUS (O.), DONAT (R.), CATAFAU (A.) dir. – Vilarnau. Un village du Moyen Âge en Roussillon,
Collection Archéologie Départementale, Pôle Archéologique Départemental, éd. Trabucaire, 2008, 516 p.
no 2 : PASSARRIUS (O.), CATAFAU (A.), MARTZLUFF (M.) dir. – Archéologie d’une montagne brûlée, Collection
Archéologie Départementale, Pôle Archéologique Départemental, éd. Trabucaire, 2009, 504 p.
Table des matières
Introduction De la prospection à l’histoire des paysages ..................................................................13
Olivier Passarrius, Aymat Catafau, Michel Martzluff
première partie : l’événement et le cadre
chapitre I L’incendie de Tarerach du 22-23 août 2005 :
caractéristiques du feu et impact sur la végétation................................................. 29
Johanna Faerber
chapitre II Géomorphologie d’une montagne brûlée....................................................................... 39
Marc Calvet
Deuxième partie : Les premières occupations humaines
chapitre III Nouveaux jalons sur le peuplement paléolithique
du bassin moyen de la Têt, entre Roussillon et Conflent........................................ 59
Michel Martzluff avec la collaboration de Sabine Nadal
chapitre IV L’occupation du plateau de Rodès et Montalba-le-Château
à l’âge du Bronze................................................................................................................. 101
Alain Vignaud
Annexe I Bracelets et autres artefacts, aspects technologiques......................................... 139
Alain Vignaud
Annexe II Les anses à appendice du plateau de Ropidera............................................................ 167
Richard Iund
Annexe III Les deux petits dolmens de Rodès
et leur place dans le mégalithisme des Pyrénées-Orientales............................... 171
Valérie Porra-Kuteni
chapitre V Le plateau de Ropidera à l’époque romaine :
un secteur inoccupé entre deux groupes culturels................................................. 179
Jérôme Kotarba
Troisième partie : La montagne et les sociétés traditionnelles
chapitre VI Ropidera, le village médiéval.......................................................................................... 187
Olivier Passarrius, Aymat Catafau
chapitre VII Le temps des chemins. La circulation en Bas-Conflent, au nord de la Têt
du Moyen Âge à la fin du XIXe siècle............................................................................. 207
Jean-Pierre Comps
chapitre VIII Aménagements agraires et élevage au Moyen Âge...................................................229
Olivier Passarrius, Aymat Catafau avec la collaboration de Denis Fontaine
chapitre IX La montagne de la fin du Moyen Âge au début du XIXe siècle :
cultures aux marges et terrains de pâture............................................................... 245
Aymat Catafau, Olivier Passarrius avec la collaboration de Denis Fontaine
Chapitre X Une carrière de marbre en Roussillon : Les Pedreres (Bouleternère),
source méconnue du bâti monumental médiéval et moderne............................................... 263
Michel Martzluff, Pierre Giresse avec la collaboration de Denis Fontaine et de patrick Barthes
chapitre XI des pierres pour bâtir.
exploitation traditionnelle du substrat minéral depuis le moyen âge aux marges
de la plaine du roussillon (montagne de rodès, Bouleternère et ille-sur-têt).....................299
Michel Martzluff avec la collaboration de Sabine Nadal et de Denis Fontaine
Annexe I Sur le plateau de Ropidera (Rodès) :
le four de matériaux de construction de Les Clottes.............................................343
Céline Jandot
Annexe II Le four à chaux de Les Pedreres (Bouleternère)..................................................... 353
Céline Jandot
Quatrième partie : Vers la modernité.
D’un monde plein à des territoires en déprise
chapitre XII Des routes aux sentiers de randonnée...................................................................... 361
Jean-pierre Comps
chapitre XIII Des terrasses à perte de vue...
De la mise en valeur systématique d’un territoire à sa déprise (de 1832 à nos jours).......... 369
Olivier Passarrius, Aymat Catafau avec la collaboration de Patrice Alessandri et de Carine
Coupeau-Passarrius
chapitre XIV Démographie et activités économiques :
éléments pour une histoire des transformations de Rodès
entre 1850 et 1940............................................................................................................. 417
Nicolas Marty
chapitre XV Riches et pauvres, royalistes et républicains à Rodès (1789-1851)......................... 431
Peter McPhee
chapitre XVI L’héritage archéologique du monde industriel dans les zones brûlées :
mines et carrières contemporaines............................................................................ 453
Michel Martzluff avec la collaboration de Sabine Nadal
chapitre XVII Les nouveaux usages de la montagne.......................................................................... 475
Marjorie Bernat-Gaubert
conclusion De l’histoire des paysages à la valorisation des sites........................................... 485
Olivier Passarrius, Aymat Catafau, Michel Martzluff
Bibliographie . .............................................................................................................................................. 493
À la mémoire de Pierre-Yves Genty (1944-2005)
pionnier des prospections archéologiques en Languedoc‑Roussillon
Se n’han fet un fart
de muntar murs i rocs
per aixecar les feixes
i guanyar a la muntanya
l’espai de la garrofa,
les espatlles dels homes.
Perquè tot torni
avui
reialme de ginestes.
Elles s’y sont crevées,
les épaules des hommes,
à monter murs et pierres
pour construire ces feixes
et gagner sur la montagne
l’espace qu’il faut pour vivre.
Pour que tout redevienne
aujourd’hui
royaume des genêts.
Jordi Pere Cerdà
(traduction : Marie Grau)
Introduction
De la prospection à l’histoire des paysages
Olivier Passarrius, Aymat Catafau, Michel Martzluff
Photo J. Roig - RMD agency
Le feu dit de Tarerach débute le lundi 22 août 2005,
aux alentours de 14 h 00, en bordure de la RD 47, entre
les villages de Montalba-le-Château et de Tarerach. Il
n’est maîtrisé que le mardi 23 août et éteint le jeudi 25,
ayant ainsi parcouru 1 970 hectares de maquis, de landes, de bosquets de chêne vert et de chêne liège. La zone
brûlée, immense, s’étire sur environ 6 km d’est en ouest
et sur 3,5 km du nord au sud.
Dans un premier temps, le feu s’est d’abord étendu sur
la rive nord de la Têt (environ 1 200 hectares) depuis la
route départementale no 17, le village de Montalba-leChâteau et la route départementale no 2 au nord, entre
le ruisseau de Tarerach et la route départementale no 13
à l’ouest et le ravin de la Coume Dardenne à l’est. Puis
le 22 août, vers 18 h 30, attisées par la tramontane, les
flammes ont franchi le fleuve, traversé la route nationale 116 à hauteur du Col de Ternère et embrasé les
hauteurs dominant le village de Bouleternère, entre la
route départementale no 618 et l’ermitage de Domanova,
avant d’être définitivement étouffées.
Les territoires communaux de Rodès, Ille-sur-Têt,
Tarerach, Montalba-le-Château et Bouleternère ont
été touchés par l’incendie, à des degrés divers. Le feu,
dont le développement a été très véloce compte tenu
du vent violent de nord-ouest (vitesse de progression évaluée à 1700 m/h), a parcouru rapidement la
végétation, ne brûlant pas les arbres en profondeur
et permettant à bon nombre d’entre eux de survivre.
Archéologie d’une montagne brûlée
France
Marseille
Perpignan
Espagne
Département de l'Aude
Barcelone
ly
L'Ag
e
nt d
eme
part
t
e
La Tê
g
l'Ariè
MER
MÉDITERRANÉE
Dé
AND
ORR
E
14
La
t
h
Te
c
Te
Le
Canigou
ESPAGNE
Altitude
2500 m
Montalba-le-Château
2000 m
1500 m
1000 m
350 m
0
25 km
150 m
Plateau
Casesnoves
Ropidera
Ille-sur-Têt
La Têt
Rodès
Bouleternère
Vinça
- - - limites de la zone incendiée
0
2 km
Localisation du massif incendié.
Au cœur même de la zone, les vents tourbillonnants ou
la présence d’habitations défendues par les pompiers, ont
préservé certains secteurs boisés, sur le versant sud-est du
massif de la Cougoulère, autour des mas habités, ou encore
au confluent du ravin d’El Bosc Negre et du Bellagre.
Depuis la route nationale no 116, le long des rives du lac
de Vinça, le regard est saisi par la richesse et la variété du
paysage révélé par l’incendie. Partout des terrasses jusqu’à perte de vue, dans des endroits les plus improbables,
accrochées à des pentes quasiment verticales ! Les temps
peu lointains où la montagne toute entière était parcourue, aménagée et travaillée à main d’homme, se sont
brusquement imposés à notre esprit étonné, et même
stupéfait par l’ampleur de cette œuvre. En ce début de
XXIe siècle, on a bien du mal à imaginer quelle somme
de labeur, d’énergie et d’espoirs était investie chaque année, chaque saison, chaque journée, pour construire les
murettes, égaliser les terrasses, remonter la terre, aménager les ruisseaux et les chemins, bêcher, planter, greffer,
tailler, récolter... Pourtant les hommes et les femmes qui
construisirent ces paysages étaient bien réels, et si proches
de nous : à peine deux ou trois générations ont passé, et
tout un monde s’est défait.
En septembre 2005, les premières visites sur place ont
permis d’apprécier rapidement le potentiel archéologique
de la zone. Deux villages médiévaux désertés et leur territoire avaient été brûlés et « libérés » du maquis : le village
de Ropidera, sur la commune de Rodès avec son église
dite de « Les Cases » (Las Cazes sur les cartes IGN) et
celui de Casesnoves sur la commune d’Ille-sur-Têt, en
bordure de la Têt.
Le contraste géographique entre le plateau de Rodès
et de Montalba, émaillé de cuvettes hydromorphes dans
les zones de chaos granitiques qui parsèment cet espace
au nord et, vers le sud, les reliefs plus escarpés de la bordure du fleuve où le socle est souvent affleurant, laissait
supposer un potentiel archéologique en adéquation avec
les atouts des différents territoires : installations humai-
Introduction
nes nombreuses sur le plateau, élevage, arboriculture et
installations temporaires sur les versants, sites défensifs
ou de surveillance le long des crêtes dominant la vallée
de la Têt. Ces reconnaissances ont également permis de
prendre conscience de l’ampleur de l’impact de l’homme
sur ce milieu. Peu de versants qui ne soient couverts de
terrasses (les feixes en catalan), ou de murs d’épierrement,
avec leur semis de cabanes, soit de forme rectangulaire
avec couverture de matériaux périssables ou de tuiles, soit
de forme carrée ou arrondie avec une couverture de dalles
de granit disposées en encorbellement.
Sur le plateau de Rodès, occupé en grande partie par
des prairies jalonnées de vastes chaos granitiques, ont été
localisées de nombreuses bergeries, mentionnées cortals
sur les plans cadastraux napoléoniens, et dont les élévations gardaient la trace d’aménagements successifs, peutêtre le reflet dans la pierre d’évolutions agricoles des deux
derniers siècles.
incendies du Midi méditerranéen :
vers une nouvelle forme d’investigation archéologique
Notre projet de prospection systématique de la montagne brûlée reposait sur quelques travaux précédents du
même type, sur une première expérience locale et sur quelques éléments de comparaison dans le Midi de la France.
En Roussillon, les premières recherches concernant
un massif incendié ont été menées sur le piémont des
Albères, sur le secteur de la Pave (communes d’Argelèssur-Mer et de Sorède). Cette zone a été ravagée durant
l’été 1989 par un violent incendie qui a réduit en cendres
près de 150 hectares de maquis, autour de l’ermitage de
Notre-Dame du Château et des ruines du château d’Ultrera, mentionné dès le VIIe siècle dans la documentation historique. Sur le terrain, les recherches menées
dans le cadre du programme de prospection et d’inventaire des sites archéologiques de la basse vallée du Tech,
coordonné par Jérôme Kotarba, se sont surtout concentrées sur la partie orientale de l’emprise. Les prospections pédestres ont été réalisées de façon systématique
durant le mois de juin 1991, soit près de deux ans après
le sinistre. Ces travaux ont permis l’inventaire de plusieurs sites de l’âge du Bronze ou du premier âge du Fer,
. Récit de l’expédition de Wamba, en 673.
. Kotarba, Pezin, Vignaud 1991.
de faible superficie, installés le plus souvent sur un replat
ou à l’abri d’un rocher. Cette occupation dense semble
marquer le premier peuplement du massif : aucun site
antérieur à cette période n’a en effet été mis au jour sur
la zone d’étude. L’époque romaine n’est pas représentée
et les quelques fragments d’amphore africaine collectés,
attribuables à l’Antiquité tardive, sont probablement à
mettre en relation avec le Castrum Vulturaria cité en 673
lors du passage des troupes de Wamba. Plusieurs sites
médiévaux ont également été mis en évidence. Ils sont
liés pour la plupart à la présence de ce castrum et à la
surveillance de la voie qui passe en contrebas, dans la
vallée. Certains peuvent être interprétés comme des
structures domestiques, des maisons villageoises ou des
habitats dispersés dont les derniers sont abandonnés
aux XIIIe‑XIVe siècles. Le site d’Ultrera fait aujourd’hui
l’objet de fouilles programmées.
Dans la région de Montpellier, des recherches similaires ont été entreprises dans la garrigue par Pierre-Yves
Genty, sur les massifs situés au nord de la ville, en particulier dans des zones touchées par un incendie. En 1994,
et après quatre années de prospections, près de 200 sites
archéologiques inédits avaient été inventoriés mettant en
lumière la richesse de ces territoires.
Le 28 août 1989, un violent incendie ravage la montagne
Sainte-Victoire, immortalisée par Cézanne. 5 500 hectares de maquis ont été réduits en cendres, surtout sur
le versant méridional de ce massif calcaire limité au sud
par la vallée de l’Arc, un tributaire de l’Étang de Berre,
et au nord par les plateaux de Peyrolles et la vallée de
la Durance. Dès le mois de novembre, des prospections
systématiques ont été entreprises sur les communes de
Saint-Antonin et le plateau du Cengle qui présente une
unité géographique de dimensions réduites mais bien
définie sur le terrain : un piémont érodé, un plateau tabulaire, des terrasses alluviales, des dépressions en partie
drainées. Sur certains oppida et notamment sur les sites
de Saint-Antonin et de Bramefan, une prospection fine
précédée par la mise en place d’un carroyage a été réalisée.
. Se reporter à l’étude d’Alain Vignaud dans Kotarba, Pezin, Vignaud, 1991.
. Ces travaux sont restés inédits mais tous les sites ont bien entendu fait l’objet
d’une notice et sont inventoriés au sein de la Carte Archéologique Nationale.
. D’Anna, Leveau, Mocci 1995, Walsh, Mocci 2003. Ce programme, coordonné par André D’Anna, a été retenu par le C.N.R.S dans le cadre de l’ATP
« Grands projets d’archéologie métropolitaine », sous le titre « Occupations
des sols et évolutions des paysages dans une montagne méditerranéenne : la
Sainte-Victoire ». L’équipe plurisdiciplinaire regroupait, de 1990 à 1995, des
chercheurs et des enseignants du C.N.R.S, des universités de Provence, de
Tübingen en Allemagne et d’York en Angleterre.
15
16
Archéologie d’une montagne brûlée
Le village de Rodès menacé par l’incendie (cl. J. Roig - RMD agency).
Au pied du château, le village de Rodès, le jour de l’incendie (cl. J. Roig - RMD agency).
Introduction
Quelques sondages, de faible superficie au sol, ont été
implantés pour préciser la durée d’occupation. Les observations effectuées sur le massif permettent de distinguer
plusieurs phases qui s’intègrent assez bien aux grandes
tendances du peuplement élaborées pour la Provence.
Une longue période de fréquentation épisodique couvre
toute la Préhistoire jusqu’au milieu du Néolithique, elle
est suivie d’une anthropisation généralisée du massif dont
le processus est abouti à la fin du Néolithique. Cette époque est ensuite suivie d’une phase de déprise correspondant au recul, quasi-généralisé d’ailleurs en Provence, du
peuplement à l’âge du Bronze. La période suivante, à partir
du second âge du Fer est marquée par un foisonnement de
nouveaux sites et la mise en place d’un peuplement dense
et durable durant plusieurs siècles. Pendant l’époque romaine, et notamment à partir du milieu du Ier siècle avant
J.-C., la plupart des sites de hauteur sont abandonnés, car
le changement du mode d’exploitation antique favorise la
dispersion de l’habitat autour de vastes établissements
agricoles installés plus bas dans la vallée.
Ce projet, à l’origine une simple prospection diachronique, avait pour objectif de montrer que même sans fouille,
à partir de la seule collecte de données de surface, il était
possible de faire des observations sur l’occupation du sol
allant au-delà du simple inventaire ou catalogage de sites. Pour la Préhistoire, le projet a permis de compléter la
carte d’occupation du sol mais n’a entraîné aucune découverte originale par rapport aux connaissances antérieures.
Pour les périodes protohistoriques et romaines, la prospection a surtout permis une meilleure connaissance des
amphores permettant ainsi de mieux déterminer des sites
peu marqués au sol. Les problèmes de conservation différentielle de la céramique, le relief souvent très escarpé et
les difficultés de lisibilité du sol sont des contraintes qui
n’ont pu être réellement maîtrisées et la carte archéologique obtenue reflète partiellement – comme le soulignent
les auteurs de l’étude – celle des activités agricoles. En
effet, l’abandon des labours et donc l’absence de renouvellement des indices en surface ont été considérés comme
le principal obstacle pour la détection des sites.
Dans le massif des Maures, un incendie a ravagé plus
de 8 000 ha de forêt et de maquis en 1990, il fut suivi d’un
projet de prospection archéologique, intégré au programme « Fréjus-Argens » mis en place un an avant le sinistre.
. D’Anna, Leveau, Mocci 1995.
. Projet « Hommes, espaces et techniques dans la région de Fréjus », sous
Ces travaux de prospection, complétés par des sondages,
ont permis de mettre en évidence une dynamique de peuplement particulière à ce massif, avec une occupation dense au second âge du Fer suivie d’une déprise et d’un hiatus
dans l’occupation du massif durant l’Antiquité romaine.
Les recherches méthodiques dans les massifs méditerranéens incendiés sont donc récentes et les premiers travaux ne remontent pas au-delà du début des années 1990
alors même que la forêt s’embrase quasiment tous les étés,
réduisant en cendres 25 000 hectares par an en moyenne.
Dans le département des Pyrénées-Orientales, plus de
50 000 hectares ont été détruits depuis 1973 et, à ce jour,
seulement 2 000 ha ont fait l’objet de prospections archéologiques. Certes, depuis quelques années, ces recherches
archéologiques ne peuvent plus être assimilées à des opérations d’archéologie préventive, car les aménagements des
espaces à reboiser sont réduits au minimum. Le reboisement après l’incendie, avec la plantation de résineux sur
des terrains aplanis au bulldozer, est désormais abandonné : les acteurs qui interviennent après le sinistre préfèrent
accompagner la repousse et la reconquête naturelle de la
forêt réduisant ainsi l’impact négatif sur le patrimoine.
Les prospections menées sur ces massifs présentent un
intérêt scientifique et patrimonial certain car elles offrent,
en tous cas en Roussillon, des modèles de peuplement
divergents de ceux de la plaine et permettent la mise au
jour de vestiges dans un état de conservation remarquable. Sur le village de Ropidera par exemple, l’étude du
bâti visible sans fouille a permis de lever le plan souvent
complet de plusieurs maisons des XIVe-XVe siècles dont
l’élévation était conservée jusqu’au premier étage.
Le faible nombre d’opérations archéologiques sur ces
massifs incendiés s’explique par la difficulté à mettre en
place dans un délai très court des interventions d’envergure qui nécessitent un investissement lourd en temps, en
fonction de la superficie du sinistre et de la nature du terrain, souvent accidenté dans le Midi et difficile à arpenter.
De plus, excepté pour quelques cas particuliers, la reprise
de la végétation est rapide et, dès le printemps et sur la
zone qui nous occupe ici, l’herbe, les ronces et les buissons
ont réduit quasiment à néant la lisibilité dès le mois de
mai 2006, neuf mois après le passage du feu.
la coordination de F. Audouze, J.-L. Fiches et S. Van Der Leeuw, avec pour
objectif de suivre l’organisation et l’exploitation du bassin-versant de l’Argens
entre le Néolithique et l’époque moderne, en combinant trois approches complémentaires (écologique, géographique et technologique).
. Bertoncello, Gazenbeek 1997.
. Données extraites de la base Prométhée (http ://www.promethee.com).
17
18
Archéologie d’une montagne brûlée
Juché sur un piton du chaos de Ropidera, face au Mas Molins, un superpe chêne liège dont l’écorce était encore
exploitée dans la seconde moitié du XXe siècle. Six mois seulement après l’incendie, sa frondaison en panache défie
la puissante tramontane soufflant du nord-ouest. (Cl. A. Catafau, printemps 2006).
Projet collectif
et moyens mis en œuvre
Les premières reconnaissances effectuées sur le massif incendié de Rodès ont
été réalisées dès le mois de septembre 2005, un mois environ après le sinistre et
après les premières pluies d’automne qui ont délavé le sol. Le projet de prospection-inventaire a été mis en place à l’initiative de l’Association Archéologique
des Pyrénées-Orientales qui joue, depuis plus de 20 ans, un rôle moteur dans
les projets départementaux d’étude archéologique du territoire, notamment par
la réalisation du programme d’inventaire des sites. Cette opération a fait l’objet
d’une autorisation de prospection-inventaire délivrée par le Service Régional de
l’Archéologie et a été en grande partie financée sur les fonds propres de l’Association, avec la contribution du CRHiSM (Université de Perpignan).
Un projet d’étude diachronique des occupations humaines et de l’évolution des
paysages a été mis en place en collaboration avec l’Université de Perpignan, le
Centre de Recherches Historiques sur les Sociétés Méditerranéennes et le laboratoire de géographie physique Médi-Terra. L’équipe de recherche a donc été constituée en regroupant des chercheurs d’horizons différents, dans un souci de réelle
pluridisciplinarité, pouvant déboucher, nous l’espérions, sur une compréhension
globale, géographique, historique et archéologique, du secteur. Afin de faire profiter chacun des éclairages des autres chercheurs et de permettre un véritable dialogue entre les disciplines, nous avons décidé de deux étapes antérieures à la publication de cet ouvrage : d’abord la rédaction du rapport de prospection-inventaire,
qui a réuni à la fin de l’année 2006 la totalité des résultats des recherches de terrain et d’archives et les premiers textes de réflexion sur ces données. Chacun des
chercheurs a donc eu à disposition,
pour écrire son texte, les données et
les analyses des autres collègues impliqués dans l’étude de la zone brûlée.
Ensuite, l’organisation de deux journées d’études, les 1er et 2 juin 2007,
à l’Université de Perpignan, a permis
de mettre en commun les premiers
résultats, et de les présenter au public
et aux acteurs du territoire (collectivités, associations)10.
Une collaboration étroite a aussi été développée avec le Conseil
d’Architecture,
Urbanisme
et
Environnement (CAUE des P.-O.,
conseil général) avec pour objectif
de valoriser les résultats de nos travaux et de proposer aux communes
et collectivités concernées des projets d’aménagement et de mise en
valeur du patrimoine de la zone et
des mesures de mise en protection
des secteurs paysagers les plus remarquables. Cette collaboration a
fait l’objet de plusieurs conférences et
communications, elle donnera lieu à
une publication future.
L’équipe réunie pour les travaux
de terrain, de laboratoire et d’archives est diverse, dans ses compétences,
ses méthodes, ses professions, ses
qualifications et ses rattachements.
On y trouve, à la base, les membres
de l’Association Archéologique des
Pyrénées-Orientales, qui reflètent
la richesse et la variété des acteurs
de l’archéologie départementale :
employés de l’AAPO, stagiaires étudiants, adhérents actifs ou retraités,
enseignants du premier et du second
10. Ces journées ont été organisées par l’association archéologique des Pyrénées-Orientales, l’université de Perpignan et le conseil général des Pyrénées-Orientales. Depuis cette date, une première
communication au colloque d’Alguaire, où nous
avions été invités par Jordi Bolòs et Enric Vicedo,
nous a permis de présenter les premières conclusions partielles, v. Passarrius, Catafau 2009.
Introduction
degré ou de l’université, professionnels de l’INRAP ou de
structures territoriales (pôle archéologique, conseil général des P.‑O.). Sont venus renforcer cette équipe, en fonction de nos sollicitations, quatre géographes : spécialistes
des incendies de forêt, de la géomorphologie des Pyrénées,
des aménagements ruraux contemporains, un géologue
expert auprès des pouvoirs publics pour les carrières des
P.-O., un archiviste connaisseur des fonds notariaux, deux
historiens du monde rural et de l’entreprise des XIXe et
XXe siècles, enfin une spécialiste en architecture traditionnelle et patrimoine des sociétés rurales. De ce qui aurait
pu être un patchwork, un assemblage de contributions disparates, nous avons essayé de faire un livre. Au lecteur de
juger si nous y sommes parvenus.
Par son objet d’étude, ce projet était, pour nous, archéologues et historiens, à la fois séduisant et inquiétant. Qui
ne parle aujourd’hui de « paysages » ? À ce mot les géographes et les historiens donnent le sens précis d’un espace investi et transformé par l’homme, du résultat de l’action séculaire, ou millénaire, de l’homme sur un espace. Il semble
aujourd’hui que tous les spécialistes des sciences humaines
raisonnent en termes de « paysage ». Le paysage est à la
mode, il s’impose comme un mot « fourre-tout » qui veut
exprimer une ambition renouvelée des chercheurs en lui
Prospection archéologique dans le massif incendié (cl. A. Catafau).
donnant une dimension globale, presque exhaustive, des
activités humaines. Pour nous, cette approche en terme de
paysage était indispensable et inévitable. Elle s’imposait et
nous a aussi imposé son cadre. Notre point de départ est
géographique et territorial : des reliefs et un donné naturel, mais aussi des espaces transformés, dominés et délimités par les sociétés qui les occupent, les exploitent. Le défi
que nous nous sommes donné était de tenter de mettre
de l’histoire dans cette géographie, de tracer les évolutions
chronologiques de cette occupation humaine pluri-millénaire, de dater des faits visibles, d’apparence immémoriale
(les murettes, les cabanes, les chemins) ou d’autres à peine
perceptibles (l’exploitation des chaos granitiques). Les résultats, on le verra, ne sont pas minces, même si les limites
d’une « archéologie légère », celle d’une approche « de surface », par les seules prospections, sont souvent rappelées.
Rappelées, mais non déplorées, car nous espérons que cet
ouvrage apportera la preuve qu’une archéologie « superficielle », qui ne détruit rien et ne coûte guère, peut, renforcée par l’apport des spécialistes de toute nature, et avec
le complément des archives, fournir des résultats valables,
des informations neuves, des bases d’une réflexion enrichie
sur le peuplement, l’habitat, l’occupation du sol, les activités des hommes, et surtout, donc, leurs évolutions.
19
20
Archéologie d’une montagne brûlée
L’église et le pierrier du village de Ropidera peu après l’incendie (cl. P. Roca).
Les connaissances préalables
sur le secteur incendié
Le secteur étudié ici n’avait jamais fait l’objet de prospections pédestres systématiques, même s’il avait été maintes
fois parcouru, notamment par Yves Blaize ou le docteur
Francis Catala dans les années 1950. Ce dernier s’est attaché
à prospecter les secteurs du Col de Ternère ou de Motzanes
(commune de Rodès), en marge de la zone brûlée. À propos
du lieu-dit Cogulera, une crête rocheuse qui domine la vallée de Têt, Louis Bassède indique que « cette colline porte des
vestiges préromains, peut-être un ancien oppidum qui aurait
laissé son nom au lieu-dit voisin, Coma d’Otreira ou château
des vautours »11. Cette information n’a pu être vérifiée par
Jérôme Kotarba et Florent Mazière, qui n’ont collecté à cet
endroit que deux fragments de céramique protohistorique.
Lors de leur observation sur place, la densité de la végétation n’a pas permis de pousser au-delà les investigations et
le site n’a pas été inventorié12. Au centre archéologique dé11. Basseda 1990, p. 639.
12. Kotarba, Castellvi, Mazière 2007, 539-540.
partemental est conservée une ancienne collection déposée
par Anny de Pous, ramassée à la Cogulera. Un inventaire
récent de cette petite série permet de dater l’occupation de
ce site des IIIe‑IIe siècles avant J.‑C. (céramique modelée, céramique grise monochrome, céramique de la côte catalane,
amphore gréco-italique et ibérique)13.
À environ 1 km à l’est se trouve le lieu-dit de La
Guardiola dont le toponyme pourrait garder le souvenir
de La Gaiardia, peut-être une tour ou une fortification,
mentionnée dans la documentation en 953 et localisée,
toujours par Louis Bassède, au nord de la Têt14. À l’intérieur du massif, l’un des sites de hauteur protohistoriques (l’« oppidum ») pris en compte dans cette étude
avait été identifié par Yves Blaize et prospecté avant que
le feu ne le libère du maquis dense qui le rendait difficile
d’accès15. Le dolmen du Serrat Blanc, en bordure de l’une
des pistes DFCI était également connu d’Yves Blaize.
13. Ibidem.
14. Basseda 1990.
15. Blaize 1987, p. 7-12. Ce site a été désigné sous le nom d’« oppidum »
dans cet ouvrage.
Introduction
Le village abandonné de Casesnoves avec sa tour sur motte et son église (cl. P. Roca).
Le village médiéval déserté de Ropidera se trouve au
cœur de la zone incendiée et a fait l’objet de plusieurs
notes ou articles16. Jusqu’à l’incendie, les vestiges du village de Ropidera étaient noyés sous un épais maquis rendant difficile voire impossible leur appréciation. Seules
les ruines de l’église étaient visibles et surtout son abside
surmontée d’une tour massive, fortification dont font état
les textes du début du XIVe siècle. Une rapide visite sur
place a permis de percevoir une multitude de constructions, de murs délimitant des ruelles, probablement les
derniers vestiges des habitations villageoises.
Sur la commune d’Ille-sur-Têt enfin, le feu a parcouru
la quasi-totalité de l’ancien territoire du village médiéval déserté de Casesnoves, épargnant l’église et la tour,
et leurs abords immédiats où se trouvent les vestiges
d’habitations.
De l’autre côté du bassin versant, sur la commune de
Bouleternère, les textes font état d’un autre lieu de peuplement, l’alleu de Croses mentionné dès 1011 (alode de
Crodos). On retrouve ce lieu mentionné en 1267, 1319,
16. Tosti 1987, Bolòs 1995, p. 500-502.
1358 et en 1519 est cité le cimeterium de Croes17. Des
vestiges médiévaux appartenant vraisemblablement à ce
noyau de peuplement ont été signalés à proximité de
l’église de Domanova, sur le versant est qui domine le
ruisseau du Fagès18, en dehors de la zone concernée par
l’incendie.
Un des intérêts de la zone incendiée réside dans ses
contrastes géographiques et environnementaux, on l’a
vu, et à ce titre elle marque en direction méridienne
la limite entre la plaine du Roussillon et la vallée du
Conflent qui conduit aux hautes terres de Cerdagne et
Capcir. Mais il réside aussi dans ses divisions politiques.
En effet la montagne brûlée est une frontière, entre
Fenouillèdes (Montalba), Roussillon (Ille) et Conflent
(Tarerach, Rodès, Vinça). Vicomtés et comtés du Moyen
Âge s’y rejoignent, s’en disputent les accès, contrôlent les
passages. Puis, entre 1258 et 1659, du Traité de Corbeil
au Traité des Pyrénées, la frontière entre royaumes de
France et d’Aragon passe entre Montalba et Ropidera.
17. Ponsich 1980.
18. Tosti 1987.
21
22
Archéologie d’une montagne brûlée
Prospection archéologique sur le plateau de Rodès (cl. O. Passarrius).
Le déroulement des recherches
Borne frontière entre royaume de France et courronne d’Aragon, portant à sa base la
date 1658, aujourd’hui limite des territoires d’Ille et de Montalba (cl. O. Passarrius).
Le château de Vinça (cité dès le Xe siècle), ceux de
Montalba, de Rodès, de Casesnoves, les églises fortifiées de
Ropidera et de Reglella, les murailles des villages de Vinça
et d’Ille-sur-Têt témoignent des nécessités défensives et
de la volonté d’affirmation politique des divers pouvoirs
présents sur cet espace resserré. Il était intéressant de se
demander dans quelle mesure cette position frontalière,
la délimitation de ces territoires politiques était sensible
dans le paysage et dans les usages que les hommes en
faisaient. Perméables ou fermées, pleines de dangers ou
riches d’opportunités, les frontières étaient-elles une réalité vécue par les populations voisines, étaient-elles réelles
ou seulement abstraites ? Dans le paysage, nous les avons
cependant rencontrées, sous la forme des bornes frontalières qui délimitent encore le territoire d’Ille-sur-Têt de
celui de Montalba, et qui ne sont autres que les bornes
entre États, rénovées en 1658, soit juste un an avant que
l’annexion des comtés nord-catalans ne les rendent obsolètes d’un point de vue étatique, mais elles avaient continué à marquer le partage des territoires communaux, à
l’époque entre Casesnoves et Montalba.
Après la première phase de reconnaissance, les prospections pédestres ont démarré à la mi-novembre 2005,
pour s’achever dans le courant du mois d’avril 2006, à raison de deux jours d’intervention par semaine. Elles ont
été réalisées par une équipe d’une dizaine de personnes,
chercheurs et bénévoles. Un stage de prospection destiné
aux étudiants a été organisé durant les vacances scolaires
du mois de décembre et a permis d’accueillir en continu
une équipe d’une quinzaine de personnes. L’étude des
terrasses et des aménagements agraires a été menée en
parallèle et s’est achevée au mois de mai. Le relevé des
ruines du village médiéval déserté de Ropidera a donné
lieu à une opération à part entière, durant les vacances
universitaires de printemps. Enfin, le relevé des bergeries
et des enclos a été réalisé en grande partie durant l’été, à
la fin de l’opération. D’autres opérations ponctuelles ont
été effectuées jusqu’en octobre 2008 par de petites équipes de deux ou trois chercheurs afin de préciser certains
points portant sur la préhistoire ou l’étude des marbres.
Ces recherches ont souvent débordé du cadre strict du
brûlis, en particulier celles qui ont concerné les berges du
barrage de Vinca, lors de son étiage, pendant l’hiver 2007.
Enfin, l’équipe de l’AAPO conduite par J.‑P. Comps pour
la recherche des chemins a dédié ses sorties hebdomadaires à l’étude de ce territoire.
Les reconnaissances préalables ont permis de subdiviser la zone en trois secteurs distincts pour lesquels l’investissement était très variable. Sur la partie nord de la
Introduction
Contraste entre une zone brûlée et une zone de maquis épargnée par l’incendie, où il est impossible de prospecter et de lire les
éléments du paysage (cl. O. Passarrius).
commune de Rodès, sur le plateau et à l’ouest du Bellagre,
la topographie offre une zone propice aux installations
humaines : relief assez doux, abris fournis par les chaos
granitiques, dépressions humides et eaux abondantes en
hiver. Lors de cette première phase, plusieurs sites ont été
découverts ce qui nous a encouragés à mettre en place une
prospection fine systématique de l’ensemble de la zone.
Cette approche a consisté à parcourir le terrain en rangs
serrés, espacés tous les 5 à 10 m, en piquetant et en signalant systématiquement à haute voix aux chefs d’équipes la
nature et la densité des artefacts observés.
Les concentrations de mobilier ont fait l’objet d’une collecte exhaustive de l’ensemble des céramiques et autres objets présents en surface. Le relevé des artefacts a été réalisé
à l’aide d’un GPS. Sur le terrain, les prises de notes consistaient à relever la topographie du terrain, la végétation
résiduelle, les aménagements culturaux postérieurs susceptibles d’avoir menacé l’intégrité des vestiges, la nature,
l’état de conservation et la densité des céramiques, le taux
de lisibilité et enfin l’observation de vestiges bâtis (murs...)
présents en nombre en surface et pouvant être rattachés à
la période d’occupation du site. À l’est du ravin du Bellagre
et sur les versants qui dominent la Têt, notre prospection
a été plus légère. La totalité de la surface a été parcourue
mais de façon plus rapide et en rangs moins serrés compte
tenu de la quasi absence de vestiges archéologiques. Il en
a été de même pour la partie méridionale du feu, du col
de Ternère aux hauteurs de Bouleternère où les aménagements récents (constructions, ouvertures de pistes, replantations au bulldozer) ont bouleversé le paysage. La totalité
du territoire incendié a été parcouru et prospecté, plus ou
moins finement en fonction des particularités du terrain,
permettant ainsi l’inventaire de 74 sites archéologiques
inédits.
Dans le cadre de ce projet, une attention particulière a
été portée à l’étude du paysage. L’analyse n’a pu bien entendu être réalisée sur l’ensemble du massif incendié. Elle
s’est attachée à cinq secteurs, choisis pour leur représentativité. Ces secteurs, dont certains dépassent 70 ha de
superficie, ont été finement prospectés et tous les aménagements visibles ont été pris en compte (terrasses, enclos,
canaux, cabanes, bergeries...). Sur le terrain, l’analyse de
chaque parcelle et le relevé des aménagements liés aux
travaux de mise en culture ont été confrontés aux deux
cadastres existant sur la zone : le plan cadastral dit napoléonien (1832/1834) et les cadastres de 1941/1946.
23
24
Archéologie d’une montagne brûlée
Cabane à encorbellement dans un paysage de terrasses (cl. A. Catafau).
Terrasses découvertes par le feu, près de secteurs où le maquis a été épargné par l’incendie (cl. O. Passarrius).
Introduction
L’analyse des registres des états des sections a permis
d’identifier les propriétaires et les types de cultures pratiquées et sur les communes de Montalba-le-Château
et d’Ille-sur-Têt, qui ont conservé les registres de mises
à jour de l’état de section (entre le XIXe et le milieu du
XXe siècle), le suivi précis de l’histoire de chaque parcelle a permis de mieux comprendre les évolutions globales du territoire, touché par les crises phytosanitaires
du XIXe siècle et l’effondrement démographique dû à
la première guerre mondiale. La confrontation de ces
données avec la collecte systématique du mobilier présent en surface a permis des tentatives de mise en phase
chronologique de certains aménagements sans toutefois
réussir à appréhender réellement les travaux de mises
en culture antérieurs à l’Ancien Régime.
Les cabanes et les constructions de pierre sèche ont
toutes été relevées mais n’ont pas donné lieu à une étude
spécifique qui aurait pu s’intéresser à la typologie et à
l’évolution architecturale de ces bâtis vernaculaires qui
génèrent tant de curiosité et de fascination19. Le nombre de publications récentes ou anciennes concernant
ce thème a, comme le souligne Christian Lassure après
Jean Chapelot, littéralement envahi la bibliographie,
provoquant chez les chercheurs méfiance et désintérêt20.
En Roussillon, de nombreux historiens ou archéologues
se sont intéressés à ce thème : Pierre Ponsich à partir du
milieu des années 195021 puis Anny de Pous22, Françoise
Claustre23 ou encore Jean Tosti24. Dans les recherches
récentes, on peut aussi signaler les travaux entrepris par
Christian Lassure, le dépouillement bibliographique
qu’il a mené à bien sur ce thème et la fondation de la
revue L’architecture rurale en pierre sèche en 197725.
Dans les Pyrénées-Orientales, les programmes de
prospection-inventaire puis le Projet Collectif de
Recherche sur la montagne cerdane (Estivage, structuration sociale d’un espace montagnard) dirigés par Christine
Rendu ont abouti à la mise en place d’une approche ar19. Dans la zone brûlée, près de 400 cabanes construites en pierre sèche, à
la toiture en encorbellement ou couvertes de tuile ronde, ont été inventoriées
et photographiées.
20. Lassure, Repérant 2006, p. 6.
21. Ponsich 1956, p. 305-317.
22. Pous 1959a, Pous 1959b, Pous 1964a, Pous 1964b, Pous 1965,
Pous 1967a, Pous 1967b, Pous 1967c, Pous 1969, Pous 1975, Pous 1976,
Pous 1977, Pous 1984, Salavy, Pous 1985, Lassure, Pous 1977.
23. Claustre 1985, p. 38-39.
24. Tosti 1995.
25. Revue devenue rapidement L’architecture rurale puis L’architecture vernaculaire. Citons aussi son dernier ouvrage consacré aux cabanes en pierre sèche
en France (Lassure, Repérant 2006).
chéologique et anthropologique des systèmes d’estivage
dans la très longue durée avec notamment la fouille fine
de nombreuses cabanes dont les plus anciennes ont été
datées de l’âge du Bronze26. On est assez loin, avec les
estives d’Enveigt comprises entre 1 900 et 2 100 mètres,
des problématiques soulevées par l’étude qui nous occupe, les plus hauts sommets de notre zone culminant
à 530 m, avec une altitude moyenne au niveau du plateau de 480 m. Et pourtant, depuis le début de l’âge du
Bronze, l’élevage semble jouer un rôle non négligeable
dans l’occupation, la mise en valeur et l’organisation de
la montagne brûlée, autour de cuvettes hydromorphes
creusées par déflation et dont les prés et les pâturages
ont été fréquentés dès l’âge du Bronze.
L’étude menée dans la montagne de Rodès fut pour
nous tous un intermède dans nos recherches personnelles, une fenêtre ouverte sur d’autres problèmes, parfois bien différents de ceux posés dans la plaine où se
concentre la quasi-totalité de l’archéologie aujourd’hui
et de nos activités. Les prospections ont permis la mise
au jour de nombreux sites, notamment de la Préhistoire
récente ou du Moyen Âge, souvent des habitats mais
aussi des dolmens, des fours à chaux, des tuileries, des
zones d’extraction de matériaux avec des carrières de
granit, de feldspath, de marbre ou des zones de débitage de meules de moulin. Ces résultats, les réflexions
menées sur les périodes non représentées sur le terrain,
ont permis de dresser les grandes lignes du peuplement
du massif, depuis le Paléolithique jusqu’au XXe siècle.
L’ensemble des données est issu des seules prospections
et études documentaires et il nous est apparu nécessaire
de montrer que ce type d’approche, sans fouille et avec
des moyens limités, pouvait permettre de faire des observations sur l’occupation du sol et la mise en valeur
d’un territoire en allant bien au-delà du simple travail
d’inventaire. Bien évidemment, cette recherche ne peut
se substituer à des fouilles – ayant pour but de confirmer les hypothèses mises en avant et de répondre aux
nombreuses questions restées sans réponse – mais elle
est susceptible d’en orienter les stratégies.
26. Rendu 2003a, Rendu 2003b, p. 142-244.
25
26
Archéologie d’une montagne brûlée
Le plan que nous avons adopté pour cet ouvrage est
logique et, somme toute, sans surprises ni originalité. Il
part de l’événement, le feu, puis s’attarde sur le milieu,
relief, eaux et sols, pour tracer le cadre de l’établissement
des hommes. Vient ensuite la longue préhistoire, époque
des premières occupations humaines, où la connaissance
des temps anciens est liée à la genèse des paysages et des
sols, et la préhistoire récente, celle des agriculteurs et pasteurs de l’âge du Bronze, artisans potiers et métallurgistes,
qui amorcent la main mise de l’homme sur le paysage. La
troisième partie s’intéresse aux traces d’un monde rural
disparu, celui qui, après un relatif abandon dans la longue
Antiquité, s’étend depuis le Moyen Âge jusqu’aux lendemains de la Révolution française, vivant en relation étroite
avec les milieux dont il tire ses ressources. C’est le temps
de la plus grande densité d’occupation et d’exploitation
agro-pastorale de la montagne. Les prospections ont aussi
révélé à quel point les ressources minérales du massif de
Rodès-Montalba-Bouleternère étaient d’une grande importance pour ces hommes, qui n’étaient pas seulement
paysans. Enfin la dernière partie fait le point des évolutions récentes, celles des deux derniers siècles, qui nous
ont légué l’essentiel du paysage que nous contemplons
maintenant. Des modes de vie et des travaux proches dans
le temps que beaucoup d’entre nous ont connus ou entendus évoquer par leurs parents, et dont les traces s’effacent
rapidement. Aujourd’hui, alors que des pratiques nouvelles de la montagne, résidence secondaire, aire de loisirs et
de promenade, s’y substituent, nous avons aussi voulu en
faire l’inventaire, pour peut-être parvenir à orienter les regards de ces néo-ruraux ou ruraux occasionnels vers un
héritage à connaître et à sauvegarder.
Mise au point sur les orthographes fautives, barbares ou dissemblables des toponymes de la Montagne brûlée
L’orthographe des toponymes mineurs n’a été ni harmonisée ni corrigée, malgré de nombreuses formes de toute évidence erronées,
et parfois de vrais barbarismes. Devant la variété des usages en vigueur chez les différents auteurs, certains pouvant avoir leur
logique propre (orthographes des éditions successives des cartes IGN, graphies des cadastres anciens ou actuel, formes « figées »
par les auteurs précédents ayant écrit sur le secteur, citations des textes anciens ou contemporains, etc.) nous avons renoncé à
réécrire sous leur forme catalane correcte les toponymes mineurs dans les textes, les cartes, les tableaux, les légendes. Nous en
demandons pardon aux amoureux et aux défenseurs de la langue catalane, qui trouveront dans Bécat 2008 et dans IEC 2007 les
graphies correctes de quelques lieux-dits des villages ici étudiés. Seule l’orthographe de Ropidera et Casesnoves a été uniformisée,
sauf oubli de notre part...
Les directeurs de l’ouvrage
Première partie
L’événement et le cadre
Photo J. Roig - RMD agency
chapitre I
L’incendie de Tarerach du 22-23 août 2005 :
caractéristiques du feu et impact sur la végétation
Johanna Faerber
En région méditerranéenne, les incendies constituent
un risque omniprésent. Dans les Pyrénées-Orientales, les
statistiques PROMéTHéE ne dénombrent pas moins
de 3 724 « feux de forêts » pour la période 1974 à 2007,
soit une moyenne de 110 feux par an. L’incendie qui s’est
déclaré le 22 août 2005 sur la commune de Tarerach
n’est donc pas un phénomène isolé. Toutefois, il reste un
événement exceptionnel par sa taille : avec 1970 ha parcourus, l’incendie occupe dans les statistiques la 4e place.
C’est le plus grand feu dans le département depuis 1978.
Nous allons tenter de replacer le feu de Tarerach dans
le contexte des incendies dans le département des Pyrénées-Orientales, de décrire les caractéristiques de l’incendie et d’analyser son impact sur la végétation.
. Prométhée est une base de données sur les incendies de forêts de la
région méditerranéenne. Conçue et lancée en 1973, cette opération couvre
15 départements du Sud-Est.
. D’après la définition officielle de PROMéTHéE, le terme « feu de forêt »
regroupe dans les statistiques les « incendies qui ont atteint des forêts, landes,
garrigues ou maquis d’une superficie d’au moins un hectare d’un seul tenant ».
Toutefois, de nombreux feux d’une superficie inférieure à 1 ha ont été intégrés
dans les statistiques (1 034 incendies pour les Pyrénées-Orientales, soit 27,5 %
des feux).
Les incendies dans les PyrénéesOrientales
En région méditerranéenne française, le risque de feu est
maximal en été. Dans les Pyrénées-Orientales, 47 % des
incendies se produisent dans les mois de juillet, août et
septembre, contre seulement 12 % en hiver (décembre-février). La concentration des feux en été est assez constante
dans le temps, car elle est la conséquence directe du climat
méditerranéen avec ses étés chauds et secs.
En termes de superficie, on note par contre des variations interannuelles importantes (graph. 1). Dans les
Pyrénées-Orientales, la surface moyenne brûlée par an
est de 1 477 ha, mais les chiffres réels s’échelonnent entre
76 ha pour l’année la plus « froide » (1999) et 10 899 ha
pour l’année la plus « chaude » (1978), soit 143 fois plus.
Ces grandes différences s’expliquent pour une large partie
par l’inconstance du climat méditerranéen : les précipitations affichent de fortes variations d’une année à l’autre,
en termes de cumuls annuels comme de répartition au
cours d’une année. Par conséquent, les périodes de sécheresse particulièrement propices à l’éclosion des feux sont
plus ou moins nombreuses suivant les années.
Archéologie d’une montagne brûlée
Chapitre I
12000
10000
surface incendiée (ha)
500 ha
100<500 ha
8000
<100 ha
6000
4000
2000
2007
2006
2005
2004
2003
2002
2001
2000
1999
1998
1997
1996
1995
1994
1993
1992
1991
1990
1989
1988
1987
1986
1985
1984
1983
1982
1981
1980
1979
1978
1977
1976
1975
0
1974
30
1 - Surface brûlée dans les Pyrénées-Orientales en fonction de la taille des incendies (1973-2007).
Figure 1
Toutefois, cette explication n’est pas entièrement satisfaisante, car on n’observe pas la même ampleur des variations interannuelles pour le nombre des feux : l’année
« chaude » (1978) dénombre 225 incendies contre seulement 63 pour l’année « froide » (1999), soit 3,6 fois plus.
La prise en compte de la taille des incendies permet
d’apporter une clarification. Dans le graphique 1, les surfaces incendiées par an ont été classées en fonction de la
taille des feux. Trois classes ont été établies : les « petits
et moyens incendies » (<100 ha), les « grands incendies »
(100<500 ha) et les « très grands incendies » (≥500ha).
La figure montre que la forte variabilité interannuelle
est en très grande partie liée à la présence de grands et,
surtout, de très grands feux. Les « petits et moyens »
incendies représentent 98,2 % des feux, mais seulement
26,8 % de la surface brûlée. De l’autre côté, les très grands
incendies (dont le feu de Tarerach) sont rares (0,3 % des
feux), mais ils sont responsables de 47,2 % de la surface totale incendiée. Les grands incendies représentent
1,5 % des feux et 26 % des superficies brûlées.
Le facteur « variabilité du climat méditerranéen »
joue un rôle important dans l’explication des très grands
feux : leur probabilité d’occurrence est plus élevée dans
les années les plus sèches et chaudes. Toutefois, le lien
avec ces paramètres généraux n’est pas systématique :
l’année 2003 (l’année de la canicule) est caractérisée dans
les Pyrénées-Orientales par un bilan plutôt modeste : un
seul grand feu (200 ha), mais aucun « très grand », et un
chiffre global largement inférieur à la moyenne (567 ha
brûlés). On peut donc conclure que, si les grands incendies se produisent toujours lors de périodes sèches,
la présence de périodes sèches ne se traduit pas automatiquement par l’occurrence de feux spectaculaires.
D’autres facteurs doivent être réunis pour déclencher un
très grand incendie.
Un de ces facteurs incontournables dans le département est le vent. Tous les très grands feux se sont produits lors de jours de tramontane : le vent accélère la
progression du feu, provoque des « sautes » permettant
à l’incendie de franchir des obstacles, et rend les opérations de lutte difficiles voire impossibles. Ensuite, il faut
noter que les très grands feux ne peuvent se produire que
dans les secteurs à couverture végétale continue et fortement combustible (Aspres, Fenouillèdes, Côte Rocheuse
éventuellement). En outre, l’extension d’un feu dépend de
l’efficacité des dispositifs de lutte.
Enfin, c’est le facteur « hasard » qui doit être évoqué :
un très grand incendie se déclare si l’éclosion du feu se
produit pendant une période sèche, un jour de tramontane, dans un secteur à forte combustibilité et continuité
végétale, et si ce feu n’est pas combattu immédiatement
(détection tardive, éloignement du centre de secours,
indisponibilité des moyens aériens...). Dans ce cas, l’incendie devient rapidement incontrôlable et ne peut être
stoppé qu’à la faveur de facteurs propices (accalmie du
vent, zone à plus faible combustibilité...).
L’incendie de Tarerach
Les statistiques montrent que la conjonction de tous
ces facteurs est assez rare : seulement quatorze très
grands feux ont été recensés dans le département des Pyrénées-Orientales depuis la mise en place de PROMéTHéE (tableau 2). On note que le secteur FenouillèdesAspres est particulièrement concerné par le phénomène ;
les communes touchées par l’incendie de 2005 l’ont été
déjà en partie par deux feux survenus en 1978.
Année
Date
Heure
d’éclosion
Commune
Surface
1976 28-juil
12h
Corbère-les-Cabanes
6600 ha
1976 28-juil
13 h
Sournia
1500 ha
1978 31-août
10 h
Campôme
2000 ha
1978 12-sept
18 h
Port-Vendres
2500 ha
1978 18-sept
9h
Montalba-le-Château 1800 ha
1978 23-sept
12 h
Bouleternère
1981 28-août
12 h
Passa
500 ha
1983 11-août
20 h
Banyuls-sur-Mer
780 ha
1986 20-juil
00 h
Campôme
1260 ha
1986 21-juil
05 h
Banyuls-sur-Mer
1500 ha
1986 26-août
16 h
Latour-de-Carol
510 ha
1989 26-août
13 h
Opoul-Périllos
2000 27-août
20 h
Port-Vendres
2005 22-août
14 h
Tarerach
1800 ha
1500 ha
500 ha
1970 ha
2 - Les très grands incendies dans les Pyrénées-Orientales (1974–2007).
Le feu de Tarerach
L’éclosion du feu de Tarerach a été signalée le lundi
22 août à 14 h 13, en bordure de la D17 qui relie les villages de Montalba et Tarerach, sur le territoire de cette dernière commune. L’origine du feu a été anthropique, fait
habituel dans une région où seulement 2 % des feux sont
causés par la foudre. Ici, de toute évidence, il s’agissait d’un
allumage volontaire. L’éloignement du site des centres de
secours a retardé l’intervention des pompiers : ils n’arrivent sur les lieux que 20 minutes après le signalement, à
un moment où la superficie du feu est déjà estimée à 3 ha.
Il est alors impossible d’éteindre le feu : d’après les données Météo-France (station d’Eus) et les enregistrements
3
2
1
3 - Nombre de très grands incendies (≥500ha) par an dans les Pyrénées-Orientales entre 1974 et 2007. Source : statistiques PROMéTHéE.
2006
2004
2002
2000
1998
1996
1994
1992
1990
1988
1986
1984
1982
1980
1978
1976
0
1974
Nombre de très grands incendies/an
Source : statistiques
Figure
3 PROMéTHéE.
On peut remarquer aussi que les très grands incendies,
particulièrement intéressants pour une recherche archéologique, semblent avoir tendance à se raréfier. Le graphique 3 replace les événements sur une échelle temporelle :
seuls deux incendies ont eu lieu dans la deuxième partie de
la période d’observation de 34 ans. S’agit-il d’une variation
des conditions atmosphériques (périodes dangereuses avec
sécheresse et vent moins nombreuses), d’un progrès en matière de lutte (détection plus précoce, moyens de lutte plus
efficaces), de l’effet d’une meilleure prévention (sensibilisation de la population, cloisonnement du territoire par des
coupures DFCI) ? Il est probable que c’est la conjonction
de tous ces facteurs – combinés peut-être avec le facteur
hasard – qui explique cette tendance. En tout état de cause,
la rareté des très grands feux au cours de ces deux dernières
décennies souligne l’intérêt de saisir l’occasion.
31
32
Archéologie d’une montagne brûlée
Chapitre I
de la cellule REX 66 rapidement dépêchée sur place, la
tramontane souffle à 15 heures à 30km/heure, avec des
rafales pouvant atteindre 72 km/h et une direction de
NO (320°). La température de l’air est plutôt basse pour
la saison (23°C à 15 heures), mais la tramontane se traduit par une humidité atmosphérique faible (36 % d’humidité relative).
La progression d’un feu dépend aussi de l’hygrométrie
de la végétation. Or, l’analyse des données Météo France
relève pour le mois d’août 2005 un déficit hydrique marqué : la demie-année qui précédait l’incendie était beaucoup trop sèche, à l’exception du seul mois de mai qui
avait affiché des précipitations à peu près « normales ».
Ce déficit hydrique se traduit par un assèchement de la
végétation : Cl. Moro (2005) indique pour le 22 août une
teneur en eau de 42,2 % pour le Genévrier oxycèdre et de
35,7 % pour le Ciste de Montpellier. Le seuil du dessèchement extrême (Indice de sécheresse >700) a été dépassé
la veille de l’incendie. Notons que ces valeurs sont très
faibles, mais pas exceptionnelles : au cours des dernières
années, les chiffres enregistrés s’échelonnent en été entre
35,1 et 61,5 % pour le Genévrier, et entre 28,6 et 60,4 %
pour le Ciste de Montpellier. D’ailleurs, le même constat
s’impose pour le vent, avec des valeurs élevées, mais pas
exceptionnelles : les vitesses de pointe de la tramontane
sont fréquemment supérieures à celles du 22 août, avec
des rafales atteignant 90, voire 100 km/h. C’est donc bien
la conjonction de facteurs défavorables qui est à l’origine
de ce très grand feu : dessèchement du combustible, tramontane, intervention un peu tardive des pompiers...
Les caractéristiques de la couverture végétale avant le feu
sont le dernier paramètre à prendre en compte pour expliquer l’ampleur de l’incendie. Le secteur brûlé était majoritairement recouvert par un maquis assez dense, résultant
de la dégradation de la forêt méditerranéenne due au surpâturage, aux défrichements et aux incendies. Toutefois,
en même temps, ces formations buissonnantes constituent
des successions secondaires progressives vers la forêt, après
l’abandon de l’exploitation agricole et pastorale. Installés
sur sol siliceux (arènes de granite du plateau de Montalba),
. La cellule REX 66 (Retour d’EXpérience sur les incendies de forêt dans les
Pyrénées-Orientales) est une équipe Pompiers-Forestiers hors dispositif qui se
déplace en observateur sur le feu selon un protocole établi SDIS/DDAF. L’objectif
est de recueillir un maximum d’informations sur le déroulement des incendies
marquants du département pour mieux anticiper les événements futurs.
. Les données ont été récoltées à la station le Vigné (Eus), à 5 km du secteur
incendié, dans le cadre du bilan annuel sur le combustible forestier méditerranéen.
les peuplements végétaux sont à structure et à composition spécifique légèrement variables suivant la profondeur
du sol, l’exposition, la date du dernier feu... Toutefois, on
y trouve toujours le même cortège floristique typique du
maquis méditerranéen : Cistes (Cistus albidus L., C. monspeliensis L., Cistus laurifolius L.), Bruyère à balais (Erica
scoparia L.) et surtout Bruyère blanche (Erica arborea L.),
Genévrier oxycèdre ( Juniperus oxycedrus L.), Calicotome
épineux (Calicotome spinosa [L.] Link), Pistachier lentisque
(Pistacia lentiscus L.), Lavande stéchade (Lavandula stoechas L.), et, plus localement, Genêt d’Espagne (Spartium
junceum L.) et Ajonc de Provence (Ulex parviflorus Pourr.).
Cette formation buissonnante était en voie de colonisation
par des ligneux hauts, en particulier par le chêne vert (Quercus ilex L.), mais aussi par le chêne-liège (Quercus suber L.),
des oléastres (Olea europaea var. sylvestris L.), et, plus localement, quelques pins (Pinus pinea L.) ou des mimosas
(Acacia dealbata Link).
4 - Une formation buissonnante typique : maquis d’un âge d’environ 10 ans. Secteur
Bouleternère, 25/5/2007.
5 - Maquis d’un âge d’environ 30 ans ; strate arbustive dense, formation colonisée par
des arbres. Secteur Bouleternère, 25/5/2007.
L’incendie de Tarerach
Par ailleurs, on constate la présence de formations arborescentes, dominées par des espèces caducifoliées, dans
les secteurs les plus humides (ravins), ainsi que de quelques reboisements de résineux (pins surtout, mais aussi
cèdres). Finalement, quelques bosquets de chêne-liège
témoignent des activités économiques du passé. Néanmoins, les formations arborées n’ont pas eu une influence
sensible sur la dynamique du feu : l’extension spatiale des
plantations était trop limitée, et les formations spontanées étaient protégées par leur situation topographique.
Il va sans dire que les formations buissonnantes dominantes dans le secteur étudié sont très combustibles.
Sur la carte départementale de l’aléa «incendie de végétation», une grande partie de la zone incendiée est carto-
6 - L’aléa « incendie de végétation » dans le secteur parcouru par le feu de Tarerach
du 22/23 août 2005. Extrait de la carte proposée par la DDAF et le Syndicat des
Propriétaires Forestiers Sylviculteurs des Pyrénées-Orientales, complétée.
7 - Historique des incendies dans le secteur du feu de Tarerach. Extrait de
Guillemat 2006, complétée.
. Un aléa est défini comme la probabilité qu’un phénomène naturel d’intensité donnée se produise en un lieu ; il est évalué à partir de l’historique des feux
et basé sur la quantification de l’aléa.
graphiée « risque moyen » et « risque élevé » (ill. 6). Il est
d’ailleurs intéressant de noter que l’éclosion du feu s’est
produite dans un des rares secteurs classés « à risque faible ». Ce fait souligne bien que les jours de tramontane le
« risque faible » n’existe pas ; d’ailleurs, les feux allumés
volontairement le sont le plus souvent à proximité immédiate des routes, facilitant la fuite rapide de l’auteur
du feu.
La progression rapide du feu s’explique aussi par l’accumulation sur plusieurs décennies du combustible : en
effet, dans la partie parcourue au cours des premiers heures de l’incendie de Tarerach, aucun feu n’avait été recensé
depuis les années 70. Dans les secteurs brûlés plus tardivement (partie Est du secteur Fenouillèdes et secteur Aspres), des incendies antérieurs sont documentés, datés de
1978, 1883, 1984, 1995 et 1997 (ill. 7). Il est évident que
l’accumulation du combustible dépend en grande partie
de la date du dernier feu (ill. 4 et 5).
C’est dans la partie non brûlée au cours des derniers
40 ans que l’on a enregistré la propagation la plus rapide
du front des flammes. Attisé par la tramontane, l’incendie
a atteint la Têt, située à une distance d’environ 5 km du
point d’éclosion, en seulement 2 h 30, soit une vitesse du
feu de 2 km/h environ (ill. 9). à ce moment, le feu aurait
parcouru quelque 700 ha et possèdait une circonférence
de 24 km (Guillemat 2006). Puis, la progression du feu
ralentit. C’est la conséquence d’un affaiblissement de la
tramontane (25-50 km/h à 18 h 53 , 25 km/h à 19 h 30),
mais aussi des changements au niveau du combustible :
le feu progresse dans une zone à plus forte empreinte humaine (parcelles agricoles de la vallée de la Têt), et dans
des secteurs qui avaient déjà brûlé en 1995 et 1997, d’où
une biomasse plus faible.
Néanmoins, le feu parvient à franchir à plusieurs reprises la Têt (vers 17 heures) ; le village de Rodès est alors
menacé, d’autant plus que les largages sont impossibles à
cause du vent fort.
Vers 18 h 25, l’incendie franchit la Route Nationale et
se dirige vers les Aspres. Finalement, il est maîtrisé sur
le territoire de la commune de Bouleternère, à la faveur
d’une baisse de la puissance du feu (secteur déjà brûlé en
1997 et combustible réduit par une utilisation pastorale),
mais surtout suite à l’affaiblissement de la tramontane. Le
feu est fixé après 13 heures de progression, vers 3 heures
le matin, le 23 août 2005.
33
34
Archéologie d’une montagne brûlée
Chapitre I
Impact sur la végétation
8 - Le village de Rodès pendant l’incendie. Cl. A. Emilian, 22/8/2005, vers 17 h 30.
Il faut noter que l’ensemble du massif des Aspres était potentiellement
menacé : la continuité de la végétation et l’accumulation de la biomasse
depuis les grands incendies de 1976 et 1978 auraient rendu un arrêt du
feu impossible si la tramontane avait persisté. Une dernière saute de feu
qui s’est produite vers minuit à l’extrémité sud de l’incendie, projetant le
feu à une distance de 550 m et allumant un nouveau foyer sur un versant
opposé, illustre bien ce risque potentiel.
9 - Périmètre incendié et progression du feu de Tarerach du 22/23 août 2005.
L’impact d’un feu sur la végétation dépend des caractéristiques de celle-ci (résistance des espèces au feu, structure des
formations végétales...), des conditions
atmosphériques avant et après le feu, et
des paramètres de l’incendie (qui dépendent eux-mêmes du combustible et des
conditions atmosphériques au moment
du feu).
Notons d’abord que le feu de Tarerach
s’est traduit par une combustion incomplète de la couverture végétale. La progression très rapide de l’incendie et la présence de multiples sautes, conséquence
directe de la tramontane soufflant le jour
du feu, ont permis la préservation des secteurs encaissés plus humides, ainsi que de
quelques secteurs plus minéraux et sous
le vent. Le maintien de ces îlots verts est
particulièrement important dans la qualification d’un incendie, car il contribue à
limiter les effets négatifs des grands feux :
limitation de l’érosion post-feu, de l’impact paysager, conservation de porte-graines, et surtout espace de refuge et d’abri
pour la faune. Une combustion incomplète accélère non seulement la reconquête
végétale et animale, elle crée aussi un espace-mosaïque à biodiversité supérieure
par rapport aux espaces uniformes.
Dans les secteurs non protégés par
leur situation topographique, la végétation aérienne a été dans sa totalité soit
brûlée, soit tuée par le contact avec le
panneau radiant. Toutefois, plusieurs
facteurs ont limité l’impact sur la couverture végétale :
- L’accumulation de la biomasse et son
dessèchement prononcé ont dû entraîner des températures élevées, mais l’exposition à ces températures extrêmes
n’a été que de courte durée (progression
rapide du feu).
L’incendie de Tarerach
- Le dessèchement extrême de la végétation n’a pas été
accompagné par un dessèchement aussi prononcé du sol.
Dans le bilan annuel du combustible méditerranéen déjà
évoqué, C. Moro (2006) indique que l’indice humus (IH)
est le 22 août avec un peu plus de 80 loin du seuil de dessèchement marqué (IH>120) ou extrême (IH>175).
L’humidité résiduelle et la propagation rapide du feu ont
limité l’impact de l’incendie sur le sol et favorisé la survie
des parties souterraines des plantes et des graines.
- l’impact potentiel d’un incendie dépend aussi des
conditions atmosphériques après le feu : il sera d’autant
plus important que la perturbation du feu est suivie par
un stress hydrique lié à une pluviométrie déficitaire. Or,
dans le cas du feu de Tarerach, les précipitations ont été
assez abondantes dans le mois suivant l’incendie : plus de
50 mm en septembre et même plus de 100 mm en octobre et en novembre. Logiquement, ces précipitations
abondantes favorisent la reprise de la végétation.
- enfin, la végétation concernée par l’incendie est une
végétation méditerranéenne, parfaitement adaptée à ce
type de perturbation. Les végétaux ont développé différentes stratégies de survie : résistance au feu, survie des
parties souterraines et réapparition par rejets de souche,
ou encore stimulation de la germination conduisant à
une multiplication des pieds après le feu.
Ces différentes stratégies de survie – qui déterminent
aussi les vitesses de régénération des formations végétales – sont bien visibles après l’incendie de Tarerach. Ce
sont les formations dominées par des espèces résistantes
au feu qui reconstituent le plus rapidement des peuplements semblables à l’état initial. C’est le cas notamment
du chêne-liège, du fait de la protection offerte par le
liège : sur le secteur brûlé de Tarerach, tous les individus examinés ont survécu à l’incendie. Le feu a détruit
le feuillage, par incinération ou par dessèchement, mais
quelques mois seulement après l’incendie, les branches
émettent de nouvelles feuilles qui gomment l’effet visuel
du feu ; seule l’absence du sous-bois témoigne encore de
l’incendie passé (ill. 10 et 11). D’après Trabaud (1989),
une suberaie brûlée retrouve une composition spécifique
et une structure du peuplement proches de l’état initial
au bout d’une dizaine d’années après le feu.
Dans une moindre mesure, ce constat est valable également pour les quelques boisements de pin (Pinus pinea L.
surtout) présents sur le site. Toutefois, leur protection
10 - Peuplement à chênes-lièges deux ans après le feu. Vue du versant opposé, l’absence presque complète du sous-bois est la seule trace visible de l’incendie. Secteur
Bouleternère, 25 mai 2007.
11 - Chêne-liège deux ans après l’incendie. Seule l’écorce noircie et la présence
de branches mortes (à gauche) témoignent encore du feu. Secteur Bouleternère,
25 mai 2007.
par l’écorce est moins efficace, et les individus ne peuvent
survivre que si leur cime échappe au feu. Ainsi, les individus jeunes et croissant dans les formations à sous-bois
développé ont été tués par le feu, tandis que les individus plus grands ont survécu : la distance entre les strates
basses et les cimes n’a pas permis de communiquer le feu.
35
36
Archéologie d’une montagne brûlée
Chapitre I
12 - Impact du feu sur une plantation de pins. Cliché pris au-dessus du village de Rodès, le 25 mai 2007.
Dans ces cas, l’effet du feu s’est limité à un « élagage thermique » (ill. 12). Le pin pignon est également capable de
régénérer par germination ; toutefois, la faible production de graines défavorise cette espèce si les feux sont
trop rapprochés (Rodrigo, Retana, Pico 2004).
à l’exception des secteurs qui ont échappé à l’incendie et
des espèces résistantes, les parties aériennes des végétaux
ont été entièrement détruites par le feu. La réapparition
des espèces se fait alors soit par régénération végétative, soit
par germination. Aucun relevé n’avait été effectué sur le site
de Tarerach avant le feu, mais la comparaison de secteurs
brûlés et non brûlés montre clairement qu’il n’y a pas de
modifications significatives de la composition floristique
des peuplements : la régénération se fait à partir des espèces
présentes avant l’incendie. Toutefois, le feu entraîne la multiplication de quelques taxons fugaces, thérophytes, rudéraux ou anémochores. Nous avons par exemple noté l’envahissement par le Seneçon du Cap (Senecio inaequidens DC)
d’une parcelle de la plane de Coundomy, au sud-est de Montalba. L’extension spatiale de l’invasion est limitée, et ce néophyte introduit de l’Afrique du Sud est présent également
dans les secteurs non brûlés, mais sa multiplication est clairement liée à la mise à nu du sol par le feu.
Parmi les espèces ligneuses caractéristiques du maquis,
on remarque la variation des abondances et dominances
spécifiques dans les années suivant le feu, liées aux caractères de survie (« attributs vitaux ») des espèces : les
taxons qui se régénèrent exclusivement par germination
sont dans un premier temps plus abondants, mais à do-
minance plus faible. C’est le cas notamment des Cistes,
arbustes à stratégie « r », qui sont d’ailleurs de véritables
pyrophytes : le choc thermique du feu provoque une levée
de la dormance des graines et entraîne un taux de germination élevé (Trabaud et Oustric 1989) ; aussi, l’automne
humide a dû favoriser la réapparition des cistes. Les caractéristiques du milieu et les conditions atmosphériques
dans les mois après le feu déterminent ensuite le taux de
survie des semis, mais aussi la croissance des plantules
au cours des premières années après l’incendie. Deux ans
après l’incendie, on peut remarquer que les semis sont plus
denses et les plantules mieux développées en zone découverte (entre les touffes de végétaux rejetant de souche),
certainement à cause de l’absence de compétition pour la
lumière, les nutriments et l’eau de la part des autres végétaux. Bien entendu, la stimulation de la germination n’est
effective que jusqu’à une certaine limite ; des températures trop élevées sont létales. Dans le cas de l’incendie de
Tarerach, c’est la propagation rapide du feu qui a limité
la montée des températures dans le sol et évité la destruction du stock de graines. Par conséquent, les plantules
. Les stratégies r/K correspondent à un modèle évolutif proposé par les
écologues R. MacArthur et E. O. Wilson en 1967 : les espèces à stratégie « r »
assurent la survie des populations par la production d’un grand nombre de
jeunes, le plus tôt possible, pour contrecarrer une mortalité très élevée. La
survie des espèces à stratégie « K » est basée sur une durée de vie très longue ;
leur reproduction est plus rare et tardive.
. L’importance de ce facteur est cependant incertaine : des études récentes
(Cespedes et Moreno 2007) ont en effet démontré que la présence de périodes
sèches ne se traduit pas automatiquement par une densité inférieure de semis
de cistes.
. La sensibilité vis-à-vis des températures élevées est variable entre les espèces, mais c’est en général autour de 150° que l’on constate une mortalité
élevée des graines (Valbuena 1992).
L’incendie de Tarerach
13 - omniprésence des plantules de cistes
deux ans après le feu. Secteur Bouleternère,
25 mai 2007.
14 - deux ans seulement après le feu, les premiers pieds du Ciste cotonneux (Cistus albidus)
sont en fleurs. Secteur Rodès, 25 mai 2007.
de cistes sont omniprésentes (ill. 13). Toutefois, si leur abondance
augmente fortement après l’incendie, les cistes restent peu visibles
dans les années après le feu à cause de leur petite taille. Notons que
la fertilité précoce des cistes protège les peuplements en cas de feux
trop rapprochés : deux ans seulement après le feu, les premiers cistes
cotonneux montent en graines (ill. 14).
Parmi les espèces se régénérant uniquement par germination, c’est
le Genévrier oxycèdre qui semble le plus fortement affecté : nos recherches ont donné seulement quelques rares semis sur le plateau de
Montalba. Toutefois, il faut noter que l’espèce était peu abondante
avant le feu. Elle n’a donc certainement pas été éliminée par le feu,
mais fait partie des espèces les plus sensibles aux incendies.
La très grande majorité des espèces du maquis se régénère par
reprise de souche ou par rejets sur rameaux bas qui assureront une
rapide occupation en biovolume. Sur le site de Tarerach, les exemples les plus visibles de cette stratégie sont la bruyère arborescente
et le chêne vert (ill. 15 et 16), mais d’autres espèces moins abondantes appartiennent au même groupe d’arbustes à stratégie « k » :
Filaire (Phillyrea angustifolia L.), Nerprun alaterne (Rhamnus alaternus L.), Pistachier lentisque (Pistacia lentiscus L.)... Certaines
de ces espèces (par ex. le chêne vert) ont la capacité de produire
des rejets vigoureux immédiatement après le feu, d’autres rejettent
seulement à la faveur des pluies automnales. Dans le cas du feu de
Tarerach intervenu à la fin de l’été, les différences des vitesses de
réapparition étaient logiquement insignifiantes.
Ce modèle de résistance est parfaitement adapté aux perturbations : deux ans après le feu, la hauteur des rejets varie, suivant les
espèces et les conditions stationnelles, entre 40 cm et plus d’un
mètre. à titre de comparaison, les plantules issues de la germination n’atteignent au même moment que 20-35 cm. Ainsi, les premiers stades de régénération sont dominés par le chêne vert et par
la bruyère arborescente ; cependant, l’abondance des semis de cistes
15 - Rejets de souche de la bruyère blanche (Erica arborea) et plantules
de cistes deux ans après le feu. Secteur Bouleternère, 25 mai 2007.
16 - Rejets de souche d’un chêne vert (Quercus ilex) deux ans après le
feu. Secteur Bouleternère, 25 mai 2007.
laisse prévoir une reconstitution à moyen terme
de peuplements proches de leur composition
initiale. Les observations effectuées à proximité immédiate du secteur incendié confirment
d’ailleurs la bonne résilience du maquis à la perturbation d’un feu : 10 ans seulement après un
incendie, les formations végétales sont cicatrisées et reforment un maquis dense d’une hauteur moyenne de 1,5 mètre environ (ill. 4).
37
38
Archéologie d’une montagne brûlée
Chapitre I
Conclusion
L’analyse a bien démontré le caractère exceptionnel de
l’incendie de Tarerach : c’est le feu le plus important du
département depuis 30 ans en superficie. Il est d’autant
plus intéressant pour une étude archéologique qu’une
partie importante de la surface brûlée n’avait pas été touchée par un incendie depuis les années 60. Cependant,
si le feu a rendu un tel travail possible, en supprimant la
couverture végétale et en rendant les traces d’une ancienne occupation humaine visibles, la vitesse de la régénération végétale limite le temps potentiel disponible. Deux
ans seulement après l’incendie, les peuplements dominés
par des taxons à régénération végétative deviennent à
nouveau impénétrables, et les vestiges disparaissent sous
la couverture végétale.
Enfin, si le feu de Tarerach était un événement exceptionnel qui constituait de ce fait une bonne opportunité,
d’autres occasions peuvent se présenter dans les années à
venir : des incendies d’une taille inférieure certainement,
mais peut-être aussi un nouveau très grand feu. En effet,
la réduction au cours des dernières deux décennies de la
surface incendiée et du nombre de grands feux, suite au
progrès en matière de lutte et de prévention, a conduit à
une augmentation de la biomasse et donc à une accumulation du combustible. Par conséquent, la réduction des
surfaces brûlées a paradoxalement augmenté le risque.
Ainsi, un nouveau très grand feu reste dans un proche
avenir non seulement possible mais, peut-être même,
probable – d’autant plus que des mesures préventives (réduction du combustible par l’élevage par exemple) sont
depuis plusieurs années en régression sur le département,
faute de moyens.
chapitre II
Géomorphologie d’une montagne brûlée
Marc Calvet
Du milieu physique aux hommes et à leurs activités :
c’est l’approche classique de la géographie « vidalienne »,
née en France au XIXe siècle finissant sous l’impulsion
de Paul Vidal de La Blache, qui fut initialement, il faut le
rappeler, historien et docteur avec une thèse sur Hérode
Atticus (Claval 1998). Une approche que nombre de
nos collègues de géographie humaine, qui ont renvoyé
déterminisme et possibilisme au rang des vieilles lunes,
considèrent depuis longtemps comme désuète et dépassée. Ce n’est manifestement pas le cas pour les historiens,
les archéologues et les préhistoriens, dont l’objectif fondamental reste l’Homme, mais que leur confrontation au
terrain pour les uns et leur familiarité avec la profondeur
du Temps rendent certainement plus sensibles au poids
de l’espace et à ses contraintes.
C’est, je présume, pour cette raison que les responsables du programme « Archéologie d’une montagne brûlée » ont sollicité cette intervention et souhaité ce texte.
Je planterai donc le décor du milieu physique, dans cet
espace brûlé et ces territoires où les hommes ont laissé
tant de traces révélées par le passage du feu. Puis je m’attacherai à exhumer des cendres du passé une histoire des
paysages, en explorant trois échelles de temps. D’abord le
temps profond du lointain passé géologique, qui conditionne les grandes lignes du relief. Puis le temps médian
du Quaternaire, où les premiers groupes de chasseurscueilleurs ont exploité ces espaces aux ressources variées.
Enfin le temps historique des sociétés, qui plonge ses
racines dans le Néolithique et offre une perspective de
quelques millénaires ; des sociétés agro-pastorales dont
l’impact apparaît à l’analyse bien tardif et fugace à l’aune
des temporalités terrestres, mais si long et encore bien
obscur à celle des temporalités humaines.
La montagne brûlée et son cadre :
paysages, terroirs et territoires
L’espace concerné (ill.1) s’inscrit à la charnière du bassin
méditerranéen du Roussillon et de la montagne pyrénéenne, une montagne néanmoins encore largement baignée
par les influences climatiques issues de la Méditerranée
proche (Calvet 1996 : 698 et suiv.). La zone brûlée se développe au pied des premières crêtes, qui atteignent 1000 m
au massif de Roque Jalère, et prend en écharpe la vallée de
la Têt, depuis le plateau de Montalba (500 m) jusqu’aux
Aspres, en passant par le seuil de Ternère (250 m), limite
géographique et géologique du bassin du Conflent. Mais
on ne peut se limiter strictement à l’espace sinistré : il faut
intégrer un cadre plus large pour comprendre les logiques
de ces espaces et de ces territoires.
40
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre II
2°30
2°15
P. de Sault
Corbières
2°45
3°
Agly
Fenouilledes
42°45
Dourmidou
Aude
Têt
zone d’étude
Madrès
Roussillon
t
Tê
Capcir
Aspres
Conflent
h
c
Te
Canigou
42°30
Albères
Vallespir
25 km
1 - Carte de localisation : le plateau de Montalba dans son cadre géographique, d’après le Modèle numérique de
terrain SRTM, 2004, au pas de 90 m.
Un relief à trois étages
De la plaine du Roussillon à la montagne, les paysages s’organisent simplement, en trois plans étagés successifs, séparés par des escarpements raides et
rectilignes (ill. 1, 2 et 3). Le plus bas forme entre 100 et 300 m le plancher
des bassins du Roussillon et du Conflent, installé sur leur remplissage détritique néogène et les alluvions quaternaires. C’est, en aval du seuil de Ternère,
une véritable plaine très régulière, simplement accidentée par les talus décamétriques séparant les différents niveaux de terrasses étagées ; en Conflent
par contre les plans se restreignent à de petites unités discontinues, à Rodès,
Vinça, sur la Lentilla, séparées par des collines convexes allongées. La Têt
longe étroitement, d’Eus à Millas, un haut talus granitique calé sur la faille
bordière majeure qui limite au nord les fossés du Conflent-Roussillon ; cet
escarpement rocheux, raide et rectiligne, voit son ampleur augmenter d’est en
ouest, passant de 150 à 300 m de dénivelé.
Le plateau granitique de Montalba constitue le palier intermédiaire, légèrement basculé de 550 à 300 m d’ouest en est (ill. 4 et 6). Ce vaste plateau est
très accidenté, juxtaposant alvéoles, plans de taille hectométrique à kilométrique et bosses rocheuses hautes de quelques mètres à quelques décamètres ; les
cours d’eau y inscrivent aussi d’étroites vallées en V à flancs raides, de plus en
plus incisées vers les bordures du plateau. Un deuxième talus, plus sinueux,
précédé parfois de hauts pitons rocheux comme le Roc del Maure (775 m),
sépare le plateau de Montalba des hauts massifs de Roque Jalère. Il semble
lui aussi lié au jeu de failles NE-SW (Lagasquie 1984, 1989 ; Calvet 1996),
moins clairement toutefois que pour le premier talus.
Ces versants, comme le plateau de Montalba, sont hérissés d’un très
grand nombre de chaos granitiques et ils donnent accès au palier supérieur.
Ce sont de hautes surfaces onduleuses, doucement inclinées au nord-est,
entre 900 et 1200 m. Ces lambeaux
de plateau sont très dégradés par des
vallons concaves affluents de la Desix
et eux aussi ponctués de très nombreux chaos de blocs. Au-delà du
Pic del Roussillou, ils sont dominés
par les croupes convexes assez molles des Quarante Croix (1356 m) à la
Serre d’Escales (1724 m), toujours
piquetées de chaos, qui contrastent
avec celles remarquablement émoussées et régularisées du Dourmidou
(1843 m), où l’on retrouve les séries
schisteuses du Paléozoïque, identiques à celles des Aspres.
L’étagement des milieux bioclimatiques et des terroirs
La plaine est le domaine verdoyant des terres irriguées, vergers de pêchers et maraîchage, files
de cyprès ou de peupliers en abri
du vent, réseau dense et complexe
des canaux ; seules les collines du
Conflent sont retournées au maquis épineux qui voile mal le lacis
des murettes et des terrasses abandonnées du vignoble.
Symétriques, Aspres et plateau
de Montalba appartiennent encore
pleinement à l’étage méditerranéen :
la forêt de chênes verts, associés
parfois au pin pignon, à sous-bois
de cistes, d’arbousiers, de bruyères
blanches et d’ajoncs épineux, forme
plutôt un taillis dense, souvent un
simple maquis, encore largement
troué par le vignoble sur le plateau.
Sur ces terres sèches la rétraction de
l’ager depuis le XIXe siècle est considérable dès que la pente augmente et
partout se lisent les traces d’anciens
terroirs à travers le réseau des murettes et les vestiges d’olivettes.
Géomorphologie d’une montagne brûlée
Une hydrologie fantasque
Les écoulements pérennes sont
rares, sauf tout à l’ouest, plus montagnard. Passé la Têt, qui étale son
lit en tresses multiples au débouché
de la gorge de Rodès, seuls quelques
ruisseaux principaux, Crabayrisse,
rivière de Tarerach, Bellagre, ont un
écoulement continu à peu près assuré,
mais souvent bien maigre. La plupart
des talwegs restent à sec une bonne
partie de l’année, pas seulement en
été mais aussi en semestre hivernal
les années sèches. Cependant, lors
Sournia
540
P. Aubeil
540
Agly
%
S. Espinets
Desix
Avec le massif de Roque Jalère, on
entre dans l’étage subméditerranéen,
avec des boisements de chênes pubescents, en mélange avec les chênes
verts d’abord puis très dominants
au-dessus de 800 m. Sur les hauts
plateaux apparaissent les genêts et
les hêtres de l’étage montagnard, omniprésent dès le Roc des Quarante
Croix. La transition est ici très rapide avec les influences océaniques
humides et fraîches qui marquent
fortement les paysages à l’ouest d’une
ligne Mosset-Rabouillet ; en hiver la
neige y tient bien plus bas que dans
les autres massifs qui enserrent le
Conflent. Ce domaine n’a guère abrité d’habitat permanent, hormis le village ruiné de Comes (794 m) et quelques métairies isolées ; mais l’homme
l’a pourtant fortement transformé,
par une exploitation saisonnière
agro-pastorale intense (Sorre 1913 :
352). Quelques escaliers de terrasses
y marquent les vallons les mieux exposés, mais l’essentiel est la disparition quasi généralisée, au dessous de
1300 m, du couvert végétal naturel,
au profit d’immenses landes à cistes
à feuilles de laurier et, plus haut, à
genêts.
270
804
Bélesta
670
816
1163
Montalba
R. Jalère
1160
1025
R. Couret
862
T0
Tarerach
Ille
340
T2
Prades
T1
T4
Conflent
2° 30
Riberal
T1
42° 40
T2
T2
Vinça
Têt
Têt
150
466
Arboussols 590
T1
T1 Rodès
T1
311
483
Aspres
270
T2
664
2° 40
10 km
2 - Les trois étages du relief, d’après la carte des pentes en pourcentage extraite du Modèle numérique de terrain.
Les pentes très faibles des nappes alluviales quaternaires des bassins apparaissent en blanc, celles des plateaux
en blanc et vert clair ; les escarpements ressortent en jaune-orangé-rouge, ainsi que les versants des massifs très
découpés par l’érosion, synclinal de Boucheville-Serre d’Espinets, Aspres, versant sud de Roque Jalère.
des longues sécheresses, le plateau granitique de Montalba recèle en son sein
des ressources hydriques inattendues. Le manteau d’altération très épais et,
dessous, le granite fracturé renferment des nappes phréatiques permanentes.
Elles affleurent dans les fonds de cuvettes où s’étalent en toute saison de surprenantes prairies verdoyantes, ponctuées de bas-fonds marécageux piquetés
de joncs (ill. 4). De nombreux puits les exploitent à faible profondeur et elles alimentent à la périphérie du plateau plusieurs sources pérennes, comme
celle de Montalba, au nord du village.
Les prospections ont révélé de nombreux aménagements de petite hydraulique dans les vallons actuellement secs du plateau, comme celui du ravin
de Ropidera, voire sur des replats culminants du Pont de Labau (Passarrius
et alii 2007, 188-191). Si les travaux de canalisation des écoulements pour
limiter l’érosion sont fréquents, dans ces cas-là une fonction d’irrigation est
plausible. Cette fréquence ne doit pas nous faire croire à une abondance passée des eaux plus généreuse. Le Petit Âge de Glace, du XIVe au XIXe siècle,
s’est traduit sur les rives de la Méditerranée surtout par une recrudescence
des événements pluvieux extrêmes (Grove, Rackham 2001 : 131 et suiv.) ; la
légère baisse des températures a pu restreindre l’évapotranspiration, mais la
saison sèche estivale n’avait pas disparu et l’irrégularité dans l’alimentation
des nappes phréatiques restait la règle. L’étroitesse du plateau de Labau exclut toute source permanente au débit suffisant pour justifier le calibre des
canaux décrits ; tout au plus on envisagera, en particulier dans les vallons,
une irrigation opportuniste de printemps, pour favoriser la pousse du fourrage ou alimenter de petits jardins.
41
ARCHÉOLOGIE D’UNE mONTAGNE BRûLÉE CHAPITRE II
ly
ix
Ag
D es
42
540
540
483
S. Espinet
Sournia
P. Aubeil
804
670
816
311
466
R. Jalère
1163
270
Belesta
Montalba
862
1160
Têt
T0
Ille-sur-Têt
150
1025
42° 40
T1
590
Arboussols
Rodès
T2
T2
Vinça
270
Têt
T1
T2
T1
T4
340
664
T2 T4
Prades
1
Aspres
T2
2° 40
10 km
2° 30
2
3
a
a
4
5
b
6
b
7
T2
8
3 - Carte géomorphologique schématique du domaine étudié. Fond topographique d’après le Modèle numérique de terrain. 1- Série sédimentaire détritique continentale du
Miocène inférieur du Conflent. 2- Pliocène marin et continental du Roussillon. 3- Nappes alluviales quaternaires. 4- Restes de la surface d’aplanissement du Miocène moyen
sur les granites du plateau de Montalba. 5- Replats d’érosion et alvéoles pliocènes. 6- Principales failles. a : failles inverses et/ou décrochantes de l’orogenèse pyrénéenne au
Paléogène. b : failles normales extensives néogènes délimitant les fossés d’effondrement du Conflent-Roussillon. En tireté, failles supposées ou masquées. 7- Formes de relief
structurales. a : facettes d’escarpement de faille récent. b : crêts et barres d’érosion différentielle dans les marbres mésozoïques du synclinal de Boucheville. Pour ne pas surcharger, l’escarpement de faille composite du plateau de Montalba, exhumé du Pliocène, n’a pas été représenté. 8- talus de terrasses alluviales et numérotation des niveaux.
un espace charnière sur de vieux itinéraires pastoraux
Le plateau de montalba occupe une position-clé dans
l’organisation de l’espace régional, au contact de la plaine
méditerranéenne et des hauts massifs montagneux (ill. 1),
une position certainement valorisée par les sociétés agropastorales depuis leurs lointaines origines néolithiques.
C’est en effet le chemin le plus direct et le plus facile, en
moins d’une trentaine de kilomètres, soit une journée de
marche, entre les bas pays et les pâturages d’altitude de la
montagne, vers le dourmidou, le madrès et, au-delà, le
donnezan et le Capcir. Cette voie de crêtes évite les vallées
étroites aux passages en gorge malcommodes et escarpés,
comme la Têt et ses affluents ; elle passe à l’écart des vil-
lages et de leurs terroirs cultivés, source de conflits entre
pasteurs et agriculteurs ; elle est ponctuée de ressources
herbagères intermédiaires non négligeables, dès le plateau
de montalba puis sur les croupes de Roque Jalère, ainsi
que de ressources en eau, sources et ruisseaux, bien plus
abondantes et régulières que sur les versants schisteux. Cet
axe potentiel de transhumance facile, encore marqué par
les carrerades qui escaladent depuis Ille ou Rodès le plateau de montalba, est aussi ponctué de nombreux monuments mégalithiques, menhir de la Peyre drete, dolmens
de Lieussanès, de Campoussy, du col de Tribes, de Cortal
Fosset..., voire de rochers à cupules ou gravés comme celui
des Quarante Croix (Abélanet 1990, 1992).
GÉOmORPHOLOGIE D’UNE mONTAGNE BRûLÉE
plancher marécageux de l’alvéole
relief résiduel (inselberg)
aplanissement miocène
alvéole de Montalba, excavé dans les
granites arénisés sous le plan miocène
4 - Le plateau de Montalba : un aplanissement miocène dominé par des reliefs résiduels et fortement dégradé au PlioQuaternaire, par le creusement de cuvettes dans le granite arénisé.
lA Genèse eT l’évoluTIon Du plATeAu De monTAlBA :
une plonGée DAns le Temps profonD
Cette unité de relief s’inscrit presque exclusivement dans le massif granitique
d’âge hercynien dit de millas, une roche gris clair, à gros grains, souvent de faciès
porphyroïde avec de grands cristaux de feldspath orthose pluri centimétriques ;
il y existe des différenciations non porphyroïdes et de nombreuses enclaves locales de schistes métamorphiques, de gabbros, d’albitites, des filons de microgranite acide et de quartz blanc.
une surface d’érosion réalisée au miocène
Le plan bosselé actuel du plateau dérive d’une très vieille topographie d’aplanissement réalisée au miocène, au détriment de la vieille chaîne plissée pyrénéenne, née de la collision entre l’Ibérie et l’Europe, du Crétacé supérieur au début de l’Oligocène (soit entre 70 et 30 ma). Les traces de cette collision existent
sur la limite nord du plateau, marquée par la faille nord-pyrénéenne qui court
de Sournia à millas, par Trévillach et Bélesta et fait la suture entre les deux
plaques (ill. 3). Cet accident décrochant-inverse vient chevaucher le synclinal
de Boucheville et ses calcaires et marnes mésozoïques, fortement plissés et métamorphisés en marbres et cornéennes noires pendant l’orogenèse pyrénéenne
(Fonteilles et alii 1993).
On démontre en réalité dans le cadre régional (Calvet 1996) que deux
aplanissements successifs se sont développés sur les Pyrénées et leurs restes
existent aussi bien sur les plus hauts sommets (plas du madrès, 2400 m, du
Campcardos, 2900 m, du Carlit,
2800 et 2200 m, Pla Guillem,
2300 m...) que sur les marges de la
chaîne (Corbières orientales, entre
400 et 100 m). Le plus ancien, S0,
élaboré à l’Oligo-Aquitanien, a été
le plus généralisé et il est conservé
toujours en position culminante
sur des reliefs résiduels. Le plus
récent, S1, est emboîté quelques
hectomètres en contrebas, à la
suite de jeux de blocs faillés datés du Burdigalien ancien par les
dépôts détritiques du Conflent,
et il s’est élaboré entre 18 et
10 ma au miocène moyen. C’est
ce deuxième aplanissement qui
est représenté sur le plateau de
montalba ; on le suit vers l’est en
continu sur les gneiss de Bélesta,
puis sur les calcaires mésozoïques plissés où il est parfaitement
conservé en raison de l’immunité
karstique, de Latour-de-France à
Vingrau, Baixas, Fitou et Port-laNouvelle ; vers l’ouest le plan est
disloqué par des failles et soulevé,
encore reconnaissable sur le plateau de Séquières (650 à 700 m),
plus dégradé sur les hautes surfaces de Roque Jalère (entre 900
et 1200 m).
Il faut imaginer il y a 10 ma une
topographie de plaine d’érosion
bien plus régulière que le paysage
bosselé actuel (ill. 4), seulement
dominée par quelques buttes ou
barres résiduelles isolées et aux
flancs raides, des inselbergs, dans
les granites acides ou les filons de
quartz, et au nord par les dalles
calcaires redressées (ill. 3) et les
croupes de cornéennes noires du
synclinal de Boucheville, toutes
roches plus résistantes à l’altération que les granites du plateau.
43
44
ARCHÉOLOGIE D’UNE mONTAGNE BRûLÉE CHAPITRE II
une chronologie précise des aplanissements
La datation de ces formes relève de méthodes diverses, aussi est-elle maintenant bien assurée (Calvet 1996,
Calvet, Gunnell 2008). Ils tranchent toutes les structures
plissées pyrénéennes et sont donc postérieurs à la première moitié de l’Oligocène. Le plan S1 dans les Corbières
recoupe les sédiments déformés de l’Aquitanien et il vient
se raccorder aux dépôts littoraux du miocène moyen. Sur
les calcaires ce plan porte de très nombreux gisements de
faunes de rongeurs piégées dans les fissures superficielles du karst et datés pour la plupart entre 21 et 10 ma
(sites de Baixas, de Tautavel, de Castelnou...). Les sites
datés entre 18 et 10 ma renferment d’abondants apports
détritiques allogènes, sables et graviers quartzeux, prouvant que ces plans servaient de plan de transport à des
épandages fluviatiles depuis la zone axiale et que donc la
région était en voie d’aplanissement généralisé. La juxtaposition, à la surface, de sites d’âge très différent démontre aussi la très faible érosion ultérieure de ces plateaux
calcaires, extraordinaires conservatoires de paléo formes
âgées de 20 à 10 ma.
Les secteurs où le plan se développait sur le socle hercynien sont beaucoup moins bien conservés, comme sur
le plateau chaotique de montalba ; par contre ces roches
renferment des minéraux qui renseignent sur l’histoire
de la dénudation érosive. La thermochronologie par les
traces de fission, associée aux âges hélium dans les cristaux d’apatite, un minéral accessoire présent dans les granites, fournit l’âge auquel les échantillons de roche maintenant en surface ont franchi les isothermes 110° et 60°
dans la croûte terrestre, lors de la dénudation érosive qui
a conduit à l’aplanissement des Pyrénées paléogènes ; le
gradient géothermique moyen étant de 30° par km, cela
implique l’ablation d’au moins 4 km de roches. La méthode a été appliquée aux aplanissements des Pyrénées
orientales et en particulier à la région de l’Agly et de
montalba (Calvet, Gunnell 2005 ; Gunnell et alii 2008,
2009) ; les âges obtenus et la statistique des longueurs de
traces (≥14 µm) démontrent que l’exhumation a été très
rapide autour de 35-25 ma et que depuis cette date les
échantillons sont à l’affleurement.
En croisant nos deux marqueurs, il est donc évident que
les aplanissements (S0 principalement) sont achevés après
30-25 ma (âges traces de fission-hélium) et déjà en place
lorsque se déposent à leur surface les gisements de rongeurs (particulièrement nombreux entre 18 et 10 ma).
Dégradation lente et histoire ultérieure du plateau de
montalba
Le paysage actuel du plateau traduit une très longue
évolution sous le contrôle de deux processus antagonistes. d’une part l’altération chimique des roches, qui produit d’épaisses arènes meubles, plus ou moins évoluées
et plus ou moins riches en argiles selon les conditions
paléo climatiques, à des rythmes variables aussi selon
ces mêmes conditions. Les climats subtropicaux chauds
et humides du Tortonien ou du Pliocène ont été très favorables, les phases arides du messinien ou du Pliocène
supérieur beaucoup moins, ainsi d’ailleurs que les phases
froides quaternaires. Le processus se poursuit activement
sous nos yeux, comme pendant tous les interglaciaires
tempérés, dans la nappe phréatique qui baigne le plancher des alvéoles. Sa vitesse a pu être mesurée en région
méditerranéenne : dans les maures (martin 1987, 1988)
l’abaissement du front d’altération serait de l’ordre de 20 à
30 mm/ka, soit 20 à 30 m par ma, mais l’extrapolation
linéaire sur la base de la géochimie actuelle des eaux n’est
certainement pas licite et le processus doit se ralentir à
mesure que le manteau d’altération s’épaissit. Plus généralement d’autres auteurs indiquent que la vitesse d’arénisation, mal connue, serait de l’ordre de 5 à 20 m/ma, seulement 5 à 10 m/ma en zone tempérée à fraîche (migon,
Thomas 2002 : 15-19). La tranche d’arènes minimale qui
s’est formée sur le plateau peut être estimée à partir du
dénivelé entre le plancher des alvéoles et les plus hauts
chaos de blocs, soit une cinquantaine de mètres, ce qui
implique sur les bases précédentes une durée de 5 ma.
colluvions quaternaires
remaniant arènes et blocs
arène granitique en place
volume de roche saine :
tor en cours de dégagement
5 - L’altération du granite de Montalba : l’arénisation sableuse pénètre inégalement
en profondeur ; à gauche volume rocheux sain en voie d’exhumation (« tor ») par les
processus érosifs d’ablation du Quaternaire froid (colluvions solifluées à blocs).
Géomorphologie d’une montagne brûlée
surface miocène
Montalba
synclinal de Boucheville
pic Aubeil
Força Real
7 - Vieilles alluvions quartzeuses résiduelles jonchant l’« oppidum »
1025 de Ropidera. Noter l’émoussé éolien des arêtes et les facettes
légèrement concaves des deux cailloux du bas, ainsi que leur forte
patine ferrugineuse rouge violacé.
6 - Un tor exhumé des arènes, sur l’« oppidum » 1025 de Ropidera. L’altération préalable a exploité un réseau de diaclases subverticales bien visibles. Au fond, l’aplanissement miocène et ses reliefs résiduels.
Le déblaiement de ces arènes se fait beaucoup plus rapidement, au
rythme des crises climatiques qui éclaircissent ou éliminent le tapis
végétal. La solifluxion, en particulier pendant les périodes froides,
entraîne à la fois les arènes et les blocs granitiques qu’elles emballent, comme le montrent des coupes sur la route entre Marcevol et
Arboussols (ill 5). Le ruissellement décape plus activement encore
ces manteaux meubles et nettoie parfaitement les volumes rocheux
sains, qui émergent sous forme de chaos de boules ou de tors en place,
lorsque le front d’altération est atteint. Sur le plateau de Montalba,
le bilan est depuis longtemps à la faveur du déblaiement, comme le
montrent la quasi absence de colluvions quaternaires, l’abondance et
surtout l’ampleur des tors ; il s’agit soit de dômes rocheux massifs, présentant parfois à leur surface des dalles d’exfoliation limitées par des
diaclases courbes, soit d’empilements géométriques montrant la trace
des diaclases orthogonales, élargies par l’altération (ill. 6).
L’exhumation des tors et le creusement des alvéoles sur le plateau
sont un fait ancien acquis pour l’essentiel avant le Quaternaire, certainement antérieur au Paléolithique inférieur lorsque les hommes y
ont semé incidemment quelques pièces d’outillage. On trouve aussi
sur le plateau, aussi bien dans les cuvettes que sur les bosses culminantes, des restes démantelés de très vieilles alluvions quartzeuses
d’origine locale (ill. 7) ; il s’agit de cailloux parfois roulés, souvent très
éolisés, avec un émoussé et un toucher « savonneux » caractéristique, des facettes concaves ; ces cailloux ont acquis postérieurement à
leur éolisation un épais cortex ferrugineux, ocre rouge à violacé, qui
témoigne d’une très longue altération. Ce type de façonnement est
caractéristique des galets des hautes terrasses alluviales du Roussillon (Calvet 1996 :
800-811) et implique un âge qui remonte
au moins au début du pléistocène moyen.
L’éolisation suppose des vents très violents
dans un milieu quasi dépourvu de couverture végétale, pendant des crises froides et
sèches du Pléistocène ancien et moyen ; elle
a contribué à exporter la fraction fine des
arènes et ainsi à surcreuser les alvéoles, expliquant ainsi le caractère fermé et marécageux des cuvettes autour de Montalba.
Il existe, sur les dalles et blocs rocheux,
des microformes caractéristiques, dont la
lenteur avérée de formation confirme l’âge
très ancien de l’exhumation des tors. Les taffonis ou alvéoles, sur les faces verticales et
à la base des blocs, sont assez rares et peu
développés. Par contre les vasques sont très
fréquentes sur les dalles subhorizontales ;
fonctionnelles, elles abritent périodiquement une flaque d’eau et leur margelle dessine un encorbellement plus ou moins marqué. Il en existe de très anciennes, éventrées
par des diaclases ouvertes, basculées avec
leur support. Parmi celles qui sont actives,
on relève soit des formes circulaires très
régulières, dont le diamètre peut dépasser
1 m et le creux minimum au déversoir 0,2
à 0,3 m, mais avec un creux maximum
45
46
ARCHÉOLOGIE D’UNE mONTAGNE BRûLÉE CHAPITRE II
compRendRe L’hISToIRe du ReLIeF :
L’eScaRpemenT méRIdIonaL du pLaTeau de monTaLBa eT Le cReuSemenT
deS VaLLéeS
160 cm
180 cm
8 - Grandes vasques fonctionnelles affectant les tors granitiques (secteur de plateau
de la Sybille, Ille-sur-Têt). Leur formation, à l’air libre, par l’eau de pluie, suppose des
durées de plusieurs centaines de millénaires. Sur celle de gauche, les restes de trois
planchers étagés suggèrent un creusement à des vitesses très variables au cours du
temps.
métrique (ill. 8), soit des formes multilobées complexes,
couvrant plusieurs m², toujours de 20 à 30 cm de creux,
par exemple sur le dôme rocheux sud-ouest de l’« oppidum » 1025. On a peu de repères pour quantifier la vitesse d’évolution de ces formes, lente de toute manière.
Sur le Carlit, les vasques sur dalles ou blocs abandonnés
par les glaciers depuis ≈15 ka sont petites et profondes
de 27 à 46 mm, soit 1,8 à 3,06 mm/ka (delmas 1998 :
86-90) ; en Laponie sur 10 ka les valeurs sont de 2 à
3,5 mm/ka (André 1995 : 116-117), comme en Irlande.
En Bretagne littorale, où grâce à l’action de l’haloclastie
le processus est plus rapide, les platiers éémiens portent des vasques profondes de 200 mm, voire 500 mm,
âgées au moins de 100 ka, soit 2 à 5 mm/ka ; à Carnac
le creusement des vasques post mégalithiques est de
48 mm au maximum et en moyenne 15 mm/ka (Sellier
1998). Le même auteur fournit aussi des évaluations en
volume, plus justes pour apprécier les vitesses de creusement : au plus 2000 à 1600 cm3/ka et en moyenne
300 cm3/ka pour les vasques post mégalithiques. Sur
le plateau de montalba, des vasques démantelées atteignent 3 m de diamètre pour un creux métrique ; les plus
grandes vasques fonctionnelles atteignent 1,3 m3, soit
une durée de vie possible de 600 à 4000 ka. Il est donc
clair que les chaos évoluent à l’air libre depuis de très
longues durées.
Cet escarpement, d’origine tectonique, est étroitement suivi à son pied par le cours de la Têt (ill. 9). C’est
une zone-clé pour reconstituer l’histoire du relief ; en
effet les dépôts tertiaires et quaternaires, ces « dépôts
corrélatifs » qui sont les archives du géomorphologue,
sont nombreux et variés et leurs relations géométriques
mutuelles, comme avec les roches du socle hercynien,
sont particulièrement bien exposées grâce à l’incision
des vallées. Plonger dans ces vallées c’est aborder une
histoire qui est déjà celle de l’humanité, à peine effleurée sur les plateaux mais qui ici se démultiplie en autant
de niveaux de terrasses, où les vestiges d’outillages lithiques témoignent du passage des premiers Homo erectus
et de leurs successeurs.
le fossé d’effondrement du conflent-roussillon et ses
enseignements
L’escarpement du plateau de montalba forme la bordure du fossé tectonique du Roussillon et de son annexe du
Conflent (ill. 3). Ce secteur est crucial car affleurent ici
l’ensemble des séries sédimentaires détritiques qui remblaient ce graben et permettent d’en restituer l’évolution
(Guitard et alii 1992 ; Calvet 1996). Elle se déroule en
deux grandes étapes.
L’étape miocène est exposée par les dépôts du
Conflent, qui affleurent à l’ouest de Vinça mais restent
profondément enfouis à l’est, sous le Roussillon. La série
stratigraphique, visible dans les coupes de la Lentilla, est
basculée de 10 à 20° vers le sud-est et épaisse de plusieurs centaines de mètres. Elle débute par les arkoses de
marquixanes, qui marquent l’ouverture du fossé à l’Aquitanien (~24 à 21 ma) et viennent reposer en discordance
sur le socle granitique au niveau du village d’Eus ; ce sont
des sables feldspathiques à passées caillouteuses, qui résultent du décapage torrentiel d’arènes peu évoluées sur
le massif granitique septentrional ; du massif des Aspres
provenaient au même moment des cailloutis rutilants
à éclats de schistes. Ces arkoses, chimiquement peu
évoluées (Lagasquie 1984) et envahies par des encroûtements calcaires en grille, témoignent de conditions
climatiques semi-arides et chaudes, avec un couvert vé-
GÉOmORPHOLOGIE D’UNE mONTAGNE BRûLÉE
lambeau de T5
554 m
replat pliocène
530 m
barrage de Vinça
tracé de la faille de la Têt
9 - L’escarpement bordier du plateau de Montalba entre Rodès et Vinça ; calé sur la faille de la Têt, il résulte pour l’essentiel de l’exhumation du contact tectonique entre granites
et sédiments néogènes, lors du creusement de la vallée au Quaternaire.
gétal discontinu et une érosion active sur les bordures du
bassin, peut-être corrélative du façonnement de l’aplanissement culminant S0. La séquence se poursuit avec
la formation de la Lentilla, paléontologiquement datée à
sa base (Baudelot, Crouzel 1974) du Burdigalien ancien
(~21 à 18 ma). Ce sont des cailloutis fluvio-torrentiels
à galets bien roulés de schistes et surtout de gneiss, issus
exclusivement de la bordure sud du fossé, où le horst du
Canigou-Carança se soulève alors très activement, de 1
à 2 km. La preuve en est fournie par le passage latéral
de ces cailloutis à des formations torrentielles à méga
blocs issues de ce massif, mais aussi à de grands paquets
de roches plurihectométriques glissés depuis le massif
dans le bassin de sédimentation (des olistolites), alors
que la bordure nord du bassin, peu soulevée, ne fournit pratiquement plus de matériaux détritiques. La mer
miocène a pénétré dans le bassin du Roussillon, sans en
atteindre toutefois les bordures occidentales ; ses dépôts
s’accrochent aux marges des Corbières maritimes et ont
été retrouvés en sondage à 900 m de profondeur sous
Canet-en-Roussillon ; le maximum transgressif se place
au miocène moyen (~16,3 à 15 ma), avant une longue
régression pendant laquelle se parachève l’aplanissement
S1 du plateau de montalba.
L’étape pliocène est précédée par un hiatus sédimentaire ; une phase tectonique déforme assez fortement
les matériaux miocènes et l’érosion inscrit dans l’axe du
bassin une profonde paléovallée, classiquement mise au
compte d’une puissante érosion régressive contrôlée par
l’abaissement drastique du niveau de la méditerranée
au messinien (~5,8 à 5,4 ma). Le retour brutal de la
mer au tout début du Pliocène transforme cette vallée
en ria (Clauzon, Aguilar, michaux 1987), très rapidement comblée par les apports détritiques d’une montagne alors en pleine phase de surrection et d’érosion. Les
argiles bleutées et les sables gris marins ou deltaïques
se suivent de millas jusqu’à Vinça et ils sont surmontés
par d’épais cailloutis fluviatiles grossiers, de teinte ocre,
qui forment en particulier les collines à l’est de Vinça et
de Rodès, ainsi que les grands escarpements des Orgues
d’Ille. manifestement le dépôt de cette série, qui s’achève
vers 3,8 à 3,5 ma, est contemporain d’un rejeu de la faille
bordière, comme le démontrent des déformations synsédimentaires. L’abondance des apports sableux arkosiques issus du massif granitique exprime le creusement
principal des grandes alvéoles qui défoncent le plateau
de montalba, comme ceux de Trévillach et de Tarerach ;
leur plancher aplani se suit jusque sur le rebord de l’escarpement où il forme des replats perchés (ill. 9) initialement en continuité avec le toit de la sédimentation
pliocène.
un escarpement de ligne de faille exhumé et faiblement
réactivé par la tectonique récente
La tectonique de faille récente est de style complexe,
associant ou faisant se succéder décrochement, extension
et compression ; le jeu décrochant de la faille bordière
ou faille de la Têt est de type senestre, en bon accord
d’ailleurs avec les mécanismes au foyer des séismes actuels (Goula et alii 1999 ; Calvet 1999). Sur cette bordure nord du fossé, l’essentiel de la déformation semble pré
et syn Pliocène inférieur. La tectonique post pliocène est
47
48
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre II
256 m
terrasse T5
Pliocène marin deltaïque
faille N 45°, stries 20° SE
Pliocène continental fluvio-torrentiel
244 m
T5
7°NW
10 - Les Orgues d’Ille-sur-Têt et la déformation tectonique du Pliocène. Dans le compartiment de droite, le Pliocène marin est sous le lit de la Têt, surmonté par les couches
continentales ocres ; le rejet total de la faille est donc de plus de 100 m ; mais le décalage postérieur à la haute terrasse T5 est beaucoup plus faible. Dans ces roches meubles,
les ravinements (« bad lands ») sont très actifs.
attestée par le basculement de toute la série de 7° nordouest dans la grande coupe des orgues d’Ille, hachée par
des failles à jeu senestre-normal (ill. 10) ; ces failles semblent avoir joué encore après le dépôt de la haute terrasse T5, qui couronne les Orgues à Matte Rodone et dont
la base est décalée d’une dizaine de mètres. Au total cette
déformation, qui soulève le plateau de Montalba par
rapport au bassin, voit son rejet augmenter vers l’ouest,
comme le montrent les replats fini pliocènes de plus en
plus perchés sur la bordure de l’escarpement, de 280 m
sur la Crabayrisse à 450 m face à Vinça. Mais sa valeur
est au plus d’une centaine de mètres à l’ouest.
C’est dire que, pour une bonne part de son dénivelé,
l’escarpement bordier du plateau de Montalba résulte
du creusement facile de la vallée de la Têt dans les sédiments meubles du fossé. Ce creusement a exhumé l’escarpement tectonique initial, fossilisé par le Pliocène, et
moins du tiers de la hauteur du talus correspond à des
rejeux tectoniques récents. Initialement installée sur le
plan composite d’érosion et d’accumulation fini pliocène,
à peu près à l’aplomb du contact faillé, la Têt, en s’enfonçant sur place pendant le Quaternaire, a localement
inscrit sa vallée dans le substrat granitique (ill. 3). C’est
ainsi, par surimposition, que s’expliquent les petites gorges épigéniques de la Guillera (Rodès), de Saint Pierre,
site du barrage de Vinça, et du pont de Tarerach.
Les étapes du creusement quaternaire des vallées
Pour une analyse détaillée des terrasses et de leur
bibliographie on renverra à Calvet 1996 : 541-545,
639-641, 745-823. La plus haute terrasse, numérotée
T5 (Matte Rodone, 244 m, ill. 10), est surtout bien représentée en aval, à Mas Ferréol, Baixas, Cabestany et
Canet ; vers l’amont, un jalon démantelé existe au dessus
du pont de Tarerach, à 340 m, et des lambeaux dans le
bassin de Prades ; sur la colline de Rodès des gros blocs
et d’abondants galets de quartz rubéfiés en dérivent, tapissant le Pliocène sur les versants et ponctuellement la
crête. Cette nappe alluviale est profondément altérée,
rubéfiée et ses galets transformés en arènes, à l’exception
des quartz ; on l’attribue au Quaternaire ancien sans plus
de précision, peut-être vers 1,5 Ma. Elle correspond à un
stade où la Têt était encore peu encaissée sous le plateau
de Montalba (150 m au droit d’Ille et 60 m sous le replat fini pliocène) et où les gorges épigéniques n’existaient
pas encore ; la rivière construisait alors un vaste épandage formé par des chenaux en tresses, largement étalé
du Conflent au Roussillon et coalescent à l’aval avec les
épandages du Réart et du Tech.
L’essentiel du creusement de la vallée, 120 m, est postérieur à T5. Cet enfoncement s’est fait par saccades,
marqué par des arrêts et la construction de nappes alluviales (ill. 3) pendant les principales phases froides du
Quaternaire, en phase avec le développement de glaciations dans la montagne, dans un contexte de soulèvement
GÉOmORPHOLOGIE D’UNE mONTAGNE BRûLÉE
1m
11 - Nappe alluviale quaternaire T2 (Riss) à la butte des Escatllars. Altération assez
générale des galets et coloration rouille vif.
tectonique d’ensemble qui explique l’étagement de ces niveaux de terrasses. Les étapes les plus anciennes sont peu
ou pas représentées sur notre secteur ; ce sont toujours
des alluvions caillouteuses profondément altérées et rubéfiées. T4 forme en amont, vers +100 m, le vaste plan
qui porte en rive droite de la Têt les villages de Llonat
à Sirach, relié au cône de piémont de Fillols, nourri par
le massif du Canigou ; Llech et Lentilla ont construit
un cône similaire dont il reste un lambeau au dessus de
Finestret. T3, qui est très étendu en Roussillon et démultiplié en quatre nappes faiblement emboîtées (terrasse
de la Llabanère), n’est ici jalonné, vers +60 m, que par
un petit lambeau accroché au flanc est de la colline de
Rodès, au dessus de la chapelle Ste Anne, ainsi que par
un témoin construit par la rivière de Rigarda et conservé
à 270 m, sous domanova. À ce stade il est possible que
les écoulements aient difflué par le col de Ternère, même
si l’essentiel s’engouffrait dans la gorge de la Guillera.
Les basses terrasses sont mieux conservées dans notre
secteur. La nappe T2, aux galets déjà fragilisés ou en partie arénisés (ill. 11), offre une matrice ocre vif encore peu
argilifiée et porte des sols rubéfiés. En aval de Rodès elle
forme surtout le grand plan de Corbère-Thuir ; elle est
conservée à +35 m sur la butte des Escatllars, au Pont
de Vigne et, en rive gauche, sous forme de quelques lambeaux accrochés au versant granitique. Vers l’amont, T2,
porte Vinça et la gare de Prades ; il se raccorde à un épais
cône affluent sur le Rigarda et surtout au grand cône de
piémont de Vinça, construit par la Lentilla. L’épaisseur
de toutes ces nappes est de l’ordre d’une dizaine de mè-
tres et elles coïncident avec une phase d’englacement majeure en montagne, assimilable au Riss. La nappe T1 est
de teinte grise, à matrice sableuse et présente des galets
sains en grande majorité ainsi qu’un sol brun clair, caractères qui permettent de l’individualiser très clairement et
de la rapporter au Würm. En aval de la gorge de Rodès
elle s’étale très largement vers Bouleternère, enserrant la
butte isolée des Escatllars, et elle porte la ville d’Ille, où
elle se tient à +20 m. Au débouché de la gorge elle est à
+30 m et son incision s’est faite par étapes, avec un palier vers +20 m et un autre plus étroit encore à +15 m
(site de mas Polyroc). En amont, T1 forme au moins
deux paliers dans le bassin de Rodès, le plus haut en rive
gauche portant le site moustérien des Anecs (Abélanet
et alii 1985 ; Blaize 1990), ce qui confirme son âge wurmien. T1 constitue le plan principal du bassin de Prades ;
les affluents issus du Canigou ont construit d’importants
cônes de piémont, néanmoins subordonnés à T2 qui fait
figure d’événement majeur : ceux du Llech-Lentilla diffluent autour de la colline isolée du Serrat d’en moulins,
en deux paliers étagés. La nappe T0 correspond au lit
majeur actuel de la Têt, largement remanié à chaque crue
exceptionnelle comme celle de 1940, qui s’est étalée sur
500 à 700 m à partir d’Ille, effaçant à peu près toute trace
des épisodes plus anciens dans ce secteur de vallée.
Les deux dernières crises froides contemporaines de
T1 et T2 ont laissé peu de traces sur les versants dans
les bas pays et on en a déduit, au moins pour le Würm,
une morphogenèse périglaciaire très modérée, en raison de milieux relativement préservés dans ces bassins
méditerranéens abrités (Calvet 1996 : 819-823). dans
le secteur qui nous occupe ici, les versants raides granitiques ont nourri quelques tabliers d’éboulis de gravité, alimentés par les pinacles rocheux instables, et les
convois limoneux à blocs, de style périglaciaire et d’âge
würmien, ne deviennent fréquents qu’au dessus de 600
à 700 m. Plus bas, les vallons et les pieds de versant sont
parfois tapissés par des colluvions à blocs extrêmement
altérés, pulvérulents parfois, gage d’une grande ancienneté. La coupe de la route d’Arboussols, à la cote 319,
suggère leur raccord avec T3, en bon accord avec leur
état poussé d’altération. La conservation de ces matériaux fragiles sur ce versant granitique raide implique
une très faible efficacité des morphogenèses postérieures. Les collines taillées dans le Pliocène sablo-caillouteux, autour de Rodès et Vinça confortent cette image.
49
50
ARCHÉOLOGIE D’UNE mONTAGNE BRûLÉE CHAPITRE II
qu’on ne l’imagine, fréquemment balafrés de ravines, mais
dont on démontre le fonctionnement quaternaire bien antérieur aux premières civilisations agropastorales.
A 2 lessivé
Bt argileux polyédrique
12 - Vieux sol fersiallitique sur les versants convexo-concaves des collines taillées
dans le Pliocène de Rodès.
En effet ces formes convexo-concaves (ill. 14), raccordées
systématiquement aux restes de terrasse T2, portent une
couverture continue de sols rouges fersiallitiques (ill. 12),
très évolués, et dont le développement implique au moins
un âge éémien, anté würmien. Leur conservation témoigne de l’inertie considérable de ces versants, dont la pente
peut dépasser 20°, qui ont non seulement résisté à l’érosion anthropique holocène et historique, mais aussi à
celle de toute la période froide würmienne.
le Temps Des hommes eT Des socIéTés,
érosIon eT DynAmIQue Du pAysAGe
paysages méditerranéens et mythe du paradis perdu
Les paysages méditerranéens relèvent trop souvent encore d’une interprétation mythique, forgée par les poètes
et les écrivains depuis l’Antiquité jusqu’au XVIIIe siècle
et récupérée ensuite par le discours scientifique, celle d’un
âge d’or verdoyant et fertile, irrémédiablement dégradé par
l’insouciance des hommes (Grove, Rackham 2001 : 8-23).
Illusion tenace, qui réside dans l’ambiguïté de ces paysages
aux formes spectaculaires, soumis à des manifestations météoriques violentes ; en fait mosaïque de milieux évoluant à
des vitesses très variables, dans le temps comme dans l’espace, et qu’il faut se garder de considérer à l’aune seule de
l’histoire des sociétés. Apparences trompeuses de ces espaces, souvent rocailleux, mais depuis bien plus longtemps
Des marques d’érosion souvent spectaculaires, mais très
localisées
Certes, dans notre domaine, l’érosion récente et actuelle
laisse apparemment des blessures vives évidentes, en particulier dans les roches meubles du remplissage tertiaire
du bassin, dans les collines de Vinça, de Rodès, d’Ille et
de Néfiach. Les bad lands les plus spectaculaires, comme
ceux des Orgues d’Ille (ill. 10 et 13) et de Néfiach, montrent des torrents élémentaires encore très actifs, dont les
cônes s’édifient rapidement à chaque averse automnale et
envahissent régulièrement la route de Casesnoves. mais ces
formes ont aussi une longue histoire quaternaire, sur ces
versants très raides constamment ravivés par le sapement
de la Têt, dont le cours d’Ille à millas glisse vers le nord,
comme le montre le dispositif des nappes quaternaires T2
à T0, échelonnées du sud au nord. (ill. 3)
Beaucoup de ravines, par exemple celles de la colline de
Rodès (ill. 14), sont beaucoup moins actives qu’elles en
ont l’air. Leur plancher est fixé par une dense végétation
arborée et des chênes centenaires ; les cônes de déjection
qui en sortent sont à peu près éteints, densément occupés par des terroirs agricoles anciens toujours exploités ;
la chapelle Sainte-Anne, attestée au moins depuis le
XVIe siècle dans son état actuel et pourtant située au débouché d’un bassin versant de 1 km² très raviné, à l’est du
col de Ternère, ne montre aucun signe d’enfouissement.
Ajoutons que ces ravines, très localisées, n’ont pas réussi à faire disparaître de très vieux héritages, comme les
versants convexo-concaves et leurs sols rouges fersiallitiques, pourtant bien fragiles. Il s’agit donc de formes quasi
figées, malgré leurs apparences vives, et dont le fonctionnement épisodique a pu s’initier au cours du Würm,
comme le montrent les relations géométriques du ravin
de Bourbona avec les lambeaux de T2 qui encadrent son
débouché ; il est clair que là un vallon würmien aux flancs
émoussés précède et prépare le bassin torrentiel actuel.
Les parois amont nues et subverticales de ces ravins
suggèrent un recul rapide, qui peut s’avérer une illusion,
comme le montre l’examen soigneux de quelques vieux
terroirs de vignoble abandonnés, sur cette même colline de Rodès où l’incendie de 2005 est passé. des ravines de 1000 à 2000 m3 mordent sur les alignements
Géomorphologie d’une montagne brûlée
ravine aménagée avec murettes
(détail ci-dessous)
13 - Vue aérienne des Orgues d’Ille : ravinements actifs dans les sédiments pliocènes meubles et cônes torrentiels sablo‑caillouteux recouvrant régulièrement la petite route
de Casesnoves ; au fond, le lit de la Têt et ses chenaux multiples en tresses.
ravin de Bourbona
ravin
Naret
ravin de
de Naret
ravin de Bourbona
ravine aménagée avec murettes
(détail ci-dessous)
lambeau de T2
14 - Érosion ravinante dans le Pliocène de la colline de Rodès, face est. Des formes peu actives et bien antérieures à l’aménagement du vieux terroir de vignoble maintenant abandonné. Sur la photo du bas on note que les murettes s’adaptent au tracé de la ravine rectiligne.
de murettes, dans le ravin de Naret. Mais, en réalité, les
ravines précèdent largement l’aménagement de ce terroir, car on voit localement ces systèmes de murettes
contourner les ravins, voire aménager en banquettes leur
partie amont moins incisée, pour les stabiliser (ill. 14).
51
52
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre II
En fait, depuis l’abandon du terroir, soit au moins un
demi-siècle, les ravines n’ont fait que s’élargir un peu,
d’une valeur métrique ; mais ce n’est pas l’abandon du terroir et le non entretien des murettes qui les a initiées.
Des paysages stables sur le long terme
Plateau et escarpement granitique participent très largement des paysages que le géomorphologue nomme « insensibles », selon la terminologie anglo-saxonne (mise au
point in Giusti, Calvet, Gunnell 2008), c’est-à-dire peu
susceptibles de s’ajuster rapidement et complètement aux
paramètres du complexe morphogénétique ambiant.
Pourtant, sur les versants granitiques, il y a d’indiscutables traces d’érosion ponctuelles. On n’insistera
pas sur les quelques ravines de profondeur métrique qui
affectent les arènes et leur couverture discontinue de
colluvions würmiennes, assez fréquentes sur les hauts
versants du massif de Roque Jalère, sous un couvert très
dégradé de landes à cistes. Par contre les chemins qui
gravissent l’escarpement du plateau de Montalba permettent quelques observations quantitatives qui aident à
fixer la vitesse et les rythmes d’incision des formes d’érosion ravinantes, ici clairement d’origine anthropique.
La carrerade qui mène de Rodès au plateau est transformée en chemin creux sur une bonne partie de son tracé,
d’autant mieux qu’elle s’inscrit dans un talweg élémentaire préexistant. L’enfoncement dans les arènes est d’ordre
métrique ; il atteint ponctuellement 2 m pour toute la période antérieure au XIXe siècle, auquel on peut rapporter
raisonnablement le dernier état ou la dernière réfection
systématique du pavage de galets qui en tapisse le fond.
Depuis la destruction du pavage et donc sur un siècle
au plus, l’incision atteint en moyenne 20-30 cm, très localement 80 cm. À ce rythme moyen il a suffi de 500 à
1000 ans pour creuser ces chemins. Le décapage aréolaire des sols cultivés, sur plusieurs décimètres, est localement attesté, autour du village de Ropidera par exemple,
par la mise à nu de traces de socs d’araire sur les dalles
rocheuses schisteuses. Par ailleurs des terrasses de culture à murettes en très gros blocs alignés, attribuées par
M. Martzluff (in Passarrius et alii 2007, ch. IX, 162‑165
et vol. 2 fig. 29, 30) aux premiers aménagements de terroirs médiévaux et datables des XIIIe-XVe siècles, ont été
totalement vidangées de leur remblaiement cultivable,
sur 60 cm au moins à l’aval de la parcelle aménagée.
Mais il faut se garder de généraliser ces observations
ponctuelles, comme le montrent des espaces beaucoup
plus vastes, où l’on peut établir des bilans de l’érosion des
sols sur de très longues durées. Sur l’escarpement raide
du plateau, à toutes hauteurs, il reste d’importants volumes d’arènes meubles, que laissent voir les murettes de
culture éboulées. Ces murettes, datées en général ici du
XIXe siècle, sont d’ailleurs souvent fondées sur le substrat
arénisé et non sur la roche en place saine. Sur le plateau,
on est frappé par l’abondance et l’extension spatiale des
sites superficiels de l’âge du Bronze jonchés de tessons,
même sur les pentes du chaos de l’« oppidum » 1025 de
Ropidera, où ils sont souvent de grande taille : leur préservation implique évidemment un décapage insignifiant par le ruissellement sur ces versants, depuis l’occupation des sites, datée du Bronze ancien au Bronze final
(2200‑700 av. J.‑C.) (Vignaud, in Passarrius et alii 2007 :
69-74 et vol. 2, IV, cartes 1 et 2), soit depuis 4000 ans.
Sur le même mode et pour une durée plus brève, il faut
relever l’abondance de débris de poterie médiévale, présumés épandus sur les parcelles cultivées avec la fumure
et toujours en place, sur certains sites des secteurs de
Ca del Mach - Roc de Sabardanne, comme près du village de Ropidera (Passarrius et alii 2007 : 192, 196, 210
et carte vol. 2, X-6). La contre-épreuve est fournie par
les vallons et les dépressions fermées du plateau, qui
n’auraient pas manqué de piéger d’épais dépôts colluviaux si l’érosion hydrique des versants proches avait
été très active. Or cela n’est apparemment jamais le cas,
puisque aux marges des cuvettes, voire en leur centre,
le substrat granitique apparaît sous forme de chaos de
blocs ou, dans la moindre entaille de fossé, d’arènes et
d’éclats de roche que les labours des parcelles de vigne
immédiatement contiguës aux prairies marécageuses
ramènent en surface. Seuls des sondages systématiques
au cœur des prairies humides pourraient en dire plus.
Les rares coupes des vallons drainés, par exemple celui
de Bosc Nègre dans le secteur des Balmettes, où le plan
alluvial est large de quelques décamètres, n’exposent que
1 à 1,5 m de dépôts sur le substrat granitique, chenal de
cailloux mal roulé à la base et dessus arènes sablo-graveleuses remaniées, en lits plans alternativement fins et
plus caillouteux, le tout n’ayant pour le moment livré
aucun indice chronologique.
Géomorphologie d’une montagne brûlée
15 - L’érosion hydrique postérieure à l’incendie de 2005 sur les versants d’arènes granitiques. Le liseré clair donne la mesure du décapage par ruissellement diffus. La
formation d’un pavage de graviers, bien visible sur la photo, a limité l’ablation.
Les effets modestes d’un incendie catastrophique
Les incendies méditerranéens sont réputés décupler
l’activité de l’érosion hydrique ultérieure (Martin et alii
1997). Celui d’août 2005 a été très sévère et suivi par un
automne très pluvieux, avec en novembre une violente
perturbation méditerranéenne, dont l’épicentre était dans
les Corbières, mais qui a délivré dans le secteur concerné
ici entre 50 et 100 mm en 24 heures, soit à la fois de forts
cumuls et de fortes intensités, même si l’on reste loin des
records régionaux. Aucune étude systématique et quantifiée de la morphogenèse hydrique, sur site expérimental, n’a été menée à la suite de l’incendie, mais un certain
nombre d’observations qualitatives significatives ont pu
être faites, aux deux printemps suivants.
Les marques érosives fraîches, en particulier les ravinements, étaient relativement rares et discrètes dans
l’espace brûlé. Certes, les talwegs élémentaires de l’escarpement bordier ont été ravivés. Mais sur les versants
eux-mêmes, que se soient les collines dans le Pliocène de
Rodès ou les plages d’arènes meubles des pays granitiques, les rigoles élémentaires restaient exceptionnelles et
discontinues, longues au plus de quelques mètres et profondes de quelques centimètres pour une largeur d’une
dizaine. Des formes très fragiles, comme des bermes de
terre aréneuse surmontant les murettes de culture perpendiculaires au versant (par exemple sur la pente est de
l’« oppidum » 1025 de Ropidera), ont été intégralement
conservées et non échancrées de rigoles. Dans certaines
des brèches de ces murettes écroulées, qui logiquement
devaient canaliser des flux hydriques plus puissants, le
cerne de suie noire laissé par l’incendie sur les blocs jusqu’à leur base montrait l’absence d’ablation postérieure.
Sur des panneaux de versant arénacés plans, inclinés à
10-15°, le pavage de graviers et cailloux noircis par l’incendie et jonché de fragments de branches, écorces et
brindilles calcinées, démontrait l’absence d’ablation. Un
décapage épidermique de 2 à 3 cm au plus a affecté des
secteurs limités, en particulier sur des ruptures de pente
entre terrasses, comme le démontrait un cerne blanc centimétrique sous la bande de suie des cailloux enchâssés
dans le sol (ill. 15).
Cette résistance à l’érosion des substrats arénacés semble confirmée par les données quantitatives obtenues sur
parcelles expérimentales dans un site proche, à 1100 m
sur le versant nord du massif de Roque Jalère, sous lande
à callune (Faerber, Emilian soumis). Les parcelles soumises à un brûlage n’ont pas vu leur érosion augmenter
significativement par rapport aux parcelles non brûlées
et, toutes parcelles confondues, les pertes en terre ont
été de 46 t/km²/an sur deux ans, pour un site, et de
26 t/km² sur 10 mois pour l’autre site. En prenant une
densité de 1,7, cela donne des tranches érodées de l’ordre de 15 à 27 mm par millénaire : sur ces bases et en
contexte végétal très dégradé permanent, il faudrait 660
à 370 millénaires pour décaper une couche d’arènes de
10 m. On est très loin des 800 à 1600 t/km² annuelles
mesurées sur parcelle expérimentale en gneiss, dans les
Maures, les trois années qui ont suivi un incendie, mais
du même ordre que les 31 t fournies la quatrième année
par cette même parcelle (Martin et alii 1997). La présence de pavages caillouteux en surface (ill. 15) explique
pour une bonne part cette résistance à l’érosion ; on notera d’ailleurs que l’incendie a contribué à améliorer ce
pavage, en produisant en grande abondance des éclats et
des écailles au détriment de la base des parois et des blocs
granitiques des chaos.
53
54
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre II
Conclusions :
entre nature et culture, la stabilité des paysages morphologiques
Face à l’image commune, mais fausse ou abusivement
simplificatrice, d’une érosion continue dans l’espace et
dans le temps et de son agressivité particulière dans les
régions méditerranéennes, cette réflexion sur les territoires de l’incendie de 2005 dans la longue durée géomorphologique permet de proposer un cadre conceptuel
plus réaliste et plus opérationnel à ceux, historiens ou
archéologues, qui tentent de reconstituer la trajectoire
temporelle et la logique des sociétés dans un espace
concret donné. Les territoires des hommes sont avant
tout des milieux, des systèmes naturels et anthropisés
complexes et évolutifs, dont la logique et la dynamique
ne peuvent se comprendre sans une approche globale et
multiscalaire, qui prenne en compte et mette en perspective toutes les temporalités des paysages.
Le faisceau d’observations rassemblé ici a mis l’accent,
parfois d’une façon volontairement provocatrice, sur
la stabilité relative de ces milieux. Les concepts de la
Landscape sensitivity, dont relèvent ces paysages que l’on
a qualifiés plus haut d’insensibles, sont relatifs et très
dépendants des échelles spatio-temporelles considérées
(Giusti, Calvet, Gunnel 2008 : 210-211). Pourtant, dans
notre domaine, la stabilité est, assez exceptionnellement
et sur une large partie de l’espace considéré, une réalité
qui s’exprime à travers une très large gamme d’échelles
spatio-temporelles : du temps immédiat de la saison
pluvieuse au temps pluriséculaire des parcelles médiévales et plurimillénaire des sites superficiels du Bronze,
du temps médian des vieux versants à sols rouges et des
chaos granitiques exhumés et troués de vasques (quelques centaines de millénaires) au temps profond des
surfaces d’aplanissement (quelques millions d’années).
Le résultat est une mosaïque très fine, ou plutôt un palimpseste d’unités topographiques diachrones et multidimensionnelles, dont la stabilité et la conservation demandent explication.
On cherchera d’abord du côté des facteurs naturels,
seuls en cause pour les évolutions quaternaires et plus
anciennes, que l’on ne considèrera pas ici en détail car
d’un intérêt strictement géomorphologique. La conservation des fragiles volumes de granites arénisés jusque
sur les versants raides se comprend mieux à la lumière
de la géométrie du bâti lithologique. Il alterne en effet
des bandes subverticales de granites acides ou très massifs peu altérables et des bandes très altérables où l’arénisation a pénétré très profondément et qui sont ainsi
protégées de l’ablation, d’autant que les bandes résistantes sont subparallèles à l’escarpement du plateau. La résistance de ces arènes à l’érosion hydrique, comme des
versants sur cailloutis néogènes dans le bassin, répond
aussi à leur forte perméabilité, qui favorise l’infiltration
et limite d’autant le ruissellement ; ajoutons la formation
facile de pavages superficiels de graviers et de cailloux,
par départ des éléments fins, qui immunisent rapidement ces milieux vis-à-vis du ruissellement diffus et
stabilisent même le plancher des rigoles. Dans ce milieu
climatique subhumide et sur des roches imperméables
où les réserves hydriques sont non négligeables, même
un maquis bas mais dense constitue une protection efficace vis-à-vis de l’impact des averses et du ruissellement ; mousses et lichens fixent souvent le substrat minéral sous ces couvertures végétales. D’autre part il faut
insister sur la rapidité de la repousse après les incendies :
dès l’automne et l’hiver, un dense tapis herbacé s’est mis
en place et moins de deux ans après le feu la multiplication des plantules de cistes était spectaculaire, ainsi que
le reverdissement des souches de bruyère blanche, des
chênes verts et des oliviers.
Mais le résultat des travaux de prospections archéologiques et d’archive consacrés au secteur (in Passarrius
et alii 2007 : 208-215) apporte aussi une riche moisson
de faits et permet de proposer quelques hypothèses
quant aux responsabilités des hommes. En effet le domaine granitique en particulier n’a subi qu’une anthropisation à éclipses et/ou peu agressive. La colonisation dense
de l’âge du Bronze est marquée par un pastoralisme extensif sans traces d’agriculture ; une lacune quasi-totale
marque l’âge du Fer et l’Antiquité, voire le haut Moyen
Âge. L’habitat permanent médiéval n’est attesté qu’au
village de Ropidera, sans habitat intercalaire isolé, des environs de l’an mille jusqu’au cours des XIVe‑XVe siècles
où il est abandonné ; les activités agricoles y semblent
localisées à certains terroirs seulement et associées à
un pastoralisme, avec développement de vastes devèzes
encloses. La mise en culture intensive et généralisée,
pour la vigne et l’olivier en particulier, n’intervient qu’au
XIXe siècle, mais elle n’a guère duré plus d’un siècle. On
doit aussi mettre l’accent sur l’ampleur des travaux pro-
Géomorphologie d’une montagne brûlée
tecteurs réalisés sur les versants, qui ont remarquablement
résisté et joué pleinement leur rôle. Des murettes de style
cyclopéen suivent apparemment les premiers défrichements médiévaux, peut‑être à la suite de déboires érosifs
constatés et en phase avec les prémices du Petit Âge de
Glace si l’on accepte la datation XIIIe-XVe siècles proposée par M. Martzluff ; leur vidange locale par l’érosion
prouve qu’elles n’ont fait que retarder le processus, ce qui
est déjà positif. Au XIXe siècle c’est tout le paysage qui
est aménagé en terrasses, avec des murettes soignées et
tout un réseau de drainage canalisé et organisé. Le devenir de ces aménagements est évidemment incertain, mais
ils ont tenu pour l’essentiel le choc de l’abandon et permis
le retour à un couvert végétal subnaturel dense et protecteur. En définitive, dans ces territoires en perpétuelles
mutations, l’idée de paradis perdu est bien un mythe et
les responsabilités des hommes autrement moins lourdes
que l’on a coutume de le dire.
55
Deuxième partie
Les premières occupations humaines
chapitre III
Nouveaux jalons sur le peuplement paléolithique
du bassin moyen de la Têt,
entre Roussillon et Conflent
Michel Martzluff
avec la collaboration de Sabine Nadal
Introduction
L’intérêt de cette étude réside surtout dans sa dimension géographique. En effet, l’incendie de l’été 2005 a balayé trois types de milieux dans un secteur qui, depuis
130 m d’altitude au droit d’Ille-sur-Têt jusqu’à 530 m
au sommet de la Cougoulère, face à Vinça, constitue la
frontière géographique et historique entre la plaine du
Roussillon et les premières vallées encaissées pénétrant
les massifs montagneux du Conflent.
Au centre de l’aire étudiée (ill. 1 et 2), la plaine alluviale
de la Têt peut se scinder en deux unités. Vers l’amont, en
Conflent, les replats des terrasses quaternaires de Vinça
et de Rodès forment de petits bassins enfoncés dans des
collines sédimentaires qui barrent la vallée et la compartimentent. Ces éminences culminent vers 300 m d’altitude et témoignent de puissants épandages détritiques du
Tertiaire dans le fossé d’effondrement de la Têt. Déporté
contre la faille qui borde le socle granitique, le fleuve s’est
enfoncé dans des verrous rocheux, l’un au barrage de
Vinça, l’autre dans les gorges de La Guillera et ces épigénies réalisées pendant le Quaternaire ont contribué à
mieux fermer les dépressions que forment les bas niveaux
de terrasses logées le long des cours d’eaux tributaires venant du Canigou.
C’est donc vers l’aval, à l’issue du défilé de La Guillera
et du col de Ternère sur les communes d’Ille-sur-Têt
et de Bouleternère, que s’étale la plaine du Roussillon.
Les bonnes terres arables dévolues à l’arboriculture sur
ces terrains plans sont encadrées par de l’aspre, c’est-àdire aujourd’hui par d’inextricables maquis qui se développent à partir des premiers versants abrupts, puis
par de vastes friches parsemées de quelques vignes encore cultivées qui se trouvent sur le plateau granitique de
Montalba-Tarerach, vers le nord ou encore, vers le sud,
sur les éminences calcaires et schisteuses qui dominent
Bouleternère.
Ces prospections furent donc l’occasion d’approcher au
plus près une large bande de terrain située en travers du
bassin moyen de la Têt et de l’axe de la principale voie
de pénétration des massifs montagneux du Canigou et
du Madres, au débouché du fleuve majeur des PyrénéesOrientales dans la plaine littorale du Roussillon, un
bas pays qu’il a d’ailleurs largement contribué à former
(Martzluff 2007a). Pour notre part, elles avaient pour
objectif principal de tester le potentiel archéologique
concernant les temps paléolithiques sur les différentes
unités de relief, en fonction d’un cadre chrono-culturel
déjà bien établi sur la très longue durée dans la région
(Martzluff 2006). Concernant les périodes les plus anciennes, au Paléolithique inférieur, il s’agissait de mieux
comprendre pourquoi les vieilles industries taillées dans
le quartz, celles qui jonchent abondamment la surface
des vieilles terrasses du Quaternaire près du littoral, disparaissent brusquement au seuil des premiers contreforts
montagneux.
1 - Zones profondément remaniées en sous sol (DAO M. Martzluff ).
60
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre III
2 - Terrains quaternaires et répartition des industries lithiques paléolithiques (DAO M. Martzluff )..
2
Le peuplement paléolithique
61
62
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre III
Ces recherches offraient enfin la possibilité de discuter des résultats déjà publiés, en particulier de l’épineuse
question d’une homogénéité des industries archaïques
« pré-acheuléennes », ainsi que de l’absence problématique de vestiges des campements de plein air pour toute
la durée du Paléolithique supérieur et de l’Épipaléolithique-Mésolithique, une lacune qui couvre environ 25 millénaires et qui est désormais avérée dans la plaine du
Roussillon (Martzluff 1998).
I - Historique des recherches
et bornes méthodologiques
des travaux de terrain
La plaine alluviale comprend plusieurs niveaux de terrasses étagées depuis le lit majeur de la Têt, étroit et très
encaissé à cet endroit, jusqu’à de discrètes reliques sédimentaires conservées haut perchées sur les versants,
100 m plus haut. Certains de ces dépôts avaient déjà livré
des industries paléolithiques bien avant nos recherches,
dès 1968, en particulier dans le bassin de Rodès (Blaize
1985a). C’est ainsi qu’avait pu être clairement identifié un
gisement moustérien de plein air, détruit lors de la création
du barrage de Vinça, mais aussi que des industries d’allure
archaïque avaient été mises en relation avec la « Pebble
culture » des vieilles terrasses du Roussillon pour partie et,
pour l’autre, avec un Paléolithique inférieur anté-würmien
plus évolué (Collina-Girard 1975‑76, 1978 ; Blaize 1990,
2005). Par contre, la plaine s’étendant autour d’Ille-surTêt était vierge d’information sur ces périodes.
De même, la vieille surface d’érosion du massif granitique de Montalba, oscillant entre 300 et 500 m d’altitude,
n’avait jamais été investie au titre d’une archéologie méthodique car presque totalement envahie par un maquis
impénétrable. La même remarque s’impose aussi pour le
vieux substrat paléozoïque qui arme les versants de la rive
droite de la Têt et du bassin du Boulès. Sur l’ensemble de
ces contreforts montagneux, la présence de dolmens ou de
gravures rupestres et, quelquefois, la collecte ponctuelle
de mobiliers en quelques points encore cultivés en vigne,
témoignaient d’un peuplement étalé du Néolithique aux
premiers âges des métaux (Abélanet 1990, Blaize 2006).
La Préhistoire ancienne n’y avait, par contre, répercuté
aucun écho.
En réalité, le peuplement paléolithique de cette interface méditerranéenne entre plaine et montagne était bien
attesté à partir du dernier glaciaire (Würm, entre 100 000
et 10 000 ans), en particulier pour le Moustérien, le
Solutréen et le Magdalénien (avec une lacune pour le début du Paléolithique supérieur concernant l’Aurignacien
et le Gravettien, comme partout ailleurs dans les P.‑O.).
Mais l’on devait ces connaissances aux fouilles réalisées en
milieu troglodyte. L’une de ces cavités se trouve non loin de
Bouleternère, en limite de la plaine du Roussillon (grotte
de Montou) et les autres en fond de vallée du Conflent,
plus précisément à la confluence des rivières drainant les
massifs du Canigou et du Madres vers la Têt, dans le synclinal calcaire de Villefranche-de-Conflent (Cova del Mitg,
Grotte d’En Gorner, Grotte Marie, Grotte des Ambullas,
Trou souffleur). À l’inverse et toujours en Conflent, un
site de montagne au-dessus de Prades, unique en France,
le rocher de Fornols-Haut (alt. 780 m), offre en pleine lumière un art rupestre magdalénien du Tardiglaciaire habituellement réservé au milieu souterrain (Abélanet 1985,
Sacchi 1987, Martzluff et alii 2005).
C’est dans ce cadre général sommairement balisé que
plusieurs problèmes se sont posés à nous, sur les conditions même de la recherche, dont il faut ici parler. Sur
l’étendue de la zone prospectée, tout d’abord, car celle-ci
est très vaste et les prospections nous concernant se sont
étalées au total sur trois années. Le quadrillage d’un vaste espace, à la fois sur le plateau de Montalba ou sur les
pentes du Causse de Bouleternère, par des équipes, certes diverses, mais comprenant toujours des archéologues
aguerris, nous incite finalement à dire que l’essentiel des
vestiges paléolithiques présents sur le sol prospecté, très
lisible après l’incendie, n’a guère pu nous échapper. Ceci
d’autant plus que les découvertes d’outillages lithiques
en quartz ou en jaspe, souvent minuscules, effectuées en
cours d’opération par des personnes au départ non-initiées à ces difficiles repérages, ont rapidement montré les
progrès d’une sensibilisation en la matière.
Par ailleurs, nous avons complété les informations
obtenues en 2005‑2006 sur ces parcours méthodiques
dans le maquis brûlé en y intégrant des prospections de
contrôle sur des sites limitrophes, hors de la zone incendiée. C’est ainsi que nous avons poursuivi des repérages
sur les terres arboricoles de la vallée, à peine effleurées par
l’incendie, en particulier sur le plan rissien des Escallars,
à Ille-sur-Têt, mais aussi sur l’aire de marnage des eaux
du barrage de Vinça, accessible lorsque le barrage subit
sa vidange annuelle en hiver et où les sols limoneux ont
Le peuplement paléolithique
été décapés, mettant au jour les éléments pierreux du
sous-sol. De même, nous avons opéré des incursions de
part et d’autre du plateau de Montalba, vers le nord et
vers l’ouest, dans les chaos de Tarerach, puis vers l’est,
dans ceux de Reglella. La connaissance que nous avions
du Causse de Thuir, également incendié, nous a pareillement aidé à mieux comprendre le petit massif calcaire du
Dévonien qui jouxte Bouleternère.
Deux difficultés de poids demeurent cependant. La
première tient à la conservation inégale des sols, l’autre
à la caractérisation des industries. D’autre part, le problème des mobiliers absents – celui des vides en quelque
sorte – est ici posé avec une certaine acuité. C’est le cas
pour les industries lithiques, en relation possible avec des
lacunes dans l’occupation de l’espace ou bien à cause de
gisements supprimés par l’érosion, ou encore masqués
par des comblements. C’est le cas ensuite pour l’absence
d’art rupestre là où il était fort probable d’en trouver. Ça
l’est enfin pour une carence qui affecte les formes d’habitats, en particulier les habitats troglodytes.
I.1 - Un sous-sol inégalement remanié
Quasiment tous les plans de terrasse situés en fond
de vallée, mais aussi la plupart des lambeaux de vieilles
formations alluviales perchées sur les versants, ont subi
des labours profonds qui, dans la seconde moitié du
XXe siècle et surtout après 1970, ont largement mordu
dans leur base caillouteuse, bouleversant les dépôts limoneux où les sols d’habitat pouvaient être conservés. En témoignent d’impressionnants tas d’épierrements assemblés
sous forme d’épais murs de galets qui ceinturent partout
les propriétés complantées d’arbres fruitiers, en particulier
autour d’Ille-sur-Têt. Les bas flancs des échines tertiaires
ont également subi la manie des remodelages en terrasses au bulldozer. Tous ces terrains plans et irrigués sont
aujourd’hui travaillés au « rotovator », une machine qui
pulvérise les mobiliers archéologiques, en particulier les
éléments lithiques. Par ailleurs, ces terrains se révèlent souvent peu lisibles, car herbeux. Globalement, il est quand
même évident que l’absence de mobilier archéologique en
surface de ces terrains alluviaux plans et profondément
charrués tient à l’absence de gisement en sous-sol.
D’autres défonçages ont largement perturbé la zone
couverte par le brûlis. Ainsi, les plantations forestières en
résineux ont griffé profondément le sous-sol sur l’échine
pliocène qui ferme la vallée entre Rodès et Ille, ainsi que sur
une bonne part du plateau de Montalba, dans le secteur des
Balmettes (ill. 1). Finalement, seuls quelques rares terrains
alluviaux ont été épargnés par ces travaux aratoires dévastateurs (une vieille terrasse un peu isolée sur un versant de la
rive gauche de la Têt, au débouché du ravin du Bellagre, et
une partie des petites propriétés englouties depuis 1976 en
fond de vallée par les eaux du barrage de Vinça).
Les versants les plus abrupts qui flanquent la vallée
en rive gauche, mais aussi les pentes moins prononcées
d’un espace intermédiaire donnant accès au plateau de
Montalba sur la commune de Rodès, sont des surfaces qui
se sont révélées négatives pour la conservation des vestiges
préhistoriques anciens, soit sous l’effet des ravinements,
soit à cause des mises en culture, les deux étant liés. De
même, les pentes ravinées du Causse de Bouleternère, en
rive droite, n’ont pas livré d’industries lithiques. Il semble
bien que la falaise calcaire qui domine le ravin de Montjuich,
avec son versant bien exposé au sud, a nettement reculé au
Quaternaire sous l’effet de l’érosion, les éboulements ayant
laissé des mégablocs sur le versant. Les cavités qui ont pu
abriter des chasseurs au Paléolithique ancien et moyen ne
sont plus que des fissures dans les parois, ou peuvent rester masquées par de l’éboulis. Contrairement à ce que nous
avions observé antérieurement dans cette zone des Aspres,
après les incendies du Causse de Thuir, en rive droite du
Castelnou où les pentes situées sous la ligne de falaise livrent quelques artefacts du Paléolithique ancien-moyen en
quartz, le recul des barres rocheuses calcaires est ici moins
parlant. En effet, le sol très pentu des éboulis situés en
contrebas des falaises de Les Pedreres est fortement remanié par de puissantes murettes (feixes) et reste peu lisible,
avec des broussailles à peine touchées par l’incendie.
Enfin, sur le plan de Montalba, les chaos granitiques
ont été un peu partout simplement égratignés à l’araire.
Toutefois, sur de larges parties entourant les zones basses et humides, le bulldozer a totalement remodelé le
sol, arrachant les boules granitiques et nivelant de vastes
champs, replantés en vigne ou en céréale pour le gibier. Il
reste que les industries prélevées sur cette aire remaniée
se trouvent in situ, et il en est de même pour celles qui furent recueillies dans les parties travaillées à l’araire ou dévolues aux troupeaux. Par contre, sur les espaces nivelés,
la présence d’artefacts est très aléatoire du fait du raclage
des parties saillantes et du comblement des parties en
creux, ou encore de leur déplacement dans les bourrelets
de terre qui ceinturent ces champs.
63
64
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre III
3 - Cavité karstique ouverte à l’est et en partie détruite par les carrières sur l’affleurement dévonien de la montagne de Bouleternère (photo aérienne O. Passarrius)
Enfin, au contact entre les bas versants des éminences
chaotiques et les dépressions, l’apport des fines a pu masquer des niveaux archéologiques sous un matelas d’arène,
lequel ne semble cependant jamais très épais. Partout
ailleurs, les remplissages qui coiffent le substrat cristallin
sont très minces.
Le rebord méridional du plateau, comme les versants
des vallées le pénétrant, très pentus, ont été ravinés jusqu’au socle en maints endroits. Pour le Pléistocène, en
témoignent quelques évidements creusés et polis par
des ruissellements canalisés qui se trouvent suspendus
sur des affleurements granitiques, au-dessus du fond
des talwegs actuels (en particulier à l’est de la carrière
de Rodès). Pour l’Holocène, le contact très fréquent des
plus vieilles murettes de pierres avec la roche-mère ou
des altérites montre que les premiers défrichements médiévaux ont vite nécessité de puissants aménagements
en terrasse pour retenir la terre arable (cf. chap. XI). Les
secteurs où les phases de déprise agricole post-médié-
vales ont été suivies de pâtures sans remise en état de
ces pentes par des murettes, sont aujourd’hui mis à nu
quasiment jusqu’au roc (toujours dans ce même secteur
de Rodès, par exemple, mais au-dessus de la carrière).
Cependant, bien que le modelé de détail ait été sensiblement modifié sur les pentes les plus prononcées, des
lambeaux de terrasse quaternaire y ont parfois conservé,
50 m au-dessus du fleuve, des industries paléolithiques
anciennes. Elles sont dans un étonnant état de fraîcheur,
montrant que de très vieux sols archéologiques ont pu
être épargnés par l’érosion sur ces replats très étroits
(voir ci-dessous III. 2).
I.2 - Critères de sélection des industries paléolithiques
sur le plateau granitique
L’attribution à la Préhistoire ancienne des industries le
plus souvent produites à partir de quartz ou quartzites
locaux, parfois même de granitoïdes, sur une base typologique ne pose pas trop de problème sur les formations
Le peuplement paléolithique
alluviales de la vallée, surtout lorsqu’elles ont été roulées,
éolisées ou patinées. Par contre, les vestiges paléolithiques provenant du plateau de Montalba sont très dispersés. Ils ont été triés pour cette étude dans les lots comprenant la totalité des ramassages lithiques pour chaque
point coté ; ils gardent donc leur attribution de site pour
une présentation cartographique, finalement assez peu
signifiante (ill. 4 à 10). Si ces artefacts sont ici regroupés
et présentés en un seul et même lot, c’est bien parce qu’il
est impossible de retenir un gisement particulier sur ces
reliefs, et encore moins une station pouvant caractériser
de rares mobiliers mélangés en surface, parfois déplacés
par la lame du bulldozer dans les dépressions. D’ailleurs,
presque tous les sites pointés comportent aussi les copieux restes d’un artisanat de fabrication d’anneaux en
pierre clairement associés à de la céramique modelée. À
l’exception de quelques artefacts érodés ou de typologie Levallois qui gisaient en position isolée, les mêmes
données se répètent d’un point à l’autre du plateau. C’est
pourquoi nous ne pouvons faire l’économie d’un regard
critique sur la totalité du matériel pré- et protohistorique avec lequel se sont mélangées les industries du
Paléolithique.
Notre sélection la plus sûre a d’abord retenu les éléments présentant au moins un léger degré d’usure, le plus
souvent très discret (échelle 1, 5 sur 4 stades) et aussi la
présence de patine sur les enlèvements. Il est vrai que
ces éléments furent parfois difficiles à déterminer sur de
nombreux taxons ayant été soumis à l’action du feu. Cela
dit, le lot très majoritaire de l’industrie, à cassure très fraîche, en quartz, ne comprend quasiment que des éléments
atypiques. En réalité, la grosse part des déchets lithiques
frais trouvés sur le plateau provient pour l’essentiel des
chocs de percuteurs en quartz trouvés en très grand
nombre avec les ébauches d’anneaux disques. Une autre
part vient du débitage aléatoire d’éclats qui furent ensuite
fracturés pour profiter des dièdres ainsi créés et qui ont
probablement servi à racler les ébauches. Cette industrie
a posteriori et ce débitage très mal maîtrisé, en tout cas
pour des fonctions liées à la boucherie et aux travaux domestiques, n’a sûrement rien à voir avec le Paléolithique
et guère plus avec le Néolithique. Percuteurs et burins
de fortune furent donc vraisemblablement utilisés pour
fabriquer des anneaux en schiste, la roche-mère se trouvant sur place.
D’ailleurs, une prospection très fine du secteur ar-
chéologique le plus riche sur une surface de 5 000 m2
(points 1005‑1006) a totalement confirmé cet état de
fait, ainsi que l’absence d’armatures microlithiques. Il
s’agit d’une industrie sur quartz qui s’attache donc plutôt à l’usage opportuniste du matériau local pendant la
Protohistoire pour piqueter et racler les ébauches d’anneaux, qui sont ensuite polis (chap. IV). Les rares éléments très peu usés qui sont rattachables à un mode de
débitage paléolithique n’ont donc aucun mal à s’individualiser dans cet ensemble.
S’ajoute à cette considération l’extrême pauvreté des
outils du fonds commun, en particulier des grattoirs, et
la part très mineure des jaspes et des silex face à l’omniprésence du quartz. Ce sont des signes qui excluent, selon
toute évidence, la présence d’habitats pour la Préhistoire
récente qu’évoquent très timidement une ou deux armatures foliacées et une seule hache de pierre sur la totalité des mobiliers préhistoriques recueillis. Comme les
restes d’un débitage lami- ou lamellaire font totalement
défaut, si ce n’est sous forme d’un seul minuscule débris,
nous pouvons encore plus nettement écarter une occupation un tant soi peu conséquente de ce secteur pendant
la phase médiane du Néolithique tout comme pour le
Paléolithique supérieur et l’Épipaléolithique azilien. La
rareté des outils de meunerie est par ailleurs fort parlante
sur le caractère probablement fugace des occupations
préhistoriques liées à de l’habitat agricole dans le secteur
et renvoie l’occupation préhistorique récente et protohistorique de cet espace à un pastoralisme plus ou moins
nomade.
Nous avons cependant dû tenir compte du fait que l’exploitation opportuniste des roches locales et que le débitage discoïde diminutif, caractérisant les industries mésolithiques du Sauveterrien à l’est des Pyrénées, pouvait
en principe offrir un risque de confusion avec les industries moustériennes évoluées, généralement trouvées en
bon état de fraîcheur. C’est pourquoi nous n’avons retenu
ici comme procédant du Paléolithique que les éléments
assimilables à des processus de débitage typiquement
moustériens. Mais en réalité, il n’y a pas d’outils ou de déchets pertinents habituellement associés aux industries
de l’Épipaléolithique-Mésolithique dans la masse assez
conséquente du lithique recueilli sur ce vaste territoire
(pas de grattoirs et une seule petite pièce esquillée en
quartz qu’accompagnent deux ou trois débris d’éclats obtenus par percussion posée).
65
66
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre III
I.3 - Pertinence des lacunes dans les industries
Le peuplement antérieur à l’Âge du Bronze n’a donc
laissé que de discrètes traces dans la zone du brûlis, tout
comme dans ses abords, et les rares, quoique précieux,
témoignages restreints à l’industrie lithique sont par
ailleurs discontinus dans le temps. Raisonner en termes de présence/absence de mobiliers pour cette très
longue séquence étalée du Paléolithique inférieur au
Mésolithique est un passage obligé, mais en principe bien
moins pertinent que pour des périodes récentes ayant
généré un matériel archéologique - céramique en particulier - plus abondant et mieux conservé, ainsi que des
structures ayant modifié l’espace ( J. Kotarba, chap. V).
Afin d’affûter quelque peu notre réflexion en la matière,
nous avons par conséquent essayé de prendre en compte
l’évolution géomorphologique des sites jusqu’aux perturbations anthropiques récentes, en relevant tout élément
intrusif dans le milieu naturel y compris les roches étrangères au substrat.
Dans tous les cas, couplée avec une lecture du sol rendue
possible et pertinente par l’incendie, la présence de traces
humaines très anciennes sur le plateau de Montalba, ou
sur les flancs des échines tertiaires qui ferment les bassins de Vinça et de Rodès, montre bien que l’érosion a été
incapable d’effacer totalement ces reliques sur les reliefs
anciens. Ainsi, lorsque la présence humaine a été intensive, c’est-à-dire lorsqu’elle a été prolongée pendant très
longtemps sur les mêmes sites favorables, eu égard aux
très faibles densités de peuplement envisageables pour
les sociétés de chasseurs, nous considérons comme parfaitement signifiant de ne pas en avoir détecté quelques
signes.
I.4 - L’absence d’art rupestre
Les témoignages d’un art rupestre attesté sur la longue durée, depuis le Paléolithique sur le proche plateau
de Vall en So (Martzluff et alii 2005) ou à partir du
Néolithique dans les Aspres, non loin de Bouleternère
(Abélanet 1990) et encore à Tarerach, face au plateau
de Montalba (Valat de la Figarassa, cf. Abélanet 1990 et
carte, ill. 2), mettent en avant une autre lacune constatée
au cours de ces recherches. La prospection minutieuse de
la zone du granite de Las Cases, à Rodès où notre plus
grande attention s’est justement portée sur les bandes
hectométriques de schistes qui parcourent les versants
(carte géologique, chap XI, ill. 1) n’a rien donné. Il en est
de même pour le ravin de Montjuich et la colline de La
Bouffeta, sur la montagne de Bouleternère, sur le flanc opposé de la vallée, dont les terrains paléozoïques sont bien
plus favorables (série schisteuse de Jujols).
Nous devons en conclure que l’aménagement total du
substrat par des terrasses de mises en culture a, depuis le
Moyen Âge, presque totalement ruiné les rares affleurements de roches tendres sur les versants très abrupts de
la vallée dans la zone brûlée. Si quelques roches gravées
ont été épargnées par les travaux aratoires dans des écarts
moins remaniés au sud de Tarerach ou sur les flancs du
Canigou, nul doute que la proximité de Vinça, de Rodès
et d’Ille-sur-Têt, trois agglomérations qui ont impulsé
sur leur environnement immédiat une très forte pression
paysanne liée à l’oléiculture et à la viticulture, nous prive
ici de savoir s’il y avait sur ces pentes des roches gravées
préhistoriques ou protohistoriques.
I.5 - Typologie des sites archéologiques
La présence d’industries du Paléolithique ancienmoyen en surface des formations alluviales suppose des
campements de plein air. Toutefois, sur le plateau de
Montalba, au voisinage des chaos, aucune concentration
archéologique ne peut être rapportée à une « station ».
Il en ressort globalement que ces artefacts obtenus sur
des roches locales sont mélangés avec des éléments plus
récents. Les gisements n’étant donc que très rarement
conservés, la possibilité qu’une part des industries puisse provenir de sites troglodytes ou d’abris démantelés
existe. Or, sur l’ensemble de la zone prospectée, il ne
se trouve que fort peu de grottes et d’abris-sous-roche qui puissent offrir des repaires potentiels pour la
Préhistoire ancienne.
Ainsi, dans le petit synclinal perché de Bouleternère,
en rive droite de la Têt, un karst résiduel ne possède pas
de remplissage conséquent. Les deux cavités découvertes sur son flanc nord, au contact avec les schistes du
Silurien, ont été mises à mal par l’exploitation des carrières, les segments occupés par les porches ayant été détruits (ill. 3). Par ailleurs, comme nous l’avons vu, les falaises calcaires situées sur le flanc sud de cette éminence,
dominant un versant bien exposé car protégé du vent,
en rive gauche du vallon de Montjuich, se sont éboulées
jusqu’à une période récente, au moins jusqu’aux temps
modernes où le secteur de Les Pedreres était exploité par
les ateliers de tailleurs de pierre (chap. X).
Le peuplement paléolithique
4 - Industries du Paléolithique ancien-moyen du plateau de Tarerach-Montalba.
67
68
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre III
5 - Industries du Paléolithique ancien-moyen du plateau de Tarerach-Montalba.
Le peuplement paléolithique
6 - Industries du Paléolithique ancien-moyen du plateau de Tarerach-Montalba.
69
70
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre III
7 - Industries du Paléolithique ancien-moyen du plateau de Tarerach-Montalba.
Le peuplement paléolithique
8 - Industries du Paléolithique ancien-moyen du plateau de Tarerach-Montalba.
71
72
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre III
9 - Industries du Paléolithique ancien-moyen du plateau de Tarerach-Montalba.
Le peuplement paléolithique
0
10 - Industries du Paléolithique ancien-moyen du plateau de Tarerach-Montalba.
5
73
74
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre III
En principe, les chaos encombrant les pitons du plan
granitique de Tarerach-Montalba, ont pu servir de protection à des groupes de chasseurs lors d’occupations
de faible intensité. Toutefois, si l’on considère que le
relief actuel de cette surface est en place pour l’essentiel depuis le début du Quaternaire moyen, c’est-à-dire
depuis près d’un million d’années (chap. II), ces abris
naturels dans les chaos ne devaient pas offrir des lieux
très propices à l’habitat dans les phases froides car ils
se trouvent sur des éminences balayées par les vents et
sont privés de la proximité immédiate des cours d’eau
ou des sources de bas de pente. D’ailleurs, les flancs de
ces reliefs ont surtout livré des témoignages préhistoriques récents. En sus d’un positionnement défensif,
il est possible que l’exposition au vent de ces sites de
hauteur, cernés par des dépressions humides, ait offert
une protection aux hommes et à leurs troupeaux contre
miasmes et moustiques. C’est bien ce qui a pu les rendre
attractifs à partir du plein Holocène, du Néolithique au
premier âge du Fer.
En fait, sur cet espace, le secteur le plus propice pour
offrir des abris avec un bon potentiel de conservation
pour la Préhistoire ancienne, se trouve dans le secteur
des Balmettes, toponyme signifiant justement : « petits
abris-sous-roche » (ill. 2). Bien exposé sur un versant
adouci ouvert au sud, dans un vallon où sourdent des
écoulements de bas de pente, l’un d’eux offre une bonne
protection contre la Tramontane. Comme c’est le cas
dans ce secteur pour quelques rares abris de même type,
l’auvent rocheux a servi d’appui à une construction moderne du type bergerie qui est actuellement ruinée. Les
aménagements d’une piste et les « sous-solages » liés
à une plantation en résineux qui couvrait la zone, ont
sensiblement bouleversé les abords et une partie aval de
l’abri, montrant que le remplissage n’était pas épais (carte des zones remaniées, ill. 1). Nous n’avons pas trouvé
le moindre témoignage archéologique probant dans les
déblais.
II - Les très anciens peuplements
du plateau granitique de MontalbaTarerach
Nous analyserons ici les industries paléolithiques en
tenant compte de leur contexte géomorphologique local.
Ces artefacts sont surtout représentés de part et d’autre
de la vallée du Tarerach ; ils deviennent rarissimes à l’est
du Bellagre.
II. 1 - Le contexte
Le relief granitique de Montalba-Tarerach, en rive
gauche de la Têt, hérite d’une pénéplaine tertiaire
(Calvet 1996 et chap. II). Le soulèvement de ce plan
d’érosion, dès la fin du Miocène, est balisé au sud par
l’abrupt très raviné que longe le fleuve, le long de l’escarpement de faille. Ce relief est défoncé par des cuvettes
qui résultent d’une altération différentielle du substrat
cristallin sous un climat sub-tropical humide, puis d’une
vidange des arènes, favorisée par la surrection du massif et par la mise en place d’un climat marqué par l’aridité saisonnière à la fin du Tertiaire. Comblées par les
altérites, les plus larges de ces dépressions sont plus ou
moins fermées par des pitons arrondis, où le socle fut
anciennement immunisé de l’altération chimique et où
le ruissellement a dégagé et entassé les miches granitiques saines déracinées du substrat, formant des chaos.
Ces dépressions ont vraisemblablement été surcreusées par les vents au cours des épisodes froids et secs
du Quaternaire. Les modelés ruiniformes encerclant les
zones déprimées n’offrent plus aujourd’hui que de maigres remplissages sableux acides. Dans la zone brûlée, les
exutoires des cuvettes débouchent dans trois modestes
affluents de la Têt : le plus large est le Tarerach à l’ouest ;
le Bellagre balise le centre et la Riberette ferme la zone
étudiée à l’est. Ces profondes saignées dans le substrat
cristallin forment autant d’axes de pénétration vers le
nord. Leur régime est intermittent, avec des étiages sévères et de violentes crues lors des orages.
Sur les interfluves adoucis de ces mêmes reliefs, gisent çà
et là quelques artefacts en quartz saccharoïde, en jaspe ou en
grès, qui sont très légèrement à faiblement usés (ill. 5 à 10)
et qui peuvent se rapporter à une occupation moustérienne,
au sens large. De plus rares éclats très altérés et polis par le
vent constituent les rarissimes reliques acheuléennes d’un
Paléolithique inférieur indéterminé dans le temps (ill. 4).
Le peuplement paléolithique
Les lacunes concernant les industries du Paléolithique supérieur et de l’Épipaléolithique-Mésolithique sont donc
d’autant plus remarquables que la probabilité d’occupations masquées par un piégeage dans le sous-sol est très
faible.
- Observations sur les remplissages sédimentaires du
secteur central, à Montalba
Certains éléments détritiques nous ont semblé pouvoir
témoigner de très anciens apports sédimentaires allogènes au cœur du plateau. Ce sont des quartz émoussés de
dimensions modestes (très rarement plus de 10‑15 cm
pour les plus gros éléments, de la taille d’un gros gravillon pour l’essentiel) qui sont affectés d’une profonde
patine brune à violacée, tous ayant été polis, voire carénés
par l’érosion éolienne. Toutefois, alors que ces éléments
sont très présents dans certains chaos situés près des dépressions humides, tel celui de Ropidera, au sud du Mas
Molins, par exemple, ils sont absents à la même altitude
dans certains secteurs voisins, en particulier autour du
Serrat blanc. Cela pourrait signifier que la plupart des
quartz érodés proviennent du démantèlement sur place
des puissantes digues de quartz qui parcourent cet espace selon des axes précis (cf. carte géologique, chap. XI).
C’est en particulier le cas pour des blocs émoussés déjà
très usés, mais encore peu patinés et qui présentent des
marbrures rouges (oxydation dans les fissures) car ils se
trouvent toujours près de ces filons de quartz. D’ailleurs,
parmi les éléments fortement usés et patinés des secteurs
déprimés, s’observent aussi les roches les plus dures et
cohérentes du substrat immédiat (nodules de gabbro,
microgranites acides, gros cristaux d’orthose, etc.). Il ne
s’agit donc probablement pas de galets de rivière.
Il existe cependant des matériaux plus sûrement étrangers au substrat géologique dont la présence peut avoir
une origine naturelle ou anthropique. Pour les quartzites
gris, les calcaires, les schistes durs et de très rares et minuscules fragments très érodés de marne noire indurée ‑ une
cornéenne provenant des séries albiennes du synclinal de
Boucheville qui affleurent vers l’amont, à 2 km au nord
de Montalba ‑ un transport naturel peut être envisagé,
mais sans certitude. Du reste, un lambeau de ce que nous
interprétons comme un ancien lit de rivière, se trouve en
limite du brûlis, entre Las Planas et Las Caneletas, sur le
flanc nord-occidental du plateau. Il semble correspondre
à un très ancien méandre du Tarerach, aujourd’hui per-
ché au-dessus des cuvettes du plan principal. Les galets
issus de ces matériaux exogènes sont rares, peu roulés
et très altérés (alt. 500 m, cf. ill. 2). Nous n’y avons pas
trouvé d’industries.
Au cœur du plateau, ces galets de roches exogènes ont
été piégés dans les chaos et sur les flancs des dépressions.
Quelques galettes de schiste dur, des quartzites, des nodules émoussés de cornéennes, ainsi que deux galets de
calcaire, proviennent vraisemblablement de l’amont, avec
des ruissellements venus du nord. Par contre, le seul petit
galet de gneiss trouvé dans ces mêmes chaos a certainement une origine anthropique car le massif du Canigou,
où ces roches affleurent, se trouve séparé du plateau par
la vallée de la Têt ; les épandages possibles de ces roches
avant le soulèvement du plateau à la fin du Miocène sont
trop anciens pour que ce type de roche n’ait pas été météorisé. Les débris de jaspes ferrugineux, dont les gisements se trouvent aussi sur le flanc opposé de la vallée,
dans les remplissages pliocènes flanquant le Canigou audessus de Vinça, mais aussi de rares silexites et le seul
éclat de lave acide, de type rhyolite, sont des roches dures
qui peuvent être associées avec certitude à des transports
par l’homme pour la fabrication d’outils.
Il semble donc que l’essentiel des roches les plus dures
et les plus homogènes ait été usé sur place, alors qu’une
fraction, mineure, serait imputable à des écoulements
venant du nord, balisant les très anciens lits de rivières
actuellement encaissés dans leurs ravins. Seule une part
minime est donc imputable à des transports par l’homme.
Fracturés par le gel jusqu’à des tailles diminutives, éolisés
et patinés, les matériaux les plus tenaces se sont empilés à
divers stades d’usure en surface des dépressions lorsqu’elles
ont été évidées dans les altérites par l’érosion. Quelquesuns de ces résidus ont été bloqués par l’empilement des
chaos. Partout ailleurs, les ravinements les ont dispersés
sur les pentes. Sur le flanc sud du plateau, par exemple, il
s’en trouve sous forme d’amas dans les alluvions de petits
ruisseaux au niveau de replats entre deux verrous rocheux,
tel le ravin de Bosc negre (ill. 2). Mieux conservés dans ces
pièges, ces émoussés peuvent atteindre le double du volume de ceux trouvés sur le plateau et leur patine est souvent
effacée sur les angles par roulement dans les ruisseaux.
Ces roches tenaces ont été utilisées pendant la
Préhistoire, marnes indurées comprises, mais il semble
évident que les lourds outils du Paléolithique ancien,
choppers et chopping-tools qui auraient pu être aménagés
75
76
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre III
dans les galets de quartz, ont été très déformés par l’érosion au cours du Quaternaire, et surtout par la cryoclastie ;
ils ne sont plus identifiables en tant que tels aujourd’hui.
Quelques galets très altérés que nous avons recueillis, car
ils présentent des encochements ou une double patine, ne
peuvent prétendre à la qualification d’outil ou de nucléus
sans contestation. Curieusement, il semble donc que ce
soient les plus petits éléments, dont quelques éclats bien
formés à l’origine, mais difficilement reconnaissables
aujourd’hui, qui ont survécu ici lorsque la pente n’était pas
trop forte pour les entraîner ou qu’ils ont été retenus par
quelque entassement de boules granitiques (ill. 4).
Le relief du plateau, fortement érodé sur les inflexions
de sa marge méridionale à la fin du Tertiaire, au vu des
puissants épandages sédimentaires à mégablocs du piémont (site de Casesnoves et « orgues » d’Ille-sur-Têt), n’a
donc pas été bouleversé dans ses grandes lignes en son
centre au cours du Pléistocène moyen et final. C’est du
moins ce que tendent à montrer les roches usées et patinées les plus dures et cohérentes au voisinage de leurs gîtes, tout comme la présence des très vieux artefacts dans
le même état. L’incision des rivières dans le socle sous l’effet de la poussée tectonique, la dispersion des fines avec
le ruissellement sur les versants adoucis et leur ablation
éolienne dans les secteurs déprimés, représentent sans
doute les érosions quaternaires majeures.
- Les restes alluviaux très anciens sur la marge méridionale du plan granitique
Au bord de l’escarpement de faille de la Têt, sur la
progressive rupture de pente qui domine les abrupts, on
retrouve quelques éléments alluviaux épars, piégés par
les chaos rocheux. Ce sont des galets de roches granitiques, schisteuses, quartzeuses, y compris de gros galets
de quartz saccharoïde blanc et de quartzite gris bleuté.
Les rares quartz et quartzites ne sont pas patinés (pas
de patine ferrugineuse ocre ou violacée). Nous les avons
d’abord identifiés dans le bâti des ruines médiévales du
village de Ropidera à Las Cases, où les galets de granite
sains sont relativement nombreux (altitude 400‑430 m,
commune de Rodès). Ces galets, d’assez gros calibre et
fort peu altérés, nous ont logiquement semblé provenir
des alluvions actuelles du fleuve avec d’autres apports anthropiques médiévaux, ce qui est le cas pour l’ardoise et le
calcaire destiné à fabriquer la chaux.
En réalité, ces roches siliceuses rares gisent tout au
long de la principale inflexion du plateau, face à la plaine,
entre la côte 350 m à l’amont (Vinça) et 250 m à l’aval
(Ille-sur-Têt). En limite du brûlis, une « vieille terrasse démantelée » a été signalée au-dessus du barrage de
Vinça (La Coste, alt. 330 m), près de l’ancien chemin de
Marcevol (Blaize 1990). Mais ces alluvions comprennent de très rares galets de quartz patinés. Au-dessus
de Casesnoves (commune d’Ille-sur-Têt), un semis très
discret de galets non patinés surmonte immédiatement,
à l’altitude 270‑250 m, une belle coupe faite par un ruisseau dans les apports détritiques latéraux du versant,
des sables arkosiques à mégablocs du Pliocène terminal.
Ces reliques de nappe fantôme correspondent donc peu
ou prou au toit du Pliocène, si nous les comparons au
sommet des buttes tertiaires dans les bassins de Vinça
et de Rodès, lequel s’établit à la côte 345 m au Serrat d’en
Molins (Vinça) et à 301 m au Château de Rodès. Dans la
plaine d’Ille, le sommet des « orgues » culmine à 245 m.
Vu leur dispersion, il est impossible de savoir si ces galets épars correspondent aux apports longitudinaux
d’une paléo-Têt pliocène ou à ceux du Quaternaire ancien. Nous avons constaté pour les quartz qu’ils constituent le matériau de base des plus vieilles industries paléolithiques dans la vallée, ce que nous verrons plus loin.
L’absence de patine sur les roches dures des alluvions
associées aux plus hauts niveaux du Quaternaire a déjà
été signalée (Collina-Girard 1975‑76). Elle pourrait se
rapporter à la nature des sédiments fins encaissants, les
arènes acides du plateau en particulier, qui auraient empêché le dépôt d’une patine, mais aussi à l’érosion des
horizons pédologiques anciens.
Dans tous les cas, à l’aval des gorges de Rodès, on retrouve en rive gauche, sur les flancs de l’abrupt granitique,
vers 210-200 m d’altitude (+ 40 m du fleuve), des restes
de nappes sédimentaires qui correspondent à une phase
alluviale tardive de type T2 (Riss alpin). La surface a livré une abondante industrie paléolithique non éolisée et
systématiquement taillée dans des galets de quartz non
patinés. Les quartz de la terrasse T2 étant fort rares et
un peu plus altérés, ces derniers semblent donc avoir été
ramassés dans ce type d’alluvions perchés au-dessus des
terrasses quaternaires. Ces outils seront présentés avec
les remplissages quaternaires de la vallée.
Le peuplement paléolithique
II.2 - Typologie des industries paléolithiques du plateau
de Montalba-Tarerach
Sur le Plan de Tarerach (Mas Llosanes et Valat de la
Figarassa), une prospection de contrôle sur des parcelles
défrichées et le plus souvent nivelées avec des engins mécaniques, a permis de détecter la présence d’industries
moustéroïdes en quartz, peu altérées et très proches de
celles rencontrées sur le plateau de Montalba. Ces industries sont peu abondantes et également dispersées,
en présence ou pas des sites de la Préhistoire récente
(ill. 2). Le néocortex des galets de quartz saccharoïde
utilisés, matériau absent du substrat géologique immédiat, est parfois légèrement patiné. Ces galets peuvent
provenir des vieilles terrasses quaternaires de la vallée,
dans les environs de Rodès, puisque les industries sur
galets patinés ne se trouvent vraiment que là.
Sur le plan de Montalba, la petite série retenue pour
la Préhistoire ancienne a été divisée en deux lots. Le
premier, nettement à fortement éolisé (stades 3 à 4) et
parfois patiné, regroupe une poignée d’éclats (ill. 4) ainsi
qu’un galet denticulé très altéré (non figuré). Ce lot peut
être mis au compte d’un Paléolithique inférieur, au sens
large, car il a subi de longues périodes d’altération et/ou
d’abrasion, des états d’érosion qui peuvent correspondre
à la fin du Pléistocène moyen et au début du Pléistocène
final. Dans ce cas, la quasi-absence de galets aménagés
ou de nucléus est problématique, comme nous l’avons
vu.
L’autre série est plus représentative, quoique peu étoffée également, soit une trentaine de pièces. Elle regroupe
des artefacts faiblement usés et exempts de patine sur
les enlèvements, principalement des nucléus et des produits du débitage discoïde. Quelques-uns, plus proches
du mode Levallois, sont de facture nettement moustérienne (ill. 5 à 9) ; d’autres seront qualifiés de « moustéroïdes », ce qui est assez peu discriminant, il faut bien
le reconnaître, mais comment faire autrement ? Ces artefacts ne peuvent être mis en phase avec d’autres époques.
L’émoussé prononcé des éclats de cornéenne de ce lot est
moins signifiant que pour les roches plus siliceuses, ces
marnes albiennes indurées étant plus sensibles à l’altération chimique dans le sol (ill. 9). Au total, cette industrie sur quartz, ou grès-quartzite, très peu usée, pourrait
témoigner d’une fréquentation du plateau à partir de la
vallée du Tarerach pendant la dernière glaciation alpine
et l’interstade qui la précède.
En effet, l’essentiel des outils « moustéroïdes » de la
plaine du Roussillon, en particulier dans le bassin du
Réart où ils forment la part la plus copieuse des assemblages paléolithiques mélangés, ne sont guère plus
émoussés que ceux du plateau de Montalba (stades 1
à 2), alors que le creusement des dépressions hydroéoliennes par les vents violents est envisagé jusqu’à la
fin du dernier glaciaire. Les artefacts Levallois en silex
qui sont associés aux plus grosses concentrations dans
la plaine, pour une valeur de 2 sur 1 000 environ, ne
sont jamais éolisés, mais au contraire en très bon état de
fraîcheur (Martzuff 2004). L’éolisation, qu’il faut bien
distinguer des pièces roulées dans les alluvions ou les
chenaux de ruissellement, semble donc n’avoir provoqué que très peu de dégâts sur les industries en quartz
dans cette région depuis 100 000 ans et quasiment
aucun après 50 000 ans.
III - Le peuplement paléolithique
dans la plaine du Roussillon, à Illesur-Têt et à Bouleternère
L’espace alluvial de la vallée fut à peine effleuré par
l’incendie sur ses marges. Le cours de la Têt s’encaisse
dans des dépôts fluviatiles inégalement conservés selon
que l’on se place en amont ou en aval du col de Ternère
(Ternera). En rive gauche et jusqu’au débouché des gorges de Rodès sur le Roussillon, l’encaissement rectiligne
du fleuve dans le substrat cristallin a quasiment anéanti
tous les remplissages alluviaux qui ne sont conservés
que par lambeaux sur les flancs de la pente et parfois
sous forme de galets dispersés sur le substrat rocheux,
comme nous l’avons vu. Vers l’aval, au contraire, apparaissent sur cette rive gauche les couches tertiaires qui
forment le site spectaculaire des « orgues », à Ille-surTêt ainsi que quelques tronçons de terrasses quaternaires.
En rive droite, c’est en quelque sorte le contraire.
Les alluvions quaternaires sont emboîtées, à Vinça et
à Rodès, dans les puissantes strates du Miocène et du
Pliocène qui ont comblé le fossé du Conflent et qui arment encore le piémont du Canigou. Sur cette même
rive droite, en aval du défilé de La Guillera et du col de
Ternera, les remplissages du Tertiaire ont par contre été
excavés à la jonction du Boulès et de la Têt, où il ne reste quasiment plus que le substrat rocheux paléozoïque.
77
78
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre III
Ces accumulations ayant été totalement balayées par
l’érosion, les dépôts étagés des bas niveaux quaternaires
qui occupent largement la plaine d’Ille-sur-Têt ont été
mis en place au cours des deux derniers cycles alpins.
Dominant le cours du fleuve d’une vingtaine de mètres, le plan alluvial le plus développé en surface est
relativement jeune puisqu’il peut être daté du premier
Pléniglaciare würmien (vers 60 000 ans). C’est pourquoi les sols bruns y sont fertiles et ils le sont d’autant
plus que ces terres, situées hors d’atteinte des terribles
crues post-glaciaires, ont été irriguées dès la fin du
Moyen Âge. Ce sont les verrous de Vinça et de Rodès
qui commandent en effet la distribution des eaux d’arrosage par gravité sur une bonne part de la plaine du
Roussillon où les canaux traversent successivement vers
l’aval, et jusqu’à Perpignan, au moins deux plans de terrasses plus anciens.
III.1 - Les restes ambigus de très vieilles formations quaternaires en rive gauche de la Têt
Au-dessus de la zone à rares galets quartzeux « frais »
sise sur la rupture de pente méridionale qui flanque le
plateau, nous n’avons pas trouvé de galets patinés ou
de traces de sols altérés qui pourraient témoigner de
l’ancrage de très vieilles formations quaternaires sur ce
versant entre les côtes 350 et 400 m. Mais nous ne les
avons pas systématiquement recherchées. En réalité, la
géométrie des remplissages alluviaux du Quaternaire
ancien, entre 2,2 et 0,7 millions d’années (peu ou
prou l’ex-Villafranchien), nous échappe, et pas simplement dans cette vallée. Une large part de cette phase
du Pléistocène est lacunaire. En effet, la plus vieille
formation alluviale du Quaternaire dans la plaine du
Roussillon coiffe, sous forme d’une haute terrasse (T5),
les buttes témoins du Tertiaire dont les molasses sableuses sont datées d’une première moitié de l’étage
pliocène (Zancléen, 5,3 à 3,5 millions d’années) par la
végétation et la faune fossile au toit de cette série (Serrat
d’en Vaquer). Entre 3,5 et 1,5 Ma, les changements climatiques (ici l’accentuation d’un climat contrasté avec
froid hivernal, abats d’eau et sècheresse), mais surtout
une tectonique compressive très active, avec un soulèvement généralisé depuis les montagnes, expliquent
sans doute l’ablation des accumulations sédimentaires
en plaine, à la charnière Pliocène-Pléistocène sous l’effet
d’une très puissante érosion. Sur de petits reliefs haut
perchés, les plus anciennes terrasses résiduelles d’une
paléo-Têt quaternaire sont donc mal datées de la fin du
Pléistocène ancien, entre 1,5 et 0,7 millions d’années.
Dans la plaine d’Ille-sur-Têt, les plus vieilles alluvions quaternaires couronnent les orgues d’Ille-sur-Têt
à Mata Rodona (T5, alt. 244 m). Les deux moignons
de terrasse sont perchés sur les sables et les galets des
épandages tertiaires et se trouvent séparés de quelques
mètres en hauteur par un décrochement de faille transverse, preuve qu’une tectonique plus modérée continue
à jouer (Calvet 1988, p. 12, 1996). Ce secteur se trouve
hors limite du brûlis actuel, dans le maquis, et nous ne
l’avons pas prospecté. Donnés comme les plus anciens
pour le Quaternaire du Roussillon sur la carte géologique au 1/50 000, ces restes alluviaux de Mata Rodona
sont caractérisés par de gros galets de gneiss « friables
ou réduits à l’état de fantômes (...) emballés dans une
argile rouge vif » et les « quartz restés en surface sont
couverts d’une épaisse patine ferrugineuse ou rouge
violacée » (Calvet 1988, 1994). Selon une nomenclature prudente, cette formation T5 d’Ille-sur-Têt,
qu’une forte altération corrèle – faute de mieux – à un
« Villafranchien terminal », se prolonge vers l’aval sur
cette rive gauche jusqu’à celle du Mas Ferréol, au Nord
de Millas. Dans ce secteur apparaissent aussi les lambeaux d’un plan T4, alors que vers la mer, de grands
plans de terrasse T3, démultipliés en quatre niveaux
au nord de Perpignan (La Llabanère), sont plus ou
moins clairement rapportés par différents auteurs au
Pléistocène moyen, mindélien dans la nomenclature alpine (entre 600 et 300 000 ans).
Toutefois, dans sa thèse, Jacques Collina-Girard signale en 1975 que les galets de quartz d’un de ces témoins perchés sur les « orgues » ne montrent pas plus
de patine que ceux des alluvions tertiaires sous-jacentes
auquel il les assimile. Un « épannelé bifacial d’une très
belle symétrie » a été récolté sur cette surface en 1968
(Blaize 1985b). Ce galet aménagé n’a cependant pas été
mentionné par Collina-Girard, probablement à cause
de l’attribution de cette formation alluviale en totalité
au Tertiaire. D’ailleurs – toujours d’après cet auteur – la
terrasse quaternaire ancienne la plus proche, celle du
Mas Ferreol à Millas, est peu colorée et rappelle aussi
les alluvions tertiaires où les quartz auraient « subi une
perte de patine secondaire », alors que ceux des plus
vieilles terrasses de la plaine côtière, à Cabestany, sont
Le peuplement paléolithique
« tous affectés par des profondes patines lie-de-vin, caramel ou orangées » (Collina-Girard 1975). L’exiguïté
des vestiges de ces plus hauts niveaux quaternaires dans
cette partie du bassin de la Têt, et leur proximité stratigraphique avec les alluvions arkosiques du Pliocène,
posent par conséquent de sérieux problèmes pour identifier les vieilles industries paléolithiques selon le seul
critère de la patine, comme nous le verrons.
L’épandage alluvial T5 de type Mata rodona représenterait donc, vers le milieu du Quaternaire semble-t-il,
une nappe très peu épaisse et probablement très large.
Selon Marc Calvet, elle correspondrait sans doute bien
plus à la divagation du fleuve au sein de chenaux en tresse lors d’une stase dans les crises tectoniques soulevant
le massif, qu’à une puissante accumulation d’alluvions
dans un lit bien tracé, d’autant que les glaciations anciennes semblent avoir été jusqu’alors peu sévères sous
cette latitude. Lors des poussées suivantes, le surcreusement de la vallée par un régime fluvial de forte énergie,
mordant sur des piémonts encombrés d’alluvions grossières accumulées en périodes froides, a brutalement
incisé les hauts niveaux par un balayage très large au
sortir des gorges de La Guillera, rejoint par les apports
du Boulès, dévalant des contreforts du Canigou (Calvet,
op. cit.). Cette violence peut expliquer que l’on ne retrouve aucun mélange de galets quartzeux à patine prononcée dans les alluvions T2 et T1 de cette plaine d’Ille
où l’érosion fluviatile semble avoir totalement vidangé
les formations du Pléistocène moyen (divers plans T4
et T3).
Il n’est donc pas étonnant que les industries acheuléennes patinées et éolisées fassent absolument défaut sur cet espace, y compris en position secondaire,
contrairement à ce qui est le cas dans la basse plaine
du Roussillon, en particulier dans le bassin inférieur du
Réart (Martzluff 2004, 2006). En effet, au centre de la
plaine littorale, entre les bassins du Tech et de la Têt,
l’érosion progressive des buttes témoins des très anciennes nappes T5 et T4 a libéré les quartz très altérés, repris dans les chenaux creusés sur les glacis pliocènes qui
les encadrent, pour les mêler à ceux des grands plans
de terrasse postérieurs, et en particulier à T3. Ici par
contre, les très anciennes alluvions sont donc parfaitement déconnectées des formations suivantes qui apparaissent entre 30 et 40 m en contrebas.
III.2 - Les épisodes T4 et T3 sont-ils totalement lacunaires ?
Bien qu’il n’existe dans le relief de ce secteur aucun plan
de terrasse pouvant être rapporté à cette très longue séquence du Pléistocène située entre T5 et T2, soit au bas
mot un demi‑million d’années, voire le double, certains
indices permettent de suggérer qu’il en reste quelques
traces sur le flanc oriental de la colline de Rodès.
- Sites du ravin de Les Collades et de Naret
En limite occidentale de la plaine d’Ille, au débouché
des gorges de La Guillera, nous avons observé en rive
droite une flaque sédimentaire très altérée, accrochée au
substrat pliocène sur un replat, à ras des affleurements du
socle (alt. 230-235 m, ill. 2). Le sol rougeâtre est nourri
en galets de quartz et les roches granitoïdes décomposées
ont produit en surface une arène. Très curieusement, ces
quartz ne sont quasiment pas patinés, pas plus en tout
cas que ceux de la Têt actuelle ou ceux provenant de la
masse alluviale tertiaire. Une grande part des galets a été
transportée vers l’aval, semble-t-il, dans un chenal qui
traverse un lambeau de remplissage sableux surmontant
des alluvions à très gros blocs. Ces derniers s’appuient
sur le socle granitique et semblent, pour leur part, antéQuaternaire (coupe du ravin de Les Collades, alt. 220 m,
et coupe faite au bulldozer dans un verger).
Ce site fut touché par l’incendie. Il a livré quelques
éléments d’une industrie faiblement érodée sur galet
de quartz, mais sans patine, comme ceux du substrat
(ill. 11). Ils sont affectés d’une légère usure, probablement fluviatile et sont associés aux restes d’un débitage
d’éclats en meilleur état de fraîcheur. Or, ces quartz
taillés, accompagnés de quelques éclats de jaspe, sont représentés le long du même versant de l’échine tertiaire,
depuis les gorges de La Guillera jusqu’au col de Ternère.
Vers le sud, une industrie dispersée et dotée de mêmes
états de surface, gît en position secondaire au débouché
de grands évidements faits par les ravines (secteur de
Naret, alt. 250‑200 m). Près du col de Ternère, au-dessus
de la chapelle Sainte-Anne, Marc Calvet signale l’ancrage
d’une terrasse T3 (chap. II et ill. 2)
Il faut avouer que nous ne savons pas interpréter
ces traces sédimentaires rubéfiées enrichies en galets
de quartz non patinés et liées aux industries taillées
dans ces roches alluvionnaires. Elles semblent nettement amputées de la part altérée et éolisée en surface.
79
80
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre III
Ille-sur Têt La Guillera, alt. 235 m
Quartz saccharoïde blanc,
Pièce roulée, stade 2
Pseudo-cortex à léger voile terne
Fissures nappées d’oxyde orangé
Pièce brûlée. Un enlèvement frais
Chopping-tool ou amorce de nucléus discoïde
11 - Colline de Rodès, industrie localisée entre les côtes 340-330 m (formation T3 ?).
Le peuplement paléolithique
C’est d’autant plus troublant qu’il s’en trouve un écho
dans le bassin de Rodès, sur une bande située à la même
altitude (autour de 230‑240 m) d’où proviennent les
principales concentrations d’industries à pebble tools
déjà publiées (cf. ci-dessous, IV.1, IV.2 et ill. 2). S’agitil d’un ancien bas de pente se branchant sur un plan
alluvial T3 ?
L’industrie obtenue à partir des galets de quartz non
patinés que libèrent ces sols rougis donnant sur la plaine
d’Ille pose d’ailleurs problème. Les séries se divisent en
deux lots selon leurs états de surface : soit les artefacts
sont affectés par une usure nette, mais peu prononcée, dérivant d’une érosion par roulement (dièdres plus usés que
les négatifs), soit ils sont en assez bon état de fraîcheur.
La série roulée, minoritaire, comporte de gros choppingtools, de forts éclats ou des débris (ill. 11) ; la série fraîche
ne se distingue du lot que par des nucléus, parfois volumineux et de plus nombreux et plus petits éclats bien formés. La gestion des galets épannelés est voisine de celle
le plus souvent rencontrée sur le plan T3 en Roussillon,
parfois discoïde, elle tend vers une exploitation proche du
mode Levallois ou Quina. Aucun mélange avec des industries du Tardiglaciaire ou de l’Holocène n’est associé à
ces gisements mal conservés in situ.
III.3 - La séquence rissienne T2
Les formations alluviales suivantes ne sont que peu
étendues, une trentaine de mètres en contrebas des traces ponctuelles des hauts niveaux quaternaires. Datées
du Würm ancien sur la carte géologique au 1/50 000
(Berger et alii 1993), elles correspondent plus vraisemblablement au plan T2 de Thuir, soit à un Riss alpin terminal (Calvet 1996). L’une de ces terrasses a conservé un
gisement paléolithique probablement en place.
- Rive droite : le plan des Escatllars et de Borbona (gorges
de La Guillera)
La nappe la mieux conservée est la butte des Escatllars,
sur la rive droite. Elle sépare le lit de la Têt de celui du
Boulès (alt. 180-190 m). Elle réapparaît plus loin en
aval vers Corbère-les-Cabanes. Entre le fleuve qu’elle
domine par un abrupt de 30 m et la voie ferrée qui la
longe, au sud, elle prend un pente de direction méridienne. Reposant sur les sables tertiaires, l’accumulation
sédimentaire imputable à la Têt est plus épaisse vers le
nord. Au sud, le faible remplissage de la zone déprimée
aval s’appuie sur un pointement schisteux du socle paléozoïque (ill. 2). En coupe, dans un sol altéré de teinte
ocre, les galets de gneiss, de granites et quelques schistes
durs sont cohérents, mais déjà bien cariés ; les quartzites bleus ou gris sont faiblement patinés de brun et les
quartz, assez rares, ne le sont que très faiblement par
un voile blanchâtre mat, parfois beige clair de tonalité
« coquille d’œuf ».
Dans cet épandage isolé au centre la plaine et bien
séparé des flancs de la vallée par les lits de la Têt et du
Boulès, on ne trouve donc ni dreikanters, ni galets de
quartz à profondes patines rouges ou violacées en position secondaire. Seuls quelques rarissimes gros galets
quartzeux (40 cm) couverts d’une mince patine jaunâtre
à orangée pâle, peuvent attester d’un discret mélange avec
une formation plus ancienne. En surface, de très rares petits galets de quartz (5‑10 cm) portant des patines de cet
ordre sont mieux représentés vers le sud, dans la partie
aval de la formation, avec une plus grande proportion de
petits galets de schiste. Ces derniers apparaissent en coupe dans les poches de limons beiges, ce qui laisse à penser
qu’il s’agit là d’une part imputable au Boulès. Repoussé
par les alluvions de la Têt, le cours de celui-ci s’est progressivement encaissé vers le sud, dans le socle schisteux
des Aspres.
Le plan T2 des Escatllars, peu propice aux mélanges
suspectés sur les échines tertiaires du bassin de Rodès,
mais sensiblement bouleversé par la remise en culture à
la fin du XXe siècle, n’a fourni que des fragments d’éclats
atypiques très dispersés et un éclat retouché, pièces qui
ne sont toutes que très légèrement usées. Ce sont les seuls
échos d’une présence paléolithique sur quelques secteurs
bien lisibles. L’examen rapide des puissants tas d’épierrement n’a rien donné de mieux. Cet interfluve semble
donc avoir été peu attractif au Moustérien, après la phase
rissienne de dépôt des alluvions.
Toujours en rive droite, une étroite bande du même
niveau alluvial est conservée au débouché des gorges de
La Guillera, où elle est partiellement recouverte par des
colluvions du versant (alt. 200 m, coupe au bas du ravin
de Les Collades). Malgré leur excellente situation topographique sur le flanc du défilé, ces lambeaux, en partie
remaniés au buldozzer et peu touchés par l’incendie, sont
difficilement exploitables en prospection du fait de leur
mise en friche. Ils n’ont rien livré de très probant hormis
un ou deux éclats de quartz non usés.
81
82
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre III
- Rive gauche, les restes de terrasses T2 à la confluence
du Bellagre
Au débouché du Bellagre sur la Têt, la séquence alluviale rissienne de type plan T2 est bien attestée de part
et d’autre du torrent (alt. 200 m). Encastrés sur le flanc
granitique du versant, les lambeaux de terrasse T2 surmontent d’une quinzaine de mètres les restes de la haute formation T1, que l’on peut dater du Würm ancien.
La terrasse rissienne qui se trouve sur la rive gauche du
Bellagre est dédoublée en deux paliers par un ressaut de
deux mètres. Facilement accessible, elle a été défoncée par
un charruage profond. Le sol étant déjà peu lisible lors de
la prospection, nous n’avons pu répertorier qu’une rare
industrie moustérienne dispersée, composée de quelques
petits éclats de quartz et de jaspe très faiblement usés.
À la même altitude sur le versant opposé, en rive droite
du torrent, cette formation T2 est restée en partie boisée malgré l’incendie. L’absence de chemin carrossable
fait que la surface du replat anciennement cultivé ne fut
qu’égratignée à l’araire. Bien lisible au sol, la terrasse est
exiguë. Elle s’ancre sur le versant abrupt du Bellagre et
déborde le long de la Têt sous forme d’une lanière étroite
s’allongeant sur le versant, face au sud, bien abritée d’une
tramontane qui balaye le plateau 45 jours sur 100 en
moyenne. En amont, vers les gorges de Rodès, elle est
recoupée par des ravines qui dégagent de bonnes coupes où le remplissage sablo-argileux roux emballe une
composante pierreuse où dominent les galets de gneiss
cariés, avec de rares quartz peu patinés. La formation se
perd très vite le long d’un chaos granitique dont les blocs
ont très probablement servi d’abri. En effet, une seconde
concentration d’artefacts se trouve au pied de ce chaos.
Sur sa surface la plus large, ce plan est incliné dans le
sens de la pente. Vers la coupe, au-dessus de la vallée,
l’érosion a enlevé les fines et l’on touche presque la racine
caillouteuse alors que vers le versant, au nord, les colluvions sableuses ont atterri sur ce piémont, masquant l’ancienne surface alluviale sous plus d’un mètre de hauteur.
Il en résulte que l’industrie est plutôt concentrée dans
une bande centrale, là où l’araire a pu toucher le niveau
archéologique faiblement enfoui sous une vingtaine de
cm. Vers l’aval, ce niveau a probablement disparu. Nous
supposons qu’il a été protégé en amont.
L’industrie ne présente aucun stigmate d’usure, fait
remarquable qui renvoie très probablement à sa bonne
conservation en sous-sol. La présence de minuscules
éclats, tout comme le remontage d’un casson à fracture
Siret, attestent qu’il s’agit bien là d’un site primaire. Ce
lot compte 203 artefacts pour une masse de 9 680 g,
dont 51 ex. (2 720 g) pour la partie sise au bas du chaos,
laquelle ne présente pas de différence typologique, ni
pour les roches utilisées (sauf les granitoïdes), ni pour
les processus de débitage, ni pour l’outillage. Cette industrie résulte principalement, soit pour 177 ex. (87 %,
6 973 g), de l’exploitation de plusieurs variétés de quartz
pris sous forme de galets non patinés. Ces matériaux
sont rarement bleus (5 ex.) et représentent pour l’essentiel un quartz blanc saccharoïde comportant des cristaux hyalins, des adhérences granitiques et des fissures
nappées de placages verdâtres (chlorite ?) ou d’oxydes
de fer diffusant dans le matériau des colorations rosâtres ou orangées. Un quartzite gris à grain fin, mais très
fissuré, que l’on peut trouver dans le ruisseau de la Font
del Farre à Reglella, est simplement attesté sous forme
de galet et par un percuteur allongé et lourd dont les cupules médianes sont associables à la percussion posée.
Les 5 petits éclats de jaspe ferrugineux du Canigou sont
plus fréquemment transformés en outils (3 ex., ill. 16,
n° 6 et 7). L’élément remarquable, outre l’absence totale
de silexites, est la présence d’un percuteur et d’un débitage d’éclats (20 ex.) qui furent tirés d’un filon local de
microgranite (ill. 15, n° 1).
Le débitage n’est pas Levallois, rarement discoïde et
relativement opportuniste aux dépens de formes prismatiques, proches du mode Quina (ill. 13). Les 15 nucléus sur galets ou sur débris ont produit des éclats bien
formés aux talons parfois dièdres ou facettés (ill. 13, 14
et 16). Sur les quartz, la phase préparatoire (21 éclats
corticaux) et les éléments fracturés (78 cassons et débris)
laissent une bonne place au plein débitage dans le lot des
177 produits de taille, dont 13 sont retouchés. Sauf pour
les jaspes, la part des éclats épais (> 1 cm d’épaisseur), est
relativement importante, de même que celle des éclats
dépassant 3 cm d’extension (94 ex.). La percussion posée
est attestée pour le débitage de petits galets (ill. 14, n° 2),
mais la pièce esquillée est absente.
Sur un total de 25 outils, on ne trouve que 3 galets aménagés,dont l’un diminutif,qui sont difficiles à isoler des nucléus,
car peu typiques (ill. 12, n° 1 et ill. 14, n° 1). Les 18 éclats
et débris transformés le sont également, soit un bec, deux
éclats encochés, des petits racloirs sur éclats épais à retouche écailleuse plate, souvent inverse ou biface (ill. 15 et 16).
Le peuplement paléolithique
2
1
0
12 - Gisement paléolithique de la formation T2 (Riss alpin), terrasse du Bellagre. Nucléus en quartz saccharoïde blanc, le n° 1 sur galet non patiné est proche du chopping tool
(mais les enlèvements sont courts, rebroussés et discontinus), le n° 2 sur débris est prismatique et diminutif.
83
84
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre III
0
5
13 - Gisement paléolithique de la formation T2 (Riss alpin), terrasse du Bellagre. Nucléus en quartz et production de divers petits éclats - l’un retouché (n° 5) - dans le même
matériau saccharoïde blanc. Industrie fraîche au stade 1.
Le peuplement paléolithique
0
5
14 - Gisement paléolithique de la formation T2 (Riss alpin), terrasse du Bellagre. Galets aménagés en quartz saccharoïde blanc. La pièce n° 2 est un petit galet partagé par
percussion posée, puis retouché sur un bord, mimant le grattoir. Industrie fraîche au stade 1.
85
86
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre III
0
3
15 - Gisement paléolithique de la formation T2 (Riss alpin), terrasse du Bellagre. Outillages en microgranite local (n° 1), en jaspe (n° 4) et en quartz blanc saccharoïde. Bec (n° 5)
et pièces épaisses à retouche a posteriori (n° 1), inverses ou bifaces (2 à 4). Industrie fraîche au stade 1.
Le peuplement paléolithique
0
3
16 - Gisement paléolithique de la formation T2 (Riss alpin), terrasse du Bellagre. Outils faiblement retouchés en quartz saccharoïde blanc, en lave acide (n° 5) ou en jaspe (nos 6
et 7). Courte retouche alternante et fréquemment inverse. Industrie fraîche au stade 1.
87
88
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre III
Cette industrie homogène est très probablement antérieure
au dernier glaciaire. Sous réserve d’autres éléments chronologiques plus sûrs, elle pourrait se rattacher à un moustérien
ancien du Riss ou de l’interglaciaire éémien, hélas fort mal
identifié en stratigraphie dans le Midi (Martzluff 2006). Le
mobilier associé à cet ensemble lithique se résume à une
plaque de chloritoschiste vaguement épannelée, 4 tessons
vernissés et 1 en porcelaine, 2 minuscules tessons à pâte
mal cuite et un petit fragment de tuile canal.
III.4 - Les formations würmiennes T1
Alors que, dans la basse plaine littorale du Roussillon,
les terrasses du dernier glaciaire sont pratiquement cantonnées au lit majeur actuel avec lequel elles se confondent,
voire sont masquées par les alluvions holocènes, elles ont
ici conquis un espace majoritaire perché au-dessus du fleuve d’une vingtaine de mètres. Comme dans le bassin du
Tech, le principal épandage du Würm est ici très proche
du niveau rissien. En rive droite, le haut niveau T1 forme
l’essentiel de la plaine d’Ille et s’étale en effet à moins d’une
quinzaine de mètres en contrebas du plan T2 des Escatllars
(alt. 175 m entre Ille et Bouleternère, 160 m à Ille et 130 m
à l’aval). Il s’agit d’une forte accumulation d’alluvions datable du premier pléniglaciaire würmien (Calvet, op. cit.).
Cette terrasse T1 touche en rive droite le lit majeur du
Boulès dont le cours avait déjà été dévié vers le sud. Nous
ne l’avons que très peu prospectée, les tests effectués
ayant été négatifs. Elle trouve son pendant en rive gauche,
dans la zone incendiée, sous forme de quelques lambeaux
accrochés aux flancs du versant granitique. Les surfaces
les mieux conservées sur cette rive bordant le plateau
de Montalba sont occupées par les sites médiévaux de
Casesnoves (alt. 160 m) et de Reglella (alt. 130 m) et donc
bouleversés par des habitats médiévaux. Deux replats T1
sont cependant attestés en amont de part et d’autre de
la confluence du Bellagre avec la Têt (alt. 180 m), immédiatement sous les restes de plan T2. Ils sont assez peu
lisibles et nous n’y avons quasiment pas trouvé d’industries préhistoriques. Sur la rive droite du Bellagre, le minuscule vestige de plan T1 a livré une poignée d’artefacts
en quartz, dont 4 éclats non usés et une pièce épaisse de
même roche à retouche biface, très roulée, qui rappellent
l’industrie de la proche terrasse T2. En face, sur le versant
dominant la Têt, au milieu de la friche du haut plan T1,
quelques quartz taillés atypiques et en bon état de fraîcheur sont associés à 4 tessons modelés.
III.5 - Les formations du second Pléniglaciaire würmien
et de l’Holocène
L’encaissement brutal de la rivière 20 à 25 m plus bas
se situe probablement après le premier Pléniglaciaire,
soit après 50 000 ans, et correspond à un phénomène
constaté par ailleurs dans la vallée du Tech, au niveau
du Boulou (Martzluff 2003) ou sur l’Agly, à Caramany
(Martzluff 1990). Cette incision caractérise donc des
fleuves côtiers au sortir des montagnes et forme ici avec
la Têt un véritable canyon après le défilé de la Guillera.
On ne sait trop quelle est la part d’héritage que doit cet
enfoncement à un sursaut tectonique ou à la forte variation eustatique (niveau marin à - 120 m) couplée à un
allègement de la charge sédimentaire du fleuve dans le
contexte d’un second Pléniglaciaire bien plus sec, autour
de 20 000 ans. Cette phase a laissé quelques banquettes
en position intermédiaire (deux plans successifs). Dans
tous les cas, les berges immédiates ont ici rétréci et, vers
l’aval, les surfaces alluvionnaires actuellement susceptibles d’abriter les traces d’habitats du Paléolithique supérieur se confondent quasiment avec le lit inondable
actuel (T0), lequel fut soumis à des crues extrêmement
violentes (Aiguat de 1940, par exemple).
IV - Le peuplement paléolithique de
la cuvette de Rodès
Il s’agit d’un compartiment de la vallée en Conflent
où le lit actuel du fleuve est très étroit et tendu entre les
deux verrous rocheux incisés dans le socle, celui d’amont
où est bâtie la chapelle Saint-Pierre (barrage de Vinça)
et le piton aval où s’ancre le château de Rodès (ill. 2). Le
petit bassin de Rodès a été excavé sur la rive droite dans
les accumulations détritiques du Tertiaire par un petit
tributaire dévalant du Canigou, le Riu Fagès ou rivière
de Rigarda, dont le régime est aujourd’hui celui d’un
oued. Au Pléistocène moyen (épisodes T4/T3), ce cours
d’eau pouvait déboucher directement dans la plaine du
Roussillon par le col de Ternère (M. Calvet, chap. II).
Ce secteur fut peu touché par les flammes (colline de
Rodès) et nous ne l’avons que peu prospecté. Toutefois,
la compréhension globale des industries répertoriées
lors de nos prospections dans la vallée ne peut ignorer
un cadre déjà tracé par les données publiées et sur lequel il faut revenir.
Le peuplement paléolithique
IV.1 - L’évolution des industries d’après les anciennes
recherches
Les copieuses industries « archaïques » du bassin de
Rodès avaient été données comme pré-acheuléennes
par Jacques Collina-Girard qui avait fait porter son
diagnostic sur la part éolisée des « stations » (CollinaGirard 1975‑76 et 1978). Yves Blaize, qui en est l’inventeur, a par la suite daté les séries altérées d’allure archaïque dans les débuts du Mindel (vers 600 000 ans), et les
autres séries « anté-würmiennes », dans un acheuléen
plus évolué du Riss final (Blaize 1985a, b, et 1987b).
Visiblement troublé par des concentrations livrant systématiquement des séries à différents stades d’altération
et d’usure pour une même altitude, il considéra d’abord
qu’il s’agissait d’un enfouissement plus rapide de certaines pièces (Blaize 1985a et b), puis qu’il valait mieux parler d’industries in situ que de stations (Blaize 1990).
C’est en effet plus raisonnable. L’érosion a logiquement
pu mélanger les artefacts anciens à ceux du bas de pente.
De plus, notre prospection du brûlis au sommet de la
butte tertiaire qui sépare le bassin de Rodès de la plaine
d’Ille, a permis de recueillir, sur les replats étalés au voisinage de l’ancien col de Ternère griffés par la sous-soleuse
lors des reboisements, quelques nucléus sur galets non
patinés et un débitage moustéroïde en bon état de fraîcheur qui ne présente pas de différences avec ce que l’on
trouve plus bas. Cela pourrait témoigner d’un parcours de
ces pentes chargées de matière première sur la très longue
durée. Toutefois, les recherches conduites par Yves Blaize
dans ce bassin pendant quarante ans ont montré qu’il
existait de véritables concentrations d’artefacts, tout à la
fois signifiantes de ces peuplements et d’une complexité
certaine quant à leur interprétation.
- La colline de Rodès
Les principaux gisements découverts anciennement se
focalisent en plusieurs sites sur le flanc de la butte tertiaire. Deux concentrations sont situées à mi-pente, entre 240 et 230 m d’altitude, l’une au-dessus du village
de Rodès, vers l’entrée des gorges de La Guillera (Los
Tourous, sites Rodès A et Rodès H‑H’, I‑I’), l’autre au col
de Ternère (Terra alba, sites Ternère B, C et D). La série
Rodès A regroupe 150 pièces éolisées et fortement patinées, dont 40 éclats. Elle provient, comme les concentrations voisines, d’un léger repli du versant dont le sol
rougi pourrait baliser l’ancrage d’une formation alluviale
ancienne au-dessus du village. Ce « niveau » situé sous la
côte 250 m a été attribué par l’auteur à une phase mindellienne ancienne sur la foi de très nombreuses pièces roulées ou très éolisées à patine orange sombre. La série usée
est cependant mêlée de toute évidence à des artefacts de
même type, mais non patinés et bien plus frais.
L’industrie du col de Ternère regroupe 300 pièces
concentrées à la même altitude dans les ravinements d’un
substrat tertiaire « arkosique ». Aux « galets aménagés »
s’ajoutent des éclats tout aussi érodés. L’absence de patine est analysée ici comme résultant d’une carence en
oxydes ferriques dans les sables feldspatiques tertiaires.
L’inévitable série fraîche comprend aussi deux racloirs en
jaspe et un nucléus en silex plus clairement moustériens
(Ternère D).
Bien en contrebas de cette ligne des 240-230 m, les
concentrations D et L touchent un replat plus étendu et
aujourd’hui urbanisé, qui s’étale entre les côtes 220‑215 m
au voisinage du cimetière du village. Cette formation de
Los Tourous a été interprétée par l’inventeur comme un
reste d’un plan T3 fini mindélien (Blaize 1987b) surmontant immédiatement un mince lambeau rissien T2.
Ces lots comprennent 25 galets aménagés éolisés dont la
patine « orange vif » a été notée comme exceptionnelle,
comparée à celle des industries supposées représenter ce
niveau. En effet, la série de Rodès E‑E’, présentée comme de l’Acheuléen supérieur, compte aussi de nombreux
choppers, des racloirs, encoches et pièces « bifaçoïdes »
non patinées et peu éolisées. Légèrement en contrebas,
sont mentionnées deux autres concentrations J et K dans
« une colluvion issue de la terrasse T2 sur T1 » (industries non décrites).
- La formation T2 du Riu Fagès
Sur le plan de Los Puigs baixos (alt. 230 m, fig 2), 15
galets aménagés sans éclats associés ont été récoltés par
ce chercheur (pas de descriptions, en particulier des patines). Ils complètent les découvertes faites sur ce même
versant du bassin par Jean Abélanet, à la même altitude,
mais près du col de Conillac/Saint-Pierre par où passe
la départementale (sites notés Saint-Pierre 1 et 2). Par
la suite, des sols rubéfiés situés en amont, vers la côte
245 m, livrèrent 12 pebble tools (non décrits). Ces gisements furent détruits lors du déplacement de la route
nationale faisant suite à la construction du barrage
(Blaize 1990).
89
90
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre III
- Rive gauche de la Têt, le gisement moustérien des Ànecs
Sur le versant sud du plateau granitique, face au défilé de Sant Pere, le même chercheur découvrit en 1970
une industrie sûrement moustérienne dans une vigne
perchée au-dessus du fleuve sur un décrochement rocheux qui avait conservé un lambeau sédimentaire
« résiduel de teinte rougeâtre ». Ce site des Ànecs fut
détruit en 1974 par les travaux de terrassement du barrage. Les 2 300 pièces de faible dimension comptent des
petits nucléus Levallois et des éclats retouchés typiques
à denticulés dominants. Au côté des quartz, les matériaux utilisés sont des quartzites, des jaspes du Canigou
et du silex dont il a été trouvé, lors des travaux, un dépôt de 40 petits rognons pas plus grands que 6 cm gisant sur une surface de 2 m2 (Blaize 1990). L’étude de
la série conservée à Tautavel indique la présence unique de quartzite gris, de jaspe et de phtanite (?) locales
(Duran 2002).
IV.2 - Problèmes chronologiques soulevés par les terrasses Quaternaires
à Rodès
Bien qu’il soit périlleux de s’appuyer sur l’altitude absolue des formations quaternaires (compte tenu de pentes
longitudinales fortes), tout comme sur la typologie des
industries de surface, pour établir une chronologie, il est
nécessaire de mettre le doigt sur quelques aspects problématiques soulevés par les interprétations qui en ont
été faites.
Les replats sommitaux des accumulations tertiaires
qui compartimentent la vallée à Rodès et Vinça avaient
été attribués à un « Plioquaternaire », puis à un postPliocène sur la carte géologique de Prades au 1/80 000
(Autran et alii 1968), car le flanc occidental est enrichi en
galets de quartz patinés qui ne peuvent pas être rapportés au Pliocène terminal. Marc Calvet pense que ces galets erratiques pourraient provenir de colluvions libérées
par d’anciennes formations quaternaires ayant nappé le
plan tertiaire vers 300 m lors d’une période très reculée
(M. Calvet op. cit. supra et ill. 2). En face, vers le sud, un
lambeau de haut niveau quaternaire perché sur le versant
paléozoïque du Canigou, vers 270 m, sous Domanova,
est donné sous toutes réserves comme T3 (Calvet, op. cit.
supra). Un âge plus ancien n’est peut-être pas impossible,
compte tenu de ce qui suit.
En effet, emboîté dans le Pliocène, le puissant épandage du cône affluent de la rivière de Rigarda, où s’encaisse actuellement le Riu Fagès, est bien conservé sur sa
rive gauche (site de Los Puigs Baixos). Yves Blaize avait
corrélé cette formation et ses rares industries au plan T3
(Blaize 1990). Près du pont du chemin de fer, une belle
coupe, haute d’une quinzaine de mètres laisse apparaître,
dans des sédiments rougeâtres, la racine altérée de ces dépôts. La surface est cependant riche en schistes et pauvre
en galets de quartz. D’après Marc Calvet, elle se raccorde
au plan T2 de la Têt. Cette accumulation semble trouver
un écho plus loin vers la confluence, au col de Sant Pere
de Conillac dans le contexte de placages argileux rouges
situés à la même altitude ou même un peu plus haut et livrant le même type de galets aménagés. Mais le problème
est que cette formation T2 des Puigs Baixos est logée à
240‑230 m, c’est-à-dire au même niveau, sous la côte des
240 m, où des concentrations d’industries acheuléennes
plus ou moins patinées ont été répertoriées juste en face,
au-dessus du village de Rodès, dans un contexte de sols
rougis dont nous avons également parlé pour le versant
dominant la plaine d’Ille-sur-Têt vers la même altitude.
Et en effet, les reliques sédimentaires liées à ces concentrations d’artefacts sont bien plus hautes et visiblement
plus anciennes (en réalité probablement rapportables à
un épisode T3) que les alluvions T2 de la Têt.
Or, à Rodès, c’est sur le petit replat des Tourous, logé
près du cimetière autour de 218 m, qu’il faut voir un
reste de terrasse T2 (ill. 2). Cela suppose donc sur une
distance de 500 m une pente importante de 2,2 % du
cône affluent entre Los Puigs Baixos et Los Tourous. Au
village de Rodès, cette formation est très proche du
plan T1 qui n’a rien donné ici de préhistorique en rive
droite. Par contre, sur l’autre rive de la Têt, la terrasse
des Ànecs, aujourd’hui détruite et qu’Yves Blaize hésitait à rapprocher du Würm, est attribuée au premier
plan T1 par Marc Calvet (+ 15 m de l’étiage, alt. 210 m,
d’après le plan de masse du barrage de Vinça). Puisqu’il
s’agit de la formation du Würm ancien qui fut suivie
d’un encaissement rapide du fleuve après le premier
Pléniglaciaire, entre 60‑40 000, comme partout ailleurs,
ce campement préhistorique ne pourrait donc être que
très tardif et cela peut être mis en rapport avec les matières premières (abondance des silexites) et la typologie de l’industrie moustérienne (caractère diminutif et
mode Levallois).
Le peuplement paléolithique
V - Le peuplement paléolithique du
bassin de Vinça et des berges du barrage sur la Têt
Une partie de cet espace déborde un peu du cadre cartographique présenté sur la carte, mais ne peut s’en séparer pour une compréhension globale. Il n’a été touché par
l’incendie qu’en rive gauche de la Têt, sur le versant sud
très abrupt du plateau de Tarerach, à la Coma d’Outreilla
(ill. 2). En rive droite, les alluvions quaternaires forment
donc un autre compartiment de la vallée du Conflent,
logé entre l’échine tertiaire de Conillac-Puigs Baixos s’appuyant sur le verrou granitique de Sant Pere où s’ancre
le barrage, vers l’est, et celle de Vente Farine – Serrat d’en
Molins, dominant vers l’ouest le ravin de la Lentilla et s’accrochant sur le piton cristallin du Castello. L’encaissement
du bassin entre les croupes tertiaires est sans doute dû à
un creusement de la Lentilla, avant que cette rivière ne
soit captée par le Llech, coulant à l’ouest, au cours du
Würm (T1). L’érosion fluviatile n’a ensuite que peu touché cette cuvette drainée par trois modestes ruisseaux :
Le Real-Sahorle, Les Escoumes et Le Conillac.
Mis à part la présence de quelques rarissimes galets de
quartz teintés d’une patine jaune pâle en position secondaire sur la terrasse T1, le long du fleuve, les industries
lithiques de ce bassin sont produites à partir de galets
de quartz ou quartzites non altérés et de galets de jaspes
ferrugineux issus de la vallée du Llech-Lentilla
V.1 - Les hautes terrasses du bassin
En amont, vers le sud et le village de Joch, un glacis T1
dérivant du piémont du Canigou ainsi que des sols limoneux bruns nappent les hautes formations alluviales de la
Lentilla qui sont rapportées au plan T2 et qui sont visiblement découplées en plusieurs niveaux jusqu’au village de
Vinça, entre les côtes 310 et 250 m, à partir de laquelle
s’étalent les nappes T1 de la Têt. Ce plan n’a pas été prospecté. Vers l’est, au débouché des gorges de la Lentilla à
Finestret et à sa confluence actuelle avec le Llech, dans la
commune voisine d’Espira-de-Conflent, une haute terrasse de la rive gauche (alt. 330‑350 m) est également donnée
comme rissienne. Elle s’emboîte dans des accumulations
détritiques du Néogène témoignant du démantèlement
des filons de quartz et de jaspes issus des affleurements
paléozoïques situés dans ce contrefort du Canigou, entre
Prades et Vinça. Cette terrasse altérée, dont les surfaces
aux sols rougis ont presque partout été nivelées au bulldozer, livre de gros galets de jaspes ainsi qu’une industrie
taillée dans ce matériau et dont les états de surface sont
très divers, quelques artefacts étant très usés.
Les industries récoltées par Yves Blaize sur ces reliefs
représentent actuellement la limite amont de la présence
de l’homme fossile sur les sites de plein air en Conflent
(Blaize 2005). Ces prospections ont permis de réunir un
lot de 468 pièces, dont 330 éclats de petite taille et 6 lames (fortuites). Ces pièces sont dispersées, parfois trouvées en coupe dans les ravins. Les états de surface sont très
divers : très usés pour 15 éléments, mais le plus souvent
en assez bon état de fraîcheur, quoique parfois gélifs, patinés ou fracturés et faiblement roulés. Cette industrie est
liée à la présence abondante de matière première et témoigne d’une fréquentation de cette formation sur un temps
long, quoique plutôt centrée sur la fin du Riss (« Riss III »
d’après l’auteur). Elle correspond tout à fait à l’ambiance
moustérienne des autres industries du bassin de Vinça,
qui sont moins bien identifiables cependant, car taillées
dans les quartz, mais qui sont peu usées et comportent
une faible part de galets aménagés-nucléus.
V.2 - Barrage de Vinça, les sites paléolithiques des terrasses würmiennes
Les industries trouvées autour du barrage de Vinça et
dans le ravin de Conillac participent de la même ambiance « moustéroïde » : nombreux éclats de faible dimension
en roches locales (quartz principalement et quelques
jaspes), aspect frais et non patiné des cortex et des enlèvements, supports plus fréquemment retouchés (denticulés surtout), faible représentation des galets aménagés
(ill. 17 et 18). Le débitage Levallois n’est cependant pas
bien attesté alors que la pièce esquillée est présente.
- Les formations inférieures des ruisseaux affluents
Les petits affluents de la Têt qui drainent le plateau de
Vinça débouchent dans le fleuve sur la haute terrasse würmienne (plan T1). À l’est et au centre, ils s’encaissent dans
le Tertiaire et ont été barrés pour une mise en eau. Les berges du ravin de Conillac, quoique partiellement raclées par
des engins mécaniques lors de la création de la retenue, recèlent un gisement localisé sur la rive gauche, en amont des
aménagements (ill. 17). Le lac des Escoumes n’est jamais vidangé, car l’alimentation de ce site balnéaire touristique est
faible. Les berges sont donc inaccessibles en permanence.
91
92
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre III
17 - industrie moustéroïde de la terrasse T1, sites de Conillac et de Nossa, autour du barrage de Vinça.
Le peuplement paléolithique
18 - industrie moustéroïde de la terrasse T1, sites de Conillac et de Nossa, autour du barrage de Vinça.
93
94
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre III
Par contre, les berges du ruisseau de Sahorle ont donné
une rare industrie moustérienne fraîche et diminutive sur
éclats de quartz et de jaspe, depuis l’amont (Cuscullera)
jusqu’à leur jonction avec le lac de barrage sur la Têt
(Donnets). La dispersion de ces vestiges liés aux alluvions T1 d’une paléo-Lentilla doit être mise au compte
des aménagements agricoles dont nous avons parlé.
- Les berges de la Têt ennoyées par le barrage
La construction du barrage de Vinça, au milieu des années 1970, n’a pas donné lieu à des fouilles de sauvetage.
Avec d’autres disparitions probables, celle du gisement
des Ànecs fut un dommage à déplorer. C’est d’ailleurs
ce qui poussa l’Association Archéologique des P.-O., à
la fin des années 1980, à entreprendre des prospections
méthodiques lors des études d’impact du barrage d’Ansignan-Caramany, avec les résultats spectaculaires que l’on
sait pour les sondages et les fouilles de sauvetage réalisées
par l’AFAN et l’AAPO, dans une vallée où rien n’était
connu antérieurement.
Le barrage de Vinça écrête les crues de printemps ; il
est vidé chaque année à la fin de l’été, ce qui permet en
hiver la prospection systématique des berges sur la zone
de marnage des eaux, celle-ci occupant sur les deux tiers
amont tout l’espace de la vallée jusqu’au lit actuel, alors
que le tiers aval, plus encaissé vers les gorges de Sant Pere,
reste toujours en eau jusqu’à la basse terrasse. Trois raisons nous ont poussé à étendre nos prospections dans
cette zone touchant l’incendie à la marge, en rive gauche.
La première est une lisibilité supérieure à celle des brûlis
pour la détection du lithique, bien que le lessivage des fines ait conduit à leur dépôt dans des dépressions boueuses, boues qui colmatent également l’ancien lit majeur.
La seconde est que les petites propriétés installées sur la
haute terrasse würmienne (plan T1) n’ont jamais subi les
remaniements au bulldozer, les labours profonds et les
passages du rotovator, constatés partout ailleurs dans la
vallée. Enfin, comme la haute terrasse T1 domine de très
près le fleuve dans un secteur très favorable, bien abrité
du vent dominant, il paraissait utile de tester ces berges
pour voir si l’absence des industries du Tardiglaciaire
était pareillement avérée ici.
C’est bien le cas sur ce point précis : aucun signe du
Paléolithique supérieur ! Mais ce résultat ne peut être
totalement validé. Nous avons en effet remarqué d’importantes perturbations affectant de vastes secteurs sur
les deux rives. Ces perturbations sont marquées par des
voies réalisées avec de très gros engins mécaniques et par
le remodelage des versants, bien balisés par les alluvions
prélevées dans le lit actuel de la Têt lors des travaux du
barrage. Ces alluvions comportent en effet des décombres
roulés avec de la brique mécanique et, surtout, de nombreux fragments de laitier provenant de l’exploitation des
hauts-fourneaux de Ria, depuis la fin du XIXe siècle. Ces
galets particuliers n’existent pas dans les anciennes formations T1, bien entendu. L’absence de tessons vernissés
rapportables aux mises en culture du XIXe siècle, comme
celle des murettes liées aux épierrements, permet par
ailleurs de suspecter des perturbations mineures de cet
ordre sur certains points paraissant moins touchés. Un
contrôle sur les photos aériennes prises au moment des
travaux sur le barrage a confirmé la pertinence des observations de terrain et permis de mieux cibler les zones
peu perturbées (cf. carte des zones remaniée ill. 1). Il en
ressort que seule une partie de la haute terrasse est digne
d’intérêt, les bas niveaux würmiens et holocènes, compris
dans le lit majeur, étant tous détruits ou illisibles (figurés
sur l’emprise du barrage, ill. 2).
En rive droite, sur un replat qui longe l’ancienne route
nationale, de part et d’autre du ravin où s’encaisse le ruisseau de Sahorle, se trouvent quelques pièces d’une industrie très faiblement usée, sur éclats de quartz et de jaspe,
mais très dispersée. Elles rappellent les éléments moustériens trouvés en amont dans les parcelles cultivées. Le
segment central de la rive droite, de part et d’autre du
déversoir des Escoumes, est aménagé par des feixes. Plus
abrupt, il a été remodelé par les travaux sur la partie
haute et n’a livré par ailleurs qu’un ou deux éclats frais
qui ont le même aspect que les précédents. Finalement,
deux points remarquables, situés aux deux extrémités
du barrage, méritent un signalement. L’un se trouve en
amont, au débouché de la Lentilla, sur un lambeau de
haute terrasse T1 situé pratiquement au niveau des plus
hautes eaux, vers la côte 240 m. Sur ce replat, quelques
anciennes vignes ont été peu lessivées par les eaux et ont
livré en surface un ou deux éclats frais en quartz laissant
supposer une meilleure conservation des gisements. Il se
prolonge le long de la Têt, jusque sous le pont de la route
de Tarerach, dans un secteur très touché par les travaux
d’aménagement, mais où restent quelques lambeaux stratigraphiques en place. Le fleuve est ici encaissé dans le
socle granitique sur plus de 10 m.
Le peuplement paléolithique
L’autre espace remarquable, hélas situé dans un secteur
fort remanié lui aussi, se trouve en aval, entre le débouché du ravin de Conillac et le défilé rocheux où est implanté le barrage. On y trouve d’abord une belle coupe
dans l’entaille creusée par le débouché du ruisseau dans
la Têt. Latéralement, une poignée d’artefacts participe de
la même industrie moustéroïde trouvée par ailleurs (débitage, états de surface). Plus loin, un piton granitique se
détache du versant et émerge des eaux à l’entrée des gorges. Cette éminence conserve un bourrage sédimentaire
induré et très altéré coincé dans les fissures du rocher et
un lambeau de sol qui relie son sommet au versant. Aux
alentours gisent quelques artefacts dispersés légèrement
usés (stade 2). Une murette sépare le replat sommital en
deux enclos. Dans l’un d’eux apparaît une structure circulaire faite de très gros galets plantés et que l’érosion a
dégagée. Dans les murs et au sol gisent des débris où des
éclats frais débités par percussion posée sur enclume à
partir de gros galets de quartz, sans autre indice qu’une
grande quantité de ces produits conservés sur place jusqu’à des dimensions diminutives. L’absence de céramique
modelée permet d’envisager un âge ancien pour ces éléments étranges et azoïques en surface.
Sur la rive gauche, une source d’eau sulfureuse (ravin
de Caldes, près du pont de Tarerach) avait été aménagée
au XIXe siècle par un petit établissement balnéaire : les
Bains de Nossa (Tosti 1987). Ces bâtiments, comme
l’ancien pont, ont été détruits par les travaux du barrage.
Sur la terrasse T1 qui domine la Têt, s’accrochent encore
quelques souches des haies de cyprès, jusqu’à l’ancienne
route. Un géologue de l’université de Perpignan, F. Gadel,
proche parent des propriétaires, avait constitué une petite collection provenant des feixes établies sur ces terrains,
mais plus haut sur le versant (lieu-dit Mare de Deu). Il
nous avait confié l’un des éléments qu’il pensait être un
biface. Il s’agit d’un nucléus que nous lui avons restitué
après l’avoir dessiné (collection Gadel, ill. 18).
Le lieu est assez remarquable. Il s’étale sur un replat très
partiellement nivelé jusqu’à un piton de granite détaché
du versant et autour duquel s’enroulait un paléo-lit du
fleuve (flèche bleue, ill. 2). À cet endroit, en bas de pente,
coulait une source, qui est encore utilisée aujourd’hui par
les habitants de Vinça, quoiqu’elle jaillisse désormais au
milieu des enrochements qui soutiennent la nouvelle voirie. Ces enrochements ont totalement masqué les éboulis
qui formaient un chaos très propice à l’habitat au ras de
la terrasse. Ce relief est mieux conservé vers l’aval où est
implanté un remarquable abri sous-roche (ill. 2). Sur la
berge gauche de cet ancien lit, qu’emprunte la vieille route
de Tarerach, un bourrelet caillouteux a livré une industrie
moustéroïde (ill. 18). L’absence de vestiges liés à d’autres
périodes et la présence d’éclats de retouche montrent que
ce lot relativement homogène se trouve en place, quoique
lessivé par les eaux. Hélas ! la partie la plus intéressante
du gisement, celle qui se développait vers le bas de pente,
fut raclée pour construire la nouvelle route. Ensuite, les
terrains situés vers l’aval, le long de la berge, ont été très
perturbés par les travaux du barrage, puis deviennent très
abrupts et rocheux.
VI - Bilan de la recherche :
une meilleure approche spatiale du
Paléolithique régional
Replacées dans leur contexte géomorphologique et dans
l’historique des recherches, ces prospections, conduites
sur un très vaste espace entre plaine du Roussillon et
montagnes du Conflent, ont permis de préciser l’état de la
documentation sur le peuplement paléolithique régional.
VI.1 - Pas de Pebble culture, ni d’industries très archaïques entre Roussillon et Conflent
Les industries attribuables à l’Acheuléen ancien, disons
celles qui seraient antérieures à un demi-million d’années
– déjà rares dans la plaine littorale du Roussillon et généralement déplacées sur des formations alluviales plus
récentes (Martzluff 2004) – ne sont pas représentées ici,
le cas de Mata Rodona n’ayant pu être vérifié dans le cadre de cette prospection. On peut encore moins parler
de Pebble culture, bien entendu. Les alluvions quartzeuses très patinées et carénées par le vent qui sont sensées
accompagner les plus anciennes industries manquent
également, sauf sur le plateau de Montalba. Bien que les
premiers remplissages quaternaires fassent donc défaut
dans ce secteur, l’érosion n’en a toutefois pas gommé toute
trace. Dans le bassin de Rodès, ces reliefs semblent avoir
été vidangés moins brutalement par des crues directes de
la Têt qu’en amont de Vinça ou que dans la plaine d’Illesur-Têt, vers l’aval, du moins si l’on en croit la présence
erratique d’industries patinées et éolisées sur galets. Il est
toutefois erroné de parler d’industries « archaïques préacheuléennes » pour les séries trouvées dans ce contexte.
95
96
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre III
En tout état de cause, l’Acheuléen n’est pas connu en
stratigraphie à l’est des Pyrénées et sur leurs marges
avant 700 000 ans. Seul le gisement d’Atapuerca, près de
Burgos, témoigne d’une présence plus ancienne de l’homme fossile vers 1,2 Ma.
VI.2 - Les premiers peuplements discernables d’un
Acheuléen accompli
C’est donc un Acheuléen plutôt terminal et bien mieux
attesté dans la plaine littorale sur différents niveaux de
terrasses T3 où il se trouve parfois in situ, qui apparaît
dans le bassin de Rodès. Il s’agit d’une industrie sans
vrais bifaces, mimant la Pebble culture archaïque dans
un faciès opportuniste qu’il faut associer à l’utilisation
massive des galets de quartz locaux et que nous avons
proposé d’appeler « Tautavelien » (Martzluff 2006). Un
lot conséquent de galets aménagés, à patine orangée et
d’éclats éolisés, se trouve à Rodès en position secondaire, hors de son contexte du Pléistocène moyen (fin du
Mindel alpin), lequel a disparu des formes de relief, si
l’on excepte peut-être quelques chicots résiduels dans la
vallée du Riu Fagès.
Signalée depuis près de quarante ans, cette série altérée
et usée d’artefacts en quartz ou en jaspes locaux se focalise donc sur une lanière de sols rougis difficiles à identifier à Rodès et sur sa correspondance au long du flanc de
l’échine pliocène enrichie en galets de quartz qui forme le
substrat collinaire du bassin. Au même niveau, le statut
de quelques galets aménagés roulés et de quelques éclats
faiblement usés, qui ont été tirés de galets de quartz ou
quartzite non patinés, demande à être précisé. Ces industries sont libérées par des remplissages sédimentaires
altérés, situés autour de la côte 240‑230 m, sur la colline
sédimentaire qui sépare le bassin de Rodés de la plaine
d’Ille-sur-Têt. En effet, que ce soit au col de Ternère, ou
près des gorges de La Guillera, ces plaquages de sols argileux rougis, toujours très proches des arkoses pliocènes
ou associés à des chenaux bourrés de galets quartzeux
non patinés pouvant provenir du substrat tertiaire, pourraient se rapporter à la jonction des paléo versants avec
les nappes alluviales fantomatiques du plan T3.
Les traces de peuplements acheuléens existent aussi
sur des formations données comme rissiennes, à la fois
en rive gauche du Rigarda à Rodès (Puigs Baixos) ‑ mais
cet épandage semble plus ancien que les niveaux T2 de
la Têt - et sur une haute terrasse du Llech, à Espira-de-
Conflent, en limite du bassin de Vinça. Sur cette dernière, une poignée d’artefacts extrêmement usés est associée
à un lot plus conséquent de pièces moustéroïdes fraîches
sur un gisement de galets de jaspes férugineux locaux,
très abondants dans les colluvions néogènes du piémont.
La présence de ces matériaux dans les niveaux d’habitat
du complexe moyen à Tautavel prouve que cette source
de matière première était déjà exploitée à partir de ces
gîtes secondaires du bassin de la Têt, au moins entre 500
et 300 000 ans.
Cependant, tous les gisements où ces industries se
trouvent plus ou moins concentrées font état de mélanges systématiques, pour peu que l’on tienne compte des
états de surface de chaque série et c’est bien pourquoi
les études typologiques globales qui en ont été faites
sont une source de confusion (Collina-Girard 1975‑76,
1978 ; Blaize 1985a et b, 1987b, 1990). En effet, les défilés rocheux et les cols, en particulier celui de Ternère,
constituent des passages obligés pour les faunes, lieux
très favorables à des campements de chasse, vraisemblablement renouvelés sur le temps long. Autre élément attractif : l’enrichissement des échines tertiaires en galets
de quartz, en particulier un quartz saccharoïde proche
du quartzite, alors que les terrasses quaternaires, finalement bien conservées à partir de la phase « rissienne » T2, n’en comportent en réalité que fort peu, et les
épandages würmiens encore moins. L’abondance des galets de jaspe dans le Néogène d’Espira participe à cette
attractivité.
Ce qu’il faut finalement retenir, c’est que les vestiges acheuléens balisent une sorte de frontière passant
par les bassins de Rodès - Vinça (Blaize 1985a, 1985b,
1987, 1990) et en amont de laquelle le premier peuplement des vallées pénétrant les massifs montagneux
est brusquement occulté en surface, comme c’est le cas
en Vallespir après le Boulou (Martzluff 2003, 2007b),
ou encore dans la vallée de l’Agly, au-delà du bassin de
Caramany-Ansignan (Martzluff 1990). C’est donc bien
l’érosion qui en a gommé les traces en faisant disparaître
la quasi-totalité des formations alluviales antérieures au
dernier glaciaire.
D’ailleurs, la fréquentation du plateau de Montalba
lors du Paléolithique inférieur L. S., est attestée bien
plus haut, vers 450 m d’altitude, sous forme de quelques éclats épars, rongés par l’altération et l’éolisation.
Elle est très vraisemblablement antérieure au Riss.
Le peuplement paléolithique
Par hypothèse, les éléments plus volumineux de type
Pebble culture qui devraient s’y retrouver en plus grand
nombre qu’un ou deux artefacts presque totalement déformés par l’érosion, auront été émiettés par le gel sur la
surface du plateau et éolisés lors des phases froides des
deux derniers glaciaires alpins, pendant lesquelles ont
été surcreusées les dépressions. Les patines violacées
d’une partie des quartz résiduels sont la preuve d’une
longue météorisation sur place des secteurs déprimés
pendant le Pléistocène moyen alors que les versants
plus adoucis des paléo-vallées pénétrant le massif offraient sans doute des reliefs favorables à ce peuplement
(ill. 4 à 10 et cartes).
VI.3 - Les abondantes industries « moustéroïdes », entre Riss et Würm alpins
Les industries faiblement éolisées et non patinées, le
plus souvent très dispersées, qui intègrent un débitage
discoïde et parfois Levallois pour la production d’éclats
de modeste dimension, quoique non diminutifs (entre 6 et 3 cm), sont désormais attestées sur le plateau
de Tarerach et de Montalba, comme c’était le cas dans
le bassin de Rodès et de Vinça où elles sont associées
à un débitage discoïde ou Quina et à des nucléus opportunistes sur galets, mimant la Pebble culture. Elles
comprennent une part de jaspe ferrugineux qui peut aller jusqu’à être majoritaire près des gisements de cette
roche, par exemple à Espira-de-Conflent, en surface
et dans des coupes de la terrasse donnée comme T2
(Blaize 2005). Curieusement, il n’en reste que quelques
rarissimes traces dans la plaine d’Ille, sur le lambeau de
niveau T2 des Escatllars logé entre la Têt et le Boulès,
cet interfluve ayant sans doute été peu attractif. Elles
sont de même type et présentent les mêmes états de
surface que celles identifiées dans la plaine littorale, en
particulier dans le bassin du Réart, dans un contexte où
l’approvisionnement en galets de quartz était plus facile
(Martzluff 2004, 2006).
La présence de stations en place ne peut pas être déterminée, sauf sur deux sites liés à « l’événement majeur » qu’a constitué en montagne la glaciation rissienne.
L’un se trouve près du cimetière à Rodès (E’) sur un vestige assez bas de plan T2 (cimetière) et comporte aussi
des outillages patinés venus du versant (Blaize 1990).
L’autre semble bien mieux conservé à Ille-sur-Têt sur un
lambeau de terrasse T2 situé en rive gauche, sur le flanc
abrupt du plateau de Montalba, à la confluence avec le
Bellagre. Compte tenu du contexte et de l’homogénéité
typologique des restes copieux et non patinés de l’industrie lithique, ce dernier gisement est même relativement
exceptionnel (ill. 12 à 16).
Un autre problème est posé par la haute terrasse T1
du bassin de Vinça, aujourd’hui ennoyée par le barrage. En effet, deux gisements ont livré des industries en
quartz d’allure archaïque, très peu usées et non patinées,
parfois bien concentrées (Conillac et Nossa). Elles devraient théoriquement être plus récentes que le premier
Pléniglaciaire würmien. Le débitage Levallois y est rare
(ill. 17 et 18) et elles font appel à la technique de la pièce
esquillée. La présence d’éclats retouchés ainsi que celle
de minuscules enlèvements permet d’envisager un très
faible déplacement post-dépositionnel.
C’est bien pourquoi il est quand même extrêmement
périlleux de proposer une attribution chrono-culturelle
précise pour l’ensemble de ces séries d’artefacts « moustéroïdes », d’autant que la référence stratigraphique la
mieux documentée, celle de la Caune de l’Arago, offre
justement peu de certitude typologique pour la séquence que nous envisageons à la transition entre l’Acheuléen et le Moustérien (lambeaux de remplissage entre
les planchers stalagmitiques du Complexe terminal, ensemble 4, « rissien », cf. Martzluff 2006). Cette phase du
peuplement régional, sans aucun doute très étalée dans
le temps, demeure donc très floue (ill. 19).
Ce sont toutefois ces industries peu usées et sur éclats
de roches locales qui apparaissent comme les plus abondantes et les mieux conservées en surface sur l’ensemble de la vallée. Elles peuvent se mettre en rapport avec
une fréquentation comprise entre un Acheuléen final du
Riss et un Moustérien ancien dans les épisodes ultimes
de cette séquence alpine (entre 300 et 150 ka), voire jusqu’à un Moustérien accompli au début du dernier glaciaire et pendant l’interstade qui le précède (éémien vers
120 ka). C’est en tout cas un peuplement qui a été moins
oblitéré que les précédents et les suivants, mais qui semble ne pouvoir offrir, d’après ces prospections, qu’un seul
gisement éventuellement conservé en sous-sol. Et c’est
tout à fait regrettable, car le Paléolithique moyen régional n’est correctement connu en stratigraphie dans les
gisements troglodytes des deux côtés de la chaîne, que
dans ses moments terminaux (stades isotopiques 4 à 3,
vers 60-30 ka).
97
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre III
707 m
Soclegranitique
granitique
et intrusions
cristallines
associées
Socle
et intrusions
cristallines
associées
aux
gneiss
de la Catazone
et de la Mésezone
aux gneiss
de la Catazone
et de la Mésozone
1 2
de Jujols-Canaveilles et schistes à chlorite de l'Épizone
Calcaires,
et calcschistes
du Dévonien,
Calcaires,poudingues
poudingues
et calcschistes
du Dévonien,
Calcaires et marnes noires du Secondaire
e
Calcaires et marnes noires du Secondaire
Molasses
Néogène
et alluvions
Molassesdudu
Néogène
et alluvions
quaternaires
terrasses
quaternairesdesdes
terrasses
Principaux
sommets
Principaux
sommets
Principaux
de plein
air air
Principauxsitessites
de plein
Sitesen en
grotte
ou abri
Sites
grotte
ou sous
sous abri
e
ièg
Ar
CORBIÈRES
CORBIÈRES
FENOUILLÈDES
de
Au
2469 m
3
8
7
17
21
22
ANDORRE
CONFLENT
art
Re
24
20
26
VALLESPIR
VALLESPIR
2465 m
Étang
de
Canet
25
h
c
Te
27
28
2881 m
15
23
1307 m
Canigou
2785 m
2897 m
16
18
19
ROUSSILLON
780 m
6
CERDAGNE
Segre
11
9
y
Agl
SALANQUE
12 Tet
ASPRES
Carlit
2921 m
14
13
10
750 m
5
4
782 m
1314 m
CAPCIR
N
Étang
de
Salses
MER MÉDITERRANÉE
Micaschistes
et roches
métamorphisées
diversesdiverses
Micaschistes
et roches
métamorphisées
(intercalations
de de
marbres,
quartzites,
cornéennes...)
(intercalations
marbres,
quartzites,
cornéennes ...)
Schistes
de
l’Ordovicien
et
du
Cambrien,
dits dits
Schistes de l'Ordovicien et du Cambrien,
de Jujols-Canaveilles et schistes à chlorite de l’Épizone
Au d
98
ALBÈRES
1256 m
1450 m
2910 m
GENERALITAT DE CATALUNYA
1394 m
25 km
Michel Martzluff
PRINCIPAUX SITES DU PALÉOLITHIQUE ANCIEN ET MOYEN DES PYRÉNÉES-ORIENTALES
N°10: :Grotte
terrasses
Millas,(Corbère-les-Cabanes),P.M.
P.A.-P.M.
N°1
de l’Arago
l'Arago(Tautavel),
(Tautavel),
Paleo
Anc.-Moy. N°11
N°1:: Caune
Caune de
Paléo
Anc.-Moy.
de de
Montou
N°11: :terrasses
Grotte dedeMontou
(Corbè-les-Cabanes),P.M.
N°2
terrasseduduVerdouble,
Verdouble,
N°2:: haute
haute terrasse
P.A.P.A.
N°12
Baho-Saint-Estève,
P.A.-P.M.
N°12: :La
terrasses
de Baho-Saint-Estève,
P.A.-P.M.
N°3
terrassededeCaramany,
Caramany,
P.A-P.M.
N°3:: haute
haute terrasse
P.A-P.M.
N°13
Llabanère
(Perpignan), P.A.-P.M.
N°13: :terrasse
La Llabanère
(Perpignan),
N°4
d'Estagel,P.M.
P.M.
N°4:: terrasse
terrasse d’Estagel,
N°14
du Robol,
P.M. P.A.-P.M.
N°14: :terrasse
terrassede
duCanet-Saint-Nazaire,
Robol, P.M.
N°5
Julieta(Salses),
(Salses),
P.M.
N°5:: La
La Julieta
P.M.
N°15
P.A.-P.M.
N°15: :terrasses
terrasse de
de Canet-Saint-Nazaire,
N°6
delMitg
Mitg(Villefranche-de-Conflent),
(Villefranche-de-Conflent),
N°6:: Cova
Cova del
P.M.P.M. N°16
Cabestany, P.A.-P.M. P.A.-P.M.
N°16: :terrasse
terrassesdedelaCabestany,
P.A.-P.M.P.A.-P.M.
N°7
(Vinçca),
P.M..
N°7:: Les
Les Anecs
Anecs (Vinça),
P.M.
N°17
Basse (Perpignan),
N°17: :site
terrasse
de la Basse
(Perpignan),
P.A.-P.M.
N°8
Ternère(Vinça),
(Vinça),P.A.-P.M.
P.A.-P.M.
N°8:: Col
Col de
de Ternère
N°18
du Petit-Clos
(Perpignan),
P.A.-P.M.
N°18: :terrasses
site du Petit
Clos (Perpignan),
N°9
d'Ille-sur-Têt,
P.A.-P.M.
N°9:: terrasses
terrasses d’Ille-sur-Têt,
P.A.-P.M.
N°19
du Réart,
P.A.-P.M. P.A.-P.M.
N°10 : terrasses de Millas, P.A.-P.M.
N°19 : terrasses du Réart, P.A.-P.M.
N°20::dépression
dépression de
de Bages,
Bages, P.A.-P.M.
P.A.-P.M.
N°20
N°21::sites
sitesde
dePonteilla,
Ponteilla, P.A.-P.M.
P.A.-P.M.
N°21
N°22 :: sites
sitesdedePollestres,
Pollestres,P.A-P.M.
P.A-P.M.
N°22
N°23 :: Mas
Mas Camomille
Camomille (Ortaffa),
N°23
(Ortaffa),P.A.-P.M.
P.A.-P.M.
N°24:: sites
sitesde
de Saint-Cyprien,
Saint-Cyprien, P.A.-P.M.
N°24
P.A.-P.M.
N°25:: site
site d’Argelès,
d'Argelès, P.A.-P.M.
P.A.-P.M.
N°25
N°26:: sites
sitesde
deTresserre
TresserreetetBanyuls-dels-Aspres,
Banyuls-dels-Aspres,P.A.-P.M.
P.A.-P.M.
N°26
N°27:: sites
sitesde
de Montesquieu,
Montesquieu, P.A.-P.M.
N°27
P.A.-P.M.
N°28:: Pic
Pic Saint-Christophe,
Saint-Christophe, P.M.
N°28
P.M.
19 - Les sites paléolithiques dans les P.-O. (DAO M. Martzluff ).
VI.4 - Le rarissime Moustérien évolué du Würm
En réalité, le Moustérien n’est caractérisé de façon
claire dans cette portion de vallée que dans une phase évoluée et sur une seule station remarquable - les
Ànecs - aujourd’hui détruite par les travaux du barrage
au débouché des gorges de Vinça (ill. 19). Il s’agit d’industries fraîches et diminutives, à denticulés, intégrant
le débitage Levallois et où la part des jaspes locaux, des
grés-quartzites et des silexites est importante, au côté
des quartz blancs saccharoïdes, toujours dominants
(Blaize 1990, Duran 2002). Les quelques éléments
Levallois non éolisés relevés par ailleurs, au col de Ternère ou sur le plateau de Montalba par exemple, ne sont
pas assez concentrés ou copieux pour parler d’habitat.
Ils confirment une fréquentation de ces espaces par
Néanderthal au cours la dernière glaciation, présence
qui est bien attestée dans le bassin de la Têt, à la grotte
de Montou (Corbères-les-Cabanes) et dans celle du
Mitg (Corneilla-de-Conflent).
En surface, ce peuplement est curieusement bien
moins assuré en chronologie pour cette phase tardive dans la plaine du Roussillon, sur le gisement de La
Joliette (Salses) ou dans le bassin du Réart, par exemple
(Duran 2002 ; Martzluff 2004, 2006). Il est donc fort
probable que les stations en plein air de ce Moustérien
final, logées au plus près du fleuve alors que s’accentuait
son incision dans la terrasse T1, aient subi un sort identique à celles du Paléolithique supérieur.
Le peuplement paléolithique
707 m
Principaux
Principauxsommets
sommets
Micaschistes
et roches
métamorphisées
Micaschistes
et roches
métamorphisées
diversesdiverses
(intercalations
de marbres,
quartzites,
cornéennes...)
(intercalations
de marbres,
quartzites,
cornéennes ...)
Schistesde de
l'Ordovicien
du Cambrien,
Schistes
l’Ordovicien
et duetCambrien,
dits dits
dedeJujols-Canaveilles
et schistes
à chlorite
de l’Épizone
Jujols-Canaveilles
et schistes
à chlorite
de l'Épizone
1
Calcaires,
poudingues
et calcschistes
du Dévonien,
Calcaires,
poudingues
et calcschistes
du Dévonien,
9
Calcaires
et marnes
noires
du Secondaire
Calcaires
et marnes
noires
du Secondaire
Principauxsites
sitesde de
plein
Principaux
plein
air air
ANDORRE
Sitesenengrotte
grotteouousous
sousabri
abri
Sites
Fleuves
e
Fleuves
g
è
au
auWürm
Würm Ari
ancien
ancien
e
de
Aud
Molasses
du du
Néogène
et alluvions
Molasses
Néogène
et alluvions du
quaternaires
quaternaireancien-Moyen
ancien-Moyen
Terrasses
moraines
et limites
des glaces
Terrasses
,moraines
et limites
des
auglaces
Würmau
(après
40 ka)
Würm
(après 40 ka)
Au
CAPCIR
CAPCIR
11
12
13
Étang
de
Salses
8
y
Agl
SALANQUE
Tet
Étang
de
Canet
ROUSSILLON
art
Re
CONFLENT
1307 m
ASPRES
780 m
Canigou
2785 m
VALLESPIR
2465 m
1256 m
1450 m
2910 m
GENERALITAT DE CATALUNYA
ch
Te 14
ALBÈRES
2881 m
Montleo
1130 m
6 7
CORBIÈRES
10
2897 m
Segre
4
3
750 m
CERDAGNE
CERDAGNE
15
2
FENOUILLÈDES
782 m
1314 m
2469 m
Carlit
2921 m
N
5
MER MÉDITERRANÉE
Socle
et intrusions
cristallines
associées
aux
Soclegranitique
granitique
et intrusions
cristallines
associées
gneiss
de la Catazone
et de la Mésezone
aux gneiss
de la Catazone
et de la Mésozone
1394 m
25 km
M. Martzluff
PRINCIPAUX SITES DU PALÉOLITHIQUE SUPÉRIEUR-ÉPIPALÉOLITHIQUE DES PYRÉNÉES-ORIENTALES
N°1
la Roque
Roque(St-Paul-de-Fenouillet).
(St-Paul-de-Fenouillet).
Azilien.
N°1: :Four
Four de
de la
Azilien.
N°6N°7
: Cova
de l’Esperit
(Salses).
20 Ka,Magda.
Gravettien ?N°10
N°11
: CovaBastera
Bastera(Vill.-de-Conflent).
(Vill.-de-Conflent). Signes
peints.
: Cova
del PasC.3
Estret
(Opoul).
: Cova
Signes
peints.
N°2
Penjat(Vingrau).
(Vingrau).Magdalénien.
Magdalénien.
ancien.Magda. Epipal. ancien.N°11
N°2: :Rec
Rec del
del Penjat
N°7 : Cova del Pas Epipal.
Estret (Opoul).
N°12
: Trou
souffleur(Fuilla).
(Fuilla). Magdalénien.
: Trou
souffleur
Magdalénien.
N°3
(Vingrau).
Solutréen.
: Station
du Ravanell
: Balmes
-Ambulles(Fulla).
(Fulla).
Solutréen.
N°3: :Les
Les Espassoles
Espassoles (Vingrau).
Solutréen.
N°8N°8
: Station
du Ravanell
(Salses).(Salses).
Magda. ?Magda. ? N°12
N°13
: BalmesBerges
Berges-Ambulles
Solutréen.
N°4
(Tautavel).Magdalénien.
Magdalénien.
Grotte
la gare
(Estagel).
Sup. indét. N°13
: Station
N°4: :La
La Teulera
Teulera (Tautavel).
N°9N°9
: Grotte
de ladegare
(Estagel).
P. Sup.P.indét.
N°14
: StationdedeSaint-Genis.
Saint-Genis. Solutréen
Solutréen ??
N°5
:
Grotte
des
Conques
(Vingrau).
Magdalénien.
N°10
: Rocher
gravé
de Fornols
(Campôme).
N°14
: Station
de Saint-Genis.
?
N°5 : Grotte des Conques (Vingrau). Magdalénien.
N°10
: Rocher
gravé de
Fornols
(Campôme).
Magdalénien
N°15
: Montleo
1130 m (Prats,Solutréen
Espagne) Magdalénien.
N°6 : Cova de l'Esperit C.3 (Salses). 20 Ka, Gravettien ?
Magdalénien
N°15 : Montleo 1130 m (Prats, Espagne) Magdalénien.
20 - Les sites du paléolithique supérieur dans les P.-O. (DAO M. Martzluff ).
VI.5 - Un long hiatus documentaire entre le Paléo
lithique moyen et le Néolithique
Les premiers peuplements de l’homme moderne
correspondent ici à une lacune des vestiges sur l’ensemble de la zone prospectée, en particulier sur la formation T1. Cette absence est particulièrement notable
sur la haute terrasse würmienne du barrage de Vinça,
très proche du fleuve et très lisible dans les parties agricoles non remaniées par les travaux d’aménagements
avec les engins mécaniques, à la fin du siècle dernier.
Cela pose un sérieux problème, car la pénétration de
la vallée du Conflent est bien attestée dans les grottes
en amont, au moins pour le Tardiglaciaire (Solutréen
et Magdalénien). D’autre part, un Magdalénien ancien,
situé en chronologie absolue autour de 16 000 ans BP,
est bien présent sur un site de plein air en Cerdagne
à 1 100 m d’altitude (Montlleò) ; il a livré des outillages
pris dans un jaspe ferrugineux dont nous savons à présent que les seuls gisements régionaux se trouvent entre
Prades et le Bassin de Vinça (Mangado et alii, 2004).
Ce Magdalénien est également attesté vers 1 000 m
d’altitude au-dessus de Prades sur le rocher gravé de
Fornols. À la fin de la dernière glaciation, le parcours
des Magdaléniens vers les hautes vallées situées au cœur
de la chaîne est donc bien fléché en Conflent (ill. 20).
Il est donc difficile d’expliquer l’absence totale de vestiges du Paléolithique supérieur. D’une part, les habitats
de plein air sont généralement étendus à ces époques ;
d’autre part le débitage sélectionne préférentiellement
les meilleures roches dures isotropes (jaspes, silex) et
tend à la production de lames. Les déchets techniques
générés par un campement de cette séquence ne pourraient donc passer inaperçus, même mêlés en surface à
des vestiges de périodes plus anciennes ou plus récentes.
99
100
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre III
C’est pourquoi cette lacune sur l’ensemble de l’aire géographique prospectée nous paraît signifiante. Nul doute que la vallée était peuplée. Or, cette absence ne peut
s’expliquer pour des raisons telles que la dangerosité des
crues estivales, certainement réelle, ou la pénibilité due
à des vents très violents, fort probable également, car les
chasseurs paléolithiques ont occupé des campements
de plein air dans des milieux bien plus hostiles pour peu
que leurs proies y fussent abondantes. Il faut donc tenir
compte de plusieurs facteurs qui constituent de sérieux
handicaps pour la prospection de surface concernant
ces périodes dans ce secteur :
1 - L’encaissement du fleuve après le premier Pléniglaciaire
würmien et la création de nouvelles terrasses favorables à
l’habitat au plus près du cours d’eau, formations qui ont
ensuite été démantelées par les crues du lit majeur.
2 - La difficulté de prospecter le terroir des terrasses alluviales dévolu à l’arboriculture, où les labours profonds
ont presque toujours accroché la nappe de galets, (épierrements, rotovator).
3 - Avec un faible écho prévisible des microlithes en surface, le fait que les terres acides soient azoïques supprime
l’appui pertinent des faunes pour détecter les gisements
concernant ces périodes, en particulier pour les petits sites épipaléolithiques.
4 - Les remaniements anthropiques d’ampleur s’ajoutent à ces difficultés (villages médiévaux de Casesnoves et
Reglella sur les niveaux les mieux protégés et bien exposés de la rive gauche de la Têt, plantations forestières et
suppression des affleurements schisteux pour la mise en
terrasse des versants, urbanisation galopante actuelle...).
5 - Enfin, la rareté des sites troglodytes et des grands abris
favorables, en particulier dans le petit synclinal calcaire
de Bouleternère et sur le plateau granitique de Montalba,
situés dans un maquis impénétrable, a rendu cette zone
peu attractive pour les chercheurs qui ont fourni dans le
passé l’essentiel de la documentation trouvée en grotte
pour ces périodes.
Malgré ces difficultés, l’absence de gisements de surface pouvant se rapporter à l’intervalle AurignacienSauveterrien sur cette aire géographique reflète dans ce
travail un résultat indubitable du terrain. Il confirme ce
que nous avions déjà diagnostiqué pour l’ensemble du département où les occupations de plein air du Paléolithique
supérieur au Mésolithique sont uniquement attestées
dans les bassins fluviaux à faible régime nival et dénivelé
modéré des Corbières, tels le Maury et le Verdouble, par
exemple (Martzluff 1998b, 1999b). Il s’en suit que notre connaissance des peuplements anciens des Pyrénées
catalanes à partir du dernier glaciaire, Moustérien compris, repose essentiellement sur l’investigation des sites
en grottes ou sous abri, en particulier pour les vallées du
Tech, de la Têt et pour la haute vallée de l’Agly.
chapitre IV
L’occupation du plateau
de Rodès et Montalba-le-Château
à l’âge du Bronze
Alain Vignaud
I - L’environnement,
les lieux et les sites
I.1 - Cadre naturel de l’occupation
Dans le territoire prospecté dans le cadre de ces travaux, les secteurs ayant livré des traces d’occupation de
la Préhistoire récente sont disséminés sur une aire d’environ 150 hectares, se développant principalement au
nord-ouest de la zone brûlée.
Si quelques points paraissent isolés, l’essentiel des vestiges se situe sur le plateau dit de Montalba (470 m NGF)
animé par différents reliefs (520 m NGF), et surtout, limité à l’est et à l’ouest par les profondes incisions des cours
d’eau intermittents, le Bellagre, et le Tarerach, coulant plus
de 80 mètres en contrebas (ill. 1). À l’ouest, au-delà du
Tarerach, en zone non brûlée, des vestiges apparemment
contemporains de ceux qui nous intéressent sont attestés.
En contrepartie, à l’est, de l’autre côté du Bellagre, d’importantes surfaces mises à nu par l’incendie et donc aux
sols bien lisibles, n’ont fourni aucune trace d’occupation,
même ténue : il est évident que l’important ravin constitue une limite spatiale majeure de l’occupation.
Dans un paysage assez contrasté, alternant « serrats »
parfois prononcés, collines et plateaux plus ou moins
encombrés de chaos et d’affleurements rocheux, près de
50 points ont livré différents vestiges,en densités variables.
. Cf. chap. II Marc Calvet, « Géomorphologie d’une montagne brûlée » : la
genèse et l’évolution du plateau de Montalba.
. L’enregistrement des points issus des prospections s’est fait soit par chiffres,
soit par lettres. Ce « désordre » apparent est dû à la forte densité de points « à
Ces derniers s’articulent avec et autour d’importantes
niches écologiques dont on peut estimer qu’elles sont à
l’origine du choix de l’occupation. Il s’agit essentiellement
de larges espaces bien sédimentés, plans ou en légère cuvette, évoquant pour certains d’anciennes dépressions hydromorphes. La présence de l’eau, sous forme de sources,
de mouillères ou de retenues épisodiques est d’ailleurs
attestée en plusieurs points. La topographie des lieux
est également importante : de nombreux vestiges sont
situés à proximité ou dans l’axe des vallées ou de légers
cols, l’ensemble suggérant des itinéraires plus ou moins
obligés, dont on devine encore aujourd’hui le cheminement.
Ces derniers, à l’échelle du plateau, sont principalement
orientés vers le sud, la vallée de la Têt, et surtout sur un
axe sud-est/nord-ouest, matérialisant une jonction avec
les crêtes voisines, au nord-ouest, ou la vallée de l’Agly
plus au nord.
céramique modelée » (ici âges du Bronze) découverts lors des prospections
initiales. Au départ, afin de distinguer cette période particulière, il avait été
convenu de n’utiliser pour désigner ces sites que des lettres : A, B, C,... cependant, il s’est vite avéré que l’alphabet avec ses 26 lettres ne suffirait pas. La
décision a donc été prise de continuer l’enregistrement avec des chiffres, en
partant de 1001, afin de conserver une bonne marge de sécurité par rapport
à l’enregistrement des sites des autres périodes déjà découverts. Pour éviter
toute confusion, on a jugé plus prudent de garder cette « nomenclature » qui
figurait déjà sur bon nombre de documents (listes, relevés, clichés) et de mobiliers.
. cf. Calvet Marc « Une hydrologie fantasque ».
. cf. Calvet Marc « Un espace charnière sur de vieux itinéraires pastoraux ».
102
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
Montalba
N
Le Planal
v.
Ra
Mas d’en Colom
de
Roc del Maure
Be
llagre
T
Le
arerach
Lieusanes
La Cougoulère
Limites du feu
La Tet
Vestiges découverts
lors des prospections
Rodès
Zones humides
Vestiges déjà connus
Barrage de Vinça
0
1000 m
Lo Castello
Vinça
1 - Situation des vestiges découverts lors des prospections dans leur contexte archéologique (âges du Bronze et 1er âge du Fer).
L’occupation à l’âge du bronze
I.2 - Environnement archéologique connu
Sur ces secteurs de l’arrière-pays, généralement peu fréquentés et peu prospectés, quelques sites sont cependant
connus. Ils ont surtout été détectés par leur situation remarquable sur des hauteurs bien limitées (oppidum), ou,
pour l’essentiel, sur des terres aux sols relativement bien
lisibles, qu’il s’agisse de terres mises en culture ou de surfaces bien dégagées. Ces sites sont de taille très variable, se
résumant parfois à quelques tessons ou artefacts lithiques.
On peut estimer, et les vestiges mis au jour suite à l’incendie le démontrent, que la densité de l’occupation, occultée
par la garrigue et les zones boisées, était plus importante
que celle que nous connaissons aujourd’hui. La majorité
de ces sites connus se situe à l’ouest, hors zone brûlée.
Le plus important est le Roc del Maure, sur la commune de Tarerach, grand oppidum reconnu dans les années 60, et qui depuis a fait l’objet de différents travaux
par plusieurs intervenants. L’essentiel de l’occupation,
sans exclure une présence plus ancienne, est daté du
1er âge du Fer. Le Mas de Lieusanes (ou Llosanes), sur la
même commune, a également livré les traces d’un habitat
de l’âge du Bronze associé à deux dolmens, dont le plus
imposant est le dolmen de la Barraca (Abélanet 1987b).
Le mobilier, tant céramique que lithique, dont des « anneaux disques », est similaire à celui des sites du plateau.
Jean Abélanet, lors de prospections dans les années 70,
avait de même découvert quelques industries disséminées au nord est du village de Montalba-le-Château,
non loin de l’église, ainsi que trois « anneaux disques en
roche », contemporains de ceux mis au jour sur le plateau de Montalba (Abélanet 1987b). Cette occupation
peu importante, ne semblait pas caractériser d’habitat,
mais plutôt une fréquentation. Toujours au nord nordouest du plateau, une récente publication d’Yves Blaize
signale la découverte de deux stations sur la commune de
Tarerach : Le Planal (Néolithique moyen) et le Mas d’en
Colom daté du Bronze ancien (Blaize 2006)
Au sud, en position basse, non loin de la Têt, quelques habitats plus récents (présence de céramique tournée) sont cités dans la littérature : La Cogoulère et Lo Castelló (ill. 1).
Enfin, dans un environnement plus large, les principaux
vestiges de la période qui nous intéresse ont été mis au jour
lors des fouilles de la Caune de Bélesta, distante de près
. Kotarba, Castellvi, Mazière 2007 (CAG 66), notices : 165 – Rodès (C.A.N. 00H) ;
201 – Tarerach (C.A.N. 001P).
. Voir CAG 66, notices : 230 – Vinça (C.A.N. 001H, C.A.N. 009H et C.A.N. 011H).
de 6 km (Claustre, Zammit, Blaize 1993), et également à
Caramany, lors des importants travaux archéologiques liés
à la construction du barrage sur l’Agly (Kotarba 1991 –
Porra 1991).
II - Abondances ou absences, variabilité et limites des prospections
La découverte et la collecte de mobiliers, lors de prospections pédestres, reste évidemment le point de départ fondamental de ce travail. Au-delà d’une première approche,
établie à partir de la densité et de la qualité de ces documents épars à la surface du sol, la réflexion a pu s’étendre
à partir du point de la découverte, quelquefois très limité,
jusqu’à son environnement large, à l’échelle du plateau.
Outre l’étude de cette répartition dans l’espace, essentielle pour une vision d’ensemble, les observations fondées sur ces objets de la culture matérielle sont primordiales. Elles restent cependant très lacunaires, les limites
d’une telle approche étant connues : au-delà de l’équipe
de prospection proprement dite, composée d’individus
avec leurs qualités (grandes) ou leurs défaillances (infimes), les conditions naturelles jouent un rôle important,
qu’il s’agisse de l’éclairage, des conditions climatiques
(atmosphériques), mais aussi de l’aspect et de l’état des
secteurs prospectés, de totalement à très moyennement
lisibles pour différentes raisons. Ces diverses variables
influent sur les collectes qui peuvent ainsi s’avérer plus ou
moins fournies, plus ou moins pourvues en gros éléments
ou au contraire en tessons centimétriques.
Dans un autre registre, en ce qui concerne les sols et leur
genèse, divers selon leur situation topographique ou leur
composition géologique, on peut estimer que l’érosion,
naturelle ou anthropique, ait en certains secteurs faussé
les traces des anciennes occupations. Ainsi, et c’est l’une
des conséquences, au moment de cartographier et donc de
donner des limites aux sites détectés, ces dernières peuvent
s’avérer quelquefois arbitraires, notamment sur les secteurs ayant fourni une densité de mobiliers faible ou très
moyenne, répandus sur de grandes surfaces. En revanche,
si certains points n’ayant livré qu’une dizaine de tessons
sur un petit espace sont difficilement interprétables, plusieurs zones d’occupation se révèlent nettement, à partir
des mobiliers mais surtout de limites spatiales naturelles
clairement avérées (chaos rocheux, abrupts...).
103
104
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
Une seconde conséquence indirecte des érosions concerne, de façon variable, l’aspect et l’état de
conservation du mobilier, essentiellement céramique.
En effet, d’une façon générale, les tessons découverts
dans les chaos ou près de blocs sont de bonne taille (ce
qui confirme la moindre évolution de ce paysage particulier), et à l’opposé, les tessons collectés sur de légers
glacis ou des zones plus planes, souvent dévolues aux
cultures il y a encore quelques années, sont très fragmentés et érodés, par les travaux agricoles et les passages sur ces sols dénudés. Dans ces cas l’étude des céramiques, notamment celle des surfaces et des cassures,
est très malaisée. Cette perte est assez pénalisante pour
la mise en évidence ou l’identification de certains traceurs. Dans une approche plus fine attachée à l’étude
de ces mobiliers, un préjudice important, toujours inhérent aux prospections de surface, est à souligner :
en l’absence de fouille et de stratigraphie, l’attribution
chrono-culturelle d’une majorité de tessons peu caractéristiques n’est pas assurée. L’ensemble, dont on ne peut
affiner la chronologie, reste néanmoins assez cohérent,
comme nous le verrons par la suite.
III - Habitat ou fréquentation ?
Au-delà des doutes sur la contemporanéité ou la
succession chronologique des sites découverts, doutes
impossibles à lever à partir des mobiliers, se posait le
problème des formes d’occupation du territoire à l’âge
du Bronze. En effet, dans notre région, nous n’avons pas
connaissance d’une telle densité de vestiges de cette période, dispersés sur plusieurs hectares, et donc aucune
référence pour leur interprétation, leur fonction, leur
durée d’utilisation et leurs éventuelles relations. Afin
de donner une base commune à cette étude, pour aller
au-delà d’une simple présentation factuelle, nous avons
pris le parti de considérer tout l’ensemble des sites et
du mobilier comme globalement contemporains, puis
de mener leur étude en privilégiant la situation topographique des différents points pour identifier des modalités d’implantations similaires et ainsi d’effectuer des
regroupements pertinents. Cette démarche reste bien
entendu un parti pris, mais elle nous a semblé à même
d’ouvrir des perspectives de réflexion intéressantes.
. Voir sous-partie : « Mobiliers et chronologies ».
L’étude de ces sites s’est donc d’abord attachée à l’examen de la cartographie, des reliefs et des altitudes. La répartition spatiale des vestiges, disséminés surtout sur les
hauteurs encadrant des prairies humides, montre trois
grands ensembles, séparés de près de 800 mètres, distance qui semble suffisante pour justifier ce partage (ill. 2).
Ces ensembles sont composés chacun de 8 à 10
concentrations, bien différentes. Habitats pérennes de
différentes tailles ou zones de fréquentation plus ou
moins intensive ? Au sein des trois ensembles, trois
groupes hiérarchisés ont été distingués, à partir de leur
situation topographique, de leur surface, des différentes
composantes paysagères ou géomorphologiques, et en
relation avec la densité des mobiliers (ill. 3).
Ainsi se distinguent les sites de hauteur plus ou moins
importante, mais dominant toujours les secteurs alentour (groupe 1). Ces sites sont spatialement limités par
d’importants abrupts, des chaos rocheux naturels, ou
par endroits peut-être aménagés, suggérant une manière
d’« oppidum ». Ces points, qui ont fourni d’importantes
séries concentrées (2110 tessons de céramique pour le
point 1025, sommet et base) ne sont pas obligatoirement très étendus, leur principale caractéristique étant
leur élévation, situation qui semble exclure d’ailleurs une
fonction autre que celle d’habitat, surtout si l’on considère la variété des vases représentés, allant des gros récipients de stockage aux petites coupes à boire. Il semblerait que ces points forts constituent le noyau principal
des occupations, certainement pérennes.
En contrebas de ces sites de hauteur s’étendent les zones « médianes », intermédiaires (groupe 2), composées
de petits plateaux, généralement cernés par des barres
rocheuses ou des chaos, au sein desquels se devinent
ponctuellement des points remarquables, naturels ou
« aménagés », sans que l’on puisse dire pour autant si ces
« constructions » sont contemporaines de la période qui
nous occupe. Malgré une assez grande densité de mobilier
dispersé sur ces secteurs, avec de plus fortes concentrations sur et à proximité de ces possibles aménagements,
il n’existe aucune preuve que ces zones soient celles d’un
habitat. Un habitat, en relation éventuelle avec des secteurs à vocation économique ou artisanale, est toutefois
probable sur ces emplacements, sous une autre forme que
celle des « oppida ».
L’occupation à l’âge du bronze
Montalba
Limites du feu
Zones humides
105
N
Ensembles écartés
Vestiges “isolés”
1003
ENSEMBLE 1
1025
1005
de
v.
1007
Ra
1008
1002
1004
1026
1043
1006
1027
1042
1011
V
J
I
T
Le
H
L
M
K
1016
G
arerach
C
A
D
E
1034
W
U
Be
llagre
1013
1030
1012
1014
1029 1015
1019 1018
1021
1020
1031 1022
ENSEMBLE 2
1038
ENSEMBLE 3
1037
1036
1033
La Cougoulère
1024
143
(citadelle)
La Tet
Rodès
Barrage de Vinça
0
1000 m
2 - Les différents points et les ensembles distingués à partir des concentrations.
Ra
vin
d
eM
on
Vinça
tju
ic h
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
Montalba
Limites du feu
Groupe 1
N
Groupe 2
Groupe 3
Vestiges “isolés”
1002
400
ENSEMBLE 1
Ra
518
de
1007
v.
1008
1025
1043
1005
500
Be
437
1006
554
469
484
1030
1014
485
500
llagre
T
Le
L
M
H
K
1016
arerach
470
D
W
U
1020
467
463
1021
ENSEMBLE 2
A
1038
ENSEMBLE 3
1037
1036
1033
La Cougoulère
1024
530
143
(citadelle)
La Tet
Rodès
Barrage de Vinça
0
1000 m
Pla
3 - Les ensembles et leurs trois différents groupes, discriminés principalement à partir des altitudes. Seuls figurent ici les points les plus importants.
vin
d
Vinça
Ra
106
L’occupation à l’âge du bronze
4 - L’ensemble 1 avec ses principaux groupes. Vue cavalière du sud-ouest.
En aval de ces paliers médians, et donc en situation la
plus basse, un troisième groupe a été défini (groupe 3).
Celui-ci, le moins évident car le plus lâche et le plus étendu, concerne de larges zones, généralement situées sur les
versants conduisant aux marges des plateaux ou dépressions bien dégagés. Les éléments de la culture matérielle,
céramique, mais surtout « objets lithiques », y sont abondants. Il semblerait que l’importante superficie mais aussi
la topographie de ces secteurs, assez rocailleux et pentus,
doivent exclure l’habitat, tout au moins tel qu’il se présente de façon remarquable sur les sommets (groupe 1)
et éventuellement sur les petits plateaux intermédiaires
(groupe 2). Quoi qu’il en soit, l’intense fréquentation des
zones de ce groupe 3, situées à proximité des axes naturels et en bordure des niches écologiques, est certaine,
qu’il s’agisse de secteurs d’habitat pérenne ou secondaire,
ou plutôt, comme on peut l’envisager, liés à un important
stationnement ou passage.
Étant entendu que ces schémas et ces partages effectués à partir des trois types d’observations élémentaires
(situation géomorphologique, surface et densité des mobiliers) sont pertinents quant au fond et pour chacun de
ces groupes, autorisant ainsi des comparaisons, il n’en
reste pas moins que des variantes peuvent être perçues
dans leur forme.
IV - L’occupation,
les ensembles et les groupes
Trois grands ensembles, chacun avec les trois groupes
respectifs définis ci-dessus, ont été distingués.
L’ensemble 1, le plus évident car bien dissocié des
autres, se situe au nord. Il comprend les points 1001,
1002, 1003, 1004, 1005, 1006, 1025, 1026, 1027, 1042
et 1043, couvrant au total environ 3,5 ha (ill. 3, 4 et 5).
107
108
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
5 - Profil de l’ensemble 1 vu du nord, avec ses différents paliers distinguant chacun des trois groupes.
6 - Ensemble 1, le point 1025, site perché de type oppidum constituant le groupe 1 (habitat pérenne).
Au sein de cet ensemble on peut
singulariser :
- Le groupe 1, sans doute
l’habitat, est caractérisé par le
point 1025, de type oppidum,
cerné par de gros chaos rocheux associés, surtout au nord
et à l’ouest, à de forts abrupts.
Au sud, une rampe d’accès au
sommet est encore bien visible.
Cette dernière, peut-être légèrement « aménagée », semble
naturelle (ill. 6). Ce site perché,
malgré sa faible superficie d’environ 350 m2, a fourni d’importantes séries céramiques, dont
des tessons de bonne taille, appartenant à des récipients de capacité et d’usage variés. À l’origine, lors des collectes de mobilier, ce point avait été scindé en
plusieurs secteurs : 1025 – S1
correspondant au sommet de
l’oppidum, et les secteurs 1025
– S2 à S7 aux versants et aux
bases. Pour des facilités de gestion, s’agissant d’un mobilier
homogène, ces derniers secteurs ont été fusionnés (voir
inventaires). De même, Yves
Blaize, archéologue, lors de reconnaissances préalables, dans
les années 90, avait collecté et
étudié une série provenant de
ce point, nommé alors par lui
« Oppidum de Ropidera ». Ce
mobilier, qu’il nous a transmis,
a été incorporé à cette étude.
Nous l’en remercions (planches 1 et 2).
- Le groupe 2 intègre le
point 1043 et ses abords, situé en contrebas à quelques
dizaines de mètres, et 1026,
tout proche sur un léger replat.
L’occupation à l’âge du bronze
8 - Ensemble 1, groupe 2, une partie de l’intérieur du point 1043
« limité » par des chaos rocheux.
7 - Ensemble 1, groupes 1 et 2 vus du nord.
Le point 1043, le plus important, se distingue surtout par un espace à peu près plan, d’environ 800 m2, grossièrement ceinturé
par d’importants chaos rocheux et de gros blocs donc certains
pourraient avoir été déplacés. En son centre, une petite cabane en
pierre sèche, ruinée, plus récente, attesterait la fonction, probablement reconduite au fil des siècles, que nous proposons pour ce
point : aire de parcage ou de stabulation de troupeaux avec cabane
de berger ou plus simplement espace dévolu à l’économie agropastorale (ill. 3, 7, 8, 9 et 10).
- Le groupe 3 est composé, au nord du site de hauteur 1025, par
les points 1002, 1003 et 1004, difficilement interprétables, et au
sud, sur le versant bien exposé menant à la dépression et en bordure de cette dernière, par les points 1005, 1006, 1042 et 1027.
Ces sites, particulièrement 1005 et 1006 que l’on pourrait associer
car tangents, ont donné de grandes séries de céramique : 665 tessons pour le point 1005, à proximité duquel se trouve un petit
dolmen, et 727 tessons pour le point 1006 (planches 6, 7 et 8).
Les fragments d’objets manufacturés, en pierre, y sont également
très abondants (123 unités).
La présence du dolmen (cf. V. Porra, annexe III) peut suggérer
l’existence d’un axe de circulation, ces monuments mégalithiques
étant souvent situés en bordure des voies. Pérennité, bon sens ou
contrainte topographique : le chemin actuel passe tout à côté.
9 - Ensemble 1, « parement » extérieur du point 1043 vu du sud‑ouest.
10 - Ensemble 1, petite cabane ruinée, probablement médiévale ou
moderne, au centre du point 1043.
109
110
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
11 - ensemble 2, avec ses différents groupes, vus de l’ouest.
12 - Ensemble 2, groupes 1 et 2 vus du sud-est.
L’occupation à l’âge du bronze
13 - Ensemble 2, groupe 1. Au sein du point U, un aménagement estimé contemporain de l’occupation.
14 - La construction du point U, possible cabane.
L’ensemble 2, également bien marqué, est situé à environ 650 mètres au sud-est du précédent. Il intègre les
points W, U, V, 1018, 1019, 1020, 1021, 1031, 1012,
1011, 1013, 1029, 1030, 1014 et 1015. L’ensemble
s’étend également sur près de 3,5 ha. (ill. 3 et 11)
- Le groupe 1 a comme noyau principal dominant le
point W (et son élargissement U et en moindre part V).
Parmi les gros blocs des chaos qui l’occupent, parfois
aménagés, de gros panneaux de céramique ont été collectés (ainsi qu’un petit nodule de métal cuivreux, possible résidu de fonte). Les grands vases de stockage y
sont particulièrement représentés, suggérant un habitat (ill. 12 et 13). À l’extrémité sud-ouest du point U,
la présence d’un petit aménagement circulaire, d’envi-
ron 3,5 m de diamètre intérieur, est matérialisé par des
pierres et de gros blocs subcirculaires, tangents, posés
sur un seul lit. L’absence de fouille ne permet pas d’interpréter cette construction, possible cabane, dont on
ne sait, en outre, si elle est contemporaine (ill. 14).
- Le groupe 2 se développe en contrebas, vers le sud,
séparé par un court espace plat et bien dégagé, dont on
peut estimer, vu sa situation, qu’il occupe également un
« lieu de passage » (axe d’un col). Une piste y est encore actuellement en service, la même qui passe au pied
des points 1005 et 1006 de l’ensemble 1. Il est composé
par les points 1018, 1019, 1020, 1021, 1022 et 1031,
contigus, distingués par différents petits paliers, mais
surtout par d’importantes barrières rocheuses limitant partiellement de grands ensembles. Ainsi les
points 1020, 1021 et 1022, que l’on pourrait associer,
se démarquent en outre par une forte densité de mobiliers : près de 1 500 tessons pour les trois points ainsi
que 60 objets manufacturés en roche (ill. 15). Le statut
de ce site, auquel l’on accède aussi par une rampe naturelle encadrée par d’énormes blocs en place, est peu probant, l’espace relativement plan, partiellement circonscrit ou cloisonné par les barres rocheuses ou les chaos,
couvrant près de 2 500 m2. Ce dernier pourrait tout
aussi bien être lié à un habitat (pérenne ?), qu’à l’activité
productrice, comme éventuellement le secteur 1043 de
l’ensemble 1, par exemple à une zone de parcage ou de
stabulation de troupeaux.
- Le groupe 3, légèrement à l’écart, à l’est, comprend
les points 1011, 1012, 1013, 1014, 1015, 1029 et 1030.
Ces derniers, installés sur des replats étagés en pente
douce, sont relativement groupés. Au nord‑nord-est, ils
s’adossent aux chaos (non occupés) dominant les abrupts
très prononcés, presque à pic, menant au Bellagre, tandis qu’au sud, dans le sens de la pente, les vestiges se terminent en bordure d’un replat humide, sur lequel passe
le chemin actuel déjà évoqué, passage également obligé,
car au-delà de ce palier, toujours vers le sud, le relief
plonge vers une vallée encaissée. Indépendamment du
point 1030 ayant livré près de 600 tessons, les traces
de l’occupation restent très modestes. Cette (relative)
faiblesse est néanmoins à pondérer : toute cette zone a
été particulièrement bouleversée anciennement par la
présence probable de champs et, récemment, par d’importants travaux mécanisés (replantations par l’ONF)
(ill. 16).
111
112
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
15 - Ensemble 2, les groupes 2 et 3 vus de l’ouest.
16 - Ensemble 2, groupe 3, concentrations terminant la série des sites avant la rupture de pente descendant vers le sud.
Noter les profonds sillons dus aux replantations de l’ONF.
L’ensemble 3, à l’ouest, est à
plus de 850 mètres de l’ensemble précédent. Il est constitué
par les points assez lâches : A,
D, G, H, I, J, K, L, M et 1034
(ill. 3 et 17).
- Le point H, constituant
le groupe 1, est un petit site
de hauteur installé au sein
de la ligne de crête d’un
fort relief orienté nord-sud.
Relativement plan et dégagé
de tout matériau, l’espace circonscrit, de 18 m de long pour
10 m de large, est bordé au
nord-est par les vestiges d’un
alignement de pierres et de
gros blocs posés sur un seul
lit, formant une barrière artificielle, alors qu’à l’ouest, les
très fortes pentes menant au
Tarerach, ici particulièrement
encaissé, constituent une limite naturelle. Ses marges nord
et sud sont matérialisées par
d’importantes barres ou chaos
rocheux. Bien que de surface
réduite, ce site a fourni une intéressante série céramique collectée sur les parties bien sédimentées de la plate-forme où
la roche affleure par endroits,
mais aussi sur les premiers
mètres de la pente ouest, où
il a été jeté ou déplacé par les
pertes sédimentaires. Ces vestiges attestent certainement de
l’ancienne présence d’un habitat pérenne en ces lieux (ill. 18
et 19).
- Au pied du point H, à l’est,
se développe une large prairie,
bordée au nord par des chaos
rocheux en légère élévation, s’appuyant sur les premiers contreforts du Serrat Blanc. Dans
L’occupation à l’âge du bronze
cet ensemble peu cohérent, les
points I, J, K et L ont été enregistrés. Ils constituent le groupe 2 sans pouvoir distinguer si
celui-ci se rapporte à l’habitat
ou à une « zone d’activité » liée
à l’économie (ou aux deux).
- À l’extrémité sud du plateau, en léger pendage dans
cette direction, une « mouillère » est à l’origine d’un petit ruisseau assez encaissé
s’épanchant vers le sud. C’est
à proximité de cette modeste
résurgence que se situent plusieurs petites concentrations,
difficilement interprétables,
semblant plutôt signaler des
zones de fréquentation, éventuellement associées à la présence de l’eau ou à la proximité
de la prairie (pâtures). Il s’agit
des points M, G, D et 1034
constituant le groupe 3. Sur
la totalité de l’ensemble 3 les
objets manufacturés en roche
sont absents (plusieurs prospections postérieures ont été
effectuées sur ce site, elles ont
confirmé cette absence assez
surprenante). Bien que la série
céramique collectée soit globalement similaire à celle des
autres ensembles, cette distinction pourrait signaler un écart
chronologique ou éventuellement une économie particulière, autre. On doit prendre en
compte également le fait que
ces concentrations sont nettement excentrées par rapport à
l’axe de communication naturel qui relie les ensembles précédents, 1 et 2 (cette question
est plus amplement développée
dans le paragraphe 7).
17 - ensemble 3 avec ses groupes, vus du sud.
18 - le point H, site de hauteur installé au sein de la ligne de crête. Vue zénithale.
Outre ces ensembles circonscrits, quelques points « isolés » ont été enregistrés.
Certains, anecdotiques, attestant probablement d’un court épisode de fréquentation, n’ont livré que quelques tessons de céramique. Par contre, le point 1036
a fourni 64 tessons, le point 1033, installé sur un petit col, 126 tessons, et le
point 1024, bien à l’écart à près de 1000 m au sud, a livré 241 tessons. Ce dernier
site, associé à un probable petit dolmen, semble situé sur une ancienne piste descendant vers la Têt (cf. V. Porra, annexe III).
113
114
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
19 - Vue du sud, la plate-forme sommitale du point H et les vestiges d’une « limite »
la bordant, à l’est.
V - Mobiliers et chronologies
La série céramique, forte de près de 10 000 tessons,
serait à elle seule suffisante pour proposer une attribution chrono-culturelle. On peut en effet affirmer que
l’ensemble des traceurs observés est attribuable aux
âges du Bronze. Ces périodes couvrent toutefois près
de 1 500 ans, du Bronze ancien (2200 ans av. J.-C.) au
Bronze final (1300/700 av. J.-C.).
La faiblesse des références fiables à notre disposition
dans les Pyrénées-Orientales pour ces périodes (Claustre
1997), l’absence de fouilles, et donc de relations stratigraphiques, mais aussi l’état de la série, très érodée, s’avèrent
assez dommageables pour affiner cette fourchette. Ce dernier aspect est assez gênant, notamment pour apprécier
la qualité des finitions et surtout des décors (décor « rustiqué », incisé, estampé ou à base de cannelures). Certains
types ont toutefois été reconnus. La caractérisation des
formes, par exemple les décors plastiques ou les éléments
de préhension, est parfois hésitante : cordons lisses ou
impressionnés ? boutons, tétons ou départ d’anse ? fragment d’anse, de bracelet ou de pied polypode ? bord ou
fragment de panse aux arêtes érodées, arrondies ? Ce dernier inconvénient est particulièrement pénalisant : il n’est
pas rare que sur certaines séries fortes de près de 200 tessons, seuls 2 ou 3 bords, évidents car particuliers (digités,
à forte lèvre...) aient été reconnus. Ce décompte semble
loin de la réalité. Malgré ces pertes probables, l’étude des
différents pourcentages et ratios entre les panses et les
formes, bien que légèrement déficiente quant aux formes,
reste assez satisfaisante pour un habitat de plein air : les
formes représentent près de 9 %, et les panses 91 % (voir
inventaires et graphiques en annexe).
L’attribution chrono-culturelle des différentes zones
d’occupations ou même de l’ensemble est donc problématique, d’autant que certains points, les plus importants et les plus fournis, ce qui est logique, ont restitué
des éléments présumés appartenir, dans les grandes
lignes (?), au Bronze ancien : décor rustiqué, décor de
« coups d’ongles », cordons cupulés droits ou « en guirlandes », associés à des tétons sur un même cordon ;
ou au Bronze moyen : anses à poucier (cf. R. Iund, annexe II), impressions ou décors en ligne, parfois sur carène ; ou enfin au Bronze final : également anses à poucier, décors de cannelures parfois larges, horizontales ou
agencées, en chevrons.
La répartition et la répétitivité de certains marqueurs (accessoirement la proximité des sites du Mas
Lluisanes et du Mas d’en Colom datés du Bronze ancien,
Blaize 2006) suggèreraient que l’essentiel du mobilier,
et donc de l’occupation, doive être attribué à cette période (Bronze ancien, 2200/1700 av. J.‑C.), ce que nous
serions assez enclin à proposer (planches 1 à 12). Cela
n’exclut évidemment pas une occupation plus longue,
probablement en continu pendant cette période, tout au
moins sur certains points, notamment sur l’ensemble 1,
autour du site de hauteur 1025 (4 180 tessons).
L’industrie lithique, macro ou micro outillage, n’est
guère plus éloquente : quelques éclats de silex atypiques
plus ou moins retouchés (hors un fragment de pointe
de flèche probablement pédonculée, à retouches couvrantes), quelques éclats de roches tenaces exogènes
(radiolarites, jaspes) et enfin, comme habituellement,
quelques artefacts de quartz, dont une majorité de percuteurs (voir inventaires). À peine perçoit-on une légère prédominance de ces derniers, abondance relative qui
pourrait être mise en relation avec l’artisanat présenté
ci-dessous.
Les éléments de meunerie sont aussi peu attestés :
quelques molettes et seulement 6 meules à va-et-vient.
Ce chiffre, particulièrement bas par rapport à l’étendue
des vestiges, confirme la faiblesse de l’agriculture chez ces
populations.
L’occupation à l’âge du bronze
VI - Un artisanat très original
VI.1 - Les artefacts en chloritoschiste
Les occupations du plateau de Montalba ont donc livré des mobiliers « communs » pour les sites de l’âge du
Bronze, mais ces secteurs se distinguent surtout par une
importante production, tout à fait originale, celle d’un artisanat local utilisant un type de roche particulier pour
la fabrication d’« objets circulaires » en pierre. L’ensemble
de l’occupation du plateau est datée de l’âge du Bronze,
avec une plus forte densité d’éléments du Bronze ancien.
Aucun mobilier discordant n’a été reconnu, malgré une
série étoffée. Sachant que cet artisanat a été constamment
découvert associé à cette céramique, on peut proposer que
ces différents mobiliers soient contemporains, bien que
nous n’ayons trouvé aucune référence bibliographique
pour confirmer cette hypothèse, la littérature scientifique
au sujet de ces artefacts sur pierre étant très limitée.
Près de 250 fragments en relation avec cette production ont été collectés. Certaines pièces restent énigmatiques, mais l’essentiel, soit plus de 90 %, se rapporte à des
bracelets (voir étude technique ci-après). Ces pièces, qui
témoignent de toutes les étapes de la chaîne opératoire,
allant du disque grossièrement ébauché pour aboutir à
l’objet fini, sont à 99 % exécutées à partir d’une roche particulière, les chloritoschistes (cf. M. Martzluff, P. Giresse
chap. X), offrant des qualités intéressantes pour une exploitation intensive, facile à travailler (dureté moyenne),
et qui présente à la finition un toucher et un aspect agréable, poli et légèrement brillant (ill. 20, 21, 22). Plusieurs
gîtes de cette roche ont été découverts à l’ouest, de l’autre
côté du Tarerach, hors de la zone brûlée (ravin de la
Figuerassa), ou en limite nord-ouest du plateau, à quelques centaines de mètres, où ce minéral affleure (voir
ill. 24, en fin de texte). Un seul artefact a été trouvé à
proximité de ce dernier gisement, et aucun sur le premier.
Il est donc clair que ces bracelets n’étaient pas élaborés
sur place.
Une petite partie de cette production (9 %) a été collectée sur les secteurs présumés d’habitat (groupes 1 des
ensembles 1 et 2), cependant le solde, soit 91 %, était
dispersé sur des zones autres. Il s’agit des groupes 3 des
ensembles 1 et 2 : de grands espaces s’étirant sur un axe
sud-est nord-ouest, aux pendages peu prononcés vers le
sud, où ils viennent au contact de zones basses, planes
et relativement humides (prairies). Ces dernières s’étirent
également sur un même axe de bas de versants (inventaires et graphiques dans l’étude ci-après). Ces secteurs
bien exposés au sud, à proximité de pâtures, avaient été
interprétés comme zones de pacages ou de stabulation
de troupeaux, l’élevage représentant traditionnellement
la principale économie de ces populations.
Cette situation amène plusieurs remarques : les
chloritoschistes manufacturés ne présentent pas de
concentration particulière attestant l’existence d’une
ou de plusieurs structures pérennes spécialisées, ateliers de débitage ou de façonnage des bracelets. D’autre
part, ces vestiges semblent avoir été dispersés sur des
secteurs que l’on suppose fréquentés par les bergers
surveillant des troupeaux sur les pâtures en contrebas.
20 - Ébauches de bracelets en chloritoschiste.
21- Bracelets en cours d’élaboration.
22- Fragments de bracelets terminés.
115
116
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
Cette occupation peu astreignante procure du temps libre pour s’adonner à de petits travaux artisanaux, surtout
s’ils peuvent s’avérer lucratifs. On pourrait donc estimer
qu’une grande partie de cette production était élaborée
par des bergers. Le fait qu’il s’agisse là d’« artisans » improvisés, parmi lesquels probablement des enfants, explique peut-être la présence, au sein de cette série, d’une
quantité importante de bris et de quelques maladresses
observées, sans remettre pour autant en question la qualité de la production.
Il semblerait donc que nous soyons en présence d’une
industrie locale opportuniste, dictée par la présence des
chloritoschistes à proximité, et en aucun cas d’un marqueur culturel comme cela a été mis en évidence dans
certains groupes du Néolithique ancien, dans le centre,
l’est et le nord de la France. Hors de rares exceptions,
les bracelets appartenant à ces populations diffèrent
d’ailleurs par leurs profils et la matière première utilisée,
généralement des schistes tendres.
VI.2 - À propos de l’artisanat du plateau de Montalba
Les fragments de bracelets finis (et probablement portés) découverts sur les sites, sont sans doute à rapprocher des éléments de la culture matérielle « classique »,
les productions céramiques et lithiques que l’on retrouve
habituellement sur les gisements, vestiges perdus ou brisés lors de l’occupation ou a posteriori. Cette observation,
apparemment banale, est en fait plus complexe. Ces artefacts, notamment les bracelets, sont surreprésentés sur le
plateau de Montalba par rapport à d’autres sites de cette
période. D’où une première interrogation : les occupants
des lieux avaient-ils une forte propension à se parer ? En
serait-il de même s’ils n’avaient pas eu à disposition et en
abondance les matériaux nécessaires à cet artisanat et le
temps pour l’élaborer ? On peut en douter, cette « vogue »
n’étant pas un des traits caractéristiques de ces périodes,
tout au moins sur les sites connus dans notre région où
ces parures de pierre sont rares si ce n’est totalement absentes. Ce constat tend à montrer que cette production
ne procédait donc pas du goût de ces populations pour
la parure ou d’une habitude culturelle. Il s’agirait plutôt
d’une industrie opportuniste, dirigée vers l’économie et
le commerce.
Ces fragments de bracelets ont parcouru des millénaires, pour ressurgir aujourd’hui, seules preuves conservées
d’un artisanat par lequel le plateau de Montalba se dis-
tingue... simplement parce que ces témoins ont pu sans
grand dommage nous parvenir. On peut supposer que
d’autres artisanats, sur des sites contemporains, pouvaient
exister, la sparterie, la vannerie, le tissage ou l’élaboration
d’objets en bois ou en os, utilitaires ou prestigieux. Ces
productions, au même titre que celle des bracelets pourraient donc singulariser des sites, des groupes ou des familles, au sens large, « spécialisés » dans certains types de
produits, selon la matière première se trouvant sur leur
territoire. Mais ces artisanats en matériaux périssables ne
laissent aucune trace...
Deux autres aspects, plus techniques cette fois, pourraient conforter l’idée d’une production destinée aux
échanges et éclaircir certains points.
Les pièces liées à la production des bracelets sont au
nombre de 214. Découvertes en prospections de surface,
on peut estimer ce nombre comme minimal. Cet aspect
quantitatif, dont le rapport avec le reste du mobilier est
de toute façon proportionnel, n’est donc pas essentiel
dans cette démonstration, la série étant homogène et
nombreuse. Bien plus pénalisante nous paraît être pour
cette approche l’incapacité de quantifier la part des
bracelets « finis ». En simplifiant, les bris provenant de
cette élaboration représentent 93 %, et donc le nombre
de bracelets aboutis découverts 7 %. Il semblerait au
premier abord, vu l’énorme part des « ratés », que cette
production ne bénéficie pas d’un grand savoir faire, et
ne soit guère performante. Nous ne le pensons pas, au
vu du haut degré de régularité et de finition des fragments « finis », souvent très délicats. Ce schéma n’est
donc pas si simple : il est certain que les déchets sont
représentatifs de maladresses (« débutants », enfants ?),
par contre les artefacts qui ont pu traverser toutes les
étapes de la chaîne opératoire sans dommages, jusqu’à
l’aboutissement, n’ont pas laissé de traces, car ces objets
ne se trouvent plus sur les sites. La part des objets achevés avec succès est impossible à évaluer à partir des éléments à notre disposition (bris, techniques de fabrication), et elle ne saurait être quantifiée sans l’archéologie
expérimentale. Il semble toutefois, et c’est une question
de bons sens pour un minimum de « rentabilité », que
la part des objets finis devait au moins atteindre le tiers
de celle des « ratés ». Cette proposition donne une idée
différente de la quantité de bracelets fabriqués et donc
« exportés ».
L’occupation à l’âge du bronze
23 - Ensemble 1, le plus représentatif du schéma de l’occupation en pyramide, dont les zones basses, de pacage (et d’artisanat) sont installées en bordure d’un itinéraire.
VII - Propositions sur l’organisation
collective des sites et des ensembles
L’ensemble 3, autour du point H, habitat de hauteur
de type oppidum, occupe une place à part, tant réelle que
figurée : cet ensemble, a priori contemporain des autres
(cordons digités, décors « rustiqués » et anse à poucier),
n’a pourtant livré que deux artefacts en chloritoschiste,
de plus informes. Cette originalité ne peut être imputée
à une économie différente de celle des autres ensembles,
cet ensemble possédant pareillement des prairies humides (pacages), associées à une « mouillère », mais plutôt à sa situation géographique particulière sur le plateau. En effet, l’ensemble 3, situé à l’ouest sur les forts
reliefs dominant le ruisseau encaissé du Tarerach, bien
qu’établi à proximité d’une possible voie (secondaire) se
dirigeant vers le sud, est à l’écart du centre du plateau
de Montalba, plateau traversé par un important axe de
communication naturel, orienté nord-ouest sud-est.
Les secteurs de bas de pente (constituant les groupes 3 des ensembles décrits), ont livré la majorité de la
production en chloritoschiste (183 pièces). Ces derniers
ont été mis en relation avec le pastoralisme (zones de
pacage ou de stabulation), et ont surtout été interprétés
comme « zones de fréquentation », ou de passage, du fait
de la proximité de cet axe, qualifié d’ailleurs (encore ?)
aujourd’hui de « vieil itinéraire pastoral », et sur lequel
passe le chemin actuel.
Sur le point 1005, de l’ensemble 1, groupe 3, particulièrement riche en mobiliers, à quelques mètres de ce chemin, se trouve un petit dolmen (ill. 23). Font écho à ces sites, plus de 1 500 m à l’ouest, hors zone brûlée, au-delà du
ruisseau encaissé du Tarerach, les importants vestiges de
même époque du Mas de Lluisannes (Abélanet 1987b),
associés à deux dolmens, où J. Abélanet avait également
découvert des artefacts en chloritoschiste, ébauches et
bracelets (ill. 24).
Il semblerait donc que la clef de la vie des sites du plateau consiste en pastoralisme, itinéraires pastoraux (indissociables des dolmens), et artisanat de bracelets, élaborés et probablement proposés, sur le plateau, le long de
ces cheminements. Ce dernier volet pourrait s’accommoder tout à fait de réunions plus importantes, saisonnières,
foires ou autres, notamment lors de mouvements ou de
rassemblements liés à la transhumance.
117
118
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
24 - à l’ouest, au delà du point H et hors zone brûlée, le Mas de Lluisannes sur lequel se situent des vestiges
contemporains ainsi que deux dolmens. Des gîtes de chloritoschiste se trouvent en bordure et en amont du
ravin de la Figuerrassa.
VIII - Itinéraires et résonances
Le plateau de Montalba occupe une situation originale dans le paysage
agro-pastoral des sociétés médiévales et modernes assurant la liaison entre
la plaine du Roussillon et les pâturages d’altitude situés plus au nord ouest
(cf. J.-P. Comps, chap. VII). « Cet axe potentiel de transhumance facile, encore marqué par les carrerades qui escaladent depuis Ille ou Rodès le plateau de
Montalba, est aussi ponctué de nombreux monuments mégalithiques, menhir
de la Peyre Drete, dolmens de Lieusanes, de Campoussy, du col de Tribes, de
Cortal Fosset..., voire de rochers à cupules ou gravés comme celui des Quarante
Croix (Abélanet 1990, 1992) » (cf. M. Calvet, chap. II : « Un espace charnière sur de vieux itinéraires pastoraux »). La chance nous est donnée de
pouvoir attester, par la présence de ce segment d’itinéraire de plus de 3 km,
balisé par les mobiliers et les dolmens, une telle fonction déjà en place aux
âges du Bronze (ill. 25).
Un problème subsiste cependant, celui de la diffusion des bracelets.
En effet, ces derniers, que l’on peut considérer comme de bons traceurs,
sont à ce jour totalement absents du paysage archéologique départemental, hormis trois artefacts trouvés à moindre distance, dans les environs
de Montalba-le-Château, au nord-est, près de la chapelle. Les fragments
de bracelets découverts dans notre département se résument à quatre ou
cinq pièces et n’ont à notre connaissance (trois ont été découverts par nous
même) aucun point commun avec les productions du plateau de Montalba,
qu’il s’agisse de la matière première employée (autre que chloritoschiste),
ou surtout de l’écart chronologique, certaines de ces découvertes s’inscrivant dans un contexte plus ancien (Néolithique).
Plusieurs travaux archéologiques ont été menés sur des sites de la même
période, tout proches, au nord de ces secteurs, comme la fouille de la Caune
de Bélesta, ou les importants travaux de prospections, sondages et fouilles
effectués dans le cadre de la construction du barrage sur l’Agly à Caramany.
Complétant ces travaux, des prospections
pédestres ont permis d’enregistrer près
d’une dizaine de ces habitats de plein air,
parfois importants (Caramany, Trilla,
Trévillach, Felluns), dont une bonne part
s’échelonne le long des crêtes dominant la
vallée de l’Agly. Ces prospections, reprises
tout récemment afin de vérifier ou non
l’existence de cette production à l’époque
méconnue, se sont avérées stériles, tout
comme les précédentes fouilles : aucune
trace de cet artisanat sous quelque forme
que ce soit. On pourrait ainsi avancer que
les zones au nord du plateau de Montalba,
vers l’Agly et le Fenouillèdes, n’ont pas eu
de contacts privilégiés avec ces sites, et que
la présence de ces artefacts serait plutôt à
rechercher vers le nord-ouest, dans l’axe
proposé par ce travail, c’est-à-dire vers les
lignes de crête se déroulant du plateau de
Montalba jusqu’à Roque Jalère ou bien
plus haut, vers le Conflent ou le Capcir,
terres de transhumance. En l’état actuel de
la recherche, seuls quelques fragments de
bracelets sont connus, en Cerdagne et en
Catalogne sud, mais ces parures, de même
type, élaborées avec des techniques identiques, ont utilisé des matières premières
différentes (lignite ou talc). Ils témoignent
en fait d’un artisanat parallèle local, opportuniste, sans relation avec celui du plateau
de Montalba. Il faut donc convenir que là
encore, les productions de la « Montagne
brûlée » sont totalement absentes. Sur le
plateau de Montalba, cet artisanat nous
est parvenu parce qu’il était extrêmement
abondant, probablement bien plus important que celui que les collectes de surface
nous ont permis de révéler. Serait-il envisageable, comme pour d’autres éléments
de la culture matérielle, que suite à leur
dispersion, aux processus de dégradation
naturelle ou aux prélèvements réalisés par
les hommes des siècles suivants, réduisant
le stock de départ, ces industries ne puissent plus être retrouvées ailleurs ?
L’occupation à l’âge du bronze
Montalba
Tarerach
Le Planal
v.
Ra
Mas d’en Colom
Roc del Maure
de
Be
llagre
T
Le
arerach
Lieusanes
La Cougoulère
0
1000m
Rodès
Gîtes de chloritoschiste
Sites déjà connus
Barrage de Vinça
Lo Castello
Vinça
25 - Ensemble des vestiges du plateau de Rodès élargi. Propositions d’itinéraires liés au pastoralisme à l’âge du Bronze.
119
120
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
IX - Conclusions
Les différentes données issues des prospections et de
l’étude des vestiges du plateau de Montalba attestent
d’une importante présence durant l’âge du Bronze, avec
une forte prédominance au Bronze ancien, période en
conséquence à l’origine de l’occupation durant cet âge.
Cette occupation, qui couvre de grandes surfaces, tant
sur les secteurs brûlés faisant l’objet de ce travail (150 ha),
que sur les secteurs limitrophes où d’importants vestiges
contemporains étaient déjà connus, est tout à fait inédite
dans notre département. L’étude de la répartition spatiale
de près de 50 concentrations, scindées en 3 grands ensembles distincts divisés en 3 groupes, a été menée sur
la base d’une organisation hiérarchisée à partir de la topographie et de la géographie des lieux. Ainsi, au sommet se trouve l’habitat principal de hauteur (groupe 1) ;
en situation médiane, des secteurs « secondaires », sans
exclure l’habitat sous une autre forme, paraissent liés
aux activités économiques (groupe 2) ; enfin la base est
constituée par des versants peu prononcés, bien exposés
au sud, aboutissant à de larges prairies humides, zones de
pacages probables (groupe 3).
L’élevage, en effet, et cette orientation est bien en accord avec les connaissances que nous avons de l’économie
de ces périodes, semble être la principale ressource de ces
populations, ce qui est ici tout à fait adéquat, ces paliers
de moyenne montagne constitués par de larges plateaux,
sur lesquels les pâtures et l’eau sont bien présentes, étant
tout à fait propices à une activité agro-pastorale. De plus
– est-ce un hasard ? – ces vestiges sont situés sur un itinéraire lié au pastoralisme, confirmé par la cartographie et
la présence de dolmens. Le chemin actuel passe d’ailleurs
encore sur cette voie.
Contemporain de l’occupation, un important artisanat
original de fabrication de bracelets en chloritoschistes à
partir de matière première locale est attesté par près de
250 pièces, décrivant la totalité de la chaîne opératoire,
de la matière première brute à l’objet fini, finement lustré. Cette production opportuniste, à vocation sans doute
commerciale, semble élaborée par les bergers lors de la
garde des troupeaux, la grande majorité de ces objets, des
rebuts de production, ayant été découverts en bordure
des prairies.
La diffusion de cet artisanat d’appoint pose problème.
quasiment aucun de ces artefacts bien caractéristiques
n’ayant été découvert sur les sites voisins, pas plus que sur
d’autres zones, limitrophes ou plus éloignées comme le
Conflent ou le Capcir, destinations privilégiées des éleveurs en période de transhumance (M. Calvet chap. II
et M. Bernat-Gaubert chap. XVII) . Bien que de nombreuses contingences affectent cette étude, l’occupation
du plateau de Montalba devient désormais un site de référence pour l’habitat et l’économie des âges du Bronze.
Ces populations pourraient avoir initié des schémas empreints de connaissances et de bon sens, schémas qui se
répèteront au Moyen Âge, pour ce qui est de la « pyramide féodale », sans parler des formes d’organisation sociale : château, ville basse et terres basses mises en culture,
mais aussi, pour ce qui a trait à l’économie agro-pastorale
et à son fonctionnement, des « itinéraires pastoraux »,
attestés jusqu’à la période moderne, et semblant déjà mis
en place près de trois millénaires avant.
. Cet absence de bracelets en pierre dans les proches stratigraphies de l’âge
du Bronze à Bélesta et à Montou (Corbères-les-Cabanes) est troublante. Et l’on
ne trouve en effet que de très ambigus et rares signes de cet artisanat dans le
contexte local. C’est le cas pour un tout petit anneau cranté de pierre verte
trouvé dans le dolmen 1 du Serrat de les Fonts à Saint-Marsal par Jean Abélanet, dans un environnement de roches gravées protohistoriques des Aspres
(J. Abélanet, Dolmens et rites funéraires en Roussillon et Pyrénées catalanes :
itinéraires mégalithiques, AAPO éd., publication à paraître). Seul vestige trouvé
dans la fouille du coffre, ce petit objet d’ornement – est une imitation en pierre
des parures en bronze de la fin du second millénaire avant notre ère. Par
ailleurs, Florent Mazière signale sur le site du Bronze final de Los Valls, à
Camélas, toujours dans les Aspres, la présence « d’une rondelle en schiste
sommairement dégrossie, portant, en son milieu, une sommaire perforation qui
n’a pas été achevée ». (Kotarba, Castellvi, Mazière 2007, notice 033, p. 268).
Au Sud des Pyrénées, dans le bassin moyen de l’Èbre, en Aragon, d’importants
habitats défensifs de hauteur de la fin du Bronze moyen (proto oppida), ont
livré une production de bracelets en pierre, tel le site de Geno, prov. de Lleida
(R. Iund, ce chapitre, annexe II). Une relation avec les sites du plateau de
Montalba est cependant peu probable.
L’occupation à l’âge du bronze
ø 14
ø 32
5 cm
Dessins A. Vignaud
Planche 1 : Ensemble 1, groupe 1 – 1025-1 (Y. Blaize).
121
122
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
5 cm
Ensemble 1, Groupe 1 - 1025-1 (Y. Blaize)
5 cm
Décor "rustiqué”
Ensemble 1, Groupe 1 - 1025 S1
Planche 2 : Ensemble 1, groupe 1 – 1025 S1.
Dessins A. Vignaud
L’occupation à l’âge du bronze
5 cm
Dessins A. Vignaud
Planche 3 : Ensemble 1, groupe 1 – 1025 S2, 3, 4, 5, 6 et 7 (bases du site de hauteur 1025).
123
124
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
5 cm
Planche 4 - Ensemble 1, Groupe 1, 1025 S2, 3, 4, 5, 6 et 7 (bases 1025-S1)
5 cm
Décor "rustiqué"
Planche 5- Ensemble 1, Groupe 2, point 1043
Dessins A. Vignaud
Planches 4-5 : Ensemble 1, groupe 1 (1025 S) et groupe 2 (1043).
L’occupation à l’âge du bronze
1002
1005
carène digitée
5 cm
décor “rustiqué”
1006
Planche 6 : Ensemble 1, groupe 3. Points 1002, 1005 et 1006.
Dessins A. Vignaud
125
126
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
1042
5 cm
décor “rustiqué”
1027
Planche 7 - Ensemble 1, Groupe 3. Points 1042 et 1027
W
5 cm
décor “rustiqué”
Planche 8 - Ensemble 2, Groupe 1, point W
Planches 7 et 8 : Ensemble 1, groupe 3, et Ensemble 2 groupe 1, point W.
Dessins A. Vignaud
L’occupation à l’âge du bronze
U
5 cm
Ensemble 2, Groupe 1, points U et V
V
1020
5 cm
1021
Ensemble 2, Groupe 2, points 1020 et 1021
Planche 9 : Ensemble 2, groupe 1, points U et V, et groupe 2, points 1020 et 1021.
Dessins A. Vignaud
127
128
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
1022
5 cm
Ensemble 2, Groupe 2, point 1022
1012
1013
1015
carène digitée
1030
5 cm
ø intérieur 45 mm (?)
1031
Ensemble 2, Groupe 3, points 1012, 1013, 1015, 1030 et 1031
Dessins A. Vignaud
Planche 10 : Ensemble 2, groupe 2 (point 1022) et groupe 3, points 1012, 1013, 1015, 1030 et 1031.
L’occupation à l’âge du bronze
H
5 cm
I-i
K
5 cm
Dessins A. Vignaud
Planche 11 : Ensemble 3, groupe 1 (H) et groupe 2 (I, K).
129
130
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
5 cm
L
D
J
5 cm
G
1036 (point isolé)
1034
bracelet ou anse ?
5 cm
Dessins A. Vignaud
Planche 12 : Ensemble 3, groupe 2 (L et J) et groupe 3 (D, G et 1034).
La céramique de l’ensemble 1, groupe 1, point 1025.
Total tessons
Panses
Décor rustiqué ("crépi")
Décor incisé/estampé
Carène vive
Carène môle
Préhension indéterminée
Languette
Téton double horizontal
Téton sous bord
Téton
Anse à poucier
Anse
Cordons agençés
Cordon incisé/estampé
Cordon cupulé
Cordon lisse
Fond plat
Bord digité/incisé
Bord aplani
Bord
L’occupation à l’âge du bronze
2500
Total Ensemble 1, Groupe 1 (1025)
2000
1500
1000
500
0
131
La céramique de l’ensemble 1, groupes 2 et 3.
Total tessons
Panses
Décor rustiqué ("crépi")
Décor incisé/estampé
Carène vive
Carène môle
Préhension indéterminée
Languette
Téton double horizontal
Téton sous bord
Téton
Anse à poucier
1400
Anse
600
Cordons agençés
Cordon incisé/estampé
Cordon cupulé
Cordon lisse
Fond plat
Bord digité/incisé
Bord aplani
Bord
132
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
Ensemble 1, Groupe 2 (1043,1026)
500
400
300
200
100
0
Ensemble 1, Groupe 3 (1005, 1006…)
1200
1000
800
600
500
400
200
0
La céramique de l’ensemble 1 avec ses 3 groupes, totaux et pourcentages.
Formes ou décors
Décor rustiqué ("crépi")
Décor incisé/estampé
Carène vive
Carène môle
Préhension indéterminée
Languette
Téton double horizontal
Téton sous bord
0
400
Ensemble 1, pourcentage sans les panses
(sur 387 formes ou décors)
300
250
200
150
100
50
0
Nombre
tessons
Panses
4000
Téton
350
Anse à poucier
Anse
Cordons agençés
Cordon incisé/estampé
Cordon cupulé
Cordon lisse
Fond plat
Bord digité/incisé
Bord aplani
Bord
L’occupation à l’âge du bronze
4500
Ensemble 1, total (4180 tessons)
3500
3000
2500
2000
1500
1000
500
133
0
La céramique de l’ensemble 2, groupes 1, 2 et 3.
Total tessons
Panses
Décor rustiqué ("crépi")
Décor incisé/estampé
1000
Carène vive
0
1800
Carène môle
1400
Préhension indéterminée
1600
Languette
Téton double horizontal
Téton sous bord
Téton
Anse à poucier
Anse
Cordons agençés
Cordon incisé/estampé
Cordon cupulé
Cordon lisse
Fond plat
Bord digité/incisé
Bord aplani
Bord
134
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
Ensemble 2, groupe 1
1200
1000
800
600
400
200
1600
Ensemble 2, groupe 2
1400
1200
1000
800
600
400
200
0
1200
Ensemble 2, groupe 3
800
600
400
200
La céramique de l’ensemble 2, avec ses 3 groupes, totaux et pourcentages.
0
Ensemble 2, pourcentage sans panses (250 formes et décors)
200
150
100
50
0
Nombre
tessons
Panses
250
Formes ou décors
Décor rustiqué ("crépi")
Décor incisé/estampé
Carène vive
Carène môle
Préhension indéterminée
Languette
Téton double horizontal
Téton sous bord
Téton
Anse à poucier
Anse
Cordons agençés
Cordon incisé/estampé
Cordon cupulé
Cordon lisse
Fond plat
Bord digité/incisé
Bord aplani
Bord
L’occupation à l’âge du bronze
4500
4000
Ensemble 2, total (4269 tessons)
3500
3000
2500
2000
1500
1000
500
135
0
La céramique de l’ensemble 3, groupes 1, 2 et 3.
Total tessons
Panses
Décor rustiqué ("crépi")
Décor incisé/estampé
Carène vive
Carène môle
Préhension indéterminée
Languette
Téton double horizontal
Téton sous bord
Téton
Anse à poucier
Anse
Cordons agençés
Cordon incisé/estampé
Cordon cupulé
Cordon lisse
Fond plat
Bord digité/incisé
Bord aplani
Bord
136
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
250
200
Ensemble 3, groupe 1
150
100
50
300
0
250
Ensemble 3, groupe 2
200
150
100
50
0
250
Ensemble 3, groupe 3
200
150
100
50
0
La céramique des points isolés, totaux et pourcentages.
0
Points isolés, pourcentage des formes et décors (34 unités)
30
25
20
15
10
5
Nombre
tessons
Panses
35
Formes ou décors
Décor rustiqué ("crépi")
Décor incisé/estampé
Carène vive
Carène môle
Préhension indéterminée
Languette
Téton double horizontal
Téton sous bord
Téton
Anse à poucier
Anse
Cordons agençés
Cordon incisé/estampé
Cordon cupulé
Cordon lisse
Fond plat
Bord digité/incisé
Bord aplani
Bord
L’occupation à l’âge du bronze
300
Points isolés, total (299 tessons)
250
200
150
100
50
137
Total général des céramiques du plateau de Montalba, tous points confondus.
0
Formes ou décors
Décor rustiqué ("crépi")
Décor incisé/estampé
Carène vive
Carène môle
Préhension indéterminée
Languette
0
800
Total général, formes et décors (777 unités)
600
500
400
300
200
100
Total
tessons
Panses
9000
Téton double horizontal
Téton sous bord
700
Téton
Anse à poucier
Anse
Cordons agençés
Cordon incisé/estampé
Cordon cupulé
Cordon lisse
Fond plat
Bord digité/incisé
Bord aplani
Bord
138
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
10000
Total général (9460 tessons)
8000
7000
6000
5000
4000
3000
2000
1000
Annexe I
Bracelets et autres artefacts,
aspects technologiques
Alain Vignaud
Cette annexe présente l’étude d’une production originale mise en évidence lors des prospections sur le plateau de Montalba, sur les sites occupés durant l’âge du
Bronze. Cet artisanat, attesté par 245 individus, est élaboré à partir d’une roche locale : le chloritoschiste (voir
infra : « les vestiges de l’âge du Bronze »). La série est
composée par 214 fragments liés à la fabrication de bracelets, de 29 pièces nommées « disques perforés de petite
taille », à la fonction énigmatique, et enfin de 2 artefacts
dissemblables et inclassables.
Aspects techniques, vocabulaire
Afin de donner une description de la chaîne opératoire
et des différentes pièces, quelques aspects sont à préciser, de même que la terminologie utilisée dans les fiches
d’inventaires.
Pour l’ébauche discoïde préformée (phase 1), la circonférence (la tranche) correspond donc également à la partie extérieure du futur bracelet (grand diamètre ou diamètre extérieur). Le petit diamètre ou diamètre intérieur
du bracelet est déterminé par le creusement ou la dépose
(enlèvement) du centre de l’ébauche (du bracelet) par différentes techniques que nous présentons par la suite.
L’ébauche, à plat (et donc également le bracelet), présente deux faces : la face supérieure et la face inférieure.
La première est le plus souvent concernée par le façonnage. La partie pleine à enlever à l’intérieur du bracelet
(diamètre intérieur) y est dans un premier temps matérialisée par un « piquetage » linéaire, en pointillé, plus ou
moins poussé. Cette première amorce, pas toujours vérifiée, est quelquefois également effectuée sur la face inférieure. À l’intérieur du cercle ainsi circonscrit (piqueté), la
matière est enlevée, par différentes techniques (phase 2),
jusqu’à obtention de l’anneau dégagé, présentant encore
des excroissances résiduelles du façonnage, notamment
sur la circonférence du diamètre intérieur (phase 3). Ces
proéminences sont par la suite enlevées, par raclage ou
abrasion, jusqu’à l’obtention d’un anneau plus ou moins
régulier (phase 4), assez éloigné de l’aspect d’un bracelet
« fini », bien poli et lustré (phase 6).
La phase 5, qui n’apparaît pas ici, sera commentée par
la suite.
140
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
I - Les bracelets
Sauf quelques ébauches plus ou moins élaborées, la
totalité des restes de cette production est fragmentée :
aucune pièce entière n’a été découverte. Toutefois, les différents stades de la chaîne opératoire sont suffisamment
documentés pour permettre son étude (voir inventaires
et graphiques en annexe). Ainsi, de façon schématique,
se distinguent des volumes bruts ou préformés, généralement discoïdes (ébauches), des disques ou anneaux à
différents niveaux de façonnage (phases 2, 3 et 4), largement majoritaires, et enfin des bracelets aboutis, finis,
mais brisés. Outre ces fragments d’artefacts bien identifiés, quelques débris, essentiellement des « chutes techniques » souvent informes, résultent de la préparation
du plan de travail (débrutage et égrisage pour les lapidaires).
I.1 - La matière première
Les chloritoschistes à biotite employés pour la fabrication des bracelets et autres ustensiles sont globalement
homogènes. Seules quelques petites variantes sont perceptibles, surtout dans l’aspect et la couleur, dues à la
densité ou à la répartition des composantes de base du
minéral et à son degré de schistosité et donc de dureté.
Cette roche provient sans doute d’une même formation,
d’un même horizon géologique et donc géographique.
Ce matériau a été découvert en plusieurs points. Il est
présent sous forme de galets supposés erratiques (en
contrebas et au nord du point 1025) et d’affleurements
ou de filons bien marqués. Ceux-ci ont été détectés au
nord-ouest du plateau, en limite des vestiges, sur de petits reliefs collinaires érodés (gîte 1), et à l’ouest, hors
zone brûlée, en contrebas du mas de Lieusannes, aux
abords et en amont du Vallat de la Figerrassa (gîte 2,
ill. 24, 25 du texte précédent). On peut penser, vue
l’étendue du territoire, que d’autres gîtes de cette roche
ont pu nous échapper lors des prospections pédestres,
ces gisements pouvant s’avérer très discrets ou dans
des secteurs difficiles d’accès. L’origine locale de cette
matière première est bien confirmée, par la carte géologique du plateau de Montalba et par les analyses pétrographiques (cf. P. Giresse ci-dessous) « Les bracelets
en micaschiste au sud de Montalba-le-Château-66 »)
réalisées sur les artefacts et sur un échantillon de roches
similaires, en place sur le site.
1 - Affleurement d’un banc de chloritoschiste au nord-ouest du plateau.
Pour ce travail, trois groupes principaux de chloritoschistes ont été reconnus, à partir de leur aspect et de leur
couleur, suggérant une origine gîtologique différente ou
variable. Ces groupes apparaissent dans les grilles des fiches d’inventaires.
- Le groupe dit « standard », le plus courant, se caractérise par une roche gris verdâtre, incluant de toutes petites particules de biotite et de mica argenté. Assez homogène dans son aspect, ce minéral semble d’une bonne
densité. Cette matière première proviendrait du Vallat
de la Figuerrassa. Sa représentation, au sein des différents habitats ou zones de fréquentation, est également
répartie.
- Le groupe dit « à gros mica », se caractérise par une plus
forte quantité de mica, argenté ou plus foncé, dont les particules sont aussi de format plus grand. La couleur verte,
dominante, est également plus soutenue. Ils proviendraient du gîte 1, localisé au nord-ouest du point 1005,
peu distant (ill. 1).
- Le groupe des « chloritoschistes autres » est composé
de roches plus grenues, moins homogènes, proches
des gneiss. Leur coloration est plus claire, d’un beige
parfois rosé (oxydes). Ce matériau peut être vacuolé
(petites géodes), veiné ou parsemé de cristaux, essentiellement d’orthose (feldspath), blanchâtres et différemment altérés.
- Un quatrième groupe pourrait être distingué, caractérisé par un chloritoschiste en plaquettes, peu épaisses et de couleur gris foncé. Il n’est représenté que par
3 artefacts, tous 3 découverts sur le point 1016 proche
de l’ensemble 2. Ce rapprochement, vu la faiblesse de
l’échantillon, semble anecdotique. Une roche semblable
se retrouve également sur le gîte 2.
annexe I Les bracelets de l’âge du Bronze
Ces variantes, peu importantes dans le cadre de ce travail, sont l’indice d’une morphogenèse ou micromorphologie différente, probablement très limitée, ne remettant
nullement en cause l’origine locale de ces différentes matières premières.
Au sein de ces groupes, les chloritoschistes « standard » sont de loin les plus représentés. Ils constituent
près de 94 % de l’ensemble. On les retrouve dans tous
les secteurs du plateau ayant fourni une telle industrie.
Le groupe des « chloritoschistes autres », avec près de
5 %, occupe la seconde position. Il semblerait que ce
type de matériau soit mieux attesté sur l’ensemble 2,
groupe 2 (points 1020, 1022). Les « chloritoschistes
à gros mica » atteignent 1 %. On les trouve surtout
dans l’ensemble 1, points 1025, et accessoirement 1005
et 1006. Cette situation est assez logique, car ces zones
ont fourni l’essentiel des séries, et d’autre part le gîte originel présumé est peu éloigné, à quelques centaines de
mètres au nord-ouest. Malgré cette proximité, ce faible
pourcentage pourrait s’expliquer par le fait que ce chloritoschiste, plus dense et compact, soit plus malaisé à
façonner.
1.2 - Les marques d’élaboration
La très grande majorité des stigmates d’élaboration
correspond à des enlèvements, à des négatifs laissés par
des « outils » (ill. 2) et en phase finale à un traitement
des surfaces ne laissant que peu de traces. D’autre part,
l’exposition prolongée des pièces à l’air libre a, selon les
cas, atténué ces marques, quelquefois visibles uniquement en lumière rasante. Cet inconvénient est accentué
pour le groupe des « chloritoschistes autres », plus sensibles à l’érosion, mécanique ou chimique.
- Les forts impacts, produisant des enlèvements de plusieurs centimètres, sont uniquement marginaux. Ils sont
destinés à dégrossir ou préformer, par épannelage, la matière première brute.
- Les négatifs larges sont des cupules d’environ 3,5 à
5 mm de diamètre pour une profondeur variable, selon
la puissance de l’impact, allant de 1 à 2,5 mm. Le négatif, à la base irrégulière, montre une couleur généralement plus claire, la roche ayant été déstructurée par le
choc. Ces enlèvements, grossiers et non ordonnés, inter-
viennent lors de la première phase de façonnage destinée
à dégrossir le matériau. Ils sont localisés sur la face supérieure de l’ébauche et sur la tranche.
- Les petits négatifs sont de même type que les précédents, mais correspondent à un travail plus fin et régulier, avec des marques plus réduites, surtout en diamètre,
n’excédant pas 2 mm. Leur profondeur peut être identique ou même plus prononcée que celle des négatifs larges. Ces traces, affectant la totalité des surfaces, tranches
comprises, dominent largement. On les retrouve sur les
phases de façonnage 2 et 3.
- Les sillons larges sont de courts enlèvements linéaires,
de 4 à 5 mm de large pour 1,5 à 2,5 mm de profondeur.
Leur longueur, variable, se situe entre 8 et 13 mm. Ces
enlèvements, désordonnés, sont peu représentés, et,
comme les négatifs larges, uniquement sur la face supérieure et sur la tranche de l’ébauche (phase 1). Ces sillons
sont associés aux négatifs larges.
- Les sillons étroits sont identiques aux précédents, mais
moins larges (2 mm). Ils découlent d’un travail en oblique (de 45o à 80o d’inclinaison par rapport au plan de
l’artefact), plus précis, notamment lors de la mise à plat
des faces, et surtout de la destruction de la chute centrale, à l’intérieur du bracelet. Contre la tranche intérieure
de ce dernier, ces sillons sont réguliers, parallèles et très
rapprochés. Sur certains objets, le flanc d’attaque de la
roche montre plusieurs lignes de ces négatifs, parfois différemment orientés, ou se recoupant en « tresses ».
- Abrasion ou raclage ? La différence déjà peu évidente
d’un point de vue sémantique, l’est encore moins à partir
des marques. Ces dernières se présentent sous la forme
de micro sillons ou rayures, entre ces rayures un « lustré » est le résultat du frottement répétitif d’un outil
abrasif ou tranchant au fil irrégulier produisant stries
ou lissages sur la surface raclée. Ces traces, parallèles ou
d’orientation différente, que l’on peut retrouver à divers
stades du façonnage, sont surtout représentées sur les
tranches, qu’il s’agisse du grand diamètre (tranche extérieure de l’ébauche et donc du bracelet), ou tranche
intérieure (petit diamètre). En fin de chaîne, ce travail
peut aussi intervenir sur toute la surface du bracelet
(phase 4).
141
142
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
1- Ébauche avec matérialisation de l'encombrement du bracelet
Cette limite peut être exécutée sur une ou 2 faces
selon le type de phase 2 projeté (voir ci-dessous)
2- Dépose de la chute centrale
par piquetage (sillons étroits) en alterne,
à partir des 2 faces (”pointe centre”)
3- Dépose de la chute centrale
par piquetage (sillons étroits) à partir
de la face supérieure (”pointe base”)
5 cm
4- Destruction de la chute centrale
par piquetage sub vertical (”petits négatifs”)
puis par des “sillons étroits”, en oblique,
en alterne à partir des 2 faces (”pointe centre”)
Grands ou petits négatifs
5- Destruction de la chute centrale
par piquetage sub vertical (”petits négatifs”)
puis par des “sillons étroits”, en oblique,
à partir de la face supérieure (”pointe base”)
Sillons larges ou étroits
Dessins A. Vignaud
2 - Dessins techniques schématisés des différentes mises en œuvre et des stigmates occasionnés par ces divers façonnages.
annexe I Les bracelets de l’âge du Bronze
- Polissages. Cette opération, en principe la dernière
de la chaîne opératoire et donc intéressant les bracelets
« finis », n’est pas non plus facile à observer. En effet, de
nombreux facteurs viennent occulter cette ultime phase.
Tout d’abord l’érosion naturelle, plutôt chimique, donne
à l’objet resté longtemps à l’air libre une apparence et un
toucher finement grenu, alors que ce dernier pouvait
à l’origine être poli. De même, une abrasion fine ou un
raclage soigné, peut donner aux surfaces un tel aspect.
Enfin, si l’on considère que la parure a été portée, parfois sur une longue période, cet usage, peut être à l’origine
d’un lustré très proche d’un polissage artificiel.
Ces diverses marques de travail sont logiques et cohérentes dans la place qu’elles occupent au sein de la chaîne
opératoire : les forts impacts, négatifs ou sillons concernent principalement les premières phases de taille pouvant s’accommoder d’un travail assez grossier ; les petits
négatifs et les sillons étroits sont liés au travail plus fin
caractérisant les derniers stades du façonnage ; les raclages ou abrasions interviennent en fin d’élaboration. Ces
étapes sont globalement respectées, mais il faut noter
quelques discordances.
1.3 - Ébauches et préliminaires
Le bloc de chloritoschiste retenu pour l’élaboration du
bracelet se présente sous différentes formes. Il peut s’agir
de rares « galets » sphéroïdes ou discoïdes aux surfaces
naturelles plus ou moins irrégulières, ou d’un matériau
prélevé sur les affleurements (extrait ?) ou ramassé à
proximité immédiate (bris par cryoclastie ou autre processus érosif ). Dans ce cas les blocs ont généralement des
surfaces plus uniformes et un plan presque rectangulaire.
Le chloritoschiste en fines plaquettes occupe dans cet
éventail une place à part.
Le bloc réservé doit répondre à un critère : la roche métamorphique offrant un débit en feuillets, soit des plans
de schistosité parallèles, il est primordial, pour un façonnage correct limitant le bris lors de la mise en œuvre, de
sélectionner un volume dont les plans de clivage sont horizontaux, parallèles aux faces supérieures et inférieures,
et donc au futur bracelet (180o). Cette règle est respectée
sur 85 % de la production, on note cependant quelques
ébauches dont les plans de clivage sont en oblique à 45o
(13,5 %), et de très rares cas (1,5 %), où les plans sont
perpendiculaires aux faces (90o). Quelques blocs ont subi
un traitement « économique » : lorsque le nodule de base
était particulièrement épais, ce dernier, posé de chant, a
été dédoublé par de forts impacts médians, dans l’axe du
clivage, afin de détacher deux parties sensiblement égales,
permettant de façonner deux bracelets au lieu d’un.
Après le choix du bloc, il convient de préformer l’ébauche dans le but d’obtenir une pièce régulière, dans son
plan (circulaire) et dans son épaisseur, pour des dimensions proches de celles du futur bracelet. Plusieurs travaux de mise en forme sont nécessaires pour cela, plus
ou moins soignés et aboutis selon la dextérité de l’artisan.
En effet, sur bon nombre d’objets, cette chaîne opératoire
« idéale » est loin d’être respectée, certaines transformations assez avancées (phase 2 ou 3), intervenant sur des
ébauches grossières, généralement en « chloritoschistes autres ». Ce protocole simplifié pourrait traduire un
manque de savoir faire de l’artisan. Il est cependant difficile d’en juger, à ce stade, seul l’objet fini pouvant faire
référence.
L’un des tout premiers façonnages débutant la fabrication, lorsque l’ébauche le requiert, se traduit par l’épannelage du bloc : il est rogné par de fortes percussions
directes causant d’importants enlèvements marginaux,
destinés à lui donner une forme circulaire (planche 1,
no 1 ; ill. 3).
3 - Matière première, brute ou mise en forme à des degrés divers par différentes
techniques (phase 1).
143
144
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
5 - Débuts de phase 2 de l’élaboration de l’artefact (piquetage central ou périphérique).
4 - Ébauches « accomplies », avant les premières phases de façonnage du bracelet
proprement dit (phases 2 et 3).
Par la suite, les faces supérieures et inférieures n’étant
pas obligatoirement régulières et parallèles (surtout
pour les « galets »), on procède à une mise à plat de ces
dernières, par la suppression des reliefs, de la matière
excédentaire. Ce travail, au vu des stigmates de façonnage très variés, peut être mené selon diverses techniques
et outils, sous différents angles d’attaque. Les traces les
plus sûres de cette étape sont les petits négatifs (78 %),
ou, en cas de masse plus importante à détruire (parfois
plus de 2 cm d’épaisseur/hauteur), les sillons étroits,
obliques ou presque verticaux, plus ou moins rapprochés selon la densité ou la qualité de la matière première
(planche 1 no 57).
Les deux faces à présent planes et parallèles, le travail
s’attache essentiellement à la mise en forme de la tranche
(diamètre extérieur), plus ou moins poussée (planche 1,
nos 55, 67 et 12 et ill. 4 et 5). Trois types de façonnages
sont attestés, en pourcentages sensiblement égaux : les
tranches grossièrement apprêtées, les tranches régulières
verticales, orthogonales aux plans, et enfin une troisième
variante qui semble procéder d’un bon niveau technique
ou en tous cas d’un soin particulier, consistant à arrondir
cette partie en arc de cercle, préfigurant déjà à ce stade le
profil extérieur du bracelet « fini ». Les trois types portent
les marques d’enlèvements « classiques » (grands négatifs
et sillons – petits négatifs et sillons), mais un nouveau type
de façonnage (et donc d’outil) intervient à ce stade, pour
les deux dernières variantes : l’abrasion ou le raclage.
I.4 - Taille et façonnage
Une fois l’ébauche terminée, le façonnage du bracelet
proprement dit débute. Il faut pour cela et dans un premier temps, estimer la largeur de ce dernier et donc le
diamètre de la partie centrale à enlever (diamètre intérieur du bracelet). Quelle que soit la technique employée
pour cette opération, et nous en avons retenu deux, il
n’est pas rare d’observer sur certaines ébauches un piquetage linéaire circulaire, plus ou moins régulier, destiné à
matérialiser cette limite. Ce tracé préliminaire peut être
effectué sur la face supérieure ou sur les deux faces, selon
le protocole envisagé pour la suite (ill. 2 no 1, planche 1,
no 12). Ce tracé attribue au bracelet une largeur (épaisseur) plus importante que celle qu’aura l’objet fini (plus
de la moitié), ce qui est logique, une trop grande minceur
à ce stade d’élaboration assez « incisif », fragiliserait l’objet, et d’autre part plusieurs autres phases de façonnage et
de finition doivent encore intervenir.
Deux techniques ont été distinguées pour la suppression de la partie centrale. Au sein de chacune de ces
techniques, deux types d’aboutissement sont également
reconnus. L’un consiste en la dépose de ce noyau, dont
le résultat est un petit disque correspondant à la « chute
centrale ». L’autre a pour objectif la destruction totale de
cette partie. Ce dernier façonnage est très majoritaire.
annexe I Les bracelets de l’âge du Bronze
type de façonnage est dans l’ensemble peu soigné, allant
généralement de pair avec une ébauche et une mise en
forme assez grossière. Encore une fois, cela ne permet
pas d’augurer de l’aspect du bracelet fini, ce dernier, malgré ces prémices défavorables, ayant pu s’avérer de bonne
facture. Le seul commentaire que nous pouvons avancer est que ce travail intervient surtout sur les objets en
« chloritoschistes autres », matière première de moins
bonne qualité.
6 - Technique de dépose de la chute centrale par piquetage du diamètre intérieur du
bracelet. Chute centrale dégagée, au centre et à droite.
- La destruction de la partie centrale constitue le second
type de façonnage mis en évidence, généralement sur des
ébauches soignées en « chloritoschiste standard ». Cette
technique est différente de la première : ici, ce noyau est
totalement abattu, désintégré. Ce façonnage produit de
minces et profonds sillons, parallèles ou imbriqués.
Cette « destruction » débute généralement au centre
de l’artefact pour devenir de plus en plus serrée et précise
à l’approche de la tranche intérieure du bracelet, ce qui est
tout à fait logique.
La dépose de la chute centrale utilise deux procédés :
- Accentuation du piquetage initial linéaire, délimitant la
chute, à partir de la face supérieure mais aussi inférieure.
Ce travail, prenant de plus en plus d’ampleur (de largeur)
avec l’avancement, est exécuté en alternance, d’un côté puis
de l’autre. Les marques produites par cette opération peuvent être de larges négatifs (sur des artefacts assez grossiers), ou des négatifs plus réduits, révélateurs d’un travail
plus minutieux. Les deux sont parfois associés. Lorsque ces
deux creusements se rejoignent, au centre de l’épaisseur de
l’ébauche, la chute centrale est dégagée (planche 2, no 113).
Ce procédé est identifiable par la présence résiduelle d’un
petit bec, visible au centre de la tranche intérieure (point
de jonction du travail alterne) du futur bracelet, sur toute
sa circonférence intérieure (« pointe centrale » de la terminologie utilisée pour l’inventaire, cf. ill. 2, no 2 ; planche 1,
no 67 et 12 ; planche 2, no 31 ; ill. 4).
- Un autre procédé, pour ce même type de façonnage,
utilise la même technique et probablement les mêmes
outils, mais l’artisan exécute cette dépose uniquement à
partir de la face supérieure de l’ébauche. Le résultat, lorsque l’anneau est dégagé, est également la présence d’un
bec résiduel, mais situé cette fois à la base de l’anneau
(« pointe base », cf. ill. 2, no 3 ; planche 2, no 118). Ce
Ce travail peut aussi être effectué conjointement sur
les deux faces, avec jonction au centre de l’épaisseur de
l’ébauche, de la partie intérieure du bracelet, dégageant
à cet endroit et sur toute la circonférence, tout comme
pour la technique précédente, un petit bec, une excroissance caractéristique (« pointe centrale ») (ill. 2, no 4 ;
planche 1 no 67 ; planche 2 nos 68, 69 et 16).
La destruction de la partie centrale à partir d’une unique face est bien attestée, surtout sur les ébauches soigneusement préformées. Le piquetage initial destiné à
délimiter la partie à enlever, n’est effectué que sur la face
sélectionnée (face supérieure). À l’opposé, la face inférieure est bien plane, soit naturellement, soit suite à un apprêt
par petits impacts, effectués dans le cadre de l’aménagement initial de l’ébauche. Aucun travail ne sera mené sur
cette face, sauf dans de très rares cas où un léger piquetage circulaire délimite la ligne du futur bris (voir « outils
et gestes »). Les stigmates d’élaboration sont similaires
à ceux induits par la technique précédente : de minces
sillons rapprochés, réguliers et profonds. La fabrication
est donc totalement identique, si ce n’est qu’elle s’attaque
à une seule face. Il en résulte sur toute la circonférence un
petit bec, cette fois à la base de la pièce (« pointe base »,
cf. ill. 2, no 5 ; planche 2 no 208, 6, 75 et 109 ; ill. 7).
145
146
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
7 - Destruction totale de la partie centrale de l’artefact, à partir de la face supérieure
(négatifs divers et sillons étroits verticaux contre la tranche intérieure de la parure).
I.5 - L’objet presque abouti et les finitions
Suite à ces opérations de façonnage, l’artefact se présente sous la forme d’un anneau plus ou moins grossier
(ill. 8). Il est nécessaire d’affiner le travail, par différentes
interventions de raclage ou d’abrasion.
En premier lieu, et cela a été constaté sur tous les objets
à ce stade (phase 3), c’est la tranche intérieure du bracelet
qui est concernée. Celle-ci, et quelle qu’ait été la technique d’alésage employée, conserve, sur toute la circonférence, une excroissance résiduelle (« pointe centre » ou
« pointe base ») qu’il convient de supprimer. Ce travail
génère deux types de traces, peut-être produites par le
même outil. Ce sont des rayures, plus ou moins marquées
(profondes), parallèles ou non selon le sens du travail et
la largeur de l’outil. À ces minuscules sillons est associé
un aspect vaguement glacé, lustré.
La tranche intérieure du bracelet étant façonnée, restent la tranche extérieure et éventuellement les deux faces
selon le profil souhaité pour la parure (profil rectangulaire ou carré). Il est certain que la même méthode et donc
le ou les mêmes outils ont été utilisés pour ce travail, les
marques présentes sur la circonférence extérieure consistent en de longues rayures, parallèles aux faces, ainsi qu’en
un aspect « érodé » assez important.
À ce stade (phase 4 – ill. 9) le bracelet présente un aspect et des dimensions bien éloignés de ceux attestés sur
les fragments aboutis (phase 6 – ill. 10 et 11), séquence
immédiatement consécutive à la précédente d’après les
artefacts découverts sur les sites. Il faudrait donc envisager l’existence d’une phase intermédiaire (phase 5) pour
laquelle nous n’avons aucune référence.
8 - L’anneau est totalement dégagé (phase 3), et porte encore, dans sa tranche intérieure, les résidus du précédent façonnage (« pointe base » ou « pointe centre »).
9 - Phase 4. L’artefact, débarrassé des résidus de la chute centrale montre des surfaces plus affinées. On peut observer, principalement sur la tranche intérieure, les stries
occasionnées par l’abrasion.
Ce problème est plus amplement développé dans le
paragraphe : « Aspects technologiques et morphométriques ».
annexe I Les bracelets de l’âge du Bronze
10 - Fragments de bracelets finis, polis et lustrés, n’ayant aucun point commun avec
les individus de la phase 4 présumée précédente.
II - Les autres ustensiles
II.1 - Les disques perforés de petit diamètre
Vingt-neuf artefacts en pierre, autres que des bracelets, et donc la fonction n’est pas établie (planches 5
et 6, ill. 12) ont été collectés. La très grande majorité
(plus de 98 %) est discoïde, de petit diamètre. Le centre
a été perforé. Comme pour les bracelets, hors quelques
ébauches au tout premier stade, aucun de ces objets
n’est entier. Il s’agit de fragments ne dépassant pas la
moitié d’un disque. Ces objets sont similaires en nature
(disque perforé) par contre ils sont loin de l’être dans la
forme et les dimensions. La matière première utilisée
pour ces ustensiles est identique à celle des bracelets,
avec cependant l’emploi (rare) de quelques minéraux
inédits. Il s’agit d’un chloritoschiste (probable), très riche en gros cristaux de quartz, mais aussi d’un quartz
opaque, légèrement jaunâtre. L’utilisation de cette dernière roche (un seul exemplaire sur galet originellement
érodé) est assez surprenante lorsqu’on connaît sa dureté
(planche 6, no 19).
Pour ce qui est de l’ébauche, son choix et son apprêt,
quelques interrogations subsistent. En effet, les dimensions reconnues pour ces objets se situent dans une
large fourchette allant de 2,8 cm à 7 cm de diamètre
extérieur, pour une épaisseur de 0,8 cm à 2,5 cm. Pour
documenter ce premier stade, nous avons à disposition
quelques pièces, légèrement différentes : un seul galet
11 - Autres fragments de bracelets finis, polis et lustrés.
12 - Fragments d’objets perforés de petit diamètre, à la fonction énigmatique.
de forme à peu près sphérique portant au centre de
nombreux piquetages, des fragments circulaires plats,
ou des artefacts grossièrement discoïdes. Certains
de ces nodules, éventuellement bruts ou apprêtés par
épannelage, raclage ou abrasion (notamment de la tranche) constituent une matière première « propre », uniquement conçue, prélevée et sélectionnée pour ces objets. Par ailleurs une autre partie, environ la moitié de la
production, provient de la récupération d’artefacts déjà
à disposition, générés par l’élaboration des bracelets.
147
148
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
Il peut donc s’agir soit de chutes occasionnées par la mise
en forme de l’ébauche (notamment en cas de dédoublement), soit des bris résultant des premières phases de travail où la matière conserve encore un important volume,
soit de la chute centrale du bracelet produite par la technique particulière décrite précédemment. Le diamètre,
l’épaisseur, et quelquefois de vagues traces d’un précédent
façonnage en témoignent.
Cette ébauche étant plus ou moins préformée, l’opération
consécutive, essentielle pour cette pièce, est la perforation
du nodule, à peu près en son centre. Ces orifices ont des diamètres très divers, allant de 3 mm à 3 cm, la taille de la perforation n’étant pas en proportion avec celle de l’objet, pas
plus que le diamètre de la pièce ne l’est avec son épaisseur.
Comme pour les bracelets, deux techniques ont été
utilisées pour la perforation. La première, la percussion
directe ou indirecte, est illustrée par des bases de négatifs
(« érodés ») grands ou petits. Ces marques, visibles sur les
deux faces, traduisent donc un travail alterne, mené à partir de chacun des deux plans, ce qui est tout à fait logique.
La seconde technique, qui ne présente pas de négatifs, si
ce n’est de très rares et minuscules sillons, semble avoir été
menée à l’aide d’un « perçoir » utilisé en vrille. On peut
supposer que ce façonnage a été effectué par courtes rotations, probablement manuelles, et comme pour la précédente technique, de part et d’autre de l’objet, avec jonction
centrale. Cette technique laisse sur l’objet une perforation
biconique (troncs de cônes affrontés par leurs sommets
au centre de l’épaisseur de la pièce), dont les parois, très
lisses, en « entonnoir », sont plus ou moins évasées selon
la taille et le profil du « taraud », parfois très large, pouvant occasionner un angle inférieur à 45o par rapport aux
plans. Ce procédé s’accompagne d’un aspect « lustré », qui
paraît normal, mais qui pose toutefois un problème : on
ne peut distinguer si ce « polissage » est dû au façonnage,
ou à l’utilisation répétitive de l’objet a posteriori (« lustré »
occasionné par des frottements). Dans ce cas, la partie
« utile » de la pièce se résumerait à la perforation : le reste
de l’objet, les faces et surtout la tranche extérieure, étant
quasiment bruts, sans traces d’usure visible.
La plupart des artefacts témoignent d’une perforation
« biconique », exécutée conjointement à partir des deux
faces (« pointe centrale » de l’inventaire), mais il existe
aussi, comme pour les bracelets, un autre procédé de fabrication, c’est-à-dire un travail effectué principalement
à partir d’une face (« pointe base » de l’inventaire). Par
ailleurs, plusieurs artefacts montrent aussi des techniques
de perforation mixtes, façonnage sur une face par percussion, et sur l’autre face par « taraudage ». Il est possible que
cette situation soit tout simplement due au type d’outils à
disposition (planches 5 et 6).
II.2 - Les objets indéterminés
La documentation pour ce type d’objets est faible, se résumant à trois exemplaires. Rien ne s’oppose néanmoins à
ce que dans le stock d’objets plus ou moins manufacturés
découverts, d’autres individus puissent entrer dans cette
catégorie, notamment ceux pour lesquels le stade d’élaboration est trop sommaire pour autoriser une identification
correcte. On peut ainsi supposer qu’à l’origine cette production était plus étoffée.
Ces trois pièces (est-ce un hasard ?) sont sur des chloritoschistes en plaquettes, peu épaisses, de plan sub-rectangulaire (présence d’angles « droits »).
Les plus facilement identifiables sont deux fragments
d’objet, dont l’aspect et la technique de fabrication utilisée
évoquent ceux des bracelets. Le premier (planche 6 no 25)
pourrait être une ébauche élaborée avec une technique
inédite (seule la partie centrale de l’artefact est façonnée, à
l’exclusion de la tranche extérieure). Le second (planche 6
no 27) semble également être l’ébauche bien dégrossie d’un
mince anneau (7 mm de section), partiellement dégagé en
haut-relief, sur la circonférence d’un fragment dont l’épaisseur maximale est de 11 mm. Le segment de cercle du
possible anneau projeté, s’il s’agissait bien de cela, est aussi
inattendu : son diamètre est supérieur à 12 cm.
Le troisième artefact, plus énigmatique, est une plaquette de forme trapézoïdale à hauteur importante, et dont le
sommet (petite base) est absent (planche 6 no 26). La base
opposée (grande base) offre un profil hémisphérique aménagé par abrasion - raclage. Les deux angles situés de part
et d’autre de cette base ont été abattus, par percussion. Les
négatifs des impacts à l’origine de ces bris assez réguliers
sont nettement visibles. Il semblerait que ces derniers, légèrement conchoïdaux, aient été produits par des percussions indirectes.
II.3 - D’hypothétiques fonctions...
Les « disques perforés de petit diamètre », bien que
très différents dans leur forme, sont semblables dans le
fond : un volume, grossièrement discoïde, de petite taille
(par rapport aux bracelets), dont seule la perforation cen-
annexe I Les bracelets de l’âge du Bronze
trale, essentielle pour sa fonction, semble avoir fait l’objet
d’un soin relatif, sans atteindre pour autant une finition
soignée, comme on le voit sur les parures. Des traces
d’usure, plus accentuées sur les parois de la perforation,
sont suspectées. Ces dernières sont peu prononcées et
n’attestent pas de frottements appuyés répétitifs, actions
qui procureraient à l’objet un certain lustré, notamment
sur les parties proéminentes, les faces et surtout la tranche extérieure.
La relative abondance de ces artefacts semble être l’indice d’un objet « commun », ou en tous cas suffisamment reproduit et donc utilisé pour avoir sa place dans
l’éventail ordinaire des éléments de la culture matérielle
conservés. Leur fonction reste totalement énigmatique,
les nombreuses pistes prospectées s’avérant incertaines.
Dans un contexte d’éleveurs, probablement d’ovi-caprins, on pense au travail de la laine : ces objets pourraient correspondre à des fusaïoles utilisées pour le filage,
ou à des poids de métier à tisser verticaux. La documentation et la littérature scientifique ne donnent cependant
aucun exemple de ce type d’ustensile à ces périodes : les
fusaïoles identifiées comme telles sont surtout en terre
cuite (nous en avons deux fragments sur la zone), et les
poids en pierre des métiers à tisser sont en principe plus
lourds que les spécimens étudiés ici et plus ou moins normalisés.
D’autres voies explorées ne sont pas plus satisfaisantes,
essentiellement du fait que ces ustensiles ne présentent
pas de lustré ou d’érosion latérale. Ainsi sont évoqués
les « poids » de « bolas », utilisées par les bergers pour
la garde des troupeaux ou éventuellement comme arme ;
les poids de filets de pêche ou de chasse ; ou aussi, ce qui
est assez séduisant, une pièce technique de fermeture,
d’entrave ou de maintien, associée à un ou plusieurs liens,
libres, fixes, ou coulissant en boucle dans la perforation
centrale, couplés à un « arrêt » en bois ou autre, (licous,
guides, lassos ?).
En ce qui concerne les trois autres « ébauches » sur
plaquettes, aucune interprétation rationnelle ne peut être
avancée. La seule remarque, pour le segment d’un possible anneau, c’est que ce dernier a un diamètre bien trop
grand pour un bracelet (12 cm), et que d’autre part, d’un
point de vue technique, le dégagement de « l’objet » de sa
matrice s’avèrerait impossible, justement en référence à ce
grand diamètre, et en parallèle à sa finesse (7 mm). Pour
ce qui est de la pièce trapézoïdale, sa forme évoque vague-
ment un fer de lance dont la pointe serait « coupée ». Il
est évident que la comparaison s’arrête là, la matière première utilisée étant incompatible, à moins qu’il ne s’agisse
d’un jouet ou d’un objet rituel...
II.4 - Les objets en terre cuite
Ce petit paragraphe ne concerne que deux artefacts,
éventuellement trois, dont la particularité, est d’être en
terre cuite. Il s’agit de fragments circulaires n’excédant
pas le tiers de la circonférence projetée, si l’on admet que
ces objets de type anneaux étaient circulaires, ce qui n’est
pas sûr. Ces objets, très réguliers, pourraient tout aussi
bien être des fragments de bracelet que des fragments
d’anses en boudin, ou même de pieds de vases polypodes,
bien attestés à l’âge du Bronze. D’ailleurs la série céramique montre une grande variété de fragments présumés
d’anses, parfois très fins et à la finition très poussée. Rien
ne s’oppose à ce que ces pièces soient des fragments de
bracelets en terre cuite (voir planches 1 à 12 de la contribution de l’âge du Bronze).
II.5 - Une présence métallique...
Un fragment de moule de fusion, de bronze probablement, a été découvert dans l’ensemble 1, au point 1025.
Il est ménagé dans un bloc de chloritoschiste, d’aspect et
de couleur différents de ceux utilisés pour les objets (différence due à de fortes températures ?). Cet objet, dans
cette petite étude, pourrait être estimé hors sujet, si ce
n’est qu’il montre un négatif (hémi-négatif ) dont les dimensions et le profil, sont les mêmes que ceux d’un bracelet « fini » en pierre, ce qui est remarquable.
Si la fabrication
de bracelets de terre
cuite et de métal était
confirmée, cela donnerait à penser que les
populations du plateau
de Rodès étaient spécialisées dans la production de cette parure (planche 6 no 28 ;
ill. 13).
13 - Fragment de moule de fondeur, de bronze
probable, dont le négatif est similaire au profil
des bracelets finis en chloritoschiste.
149
150
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
III - Les outils et les gestes
III.1 - Éventail de l’outillage à disposition
L’artisanat en chloritoschiste est bien documenté par
les découvertes. En contrepartie, malgré des prospections
attentives, les outils utilisés pour ces différents façonnages sont peu représentés.
Quelques rapprochements peuvent être faits, mais
nous n’avons aucune certitude que ces « outils » aient été
conçus ou employés pour ce travail. Pour une production
de ce type, particulière, spécialisée, on pouvait espérer
mettre en évidence un type d’outil particulier, or il n’en
est rien, soit que ces outils n’existent pas, soit que nous
n’en ayons trouvé aucun. L’éventail de l’outillage associé à
ces objets reste donc banal et peu fourni, similaire à celui
que l’on trouve habituellement sur ce genre de sites, pour
des occupations de l’âge du Bronze, époque pauvre en micro outillage lithique, notamment durant la phase la plus
récente (Bronze final).
- Le silex (contemporain ?) est rare, se résumant à une
dizaine d’éclats souvent atypiques. Certaines typologies
sont en outre à exclure d’emblée pour cette utilisation
(pointe de flèche).
- Les roches dures autres (hématites, jaspes, radiolarites...) sont mieux représentées, mais comme pour les
précédents, la typologie est peu affirmée, les « outils »
dominants étant des « grattoirs » ou assimilés (retouches
marginales partielles).
- Le quartz est de très loin le matériau le plus abondant.
On le trouve dans toute cette zone, sous diverses formes :
erratique, en filons, ou en inclusions sous forme de nodules ou de veines, dans la roche en place ou au sein d’énormes blocs. Les marques d’aménagement ou d’usage sur ce
matériau utilisé depuis toujours par l’homme sont quelquefois discutables, cependant, il est certain qu’un bon
nombre de ces pièces a été utilisé, dont probablement une
partie pour l’élaboration des artefacts en chloritoschiste.
Ces outils potentiels, préparés et utilisés avec compétence, pourraient s’avérer satisfaisants pour ce travail et
expliquer une bonne partie des enlèvements observés sur
les artefacts.
- Indépendamment de ces outils « à percussion » direc-
te ou indirecte, en majorité des percuteurs sphéroïdes,
certains stades du travail témoignent d’un façonnage
« doux », requérant une gamme d’instruments différents.
Ces derniers étaient utilisés lors des phases de « raclages » ou d’abrasions. Les « outils » susceptibles d’avoir
servi pour ces opérations ne sont pas clairement identifiés. Cependant, comme pour les outils précédents, on
peut supposer qu’une partie était apte à ce façonnage,
comme le raclage, par exemple de nombreux cassons ou
pièces sobrement aménagées, surtout en quartz.
Deux petits polissoirs, sur plaquettes de chloritoschiste
au grain très fin, seraient à retenir dans cette perspective.
Leur intérêt est néanmoins limité : ces objets, d’une vingtaine de centimètres carrés, sont bruts, et n’ont qu’un léger poli affectant localement une seule face, plane. Quelle
qu’en soit la fonction, leur usage a été court et peu intensif. Quelques percuteurs, quelques fragments de meules
et quelques molettes en roches grenues pourraient compléter cette série, mais aussi être des éléments de meunerie liés à l’occupation.
Les prospections ont été menées dans un milieu naturel assez accidenté, encombré de chaos rocheux de toutes
tailles, sur un sol jonché par de nombreuses pierres, de
taille et d’origine diverses. Il semblerait que cette abondance ait été préjudiciable à la détection d’outils caractérisés par des traces mal identifiables. De nombreux
fragments de bracelets, parfois minuscules, ont certes été
découverts, mais il faut tenir compte que la couleur gris
verdâtre particulière de la roche y est pour beaucoup, ce
matériau se distinguant facilement du contexte caillouteux ambiant. Cette constatation pourrait éclaircir en
partie ces carences sans les expliquer totalement.
III.2 - Traces, outils et gestes
Les principales traces d’élaboration retenues sont ici
mises en correspondance avec un outil ou un type d’outil,
supposé ou bien découvert sur le site. Les techniques et
les gestes à l’origine de ces marques sont aussi déchiffrés
ou proposés, selon les différents stades de la chaîne opératoire.
- Les enlèvements importants, aux arêtes droites ou
conchoïdales, entraînent de fortes cassures, toujours périphériques, qui interviennent sur la circonférence de la
matière première en vue de la préformer, pour lui don-
annexe I Les bracelets de l’âge du Bronze
ner une forme discoïde. Cette technique d’épannelage, la
plus sommaire qui soit, consiste en de fortes percussions
directes. On peut supposer que le « percuteur » est en
quartz, mais il pourrait être pris dans une roche autre,
ayant un degré de dureté supérieur à celui du chloritoschiste, ce qui dans cet environnement ne manque pas. On
peut supposer que « l’outil », pris sur place, n’a pas fait
l’objet d’un choix rigoureux, pas plus que d’une conservation particulière.
- Les négatifs larges et les sillons larges. Ces deux types
de marques sont associées car causées par un même outil,
orienté différemment, soit avec un angle d’attaque perpendiculaire au plan de travail (environ 90o = négatifs
larges), soit oblique (40o et moins = sillons). Ce travail
de préforme, assez grossier, pourrait être fait en percussion directe (négatifs larges) ou en percussion indirecte,
cette dernière technique étant plus contrôlable et donc
plus précise (notamment pour les sillons). Comme pour
l’épannelage, l’outil utilisé a pu être pris dans le stock local
à disposition immédiate. Le quartz semble être la roche
la mieux adaptée (et la plus abondante). Sur un quartz de
volume approprié à la technique envisagée (taille, forme
et poids), quelques enlèvements dégageant ou accentuant
une pointe à l’extrémité d’un casson seraient suffisants
pour ce façonnage. Bien qu’il s’agisse ici d’un « outil » un
peu plus élaboré, rien ne prouve qu’il ait été conservé en
vue d’une prochaine utilisation. Dans le cas d’un emploi
unique, l’aménagement et les traces de l’outil seraient peu
prononcés et donc difficilement identifiables.
- Les petits négatifs et les sillons étroits. Ces deux types
de négatifs sont également générés par un type d’outil unique, leurs variations traduisant une orientation différente
de la force par rapport au plan de travail, tout comme
pour les négatifs et les sillons larges. Quelques différences
existent toutefois : la densité des négatifs ainsi que leur
« agencement », en lignes régulières, de même la longueur
des sillons, parallèles, ne peuvent s’accommoder d’un travail en percussion directe, difficile à maîtriser. L’emploi
d’un outil intermédiaire, probablement emmanché, s’avère indispensable. La possibilité d’utilisation d’une pointe
en quartz, aménagée dans ce sens (fine et aigue) pourrait
être proposée. Cependant il faut admettre que ce minéral,
au vu de l’importance et du nombre des sillons, réguliers,
devrait tout d’abord être de premier choix, et surtout être
souvent retouché ou changé. L’emploi d’une roche plus
dense et plus dure, en silex ou en hématite/jaspe serait
préférable, avec cependant les mêmes inconvénients. Il
semblerait donc, en dernière hypothèse, que ces traces
aient pu être laissées par une pointe en métal, idéale pour
cette phase du façonnage (ill. 14). Plusieurs spécialistes,
à l’observation de ces négatifs, ont cautionné cette idée.
Nous n’avons pas de vestiges pour confirmer l’utilisation
de pointes de pierre, et nous n’en avons pas plus pour ce
qui est de l’emploi d’un outil en métal. Deux éléments
attestent néanmoins, de façon certaine, de la présence de
la métallurgie sur le site, ce qui est tout à fait normal pour
cette période.
Un indice est fourni par un petit nodule de bronze,
possible résidu de fonte (point U ensemble 2). Le second, plus important, confirme indirectement cette
production. Il s’agit du fragment de moule de fusion, de
bronze probable, présenté ci-dessus. Bien que discrets,
ces témoins d’une métallurgie (et d’objets en métal) sont
bien réels. L’absence, ou plutôt la non découverte de ce
type d’ustensile n’exclut pas leur existence. Il est en effet concevable que ces pointes (bronze bien additionné
d’arsenic), emmanchées, aient été de petite taille. Leur
découverte reste donc difficile dans le cadre de prospections pédestres. Ces outils devaient en outre faire l’objet
d’une attention particulière, tout comme les bracelets de
bronze résultant de la fonte.
14 - Stigmates d’élaboration, longs et étroits, attribués à des pointes de bronze emmanchées.
151
152
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
- Raclage et abrasion. Le raclage ne pose aucun problème, il peut se faire avec n’importe quel éclat de quartz
tranchant, aménagé ou non. Différents types de roches
grenues se trouvant sur les sites, la disposition d’un tel
outillage est aisée. L’interprétation des traces et leur situation sur l’objet livrent cependant quelques observations complémentaires.
D’une manière générale, quand ces traces sur les tranches sont « verticales », c’est-à-dire perpendiculaires
aux faces, au bracelet, ce travail, intéressant une surface
très courte (l’épaisseur du bracelet) a pu être fait avec un
outil abrasif mobile, oblong et de petite taille pour permettre le passage à l’intérieur de l’anneau. En revanche,
si ces marques sont « horizontales », c’est-à-dire parallèles aux faces, on peut envisager, sans exclure un outil
abrasif, l’utilisation d’un racloir, plus performant. Les traces sont ainsi bien plus longues et régulières. Hormis ce
critère, la distinction entre l’une ou l’autre de ces techniques est quasiment impossible, d’autant plus, et quel que
soit l’outil, que ces traces, sur un même plan de travail,
peuvent avoir différentes orientations, horizontales ou
verticales, mais aussi obliques, voire affrontées. Ces deux
techniques (abrasion et raclage) ont en outre été utilisées
conjointement (ill. 9).
Une variante complémentaire peut être proposée pour
l’abrasion : si le faible diamètre du bracelet exclut l’emploi d’un outil de grand format, le reste de l’objet, les faces et surtout la tranche extérieure, s’accommodent bien
d’un travail plus ample, sûrement plus efficace. Ce ne serait plus l’outil qui serait frotté contre le bracelet, mais
au contraire ce dernier contre une surface abrasive dormante de grande taille. Ce type de façonnage avait déjà
été reconnu pour le traitement de la tranche de l’ébauche où il s’avérait idéal, le disque, plein, permettant une
bonne prise, nécessaire pour un travail performant sur
une grande surface.
IV - Aspects technologiques et morphométriques
IV.1 - Pour les bracelets
Cet artisanat, élaboré à partir d’une matière première
locale abondante, bien qu’assez étonnant par sa densité et
son originalité, est très rudimentaire, tant dans la fabrication que dans l’outillage utilisé, tout au moins à partir des
vestiges découverts, qui ne sont pas obligatoirement représentatifs de l’ensemble de la production, car de nombreux objets ont pu être achevés sans laisser de traces.
En effet, si les grands schémas de la chaîne opératoire sont globalement respectés, à l’aide d’outils banals, il
semblerait que cette élaboration, tout au moins dans ses
premières phases, soit plus ou moins anarchique, à la discrétion de l’« artisan », autant redevable à son bon sens,
qu’à son habileté et à son savoir-faire, ou à son sens du
raccourci. Ceux-ci semblent au demeurant très variables,
comme le signalent des artefacts de bonne facture, dont
l’élaboration est nettement maîtrisée, de l’ébauche à l’objet fini, ou, en contrepartie, d’autres pièces beaucoup plus
« primitives » qui se démarquent par plusieurs « anomalies ». Tout d’abord dans le choix du bloc originel, mal
adapté : chloritoschiste parfois veiné, de forme très irrégulière, au clivage de 180o non respecté..., puis par les
diverses phases du façonnage :
- phase 1, absence de préforme de l’ébauche (mise à plat
des faces et apprêt de la tranche), pas de délimitation du
diamètre extérieur ou intérieur, si ce n’est, épisodiquement, par piquetage irrégulier et peu circulaire ;
- phases 2 et 3 utilisant la technique de la percussion directe, avec des « outils » hétérogènes produisant des traces variées et désordonnées.
Il n’est pas surprenant que ces objets représentent environ les 3/5e de l’ensemble : il s’agit en vérité de « ratés »,
de déchets provenant des pièces brisées en cours d’élaboration, ce qui était quelquefois prévisible.
Si les bris qui nous sont parvenus proviennent des différents stades de la chaîne opératoire, pour ces artefacts
mais aussi pour les pièces plus soignées faisant preuve
de plus de maîtrise ou tout au moins d’un travail plus
exigeant et abouti, la majorité des cassures s’observe sur
les phases 2 et 3 du façonnage. Cette représentation est
logique, s’agissant ici de dégager le futur bracelet de sa
matrice, et donc d’obtenir un anneau fragile. Si le déroulement de ce protocole est clair jusqu’à ce stade, et même
annexe I Les bracelets de l’âge du Bronze
au-delà (abattage du résidu de la chute centrale, raclage/
abrasion = phase 3), il faut convenir que la suite est plus
incertaine.
Pour documenter ces dernières phases, nous avons à
disposition, d’une part, des « bracelets » à la section épaisse, légèrement irrégulière, mais dont toutes les faces ou les
tranches sont façonnées, offrant un aspect et un toucher
relativement fin (ill. 9 et planche 3), et d’autre part, une
vingtaine de fragments qui appartiennent sans conteste
à des bracelets finis (planches 3 et 4). Ces derniers ont
un profil très étroit, aux environs de 7 mm d’épaisseur.
Ils sont aussi réguliers, polis et lustrés, que cet aspect soit
imputable à une ultime phase de la chaîne opératoire ou
occasionné par le port et donc l’usure de la parure.
Les bracelets finis, de très bonne facture, ont de nombreux caractères communs, dont un profil hémisphérique répétitif (90 % de la production). Par contre pour les
bracelets à section épaisse, irrégulière, plus abondants, on
constate une forte disparité de formats et de profils. Cette
dissemblance semble traduire le fait que nous soyons ici à
une étape intermédiaire, l’objet requérant d’ultimes phases d’affinage tendant à le normaliser. Il semblerait donc
qu’une phase 5 soit nécessaire avant le lustrage définitif,
avant dernière étape dont nous n’avons sur les sites aucun
témoignage.
Deux propositions peuvent être avancées pour expliquer cette carence. La première est technique : les artefacts témoignant de cette phase 5 sont tout simplement
absents car aucun bris n’est intervenu durant cette dernière, ce qui se conçoit, s’agissant d’un travail peu impétueux. La seconde, plus discutable, pourrait s’expliquer
par le fait que les bracelets aient été mis en « circulation »
à un stade inachevé pour être finis ailleurs. Il ne s’agit là
que d’une piste.
Si cet artisanat paraissait à première vue assez brouillon
au vu des nombreux bris (encore une fois pas obligatoirement représentatifs de la totalité de la production), à
l’arrivée le produit est de bonne facture et relativement
standardisé.
Des variantes, normales et admises, concernent les diamètres intérieurs des bracelets. Ces derniers se situent sur
une échelle allant de 3,75 cm à 8 cm. Ces dernières dimensions, extrêmes, sont donc peu attestées, l’essentiel de
la production se situant dans une fourchette de 6,2 cm à
7,2 cm, soit 6,7 cm de moyenne. Quelques prises de mesures sur des bracelets contemporains féminins, montrent
une grande similitude, le diamètre moyen de ces derniers
se situant autour de 7 cm. Les productions du plateau de
Rodès sont de diamètre légèrement inférieur à l’actuel,
observation en accord avec les études anthropologiques
menées sur des individus de cette période. Les bracelets
sortant de ces normes devaient être destinés soit à des personnes de grande taille ou robustes, les plus larges, soit à
des individus graciles ou des enfants, les plus étroits.
IV.2 - Pour les ustensiles autres
L’approvisionnement en matière première pour ces objets perforés de petit diamètre ne posant aucun problème,
ces derniers peuvent être produits à partir de petits volumes sélectionnés pour cet usage, ou à partir des chutes
centrales provenant du façonnage des bracelets. Les traits
dominants de cette production, peu calibrée, à partir des
artefacts découverts, se résument donc à un format circulaire, brut ou à peine dégrossi, portant une perforation
centrale, également de diamètre très variable, essentielle
pour la fonction de cet ustensile qui nous reste inconnue,
et qui ne semble pas obéir à des critères esthétiques. Il
s’agit sans doute d’objets utilitaires, banals.
Il faut souligner que seuls sont représentés les objets
cassés, généralement par moitié, ce qui est assez surprenant, eu égard à leur petite taille et à leur volume assez
« trapu », et donc à leur présumée robustesse. Pour quelques-uns l’éventualité de cassures liées au façonnage peut
être avancée, mais il ne semble pas que ce soit le cas pour
le plus grand nombre, probablement brisés accidentellement lors de leur utilisation ou par la suite.
V - Conclusions
Les productions en chloritoschiste du plateau de
Montalba concernent surtout la fabrication de bracelets,
les autres artefacts associés, essentiellement de petits disques perforés, élaborés sobrement dans le même minéral
à partir des chutes des premiers, sont probablement des
pièces techniques n’ayant dans ce contexte qu’une importance anecdotique.
La production, opportuniste car établie à partir
d’une gîtologie locale, offre une série forte de 245 pièces, décrivant l’ensemble de la chaîne opératoire, relativement bien documentée. Les artefacts qui nous sont
parvenus, à différents degrés d’élaboration, se rapportent donc à des pièces brisées lors de leur fabrication.
153
154
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
La présence de fragments de bracelets finis, de très bonne facture, reste donc assez discordante en référence à
ces « ratés » produits par des « artisans » inexpérimentés, voire des enfants. Les techniques de façonnage sont
assez primitives, utilisant des « outils » banals tirés du
substrat rocheux local, surtout des quartz. Lors des ultimes phases de façonnage, requérant des outils plus
fins et performants, l’utilisation de pointes en bronze
est proposée. La métallurgie est d’ailleurs attestée sur
le site.
La production, révélée sur de grandes surfaces, sans
concentrations particulières, n’est donc pas subordonnée
à des ateliers « homologués ». Ces maladresses et cette
dispersion confirmeraient l’hypothèse avancée pour le
fonctionnement des sites et leur économie, principalement axée sur le pastoralisme : cet artisanat, d’appoint,
serait imputable aux bergers occupés à la garde des troupeaux, à proximité des pâtures, elles-mêmes situées en
bordure d’une importante voie de communication, « ancien itinéraire » fréquenté lors des transhumances, balisé
par ces vestiges et plusieurs dolmens.
Ces parures semblent destinées au marchandage, et
donc à être diffusées. Cette proposition pose un problème de taille : aucun de ces artéfacts n’a été mis au jour, au
cours de différents travaux archéologiques, tant sur les
sites limitrophes que sur des secteurs plus éloignés.
Analyse pétrographique des bracelets en micaschistes
Pierre Giresse
L’étude a pour objet l’analyse pétrographique et notamment
minéralogique de quelques fragments de ces bracelets récoltés
sur le terrain à proximité de divers affleurements micaschisteux.
À titre de comparaison, d’autres analyses pétrographiques sont
dédiées à ces affleurements, un autre objet de l’étude étant de
contribuer à la reconnaissance des matières premières qui ont
été employées dans l’artisanat de ces bracelets sur le secteur granitique de Montalba-le-Château (cartes géologiques au 80 000e
de Quillan (Casteras et alii, 1967), au 1/50 000e de Rivesaltes
(Berger et alii, 1993) et ibid. carte chap. XI, ill. 1).
Analyse pétrographique de quelques affleurements
Ce sont les affleurements de micaschistes (au sens large) qui ont
fourni principalement la matière première utilisée par les artisans préhistoriques de ce secteur. Ces affleurements ont pu être
échantillonnés en plusieurs points à proximité du Mas Molins
et du Serrat Blanc. Ils se présentent sous plusieurs faciès que l’on
caractérise en fonction du développement des minéraux phylliteux qui recouvrent les surfaces de foliation. Dans plusieurs cas,
ces minéraux de taille millimétrique sont parfaitement visibles
à l’œil nu.
Les micaschistes à « grands cristaux » s’avèrent en fait être des
chloritoschistes : 89 % de chlorite et 11 % de muscovite ou 95 %
de chlorite et 5 % de muscovite. Les faciès plus lustrés, où les minéraux phylliteux ne sont pas visibles à l’œil nu et où la schistosité est moins développée, sont encore des chloritoschistes, mais
avec des teneurs un peu plus faibles en chlorite : 75 % de chlorite
et 25 % de muscovite ou 70 % de chlorite et 30 % de muscovite.
Dans tous les cas, la composante feldspathique est très faible,
voire absente.
Analyses pétrographiques des bracelets
Quatre débris de bracelets ont été analysés. Ils ne présentent pas
de minéraux phylliteux apparents à l’œil nu. Les analyses diffractométriques indiquent chaque fois des teneurs en chlorite assez
faibles, du moins par référence à celles trouvées dans les roches
à l’affleurement : 70 % de chlorite et 30 % de muscovite, 73 % de
chlorite et 27 % de muscovite, 69 % de chlorite et 31 % de muscovite, 66 % et 34 % de muscovite. Ces compositions permettent
donc de rattacher ces matériaux à celles des faciès lustrés observés à l’affleurement. Cependant quelques bracelets en micaschiste à éclat plus brillant ont pu aussi être observés (Alain Vignaud,
communication orale).
Discussion
Il est probable que les faciès lustrés de ces chloritoschistes aient
pu avoir été sélectionnés préférentiellement par les artisans préhistoriques. L’assez grande hétérogénéité de la roche, le petit
grain de la texture et surtout une moindre foliation ont pu définir
des propriétés mécaniques plus favorables à la tailles et peut-être
au polissage. Ces matériaux étaient probablement plus tendres
et plutôt moins sujets à l’éclatement sous le choc des burins. Il est
à noter que d’autres roches à faciès schisteux ont été aussi prélevées à l’affleurement (granite schisteux, microgrès schisteux) et
analysés dans le cadre de cette étude. Il s’avère qu’ils n’ont jamais
été employés pour la confection des bracelets car trop riches en
silice et donc vraisemblablement trop difficiles à travailler.
annexe I Les bracelets de l’âge du Bronze
1
5 cm
57
55
12
67
Les n° sont ceux des inventaires
Dessins A. Vignaud
Planche 1 - Nos 1, 57 et 55, transformation de la matière première à différents stades. Nos 67 et 12 : mise en œuvre de la phase 2, par piquetage à partir du centre, en alterne
(n° 67), ou sur la totalité de la chute centrale, également en alterne (no 12).
155
156
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
113
31
118
5 cm
99
68
208
109
6
69
75
16
Les n° sont ceux des inventaires
Dessins A. Vignaud
Planche 2 - Dépose de la chute centrale (no 113) par piquetage périphérique alterne (no 31), ou à partir de la face supérieure (n° 118). Destruction totale de la chute centrale
par piquetage alterne (no 68), ou à partir de la face supérieure (nos 99, 208, 6 et 75).
annexe I Les bracelets de l’âge du Bronze
ø 7,5 cm
ø 5,8 cm
18
27
0
1025
ø 6,5 cm
50
ø 7 cm
ø 8,5 cm
ø 7 cm
51
52
1043
5 cm
ø 7 cm
54
49
1005
ø 7 cm
ø 6,7 cm
81
ø 6,25 cm
ø 6,2 cm
82
83
80
1006
ø 8,2 cm
95
ø 8 cm
94
ø 7,7 cm
92
ø 7,7 cm
93
ø 7,3 cm
96
Les n° sont ceux des inventaires Dessins A. Vignaud
Planche 3 - En grisé, fragments de bracelets de la phase 4, à la finition assez soignée, mais non aboutie. En noir, les fragments de bracelets terminés, polis et lustrés (phase 6).
à noter la différence de format et de profils entre ces 2 types.
157
158
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
ø 7 cm
ø 7 cm
ø 7 cm
ø 6,25 cm
85
ø 5,3 cm
89
87
84
ø 5,5 cm
ø 4,2 cm
ø 3,75 cm
91
90
88
86
0
1006
ø 7,35
ø 7,25
ø 8 cm
111
110
150
U-V
5 cm
ø 7 cm
ø 5,20
130
131
1018
1021
ø 7,15
ø 7,8 cm
157
167
1013
Point 143 (isolé)
Les n° sont ceux des inventaires
Planche 4 - Fragments de bracelets finis. Les profils, hémisphériques verticaux, sont assez répétitifs.
Dessins A. Vignaud
annexe I Les bracelets de l’âge du Bronze
2
1
5 cm
3
1025
perforation par rotations
par percussions
4
5
Mise en œuvre mixte
7
6
8
1005
perforation par rotations
1026
percu
9
10
11
12
1006
13
5 cm
14
perforation par rotations
16
15
mise en œuvre mixte
17
Dessins A. Vignaud
Planche 5 - Objets circulaires perforés, de petit diamètre, à la fonction énigmatique.
159
160
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
1020
18
quartz
19
5 cm
Ensemble 2, Groupe 3, point 1014
perforation par rotations
perforation par rotations
par percussions
par percussions
1022
20
1031
22
21
Mise en œuvre mixte
Mise en œuvre mixte
1022
Ensemble 2, Groupe 2, points 1020, 1022 et 1031
208
5 cm
23
1033
24
Points isolés, 208 et 1033
1025 (E1)
25
5 cm
26
1016 (”isolé”)
ø intérieur 10 cm
27
28
1016 (”isolé”)
1025
Fragment de moule de fondeur (bracelet probable)
1016 (”isolé”)
Objets non identifiés sur plaquettes de chloritoschiste
Dessins A. Vignaud
Planche 6 - Objets circulaires perforés de petit diamètre, artefacts non identifiés (nos 25, 26 et 27), et fragment de moule de fondeur (n° 28).
annexe I Les bracelets de l’âge du Bronze
30
Ensemble 1, Groupes 1 et 2
20
10
0
40
Ensemble 1, Groupe 3 (1005)
20
0
80
Ensemble 1, Groupe 3 (1006, 1042 et 1027)
60
40
Unités
20
0
160
%
Les graphiques sont à la même échelle (5 mm = 10 u)
Les données sont à partir des bracelets horizontaux (180°)
Ensemble 1, total général
140
120
100
80
60
40
Matière première Type d'unité
Phases / mise
en œuvre
1 - Production de bracelets. Ensemble 1, groupes 1, 2 et 3, et total général.
Diamètres
intérieurs
Profils des bracelets finis
Polissage/lustrage
stigmates d'élaboration
Fragment bracelet fini
Raclage vert.
Raclage Horiz.
< sillons étroits
< négatifs cupulés
> sillons larges
Épannelé
> négatifs cupulés
Carré
Subrectang. horiz.
Subcirculaire
Subrectang. vert.
Hémicirc. vert.
Oblong vertical
Ovale large Horiz.
Ovale large vertic.
ø de 6 à 7
ø > à 7 mm
ø de 5 à 6
De 4 à 5 mm
Pointe base
Pointe centre
Phase 3
Phase 2
Fragment
Chute centrale
Ébauche entière
Clivage 90°
Clivage 45°
Clivage 180°
Chlorito autre
Chlorito à > mica
Chlorito Standard
0
Dégrossi phase 1
20
161
Matière première Type d'unité
Phases / mise
en œuvre
2 - Production de bracelets. Ensemble 2, groupes 1, 2 et 3, et total général.
Diamètres
intérieurs
Profils des bracelets finis
Stigmates d'élaboration
Fragment bracelet fini
Polissage/lustrage
Raclage Horiz.
Raclage vert.
< sillon étroit
< négatif cupulé
> sillon large
> négatif cupulé
Épannelé
Carré
Subrectang. horiz.
Subrectang. vert.
Subcirculaire
Hémicirc. vert.
Oblong vertical
Ovale large Horiz.
Ovale large vertic.
ø > à 7 mm
ø de 6 à 7
ø de 5 à 6
De 4 à 5 mm
Pointe centre
Pointe base
Phase 3
Phase 2
Dégrossi phase 1
Chute centrale
Fragment
Ébauche entière
Clivage 90°
Clivage 45°
Clivage 180°
Chlorito autre
0
Chlorito à > mica
Chlorito Standard
Unités
162
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
Ensemble 2, Groupe 1
10
%
30
Ensemble 2, Groupe 2
20
10
0
10
Ensemble 2, Groupe 3
0
Les graphiques sont à la même échelle (5 mm = 10 u)
Les données sont à partir des bracelets horizontaux (180°)
60
Total Ensemble 2
50
40
30
20
10
0
annexe I Les bracelets de l’âge du Bronze
Ensemble 1, total général
160
140
120
100
80
60
40
Unités
20
0
%
Les graphiques sont à la même échelle (5 mm = 10 u)
Les données sont à partir des bracelets horizontaux (180°)
Ensemble 2, total général
60
50
40
30
20
10
0
Ensemble 3, total général
1
Points isolés et "H. S.", total
9
Matière première Type d'unité
Phases / mise
en œuvre
3 - Production de bracelets. Ensembles 1, 2, 3 et points isolés, total général.
Profils des bracelets finis
Fragment bracelet fini
Raclage Horiz.
stigmates d'élaboration
Polissage/lustrage
Raclage vert.
< sillon étroit
< négatif cupulé
> sillon large
> négatif cupulé
Carré
Épannelé
Subrectang. vert.
Subrectang. horiz.
Subcirculaire
Hémicirc. vert.
Oblong vertical
Ovale large Horiz.
ø > à 7 mm
Diamètres
intérieurs
Ovale large vertic.
ø de 5 à 6
ø de 6 à 7
De 4 à 5 mm
Pointe centre
Phase 3
Pointe base
Phase 2
Dégrossi phase 1
Fragment
Chute centrale
Clivage 90°
Ébauche entière
Clivage 45°
Clivage 180°
Chlorito autre
Chlorito à > mica
Chlorito Standard
0
163
Matière première Type d'unité
Phases / mise
en œuvre
Diamètres
intérieurs
Total général
4 - Production de bracelets. Total général regroupant l’ensemble des artefacts découverts sur les sites.
Profils des bracelets finis
Carré
stigmates d'élaboration
Fragment bracelet fini
Polissage/lustrage
Raclage Horiz.
Raclage vert.
< sillon étroit
< négatif cupulé
> sillon large
> négatif cupulé
Épannelé
250
Subrectang. horiz.
Subrectang. vert.
Subcirculaire
Hémicirc. vert.
Oblong vertical
Ovale large Horiz.
Ovale large vertic.
ø > à 7 mm
ø de 6 à 7
ø de 5 à 6
De 4 à 5 mm
Pointe centre
Pointe base
Phase 3
Phase 2
Dégrossi phase 1
Chute centrale
Fragment
Ébauche entière
Clivage 90°
Clivage 45°
Clivage 180°
Chlorito autre
0
Chlorito à > mica
Chlorito Standard
Unités
164
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
Échelle : 5 mm = 10 unités
Les données sont à partir des bracelets horizontaux (180°)
237 u
200
150
100
50
%
Unités
annexe I Les bracelets de l’âge du Bronze
Total Ensemble 1, Groupe 1
3
2
1
0
%
Total Ensemble 1, Groupe 2
4
3
2
1
0
Total Ensemble 1, Groupe 3
15
10
5
1
0
Total Ensemble 1
16
14
12
10
8
6
4
2
1
0
Total ensemble 2, groupe 2
7
5
3
1
0
Total Ensemble 2, groupe 3
2
1
0
Total Ensemble 2
7
5
3
1
0
Total Ensemble 3
1
0
Ustensiles de petit diamètre - total général
25
20
15
10
5
Matière première
Phases / mise
en œuvre
Diamètres
intérieurs
Ustensiles de petit diamètre
5 - Objets circulaires de petit diamètre. Ensembles 1, 2 et 3 et total général.
Perforation raclée
Perforation percut.
Sillons
< négatifs
> négatifs
Raclage latéral ext.
Plus de 70mm
Diamètres
extérieurs
Raclage général
de 50 à 70 mm
de 40 à 50 mm
ø extér. 30 à 40mm
De 20 à 30 mm et +
De 5 à 10 mm
De 10 à 20 mm
ø perfo., 2 à 5mm
Pointe centre
Pointe base
Phase 3
Phase 2
Chûte centrale
Type d'unité
Dégrossi phase 1
Fragment
Entière
Clivage 45°
Clivage 180°
Terre cuite
Roche autre
Chlorito autre
Chlorito à > mica
Chlorito Standard
1
0
stigmates d'élaboration
Profil des ustensiles
Informe Subcirculaire, En amande,
base aplanie pointe centrale
16,5 %
16,5 %
67 %
165
166
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
ENSEMBLES - POINTS
Groupe 1
1025-1 et 2 = sommet de l’oppidum + collectes Y.
Blaize
1025-3 et 4 = base, à l’est
1025-5 =Base Ouest
1025-6 = Base nord
1025-7 = Base, nord-ouest isolée (cabane ?)
TOTAL Groupe 1
Groupe 2
1043
1026
TOTAL Groupe 2
Groupe 3
1002
1003
1004
1005
1006 (+1042)
1027
TOTAL Groupe 3
TOTAL Ensemble 1
W
U (+V)
TOTAL Groupe 1
Groupe 1
Groupe 2
1021
1020 (+ 1022+1031)
1018 (+1019)
TOTAL Groupe 2
Groupe 3
1012 (+1011)
1013
1030 (+1029)
1014 (+1015)
TOTAL Groupe 3
TOTAL Ensemble 2
H
TOTAL Groupe 1
I
J
K
L
M
TOTAL Groupe 2
Groupe 1
Groupe 2
CÉRAMIQUE
bracelets
LITHIQUE
DIVERS
1413
9
8
1 bloc “meule”
565
8
247
30
2263
1
16
6
1
33
6
9
4
2
29
2 percuteurs à cupule
1fgt moule fondeur
Schiste poli à cupule
385
166
551
6
1
7
5
5
10
185
106
21
662
727
112
1813
4627
2
ENSEMBLE 1
21
85
1
109
149
1
13
9
6
29
68
1 schiste poli
1 hache polie
570
720
1290
16
16
2
27
28
1 nodule cuivre/bronze
878
775
98
1751
24
30
6
60
10
14
2
26
60
73
606
288
1027
4068
3
4
5
2
14
90
1
3
14
2
20
74
1
1
4
4
1 meule
3
dont 1 flèche en silex
ENSEMBLE 2
1 meule
“Polissoir” sur plaquette
ENSEMBLE 3
260
260
24
12
164
48
75
323
0
1
4
Groupe 3
G
A (+C)
D (+E)
1034
1023
TOTAL Groupe 3
TOTAL Ensemble 3
37
92
66
44
13
252
835
1
1
2
1
2
6
13
TOTAUX des Ensembles 1, 2 et 3
9377
239
155
4
Inventaire général des mobiliers de l’âge du Bronze, plateau de Rodès et montalba-le-château, tous points confondus. A. Vignaud
Annexe II
Les anses à appendice du plateau de Ropidera
Richard Iund
Les anses à appendice sont caractéristiques de l’âge du
Bronze moyen/récent des régions méditerranéennes de
la France méridionale. Deux principaux types d’appendices se rencontrent au sommet des anses des vases de ces
périodes. Les pouciers, appendices cylindriques et les ad
ascia, « en hache », appendices plats.
Fruits de contacts avec le monde italique (culture des
Terramares de la côte orientale, et dans une moindre
mesure Apenninique et Subapenninique du centre de la
péninsule), en France, ces anses adoptent une répartition
originale sur les trois aires géographiques constituant le
pourtour méditerranéen. À l’est du Rhône, seules les anses ad ascia sont présentes sur des sites peu éloignés des
rivages. En Languedoc, les anses ad ascia se rencontrent en
contexte Bronze récent/final. Elles sont parfois associées
à des pouciers cylindriques, particulièrement sur les sites
lagunaires de l’Hérault. L’est des Pyrénées montre une situation originale. À proximité des rivages, les pouciers et
anses ad ascia sont peu présents, parfois associés sur le
même site (La Fonollera, Pons 1977). Plus à l’intérieur
des terres, sur l’axe Têt/Sègre et en Bas Aragon, les anses ad ascia sont pratiquement absentes, les pouciers par
contre sont très abondants et de morphologies variées.
Inventaire des anses à appendice de l’âge du Bronze du
plateau de Ropidera
La typologie utilisée dans cette étude a été définie lors de
travaux précédents (Iund, 1997, 1998, 2005). les numéros
de l’inventaire ci-dessus renvoient à la planche en annexe.
1 - Anse en ruban large et massive, la base est déviée vers
la gauche. Elle porte en son sommet, à la jonction anse/
bord, la trace d’un poucier. La surface, beige clair, est lissée, le dégraissant est fin (1 mm).
2 - Poucier à sommet plan débordant le corps de l’appendice (type 2A). Le tenon conique ayant servi à la fixation
de l’appendice sur l’anse est visible. La surface grise est
très érodée. Le dégraissant est moyen (3 mm).
3 - Petit poucier à sommet plan ne débordant pas le corps
de l’appendice (type 1). La surface est noire, érodée. Le
dégraissant est fin (1 mm).
4 - Poucier à sommet plan débordant le corps de l’appendice (type 2A). Le tenon conique servant à la fixation de
l’appendice sur l’anse est visible. La surface brun rougeâtre est érodée. Le dégraissant est moyen (3 mm).
5 - Poucier à sommet plan ne débordant pas le corps de
l’appendice (type 1). La surface brun marron est lissée. Le
dégraissant est fin (1 mm).
168
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
6 - Poucier à sommet arrondi (type 6B). La surface brun
noir est très érodée. Le dégraissant est gros (5 mm).
7 - Poucier à sommet plan ne débordant pas le corps de
l’appendice (type 1). La surface est lissée. Le dégraissant
est fin (1 mm).
8 - Fragment d’anse portant, à la jonction anse/bord, la
trace d’un poucier. La surface est lissée. Le dégraissant
est fin.
9 - Poucier à sommet plan débordant le corps de l’appendice et formant une étoile à quatre branches. Il est proche
du type 7B. En son centre le sommet est orné d’un petit
téton. La surface rougeâtre est lissée. Le dégraissant est
gros (5 mm).
10 - Fragment d’anse portant, à la jonction anse/bord, la
base d’un gros poucier. La surface rougeâtre est érodée.
Le dégraissant est moyen (2 mm).
11 - Partie supérieure d’une anse en ruban. Elle porte, à
la jonction avec le bord, un petit poucier à sommet arrondi (type 6B). La surface beige est finement lissée. Le
dégraissant n’est pas visible.
12 - Appendice ad ascia de type 1 (profil subcirculaire,
partie sommitale droite ou légèrement convexe, avec étranglement basal). La surface, beige sur la partie supérieure,
rosâtre en dessous, est lissée. Le dégraissant est fin.
13 - Gros poucier dont le sommet est manquant. La surface noire est lissée. Le dégraissant est fin (1 mm).
14 - Fragment d’anse portant, à la jonction avec le bord,
un gros poucier de type 2A. Elle est probablement portée par un vase de dimension importante (jatte ou urne).
La surface brune est très érodée, le dégraissant est gros
(5 mm).
Sur cet ensemble de moyens de préhension à appendices on peut dénombrer :
- 4 pouciers de type 2A à sommet plan débordant le
corps de l’appendice ;
- 3 pouciers de type 1 à sommet plan ne débordant pas le
corps de l’appendice ;
- 2 pouciers de type 6B à sommet arrondi ;
- 1 poucier à sommet plan à profil en étoile à 4 branches et à téton central. Il est raisonnable de le considérer
comme une variante du type 7B (à sommet plan et téton
central) ;
- 1 appendice ad ascia de type 1 à profil triangulaire, partie sommitale droite ou légèrement convexe et étranglement basal.
Répartition géographique des anses à poucier
Les pouciers, quand l’anse nous est parvenue, sont situés à la jonction avec la lèvre, caractéristique propre à la
céramique de l’âge du Bronze.
Les pouciers à sommet plan ou légèrement concave (type 1, 2A) représentent les 3/4 de l’ensemble des effectifs
au nord des Pyrénées (Iund 1997). Ils sont très nombreux
à Montou, ainsi que sur l’ensemble des sites de la vallée de
la Têt (Caune de Bélesta, grotte de la Chance, Llo). Le type 6B (à sommet arrondi) se rencontre assez peu au nord
des Pyrénées, il est beaucoup plus fréquent au sud.
Les pouciers de type 7 (A et B) sont présents au
nord des Pyrénées à Montou II, en contexte bouleversé
(Iund 1997). Au sud on les rencontre en Bas Aragon
(Los Estancos, Lecinena), et Bas Sègre (Rocaferida,
Lérida). À Geno (Lérida), habitat de type défensif de la
charnière Bronze moyen/final richement documenté en
anses à appendice, le poucier se distingue par un profil du
sommet en étoile à 6 branches. Ce site a d’autre part livré
des anneaux en pierre verte (Maya, Cuesta 1998).
Chronologie des anses à poucier dans les Pyrénées de l’est
Les vases à anse à poucier des Pyrénées de l’est ont,
dans un premier temps, été considérés comme traceurs
chrono-culturels du Bronze moyen. Ils seraient apparus à la fin du Bronze ancien, après les dernières manifestations du phénomène campaniforme (Guilaine,
Abélanet 1966). Les datations 14C de ces dernières
années ont légèrement rajeuni leur genèse au nord des
Pyrénées, et de façon beaucoup plus franche leur diffusion au sud.
La couche 11 de la Cauna de Bélesta, (Bélesta-de-laFrontière, Pyrénées-Orientales), qui a livré plusieurs anses à poucier de type 2A, est datée d’une phase récente
du Bronze moyen. La grotte de Montou, Corbère-lesCabanes (Pyrénées-Orientales), toute proche de la
Caune de Bélesta, renfermait dans les couches 3D et 4
plusieurs pouciers de type 2A et 1, associés à des tasses
carénées à profil convexo-concave, vases polypodes, anses
à nervure médiane, rangées d’ongulations sur la lèvre ou
la panse. Les dates obtenues pour ces couches sont compatibles avec celle de Bélesta-de-la-Frontière et renvoient
à une phase terminale du Bronze moyen.
. Ly-5105 : 2975 +/- 60 BP : Cal B.C. 1 sigma : 1312‑1103 (Claustre, Zammit
et Blaize 1993).
. Ly-5909 : 3070 +/- 45 BP : Cal B.C. 1 sigma : 1400‑1260 ; Ly 5910 : 3090
+/- 50 BP. : Cal B.C 1 sygma : 1410‑1260 ; 1280‑1260 (Claustre 1993).
annexe II les anses à appendice de l’âge du Bronze
Au sud des Pyrénées, à Geno (Aytona, Lerida), habitat
de plein air, la céramique marque la charnière entre Bronze
moyen, avec de nombreux profils carénés convexo-concaves, décors de cordons en résilles (probable perduration du
Bronze ancien), et le Bronze final II illustré par les nombreux décors de cannelures et des profils biconiques anguleux. L’une des datations obtenues par J. L. Maya renvoie
au Bronze final II catalan. Plus à l’ouest, en Bas Aragon,
le site de Masada de Raton, à Fraga, a livré un abondant
mobilier céramique qui, comme à Géno, marque la charnière Bronze moyen/Bronze final II : nombreux pouciers
de tous types, cordons digités en résilles, bords éversés
anguleux à lèvres biseautées, décors de cannelures. Les
datations obtenues sur le site sont légèrement plus basses
que celles de Geno. Encore à l’ouest, dans la province de
Saragosse, le site d’el Macedo (Lecinena), donne une datation qui renvoie au plein Bronze final.
Répartition géographique des anses ad ascia
Les anses ad ascia (en hache) apparaissent en contexte
Protoapenninique, Bronze ancien de l’Italie méridionale,
et y perdurent pendant l’Appenninique classique qui caractérise de façon unitaire l’Italie méridionale et centrale
(Cecanti 1979). Au nord de la péninsule, les appendices
de la culture de la Polada (culture subcontemporaine du
Protoappenninique méridional) sont de dimensions plus
modestes, mais de morphologie similaire.
À l’ouest des Alpes, c’est en Provence que l’on trouve les
plus anciens spécimens de cette céramique. Dans la couche III de la grotte Murée de Montpezat (Alpes-de-HauteProvence), l’appendice décoré de deux rangées de triangles
hachurés est porté par une tasse à carène douce. Il appartient à la première phase du Bronze moyen : 1525‑1450
B.C. (Vital 1999). D’autres sites à l’est du Rhône ont livré ce
type d’appendice : la grotte des Monnaies (le Plan d’Aups,
Var), daté du Bronze moyen II (1450-1425 B. C.) ; l’Aven
de Vauclare à Esparron-de-Verdon (Alpes-de-HauteProvence), sur une jatte carénée en contexte Bronze final I/II
(Lagrand 1968). Les exemplaires les plus récents (Salins
de Ferrières à Martigues, Bouches-du-Rhône et Ilot de la
Mouette à Saint-Tropez, Var) se rencontrent en contexte
Bronze final II/IIIa, avec des décors de cannelures internes,
vase à col oblique et pied annulaire (Iund 1998).
. Ubar - 519 : 2815 +/- BP : Cal BC 1 sigma : 1008-901 (Maya, Cuesta 1998).
. GrN - 18640 : 2816 +/- 16 BP : Cal BC 1 sigma : 990-955, 945-920 (Iund 1997).
. GrN 14946 : 2805 +/6 BP : Cal BC 1 sigma : 995-905 (Ferreruela 1993).
À l’ouest du Rhône, les anses ad ascia de type III sont
peu nombreuses et concentrées sur des sites proches du littoral. Station du Roc de Conilhac à Gruissan, dans l’Aude,
où l’appendice est porté par une tasse à carène médiane,
contexte Bronze final I (Guilaine 1972). À la grotte Basse
de la Vigne perdue (Narbonne), toute proche, une tasse
à carène très marquée porte une anse ad ascia de type III.
Le contexte sépulcral Chalcolithique/âge du Bronze est
mal établi (Guilaine 1972). C’est sur le littoral héraultais
en contexte lagunaire que l’on trouve les principaux sites
à anses ad ascia : Camp Redon et Tonnerre (Prades et le
G.A.P. 1985, Dedet et alii 1985). Les contextes de ces deux
sites sont centrés sur le Bronze final II avec de nombreux
décors de cannelures, urnes à col, carènes à méplats.
Au sud des Pyrénées de l’est les anses ad ascia sont
peu nombreuses et concentrées dans la partie orientale
de l’Ampurdan, à proximité de la mer. Cau de les Dents,
La Fonollera et Puig Mascaro, à Toroella-de-Montgrí
(Gérone), sont trois sites tout proches du littoral qui ont
livré des anses surmontées d’appendices de type III, certains portant un décor de cannelures. Le contexte, quand
il est lisible, appartient au Bronze final II. Plus à l’ouest,
à la Bauma del Serra del Pont, Tortella (Gérone), dans
la couche II 2b, on a trouvé un appendice ad ascia de
type III ainsi qu’un fragment d’anse à poucier. Comme
pour les sites du littoral le contexte est Bronze final II.
Conclusion
Dans les Pyrénées de l’est, les anses à appendices, poucier et ad ascia, sont probablement le fruit de contacts répétés avec le monde italique. Ces contacts sont à envisager par voie maritime, le cabotage est un mode de transport bien maîtrisé à la fin de l’âge du Bronze. Les anses
à poucier, à partir de contacts au nord des Pyrénées, sur
les rivages du Roussillon, vont, par les vallées de la Têt et
du Sègre gagner le Bas Sègre et le Bas Aragon. En ce qui
concerne les anses ad ascia, leur parcours est beaucoup
moins lisible, on les retrouve en nombre très limité, et
surtout au bord des rivages. L’ensemble des anses à appendices du plateau de Ropidera peut, en rapport avec les
datations obtenues à Montou et Bélesta, être daté de la
fin du Bronze moyen.
. Une datation 14C obtenue à la Fonollera donne une date un peu haute :
MC 1246 : 3400 + : - 100 BP : Cal 1 sigma 1870‑1840 ; 1780‑1520.
. Avec une datation 14C sensiblement plus basse : UBAR 180 : 3160 +/- 100
BP : Cal BC 1 sigma : 1505‑1368 ; 1362‑1313 ; 1271‑1264.
169
170
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
1
13
5 cm
3
2
11
5
4
10
7
6
14
12
8
5 cm
9
Dessin Richard Iund
Anses à pouciers, et anses ad ascia, âge du Bronze, plateau de Montalba.
Annexe III
Les deux petits dolmens de Rodès
et leur place dans le mégalithisme
des Pyrénées-Orientales
Valérie Porra-Kuteni
Le plateau de Montalba et ses contreforts vers la vallée de la Têt ont longuement été occupés pendant la
Préhistoire, mais les traces qu’il en reste dans le paysage sont plutôt ténues et seulement visibles pour un
œil averti. Seuls deux monuments mégalithiques sont
remarquables bien que discrets. La multitude de chaos
parsemant tout l’environnement offrait des matériaux
immédiatement accessibles pour la construction de mégalithes durant la fin du Néolithique, période du début de la construction des dolmens à l’est des Pyrénées.
Or, sur la totalité de la surface prospectée, seules deux
structures de ce type ont été retrouvées. Si le dolmen
du Serrat Blanc, sur la commune de Rodès, avait déjà
été signalé par Yves Blaize anciennement, celui de la
Guardiola, toujours à Rodès, n’était pas connu. Bien que
très dégradés, ces monuments attestent de la présence
de pratiques funéraires, particulières à ce début du IIe
millénaire avant notre ère.
I - Les dolmens de Rodès
I.1 - Le dolmen de La Guardiola (commune de Rodès)
Quand on arrive sur le site par le sud, après une approche sportive de 200 m de dénivelé depuis le lit du
fleuve, si la vue panoramique sur la vallée de la Têt et
le Canigou récompense un effort certain, le monument
attendu est un peu déconcertant. Le premier coup d’œil
donne davantage à penser à un abri de fortune plutôt
qu’à un dolmen que l’on imagine toujours plus imposant... Et pourtant, à bien y regarder, plusieurs indices
indiquent une construction préhistorique (ill. 1).
Ce dolmen est situé au sud du plateau de Montalba, près
du lieu-dit La Guardiola, sur une ligne de crête qui amorce
une descente abrupte, au droit des gorges de la Guillera.
C’est la crête la plus visible des environs immédiats, et la
petite taille du monument devait être compensée par un
tumulus mieux repérable dans le paysage (ill. 2).
172
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
1 - Dolmen de la Guardiola (vue sud) (cl. Olivier Passarrius).
2 - Versant de la Guardiola (vue sud du massif ) (cl. V. Porra-Kuteni).
N
0
0,50
1m
3 - Dolmen de la Guardiola (vue sud-est) (cl. V. Porra-Kuteni).
4 - Dolmen de la Guardiola (plan et coupe) ( relevé V. Porra-Kuteni.).
Particulièrement dégradé et remanié, il est difficile
d’imaginer son aspect initial : une cella de plan apparemment carré, est composée de deux orthostates, qui
devaient directement supporter à l’origine la dalle de
couverture horizontale. Seules les dalles verticales semblent réellement en place. La dalle horizontale a été
surélevée par des murets formés de quelques pierres
sèches, de manière à permettre à un homme de tenir
assis sur le sol actuel de la structure. Une roche du substratum en place a été utilisée comme chevet de la cella,
et là aussi, des pierres ont été placées au-dessus pour
surélever la « table » (ill. 3).
Les orthostates ne sont distants que de 1,20 m pour
1,15 m de profondeur, du chevet à la partie distale de
ceux-ci. La dalle de couverture possède des dimensions
(L. 1,50 m x l. 1,15 m) lui permettant de clore parfaitement un carré constitué par les pierres en place et fermé
au sud par une éventuelle pierre plate disparue (Ill. 4).
Cette pierre manquante devait faire office de porte, à
moins que l’ouverture ait été effectuée par le soulèvement
de la dalle de couverture, ce qui est souvent le cas pour
les dolmens de très petite taille. La structure était au total vraisemblablement très modeste, ce qui est fréquent
dans la région pour la période de construction envisagée,
comme nous allons le voir.
annexe III les dolmens de Rodès
Dans la mesure où le chevet semble en place (roche du
substratum affleurant), le monument voyait son entrée
orientée vers le sud, suivant en cela le sens du pendage du
versant. Actuellement, la construction paraît s’adosser à
un mur de terrasse, qui pourrait bien avoir été construit
avec les pierres de l’ancien tumulus le recouvrant.
Les chaos de granite, présents dans l’environnement
proche, offrent des matériaux en abondance, qu’il suffisait de choisir aux bonnes dimensions pour la réalisation du cairn comme du monument en lui-même.
Le contenu du dolmen a depuis longtemps été vidé,
donc aucun mobilier archéologique ne peut directement
participer à un essai de datation relative. Pourtant, il faut
signaler la découverte en surface d’un ensemble de tessons modelés, à trente mètres plus haut vers le nord‑est.
Répertoriée sous le no 1024, cette concentration de céramiques présente des formes bien datables de l’âge du
Bronze moyen (1re moitié du IIe millénaire avant J.‑C.)
et leur représentativité est tout à fait homogène.
La pâte de ces récipients est essentiellement cuite en
ambiance oxydante. Bien que très fragmenté, ce mobilier permet de reconnaître des fonds plats et un rond,
un pied de vase polypode, une oreille de préhension, un
départ d’anse orné sous l’anse d’une ligne d’impressions
« en coin », des anses en ruban, des décors ongulés, des
cordons digités, et un tesson de gros vase de stockage
dont le bord est orné d’un cordon digité sous la lèvre
à impressions digitées. Le vase polypode et le décor de
coups d’ongle sont des caractéristiques que l’on retrouve
dans toutes les Pyrénées à cette époque, de manière
presque exclusive (Martin 1989 et Rouquerol 2004).
On compte un minimum de huit poteries dont un gros
vase à provision, en général signe d’un habitat à proximité. Il est difficile d’interpréter la présence de cet ensemble céramique, sans autre mobilier associé : fond de
cabane ou reste de fosse dépotoir ?
la Têt, réalisés par J.-Ph. Bocquenet (Bocquenet 1997),
ont montré des exemples proches, du point de vue de la
datation et de la typologie, comme celui du dolmen de
Valltorta à Saint-Michel-de-Llotes ou encore celui des
Rières à Bouleternère (Iund, Porra-Kuteni 2003).
Si un doute était permis au premier regard sur cette
construction, compte tenu de la morphologie ancienne
des terrasses sur la montagne de Rodès, le plus souvent armées par des dalles redressées dès une phase
médiévale d’aménagement du terroir (cf. Passarrius
chap. VIII, Martzluff chap. XI) les arguments avancés
ici nous donnent la certitude d’avoir affaire à un dolmen
et nous essaierons plus loin de comprendre pourquoi il
fut implanté en ce lieu.
I.2 - Le dolmen du Serrat Blanc (commune de Rodès)
à la différence de La Guardiola, l’approche de ce dolmen est une vraie promenade, car il se trouve juste à l’est
du principal chemin traversant le plateau de Montalba du
nord au sud, au niveau du Mont Serrat Blanc. Découvert
il y a quelques années par Yves Blaize, il est situé au pied
d’une petite butte constituée d’albites développées dans
les granites porphyroïdes, et semble se cacher dans un
petit bosquet de chênes (ill. 5).
Il est intéressant de noter que la datation de cet ensemble céramique pourrait tout à fait correspondre à
celle du dolmen. En effet Françoise Claustre, dans sa
chrono-typologie des dolmens des Pyrénées de l’est,
datait de la 1re moitié du IIe millénaire avant notre ère,
ce type de « petites cistes aériennes couvertes d’un tumulus » (Claustre 1998). Les derniers travaux de prospection et restauration de mégalithes dans la vallée de
. Ciste aérienne : coffre de pierre constitué de petites dalles plates, non enfoui.
5 - Dolmen du Serrat Blanc et son tumulus (vue ouest) (cl. V. Porra-Kuteni).
173
174
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
N
0
0,5
1,00 m
6 - Dolmen du Serrat Blanc, plan et coupe (relevé V. Porra-Kuteni).
7 - Dolmen du Serrat Blanc, avant l’intervention de la mairie de Rodès en mai 2006
(cl. Michel Martzluff ).
8 - Dolmen du Serrat Blanc - vue est, après intervention de la mairie (cl. V. Porra-Kuteni).
Dès que l’on s’approche, on aperçoit un « caisson » rectangulaire comme planté sur son tumulus bien visible. Dans son état
actuel, ce dernier est constitué de petits blocs de granite (entre
20 et 30 cm d’extension). Il est de forme circulaire et d’un diamètre d’environ 6 à 7 m. Il s’appuie sur de plus gros blocs fichés
en terre et des affleurements de la roche granitique.
Si l’on ne doute pas d’être en présence d’un dolmen, son aspect actuel montre bien qu’il a subi de
nombreux remaniements qui rendent peu lisibles
son plan initial et donc son fonctionnement. Une
grande roche plate sert de couverture à une cella
aux dimensions intérieures modestes (L. 1,15 m x
l. 1,00 m x H. 0,90 m). Dans son état actuel, elle
est de plan rectangulaire et délimitée par des dalles
verticales sur les quatre côtés (ill. 6). En 2005, la
structure se présentait différemment. La dalle de
couverture était basculée sur le côté, vers l’ouest.
Les orthostates n’étaient pas parallèles ni de même
niveau, certains fort bas, d’autres bien plus haut
et même l’un d’eux (côté sud-est) est si bas qu’il
pourrait être interprété comme une porte-fenêtre
(ill. 7). Les dimensions réduites de la construction
plaident aussi en faveur d’une éventuelle ouverture
par la dalle de couverture. Il apparaît que seules les
dalles délimitant la chambre funéraire, seraient en
place. Murets en pierres sèches et autres doublements d’orthostotes ont été rajoutés au cours des
siècles (ill. 8).
On ne peut que déplorer l’absence de mobilier remarquable qui autoriserait une datation relative. Le
ramassage d’un maigre mobilier récolté en surface
entre les pierres du tumulus montre : 3 percuteurs
de quartz et une dizaine de tessons de céramiques
modelées (6 en cuisson oxydante et 4 en cuisson
réductrice) dépourvus de décors ou de profils reconnaissables. Toutefois, un seul tesson de poterie
modelée de 8 mm d’épaisseur, à pâte brun-orangé
avec gros dégraissant, provient d’un vase de stockage. Trouvé sur le tumulus, cet élément associable à
l’habitat peut avoir été emmené avec la terre pour sa
construction, ou par d’autres hasards... Cet ensemble mobilier pourrait appartenir autant à la fin de la
Préhistoire qu’au début de la Protohistoire. Comme
pour celui de la Guardiola, le plan rectangulaire de
ce dolmen et ses dimensions réduites invitent à rattacher sa période d’érection au Chalcolithique ou au
début de l’âge du Bronze, si l’on s’en tient toujours
aux propositions de F. Claustre (Claustre 1998).
. En particulier la fermeture des espaces vides entre les dalles, par de
petits murets de pierres sèches.
annexe III les dolmens de Rodès
France
Marseille
Perpignan
Espagne
Barcelone
0
15 km
9 - Carte de répartition des dolmens des Pyrénées-Orientales (cl. V. Porra-Kuteni).
II - Questions de mégalithes
Dans le sud de la France, plusieurs concentrations de
mégalithes ont été identifiées : celle des Pyrénées de l’est
occupe un territoire circonscrit au nord par le fleuve Aude
et au sud par celui de l’Ebre en Catalogne, à l’est l’Ariège en
serait la limite. Dans les Pyrénées-Orientales, on perçoit
trois grands ensembles de dolmens et quelques « isolats »
aux marges. Au sud, les Albères françaises (12 dolmens)
et espagnoles (60 dolmens) forment un premier groupe,
puis un second – d’une trentaine de monuments, dont
ceux de Rodes, surplombant la vallée de la Têt – occupe
les hauteurs du Vallespir et des Aspres. Enfin le troisième voit une cinquantaine d’exemplaires répartis sur les
hauteurs du Conflent et des Fenouillèdes. Quelques uns
se trouvent isolés (aujourd’hui ?) en Cerdagne à Eyne, à
Enveigt et dans les Corbières à Salses (Ill. 9).
Les dolmens les plus proches de Rodès sont ceux de
Bélesta à l’est, Tarerach et Trévillach à l’ouest et Trilla
au nord. Au sud, de l’autre côté de la vallée de la Têt, les
crêtes du versant nord sont elles aussi occupées par la
concentration des dolmens de Saint-Michel-de-Llotes.
. Notamment étudiés et restaurés par J‑Ph. Bocquenet, à la fin des années 1990
(Bocquenet 1997 - Iund, Porra 2003).
2.1 - Bref historique de la recherche
Participant à la celtomanie qui précédait les premiers
temps de l’archéologie préhistorique, Jaubert de Réart signala des mégalithes dès 1832. Ce n’est qu’en 1921 que
Pierre Vidal dresse le premier inventaire de 25 dolmens.
Pierre Ponsich en fait un décompte plus précis en 1949
(Ponsich 1949). Depuis, Jean Abélanet a patiemment
prospecté et découvert des dolmens pour en fixer le nombre à 90 en 1987 (Abélanet 1990).
Ces mêmes années 1980, les chantiers archéologiques de
Françoise Claustre, nouvellement installée en Roussillon,
ont dynamisé la recherche en Préhistoire récente, sous l’égide du CNRS et avec l’appui de l’École des Hautes études en
Sciences Sociales installée à l’Université de Toulouse, dirigée par Jean Guilaine. C’est ainsi que fut publiée la première
fouille programmée d’un mégalithe (Claustre, Pons 1988).
Dans ce mouvement, qui allait par ailleurs à la rencontre du
plus large public par des conférences et la création de musées, se sont inscrits à partir des années 1990 les travaux
de Jean-Philippe Bocquenet, Richard Iund et moi-même.
. Qu’il publia dans le n° 4 du « Publicateur des Pyrénées-Orientales » puis
présenta ceux de Llauro et l’année suivante celui de Taulis dans un article
intitulé « Monuments druidiques sur la montagne de Molitg ».
. Paru sous le titre « le Roussillon préhistorique » dans la revue Ruscino
nos 15, 16, 17, 18.
. Château-Musée de Bélesta en 1992 et Maison de l’Archéologie à Céret en 1995.
175
176
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
10 - Dolmen du Moli del Vent à Bélesta (cl. V. Porra-Kuteni).
La réponse à l’intérêt de la population fut l’élaboration
du projet « Piste des dolmens » par les élus du canton de
Vinça. Ainsi fut créée une charte intercommunale pour
mettre en place un chantier école qui avait pour but d’étudier et valoriser les dolmens destinés à faire partie d’un
circuit pour le grand public randonneur et/ou familial.
Cette étude commença par la fouille du dolmen du
Moli del vent à Bélesta, en 1993 (Porra 2003). Pour la
première fois dans notre département, le décapage de la
totalité du tumulus montra l’apport d’une telle démarche, ne se restreignant plus à la chambre funéraire : une
meilleure connaissance de l’architecture et la découverte
de mobilier, souvent absent de la cella pillée et certes généralement très fragmentaire, mais bien représentatif des
diverses occupations (ill. 10). Ce projet de « piste des
dolmens » a permis la fouille, l’étude et la restauration de
5 dolmens du canton de Vinça par l’équipe dirigée par
J.‑Ph. Bocquenet. Aujourd’hui, l’état des lieux que Jean
Abélanet prépare pour une prochaine publication recense plus d’une centaine de dolmens sur le territoire de la
Catalogne nord.
. Dolmen du Poste de tir à Saint-Michel-de-Llotes, Dolmen de la Creu de la
Falibe ou de la Llose à Saint-Michel-de-Llotes, dolmen du Serrat d’en Jacques
à Saint-Michel-de-Llotes, dolmen du Coll de la Llosa à Casefabre et dolmen
des Rières à Bouleternère.
II.2 - Quelques constantes du mégalithisme dans les
Pyrénées-Orientales
L’implantation des dolmens est généralement située
en région montagneuse sur des emplacements privilégiés
(très souvent une vue panoramique avec angle à 360°)
comme un col, une crête, à des altitudes pouvant atteindre 1 500 m en Cerdagne (Abélanet 1987a). Le caisson
de La Guardiola pourrait fort bien rentrer dans ce cas de
figure, mais pas vraiment celui du Serrat blanc. Les matériaux employés sont des roches disponibles sur place
(schiste, granite, gneiss, calcaire pour les plus courants).
Leurs dimensions sont dans l’ensemble modestes. Il
faut bien reconnaître que les mégalithes des Pyrénées
orientales n’ont de mega que le nom, comparés à bon
nombre de monuments chez nos voisins les plus proches
en Catalogne du sud ou dans l’Aude (le dolmen de Las
Fades à Pépieux et le dolmen de Saint‑Eugène à LaureMinervois, dolmens dont le tumulus dépasse les 15 m).
Toutefois, l’un des deux dolmens du Mas Llosanes, qui
fait face aux caissons de Rodès, sur le très proche plateau
de Tarrerach, est quand même assez imposant pour notre
département et jouxte un habitat où furent découverts
des restes de bracelets et d’ébauches d’anneaux-disques en
chloritoschiste, ainsi qu’un site à gravures rupestres datées par l’inventeur de l’âge du Bronze (Abélanet 1990).
Le plan de ces dolmens est toujours très simple : un
caisson dont les dimensions et l’accès varient selon les
périodes. L’orientation de l’entrée de la structure est le
plus souvent dirigée vers le sud, plus précisément vers
le sud-est et moins fréquemment vers le sud-ouest.
Malheureusement, le mauvais état de ces mégalithes ne
permet pas toujours de la mettre en évidence et l’on trouve parfois des orientations vers l’est (dolmen du Pla de
l’Arca à Molitg-les-bains) ou l’ouest (dolmen de los Masos
à Saint-Michel-de-Llotes), ou encore, vers le nord-ouest
(Saint‑Martin à Latour-de-France). Certains monuments
pouvaient être clos et ne s’ouvrir qu’en remuant la dalle de
couverture ou par un sas dans la partie supérieure. Il est
donc difficile de se prononcer pour nos deux structures,
vu leur état de conservation. Gravures et cupules accompagnent souvent ces monuments, soit sur les dalles ellesmêmes, soit dans l’environnement proche.
Les tumulus sont constitués de pierres, blocs et/ou
terre. Parfois ces tertres possèdent un parement de pierres plates (Moli del vent à Bélesta). Leur forme est essentiellement circulaire dont quelques rares cas ovales avec
annexe III les dolmens de Rodès
un péristalithe, constitué de dalles verticales fichées en
terre, délimitant ainsi un espace funéraire (rectangulaire
au dolmen du Roc del Llamp à Castelnou). À Rodès, le
tumulus du caisson du Serrat Blanc rentre dans ce cadre
et, si nous ne savons rien de la couverture de celui de La
Guardiola, on peut supposer qu’il était semi-enterré puisqu’il touche le socle sur une pente, dans une formule qui
existe déjà dans les Pyrénées catalanes au Néolithique
moyen, par exemple à La feixa del Moro de Juberri, en
Andorre (Yanez 2005).
Leur contenu est souvent indigent à cause des pillages
anciens et surtout de l’acidité de certains sols, à deux exceptions près : le dolmen de l’Oliva d’En David à Salses
(sol calcaire) où plusieurs restes osseux humains ont été
retrouvés et le dolmen du Serrat d’En Jacques à SaintMichel-de-Llotes où juste un fragment de boite crânienne humaine avait été conservé.
II.3 - Une chronologie toujours difficile à établir
Rien n’est plus difficile que de dater ces constructions
en l’absence de matériaux organiques (charbons, ossements) utilisés par les moyens de datation physicochimique et vue la rareté des mobiliers remarquables
associés de manière certaine. D’après la chrono-typologie
touchant surtout l’architecture et établie par Françoise
Claustre (Claustre 1998) et les travaux de Josep Tarrus
(Tarrus 1990, 2002) cinq phases sont discernées.
Tarerach, Bélesta). Certains de ces dolmens se rapprochent
de l’allée couverte (Prat-Clos à Ria, Poste de tir à SaintMichel-de-Llotes). Ces monuments correspondent aux
« galeries catalanes » côté Catalogne-sud. Leur datation
serait du Néolithique final (fin IVe/début IIIe millénaire).
Pour certains monuments, la période Vérazienne peut
être avancée, d’après la céramique à cordons lisses et les
habitats de la même époque aux alentours.
- Phase 4 : Les dolmens à couloir sont réutilisés et les dolmens simples sont construits au Chalcolithique (2e moitié du IIIe millénaire). Les dolmens simples sont les plus
nombreux en Roussillon (Llauro, Arles, Argelès, Molitg,
Campoussy, etc.). Trois dalles ou davantage délimitent
une chambre carrée ou rectangulaire. L’orientation de
leur entrée est fréquente au sud (essentiellement sud-est
et parfois sud-ouest). L’accès à la cella est possible par une
dalle frontale à l’entrée du dolmen (Enveitg), ou par une
dalle mobile (par rapport à une dalle inférieure fixe) qui
fait office de porte-fenêtre (ill. 11). Parfois, un vestibulepuits sert de passage, devant la chambre à l’intérieur du
tumulus ou bien une porte en bois aujourd’hui disparue.
- Phase 5 : On constate la réutilisation de tous les monuments mégalithiques déjà existants et la construction de
petites cistes aériennes couvertes d’un tumulus durant la
fin du Chalcolithique et jusqu’à l’âge du Bronze ancien
(première moitié du IIe millénaire avant notre ère). Les
petites structures de Bouleternère pourraient correspondre à cette étape.
‑ Phase 1 : Le ciste (coffre de quatre dalles souvent couvertes) avec sépulture encore individuelle, mais des coffres parfois regroupés dans un tumulus complexe, daté
du Néolithique moyen (2e moitié du Ve millénaire) du
groupe Montbolo (pour exemple la nécropole du Camp
del Ginèbre, à Caramany).
- Phase 2 : Les cistes petites ou grandes, totalement
enterrées, sans tumulus (pour F. Claustre comme pour
J. Abélanet, il n’y a pas chez nous de véritables dolmens à
couloir et chambre circulaire ou polygonale). On trouve
aussi de petits coffres enterrés ou semi-enterrés, avec ou
sans tumulus apparent, avec ou sans péristalithe (Caixas,
Catllar, Conat, Eyne, Saint-Marsal, etc.). Leur datation
pourrait se situer à la fin du IVe millénaire ?
- Phase 3 : Le dolmen à couloir évolué : dolmen à couloir aussi large que la chambre à plan rectangulaire en U
ou en V (Laroque-des-Albères, Saint-Jean-de-l’Albère,
11 - Dolmen de La Siureda à Maureillas (cl. Jean-Marie Porra).
177
178
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IV
Conclusion
L’intérêt de la découverte des deux petits dolmens de
Rodès tient déjà dans leur emplacement remarquable. La
question s’est posée de savoir pourquoi la situation des
dolmens privilégie de manière générale les hauteurs, les
cols, les crêtes, les plateaux dominant les terres basses.
Doit-on y voir des espaces plutôt dévolus aux éleveurs ?
Peut-on y reconnaître le choix d’un peuple de pasteurs,
avec ses « repères » mégalithiques sur des territoires de
pacages et de routes de transhumance (ill. 12) ?
Quant à la dimension spirituelle du choix du lieu de
l’érection de ces sépultures collectives (ou peut-être simplement de quelques individus d’un groupe ou une famille),
elle nous échappe. Gageons qu’elle devait revêtir une importance primordiale pour des gens qui donnaient sens à
la majorité des gestes de leur vie quotidienne (leur survie
en dépendait souvent), qui interprétaient constamment les
mouvements climatiques et sacralisaient la plupart des éléments naturels (l’eau, les arbres, les roches, la terre, etc.).
Un autre intérêt de ces mégalithes est paradoxalement
leur rareté. Il est rare qu’un si vaste territoire soit prospecté de manière presque exhaustive. Compte tenu que
les recherches sur le plateau ont montré que les vestiges
préhistoriques récents les plus nombreux dataient du
Bronze ancien et moyen, sans pouvoir toutefois le préciser, on est poussé à faire correspondre la typologie tardive
de ces structures avec ce qu’exprime le contexte, c’est-àdire une occupation devenue intensive de ce piémont par
un peuple probablement pasteur et semi-nomade au début de la Protohistoire.
Malgré les outrages du temps, les pillages ou les réutilisations possibles, la persistance de ces deux petits mégalithes dans le paysage du plateau cristallin de RodèsMontalba offre les plus anciens témoignages d’une emprise de l’homme sur la nature. À ce titre, ils procèdent
d’un patrimoine dont il nous appartient de réfléchir sur
la meilleure façon de le conserver et, après l’avoir étudié, de le transmettre aux générations futures (PorraKuteni 2005).
12 - Vue panoramique depuis le dolmen de la Guardiola, vers le sud-ouest (cl. V. Porra-Kuteni).
chapitre V
Le plateau de Ropidera à l’époque romaine :
un secteur inoccupé entre deux groupes culturels
Jérôme Kotarba
I - Les résultats des prospections
pédestres de la zone incendiée
I.1 - Absence de vestiges d’époque romaine
Pour l’époque romaine, le bilan des prospections pédestres de la zone incendiée de Rodès est vite établi :
aucun site n’a été mis en évidence et aucun débris n’a
été repéré. Un seul endroit de découverte, de très petite surface, sera présenté dans cette étude, mais nous
verrons plus loin qu’il s’inscrit chronologiquement sur
la période suivante, celle du haut Moyen Âge. Ainsi,
malgré le caractère systématique des prospections réalisées par O. Passarrius et son équipe, malgré les collectes
intégrales des artefacts de toutes les époques présents
sur des zones particulières (les sites et leur environnement), nous devons constater l’absence totale de vestiges de l’époque romaine. Aucun débris d’amphore ou de
céramique fine importée comme la sigillée sud-gauloise
n’est présent dans les inventaires réalisés. Pourtant, les
céramiques d’époque moderne, pâtes orangées bien
cuites, qui sont proches visuellement des productions
antiques ont été ramassées systématiquement et donc
d’éventuelles confusions sur le terrain, lors des collectes, auraient été corrigées au moment des inventaires.
On peut en conclure que cette absence totale de céramiques typiques de l’époque romaine classique, c’està-dire de vestiges datables entre le IIe siècle avant J.‑C.
et le Ve siècle de notre ère, cette longue période où les
importations sont nombreuses et diversifiées, constitue
une caractéristique remarquable de la zone incendiée.
La découverte, dans le même contexte géographique, de
nombreux sites (ou concentrations de mobilier) antérieurs à l’époque romaine montre bien que cette absence
ne peut pas être expliquée par des recouvrements sédimentaires postérieurs, car ils auraient aussi touché les
vestiges plus anciens. Il reste bien sûr possible que ces
installations plus anciennes occupent des espaces différents de ceux qui auraient pu l’être à l’époque romaine.
Toutefois, comme nous allons le voir avec des exemples
proches, le grand plateau de Ropidera, avec ses collines
et ses étendues planes, offre des surfaces cultivables intéressantes qui auraient pu être exploitées ou mises en
culture à l’époque romaine comme elles le furent précédemment.
180
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre V
I.2 - Une petite concentration de mobilier d’époque wisigothique
Au lieu-dit Cortal Baudet (dénomination point R
sur le terrain), les prospections ont mis en évidence une
petite concentration de céramiques communes présentant des caractéristiques de la fin de l’époque romaine
et du haut Moyen Âge. On y distingue un premier lot
de céramiques communes correspondant surtout à des
panses assez épaisses à pâte brune à grise contenant
de nombreux grains de sable assez fin. Leur façonnage
semble modelé et correspondre à une fabrication locale.
Aux 26 panses de ce lot, s’ajoute un fond légèrement
bombé épais (supérieur à 10 mm). Le second groupe de
céramiques est plus hétérogène, il s’agit de céramiques
communes tournées dont les parois sont nettement plus
fines que celles du premier lot. Les pâtes sont brunes à
grises, parfois noires, et comprennent un dégraissant
sableux fin incluant souvent de fins micas en surface.
Ce second lot est constitué de 10 panses, 3 bords et un
fond (ill. 1). L’une des panses, en pâte réductrice bien
cuite (allure sèche), porte une cannelure. Le fond bombé, d’environ 11 cm de diamètre, appartient à un vase
assez grand (ill. 1, n° 4). Les rebords présentent tous
une mouluration. Un premier rebord dont l’épaisseur
est constante porte simplement une légère gorge interne
(n° 1). Les deux autres présentent de petits bandeaux
verticaux plus ou moins dégagés et une gorge interne
peu accentuée (n° 2 et 3).
D’un point de vue typologique, sans qu’un classement
précis n’ait encore été publié pour le Roussillon, ces
bords se rapportent aux contextes d’époque wisigothique retrouvés tant en plaine du Roussillon que dans les
sites explorés du barrage de l’Agly. Ils appartiennent à un
faciès un peu plus tardif que celui des urnes à bord en
bandeau que l’on trouve dans le dépotoir des Bonissos II
à Tautavel (Kotarba, Castellvi, Mazière 2007) daté
du milieu et de la seconde moitié du Ve siècle de notre ère. Comme les rebords moulurés ne sont plus présents à l’époque carolingienne, nous proposerons de
dater cet assemblage de mobilier des VIe‑VIIIe siècles.
. CAG 66, site n° 971, p. 593. Les références retenues pour les sites archéologiques décrits ou cités dans ce chapitre sont celles de la CAG 66 publiée
en 2007. Les références bibliographiques antérieures pourront être retrouvées
en consultant les notices de chaque site.
. Cette datation est donc plus tardive que celle proposée dans la notice de la
Carte Archéologique (CAG 66, site n° 804, p. 540), trop rapidement formulée.
Les vestiges sur le terrain se répartissaient sur environ 10 m2, ce qui laisse entrevoir la possibilité d’une
fosse, en relation avec un petit habitat rural. À partir
de la documentation recueillie sur le massif incendié,
ce petit endroit occupé entre le VIe et le VIIIe siècle de
notre ère marque donc un timide retour sur cette partie
du territoire de Rodès, déserté depuis un millier d’années environ. Cette découverte d’un petit site d’époque
wisigothique ne doit pas à nos yeux faire l’objet d’une
interprétation exagérée. Les progrès faits ces dernières
années dans la caractérisation des indices matériels du
haut Moyen Âge apportent un ensemble d’informations considérable pour une période qui était restée
méconnue. Toutefois, il convient de ne pas trop mettre
en exergue ces occupations d’époque wisigothique, aussi
modestes ou importantes soient-elles, pour laisser le
temps aux historiens et archéologues de les comprendre
dans le cadre de véritables dynamiques d’occupation.
1
2
3
4
0
5
10
15
cm
1 - Les céramiques communes tournées du Cortal Baudet à Rodès (dessin J. Kotarba).
. Voir à titre d’exemple les travaux d’archéologie préventive de la LGV Perpignan–Espagne (Kotarba 2007).
Le plateau de Ropidera à l’époque romaine
II - L’occupation d’époque romaine
dans l’arrière-pays des PyrénéesOrientales
L’absence constatée de vestiges de l’époque romaine prend
de l’intérêt si on la compare à ce que l’on connaît à proximité. D’une manière générale, en plaine du Roussillon, mais
aussi dans les premiers contreforts montagneux, les indices
d’une présence humaine à l’époque romaine sont nombreux
(ill. 2). Il est même fréquemment difficile de savoir comment
prendre en compte à leur juste valeur ces débris antiques si
caractéristiques par rapport à ceux des périodes juste antérieures ou postérieures disposant de moins de céramiques
importées reconnaissables à partir du moindre débris.
À proximité de la zone incendiée de Rodès, l’Association Archéologique des Pyrénées-Orientales a pris
en charge, il y a 20 ans, des prospections pédestres sur
l’emprise du futur barrage de l’Agly (communes d’Ansignan, de Caramany, de Cassagnes et de Trilla). Celles-ci
ont permis de constater une présence régulière de débris
d’époque romaine sur les parcelles du fond de vallée, mais
aussi sur les premiers coteaux. Des habitats s’y trouvaient
aussi, et étaient bien structurés comme l’ont montré les
diagnostics et les fouilles qui ont suivi ces premières reconnaissances. La prospection s’est aussi développée sur
une zone de collines promises à des remises en culture
(commune de Lansac). Dans un milieu géographique
paraissant pourtant hostile aux occupations humaines,
des débris diffus de l’époque romaine étaient présents
en même temps que des céramiques modelées plus anciennes. Depuis ces premiers travaux, les prospections
régulières réalisées par Alain Vignaud, sur Caramany,
Cassagnes, Bélesta, dans des contextes géographiques
plus ou moins éloignés de la vallée de l’Agly, montrent
fréquemment l’existence d’habitats antiques.
C’est sur la commune de Bélesta que cette présence
antique est la plus significative par rapport à l’absence
constatée sur la zone incendiée de Rodès. En effet, si la
vallée de l’Agly et les découvertes liées au barrage de l’Agly
notamment peuvent être associées à un certain déterminisme géographique (vallée alluviale, irrigable...), il n’en
est plus de même sur le territoire de Bélesta. Les collines,
les affleurements rocheux granitiques que l’on y trouve
sont très proches de ceux du grand secteur de Ropidera.
Depuis longtemps, les recherches menées sur le dolmen
Moli del Vent et près de l’église fortifiée Saint-Barthélemy
de Jonquerolles ont montré la présence régulière d’artefacts d’époque romaine. Une opération d’archéologie
préventive menée par A. Vignaud sur la colline qui domine ces deux endroits a permis de localiser l’habitat
antique construit. C’est sans doute ce dernier qui a mis
en culture les terrains qui s’étendent en contrebas, et qui
y a apporté les débris diffus, notamment par la pratique
d’amendement des terres, que nous retrouvons maintenant lors de travaux de fouilles. Beaucoup plus bas sur
le même versant, cette fois entre le village et Caladroi, un
autre habitat d’époque romaine a été découvert en prospection. C’est d’abord sa périphérie qui a été identifiée
grâce à la présence d’artefacts d’époque romaine diffus,
puis en remontant, de parcelle en parcelle, les vestiges
sont devenus plus nombreux jusqu’à caractériser un habitat probable. On signalera aussi sur la commune de
Bélesta, mais cette fois dans la partie à substrat calcaire,
que les fouilles de la Caune menées par F. Claustre ont
livré d’assez nombreux vestiges de l’époque romaine dans
les couches supérieures de la grotte. À cette énumération
de découvertes, on constate que le territoire de Bélesta
est occupé avec régularité durant l’époque romaine, et
que les indices plus ou moins diffus de ces occupations
se retrouvent aisément dans les différentes fouilles pratiquées sur la commune.
Dans la même aire géographique proche du massif
incendié de Rodès, le site d’époque romaine du Col des
Auzines (commune de Trévillach) est intéressant à plus
d’un titre. Sa découverte et sa mise en évidence sont
liées à trois sources d’information différentes : un propriétaire qui a trouvé des amphores dans sa parcelle et
les a confiées au groupe Forum ; Marie Blaize, sensibilisée à l’archéologie, qui a recueilli fortuitement sur place
des vestiges d’époque romaine dont un peson en terre
cuite ; Alain Vignaud qui a observé lors de prospections
régulières des débris antiques près d’un affleurement
rocheux. La prospection du lieu, réalisée à la suite de
ces différentes informations, a bien montré la réalité des
différents points d’observations, tous différents. Nous
pensons qu’ils appartiennent à une large zone de diffusion de vestiges antiques que nous associons à un habitat unique localisable un peu plus haut sur le versant.
. CAG 66, sites n° 149 et 150, p. 256.
. CAG 66, site n° 148, p. 255.
. CAG 66, site n° 151, p. 256.
. CAG 66, site n° 147, p. 254-255.
. CAG 66, site n° 1007, p. 605.
181
182
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre V
Habitats ruraux
du IIe-Ier avant J.-C.
classiques à tegula
du faciès de “l’arrière-pays”
du Ve-VIIe après J.-C.
Maury
Tautavel
Proposition de limite
entre les deux faciès culturels
Lesquerde
1500 à 2500 m
500 à 1000 m
Lansac
200 à 500 m
L'Agly
Latour-de-France
1000 à 1500 m
Planèzes
Ansignan
N
0 à 200 m
Emprises étudiées finement
barrage de l’Agly
Caramany
Trilla
zone incendiée
Cassagnes
Bélesta
Trévillach
Tarerach
Montalba-le-Château
Néfiach
Ille-sur-Tet
et
La T Habitats ruraux
Ria-Sirach
Habitats ruraux
du IIe-Ier avant J.-C.
classiques à tegula
du faciès de “l’arrière-pays”
du Ve-VIIe après J.-C.
Proposition de limite
entre les deux faciès culturels
Rodès
du IIe-Ier avant J.-C.
classiques à tegula
du faciès de “l’arrière-pays”
0
du Ve-VIIe après J.-C.
Proposition de limite
entre les deux faciès culturels
1500 à 2500 m
1000 à 1500 m
500 à 1000 m
200 à 500 m
Habitats ruraux
du IIe-Ier avant J.-C.
classiques à tegula
du faciès de “l’arrière-pays”
Camélas
du Ve-VIIe après J.-C.
Thuir
Proposition de limite
entre les deux faciès culturelsCastelnou
1500 à 2500 m
10 km
Maury
1000 à 1500 m
500 à 1000 m
200 à 500 m
Lesquerde
N
0 à 200 m
Emprises étudiées finement
Maury
barrage de l’Agly
Ansignan
N
zone incendiée
0 à 200 m
Emprises étudiées finement
Lesquerde
1500
2 - Les sites d’époque romaine connus autour
de àla2500
zonemincendiée, et essai de délimitation du groupe culturel « de l’arrière-pays » (dessin J. Kotarba).
barrage de l’Agly
1000 à 1500 m
zone incendiée
500 à 1000 m
Lansac
200 à 500 m
Ansignan
N
0 à 200 m
Emprises étudiées finement
barrage de l’Agly
Caramany
Trilla
zone incendiée
Nous aurions donc ici aussi une large zone de diffusion
d’indices antiques liée notamment aux terres cultivées
et amendées, et un habitat qui occupe une position plus
escarpée, dominant les espaces cultivables.
Sur la commune de Montalba-le-Château, de rares
vestiges d’époque romaine ont été observés près de la
vieille église et de la cave coopérative10. Comme dans
les cas précédents, il pourrait s’agir de débris associés à
un habitat d’époque romaine dont l’emplacement précis
reste à trouver. Ces vestiges se situent sur la partie est de
la commune qui regarde vers la vallée de l’Agly, et donc à
une bonne distance de la zone incendiée.
Il nous faut dire quelques mots des vestiges d’époque
romaine appartenant au territoire de la commune de
. CAG 66, site n° 518, p. 416.
10. CAG 66, site n° 519, p. 416.
Ansignan
Lansac Tautavel
Latour-de-France
Planèzes
Trilla
Trévillach
Caramany
Rodès. Ils se trouvent tous dans la plaine Trévillach
alluviale de
la Têt, et appartiennent plus précisément à la vallée de
Montalba-le-Château
Cassagnes 11
Tarerach
La Motzanes. Les deux sites les mieux documentés
,
et
La T
sont à rattacher à l’exploitation minière du fer du masBélesta
sif du Canigou d’époque
Trévillach romaine républicaine, du fait
des débris retrouvés et de leur position
particulière
à
Montalba-le-Château Ria-Sirach
Tet
a
L
Tarerach
proximité du chemin ancien qui suit la vallée de la TêtNéfiach
Ille-sur-Tet
Rodès
et d’un autre chemin, de crête cette fois, qui provient de
La Bastide et passe parRia-Sirach
Joch12. Un autre site de la vallée
0
de La Motzanes, repéré
t par Francis Català en prospeca Te
L
tion, correspond à une nécropole Rodès
à inhumation du Bas
Camélas
Empire13, dont on peut remarquer que le ou les habitats
Castelnou
contemporains ne sont pas connus.
Ria-Sirach
0
11. CAG 66, sites n°s 799 et 800, p. 538-539.
12. Comps 2007, chemin P, p.123.
13. CAG 66, site n° 801, p. 539.
10 km
Planèzes
Trilla
L'Agly
Cassagne
Tarerach
Bélesta
Ille-sur-Tet
Thui
Le plateau de Ropidera à l’époque romaine
Enfin, pour élargir le propos à des zones géographiques qui nous semblent aujourd’hui plus difficiles à mettre en culture que les plaines alluviales, regardons vers le
Conflent et la Cerdagne. Sur le Pla de Vall en So (commune
de Ria), plateau aujourd’hui surtout occupé par des zones
de pâturage, un habitat d’époque romaine a été découvert
par M. Martzluff à 800 m d’altitude14. Sa délimitation
précise en prospection n’a pas été chose facile car les indices antiques diffus sont éparpillés sur une large surface et
notamment le long d’un probable ancien chemin. Même
si le sol est couvert d’herbe, la mise en évidence d’indices
d’époque romaine se fait avec beaucoup de facilité, notamment par les morceaux d’amphore bien caractéristiques.
Sur ce même plateau, d’autres vestiges d’époque romaine
avaient été observés antérieurement, par Jean Abélanet
lors de la fouille du dolmen de Prat Clos15, et près de la
Font de l’Aram par François Roig lors de sa recherche sur
la métallurgie16. La présence de ces indices, liés à l’exploitation antique du Cortal Freixe ou à d’autres, non encore
localisés, marque une occupation bien nette de ce plateau
durant l’époque romaine.
En Cerdagne française, les sites d’époque romaine pouvant correspondre à des habitats ruraux sont très rares
voire quasiment inexistants. Il s’agit d’un problème de
recherche et d’identification car il est difficile d’imaginer
que l’agglomération de Julia Lybica se développe dans
une plaine non occupée. Ce problème est sans doute
plutôt lié à une conservation particulière et aux possibilités de lecture des sols, puisqu’on retrouve çà et là des
fragments de poterie appartenant à cette période. À titre
d’exemple, lors de travaux d’archéologie préventive menés récemment avec Christine Rendu sur la commune
de Bolquère (secteur du Pla de la Creu, à 1 800 m d’altitude), nous avons découvert deux fragments isolés de
céramique importée d’époque romaine17. Ces débris sont
difficiles à interpréter : déchets lors d’activités forestières
ou pastorales à l’époque romaine ; indices disposés là sur
un rocher pour servir de point de repère du fait de leur
couleur orangée... Peu importe l’interprétation retenue,
ils montrent surtout que notre sensibilité actuelle aux
artefacts d’époque antique est fine et peut identifier quelques morceaux isolés.
14. CAG 66, site n° 775, p. 531.
15. CAG 66, site n° 776, p. 531.
16. CAG 66, site n° 774, p. 531.
17. CAG 66, site n° 153, p. 257.
III - Pourquoi cette absence
sur le plateau de Ropidera ?
Il nous faut d’abord constater, suite aux exemples
donnés précédemment, que cette absence de vestiges typiques de l’époque romaine sur la zone brûlée de Rodès,
est un fait avéré. Il s’agit d’un cas de figure rare dans notre département, car il est confirmé par des recherches
spécifiques dans le cadre de prospections méthodiques
et aussi par des résultats positifs pour les périodes plus
anciennes. Quelles sont les pistes d’explication pour
une telle absence ?
Tout d’abord, cette observation montre clairement
que ce secteur géographique n’a pas intéressé les paysans
de l’époque romaine. Ce manque d’intérêt est d’ailleurs
antérieur à l’époque romaine puisque les vestiges caractéristiques du IIe âge du Fer sont eux aussi absents, avec
toutefois une affirmation d’absence moins catégorique
que pour l’époque romaine car les indices typiques de
cette période ancienne peuvent être moins abondants.
On peut bien sûr s’interroger sur l’état des sols et du
couvert végétal suite à la dense occupation protohistorique de ce plateau. Y a-t-il eu un déséquilibre écologique suffisant du fait de cette forte présence humaine
pour rendre ce secteur inoccupé durant un millénaire
environ ? La question restera sans doute longtemps sans
réponse.
Un autre point de vue peut être abordé en replaçant
le secteur concerné dans la petite géographie historique
de l’époque. Grâce aux recherches menées sur l’emprise
du barrage de l’Agly, et notamment à des fouilles extensives, nous avons pu mettre en évidence des traits culturels particuliers propres à une partie de l’arrière-pays.
Durant le Haut-Empire, les habitats ruraux du tronçon de vallée concerné par le barrage sont couverts avec
des matériaux périssables, alors que l’altitude, environ
150 m, ne l’explique pas, ni même la rudesse du climat
puisque nous nous trouvons encore dans la zone de développement de l’olivier. À côté de cela, la vaisselle utilisée sur ces habitats de l’arrière-pays comprend une forte
proportion de céramiques modelées de fabrication locale, ce qui n’est pas le cas en Roussillon où les vases tournés sont très majoritaires. Ces deux faits concrets marquent donc des différences notables avec les pratiques
observées dans la plaine roussillonnaise à même époque.
183
184
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre V
Ils nous ont servi de base pour mettre en évidence l’existence d’une particularité culturelle sur cette zone géographique (Kotarba 1994), où une population vit donc
à l’époque romaine classique en conservant des façons de
faire locales pour certains aspects de la vie matérielle18.
Depuis, et notamment pour la rédaction des notices
de la Carte Archéologique de la Gaule sur les PyrénéesOrientales, nous avons essayé d’appliquer cette caractérisation à d’autres sites, en sachant que c’est surtout la
présence ou l’absence de la tegula qui est le caractère le
plus facile à constater en prospection pédestre. Ainsi, un
habitat rural d’époque romaine, situé sur la commune
de Castelnou dans le massif calcaire, appartiendrait au
groupe culturel « de l’arrière-pays »19, alors que les nombreux sites répertoriés en plaine près de Thuir sont de
type classique. Dans la vallée de l’Agly et du Verdouble, la
totalité des sites antiques de Tautavel, ainsi que celui du
Mas Camps à Maury20 et celui du massif de la Peira Rossa
sur la commune de Latour-de-France21 possèdent des
couvertures en tegulae, marquant ainsi une limite entre
les deux groupes, au-delà du resserrement de la vallée, en
amont de Latour-de-France. Les habitats ruraux d’époque romaine des communes de Bélesta et Cassagnes sont
tous sans tegula. Il en est de même sur les communes de
Caramany, Ansignan et Lesquerde, ainsi que pour le site
antique de Trévillach. Dans la vallée de la Têt, le peu de
sites inventoriés en Riberal et en basse plaine du Conflent
rend impossible un essai de délimitation, d’autant plus
que les habitats de la vallée de La Motzanes appartiennent à des occupations républicaines où l’usage de la tegula n’est pas encore établi. Par contre, en remontant plus
haut dans la vallée de la Têt, les sites d’époque romaine
connus sur Serdinya et Ria appartiennent au groupe sans
tegula « de l’arrière-pays ».
Ce petit tour d’horizon permet de constater que le
secteur incendié de Rodès, qui nous intéresse ici, se
trouve au contact du groupe culturel « de l’arrière-pays »
bien attesté sur les communes de Bélesta, Caramany
18. Dans une récente étude réalisée avec Gérard Mut sur la métallurgie d’époque romaine dans les Pyrénées-Orientales, nous constatons, notamment à la
suite de la communication faite le 1er juin 2007, que les habitats de l’arrièrepays du Fenouillèdes livrent fréquemment des scories de fer liées à de petits
volumes de minerai réduit. Cet artisanat de petite échelle semble associé à
une économie en partie de subsistance, qui s’inscrit bien dans l’idée d’un
certain repli d’une population sans doute autochtone (Mut, Kotarba 2007,
p. 152‑153).
19. CAG 66, site n° 267, p. 293.
20. CAG 66, site n° 508.
21. CAG 66, site n° 476.
et Trévillach. Le peu de connaissance de l’occupation
romaine en bas Conflent et Riberal ne permet pas d’affirmer que c’est le faciès romain classique qui s’y développe, même si le contexte géographique de large plaine
cultivable le laisse attendre. La zone de Rodès-Ropidera,
vide de toute trace d’occupation antique, pourrait ainsi
constituer un secteur tampon inoccupé entre ces régions
caractérisées par des façons différentes de couvrir les habitats. Il va sans dire que l’existence de ce groupe culturel
« de l’arrière-pays », mise en évidence sur des critères matériels concrets, dans un empire romain surtout marqué
par une grande uniformité, devait sans aucun doute reposer sur d’autres critères, sociaux et culturels, que nous ne
sommes pas capables aujourd’hui de définir. Sans y voir
d’« irréductibles Gaulois », car nous avons bien à faire à
une population qui utilise une partie de la vaisselle en
vogue et consomme des produits importés classiques à
l’époque, l’idée d’un groupe humain vivant un peu à l’écart
peut être avancée. Le caractère escarpé de la zone incendiée prospectée pourrait alors être vu comme une séparation physique entre ces deux groupes culturels. C’est
en tout cas dans cette optique de zone tampon « vierge »
d’installation humaine que l’absence constatée prend de
l’intérêt, même si le critère d’un certain épuisement des
ressources du sous-sol par une occupation antérieure très
dense offre une seconde piste d’interprétation.
Troisième partie
La montagne et les sociétés traditionnelles
chapitre VI
Ropidera, le village médiéval
Olivier Passarrius, Aymat Catafau
Au cœur de la zone brûlée se trouve le village médiéval
déserté de Ropidera avec tout son finage (ill. 1). L’incendie
a affecté la totalité de son territoire historique, qui constitue aujourd’hui la partie de la commune de Rodès située
au nord de la Têt, sur la rive gauche de ce fleuve.
Le village lui‑même est installé sur une légère ligne de
crête, en pente douce vers le sud, bordée par deux ruisseaux intermittents : à l’ouest le ravin de Les Cases et à
l’est le ravin de La Guardiola. Les ruines de l’église et du
village étaient avant l’incendie envahies par le maquis,
qui rendait le relevé et l’étude de ces vestiges très difficiles. Les premières observations ont permis de constater
l’ampleur de cet habitat et son bon état de conservation,
en même temps que les premiers sondages dans les archives révélaient une documentation assez abondante, en
tout cas pour la fin du Moyen Âge.
Sur près de deux hectares, au pied de l’église Saint‑Félix
à la voûte effondrée, s’étend un pierrier impressionnant
dont jaillissent des murs, parfois conservés sur deux mètres d’élévation (ill. 2). La pente dicte l’organisation du village, entre les deux chemins qui relient le village de Rodès,
. On se reportera à l’étude de Ropidera par Jordi Bolós dans Bolós 1995 : 500‑502.
dans la vallée de la Têt, et le plateau dit de « Ropidera » au
nord, vers Montalba‑le‑Château (ill. 3 et 4).
La documentation écrite conservée aux Archives
Départementales des Pyrénées‑Orientales (ADPO) est
constituée de documents d’origine publique au sujet de
la fortification de l’église et de la seigneurie (série B), de
documents de la série du clergé séculier (série G) sur
l’attribution des dîmes et droits paroissiaux de l’église,
de quelques actes notariés et d’un important capbreu des
possessions du prieuré de Marcevol à Ropidera.
L’étude archéologique a consisté à effectuer le relevé
en plan des vestiges directement visibles en surface.
Chaque unité (maisons essentiellement) a été numérotée, décrite et photographiée. Une prospection pédestre
systématique a également été entreprise afin de collecter
l’abondant mobilier présent en surface et de caractériser
ainsi les différentes phases d’occupation.
. Ce relevé a été réalisé grâce à l’implantation de plusieurs axes. Les vestiges
ont été ensuite levés par triangulation.
. Cette collecte a été réalisée sur quatre grandes zones, définies au préalable.
Par endroits, la présence d’unités bien circonscrites sur le terrain nous a
encouragé à créer des secteurs de collecte, de superficie souvent limitée à
quelques centaines de m2 tout au plus.
188
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre VI
1 - Localisation des sites médiévaux et du village de Ropidera.
L’église Saint‑Félix et sa fortification
L’église de Ropidera est installée sur un promontoire
qui domine les ruines du village (ill. 5). Elle est mentionnée pour la première fois en 1204, quand Pierre de
Domanova reconnaît tenir en fief pour Guillaume, vicomte de Castellnou, les églises d’Ille, de Vinça, de Ropidera,
d’Espira, d’Estoher, de Seners, de Mosset, de Fulla, de
Nyer et le lieu de Creu. Au siècle suivant est mentionné
le vocable de l’église, Saint‑Pierre et Saint‑Félix. Malgré
la première mention assez tardive, les éléments architecturaux conservés sont ceux d’une église romane dont
les éléments décoratifs du chœur évoquent le second art
roman. Le bâtiment d’environ 5 m de largeur sur 15 m
de long était voûté en plein cintre, voûte aujourd’hui effondrée sur toute la longueur de la nef, seule l’abside res. 1B57, parchemin original : « Ego Petrus Domenove recognosco omne fevum
quod teneo pro Guillemum vicecomitem Castrinovi scilicet ecclesiam Sci
Stephani de Insula et ecclesiam de Vinciano et ecclesiam de Rupidera et... villa
de Cruce », daté du 4 des nones de janvier 1203 (1204 n. st.), une copie en est
conservée dans la même liasse.
. 3E1/95, année 1356, fos 3r‑v, 4r. « ... ecclesie sanctorum Petri et Felicis de
Ropidera ».
2 - Vue aérienne du village de Ropidera (cl. P. Roca).
tant en partie couverte. L’accès principal se faisait par une
porte située au sud. Le mode de construction de l’église
comme les quelques éléments conservés de son décor architectural (fenêtres de l’abside, niche, bandeau de grands
blocs du chœur) indique un édifice de la première moitié
du XIIe siècle.
. L’architecture de l’église a fait l’objet d’une étude approfondie dans Bolós
1995, ainsi que dans le rapport du programme de prospection (Passarrius
Chemin de Les Cases
Fossé ?
Glacis ?
Ru
au
isse
19b
19a
cana
l?
ou
mur
VO
V
P
rêtes
des c
VO
6
mur
V
20
de L
VO
V
VO
VO
Ruisseau
VO
36
VO
V
VO
VO
VO
VO
V
VO
36
VO
VO
VO
36
VO
VO
VO
VO
V
Ruisseau
VO
V
VO
VO
VO
VO
VO
VO
rêtes
in
de
Les
35
Ca
37
P
ses
V
ses
36
Concentration de céramiques (Xe-XIIIe )
VO
VO
P
VO
ea
39
V
P
VO
iss
VO
V
P
Ru
35
VO
VO
VO
P
VO
VO
Ca
VO
Les
u
VO
em
P
ea
VO
VO
39
VO
VO
iss
V
P
2
P
VO
Ru
P
2
Ch
VO
3
de
u
3
in
V
VO
ea
4
Enclos
Enclos
36
iss
4
1a
1a
em
Ru
VO
VO
V
1b
1c
1b
1c
Ch
VO
VO
VO
VO
VO
6
6
37
VO
VO
VO
VO
V
VO
VO
VO
V
VO
33
7c
Habitat détruit
par les mises en culture
VO
V
33
32
8
7b
ses
VO
VO
VO
Ca
VO
7c
9
Habitat détruit
par les mises en culture
7a
Les
VO
8
de
V
35
VO
VO
30
7b
Espace vide ?
VO
Ruisseau
VO
VO
VO
29
7a
31
13
in
VO
VO
15b
B
J
12
10
21b
39
VO
VO
VO
11b
em
VO
V
I
V
21c
VO
20
Eglise
V
22
21a
VO
V
VO
VO
V
VO
11a
23b
V
VO
J
VO
VO
2
VO
Ch
V
3
VO
Enclos
Chemin
des crêtes
azes
VO
VO
15b
I
B
es C
V
V
4
VO
VO
32
19b
19a
9
e
min
V
VO
15b
14a 14b
24
23a
lis
Che
V
15a
25a 25b
Enclos
1a
VO
18
17
'ég
el
1c
V
VO
VO
15c
d
in
1b
VO
VO
26b
26a
I
B
28
Espace vide16 ?
27
J
30
Glacis ?
10
21b
V
VO
V
15b
VO
21c
em
Eglise
Chemin des crêtes
21a
31
13
Ch
ou
cana
l?
VO
azes
Eglise
V
VO V
12
11b
Fossé ?
au
isse
VO
V
Chemin des crêtes
es C
de L
V
22
29
Ru
min
Cazes
V
VO
V
VO
Les
VO
23b
V
V
Che
de
min
V
Chemin de Les Cases
Che
V
V
7c
Habitat détruit
par les mises
en culture
V
V
11a
des c
cana
l?
ou
mur
V
14a 14b
24
23a
33
N
e
lis
V
VO
V
V
P
15b
l ' ég
V
7b
P
VO
15a
25a 25b
Enclos
8
19b
19a
de
P
P
V
26a
V
7a
V
P
18
17
Chem
in
V
15c
in
em
V
VO
V
V
V
27
V
V
V
26b
V
crêtes
V
V
V
V
16
9
V
V
P
V
28
32
Ch
V
V
V
P
V
in des
P
Espace vide ?
Glacis ?
Chem
P
V
P
Fossé ?
au
isse
V
VO
30
V
V
V
31
13
10
21b
VO
V
12
Ru
21c
20
V
Chemin de Les Cases
P
V
P
V
e
lis
21a
VO
V
l ' ég
P
V
11b
22
29
V
V
V
de
11a
V
in
em
23b
14a 14b
24
23a
V
P
15a
25a 25b
Enclos
15b
18
17
Ch
15c
26a
Chem
in
26b
27
189
Ropidera, le village médiéval
28
16
V
N
36
u
VO
P
Pierrier
Parcelles cadastrales en 1832
Vo
Culture en 1832 (vigne/olivier)
Vo
Cabane
Parcelles cadastrales en 1832
Vo
Murs de Ruisseau
terrasse
V
P
0
Concentration de céramiques (Xe-XIIIe )
100m
0
Chemin
100m
Murs de terrasse
Ruisseau
Culture en 1832 (vigne/olivier)
Tas d'épierrement
Pierrier
Cabane
Murs de terrasse
Rocher
Murs de terrasse
Chemin
Culture en 1832 (vigne/olivier)
Ruisseau
Cabane
Pierrier
Tas d'épierrement
ParcellesChemin
cadastralesP en 1832
Murs de terrasse
37
VO
Rocher
0
100m
3 - Plan général
du village de Ropidera, reporté sur le plan cadastral de 1832.
Rocher
0
4 - Plan général du village de Ropidera.
Malgré sa mention tardive, l’église est donc anté- Tas d'épierrement
rieure ; étant nommé comme lieu‑dit en 955 puis
Murs de terrasse
comme villa en 1011, devenu par la suite un village constitué, on peut penser que Ropidera est déjà
doté d’une église à cette époque, comme toutes les
villae des Xe‑XIe siècles qui sont des villages aux
siècles suivants.
et alii 2007 : 75‑76).
. Bulle de Serge IV en faveur de Cuixà qui cite parmi les possessions
du monastère un « alodem de villa Ropidaria », Marca Hispanica,
appendix, n° 164, col. 979.
. Passarrius, Catafau 2007 : 89‑120. On a pu faire la même démonstration, cette fois par la fouille archéologique, à Vilarnau (Passarrius,
Donat, Catafau 2008).
5 - Vue aérienne de l’église Saint‑Félix (cl. P. Roca).
20 m
Concentration
de céramiques
Xe‑XIIIe s
0
20 m
Concentration de céramiques (Xe-XIIIe )
0
20 m
190
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre VI
N
Fossé
Glacis ?
Tour
Église
Réduit fortifié
0
10 m
6 - Plan de l’église et de son réduit fortifié.
L’église est surtout remarquable par sa fortification : depuis la vallée de la
Têt et la route nationale 116, elle se signale par sa tour, qui s’élève encore à
quinze mètres de hauteur. De forme rectangulaire, bâtie d’un double parement en blocs de pierre de taille comblé de tout‑venant lié à la chaux, cette
tour englobe l’abside et le chevet, en aveuglant ses fenêtres (ill. 6, 7 et 8). La
tour possède une ouverture au‑dessus du toit de l’abside sur lequel elle s’appuie, à l’est, et qui constituait peut‑être un accès extérieur élevé (en raison
de l’effondrement de la voûte de l’église et de la partie ouest de la tour, on ne
sait rien d’un accès du côté intérieur). Le reste de l’église ne conserve pas de
traces visibles de fortification, mais l’église est entourée d’un ensemble défensif constitué au sud et à l’est par un mur d’environ 1,30 m de largeur, en
blocs liés au mortier de chaux, et au nord et à l’ouest par un fossé en partie
effacé qui laisse une légère dépression de 6 à 7 m de largeur. Un « enclos »
d’environ 150 m2 de superficie entoure donc l’église, correspondant à un réduit défensif ou à l’espace d’un cimetière (en partie ?) fortifié.
Un certain nombre de sources écrites et d’informations historiques renseignent sur le contexte de cette fortification. Dès 1266, un frère et une
sœur, originaires de Ropidera, partagent l’héritage de leurs parents, le frère
conserve pour lui la maison de leurs parents « in castro de Ropidera »10. À
cette date le village doit donc présenter quelques traits d’un village fortifié.
On peut penser que la « fortification » très légère du village telle qu’elle est
révélée par l’étude des vestiges (voir infra) s’accompagnait de l’existence du
réduit et de l’église fortifiés.
. On trouvera dans l’ouvrage Vilarnau (Passarrius et alii 2008 : 271‑277) plusieurs exemples de cimetières fortifiés dans notre région.
10. ADPO, 3E1/2, 1266, fo 4r° : « ...quandam domum quae est in vill in castro de Ropidera... aff... ex
II partibus in viis publicis et alia parte in domo F. Boteina et ex alia... d’en Basan. » La rature semble
pertinente : la maison se trouve dans un village qui a, peu ou prou, l’aspect d’un « castrum » (village
ceint de murailles) et peut‑être surtout qui a le statut juridique d’un castrum (avec des droits sur le
territoire qui lui est soumis).
7 - Détail des vestiges de la tour qui surmonte le chevet
de l’église (cl. O. Passarrius).
8 - La base talutée de la tour construite sur le chevet de
l’église Saint‑Félix (cl. O. Passarrius).
Ropidera, le village médiéval
9 - Vue aérienne du château de Rodès, dominant le village actuel installé sur la pente (cl. O. Passarrius).
Plusieurs documents évoquent ensemble les « châteaux » de Rodès et de Ropidera : bien entendu il n’existe entre les deux qu’une similitude de termes (ill. 9). Le puissant
château de Rodès n’a aucun équivalent à Ropidera ; le seul
« château de Ropidera » qui existe est constitué par l’église
fortifiée, son enceinte et le « mur villageois ». Ces éléments
permettent cependant de distinguer Ropidera en tant que
castrum qui peut donc posséder son territoire juridictionnel. En 1281, Jacques, roi de Majorque, concède en fief les
justices civiles et criminelles de plusieurs lieux à Guillem
de Canet, dont les châteaux de Rodès et Ropidera, parmi
d’autres11. Le même Guillem de Canet, en 1319, prête
hommage au roi Sanç de Majorque pour les châteaux de
Canet, Rodès et Ropidera. C’est à cette époque que Sanç
et Guillem de Canet passèrent des accords selon lesquels
Guillem reconnaissait tenir du roi les châteaux de Rodès et
Ropidera, le roi Sanç concédant en outre à Guillem les lieux
de Torreilles, Juhègues et autres12. Plus tard, Pierre III le
Cérémonieux concède la châtellenie de Rodès et Ropidera
à Ramon de Perellos, lequel le laisse en héritage à sa fille
éléonor. Peu après cette châtellenie est achetée par le roi
Jean Ier qui la revend à un cousin germain d’éléonore, appelé lui aussi Ramon de Perellos, second vicomte de Roda
(Aragon) et premier vicomte de Perellos.
La construction de la tour au‑dessus de l’abside de l’église
trouve sa justification dans la position frontalière du lieu à
partir du traité de Corbeil, en 125813. La tour de Ropidera
est en contact visuel avec la vallée et sert donc à prévenir
les incursions potentielles depuis le royaume de France
et le château de Montalba, juste au nord du territoire de
Ropidera. L’église se trouve ainsi au point de contact du
plateau (et des Français voisins) et des chemins qui mènent à la vallée, en position plus d’alerte que de verrou.
11. ADPO, 2J1/16, p. 417‑424, Charte de Jacques, roi de Majorque : concession en fief des justices civiles et criminelles de Canet à Guillem de Canet,
ainsi que les justices que le roi possède à Sainte‑Marie‑de‑la‑Mer, au château
et dans la villa de Villanova, « in castro vestro de Caucia et in castris vestris de
Rodesio et de Roppidera et de Fullano et in castro et villa de Mosseto... dat.
in Perpiniano, 16 kls agusti 1281... testes : Ermengaldus de Urgio, Petrus de
Fenolleto, Bernardus de Ulmis, Berengarius de Ulmis, Arnaldus de Lupiano,
Berengarius Surdi, Arnaldus de Perapertusa, Petrus Rubei judex dicti dni regis,
s+n Petri de Calidis », (source : empara de Canet, fos 26 à 38).
12. ADPO, Cartulaire manuscrit d’Alart, 2J1/34, p. 110 : Noverint universi quod
nobilis vir dominus Guillemus de Caneto recognovit... domino... regi Sancio.
tenere ab eo et suis in feudum ad consuetudinem Barchinone merum imperium
castri de Caneto et terminorum eiusdem et loci de Sci Michaelis de Furchis
et castra de Rodesio et de Ropidera, tenetur et promisit dicto dno regi dare
potestatem iratus et paccatus quocienscumque inde fuerit requisitus... acta in
castro regio Perpiniani 14 kls junii a d 1319, testes Guillemus de Viridaria miles,
Johannes Catelli repositarius predicti dom regis», source : LFC fo 114 v°.
13. Bayrou 2004.
191
192
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre VI
Le village
Le lieu de Ropidera apparaît dans les textes quand il est
cité en 955 comme voisin de l’alleu Monte Nero, sur le territoire d’Ille14. Puis en 1011 une bulle de confirmation du
pape Serge IV en faveur de Cuixà mentionne, entre autres,
un alleu dans la villa Ropideria. C’est la première mention
de Ropidera comme villa, terme qui n’a pas obligatoirement
un sens très bien défini et qui est employé avec une certaine souplesse, ou imprécision, puisqu’un lieu peut passer
de la qualification de locus, ou villare à celle de villa, dans
une sorte de progression dans le rang des structures de
peuplement, ou bien régresser de villa à villare ou locus ;
toutefois des hésitations et des allers et retours plus incohérents entre ces diverses catégories ne sont pas rares15.
Ces variations de nom reflètent souvent une progression
ou un recul du lieu en termes démographiques, économiques ou sociaux (seigneurie, église, château, droits, justices, territoire, etc.), mais elles semblent aussi dépendre des
usages des différents scribes. Pour Ropidera, on remarque
que le lieu connaît un processus comparable à beaucoup
d’autres en Roussillon‑Conflent à la même époque, avec
une rapide consolidation de ses limites territoriales, de
son caractère villageois et de ses « équipements collectifs »
(même si ceux‑ci ne sont nommés que plus tard) ; l’église,
le cimetière, les chemins, les moulins.
Sur le terrain, la morphologie du village de Ropidera durant les premières phases d’occupation (Xe‑XIIIe siècles) est
difficile à percevoir, masquée par les aménagements postérieurs et les habitats du bas Moyen Âge qui recouvrent les
vestiges plus anciens. Les seules observations concernant
cette période ont été réalisées en périphérie du village du
bas Moyen Âge, au milieu des terrasses (ill. 4). À cet endroit, quelques lambeaux de murs, totalement arasés, ont
été observés (ensembles nos 37, 38 et 39). Les prospections
pédestres ont permis de noter la présence de tessons de céramiques communes à cuisson réductrice, semble‑t‑il antérieures au XIIIe siècle16. Ces vestiges s’étendent sur près de
7 000 m2 mais cette surface doit être pondérée, compte tenu
de la présence de nombreuses terrasses dont la construction est susceptible d’avoir dispersé les artefacts.
14. Abadal i Vinyals 1954‑1955, acte n° 79 : limites d’un alleu dans la vallée
d’Ille qui touche « per ipsos bennales qui fuerunt de Lupone... pervenit ad
ipsos bennales de Rupidaria ». Le sens du mot bennales, plusieurs fois répété
dans ce document, apparemment pour désigner des terres, est inconnu.
15. Voir Catafau 1995 :179‑180 et Catafau 2006 :129‑149.
16. Cette hypothèse de datation est confirmée par l’absence d’importations
espagnoles postérieures au milieu du XIIIe siècle.
Il est intéressant de noter la distance qui sépare l’église
de cette zone de découverte. Les vestiges les plus proches
sont situés à 140 m de l’édifice de culte et l’extrémité de la
concentration s’en trouve à plus de 230 m.
Il est bien difficile d’interpréter ces vestiges, d’autant
plus que les textes ne nous sont ici d’aucun secours.
Il faut en effet attendre les premiers registres notariaux conservés pour trouver mention d’une maison à
Ropidera, en 1266. Ces vestiges archéologiques pourraient alors témoigner de l’existence d’une première
implantation villageoise lâche, organisée le long d’un
chemin, à l’image des villages du haut Moyen Âge ou
des modèles pyrénéens.
Le village à la fin du XIVe siècle, c’est‑à‑dire grosso modo
dans sa dernière occupation et dans son état d’abandon,
nous est connu par un document d’un type fréquent en
Catalogne, le capbreu, la somme des déclarations des
biens tenus pour un même seigneur en un lieu donné.
Le document que nous possédons17, issu des archives
du prieuré de Marcevol, qui est à cette époque seigneur
du village de Ropidera, nous renseigne sur les habitants,
un certain nombre de lieux du village et de toponymes
du finage. Sur seize déclarants du capbreu, tous « de
Ropidera », seulement quatre déclarent une maison (l’un
d’eux en possède une autre, voisine de celle qu’il déclare,
mais qu’il ne tient pas pour le prieur de Marcevol), un
autre déclare deux maisons, en outre les consuls déclarent au nom de la communauté de Ropidera une maison
appelée « la fabrega » (« la forge »), et le curé la maison
appelée « capellania ». Les voisinages de ces maisons
permettent d’identifier huit autres maisons18. Quatorze
maisons, plus la forge et la maison presbytérale19 sont
17. ADPO, 4HDt38, Philippe Sobirà, notaire à Vinça, copié par J.‑B. Alart,
Marcevol et l’église de Vinça, Ms 111, Médiathèque de Perpignan, p. 193 et suiv.
18. Bien que ces maisons soient désignées par le terme « tenencia », on peut
tenir ce terme, dans le village, pour l’équivalent du bien foncier le plus habituel, la maison, en effet quand le voisin est un jardin, un pati (une courette), la
chapellenie (le presbytère), la forge ou un verger, ces biens sont désignés avec
précision, par ailleurs les quelques exemples de voisins qui sont tous deux
déclarants montrent que c’est bien par le terme « tenencia » qu’est désignée
la maison du voisin. Seules les maisons du voisinage qui appartiennent au
même déclarant sont dites « domus » (« tenenciam... confrontatam... cum alia
domo mea »), l’adjectif « alia » vient confirmer dans ce cas la nature de la
« tenencia » déclarée.
19. Comme les consuls déclarent que la forge est mitoyenne de la capellania
antigua, mais la chapellenie n’est pas dite toucher à la forge, on aurait tendance à penser que cette capellania antigua n’est pas celle qui est déclarée,
d’autant que le qualificatif antiquus est souvent utilisé dans les actes du Moyen
Âge pour désigner, dans le cas de deux éléments similaires, le plus ancien
par rapport au plus récent. Dans le doute nous n’avons pas compté cette
capellania antigua comme une construction supplémentaire, en revanche un
autre curé de Ropidera apparaît dans les voisins des parcelles, comme il n’est
Ropidera, le village médiéval
donc citées, mais pour avoir une idée plus exacte du nombre de maisons, il faut remarquer que les confronts des
parcelles déclarées dans le capbreu nous font connaître le
nom de dix‑huit autres personnes dites « de Ropidera »
(hommes, ou leurs héritiers ou héritières) qui semblent
être chefs de famille, et donc très probablement possédant une maison au village20. Quelques erreurs restent
possibles (doublons, homonymes non reconnus), mais
on peut penser que le nombre de trente‑deux maisons
(plus la forge et la chapellenie) est une assez sûre estimation. On a remarqué que sur cinq déclarants de maisons, deux déclaraient en posséder deux, ces « secondes »
maisons sont probablement occupées par d’autres membres de la famille (oncles, frères, enfants mariés) ou par
certains des habitants ne déclarant pas de maison. Nous
pouvons donc ôter deux « familles » du total à loger, mais
on pourrait supposer que sur les vingt‑cinq qui n’ont pas
déclaré de maison, plusieurs détenaient plus d’une maison... Le nombre de trente‑deux constructions (incluant
la forge et la maison presbytérale) est donc un minimum,
à notre sens21.
Le village apparaît, au vu du capbreu, comme possédant
des murs, un rempart. Un ensemble constitué d’une maison plus une courette (patuus) touche au « mur vieux du
lieu de Ropidera », un verger (ou pati‑patus) touche « de
deux côtés au mur ». La désignation du mur « vieux »
correspond sans doute à une différenciation faite par les
gens du village entre une première enceinte et une seconde. Souvent, dans les gros bourgs de la plaine, ou à
pas lui‑même déclarant, nous l’avons compté parmi les habitants du village
dont les maisons ne sont pas citées.
20. Nous avons essayé de déjouer les pièges des doubles comptages : dans le
cas de mentions de tenures d’un tel défunt, on ne compte qu’une personne,
l’héritier (à condition qu’il n’ait pas déclaré de maison ou ait été cité dans
les voisins de maisons au village) ; de nombreux patronymes sont communs
à deux, trois voire quatre familles différentes (les Baffarini, les Bertrand, les
Pagès, les Roger, les Serda), on a compté les différentes branches, différenciées
par des sobriquets (d’amont, d’avall, de la Plassa) ou des alias, comme des
unités familiales indépendantes, ayant chacune leur maison.
21. En particulier parce que rien ne prouve que tous les habitants de Ropidera
aient été nommés comme voisins des terres déclarées dans le capbreu... Ce
capbreu montre bien que certaines terres sont tenues pour le roi, d’autres
pour le Prieuré de Serrabone, d’autres sont allodiales. Certains habitants de
Ropidera ne sont pas tenanciers pour le Prieuré de Marcevol ni même mitoyens
de ces tenanciers. On doit compter avec la présence de serviteurs, brassiers
ou pauvres ne détenant pas de terre directement d’un seigneur (le testament
de Pere Botinya de Ropidera en 1356 attribue trente sous pour l’achat de pain
à distribuer pro una caritate roganda au lieu de Ropidera... il y a donc des
pauvres !), de même que de quelques hommes de guerre et de leur famille,
assurant la garde du « château ». Ces réserves, semblables à celles que l’on
doit faire pour tout capbreu, nous rappellent que ces documents ne sont rien
de plus qu’un état comptable établi pour un seigneur, et non pas un tableau
exact de la population ou des terres et maisons d’un village.
Perpignan, ce sont des enceintes successives que l’on différencie ainsi, à Ropidera ce n’est sans doute pas le cas,
on peut donc supposer que le mur qui semble le plus
« vieux » est celui qui entoure l’église fortifiée ou qui prolonge cette fortification, du côté ouest.
D’autres éléments sont à souligner dans l’organisation
du village telle que la révèle le capbreu. Les espaces bâtis
(maisons) voisinent assez souvent (deux sur huit maisons
déclarées22) avec des courettes, espaces non‑bâtis, pouvant éventuellement être vergers ou jardins, plus souvent
sans doute espaces de réserve pour l’agrandissement de la
maison, ou lieu de stockage de quelques ustensiles agricoles ou d’un peu de bois, enclos pour quelques têtes de
bétail ou quelques poules (redevances en œufs dans certains cas). Deux actes notariaux, presque contemporains
du capbreu, donnent des indications complémentaires
sur ces espaces libres23 : deux d’entre eux abritent un « pigeonnier » (columbarium). Peut‑être ce terme désigne‑t‑il
aussi une basse‑cour, un poulailler ? L’inventaire de 1364
mentionne aussi parmi les biens situés dans le village un
« cellarium », qui a des confronts différents de ceux de
la maison, qui est donc un bâtiment séparé, sans doute
de dimensions très réduites. Rien n’indique en revanche
que ce cellier se trouve dans l’espace environnant l’église,
dans un modèle de forme « cellera » fréquent par ailleurs
en Roussillon et bas Conflent (à Vinça, Marquixanes,
Prades par exemple).
Du point de vue de l’architecture de la maison et de sa
construction, on remarque la présence, dans un pati, d’un
escalier ou d’une échelle, permettant d’accéder à l’étage ou
aux combles de la maison : cette configuration évoque celle
que nous retrouvons dans de nombreuses maisons villageoises traditionnelles du Conflent (remontant à l’époque moderne) et peut s’expliquer par la volonté de ne pas diminuer
l’espace habitable intérieur avec la construction d’un escalier, ou par la localisation au rez‑de‑chaussée de la bergerie
ou de l’étable, la partie d’habitation des hommes se trouvant à l’étage, l’escalier extérieur permet de ne pas traverser
le logement du bétail pour entrer chez soi, soit encore par
la construction postérieure de l’étage, l’escalier étant ajouté
contre le mur du premier bâtiment, au rez‑de‑chaussée.
22. Le verger déclaré dans le village constitue un troisième exemple, il est
appelé d’ailleurs « patuum sive viridarium ».
23. Alart, CM, t. XV, p. 111‑112, 1364, notule de Gaucelm Ferriol, syndicat
d’Ille, inventaire des biens de Sibilia, veuve de Pere Serda de Ropidera : « item
unum pati in quo est unum columbarium et unum scaler » ; ADPO, Alart,
CM, 2J1/35, p. 154 : « quoddam patuum et quandam domum cum quodam
columbario contiguos sitos infra dictum locum de Ropidera ».
193
194
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre VI
On peut dans le cas de cette maison, déduire aussi de ce texte que
le pati jouxte une maison construite sur un espace à peu près plat,
car dans le cas des maisons construites sur un terrain en forte pente,
l’étage ouvre souvent de plain‑pied sur l’arrière de la maison, là où
la déclivité naturelle fait de l’étage le rez‑de‑chaussée, l’escalier n’est
donc nécessaire que pour les maisons construites sur une surface
plus plane.
On peut évoquer aussi, d’après les confronts, la présence de rues
(parfois une parcelle touche à la « via » de deux côtés, soit parce la
rue marque un angle soit parce que la maison se situe entre deux
rues), et d’après les patronymes et sobriquets l’existence d’une
« place » (Pere Baffari de la Plassa) et de familles d’« en haut »
et d’« en bas » du village, ce qui semble logique compte‑tenu du
terrain (Guillem Pagès d’amont ; Guillem Pagès d’avall).
Les documents donnent quelques informations de caractère social sur les habitants du village. Le prieur de Marcevol nomme à la
fonction de batlle de Ropidera (bayle, ou bailli : le fondé de pouvoir
du seigneur, chargé de l’administration de ses biens et de la perception de ses rentes et revenus), en 1356, un habitant de Ropidera, Pere
Pagès, fils de Guillem Pagès, qui devra occuper cette fonction durant
toute sa vie puis avoir un héritier qui reprenne la charge. Pour cette
baylie, Pere Pagès fait hommage et fidélité, des mains et de la bouche
et prête serment sur les Évangiles. Deux autres hommes parmi les
déclarants de 1393 se disent eux aussi « hommes propres et solides » du prieur, l’un tient le mas d’en Conam, l’autre huit pièces de
terre et une vigne, ce qui en fait un « gros » tenancier. Par ailleurs le
village de Ropidera est socialement structuré comme une communauté, qui possède ses consuls ; ceux‑ci, au nom de la communauté
déclarent tenir la forge du village pour laquelle l’« universitas » de ce
lieu verse un cens léger de deux deniers au prieur. Sans doute cette
fabrega est‑elle sous‑acensée à un forgeron par la communauté, pour
la production et l’entretien de l’outillage métallique des villageois24.
L’incendie a révélé les ruines du village de Ropidera, qui se déployait
en contrebas de l’église, au sud, et était installé dans la pente. Les vestiges actuellement visibles sont cantonnés à l’ouest par un chemin
qui prend naissance au village de Rodès et le relie, via Ropidera, au
plateau situé au nord (chemin de Les Cases). À l’intérieur mais surtout en amont et en aval du village, ce chemin est flanqué de deux
murs d’environ 1 m à 1,20 m de hauteur, construits pour éviter la
dépaissance des troupeaux dans les champs environnants (ill. 10).
24. Lors des prospections de surface, de nombreuses scories de fer ont été observées,
sans qu’il soit toutefois possible individualiser de concentration particulière, permettant
de localiser l’emplacement de l’atelier.
10 - Le chemin « des crêtes », bordé de hauts murs pour éviter la
divagation des troupeaux (cl. O. Passarrius).
À environ 90 m en contrebas de l’église, une
bifurcation du chemin « chemin de l’église »
permet de traverser le village et de se rendre
directement à l’église. Plus bas encore, une seconde bifurcation voit la naissance d’un sentier
qui longe à l’est le village, traverse le cours d’eau
et remonte vers les crêtes qui dominent à l’est
Ropidera (« chemin des crêtes »).
Les maisons et les ruelles qu’ils desservent
sont toutes organisées par rapport à ces trois
chemins. Les constructions sont exclusivement
situées au sud de l’église Saint‑Félix et se déploient sur au moins 110 m, ce qui représente
une superficie d’occupation d’environ deux hectares. Au centre, se trouve une zone d’environ
350 m2, vide semble‑t‑il de toute construction.
En l’absence de fouille, il est impossible de
déterminer s’il s’agit d’une anomalie liée à un
problème de conservation différentielle ou, au
contraire, si cet emplacement correspond à une
zone vide de maisons, à la plassa du capbreu.
Ropidera, le village médiéval
11 - Paysage incendié, depuis le sommet de l’église de Ropidera (cl. P. Roca).
La limite ouest du village est matérialisée par la présence d’un mur
puissant, de 1,35 m de largeur, solidement appareillé et que l’on suit
sur environ 21 m (ill. 12). Manifestement, ce mur ne semble pas lié
à une construction domestique et le fait qu’il vienne se connecter à
l’enceinte du réduit ecclésial incite à y voir le vestige d’une ancienne
fortification villageoise, malmenée ensuite par l’évolution du village.
Un accès est encore préservé : large de 1,30 m, il est aménagé à l’extrémité sud du mur. En extrapolant les données fournies par l’étude
de terrain, on serait tenté de voir dans le rempart qui ceint le réduit
ecclésial le « mur vieux » des textes, complété par la suite par une seconde fortification, celle que l’on distingue pour partie en limite ouest
du village.
12 - Détail de l’enceinte villageoise, conservée sur la partie ouest
du site (cl. P. Roca).
Le relevé effectué sur le site de Ropidera a permis de lever le plan
du dernier état villageois, celui des XIV‑XVe siècles. L’homogénéité
apparente, tant dans les plans, les architectures de maisons que dans
celle du mobilier, autorise une véritable réflexion quant à la physionomie de cet habitat des premiers contreforts pyrénéens.
près de 130 m, le long d’un chemin qui se ramifie en ruelles lors de son entrée dans l’espace villageois. Les mentions « d’en haut » et
« d’en bas », que l’on retrouve accolées à des
noms de famille vivant au village, trouvent
tout leur sens avec un habitat qui s’étire sur
la pente.
Le chemin, qui monte de la vallée et rejoint
le plateau situé plus au nord, est par endroits
bordé de murs, à l’image des chemins destinés aux troupeaux (chemin de Les Cases).
Initialement, il est probable qu’il passait par
l’église, empruntant le tracé du chemin dit de
l’église. La ramification qui s’opère en bas du
village est postérieure : un nouveau chemin,
médiéval, contourne l’habitat par l’ouest tandis qu’un second rejoint les crêtes qui dominent le site et notamment le lieu‑dit Roc de
Sabardana où les mises en culture du Moyen
Âge sont attestées par l’archéologie et par les
textes25.
Au premier abord, ce qui surprend le plus c’est l’absence de regroupement net autour de l’église. Le village s’étire au sud de l’édifice, sur
25. Se reporter pour plus de renseignements au chap. VIII
consacré à l’étude du paysage et des mises en cultures durant
le Moyen Âge.
L’analyse des maisons ou des constructions identifiées dans l’espace
villageois fournit des renseignements intéressants quant à la physionomie de cet habitat dont la chronologie, centrée sur le bas Moyen
Âge (XIVe‑première moitié XVe siècle), est homogène, supposant
ainsi un abandon qui suit une période où le village était encore densément occupé.
195
196
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre VI
13 - Ruelle entre deux maisons, colmatée par les blocs provenant de la
destruction du village (cl. P. Roca).
L’espace villageois est parcouru de ruelles, larges
de 1 à 2 m, qui permettent de desservir chacune des
maisons (ill. 13).
Au total 38 maisons (ou unités d’habitation)
ont été reconnues autour de l’église et peuvent être
datées du bas Moyen Âge. Ce chiffre est, in fine,
très proche de celui obtenu à partir du dépouillement du capbreu, qui suggère de façon directe ou
indirecte l’existence d’au moins 32 maisons, en y
incluant la maison presbytérale et la forge du village. L’impression d’être confronté à l’image figée du
dernier état du village, confortée par l’étude des ruines et de la céramique, est renforcée par l’étude des
déclarations du capbreu, qui nous offre, en cette fin
du XIVe siècle, un instantané du village.
Les états de conservation des maisons sont bien
entendu très variables mais certaines unités, assez
bien lisibles, nous permettent de restituer la morphologie de ces habitats.
Tous ces bâtiments sont construits de blocs de granit bruts
ou sommairement équarris, de 20 à 40 cm de côté. Ces moellons sont disposés en litages réguliers, parfois en épis et, dans
certains cas, ces élévations reposent sur le substrat cristallin
ou sur de volumineux blocs. Excepté pour l’église, l’ensemble
des murs est lié à la terre et l’on note par endroits la présence
d’un enduit de mortier de chaux, sommairement taloché sur
la face externe des murs gouttereaux. Les murs sont d’épaisseur moyenne (généralement entre 50 et 60 cm, plus rarement jusqu’à 85‑90 cm).
La couverture de ces bâtis était dans tous les cas constituée
de tuiles rondes reposant sur une charpente de bois.
Sur quelques murs, on note la présence de trous de boulins
mais surtout de corbeaux destinés à supporter un plancher, ce
qui suggère l’existence d’une élévation importante et manifestement d’un étage ou d’un demi-plancher. Par contre, si les seuils
d’accès à l’intérieur des maisons, parfois également ceux communiquant entre les pièces, ont été reconnus, aucune fenêtre
ou ouverture similaire n’a été observée. Cette absence est surprenante et peut éventuellement s’expliquer par un problème
taphonomique, lié à la destruction plus rapide d’un mur là où
les ouvertures entraînent des faiblesses. Cette hypothèse ne
suffit pas à expliquer la disparition après destruction de toute
trace verticale ou horizontale d’ouverture telle que montants,
pieds‑droits ou appuis de fenêtre. On peut donc en déduire
que les fenêtres sont très rares, sinon inexistantes, dans le village de Ropidera, comme elles le sont d’ailleurs sur d’autres sites
contemporains26.
Les plans des maisons suggèrent de grandes bâtisses constituées de plusieurs pièces à vocations différentes. L’ensemble 7
par exemple est implanté à environ 70 m de l’église. Il est composé d’un unique bâtiment subdivisé en trois pièces : une pièce
centrale (7b) d’environ 28 m2 flanquée de deux pièces (7a et 7c)
de forme carrée de 14 m2 de superficie utile (ill. 14). L’ensemble
mesure 17 m de longueur pour 5 m de largeur, soit une emprise au sol d’environ 85 m2. Les murs atteignent parfois 2,20 m
de hauteur conservée. Sur le mur est de la pièce 7a on distingue
encore l’enduit de mortier de chaux extérieur qui permettait de
le protéger des intempéries. Le mur entre les pièces 7a et 7b
contient également quelques fragments de briques, de 20 cm
de largeur et de 4,5 cm d’épaisseur.
26. À cette époque et en milieu rural, il est probable que les fenêtres aient été rares,
voire absentes au rez‑de‑chaussée. À Cabrière, une fenêtre a été observée à l’étage
d’une maison alors que le premier niveau est aveugle. À Durfort, aucune fenêtre n’a
été observée ; la seule fenêtre de Cabaret est placée à 1 m du niveau de sol (Colin et
alii 1996 : 67‑82).
Ropidera, le village médiéval
N
Place publique ?
Cour ?
in de l’église
9
Enclos
Rue
7a
Chem
5
8
Che
min
de le
s Ca
ses
7b
7c
0
10 m
14 - Plan des maisons nos 5, 7, 8 et 9, en contrebas de l’espace vide (place ?).
Le bâtiment est installé sur un terrain en pente vers le sud. Du fait de sa construction en terrasse, on accédait à la pièce 7a par l’étage depuis le nord mais aussi, à partir
du rez‑de‑chaussée, par la rue qui longe le bâti à l’ouest ou par la pièce 7b avec qui
elle communique. Une autre porte permettait d’atteindre la pièce 7b, par un accès
en chicane donnant à l’est sur le chemin de l’église. Tous ces seuils mesurent environ 90 cm de largeur et les pieds‑droits qui les constituent sont généralement très
soignés. Concernant la pièce 7b, nous ne disposons d’aucune information quant à
l’existence d’un second niveau.
L’accès à la dernière pièce (7c) ne semble se faire que par l’extérieur, par un seuil
aménagé au sud‑ouest et donnant sur le chemin de Les Cases. L’hypothèse d’une annexe associée à une vaste maison subdivisée au rez‑de‑chaussée en deux pièces est
probable. Rien ne nous permet d’associer à cet ensemble, la construction n° 8 accolée
à l’est. L’examen des murs montre que cette pièce s’adosse dans un second temps à
cette dernière. L’accès est indépendant et a été aménagé au nord, à partir d’un petit
espace de circulation pouvant aussi faire office de cour. Le fait que cette maison soit
mitoyenne de la maison no 7, l’anomalie qu’elle présente au sud et qui donne à l’accès à
la pièce 7b une forme en chicane, laissent penser qu’elle fait partie du même ensemble
et qu’elle matérialise une phase d’extension ou de renouvellement des volumes.
Plus à l’ouest, l’ensemble 5 borde au nord le chemin de Les Cases (ill. 14). Il est
constitué d’un vaste enclos accolé à un bâtiment de forme rectangulaire. L’enclos est
construit à l’aide de blocs de tailles très diverses, sans aucun liant visible. En grande
partie ruinés, les murs qui
le constituent possèdent
cependant une largeur importante, d’environ 1,20 m à
1,40 m. Cet enclos présente
une forme irrégulière pour
une superficie utile d’environ 80 m2. Une partie des
murs formant l’angle sud‑est
ont encore une élévation
importante ce qui a permis
la conservation de deux niches, l’une au sud, l’autre au
nord‑est, à environ 1 m de
hauteur27.
On pénètre dans cet enclos par un large passage
(1,60 m) donnant directement sur le chemin de
Les Cases. À l’ouest, l’enclos
s’appuie sur un bâtiment de
forme rectangulaire d’environ 4,40 m de largeur pour
7,80 m de longueur, soit une
superficie utile d’environ
23 m2. On accède à ce bâtiment par un seuil d’environ
90 cm de largeur donnant
directement dans l’enclos.
Ces deux constructions
forment un ensemble cohérent, celui d’une maison
constituée semble‑t‑il d’une
pièce unique associée à un
enclos destiné au bétail.
L’hypothèse de la présence
d’une unité d’habitation est
cependant à manier avec
prudence car elle n’est étayée
que par la largeur du seuil,
inférieur à 1 m.
27. La première de ces niches extérieures mesure 50 cm de hauteur, 30 cm
de largeur pour profondeur d’environ
30 cm. La seconde mesure 60 cm de
hauteur, 50 cm de largeur pour une
profondeur identique à la précédente.
197
198
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre VI
N
Cultures en terrasses
4
Carrière ?
Enclos
0
10 m
15 - Plan de la maison n° 4 et de son enclos.
N
28
19b
16
19a
18
17
in
em
Ch
de
lise
l'ég
0
16 - Plan de la maison n° 18 et des constructions environnantes.
10 m
L’ensemble 4 est l’un des mieux
conservés du village de Ropidera
(ill. 15). Il est constitué d’un bâtiment de forme rectangulaire,
de 8,20 m de longueur pour 5 m
de largeur, flanqué au sud par un
enclos d’environ 140 m2. On accède à l’enclos par deux passages.
Le premier, d’environ 2,40 m est
situé au sud‑est, tandis que le
second, tout aussi large, donne
sur une rue qui longe l’ensemble au nord. Les murs de l’enclos atteignent encore par endroits 1,60 m de hauteur. Une
partie de l’enclos est occupée par
un bâti de 30 m2 de superficie
utile dont les murs sont encore
conservés sur 1,80 m d’élévation. Sur le mur sud, on observe la présence d’une rangée de
trous de boulins. L’accès se fait
par l’est où est aménagé un seuil
d’environ 2,10 m de largeur,
aux pieds‑droits relativement
soignés. La largeur de cet accès
laisse supposer que ce bâtiment
faisait usage de bergerie, en relation avec l’enclos au sein duquel
il s’inscrit.
On accède à la construction
n° 18 par un sentier qui serpente aujourd’hui au milieu des
terrasses (ill. 16). Cette maison
est d’ailleurs installée en bordure d’une de ces terrasses et son
mur sud en constitue le prolongement. Ce bâtiment de forme
rectangulaire mesure 9,50 m de
longueur pour 7,80 m de largeur,
soit environ 45 m2 de surface
utile. L’accès se fait par le sud,
par une porte d’environ 1,05 m
de largeur, aux pieds‑droits soigneusement agencés à l’aide de
Ropidera, le village médiéval
N
21a
21b
10
21c
20
18 - Détail des corbeaux de la maison n° 33 (cl. O. Passarrius).
0
10 m
17 - Plan de la maison n° 21.
blocs bien équarris. On peut encore observer la présence
de deux trous dans les montants, destinés à recevoir la barre de fermeture de la porte. À l’intérieur, sur le mur sud,
se trouve également une niche de 23 cm de hauteur, de
25 cm de largeur pour une profondeur inconnue. À l’est,
deux pièces s’accolent contre ce bâti et pourraient matérialiser une phase d’extension (19a et 19b). Elles forment
un bâtiment de 9,50 m de longueur pour 5 m de largeur
dégageant respectivement 12,5 m2 et 19 m2 de superficie
utile. Aucun accès n’a pu être reconnu. Une niche carrée est
également aménagée à l’intérieur, sur le mur nord‑est : elle
mesure 38 cm de côté pour 50 cm de profondeur.
L’ensemble n° 21 est composé de trois pièces dont
deux communiquent entre elles. Ce bâtiment mesure
11 m de longueur pour 9 m de largeur, soit une superficie hors oeuvre d’environ 57 m2. On accède à ce bâtiment par la rue située au nord, par deux portes de
90 cm et 1,10 m qui donnent dans les pièces 21a et
21b. Un pilier se trouve quasiment au centre de cette
dernière pièce, en décalage vers sa partie sud‑ouest.
Ce pilier, de 80 à 85 cm de côté, soutenait sans doute
un premier étage sur un plancher de bois. En effet, pour
une toiture, la surface à couvrir serait faible et ne justifierait pas la présence de ce type de soutènement. On
accède à la pièce 21c, la plus vaste, par une porte d’environ 70 cm de largeur communiquant avec l’espace 21b.
Le mur sud de cette pièce présente une anomalie qui n’a
pas été comprise lors de la phase de relevé. Elle pourrait
éventuellement s’expliquer par la présence d’une porte,
non détectée. Cet ensemble forme une unité à vocation
domestique et/ou artisanale si l’on prend en compte la
faible largeur des accès, insuffisante pour des espaces
voués à une bergerie ou une étable.
L’ensemble n° 33 correspond à une vaste maison,
installée en bordure du chemin dit des crêtes, et dont
il ne subsiste malheureusement que le mur occidental
et une partie du mur sud. Ce dernier est assis sur le
rocher qui devait d’ailleurs constituer les deux tiers de
la hauteur du mur. Le mur ouest présente, sur sa face
interne et à environ 2 m de hauteur, des corbeaux disposés tous les 30 cm (ill. 18). Ces pierres, non taillées,
prises dans le mur et débordantes de quelques dizaines
de centimètres devaient soutenir un plancher. L’accès
pouvait alors aussi se faire à hauteur du chemin dit des
crêtes, nettement en surélévation par rapport au bâtiment. Le reste des murs de ce bâtiment a été détruit
lors des travaux de mise en culture postérieurs à l’abandon du village.
199
200
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre VI
N
Structure
circulaire
1b
1c
1a
2
0
10 m
19 - Plan de la maison n° 1.
20 - Corbeaux de la maison n° 1 (cl. P. Roca).
Le bâti n° 1 est l’un des plus éloignés de l’église, à environ 110 m de cette dernière. Installé au sommet d’une terrasse et en partie sur un chaos granitique,
il domine une zone de mise en culture (ill. 19). Sur le mur nord de la pièce 1b
on distingue encore la présence d’un enduit de mortier de chaux extérieur de
couleur blanche. Par endroits, l’élévation conservée dépasse 2,30 m et sur le mur
sud de la pièce 1c, subsiste un corbeau qui témoigne de la présence
d’un étage ou d’un demi-plancher
(ill. 20). Sur l’un des murs de la
pièce 1b (mur ouest) se trouve une
niche aménagée d’environ 50 cm
de côté et profonde d’une trentaine
de centimètres. Cette maison est
constituée de trois pièces pour une
superficie au sol de 74 m2. Elle était
vraisemblablement couverte de tuiles rondes et une partie (pièce 1c)
aurait pu faire office de bergerie
comme en témoigne la présence
d’un petit conduit rectangulaire situé à la base du mur sud qui aurait
pu permettre l’évacuation des déjections (ill. 21). L’interprétation
ne peut être poussée au‑delà : cette
construction, pourtant bien préservée, a fait office de tas d’épierrement et le volume des blocs jetés
là rend difficile toute observation
complémentaire. À l’ouest, la pièce
1c touche une construction, malheureusement peu visible sous le
pierrier, empêchant d’établir toute
relation avec le bâtiment qui nous
occupe ici. Cette structure jouxte
une rue, comblée sur 1,50 m par
des blocs provenant des parcelles
mises en culture après l’abandon
du village. Cette ruelle est bordée à
l’ouest par la structure n° 2.
Le bâtiment n° 25 est constitué de
deux pièces de superficies assez proches (ill. 22). Il mesure au total 12 m
de longueur pour environ 5,80 m
de largeur, ce qui représente une
superficie utile d’environ 48 m2, au
premier niveau. Les murs possèdent
des largeurs très différentes, variant
de 60 à 85 cm de puissance. Le mur
est est en arête de poisson, il s’y trouve également une petite niche d’en-
Ropidera, le village médiéval
viron 30 cm de hauteur pour 20 cm de largeur. On accède
aux deux pièces (25a et 25b) par deux portes donnant sur
la ruelle. La première (25a) mesure 1,70 m de largeur tandis
que la seconde (25b) ne fait qu’un mètre. Les deux pièces
communiquent également entre elles par un seuil de 1,15 m
de largeur. Tout ou partie de cette unité était pourvue d’un
étage comme en témoigne la présence d’un escalier extérieur
d’une seule volée flanquant la façade du bâtiment.
Ce genre de bâtisse côtoie de plus petites unités, parfois de quelques m2 de superficie utile, mais qui restent
peu fréquentes (no 10 par exemple). La largeur des seuils,
très variable, suggère que ces espaces étaient dévolus à des
activités différentes. Dans bon nombre de cas, on note la
présence de seuils excédant 1,50 m de largeur ce qui suppose des pièces faisant office de remise ou plutôt d’étable
ou de bergerie. Trois enclos extérieurs ont été clairement
identifiés et dans deux cas (nos 4 et 5), ils sont attenants à
une maison28. L’agencement même du village, la présence
de grandes maisons probablement mixtes, d’enclos, les
aménagements sur les chemins pour éviter les divagations
du bétail et les efforts consentis pour protéger les cultures témoignent d’une économie reposant pour partie sur
l’élevage, et notamment sur celui des caprins au vu de la
hauteur des murs de limite. Deux auges taillées dans de volumineux blocs de granit, brisées, jonchent encore le sol.
Les maisons de Ropidera fournissent un éclairage intéressant pour la connaissance de l’architecture rurale en
Roussillon à la fin du Moyen Âge. Cette dernière n’était
que partiellement connue à partir des exemples fournis par les fouilles du village de Vilarnau, en zone de
plaine (commune de Perpignan)29. À Vilarnau d’Amont
mais surtout à Vilarnau d’Avall où elles sont nettement
mieux conservées, ces maisons sont toutes construites
en galets provenant soit de terrasses anciennes affleurant
sur place, soit du lit du fleuve situé en contrebas, à environ 500 m. Cette technique de construction est omniprésente en Roussillon, depuis l’Antiquité jusqu’au milieu
du XXe siècle. Elle a pour avantage d’utiliser un matériau
abondant, surtout dans les zones proches des trois fleuves côtiers, qui n’exige aucun façonnage préalable à sa mise
en œuvre. Toutefois sa morphologie rend souvent le galet
inapte pour l’encadrement des ouvertures et sa maçonnerie
28. La largeur des seuils, inférieure ou autour d’un mètre permet de privilégier
cette hypothèse.
29. Passarrius et alii 2008.
21 - Détail du mur sud de la maison n° 1 : à gauche, en bas, système d’évacuation
des fluides (cl. P. Roca).
N
26b
26a
25a
25b
0
10 m
22 - Plan des maisons nos 25 et 26.
requiert un liant abondant. Il est alors disposé en litages
réguliers ou en épis, en opus spicatum. Pour pallier les difficultés de son assemblage, on l’associe fréquemment à
d’autres matériaux qui ont pour but d’assurer une meilleure stabilité en répartissant les charges30. À Vilarnau,
comme partout en plaine du Roussillon, c’est la brique de
terre cuite qui est utilisée, le cairó en catalan, qui fait son
apparition dans la construction à partir du XIVe siècle.
30. Lhuisset 1980.
201
202
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre VI
23 - Détail de la maison n° 30 (cl. O. Passarrius).
24 - Détail d’un escalier aménagé contre le mur extérieur d’une maison (cl. P. Roca).
À Vilarnau, on retrouve cette brique disposée en lits
réguliers toutes les deux ou trois rangées de galets. Elle
est bien souvent utilisée seule pour la construction
d’éléments de support tels que les piliers, les chaînages
d’angles, les pieds‑droits ou les encadrements d’ouvertures. À Ropidera par contre, ce matériau est totalement
absent à cette époque et il semblerait même qu’il faille
attendre la seconde moitié du XIXe siècle pour le voir
apparaître dans l’architecture rurale de la zone brûlée31.
Cette absence s’explique tout autant par une difficulté
d’approvisionnement que par l’utilisation de blocs plus
faciles à chaîner.
À Vilarnau, le liant utilisé contraste avec la terre des
murs de Ropidera. Il est en effet exclusivement constitué de chaux grasse mélangée à du sable assez grossier, provenant du lit du fleuve. Les murs des maisons
de Ropidera possèdent des largeurs oscillant entre
40‑60 cm (plus rarement 85‑90 cm), ce qui peut paraître assez faible pour des murs porteurs, surtout si
on les compare aux puissants murs villageois dégagés
à Lastours (Aude) qui atteignent sur le bâtiment III
une largeur constante de 1,10 m32. À Durfort, dans le
Tarn33, le bâtiment 9 possède des murs larges de 80 cm
et à Calberte (Lozère), la maison J est construite avec
des murs d’environ 70 cm de largeur34. Ces bâtiments
sont tous construits en moellons, généralement calcaires, liés au mortier de chaux et comportent des étages.
Cette largeur dans la construction des murs n’est pas
une constante. À Rougiers (Var), les murs des maisons
villageoises sont assez minces (entre 60 et 70 cm) au
regard des élévations qui peuvent atteindre 6 à 8 m35.
En Roussillon, pour l’architecture rurale d’époque moderne et contemporaine et dans les zones où le galet est
utilisé, les murs porteurs sont étroits, avec en moyenne
40 à 50 cm d’épaisseur36. À Laroque‑des‑Albères, des
prospections menées sur le massif boisé ont permis de
relever le plan de deux mas datés des XIVe‑XVe siècles37.
Le premier se trouve à environ 700 m d’altitude. Accolé
à une vaste cour clôturée, se trouve un petit bâtiment
couvert de tuiles. Les murs en moellons de gneiss liés
au mortier de chaux possèdent une largeur oscillant
entre 40 et 50 cm. Près de l’église Saint‑Fructueux de
Roca Vella, un second bâtiment a été dégagé. Couvert de
tuiles courbes, il possède des murs construits de façon
similaire et larges d’environ 60 cm. Pour autant, tous les
murs ne possèdent pas des largeurs aussi faibles. Cette
dernière peut être plus importante et est alors en adéquation avec la taille du bâtiment et la surface de la toiture dont les pannes, en Roussillon, reposent souvent
sur les murs pignons.
À Ropidera, alors que le mortier de chaux semble
s’être généralisé sur bon nombre de sites comparables,
dont celui de Vilarnau, on continue à utiliser la terre
comme liant tout en réussissant à conserver des murs
peu épais, entre 50 et 70 cm tout au plus d’épaisseur,
alors même que certaines maisons présentent les traces
d’un second niveau (ill. 24).
31. Se reporter pour plus de renseignements au chap. IX consacré aux mises
en culture d’époque moderne et contemporaine et à l’analyse de l’architecture
de l’habitat rural des XVIIIe, XIXe et du début du XXe siècle.
32. Gardel 1996 :163‑175.
33. Vidaillet, Pousthomis 1996 :177‑208.
34. Darnas 1996 :209‑214.
35. Démians d’Archimbaud 1980 : 226.
36. Lhuisset 1980 : 346.
37. Catafau, Passarrius 1995/1996 : 7‑31.
Ropidera, le village médiéval
L’abandon du village
Les prospections de surface ont permis de collecter,
autour des maisons effondrées, un abondant mobilier céramique présentant un faciès homogène daté des
XIVe‑XVe siècles. L’unité architecturale, l’organisation
cohérente et la présence de nombreuses céramiques nous
permettent de supposer un abandon du village à la fin
du XIVe ou durant le XVe siècle sans toutefois pouvoir
exclure des réoccupations ponctuelles ou partielles, impossibles à détecter sans une fouille du site.
Nous possédons aussi des éléments précis sur l’époque
de l’abandon et sur ses processus et ses rythmes dans la
documentation écrite. Un premier élément d’évaluation
de la population est traditionnellement le décompte
des feux, les fouages (en catalan fogatges) dans les documents royaux de caractère fiscal. À Ropidera se confirme
le fait que les fogatges ne sont jamais un inventaire exact
de la population : au XIVe siècle, en 1378 et à nouveau
en 1385, le village de Ropidera est imposé sur une base
de huit feux38. Les vestiges du village reconnus et relevés par les archéologues comme le capbreu de 1393
nous donnent une vision tout à fait différente : avec une
trentaine de maisons occupées à la fin du XIVe, le village pouvait avoir une population comprise entre 100
et 150 personnes, pour trois à cinq personnes par maison. Les huit feux ne représentent donc que la capacité
contributive de la communauté et non une évaluation
ou un inventaire de la population. La différence remarquable entre la réalité et le nombre des feux fiscaux peut
refléter la pauvreté que souligne un document contemporain, daté de 1381, quand les hommes de Ropidera
disent « qu’ils sont hommes du roi, peu nombreux et
manquant de terres à cultiver, et qu’ils sont aussi placés
en frontière du royaume de France, dans un lieu rural
et au sommet des monts, de telle sorte qu’ils peuvent
à peine se nourrir eux‑mêmes »39. Après ce discours
d’auto‑apitoiement, les habitants de Ropidera sollicitent
du roi certains avantages économiques, et on peut imaginer que les mêmes arguments ont servi à obtenir la
diminution du nombre de feux imposables.
38. ADPO, 1B142 et 1B143, on retrouvera ces données dans « Fogatges
catalans », Terra Nostra, n° 11, 1973 et sous forme plus synthétique dans la
Gran Geografia Comarcal de Catalunya, vol. 15, tableau p. 100.
39. ADPO, 2J1/37, p. 53 : « quod homines dicti loci sunt regii et sunt pauci
numero et pauperes et bonis mondanalibus carentis et sunt etiam positi in
frontaria regni Ffrancie in loco agresti et in cacumine moncium et in tali loco
quod vix possunt eorum vitam sustentare ».
On peut s’interroger sur la résidence permanente de
ces habitants à Ropidera, en effet, à la date même où est
rédigé le capbreu, le roi d’Aragon vend le territoire de
Rodès et de Ropidera à Ramon de Perillos. Dans l’acte de vente, on précise que dans le village de Ropidera
« vivent seulement cinq feux, bien qu’auparavant il y en
ait eu beaucoup plus »40. La contradiction est flagrante
entre les deux sources. Les gens dits « de Ropidera »
qui déclarent en 1393 des maisons qu’ils « tiennent »,
certains d’entre eux étant même « amansatus et abordatus », donc astreints à vivre dans leur mas ou borde, ne
résideraient‑ils pas de manière permanente sur place ?
Ils se réfugiaient peut‑être temporairement à Vinça ou
Rodès. Lorsque les habitants de Ropidera ont définitivement déplacé leur résidence dans la vallée, aux XVIe
et XVIIe siècles, on les présente alors clairement comme
« de Ropidera, habitant Vinça (ou Rodès) ». Du point
de vue archéologique, comme on l’a vu, rien n’indique
une forme d’occupation saisonnière, temporaire, ou un
abandon progressif. Pourtant les officiers royaux disent
bien « que les gens ont évacué leur domicile ». Il faut
donc comprendre que nous sommes ici confrontés à
deux temps différents : celui de l’événementiel, du temps
court, où les habitants de Ropidera fuient – pour quelques jours, quelques semaines ou quelques mois – un
village exposé aux incursions armées, puis y reviennent
aussitôt le danger passé. De cet aller‑retour les traces archéologiques sont impossibles à retrouver, une absence
de quelques semaines ou mois ne laisse pas de traces, les
éventuels dégâts occasionnés par un abandon si court
ne sont guère détectables dans un village complètement
ruiné depuis six siècles.
Les feux nous indiquent‑ils plus exactement les rythmes d’abandon du village ? Rien n’est moins sûr. Ropidera
est imposé pour un feu en 1515 et pour deux en 1553,
puis est absent de la liste du fogatge de 1725. Il faudrait
supposer qu’il y avait encore quelques habitants au milieu du XVIe siècle : si huit feux fiscaux de 1385 correspondaient à trente‑deux maisons, on pourrait penser
que, dans la première moitié du XVIe siècle, pour deux
feux fiscaux, il y avait encore quatre à huit maisons habitées au village41.
40. ADPO, 1B376, a. 1393, (à la date même du capbreu...).
41. L’archéologie ne peut apporter de précision quant à cet abandon, le mobilier présent en surface ne reflétant qu’une vision très partielle de l’occupation
du site.
203
204
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre VI
Or, en 1570, plusieurs témoins déclarent que le village est totalement
abandonné, que personne n’y vit plus « de mémoire d’homme » (ce qui
indique trente ans au moins, et sans doute cinquante ans ou plus). Il semble donc sûr qu’au moins en 1553 (et sans doute dès 1515, voire avant si
l’on se fie prudemment à la mémoire des témoins) il n’y a plus à Ropidera
une seule maison habitée, et pas un seul « feu » réel, contrairement à ce
que pouvaient laisser croire les fogatges de 1515 et 1553. Les feux de 1515
et 1553 sont, comme ceux de 1385, des feux fiscaux et non des feux réels,
ils signifient que, bien que personne ne vive à Ropidera, le village continue
à avoir des ressources, des productions et une certaine richesse imposable. Les contributions de 1543 (et sans doute celle de 1515) ne furent pas
payées par des gens vivant à Ropidera mais par des habitants de Rodès
ou de Vinça, propriétaires à Ropidera et encore désignés comme hommes
« de Ropidera », même s’ils vivent désormais dans un des villages voisins,
comme leurs parents peut‑être le faisaient déjà. Les données chiffrées des
feux fiscaux nous donnent cependant un indice utile : celui de la brutale
diminution entre 1384 et 1515, où l’on passe de huit à un feu, signe d’un
abandon (total ?) à placer sans doute dans le courant du XVe siècle.
Comme on l’a vu, en 1570 un curé de Vinça, Joan Fuster, reçoit la cure
de Saint‑Pierre et Saint‑Félix de Ropidera, incluant les distributions quotidiennes et le bénéfice lié à la paroisse dont il est curé. S’inquiétant de
savoir s’il devra résider à l’église de Ropidera, une enquête est menée42 :
le presbytère est désert, aucun curé n’y vit ou n’y a vécu « de mémoire
d’homme ». Les témoins, habitants de Vinça, disent que l’église se trouve
« sur une montagne déserte, et qu’elle est toute seule », « l’église est toute
abîmée et découverte », « elle est ruinée », il n’y a pas de fonts baptismaux
ni de tabernacle, l’église est désaffectée et il ne s’y célèbre plus de messe
qu’au jour de sa fête. Ils assurent aussi
qu’il n’y a « aucune maison dans le dit
lieu de Ropidera », qu’il est « inhabitable ». Il y a donc des décennies que ce
village et cette église sont abandonnés :
pour que la toiture en soit effondrée on
peut supposer que l’arrêt de l’entretien
de l’église remonte non pas à une mais à
plusieurs générations, c’est‑à‑dire au début du XVIe voire au XVe siècle.
Pour expliquer l’abandon de Ropidera,
en plus des raisons communes à tous les
petits villages de l’Occident médiéval – les
épidémies de peste de la deuxième partie
du XIVe siècle, l’attraction des bourgs et
villes, les difficultés de production dans
des zones marginales, montagneuses, au
temps de la péjoration climatique du « petit âge glaciaire », la crise des seigneuries
rurales – il ne faut pas négliger l’impact
des événements ponctuels. Dans l’acte de
vente du territoire de Rodès et Ropidera
par le roi d’Aragon à Ramon de Perillos
en 1393, on précise que dans le village de
Ropidera « vivent seulement cinq feux,
bien qu’auparavant il y en ait eu beaucoup
plus », on l’a vu, « mais, à cause de voleurs
et de mauvais hommes qui ont régné sur
cette terre, les habitants ont évacué leur
domicile ; d’autant que les voleurs et les
mauvais hommes ne sont pas poursuivis
parce que les officiers royaux ne peuvent
entrer dans les juridictions des baronnies »43. Nous avons vu plus haut que ce
document ne peut être pris au pied de
la lettre pour le constat de l’abandon du
village en 1393, mais témoigne seulement
d’un départ précipité, momentané, des habitants apeurés. Ce document est lié à un
contexte précis : ces « mauvaises gens »
sont les pillards des Grandes Compagnies,
conduites en Aragon par Du Guesclin, et
dont certaines troupes se sont installées
entre Tarerach et Montalba, et qui, depuis ces lieux, saccageaient le Conflent et
42. ADPO, G983, cure rurale de Saint‑Félix de Ropidera.
43. ADPO, 1B376, cité dans Tosti 1987 : 15.
25 - Vue aérienne d’un parcellaire avec murs de terrasse aménagés à l’emplacement de maisons médiévales
ruinées. Le surplus de pierres provenant des constructions a été stocké dans d’immenses pierriers (cl. P. Roca).
Ropidera, le village médiéval
le Fenouillèdes. Ropidera était donc exposé aux attaques.
Mais, nous l’avons vu, si ces attaques ont entraîné des
abandons momentanés, elles ne semblent pas avoir détruit les maisons du village ni fait fuir définitivement ses
habitants. On peut d’ailleurs rapprocher ce document, et
l’information qu’il donne sur un abandon momentané
du village, et le capbreu dressant la liste des tenanciers du
prieuré Sainte‑Marie de Marcevol à Ropidera, daté de la
même année : il est probable que confronté à des départs
d’habitants et à un risque de voir les redevances tirées de
ses possessions diminuer ou ses droits se perdre, le prieuré a souhaité faire dresser un nouvel état de ses terres
de Ropidera et des paysans qui les détenaient pour lui. La
similitude des dates n’est donc probablement pas un hasard.
La conjonction de ces événements précis avec la
conjoncture longue des crises épidémiques, économiques
et sociales, qui s’étirent du milieu du XIVe siècle au début du XVe siècle, explique l’affaiblissement durable du
village. Un capbreu de 1445, établi pour un seigneur laïc,
ne donne que les noms d’onze déclarants, ce qui n’est pas
très inférieur aux seize de 1393, mais il n’est plus sûr que
ces hommes soient résidents permanents, peut‑être ne
sont‑ils plus qu’exploitants des tenures dont ils ont hérité44. En 1510, seuls cinq déclarants disent détenir des
biens à Ropidera45. Abandon progressif ou occupation
réduite à quelques périodes de travaux agricoles, ces formes éventuelles d’habitat temporaire n’ont pas laissé de
traces archéologiques remarquables. En 1570, l’abandon
est consommé « de mémoire d’homme » et aux générations suivantes on ne trouve plus que rarement mention
des maisons du village, et toujours sous forme de ruines. En 1637, l’inventaire des biens d’un propriétaire de
Rodès révèle, qu’outre ses possessions à Rodès, il détenait
un héritage complet à Ropidera, dont il cite d’abord « une
maison détruite sise dans le lieu de Ropidera, confrontant avec une voie publique et avec Sébastien Calvet, de
Prades »46.
Au XVIe siècle, bien que l’église soit en ruine et les
paroissiens partis, le revenu de la cure reste intéressant.
Il le sera d’ailleurs jusqu’au XVIIIe siècle, puisque son
rapport est d’environ 130 livres par an, soit douze pièces
44. Tosti 1987 :15.
45. J.‑B. Alart, Cartulaire Manuscrit, t. 24, p. 561‑564. Cf. Tosti 1987 :16.
46. ADPO, 3E19/323, Rafael Julià, notari de Vinçà, liasse, 1637, inventaire post
mortem de Maurici Puig i Abiciat, pagès de Rodès (6 août de 1637). Document
communiqué par Denis Fontaine, comme presque tous ceux d’époque moderne cités dans cet ouvrage. Nous l’en remercions sincèrement.
d’un doublon d’or, ce qui indique, comme nous le verrons
ci‑dessous, que le rapport des terres n’est pas négligeable,
les revenus de la cure ne représentant au mieux que la
part accensée de la dîme des récoltes (elle‑même d’environ 8 %, mais en sont exclus les jardins, qui sont très productifs). Les dernières cérémonies de prise de possession
symbolique de l’église par les prêtres bénéficiés de Vinça
mentionnent le fait qu’ils touchent les quatre murs d’une
église dont le toit est entièrement effondré, et qu’ils entrent « dans l’enclos de l’église », qui correspond à la trace
encore visible de sa fortification extérieure47.
Croix gravée sur un bloc découvert en remploi dans un mur de terrasse (cl. A. Catafau)
47. ADPO, G983 - accensements de dîmes et prises de possessions de 1671
à 1744.
205
chapitre VII
Le temps des chemins.
La circulation en Bas-Conflent, au nord de la Têt
du Moyen Âge à la fin du XIXe siècle
Jean-Pierre Comps
I - Introduction
I.1 - Le cadre de l’enquête
L’inventaire des chemins s’insère dans l’étude d’ensemble de la zone brûlée par l’incendie d’août 2005. Mais
pour cette enquête spécifique, il a paru nécessaire d’élargir
le cadre originel : en effet, la logique des chemins n’est pas
celle du feu, il n’était pas possible de faire abstraction des
points de départ et d’arrivée, c’est-à-dire des agglomérations de ce secteur. La recherche concerne donc un territoire délimité par Vinça, Marcevol, Tarerach, Montalba,
Bélesta, Ille et Rodès. À l’intérieur de cette zone, doivent
en outre être pris en compte, pour la période historique, les villages désertés de Ropidera, de Casesnoves et de
Reglella. C’est entre ces différentes localités, qui se situent
de part et d’autre de la Têt, que vont se déployer les principaux chemins.
On voit alors que l’histoire des chemins se double
d’une histoire de ponts. Contrairement à ce que l’on
pourrait croire, la Têt ne constitue pas une frontière :
les habitants de rive droite cultivent des terres sur la rive
gauche et vice-versa. Le territoire de Vinça déborde sur
. Cette étude doit beaucoup à certains de mes amis : Alain Bournet, Guy
Barnades, Aymat Catafau, Denis Fontaine pour la recherche des documents
ainsi que Monique Formenti, Huguette Grzesik, Gilbert et Marie-Lou Lannuzel, qui, en outre, m’ont fidèlement accompagné sur les chemins épineux au
péril de leur peau. Qu’ils soient ici remerciés. J’ai également utilisé les textes
édités par Aymat Catafau dans le rapport pluridisciplinaire remis au Service
Régional de l’Archéologie sous le titre « Dans les cendres de l’incendie de
Rodès » (février 2007).
la rive gauche, de même celui d’Ille. Ropidera a le même
seigneur que Rodès mais son église dépend de la communauté des prêtres de Vinça, ce qui est aussi le cas pour le
prieuré de Marcevol à partir d’une certaine date. De part
et d’autre du fleuve, les liens sont donc innombrables.
S’y ajoutent les liens de pays à pays : depuis le traité de
Corbeil en 1258 et jusqu’au traité des Pyrénées en 1659,
Montalba était en terre languedocienne de même que
Bélesta-de-la-frontière, qui s’en est fait un blason, tandis
que Marcevol, Tarerach, Ropidera, Casesnoves et Reglella
étaient catalans, au même titre que Vinça, Rodès et Ille.
Cette imbrication de frontières est une aubaine dans
certains cas, par exemple pour les contrebandiers qui y
trouvent leur affaire, mais elle peut aussi se révéler dangereuse lorsqu’arrivent les bandes armées. Les uns et les
autres intéressent aussi les chemins et les ponts et pas
seulement les déplacements habituels et pacifiques des
paysans se rendant à leurs champs ou des bergers à leurs
lieux de pâture.
La zone ainsi délimitée présente une grande homogénéité de relief : sur la rive gauche de la Têt, une «région» de
fortes pentes qui impose aux cultures et aux chemins des
contraintes très grandes, et plus au nord, une «région»
de plateaux plus facile à exploiter. La première, abandonnée aux friches durant la première moitié du XXe siècle,
a l’avantage de présenter un terroir en partie fossilisé tandis que la seconde, encore en culture, a été beaucoup remaniée par les engins modernes.
208
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre VII
Les chemins permettent aux hommes de s’approprier
l’espace, en fonction de leurs besoins et des moyens dont ils
disposent pour les satisfaire, lesquels ont beaucoup varié au
cours des temps. D’où il découle que les chemins aussi ont
leur histoire. Comme il serait illusoire, en l’état actuel de la
documentation, de prétendre remonter au-delà du Moyen
Âge central, notre étude s’étalera de cette période à l’époque
contemporaine, selon deux séquences chronologiques : le
temps des chemins, le temps des routes et des pistes.
I.2 - La méthode
Pour cerner au mieux notre sujet, une triple enquête a
été nécessaire : dans les textes, sur les plans et les cartes,
et, bien évidemment, sur le terrain.
Les textes sont peu nombreux pour ce secteur, d’abord
en latin pour le Moyen Âge classique puis en latin ou
en catalan selon le type de document, enfin en français
après l’annexion de 1659. Les chemins n’y apparaissent
souvent que comme confronts dans les actes de cessions
de terrains ou dans les capbreus. Les ponts cependant
sont mentionnés en tant que tels, notamment après la
création des Ponts et Chaussées au XVIIIe siècle, lorsque
des réparations sont nécessaires. Mais il faut attendre la
deuxième moitié du XIXe siècle pour que les documents
se fassent plus nombreux.
Les premières représentations cartographiques aux
XVIIe et XVIIIe siècles sont approximatives, la carte de
Cassini ne mentionne malheureusement pas les chemins
secondaires.
Le premier cadastre, dans la première moitié du
XIXe siècle, nous offre enfin une vue précise de ce secteur.
Très précieux, il permet de retrouver les différents tracés,
tels du moins qu’ils existaient alors. Peut-on légitimement
faire le lien avec les mentions des textes médiévaux ? Dans
de rares cas, les toponymes se sont conservés et autorisent
donc à répondre par l’affirmative. Pour le reste, l’ancienneté
et la permanence des lieux habités, ou du moins des terroirs
pour les localités disparues de Ropidera et de Casesnoves,
laissent supposer une relative permanence du tracé depuis
le Moyen Âge. Remonter au-delà dans le temps relèverait
de la fiction dans l’état de nos connaissances.
La carte d’État-Major au 1/80 000e dont la feuille de
. Le temps des routes et le temps des pistes font l’objet du chap.XII.
. Vinça, 1831 (ADPO, 2J127/232) ; Marcevol, 1812 (ADPO, 2J127/7) ; Tarerach 1813 (ADPO, 2J127/203) ; Montalba 1833 (ADPO, 2J127/112) ; Bélesta
1832 (ADPO, 2J127/19) ; Ille 1832 (ADPO, 2J127/88) ; Rodès 1832 (ADPO,
2J127/167).
Prades, qui nous concerne, a été publiée en 1864, a le mérite d’être très précise et de situer la voirie dans son cadre
géographique. Avec les levées effectuées par les agentsvoyers de la fin du XIXe siècle et du début du XXe lors
de la construction des routes, elle fait la transition vers
les cartes IGN plus récentes, lesquelles sont indispensables pour repérer les chemins anciens, lorsqu’ils se sont
conservés dans le paysage contemporain, ou pour les retracer sur le papier avec un maximum d’exactitude lorsqu’ils ont disparu. Toutes choses que permet la réécriture
du tracé au 10 000e des plans cadastraux anciens sur les
cartes d’aujourd’hui au 25 000e.
L’enquête sur le terrain est nécessaire pour contrôler
l’exactitude des documents, pour étudier la mise en œuvre
dans le paysage et voir ce qu’il en reste. Il faut en effet garder présent à l’esprit que ce que nous avons alors sous les
yeux correspond non pas à un chemin médiéval mais à un
état d’abandon, lorsque, sans doute dans la première moitié du XXe siècle, on a cessé d’entretenir ce type de voirie.
II- Le temps des chemins
II.1 - Il suffit de passer le pont
Entre les agglomérations de la vallée et celles du plateau, le premier obstacle est la Têt. Son cours se resserre
au droit de Sant Pere et dans les gorges de La Guillera
et s’étale au contraire dans les bassins de Vinça et de
Rodès, et surtout dans la plaine d’Ille. Dans ces derniers
secteurs, les divagations du tracé depuis l’enregistrement
du premier cadastre sont impressionnantes et tout à fait
significatives de la violence des crues... et de la difficulté
d’établir des franchissements permanents.
Sur les premiers cadastres, on en comptait cinq. D’amont
en aval, un au droit de Vinça, un en amont de Rodès, un
en amont d’Ille, un au droit d’Ille, un en aval d’Ille.
Les recherches en archives en font apparaître deux
autres qui ont existé au Moyen Âge et jusque pendant
l’époque moderne : le pont-aqueduc Sant Pere au droit
de la chapelle Sant Pere de Belloc et le pont-aqueduc de
Labau dans les gorges de La Guillera. Leur fonction première et leur mode de construction en font des ouvrages
spécifiques qu’il faut traiter à part.
. Les inondations destructrices se retrouvent à toutes périodes avec quelques
paroxysmes, notamment à la fin du Moyen Âge. Voir à ce sujet l’étude récente
de R. Tréton (2007).
le temps des chemins
II.1.1 - Une œuvre pie
Au Moyen Âge, construire un pont était une œuvre
pie. Pour chaque ouvrage entrepris, il existait une œuvre du pont qui recevait des dons et des legs. Les testaments mentionnent régulièrement des sommes attribuées
à la construction d’un pont à côté de celles destinées aux
églises ou aux chapelles. D’ailleurs, il arrive fréquemment
qu’un édifice religieux soit placé à l’entrée du pont, et l’on
a ainsi une Notre‑Dame du Pont à Perpignan, à Elne ou
encore un oratoire comme au pont de Rodès ou de Labau.
Il fut longtemps difficile et parfois périlleux de traverser les
cours d’eau. Les romans de chevalerie, grossissant le danger,
en font une épreuve mortelle : dans le chevalier de la charrette de Chrétien de Troyes l’on trouve ainsi un pont sous
l’eau et un pont de l’épée. Il est certain aussi que la symbolique a joué son rôle : passer le pont, c’est aller au-delà ; l’audelà, c’est aussi le royaume des morts que l’on désigne au
Moyen Âge sous le nom de « transis », « ceux qui ont traversé ». « Ils ont passé », dit-on couramment. Ce vocabulaire,
lourd de sens, n’est pas innocent. De là aussi les très nombreux Ponts du Diable, à commencer par celui de Céret : le
Diable aide à « passer » mais à quel prix ? Il n’est donc pas
étonnant que l’on recherche la protection de Notre‑Dame,
de saint Christophe, le passeur, ou de quelque autre saint,
en tous cas de l’Église. Que l’Église soit étroitement mêlée
à la construction des ponts, nous en avons un exemple local
dans la lettre que l’évêque d’Elne Galceran Albert adresse
aux curés de son diocèse le 8 avril 1437 après sa visite à
l’église de Vinça. Il intervient à la demande des consuls et
des boni homines de Vinça « voyant les très nombreux dommages que les habitants de Vinça et d’autres de notre diocèse ou
d’ailleurs ont enduré et endurent pour traverser l’eau du fleuve
Têt dans le trajet qui va de cette cité aux terres du Royaume de
France et voyant que de nombreuses personnes, qu’une absolue
nécessité contraignait de traverser le dit fleuve, ont perdu misérablement la vie, noyées dans cette eau, parce qu’elles n’avaient
pas la force de résister à l’impétuosité du courant... ». L’évêque
exhorte donc les fidèles à donner ou de leur argent ou de
leur travail pour la construction d’un pont de pierre, sur la
Têt, à Vinça, indiquant qu’ils pourront travailler sans pécher même les jours de fêtes religieuses, les jours de fête de
la Vierge exceptés. Pour n’oublier rien ni personne, il ajoute
II.1.2 - Le pont de Vinça (ill. 1, A)
La première mention retrouvée d’un pont à Vinça remonte à 1349 dans les comptes du consul P. Rasedor.
Ce pont était situé au droit de la ville, il a été de très nombreuses fois réparé ou reconstruit au cours des siècles. Il a
été en usage au même endroit jusqu’à la fin du XIXe siècle
ou au début du XXe siècle.
Il était absolument nécessaire aux habitants de Vinça
qui détenaient des biens sur la rive gauche ainsi qu’à
tous ceux qui désiraient se rendre « de cette cité aux terres du royaume de France » comme l’affirme justement
l’évêque Galceran en 1437. Au débouché du pont, sur
la rive gauche, était construit le moulin à blé de la ville.
. Sur l’œuvre du pont, voir notamment Illes 2008, 39-40.
. éd. J. Frappier, 1969, p. 5 et 139. Cette œuvre m’a été signalée par Paul
Bretel que je remercie ici.
. Médiathèque, B. Alart, Marcevol et l’Église de Vinça, ms 111, 322-324, traduit du latin.
. « ... paga an Yacme Riquart e an Johan Peliser per estagar lo pont I Livre. »
« ... paga an Yac. Riquart per estagar lo pont ab en Yohan Peliser I Livre. »
« ... item paga an Yac Ricart e Yan Peliser per levar lo pont I Livre. »
ADPO, B. Alart, 2J1/10, 121.
. Médiathèque, B. Alart, Marcevol et l’Église de Vinça, ms 111, 322.
dans une très longue énumération : « À tous ceux qui travailleront les jours festifs et autres jours fériés et non fériés pour
la dite œuvre, qu’ils travaillent seuls ou en groupe, et même
aux pécheurs et repentis bienfaiteurs de la dite œuvre, et qui
apporteront leur aide à cette œuvre et qui par eux-mêmes en
personne ou un intermédiaire ou un ouvrier ou un animal leur
appartenant ou qui auraient fourni de la chaux, du ciment ou
des pierres ou autre chose qui soit destiné à cette œuvre, ou encore qui auraient donné des sommes d’argent ou autre chose ou
qui auraient fait des dons et legs dans leurs testaments ou dans
leurs dernières volontés, et aussi aux notaires et à d’autres quels
qu’ils soient qui auraient persuadé des testateurs et d’autres
personnes à donner et laisser quelque chose pour cette bonne
œuvre, pour une quelconque aumône qu’ils feraient, et pour
un jour qu’ils auraient travaillé ou fait travailler à cette œuvre
et aussi pour n’importe quelle action de persuasion susdite, par
l’autorité de Notre Seigneur Jésus-Christ et des bienheureux
apôtres Pierre et Paul et les bienheureuses vierges Eulalie et
Julie et les martyrs dont les corps reposent dans notre cathédrale, tous ceux-là nous les dispensons, dans la miséricorde de
Dieu, de quarante jours de pénitence en moins... ». Il incite
enfin tous les curés du diocèse à prodiguer aux fidèles « de
salutaires conseils et de pieuses exhortations à bien agir pour
cette bonne œuvre, avec l’espoir d’en retirer une récompense de
la part de celui qui rend tout bienfait au centuple... ».
On ignore si ce vibrant appel fut entendu mais, si pont
de pierre il y a eu, il a vécu, comme tous ceux qui se sont
succédés au même endroit... jusqu’à l’inondation suivante.
209
210
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre VII
1 - Tracé des principaux franchissements de la Têt et des principaux chemins.
Franchissements de la Têt : A, le pont de Vinça ; B, pont-aqueduc de Saint-Pierre ; C, pont de Ropidera-Rodès ; D, pont-aqueduc de Labau ; E, franchissement de Casesnoves ;
F, franchissement d’Ille.
Les deux édifices étaient si étroitement liés
que Raymond Boschanus en 1375 est chargé
par les consuls de Vinça de l’entretien conjoint
du moulin farinier et du pont10. Les deux
portaient la même appellation : moulin de
Nossa11, pont de Nossa. Ce dernier était aussi
dénommé « pont de Dotres » ( qui permet de
passer « outre, au-delà de la Têt »)12.
C’était soit un pont mixte avec des piles
maçonnées et un platelage en bois soit un
pont entièrement en bois. On pourrait presque parler de passerelle, ce qui explique que
la moindre crue emportait les poutres et le
tablier, voire les piliers, d’où des travaux incessants pour le remettre en état.
2 - Vinça. Dans la retenue presque asséchée, deux vestiges du pont ancien sur la Têt : une pile au sud
et une pile au nord.
10. C’était un moulin à trois meules. 3E1/437, fos 30‑32, notule de
Philippe Sobira.
11. Au XIXe siècle il est appelé « moulin Sarda ». En période de
basses eaux de la retenue, on distingue encore le tracé du canal
d’amenée et le petit pont qui permettait à la route du début du
XXe siècle de l’enjamber.
12. 1434, Médiathèque, B. Alart, 2J1/40, 219 ; 1458, Médiathèque, B. Alart, 2J1/10, 94 etc.
le temps des chemins
3 - Vinça. Pile sud du pont ancien avec les encoches pour loger les étais soutenant les
poutres qui portaient le tablier.
4 - Ancien pont d’Estagel dont les piles maçonnées et le tablier de bois rappellent le
pont vieux de Vinça dans son dernier état (document Guy Barnades).
Son dernier avatar aujourd’hui est constitué de deux
éléments hétérogènes (ill. 2) que l’on aperçoit en période de basses eaux : un massif que l’on peut interpréter
peut-être comme une culée ou une pile avec avant-bec
et arrière bec, et des ouvertures destinées à recevoir les
étais obliques qui soutenaient les poutres (ill. 3), (coordonnées : 460988/4722126). Cette pile ou culée devait
se situer sur la rive droite, et une pile dont la forme cylindrique et les matériaux qui la constituent disent assez
qu’elle n’est pas de la même époque. Dans son dernier
état, dont témoigne le premier élément, l’ancien pont
devait ressembler, les dimensions mises à part, à l’ancien
pont d’Estagel, piles maçonnées et tablier de bois (ill. 4).
pement du village de Rodès : c’est Ropidera qu’il fallait
relier au chemin du Conflent.
Ce pont desservait aussi un moulin à blé, le moulin de
Ropidera, actionné par les eaux du canal royal de Thuir.
Il s’agissait le plus probablement à l’origine d’un pont
mixte comme à Vinça, mais il fut plusieurs fois reconstruit en pierre, notamment à l’époque moderne (par
exemple en 1763)14.
On peut encore en apercevoir une culée sur la rive gauche (ill. 5).
II.1.3 - Le pont de Rodès (ill. 1, C)
La première mention retrouvée de pont de Rodès est
de 141113, mais il devait y avoir un franchissement antérieur. Le pont a été de nombreuses fois détruit et reconstruit ou réparé. Le franchissement s’est fait à cet endroit
jusque vers la fin du XIXe siècle.
Il est parfois appelé « pont de Rodès » bien qu’il soit
éloigné du village de quelque 500 m mais on le nomme
aussi « pont de Ropidera ». Cette appellation ainsi que
l’éloignement du pont par rapport à Rodès nous rappelle
que le village est de création relativement récente (l’église
paroissiale n’est construite qu’au XIVe siècle) tandis que
le village de Ropidera est mentionné au XIe siècle, voire
au Xe. On peut en déduire que le franchissement à cet endroit a certainement précédé l’apparition ou le dévelop13. ADPO, B. Alart, 2J1/15, 412-413, notule de Raymond Ferrer,fo 37, B195.
5 - Rodès. Sur la rive gauche, culée du pont ancien de Ropidera. Dans le lit de la Têt,
massif maçonné provenant du pont.
14. ADPO, 1C1999.
211
212
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre VII
II.1.4 - Les passages en amont d’Ille, au droit d’Ille, en
aval d’Ille (ill. 1, E et F)
à partir d’Ille, si l’on se reporte au cadastre de 1832,
on pouvait franchir la Têt à trois endroits différents :
en amont d’Ille (467850/4724725), au droit d’Ille
(468675/6724875) et en aval (469600/4725625). Ces
trois passages desservaient respectivement Casesnoves,
Ille et Reglella.
Il est vraisemblable que ces trois points de franchissement sont très anciens, d’ailleurs on en trouve différentes mentions dans les textes. La plus ancienne mention retrouvée date de 135515. Si l’on peut situer le Vayl
Pont dont il est question dans ce texte au territoire de
Casesnoves et donc en amont d’Ille, il est souvent difficile
de savoir auquel de ces trois points les différentes mentions se réfèrent. On peut remarquer cependant qu’ils ont
pris des formes différentes au cours des siècles : en 1535,
un pont ; en 1547, une barque16.
II.1.5 - Faire le pont
II.1.5.1 - Les ponts vernaculaires
Les ponts de Vinça, de Rodès et d’Ille appartiennent à
un type d’ouvrages que l’on peut dire vernaculaires dans
la mesure où ils relèvent d’un savoir local, de techniques
locales et d’un financement lui aussi local. Les résultats,
malheureusement, sont à la hauteur des investissements.
Il ne semble pas que l’allure générale ait beaucoup
changé depuis le Moyen âge jusqu’aux Temps Modernes.
Au XVe siècle, les livres de comptes de la communauté
de Vinça permettent de tracer une esquisse. En 1425,
on peut lire : « lo dimartz a XVII de satembre fesem los
pilos pont e posem lo pont... », et en 1458 : « deu lo senyer
en Rochafort deu aymines de la caus que pres del pont de
Dotre »17. La chaux prise par le senyer en Rochafort est
vraisemblablement un reliquat de celle qui a servi à bâtir
les piles et sur ces piles on pose le pont, en commençant
par les biges, c’est-à-dire les grosses poutres : en 1434,
« pagaren als senyors En Johan Juher et Jac. Domenech
consols 1 liure IIII sols IIII d. los quals los volien per los pals
de fer a trevar les biges del Pont ». Toujours la même année : « pagarem a N Miquel Burgera per dos jornals que
15. ADPO, 3E3/980, Gaucelm Ferriol, notaire d’Ille, 1355-1363 Capbreu de
Johanna épouse de feu Bernat Clayran de Perpignan, seigneur de Casesnoves.
16. ADPO, B. Alart, 2J1/17, 37 ; 2J1/46/2, 289.
17. ADPO, B. Alart, 2JI/10, 105 et 94.
fech al Pont de Dotres... X liures e per clavells VII dr »18.
Les clavells, les gros clous, ont servi à fixer le tablier en
bois sur les grosses poutres.
Les textes du XVIIIe siècle sont plus explicites et permettent de compléter l’esquisse.
Ainsi en 1759, on peut lire sur le cahier des charges,
toujours pour le pont de Vinça : « ... que l’entrepreneur
sera obligé de fournir et metre tout le bois necessaire pour
former le pilier qu’il sera tenu de faire avec de grosses pierres
melées du bois gros et long pour servir de soutient aux dites
poutres du pont suivant l’usaze lequel pilier sera fait de la
meme hauteur et de niveau (ou : nouveau), repondant au
rocher qui se trouve de l’autre cotté du pont et de deux cannes
et demi de largeur
Plus sera obligé ledit entrepreneur de faire le dit pilier ou
cappont de la venue en talu et de le bien et deuement paver comme aussi d’escarper et abatre le rocher de la sortie et
d’adoucir la montée le mieux que faire se pourra
Plus sache l’entrepreneur qu’il sera obligé de mettre les planches necessaires pour couvrir les poutres du dit pont au travers
tout du long d’iceluy, lesquelles planches seront bonnes et de
publier (peuplier) vulgairement dit pull et de six palmes de
longueur, qu’il sera tenu de faire et remetre le garde fou du dit
pont aussi a ses frais suivant l’usaze bien et deuement et qu’il
clouera le tout avec des clous de trois denier chacun.
Plus qu’il sera tenu et obligé de trouer les trois poutres
qui lui seront remises pour former le dit pont qui ne le sont
pas des deux bouts et de les faire joindre ensemble avec une
grosse cheville de fer qu’il arrêtera des deux cottés avec des
clous de fer... ». Aucun emploi de chaux n’est mentionné,
il paraît peu vraisemblable toutefois qu’au XVIIIe siècle
on n’en ait pas fait usage pour la construction des piliers.
Les poutres sont reliées entre elles puis assujetties par
une chaîne au rocher le plus voisin comme le montre un
document de l’an 2 de la République, se rapportant au
pont de Rodès19. Dans ce même mémoire, on constate
que les poutres sont l’élément le plus onéreux, 240 livres
contre seulement 22 livres pour les planches du tablier,
d’où les attaches pour les fixer. Notons que le pont n’est
en fait qu’une passerelle : les planches ont une longueur
de six palmes, la palme catalane valant 19,5 cm, le tablier n’a que 1,17 m de large, dont il faut encore soustraire, pour avoir la largeur utile, la place occupée par
les garde-fous.
18. Alart, 2J1/40, 220 et 219.
19. ADPO, L722.
le temps des chemins
Toutes les précautions n’y font rien, le pont-passerelle
est emporté à chaque crue importante, autant dire chaque
année ou presque. Le pont est trop bas et trop court, à
peine couvre-t-il le lit mineur du fleuve, qui divague régulièrement. Dans ces conditions maintenir un passage sur
la Têt est un vrai travail de Sisyphe. Pour le pont de Vinça
où nous disposons au milieu du XVIIIe siècle d’une bonne
série de documents, on constate que le pont doit être réparé ou reconstruit chaque année ou peu s’en faut : 1749,
1750, 1751, 1752, 1754, 1756, 1758, 1759, 1760, 1761,
1762, 1763... On comprend mieux alors le sentiment de
désolation qui transparaît dans le document de 1749 :
« Aujourd’hui 7 septembre est tombé le pont de la Têt de notre
ville par suite d’une grande inondation et a emporté les poutres
pour avoir cassé une maille des chaînes... »20. La reconstruction se fait dans l’urgence : les vendanges sont là et le raisin
de l’autre côté de l’eau. Le mémoire relatif aux dépenses
pour les travaux traduit une certaine fébrilité qui fait penser à l’accéléré des films comiques muets : deux jours, le 7
et le 8 septembre, pour rechercher et retrouver les poutres
tout le long de la Têt, achat de cordes pour les tirer. Le 9,
28 hommes sont requis pour mettre en lieu sûr une poutre
qui a été retrouvée, autant le 10 ; 11 hommes le 11 septembre. Ce même jour une autre poutre est achetée à Eus. Le
12 septembre, 6 hommes se chargent, à prix fait, d’acheminer la poutre d’Eus à Vinça, le nombre est porté à 36 le
13 septembre, à 30 le 14, auxquels il faut ajouter 36 demijournées. Trois personnes travaillent le 15 septembre, le
même jour achat de 3 aulnes pour le pont. Le 16, 32 hommes sont employés ; le 17, 48. Le même jour, sont payées
des indemnités pour les dégâts causés par le passage de la
première poutre à travers deux vignes de Bouleternère. Le
18 septembre, il faut louer 4 paires de bœufs et 7 hommes pour tirer la poutre depuis le rech de Bouleternère.
Le 19 septembre le transport de cette poutre est donné à
prix fait depuis Ternère jusqu’à Vinça, il faut deux paires
de bœufs, il faut aussi fixer des poulies et 6 hommes supplémentaires pour tirer. Le 22 septembre 4 hommes sont
requis « per fer modar la mola y cadenas del pont » (« pour
faire adapter – ou transporter – la "meule" ou "pile" et les
chaînes du pont »), le 22 on se procure les planches et toutes sortes de clous de différentes tailles pour le tablier du
pont. Le 23 septembre, on achète les cordes pour le garde20. « Vuy als 7 bre es caigut lo pont de la Têt de nostre vila per grand innundation de aiga y aben senportades las bigas per avesse trencada una malla de
diotas cadenas... » ADPO, 1C2040.
fou du pont. Le 23 et le 24, un menuisier et un cordier y
travaillent. Toujours le 24, un forgeron achève de fixer la
chaîne et l’on achète du bois et des saules pour placer à la
tête du pont. Dans leur facture, les consuls n’oublient pas
le défraiement de leurs déplacements à Ille, à Bouleternère,
au pont de Labau, à Rodès et à Eus dont le montant est
laissé à l’appréciation de l’intendant (lequel leur octroiera
24 livres). Enfin le 28 septembre, dernière touche apportée
à l’ouvrage, l’état des dépenses est transmis à Monseigneur
l’Intendant pour approbation.
La dépense se monte à 366 livres 18 sous 11 deniers
dont 95 livres pour la biga achetée à Eus. Il aura fallu plus
de 250 journées de travail et, en plus des manœuvres,
plusieurs corps de métiers ; au total, c’est toute la ville qui
s’est mobilisée.
Il ne reste plus qu’à attendre la prochaine crue... qui ne
tardera pas. Dans ce domaine, les catastrophes sont prévues
comme inévitables. Ainsi le cahier des charges de 1754
stipule que l’entrepreneur chargé des réparations devra
graver « Vinça » sur la chaîne au plus près de la poutre,
afin qu’aucune communauté en aval ne s’en empare quand
le flot dévastateur l’emportera. L’accord de 1375, déjà cité
plus haut, passé entre Raymond Boschanus et les consuls
de Vinça à propos du pont et du moulin de Nossa, enregistre comme une fatalité la répétitivité des destructions :
« Mais s’il arrivait qu’un tel pont construit par l’université
des habitants de Vinça et à leurs frais soit détruit par des inondations ou autres causes, il fut convenu et arrêté entre moi et
les consuls alors en charge que moi et les miens aurions alors à
réparer ce pont de cette manière, à savoir que si l’eau du fleuve
emportait les poutres du pont rompu en-deçà et non au-delà
du lieu de Rodès, dans ce cas moi et les miens aurions à ramener à nos frais les dites poutres au lieu où avait été construit le
pont, ou à l’endroit du fleuve où les consuls alors en charge de
Vinça décideraient que le pont doit être à nouveau construit.
Et que dans ce lieu, moi et les miens, tenanciers du dit moulin,
aurions à édifier et reconstruire un autre pont en utilisant toutes choses et tous matériaux semblables au pont que l’université
avait d’abord construit là. Mais si par suite d’inondations ou
toute autre cause, il arrivait que les poutres du pont construit
en premier lieu comme il a été dit et aussi les poutres du pont
reconstruit par moi et les miens soient emportées, comme il été
dit, au-delà du lieu de Rodès, que moi et les miens nous aurions
à les amener à nos frais jusqu’à Perpignan et à les sortir de l’eau
du fleuve et à les mettre en lieu sec et à l’abri et que ces poutres emportées aussi loin restent en possession de l’université.
213
214
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre VII
Et dans un cas semblable l’université à ses frais aurait à refaire
et reconstruire avec des poutres et tous les matériaux nécessaires un autre pont semblable au pont qui en premier lieu
comme il a été dit avait été construit sur le fleuve... »21.
II.1.5.2 - Le rech royal de Thuir et ses ponts-aqueducs
(ill. 1, B et D)
Les ponts-aqueducs de Sant Pere et de Labau ont une
toute autre ampleur, ils appartenaient tous deux au rech
royal de Thuir. Commencé vers 1315 sous les rois de
Majorque, le canal, qui prenait naissance en aval de Vinça,
s’étirait sur 35 km jusqu’à Perpignan où il arrosait les jardins royaux, desservant au passage une partie de la plaine
du Roussillon. Il faisait tourner sur son parcours plusieurs
moulins et notamment le moulin de Ropidera dont il a
été question plus haut. Par un acte de 1321, le roi Sanche
concède à Timborgue de Guardia et Guillem de Canet le
droit de construire sur le canal royal un casal de moulins à
blé « dans lequel il puisse y avoir autant de roues de front que
notre canal peut en contenir commodément en largeur... »22.
Les bénéficiaires s’engagent à maintenir en bon état et à
curer le canal sur tout le territoire de Rodès et de Ropidera
tandis que le roi, de son côté, entretiendra les ponts et les
murs en pierres sèches ou maçonnés à la chaux nécessaires
au bon fonctionnement du canal. En 1541, le moulin de
Ropidera possédait deux roues23.
L’aqueduc de Sant Pere faisait passer les eaux du canal
sur la rive gauche et l’aqueduc de Labau les ramenait sur
la rive droite. Tous deux étaient situés dans des lieux remarquables, qui marquent d’ailleurs les limites du territoire de Rodès/Ropidera, le premier au défilé de Sant
Pere, le second au sortir des gorges de la Guillera, ce qui
permettait de les ancrer solidement dans la roche, avantage que ne possédaient pas les ponts de Vinça, de Rodès
et d’Ille. Leur situation en un point resserré de la vallée
laissait prévoir une montée rapide et considérable des
eaux en cas de crue et exigeait donc une grande élévation
des structures et par conséquent des moyens très importants, hors de la portée des communautés riveraines. De
fait, ces ponts-acqueducs n’ont rien de commun avec les
ouvrages étudiés plus haut, comme on peut le voir d’après
les vestiges grandioses du pont de Labau.
21. ADPO, B. Alart, 2J1/15, 595-597, Notule de Philippe Sobiran n° 437, fo 31.
Texte traduit du latin. Pauline Illes signale des dispositions semblables pour le
pont de Millas en 1483 (Illes 2008, 37).
22. ADPO, 1B13, retranscrit par B. Alart, 2J1/24, 91-92.
23. ADPO, 3E16/33, manuel de Jaume Compta, notaire d’Ille 1541.
6 - Pont-aqueduc de Labau vu de l’aval.
Le pont-aqueduc de Labau (ill. 6)
Le pont de Labau est dit aussi « des Sarrahins ».
Selon une tradition orale, la construction serait due aux
Sarrasins. Chose impossible dans la mesure où il date du
XIVe siècle mais il arrive fréquemment que l’on attribue
une origine mythique aux vestiges que l’on sait être anciens sans pouvoir les dater.
Un rapport de Bernard Mastron du Service
Départemental d’Architecture et du patrimoine24 donne
une description rapide de l’ouvrage qui présente sur la
rive droite « deux niveaux d’arches : la face vue en amont
est composée d’une arche principale à double rouleau en granit dont la clé est formée par deux claveaux. La naissance
de l’arc est constituée par un appareil en tas de charge. Si les
piles latérales sont appareillées avec des chaînes d’angles soignées remplies avec des blocs de granit grossièrement taillés,
la muraille surplombant l’arche est en opus spicatum (moellons disposés en arête en poisson).
La face vue de l’aval semble être équivalente : elle est en
fait construite beaucoup plus haute que celle en amont. C’est
également un berceau brisé, l’arc est un simple rouleau dont
les claveaux sont de fines lames de schiste et la clé est un
gros bloc de granit. Le parement est lui aussi différent : il est
constitué par des galets en arête de poisson et assisé par des
arases de cayrous...
On note la présence de nombreux trous de boulin, qui ont
servi à la construction de l’ouvrage. La pile est allégée dans sa
partie supérieure grâce à un ou deux arcs superposés. Il n’en
reste plus que la naissance sud du plus bas. Le flanc de la pile
24. Rapport sommaire du 6 mai 2003 adressé à M. le Maire de Rodès.
le temps des chemins
qui se présente vers la rive nord est lisse : il ne présente pas
d’arrachement de mur ou d’arc. Par contre on voit dans sa partie inférieure un ressaut du mur qui pouvait permettre l’appui
de pièces de bois. Plus haut, une série de quatre corbeaux en
pierre sont alignés : ils devaient supporter d’importantes pièces
de bois. On peut donc supposer que le corps central traversant
la rivière sur une vingtaine de mètres, était en fait un ouvrage
charpenté : l’étanchéité du canal étant assurée peut-être par du
cuir ou de la terre. La pile actuelle qui emploie une technique
de construction différente des arches est le résultat d’une reconstruction postérieure (époque classique ?). Depuis sa construction sous les rois de Majorque (vers 1300), on observe donc au
moins deux campagnes distinctes de restauration.
Sur la rive opposée, un simple mur recevait l’ouvrage charpenté. Le canal probablement à ciel ouvert occupait la partie sommitale de l’édifice. Enfin on peut penser que l’ouvrage
n’avait pas la fonction de passage... ».
Ajoutons seulement que, sur la rive gauche, au-delà de
la culée, est bâti un petit oratoire, comme on en trouve
très souvent à l’entrée des ponts au Moyen Âge.
La dernière affirmation du rapport doit être nuancée,
au moins pour les états antérieurs du monument. Si effectivement la rive gauche ne porte pas trace d’un chemin aménagé, il est pourtant certain qu’en des cas bien
particuliers (guerre, brigandage, contrebande), la pente
très rude pouvait être empruntée ainsi que l’aqueduc.
Quelques textes en fournissent la preuve : ainsi un témoignage lors du procès engagé à la fin du XVIe siècle par
la famille Blanès pour empêcher, sans succès, le déplacement du chemin royal du Conflent, indique que l’hostal
tenu par cette famille sur le territoire de Bouleternère,
près de la chapelle Sainte-Anne, « était à un peu moins
d’une lieue de la frontière de France et que la majeure partie des Français qui entraient en Espagne et passaient pour
voler en Catalogne venaient à passer par le pont de Labau
qui était très proche du dit hostal... »25. À la même époque,
le baron de Joch, dans une lettre dont on ne possède que
des fragments, organise ainsi la garde des ponts contre
une incursion française : « ... Nous avons pensé que ceux
de Rodès il serait mieux qu’ils aident ceux de Boule à garder
le Pont de Lavau parce que ce leur est plus commode et que
le pont de Alabau divise les territoires de Boule et le mien et
que ceux de Finestret, Rigarda et Sahorla gardent le Pont de
Roders... »26.
25. ADPO, 20EDT55. Traduit du catalan.
26. « havem pensat que los de Rodes seria millor ajudassen als de Bula a guar-
Du reste les aqueducs de Labau et de Sant Pere sont
toujours appelés « ponts ». Pour ce dernier, nous avons
aussi la preuve qu’il permettait le passage.
Le pont-aqueduc de Sant Pere (ill. 7)
À la suite d’une convention avec le lieutenant du procureur royal, les habitants de Ropidera obtiennent en décembre 1380, moyennant le versement immédiat d’une
somme de onze florins d’or d’Aragon et d’un cens annuel
de trois sous de Barcelone, licence « que, sans encourir
aucun peine, eux et leurs bêtes grosses ou petites, chargées ou
non, passent et puissent passer à leur volonté aussi longtemps
qu’ils le voudraient par le pont appelé pont de Saint Pierre
par lequel passe et court l’eau du canal de Thuir aussi bien
par la sole du pont que par les murs, sommets ou bords du
dit pont... »27. Cette autorisation est accordée « parce que
il n’existe pas d’autre endroit par où ils puissent aller à leurs
jardins et terres dans la orta de Vinça... »28. En parcourant
cette charte, où alternent le latin des actes administratifs
et le catalan destiné aux habitants de Ropidera, on peut
se faire une idée un peu plus précise du canal lui-même.
7 - Pont-aqueduc de Sant Pere. Au premier plan, culées de l’aqueduc ; au second plan,
barrage de la retenue actuelle de Vinça.
dar lo Pont de la Vau per que los es mes comodo y lo pont de Alabau divides
los termens de Bula y lo meu, y los de Finestret, Rigarda y Sahorla gardassen lo
Pont de Roders (la fin manque)... ». ADPO, B. Alart, 2J1/13, 390.
27. « ... que sens encorriment de neguna pena ells e llurs bestiars grosses e
manuts vullense carregats o no passen e puguen passar a lur voluntat tostemps
ques volran per lo pont apellat Pont de Sant Pere per loqual passa e corra layga
del rech de Thoir... ». ADPO, B. Alart, 2J1/37, 56.
28. « ... cum non sit alius locus per quem possint ire ad ortos suos et terras
quas habent in orta de Vinciano... ». ADPO, B. Alart, 2JI/37, 53.
215
216
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre VII
Une clause stipule que les habitants de Ropidera s’ils
veulent construire « sur le dit pont et sur ses murs un pont
de bois ou un autre édifice de bois par lequel ils veuillent
passer eux et leurs bêtes, que ce pont et édifice les dits habitants et leur université ils puissent le faire ou faire faire et
construire à leur volonté sans faire obstacle à l’eau du canal,
et aussi que les dits habitants en aucune manière ne puissent faire un édifice tant de bois que de pierre ni l’installer
sur le milieu ou la sole du pont par où passe l’eau, si ce
n’est sur les murs ou sommets du dit pont... »29. La sole,
sola, désigne donc le fond du canal où passe l’eau. Or,
les habitants, qui sont suspectés de n’avoir pas attendu
la licence royale pour utiliser le pont, et qui jurent ne
l’avoir pas fait, affirment qu’ils auraient pu le faire à bon
droit ayant obtenu une autorisation antérieure parce que
à leurs frais « ils avaient pavé la sole de grandes pierres et
empierré le pont... »30. Que l’aqueduc enjambe la Têt sur
une ou plusieurs arches ou qu’il le fasse par des poutres
de bois, nous savons donc que le fond du canal, la sole,
était pavé. Il était du reste inconcevable que l’on autorisât les habitants et leurs bestiaux à piétiner le fond du
canal si celui-ci, pour assurer l’étanchéité, était recouvert
de terre ou de cuir comme il est supposé dans le rapport
cité plus haut à propos du pont de Labau. En conclusion, circuler dans l’eau du canal ou sur les murs bordiers
était possible et même licite, au moins pour les gens de
Ropidera, mais ce devait être une entreprise périlleuse,
à moins d’appuyer sur les murs, au-dessus de l’eau, des
planches qui couvrent le passage, comme il est dit dans
la convention.
Quelque trente ans plus tard, le 14 mai 1412, le passage est interdit aux personnes « que passen o fan passar
lur bestiar continuament per los ponts los qals son edifficats
per passar l’aygua del rech de Thuir » à Vinça ainsi qu’à
Rodès, et François Cors de Vinça est nommé pour y
veiller31. Cette interdiction s’applique-t-elle aux habitants
de Ropidera ? L’histoire ne le dit pas.
29. « ... sobra lo dit Pont e parets de aquell algun pont de fusta o altra ediffici
de fusta per lo qual vullen passar ells et lurs bestiars que aquest pont e ediffici
los dits homens e Universitat de aquells puguen fer o fer fer e construhir a lur
voluntat sens embarch de la aygua del dit rech axi quels dits homens en negun
manera no puguen fer alcun ediffici tambe de fusta com de pera ne aquell
tenir al mig o sola del dit Pont per unt passa layga del Rech apellat de Toyr sino
sobra les parets o crestas del dit Pont... », ADPO, B. Alart, 2JI/37, 57.
30. « ... solaverant magnis lapidibus et empedraverant dictum pontem... »,
ADPO, B. Alart, 2JI/37, 52.
31. ADPO, B. Alart, 2J1/15, 479, B208, fo 23.
Faute d’autres documents, on n’en saura pas plus sur
le pont-aqueduc de Sant Pere, puisqu’il a été complètement détruit depuis, il n’en reste qu’une culée sur la
rive droite, à une centaine de mètres en aval du barrage
actuel.
On sait cependant qu’il avait été endommagé par
une grande inondation le 21 novembre 1403, agrandi
en 1416 puis à nouveau partiellement détruit le 8 octobre 1421, à la suite de quoi est entrepris en 1423 le rech
reyal de la vila de Perpinya dont la prise d’eau se situe en
aval d’Ille et qui est inauguré en 1425, le jour de la Sant
Jordi (Caucanas 1995, 269).
La partie désaffectée de l’ancien canal de Thuir est vendue à Louis d’Oms, seigneur de Corbère. En 1725, selon Emmanuel Brousse (Indépendant, 339, 1894), une
inondation emporte les deux ponts de Sant Pere et des
Sarrasins et le seigneur de Corbère, de Boisambert, obtient l’autorisation d’emprunter sur la rive droite, entre
les deux ponts, le canal de Rodès, Désormais les deux
ponts-aqueducs de Sant Pere et de Labau étaient définitivement hors-service.
III - Par voies et chemins
Sitôt passée la Têt sur des ponts de fortune, sous la
protection de l’Église et de ses saints, se présente un autre
obstacle pour gagner le plateau : la pente. La dénivellation n’est pas très importante, entre 200 et 300 m, mais
elle est concentrée sur un court espace de sorte que la
pente est rude. Il faudra donc la négocier avec quelques
lacets, mais assez peu finalement, car la pente ne constitue pas une grande gêne pour des gens qui se déplacent à
pied le plus souvent et qui transportent les charges à dos
d’homme, d’âne ou de mulet. Quant au bétail, chèvres et
moutons le plus souvent, monter ou descendre ne leur
pose pas de problème, ne dit-on pas « grimper comme
une chèvre » ?
Les chemins sont reportés sur les illustrations 1, 8 et 11
tels qu’ils sont dessinés sur les divers cadastres du début
du XIXe siècle. Les tiretés indiquent soit des corrections,
soit des compléments observés sur le terrain. Les tracés
sont notés à partir des trois agglomérations de la vallée,
d’amont en aval.
le temps des chemins
III.1 - À partir de Vinça (ill. 8)
À partir de Vinça, le chemin qui se dirigeait vers la Têt et franchissait le fleuve
portait le nom, sur le cadastre de 1831,
de chemin real de Vinça à Tarerach.
Après le pont, il débouchait sur le moulin farinier de Nossa, comme nous l’avons
vu plus haut et comme on peut encore
le voir sur le plan du 25 mai 1897 dressé
pour la construction d’un pontet sur le
canal du dit moulin32. Il ne reste rien de
ce très vieux moulin mais le petit pont de
1897 émerge en période de basses eaux.
Après le moulin, ce cami ral se subdivisait en plusieurs branches : vers
l’ouest partait le chemin d’Arboussols
et de Marcevol, flanqué dans la montée
d’un oratoire récent. L’empierrement
est très bien conservé, il fait actuellement partie des « sentiers d’Emilie ».
Vers le nord, montait le chemin de
pèlerinage de Marcevol, dont un oratoire rappelle le souvenir. À mi-pente
s’en détachait vers l’est un embranchement pour Tarerach d’où partait
plus loin le chemin de Montalba. Sur
ce dernier, en bordure du ruisseau de
Tarerach, était bâti le moulin Barère,
dont la construction de la D13 n’a
laissé subsister que quelques murs.
III.2 - À partir du pont-aqueduc Sant
Pere (ill. 8)
Le chemin de Sant Pere à Ropidera
(Les Cases) ne se retrouve plus sur le
terrain mais le texte de 1381 étudié
plus haut et beaucoup plus récemment
le cadastre de 1832 montrent bien son
existence dans le passé.
8 - Tracé des principaux franchissements de la Têt et des principaux chemins (secteur de Vinça-Rodès).
1, chemin de Vinça à Marcevol ; 2, chemin de Vinça à Marcevol, Tarerach et Montalba ; 3, embranchement vers
Marcevol ; 4, tronc commun vers Tarerach et Montalba ; 5, embranchement vers Tarerach ; 6, embranchement
vers Montalba ; 7, chemin de Sant Pere à Ropidera ; 8, tronc commun vers Ropidera et Tarerach ; 9, embranchement vers Ropidera ; 10, chemin de Las Cazes à Tarerach ; 11, embranchement vers le plateau et Tarerach ;
12, carrerade ; 13, carrerade ; 14, chemin de Rodès à Montalba.
III.3 - À partir du pont de Ropidera
Au débouché du pont sur la rive
gauche était bâti le moulin à blé dit de
Ropidera. Le plan de 172533 confirme
bien sa localisation (ill. 9). Le moulin date de 132134 et a interrompu ses
activités lors de l’assèchement du canal de Corbère en 1825. Restent en
place une partie du mur ouest, où l’on remarque une assise en arête de poisson, et du mur nord. On ne voit rien de l’ancien rech royal de Thuir dont la
piste qui existe aujourd’hui a pris la place.
32. ADPO, 1742W63.
33. ADPO, 112EDT415.
34. ADPO, B. Alart, 2J1/24, 91-92.
217
218
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre VII
9 - Schéma de 1725 accompagnant le devis des ouvrages à faire pour réparer le canal de Corbère et indiquant l’emplacement du pont et du moulin à blé de Ropidera
(ADPO 112EDT415).
à côté des ruines du moulin, est bâti un oratoire (ill. 10) dont
l’emplacement obéit classiquement à deux impératifs : à la tête du
pont et au débouché des chemins. Du chemin de Ropidera, orienté
nord-ouest, se détachent d’abord la carrerada (chemin des troupeaux) puis le chemin de Tarerach par le pla de Ropidera.Vers l’est,
longeant la piste, part le chemin de Montalba.
III.4 - À partir d’Ille (ill. 11)
À quelque 600 m en amont du pont actuel se trouvait un premier franchissement de la Têt. Le chemin de Casesnoves remontait la rive gauche puis une fois atteint l’ancien village continuait
vers l’ouest, vers le pla de Ropidera avec une bifurcation vers
Tarerach et une autre qui l’amenait, si l’on en croit un acte du 13 février 1615, jusqu’à la forêt de Salvanère, commune de Montfortsur-Boulzane (Aude)35. Sur cet axe important étaient branchés
d’amont en aval le chemin de Bellagre, le chemin de Pouchinel au
droit de Casesnoves, l’ancien chemin de Montalba sur lequel on
peut observer une borne maçonnée à l’exacte limite des communes
10 - Oratoire au sortir du pont de Ropidera rive gauche, à proximité de
l’ancien moulin et du départ du chemin de Ropidera. L’inscription paraît
rapportée : TO/NI LA/FONT 16/51. Une croix latine s’intercale : la branche verticale coupe les mots et les chiffres tandis que la barre horizontale sépare le nom du prénom.
35. Sur le territoire de Casesnoves, ce chemin porte divers noms dans les actes : 1355,
via publica qua itur a Ropidera (ADPO, 3E3/980) ; 1610, itinere regio sive la tira del Rey
(ADPO, H302) ; 1615, « ... itinere regio quo itur ad silvam de Salvanera vulgo dicto la tira
del Rey... » (3E3/980).
le temps des chemins
III.5 - Les usagers
11 - Tracé des principaux franchissements de la Têt et des principaux chemins (secteur de Rodès-Ille).
14, chemin de Rodès à Montalba ; 15, chemin d’Ille à Casesnoves, Ropidera et Tarerach ; 16, chemin de la Bellagre ;
17, chemin de Pouchinel ; 18, chemin vieux d’Ille à Montalba ; 19, chemin de la Retxe ; 20, chemin d’Ille à Montalba ;
21, vieux chemin d’Ille à Montalba ; 22, chemin d’Ille à Montalba, Bélesta et Caramany ; 23, embranchement vers
Caramany ; 24, embranchement vers Montalba ; 25, chemin de Montalba à Boule ; 26, embranchement vers Bélesta ;
27, chemin d’Ille à Reglella ; 28, chemin de Reglella à Bélesta ; 29, chemin de Reglella à Bélesta et Latour-de-France ;
30, embranchement vers Bélesta.
d’Ille et de Montalba et donc de la Catalogne et du Languedoc36, et enfin le
chemin de la Retxe qui rejoignait lui aussi Montalba, chacun d’entre eux empruntant la vallée d’un affluent de la Têt.
Un deuxième franchissement du fleuve existait au droit d’Ille, à 200 m environ en aval du pont actuel, il provoquait lui aussi, après un bref tronc commun,
la formation d’une nouvelle patte d’oie. Vers le nord-ouest partait l’ancien chemin d’Ille à Montalba, puis venait un peu décalé vers l’est, le nouveau chemin
d’Ille à Montalba, les deux se rejoignant sur la plane de Coundomy où le tracé a
été repris par l’actuelle D2. Du nouveau chemin d’Ille se détachaient d’abord le
chemin de Bélesta puis un kilomètre plus loin environ le chemin de Caramany.
Partie prenante de la patte d’oie, le chemin d’Ille à Reglella partait vers l’est. À
Reglella, nouvelle subdivision : vers le nord-ouest, le chemin de Bélesta ; vers
le nord-est, le chemin de Latour-de-France par le pla des Estanyols, qualifié de
chemin royal dans un texte du 13 septembre 172837.
36. Borne maçonnée cylindrique, haute de 1,10 m et de 0,70 m de diamètre (465490 E/4725936 N).
37. ADPO, 3E16/788.
III.5.1 - Les usagers : paysans, picapedrers et picamolas
Ces lieux aujourd’hui désertés, il
faut les imaginer grouillants de vie,
notamment dans la première moitié du XIXe siècle : des hommes
partout et donc sur les chemins qui
sont comme les artères de ce grand
corps vivant, des paysans allant à
leur travail ou en revenant, des bergers et leurs troupeaux de chèvres et
de moutons, des ânes, des mulets,
quelques rares chevaux. Il arrivait
que l’activité artisanale se mêlât à ces
travaux pastoraux et champêtres :
sur le plateau de Ropidera, dans
les collines dominant Casesnoves,
ou dans pentes au nord de Reglella
(ill. 11), retentissaient, dans les amas
rocheux, les pics et les marteaux des
picapedrers et des picamoles.
De tous temps depuis le Moyen
Âge jusqu’à la seconde guerre mondiale on a débité le granit dans ces
parages. Le travail fait, il fallait acheminer la marchandise, ce qui n’allait
pas sans mal. Déjà au XIIe siècle,
parmi les redevances des habitants
de Reglella, était prévu le cens de
l’acheminement des meules38. Au
XVIIIe siècle, nous disposons du
cahier des plaintes déposées auprès
des sobreposats de Reglella chargés
d’estimer les dégâts. Beaucoup de
déclarations concernent le pla des
Estanyols, au nord de Reglella où l’on
trouve encore des fragments de meules (ill. 12). Certains propriétaires
se plaignent des déchets de taille qui
encombrent les vignes mais la plupart dénoncent les bris de ceps survenus durant le transport des meules.
38. Texte de 1173, « ... census de mollas portare... » 206.
219
220
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre VII
12 - Fragment de meule au pla des Estanyols.
13 - Ce dispositif utilisé dans le Sidobre (81) pour transporter les meules a peut-être
servi dans la zone étudiée (Farenc 1992, 101).
On pouvait espérer quelques lueurs sur le mode de transport mais la question, très souvent, n’est pas abordée,
quelques documents cependant se montrent un peu plus
explicites. Les sobreposats, en janvier 1728, enregistrent
le témoignage de Jacques Fontcuberta : « ... il vit sur les
dix et onze heures du matin qu’on fit passer par dans (sic)
la dite vigne de Grace Cadena deux meules de moulin à
farine desquelles deux meules l’une avoit esté fabriquée par
lesdits Isidore Malet et Gabriel Bedos et l’autre avoit esté fabriquée par François Xiffre dit Picamolas, les quelles deux
meules furent menées par la dite vigne de la dite Cadena par
le moyen de deux paires de bœufs l’une meule après l’autre,
c’est-à-dire l’une meule un jour sur les dix et onze heures et
l’autre meule en un autre jour sur le midy et y passa par
dans la dite vigne deux mulets et un cheval qui portoient du
pain, vin et paille et autres choses pour les besoins des gens
qui conduisoient les dites meules et les dits bœufs ou se trouvoient présens entre autres personnes les dits Isidore Malet
et Gabriel Bedos les quels estoient les principaux qui dirigeoient et donnoient la direction pour faire passer les deux
dites meules par la dite vigne, a laquelle vigne en conduisant par dans icelle les dites deux meules se fit beaucoup de
dommages... »39. Les deux meules étaient destinées au
moulin de Caramany, à « Raymond Callent meunier a farine et a monsieur Roger seigneur du lieu de Caremany ».
À propos d’autres dégâts commis au même endroit, les
sobreposats signalent également la présence de bœufs et
de mules « lesquels bœufs et mules étaient destinés pour trener ou tirer les dites meules... »40. « Trener » et « tirer », les
mêmes termes reviennent dans d’autres procès-verbaux.
Compte-tenu de l’état des chemins, il est exclu que l’on ait
pu faire usage de charrettes, on pense alors à des sortes
de traîneaux. Jean Bousquet en note encore l’emploi au
XXe siècle dans la montagne de Mosset41 ainsi que Joan
Coromines dans la zone pyrénéenne depuis l’Andorre
jusqu’à l’Aragon42. On a peut-être aussi pu employer une
sorte d’essieu passant par le trou central de la meule et
encastré de part et d’autre dans les moyeux de deux roues
de charrettes, le tout relié à un timon tiré par des bœufs
(ill. 13). De Reglella à Caramany, les dénivelés ne sont
pas importants et le parcours devait pouvoir se faire sans
trop de difficultés, mais toutes les meules n’étaient pas
destinées au plateau, certaines devaient franchir la Têt
en direction d’Ille, de Bouternère ou d’autres lieux de la
vallée. Un micro-toponyme du terroir de Reglella garde la
trace de leur passage. À la limite des communes d’Ille et
de Nefiach, le cadastre nous livre le nom de « Bachadou
de las moles », « Descente des meules ». Il y a là en effet
une sorte de plan incliné dans la falaise, partout ailleurs
abrupte, où, tantôt tirant, tantôt retenant, on pouvait faire descendre les meules jusqu’à la rive gauche de la Têt43.
39. ADPO, 3E16/787.
40. Ibidem.
41. « On trouvera, sur chaque exploitation, au moins une paire de vaches.
Vaches de trait nécessaires aux labours et parfois au transport à l’aide de traîneaux fabriqués sur place. Les charrettes sur roues n’ont pas encore pu franchir
les chemins muletiers » (Bousquet, 1999, 28-29).
42. « Estiràs, "trineu de fustes per arrossegar pedres" Sopeira (1957) ». Joan
Coromines, Diccionari etimològic i complementari de la lengua catalana, tome VIII, 507, entrée tirar.
43. Maxence Pratx (1908, 190) retient, lui, le toponyme Lo Salt de las Molas
le temps des chemins
Quels que soient le procédé utilisé et la destination,
l’acheminement des meules devait être un exercice
difficile : une quittance du 30 mars 1626 nous apprend qu’il en coûtait 36 livres de Perpignan « pro
manufactura de duabus molas pro molendino farinerio
ville de Bula Terranera » et 12 livres de Perpignan
« per lo tirar de dites moles »44. La livraison de Reglella
à Bouleternère, un trajet pourtant relativement court,
représentait donc un quart de la somme totale.
III.5.2 - Les usagers : bergers et moutons
Sur le cadastre de Rodès, l’un des chemins porte
le nom de carrerada, nom qui désigne ordinairement
un chemin de troupeaux (ill. 8, n° 12). Il se différencie des autres sur deux points : souvent plus large, il
peut atteindre 4 m ou plus (ill. 14), ce qui n’empêche pas de brusques rétrécissements lorsque la roche
affleure. Autre caractéristique : il ne décrit pratiquement pas de lacets et aborde la pente sans hésitation.
Il est généralement bordé de murs mais en cela il
ressemble aux autres, et ses murs de bordure ne se
signalent pas nécessairement par une hauteur plus
grande.
Un autre chemin, plus à l’est, sensiblement parallèle au premier, présente des traits semblables. On
peut en faire une deuxième carrerada, d’autant qu’il
prend son départ d’une vaste devèse (ill. 8, n° 13).
Ces deux carrerades se dirigeaient vers un cours
d’eau, le premier vers le ravin del Bosc Negre, le second
vers le ruisseau de Bellagre, les troupeaux de Rodès y
trouvaient à boire et sans doute à brouter. L’élevage
ovin jouait un rôle important dans l’économie locale :
en 1725 par exemple, Rodès comptait 13 troupeaux
réunissant plus de 2 000 moutons et brebis45.
Bien entendu ces carrerades étaient utilisées aussi
pour toutes les autres nécessités de la vie rurale et inversement les autres chemins voyaient eux aussi circuler des troupeaux. Le plateau de Ropidera avec ses
« mouillères » était un lieu de pâturage très fréquenté,
comme le montrent les ruines de cortals que l’on peut
encore y voir, il fallait donc y accéder, qu’il y eût ou
non une draille spécifique.
qui ne figure pas sur le cadastre. Il suppose que les meules étaient lancées dans la pente vers la Têt. Le procédé paraît cependant un peu risqué
et l’hypothèse d’une descente « négociée » semble plus vraisemblable.
44. ADPO, 3E16/79, H. Marsal, notaire d’Ille, manuel 1626, f° 44v°.
45. ADPO, 11Bp1038.
14 - Rodès, carrerada 1 avec une emprise plus grande que les chemins habituels (ill. 11,
n° 13). Au loin, Vinça et le Canigou.
C’était aussi vraisemblablement une étape pour les transhumants qui, depuis la vallée de l’Agly et le Languedoc,
gagnaient les pasquiers royaux sur les pentes du Canigou.
Encore à la fin des années 1960, Anny de Pous y avait fait
halte alors qu’elle accompagnait Jean Ramos qui avec son
troupeau descendait des alpages du Pla Segala et de Garravera
pour gagner la garrigue d’Ille (Pous 1969, 312). Mais la fréquentation devait être autrement importante dans les siècles
passés, on sait par exemple que les troupeaux de l’abbaye de
Fonfroide montaient à l’estive dans les pasquiers de Mantet
et de Py et regagnait la plaine, l’automne venu. Par quels cheminements ? Anny de Pous avance un « itinéraire probable »
dans le futur département des Pyrénées-Orientales : Estagel,
Montner, le col de la Bataille, Caladroi, Llebres, Belesta,
Montalba, Rodès, Terranera, Montou, etc. (Pous 1964,
106‑107). C’est vraisemblablement l’un des parcours utilisés, il resterait à étayer cette supposition. Hasardons à notre tour quelques hypothèses en fonction des éléments dont
nous disposons. Au nord-ouest de Ropidera, un acte de 1393
mentionne comme confront le chemin de l’Albeze au lieu‑dit
les Quadres46 (Catafau 2007a, 94). Le « Sarrat de l’Albèze » délimite au nord-ouest les territoires de Trévillach et de Trilla.
Ce chemin, qui ne subsiste aujourd’hui qu’en partie, évite par
l’ouest le village de Trévillach et monte vers le col Saint-Jean
avant de redescendre vers la vallée de l’Agly, c’est une des voies
possibles de pénétration en Catalogne depuis le Languedoc.
46. Capbreu de Ropidera de 1393. « Las Quadres », Il faut peut-être comprendre
« les Quatre Chemins » puisque se croisent dans les parages le chemin d’Ille à
Tarerach et celui de Vinça à Montalba.
221
222
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre VII
Il recoupe à l’ouest de Trévillach un vieux chemin nommé la Tire, que l’on peut suivre, avec quelques lacunes,
jusqu’à la forêt de Salvanère, à Montfort-sur-Boulzane.
Au sud, le chemin de l’Albèze se continue sur le pla de
Ropidera, descend vers le pont de Ropidera, que l’on sait
exister de longue date, monte par le chemin qui longe
aujourd’hui le cimetière de Rodès vers l’ancien col de
Ternère, où passait l’antique voie du Conflent et où était
perçu, avant qu’il ne se fasse à Vinça, le péage pour les
pasquiers royaux du Conflent. Du col, le chemin qui part
vers le sud y traverse l’actuelle route de Prades et remonte vers Montjuich en traçant la limite des communes de
Rodès et de Bouleternère, signe de grande ancienneté, est
appelé carrerade sur le cadastre. On le suit sur ce document et, avec des lacunes, sur le terrain jusqu’au lieu-dit
Vigne de l’Oratori. Sur ce col, la carrerade se perd lorsqu’elle recoupe le chemin de Rodès à Serrabone, autre
cheminement possible, mais en suivant la ligne de crête,
où les troupeaux peuvent se déployer. puis on rejoint la
chapelle Sainte-Anne, le col Palomère et le col de la Porte
où est bâtie la tour de Batère. Observons que depuis le col
Saint-Jean jusqu’au col de la Porte, ce parcours ne traverse
aucun village (il ne fait que longer Rodès) et évite ainsi
les zones les plus sensibles que constituent les jardins à
proximité des agglomérations. Les troupeaux pouvaient
s’abreuver à intervalles réguliers : sur le plateau au ruisseau de Bellagre, au pont de Ropidera dans la Têt, sur les
pentes de Montjuich à la Font de Carras.
Ce chemin, hautement probable, recoupait deux itinéraires, probables eux aussi, sinon certains : en premier
lieu, au col de Ternère, la voie du Conflent, qu’empruntaient, au moins sur certains tronçons, les ovins venant
du Roussillon et se dirigeant soit vers les pâturages du
Canigou, soit vers ceux du Haut-Conflent. En second
lieu, un parcours venant d’Ille mais ce dernier, qui sera
détaillé ci-après, peut prêter à controverse.
III.5.3 - Les usagers : la tira, chemin de transhumance ou
chemin de débardage ?
En 1720, un recensement très précis dénombre près
de 40 000 bêtes à laine dans la montagne de Mosset,
ce qui montre bien le surpâturage qui pouvait exister à
cette époque47. La plupart viennent de la vallée de l’Agly
(Roussillon et Languedoc) et 745 d’Ille. Quel trajet ont
suivi ces dernières ? Peut-être ont-elles pris l’un des che47. ADPO, 1C1961-1962.
mins de Montalba mais on pense aussi au chemin qui
monte de Casesnoves au pla de Ropidera (ill. 11, n° 15).
Dans le capbreu de 1355 concernant Casesnoves, apparaît
deux fois comme confront de vignes une « via publica
qua itur apud Ropidera »48. Dans un capbreu plus récent,
de 1604, le même chemin est plusieurs fois nommé « via
regia » ou encore chemin « quo itur a dicto loco de Casisnovis
ad locum de Rupidera vulgo dicto la Tira del Rey »49. Enfin
un acte de vente du 13 février 1615, apporte une précision supplémentaire : un herme y confronte à Casesnoves
au lieu-dit « ad Vallagre... a meridie cum itinere regio quo
itur ad silvam de Salvanera vulgo dicto la tira del Rey »50.
Le chemin d’Ille à Casesnoves et à Ropidera, où il rejoint
le chemin de l’Albèze, se prolonge donc jusqu’à la forêt de
Salvanère à Montfort-sur-Boulzane et porte le nom de
« Tira du Roi ». La forêt de Salvanère est au nord-ouest
de Mosset, voilà donc le parcours probable suivi par les
moutons d’Ille, en 1720 mais aussi dans les années et les
siècles antérieurs, d’autant que, si l’on en croit Anny de
Pous, tira et cami ramader sont une seule et même chose
(Pous 1967, 217)51.
Il faut pourtant y regarder à deux fois. Selon le dictionnaire et l’usage local, une tira est une coupe de bois
longiligne qui sert ensuite de chemin de débardage. Dans
notre cas, la référence au bois est explicite : « la forêt de
Salvanère », on peut d’autant moins la passer sous silence
que notre chemin rejoint sur les crêtes de Comes la tire
de Catllar menant elle aussi à la forêt de Salvanère. Cette
dernière tira présente toutes les caractéristiques d’un chemin de débardage : elle « tire droit » dans le sens de la
pente, facilitant ainsi la descente des grumes et, en effet,
Catllar est bien un point de départ pour le flottage des
bois52. Un document mentionne explicitement leur provenance : en 1613 « ... Que los Senyors de consols fassen un
present de fruyta ha Mossen del Viver per la llicencia de haver dos biges del Bosch de Sal{illisible}per lo pont de la ribera
de la Têt... »53. Si l’utilisation par les forestiers de la tira
de Catllar semble bien établie, on demeure dubitatif pour
48. ADPO, 3E3/980.
49. ADPO, H302 fo 59.
50. ADPO, 3E84, Joan Geli, notaire à Ille, manuel 26/12/1614-1/03/1615, f° 32.
51. Dans un plan daté de 1891 relatif au Chemin Vicinal Ordinaire N° 1 de
Rodès à Tarerach, le chemin venant d’Ille sur le plateau de Ropidera est encore
nommé « chemin del Rey ou de la Tire » (ADPO, 2606W67).
52. Le 15 avril 1671, transport de 150 biges de Catllar à Perpignan (ADPO,
1Bp479, fo 127) ; le 12 avril 1672, transport de 230 trabis de Catllar à la mer
(1Bp479, fo 172) ; le 3 août 1673, transport de 200 trabium de Catllar à la mer
(1Bp479, fo 231) etc.
53. Le Bosch est très vraisemblablement celui de Salvanère. ADPO, B. Alart,
2J1/17, 356.
le temps des chemins
celle de Casesnoves : pourquoi ne pas toujours utiliser la
Têt dès Catllar précisément ? Il est vrai que la Têt n’est pas
toujours ni partout « flottable », ce pourrait être la raison
de ce long trajet mal commode par voie de terre.
Quoi qu’il en soit, l’une et l’autre de ces deux tires ont
certainement vu passer les troupeaux montant à l’estive
ou descendant vers la plaine pour l’hivernage ; les troupeaux mais aussi tous les autres utilisateurs habituels des
chemins ruraux. Il est d’ailleurs possible que la tira del Rey
doive son nom aux troupeaux qui montaient à l’estive vers
les pasquiers royaux. En dehors de quelques cas, comme le
grand camí ramader de Cerdagne et Capcir, on peut s’interroger sur l’existence de chemins de transhumance spécifiques. Un entretien avec Jean-Claude Ramos, le propre fils
de Jean Ramos, qui a dès son jeune âge pratiqué la transhumance avec son père, m’a convaincu qu’il y avait dans
le choix des itinéraires une forte dose d’opportunisme. Le
parcours retenu ainsi que les étapes étaient fonction du
temps, de l’état du troupeau, des possibilités de pâture et
d’approvisionnement en eau et des relations avec les sédentaires. Sans doute en était-il déjà ainsi dans le passé.
III.5.4 - Les usagers : pèlerins et frères quêteurs
Il arrivait que d’autres ouailles parcourent ces chemins,
notamment lors du pèlerinage, attesté dès le XVe siècle,
qui avait lieu chaque année au prieuré de Marcevol (ill. 8,
nos 2 et 3). La procession partait le 2 mai à 11h30 de Vinça.
Au besoin, on se hâtait de faire réparer le pont54. La cérémonie était organisée par la communauté des prêtres
de Vinça ; en tête un des prêtres avec une croix-reliquaire
contenant un fragment de la vraie croix puis venaient les
22 prêtres de la communauté en habits liturgiques. Une
torche allumée au départ et à l’arrivée précédait les centaines de pèlerins, remplacée par une lanterne sur le reste
du chemin. Avant d’arriver à Marcevol, la procession était
rejointe par les fidèles venus d’ailleurs et qui s’étaient
rendus directement au prieuré. Au total beaucoup de
monde pour gagner des indulgences. En 1680, on estime
les pèlerins entre 10 000 et 12 000 (Sarrete 1901). D’où
l’expression : « Hi ha gent com al perdó de Marcèvol »
(Cazes 1985, 4). Le grand jour était le lendemain, le
3 mai, fête de l’Invention de la Sainte Croix55.
54. 1426 « a XXVI dabril este a mos compayos et ab dautres que fasem pilars al
pont dotre per passar les gens qui deven anar al perdo de Marzevol e dautres II s. ».
ADPO, B. Alart, 2J1/13, 28.
55. La date retenue était due au fait que le prieuré dépendait des chanoines du
Saint-Sépulcre créés à la suite de la conquête de Jérusalem comme les Templiers et les Hospitaliers. Ils avaient adopté la règle de saint Augustin.
La religion marquait de son empreinte les chemins en
y égrenant des oratoires. Les uns devaient servir de stations lors des pèlerinages (ill. 15), d’autres avaient un but
propitiatoire ou prophylactique. Pour écarter la peste, on
visitait en procession les oratoires dédiés à saint Roch
ou saint sébastien, placés sur les chemins assez loin des
agglomérations comme pour tenir le mal à distance. Tel
devait être le rôle de l’oratoire consacré à saint Roch à la
croisée du chemin venant d’Ille avec ceux de Montalba,
de Caramany et de Bélesta (ill. 11)56. D’autres cérémonies jetaient les ouailles sur les chemins : chaque année
au printemps pour les Rogations, vieille fête inventée par
l’église pour supplanter les cultes agraires païens, on allait bénir les champs aux quatre coins du terroir.
Sur ces chemins, on peut suivre aussi l’itinéraire des frères
quêteurs de la Confrérie de Santa Bàrbara de Prunères qui
visitaient régulièrement et systématiquement la région pour
recevoir les dons. En 1395, on peut lire dans le Quint livre
qui rend compte de leurs pérégrinations : « Primerament,
Roders en la primera carta, Ropidera, Tereçac, del abat ;
Marcevol ; Erbussols, del abat ; Eus... »57 (Alart 1876, 531).
Les chemins des frères quêteurs du XIVe siècle sont encore
ceux des randonneurs du XXIe siècle.
15 - Oratoire sur le chemin de pèlerinage de Vinça à Marcevol (ill. 8, n° 2).
56. Latitude : 4725898 ; longitude 468329.
57. Tereçac, del abat, Tarerach dépendait de l’abbaye de St-Michel-de-Cuxa,
de même que Arboussols.
223
224
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre VII
III.5.5 - Les usagers : contrebandiers et bandes armées
La présence d’une ligne frontière n’est pas sans influer
sur le trafic des voies de communications. Qui dit frontière dit contrebande. Si l’on en croit les rapports d’archives, les Catalans roussillonnais étaient contrebandiers
dans l’âme, c’était pour beaucoup une activité habituelle
au point que la population et parfois les autorités locales
prenaient parti pour les fraudeurs.
à titre d’exemple, Alain Ayats (1997, 291) signale
qu’en 1645, les habitants de Prats-de-Mollo sont soupçonnés de contrebande de laine importée de France. Pour
leur défense, ils allèguent que le chemin normal qui aboutit au pont de Rodès (Prats-Le Tech-Montferrer-Lécatour de Batère-Serra de Joch-pont de Rodès-royaume de
France) n’est pas praticable avec de gros ballots arrimés
sur des bâts et que de toute façon la neige interdit de
l’emprunter en hiver mais leurs dénégations ne sont pas
convaincantes.
Le rattachement du Roussillon à la France en 1659 n’arrête pas le phénomène, bien au contraire, dans la mesure
où des droits étaient perçus sur les marchandises à l’entrée
et à la sortie de la nouvelle province. Au XVIIIe siècle, le
tabac circulait dans le sens Espagne-France et le sel en
sens inverse (Brunet 2001, 38). La contrebande du sel a
peut-être laissé sa trace dans la toponymie : au nord des
orgues d’Ille, entre les chemins de Reglella et le chemin
d’Ille à Montalba, Caramany et Bélesta, trois localités
languedociennes, on peut lire sur le cadastre ancien :
« Pourtal de la Sal »58. Il est certain qu’une grande quantité de faux-sel (sel de contrebande, n’ayant pas payé la
gabelle) a transité par ces chemins, est-ce ce trafic qui a
entraîné cette appellation énigmatique ? On serait enclin
à le croire, d’autant plus volontiers que les habitants de
Bélesta désignent indifféremment sous le nom de « cabane des contrebandiers » ou « cabane des douaniers » un bâtiment isolé que l’on peut encore observer sur la limite actuelle des communes de Bélesta et d’Ille (ill. 11), laquelle
ne fait que reprendre le tracé de l’ancienne frontière entre
Catalogne et Languedoc (Castellvi, Baills 2004, 44)59.
S’agissant de Bélesta, Albert Bayrou (1980, 81) cite
un extrait de texte dont l’origine n’est pas précisée : « Au
XVIIIe siècle, une route secondaire de la contrebande du
58. ADPO, 2J127/88, section A1.
59. Renseignement confirmé par Valérie Porra après enquête orale. Non
loin de là, le chemin d’Ille à Bélesta traversait à gué la rivière de Bélesta ou
Riberette puis remontait la pente rive gauche et longeait un abri formé de
gros rochers qui pouvait très bien servir de poste de guet et d’embuscade
(468503/4727683).
tabac y passait », ce que nous croirons volontiers, compte-tenu de la position de cette localité.
Les villages voisins n’étaient pas en reste. Ainsi
Trévillach dont le nom apparaît dans un procès consécutif à un accrochage qui eut lieu le 19 septembre 1739
entre des contrebandiers de Tarerach et les employés de
la sous-brigade des fermes d’Estagel au lieu-dit Quatre
Chemins, à la limite des communes d’Estagel, Calce
et Montner. Les délinquants, qui faisaient métier de la
contrebande, abandonnent leurs montures, six ânes et
une jument chargés chacun de deux sacs de sel, non sans
avoir auparavant blessé à mort un sous-brigadier des
Fermes du roi60.
La violence des jours ordinaires redoublait d’intensité
pendant les guerres et les périodes de crise qui voyaient
se multiplier les bandes armées.
En 1364, après le traité de Brétigny qui instaure une
trêve durant la Guerre de Cent Ans, les mercenaires des
Grandes Compagnies mettent le pays en coupe réglée.
Un groupe s’installe à Montalba, s’empare de Tarerach
et de là lance des raids dans la vallée de la Têt, menaçant
Vinça. Avec l’aide de troupes venues de Perpignan, il fallut monter une opération avec des engins de siège pour
les déloger en mai 1364 (Alart 1864, 392‑400).
Au XVIe siècle, les troubles dûs aux guerres de religion
en France franchissent la frontière, ainsi les huguenots,
venus du comté de Foix, font des incursions en BasConflent, attaquent Bouleternère, pillent Domanova
en 1580 et manquent s’emparer de Vinça le 28 octobre 1592, puis le jour de la Saint Grégoire 159861. Entre
temps la guerre avec la France a repris et les chemins
sont autant de canaux par où se déverse la violence. Au
XVIIe siècle, les hostilités continuant, la situation ne
s’améliore pas. Les actes de banditisme s’ajoutent aux faits
de guerre : le 1er septembre 1636, un habitant de Rodès
qui va à Tarerach par la prada de Ropidera est attaqué par
des voleurs qui lui lient les mains et l’amènent près de
Catllar où ils lui soutirent 19 réals et demi qu’il avait sur
lui. Les soldats castillans censés défendre le pays le mettent en coupe réglée : le 31 mars 1636, huit soldats logés
à Vinça dépouillent des bergers sur le pla de Ropidera ;
nouvelle plainte contre des soldats le 16 avril, etc.62 Les
chemins de Ropidera ne sont décidément pas sûrs.
60. ADPO, 2B1920. L’affaire a été résumée par Michel Brunet (Brunet 2001 : 33).
61. ADPO, B. Alart, 2J1/6, 387.
62. ADPO 11Bp937.
le temps des chemins
Les guerres de la Révolution ramènent des troupes sur les chemins et entraînent une série de
va-et-vient. En 1793, les Espagnols
tiennent les hauteurs de Rodès et
le col de Ternère, ils détruisent le
pont de Ropidera63. les Français ont
hissé des canons à Montalba depuis
Latour-de-France en passant par
Caladroy64. Le 31 juillet, descendus
des hauteurs de la rive gauche, ils
enlèvent Vinça mais doivent se replier aussitôt (Fervel 1851, 94). Le
1er août, une attaque est menée en
direction du col de Ternère. Deux
pièces d’artillerie sont amenées à
grand’peine depuis Montalba jusque
vers la Têt. Les Français divisent leur
troupe en trois : le gros était concen- 16 - Extrait de la carte des monts Pyrénées et partie des royaumes de France et d’Espagne, de Roussel et La Blottière, 1730.
On y distingue bien les chemins d’Ille à Bélesta et Montalba, de Rodès à Montalba et de Vinça à Trévillach (nommé
tré face à Ternère, la droite devait Taressac) et Montalba. Le sud est en haut.
attaquer Vinça, la gauche entre Ille
et le pont de Labau. Ces deux groupes franchissent Ropidaria 101165. Une agglomération peut être postéla Têt, le premier sur une passerelle, le second à gué. rieure au toponyme qui la désigne66mais on peut avec
C’est aussi à gué que devait passer le gros des troupes. quelque vraisemblance retenir que la plupart de ces vilL’officier qui commandait et le représentant aux armées lages existaient au XIe siècle et les chemins qui les relient
se mettent à l’eau mais les braconniers montagnards, vraisemblablement aussi. Plus près de nous, les princiqui devaient porter l’attaque principale, refusent de sui- paux chemins étudiés sont dessinés sur la carte générale
vre (Fervel 1851, 94‑95). Le 28 août, c’est au tour des des monts Pyrénées gravée en 1730 mais levée quelques
Espagnols de passer la Têt, ils chassent les Français de années plus tôt pendant la guerre de Succession d’EspaMontalba (Fervel 1851, 110).
gne (ill. 16). Cette ancienneté ne signifie pas qu’ils sont
tels que nous les voyons aujourd’hui. Ils ont vécu leur vie,
avec des hauts et des bas et un pic de fréquentation au
III.6 - Dans la longue durée
La datation d’un chemin, en dehors de textes précis XIXe siècle, qui, ici comme ailleurs, marque le maximum
ou de fouilles étendues, est toujours très difficile voire d’emprise agraire sur le territoire. Ils ont été, au cours
impossible. On en est réduit aux hypothèses. Celle qui des ans, empierrés, déchaussés, réparés, déviés, particivient immédiatement à l’esprit est que la création des pant à la vie des hommes pendant près d’un millénaire.
chemins est contemporaine de la création des villages Leur activité s’est ralentie progressivement vers la fin du
qu’ils relient. On retombe ainsi d’une difficulté dans XIXe siècle, à mesure que les friches prenaient le pas sur
une autre. Pour simplifier, on retiendra la date d’ap- les cultures. Et progressivement aussi leur entretien s’est
parition du nom des villages dans les textes : castrum fait plus irrégulier, pour cesser complètement dans la
Vinçanum 939, villa Vincanum 950 ; Marceval 1011, villa première moitié du XXe siècle.
Marceval 1088 ; villa Tarasago 958 ; Monte Albo 955, castrum de Monte Albani 1118 ; Casas Novas 1173 ; Yla 844,
Insula 898 ; Castellum Rodenis 1068 ; Rupideria 955, villa
63. ADPO L722.
64. ADPO L1103.
65. Ponsich 1980, respectivement p. 129, 96, 124, 173, 41, 119, 120.
66. C’est le cas pour Rodès où le village semble être une création tardive
(Tosti 1987, 16).
225
226
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre VII
III.7 - État des lieux
17 - Chemin de Rodès à Ropidera. On le voit ici creusé dans le rocher et bordé de
murs (ill. 8, n° 9).
18 - Chemin de Rodès au plateau et Tarerach, empierrement (ill. 8, n° 11).
19 - Chemin de pèlerinage de Vinça à Marcevol, empierrement avec alternance de
dalles et de pierres plantées de chant. Le chemin vieux a été recoupé par une route
charretière plus récente (ill. 8, n° 3).
Ce que nous avons aujourd’hui sous nos pieds et sous
nos yeux, c’est donc l’état du début du XXe siècle, « corrigé » par l’érosion et par l’activité humaine. Cette dernière s’est montrée destructrice surtout sur le plateau,
où les chemins ne subsistent que par bribes tandis que
la première a exercé ses ravages principalement dans la
zone pentue, c’est dans cette « région » que les chemins
sont le mieux conservés : assez souvent empierrés, notamment dans les pentes, lorsque le ruissellement n’a
pas tout arraché, souvent aussi bordés de murettes au
moins sur un côté, comme soutènement dans la pente.
Il arrive que l’on ait dû s’ouvrir un passage dans la roche (ill. 17) mais en règle générale, on se soucie peu de
faire sauter le rocher en place, les usagers doivent s’en
accommoder, c’est particulièrement le cas au nord de
l’ancien hameau de Ropidera. Parfois, la roche est intégrée dans l’empierrement (ill. 18). On distingue deux
techniques d’empierrement : tantôt les blocs sont placés de chant, tantôt ils sont placés à plat avec des arrêts
constitués de blocs plantés de chant (ill. 19).
La largeur des chemins est variable : de 1,5 m à 3 m,
pour rester dans une moyenne. Il existait apparemment
une largeur canonique de 12 pans, soit près de 2,5 m :
le 17 septembre 1703, les sobreposats de Reglella rappellent que les propriétaires de parcelles au terroir des
Estanyols au nord de Reglella (ill. 11), sont tenus de laisser libre un chemin de 12 pans pour le transport des
meules67. De même le 7 février 1721, ils exigent que
Joseph Batlle trace dans son champ une carrerada de
12 pans pour le passage des troupeaux de la damoiselle Viader68. Mais ces mesures canoniques sont loin
d’être partout respectées, la largeur des chemins doit
beaucoup à l’empirisme, comme il est normal dans un
terrain accidenté et à une époque où les moyens techniques étaient rudimentaires.
Trois des chemins rencontrés dans cette zone sont
qualifiés de chemins royaux : le chemin de Vinça à
Tarerach (ill. 8, nos 2, 4 et 5), celui d’Ille à Tarerach et
à la forêt de Salvanère (ill. 11, n° 15), celui de Reglella à
Latour-de-France (ill. 11, n° 29). Ce statut, qui en souligne le caractère public, n’entraîne apparemment pas
une meilleure viabilité ni un meilleur entretien.
67. ADPO, 3E16/784.
68. 3E16/785.
le temps des chemins
Les carrerades pour les troupeaux sont en général plus
spacieuses et souvent bordées de murs plus hauts pour
éviter les dégâts. Mais les murs de bordure n’indiquent
pas nécessairement un parcours pour ovins : les parcelles devaient être épierrées, or l’élévation d’un mur était
encore la solution la plus économe d’espace pour ranger
des pierres surabondantes. La multiplication des cabanes en pierres sèches (cabanes ou capitelles) répond
peut-être elle aussi en partie à ce besoin.
On remarquera que plusieurs chemins s’interrompent
brutalement. C’est le cas des deux carrerades (ill. 8, nos 12
et 13) : il suffisait que les troupeaux arrivent sur les lieux
de pâture. D’autres n’étaient que des chemins de service,
d’autres encore ont perdu leur destination première.
Pour « le chemin vieux de Montalba », et « l’ancien chemin de Montalba » la dénomination cadastrale ne laisse
aucune place au doute (ill. 11, nos 18 et 21). En 1832,
date du premier cadastre, le déclassement était déjà enregistré. Déclassement plus ancien pour les deux embranchements au nord de Ropidera dont on voit bien
que l’un visait Montalba tandis que l’autre poussait vers
Tarerach (ill. 8). La désertion du village au XVIe siècle a
entraîné dans un premier temps l’amputation d’un tronçon du chemin et dans un deuxième temps l’abandon de
son nom. On a pourtant la preuve que la liaison directe
Montalba-Ropidera existait en 1342, « viam publicam
qua itur de Monte Albano versus Ropidera que via transit
per dictum locum de Molera redona... »69. La Molera redona, la mouillère circulaire70, se trouve en effet sur le
tracé de ce chemin aujourd’hui lacunaire. Les deux départs, côté Montalba et côté Ropidera, existent bien mais
le tronçon médian qui ferait la jonction a disparu dans
« l’océan des âges ». On peut faire la même remarque
pour le chemin d’Ille à Caramany qui disparaît sur le cadastre sitôt atteint le terroir de Montalba (ill. 11, n° 23).
69. Médiathèque, B. Alart, t. XIV, 21.
70. J’avais pensé traduire « la Meule circulaire » du fait qu’existe sur le plateau
dans ces parages un site de hauteur où les ébauches abandonnées de meules
médiévales côtoient des vestiges protohistoriques (cote 518) mais Aymat Catafau me fait remarquer que « molera » se prononçait sans doute « mollera »
même si le doublement du « l » n’apparaît que plus tard dans un souci de
normalisation. C’est donc bien d’une « mouillère » qu’il s’agit.
71. « E lo camin s’es perdut en camin. / A perdut son nom emai sas sabatas. /
Sap pas pus ont vai nimai d’ont ven. » Rouquette Max - La lenga s’es perduda
in Lo maucor de l’unicorn, Domens, 2000, p. 35.
Et que dire du chemin de Montalba à Boule (ill. 8, n° 25)
dont il ne subsiste guère plus de 500 m, isolés et sans
raccord aucun avec les points de départ et d’arrivée ?
« Et le chemin s’est perdu en chemin.
Il a perdu son nom et ses sandales.
Il ne sait plus où il va ni d’où il vient »71.
227
228
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre VII
Le pont de Labau vu depuis la rive gauche, à l’arrière-plan le canal de Corbère.
chapitre VIII
Aménagements agraires
et élevage au Moyen Âge
Olivier Passarrius, Aymat Catafau
avec la collaboration de Denis Fontaine*
Les prospections de surface réalisées sur l’emprise de la
zone incendiée laissent supposer que la déprise amorcée
dès la fin de l’âge du Bronze – et qui dure jusqu’au Moyen
Âge – est totale. Aucun site ni aucun indice des périodes intermédiaires n’a été observé, excepté à un endroit,
où, sur une surface n’excédant pas une cinquantaine de
m2, a été collecté un petit lot de céramiques datées des
VIe‑VIIIe siècles (ill. 1). Les résultats des prospections
de surface permettent d’identifier clairement une période
de repli de l’occupation humaine du versant. Pourtant,
ces données sont à manier avec prudence car elles ne reposent que sur la prospection de surface. De même, l’absence de sites ayant livré des objets, des céramiques, ne
signifie pas pour autant une déprise complète du massif
mais témoigne peut-être d’une nouvelle façon d’exploiter
la montagne, où l’habitat ne serait alors plus directement
en contact avec les zones de production mais plutôt recentré dans les vallées. Quoiqu’il en soit, le rapport des
hommes avec la montagne a changé et l’on peut penser
que cette période d’atonie suggérée par la modification
des implantations de l’habitat se soit accompagnée, au
moins partiellement, d’une déprise du territoire, qui dure
près de deux millénaires.
* Pour la recherche documentaire aux Archives Départementales des P.-O.
. Cf. supra, chap. V consacré à l’occupation antique.
Sur le terrain, la « reconquête médiévale » se caractérise par la formation de deux villages groupés : Ropidera
bien sûr, et le village lui aussi abandonné de Casesnoves
dont une grande partie du territoire s’étend sur le massif
incendié (ill. 1). Cette trame villageoise, dont la mise en
place est antérieure à l’an mil, constitue pendant la deuxième partie du Moyen Âge le schéma d’occupation exclusif
de la montagne. En dehors de ces deux habitats, chacun
groupé près d’une église, un seul site a été mis au jour
sur l’ensemble de la zone. Il se situe sur le versant sud du
massif, au cœur d’un chaos qui domine la Têt (site 1040,
ill. 1). Sur près de 500 m2, la présence de tessons de céramique commune à cuisson réductrice suggère l’existence d’un habitat, peut-être en relation avec une activité
d’extraction de meules. Plusieurs de ces pierres, certaines
abandonnées en cours de débitage, sont encore visibles à
l’intérieur du chaos granitique qui surplombe le site. Le
mobilier collecté en surface est important mais sa grande
fragmentation et son usure ne permettent pas de proposer une fourchette de datation fiable, que l’on situera avec
prudence entre le VIIIe siècle et le milieu du XIIIe siècle,
en l’absence d’importations caractéristiques.
. Les dernières importations tardo-antiques, d’ailleurs généralement associées
à des formes originales et des bords facilement identifiables, sont absentes. De
même, les premières importations espagnoles et les céramiques à glaçure plombifère de la seconde moitié du XIIIe siècle ne sont pas non plus représentées.
230
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre VIII
1 - La zone incendiée avec localisation des villages de Ropidera, de Casesnoves et du site médiéval 1040.
2 - Vue aérienne du village de Ropidera avec les immenses pierriers résultant de l’effondrement des maisons. Autour, le territoire mis en culture grâce à la construction
de murs de terrasse (cl. P. Roca).
aménagements agraires et élevage au moyen âge
rieurs, notamment de la fin de l’époque
moderne, sont omniprésents et ont bien
souvent bouleversé les traces d’occupation
médiévale. Fort heureusement, l’étude des
traces agraires du Moyen Âge reste en partie possible aux abords immédiats du site de
Ropidera, où la présence des constructions
villageoises, bien datées par le mobilier présent en surface, autorise une réflexion sur
les mises en cultures mitoyennes des maisons, cernées chronologiquement par leur
association avec les vestiges domestiques.
À Casesnoves, la zone brûlée ne concerne
que la partie nord du finage, la montagne,
l’incendie ayant, fort heureusement, épargné le village médiéval, son église et le château sur motte. Les rares éléments dont
nous disposons sur la mise en valeur des
terres de la montagne de Casesnoves proviennent pour l’essentiel de l’étude du capbreu de 1355‑1363 et de quelques autres
documents des XIVe et XVe siècles.
Les cultures et l’élevage à
Ropidera au Moyen Âge
3 - Plan général du village de Ropidera réimposé sur le plan cadastral de 1832.
À la lumière de l’archéologie, l’occupation du sol au Moyen Âge se caractérise par l’hégémonie de l’habitat groupé dont la densité, avant les
crises du bas Moyen Âge, est telle qu’elle ne laisse pas de place à l’habitat
intercalaire permanent. Ce schéma de peuplement est récurrent en plaine
littorale mais il est intéressant de l’observer dans ce milieu pré-montagnard où l’on aurait pu croire que le mas occupait dès le Xe siècle une
place plus importante.
L’histoire du massif durant le Moyen Âge ne se réduit pas à la seule analyse du peuplement. Un effort particulier a porté sur l’étude des différentes
mises en culture. Bien entendu, l’approche de terrain s’est vite confrontée au
problème d’identification de ces vestiges, de leur datation et de leur mise en
perspective à l’échelle d’un vallon, d’un lieu-dit. Les aménagements posté. Sur le territoire de Vilarnau, sur la commune de Perpignan, les textes et les prospections montrent
que le mas, l’exploitation rurale dispersée, est quasiment absent en plaine entre les XIe‑XIIe siècles
et les XIVe‑XVe siècles, à la différence des contrées montagneuses ou des zones de piémont où il
constitue durant tout le Moyen Âge, mais surtout à partir des XIIIe‑XIVe siècles, l’unité d’exploitation
principale des terres les plus lointaines (Passarrius, Donat, Catafau 2008).
. À Laroque-des-Albères, dans le massif des Albères, plusieurs documents terriers permettent d’apprécier cette densité d’habitats dispersés, qui en pratiquant la polyculture, sont indispensables à la mise en
valeur des zones montagneuses quelquefois situées à plus de cinq heures de marche du village.
À Ropidera, l’implantation villageoise
se fait sur un espace aménagé en terrasses
afin de compenser le pendage assez prononcé du terrain (ill. 2). Cette disposition
des maisons facilite également l’accès au
premier étage qui pouvait ainsi se faire de
plain-pied. Il faut alors imaginer un terrain entièrement étagé, concernant tout
aussi bien le village que les champs situés
aux abords. Bien entendu, ces terrasses ont
pour la plupart fait l’objet de réfections,
d’entretien, tandis que d’autres ont été reconstruites ou entièrement créées après la
désertion du site (ill. 3). Il est donc difficile
de retracer de façon précise la morphologie de ce parcellaire au Moyen Âge, mais
on peut cependant en donner une image
assez fidèle à partir de quelques exemples
bien conservés dont l’étude est plus aisée.
231
232
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre VIII
4 - Détail de la maison no 4 et de ses environs (cl. P. Roca). Le nord est à gauche sur
la photo et en haut sur le plan ci-dessous. La tache blanche au centre est le rocher
naturel qui a servi de carrière. à gauche, se situent les terrasses cultivées au moyen
âge, où ont été retrouvées les traces de l’épandage.
Che
min
de L
es C
Maison ?
ases
E
E
E
Emboîture
4
Enclos
Carrière
E
Murs de terrasse
Perrier
Terrasses médiévales
E
Escalier
0
50 m
Autour de la maison no 4 :
Cette zone est probablement l’une des plus intéressantes car le tracé des terrasses a conservé la trame d’époque
médiévale (ill. 4). Ces constructions font généralement
intervenir, à leur base, de volumineux blocs provenant
d’anciens chaos encombrant la parcelle lors de sa mise en
culture. Ces boules de granit, laissées brutes, dépassent
parfois 50 à 80 cm de diamètre, elles servent d’assise au
reste de la construction qui devait se poursuivre avec des
blocs plus petits.
Ces murs « archaïques » jalonnent le site et marquent
indubitablement un état de mise en culture initial, probablement médiéval, entretenu par la suite. Autour de
la maison et de l’enclos no 4, cinq murs de terrasses dont
le tracé est supposé ancien ont également été identifiés
(ill. 5). Dans tous les cas, ces murs présentent les mêmes caractéristiques de mise en œuvre : de gros blocs à
la base puis une élévation faite de plus petites pierres,
sans cesse entretenue voire reconstruite car résistant
mal au temps et à l’érosion.
Ces murs de terrasses pouvaient atteindre des hauteurs conséquentes, peut-être supérieures à deux mètres,
mais l’on soupçonne cependant l’existence de banquettes
plus profondes et au sol légèrement plus en pente qu’il
n’est aujourd’hui. La restitution d’un profil général
n’est pas facile à réaliser. Ce dernier n’a probablement
pas énormément évolué, mais il convient cependant de
rester prudent car certains secteurs semblent avoir été
profondément lessivés et des blocs portant des emboîtures médiévales, retaillés pour constituer la base de
certaines terrasses, sont perchés à une cinquantaine de
centimètres au-dessus du niveau de sol actuel.
Autour de la maison et de l’enclos no 4, les prospections
de surface ont permis de mettre en évidence l’existence
d’un important épandage daté des XIVe-XVe siècles qui
peut être mis en relation avec l’aménagement en terrasses. Ces nombreux tessons témoignent de la pratique
de la fumure, peut-être en relation avec des cultures vivrières (potagères ?) installées au plus près de la maison.
On doit à ce propos évoquer la présence de deux vergers
mitoyens de maisons dans le capbreu de 1393.
Chemin
Rocher
5 - Plan de la maison no 4 et de ses environs.
. Il est possible que certaines banquettes aient été dédoublées.
. Cavité rectangulaire destinée à accueillir un coin en fer ou en bois pour
fendre la pierre.
aménagements agraires et élevage au moyen âge
Partie restaurée
Est
Ouest
Reprise récente
(XVIIIe-XIXe s.)
Partie supposée médiévale
0
1m
7 - Relevé du mur de terrasse surplombant la maison no 4.
6 - Mur de terrasse dont la partie inférieure est datée de la fin du Moyen Âge
8 - Bloc clivé portant des traces d’emboîture et constituant l’armature d’une ancienne terrasse médiévale (cl. A. Catafau).
(cl. O. Passarrius).
N
Carrière
4
3
2
Enclos
39
E
35
in
em
Ch
de
36
s
La
Ca
37
za s
0
25m
Emboiture
Murs de terrasse
Pierrier
Cabane
Terrasses médiévales
E
38
Escalier
Chemin
Rocher
9 - Plan de la partie sud du village de Ropidera avec localisation des murs de terrasse.
Zone de mobilier antérieur au XIIIe s.
Maisons nos 39 et 37 :
Ces deux constructions font
partie des vestiges observés les
plus anciens et sont antérieures au
XIIIe siècle, sans que leur chronologie ne puisse cependant être précisée
plus finement (ill. 9). Elles sont toutes les deux installées sur des murs
de terrasses médiévaux. Le mur de
terrasse formant la banquette sur
laquelle se trouve la construction
no 37 comporte à sa base d’énormes
blocs de granit et surplombe un rocher qui porte une emboîture médiévale, qui aurait été inaccessible
sans la présence de la terrasse. À cet
endroit, comme sur une grande partie sud-ouest des abords du village,
les terrasses forment de longues lanières assez larges pour permettre le
labour à l’araire.
233
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre VIII
des
crêt
es
N
Che
min
234
16
19
18
29
31
30
11 - Détail de la maison no 29. Le mur de terrasse, au premier
plan, est daté du XIXe siècle mais pérennise le tracé d’une ancienne banquette médiévale (cl. A. Catafau).
32
Mur de terrasse
33
34
Pierrier
Chemin
Rocher
Cabane
0
25 m
Maison
10 - Plan de la partie est du village de Ropidera.
Les parties est et sud-est du site sont en pente assez marquée vers
le ruisseau dit de Ropidera et toute construction nécessite immanquablement l’aménagement de terrasses qui supportent donc à la fois les
cultures installées à flanc de coteau mais aussi les ruines des maisons
médiévales (ill. 10). Là encore, les constructions les plus anciennes
font intervenir, à leur base du moins, de volumineuses pierres charriées lors de la mise en culture et des blocs sommairement clivés puis
calés en position verticale.
Le ruisseau de Ropidera, aujourd’hui un cours d’eau intermittent, a
fait l’objet d’aménagements avec la mise en place de plusieurs prises
d’eau anciennes destinées à irriguer des parcelles aménagées en bordure.
L’alimentation de ces petits canaux était facilitée par la présence successive de plusieurs barrages, constitués de volumineux blocs jetés dans la
rivière, qui permettaient de relever le niveau de l’eau tout en ralentissant
le creusement du lit.
12 - Cabane à encorbellement du XIXe siècle avec en arrière
plan les vestiges de la tour de l’église de Ropidera. Ces cabanes,
nombreuses autour du village abandonné, sont associées aux
cultures des XVIIIe et XIXe siècles. La vigne et l’olivier sont alors
omniprésents à cette époque (cl. A. Catafau).
Au nord-ouest, des parcelles irriguées ?
Au nord-ouest du village de Ropidera,
le long de la piste et au départ du sentier
de Les Cases, se trouve un petit canal, parementé, qui prend sa source dans la zone
humide du Courtalas, située quelques centaines de mètres en amont. Ce canal, profond et large d’environ 50 à 60 cm, coule
parallèlement au ruisseau de Les Cases et
surplombe un ensemble de parcelles assez
planes, maintenues par endroits par de
hauts murs de terrasses (ill. 13). La prospection de cette zone, qui a été épargnée
par l’incendie, a livré des tessons de céramique commune médiévale dont la présence
s’explique par la pratique de l’épandage.
aménagements agraires et élevage au moyen âge
13 - Canal ayant probablement été utilisé pour l’irrigation de
champs labourés comme en témoigne la présence de nombreux tas d’épierrement en bordure des parcelles (cl. O. Passarrius).
Nous sommes encore dans la zone de
culture intensive du village et la nature des
parcelles, le faible pendage, la possibilité
d’irriguer au printemps et la bonne qualité
apparente du sol en font un terroir d’exception qui s’étend sur près de 3 hectares.
Ces parcelles sont jalonnées de vastes
pierriers, parementés, stockés là où le socle rocheux affleure. Ces derniers attestent
la pratique du labour, confirmée par la découverte de traces de soc sur une dalle de
schiste affleurante (ill. 14). Malgré la présence de murs de terrasses, 20 à 30 centimètres de sédiments ont disparu, ce qui
témoigne d’un assez fort lessivage des sols
sans doute lié à une phase de déprise et
à un manque d’entretien des structures de
maintien et de soutènement.
Le secteur de la Roca Sabardana
Ce secteur se trouve sur la commune de
Rodès, en limite méridionale du plateau,
à un endroit où la présence d’une veine de
schiste provoque l’émergence de plusieurs
résurgences, manifestement mises à profit
pour l’exploitation de ces terres. La présence
récurrente de céramiques médiévales témoigne d’une mise en culture ancienne, en rapport avec le village déserté de Ropidera situé
à seulement 20 minutes de marche (ill. 15).
14 - Traces de soc de charrue sur un bloc de schiste. L’érosion a fait son œuvre sur ce secteur mettant à l’air
libre le rocher (cl. A. Catafau).
N
1144
1144
Cabane
1139
1137
1127
1130
1130
1129
1128
1137
1185
1132
1133
1134
Source
1136
1135
Source
1081
Canal B
Canal A
Céramiques du Moyen Âge
Source
0
100m
Canal (irrigation ?)
15 - Secteur du Ca del Mach ou de la Roca Sabardana. Report des canaux et des sources sur le plan cadastral
dit napoléonien, en fait daté ici de 1832.
235
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre VIII
N
Source
'eau dé
vié
al
Can
1079
1041
Cours
d
236
Dalles fichées
Terrasses
Talus
0
25m
Dalles fichées
Canal
Lit contraint
du ruisseau
Terrasses
Profil est-ouest
16 - Relevé des mises en culture observées sur la parcelle 1041, sur le secteur du Ca
del Mach ou de la Roca Sabardana.
17 - Détail du canal qui traverse la parcelle 1041 (secteur Ca del Mach ou Roca Sabardana). La mire se trouve à l’emplacement d’une prise d’eau qui permettait d’irriguer
les terrasses (cl. A. Catafau).
18 - L’une des banquettes de la parcelle 1041, irriguée durant la période humide par
le canal qui récupère l’eau d’une source située en amont. Les blocs de schiste plantés
verticalement limitent probablement la parcelle (cl. A. Catafau).
Les parcelles 1081 et 1041 ont livré les vestiges de canaux destinés à l’irrigation, qui prennent naissance à hauteur de résurgences autrefois aménagées mais aujourd’hui
taries. La source de la parcelle 1081 est clairement aménagée et suinte encore en hiver ou après un épisode pluvieux (ill. 16). L’eau de cette source a été canalisée par un
petit chenal, large tout au plus de 50 cm, soigneusement
parementé et qui dévale au milieu des terrasses. Son ensablement important nous a empêché d’observer la présence
de prises d’eau, de vannes pour l’irrigation mais son tracé,
qui ne suit pas la pente, permet d’écarter l’hypothèse d’un
chenal d’évacuation des eaux pluviales.
Cette parcelle est entièrement aménagée de terrasses,
parfois assez hautes et dont la physionomie montre qu’elles étaient entretenues il y a encore peu de temps (début
ou courant du XXe siècle). Cette parcelle était équipée
d’une cabane à encorbellement, de plan circulaire et des
aménagements – comme un escalier très élaboré – permettaient le franchissement des terrasses les plus hautes.
La parcelle 1041 est très intéressante car les aménagements sont mieux conservés. Cette parcelle occupe un
vallon assez encaissé. Le ruisseau qui l’a creusé trouve
son origine dans une résurgence située au-dessus. Le lit
du ruisseau a été volontairement déplacé, canalisé afin de
le faire couler à flanc de coteau pour libérer et mettre en
sécurité des crues les terres riches du fond du vallon. La
prise d’eau pour alimenter le canal a été détruite mais devait se situer non loin de la source. Plus bas, ce canal est
bien parementé et cuvelé pour éviter l’érosion. Des prises
d’eau – de véritables vannes que l’on ouvrait ou fermait
avec une dalle plantée verticalement –permettaient d’ir-
aménagements agraires et élevage au moyen âge
19 - L’un des canaux du Ca del Mach, qui serpente
entre les terrasses (cl. A. Catafau).
20 - Murs de terrasse correspondant à un aménagement récent de la parcelle (cl. A. Catafau).
riguer les terrasses. Il s’agit ici de banquettes assez profondes mais hautes de seulement 40 à 60 cm et dont la
terre est particulièrement riche.
La datation de ces deux ensembles n’est pas aisée et ne
peut s’appuyer que sur des indices ténus. Autour de la
source de la parcelle 1081, plusieurs vases brisés ont été
collectés. Il s’agit exclusivement de cruches à eau, cassées
là par mégarde lorsque l’on venait les y remplir. Ce mobilier est homogène et daté du XIXe siècle. Ces éléments
nous permettent juste de supposer que la source jaillissait
à cette époque mais ne fournissent aucun indice quant à
la datation des mises en culture.
En 1832, les parcelles 1081 et 1041 sont mentionnées
comme cultivées en vigne et affichées en catégorie 5 sur
l’état des sections de 1836, donc très fortement imposées. Il est peu probable que les aménagements observés
sur le terrain aient été mis en place pour ce seul type de
culture. On peut alors imaginer qu’ils soient antérieurs et
liés à des cultures vivrières supplantées par l’hégémonie
de la vigne au XIXe siècle.
Sur ce secteur, les prospections ont permis de mettre en
évidence la pratique de l’amendement qui se manifeste par
la présence de céramiques médiévales que l’on retrouve de
façon diffuse mais constante. Il s’agit quasi-exclusivement
de céramiques communes à cuisson réductrice associées
à quelques fragments de céramique à émail stannifère à
décor vert et brun ou bleu qui attestent une exploitation
. Date à laquelle a été établie la matrice du premier cadastre, sur la commune
de Rodès.
. ADPO 1025W174.
encore au bas Moyen Âge. Il est fort probable que l’on ait
pratiqué des cultures intensives en relation avec plusieurs
sources qui autorisaient l’irrigation des parcelles.
La parcelle 1144 est manifestement l’une des plus intéressantes. Cette parcelle, relativement plane, est particulièrement humide sur sa partie haute, au nord. Elle
est ici traversée par deux petits canaux qui font office de
drains mais permettent aussi d’arroser la partie basse et
les parcelles situées en dessous. La plupart des aménagements observés correspondent à de petits murs de terrasses, soigneusement appareillés à l’aide de pierres de petit
calibre, et hauts tout au plus d’une quarantaine de centimètres (ill. 20). Une cabane à encorbellement, implantée
en partie basse, complète le dispositif de mise en culture
(ill. 21), probablement celui lié à la mention d’une vigne
sur l’état des sections de 1832.
21- Cabane à encorbellement située sur le secteur du Ca del Mach ou de la Roca
Sabardana (cl. A. Catafau).
237
238
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre VIII
22 - Murs de terrasse anciens construits à l’aide de volumineux blocs qui constituent
l’armature de la terrasse (cl. A. Catafau).
Cette cabane s’adosse par contre à un mur de terrasse
qui est plus ancien. Le mode opératoire de cette construction est bien différent des autres et fait intervenir de gros
blocs de granit, qui peuvent atteindre plus d’un mètre de
côté, sommairement clivés et redressés pour maintenir les
terres. Ces blocs parfois imparfaitement agencés forment
de vieilles terrasses dont les banquettes sont lessivées par
l’érosion et correspondent aux premières mises en culture, celles-là même qui ont nécessité de déblayer le terrain
des gros blocs ou des chaos (ill. 22). Il est alors tentant
d’associer ces puissants murs aux nombreuses céramiques médiévales que l’on retrouve sur tout ce terroir. À
cet endroit, ce mobilier est en grande partie composé de
céramiques communes, indifféremment datées du Moyen
Âge mais l’on note également la présence de quelques céramiques glaçurées datées du début du XVIe siècle.
Plus bas, le groupe de parcelles 1130, 1132, 1333,
1134 et 1136 présente également des indices d’aménagements anciens, surtout destinés à la mise à profit de trois
sources, aujourd’hui partiellement taries. Ces parcelles
récupèrent également les eaux du canal descendant de la
parcelle 1144 et qui serpentent au milieu des terrasses.
Ces dernières forment des banquettes assez profondes
(5 à 8 m au plus large), hautes d’une cinquantaine de
centimètres sur la partie nord pour dépasser 1 m en bas,
là où la pente s’accentue. L’eau issue des trois sources et
du canal permet d’irriguer certaines des terrasses par le
biais de vannes dont il subsiste encore quelques vestiges.
Le surplus est ensuite acheminé vers un canal d’écoule. Détermination aimablement réalisée par Patrice Alessandri.
ment destiné également à l’évacuation des eaux pluviales.
Ce canal, dont les parois sont bien parementées, est large
d’environ 80 cm et sa profondeur s’accroît au fur et à mesure qu’il s’engage dans la pente.
En 1832, toutes ces parcelles sont cultivées en vigne,
complantée parfois, comme pour la parcelle 1130, de
quelques oliviers. Il subsiste encore à cette époque, mais
sur la partie nord de la zone d’étude, quelques terres dont
certaines étaient labourées si l’on en croit la présence de
volumineux tas d’épierrement qui jalonnent la surface.
Tous ces aménagements postérieurs ont dû entraîner la
disparition des vestiges culturaux d’époque médiévale à
moins qu’ils n’aient fait que maintenir en les pérennisant
des structures (murs, terrasses et peut-être cabanes...)
plus anciennes qu’il n’y paraît.
Telle est donc l’image fugace obtenue à la seule lumière
des données archéologiques. La montagne, bien évidemment est cultivée avec des champs parfois irrigués jusqu’au début de l’été grâce à d’ingénieux parcours d’eau.
Ces exemples, retenus sur les 1 900 hectares incendiés,
l’ont été parce qu’ils nous paraissent pertinents et chronologiquement fiables.
Les textes apportent quelques informations complémentaires, qui donnent quelques précisions sur les activités, leur localisation et leur chronologie. Les cultures
les plus souvent mentionnées sur le territoire de Ropidera
sont la vigne et les oliviers.
En 1298, Ermengau d’Ille, chevalier, abandonne en faveur de sa belle-fille (nurus) Jauberta tous les droits qu’il
possède sur des vignes situées sur le territoire de SaintFélix de Ropidera10. Peu de temps après Jauberta, veuve
de Ramon d’Ille et son fils Ramon, vendent à Cerda
de Ropidera deux vignes pour le prix de soixante sous
melgoriens, les vignes touchent aux possessions de Pere
Baffari et de Bernat Vital. Ils vendent à Arnald Baffari de
Ropidera une vigne au même lieu touchant aux tenures de
Béatriu Fabressa et de Perpinyà Baffari11.
En 1336, Ramon Fabressa de Ropidera reconnaît tenir
pour le chapelain de Saint-Pierre de Belloch un jardin
sis au lieu-dit Al Vernadal. Ramon Batlle de Ropidera dit
tenir pour le même chapelain un jardin au Vernadal, touchant in Cumba de Vinciano. Cet acte est passé par Arnau
Marti notaire public de Ropidera (sans doute un notaire
10. ADPO, Alart, CM, 2J1/33, p. 148-149.
11. 2J1/33, tome XII, p. 148-149 et p. 157.
aménagements agraires et élevage au moyen âge
23 - Les versants abrupts qui dominent la Têt étaient encore au XIXe siècle une zone privilégiée pour la culture de l’olivier. Les terrasses, parfois des banquettes de quelques
mètres carrés, sont accrochées à des pentes vertigineuses (cl. O. Passarrius).
de Vinça qui possède le droit de scrivania sur Ropidera).
Une nommée Guillema, veuve de Berenguer Colomer de
Ropidera déclare au nom de sa fille Guillema que celleci tient aussi un jardin au même lieu-dit pour le même
seigneur12.
En 1375, Bertrand d’Atziach, donzell de Ropidera réduit
la tasque perçue sur une de ses vignes située à Ropidera et
tenue pour lui par Guillem Ortola de Vinça, qui ne donnera plus qu’un seul œuf de poule. Cette vigne se trouve
au lieu-dit Dotre13. À la même date, Vital Gasch, boucher
de Vinça, lègue à son épouse Sclarmunda une vigne sise
dans la paroisse de Ropidera (in adjacencia Sci Felicis de
Ropidera) au lieu-dit Dotre14.
12. 2J1/33, tome XII, p. 303, actum est hoc 8 idus octobris anno dni 1336 in
presencia Guillemi Rualera et Guillemi Colomerii de Ropidera, ... ego Arnaldus Martini notarius publicus de Ropidera auctoritate regia subcripsi et hoc
sig+num feci. (source d’après Alart : parchemin d’un ancien capbreu, étude
de Me Sallens).
13. 3E1/437, notule de Philippe Sobira notaire de Vinça, 1375, fol. 23v.
14. 3E1/437, notule de Philippe Sobira notaire de Vinça, 1375, fol. 26v-27rv.
Un document intéressant de 1340 apporte des renseignements sur la culture des oliviers à Rodès. Il indique que
les oliviers tenus pour le roi de Majorque sur le territoire
de Rodès doivent payer le quint des olives, mais ceux qui
possédent là des oliviers ne paient aux autres seigneurs
pour lesquels ils ont des oliviers que la onzième partie des
olives. C’est pourquoi les consuls de l’université de Rodès
(la communauté des habitants), Bartholomeu Cornelia,
Pere Juher, Miquel Saura et Pere Vital, supplient les procureurs du roi de Majorque qu’ils affranchissent les hommes de Rodès du quint des olives et qu’ils le réduisent à
un agrier du onzième, ce qui inciterait les possesseurs de
terres tenues pour le roi à planter davantage d’oliviers. Les
procureurs acceptent cette réduction, et perçoivent pour
cet accord la somme de soixante sept livres, six sous et huit
deniers de Barcelone, soit seize deniers pour chacun des
oliviers plantés sur les terres dépendant du roi à Rodès, qui
sont au nombre de mille dix15.
15. Soit 1010 x 16 = 16 160 deniers, ou 67 £ 6 s. 6 d. 2J1/34, p. 599-608,
239
240
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre VIII
Les textes du XIVe siècle, et principalement le capbreu,
fournissent de nombreux toponymes qui sont autant
d’indications sur les délimitations du finage et sur les
différents terroirs de Ropidera. Les limites et les points
remarquables, essentiellement les roches, certains cités
dès le milieu du Xe siècle, sont ceux que l’on retrouve le
plus facilement aujourd’hui : le Puig Pedros bien sûr, la
Cogulera, Rocha Samardana (auj. Sabardana), les Costes,
Dotre, al Puig Dotre (auj. Coume d’Outrera) ou le ruisseau
de Bellagre (in rivo Valle Agra). Une délimitation du territoire de Montalba en 1307 longe au sud les repères de
séparation d’avec Ropidera : « Tournant de là vers le sud
en droite ligne passant par le Mont Pali, par le Roc Blanc
des Vernes, par le Puig Pedros nous sommes montés à la
Font Dolce et de là en tournant vers le nord par le ruisseau de Bellagre jusqu’au ruisseau de Tinoseros »16. Rocs
Blancs, Puig Pedros17, Font Dolse, Bellagre sont des toponymes toujours présents entre les territoires de Montalba
et de Ropidera (Rodès).
D’autres noms de lieux évoquent aussi le relief, en particulier ces rochers qui émergent au-dessus des zones basses
du plateau (a Les Queres, a Pug de Mill, a Rocha Bochs, al
Coyl Miga, al Puyol, al Quer de Na Veyla, al Serrat de la
Stela, Tras la Serra, a La Pedrosa, Vall Agrella). On relève
aussi les éléments qui décrivent les terroirs par leur flore :
la Autzina (le chêne vert ou yeuse), al Ginabreyl (le genévrier), La Garriga. Le lieu-dit a La Salancha, près du chemin
d’Ille, pourrait renvoyer soit à la présence d’eaux saumâtres
d’où l’on tire du sel en été, ou à une pierre où l’on place le sel
pour les troupeaux, ou encore à un lieu où pousse la salicorne. Certaines cultures sont connues par les noms qu’elles ont laisssé à des lieux, ainsi plusieurs toponymes sont
dérivés de « prat », pré, al Pradell, a Prat Monell, Prato del
Puyol, sans doute dans la partie du plateau, zone humide
du nord où l’on trouve les dépressions de forme circulaire,
appelées la Molera Rodona, Les Redones, al Camp Rodonell,
a. 1340, source : parchemins de M. Cornet de Rodès. La famille Cornet de Rodès possédait au XIXe siècle, quand Alart a consulté ses archives, de nombreux
biens dans l’ancien territoire de Ropidera.
16. « ab inch vertendo ad meridiem recta linea transientes per montem Pali per
sacsum album vernosi per puteum Pepadrosi acsesimus ad fontem dusem et
ab inch vertentes ad sirtium insedentes per recum dictum de Vellagira usque
ad recum de Tinoseros » ADPO, 3E3/76, feuille insérée ap. fol. 10 : copie de
1655 (?) d’un acte de 1307 sur délimitation du territoire de Montalba. Regeste :
Rodalia eo divisio del terme de Montalba y Illa.
17. Le Puig Pedros (ad Podium Padrosium) est cité dans les limites de Reglella
en 1173 par Alphonse Ier d’Aragon quand il confirme les possessions de l’abbaye de Saint-André de Sorède, ADPO, 1B384, fol. 204vo, cité par Michel
Bouille, « Les frontières de la garrigue d’Ille », Cahiers des Amis du Vieil Ille,
42, 4e trimestre 1973, p. 11-15.
24 - Chemin pour les troupeaux, bordé de hauts murs, qui s’élance depuis la plaine,
au milieu des terrasses, et permet d’atteindre les pâturages du plateau de Montalba
et de Ropidera (cl. P. Roca).
al Estanyol, al Pou de Na Daudera, a Fontaniles, al Clot de
Peyralada (clot : dépression naturelle). Ailleurs des vignes
sont citées à La Trila, ou près du Torrente de les Trilles.
Certains toponymes indiquent des activités ou aménagements qui transforment le paysage : a La Carbonella (les
charbonnières), a les Parets (peut-être les murettes des terrasses). Outre à La Trila, les déclarations indiquent que les
vignes se trouvent à La Baur, à La Cogulera (une treille), Al
Caucer (dit aussi a Casteylo : est-ce La Gardiola ?), al Puig
Dotre et à Dotre, à Tras la Serra (lieu-dit aussi a Fontaniles).
Le toponyme al Benal, al Benall, qui rappelle les bennales
cités dès l’apparition de Ropidera dans les textes18, est difficile à comprendre, peut-être s’agit-il d’une déformation
d’avellaner, l’amandier, ou une désignation curieuse des
terrasses, les feixes19.
18. Abadal 1954-1955, doc. 79 : limites d’un alleu dans la vallée d’Ille-surTêt, touchant « per ipsos bennales qui fuerunt de Lupone... pervenit ad ipsos
bennales de Rupidaria ».
19. Alcover, dans le Diccionari Catalá Valenciá Balear, donne la forme venaller
pour une déformation vulgaire de vellaner, ou avellaner, l’amandier ; on peut
aussi penser à une forme dérivée de bena (« ruban ») qui pourrait désigner les
feixes, les cultures en bandes allongées, les terrasses.
aménagements agraires et élevage au moyen âge
L’élevage qui est l’un des aspects fondamentaux de l’économie de la montagne à l’époque médiévale, échappe en
grande partie à l’archéologie et reste difficile à mettre en
lumière, sauf peut-être à Ropidera. L’agencement même du
village, la présence de grandes maisons probablement mixtes, d’enclos, d’étables ou de bergeries, l’aménagement des
chemins ou les efforts consentis pour protéger les cultures témoignent d’une économie reposant pour partie sur
l’élevage et notamment sur celui des caprins au vu de la
hauteur des murs de clôture ou de limite des chemins. À
ce sujet on peut évoquer l’inventaire des biens de Sibilia,
veuve de Pere Serda de Ropidera, qui, dans sa maison avec
courette (pati) déclare avoir en 1364 quinze chèvres, ainsi
qu’un âne. Cet usage de la montagne, fortement tourné
vers l’élevage, se lit avec force dans les vestiges des périodes suivantes, datés avec sûreté de l’époque moderne, mais
probablement déjà en place au moment où le village de
Ropidera est habité.
Les informations sur l’élevage sont donc contenues essentiellement dans les textes, mais ne sont pas antérieures
au XIVe siècle, même si l’on peut être certain que l’usage
pastoral des terres humides du plateau est bien antérieur,
mais les formes et les règlements de cet usage sont inconnus.
En 134220, Séguier de Peyrepertuse, donzell, seigneur du château de Montalba, situé en Fenouillèdes, donne en acapte à
Bartholomeu Corneilla de Rodès, « situé en Roussillon »,
son pâturage et l’usage de son pâturage (pasturagium et ademprium pasturagii mei) de Montalba pour deux cents petits
animaux. Ce droit de paître s’étend sur tout le territoire de
son castrum de Montalba, c’est-à-dire le long du torrent appelé de les Carabasses avec son canal de prise d’eau (irrigation
ou moulins ?) jusqu’au Puig Pedrous et jusqu’au chemin qui
va de Montalba à Ropidera et qui passe par le lieu dit Molera
redona (« la mouillère ronde »). Séguier de Peyrepertuse impose à Bartholomeu Corneilla d’entrer dans ce territoire avec
ses bêtes après le lever du soleil chaque jour et d’en sortir de
la même façon avant le coucher du soleil21, avec le droit de
garder et de faire dormir son bétail dans son cortal situé sur le
territoire de Saint-Félix de Ropidera22. Le bénéficiaire paiera
chaque année deux sous de Barcelone de cens, il paiera, s’il a
moins de deux cents bêtes, douze deniers pour une centaine
de têtes de bétail, il pourra aussi garder du bétail ne lui appar20. ADPO, 3E3/99, fol. 71ro-vo, manuel de Pierre Casesnoves, retranscrit par
B. Alart, ADPO, 2J1/35, p. 23.
21. Arrivée comme départ doivent se faire « de die lucente sole », ibid.
22. « dictum bestiare tenere et pernoctare possitis in cortali quod nunc habes
in termino ecclesie Sci Felicis de Ropidera », 3E3/99, not. no 7647, manuel de
Pierre Casesnoves, fol. 71ro-vo.
tenant pas jusqu’au nombre de deux cents têtes. Le preneur a
payé pour droit d’entrée 40 sous de Barcelone. L’acte est passé
à Casesnoves devant le prêtre de Casesnoves, et les témoins
Pierre Raymond de Montalba et Jacques Fabre de Ropidera.
Bien entendu on ne sait pas à quoi ressemble le « cortal » où
les bêtes de Bartholomeu doivent être gardées la nuit, mais
sa localisation « sur le territoire de l’église » signifie « dans la
paroisse », donc sans doute pas dans le village, auquel cas on
aurait écrit « in loco de », ou « in villa de » ou encore « in castro de ». Il faut donc en déduire qu’existent, sans doute sur le
plateau, dans la portion appartenant à Ropidera, des cortals,
enclos à bétail, avec cabane sans doute pour le berger, même
à l’époque où le village est habité. On notera que le propriétaire du bétail est un homme de Rodès, possédant un cortal
à Ropidera, on peut supposer qu’il a aussi soit des terres soit
des droits de pâturage à Ropidera, mais qu’ils ne lui suffisent
pas pour son troupeau, raison pour laquelle il acquiert le
droit de pâture sur les terres voisines, et de mêmes caractéristiques, de Montalba-le-Château. Le document renseigne
aussi sur la circulation du bétail, depuis la vallée de la Têt jusqu’au plateau de Montalba, à travers le territoire de Ropidera,
troupeaux qui traversent les terres du village et le village luimême, puis passent chaque matin et chaque soir la frontière
entre les royaumes de Majorque et de France. La montagne
est la réserve de pâturage pour les troupeaux de la vallée, qui
nourrissent la population en croissance de la plaine, et surtout une population urbaine dont les habitudes alimentaires
s’orientent davantage vers la viande et les laitages, de même
que l’artisanat y utilise la laine en quantité croissante. Nous
savons que les bêtes ne sont pas obligées de redescendre dans
la plaine chaque soir, car les maisons de Ropidera ont souvent
un enclos annexe, avec une entrée large (1,20 m ou 1,40 m)
permettant de conserver quelques têtes, voire quelques dizaines de têtes de menu bétail, et elles ont aussi sans doute des
cortals sur le plateau.
Le territoire de pâture concédé par le seigneur de
Montalba touche à celui de Ropidera, sur le secteur de la
Molera Redona, une de ces grandes dépressions fermées au
sol d’arène granitique, qui retiennent les eaux des précipitations d’automne et d’hiver, où pousse une herbe grasse
et dont s’écoulent de nombreux ruisseaux. Le torrent appelé de Les Carabasses, dans la limite nord-est du pâturage,
possède d’ailleurs un « aqueductum », une dérivation, qui
amène peut-être l’eau à un moulin mais qui peut aussi être
un des canaux d’irrigation tels qu’on les trouve sur le territoire de Ropidera.
241
242
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre VIII
En 1356, dans son testament, Pere Botinya de Ropidera
lègue à son épouse Raymonde deux tiers de son petit bétail (duas partes bestiarii mei minuti) ainsi qu’un bœuf, et
toute sa laine filée23. Pere Botinya lègue trente sous pour
acheter du pain à distribuer aux pauvres de Ropidera,
soixante-dix huit sous à des œuvres pieuses, cent sous à
un fils et cent autres à une fille d’un premier mariage. Un
autre fils de ce premier mariage reçoit cinq parcelles de
terre, le reste du petit bétail et un mulet. Ce testament
révèle un niveau de fortune assez confortable, loin de ce
que disent les habitants du village lorsqu’ils veulent obtenir des exemptions ou avantages fiscaux, une génération
après, quand, les épidémies et les guerres se prolongeant,
la crise démographique et le marasme économique se sont
aggravés. Pere Botinya désigne trois exécuteurs testementaires, tous de Ropidera. Parmi les témoins de l’acte, figurent un prêtre de Vinça et le curé de Rodès.
Les eaux qui dévalent du plateau sont trop peu régulières pour alimenter des moulins le long des ruisseaux intermittents qui se jettent dans la Têt, c’est donc par dérivation
des eaux de la Têt ou plutôt sur le ruisseau de Corbère (dit
aussi « de Thuir », ou « rech royal », qui conduit l’eau de
la Têt, prise en amont du Pont Saint-Pierre, face à Vinça,
jusqu’à Perpignan) que les moulins utiles aux habitants
de Ropidera sont établis, en amont de Rodès. Les textes
distinguent d’ailleurs difficilement le moulin de Ropidera
de celui de Rodès, les concessions royales, nécessaires pour
user de l’eau courante comme de l’eau du ruisseau royal,
leur sont souvent accordées en même temps.
Au début du XIVe siècle, le roi Jacques de Majorque avait
promulgué des ordonnances sur la construction de moulins
à Ropidera24. En 1321, le roi Sanç de Majorque concède à
Timborgue de Guardia et à Guillem de Canet, son fils, le
droit de construire un casal de moulins à blé sur le ruisseau
royal dans le territoire (terminos) des châteaux de Rodès et
de Ropidera, avec autant de roues que le ruisseau pourra
en contenir convenablement. Les bénéficiaires devront en
outre établir un ou des ponts si le ruisseau doit être déplacé25. En 1375, un moulin de Rodès est alimenté par
23. ADPO, 3E1/95, année 1356, fol. 3ro-vo et 4ro.
24. ADPO, 1B94, ordonnances du roi Jacques 1er de Majorque sur la construction
de moulins sur le ruisseau de Corbère, à Ropidera, Bouleternère et Graolera.
25. ADPO, 1B13, 1321, actes en faveur de Timborgue et de Pierre de Fenollet.
À la même date, une concession identique est accordée à Pierre de Fenollet
pour la construction d’un casal de moulins à blé sur le ruisseau royal qui passe
au pied de Bouleternère, concession qui est faite à l’identique de celle en
faveur de Timberge, comme il est dit dans le texte lui-même.
l’eau conduite par des canalisations de bois26. Par ailleurs,
le canal royal franchit la Têt, au niveau de la chapelle SaintPierre et, en aval, au débouché des gorges de la Guillera, au
Pont de La Bau (ou Lavau), et ses berges sont donc utilisées
par les hommes et leurs bêtes pour traverser le fleuve, ce
qu’examine plus loin l’étude des voies de communication.
La montagne de Casesnoves au Moyen Âge
Le village de Casesnoves vit sur ses espaces complémentaires : le Riberal et la Montagne. Le fond de vallée de la
Têt, riche de terres alluviales, est situé sur la rive droite
mais aussi sur la rive gauche du fleuve, où il s’étend en direction de l’ancien couvent dit L’Ermita. En 1298 un mallol
(jeune vigne) est vendu sur le territoire de Saint-Sauveur
de Casesnoves, ultra flumen Thetis : si l’église et le village
de Casesnoves sont la localisation de référence, ce mallol se
trouve sur la rive droite de la Têt, entre Ille et la Têt. Une
terre est située au lieu-dit Guarrigua subtus Caslarium,
c’est-à-dire sans doute au pied du château.
Le territoire immense de montagne s’étend à l’est jusqu’aux Orgues, à l’ouest jusqu’au territoire de Rodès, audelà du ruisseau de Bellagre (Vallagre), et au nord jusqu’à
la limite du territoire de Montalba, au Puig Pedros. À la
fin du XIIIe siècle une terre de Casesnoves se trouve au
lieu-dit Pug (peut-être dans la montagne). Au lieu-dit
Ventos (Puig Ventos ?) une parcelle est donnée en concession « à pain et à vin », elle est peut-être complantée en
céréales et vigne. Une vigne se trouve au lieu-dit Yles de
Barboner, touchant au Voló (terme qui désigne l’endroit
par où on peut franchir une falaise qui borde la rivière).
Le capbreu des possessions de Johanna27, veuve de Bernat
Claran de Perpignan, seigneur de Casesnoves, renseigne
sur le village et sur certaines terres tenues à Casesnoves au
milieu du XIVe siècle, mais les possessions tenues pour ce
seigneur sont essentiellement concentrées dans la vallée de
la Têt, sur la partie basse du territoire de Casesnoves. Les
possessions situées sur la montagne apparaissent comme
marginales dans ce capbreu. En 1355, ce terroir est en partie planté de vignes, on y déclare aussi des champs et terre,
aux lieux-dits Ardena, Barboner, Gratalops, Casteyl Seneyl,
Pera Blanca, Rodallela (près du torrent de Puig Pedros, et
26. 3E1/437, notule de Philippe Sobira notaire de Vinça, 1375, fol. 14 (feuille
volante insérée) ego Raymundus Boschani de Vinciano... recognosco... vobis
Petro Gossa renderio molendini de Rodesio quod pro tribus canalibus fusti
quas a me emistis... ad opus predicti molendini in anno qui finivit ultima die
junii anni a nativ dni 1374... solvistis michi nonaginta solidos barc de terno,
quittance établie le 20 juillet 1375.
27. ADPO, 3E3/980, Gaucelm Ferriol, notaire d’Ille, 1355-1363.
AmÉNAGEmENTS AGRAIRES ET ÉLEVAGE AU mOYEN âGE
leurs sites de charbonnage. Sa localisation est difficile, le lieu-dit
comprend des terres en friches
et une vassa, un ruisseau, ou une
zone humide.
Montalba
N
v.
Ra
Le territoire du village de
Ropidera s’étendait sur environ 14 km2 alors que celui de
Casesnoves était probablement
Ille-sur-Têt
plus vaste et devait atteindre une
vingtaine de km2 de superficie.
À Ropidera, le territoire s’étend
Rodès
Bouleternère
exclusivement sur le massif et se
confond approximativement, à
l’ouest et au nord, avec les limites
Vinça
de la zone incendiée. Les données
25 - Carte synthétisant les activités agricoles au Moyen âge sur le massif incendié de Rodès.
sur l’économie agricole de ces
deux lieux de peuplement restent,
du chemin de Prat Senyel. On note une forte présence des nous l’avons vu, très partielles et n’apportent bien souvent
terres hermes, incultes, voisines des parcelles déclarées à que des éclairages ponctuels sur certaines parties du terriPug Pedros, al Pedros, à Barboner, à Rodallela, etc. On peut toire ou certaines formes de mise en culture. À Ropidera,
se demander quel est leur statut puisque (sauf cas excep- il est malaisé aujourd’hui de définir la part de l’ager métionnel d’une vigne dite « herme ») ces terres ne sont pas diéval et l’impact de l’anthropisation. La topographie du
déclarées : elles restent en possession des seigneurs sans massif conditionne amplement les mises en culture et
doute, comme réserve ou devèze de pâturage. Auprès du l’image qui transparaît ne semble pas forcément différente
ravin descendant de Bourbonné se trouve le lieu-dit Rippa de celle que nous ont transmis, quelques siècles plus tard,
Borbonerii, près d’un des terroirs appelés Garriga où sont les premières matrices et les états de section du début du
citées exclusivement des vignes, mais le lieu-dit Barboner XIXe siècle. La vigne est bien représentée, cultivée sur des
touche à la Têt.
parcelles déjà mises en terrasses accrochées aux versants
Le « Castell Senell » ne désigne sans doute pas le châ- de la Cugulera ou à ceux dominant la vallée de la Têt. Ces
teau de Casesnoves, mais un lieu de la montagne, d’aspect vignes côtoient des oliviers, probablement dans des parruiniforme28. On trouve aussi, comme on l’a vu, Prat celles complantées. Les champs et les terres mentionnés
Seneyl29, et ces toponymes sont peut-être à rapprocher de dans les textes ou le capbreu de Ropidera semblent pluPuig Sinell.
tôt localisés sur le plateau, sur les lieux-dits de la Roca
Parmi les activités non agricoles dont témoignent les Sabardana ou près du village, où le fumage des champs est
toponymes, on remarque Les Pedroses, qui évoque des car- bien attesté par l’archéologie. L’élevage se concentre sur le
rières, en limite d’Ille, auprès du ruisseau d’Ille, sans dou- plateau, autour des dépressions humides que l’on gagne
te à l’extérieur de la zone brûlée, ainsi que la Carbonera : par d’imposants chemins bordés de hauts murs qui s’élanune « charbonnière », où des charbonniers avaient établi cent depuis la vallée. Les droits de pâturage sur le plateau,
de Ropidera à montalba, sont souvent attribués à la fin
. Senell, ou Seneyl, pourrait évoquer un « signal », une « tour à signaux »,
du moyen Âge à des habitants de la vallée, de Rodès en
ou plutôt un lieu ressemblant à un château ou à une tour à signaux. Ce ne peut
pas être le château de Casesnoves sur sa motte, auprès du village et des terres
particulier, qui y possèdent des cortals ou des bergeries,
basses de la vallée, qui n’est jamais appelé ainsi. Le lieu-dit Casteyl Seneyl
à l’image probablement de ceux mis au jour sur le terrain
comprend des terres hermes, des prés ou champs, peut-être au pied d’un chaos
granitique à la forme évocatrice.
datés de la fin du moyen Âge ou de l’époque moderne30.
de
Sarrat Blanc
554
Be
llagre
Puig Pédrous
437
rde
n ne
erach
Tar
Le
e
sesnov s
Le Ca
Da
Casenoves
Ropidère
La Tet
La
Cougoulère
530
Vigne
lès
Le Bou
Oliviers
Elevage
1000m
ic h
tju
Ra
vin
0
Limites des territoires
de Ropidera et Casesnoves
de
Mo n
Terres ou champs
. Le lieu-dit Rodallela touche « in torrento de Pug Pedros, in torrente que
descendit al Soyl, cum via publica de Prat Seneyl », ADPO, 3E3/980.
Limite du feu
0. Cf. infra.
Prairies
243
chapitre IX
La montagne
de la fin du Moyen Âge au début du XIXe siècle :
cultures aux marges et terrains de pâture
Aymat Catafau, Olivier Passarrius
avec la collaboration de Denis Fontaine*
L’abandon des villages de Ropidera et de Casesnoves,
les crises économiques et démographiques à partir de la
seconde moitié du XIVe siècle ont eu un impact sur le
territoire, qui s’est manifesté par un repli des cultures, cependant difficile à mesurer. Le recul des cultures vivrières
se fait au profit d’une spécialisation des espaces comme
territoires de pâturage pour l’élevage. Pourtant, les terrasses bien exposées sont encore mises à profit et les terroirs proches des anciens villages sont toujours exploités.
On y cultive des céréales et les oliveraies, des parcelles de
vigne y côtoient des jardins et des vergers, installés sur
les terres amendées proches des anciennes maisons de
Ropidera, de Casesnoves et en bordure de la Têt. Malgré
quelques indices de plantations et de mise en valeur par
les habitants des villages de la vallée, l’agriculture est limitée à certains secteurs marginaux, la montagne étant
alors surtout l’espace du pastoralisme.
Sur les versants escarpés dominant la vallée de la Têt, les
terrasses d’époque moderne ou contemporaine reposent
directement sur le socle rocheux, conséquence du lessivage
des sols dû à l’arrêt de l’entretien des murs de soutènement.
À hauteur du site médiéval du Bellagre, sur la commune
d’Ille-sur-Têt, l’ensemble du versant qui domine le fleuve
est aujourd’hui encore aménagé de terrasses, en grande
* Archives Départementales des P.-O., pour la recherche et la communication
des documents notariaux.
. Ce site s’étend sur environ 1 000 m2 et est établi sur le versant sud, au pied d’un
chaos granitique dans lequel ont été mis en évidence des vestiges d’extraction de
meules. Le mobilier est bien présent mais la datation n’est pas aisée (Xe-XIIe siècles ?).
La construction de murs de terrasses a bouleversé en profondeur le site.
partie démantelées par l’érosion. Si certaines présentent un
appareillage récent, faisant intervenir des blocs de petite
ou de moyenne taille, la plupart sont construites à l’aide
de volumineuses boules charriées du chaos tout proche ou
récupérées sur place. Ces gros blocs de granit reposent directement sur le substrat et leur aménagement correspond
à une nouvelle conquête de la montagne suite à un épisode
de déprise et d’érosion intense qui a lessivé les fines. À cet
endroit, le rocher se trouve sous seulement 5 à 20 centimètres d’une mauvaise terre, un sédiment sableux constitué
essentiellement d’arène détritique.
Les vestiges d’époque médiévale ont été souvent emportés par l’érosion et détruits par les aménagements culturaux postérieurs, encore en place au début du XIXe siècle,
tels que l’on peut les relever sur le terrain, lorsque est établi le cadastre « napoléonien ». Les aménagements visibles sur le cadastre napoléonien sont donc le résultat de
cette longue spécialisation des terroirs, entre l’abandon
des villages, au XVe siècle, et le réinvestissement de la
montagne par des propriétaires plus nombreux, pratiquant une agriculture plus spéculative, au XIXe siècle.
Les témoignages archéologiques des mises en cultures
d’époque moderne (XVIe-début XIXe s.) sont la plupart
du temps les vestiges les plus anciens : ce sont des traces
indirectes et durables comme les terrasses et autres aménagements antérieurs au cadastre et quelques vestiges de
cabanes (sans doute entretenues et transformées depuis)
auprès desquelles des tessons de vases attestent une fréquentation aux XVIe-XVIIe siècles.
246
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IX
1 - Près du village de Ropidera, des terrasses récentes, construites de petits blocs,
côtoient de gros blocs sommairement clivés, qui correspondent à l’armature d’anciennes terrasses, probablement médiévales (cl. A. Catafau).
À Ropidera comme à Casesnoves la connaissance du
type de cultures et des terroirs où elles sont pratiquées
provient des sources écrites, principalement des capbreus,
mais aussi de nombreux actes notariaux (ventes, testaments, inventaires, contrats d’acensement).
Le territoire de Ropidera à l’époque
moderne
Le village de Ropidera, où sont encore visibles à cette
époque les vestiges des anciennes maisons villageoises,
reçoit le nom de lieu-dit Les Cases de Rupidera (1526)
qui confirme l’abandon définitif du site. Les environs du
village (Dejus les cases, Los patis de Ropidera) sont occupés par des parcelles, champs ou feixes, plantés de quelques oliviers et chênes.
Les jardins sont établis près de la Têt et du ruisseau
de Corbère, la proximité de l’eau pour l’irrigation étant
la condition nécessaire de leur production intensive ; un
autre est sis au Puig Outrer.
. Denis Fontaine, des Archives Départementales des P.-O. a recherché et recueilli ces actes. Références des documents : 1526, 3E16/19 ; 1541, 3E16/33 ;
1566-1567, 3E84 ; 1619, 3E19/222 ; 1637, 3E19/323 ; 1639, 3E19/338 ;
1640, 3E19/339 ; 1642, 3E19/386 ; 1643, 3E19/387 ; 1655, 3E19/509 ; 1658,
3E19/512 ; 1659, 3E19/513 ; 1712, 3E19/580.
. Les Cases de Rupidera (1526) : le toponyme est caractéristique d’un double
phénomène. D’une part Ropidera n’est plus le nom d’un village mais de la
partie du finage de l’ancien village situé sur le plateau, un territoire cultivé
et parcouru par les habitants des villages voisins et leurs bêtes, de l’autre, au
cœur de ce territoire, le village proprement dit n’est plus qu’un ensemble de
maisons, en vérité de murs de maisons qui délimitent des espaces clos, des
patis, comme le dit un autre toponyme en 1655.
Les vignes sont situées sur le lieu-dit Bourboné, au
Pont de Lavau, sur les bords du torrent de Ropidera, près
du pont de Sant Pere, à la Guardiola, à la Caussade, à Las
Comas de La Prada, certaines sont vieilles (Las Comas de
La Prada) d’autres sont des mallols nouvellement plantés.
Il est impossible de dire si ces jeunes vignes résultent de
la transformation d’anciennes friches en vignes, ou simplement du nécessaire renouvellement des vignes devenues vieilles. Pourtant, certains exemples semblent indiquer que les vignes gagnent sur les friches, comme dans
le secteur du Bourboné (en 1526 puis 1643) comme à la
Guardiola en 1639, où une pièce de terre est « partie en
vigne et partie en friche », ou près du torrent, une parcelle constituée de vigne et temoner. C’est en effet de ce
nom, dérivé de tem (farigola, le thym), que l’on désigne
les landes à thym à l’époque moderne, le mot ne se trouve
pas au Moyen Âge. Les parcelles, qui constituent une
unité de terre, sont souvent divisées entre vigne ou mallol, et temoner ou herm (terre herme, friche). Les deux
parties, celle plantée en vigne et celle laissée en friche,
forment une seule parcelle, ce qui pourrait indiquer que
l’on a planté récemment la vigne, en gardant une partie de
terre disponible, éventuellement pour agrandir la vigne,
sur une friche où l’on peut ramasser quelques herbes et
faire paître quelques bêtes, quand les vignes n’ont pas (ou
plus) de raisins. On trouve ces vignes plutôt sur les terroirs en pente, cultivés en terrasse.
Les friches, terres hermes, temoners et garrigues sont,
on l’a vu, des espaces incultes mais susceptibles d’être mis
en culture selon les besoins. Le toponyme « Les Rotas »
en 1526 peut indiquer un terroir défriché récemment.
. « Terres hermes : on appelle ainsi certaines terres vacantes et incultes, que
personne ne réclame. Ces biens appartiennent au seigneur haut justicier, par
droit de déshérence », Encyclopédie ou Dictionnaire universel raisonné des
connaissances humaines, Fortunato Bartolomeo De Felice, Denis Diderot, Jean
Le Rond d’Alembert, 1773, t. 23, p. 163. Le sens ici n’est pas tout à fait le même,
car ces terres ne sont à l’évidence pas sans propriétaires, mais elles sont vacantes,
c’est-à-dire que leurs propriétaires les laissent incultes, en friche, et elles peuvent
leur servir de pâturages ou d’espaces d’extension des cultures. La coutume du
nord de Loire distingue ainsi les « vacants » des « terres hermes », par exemple
les coutumes du Bourbonnais citées par Edmé de la Poix de Fréminville, Traité de
jusriprudence sur l’origine et le gouvernement des communes..., 1763, p. 73-76.
Le même ouvrage mentionne que « hermes » est un terme très fréquent dans la
Marca Hispanica. En effet, dans les chartes des souverains carolingiens les terres
accordées aux monastères sont souvent qualifiées d’ « hermes », au sens fort de
« terres en friche sans possesseurs » donc tombées sous l’autorité de la puissance
publique, ce qui justifie le droit des souverains de les avoir intégrées à leur
fisc. Dans ces chartes les terres « hermes » sont aussi le « désert » où s’installent
les moines, à l’imitation des « ermites » des premiers temps, au XVIIIe siècle on
rapprochait étymologiquement les deux termes.
. Rotas : de ruptas, dérivé de rumpere, rompre, avec le sens « ouvrir le sol
par la charrue ».
La montagne du XVe au XIXe siècle
2 - Vue aérienne du secteur du Bourboné, sur la commune de Rodès, où sont mentionnées de nombreuses vignes aux XVIe et XVIIe siècles (cl. O. Passarrius).
Les documents ne disent rien des cultures pratiquées
sur les parcelles de Ropidera, qu’elles soient appelées
« champ » ou « pièce de terre », encore que dans ce cas le
terme puisse s’appliquer à une terre inculte. Les toponymes indiquent que certaines parcelles sont encloses (Als
Clots, Les Clotes), certains laissent supposer la présence
de prés (La Prada, Als Prats) et de zones humides sur
le plateau (Les Salanques, Stanyol). À la fin de l’époque
moderne, juste avant la réalisation du cadastre napoléonien, un contrat d’affermage de 1801 évoque de manière
détaillée les cultures faites sur le finage de Ropidera. Les
cultures de céréales, blé-seigle (seigle), millet gros, sont
accompagnées de cultures fourragères : du foin est récolté sur les prés et mouillères. Des mouillères se trouvent
dans la vigne dite dels Cortals et à la Fontaine d’en Saura.
Au lieu-dit Les Concoines on ensemence en blé, en hari. 3E37/1, fol. 210, six ventose an neuf de la R. F.
cots, et en trèfle pour le fourrage sur une partie. La paille
du millet gros est aussi récoltée comme fourrage. Ce bail
est passé moyennant le versement de deux charges de
seigle et six quintaux de paille chaque année pendant les
quatre années du bail, portés chez la bailleuse.
Parmi les lieux-dits de Ropidera on remarque le champ
de la Teularia (1643), sans doute à l’emplacement du four
à tuiles découvert au nord-ouest du village de Ropidera.
Le moulin de Ropidera, cité en 1526 est situé sur le bord
de la Têt, en amont du pont (Sobre del Pont, 1637), sans
doute le pont détruit dont les vestiges ont été reconnus
dans le lit du fleuve, quelques centaines de mètres en
amont du pont actuel de Rodès. Le bâtiment du moulin
pourrait être celui conservé auprès du chemin actuel.
. Se reporter pour plus de renseignements à l’étude sur les fours à chaux et les
fours à tuiles par Céline Jandot, chap. XI, annexes 1 et 2.
. Se reporter à l’étude sur les chemins et routes par Jean-Pierre Comps, chap. VII.
247
248
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IX
3 - Le massif, au dessus du village de Casesnoves (cl. A. Catafau).
Le territoire de Casesnoves à l’époque
moderne
Notre source principale du point de vue historique est
le capbreu de 1604 de Casesnoves. Ce capbreu ne prend en
compte que les possessions anciennement aux mains de
Guillem Fuster, bourgeois de Perpignan, ce qui explique
que les parcelles ne soient pas, pour la plupart d’entre elles, situées dans les mêmes lieux que les possessions de
Ramon, seigneur d’Ille. Le capbreu de 1355 était centré
autour du village, même s’il comprenait des terres situées
dans la montagne. Le capbreu de 1604 concerne des ter. Bien que Guillem Fuster ait acquis les droits seigneuriaux de Ponç de
Caramany, co-seigneur de Casesnoves avec Ramon d’Ille, par un acte de 1265
(P. Ponsich, Catalunya Romanica, XIV, p. 241), il faut croire que ses possessions foncières avaient été acquises dans un temps où l’essentiel des bonnes
terres, celles du Riberal, étaient déjà aux mains des familles nobles du lieu.
res plutôt excentrées, la plupart du temps situées dans le
massif.
La principale nouveauté de ce capbreu est que sur
cent vingt déclarants environ, aucun n’est habitant de
Casesnoves, ainsi qu’aucun des témoins, car le village est
totalement déserté. Tous les déclarants sont habitants
d’Ille, de Rodès et de Bula (Bouleternère). En outre,
dans la majorité des cas, chacun des déclarants ne tient
pour l’institution religieuse qu’une seule parcelle, parfois
plusieurs, mais jamais une exploitation entière, mas ou
borde.
Le parallèle sur les toponymes cités dans les deux capbreus de Casesnoves à deux siècles et demi d’écart (13551604/1614), fait apparaître une assez faible convergence
des noms des lieux, sans doute due à la différence d’implantation des deux seigneuries, et à la déperdition ou
La montagne du XVe au XIXe siècle
transformation des toponymes anciens (comme le montre le cas du lieu-dit Al Areny10 et olim Als Alaus11). Une
des explications réside sans doute dans l’abandon du
village, après lequel une grande partie des toponymes de
proximité, ou d’une plus grande précision, ont sans doute
disparu. Dans les deux capbreus de Casesnoves seuls sont
communs les toponymes majeurs : in recho de Insula ; in
flumine Thetis ; Los Alaus ; La Pujada ; La Garriga ; Puig
Pedros ; A Puig Borbonner-Barboner-Rippa Borbonerii ;
Ardena-Dardena (en relation avec la famille noble d’Ille,
les d’Ardena) ; La Vernusa-Al Vern ou La Verneda (les
aulnes, arbres poussant en zone humide).
Quelques dénominations de terres sont en rapport
avec leur couverture végétale sauvage, par exemple le temonar, timonar, themonar : terrain où pousse le thym ; le
bugallar est à rapprocher de brugallar : de brugal, collectif
de bruch, bruyère. Plusieurs parcelles sont ainsi appelées
« bugallar », des lieux où pousse la bruyère : Bugallar de
Mossen Fort (un correch en descend, vers La Coma de
Casesnoves), bugallario de maître Pere Solanes, fabricant
d’arbalètes ou arbalétrier (ballesterius).
On trouve dans ce capbreu des mentions de vignes
complantées d’oliviers, d’un mallol ( jeune vigne) avec oliviers à Vallagre, à La Coma, au Cami de la Hermita, un
champ complanté d’oliviers aux Arenys. Une terre en vigne et bois touche aux hermes de la combe de Vallagre, à la
coma de Casesnoves. Six hectares de bois sont déclarés au
lieu-dit La Vernosa, touchant à un autre bois. Les mention de « terres hermes », de bois ou de garrigues sont
nombreuses en confronts (parfois dites « hermes des dits
seigneurs » – ecclésiastiques –). Une olivette, à La Coma
Gran de Casesnoves, est appelée l’olivette de l’œuvre de
l’église de Casesnoves. Au dessus de l’église de Casesnoves
(Dejus la casa de dios) un maillol est planté sur une parcelle qui est en partie un bois.
possédée auparavant par le prêtre Miquel Carbonell (de
Vinça ?). Le mari de l’acheteuse se rend devant la cour
du juge de la viguerie de Vinça et de la curie du batlle du
lieu et territoire de Ropidera pour recevoir la pleine possession de la dite terre. L’acte de vente de 1627 situe ce
quoddam frustulum terre partim plantatum de vinea partim
vero temoner, sur le territoire de Ropidera, au lieu-dit La
Cugulera, et contenant un demi-journal de terre, et sur
laquelle est plantée une vigne d’environ quatre journées
de travail (fovendi) d’homme, le reste étant en friche (temoner). Cette terre touche à une autre terre de l’acheteuse
et au reste de la terre du vendeur séparée par des signes
fixés (et partim cum residua tenencia mea pro ut dividunt signa affixa : des pierres sans doute), la parcelle est vendue
pour douze livres de Perpignan. La mise en possession
est effectuée par le bayle du seigneur de Joch, Francesc
Pontich, qui conduit Blaise Fonollet à cette parcelle, lui
fait parcourir cette terre, lui fait prendre de la terre dans
ses mains, la jeter en l’air, et cueillir de l’herbe, en signe de
prise de possession verbale et corporelle12.
à Ropidera en 1632 un document rapporte l’intéressante cérémonie de prise de possession d’une terre,
en partie cultivée en vigne et en partie inculte (herema
dite aussi temoner, lande à thym) achetée par Margaretta
Fonolleta, épouse de Blaise Fonollet pareur de draps de
Vinça, vendue par Francesc Bossinyach (un nom d’habitant de Ropidera dès le XIVe siècle) brassier de Vinça et
Cabanes et aménagements de pierre sèche dans la montagne de Ropidera et de Casesnoves
La disparition des anciens villages implantés dans le
massif modifie profondément le rapport à la montagne.
L’habitat permanent, sous la forme qu’on lui connaissait
notamment à Ropidera, n’existe plus et surtout il n’est pas
remplacé. En plaine roussillonnaise, la disparition à la fin
du Moyen Âge de nombreux villages bouleverse la trame
ancienne du peuplement : l’accroissement de la surface des
terroirs des villages qui se sont maintenus et l’éloignement
des terres qui en résulte sont les principales causes de la
réapparition de l’habitat rural dispersé, domanial cette
fois et détenu par des bourgeois ou de grands propriétaires. Mais ici, rien de tel, le mas est absent et les bergeries
ou cortals13 qui jalonnent encore aujourd’hui le territoire
n’ont jamais accueilli d’habitat permanent.
L’accroissement du finage des villages et l’éloignement
des terres cultivées provoquent cependant l’installation de
nombreuses cabanes, autant d’abris temporaires dans les
champs pour des paysans qui montent travailler depuis les
villages de la plaine. Près de 500 constructions de ce type
ont été inventoriées sur l’ensemble du massif incendié.
10. Le toponyme indique la nature du sol sablonneux du terroir, au plus près
de la Têt.
11. Toponyme « historique » qui évoque les alleux... un terroir d’anciennes
possessions alleutières ?
12. ADPO, 3E19/1286.
13. Le terme de cortal est ici utilisé dans sa définition courante, celle dérivée
de basse-cour, celui d’un enclos destiné au bétail pouvant faire office d’habitat
temporaire et servant de relais pour l’exploitation des pâturages.
249
250
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IX
4 - Cabane à encorbellement, commune de Rodès (cl. A. Catafau).
5 - Cabane à encorbellement, adossée à un chaos granitique, sur la commune de
Rodès (cl. A. Catafau).
Construites en pierres sèches ou utilisant un liant de terre, elles offrent généralement une faible superficie utile,
pas plus de 4 à 5 m2 au sol. Les blocs de granit cassés au
marteau et sommairement équarris, sont assemblés en litages réguliers. La couverture est dans la plupart des cas
à encorbellement, la tuile n’apparaissant que très tardivement (XXe siècle) et dans les zones les plus proches du
village. L’accès est généralement très étroit et le linteau est
constitué d’une grande dalle de granit. Les aménagements
internes de ces cabanes sont sommaires : une banquette
parfois, une niche et un aménagement pour faire du feu
sont les seuls éléments de confort observés. Dans de rares
cas, un passage mène à un diverticule, une annexe qui sert
au couchage.
Les prospections réalisées autour de ces cabanes à encorbellement ont permis de collecter du mobilier remontant
parfois au XVe-XVIe siècles et témoignant de l’existence
d’abris temporaires entretenus ou reconstruits. La plupart
des cabanes à encorbellement qui jalonnent aujourd’hui
le terroir ont pu être datées du XIXe siècle mais rien n’interdit de penser que certaines, encore en élévation, aient
une origine plus ancienne. Dans le capbreu de 1604-1614
de Casesnoves, deux déclarations mentionnent la présence
de deux domuncula (ou caseta en catalan) construites sur
des parcelles cultivées en vigne, dont l’une se trouve sur
le lieu-dit du Bourboné où justement des céramiques des
XVIe-XVIIe siècles ont été collectées autour de cabanes à
encorbellement. La cabane est certainement un abri temporaire mais la sophistication de certaines, avec la présence
d’une annexe pour le couchage, suggère que l’on pouvait,
lors des gros œuvres aux champs, y passer plusieurs jours,
à la belle saison, à l’image du cortal 14.
Quelques rares mais précieuses mentions de cabanes
dans les textes d’époque moderne viennent confirmer ces
datations archéologiques. Parmi les éléments originaux du
capbreu de Casesnoves on doit ainsi souligner la présence
dans deux déclarations d’une petite construction mentionnée sur une parcelle. Ces deux déclarations sont parmi les
plus longues du capbreu. Ceci est particulièrement visible
dans le premier cas, celui d’un forgeron d’Ille, qui déclare à
lui seul neuf parcelles (c’est le plus important déclarant, et
de loin, en nombre de terres). Cette domuncula (le texte dit
aussi caseta) a été construite par le déclarant, qui a acquis
6 - Cabane à encorbellement avec une banquette aménagée à l’extérieur. Sur une
dalle, découverte à l’intérieur, est gravée la date de 1869 (cl. A. Catafau).
14. Se reporter à l’étude sur les mises en culture d’époque contemporaine,
chap. XIII.
La montagne du XVe au XIXe siècle
cette parcelle par contrat d’emphytéose en 1585, parcelle où
est plantée une jeune vigne. La caseta a donc été construite
entre 1585 et 1610 (date de la déclaration), en un lieu
assez éloigné d’Ille, le Pug Borbonner où les prospections
ont identifié plusieurs constructions de type « cabane » ou
« cortal »15. La construction de la cabane est peut-être liée à
la plantation de la jeune vigne sur une très grande parcelle :
8 ayminates, soit 8 x 60 ares, 480 ares ou 4,80 ha.
La seconde de ces petites constructions est elle aussi
possédée par un déclarant, un pagès (agricola, paysan propriétaire aisé, à distinguer du brasserius, paysan pauvre)
qui tient plusieurs parcelles (trois) pour l’institution religieuse, ce qui est déjà remarquable16. Mais on ne sait pas
si elle est de construction récente ou ancienne, de même
cette « petite maison » est située au lieu-dit Al Areny et
olim Als Alaus, c’est-à-dire près de la Têt et du ruisseau
de Thuir, et plus précisément non loin sans doute du couvent des Franciscains, dit l’Ermita, ou l’Ermitage, dont
le jardin est voisin d’une des terres du même déclarant,
au même lieu-dit. Peut-être s’agit-il aussi d’un « casot »,
d’une cabane d’exploitation agricole, mais ce secteur est
hors incendie, donc hors prospections. La mention est
cependant intéressante, puisqu’elle est aussi en relation
avec la possession de plusieurs terres en ce même lieudit par un pagès de Bouleternère, donc plus éloigné de ce
terroir que s’il avait habité Ille.
Sur le territoire de Ropidera, on note que, dans l’une
des vignes, au lieu-dit Bourboné, est bâtie une cabane,
appartenant à un homme de Rodès, Miquel Marsenach,
détenu à la prison du château de Joch, dont les biens sont
vendus pour payer ses dettes, en 164317.
15. ADPO, H 302, 6 mars 1610, fol. 63 ro : Ego Stephanus Godina faber ferrarius villae Insulae... teneo... quandam aliam petiam terre maleolo plantatam in
dictis terminis (de Casesnoves) sita loco dicto A Puig Borbonner cum quadam
domuncula sive caseta ibi per me edificata continentem in se octo ayminatas
terre vel circa (en marge : 1693 : Christofol Mestres) confrontatam cum ten
honorabilis Francisci Gitart alias Bugia pharmacopulae et cum itinere regio
sive la Tira del Rey et cum tenentia dominae Arnauda vidua uxoris relicta Petri
Lacoma quondam brasserii et cum tenentia (fol. 65 ro) Jacobi Lugany et cum
ten haeredum Dominici Losas quondam brasserii et cum ten Bernardi Ruffach
sutoris omnium dicte villae Insulae et cum ten honorabilis Joannis Geli notarii
infrascripti quae quidem petia terre ad me pertinet... titulo stabilimenti mihi
facti... 20 mars 1585 et altero 29 oct 1589...
16. ADPO, H 302, 21 nov 1610 , fol. 78-79, Ego Michael Pontich agricola
ville de Bula Terranera... teneo... quandam aliam petiam terre campum in dcis
term sit l d Al Areny et olim Als Alaus cum quadam domuncula in eadem petia
terre constructa et aedificata cont in se novem jornalia terrae... confr scilicet ab
oriente cum ten honor Francisci Rossello et Jorda mercatoris villae Perpiniani, a
meridie cum recho de Thoirio, ab occidente cum ten dci Francisci Rossello et
Jorda, ab aquilone cum ten honor Joannis Pauques agricolae villae jd de Bula
quae... ad me pertinet... titulo venditionis... facte per discretum Petrum Lluch
not Barchinonae inst recepto per discr Hieronimum Gabador not publ...
17. ADPO, 1643, 3E19/387.
7 - Mur construit de pierres sèches, d’environ 1,60 m de hauteur, que l’on suit dans
le paysage sur plusieurs centaines de mètres et qui sépare une zone de pâturage
(à droite) et des parcelles mises en culture (à gauche) (cl. P. Roca).
Dans le capbreu de Casesnoves, une autre précision est
à rapprocher de ce qu’ont révélé les prospections, c’est
la mention de parcelles séparées par des murs : au Puig
Sinell, un mallol de 2,40 ha touche à l’est à la tenure de
La Pinyereda de Casesnoves pariete in medio (un mur les
séparant), et au sud avec la tenure de Stephani Godina
pariete in medio (un mur les séparant). Peut-être ces murs
sont-ils là pour protéger cette « jeune vigne », si les parcelles autour sont des terres pouvant être pâturées par
des moutons ou des chèvres, comme par exemple La
Pinyareda de Casesnoves.
251
252
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IX
8 - Pierre fichée verticalement dans le sol, peut-être l’une de ces boudules que l’on
croise parfois dans la documentation et qui délimitaient les parcelles (cl. A. Catafau).
En 1801 une offre de prise en fermage d’un ensemble
de possessions à Vinça, Marcevol et Tarerach comprend
une pièce de terre cultivée en vigne située au terroir de
Tarrerach à la partie dite Lo Mas d’en Baille d’une contenance de trente cinq ares et demie de terre, ainsi qu’un
petit espace en vigne « situé audit terroir de Tarrerach
lieu appelé Lo Mas den Baille d’une contenance d’environ
quinze rangées de vigne ou environ douze ares trois quarts
de terre plus ou moins », le contrat mentionne que le preneur « à la vigne dite Lo Mas den Baille emploiera pour six
journées d’hommes pour relever les murailles »18.
En 1802 une habitante de Vinça baille à ferme à des
cultivateurs de Rodès « toute icelle pièce de terre cultivée
en vigne qu’elle tient et possède au terroir de Rodès lieu
appelé Lo Mas den Baille confrontant... du couchant avec
la rivière de Tarrerach », sous condition « que les preneurs
seront obligés de travailler la dite vigne suivant l’usage et
la coutume d’un bon vigneron et d’y donner les labours
suivants ; la tailler et bêcher et la partie dite Lo Mallol rebêcher, et sera libre aux preneurs de mettre en valeur ou
de planter une faixe qui se trouve à l’extrémité de la dite vigne qui est attenante avec la dite rivière de Tarrarach ; il a
été encore convenu que les preneurs seront tenus de relever toutes les murailles de la partie dite Lo Mallol afin qu’à
la dernière année les dites murailles se trouvent en bon
état à moins qu’il ne se trouve quelque grosse pierre qui
ne pourra pas se replacer sans la couper, et pour la vigne
18. ADPO, 3E37/1, fol. 214-215, offre de prise en fermage d’un ensemble possessions à Vinça. Cité par Philippe Blanchemanche, Bâtisseurs de paysages,
Éditions Maison des Sciences de l’Homme, Paris, 1990, 329 p. (p. 146-147).
vieille les preneurs seront tenus de relever les murailles et
d’y faire pour quatre journées d’hommes de travail pour
le moins chaque année ». Le bail prévoit que les preneurs
garderont les fruits pendant quatre ans, puis pour les six
ans suivants la bailleuse aura le tiers des fruits19.
Au moment des divisions d’héritage on plaçait des repères (boudules) sur les parcelles20. En 1801 à l’occasion
du contrat de mariage de leur fille Françoise avec François
Rouill (Rull) les parents Romeu divisent les terres données à leurs deux enfants, leur fille prendra « pour la moitié
a luy appartenante sur les biens donnés... 1o Une maison
située à Vinça à la partie dite Lo Barri del Prat... ; 2o la moitié d’icelle pièce de terre vigne a ce non compris une partie
d’herm qui a été déjà réduit en vigne par ledit Romeu fils
où il a déjà mis des boudules pour les séparer située au terroir de Vinça à la partie dite Ballorera confronte d’orient
avec Pierre Llech, du midi avec Christophe Purxet, avec
le dit Romeu et avec ledit Rouill, du couchant avec Pierre
Romeu qui la tient acquise de la Nation et du septentrion
avec la restant propriété et Elizabeth Gabage à laquelle
propriété ils ont aussi mis des boudules pour les diviser ;
3o la moitié d’icelle pièce de terre vigne et herm située à la
partie dite Lo Pas del Lloup confronte, suivant les boudules
déjà placées par les parties, d’orient avec Jacques Noguès
et Joseph Cornet, du midi avec ledit Noguès, du couchant
avec Joseph Garriga et Jean Macari et du septentrion avec
le dit Macari et la partie restante au dit Romeu ; 4o la moitié d’icelle pièce de terre à la partie dite Lo Mas d’en Baille
confronte aussi suivant les boudules déjà placées par les
parties d’orient avec la partie restante au dit Romeu, du
midi avec Rose Cotanseu, du couchant avec Julien Bago
chemin entre deux et du septentrion avec Gaudérique
Goze ; 5o et enfin la moitié d’icelle pièce de terre vigne à
la partie dite Ropidera confronte aussi, suivant les boudules
déjà placées par les parties, d’orient avec la restant partie
du dit Romeu, du midi avec Marcel Romeu, du couchant
avec Joseph Garriga et du septantrion avec le même dit
Romeu ». L’origine du mot boudules et l’aspect de ces marques de séparation sont inconnus. On peut imaginer qu’il
s’agit de pierres plantées. Ce mot est rapprocher du terme
de « boudulaires », « planteurs de bornes », que l’on trouve
en Languedoc dès le XVIe siècle21.
19. ADPO, 3E37/1, fol. 257, bail d’afferme pour dix ans, 24 floréal, an IX.
20. 3E37/1, fol. 291. Boudules : autres mentions au même registre, fol. 269vo,
acte du 5 prairial an neuf de la R. F. : moitié d’un champ « à Estoher lieu
appelé la carrera confronte suivant les boudules que les parties feront plasser
précissement ».
21. Paul Cayla, Dictionnaire des institutions, des coutumes et de la langue en
La montagne du XVe au XIXe siècle
9 - Parcelle soigneusement aménagée de murs de terrasses. Les eaux pluviales sont récupérées par des canaux qui dévalent la pente (cl. A. Catafau).
Parmi les aménagements de la montagne, les plus fréquents, sur les terroirs en forte déclivité, sont, après les
murettes, les ruisseaux d’écoulement des eaux pluviales
aménagés.
Le 2 mai 1631, G. Mestre et B. Tixeire brassiers de
Rodès, surveillants de la horta des lieux et termes de
Rodès et Ropidera, sont réunis à propos d’une question
survenue entre Francesc Riquer et Paul Guilla au sujet
d’une reguera ou rasa que Riquer possède dans une parcelle de vigne sise dans le territoire de Ropidera au lieu-dit
La Baur, autrement appelé « au-delà de Sant Pere (della
Sant Pere) ». Paul Guilla empêche cette reguera ou rasa de
s’écouler. Et aussi au sujet d’un chemin et passage que le
dit Riquer possède au début (al capdemunt) de la vigne
que Guilla cultive à côté de la propriété du dit Riquer et
usage dans quelques pays de Languedoc, de 1535 à 1648, Montpellier, 1964,
727 p. Voir p. 95 : « boudulaires : D’une façon générale, il s’agit de planteurs
de bornes limitant des parcelles de terre ou des territoires de localités, mais
ce nom était aussi donné à certains délégués des consuls chargés de la surveillance des bornages de biens fonciers. Ils figurent parmi les bas-officiers des
consuls ». La définition renvoie à un acte de la ville de Bize (Hautes-Pyrénées)
daté de 1594. Les mots « boudulaire » ou « boudule » ne sont ni catalans, ni
français (on ne les trouve dans aucun dictionnaire français), on peut penser
qu’ils ont été importés par des juristes du Languedoc.
par lequel Riquer emportait la vendange d’une partie de sa
vigne, chemin sur lequel Guilla lui interdit le passage. Les
clavaris ont reconnu sur place la reguera et le chemin. La
dite reguera ou rasa a été faite par Riquer pour recueillir les
eaux pluviales qui courent de haut en bas de sa propriété.
Riquer est condamné à faire et à conserver en bon état
une rasa ou reguera dans sa vigne, de sorte que par sa propriété les eaux dévalent sans entrer en aucune façon dans
la propriété de Paul Guilla... Étant donné que Riquer ne
peut facilement sortir sa vendange d’une partie de sa vigne près du chemin qui va de la ville de Vinça à Ropidera,
en aval de la rivière de la Têt, qui s’appelle « au-dessus du
chemin », si ce n’est par le chemin et passage qui est au
début de la propriété de Guilla, Paul Guilla est condamné
à laisser libre le passage au début de sa propriété afin que
Riquer et les siens puissent sortir la vendange avec ou sans
bête de cette partie de vigne qui est sous le chemin qui va
à Ropidera jusqu’à la rivière de la Têt22.
22. ADPO, 3E19/277 : « Sententia de clavaris de la horta del lloch de Rodes
sobre una rasa y cami tenien questio Francesc Riquer y Jaume Guilla brassers
de la vila de Vinça ».
253
254
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IX
10 - L’entame de la carrière de Rodès, qui recoupe une partie de la devèze mentionnée au début du XIXe siècle (cl. P. Roca).
L’élevage
Les recherches menées sur les anciens chemins de
troupeaux ont permis de reconnaître le tracé de plusieurs drailles qui s’élancent bien souvent de la vallée
de la Têt pour rejoindre les pâturages du plateau de
Montalba23. La datation de ces chemins, la plupart du
temps bordés de hauts murs pour éviter la dépaissance
des bêtes dans les parcelles voisines, est difficile, sauf
peut-être pour celui qui prend naissance non loin des
gorges de la Guillera et qui bénéficie d’un peu de documentation archéologique. En 1832, une vaste devèze
s’étendait à l’emplacement actuel de la carrière de granit
de Rodès (ill. 10). Cette vaste pâture est à cette époque
subdivisée en plusieurs parcelles dont cinq sont la propriété de la commune de Rodès (A1492, 1493, 1494,
1500 et 1501) ce qui représente un total de 11,4 hectares (ill. 11). Il convient d’ajouter à ce chiffre les pâtures
privées qui sont attenantes et qui forment un ensemble
homogène (1485, 1487, 1489, 1499, 1496 et 1497), ce
23. Se reporter à l’étude menée par Jean-Pierre Comps, chap. VII.
qui accroît la surface formant une vaste zone de pâturage enclose d’environ 19 hectares. Cet ensemble est
aujourd’hui en partie occulté par l’incision de la carrière
de granit de Rodès, en service durant la première moitié du XXe siècle. Il subsiste cependant la partie la plus
septentrionale encore limitée à l’est par un puissant mur
qui atteint par endroit 2 m de hauteur pour une largeur
moyenne de 70 cm environ (ill. 12). Sous ce mur que
l’on suit sur plus de 200 m, sur la parcelle 1501, en pente
très forte vers les gorges de la Guillera, se trouvent des
lambeaux de vieilles terrasses, démantelées par l’érosion
et construites de gros blocs arrachés au chaos et sommairement assemblés. Plus au nord, deux autres parcelles devaient appartenir à cet ensemble avant que ne
soient mises en culture les parcelles 1488 et 1489 : des
vignes de catégories 4 et 5/5 en 1832. Les parcelles 1487
et 1489 correspondent à deux vastes pâtures, propriétés
des familles Parès et Rustany de Rodès en 1836. Elles
occupent, à la soulane, le versant sud d’un massif dont le
sommet culmine à 365 m. À cet endroit, là ou la vue est
dégagée, ont été collectés les fragments d’un vase en cé-
LA mONTAGNE DU XVe AU XIXe SIÈCLE
Vigne
Terre
Pâture
1652
1306
1299
1649
1330
1293
Chemin pour le bétail
1331
1293
1650
1289
Limite de la devèze
1332
1333
1292
1288
Vigne/oliviers
1298
1296
1334
1634
1336
1635
1633
1291 1290
1205
1335
1345
1630
1344
1340
1346
1347
1373
12 - Détail d’une portion du mur enserrant la devèze
(cl. A. Catafau).
1341
1348
1349
1374
1631
1339
1338
1342
1343
1350
1372
1351
1615
1613
1614
1508
1507
1509
1511
1510
1582
1580
Irrigation
?
1489
Vase médiéval
(pt 093)
1490
1491
1513
Site médiéval (394)
1589
1586
1576
1512
1575
1574
1573
1514
1502
1584
1585
1578
1506
1487
1583
1581
1579
1515
1516
1536
1501
1517
1485
1500
1492
1499
1498
1493
1497
1522
1495
1496
1494
Rodès, section A5 et A6
0
100m
11 - Extrait du cadastre de 1832 avec report de l’emprise de la devèze et des chemins destinés aux troupeaux.
13 - Vue aérienne du chemin destiné aux troupeaux, au sortir de la devèze (cl. O. Passarrius).
ramique commune à cuisson réductrice,
incontestablement médiéval (antérieur
au XVe siècle). Cette céramique brisée
côtoie les reliefs d’anciennes et de plus
récentes pauses repas, de bergers peutêtre, de chasseurs ensuite ou de randonneurs. Plus bas, en limite orientale de
la devèze, de l’autre côté du mur, mais
sur un éperon qui le domine se trouve
le seul site médiéval mis au jour sur ce
secteur. Sur une zone d’environ 100 m2
ont été collectés d’abondants fragments
de céramiques communes sableuses et
de céramiques glaçurées24. Les tuiles rondes sont abondantes et témoignent de la
présence d’un bâtiment aujourd’hui disparu et malmené par les aménagements
culturaux postérieurs (cabanes, murs de
terrasses...). La datation du mobilier collecté permet de proposer une fourchette
couvrant l’ensemble du bas moyen Âge
(XIVe-XVe siècles). Sa position, en limite de la grande devèze et au départ d’une
des plus importantes drailles (ill. 13) du
secteur nous conforte dans l’idée que sa
présence est étroitement liée à l’élevage
et au parcours des troupeaux. Cet indice
pourrait, même s’il convient de le manier
avec prudence, fournir un précieux élément de datation concernant la pâture
et le chemin dont l’ancienneté et probablement l’origine médiévale étaient déjà
supposées.
. Il s’agit du point 394.
255
256
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IX
14 - Le plateau de Montalba et de Ropidera avec les zones humides exploitées comme pâturages pour les troupeaux venus de la vallée. C’est autour de ces dépressions qu’ont
été localisés les vestiges d’enclos, probablement les cortals que l’on trouve mentionnés dans les textes (cl. O. Passarrius).
Cette draille remonte ensuite vers le plateau où ont été
inventoriées et relevées plusieurs constructions qui correspondent à des enclos antérieurs aux grandes bergeries
ou cortals reportés sur la matrice cadastrale de 1832.
En 1764, Étienne Noguera, brassier de Vinça se plaint
devant le viguier du Conflent « qu’entre neuf et dix heures
du matin une partie du troupeau de Joseph Roger pagès
habitant au lieu de Rodès composé d’environ cent bêtes à
laine fut vu dépaître sous la garde d’un des bergers dudit
Roger dont il ignore le nom, environ une heure, dedans et
à travers une vigne propre du dit Noguera située au terroir du lieu de Rodès à la partie dite Ropidera, confrontant d’orient avec le sieur Bonaventure Parès, de midi avec
le sieur Joseph Cornet habitants au dit lieu de Rodès,
du couchant avec les héritiers de Thomas Marimont de
Vinça et de septentrion avec Joseph Colonge dudit lieu
de Rodès, ajoutant le dit Étienne Noguera que la dite
vigne est fort ancienne et nullement... en contravention
de l’arrêt du conseil d’État du roi du 5 juin 1731 »25.
L’ordonnance consécutive à cette plainte indique qu’un
troupeau de « bêtes à laine » mené par Joseph Tourn, dit
Paraut, berger du sieur Roger, a détruit environ le tiers
de la vigne dudit Noguera. Les témoins déposent que le
troupeau d’une centaine de bêtes a été introduit le 15 décembre sur la vigne de Noguera, où il a brouté pendant
une heure dans les parties de vigne replantées comme
dans celles qui sont vieilles et plantées avant 1731 (arrêt
du conseil du 5 juin 1731). Le tiers de la vigne avait été
replantée depuis huit à neuf ans, il ne s’agissait que d’un
rétablissement ou renouvellement de la vigne ancienne
25. ADPO, 1C1074, expédié le 13 décembre 1765.
La montagne du XVe au XIXe siècle
au moyen des courgats vulgairement dits
caffiques. Cette plantation est donc moins
une innovation sans permission qu’un rétablissement de vigne, pour laquelle il n’y a
pas besoin de permission, puisqu’elle a été
replantée des mêmes souches au moyen
des coulgats26 dits caffiques, « comme on le
pratique souvent et que cela est nécessaire
pour le maintien et la conservation des vignes, chose qui n’est pas défendue et pour
laquelle il n’est besoin d’aucune permission ». Ainsi ladite vigne peut être considérée comme ayant été plantée avant 1731,
puisque le dit arrêt de 1731 ne concerne
que les vignes nouvelles qui sont plantées
« en un terrain où il n’y aurait eu aucune
vigne ». Un témoin des faits travaillait à
une de ses vignes assez proche de celle dudit Noguera, avec seulement un champ du
sieur Cornet et la rivière entre deux.
Plusieurs constructions, non répertoriées sur le cadastre et correspondant à des
enclos antérieurs aux grandes bergeries ou
cortals reportés sur la matrice cadastrale
de 1832, ont été inventoriées et relevées
sur la zone du plateau.
La première de ces constructions se trouve sur le versant sud du Serrat Blanc sur la
commune de Rodès (point N). Ce bâti est
installé en bordure d’une vaste dépression,
en partie humide durant la saison hivernale
et ayant pu faire office de pâturage (ill. 15
et 16). Cette construction présente un plan
quadrangulaire, d’environ 10,50 m de côté.
Les murs, encore conservés par endroits sur
1 m de hauteur, sont constitués de blocs de
granit et de schiste sommairement équarris
voire laissés bruts et assemblés sans aucun
liant. Larges d’environ 60 à 70 cm, ces
murs délimitent un espace d’environ 80 m2
au centre duquel le socle rocheux affleure.
Le mobilier est totalement absent, mais l’on
26. Les coulgats sont une reproduction par marcottage,
cf. colgar : marcotter, reproduction par marcottage dans
Alcover 1977. Ils sont appelés aussi mourgons dans le
même texte cf. murgo, murgonar : faire des marcottages
dans Alcover 1977. Les caffiques sont peut-être un cépage.
N
Terrasses
Tuiles rondes
Terrasses
0
4,00
8,00 m
15 - Relevé en plan de l’enclos N (commune de Rodès).
16 - L’enclos N, en bordure d’une dépression utilisée comme lieu de pâturage pour les troupeaux
(cl. O. Passarrius).
note, au sud de la construction, la présence d’abondants fragments de
tuiles rondes répartis sur une centaine de mètres carrés et qui ne semblent pas directement liés à la construction. Soit leur présence est exogène, soit elle signale un autre bâtiment, un simple appentis peut-être
totalement détruit.
257
Archéologie d’une montagne brûlée Chapitre IX
N
Pierrier
Mur parementé
Tuiles
N
258
Probable enclos ?
Mur de limite faisant office
aussi de murs de terrasse
Enclos
Enclos couvert ?
0
4,00
8,00 m
17 - Relevé en plan de l’enclos Q (commune de Rodès).
La seconde construction (point Q) présente une implantation géographique assez similaire. Située sur la
commune de Rodès, en zone de plateau, elle se trouve
en bordure d’une vaste surface plane qui aurait pu faire
office de pâture. L’ensemble occupe une superficie d’environ 420 m2 et est clairement subdivisé en deux espaces (ill. 17). Le premier forme un vaste enclos d’environ
200 m2 de surface utile, limité par des murs de pierres
sèches que leur effondrement total fait ressembler à de
vastes pierriers. Seuls les parements du mur nord sont
visibles. Construit en blocs de granit assemblés à sec,
ce mur mesure environ 90 cm de largeur. On distingue la présence d’une structure, peut-être un mur de
refend que l’on ne suit malheureusement que sur 4 à
5 m. À l’ouest se trouve un second espace ou une autre
construction mettant à profit les volumineux blocs de
granit effondrés du chaos tout proche. Cet espace, d’environ 25 à 30 m2 de superficie utile, possède un accès
qui donne vers le sud. Sa fonction n’a pu malheureusement être déterminée. Les accès au grand ensemble se
font par l’est et par l’ouest. Les prospections de surface
n’ont pas permis de collecter de céramiques ce qui ne
facilite pas la datation de cette structure. Par contre, on
note la présence de nombreux fragments de tuiles rondes, répartis sur l’ensemble de la surface mais qui sont
plus nombreux autour de l’espace ouest que l’on aurait
pu alors imaginer couvert.
0
4,00
8,00 m
18 - Relevé en plan de l’enclos 1017 (commune de Rodès).
19 - Détail des ruines de l’enclos 1017 (cl. A. Catafau).
L’ensemble 1017, toujours sur la commune de Rodès,
présente des similitudes assez significatives avec la
construction précédente (ill. 18 et 19). Son implantation est en tous points similaire. Le site 1017 se trouve
en bordure d’une dépression assez vaste, aujourd’hui un
pré encore utilisé pour l’élevage. L’enclos reconnu lors
des prospecti