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Colloque Libre Arbitre 6 Auteurs v5

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Colloque des philosophes : le libre arbitre est-il une illusion ?

 THOMAS D’AQUIN

« L’homme possède le libre arbitre ; ou alors 1 les conseils, les exhortations, les
préceptes, les interdictions, les récompenses et les châtiments seraient vains.
Pour établir la preuve de la liberté, considérons d’abord que certains êtres
agissent sans aucun jugement, comme la pierre qui tombe vers le bas, et tous
les êtres qui n’ont pas la connaissance. D’autres êtres agissent d’après un
certain jugement, mais qui n’est pas libre. Ainsi les animaux, telle la brebis
qui, voyant le loup, juge qu’il faut le fuir ; c’est un jugement naturel, non pas
libre, car elle ne juge pas en rassemblant des données, mais par un instinct
naturel. Et il en va de même pour tous les jugements des animaux. - Mais
l’homme agit d’après un jugement ; car, par sa faculté de connaissance, il juge qu’il faut fuir
quelque chose ou le poursuivre. Cependant ce jugement n’est pas l’effet d’un instinct naturel
s’appliquant à une action particulière, mais d’un rapprochement de données opéré par la
raison ; c’est pourquoi l’homme agit selon un jugement libre, car il a la faculté de se porter à
divers objets. […] il est nécessaire que l’homme ait le libre arbitre, par le fait même qu’il est
doué de raison. » Thomas d’Aquin (Saint), Somme théologique, 1ère partie, question 83, 1273

 DESCARTES

« La liberté de notre volonté se connaît sans preuve, par la seule expérience que nous en
avons. Au reste2 il est si évident que nous avons une volonté libre, qui peut donner son
consentement ou ne le pas donner quand bon lui semble, que cela peut être compté pour une
de nos plus communes notions. » Descartes, Principes de la philosophie, livre I, § 39, 1644

« Il n’y a que la seule volonté, que j’expérimente en moi être si grande, que je ne conçois
point l’idée d’aucune autre plus ample et plus étendue : en sorte que 3 c’est elle
principalement qui me fait connaître que je porte l’image et la ressemblance de Dieu. […] elle
consiste seulement en ce que nous pouvons faire une chose, ou ne la faire pas (c’est-à-dire
affirmer ou nier, poursuivre ou fuir), ou plutôt seulement en ce que, pour affirmer ou nier,
poursuivre ou fuir les choses que l’entendement 4 nous propose, nous agissons en telle sorte
que nous ne sentons point qu’aucune force extérieure nous y contraigne. » Descartes,
Méditations métaphysiques, 4ème méditation, 1641

« …alors même qu’une raison fort évidente nous porte à une chose, quoique moralement
parlant, il soit difficile que nous puissions faire le contraire, néanmoins, absolument parlant,
nous le pouvons ; car il nous est toujours libre de nous empêcher de poursuivre un bien qui
nous est clairement connu, ou d’admettre une vérité évidente, pourvu seulement que nous
pensions que c’est un bien de témoigner par là de notre libre arbitre. » Descartes, Lettre au
Père Mesland, 1645

 LEIBNIZ

« La raison que M. Descartes a alléguée, pour prouver l’indépendance de nos


actions libres par un prétendu sentiment vif interne, n’a point de force. Nous
ne pouvons pas sentir proprement notre indépendance, et nous ne nous
apercevons pas toujours des causes, souvent imperceptibles, dont notre
résolution5 dépend. C’est comme si l’aiguille aimantée prenait plaisir de se
tourner vers le nord ; car elle croirait tourner indépendamment de quelque
autre cause, ne s’apercevant pas des mouvements insensibles de la matière
magnétique. […] Nous suivons toujours, en voulant, le résultat de toutes les

1
Ou alors = sans quoi
2
Au reste = d’ailleurs
3
En sorte que = si bien que
4
Entendement = capacité de compréhension
5
Résolution = décision
1
inclinations qui viennent, tant du côté des raisons que des passions, ce qui se fait souvent
sans un jugement exprès6 de l’entendement. » Leibniz, Essais de théodicée, § 50-51, 1710

« Le parti que nous prenons vient de ces déterminations insensibles, mêlées des actions des
objets et de l’intérieur du corps. […] Si nous ne remarquons pas toujours la raison qui nous
détermine ou plutôt par laquelle nous nous déterminons, c’est que nous sommes aussi peu
capables de nous apercevoir de tout le jeu de notre esprit et de ses pensées, le plus souvent
imperceptibles et confuses, que nous le sommes de démêler toutes les machines que la
nature fait jouer dans les corps. » Leibniz, Nouveaux Essais sur l’Entendement Humain, II, ch.
20-21,1705

 KANT

« L’arbitre7 qui peut être déterminé par la raison pure s’appelle le libre arbitre.
L’arbitre qui n’est déterminable que par le penchant (mobile sensible, stimulus)
serait un arbitre animal. L’arbitre humain au contraire est tel qu’il peut être
sans doute affecté par les mobiles sensibles, mais qu’il ne peut être déterminé
par eux […]. La liberté de l’arbitre est son indépendance, quant à sa
détermination, de tous les mobiles sensibles ; tel est le concept négatif de la
liberté. »

Kant, Métaphysique des mœurs, 1ère partie, Doctrine du droit, 1796

« La volonté est une sorte de causalité des êtres vivants, en tant qu’ils sont raisonnables, et
la liberté serait la propriété qu’aurait cette causalité de pouvoir agir indépendamment de
causes étrangères qui la déterminent ; de même que la nécessité naturelle est la propriété
qu’a la causalité de tous les êtres dépourvus de raison d’être déterminée à agir par l’influence
de causes étrangères. […] Il est impossible de concevoir une raison qui en pleine conscience
recevrait pour ses jugements une direction du dehors ; car alors le sujet attribuerait, non pas
à sa raison, mais à une impulsion, la détermination de sa faculté de juger 8. Il faut que la
raison se considère elle-même comme l’auteur de ses principes, à l’exclusion de toute
influence étrangère ; par suite, comme raison pratique ou comme volonté d’un être
raisonnable, elle doit se regarder elle-même comme libre ; […] ainsi une telle volonté doit
être, au point de vue pratique, attribuée à tous les êtres raisonnables. »

Kant, Fondements de la métaphysique des mœurs, 3ème section, 1785

« Devoir ! … quelle origine est digne de toi… ? […] Ce ne peut être rien de moins que ce qui
élève l’homme au-dessus de lui-même (comme partie du monde sensible), ce qui le lie à un
ordre9 de choses que l’entendement10 seul peut concevoir… Ce n’est pas autre chose que la
personnalité, c’est-à-dire la liberté et l’indépendance à l’égard du mécanisme de la nature
entière11, considérée cependant en même temps comme un pouvoir d’un être qui est soumis
à des lois spéciales, c’est-à-dire aux lois pures pratiques 12 données par sa propre raison, de
sorte que la personne comme appartenant au monde sensible, est soumise à sa propre
personnalité, en tant qu’elle appartient en même temps au monde intelligible. Il n’y a donc
pas à s’étonner que l’homme, appartenant à deux mondes, ne doive considérer son propre
être, relativement à sa seconde et à sa plus haute détermination 13, qu’avec vénération et les
lois auxquelles il est en ce cas soumis, qu’avec le plus grand respect. »

Kant, Critique de la raison pratique, 1ère partie, chap. 3, 1788

6
Exprès = conscient
7
L’arbitre = la volonté
8
Faculté de juger = volonté
9
Ordre = domaine
10
Entendement = capacité de compréhension
11
Exemple : les lois biologique du corps humain.
12
Lois pures pratiques = lois morales, « pratiques » parce qu’elles déterminent la volonté, « pures »
parce qu’elles ne sont pas déterminées par la sensibilité (exemple : le devoir).
13
C’est-à-dire sa détermination intelligible et non pas sensible.
2
 SPINOZA

« …concevons une chose très simple : une pierre par exemple reçoit d’une cause extérieure
qui la pousse, une certaine quantité de mouvement et, l’impulsion de la cause extérieure
venant à cesser, elle continuera à se mouvoir nécessairement 14.

Cette persistance de la pierre dans le mouvement est une contrainte, non parce qu’elle est
nécessaire, mais parce qu’elle doit être définie par l’impulsion d’une cause extérieure. Et ce
qui est vrai de la pierre il faut l’entendre de toute chose singulière, quelle que soit la
complexité qu’il vous plaise de lui attribuer, si nombreuses que puissent être ses aptitudes,
parce que toute chose singulière 15 est nécessairement déterminée par une cause extérieure à
exister et à agir d’une certaine manière déterminée.

Concevez maintenant, si vous voulez bien, que la pierre, tandis qu’elle continue de se
mouvoir, pense et sache qu’elle fait effort, autant qu’elle peut, pour se mouvoir. Cette pierre
assurément, puisqu’elle a conscience de son effort seulement et qu’elle n’est en aucune façon
indifférente, croira qu’elle est très libre et qu’elle ne persévère dans son mouvement que
parce qu’elle le désire. Telle est cette liberté humaine que tous se vantent de posséder et qui
consiste en cela seul que les hommes sont conscients de leurs désirs et ignorants des causes
qui les déterminent. C’est ainsi qu’un enfant croit désirer librement le lait, un jeune garçon
irrité vouloir se venger et, s’il est craintif, vouloir fuir. Un ivrogne croit dire par un libre décret
de son esprit ce qu’ensuite, revenu à la sobriété, il aurait voulu taire. De même un délirant,
un bavard, et bien d’autres du même genre, croient agir par un libre décret 16 de l’esprit, et
non se laisser contraindre. Ce préjugé étant naturel, congénital 17 parmi tous les hommes, ils
ne s’en libèrent pas facilement. Bien qu’en effet l’expérience enseigne plus que suffisamment
que, s’il est une chose dont les hommes soient peu capables, c’est de régler leurs désirs et,
bien qu’ils constatent que partagés entre deux passions contraires, souvent ils voient le
meilleur et font le pire, ils croient cependant qu’ils sont libres... »

Spinoza, Lettre 58, à Schuller, 1674

« [Les hommes] sont fermement persuadés que c’est sous le seul commandement de l’esprit
que le corps, tantôt se meut, tantôt est en repos, et fait un très grand nombre de choses qui
dépendent de la seule volonté de l’esprit […]. Les choses humaines iraient à coup sûr bien
plus heureusement s’il était tout autant au pouvoir de l’homme de se taire que de parler. Or
l’expérience enseigne plus que suffisamment qu’il n’est rien que les hommes aient moins en
leur pouvoir que leur langue, et rien qu’ils puissent moins maîtriser que leurs désirs […]. Il y a
autre chose que je voudrais ici noter tout particulièrement, c’est qu’il n’est rien que nous
puissions faire par décret de l’esprit à moins de nous en souvenir. Par exemple, nous ne
pouvons pas dire un mot à moins de nous en souvenir. Ensuite, il n’est pas au libre pouvoir de
l’esprit de se souvenir d’une chose ou bien de l’oublier. […] Il faut donc nécessairement
accorder que ce décret de l’esprit, qu’on croit libre, ne se distingue pas de l’imagination ou de
la mémoire elle-même […]. Et par suite ces décrets de l’esprit naissent dans l’esprit avec la
même nécessité que les idées des choses existantes. Ceux donc qui croient qu’ils parlent, ou
se taisent, ou font quoi que ce soit, par un libre décret de l’esprit, ils rêvent les yeux ouverts.
»

Spinoza, Ethique, III, 2, scolie (1677)

 William JAMES

« Pragmatiquement, le libre arbitre signifie de la nouveauté dans le monde, le droit d'attendre


que, dans ses éléments les plus profonds ainsi que dans les phénomènes de surface, l'avenir
ne répète pas à l'identique, ne reproduise pas le passé. Que les choses globalement se
répètent, personne ne peut le nier. « L’uniformité de la nature » est inscrite dans ses
moindres lois. Mais il se peut que l'uniformité de la nature ne soit qu'approximative. Et les
14
Nécessairement = inévitablement
15
Singulière = particulière
16
Décret = décision
17
Congénital = partagé
3
personnes chez qui la connaissance du passé a suscité du pessimisme … apprécieront le
caractère mélioriste de la doctrine du libre arbitre. Pour elle, la perfectibilité est au moins
possible, tandis que le déterminisme voudrait nous faire croire que la notion même de
possibilité nous vient tout bonnement de notre ignorance, et que seules la nécessité et
l'impossibilité président aux destinées du monde.

Le libre arbitre est donc une théorie cosmologique générale de la promesse, au même titre
que l'Absolu, Dieu, l'Esprit ou le Dessein. Dans l'abstrait, aucun de ces termes ne renferme un
quelconque contenu, aucun ne nous donne la moindre représentation, et ils n'auraient aucune
valeur pragmatique dans un monde manifestement parfait depuis l'origine. … Si le passé et
le présent n'étaient faits que de bonnes choses, pourquoi voudrait-on que l'avenir ne leur
ressemble pas ? Qui voudrait du libre arbitre ? … Dans un monde déjà parfait, « liberté »
voudrait dire liberté d'être pire, et qui serait assez fou pour désirer cela ? … Sans doute la
seule possibilité qu'on puisse raisonnablement désirer est la possibilité que les choses aillent
mieux. … Ainsi, le libre arbitre n'a d'autre raison d'être qu'en tant que doctrine du réconfort.
»

William James, Le pragmatisme, 1907, Leçon III

« Je repousse ainsi de prime abord toute prétention de vous démontrer que la volonté soit
réellement libre. Le plus que j'ose espérer est d'induire quelques-uns d'entre vous à imiter
mon exemple, c'est-à-dire à la déclarer libre, et à agir comme si elle l'était. Si le libre arbitre
est réel, cette attitude devient strictement logique. Il ne saurait s'agir d'introduire de force la
preuve de sa réalité dans nos cerveaux indifférents ; il faut que celle-ci soit épousée librement
par des esprits qui soient également à même de la repousser. En d'autres termes, notre
premier acte de liberté, si nous sommes libres, est par définition l'affirmation de cette liberté.
Et cela exclut, me semble-t-il, de la question du libre arbitre, tout espoir de démonstration
coercitive, démonstration dont, pour ma part, je suis parfaitement aise de me dispenser. »

William James, La volonté de croire

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