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La Docte Ignorance

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Nicolas de Cusa, De la docte ignorance, Paris, d. de la Maisnie, P.U.F., 1930 Livre I.

Le cardinal Nicolas de Cusa au trs Rvrend Pre le cardinal Julien, son matre vnrable.

Ton gnie, de tout premier ordre et si apprci, s'tonne juste titre : que signifie donc ce fait
que je te prends pour arbitre, tandis que je tente d'exposer inconsidrment mes
extravagances maladroites ? Toi qui, va ton rle de Cardinal auprs du Sige Apostolique, te
trouves si occup par des affaires publiques de la plus haute importance, tu aurais encore
quelque loisir ? Et, tandis que tu connais parfaitement tous les crivains latins qui ont brill
jusqu' ce jour, et mme, maintenant, les Grecs, tu pourrais tre attir, par la nouveaut du
titre, vers mes conceptions peut-tre trs gauches ? Pourtant, tu sais parfaitement dj quelle
est la mesure de mon talent. Mais cet tonnement que tu auras, sans penser trouver ici des
ides inconnues jusqu'aujourd'hui, en voyant avec quelle audace j'ai t amen traiter de la
docte ignorance, entranera, je lespre, ton esprit avide savoir, prendre connaissance de
mon livre. En effet, l'histoire naturelle nous rapporte qu'une sensation pnible dans le palais
prcde l'apptit, de telle sorte que la nature qui s'efforce de se conserver saine, reprenne des
forces une fois stimule. Ainsi ai-je raison de penser que le fait de stonner, qui entrane
celui de philosopher, prcde le dsir de savoir, de sorte que lintelligence, dont ltre consiste
rendre intelligible, reprenne des forces dans lardent dsir de la vrit. Les choses rares ont
beau tre monstrueuses, d'ordinaire elles nous meuvent. C'est pourquoi, toi qui es un matre
incomparable, je te prie d'estimer que, eu gard ta bont, quelque chose de digne de toi est
ici cach, et de recevoir d'un Allemand une faon de raisonner sur les choses divines, quelle
qu'elle soit, que mon travail acharn m'a rendue trs chre.
Nicolas de Cusa, De la docte ignorance, Paris, d. de la Maisnie, P.U.F., 1930 Livre I.

Le cardinal Nicolas de Cusa au trs Rvrend Pre le cardinal Julien, son matre vnrable.

Ton gnie, de tout premier ordre et si apprci, s'tonne juste titre : que signifie donc ce fait que je te
prends pour arbitre, tandis que je tente d'exposer inconsidrment mes extravagances maladroites ? Toi
qui, vu ton rle de Cardinal auprs du Sige Apostolique, te trouves si occup par des affaires publiques de la
plus haute importance, tu aurais encore quelque loisir ? Et, tandis que tu connais parfaitement tous les crivains
latins qui ont brill jusqu' ce jour, et mme, maintenant, les Grecs, tu pourrais tre attir, par la nouveaut du
titre, vers mes conceptions peut-tre trs gauches ? Pourtant, tu sais parfaitement dj quelle est la mesure de
mon talent. Mais cet tonnement que tu auras, sans penser trouver ici des ides inconnues jusqu'aujourd'hui, en
voyant avec quelle audace j'ai t amen traiter de la docte ignorance, entranera, je lespre, ton esprit avide de
savoir, prendre connaissance de mon livre. En effet, l'histoire naturelle nous rapporte qu'une sensation pnible
dans le palais prcde l'apptit, de telle sorte que la nature qui s'efforce de se conserver saine, reprenne des
forces une fois stimule. Ainsi ai-je raison de penser que le fait de stonner, qui entrane celui de philosopher,
prcde le dsir de savoir, de sorte que lintelligence, dont ltre consiste rendre intelligible, reprenne des
forces dans lardent dsir de la vrit. Les choses rares ont beau tre monstrueuses, d'ordinaire elles nous
meuvent. C'est pourquoi, toi qui es un matre incomparable, je te prie d'estimer que, eu gard ta bont,
quelque chose de digne de toi est ici cach, et de recevoir d'un Allemand une faon de raisonner sur les choses
divines, quelle qu'elle soit, que mon travail acharn m'a rendue trs chre.

l. COMMENT SAVOIR EST IGNORER

Nous voyons que, par une grce divine, toutes les choses ont en elles un dsir spontan d'exister d'une
meilleure manire, autant que le permet la condition naturelle de chacune ; et que, de plus, agissent cette fin et
ont les instruments qu'il leur faut les tres en qui le jugement est inn : celui-ci correspond au but de la
connaissance, afin que le besoin n'en soit pas vain et que, l o l'entrane la tendance de sa propre nature, il
puisse trouver le repos. Si par hasard il n'en va pas ainsi, cela provient ncessairement d'un accident : par
exemple la maladie fausse le got ou la simple opinion, le raisonnement. C'est pourquoi l'intelligence saine et
libre, qui, sans relche, d'une recherche inne en elle, dsire atteindre la vrit en explorant tout, la connat,
disons-nous, lorsqu'elle la apprhende d'une treinte amoureuse, car nous ne mettons pas en doute la parfaite
vrit de ce qui s'impose l'assentiment de tous les esprits sains. Or, tous ceux qui recherchent jugent de
lincertain, en le comparant un prsuppos certain par un systme de proportions. Toute recherche est donc
comparative, et elle use du moyen de la proportion : si l'objet de la recherche se laisse comparer au prsuppos
par une rduction proportionnelle peu tendue, le jugement d'apprhension est ais ; mais si nous avons besoin
de beaucoup d'intermdiaires, alors naissent la difficult et la peine. Cela est bien connu dans les
mathmatiques : les premires propositions s'y ramnent aisment aux premiers principes trs bien connus,
tandis que les suivantes, parce qu'il leur faut l'intermdiaire des premires, y ont plus de difficult. Donc toute
recherche consiste en une proportion comparative facile ou difficile, et cest pourquoi linfini qui chappe,
comme infini, toute proportion, est inconnu. Or, la proportion qui exprime accord en une chose d'une part et
altrit d'autre part, ne peut se comprendre sans le nombre. C'est pourquoi le nombre enferme tout ce qui est
susceptible de proportions. Donc, il ne cre pas une proportion en quantit seulement, mais en tout ce qui, d'une
faon quelconque, par substance ou par accident, peut concorder et diffrer. Aussi Pythagore jugeait-il avec
vigueur que tout tait constitu et compris par la force des nombres. Or, la prcision des combinaisons dans les
choses matrielles et ladaptation exacte du connu l'inconnu sont tellement au-dessus de la raison humaine que
Socrate estimait quil ne connaissait rien que son ignorance ; en mme temps que le trs sage Salomon affirme
que toutes les choses sont difficiles et que le langage ne peut les expliquer. Et un autre inspir de l'Esprit de Dieu
dit que la sagesse est cache et qu'il n'est homme vivant qui puisse voir le sige de l'intelligence. Si donc il en est
ainsi, comme laffirme le trs profond Aristote dans sa Philosophie premire, pour les choses qui sont les plus
manifestes dans la nature, si nous rencontrons une telle difficult, comme des hiboux qui essaient de voir le
soleil, alors que le dsir que nous avons en nous n'est pas vain, il nous faut connatre notre ignorance. Si nous
atteignons tout fait ce but, nous atteindrons la docte ignorance. En effet lhomme dont le zle est le plus ardent
ne peut arriver une plus haute perfection de sagesse que s'il est trouv trs docte dans l'ignorance mme, qui est
son propre, et l'on sera d'autant plus docte, que l'on saura mieux qu'on est ignorant. Tel est mon but : la docte
ignorance, c'est en parler quelque peu que j'ai consacr mes efforts.


2 - CLAIRCISSEMENT PRLIMINAIRE DES PAGES QUI SUIVENT

Avant de traiter de la plus grande des doctrines : celle de l'ignorance, je tiens pour ncessaire d'tudier
ce que c'est que d'tre le plus grand.
J'appelle maximum une chose telle qu'il ne puisse pas y en avoir de plus grande. Or, la plnitude
convient un seul tre ; c'est pourquoi l'unit concide avec la maximit et elle est aussi entit. Or, si une telle
unit est absolue d'une faon universelle, hors de tout rapport et de toute restriction, il est manifeste, puisqu'elle
est la maximit absolue, que rien ne lui est oppos. C'est pourquoi le maximum absolu est une chose unique qui
est tout, en qui tout est, parce qu'il est le maximum. Comme rien ne lui est oppos, avec lui, en mme temps,
concide le minimum ; c'est pourquoi il est ainsi dans tout. Et parce qu'il est absolu il est en acte tout l'tre
possible, ne subit des choses aucune restriction et en impose toutes. Ce maximum que la foi indubitable de
toutes les nations rvre aussi comme Dieu, sera, dans mon livre premier sur la raison humaine, l'objet que, sans
jamais pouvoir le comprendre, je m'efforcerai de rechercher, sous la conduite de celui qui, seul, habite dans une
lumire inaccessible. En second lieu comme la maximit absolue est l'entit absolue, par laquelle toutes les
choses sont ce qu'elles sont, ainsi est-ce d'elle, que l'on nomme maximum absolu, que vient l'unit universelle
dessence, et, par suite, elle existe l'tat restreint comme univers, parce que son unit s'est restreinte en une
pluralit, sans laquelle elle ne peut pas tre. Mais bien que, dans son unit universelle, ce maximum embrasse
toute chose, de sorte que tout ce qui provient de l'absolu est en lui et que lui est en tout, il ne saurait cependant
pas subsister en dehors de la pluralit, dans laquelle il est, parce qu'il n'existe pas sans la restriction et qu'il ne
peut pas en tre affranchi. Sur ce maximum, qui apparat comme l'univers, j'ajouterai des remarques : et ce sera
mon livre second. En troisime lieu le maximum montrera la ncessit d'un troisime ordre de considrations. En
effet, comme l'univers ne subsiste que d'une faon restreinte dans la pluralit, nous rechercherons, dans les
choses multiples elles-mmes, le maximum un, dans lequel l'univers subsiste au degr maximum et le plus
parfait, dans sa ralisation et dans sa fin. Et comme cet univers s'unit avec l'absolu, qui est le but universel, parce
qu'il est la fin la plus parfaite et qui dpasse toutes nos possibilits, nous ajouterons, sur ce maximum la fois
restreint et absolu, que nous appelons du nom jamais bni de Jsus, nous ajouterons, dis-je, quelques mots,
autant que Jsus lui-mme nous aura inspir. Mais si l'on veut atteindre le sens de ce que je vais dire il faut
lever son intelligence plus haut que la force des mots eux-mmes, et non pas insister sur les proprits de
vocable, car les mots ne peuvent pas tre adapts avec proprit de si grands mystres intellectuels. Il est
ncessaire de se servir d'une faon transcendante des exemples que tracera ma main ; que le lecteur, laissant l
les choses sensibles, s'lve aisment l'intellectualit simple ; j'ai travaill chercher cette voie, avec un talent
mdiocre, mais aussi clairement que j'ai pu, pour ouvrir, en vitant toute rudesse de plume, et mettre au jour
aussitt la racine mme de la docte ignorance, quelqu'impossible qu'il soit d'en saisir la vrit prcise.

3. LA VRIT PRCISE EST INSAISISSABLE

Parce qu'il va de soi qu'il n'y a pas de proportion de l'infini au fini, il est aussi trs clair, de ce chef, que,
l o l'on peut trouver quelque chose qui dpasse et quelque chose qui est dpass, on ne parvient pas au
maximum simple ; en effet ce qui dpasse et ce qui est dpass sont des objets finis ; au contraire le maximum
simple est ncessairement infini. Quelque objet que l'on me donne, si ce n'est pas le maximum simple lui-mme,
il est manifeste qu'on pourra toujours m'en donner un plus grand. Et, parce que nous voyons que l'galit
comporte des degrs, de sorte que telle chose soit plus gale celle-ci qu' celle-l, cause des convenances et
diffrences gnriques, spcifiques, de lieu, d'influence et de temps, avec les choses qui lui ressemblent, il est
clair qu'on ne peut pas trouver deux ou plusieurs objets semblables et gaux tel point que des objets plus
semblables encore ne puissent pas exister en nombre infini. Que les mesures et les objets mesurs soient aussi
gaux que l'on voudra, il subsistera toujours des diffrences. Donc, notre intelligence finie ne peut pas, au moyen
de la similitude, comprendre avec prcision la vrit des choses. En effet, la vrit n'est pas susceptible de plus
ou de moins, mais elle est d'une nature indivisible, et tout ce qui n'est pas le vrai lui-mme est incapable de la
mesurer avec prcision ; ainsi ce qui n'est pas cercle ne peut pas mesurer le cercle, car son tre consiste en
quelque chose d'indivisible. Donc l'intelligence, qui n'est pas la vrit, ne saisit jamais la vrit avec une telle
prcision qu'elle ne puisse pas tre saisie d'une faon plus prcise par l'infini ; c'est qu'elle est la vrit ce que le
polygone est au cercle : plus grand sera le nombre des angles du polygone inscrit, plus il sera semblable au
cercle, mais jamais on ne le fait gal au cercle, mme lorsqu'on aura multipli les angles l'infini, s'il ne se
rsout pas en identit avec le cercle. Donc, il est clair que tout ce que nous savons du vrai, c'est que nous savons
qu'il est impossible saisir tel qu'il est exactement ; car la vrit, qui est une ncessit absolue, qui ne peut pas
tre plus ou moins qu'elle est, se prsente notre intelligence comme une possibilit. Donc, la quiddit des
choses, qui est la vrit des tres, est impossible atteindre dans sa puret ; tous les philosophes l'ont cherche,
aucun ne l'a trouve, telle qu'elle est ; et plus nous serons profondment doctes dans cette ignorance, plus nous
approcherons de la vrit elle-mme.


4 - LE MAXIMUM ABSOLU EST COMPRIS SANS TRE SAISI ; AVEC LUI CONCIDE LE
MINIMUM

Le maximum simple et absolu qui est ce qu'il peut y avoir de plus grand, parce qu'il est trop grand pour
pouvoir tre saisi par nous puisqu'il est la vrit infinie, est atteint par nous sans que nous puissions le saisir. En
effet, comme il n'est pas de nature admettre un excdent et un excs, il est au-dessus de tout ce qui peut tre
conu par nous ; car tous les objets qui sont apprhends par les sens, la raison ou l'intelligence, diffrent
tellement entre eux et de l'un l'autre, qu'il n'y a pas entre eux d'galit prcise. Donc l'galit maxima, celle qui
n'a de diversit et de diffrence avec rien, dpasse toute intelligence ; c'est pourquoi le maximum absolu,
puisqu'il est tout ce qui peut tre est tout entier en acte, et, comme il est ce qu'il peut y avoir de plus grand, pour
la mme raison il est ce qu'il peut y avoir de plus petit : n'est-il pas tout ce qui peut tre (1) ? Or, le minimum est
une chose telle qu'il ne puisse y en avoir de plus petite. Et, comme le maximum est ainsi, il est vident que le
minimum concide avec le maximum. Pour que cela soit plus clair, que l'on restreigne le maximum et le
minimum la quantit : la quantit maxima est grande au maximum ; la quantit minima est petite au maximum.
Que l'on purifie de la quantit le maximum et le minimum en enlevant par l'intelligence le grand et le petit et l'on
voit clairement que le maximum et le minimum concident. Ainsi en effet le maximum est un superlatif, comme
le minimum un superlatif. Donc la quantit absolue n'est pas maxima plutt que minima, puisqu'en elle le
minimum et le maximum concident. Donc, les oppositions n'existent que pour les objets qui (2) admettent un
excdent et un excs, elles leur conviennent avec des diffrences, mais en aucune faon elles ne conviennent au
maximum absolu, car il est au-dessus de toute opposition. Par suite, comme le maximum absolu est absolument
en acte toutes les choses qui peuvent tre, tellement en dehors de n'importe quelle opposition que le minimum
concide dans le maximum, il est, de la mme manire, au-dessus de toute affirmation et de toute ngation. Et
tout ce dont on conoit l'existence, est et n'est pas, tout aussi bien. Et tout ce dont on conoit l'inexistence, n'est
pas et est, tout aussi bien Mais alors tel objet particulier se trouve tre toutes les choses runies ; toutes les
choses runies se trouvent n'tre rien du tout, et ce qui est au maximum est en mme temps au minimum. En
effet il n'y a aucune diffrence entre l'affirmation : Dieu qui est la maximit absolue elle-mme, est la
lumire et l'affirmation : Dieu est au maximum la lumire, lui qui est au minimum la lumire . En effet la
maximit absolue ne serait pas tout le possible en acte, si elle n'tait pas infinie, si elle ne bornait pas toutes les
choses, et si elle pouvait tre borne par l'une d'elles. Nous allons l'expliquer dans les pages suivantes, grce la
bont de Dieu lui-mme.
Or, cela dpasse toute notre intelligence, car elle ne peut pas, dans son principe, combiner les
contradictoires par la voie de la raison, parce que nous cheminons parmi les objets que nous manifeste la nature
elle-mme ; et notre intelligence, trbuchant parce qu'elle est loin de cette force infinie, ne peut pas lier des
contradictoires, spars par un infini. Donc, au-dessus de toute dmarche de la raison, nous voyons, d'une faon
incomprhensible, que la maximit absolue est infinie, que rien ne lui est oppos, et qu'avec elle concide le
minimum. Mais le maximum et le minimum, tels qu'ils sont employs dans cet ouvrage, sont des termes d'une
valeur transcendante, d'une signification absolue, de telle sorte que toutes les choses sont embrasses dans leur
simplicit absolue, au-dessus de toute restriction une quantit de masse ou de force.
(1) Manuscrits de Munich : T = Tegernsee clm. 18711, E = Emmeramensis clm. 14213. Editions : A =
1502, B = 1514, C = 1565.
Dans ce passage, dj si discut, le raisonnement ou, si l'on prfre, l'ordre des ides nous semble tre le
suivant : L'auteur, ne l'oublions pas, veut tablir que le maximum est insaisissable. L'galit maxima, dit-il, celle
qui ne comporte aucune diffrence, mme infime, dpasse notre intelligence ; c'est pourquoi le maximum, dont
nous avons tabli prcdemment qu'il est tout ce qui peut-tre, est profondment en acte, et je dois le faire
concider avec le minimum, puisqu'il est tout ce qui peut tre et que, par consquent, il ne peut rien y avoir de
plus petit.
Pour notre faon de comprendre non potest majus (minus) esse, nous renvoyons au chap. XIII, livre I :
Circumferentia, quae major esse non potest = la circonfrence qu'il peut y avoir de plus grande. Dans ce tour
quelque peu obscur, nous voyons une des caractristiques de la manire cusienne.
(2) Nous suivons E et T.


5 - LE MAXIMUM EST UN

De cela il rsulte trs clairement que le maximum absolu est intelligible sans qu'on puisse le saisir, et
nommable sans qu'on puisse le nommer, comme nous l'enseignerons d'une faon plus manifeste par la suite. Il
n'y a pas d'objet que l'on puisse nommer et qui soit tel qu'il n'y en ait pas un plus grand ou un plus petit, parce
que les noms sont attribus par un mouvement de la raison aux choses qui admettent un excdent ou un excs. Et
puisque toutes les choses sont de la faon la meilleure qu'elles peuvent, du mme coup sans le nombre il ne peut
pas y avoir de pluralit des tres. En effet enlevez le nombre et il n'y aura plus de distinction des choses, d'ordre,
de proportion, d'harmonie et mme de pluralit des tres. D'ailleurs si le nombre lui-mme tait infini, puisque
alors il serait grand au maximum et qu'avec lui conciderait le minimum, tout ce qui vient avant tomberait
pareillement. Il revient en effet au mme que le nombre soit infini et qu'il soit au minimum. Si donc, en montant
dans l'chelle des nombres on parvient en acte un maximum, cependant parce que le nombre est fini, on ne
parvient pas un maximum tel qu'il ne puisse pas y en avoir de plus grand, car celui-l serait infini. C'est
pourquoi il est manifeste que l'ascension du nombre est, en acte, chose finie et qu'en puissance il arriverait un
autre nombre ; mais dans la descente le nombre se comporterait de la mme faon ; par soustraction, on peut
toujours en donner un plus petit, comme, pour l'ascension, on pouvait en donner un plus grand par addition, les
mmes consquences se produisent ; sinon on ne trouverait dans les nombres ni distinction entre les choses, ni
ordre, ni pluralit, ni excdent, ni excs ; bien plus, il n'y aurait pas de nombre. C'est pourquoi il est ncessaire
que, dans le nombre, on arrive un minimum, tel qu'il ne puisse pas y en avoir de plus petit : l'unit. Et, parce
qu'il ne peut rien y avoir de plus petit que l'unit, elle sera un minimum simple, et celui-ci concide, comme on le
voit tout de suite, avec le maximum. Or, l'unit ne peut pas tre un nombre, parce que le nombre, comme il
admet un excdent, ne peut en aucune faon tre ni un minimum ni un maximum simple ; mais elle est, parce
que minimum, le principe de tout nombre, et, parce que maximum, la fin de tout nombre. L'unit est donc
absolue ; rien ne lui est oppos, elle est la maximit absolue elle-mme ; elle est le Dieu bni. Cette unit,
puisqu'elle est maxima, ne peut pas tre multiplie, puisqu'elle est tout ce qui peut tre. Donc elle ne peut pas
devenir elle-mme un nombre. Que l'on voie o le nombre nous a amens : nous comprenons qu'au Dieu que
nous ne saurions nommer, convient trs exactement l'unit absolue et que Dieu est un de telle sorte qu'il soit en
acte tout ce qui peut tre. C'est pourquoi l'unit elle-mme ne reoit ni plus ni moins et on ne saurait la
multiplier. Aussi la Dit est-elle l'unit infinie. Donc celui qui a dit : coute, Isral : ton Dieu est un et
vous n'avez qu'un matre et qu'un Pre aux cieux n'aurait rien pu dire de plus vrai ; et celui qui dirait qu'il y a
plusieurs dieux, affirmerait trs faussement qu'il n'y a ni Dieu ni rien de tout ce qui compose l'univers : on le
montrera dans les pages suivantes. En effet, de mme que le nombre qui est un tre de raison fabriqu par notre
facult de discernement comparative, prsuppose ncessairement l'unit, qui est tellement le principe du nombre
que, sans elle, il est impossible que le nombre existe ; de mme les pluralits des choses, qui descendent de cette
unit infinie, sont avec elle dans un rapport tel que sans elle, elles ne pourraient pas tre ; en effet comment
seraient-elles sans tre ? Or, l'unit absolue est entit ; nous le verrons plus loin.


6 - LE MAXIMUM EST LA NCESSIT ABSOLUE

On a montr, dans ce qui prcde, que toutes les choses, sauf le seul maximum simple, sont finies et
limites par rapport lui. Mais le fini, le limit a un commencement et une fin ; or, on ne peut pas dire que le
maximum soit plus grand qu'un fini donn et qu'il soit fini, mme si, de cette faon, on progresse toujours et
jusqu' l'infini, car dans les excdents et les excs la progression l'infini ne peut pas se faire en acte, sinon le
maximum serait de la nature des objets finis ; donc, le maximum est ncessairement en acte le principe et la fin
de tous les objets finis. En outre rien ne pourrait tre si le maximum simple n'existait pas ; en effet, comme tout
objet qui n'est pas le maximum est fini, il drive d'un principe ; or, il sera ncessaire qu'il drive d'un objet autre
que lui, autrement si c'tait de lui-mme, il aurait t, avant mme d'tre, et il n'est pas possible, comme la rgle
le montre, que de principe en cause on aille jusqu' l'infini. Donc, le maximum simple sera ce sans quoi rien ne
peut exister. En outre restreignons le maximum l'tre et disons : rien n'est en opposition ltre au maximum
(1), donc ni ltre ni ltre au minimum ; comment donc peut-on comprendre que le maximum puisse ne pas tre,
quand tre au minimum est tre au maximum ? De plus on ne peut comprendre d'aucun objet qu'il soit sans
ltre. Or, l'tre absolu ne peut tre autre chose (2) que le maximum absolu. Donc, on ne peut comprendre
d'aucun objet qu'il soit sans le maximum. En outre la vrit maxima est le maximum absolu ; or, ce qui est vrai
au maximum est que le maximum simple lui-mme soit, ou qu'il ne soit pas, ou qu'il soit et ne soit pas, ou que ni
il ne soit, ni il ne soit pas ; on ne peut ni dire ni penser davantage ; donc, on peut me dire n'importe laquelle de
ces propositions comme vraie au maximum, ma dmonstration est faite, car j'ai la vrit maxima, c'est--dire le
maximum simple. Par suite bien que dans les prmisses on ait exprim que ce nom tre ou n'importe quel autre
n'est pas le nom prcis du Maximum et n'est-il pas au-dessus de tout tre qu'on puisse nommer ? cependant
on doit lui reconnatre qu'il est au maximum et de faon telle qu'on ne puisse pas le nommer par le nom
maximum au-dessus de tout tre qu'on puisse nommer.
Pour de telles raisons et une infinit de raisons suprieures analogues la docte ignorance voit que le
maximum simple existe ncessairement, de telle sorte qu'il est l'absolue ncessit. Or, il a t prouv que le
maximum simple ne peut tre qu'un, donc il est trs vrai que le maximum est un.
(1) Nous lisons maxime esse. (2) Nous suivons E et T.

7 - DE L'TERNIT TRINE ET UNE

Il n'y eut jamais aucune nation qui ne servt pas Dieu et ne le reconnt pas pour le maximum absolu.
Nous savons que Minar dans ses Antiquits a not : Les Sissniens adoraient par-dessus tout l'unit. Or, le
trs illustre Pythagore dont l'autorit tait inbranlable de son temps, estimait que cette unit est trine. Explorant
la vrit de ce jugement, tout en portant plus haut notre esprit, raisonnons conformment aux prmisses. Ce qui
prcde toute altrit est ternel, personne n'en doute : l'altrit en effet c'est la mutabilit, or, tout ce qui prcde
naturellement la mutabilit est immuable, donc ternel. Mais l'altrit est compose de l'un et de l'autre, et c'est
pourquoi l'altrit, comme le nombre, est postrieure l'unit. Donc l'unit est, par nature, antrieure l'altrit,
et, puisqu'elle la prcde naturellement, l'unit est ternelle.
En outre toute ingalit se compose d'une galit plus un excdent. Donc l'ingalit est, par nature,
postrieure' l'galit, ce que l'on peut prouver trs solidement par rsolution. En effet toute ingalit se rsout
en une galit ; car l'gal se trouve entre le plus grand et le plus petit. Si donc on enlve ce qui dpasse on aura
l'gal ; et si, au contraire, on a eu un plus petit, qu'on enlve du reste ce qui dpasse et on obtiendra un gal. Et
cela on pourra le faire jusqu' ce que, par des diminutions, l'on soit parvenu des lments simples (l). Il est
donc vident que toute ingalit se ramne, par des diminutions, une galit. Par consquent l'galit prcde
naturellement l'ingalit. Mais ingalit et altrit vont ensemble par nature. En effet o il y a ingalit, au mme
endroit il y a ncessairement altrit et inversement. C'est en effet entre deux choses au moins, qu'il y aura
altrit. Or, ces choses, par rapport l'une d'elles, feront un double, c'est pourquoi il y aura ingalit. Donc,
altrit et ingalit iront ensemble par nature, surtout puisque la dualit est la premire altrit et la premire
ingalit ; mais on a prouv que l'galit prcde par nature l'ingalit, donc du mme coup l'altrit ; c'est
pourquoi l'galit est ternelle.
En outre si, de deux causes, l'une a t antrieure l'autre, l'effet de la premire sera par nature antrieur
l'effet de la seconde ; or, l'unit est soit connexion, soit cause de connexion. C'est pour cela en effet que l'on dit
certaines choses connexes parce qu'elles sont unies. La dualit, elle, est soit division, soit cause de division.
La dualit en effet est la premire division. Si donc l'unit est cause de connexion, la dualit est cause de
division. Donc, comme l'unit est antrieure par nature la dualit, ainsi la connexion est antrieure par nature
la division. Mais la division et l'altrit vont ensemble, par nature, et c'est pourquoi la connexion, comme l'unit,
est ternelle, puisqu'elle est antrieure l'altrit. Il a donc t prouv, puisque l'unit est elle-mme ternelle et
que l'galit est ternelle, que, de la mme manire, la connexion est ternelle. Mais il ne peut pas y avoir
plusieurs ternels. Si en effet il y avait plusieurs ternels, alors, puisque l'unit prcde toute pluralit, il y aurait
quelque chose, d'antrieur par nature l'ternit, ce qui est impossible. En outre s'il y avait plusieurs ternels,
l'un manquerait l'autre, aussi aucun d'entre eux ne serait parfait, et il y aurait ainsi un ternel, qui ne serait pas
ternel, puisqu'il ne serait pas parfait ; cela tant impossible, il ne se peut pas qu'il y ait plusieurs ternels ; mais
parce que l'unit est ternelle, l'galit est ternelle, et de mme !a connexion : donc unit, galit et connexion,
sont une seule chose. Et voici bien cette unit trine que Pythagore, le premier de tous les philosophes, l'honneur
de l'Italie et de la Grce, a enseigne notre adoration. Mais ajoutons encore quelques mots plus prcis sur la
gnration de l'galit par l'unit.
(l) L'lment simple c'est celui oui ne comporte pas en lui d'ingalit. c'est lgalit absolue. V. la suite.


8 - DE LA GNRATION TERNELLE

Montrons maintenant trs rapidement que, par l'unit, est engendre l'galit de l'unit, et, de plus, que
la connexion procde de l'unit et de l'galit de l'unit. Unit est synonyme de ontit, du mot grec !", qui se dit
en latin ens, et l'unit est entit. Dieu en effet est l'entit mme des choses, car il est le principe de lessence, et
cest pourquoi il est entit. Or, galit de l'unit est synonyme d'galit de l'entit, c'est--dire ' galit de
l'essence ou de l'existence. Or, l'galit de l'essence est ce qui dans une chose n'est pas susceptible de plus et de
moins, de trop et de trop peu. En effet si elle est en plus qu'il ne faut dans une chose, c'est un monstre, et si elle
est en moins, il n'y a pas non plus de gnration de l'galit par l'unit ; ce qui apparat clairement, lorsqu'on
tudie la nature de la gnration : en effet la gnration est soit la rptition de l'unit, soit la multiplication de la
mme nature par le pre, par procession dans un fils. A la vrit cette sorte de gnration ne se trouve que dans
les seules choses caduques ; au contraire la gnration de l'unit par l'unit est une rptition unique de l'unit,
c'est--dire une fois l'unit ; et si je multiplie l'unit deux fois, trois fois ou davantage, l'unit procrera d'elle-
mme autre chose : un binaire, un ternaire, ou un autre nombre ; mais l'unit rpte une fois seulement engendre
l'galit de l'unit, ce qui ne peut se comprendre autrement que par l'engendrement de l'unit par l'unit, et, en
vrit, cette gnration est ternelle.


9 - PROCESSION TERNELLE DE LA CONNEXION

De mme que la gnration de l'unit par l'unit est une rptition unique de l'unit, ainsi la procession
de l'une et de l'autre est une rptition de la rptition de cette unit, ou, si on prfre, l'unition de l'unit et de
l'galit de l'unit elle-mme. Or, on appelle procession une sorte d'extension de l'un dans l'autre, comme,
lorsque deux choses sont gales, une certaine galit s'tend, pour ainsi dire, de l'une l'autre pour les unir et les
lier d'une faon quelconque ; c'est donc bon droit que l'on dit de la connexion qu'elle procde de l'unit et de
l'galit de l'unit, et en effet il n'y a pas de connexion d'une chose seule, mais l'unit procde de l'unit dans
l'galit et de l'galit de l'unit dans l'unition. Aussi est-ce juste titre qu'on dit qu'elle procde des deux
puisqu'elle s'tend, d'une certaine manire, de l'une l'autre.
Mais nous disons que la connexion n'est engendre ni par l'unit ni par l'galit de l'unit parce qu'elle
ne nat de l'unit ni par rptition, ni par multiplication et, bien que l'galit de l'unit naisse de l'unit et que la
connexion procde de l'une et de l'autre, c'est une seule et mme chose que l'unit, l'galit de l'unit et la
connexion qui procde des deux, comme si on appelait la mme chose ceci, cela, le mme (hoc, id, idem). Ce qui
est appel cela (id) est rapport au premier et ce qui est appel le mme (idem) lie l'objet rapport et l'unit au
premier. Si donc sur le pronom id on avait form le mot idit pour que nous pussions dire unit, idit, identit,
idit marquant une relation avec l'unit, et identit dsignant une connexion de l'idit et de l'unit, ces termes
conviendraient d'assez prs la trinit. Sans doute nos trs saints docteurs ont appel Pre l'unit, Fils l'galit et
Esprit-Saint la connexion ; mais ils l'ont fait cause d'une similitude avec les objets caduques. En effet dans le
pre et dans le fils il y a une nature commune, qui est unique, et, aussi, par l'effet mme de la nature, le fils est
gal au pre ; car il ne se trouve ni plus ni moins dhumanit dans le fils que dans le pre et, entre eux, il y a une
certaine connexion. En effet l'amour naturel lie l'un l'autre et cela cause de la similitude de la mme nature
qui est en eux, et qui descend du pre dans le fils ; et pour cela mme il aime son fils plus qu'un autre homme,
parce qu'il lui est conforme en humanit. C'est d'aprs une telle similitude, si loigne soit-elle, que l'unit a t
appele Pre, l'galit Fils et la connexion Amour ou Esprit Saint, en considration seulement des cratures,
comme nous le montrerons plus bas, quand nous en serons l. Et voici bien, mon avis, d'aprs l'enqute
pythagoricienne, l'enqute trs manifeste sur la trinit dans l'unit et l'unit dans la trinit jamais adorables.

10 - COMMENT L'INTELLIGENCE DE LA TRINIT DANS

Cherchons maintenant ce que veut dire Martianus, lorsqu'il nous apprend que la philosophie qui voulait
s'lever la comprhension de cette trinit a vomi cercles et sphres. On a montr ci-dessus que le maximum
infiniment simple est unique et que la reprsentation de corps la plus parfaite, comme la sphre, n'en est pas un,
ni celle d'une surface, comme le cercle, ni celle de lignes droites, comme le triangle, ni celle de la simple
rectitude, comme la ligne droite ; mais lui-mme est au-dessus de tout cela, tant et si bien qu'il faut
ncessairement vomir ce que l'on atteint grce aux sens l'imagination ou la raison, au moyen des organes
naturels, et parvenir l'intelligence la plus simple et la plus abstraite, o toutes choses sont l'Unit, o la ligne
droite est un triangle, le cercle une sphre (1), l'unit une trinit, et inversement, o l'accident est la substance, le
corps l'esprit, le mouvement le repos et ainsi de suite pour tout le reste ; et ds lors que l'on comprend que tout
objet dans l'Unit elle-mme est l'Unit on comprend que l'Unit elle-mme est toutes choses et que, par
consquent, en elle-mme, tout objet est toutes choses. Et l'on n'a pas vomi compltement la sphre, le cercle
etc., si l'on ne comprend pas que l'unit suprme elle-mme est ncessairement trine ; en effet on ne pourra en
aucune faon la comprendre tout fait comme suprme, si on ne la comprend pas comme trine, pour user
d'exemples qui conviennent la chose.
Nous voyons que l'acte d'intelligence, dans son unit, se compose de l'tre intelligent, de l'objet
intelligible et du fait de comprendre. Si donc de ce point de dpart : l'tre intelligent, on veut se transporter
jusqu'au maximum et dire que le maximum est l'tre intelligent au maximum, et si l'on n'ajoute pas que lui-mme
est l'objet intelligible au maximum, et le fait de comprendre au maximum, on n'a pas une conception exacte de
l'unit maxima et parfaite. Si en effet l'unit est l'intellection maxima et parfaite qui, sans ces trois composantes,
ne pourra tre ni intellection, ni intellection parfaite, il n'a pas une conception exacte de l'unit, celui qui n'atteint
pas la trinit de l'unit elle-mme. Pas d'unit en effet sans trinit, car le mot exprime indivision, discernement et
connexion. L'indivision, en vrit, vient de l'unit, de mme le discernement, de mme aussi l'union ou
connexion ; donc l'unit maxima n'est pas autre chose qu'indivision, discernement et connexion, et, comme elle
est indivision, elle est ternit sans commencement, de mme que l'ternel ne s'est spar de rien ; comme elle
est discernement elle vient d'une ternit immuable ; et comme elle est connexion ou union elle procde des
deux. Donc lorsque je dis : L'unit est maxima j'exprime la trinit. En effet, en disant l'unit , j'exprime le
commencement sans commencement ; maxima , le commencement qui sort du commencement et lorsque je
dis, grce au verbe, qu'il y a l une copulation et une union, j'exprime la procession qui vient des deux termes. Si
donc il a t trs manifestement prouv plus haut qu'il n'y a qu'un maximum, parce que minimum, maximum et
connexion sont une seule chose, et, ainsi, que l'unit elle-mme est la fois minima, maxima et union, de l
rsulte comment il est ncessaire la philosophie de vomir tout ce qu'on obtient par l'imagination et le
raisonnement, si elle veut comprendre, par l'intellection simple, que l'unit maxima est trine. Cependant tu
t'tonnes de ce que j'ai dit : alors qu'il est ncessaire que celui qui veut apprhender le maximum par l'intellection
simple dpasse les diffrences et les diversits des choses, n'ai-je pas plac la ligne, la superficie, le cercle et la
sphre dans le maximum ? Mais ainsi, ma main qui s'efforcera de t'amener aiguiser ton intelligence, le fera plus
facilement avec sret ; tu verras que toutes ces ides sont ncessaires et trs justes, que, trs directement,
lorsque, du symbole, tu te seras lev la vrit, en portant ton intelligence trs haut au-dessus des mots, elles
t'amneront une tonnante flicit ; car, dans la docte ignorance, tu progresseras sur ce chemin o, autant qu'il
est permis un homme d'un zle ardent, qui s'est lev selon les forces de la nature humaine, tu pourras voir le
maximum lui-mme, unique et suprme, qui dpasse toute comprhension : Dieu, dans son unit et sa trinit
jamais bnies.
(l) A, B, C : la ligne est triangle, cercle et sphre.


11 - DE L'AIDE PUISSANTE DES MATHMATIQUES DANS L'APPRHENSION DES
DIVERSES VRITS DIVINES

Tous nos docteurs les plus sages, les plus divins et les plus saints sont d'accord pour affirmer que les
choses visibles sont vritablement des images des choses invisibles et que notre crateur peut tre vu et connu
par les cratures comme dans un miroir et dans une nigme. Or, le fait que l'on peut explorer symboliquement les
vrits spirituelles, qui sont en soi impossibles atteindre par nous, a sa racine dans ce qui a t dit plus haut, car
toutes les choses sont entre elles dans un rapport, cach pour nous sans doute et incomprhensible, mais tel que
d'elles toutes sort un univers un, et que toutes sont lunit elle-mme dans le maximum un. Et, bien que toute
image semble s'lever la ressemblance du modle, cependant, part l'image maxima, qui est ce modle lui-
mme dans l'unit de la nature, il n'y a pas d'image tellement semblable ou mme gale au modle, qu'il ne
puisse pas y en avoir d'infiniment plus semblable et plus gale : nous comprenons bien cela maintenant. Or,
lorsque l'on fait une recherche par le moyen d'une image, il est ncessaire qu'il n'y ait rien de douteux sur l'image
en proportion de laquelle, en transsumant, on explore l'inconnu, car il n'y a de chemin vers l'incertain, que par le
prsuppos et le certain. Or, toutes les choses sensibles sont dans une instabilit continuelle cause de la
possibilit matrielle qui abonde en elles. Au contraire si l'on prend des images plus abstraites qu'elles, o les
choses sont envisages d'une faon telle que, sans manquer tout fait des moyens matriels sans lesquels elles ne
sauraient tre imagines, elles ne soient plus compltement soumises la fluctuation du possible, nous voyons
que ces images sont trs solides et trs certaines pour nous. Les mathmatiques sont ainsi ; c'est pourquoi les
sages ont cherch avec finesse chez elles des exemples pour suivre les choses la piste par l'intelligence, et
aucun des grands esprits de l'antiquit ne s'est attaqu aux choses difficiles au moyen d'une ressemblance autre
que celle des mathmatiques : ainsi Boce, le plus rudit des Romains, affirmait que nul homme, qui ft tout
fait tranger la pratique des mathmatiques, ne pouvait atteindre la science des choses divines. Est-ce que
Pythagore, le premier des philosophes, en titre et en fait, n'a pas plac toute la recherche de la vrit dans les
nombres ? Or, les Platoniciens et mme les premiers de nos penseurs l'ont tellement bien suivi que saint-
Augustin et Boce, aprs lui, affirmaient qu'indubitablement le nombre a t, dans l'esprit du Crateur, son
principal modle pour la cration des choses. Comment Aristote, qui voulut se singulariser par la rfutation de
ses prdcesseurs a-t-il pu, dans les mathmatiques, nous livrer la diffrence des espces si ce n'est en les
comparant elles-mmes aux nombres ? Et le mme auteur, tandis qu'il voulait livrer sa science sur les formes
naturelles, qui montre comment chacune est comprise dans une autre, a d se jeter sur les formes mathmatiques,
en disant : Comme le triangle est dans le ttragone, ainsi la forme infrieure se trouve dans la forme
suprieure . Je passe sous silence d'innombrables exemples analogues celui-ci. Mme, le platonicien Aurelius
Augustin, lorsqu'il a fait ses recherches sur la quantit de l'me, sur son immortalit et tous autres sujets trs
profonds, s'est jet sur les mathmatiques pour s'en faire une aide. Cette voie a paru plaire notre Boce au point
qu'il affirmait constamment que toute la doctrine de la vrit tait comprise dans la pluralit et la grandeur. Et,
pour parler bref, la thorie des picuriens sur les atomes et le vide, thorie qui nie Dieu et bat en brche toute
vrit, n'est-elle pas morte d'une dmonstration mathmatique, celle des Pythagoriciens et des Pripatticiens ?
Ils ont tabli que manifestement, on ne peut pas arriver des atomes indivisibles et simples : or, c'est l le
principe que posa picure. C'est donc sur ce chemin que nous avanons, concurremment avec eux et nous
affirmons, parce qu'aucun chemin n'est ouvert qui accde aux choses divines si ce n'est par les symboles, que
nous pourrons maintenant choisir les signes mathmatiques cause de leur incorruptible certitude.


12 - COMMENT IL FAUT USER DES SIGNES MATHMATIQUES POUR L'USAGE QUE
NOUS VOULONS EN FAIRE

Mais, comme il rsulte de ce qui prcde que le maximum simple n'est aucune de ces choses que nous
savons ou que nous concevons, comme nous nous proposons de l'explorer par le moyen des symboles, est
ncessaire de dpasser la simple similitude. En effet, comme toutes les choses mathmatiques sont finies, sans
quoi on ne saurait les imaginer, lorsque nous voudrons nous servir, comme exemple, de choses finies dans notre
ascension vers le maximum simple, il est ncessaire : premirement, que nous considrions les figures
mathmatiques finies avec leurs passions et leurs raisons ; secondement, que nous transportions les raisons elles-
mmes, en les faisant correspondre, des figures infinies qui soient comme elles. De plus, il faut en troisime
lieu transumer (l) les raisons mmes des figures infinies plus profondment, jusqu'au maximum simple,
absolument pur de toute figure ; et, ce moment-l, notre ignorance apprendra d'une faon incomprhensible
quel sentiment exact et vrai il faut que nous ayons de la profondeur suprme, nous qui peinons en pleine nigme.
Donc, comme nous agissons ainsi et que nous commenons sous la direction de la vrit maxima, nous disons
que des hommes saints et d'un gnie trs lev, qui se sont occups des figures, ont eu des avis divers. Le trs
dvot Anselme a compar la vrit maxima la rectitude infime ; suivons-le et jetons-nous sur l'image de la
rectitude que nous figurons par la ligne droite. D'autres penseurs trs savants ont compar la Trinit bnie par-
dessus tout, un triangle ayant trois angles gaux et droits. Et comme un tel triangle a ncessairement des cts
infinis (on le montrera) on pourra l'appeler triangle infini; nous suivons aussi ces penseurs-l. D'autres se sont
efforcs de figurer l'unit infinie et ils ont dit que Dieu est un cercle infini. Mais ceux qui ont considr
l'existence la plus actuelle de Dieu, ont affirm que Dieu est comme une sphre infinie. Quant nous, nous
montrerons que tous ces penseurs en mme temps ont eu du maximum une conception exacte, et qu'ils taient,
tous, d'un avis unique.
(1) Telle est l'orthographe des manuscrits et des ditions.


13 - LES PASSIONS DE LA LIGNE MAXIMA ET INFINIE

J'affirme donc que, s'il y avait une ligne infinie, elle serait une droite, elle serait un triangle, elle serait
un cercle, et elle serait une sphre ; et, de la mme faon, s'il y avait une sphre infinie, elle serait un triangle, un
cercle et une ligne ; et, ainsi, il faut dire la mme chose du triangle infini et du cercle infini. D'abord il est visible
qu'une ligne infinie est une droite. Le diamtre du cercle est une ligne droite, et la circonfrence est une ligne
courbe plus grande que le diamtre ; si donc la ligne courbe est d'autant moins courbe que la circonfrence est
celle d'un cercle plus grand, la circonfrence du cercle maximum, qui ne peut pas tre plus grande, est courbe au
minimum donc droite au maximum ; ainsi le minimum concide avec le maximum et les yeux voient la ncessit
pour la ligne maxima d'tre droite au maximum et courbe au minimum. Et ici, il ne peut rester aucun scrupule,
lorsqu'on voit, sur la figure ci-contre, comment l'arc c d, arc d'un plus grand cercle, s'loigne plus de la curvit
que l'arc e f, arc d'un moins grand cercle ; par consquent la ligne droite a b sera l'arc du cercle maximum, celui
qui ne peut pas tre plus grand. Ainsi l'on voit comment la ligne maxima et infinie est ncessairement la plus
droite ; qu' elle la curvit n'est pas oppose ; bien plus, que la curvit mme de la ligne maxima est rectitude, et
c'est ce qu'il faut prouver d'abord. Secondement on a dit que la ligne infinie est le triangle maximum, un cercle et





une sphre, et, pour le montrer, il faut que dans les lignes finies nous voyions ce qui est dans la puissance de la
ligne finie, et parce que l'infinie est en acte tout ce que la finie est en puissance, l'objet de nos recherches nous
sera plus clair. Et nous savons, en premier lieu, que la ligne finie en longueur peut tre plus longue et plus droite
; alors qu'il a dj t prouv que la ligne maxima est la plus longue et la plus droite. En second lieu, si une ligne
a b, le point a restant immobile, dcrit une rotation autour de a jusqu' ce que b vienne en c, on a un triangle, et
si la rotation est acheve jusqu' ce que b revienne sa place initiale on a un cercle. Si, de nouveau, a restant
immobile, b est men jusqu' ce qu'il vienne au lieu oppos sa position premire, qui est d, par la ligne a b et a
d, a t effectue une ligne continue et un demi-cercle a t dcrit ; et si, autour du diamtre b d qui reste
immobile, un demi-cercle est dcrit, on a une sphre ; et la sphre elle-mme




FIG. 2. FIG. 3.


la dernire figure que la ligne ait en sa puissance de raliser totalement en acte, parce que la sphre n'est, en
puissance, aucune figure ultrieure. Si donc ces figures sont en puissance dans la ligne finie, et si la ligne infinie
est en acte tout ce que la finie est en puissance, il suit que l'infini est triangle, cercle et sphre. C. Q. F. D. Et,
parce que tu veux peut- tre voir plus clairement comment l'infini est en acte ce que le fini est en puissance, de
cela encore je te rendrai trs certain.


14 - COMMENT LA LIGNE INFINIE EST UN TRIANGLE

La facult imaginative qui ne dpasse pas l'espce des choses sensibles, ne comprend pas que la ligne
puisse tre un triangle, parce que ce sont des quantits non-homognes ; cependant pour l'intelligence ce sera
chose facile. En effet il est d] vident qu'il n'y a qu'un maximum infini unique qui soit possible. D'autre part il
est vident, puisque deux cts runis de n'importe quel triangle ne peuvent pas tre plus petits que le troisime,
que, si un ct d'un triangle est infini, les autres ne sont pas plus petits. Et, parce qu'une partie quelconque de
l'infini est infinie, il est ncessaire que, si un triangle a un ct infini, de la mme faon les autres soient infinis.
Et, puisqu'il ne peut pas y avoir plus d'un infini, tu comprends transcendantalement qu'un triangle infini ne peut
pas tre compos de plus d'une ligne, bien qu'il soit le triangle maximum, le plus vrai, indivisible et infiniment
simple. Et, parce qu'il est le triangle le plus vrai, qui ne peut pas tre sans trois lignes, il sera ncessaire que la
ligne infinie unique elle-mme en soit trois, et que les trois n'en soient qu'une, infiniment simple. Il en est ainsi
des angles, parce qu'il ne pourra y avoir qu'un angle unique et infini, et celui-l est trois angles et les trois angles
n'en sont qu'un. Et ce triangle maximum ne sera pas compos de cts et d'angles, mais ligne infinie et angle sont
une seule et mme chose, et, de cette faon, la ligne est un angle, parce que le triangle est une ligne.
Tu pourras encore t'aider l'intelligence de cette vrit en t'levant du triangle mesurable au triangle qui
est au-dessus de toute mesure. En effet il est manifeste que tout triangle mesurable a ses trois angles gaux
deux droits, et, ainsi, plus un angle est grand, plus les autres sont petits ; et, bien que chaque angle puisse tre
augment jusqu' deux droits exclusivement et non compltement selon notre premier principe, admettons
nanmoins qu'il soit tout fait augment jusqu' deux droits inclusivement, sans que disparaisse le triangle ; il
est alors manifeste que le triangle a un seul angle, qui en est trois, et que les trois sont un. De mme on pourra
voir que le triangle est une ligne : en effet deux cts runis d'un triangle mesurable sont d'autant plus longs que
le troisime, que l'angle qu'ils font est plus petit que deux droits ; ainsi parce que l'angle b a c, est beaucoup plus
petit que deux droits, les lignes b a et a c runies sont beaucoup plus longues que b c. Donc, plus cet angle sera
grand, comme b d c par exemple, plus sa superficie sera petite ; donc, si par position, un angle valait deux droits,
le triangle tout entier se rsoudrait en une ligne simple.

FIG. 4.


Par suite, avec cette position, qui est impossible dans les triangles mesurables, tu peux t'aider dans ton
ascension vers ceux qui sont au-dessus de toute mesure, dans lesquels tu vois que ce qui est impossible dans les
mesurables, est tout fait ncessaire, et l il est clair que la ligne infinie est le triangle maximum C. Q. F. D.


15 - CE TRIANGLE EST UN CERCLE

Alors tu verras plus clairement que le triangle est un cercle. Posons un triangle a b c, cr par une
rotation de la ligne a b jusqu' ce que b vienne en c, a restant fixe ; si la ligne a b tait infinie, sans aucun doute,
lorsque b ferait une rotation complte jusqu' ce qu'il revienne sa position premire, on aura le cercle
maximum ; portion de l'arc infini, b c est alors une ligne droite, et parce que toute partie de l'infini est infinie, b c
n'est pas plus petit que le pourtour entier de la circonfrence infinie ; donc b c ne sera pas seulement une
proportion, mais la circonfrence. C'est pourquoi il est ncessaire que le triangle a b c soit le cercle maximum,
et, parce que la circonfrence b c est une ligne droite, a b ne sera pas plus grande que la ligne infinie, puisqu'il
n'y a rien de plus grand que l'infini, et elles ne sont pas deux lignes diffrentes puisqu'il ne peut y avoir deux
infinis. Donc la ligne infinie, qui est un triangle est aussi un cercle C. Q. F. D.


Fig. 5.
Encore de la mme faon il est manifeste que la ligne infinie est une sphre : la ligne a b est la
circonfrence du cercle maximum ; bien plus elle est le cercle maximum : cela a dj t prouv ; et, dans le
triangle, elle a t conduite de b en c, comme on l'a dit plus haut ; mais b c est une ligne infinie, comme il vient
d'tre prouv. Donc a b est revenu en c, par un retour complet sur lui-mme, et quand cela est fait, il suit qu'on a
ncessairement une sphre, par suite d'une telle rvolution d'un cercle sur soi-mme ; et, parce qu'il a t prouv
plus haut qu'a b c est un cercle, un triangle et une ligne, nous avons prouv maintenant qu'il est aussi une sphre.
Et voici bien ce que nous nous tions proposs de chercher.


16 - LE MAXIMUM EST PAR TRANSPOSITION A TOUTES CHOSES CE QUE LA LIGNE
MAXIMA EST AUX LIGNES

Maintenant qu'il est manifeste comment la ligne infinie est en acte toutes ces figures un degr infini,
qui sont infinies en puissance, nous voyons par transposition, de la mme faon propos du maximum simple,
comment le maximum lui-mme est en acte au plus haut point tout ce qui est en puissance dans la simplicit
absolue. En effet le maximum est en acte, lui-mme, au plus haut point tout ce qui est possible, non d'une faon
possible, mais au plus haut point, de la mme manire que le triangle est men partir de la ligne ; et la ligne
infinie n'est pas un triangle comme il est men partir de la ligne finie, mais elle est en acte le triangle infini qui
est la mme chose que la ligne. En outre la possibilit absolue elle-mme n'est pas autre chose dans le maximum
que le maximum lui-mme en acte, comme la ligne infinie est en acte la sphre ; au contraire dans le non
maximum, car puissance n'y est pas acte, ainsi la ligne finie n'est pas un triangle. De l on voit que l'on peut tirer
ici de cette considration d'importantes remarques sur le maximum : comment il est lui-mme tel que le
minimum est en lui maximum ; ainsi, l'infini nous fait dpasser compltement toute opposition ; de ce principe,
on pourrait tirer son sujet autant de vrits ngatives qu'on pourrait en crire ou en lire. Bien plus, toute la
thologie que nous pouvons saisir sort de ce si grand principe ; et c'est pourquoi le plus grand scrutateur des
choses divines, le fameux Denis l'Aropagite dans sa Thologie mystique dit que le bienheureux Barthlmy a
merveilleusement compris la thologie, lui qui disait qu'elle tait galement maxima et minima ; en effet qui
comprend cela comprend tout et il dpasse toute intelligence cre. En effet Dieu, qui est ce maximum lui-
mme, comme le mme Denis le dit dans son De divinis nominibus, n'est pas telle chose de prfrence telle
autre, en tel endroit plutt qu'en tel autre ; en effet comme il est toutes choses, il n'est aussi rien du tout. Car,
ainsi que le mme conclut dans la fin de la Thologie mystique, lui-mme est, au-dessus de toute position, la
cause parfaite et singulire de toutes choses, et, au-dessus de la suppression de toutes choses, se place sa
prdominance, lui qui est d'une faon simple indpendant de toutes choses et au del de toutes choses. De l il
conclut dans la Lettre Gaius qu'il est connu au-dessus de tout esprit et de toute intelligence. Et, en concordance
avec cela, Rabbi Salomon dit que tous les sages ont convenu que les sciences n'apprhendent pas le crateur et il
n'y a que lui qui apprhende ce qu'il est ; et notre apprhension par rapport lui-mme est un dfaut d'approche
pour son apprhension. Et, cause de cela, le mme dit ailleurs en conclusion : Lou soit le crateur ! A
comprendre son essence la recherche des sciences s'arrte, la sagesse est rpute ignorance, et l'lgance des
mots affectation. Et voici bien cette docte ignorance, que nous cherchons, par laquelle seule Denis s'est efforc
par de multiples exemples de montrer que l'on pouvait trouver le crateur lui-mme, partir, je pense, du
principe que nous avons dit.
Que donc la spculation, que nous tirons de notre remarque la curvit infinie est la rectitude infinie ,
opre une transomption dans le maximum, propos de son essence parfaitement simple et infinie, parce qu'elle
est elle-mme l'essence la plus simple de toutes les essences ; voyons comment toutes les essences des choses
qui sont, ont t, ou seront, sont en acte toujours et ternellement en elle-mme, sont elle-mme, l'essence, et
ainsi toutes les essences sont l'essence mme de tout ; comment elle-mme, l'essence de tout, est ainsi n'importe
laquelle, parce qu'elle est toutes les essences en mme temps et aucune en parti culier ; et comment l'essence
maxima elle-mme, comme la ligne infinie est la mesure la plus adquate de toutes les lignes, est, de la mme
faon, la mesure la plus adquate de toutes les essences. En effet le maximum, puisque le minimum ne lui est pas
oppos, est ncessairement la mesure la plus adquate de toutes, ni trop grande puisque minimum, ni trop petite
puisque maximum. Or, toute chose mesurable tombe entre le maximum et le minimum. Donc l'essence infinie
est la mesure la plus adquate et la plus prcise de toutes les essences. Et pour qu'on voie cela encore plus
clairement, que l'on considre que si une ligne infinie tait constitue de lignes d'un pied en nombre infini et une
autre de lignes de deux pieds en nombre infini il serait ncessaire que ces lignes fussent absolument gales, parce
qu'il est faux que l'infini soit plus grand que l'infini. Donc, comme un pied seul n'est pas, dans la ligne infinie,
plus petit que deux pieds, ainsi est-il faux que la ligne infinie ait plus de diffrence avec un pied qu'avec deux.
Bien plus, toute partie de l'infini est infinie, donc un pied de ligne infinie se convertit avec la ligne infinie
entire, et deux pieds aussi. De la mme faon, comme toute essence dans l'essence maxima est l'essence
maxima elle-mme, le maximum n'est que la mesure la plus adquate de toutes les essences, et on ne trouve pas
d'autre mesure prcise de n'importe quelle essence que celle-l, en effet toutes les autres sont en dfaut, et
peuvent tre plus prcises, comme il a t trs clairement montr plus haut.


17 - ENSEIGNEMENTS TRS PROFONDS TIRS DU MEME PRINCIPE

Toujours la mme chose : la ligne finie est divisible, la ligne infinie indivisible, parce que l'infini n'a pas
de parties et qu'en lui le maximum concide avec le minimum. Mais la ligne finie n'est pas divisible en non ligne,
parce que, en grandeur, on ne parvient pas au minimum, tel qu'il ne puisse y en avoir de plus petit, comme il a
t montr plus haut ; aussi la ligne finie est indivisible en tant que ligne. En effet une ligne d'un pied n'est pas
moins ligne qu'une ligne d'une coude. Il reste donc que la ligne infinie est la raison de la ligne finie. Ainsi le
maximum simple est la raison de tout, or, la raison est la mesure. Aussi Aristote dit-il avec justesse dans sa
Mtaphysique que, d'abord, il y a le mtre et la mesure de toutes choses, parce que c'est l la raison de tout.
De mme, comme la ligne infinie est indivisible, elle qui est la raison de la ligne finie, et, par
consquent, immuable et perptuelle, ainsi la raison de toutes choses (qui est Dieu bni) est ternelle et
immuable. Et ici s'claire l'ide du grand Denis qui disait que la raison des choses est incorruptible, et de bien
d'autres, qui ont dit que la raison des choses est ternelle. De mme le divin Platon, au rapport de Calcidius, a dit
dans le Phdon : Un est le modle ou l'ide de toutes les choses : la chose en soi ; mais, lorsqu'on regarde les
choses, qui sont multiples, on voit de multiples modles . En effet lorsque je considre une ligne de deux pieds,
et une autre de trois pieds, et ainsi de suite, il y a deux choses : la raison de la ligne qui est une et gale dans les
deux et dans toutes les autres, et puis la diffrence qu'il y a entre la ligne de deux pieds et celle qui a trois pieds.
Ainsi la ligne de deux pieds me semble avoir une raison et la ligne de trois pieds une autre raison. Mais il est
manifeste que dans la ligne infinie il n'y a pas de diffrence entre la ligne de deux pieds et la ligne de trois pieds,
et c'est elle qui est la raison de la ligne finie. Donc, les deux lignes ont une seule raison et la diversit des choses
ou des lignes ne vient pas d'une diversit de raison, car il n'y a qu'une raison, mais d'accident, parce qu'elles ne
participent pas galement de la raison ; par consquent, il n'y a qu'une raison de toutes les choses et elles
participent d'elle de diverses faons. Pourquoi, alors, y a-t-il diverses faons de participer ? Parce que, on l'a
prouv plus haut, il ne peut pas y avoir deux choses galement semblables, par consquent qui participent tout
fait galement d'une seule raison. En effet il n'y a, dans l'galit parfaite, de raison de laquelle on puisse
participer, que par le maximum, parce qu'il est lui-mme la raison infinie ; de mme qu'il n'y a qu'une unit
maxima, ainsi ne peut-il y avoir qu'une seule galit de l'unit. Et comme elle est l'galit maxima, elle est la
raison de tout ; en effet il n'y a qu'une seule ligne infinie, qui est la raison de toutes les lignes finies, et parce que
la ligne finie vient ncessairement de celle-l mme qui est infinie, pour cela justement elle ne peut pas tre sa
propre raison, comme elle ne peut pas tre galement finie et infinie. Donc, comme deux lignes finies ne peuvent
jamais tre gales d'une faon prcise, parce que l'galit prcise, qui est maxima, n'est que le maximum lui-
mme, ainsi on ne trouve pas deux lignes qui participent galement de la raison unique pour toutes.
En outre, il n'est pas vrai que la ligne infinie soit plus grande dans une ligne de deux pieds que la ligne
de deux pieds, ni qu'elle soit plus petite ; on l'a dit plus haut ; ainsi en est-il de la ligne de trois pieds et ainsi de
suite ; et comme elle est indivisible et une, elle est tout entire dans n'importe laquelle des lignes finies ; mais il
n'est pas vrai qu'elle soit tout entire dans n'importe laquelle des lignes finies selon la participation et la finition,
autrement quand elle serait tout entire dans celle de deux pieds, elle ne pourrait pas tre dans celle de trois ;
comme la ligne de deux pieds n'est pas la ligne de trois pieds. Aussi est-elle tout entire dans n'importe laquelle,
sans tre dans aucune ; car elle est une et distincte des autres cause de leur finition. Donc, la ligne infinie est
tout entire dans n'importe quelle ligne, comme n'importe laquelle est en elle. Et il faut considrer cela
conjointement. Et l'on voit clairement comment le maximum est dans n'importe quelle chose et n'est dans
aucune ; et cela veut dire, puisque le maximum est dans la mme raison en n'importe quelle chose, comme
n'importe quelle chose est en lui-mme, et parce qu'il est cette raison elle-mme, que le maximum est en soi.
Donc, c'est la mme chose de dire que le maximum est le mtre et la mesure de tout, que le maximum simple est
en soi, ou qu'il est le maximum. Donc, aucune chose n'est en soi, si ce n'est le maximum, et toute chose, comme
tant dans sa raison, est en soi, parce que sa raison est le maximum.
De cela l'intelligence peut s'aider et, dans la ressemblance avec la ligne infinie, progresser beaucoup
vers le maximum simple dans l'ignorance sacre au-dessus de toute intelligence, car nous voyons alors
clairement comment nous trouvons Dieu, par suppression de la participation des tres. En effet tous les tres
participent de l'entit. Donc, que l'on enlve de tous les tres la participation, reste l'entit parfaitement simple
elle-mme, qui est l'essence de tous les tres et nous ne voyons une telle entit elle-mme que dans la docte
ignorance, en effet lorsque je supprime en esprit tout ce qui participe de l'entit, rien ne parat rester. Et cause
de cela le grand Denis dit que l'intelligence de Dieu amne plutt au nant qu' quelque chose. Mais l'ignorance
sacre m'apprend que ce qui semble le nant l'intelligence est le maximum incomprhensible.


18 - COMMENT, DU MME PRINCIPE, NOUS SOMMES CONDUITS A L'INTELLIGENCE DE
LA PARTICIPATION DE L'ENTIT

Notre intelligence insatiable stimule, avec la plus grande douceur, par ces dbuts, demande comment
on peut voir plus clairement cette participation du maximum unique et, s'aidant nouveau de l'exemple de la
rectitude linaire infinie, elle dit : Il n'est pas possible qu'une courbe, qui est susceptible de plus et de moins, soit
le maximum ou le minimum, et la courbe n'est pas quelque chose comme courbe, car elle est une dchance de la
droite. Donc l'tre qui est dans une courbe vient de la participation de la rectitude, puisque au maximum et au
minimum une courbe est une droite. C'est pourquoi moins la courbe est courbe, comme est la circonfrence d'un
cercle plus grand, plus elle participe de la rectitude, non qu'elle en prenne une partie, puisque la rectitude infinie
n'est pas divisible en parties, mais plus la ligne droite finie est grande, plus elle parat participer de l'infinit de la
ligne infinie maxima. Or, la droite finie, en tant que droite, de cette rectitude dans laquelle se rsout la curvit
minima, participe de l'infinie selon une participation plus simple ; la courbe au contraire le fait selon une
participation qui n'est pas aussi simple et immdiate, mais qui est plutt mdiate et loigne parce que par le
moyen de la rectitude de laquelle elle participe ; donc quelques tres participent plus immdiatement de l'entit
maxima en soi : les substances finies simples ; d'autres au contraire participent de l'entit non par eux-mmes,
mais par le moyen des substances : ce sont les accidents ; donc, malgr la diversit de participation, la rectitude,
comme dit Aristote, est la mesure de soi-mme et de l'oblique, comme la ligne infinie est la mesure de la ligne
droite et de la ligne courbe, ainsi le maximum est la mesure de tous les tres qui participent, si diverses qu'en
soient leurs faons. En ceci se comprend cette parole : la substance n'a pas de plus ni de moins ; voil comment
ceci est vrai : la ligne droite finie, en tant que droite, n'a pas de plus ni de moins, mais, parce que finie, et
participant avec diversit de l'infinie, l'une, par rapport l'autre, est plus grande ou plus petite et l'on n'en trouve
jamais deux d'gales. Mais la courbe, dans sa participation de la rectitude, est susceptible de plus et de moins ; et,
en consquence, cause mme de la rectitude de laquelle elle participe, elle reoit de la rectitude plus et moins.
De l vient que plus les accidents participent d'une substance noble, plus ils sont nobles. Et l'on voit ainsi
comment il ne peut y avoir que des tres qui participent soit par eux, soit par d'autres de l'entit du premier, de
mme qu'on ne trouve que des lignes droites ou courbes.
Et pour cela, Aristote divise avec justesse tout ce qu'il y a au monde en substance et en accident. Donc
de la substance et de l'accident il n'y a qu'une mesure parfaitement adquate, qui est le maximum trs simple lui-
mme, et, bien qu'il ne soit ni substance, ni accident, il est manifeste d'aprs nos premires recherches, que le
nom des tres qui participent de lui immdiatement lui est plus naturel : celui de substance, plutt que d'accident.
Aussi le trs grand penseur Denis l'appelle plus que substance, soit supersubstantiel, plutt que superaccidentel,
parce qu'il est beaucoup plus de dire qu'une chose est supersubstantielle que superaccidentelle ; c'est pourquoi le
premier nom lui est donn avec infiniment plus de convenance. Or, il est dit supersubstantiel, c'est--dire
apparemment non substantiel, parce que la substance est plus bas que lui, mais il est au-dessus de la substance ;
ainsi un nom ngatif convient au maximum avec plus de vrit, comme nous le dirons plus bas propos des
noms qu'on peut donner Dieu. Quelqu'un pourrait, d'aprs les pages prcdentes, faire beaucoup de recherches
propos de la diversit et de la noblesse des accidents et des substances ; mais nous n'avons pas lieu de le traiter
ici.

19 - TRANSOMPTION DU TRIANGLE A LA TRINIT MAXIMA

Sur ce que nous avons dit et montr, que la ligne maxima est le triangle maximum, instruisons-nous
maintenant dans l'ignorance. On a montr que la ligne maxima est un triangle, et parce que la ligne est infiniment
simple, elle sera un trine infiniment simple. Tout angle du triangle sera une ligne, puisque le triangle tout entier
est une ligne. C'est pourquoi la ligne infinie est trine. Or, il n'est pas possible qu'il y ait plus d'un infini ; aussi
cette trinit est unit. En outre, comme un angle oppos un plus grand ct est plus grand, comme on le montre
en gomtrie, et comme nous avons l un triangle qui n'a que des cts infinis, les angles seront au maximum et
infinis. Aussi l'un n'est il pas plus petit que les autres, et deux ne sont pas suprieurs au troisime, mais parce
que, hors de la quantit infinie, il ne peut y avoir de quantit, ainsi hors d'un angle unique et infini, il ne peut pas
y avoir d'autres angles. C'est pourquoi ils seront l'un dans l'autre, et tous trois en seront un, maximum. En outre,
comme la ligne maxima n'est pas ligne plutt que triangle, cercle ou sphre mais qu'elle est vritablement toutes
ces figures en dehors de la complexit (on l'a montr), ainsi, de la mme faon, le maximum simple est comme
un maximum linaire, que nous pouvons nommer essence ; comme un maximum triangulaire, et il peut tre dit
trinit ; comme un maximum circulaire et il peut tre dit unit ; comme un maximum sphrique et il peut tre dit
existence actuelle. Donc, le maximum est une essence trine, une en acte ; et l'essence n'est pas autre chose que la
trinit ; la trinit n'est pas autre chose que l'unit ; l'actualit n'est pas autre chose que unit, trinit ou essence,
bien qu'il soit trs vrai que le maximum est tout cela identiquement et trs simplement. Donc, comme il est vrai
que le maximum est et qu'il est un, ainsi il est vrai que lui-mme est trine, de la faon dont la vrit de la trinit
ne contredit pas l'unit infiniment simple, mais est l'unit mme. Or, cela n'est pas possible autrement que
comme on l'atteint grce la similitude avec le triangle maximum.
C'est pourquoi, connaissant d'aprs ce qui prcde le vrai triangle lui-mme, et la ligne infiniment
simple de la faon qui est possible l'homme, nous atteindrons la trinit dans la docte ignorance. En effet nous
voyons que nous ne trouvons pas un angle et puis un autre et puis troisimement encore un autre, comme dans
les triangles finis, en effet un angle, un autre et puis un troisime ne peuvent pas exister dans l'unit du triangle
sans complexit, mais nous en voyons un qui est trinit en dehors de la multiplicit numrique. C'est pourquoi
avec justesse le trs savant Augustin dit : Ds que tu commences compter la trinit, tu sors de la vrit . En
effet en thologie il faut, autant que possible, embrasser les contradictoires d'une conception simple, en les
dpassant eux-mmes (1) ; pense qu'il ne faut pas en thologie concevoir la distinction et l'indistinction, et
seulement deux choses contradictoires, mais il faut les concevoir comme elles sont dans leur principe le plus
simple, en les dpassant, l o il n'y a pas de diffrence entre la distinction et l'indistinction ; alors on conoit
plus clairement que la trinit et l'unit soient la mme chose. En effet o la distinction est indistinction, la trinit
est unit ; et inversement o l'indistinction est distinction, l'unit est trinit. Et il en est ainsi de la pluralit des
personnes et de l'unit de l'essence. En effet l o pluralit est unit, trinit des personnes est la mme chose
qu'unit de l'essence. Et, inversement, l o unit est pluralit, unit de l'essence est trinit dans les personnes ; et
l'on voit aussi clair dans notre exemple, o la ligne infiniment simple est un triangle, et inversement le triangle
simple, unit linaire. Ici on voit mme comment les angles du triangle ne peuvent pas tre compts par un,
deux, trois, puisque n'importe lequel est dans n'importe lequel, comme dit le Fils : Je suis dans le Pre et le
Pre en moi . Encore une fois la vrit du triangle demande trois angles. Donc, il y a ici trs vritablement trois
angles, et chacun est maximum, et tous sont un seul maximum. En outre la vrit du triangle demande qu'un
angle n'en soit pas un autre, et en mme temps la vrit de l'unit de l'essence infiniment simple demande que ces
trois angles n'en soient pas trois distincts, mais un seul, et cela encore est vrai ici. Donc runis, en les dpassant,
comme j'ai dit, ces choses qui paraissent opposes, et tu n'auras pas un et trois, ou inversement, mais l'unitrine ou
le tri-un ; et c'est l la vrit.
(1) Nous suivons le texte de T.


20 - ENCORE AU SUJET DE LA TRINIT : LA QUATERNIT ET PLUS N'EST PAS POSSIBLE
DANS LES CHOSES DIVINES

De plus la vrit de la trinit, qui est trinit, demande que le trine soit un, puisqu'il est dit tri-un. Or, cela
ne tombe pas dans nos conceptions, si ce n'est de la manire dont la corrlation unit les choses distinctes et
l'ordre les distingue. Donc, comme lorsque nous faisons un triangle fini, d'abord il y a un angle, en second lieu
un autre, en troisime lieu un troisime aprs les deux, et ces angles ont une corrlation mutuelle de telle sorte
qu'ils ne forment qu'un seul triangle, ainsi en est-il infiniment dans l'infini. Cependant il faut concevoir la priorit
dans l'ternit d'une faon telle que la postriorit ne lui soit pas en contradiction ; autrement il ne pourrait pas
arriver de priorit et de postriorit dans l'infini et dans l'ternel. Donc le pre n'est pas antrieur au fils et le fils
n'est pas postrieur, mais le pre est antrieur d'une faon telle que le fils ne lui est pas postrieur. Le pre est la
premire personne d'une faon telle que le fils n'est pas, ensuite, seconde personne ; mais parce que le pre est la
premire sans priorit, ainsi le fils est la seconde sans postriorit et l'Esprit-Saint la troisime de la mme faon.
Mais cela suffit, car 'a t dit suffisamment plus haut.
Veuille cependant au sujet de cette trinit jamais bnie, remarquer que le maximum lui-mme est trine
et non pas quaterne, ou quine et plus. Et cela est, sans nul doute, digne d'tre not ; en effet cela rpugne la
simplicit et la perfection du maximum ; en effet toute figure polygonale a pour lment infiniment simple la
figure triangulaire, et celle-l est la figure polygonale minima, telle qu'il ne peut y en avoir de plus petite. Or, il a
t prouv que le minimum simple concide avec le maximum. Donc, le triangle est dans les figures polygonales,
comme l'unit dans les nombres. Donc, comme tout nombre se rsout en unit, ainsi les figures polygonales en
triangle ; donc le triangle maximum, avec lequel concide le minimum, embrasse toutes les figures polygonales.
En effet le triangle maximum se comporte l'gard de tout polygone, comme l'unit maxima l'gard de tout
nombre. Or, la figure quadrangulaire n'est pas la plus petite, c'est vident, puisque la figure triangulaire est plus
petite qu'elle. Donc, la figure quadrangulaire, qui ne peut pas exister sans complexit, puisqu'elle est plus grande
que le minimum, ne peut aucunement convenir au maximum infiniment simple qui ne peut concider qu'avec le
minimum ; bien plus il y a contradiction entre tre le maximum et tre quadrangulaire : la mesure des triangles,
en effet, ne pourrait pas tre adquate ; il y aurait toujours un excdent. Comment donc serait un maximum qui
ne serait pas la mesure de tout ? Bien plus, comment serait un maximum qui aurait autre chose dans sa
composition et qui, par consquent, serait fini ?
On voit dj pourquoi d'abord de la puissance de la ligne simple sort le triangle simple, par lequel on
arrive aux polygones, puis le cercle simple, puis la sphre simple, et l'on n'arrive pas d'autres figures que ces
figures lmentaires mutuellement infinies, hors de toute proportion, enveloppant en elles-mmes toutes les
figures. Donc, comme il serait ncessaire, si nous voulions concevoir les mesures de toutes les quantits
mesurables d'abord pour la longueur, d'avoir une ligne infinie maxima avec laquelle conciderait le minimum,
ensuite, de la mme faon, pour l'tendue rectilinaire, d'avoir le triangle maximum, et pour l'tendue circulaire
(l) le cercle maximum, et pour la profondeur la sphre maxima, et d'autres que ces quatre figures, on ne pourrait
pas atteindre toutes les choses mesurables, comme, aussi, toutes ces mesures seraient ncessairement infinies et
au maximum avec lequel concide le minimum, et comme il ne peut y avoir plus d'un maximum, en consquence
nous disons que le maximum unique lui-mme qui doit tre la mesure de tout ce qui est susceptible de quantits,
se trouve tre ces choses sans lesquelles il ne peut y avoir de mesure maxima, bien que, considr en soi, sans
tenir compte de ce qui se mesure, il ne soit ou ne puisse tre dit vritablement aucune d'elles, mais infiniment et
incomparablement au-dessus. Ainsi le maximum simple, parce qu'il est la mesure de tout, est lui-mme, disons-
nous, ce sans quoi nous ne comprenons pas qu'il puisse tre lui-mme la mesure de tout. C'est pourquoi, bien que
le maximum soit infiniment au-dessus de toute trinit, nous le disons trine, parce qu'autrement nous ne
comprendrions pas qu'il ft la cause simple, le mtre et la mesure des choses dont l'unit d'essence est trinit,
comme dans les figures l'unit triangulaire consiste dans une trinit d'angles, bien que, en vrit, si l'on ne
considre pas cela, et le nom et notre conception de la trinit ne conviennent en rien au maximum mais soient
infiniment loigns de cette vrit maxima et incomprhensible. C'est pourquoi nous tenons le triangle maximum
pour la mesure parfaitement simple de tous les tres qui subsistent trinalement, comme sont les oprations, les
actions qui consistent trinalement en puissance, objet, acte ; de mme les visions, intellections, volitions,
similitudes, dissemblances, beauts, proportions, corrlations, apptits naturels et toutes les autres choses, dont
l'unit d'essence consiste en une pluralit, comme sont principalement l'tre et l'opration de nature consistant en
la corrlation d'un agent, d'un patient et d'une rsultante commune des deux.

(1) Nous suivons T.


21 - TRANSOMPTION DU CERCLE INFINI A L'UNIT

Nous avons dit quelques mots du triangle maximum ; de mme nous en ajouterons quelques-uns sur le
cercle infini. Le cercle est la figure parfaite de l'unit et de la simplicit. Dj l'on a montr plus haut que le
triangle est un cercle ; ainsi la trinit est-elle unit. Mais cette unit est infinie, comme le cercle infini. C'est
pourquoi elle est, s'il est permis de parler ainsi, plus une et plus identique que toute unit expressible et
infiniment apprhensible par nous ; en effet, il y a l une si grande identit qu'elle passe avant toutes les
oppositions mme relatives, parce que l'autre et le divers n'y sont pas opposs l'identit ; c'est pourquoi, comme
le cercle est le maximum de l'unit infinie, tout ce qui convient ce maximum est lui-mme, sans diversit et
alit, parce que sa bont n'est pas diffrente de sa sagesse, mais la mme chose. En effet toute diversit est en
lui identit. Donc, comme sa puissance est, pour ainsi dire, parfaitement une, elle est aussi parfaitement forte et
infinie. Et sa dure est si parfaitement une que le pass n'est pas autre chose, en lui, que le futur, le futur que le
prsent ; mais ils sont la dure parfaitement une, ou ternit sans commencement ni fin ; en effet si grand est le
contenu du commencement lui-mme que la fin y est commencement. Or, tout ceci nous est montr par le cercle
infini sans commencement ni fin, ternel indivisiblement, un et puissant au maximum. Et, parce que ce cercle est
maximum, son diamtre aussi est maximum. Comme il ne peut pas y avoir plusieurs maxima, ce cercle est si
parfaitement un que son diamtre est sa circonfrence. Mais un diamtre infini a un milieu infini. Or son milieu
est son centre. On voit donc que centre, diamtre et circonfrence sont la mme chose. Par l notre ignorance
apprend que le maximum est incomprhensible, que le minimum ne lui est pas oppos, mais que le centre est en
la circonfrence. Tu vois comment le maximum parfait tout entier est l'intrieur de tout, qu'il est simple et
indivisible, puisqu'il est le centre infini ; et en dehors de tout, entourant toutes choses, puisque circonfrence
infinie ; et pntrant tout, puisque diamtre infini ; principe de toutes choses, puisque centre ; fin de toutes
choses, puisque circonfrence ; milieu de tout, puisque diamtre. Cause efficiente, puisque centre ; formelle,
puisque diamtre ; finale, puisque circonfrence. Donnant l'tre, puisque centre; gouvernant, puisque diamtre ;
conservant, puisque circonfrence ; et ainsi de suite pour beaucoup de choses. C'est pourquoi tu apprhendes par
l'intelligence comment le maximum n'est la mme chose que rien, ni diffrent de rien, et comment tout est en lui,
de lui et par lui, parce qu'il est circonfrence, diamtre et centre. Non parce qu'il est cercle ou circonfrence,
diamtre ou centre, mais, parce qu'il est le maximum si parfaitement simple, qu'on l'explore au moyen de ces
comparaisons, on trouve qu'il entoure tout ce qui est et n'est pas, de telle sorte que ne pas tre est en lui tre le
maximum, comme le minimum est le maximum ; il est la mesure de toute circulation de la puissance l'acte, et,
au retour, de l'acte la puissance, de la composition partir des principes jusqu'aux individus, de .la rsolution
des individus aux principes, des formes parfaitement circulaires et des oprations circulaires, des mouvements
sur soi qui reviennent leur commencement et de toutes les choses semblables, dont l'unit consiste dans une
perptuit circulaire.
Ici l'on pourrait tirer beaucoup de conclusions de cette figure circulaire, au sujet de la perfection de
l'unit ; mais n'importe qui, en se conformant aux prmisses, peut les tirer facilement ; pour tre bref je passe.
Cependant j'invite noter comment toute thologie est circulaire, et se trouve pose en cercle ; tel point que les
noms des attributs se vrifient circulairement l'un l'autre : la justice parfaite est la vrit parfaite ; la vrit
parfaite est la justice parfaite ; et ainsi pour toutes choses ; si on veut poursuivre cette recherche, une infinit de
choses thologiques encore obscures, pourront devenir trs manifestes.


22 - LA PROVIDENCE DE DIEU UNIT LES CONTRADICTOIRES

Or, pour chercher comment nous sommes conduits une intelligence profonde, appliquons notre
recherche la providence de Dieu, au moyen de ce que nous savons dj. Et parce qu'il est manifeste d'aprs ce
qui prcde que Dieu embrasse tout, mme les contradictoires, rien ne peut chapper sa providence ; que nous
ayons fait quelque chose, ou l'oppos de cela, ou rien, tout a t impliqu dans la providence de Dieu. Donc, rien
n'arrivera si ce n'est selon la providence de Dieu. Sans doute Dieu aurait pu prvoir beaucoup de choses, qu'il n'a
pas prvues et ne prvoira pas, sans doute aussi il a prvu beaucoup de choses qu'il aurait pu ne pas prvoir, mais
rien ne peut tre ajout la divine providence, ni lui tre enlev ; ainsi la nature humaine est simple et une :
qu'un homme naisse, mme dont la naissance n'tait pas attendue, rien n'est ajout la nature humaine et rien ne
lui serait enlev, s'il ne naissait pas ; c'est tout comme la mort et cela parce que la nature humaine enferme en
elle aussi bien ceux qui sont, que ceux qui ne sont pas et ne seront pas, quoiqu'ils aient pu tre. Ainsi mme s'il
arrivait ce qui n'arrivera jamais, rien ne serait ajout la providence divine, parce qu'elle-mme enferme aussi
bien ce qui arrive, que ce qui n'arrive pas mais peut arriver. Donc, comme il y a dans la matire beaucoup de
possibles qui ne se raliseront jamais, ainsi, inversement, les choses qui n'arriveront pas, si elles peuvent arriver,
si elles sont dans la providence de Dieu, y sont non pas d'une faon possible, mais en acte, et il ne rsulte pas de
l que ces choses soient en acte. Comme nous disons que la nature humaine enferme et embrasse une infinit de
choses, parce que ce sont non seulement les hommes qui ont t, sont et seront, mais ceux qui peuvent tre, alors
mme qu'ils ne seront jamais, ainsi elle embrasse le muable d'une faon immuable. Comme l'unit infinie
enferme tout nombre, ainsi la providence de Dieu enferme les choses en nombre infini : celles qui arriveront,
celles qui n'arriveront pas mais peuvent arriver, et leurs contraires, comme le genre enferme les diffrences
contraires, et ce qu'elle sait, elle ne le sait pas avec la diffrence des temps, parce qu'elle ne sait pas le futur
comme futur, ni le pass comme pass, mais elle sait ternellement et immuablement les choses muables.
Aussi est-elle invitable et immuable, et rien ne peut la dpasser, et tout ce qui est rapport la
providence elle-mme est dit avoir le caractre de la ncessit ; et bon droit, car tout est en Dieu, qui est la
ncessit absolue. Et l'on voit ainsi que les choses qui n'arriveront jamais, sont dans la providence de Dieu de la
faon que nous avons dite, mme si elles n'ont pas t prvues pour arriver, et il est ncessaire que Dieu ait prvu
ce qu'il a prvu, car sa providence est ncessaire et immuable ; et cela, alors mme qu'il aurait pu prvoir
l'oppos de ce qu'il a prvu ; en effet si l'on pose que Dieu embrasse tout, on ne pose pas, du mme coup, ce qui
est embrass, mais si l'on pose le dveloppement on pose que Dieu embrasse tout : en effet je pourrai, demain,
lire ou ne pas lire, quel que soit ce que j'aurai fait, je n'chappe pas la providence, car elle embrasse les
contraires ; et tout ce que j'aurai fait arrivera selon la providence de Dieu.
Ainsi on voit comment, d'aprs nos premiers principes qui nous enseignent que le maximum est avant
toute opposition, parce qu'il embrasse, qu'il enferme toutes les choses de toutes les faons, nous apprhendons la
vrit sur la providence de Dieu et autres choses semblables.

23 - TRANSOMPTION DE LA SPHRE INFINIE A L'EXISTENCE ACTUELLE DE DIEU

Il convient de spculer encore quelque peu au sujet de la sphre infinie. Nous trouvons que, dans la
sphre infinie, trois lignes maxima concourent au centre : celles de la longueur, de la largeur et de la profondeur.
Mais le centre de la sphre maxima est gal au diamtre et la circonfrence. Donc, pares trois lignes la sphre
infinie est gale au diamtre et la circonfrence. Donc, par ces trois lignes la sphre infinie est gale au
centre, bien plus, le centre est tout cela : longueur, largeur et profondeur ; il sera donc le maximum simple et
infini, et toute longueur, largeur et profondeur qu'on trouve en lui sont le maximum un, parfaitement simple et
indivisible. Et, comme le centre prcde toute largeur, longueur et profondeur et qu'il est la fin ainsi que le
milieu de tout cela, puisqu'il est le centre dans la sphre infinie, paisseur et circonfrence sont la mme chose, et
de mme que la sphre infinie est entirement en acte et infiniment simple, ainsi le maximum est entirement en
acte d'une faon infiniment simple. Et comme la sphre est l'acte de la ligne, du triangle et du cercle, ainsi le
maximum est l'acte de toutes choses. C'est pourquoi toute existence actuelle tient de lui tout ce qu'il y a
d'actualit, et toute existence existe en acte pour autant qu'elle est en acte dans l'infini lui-mme ; par suite le
maximum est la forme des formes (1), la forme de l'essence, ou l'entit maxima actuelle. Aussi Parmnide, dans
une considration trs subtile, disait : Dieu est celui pour lequel qu'une chose soit ce qu'elle est, consiste en ce
qu'elle soit tout ce qu'elle est. Donc, comme la sphre est l'ultime perfection des figures, telle qu'il ne peut pas
y en avoir de plus grande, ainsi le maximum est la perfection tellement la plus parfaite de toutes que toute
imperfection est en lui infiniment parfaite, comme la ligne infinie est une sphre et comme en elle curvit est
rectitude, complexit simplicit, diversit identit, altrit unit, et ainsi de suite. En effet comment pourrait-il y
avoir une imperfection quelconque l o l'imperfection est la perfection infinie, la possibilit acte infini et ainsi
de suite.
Maintenant nous voyons clairement, puisque le maximum est comme la sphre maxima, comment de
tout l'univers et de tout ce qui existe dans l'univers il est l'unique mesure parfaitement simple et adquate,
puisqu'en lui il est faux que le tout soit plus grand que la partie, la sphre que la ligne infinie. Donc, Dieu est la
raison, unique parfaitement simple de l'univers entier, et comme la sphre provient des circulations infinies, ainsi
Dieu, comme la sphre maxima, est la mesure parfaitement simple de toutes les circulations ; en effet toute
vivification, tout mouvement, toute intelligence viennent de lui, sont en lui, sont par lui ; auprs de lui une
rvolution de la huitime sphre n'est pas plus petite qu'une rvolution de la sphre infinie, parce qu'il est la fin
de tous les mouvements, qu'en lui tout mouvement se repose, comme dans sa fin. En effet il est le repos
maximum en qui tout mouvement est repos. Ainsi le repos maximum est la mesure de tous les mouvements,
comme la rectitude maxima celle de toutes les circonfrences, et la prsence maxima ou ternit celle de tous les
temps ; en lui en effet tous les mouvements naturels, comme en leur fin, se reposent, et toute puissance se parfait
en lui, comme dans l'acte infini. Et parce qu'il est lui-mme l'entit de tout tre, et que tout mouvement va vers
l'tre, le mouvement est lui-mme repos, c'est--dire la fin du mouvement : il est la forme et l'acte de l'tre. Donc
tous les tres tendent vers lui. Et parce qu'ils sont finis et ne peuvent pas participer galement de leur fin, en
comparaison les uns des autres, quelques-uns participent de cette fin par le moyen d'autres, comme la ligne est
conduite la sphre par le moyen du triangle et du cercle, et le triangle par le moyen du cercle et le cercle est
conduit la sphre par lui-mme.
(1) Nous suivons le texte de T.


24 - LA DNOMINATION DE DIEU ET LA THOLOGIE AFFIRMATIVE

Maintenant que, grce Dieu, nous avons travaill sur l'exemple des mathmatiques devenir plus
savants dans notre ignorance au sujet du maximum premier, pour tre plus complets encore faisons des
recherches sur le nom du maximum ; et, cette recherche, si nous nous la sommes convenablement rpte
mentalement, comme nous l'avons fait maintes fois, nous sera d'une invention facile. Il est manifeste, puisque le
maximum est le maximum simple lui-mme, qui rien n'est oppos, qu'aucun nom ne peut lui convenir avec
proprit ; car tous les noms sont venus d'un choix particulier de notre raison, par lequel on distingue une chose
d'une autre ; mais, l o toutes choses sont unit, aucun nom ne peut tre appropri.
Aussi est-ce bon droit qu'Herms Trimegistus dit : Parce que Dieu est l'universalit des choses (1), il
ne peut avoir aucun nom appropri, parce que ou bien il serait ncessaire d'appeler Dieu du nom de tout, ou bien
toutes choses de son nom, puisque lui-mme enferme dans sa simplicit l'universalit de toutes les choses .
Donc selon lui-mme, le nom qui lui est appropri (que nous disons ineffable, et qui est #$#%&'((#!"
ou de quatre lettres, et qui est appropri parce qu'il convient Dieu non par un rapport quelconque aux cratures,
mais selon son essence propre) doit tre compris : un et tout , ou tout en un , ce qui est mieux, car, ainsi,
nous voyons place plus haut l'unit maxima, qui est la mme chose que tout en un , Bien plus un nom parat
encore plus prs et plus convenable que tout en un , c'est unit . Et c'est pourquoi le Prophte dit :
Comment Dieu sera en ce jour et son nom sera un . Et ailleurs : coute, Isral (c'est--dire vois Dieu par ton
intelligence), parce que ton Dieu est un .
Or, l'unit n'est pas l'appellation de Dieu de la faon dont nous nommons ou comprenons l'unit, parce
que, comme Dieu dpasse toute intelligence, ainsi a fortiori dpasse-t-il toute dnomination. Et les noms sont
imposs par un mouvement de la raison, laquelle est de beaucoup infrieure l'intelligence, en vue de distinguer
les choses ; or, parce que la raison ne peut pas franchir les contradictoires, il n'y a pas de nom auquel n'en soit
pas oppos un autre, selon le mouvement de notre raison. C'est pourquoi pluralit ou multitude sont
opposs unit selon un mouvement de notre raison. Cette unit l ne convient pas Dieu, mais une
unit laquelle ne sont opposes ni l' altrit , ni la pluralit , ni la multitude . Ce nom c'est
maximum , parce qu'il enferme tout dans la simplicit de son unit, et il est le nom ineffable plac au-dessus de
toute intelligence. En effet qui pourrait comprendre l'unit infinie qui dpasse infiniment toute opposition, o
toutes choses sont enfermes dans la simplicit, hors de toute complexit, o l'autre et le divers n'existent pas, o
l'homme n'est pas diffrent du lion, le ciel de la terre, et o cependant ils sont trs vritablement, non pas selon
leur finit, mais en y tant contenus, l'unit maxima elle-mme ? C'est pourquoi, si quelqu'un pouvait
comprendre ou nommer une telle unit qui est toutes choses, alors qu'elle est l'unit et le maximum, alors qu'elle
est le minimum, celui-l atteindrait la dnomination de Dieu. Mais, comme l'appellation de Dieu est Dieu ,
son nom est inconnu, si ce n'est par cette intelligence qui est le maximum lui-mme et le nom maximum. C'est
pourquoi, la docte ignorance nous le fait toucher du doigt, bien que le nom unit paraisse trs proche du
maximum, il est cependant infiniment loign du vrai nom du maximum qui est maximum lui-mme. C'est
pourquoi il est maintenant manifeste que les noms affirmatifs que nous attribuons Dieu, ne lui vont qu'en le
diminuant infiniment ; en effet de tels noms lui sont attribus d'aprs quelque chose que l'on trouve dans les
cratures.
Donc, comme aucun nom particulier, parce qu'il a forcment quelque chose de distinct de lui qui lui est
oppos, ne peut convenir Dieu, si ce n'est avec une diminution infinie, il suit que les affirmations ne sont pas
assez comprhensives, comme dit Denis. En effet, si on dit qu'il est Vrit on verra en face Fausset ,
Vertu , ce sera alors Vice , Substance , ce sera Accident , et ainsi de suite. Mais comme lui-mme n'est
pas une substance qui ne soit pas tout et telle que rien ne lui soit oppos, et qu'il n'est pas une vrit qui ne soit
pas tout, en dehors de toute opposition, ces noms particuliers ne peuvent lui convenir qu'en le diminuant
l'infini. En effet comme toute affirmation dpose en lui, pour ainsi dire, quelque chose de sa signification,
aucune ne peut lui convenir, lui qui est aussi bien quelque chose que tout. Et c'est pourquoi les noms
affirmatifs, s'ils lui conviennent, ne lui conviennent que par rapport aux cratures, non que les cratures soient la
cause pour laquelle ils lui conviennent, puisque le maximum ne peut rien tenir des cratures, mais ils lui
conviennent de par sa puissance infinie l'gard des cratures : Dieu ternellement a pu crer, parce que s'il
n'avait pas pu, il n'aurait pas eu la toute-puissance. Donc, ce nom crateur., bien qu'il lui convienne par
rapport aux cratures, lui a convenu nanmoins avant que ft toute crature, parce que de toute ternit il aurait
pu crer. Il en est ainsi de justice et de tous les autres noms affirmatifs que nous attribuons Dieu en les
prenant aux cratures, parce qu'ils signifient, par eux- mmes, quelque perfection ; et cela bien que tous ces noms
aient t de toute ternit, avant mme que nous les lui eussions attribus, vritablement enferms dans sa haute
perfection et dans son nom infini, comme toutes les choses qui sont signifies par de tels noms, et desquelles
nous les transfrons Dieu.
Et ce que nous disons des noms affirmatifs est tellement vrai que le nom mme de la trinit et de ses
personnes Pre, Fils et Saint-Esprit, lui sont imposs de par la complexion des cratures ; en effet parce que Dieu
est le pre qui engendre du fait de son unit, le fils qui est engendr du fait de l'galit de l'unit, l'esprit-saint du
fait qu'il est la connexion des deux, il est clair que le fils est appel fils du fait qu'il est l'galit de l'unit, de
l'entit ou de l'essence. Donc il est clair, du fait que Dieu aurait pu de toute ternit crer les choses, mme s'il ne
les avait pas cres, qu'il est dit fils en considration des choses elles- mmes ; en effet il est fils parce qu'il est
l'galit d'tre, au-dessus et au-dessous de laquelle les choses ne pourraient pas tre ; ainsi l'on voit qu'il est fils
du fait qu'il est l'galit d'entit des choses que Dieu pouvait faire, mme, s'il n'avait pas d les faire, mais c'est
s'il n'avait pas pu les faire que Dieu n'aurait t ni pre, ni fils, ni esprit-saint, bien plus, qu'il n'aurait pas mme
t Dieu. C'est pourquoi, si tu subtilises, que le pre engendre le fils, tout cela est contenu dans le mot crer .
Et, d'aprs cela, Augustin affirme que le mot lui-mme, le Verbe, est un artifice et une ide crs en
considration des cratures. Donc Dieu est pre du fait qu'il a engendr l'galit de l'unit, et esprit-saint du fait
qu'il est leur amour mutuel, et tout cela en considration des cratures. En effet la crature commence tre du
fait que Dieu est pre ; du fait qu'il est fils elle est paracheve ; du fait qu'il est esprit-saint, elle se met en accord
avec l'ordre universel des choses : tels sont, dans chacune des choses, les traces de la trinit. Et voil aussi l'ide
d'Aurelius Augustin lorsqu'il exposait cette parole de la Gense : Au commencement Dieu cra le ciel et la
terre , ide qui explique que Dieu a cr les principes (2) des choses du fait qu'il est pre.
C'est pourquoi quelque affirmation que l'on prononce sur Dieu dans la thologie, elle est fonde sur la
considration des cratures, mme pour ce qui est de ces noms trs saints, dans lesquels se cachent les plus
profonds mystres de la connaissance de Dieu, ces noms que gardent les Hbreux et les Chaldens, dont aucun
n'exprime Dieu si ce n'est suivant une proprit particulire, except le nom des quatre lettres qui sont !"!# ;
cest le nom appropri et ineffable que nous avons interprt plus haut ; Hieronimus et Rabbi Salomon en parlent
longuement dans le livre Dux neutrorum, on peut s'y reporter.
(1) Nous suivons le texte de T.
(2) Nous suivons JT.


25 - LES GENTILS NOMMAIENT DIEU DE DIVERSES FAONS, EN CONSIDRATION DES
CRATURES

De la mme manire les paens nommaient Dieu, par diverses considrations sur les cratures : Jupiter,
cause de sa bont tonnante. En effet Julius Firmicus dit que Jupiter est un astre si prospre que, si Jupiter
rgnait seul dans le ciel, les hommes seraient immortels. Ainsi ils le nommaient Saturne cause de la profondeur
des penses et des inventions dans les choses ncessaires la vie ; Mars, cause des victoires dans les guerres ;
Mercure, cause de la prudence des conseils ; Vnus, cause de l'amour qui conserve la nature ; Soleil, cause
de la vigueur des mouvements naturels ; Lune, cause de la conservation des humeurs, en laquelle consiste la
vie ; Cupidon, cause de l'amiti des deux sexes, ce pourquoi on l'appelait mme Nature parce qu'il conserve les
espces des choses, au moyen de la dualit des sexes. Herms dit que toutes les choses, animales et non
animales, ont deux sexes ; c'est pourquoi, dit-il, la cause de toutes choses, savoir Dieu, enferme en lui le sexe
masculin et le sexe fminin ; fait dont il voyait une explication dans Cupidon et Vnus. Mme le Romain
Valerius, affirmant la mme chose, chantait un Jupiter tout-puissant, Dieu pre et mre, d'o il concluait que
Cupidon, en tant qu'une chose en dsire (cupit) une autre, est fille de Vnus, c'est--dire la beaut naturelle elle-
mme. Mais on disait que Vnus tait la fille de Jupiter tout-puissant, duquel vient la nature ainsi que tout ce qui
l'accompagne. Mme le temple de la paix, et de l'ternit et de la concorde, le Panthon dans lequel se trouvait
l'autel du Terme infini, qui n'a pas de terme, au milieu du temple, ciel ouvert, et d'autres analogues nous
apprennent que les paens nommaient Dieu de diverses faons en considration des cratures ; tous ces noms
dveloppent ce qu'enferme le nom ineffable unique ; et, comme le nom appropri est infini, il enferme en lui, en
nombre infini, tous ces noms des perfections particulires.
C'est pourquoi les dveloppements ont beau tre nombreux, jamais ils ne seront en assez grand nombre
et assez grands pour qu'ils ne puissent pas tre plus nombreux encore, parce que n'importe lequel est l'appropri
et l'ineffable, comme le fini est l'infini. Les anciens paens riaient des Juifs qui adoraient un Dieu unique et
infini qu'ils ne connaissaient pas, alors que c'tait lui qu'eux- mmes vnraient dans ses dveloppements, mais
ils le vnraient l o ils voyaient ses uvres divines. Et il y eut entre les hommes du. monde entier cette
diffrence que, si tous croyaient en un Dieu un et maximum tel qu'il ne pt y en avoir de plus grand, les uns,
comme les Juifs et les Sissenniens, l'adoraient dans son unit infiniment simple, qui enferme toutes les choses, et
les autres l'adoraient dans les objets o ils trouvaient un dveloppement explicatif de la divinit, prenant les
connaissances sensibles pour un chemin vers la cause et le principe. Et dans cette dernire voie ont t attirs les
simples, le peuple ; et ils n'ont pas fait usage de l'explication comme d'une image, mais comme d'une vrit ;
ainsi l'idoltrie a t introduite dans la foule, tandis que les sages avaient une croyance trs exacte l'unit de
Dieu : tout le monde peut se rendre compte de cela, il suffit d'avoir tudi avec soin les uvres des philosophes
anciens, par exemple le De natura deorum de Cicron.
Cependant nous savons bien que certains paens n'ont pas compris que Dieu, parce qu'il est l'entit des
choses, ft hors des choses autrement que par abstraction, comme la matire premire n'existe hors des choses
que par une abstraction de notre intelligence ; et ceux-ci ont ador Dieu dans les cratures, mme lorsqu'ils
fondaient leur idoltrie sur des raisons (l). Mme certains ont pens que l'on pouvait appeler Dieu par des
incantations : les uns l'appelaient dans les anges, comme les Sissenniens ; les Gentils, eux, l'appelaient dans les
arbres, comme ce qu'on lit sur l'arbre de soleil et de lune ; et certains, dans l'air, l'eau ou les temples, l'appelaient
par des incantations bien fixes ; tous taient le jouet d'illusions et trs loigns de la vrit, nos premires
dmonstrations montrent comment.
(1) Nous suivons le texte de T.


26 - LA THOLOGIE NGATIVE

Parce que le culte de Dieu, qui doit tre ador en esprit et en vrit, se fonde ncessairement sur des
affirmations positives au sujet de Dieu, toute religion (1) s'lve ncessairement dans son culte au moyen de la
thologie affirmative, adorant Dieu comme un et trine, comme infiniment sage, bon, lumire inaccessible, vie,
vrit et ainsi de suite ; dirigeant toujours son culte par une foi qu'elle atteint plus vritablement par la docte
ignorance ; croyant que celui qu'elle adore, tant un, est uniment toutes choses, et que celui qui elle rend son
culte comme tant la lumire inaccessible, n'est pas comme la lumire matrielle laquelle s'opposent les
tnbres, mais la plus simple et l'infinie dans laquelle les tnbres sont la lumire infinie ; elle croit que la
lumire infinie elle-mme luira toujours dans les tnbres de notre ignorance, mais que les tnbres ne peuvent
pas la comprendre. Ainsi la thologie de la ngation est si ncessaire pour parvenir celle de l'affirmation, que,
sans elle, Dieu n'est pas ador comme Dieu infini, mais plutt comme crature ; or, ce culte est une idoltrie
attribuant l'image ce qui ne convient qu' la vrit.
Il sera donc utile d'ajouter ce qui prcde quelques mots sur la thologie ngative. L'ignorance sacre
nous a enseign un Dieu ineffable ; et cela, parce qu'il est infiniment plus grand que tout ce qui peut se compter ;
et cela, parce qu'il est au plus haut degr de vrit. On parle de lui avec plus de vrit en cartant et en niant ;
ainsi le trs grand Denis a voulu qu'il ne ft ni vrit, ni intelligence, ni lumire, ni rien de ce qui peut se dire ; or
Rabbi Salomon et tous les sages le suivent. Donc, selon cette thologie ngative, il n'est ni Pre, ni Fils, ni
Esprit-Saint, mais il est seulement infini. Or l'infinit, comme infinit, n'engendre pas, n'est pas engendre, ne
procde pas. C'est pourquoi Hilaire de Poitiers a dit avec beaucoup de subtilit, en distinguant les personnes :
Infinit en ternit, espce en image, excution en don. Il veut dire par l que, sans doute, nous ne pouvons
voir dans l'ternit que l'infinit ; cependant l'infinit elle-mme, qui est l'ternit mme, parce qu'elle est
ngative, ne peut tre comprise comme engendrant, mais bien comme ternit, parce que l'ternit est affirmative
de l'unit, ou de la prsence maxima, c'est pourquoi elle est le commencement sans commencement. Espce en
image exprime un commencement partir du commencement ; excution en don signifie la procession des
deux. Cela nous est bien connu maintenant ; en effet, bien que l'ternit soit l'infinit, de sorte que l'ternit n'est
pas la cause du Pre plutt que l'infinit, cependant, selon la faon de considrer, l'ternit est attribue au Pre,
et non au Fils, ou au Saint-Esprit. Mais l'infinit n'appartient pas une seule personne plutt qu' l'autre, parce
que l'infinit elle-mme est Pre selon la considration de l'unit, Fils selon la considration de l'galit de
l'unit, Esprit-Saint selon la considration de la connexion ; ni Pre, ni Fils, ni Esprit-Saint selon la simple
considration de l'infinit, bien qu'elle-mme soit l'infinit et l'ternit de n'importe laquelle (2) des trois
personnes ; qu'inversement n'importe quelle personne soit l'infinit et l'ternit, non, cependant, selon une
considration quelconque, comme on l'a montr ; parce que, selon la considration de l'infinit, Dieu n'est ni un,
ni plusieurs, et l'on ne trouve pas en Dieu, selon la thologie ngative autre chose que l'infinit. C'est pourquoi,
selon elle, il n'est connaissable ni dans ce sicle, ni dans le sicle futur, parce que toute crature est obscurit par
rapport lui, car elle ne peut pas comprendre la lumire infinie, mais elle n'est connue que d'elle seule.
Et il est manifeste ds lors comment les ngations sont vraies et les affirmations insuffisantes en
thologie ; et les ngations qui cartent du parfait ce qui est plus imparfait, sont d'autant plus vraies que les
autres. Il est plus vrai de dire que Dieu n'est pas une pierre, que de dire qu'il n'est pas vie ou intelligence, de dire
qu'il n'est pas l'ivresse, qu'il n'est pas la vertu ; or, c'est le contraire dans les affirmations : car il est plus vrai
d'affirmer que Dieu est intelligence et vie, que d'affirmer qu'il est terre, pierre ou corps.
Aprs ce que nous avons dit plus haut, tout cela est trs clair. Nous en concluons que la prcision de la
vrit luit d'une faon incomprhensible dans les tnbres de notre ignorance. Et voil bien cette docte ignorance
que nous avons cherche, au moyen de laquelle, seule, nous avons montr que nous pouvions accder vers le
Dieu de l'infinie bont, le maximum, l'unitrine, suivant les degrs de la doctrine mme de l'ignorance, afin que
nous ayons assez de vigueur pour l'en louer jamais de toutes nos forces, lui qui est bni, au-dessus de toutes
choses, dans les sicles des sicles.
(1) Nous lirons hinc avec T.
(2) Nous croyons pouvoir corriger cujuslibet .


Maintenant que la doctrine de l'ignorance au sujet de la nature du maximum absolu, a t ainsi expose,
au moyen de certains caractres symboliques, recherchons plus amplement, grce cette nature elle-mme qui
resplendit quelque peu pour nous dans l'ombre, les choses qui tiennent tout ce qu'elles sont du maximum absolu
lui-mme. Mais comme la consquence vient tout entire de la cause, comme elle ne tient rien d'elle-mme,
comme elle accompagne du plus prs et avec le plus de ressemblance qu'elle peut, son origine et sa raison, par
laquelle elle est ce qu'elle est, on voit qu'il est difficile d'atteindre la nature de la contraction, car l'absolu, son
modle, est inconnu. Donc, il convient que nous soyons doctes dans une certaine ignorance au-dessus de notre
apprhension, afin que, sans saisir la prcision de la vrit telle qu'elle est, nous soyons du moins amens voir
qu'elle existe, elle que nous n'avons pas la force de comprendre. C'est le but de mon travail dans cette partie, que
ta clmence le juge et l'accepte !

l - COROLLAIRES PRLIMINAIRES A L'TABLISSEMENT DE L'UNIT INFINIE
UNIVERSELLE

II servira beaucoup la doctrine de l'ignorance que nous tirions, ds le dbut, de notre principe, des
corollaires prliminaires. En effet ils rendront faciles une infinit d'autres semblables, qui pourront tre tirs de la
mme faon, et ils rendront plus clair ce que nous allons dire. Au dbut de notre ouvrage nous avons considr
que, dans les excs et les excdents, on n'arrivait pas au maximum dans l'tre et le possible. Par suite nous avons
montr dans les chapitres prcdents que l'galit prcise ne convient qu' Dieu ; d'o il suit que tout ce qu'on
peut me donner, si ce n'est lui-mme, comporte des diffrences. Donc, un mouvement ne peut pas tre gal un
autre, ni tre la mesure d'un autre (1), parce que ncessairement la mesure diffre du mesur.
Or, bien que ces choses te soient utiles pour une infinit de cas, si tu te tournes vers l'astronomie, tu vois
que le calcul manque de prcision, parce qu'il suppose que l'on puisse, d'aprs le mouvement du soleil, mesurer
le mouvement de toutes les autres plantes. Mme la disposition du ciel, pour ce qui est d'un endroit quelconque,
ou du lever et du coucher des astres, ou de l'lvation du ple, ou de tout ce qui a trait ces sujets, n'est pas
connaissable avec prcision. Et comme il n'y a pas deux endroits qui concordent avec prcision dans le temps ou
dans l'espace, il est manifeste que les jugements astronomiques sont, dans leur particularit, bien loin de la
prcision.
Si, ensuite, on applique cette rgle mathmatique dans les figures gomtriques, on voit que, en acte,
l'galit est impossible et que, en figure comme en grandeur, aucune chose ne peut, avec prcision, cadrer avec
une autre. Et, bien que les rgles soient vraies dans leur raison, pour dcrire une figure gale une figure donne,
en acte cependant l'galit est impossible dans la multiplicit des divers. De l on comprend comment la vrit,
une fois dtache des choses matrielles, comme elle l'est dans la raison, voit l'galit, qu'il lui est absolument
impossible de trouver dans les choses, car elle ne s'y trouve jamais sans dfaut.
En musique, de la rgle ne nous vient pas la prcision. Aucune chose en effet ne concorde avec une
autre en poids, en longueur ou en paisseur ; il n'est pas possible de trouver des proportions harmonieuses entre
les diffrents timbres : celui des fltes, des cloches, des hommes et de tous les instruments, avec une prcision
telle qu'il ne puisse pas y en avoir de plus complte ; une proportion graduelle identique n'existe pas
vritablement dans les divers instruments, pas plus que dans les diffrentes voix humaines ; mais dans tous une
diversit est ncessaire, due au lieu, au temps, la complexion, etc. C'est pourquoi la proportion prcise ne se
laisse voir que dans sa raison, et, dans les choses sensibles, nous ne pouvons pas trouver une harmonie
parfaitement doue et sans dfaut, car elle n'y est pas. Notons ici que l'harmonie maxima et la plus prcise est
une proportion dans l'galit ; or, homme vivant ne peut pas l'entendre dans sa chair, parce qu'elle attirerait elle
la raison de notre me, qui est toute raison, comme la lumire infinie attire toute lumire ; ainsi notre me,
dlivre des choses sensibles, n'entendrait pas sans un vrai ravissement, avec l'oreille de l'intelligence, l'harmonie
des accords suprmes. On peut contempler ici des choses d'une grande douceur, d'abord au sujet de l'immortalit
de notre esprit intellectuel et rationnel, qui porte une raison incorruptible, dans sa nature, raison grce laquelle
il atteint de lui-mme dans la musique une image qui comporte des accords et des discordances ; et, aussi, au
sujet de la joie ternelle, dans laquelle sont transports les bienheureux ; une fois purifis des choses de ce
monde. Mais c'est un autre sujet.
En outre si nous appliquons notre rgle l'arithmtique, nous voyons que jamais deux choses ne
peuvent cadrer l'une avec l'autre, dans le nombre, parce que, par rapport la vrit du nombre, la composition, la
complexion, la proportion, l'harmonie, les mouvements, etc., varient l'infini.
Aussi comprenons-nous notre ignorance, parce que nul homme n'est comme un autre en quoi que ce
soit : sens, imagination, intelligence, ordre d'activit quelconque : talent littraire, peinture, art ; que, des milliers
d'annes durant, un homme essaie d'en imiter un autre en quoi que ce soit, jamais il n'atteindra la prcision,
mme si aucune diffrence sensible n'est perceptible.
Mme, l'art imite la nature autant qu'il peut ; mais jamais il ne pourra y parvenir avec prcision. Donc
mdecine, alchimie, magie et toutes autres pratiques de transmutations manquent la prcision vritable, bien que
l'une soit plus vraie en comparaison d'une autre ; par exemple la mdecine est plus vraie que les pratiques de
transmutations ; cela va de soi.
Fondons-nous encore sur le mme principe, que, dans les choses qui s'opposent, nous trouvons un
excdent et un excs, comme dans le simple et le complexe, l'abstrait et le concret, le formel et le matriel, le
corruptible et l'incorruptible, etc. Il suit qu'on n'obtient jamais l'un des deux opposs l'tat pur, ou un objet
dans lequel ils concourent dans une galit prcise. Donc, toutes les choses sont faites d'opposs des degrs
divers, ayant plus de celui-ci, moins de celui-l, tirant sa nature de l'un des opposs, par la victoire de l'un sur un
autre. Aussi la connaissance des choses consiste chercher, par la raison, savoir de quelle faon, dans un objet,
la complexit s'unit une simplicit relative, dans un autre, la simplicit la complexit, dans celui-ci, la
corruptibilit l'incorruptibilit, l'inverse dans celui-l, et ainsi de suite comme nous le montrerons dans notre
De conjecturis, o ce sujet sera plus abondamment trait. Mais que ces quelques mots suffisent pour montrer le
pouvoir tonnant de la docte ignorance.
Descendant plus profondment vers mon but, je dis que la monte vers le maximum et la descente vers
le minimum simple est impossible, afin qu'il n'y ait pas d'accs l'infini ; comme on le voit dans le nombre,
d'aprs la division du continu. Alors on voit que, si l'on donne un fini quelconque, on pourra toujours
ncessairement donner un plus grand et un plus petit, en quantit, en vertu ou en perfection et ainsi de suite,
parce qu'on ne peut pas donner, dans les choses, le maximum et le minimum simples, et qu'il n'y a pas de
processus pour aller l'infini, comme il vient d'tre montr. En effet toute partie de l'infini est infinie ; il y aurait
donc une contradiction si lon trouvait du plus et du moins l o l'on peut parvenir l'infini ; le plus et le moins,
de mme qu'ils ne peuvent pas convenir l'infini, ainsi n'ont aucune proportion avec l'infini, car il serait
ncessaire que cela mme ft infini. Dans le nombre infini en effet il ne serait pas vrai que deux ft plus petit
que cent, car en montant on pourrait parvenir en acte jusqu' lui, comme il est faux qu'une ligne infinie
compose d'une infinit de lignes de deux pieds soit plus petite qu'une ligne infinie compose d'une infinit de
lignes de quatre pieds. C'est pourquoi l'on ne peut rien donner qui mette un terme la puissance de Dieu ; c'est
pourquoi, si l'on donne tout, elle-mme pourra donner un plus et un moins, si l'on n'a pas donn le maximum
absolu ; notre troisime livre le montrera. Donc, seul, le maximum absolu est l'infini ngatif, c'est pourquoi, seul,
il est ce qu'il peut tre avec toute-puissance. Mais comme l'univers embrasse tout ce qui n'est pas Dieu, il ne peut
pas tre un infini ngatif, bien qu'il n'ait pas de terme et, par l, soit un infini privatif ; et, par cette considration,
il n'est ni fini, ni infini. En effet, il ne peut pas tre plus grand qu'il est, et cela vient, la vrit, d'un dfaut ; la
possibilit en effet, ou matire, ne s'tend pas (2) au del d'elle-mme. En effet il n'y a pas de diffrence entre
dire que l'univers peut toujours en acte tre plus grand et dire que pouvoir tre dpasse tre infini en acte ,
ce qui est impossible, puisque l'actualit infinie (3) qui est l'ternit absolue, ne peut pas sortir du possible,
puisqu'elle est en acte toute possibilit d'tre. C'est pourquoi, bien que, par rapport l'infinie puissance de Dieu,
qui n'a pas de terme, l'univers puisse tre plus grand, cependant, parce que la possibilit d'tre ou matire n'est
pas, en acte, extensible l'infini, l'univers ne peut pas tre plus grand ; c'est ainsi qu'il n'a pas de terme : c'est
parce que l'on ne peut pas donner en acte quelque chose de plus grand qui le termine et il est un infini privatif.
En acte il est, lui, l'tat restreint, contracte, de faon tre de la meilleure faon que sa condition naturelle le lui
permet. En effet il est une crature ; il tient ncessairement son tre de l'absolu simple divin : nous le montrerons
le plus brivement possible, par la suite, dans la docte ignorance, aussi clairement et simplement que faire se
pourra.

(1) Bien entendu nous suivons le texte de T.
(2) Nous suivons T.
(3) Nous suivons T,


2 - COMMENT L'TRE DE LA CRATURE EST, D'UNE FAON INCOMPRHENSIBLE, DE
PAR L'TRE DU MAXIMUM PREMIER

L'ignorance sacre nous a appris dans les pages qui prcdent que rien n'est de par soi-mme, si ce n'est
le maximum simple, o toutes choses sont, de soi, en soi, par soi, la mme chose, savoir l'tre absolu lui-
mme ; et qu'il est ncessaire que tout ce qui est soit ce qu'il est pour autant qu'il est de par lui ; en effet comment
ce qui n'est pas de par soi-mme pourrait-il tre autrement que de par l'ternel ? Or, puisque le maximum est bien
loign de toute envie, il ne peut pas communiquer un tre diminu, comme tel. Donc la crature, qui est de par
l'tre, ne tient pas ce qu'elle est : corruptibilit, divisibilit, imperfection, diversit, pluralit, etc., du maximum
ternel, indivisible, parfait, indistinct, un, ni d'une cause positive quelconque. En effet comme la ligne infinie est
rectitude infinie, elle qui est la cause de tout tre linaire, et comme, d'autre part, la ligne courbe tient de la ligne
infinie sa qualit de ligne, et non pas sa qualit de courbe, mais la curvit suit la finit, parce qu'elle est courbe
du fait qu'elle n'est pas maxima (en effet si elle tait maxima, elle ne serait pas courbe, cela a t montr plus
haut) ; ainsi il arrive aux choses contingentes, parce qu'elles ne peuvent pas tre le maximum, qu'elle soient
diminues, autres, distinctes, etc., toutes choses qui, la vrit, n'ont pas de cause. Donc, la crature tient de
Dieu son unit, sa discrtion et sa connexion l'univers et elle est d'autant plus une qu'elle est plus semblable
Dieu. Mais le fait que son unit est dans la pluralit, sa discrtion dans la confusion, et sa connexion dans la
discordance, elle ne le tient pas de Dieu, ni d'une cause positive quelconque, mais de la contingence. Qui peut
donc comprendre son tre, en runissant en mme temps dans la crature la ncessit absolue, de par laquelle
elle est, et la contingence, sans laquelle elle n'est pas ? En effet l'on voit que la crature elle-mme qui n'est ni
Dieu, ni le nant, mais comme postrieure Dieu et antrieure au nant, se trouve entre Dieu et le nant, comme
dit un sage : Dieu est l'opposition du nant, avec la mdiation de l'tre ; et cependant elle ne peut pas tre
compose de l'tre et du non tre. On voit donc qu'on ne peut pas dire qu'elle soit, parce qu'elle descend de l'tre,
ni qu'elle ne soit pas, puisqu'elle est antrieure au nant, ni qu'elle soit compose des deux. Or, notre intelligence
qui ne peut pas dpasser les contradictoires, qu'elle spare ou qu'elle runisse ces deux considrations, n'atteint
pas l'tre de la crature, bien qu'elle sache que son tre n'est pas, si ce n'est de par l'tre du maximum. Donc, son
tre n'est pas intelligible, puisque l'tre de par qui elle est, n'est pas intelligible, comme la prsence d'un accident
n'est pas intelligible, si la substance auprs de laquelle il est prsent n'est pas comprise. Donc, comme la crature
ne peut pas, comme crature, tre dite une, parce qu'elle descend de l'unit, ni plusieurs parce que son tre lui
vient de l'unit, ni les deux en mme temps, mais son unit se trouve par contingence, dans une certaine pluralit,
on doit, semble-t-il, parler de la mme faon de la simplicit, de la complexit, et des autres opposs.
Mais, parce que la crature a t cre par l'tre du maximum, et que dans le maximum c'est une seule
chose que d'tre, de faire et de crer, le fait de crer ne semble pas diffrent de celui que Dieu soit toutes choses.
Si donc Dieu est toutes choses et que ce soit cela que crer, comment pourra-t-on comprendre que la crature ne
soit pas ternelle, puisque l'tre de Dieu est ternel, que dis-je ? lternit elle-mme ? En effet pour autant que la
crature elle-mme est l'tre de Dieu, personne ne met en doute qu'elle soit l'ternit ; donc pour autant qu'elle
est temporelle, elle n'est pas de Dieu puisqu'il est ternel. Qui donc comprend qu'une crature soit de par l'ternel
et qu'en mme temps elle soit d'une faon temporelle ? En effet la crature ne put pas, dans l'tre lui-mme ne
pas tre dans l'ternit et elle ne put pas tre avant le temps, puisqu'elle n'a pas exist avant le temps, et elle a t
ds qu'elle a pu tre. Enfin qui peut comprendre que Dieu soit la forme de l'tre, sans tre ml la crature ? En
effet de la ligne infinie et de la courbe finie ne peut pas natre un compos unique ; cela ne peut se faire sans
proportion, or, personne ne met en doute qu'il ne peut pas y avoir de proportion entre l'infini et le fini. Comment
donc l'intelligence peut-elle comprendre que l'tre de la ligne courbe soit de par la droite infinie, qui cependant
ne la cre pas comme une forme cratrice, mais comme une cause et une raison ? A la vrit, elle ne peut pas
participer cette raison, en en prenant une partie, puisqu'elle est infinie et indivisible, comme la matire participe
de la forme, Socrate et Platon de l'humanit, ou comme du tout participent les parties, de l'univers, par exemple,
ses parties, ni comme plusieurs miroirs participent diversement de la mme face, puisque l'tre de la crature
n'existe pas avant d'tre prsent, alors qu'elle est elle-mme comme le miroir : or, le miroir existe avant de
reflter la face. Qui donc peut comprendre comment d'une forme infinie unique participent diversement diverses
cratures, alors que l'tre de la crature ne peut pas tre autre chose que son resplendissement mme, non pas
reu d'une faon positive par quelque chose d'autre, mais divers par contingence ? Comme si une uvre d'art,
dpendant de l'ide de l'artiste n'avait pas d'autre tre que celui de la dpendance de l'homme dont elle reoit
l'tre, et sous l'influence duquel elle est conserve, ou comme une image place dans un miroir, qui ne pourrait
aucunement exister avant et aprs, par soi-mme et en soi-mme.
Et l'on ne peut pas comprendre non plus comment Dieu peut nous devenir manifeste au moyen de
cratures visibles ; en effet il n'est pas comme notre intelligence, qui est seulement connue de Dieu et de nous :
elle, lorsqu'elle vient penser, elle reoit, de certaines images, dans la mmoire, une forme de couleur, de son,
etc., alors qu'auparavant elle n'avait pas de forme ; et puis, ensuite, prenant une autre forme de signes, de voix ou
de lettres, elle s'insinue dans d'autres penses. En effet, bien que Dieu, pour faire connatre sa bont, disent les
pieux auteurs, ou parce qu'il est la ncessit maxima absolue, ait cr un monde qui lui obit, pour qu'il y et des
hommes pour subir sa contrainte, pour le redouter, pour tre jugs, etc., cependant il est manifeste qu'il ne revt,
lui, aucune autre forme, puisqu'il est la forme de toutes les formes, qu'il n'apparat pas dans des signes positifs
puisque les signes eux-mmes, de par leur nature, exigeraient leur tour d'autres signes dans lesquels ils fussent,
et ainsi jusqu' l'infini. Qui pourrait comprendre comment toutes choses sont l'image de cette forme unique
infinie, tenant leur diversit de la contingence, comme si la crature tait Dieu, comme un hasard l'a fix, ainsi
que l'accident une substance comme un hasard l'a fixe, la femme un homme comme un hasard l'a fix ? En effet
la forme infinie elle-mme n'est reue que d'une faon finie, de telle sorte que toute crature est comme une
infinit finie, ou Dieu cr de faon tre dans un tat tel qu'il ne puisse pas tre dans un meilleur, comme si le
crateur avait dit : Qu'il soit ! Or, parce que Dieu n'a pas pu tre fait, lui qui est l'ternit mme, cet tre a t fait
le plus semblable Dieu possible. D'o l'on dduit que toute crature est parfaite, comme telle, mme si, par
rapport une seconde, elle parat moins parfaite. En effet le Dieu de toute bont communique l'tre toutes
choses de la faon dont il peut tre peru. Donc, comme Dieu communique l'tre sans diversit et sans envie et
comme il est reu de la faon et au degr permis par la contingence, tout tre cr est en repos dans sa perfection,
que l'tre divin lui a libralement donne ; il ne dsire pas tre aucune autre chose cre, comme plus parfaite,
mais il aime avant tout ce qu'il tient du maximum, comme un don divin, et dsire que cela soit parachev et
conserv incorruptiblement.


3 - COMMENT LE MAXIMUM ENFERME ET DVELOPPE TOUTES CHOSES D'UNE FAON
ININTELLIGIBLE

Rien ne peut tre dit ou pens sur la vrit susceptible de recherche (nous en avons parl dans notre
premire partie) qui ne soit enferm dans la premire vrit ; en effet tout ce qui concorde avec ce que l'on a dit
ici de la vrit premire, est ncessairement vrai, et tout ce qui est en dsaccord avec cela est faux. Or, il a t
montr ici qu'il ne peut exister qu'un seul maximum de tous les maxima. Or, le maximum est ce quoi rien ne
peut tre oppos, ce en quoi le minimum est le maximum. Donc l'unit infinie est ce qui renferme toutes choses.
Mais cela est dit unit, qui unit toutes choses, et l'unit n'est pas maxima seulement la faon dont l'unit du
nombre enferme le nombre, mais parce qu'elle enferme tout en elle. Et, dans le nombre qui est le dveloppement
de l'unit, on ne trouve que l'unit, ainsi dans toutes les choses qui sont, on ne trouve que le maximum. Or,
l'unit elle-mme s'appelle un point, par rapport la quantit qui dveloppe l'unit elle-mme, alors que dans la
quantit on ne trouve que le point. De mme que le point est partout sur la ligne, partout o on la divise, ainsi
est-il sur une surface et dans un volume. Et il n'y a qu'un seul point, et il n'est pas autre chose que l'unit infinie
elle-mme, parce qu'elle-mme est le point ; il est donc le terme, la perfection et la totalit de la ligne et de la
quantit, il l'enferme en lui ; son premier dveloppement est la ligne dans laquelle on ne trouve que le point.
Ainsi le repos est l'unit, et il enferme en lui le mouvement, lequel n'est qu'une srie ordonne de repos, si tu
observes avec un peu de subtilit. Donc, le mouvement est le dveloppement du repos. Ainsi le maintenant
ou prsent, enferme en lui le temps : le pass fut prsent, le futur sera prsent ; donc on ne trouve dans le temps
que du prsent en ordre. Donc, pass et futur sont le dveloppement du prsent, le prsent enferme en lui tous les
temps prsents, et les temps prsents ne sont que son dveloppement dans une srie, et l'on ne trouve en eux que
du prsent. Donc, il n'y a qu'un seul prsent qui enferme en lui tous les temps, et, la vrit, ce prsent est l'unit
elle-mme. Ainsi l'identit enferme en elle, implique la complexit ; l'galit, l'ingalit ; la simplicit, les
divisions ou distinctions. Donc, l'implication est une ; il n'y a pas une implication pour la substance, une autre
pour la qualit, une troisime pour la quantit et ainsi de suite, parce qu'il n'y a qu'un seul maximum, avec qui
concide le minimum et dans lequel diversit implique n'est pas oppose identit qui implique. En effet,
comme l'unit prcde l'altrit, ainsi le point, qui est perfection, prcde la grandeur ; car le parfait prcde
toute imperfection, comme le repos, le mouvement ; l'identit, la diversit ; l'galit, l'ingalit, et ainsi de suite
pour toutes les autres choses qui se convertissent avec l'unit, laquelle est l'ternit mme ; en effet, il ne peut pas
y avoir plus d'un ternel. Donc, Dieu enferme tout en lui, en ceci que tout est en lui ; et il est le dveloppement
de tout en ceci que lui-mme est en tout. Et, pour que nous clairions notre ide par l'exemple des nombres, le
nombre est le dveloppement de l'unit ; or, nombre implique raison ; et la raison tient notre me ; c'est
pourquoi les btes, qui n'ont pas d'me, ne peuvent pas compter. Donc, comme le nombre nat de notre me, par
le fait que nous groupons plusieurs choses autour d'une seule qui leur est commune, dans un acte d'intelligence
unique, ainsi nat la pluralit des choses, de l'me de Dieu, dans laquelle le plusieurs est sans pluralit, parce
qu'elle nat d'une unit qui enferme tout en elle. En effet parce que les choses ne peuvent pas participer
galement l'galit mme de l'tre, Dieu, dans son ternit, a compris l'une d'une faon, l'autre d'une autre ; et
de l naquit la pluralit, laquelle, en lui, est unit. Or, la pluralit ou nombre n'a pas d'autre tre que celui qu'elle
tient de l'unit elle-mme. Donc, sans l'unit, il n'y aurait pas de nombre et le nombre est l'unit dans la pluralit ;
que l'unit enferme tout consiste en ce qu'elle est dans la pluralit. Or, le mode de l'implication et du
dveloppement dpasse notre me ; qui, je le demande, pourrait comprendre comment de l'me de Dieu nat la
pluralit des choses, quand l'intelligence de Dieu est son tre, qui est l'unit infinie ? Si l'on en vient au nombre
et que l'on considre, chose analogue, comment le nombre est la multiplication de lun commun par l'esprit, il
semble que Dieu, qui est unit, soit (l) multipli dans les choses, alors que son intelligence est son tre ; et
cependant l'on comprend qu'il n'est pas possible que cette unit, qui est infinie et maxima soit multiplie.
Comment donc comprendre une pluralit dont l'tre vient de l'unit sans multiplication ? Ou comment
comprendre la multiplication de l'unit sans multiplication ? Et cependant ce n'est pas l comme la multiplication
d'une espce unique ou d'un genre unique en de nombreuses espces ou de nombreux individus, hors desquels le
genre et l'espce ne sont qu'une abstraction de l'intelligence.
Donc Dieu, dont l'tre, tout d'unit, n'est pas une abstraction tire des choses par l'intelligence, et n'est
pas non plus uni aux choses ou plong en elles, comment peut-il se dvelopper par le moyen de la multitude des
choses ? Personne ne le comprend. Si l'on considre les choses sans lui, elles ne sont rien, comme un nombre
sans unit. Si on le considre sans les choses, lui-mme existe et les choses ne sont pas. Si on le considre lui-
mme, comme il est dans les choses, on considre que les choses existent par elles-mmes et qu'il est en elles ; et
en cela on se trompe, comme on l'a vu dans le prcdent chapitre, car l'tre de la chose n'est rien, comme elle est
dans sa diversit, mais son tre est de par l'tre du maximum. Si on considre la chose telle qu'elle est en Dieu,
alors Dieu est aussi unit et l'on n'a plus qu'une chose dire : que la pluralit, dans le monde, vient de ce que
Dieu est dans le nant. En effet, qu'on te Dieu de la crature, et le nant reste ; qu'on enlve du complexe la
substance, et aucun accident ne demeure prsent. Mais, dans une telle comparaison, il n'y a plus de moyen pour
que notre intelligence puisse atteindre la chose. En effet, l'accident a beau disparatre, si l'on enlve la substance,
l'accident n'en est pas pour cela un nant, mais il prit parce que l'tre de l'accident est d'tre prsent. Et c'est
pourquoi, comme la quantit n'existe que par l'tre de la substance, cependant parce qu'elle est prsente, la
substance est quantitative grce la quantit. Mais il n'en est pas ainsi ; car la crature n'est pas ainsi auprs de
Dieu ; en effet elle n'est pas utile Dieu, comme l'accident est utile la substance ; bien plus, l'accident est si
utile la substance, que, bien qu'il tienne son tre d'elle, cependant, par suite, la substance ne peut pas exister
sans aucun accident ; or, cela ne peut pas se produire pareillement en Dieu.
Donc, comment pourrons-nous comprendre la crature, comme crature, puisqu'elle est de par Dieu et,
par consquent, ne peut rien lui attribuer lui qui est le maximum ? Et si, comme crature, elle n'a pas mme
autant d'entit qu'un accident, mais elle est profondment nant, comment comprendre que la pluralit des choses
soit dveloppe grce ce fait que Dieu est dans le nant, alors que le nant n'a aucune entit ? Si l'on dit : sa
volont est la cause toute-puissante, et son tre consiste en volont et toute-puissance , en effet la thologie est
entirement circulaire, il est ncessaire de reconnatre que l'on ignore du tout au tout comment arrivent
l'implication et le dveloppement, et que l'on sait seulement qu'on en ignore le mode, bien que l'on sache que
Dieu est l'implication et le dveloppement de toutes choses ; et, comme il est implication, toutes choses en lui
sont lui-mme ; et, comme il est dveloppement, lui-mme est dans toutes les choses ce qu'elles sont, comme la
vrit dans une image. Supposons une figure reproduite par une image particulire, qui, d'elle-mme, se
multiplie de loin et de prs ; je n'entends pas par l une distance locale, mais un loignement graduel par rapport
la vrit de la figure ; supposons que toute autre multiplication soit impossible ; dans les images diverses
multiplies de la face unique, d'une faon diverse et multiple une figure unique apparatra, au-dessus de tout sens
et de tout esprit d'une faon inintelligible.

(1) La leon de T ne nous semble pas douteuse.


4 - COMMENT L'UNIVERS MAXIMUM RESTREINT N'EST QU'UNE REPRODUCTION DE
L'ABSOLU

Si nous tendons par une considration subtile ce qui nous a t rendu manifeste dans les premires
pages grce la docte ignorance, parce que nous savons que toutes choses sont le maximum absolu, ou sont de
par lui, beaucoup de clarts se feront pour nous sur le monde ou univers, dont je veux qu'il ne soit qu'un
maximum restreint. En effet lui-mme, le restreint ou concret, parce qu'il tient tout ce qu'il est de l'absolu, imite
autant qu'il peut, parce qu'il est maximum, l'absolu maximum. Donc, ce que le premier livre nous a fait connatre
de l'absolu maximum, et ce qui lui convient, comme absolu, d'une faon absolue et au maximum, nous affirmons
que cela convient d'une faon restreinte au maximum restreint ; dveloppons cela quelque peu, pour frayer la
voie aux chercheurs.
Dieu est la maximit absolue et l'unit absolue ; elle prvient et unit ce qui diffre et ce qui est distant,
comme les contradictoires, entre lesquels il n'y a pas de milieu ; elle est d'une faon absolue ce qu'est tout,
principe absolu en tout et fin des choses ; elle est l'entit, en qui tout est, sans pluralit, le maximum absolu lui-
mme, parfaitement simple, indistinct, comme la ligne infinie est elle-mme, toutes les figures. Ainsi, de la
mme faon, le monde ou univers est le restreint maximum et un, qui prvient, d'une faon restreinte, les
opposs, les contraires par exemple ; il est, d'une faon restreinte, ce que sont toutes les choses, principe restreint
en tout, fin restreinte des choses ; tre restreint, infinit restreinte, en qui tout, sans pluralit, est le maximum
restreint lui-mme avec une simplicit et une indistinction restreintes, comme la ligne maxima restreinte est,
d'une faon restreinte, toutes les figures. Donc, si l'on considre avec justesse la restriction, tout est clair ; en
effet l'infinit restreinte, ou simplicit, ou indistinction descend infiniment dans la restriction, parce qu'elle est un
absolu, comme le monde infini et ternel tombe, sans proportion possible, de l'infinit et de l'ternit absolues, et
le un, de l'unit. Donc, l'unit est pure de toute pluralit. Mais, comme l'unit restreinte est le un universel, bien
que celui-ci soit le un maximum, du fait qu'il est restreint il n'est pas pur de pluralit, bien qu'il soit le maximum
restreint un. Aussi, bien qu'il soit un au maximum, son unit est cependant restreinte par la pluralit, comme
l'infinit par la finit, la simplicit par la complexit, l'ternit par la succession, la ncessit par la possibilit et
ainsi de suite, comme si la ncessit absolue se communiquait pure de tout mlange, et qu'elle trouvt dans son
oppos un terme pour la limiter, et comme si la blancheur avait en soi un tre absolu, sans aucune abstraction de
notre intelligence, et qu'un objet blanc fut blanc de par elle en la restreignant : alors, en acte, dans l'objet blanc, la
blancheur trouverait un terme dans la non-blancheur ; de la sorte, l'objet serait blanc cause de la blancheur,
parce que sans elle il ne serait pas blanc.
Un chercheur aura beaucoup tirer de ces remarques. En effet, comme Dieu, cause de son immensit,
n'est ni dans le soleil, ni dans la lune, bien qu'en eux il soit ce qu'ils sont d'une faon absolue, ainsi l'univers n'est
ni dans le soleil, ni dans la lune, bien qu'en eux il soit ce qu'ils sont d'une faon restreinte. Et, parce que la
quiddit absolue du soleil n'est pas diffrente de la quiddit absolue de la lune, parce qu'elle est Dieu lui-mme,
qui est entit et quiddit absolues de tout, la quiddit restreinte du soleil est diffrente de la quiddit restreinte de
la lune, car, alors que la quiddit absolue de la chose n'est pas la chose elle-mme, la quiddit restreinte n'est pas
autre que la chose elle-mme. D'o l'on voit que, l'univers tant la quiddit restreinte, laquelle est restreinte
d'une faon dans le soleil et dune autre dans la lune, l'identit de l'univers est dans la diversit, comme son unit
dans la pluralit. Donc l'univers, bien qu'il ne soit ni le soleil ni la lune, est cependant soleil dans le soleil, lune
dans la lune, mais il est ce que sont le soleil et la lune, sans pluralit ni diversit. Univers dit universalit
c'est--dire unit du plusieurs. C'est pourquoi de mme que l'humanit n'est ni Socrate, ni Platon, mais que dans
Socrate elle est Socrate, et Platon dans Platon, ainsi se comporte l'univers l'gard de toutes choses. Mais parce
qu'on a dit que l'univers est seulement un principe restreint, et que c'est de cette faon qu'il est maximum, on voit
bien comment le maximum restreint ayant t man, d'une faon simple, du maximum absolu, l'univers entier
est entr dans l'tre. Or, tous les tres, puisqu'ils sont des parties de l'univers, sans lesquelles l'univers, puisqu'il
est restreint, ne pourrait pas tre un, tout entier et parfait, sont entrs dans l'tre en mme temps que l'univers ;
non pas les intelligences d'abord, puis lme noble, puis la nature, comme lont voulu Avicenna et d'autres
philosophes ; mais comme, dans l'ide d'un artiste, le tout, une maison par exemple, est antrieur la partie, un
mur par exemple, nous disons, parce que c'est dans une ide divine que toutes les choses sont entres dans l'tre,
que, ainsi, l'univers est entr le premier dans l'tre, et sa suite, toutes les choses sans lesquelles il ne peut tre ni
univers, ni parfait. Donc, comme l'abstrait est dans le concret, ainsi nous considrons en premier lieu le
maximum absolu dans le maximum restreint, pour le considrer ensuite dans toutes les choses particulires,
parce qu'il est d'une faon absolue dans ce qui est tout d'une faon restreinte. Dieu en effet est la quiddit absolue
du monde ou univers. Or, l'univers est la quiddit restreinte elle-mme. Restriction exprime restriction
quelque chose en tant qu' un tre particulier (1). Donc Dieu, qui est un, est dans le un universel, mais l'univers
est dans les choses de l'univers d'une faon restreinte. Et ainsi on pourra comprendre comment Dieu, qui est
l'unit parfaitement simple, parce qu'il existe dans le un universel, est, par suite, pour ainsi dire, en toutes choses
grce la mdiation de l'univers, et comment la pluralit des choses est en Dieu, grce la mdiation de l'univers
un.
(1) Nous ne croyons pas devoir corriger le dicit de A, B, C, T.


5 - N'IMPORTE QUOI EN N'IMPORTE QUOI

Si l'on considre de prs ce que nous avons dj dit, on verra facilement sur quoi repose cette vrit
exprime par Anaxagore que n'importe quoi est dans n'importe quoi, peut-tre le verra-t-on plus profondment
qu'Anaxagore. En effet parce qu'il est manifeste d'aprs notre livre premier que Dieu est dans toutes les choses,
comme toutes sont en lui, et que l'on voit maintenant que Dieu est en toutes choses comme par la mdiation de
l'univers, il est clair que tout est dans tout et n'importe quoi dans n'importe quoi. L'univers en effet, comme par
l'ordre mme de la nature, tant la plus parfaite des choses les a prcdes toutes, afin que n'importe quoi pt tre
en n'importe quoi. En effet, dans n'importe quelle crature, l'univers est la crature elle-mme ; et, ainsi,
n'importe quoi reoit toutes choses pour qu'en lui elles soient lui-mme d'une faon restreinte ; parce que
n'importe quoi ne peut pas tre en acte toutes choses, puisqu'il est restreint, il restreint toutes choses tre lui-
mme. Donc si tout est en tout, tout semble prcder n'importe quoi. Donc tout n'est pas multiple car la
multiplicit ne prcde pas le n'importe quoi. Donc, tout sans pluralit a prcd n'importe quoi de par l'ordre
naturel ; donc, il n'est pas vrai que plusieurs choses soient en acte dans n'importe quoi, mais tout sans pluralit
est cela mme.
Or, l'univers n'est que d'une faon restreinte dans les choses, et toute chose qui existe en acte restreint en
elle l'univers, pour tre en acte ce qu'elle est. Or, tout ce qui existe en acte est en Dieu, parce que lui-mme est
l'acte de tout. Or, l'acte est la perfection et la fin de la puissance. Donc, comme l'univers est restreint dans tout
objet existant en acte, il est clair que Dieu, qui est dans l'univers, est dans n'importe quoi, et que tout ce qui existe
en acte est, d'une faon immdiate, en Dieu, comme l'univers. C'est donc la mme chose de dire : n'importe
quoi est dans n'importe quoi , de dire : Dieu, au moyen de tout, est en tout , et tout, au moyen de tout, est
en Dieu .
Pour qui a une intelligence subtile ces choses trs profondes sont comprises clairement : comment Dieu
est, sans diversit, en tout, parce que n'importe quoi est en n'importe quoi, et tout est en Dieu, parce que tout est
en tout. Mais, parce que l'univers est en n'importe quoi d'une faon telle que n'importe quoi soit en lui, l'univers
aussi est dans n'importe quelle chose, d'une faon restreinte, ce qu'elle est elle-mme d'une faon restreinte, et
n'importe quoi est, dans l'univers, l'univers lui-mme, bien que l'univers soit dans n'importe quoi d'une faon
diverse, et n'importe quoi dans l'univers d'une faon diverse. Prenons un exemple : il est manifeste que la ligne
infinie est ligne, triangle, cercle et sphre. Or, toute ligne finie tient son (l) tre de la ligne infinie, qui est tout ce
qu'elle est. C'est pourquoi dans la ligne finie la ligne infinie est tout ce qu'elle est ; or, comme elle est ligne,
triangle, cercle, sphre la ligne finie est cela (2). Donc toute figure, dans la ligne finie, est la ligne mme, et n'est
pas en elle triangle, cercle ou sphre, en acte : en effet de ce qui est multiple en acte on ne fait pas une chose une
en acte, parce que n'importe quoi n'est pas en acte dans n'importe quoi, mais le triangle, dans la ligne, est ligne,
et le cercle, dans la ligne, est ligne, et ainsi de suite. Et, pour qu'on voie plus clair, en acte la ligne ne peut exister
que dans un volume, comme il sera montr ailleurs. Or, personne ne met en doute que dans un corps long, large
et profond toutes les figures soient dans leur dveloppement. Donc dans la ligne, en acte, toutes les figures sont
en acte la ligne mme, le triangle dans le triangle et ainsi de suite. En effet dans une pierre tout est pierre, me
dans une me vgtative, vie dans la vie, sensation dans la sensation, vue dans la vue, oue dans l'oue,
imagination dans l'image, raison dans la raison, intelligence dans l'intelligence, Dieu en Dieu.
Que l'on voie maintenant comment l'unit des choses ou univers est dans la pluralit, et, inversement, la
pluralit dans l'unit. Que l'on considre attentivement et l'on verra comment n'importe quelle chose existant en
acte, est en repos du fait que tout en elle est elle-mme et qu'elle-mme en Dieu est Dieu. On voit l'tonnante
unit des choses, leur galit admirable, leur connexion plus tonnante que tout, pour que toutes soient en toutes,
et l'on comprend que la diversit des choses et leur connexion naissent comme ceci : parce que chaque chose n'a
pas pu tre en acte toutes choses, parce qu'elle aurait t Dieu, et que toutes choses seraient dans chacune d'elles
de la faon dont chacune pourrait l'tre, il n'a pas pu y avoir de similitude absolue entre deux objets quelconques,
comme on l'a vu plus haut ; Dieu a donc fait exister toutes les choses des degrs divers : de mme que cet tre,
qui n'a pas pu tre incorruptible autrement, il l'a fait incorruptible dans la succession temporelle, pour que, ainsi,
toutes les choses fussent ce qu'elles sont, parce qu'elles n'ont pas pu tre autrement et mieux.
Donc toutes choses sont en repos dans n'importe quoi, parce qu'un degr ne pourrait pas exister sans un
autre, comme dans les membres d'un corps l'un quelconque est utile un autre quelconque, et tout est contenu en
tout. En effet, parce qu'un il ne peut pas tre une main et un pied et toutes autres choses en acte, il est satisfait
d'tre il, et le pied d'tre pied, et tous les membres s'aident mutuellement, afin que toute chose soit ce qu'elle est
de la meilleure faon qu'elle peut, et la main n'est pas plus main dans l'il, que le pied n'y est pied, mais tous
deux sont il dans l'il, pour autant que l'il lui-mme est d'une faon immdiate dans l'homme, et tous les
membres sont ainsi dans le pied et, comme pied, d'une faon immdiate dans l'homme ; comme n'importe quel
membre, par n'importe lequel, est d'une faon immdiate dans l'homme ; et l'homme, le tout, est par n'importe
quel membre dans n'importe lequel, comme le tout est dans les parties : dans n'importe laquelle par n'importe
laquelle. Considrons d'une part l'humanit comme tre absolu, immiscible et irrestrictible et d'autre part un
homme ; dans celui-ci se trouve, d'une faon absolue, l'humanit absolue ; de par elle, existe l'humanit
restreinte elle-mme qui est l'homme ; on peut donc dire que l'humanit absolue est Dieu, et l'humanit
restreinte, l'univers. Et, comme l'humanit absolue elle-mme est dans l'homme d'une faon principale ou
antrieure, et, par consquent, dans n'importe quel membre ou n'importe quelle partie, et comme l'humanit
restreinte est il dans l'il, cur dans le cur, et ainsi de suite, toujours d'une faon restreinte chaque chose
dans chaque chose, en suivant les remarques que nous avons faites, on a trouv la similitude de Dieu et du
monde, et un accs sr tout ce qui a t trait dans ces deux chapitres et beaucoup d'autres qui suivent.

(1) Aucun doute sur la leon de T.
(2) Nous suivons le texte de A.


6 - L'IMPLICATION ET LES DEGRS DE DVELOPPEMENT DE L'UNIVERS

Au-dessus de toute intelligence, nous avons, dans les pages qui prcdent, trouv que l'univers ou
monde est un, que son unit est restreinte par la pluralit, de sorte qu'elle est unit dans la pluralit. Et parce que
l'unit absolue est la premire et que l'unit de l'univers vient d'elle, l'unit de l'univers sera la seconde unit, elle
qui consiste dans une pluralit. Et parce que, le De conjecturis le montrera, la seconde unit est dnaire, car elle
unit en elle dix prdicaments, l'univers un dveloppera l'unit simple, premire, absolue par une restriction
dnaire. Or, tout est enferm dans le dnaire car il n'y a pas de nombre au-dessus de lui. C'est pourquoi l'unit
dnaire de l'univers enferme en elle la pluralit de tout ce qui est restreint. Et, comme cette unit de l'univers,
comme principe restreint de tout, est en tout, comme le dnaire est la racine carre du centenaire, et la racine
cubique du millnaire, ainsi l'unit de l'univers est la racine de toutes choses. De cette racine sort d'abord le carr,
comme unit troisime, et le cube, comme unit dernire ou quatrime. Et le premier dveloppement de l'unit
de l'univers (qui est la seconde unit) est la troisime unit, ou centenaire ; et le dernier dveloppement, la
quatrime unit, est le millnaire.
Et ainsi nous trouvons trois units universelles descendant graduellement au particulier, dans lequel
elles sont restreintes, pour tre le particulier lui-mme en acte. La premire unit, l'absolue, enferme tout d'une
faon absolue ; la premire unit restreinte enferme tout d'une faon restreinte ; mais, elles sont dans un ordre tel
que l'unit absolue paraisse enfermer en elle la premire unit restreinte, pour enfermer par son moyen toutes les
autres, et que la premire unit restreinte paraisse enfermer la seconde restreinte, et par son moyen la troisime
restreinte ; et la seconde restreinte enferme la troisime restreinte (celle-ci est la dernire unit universelle, la
quatrime partir de la premire) et, par son moyen, arrive au particulier. Ainsi nous voyons comment l'univers
est restreint dans n'importe quel particulier, par trois degrs.
Donc, l'univers est comme l'universalit des dix gnralits les plus hautes ; viennent ensuite les genres,
puis les espces ; et tout cela forme les universels qui, selon leur degr, se placent dans un ordre naturel qui va
graduellement jusqu' la chose, laquelle les restreint en acte. Et parce que l'univers est restreint, on ne le trouve
que dvelopp en genres et on ne trouve les genres que dvelopps en espces. Les individus sont en acte, en eux
se trouve d'une faon restreinte l'univers, et l'on voit alors comment les universaux n'existent que d'une faon
restreinte, en acte.
Et, de cette faon, les Pripatticiens ont raison de dire que les universaux n'existent pas en acte hors
des choses ; en effet seul le singulier est en acte, lui dans lequel les universaux le sont, lui-mme, d'une faon
restreinte. Cependant les universaux ont de par l'ordre naturel, un certain tre universel, que le singulier peut
restreindre ; sans doute ils ne sont pas en acte, avant la restriction, autrement que par l'ordre de la nature, car le
restrictible n'existe pas en soi, mais en ce qu'il est en acte : comme le point, la ligne, la superficie prcdent, dans
un ordre progressif, le volume dans lequel seul ils existent en acte. En effet l'univers, parce qu'il (l) n'est en acte
qu' l'tat restreint, est, par suite, uniquement un tre de raison ; ainsi les universaux ne sont pas seulement des
tres de raison, bien qu'en acte on ne les trouve pas en dehors du singulier ; de mme que la ligne et la superficie,
bien qu'on ne les trouve pas en dehors des corps, ne sont pas pour cela uniquement des tres de raison,
puisqu'elles existent dans les corps, ainsi que les universaux dans les choses particulires. Cependant
l'intelligence les tire des choses par l'abstraction. Or, l'abstraction est un tre de raison, puisque l'tre absolu ne
peut pas lui convenir. En effet l'universel parfaitement absolu est Dieu. Or, comment l'universel se trouve dans
l'intelligence, nous le verrons dans le De conjecturis bien que, d'aprs ce qui prcde, ceci puisse dj tre assez
vident, puisque dans l'intelligence ils ne sont qu'intelligence, et, ainsi, restreints d'une faon intellectuelle ; et
leur action d'intelliger, puisque rien (2) n'y voit plus clair et plus profond qu'elle, apprhende la restriction des
universaux en elle-mme et dans les autres. En effet le chien et tous les autres animaux de mme espce sont
unis cause d'une nature spcifique commune qui est en eux, et qui aurait t restreinte en eux, mme si
l'intelligence de Platon n'avait pas fabriqu pour elle les espces eu gard aux similitudes. Donc le fait
d'intelliger suit celui d'tre et de vivre, quant son opration, car, par son opration, il ne peut donner ltre, ni le
vivre, ni lintelliger, mais le fait d'intelliger (3) l'intelligence elle-mme, pour ce qui est des choses intelliges,
suit celui d'tre, celui de vivre, et celui d'intelliger la nature dans la similitude. Aussi les universaux, qu'il fait par
comparaison, sont un analogue des universaux restreints dans les choses ; et ces universaux sont dj dans
l'intelligence elle-mme l'tat restreint avant que, le monde extrieur tant connu, elle les dveloppe par le fait
d'intelliger, qui est son opration. En effet elle ne peut rien intelliger, qui ne soit dj en elle-mme l'tat
restreint. Donc, en intelligeant, elle dveloppe un monde de similitudes, qui est en elle l'tat restreint, avec des
connaissances et des signes fonds sur des similitudes.
Par consquent il en a t dit assez ici sur l'unit et la restriction de l'univers dans les choses ; ajoutons
quelques mots sur sa trinit.

(1) C'est la leon de T.
(2) S. ent. dans l'homme . Ce n'est pas la premire fois que notre auteur exprime d'une faon absolue
un jugement qui n'a qu'une valeur relative.
(3) Nous ne croyons qu'il y ait un seul mot du texte de T changer.


7 - LA TRINIT DE L'UNIVERS

Parce que l'unit absolue est ncessairement trine, non pas sans doute d'une faon restreinte, mais
absolument (en effet l'unit absolue n'est pas autre que la trinit, et celle-ci n'est apprhende intimement que
dans une certaine corrlation, comme on l'a dit suffisamment dans le livre premier), de la mme faon l'unit
maxima restreinte, en tant qu'elle est unit, est trine, non pas, sans doute, d'une faon absolue, comme la trinit
est unit, mais d'une faon restreinte, d'une manire telle que l'unit ne soit que dans la trinit, comme le tout est
dans les parties d'une faon restreinte. Dans les choses divines l'unit n'est pas l'tat restreint dans la trinit,
comme le tout est dans les parties, ou l'universel dans le particulier, mais c'est l'unit elle-mme qui est trinit.
C'est pourquoi n'importe laquelle des personnes est l'unit elle-mme. Et parce que l'unit est trinit, une
personne n'en est pas une autre. Or, dans l'univers il ne peut pas en tre ainsi. C'est pourquoi ces trois
corrlations qui, dans les choses divines, sont appeles personnes , n'ont pas d'tre en acte, si ce n'est en
mme temps dans l'unit.
Il faut voir cela avec pntration : dans les choses divines la perfection de l'unit, qui est trinit, est si
grand que le Pre est dieu en acte, le Fils dieu en acte, l'Esprit-Saint dieu en acte ; le Fils et l'Esprit-Saint sont en
acte dans le Pre, le Fils et le Pre dans l'Esprit-Saint, le Pre et l'Esprit-Saint dans le Fils ; il ne peut pas en tre
ainsi dans le restreint, en effet les corrlations n'existent en elles-mmes que dans leur connexion. Et, pour cela,
l'une d'elles ne peut pas tre l'univers, mais toutes en mme temps le sont. Et l'une n'est pas en acte dans les
autres, mais elles sont d'une faon telle que le permet la condition d'une contraction mutuellement restreinte de la
faon la plus parfaite, de telle sorte que d'elles vienne un univers un, qui, sans cette trinit, ne puisse pas tre un.
En effet, il ne peut y avoir de restriction, sans un restrictible, un restreignant et un lien qui soit parachev grce
l'acte commun des deux autres. Mais la restrictibilit exige une certaine possibilit, et elle descend de cette
unit, qui est sa mre dans les choses divines, comme l'altrit descend de l'unit. En effet elle ncessite
mutabilit et altrit en considration de son principe : car rien ne parat pouvoir la prcder. Comment en effet
quelque chose serait-il, sans avoir eu la possibilit d'tre ? Donc la possibilit descend de l'unit ternelle. Or, le
restreignant lui-mme, parce qu'il met un terme la possibilit du restrictible, descend de l'galit de l'unit. En
effet l'galit de l'unit est l'galit d'essence, car l'tre et le un se convertissent. Donc, comme le restreignant
force la possibilit tre gale telle ou telle chose restreinte, c'est raison qu'on dit qu'il descend de l'galit
d'essence le Verbe dans les choses divines . Et parce que le verbe lui-mme, qui est raison et ide, est aussi
ncessit absolue des choses, il impose sa ncessit et son lien la possibilit par le restreignant lui-mme.
C'est pourquoi on a appel le restreignant forme ou me du monde et la possibilit matire. Les uns ont
nomm le premier, hasard sur la substance, d'autres, comme les Platoniciens, ncessit de complexion, parce
qu'il descend de la ncessit absolue, pour tre comme une ncessit restreinte, et une forme restreinte, dans
laquelle toutes les formes se trouvent vritablement ; on parlera plus bas de ce sujet. Ensuite il existe un lien du
restreignant et du restrictible ou de la matire et de la forme, ou de la possibilit et de la ncessit de
complexion, qui est parachev en acte comme par le souffle d'un amour qui les unit par un mouvement. Et,
d'ordinaire, quelques-uns appellent ce lien possibilit dtermine , parce que le pouvoir tre est dtermin
tre ceci ou cela de par l'union de la forme qui dtermine et de la matire qui est dterminer. Or, il est clair
que ce lien descend du Saint-Esprit, qui est le lien infini.
Donc, l'unit de l'univers est trine parce qu'elle est due la possibilit, la ncessit de complexion et le
lien, qui peuvent tre appels puissance, acte et lien. Tirons de l les quatre modes d'tre universels : mode
d'essence qui est dit ncessit absolue, comme est Dieu : forme des formes, tre des tres, raison des choses ou
quiddit ; et, dans ce mode d'essence, tout est en Dieu la ncessit absolue elle mme. Autre mode : celui des
choses comme elles sont dans leur ncessit de complexion ; dans cette dernire sont les formes des choses
vraies en soi avec leur distinction et leur ordre naturels, comme dans l'esprit : nous verrons plus bas s'il en est
ainsi. Autre mode d'essence : celui des choses qui sont dans la possibilit dtermine par l'acte : telles ou telles.
Et le plus bas mode d'essence est la faon dont les choses peuvent tre et il est la possibilit pure. Les trois
derniers modes d'essence sont dans l'universalit une, qui est le maximum restreint ; ils forment le mode
d'essence universel, parce que sans eux rien ne pourrait tre. Je dis modes d'essence parce qu'il n'y a pas un
mode universel d'essence, compos pour ainsi dire de trois parties, comme la maison du toit, des fondations et
des murs ; mais il y a un mode universel compos de modes d'essence en ce sens qu'une rose qui, en puissance
dans sa roseraie l'hiver, est en acte l't, est passe du mode d'essence de la possibilit au mode de la
dtermination en acte. Nous voyons donc qu'il y a un mode d'essence de la possibilit, et puis un mode de la
ncessit et puis un mode de la dtermination actuelle, qui forment un mode universel unique d'essence, parce
que sans eux il n'est rien, et que l'un n'existe pas sans l'autre en acte.



8 - LA POSSIBILITE OU MATIERE DE L'UNIVERS

Pour dire ici, essentiellement au moins, ce qui peut rendre docte notre ignorance, examinons quelque
peu les trois modes d'essence que nous avons dj dits ; commenons par la possibilit. Du reste les anciens ont
beaucoup parl d'elle, eux dont l'avis unanime tait que rien ne sort du nant ; c'est pourquoi ils ont affirm qu'il
existait une possibilit absolue d'tre toutes les choses, et qu'elle tait ternelle ; en elle ils croyaient que tout
tait enferm d'une faon possible. Or, de cette matire ou possibilit, ils se sont fait une conception en
raisonnant l'envers, comme si c'tait de la ncessit absolue, comme abstrayant du corps la forme de corporit,
et ne comprenant pas le corps la faon d'un corps. Ainsi ils ont touch la matire en vritables ignorants.
Comment comprendre que le corps soit sans forme dans le corps ? Ils disaient qu'elle prcdait naturellement
toute chose ; ainsi, jamais il ne fut vrai de dire : Dieu est , sans qu'il ft vrai de dire aussi La possibilit
absolue est ; cependant ils n'ont pas affirm que celle-ci ft cotendue Dieu, parce qu'elle vient de lui ; elle
n'est ni quelque chose, ni le nant, ni une, ni multiple, ni ceci, ni cela, ni de telle composition ni de telle sorte,
mais une possibilit tre tout, et, en acte, rien du tout. Les Platoniciens, parce qu'elle n'a aucune forme l'ont
appele carence ; et, parce qu'il lui manque quelque chose, elle dsire ; de cette manire elle est une aptitude, qui
obit la ncessit qui lui commande, c'est--dire l'amne tre en acte, comme la cire obit l'artiste qui veut
faire d'elle quelque chose. Or, le manque de forme procde de la carence et de l'aptitude ; les unissant pour tre
la possibilit absolue, elle est comme trine et indivisible ; en effet la carence, l'aptitude et le manque de forme ne
peuvent pas tre en elle des parties ; autrement quelque chose prcderait la possibilit absolue, ce qui est
impossible. De l viennent les modes ; car, sans eux, la possibilit absolue ne serait pas telle. En effet la carence
est d'une faon contingente dans la possibilit. Parce qu'elle n'a pas de forme et qu'elle peut en avoir, on dit
qu'elle manque de quelque chose, que quelque chose en elle est en carence ; aussi l'appelle-t-on carence. Or, le
manque de forme est comme la forme de la possibilit, et celle-ci, de l'avis des Platoniciens, est comme la
matire des formes. En effet l'me du monde s'unit la matire en se soumettant elle mme, qu'ils ont appele
principe vgtable ; et, ainsi, lorsque l'me du monde se mle la possibilit, cette vgtabilit informe
parvient tre en acte une me vgtative, d'un mouvement descendant de l'me en monde et d'un mouvement
de la possibilit ou vgtabilit. Aussi ont-ils affirm que le manque de forme lui-mme est comme la matire
des formes, et qu'il se forme grce la sensitive, la rationnelle et l'intellectuelle, pour exister en acte.
C'est pourquoi Herms disait que l$%& tait la nourrice des corps et que ce manque de forme tait la
nourrice des mes, et quelques penseurs chrtiens disaient que le Chaos a prcd naturellement le monde, qu'il a
t la possibilit des choses, qu'en lui entra l'esprit, cet tre informe qui contient toutes les mes d'une faon
possible.
C'est pourquoi aussi les anciens Stociens disaient que toutes les formes sont en acte dans la possibilit
mais qu'elles y sont caches et qu'elles apparaissent si l'on enlve ce qui les recouvre comme si l'on n'avait qu'
enlever des parties d'un morceau de bois pour en tirer une cuillre.
Les Pripatticiens, au contraire, disaient que les formes n'taient que d'une faon possible dans la
matire et n'en sont tires que par une action effective. Aussi est-il plus vrai de dire que les formes ne viennent
pas seulement de la possibilit mais aussi d'une action effective. En effet celui qui enlve, du morceau de bois,
des parties pour que le morceau de bois devienne une statue, ajoute de la forme. Et cela, sans aucun doute, est
vident ; en effet lorsque l'artisan lui-mme ne peut pas, du bois, faire un coffre, la faute en est la matire, mais
lorsqu'un autre que l'artisan ne peut pas faire ce coffre avec le bois, c'est la ralisation effective qui est en dfaut.
Donc, il faut la matire et la ralisation effective. Et il suit que les formes sont en quelque sorte d'une faon
possible dans la matire, et qu'elles sont amenes l'acte, au gr du ralisateur. Ils ont dit qu'ainsi l'universalit
des choses se trouve, d'une faon possible, dans la possibilit absolue, et que la possibilit absolue elle-mme n'a
ni limite, ni fin parce qu'elle n'a aucune forme et qu'elle est apte toutes ; de la mme faon que n'a aucune
limite la possibilit de faonner un morceau de cire en l'image d'un lion, d'un livre ou de tout autre objet. Et
cette absence de fin, cette infinit est contraire l'infinit de Dieu parce qu'elle a pour cause une carence, tandis
que celle de Dieu a pour cause une abondance : toutes choses, en lui, sont lui-mme en acte. Ainsi l'infinit de la
matire est privative, et celle de Dieu, ngative.
Telle est la position de ceux qui ont parl de la possibilit absolue.
Nous, au contraire, grce la docte (l) ignorance nous avons trouv qu'il serait impossible qu'existt une
possibilit absolue. En effet, comme, parmi les possibles, rien ne peut exister moins que la possibilit absolue,
qui environne de tout prs le non-tre, mme d'aprs les auteurs que nous avons cits, on parviendrait, de l, au
minimum et au maximum dans les choses susceptibles de plus et de moins ; ce qui est impossible. C'est pourquoi
la possibilit absolue en Dieu est Dieu ; et, en dehors de lui, le possible n'existe pas (2) ; en effet il n'y a rien qui
soit en puissance absolue, parce que toutes les choses, sauf l'tre premier, sont ncessairement restreintes. Sans
doute dans le monde les choses sont diverses, sans doute aussi telle d'entre elles peut en avoir sous sa
dpendance un plus grand nombre que telle autre, mais on n'arrive jamais au maximum et au minimum simples
et absolus ; et, parce que l'on trouve qu'il en est ainsi, il est vident qu'il ne peut pas exister de possibilit
absolue. Donc toute possibilit est restreinte ; or, c'est par l'acte qu'elle est restreinte ; aussi ne trouve-t-on pas de
possibilit pure, qui ne soit dtermine par aucun acte au monde ; et l'aptitude de possibilit ne peut pas tre
infinie et absolue, sans aucune restriction. En effet Dieu, puisqu'il est l'acte infini, n'est que la cause de l'acte ;
mais la possibilit d'tre existe d'une faon contingente. Donc, si la possibilit est absolue, sur quel objet se
produit-elle d'une faon contingente ? Or, la possibilit se produit parce que l'tre ne peut pas venir de Dieu
entirement, simplement et absolument en acte (3). C'est pourquoi l'acte est restreint par la possibilit pour qu'il
n'existe d'une faon absolue qu'en puissance et la puissance n'existe pas d'une faon absolue, si ce n'est restreinte
par l'acte.
Or, les diffrences et les gradations surviennent pour que celui-ci soit plutt acte et celui-l plutt
puissance, sauf lorsqu'on en arrive au maximum et au minimum simples, parce que l'acte maximum et minimum
concide avec la puissance maxima et minima, et tous deux sont le maximum dit absolu, comme on l'a montr
dans le livre premier.
En outre, si la possibilit des choses n'tait pas restreinte, elle ne pourrait pas tre tenue pour la raison
des choses, mais toutes choses arriveraient par hasard, selon l'opinion errone d'picure. Que notre monde soit
sorti d'une faon rationnelle de la possibilit, cela est venu ncessairement de ce que la possibilit n'a eu
d'aptitude qu' tre ce monde-ci.
Donc l'aptitude de la possibilit a t restreinte et non pas absolue ; ainsi en est-il de la terre, du soleil,
etc.; en effet si, par une certaine possibilit restreinte, ils ne s'taient pas trouvs, cachs, dans la matire, il n'y
aurait pas eu plus de raison pour qu'ils avanassent dans l'acte que pour le contraire. Donc bien que Dieu soit
infini, et que, par suite, il ait eu en son pouvoir de crer le monde infini, cependant parce que la possibilit fut
ncessairement restreinte, et que son aptitude ne fut pas absolue et infinie entirement, le monde, par suite de sa
possibilit d'tre, n'a pas pu tre en acte infini, plus grand ou autrement qu'il n'est.
Or, la restriction de la possibilit vient de l'acte, et l'acte du maximum en acte lui-mme. C'est pourquoi,
comme la restriction de la possibilit vient de Dieu et la restriction de l'acte vient de la contingence, il suit que le
monde, ncessairement restreint par la contingence, est fini. Grce notre connaissance de la possibilit nous
voyons comment la maximit restreinte vient de la possibilit ncessairement restreinte ; du reste, cette
restriction ne vient pas de la contingence, parce qu'elle est due l'acte ; et, ainsi, l'univers a une cause de
restriction rationnelle et ncessaire, de sorte que le monde, qui n'est qu'un tre restreint, ne vient pas de Dieu par
contingence, car il est la maximit absolue.
Et il faut considrer cela plus spcialement. Comme la possibilit absolue est Dieu, si nous considrons
le monde comme il est en elle, nous le considrons comme il est en Dieu et il est l'ternit mme ; si nous le
considrons comme il est dans la possibilit restreinte, alors la possibilit ne prcde le monde que par nature et
cette possibilit restreinte n'est pas l'ternit coternelle Dieu, mais elle vient d'elle par une chute, comme le
restreint vient de l'absolu, or, ils sont spars par l'infini.
C'est en effet de cette faon qu'il est ncessaire de rgler selon les principes de la docte ignorance ce que
l'on dit de la puissance ou possibilit, ou matire. Nous laissons comme objet du De Conjecturis la faon dont la
possibilit progresse graduellement.

(1) C'est la leon de T.
(2) Ici nous prfrons A, B, C T.
(3) C'est le texte de T.


9 - L'AME OU FORME DE L'UNIVERS

Tous les sages sont d'accord sur ce point que le pouvoir tre ne peut tre amen l'tre en acte que par
l'tre en acte, car il ne peut aucunement s'amener lui-mme tre en acte, sans quoi il serait sa propre cause ; en
effet il serait avant que d'tre ; et les mmes philosophes ont dit que ce qui fait de la possibilit un tre en acte,
agit intentionnellement, de sorte que la possibilit parvient l'tre en acte par une disposition prise
rationnellement, et non par hasard. Cette nature suprieure les uns l'ont appele esprit, d'autres intelligence,
d'autres me du monde, d'autres destin dans la substance, d'autres, comme les Platoniciens, ncessit de
complexion ; et ces derniers estimaient que la possibilit, sous l'empire de la ncessit, se dterminait par elle-
mme pour que maintenant ft en acte ce qu'avait pu tre auparavant la nature. En effet, disaient-ils, dans cet
esprit se trouvent les formes des choses en acte d'une faon intelligible, comme dans la matire elles se trouvent
d'une faon possible ; et la ncessit de complexion elle-mme qui a en elle la vrit des formes, avec ce qui les
accompagne, met le ciel en mouvement selon l'ordre naturel, de sorte que, par le moyen du mouvement, comme
d'un instrument, elle amne la possibilit un acte, qui est, de la faon la plus conforme possible, gal au
concept intelligible de la vrit ; ils reconnaissaient que la forme, telle qu'elle est dans la matire, est, par suite de
cette opration de l'esprit et de la mdiation du mouvement, une image de la vraie forme intelligible, non pas
vraie sans doute, mais semblable la vraie. Et, ainsi, disaient les Platoniciens, si les formes vraies se trouvent
dans l'me du monde avant de se trouver dans les choses, cette antriorit n'est pas temporelle, mais naturelle.
Cela, au contraire, les Pripatticiens ne le reconnaissent pas : les formes en effet, disent-ils, n'ont pas d'autre tre
que dans la matire ; elles sont par abstraction dans notre intelligence, et l'abstraction suit la chose, c'est vident.
Mais les Platoniciens pensaient qu'il existait des modles de ce genre, distincts dans la ncessit de complexion,
multiples, soumis l'ordre naturel ; sans doute ils sont de par une raison unique infinie, dans laquelle tout est un,
mais, croyaient-ils, ce n'est pas cette raison qui a cr ces modles, mais ils descendent d'elle de faon telle que
jamais il ne fut vrai de dire : Dieu est , sans qu'il ft aussi vrai de dire : L'me du monde est ; celle-ci,
affirmaient-ils, est un dveloppement de l'esprit divin ; et, ainsi, toutes les choses, qui sont en Dieu un modle
unique sont dans l'me du monde multiples et distinctes ; Dieu, ajoutaient-ils, prcde naturellement cette
ncessit de complexion ; l'me du monde elle-mme prcde naturellement le mouvement, c'est--dire
l'instrument du dveloppement temporel des choses. Et, comme ce qui existerait d'une faon vritable serait dans
l'me d'une faon possible, il serait aussi dvelopp dans la matire, grce au mouvement, d'une faon
temporelle. Or, ce dveloppement temporel suit l'ordre naturel, qui est dans l'me du monde et qu'on appelle
destin dans la substance ; et son dveloppement temporel est ce que la plupart nomment destin , lorsqu'il
descend de lui en acte et en uvre. Ainsi est le mode d'essence dans l'me du monde, mode selon lequel nous
disons que le monde est intelligible. Le mode d'essence en acte par la dtermination de la possibilit, c'est--dire
par le dveloppement, comme on l'a dj dit, est 1e mode d'essence selon lequel le monde est sensible les en
croire. Et ils ont estim que ces formes, telles qu'elles sont dans la matire, ne sont pas autres que celles qui se
trouvent dans l'me du monde, mais qu'elles ont tout juste la diffrence que leur donnent leurs modes d'essence :
dans l'me du monde elles sont vritablement et en soi, dans la matire elles sont d'une faon semblable au vrai,
non pas dans leur puret, mais en bauche : ils ajoutent qu'on n'atteint la vrit des formes que par l'intelligence ;
par la raison, l'imagination et les sens on ne l'atteint que d'aprs des images, dans la mesure o les formes sont
mles la possibilit ; et c'est pourquoi, nous n'atteignons rien vraiment, mais de faon opinative. De cette me
du monde, pensaient-ils, tout mouvement descend ; elle se trouve tout entire dans le monde tout entier et dans
chaque partie du monde, bien que, disaient-ils, elle n'exerce pas les mmes vertus sur toutes les parties ; de
mme, l'me rationnelle n'exerce pas dans l'homme la mme opration sur ses cheveux et sur son cur, et
pourtant elle est tout entire dans l'homme tout entier, et dans chacune de ses parties. Ainsi, pensaient-ils, dans
l'me du monde sont enfermes toutes les mes, soit dans des corps, soit en dehors parce qu'elle est rpandue
dans l'univers entier, disaient-ils ; mais elle ne l'est pas en fractions multiples, puisqu'elle est simple et
indivisible, mais elle est tout entire dans la terre, et l, elle lie la terre, tout entire dans la pierre, et l, elle fait
que les fractions de pierre tiennent ensemble, tout entire dans l'eau, tout entire dans les arbres et ainsi de suite ;
car elle-mme est le premier dveloppement circulaire (l'esprit de Dieu est comme un point central qui
dveloppe un cercle, l'me du monde) et l'implication naturelle de tout ordre temporel de choses. C'est pourquoi,
cause de sa discrtion et de son ordre, elle est, disaient-ils, un nombre qui se meut, elle se compose,
affirmaient-ils, du mme et du divers, et c'est par le nombre seul qu'elle diffre de l'me humaine, pensaient-ils
comme l'me de l'homme se comporte l'gard de l'homme, ainsi se comporte-t-elle l'gard de l'univers ;
toutes les mes, croyaient-ils, viennent d'elle et, finalement, se rsolvent en elle, si elles n'ont pas dmrit.
Beaucoup de penseurs chrtiens se sont reposs dans cette voie platonicienne ; et, surtout parce que la
raison de la pierre est autre que celle de l'homme, et qu'en Dieu il n'y a ni distinction ni alit, ils tenaient pour
ncessaire que ces raisons distinctes, selon lesquelles les choses sont distinctes, vinssent aprs Dieu et avant les
choses, parce que la raison prcde la chose ; il en est ainsi dans l'intelligence qui commande aux mondes ; et de
telles raisons distinctes elles-mmes sont les notions indestructibles des choses dans l'me mme du monde. Que
dis-je ? l'me elle-mme est compose de toutes les notions de tout, toutes les notions sont en elle sa substance,
mais, affirmaient-ils, cela est difficile exposer et apprendre.
Du reste ils appuient leurs dires de l'autorit de la divine criture. En effet Dieu a dit : Que la lumire
soit ! et la lumire fut. Si la vrit de la lumire n'avait pas t naturellement antrieure, comment aurait-il dit :
Que la lumire soit ! Et, une fois que cette lumire fut dveloppe dans le temps, pourquoi aurait-elle t
appele lumire plutt qu'autre chose, si la vrit de la lumire n'avait pas t antrieure ? Et les philosophes
dont nous parlons apportent des foules d'arguments semblables l'appui de leur thse.
Mais les Pripatticiens, tout en reconnaissant que l'uvre de la nature est l'uvre d'une intelligence,
n'admettent cependant pas les modles que nous avons dits ; or, coup sr, si par l'intelligence ils n'entendent
pas Dieu, j'estime qu'ils ont tort. En effet, dans cette intelligence, s'il n'y a pas de connaissance, comment obit-
elle un dessein dtermin ? Si, au contraire, il y a une connaissance de la chose qui devra tre dveloppe dans
le temps, laquelle est la raison du mouvement, une telle connaissance n'a pas pu tre tire de la chose, puisque
celle-ci n'existe pas encore dans le temps. Donc, s'il y a une connaissance sans abstraction, elle est alors coup
sr celle dont parlent les Platoniciens, qui n'existe pas de par les choses, puisque les choses sont selon elle. Aussi
les Platoniciens ont-ils estim que de telles raisons des choses ne sont pas je ne sais quoi de distinct et de
diffrent de l'intelligence elle-mme, mais que, plutt, de telles raisons distinctes entre elles forment une seule
intelligence simple, qui enferme en elle toutes les raisons ; ainsi, bien que la raison de l'homme ne soit pas la
raison de la pierre, mais qu'elles soient deux raisons distinctes, cependant l'humanit elle-mme, dont descend
l'homme, comme de la blancheur descend l'objet blanc, a seulement, dans l'intelligence elle-mme, d'une part, un
tre intelligible conforme la nature de l'intelligence, et dans la chose elle-mme, d'autre part, un tre rel : il n'y
a pas une humanit de Platon et une autre humanit spares l'une de l'autre, mais une mme humanit qui obit
divers modes d'essence et qui existe naturellement dans l'intelligence avant d'exister dans la matire : priorit
non pas temporelle, mais naturelle, comme la raison prcde la chose.
Les Platoniciens ont parl avec beaucoup de finesse et de raison, et les reproches que leur fait Aristote
manquent tout fait de raison : il s'est efforc de les rfuter en pluchant leurs mots plutt qu'en creusant le
noyau de leur doctrine. Mais, nous allons chercher, par la docte ignorance, laquelle des deux thses est la plus
vraie : on a montr qu'on ne parvient pas au maximum simple et, ainsi, qu'il ne peut pas y avoir de puissance
absolue, ou de forme absolue, ou d'acte absolu qui ne soit pas Dieu, que, Dieu except, tout tre est restreint,
qu'il n'y a qu'une seule forme des formes, une seule vrit des vrits et que la vrit maxima du cercle n'est pas
autre que la vrit maxima du quadrilatre. Donc, les formes des choses ne sont pas distinctes, si ce n'est dans la
restriction ; dans leur tat absolu elles sont une seule forme qui n'a en elle aucune distinction et qui est le Verbe
en thologie. Par suite l'me du monde n'a d'tre qu'avec la possibilit, par laquelle elle est restreinte et l'esprit
n'est ni spar, ni sparable des choses. En effet considrons l'esprit : dans la mesure o il a t spar de la
possibilit il est lui-mme l'esprit divin, qui, seul, est profondment en acte. Donc, il n'est pas possible qu'il y ait
plusieurs modles distincts : chacun en effet compar aux objets dont il serait le modle serait maximum et vrai
au maximum ; mais il n'est pas possible qu'il y ait plus d'un maximum vrai au maximum ; en effet un exemple
infini seulement est ncessaire et suffisant, dans lequel toutes choses sont comme ordonnes dans l'ordre et qui
enferme de la faon la plus adquate tontes les raisons distinctes qu'on voudra. Ainsi la raison infinie elle-mme
est la raison la plus vraie du cercle ; elle n'est ni trop grande, ni trop petite, ni diffrente, ni autre. Et elle-mme
est la raison du quadrilatre ni trop grande, ni trop petite, ni diffrente et ainsi de suite, comme le fait
comprendre l'exemple de la ligne infinie. Mais nous qui remarquons les diversits des choses, nous nous
tonnons de voir comment il n'y a qu'une seule raison infiniment simple de toutes les choses particulires, fait
que la docte ignorance nous apprend comme ncessaire, elle qui montre qu'en Dieu la diversit est identit. En
ceci, en effet, que nous voyons que la diversit des raisons de toutes les choses existe d'une faon parfaitement
vraie, par le fait mme que cela est parfaitement vrai, nous apprhendons une raison unique, la plus vraie de
toutes, qui est la vrit maxima elle-mme. Donc quand on dit que Dieu a cr l'homme par une certaine raison,
et la pierre par une autre raison, cela est vrai eu gard aux choses, non au crateur, comme nous le voyons dans
les nombres : le ternaire est la raison parfaitement simple, qui n'est pas susceptible de plus et de moins et qui est
une en soi ; mais comme il se rapporte des choses diverses, cause de cela la raison est diverse. En effet autre
est la raison du ternaire des angles dans le triangle, autre celle de la matire, de la forme et du compos dans la
substance, autres celle du pre, de la mre et du fils, celle de trois hommes et de trois mes. Donc la ncessit de
complexion n'est pas, comme pensaient les Platoniciens, un esprit moindre que le crateur, mais elle est le
Verbe, le Fils gal au Pre dans les choses divines ; on le nomme %'('), ou raison, parce qu'il est la raison de
tout. Donc rien n'est vrai de ce qu'ont dit les Platoniciens sur les imaginations des formes, parce qu'il n'y a qu'une
forme des formes infinie, dont toutes les formes sont des images, comme nous l'avons dit quelque part plus haut.
Donc, il faut comprendre tout cela avec pntration : l'me du monde doit tre considre comme une
forme universelle qui enferme en elle toutes les formes, qui n'existe en acte que d'une faon restreinte dans les
choses, qui, dans n'importe quelle chose, est une forme restreinte de la chose, comme on l'a dit plus haut de
l'univers. Donc, Dieu est la cause efficiente, finale et formelle de toutes choses, lui qui ralise dans un Verbe un
toutes les choses aussi diverses entre elles que possible et il ne peut y avoir aucune crature qui ne soit pas
diminue par la restriction, tombant d'une chute infinie de l'uvre de Dieu ; Dieu seul est absolu ; tous les autres
tres sont restreints. Il n'y a pas de milieu entre l'absolu et le restreint, comme se le sont imagins ceux qui ont
pens qu'il y avait une me du monde aprs Dieu et avant la restriction du monde. Seul, Dieu est l'me et l'esprit
du monde, dans la mesure o l'me est considre comme quelque chose d'absolu, en quoi se trouvent en acte
toutes les formes des choses. Mais les philosophes n'taient pas suffisamment renseigns sur le Verbe divin et le
maximum absolu ; c'est pourquoi ils ont considr que l'esprit, l'me et la ncessit se trouvaient dans un
dveloppement de la ncessit absolue, ou dans restriction. En acte il n'y a pas de formes, si ce n'est, le Verbe, le
Verbe lui-mme et, dans les choses, des formes d'une faon restreinte. Or, les formes qui ont t cres dans la
nature intellectuelle, bien qu'elles soient plus absolues conformment la nature intellectuelle, cependant
n'existent qu'avec une restriction, comme l'intelligence ; l'opration de celle-ci est d'intelliger par similitude
abstractive, comme dit Aristote ; nous en parlerons dans le De conjecturis. Mais ici nous en avons assez dit sur
l'me du monde.


10 - L'ESPRIT DE L'UNIVERS

Certains penseurs ont estim que le mouvement, par lequel s'opre la connexion de la forme et de la
matire, est comme un esprit intermdiaire entre la forme et la matire, et ils ont considr qu'il tait rpandu
dans le firmament, les plantes et les choses terrestres. D'abord ils l'ont appel l'atropos, celui qui ne tourne pas
, parce qu'ils croyaient que le firmament se mouvait, d'un mouvement simple, de l'orient l'occident. En second
lieu ils l'ont appel clotho, c'est--dire la rotation, parce que les plantes vont d'occident en orient par un
mouvement de rotation contre le firmament. En troisime lieu lachesis, c'est--dire hasard, parce que le hasard
gouverne les choses terrestres. Le mouvement des plantes est comme une volution du premier mouvement et le
mouvement des choses temporelles et terrestres une volution du mouvement des plantes.
Dans les choses terrestres se cachent des causes d'vnements comme la moisson dans les semailles ;
c'est pourquoi les philosophes ont dit que ce qui est enferm dans l'me du monde comme dans une pelote se
dveloppe et prend son extension grce un tel mouvement. Comme l'artiste qui veut sculpter une statue dans la
pierre et qui a en lui, l'tat d'ide, la forme de sa statue, ralise, au moyen d'instruments qu'il met en uvre, la
forme mme de sa statue, la reprsentation, l'image de son ide, les philosophes pensaient que, de la mme
faon, l'esprit ou me du monde portait en elle les modles des choses et dveloppait, grce au mouvement, ces
modles dans la matire. Et ce mouvement, disaient-ils, est rpandu en toutes choses, comme l'me du monde ;
ce mouvement, dans le firmament, les plantes et les choses terrestres, est, comme le destin descendant en acte et
en uvre de sa place de destin dans la substance, le dveloppement du destin dans la substance, parce que la
chose est dtermine tre ceci ou cela par ce mouvement lui-mme ou esprit. Cet esprit de connexion procde
la fois de la possibilit et de l'me du monde, en effet la matire, parce que de son aptitude recevoir une forme,
elle tient un dsir, comme le mal dsire le bien, et la privation la possession, et parce que la forme dsire tre en
acte et qu'elle ne peut pas subsister d'une faon absolue, puisque son tre n'existe pas et qu'elle n'est pas Dieu, la
matire, dis-je, descend pour tre d'une faon restreinte dans la possibilit ; autrement dit, tandis que la
possibilit s'lve pour tre en acte, la forme descend pour finir, parachever et terminer la possibilit. Et ainsi, de
la monte et de la descente, nat le mouvement qui les lie ; or, le mouvement est le moyen de connexion de la
puissance et de l'acte, parce que le fait de mouvoir nat, sorte intermdiaire, de la possibilit mobile et du moteur
formel.
Donc, l'esprit dont nous parlons est rpandu, l'tat restreint travers l'univers entier et chacune de ses
parties ; c'est lui que l'on nomme la nature. Donc la nature est, pour ainsi dire, ce qui enferme toutes les choses
qui se produisent grce au mouvement. Comment donc ce mouvement se restreint-il de l'universel jusque dans le
particulier, en conservant son ordre travers tous ces degrs ? clairons ceci d'un exemple : lorsque je dis Dieu
est , cette prire s'avance par un certain mouvement mais dans un ordre particulier : d'abord je prononce les
lettres, puis les syllabes, puis les mots, puis enfin la prire, bien que l'oreille ne distingue pas les degrs de cet
ordre ; or, c'est ainsi que le mouvement descend par degrs de l'univers dans le particulier, et c'est l qu'il est
restreint par un ordre temporel ou naturel. Or, ce mouvement ou esprit descend de l'esprit de Dieu, qui par le
mouvement lui-mme met tout en mouvement. Donc, de mme que, dans celui qui parle, il y a un esprit qui
procde de celui qui parle et qui est restreint dans la prire, ainsi en est-il de Dieu qui est l'esprit duquel descend
tout mouvement. En effet la Vrit nous dit : Ce n'est pas vous qui parlez, mais l'esprit de votre pre qui parle
en vous. II en est de mme de tous autres mouvements et oprations. Donc, cet esprit cr est l'esprit sans
lequel rien n'est un, ou ne peut subsister, mais ce monde tout entier et toutes ces choses qui sont en lui, grce
cet esprit qui remplit tout, sont d'une faon naturelle et connexe ce qu'elles sont, pour que la puissance soit en
acte par son moyen, et l'acte dans la puissance par son moyen. Et c'est l le mouvement de connexion amoureuse
qui porte toutes les choses vers l'unit, pour former, elles toutes, un seul univers ; en effet tandis que toutes les
choses se meuvent individuellement pour tre ce qu'elles sont d'une meilleure manire, aucune ne le faisant
exactement comme une autre, cependant chacune restreint sa manire propre le mouvement de quelque chose
et participe de lui d'une faon mdiate ou immdiate (comme les lments et ce qui les compose participent du
mouvement du ciel, et tous les membres du mouvement du cur) pour que l'univers soit un. Et, grce ce
mouvement les choses sont de la meilleure faon qu'elles peuvent, et se meuvent pour tre conserves en elles-
mmes ou dans leur espce, grce la connexion naturelle des sexes, car la nature, qui enferme en elle le
mouvement, les unit mme lorsqu'ils se trouvent l'tat restreint d'une faon divisive dans les individus. Donc, le
mouvement maximum simple n'existe pas, car celui-l concide avec le repos. C'est pourquoi le mouvement
absolu n'est pas, car il est le repos absolu, il est Dieu ; et celui-l enferme en lui tous les mouvements. Donc,
ainsi que toute possibilit se trouve dans la possibilit absolue, qui est Dieu ternel, et que toute forme, tout acte
se trouve dans la forme absolue, qui est le Verbe du Pre, et le Fils, dans les choses divines, ainsi tout
mouvement de connexion, toute proportion, toute harmonie qui unit se trouve dans la connexion absolue de
l'Esprit divin, pour que Dieu soit le seul principe de toutes choses, lui en qui tout est et par qui tout est, dans
l'unit de la trinit ; or, celle-ci se restreint, tout en gardant une ressemblance, en se soumettant au plus et au
moins entre le maximum et le minimum simples, et elle passe par des degrs : d'une part le degr de puissance,
acte et mouvement de connexion, dans les intelligences, dont le mouvement consiste intelliger ; d'autre part
celui de matire, forme et lien dans les choses corporelles, dont le mouvement consiste tre ; nous toucherons
ce sujet ailleurs ; mais, pour le moment, que ces remarques sur la trinit de l'univers nous suffisent.


11 - COROLLAIRES SUR LE MOUVEMENT

Peut-tre ceux qui auront lu ces considrations tout fait nouvelles s'tonneront-ils de ce que la docte
ignorance montre qu'elles sont vraies. Elles nous ont appris dj que l'univers est trine ; qu'il n'y a aucun objet
dans l'univers dont l'unit ne soit compose de puissance, d'acte et de mouvement de connexion ; aucun de ces
trois lments ne peut subsister d'une faon absolue, sans un autre ; et ainsi ils se trouvent ncessairement en
toutes choses suivant des degrs trs divers et tellement diffrents qu'il ne peut y avoir dans l'univers deux objets
gaux en tout d'une faon simple ; c'est pourquoi il est impossible, vu les divers mouvements des astres, que le
moteur du monde ait quelque chose, la terre sensible par exemple, ou l'air, ou le feu, ou n'importe quoi d'autre,
pour centre fixe et immobile, en effet, dans le mouvement, on ne parvient pas au minimum simple, comme un
centre fixe, car il est ncessaire que le minimum concide avec le maximum. Donc, le centre du monde
conciderait avec sa circonfrence.
Donc, le monde n'a pas de circonfrence, car, s'il avait un centre et une circonfrence, il aurait ainsi en
lui-mme son commencement et sa fin, et le monde serait lui-mme termin par rapport quelque chose
d'autre ; il y aurait en dehors du monde autre chose et un lien, tout ceci ne prsente aucune vrit. Donc, comme
il n'est pas possible que le monde soit enferm entre un centre matriel et une circonfrence, le monde est
inintelligible, lui dont le centre et la circonfrence sont Dieu ; et, alors que notre monde n'est pas infini,
nanmoins on ne peut pas le concevoir comme fini, puisqu'il n'a pas de limites entre lesquelles il soit enferm.
Donc la terre, qui ne peut pas tre le centre, ne peut pas tre prive absolument de mouvement ; il est mme
ncessaire qu'elle ait un mouvement tel qu'elle puisse encore en avoir un infiniment moins fort. Donc, de mme
que la terre n'est pas le centre du monde, la circonfrence de ce dernier n'est pas davantage la sphre des toiles
fixes, bien que, si l'on compare la terre au ciel, la terre paraisse plus proche du centre et le ciel plus prs de la
circonfrence. Donc, la terre n'est au centre ni de la huitime, ni de toute autre sphre, et l'apparence des six
toiles au-dessus de l'horizon ne prouve pas que la terre soit au centre de la huitime sphre. En effet, si elle tait
mme une certaine distance du centre et dans les alentours de l'axe des ples, de sorte que d'une part elle ft
leve vers un ple et de l'autre abaisse vers l'autre, alors, aux hommes situs une distance des ples aussi
grande que s'tend l'horizon, une moiti seulement de la sphre apparatrait, comme il est clair. Mme le centre
du monde n'est pas l'intrieur de la terre plutt qu' l'extrieur ; et la terre n'a pas plus de centre que n'importe
quelle sphre : en effet un centre est un point quidistant d'une circonfrence et il n'est pas possible qu'existe une
sphre ou un cercle si vrai qu'on ne puisse pas en donner de plus vrais ; donc, il est clair aussi qu'on ne peut pas
davantage donner un centre tel qu'on ne puisse pas en donner un plus vrai et plus prcis : hors de Dieu, on ne
saurait trouver d'quidistance prcise des points divers, parce que lui seul est l'galit infinie. Donc, celui qui
est le centre du monde, savoir Dieu dont le nom est bni, celui-l est le centre de la terre et de toutes les
sphres, et de tout ce qui est dans le monde, lui qui est en mme temps la circonfrence infinie de toutes choses.
En outre il n'y a pas, dans le ciel, de ples immobiles et fixes, bien que le ciel des toiles fixes paraisse
dcrire par son mouvement des cercles d'une grandeur progressive, cercles plus petits que les colures, ou que
l'quinoxial, et ainsi de suite pour les intermdiaires ; mais, ncessairement, toute partie du ciel est en
mouvement, bien qu'ingalement, vu les cercles que dcrit le mouvement des toiles. C'est pourquoi, comme
certaines toiles semblent dcrire un cercle maximum, d'autres semblent en dcrire un minimum ; mais on ne
trouve pas d'toile qui ne dcrive aucun cercle. Donc, parce qu'il n'y a pas de ple fixe sur la sphre, il est
vident qu'on ne peut pas leur trouver un milieu quidistant des ples. Donc il n'y a pas, sur la huitime sphre,
d'toile qui dcrive par sa rvolution un cercle maximum, car, ncessairement, elle serait gale distance des
ples, et ceux-ci n'existent pas ; par consquent il n'y en a pas non plus qui dcrive le cercle minimum. Donc, les
ples des sphres concident avec le centre pour que le centre ne soit pas autre chose que le ple, c'est--dire le
Dieu que nous bnissons. Et, parce que nous ne pouvons saisir le mouvement que par rapport quelque chose
de fixe, ples ou centres, et que nous prsupposons ceux-ci dans les mesures de mouvements, il suit que, nous
mouvant dans les conjectures nous trouvons que nous errons en tout, et nous nous tonnons quand, d'aprs les
rgles des anciens, nous ne trouvons pas les toiles leur place : c'est que nous avons cru exactes leurs
conceptions des centres, des ples et des mesures. De ceci on dduit manifestement que la terre est en
mouvement. Et parce que nous avons appris que les lments se meuvent grce au mouvement d'une comte de
l'air et du feu, et que la lune se meut moins de l'orient l'occident que Mercure, Vnus ou le soleil et ainsi de
suite, il suit que la terre se meut encore moins que tous les astres ; et cependant elle n'est pas comme une toile
dcrivant autour d'un centre ou d'un ple un cercle minimum, et la huitime sphre, ou toute autre, ne dcrit pas
un cercle maximum, comme on vient de le prouver.
Donc considre, en pntrant plus avant encore, qu' la manire des toiles qui se meuvent autour de
ples conjecturaux sur la huitime sphre, la terre, la lune et les plantes sont comme des toiles qui se meuvent,
une certaine distance et de faons diffrentes, autour d'un ple ; ce ple tant, par supposition, la place o,
croit-on, se trouve le centre. Donc, bien que la terre soit comme une toile plus proche du ple central, cependant
elle est en mouvement, et, dans sa course, elle ne dcrit pas le cercle minimum : on l'a montr. Que dis-je ? ni le
soleil, ni la lune, ni la terre, ni aucune sphre bien que le contraire nous paraisse vrai ne peuvent dcrire
dans leur course un vritable cercle, puisqu'ils ne se meuvent pas au-dessus d'un point fixe. Il est impossible de
donner un cercle si vrai, qu'on n'en puisse donner un plus vrai encore, et jamais un astre ne se meut un moment
donn exactement comme un autre moment, ou ne dcrit un cercle vraisemblablement gal, quelles que soient
les apparences. Donc, si l'on veut comprendre au sujet du mouvement de l'univers autre chose que ce que l'on a
dj dit, il faut fusionner le centre avec les ples, en s'aidant autant que possible de l'imagination ; supposons en
effet quelqu'un sur la terre et sous le ple arctique et quelqu'un sur le ple arctique, de mme que, celui qui se
trouverait sur terre, le ple semblerait plac au Znith, ainsi celui qui se trouverait au ple le centre semblerait
plac au Znith. Et, comme les antipodes ont, comme nous, le ciel au-dessus d'eux, ainsi des hommes qui se
trouveraient n'importe lequel des deux ples la terre semblerait tre au Znith ; et partout o l'on se trouve on
croit tre au centre. Fusionnons donc ces imaginations diverses, de sorte que le centre soit le Znith et
inversement ; alors, au moyen de l'intelligence, qui la docte ignorance est si utile, on voit qu'il est impossible
d'atteindre le monde, son mouvement, sa figure, parce qu'il apparatra comme une roue dans une roue, et une
sphre dans une sphre, n'ayant nulle part de centre ou de circonfrence : on l'a dit plus haut.


12 - LES CONDITIONS DE LA TERRE

A ce que nous venons de dire les anciens n'avaient pas touch, car pour la docte ignorance ils se sont
trouvs en dfaut. Il nous est dj manifeste que cette terre se meut en vrit, bien qu'elle ne le paraisse pas, car
nous ne saisissons le mouvement que grce une comparaison avec un point fixe. Si quelqu'un ignorait que l'eau
coule, qu'il ne vt pas les rives et se trouvt sur un navire au milieu des eaux, comment comprendrait-il que le
navire est en mouvement ? Et, pour cette raison, que quelqu'un se trouve sur terre, dans le soleil ou une autre
toile, il lui semblera toujours qu'il est sur le centre immobile et que toutes les autres choses sont en
mouvement ; toujours, coup sr, celui-l se constituera d'autres ples, autres s'il est dans le soleil, autres s'il est
sur la terre, autres dans la lune, Mars et ainsi de suite. Donc la machine du monde a, pour ainsi dire, son centre
partout et sa circonfrence nulle part, parce que Dieu est circonfrence et centre, lui qui est partout et nulle part.
Mme la terre n'est pas sphrique, comme on l'a dit, bien qu'elle tende la sphricit, car la figure du
monde est restreinte en ses parties, de mme que le mouvement ; or, la ligne infinie est considre comme
restreinte d'une faon telle qu'il ne puisse y avoir de figure restreinte plus parfaite et qui embrasse plus de
proprits ; donc elle est circulaire, puisque dans une telle figure le principe concide avec la fin. Donc, le
mouvement plus parfait que les autres est circulaire, et la figure corporelle la plus parfaite est la sphre. Or, tout
mouvement de la partie se dirige vers le tout en vue d'un perfectionnement : les choses lourdes vont vers la terre,
les choses lgres s'lvent, la terre va vers la terre, l'eau vers l'eau, l'air vers l'air, le feu vers le feu ; c'est
pourquoi le mouvement du tout tche, autant qu'il peut, d'tre circulaire et toute figure d'tre sphrique ; nous en
faisons l'exprience dans les membres des animaux, dans les arbres, dans le ciel. De l vient qu'un mouvement
est plus circulaire et plus parfait qu'un autre, et, de mme, les figures ont des diffrences.
Donc, la figure de la terre est mobile et sphrique, son mouvement est circulaire, tout en n'tant pas
parfait. Et, parce que le maximum dans le monde n'existe pas dans les perfections, les mouvements et les figures,
comme on le comprend, d'aprs ce qui prcde, il n'est pas vrai que la terre soit le plus vile et le plus bas des
astres : sans doute elle parat plus centrale que le reste du monde ; mais, pour la mme raison, elle est plus
proche du ple, comme on l'a dit. Et la terre elle-mme n'a pas de rapport de proportion avec le monde, elle n'en
est pas une partie aliquote ; en effet parce que le monde n'a ni maximum ni minimum, il n'a pas non plus de
milieu, ni de parties aliquotes ; il n'en a pas plus qu'un homme ou un animal ; en effet la main n'est pas une partie
aliquote de l'homme, bien que son poids semble avoir une proportion avec le corps, de mme que sa grandeur et
sa figure. En outre, la couleur noire de la terre ne prouve pas qu'elle soit vile ; en effet, si quelqu'un se trouvait
dans le soleil, il ne verrait pas cette clart que nous voyons ; si l'on considre le corps du soleil on voit, au centre,
une sorte de terre, la circonfrence, une lueur comme celle d'un feu, et, entre les deux, un nuage aqueux, pour
ainsi dire, et de l'air plus clair : la terre possde les mme lments. C'est pourquoi, si quelqu'un se trouvait en
dehors de la rgion en feu, notre terre semblerait, sur la circonfrence de sa rgion, cause du feu, une toile
lumineuse ; ainsi que le soleil nous semble extrmement lumineux nous qui sommes en dehors de la
circonfrence de la rgion solaire ; et la lune ne nous parat pas aussi lumineuse, sans doute parce que nous nous
trouvons non loin de sa circonfrence, vers ses parties plus centrales, comme dans sa rgion pour ainsi dire
aqueuse, et, par suite, nous ne voyons pas sa lumire, bien qu'elle ait une lumire propre, qui apparat aux tres
placs aux extrmits de sa circonfrence, et c'est seulement la lumire de rflexion du soleil qui nous apparat ;
mme, cause de cela, la chaleur de la lune, qui est, sans aucun doute, produite en plus grande quantit, par suite
du mouvement, sur la circonfrence, o le mouvement est plus grand, ne nous est pas communique, comme
dans le soleil. Donc la terre parat situe entre les rgions du soleil et de la lune, et, par leur moyen, participe de
l'influence d'autres toiles, que nous ne voyons pas, parce que nous nous trouvons hors de leurs rgions ; en effet,
nous ne voyons que les rgions de celles qui scintillent.
Donc, la terre est une toile noble, qui a une lumire, une chaleur et une influence autres que celles de
toutes les autres toiles ; de mme que chacune diffre de n'importe quelle autre par sa lumire, sa nature et son
influence, ainsi chacune communique une autre lumire et influence ; non pas intentionnellement, puisque
toutes les toiles ne font que se mouvoir et tinceler, pour tre d'une meilleure manire : c'est alors que nat par
consquent la participation : la lumire luit de sa propre nature, et non pas afin que je voie ; mais, en
consquence, la participation se fait quand j'use de la lumire afin de voir. Or, c'est ainsi que Dieu, dont le nom
est bni, a cr toutes choses : tandis que chaque objet s'efforce de conserver son tre, comme un don de Dieu, il
fait cela en communion avec les autres objets : le pied, par exemple, n'est pas utile lui-mme seulement, mais
l'il, aux mains, au corps, l'homme tout entier, parce qu'il ne sert qu' marcher. Il en va de mme de l'il, des
autres membres et des fractions du monde. Platon, en effet, a dit que le monde est un animal ; si l'on conoit
Dieu comme son me sans aucune immersion beaucoup de ce que nous avons dit sera clair.
Et il ne faut pas dire, parce que la terre est plus petite que le soleil et qu'elle est sous son influence,
qu'elle soit plus vile pour cette raison-l : en effet la rgion totale de la terre, qui s'tend jusqu' la circonfrence
du feu, est grande. Et, bien que la terre soit plus petite que le soleil, comme on le sait d'aprs l'ombre et les
clipses, cependant on ne sait pas de combien la rgion du soleil, elle, est plus grande ou plus petite que la rgion
de la terre ; mais elle ne peut pas lui tre strictement gale, car aucune toile ne peut tre gale une autre. Et la
terre n'est pas l'toile la plus petite, car elle est plus grande que la lune, comme l'exprience des clipses nous l'a
appris, et que Mercure mme, comme disent d'aucuns et, peut-tre, que d'autres toiles. Donc d'une considration
de grandeur, on ne conclut pas que la terre soit vile.
Mme, l'influence qu'elle reoit n'est pas une preuve d'imperfection ; en effet, comme elle est une toile,
elle influe galement, sans doute, sur le soleil et sur sa rgion, comme on l'a dit plus haut, et comme l'exprience
nous apprend que nous sommes au centre o confluent les influences, nous n'avons aucune exprience de cette
influence. En effet, la terre est comme une possibilit, le soleil comme une me ou intellectualit formelle par
rapport elle, et la lune un lien entre eux, de telle sorte que ces toiles, places l'intrieur d'une seule rgion,
unissent mutuellement leurs influences et les unissent aussi (l) d'autres, Mercure, Vnus et toutes celles qui
existent au-del, comme l'ont dit des anciens et mme quelques modernes ; ainsi il est clair qu'il y a une telle
corrlation d'influence que l'une ne peut exister sans l'autre. Donc, cette influence sera une et trine en quoi que ce
soit de la mme faon, des degrs divers. C'est pourquoi il est clair que l'homme ne peut pas savoir si la rgion
de la terre est un degr plus parfait ou moins noble par rapport aux rgions des autres toiles : soleil, lune, ce
point de vue.
Au point de vue du lieu non plus. Sans doute notre emplacement dans le monde est l'habitation des
hommes, des animaux et des vgtaux, et ils sont en degr moins nobles que les habitants de la rgion solaire et
des autres toiles. Mais, bien que Dieu soit le centre et la circonfrence de toutes les rgions d'toiles et que, de
lui, procdent les diverses natures de noblesse qui habitent dans chaque rgion pour empcher d'tre vides tant
d'emplacements clestes et stellaires, et non pas seulement la terre, qui est peut-tre habite d'tres moindres, il
ne semble pourtant pas qu'on puisse trouver une nature plus noble et plus parfaite selon ce qu'elle est, que la
nature intellectuelle, qui habite cette terre, comme sa propre rgion ; et cela, mme s'il y a dans d'autres toiles
des habitants d'un autre genre ; en effet, l'homme ne dsire pas une autre nature, mais il cherche tre parfait
dans la sienne.
Donc, les habitants des autres toiles sont hors de proportion, quelle que soit leur nature, avec les
habitants de ce monde, mme si l'ensemble de leur rgion est avec l'ensemble de la ntre, dans une relation
invisible pour nous, par rapport la fin de l'univers, de telle faon que les habitants de notre terre ou rgion aient,
avec les autres habitants, par le moyen de la rgion universelle, un rapport mutuel, comme les articulations
particulires des doigts de la main ont, par le moyen de la main, un rapport de proportions avec le pied, et les
articulations particulires du pied, par le moyen du pied, une proportion avec la main, afin que tout soit
proportionn par rapport l'animal entier. Donc, comme cette rgion entire nous est inconnue, ces habitants
nous restent tout fait inconnus ; de mme, il arrive sur la terre que des animaux d'une seule espce, composant
comme une rgion spcifique, s'unissent entre eux, participent, cause de leur communaut de rgion, de ce qui
appartient leur rgion, ne s'embarrassant nullement des autres et n'en saisissant rien vritablement. En effet, un
animal d'une espce ne peut pas saisir un concept d'un animal d'une autre espce, car celui-ci l'exprime par des
signes vocaux si ce n'est dans un trs petit nombre de signes, superficiellement, et, mme alors, grce une
longue habitude et jamais d'une faon sre. Or, nous pourrons encore moins connatre les habitants d'une autre
rgion en les supposant, dans la rgion du soleil, plus solaires, clairs, illumins, intellectuels, plus spirituels que
dans la lune, dont les habitants sont plus lunatiques et que sur la terre o ils sont plus matriels et grossiers, de
sorte que ces natures intellectuelles du soleil soient plus en acte et peu en puissance, alors que les terriens sont
plus en puissance et peu en acte, et que les lunaires sont intermdiaires.
Cela, nous le conjecturons d'aprs l'influence igne du soleil, en mme temps aquatique et arienne de la
lune et la pesanteur matrielle de la terre ; nous raisonnons pareillement au sujet des autres rgions d'toiles,
supposant que nulle d'elles n'est prive d'habitants, comme s'il y avait autant de fractions particulires et
mondiales d'un univers un, qu'il y a d'toiles (or, celles-ci sont innombrables), de telle sorte qu'un monde unique
universel soit restreint d'une faon trine, par sa progression quaternaire qui peut descendre, en des particuliers si
nombreux qu'ils n'ont pas de nombre, si ce n'est chez celui qui a tout cr dans le nombre.
Mme, la corruption des choses sur la terre, dont nous faisons l'exprience, n'est pas une preuve valide
de manque de noblesse. En effet, parce que le monde est universel et que toutes les toiles particulires exercent,
les unes sur les autres, des influences mutuelles, on ne pourra pas tablir avec certitude que quelque chose soit
entirement corruptible ; lorsque les influences restreintes, pour ainsi dire, dans un individu se dissolvent, il peut
exister selon un autre mode d'tre, de sorte que tel ou tel mode d'tre particulier disparaisse, mais qu'il n'y ait pas
de mort, comme dit Virgile ; la mort, en effet, parat n'tre qu'une rsolution du compos dans le composant, et
qui pourra savoir si une telle rsolution n'arrive que chez les habitants de la terre ? Certains ont dit qu'il y a
autant d'espces de choses sur la terre qu'il y a d'toiles. Donc, si la terre restreint ainsi l'influence de toutes les
toiles des espces singulires, d'une telle faon qu'il n'y en ait pas de semblable dans les rgions d'autres
toiles, qui reoivent les influences d'autres encore, qui pourra savoir si toutes les influences d'abord restreintes
dans une composition rentrent dans la dissolution, de telle sorte qu'un animal qui est maintenant un individu
restreint d'une certaine espce, dans la rgion de la terre, se libre par une dissolution de toute influence des
toiles, de faon (2) rentrer dans son principe, sa forme rentrant seulement dans l'toile qui lui tait propre, de
laquelle l'espce a reu l'tre actuel sur la terre qui est sa mre ? Ou bien si la forme retourne seulement au
modle, ou me du monde, comme disent les Platoniciens, et la matire la possibilit, tandis que l'esprit d'union
reste dans le mouvement des toiles, lequel esprit, lorsqu'il cesse d'unir, se retire parce que les organes ne sont
plus disposs pour lui, ou pour d'autres raisons, et, ainsi, par suite de la diversit de mouvement il cre la
sparation : il retourne, pour ainsi dire, aux astres, la forme s'lve au-dessus de l'influence des astres, et la
matire descend au-dessous ? Ou bien si les formes d'une rgion quelconque se reposent dans une forme plus
haute, intellectuelle par exemple, et, par elle, atteignent ce but, qui est le but du monde, et comment, par elle, les
formes infrieures atteignent ce but en Dieu, et comment elle s'lve la circonfrence qui est Dieu, alors que le
corps descend vers le centre, o est Dieu aussi, de sorte que le mouvement de toutes les choses soit dirig vers
Dieu, dans lequel un jour, de mme que le centre et la circonfrence sont un en Dieu, le corps et l'me, bien que
celui-l paraisse descendre vers le centre et celle-ci aller vers la circonfrence (3), s'uniront nouveau en Dieu,
tout mouvement ne cessant pas, mais seulement celui qui sert la gnration, la gnration successive
disparaissant, car les parties qui composent essentiellement le monde, celles sans lesquelles le monde ne peut
pas exister, reviendront ncessairement, alors que reviendra l'esprit d'union, qui lie la possibilit sa forme ?
Tout cela, aucun homme ne pourra le savoir si ce n'est par une inspiration particulire de Dieu. Mais personne ne
met en doute que le Dieu de toute bont ait tout cr pour lui et qu'il ne veuille pas que rien prisse de ce qu'il a
fait, et l'on sait qu'il comble de dons tous ceux qui lui rendent un culte ; cependant Dieu seul connat, car c'est l
son uvre lui, le mode de cette uvre divine, de sa rmunration prsente et future. Mais je dirai plus bas,
autant que Dieu m'en donnera l'inspiration, quelques mots sur ce sujet ; pour le moment ce que nous en avons vu
avec ignorance nous suffit.

(1) Nous suivons le texte d'A, B, C.
(2) Le texte de T est trs clair, notre sens.
(3) Le futur des manuscrits et des ditions ne laisse aucune place au doute.


13 - L'ART ADMIRABLE DE DIEU DANS LA CRATION DU MONDE ET DES LMENTS

Parce [que] la sagesse des sages proclame unanimement que, par la grandeur, la beaut et l'ordre des
choses que nous voyons bien, nous sommes frapps de stupeur devant l'art et la supriorit de Dieu, et que nous
avons dj quelques mots des chefs-d'uvre de la science admirable de Dieu, ajoutons brivement quelques
considrations admiratives, propos de la cration de l'univers, sur la place et l'ordre des lments. Dieu s'est
servi, dans la cration du monde, de l'arithmtique, de la gomtrie, de la musique et de l'astronomie, tous arts
dont nous faisons usage aussi quand nous recherchons les proportions des choses, des lments et des
mouvements. En effet, par l'arithmtique il en a fait un tout ; par la gomtrie il les a faonns de telle manire
qu'ils eussent une forme, une stabilit et une mobilit en rapport avec leurs conditions ; par la musique il leur a
donn des proportions telles qu'il y et autant de terre dans la terre que d'eau dans l'eau, que d'air dans l'air et de
feu dans le feu ; qu'aucun lment ne pt se rsoudre totalement dans un autre, d'o il rsulte que la machine du
monde ne peut pas prir, et bien qu'une partie d'un objet puisse se rsoudre en un autre, cependant jamais l'air
tout entier, tout ml d'eau qu'il soit, ne peut tre converti en eau, parce que l'air ambiant empche cela, de sorte
qu'il y ait toujours mlange des lments. C'est pourquoi Dieu a fait se rsoudre mutuellement certains des
lments, et, quand cela se fait avec du retard, quelque chose nat de l'accord des lments en vue de ce qui peut
natre, cela dure aussi longtemps que l'accord des lments, et ds qu'il est rompu, ce qui s'est produit se rompt et
se dissout.
C'est pourquoi l'on peut dire que les lments ont t constitus par Dieu dans un ordre admirable, car
Dieu a tout cr dans le nombre, le poids et la mesure ; le nombre appartient l'arithmtique, le poids la
musique, la mesure la gomtrie ; la pesanteur est soutenue par la lgret qui la presse : la terre, qui est
pesante, est comme tenue suspendue, en son milieu, par le feu ; mais la lgret fait effort contre la pesanteur,
comme le feu contre la terre. Et, tandis que la sagesse ternelle mettait en ordre tout cela, elle usait d'une
proportion que les mots n'exprimeraient pas, de faon prvoir de combien tel lment devait prcder tel autre,
rglant les lments pour que l'eau ft plus lgre que la terre autant de fois que l'air est plus lger que l'eau, et
le feu que l'air ; elle fit concourir le poids avec la grandeur, et occuper au contenant un plus grand espace qu'au
contenu. Elle rgla leurs rapports mutuels de telle faon que l'un ft ncessairement dans l'autre. La terre est,
nous dit Platon, comme un animal qui a les pierres pour os, les rivires pour veines, les arbres pour poils, et les
animaux qui se nourrissent entre ces derniers sont comme les bestioles entre les poils des animaux. Et la terre est
par rapport au feu ce qu'est le monde par rapport Dieu ; en effet, le feu a, eu gard la terre, beaucoup de
ressemblances avec Dieu : sa puissance n'a pas de fin, puisqu'il opre, pntre, illustre, distingue et forme toutes
choses sur terre par le moyen de l'air et de l'eau, et tout ce qu'ont tous les objets qui naissent de la terre est une
uvre du feu d'une autre manire, de sorte que les formes des choses viennent de la diversit de
resplendissement du feu. Cependant le feu est plong dans les choses elles-mmes, sans elles il n'est pas et les
choses de la terre ne sont pas. Or, Dieu n'existe qu'absolu, donc, pour ainsi dire, il n'est qu'un feu consumant
absolu et une clart absolue : Dieu, qui a t appel par les anciens la lumire , celui en qui les tnbres
n'existent pas , de l'ignit et de la clart de qui toutes les choses qui sont, s'efforcent, autant qu'elles peuvent,
de participer, comme nous le voyons dans tous les astres, o l'on trouve, restreinte matriellement, une telle
clart ; cette clart, du reste, discrtive et pntrative, est comme restreinte d'une faon immatrielle dans la vie
intellectuelle des vivants.
Qui n'admire pas cet ouvrier qui s'est servi dans les sphres les toiles et les rgions des astres, d'un art
tel que, dpourvues (l) de toute prcision, entirement diverses les unes des autres, elles fussent dans un accord
universel, rglant d'avance, dans un monde unique, les grandeurs des toiles, leur place et leur mouvement,
mettant les distances des toiles dans un ordre tel que, si chaque rgion n'tait pas comme elle est, elle ne
pourrait pas tre elle-mme, la place o elle est et dans l'ordre o elle est, et l'univers lui-mme ne pourrait pas
exister ; il a donn toutes les toiles une diversit de clart, d'influence, de figure, de couleur et de chaleur, la
chaleur accompagnant la clart non sans influer sur elle ; ainsi, il constituait proportionnellement la proportion
mutuelle des parties, de faon que, dans n'importe laquelle, le mouvement des parties allt vers le tout, vers le
bas et le milieu dans les objets pesants, vers le haut partir du milieu dans les objets lgers, et autour du milieu,
comme nous percevons le mouvement circulaire des toiles.
Dans ces choses si admirables, si varies et si diverses, nous progressons, grce la docte ignorance,
conformment nos prmices : nous ne pouvons savoir aucune raison d'aucune des uvres de Dieu, mais nous
pouvons nous tonner, simplement, de la grandeur du Seigneur, qui n'a pas de fin ; Dieu, maximit absolue, est
la fois l'auteur de toutes ses uvres, le seul qui les connaisse et leur fin, pour que tout soit en lui, et que rien ne
soit hors de lui, qui est le principe, le moyen et la fin de tout, le centre et la circonfrence de l'univers, de sorte
qu'il soit l'objet de toutes les recherches, car, sans lui, toutes les choses sont le nant : qu'on le possde, lui seul,
et l'on a tout, car il est tout ; et l'on sait tout, car il est la vrit de tout ; il veut aussi que la machine si tonnante
du monde nous remplisse d'tonnement et cependant il nous la cache d'autant plus que nous nous tonnons
davantage ; car il est celui qui veut tre cherch de tout cur et de tout amour ; et, comme il habite la lumire
inaccessible que tout recherche, seul, il peut ouvrir ceux qui frappent et donner ceux qui demandent. Et
aucune crature n'a le pouvoir de s'ouvrir soi-mme, lorsqu'elle frappe, et de se montrer ce qu'elle est,
puisqu'elle n'est rien sans celui qui est en tout. Mais, la vrit, elle rpondra ceux qui, dans la docte
ignorance, lui demanderont ce qu'elle est, comment ou pourquoi elle l'est : De moi je ne peux rien te rpondre
d'autre que rien du tout, car je n'ai pas la connaissance de moi-mme, mais celui-l seul, par l'intelligence duquel
je suis ce qu'il veut en moi, commande et sait. Toutes les cratures, nous sommes muettes ; c'est lui qui parle en
toutes ; il nous a faites ; seul, il sait ce que nous sommes, comment et pourquoi. Si tu veux savoir quelque chose
de nous, demande-le notre raison et notre cause, ne le cherche pas en nous ; l au contraire tu trouveras tout
en cherchant une chose. Et tu ne peux pas te trouver toi-mme si ce n'est en celle-ci. Donc, dit notre ignorance,
tche de te trouver en elle, et puisque tout est en elle, rien ne pourra te manquer. Il ne nous appartient pas
d'accder l'inaccessible, mais cela n'appartient qu' celui qui nous a donn une figure tourne vers lui, avec le
plus grand dsir de chercher ; et lorsque nous aurons fait cela, comme il est infiniment bon, il ne nous
abandonnera pas ; mais il se montrera nous lui-mme, et lorsque sa gloire nous sera apparue, il nous rassasiera
ternellement, celui dont le nom soit bni dans les sicles. Ainsi soit-il.

(1) Il faut garder le < ut > des diteurs A, B, C et non lire ut sint avec T.


Maintenant que nous avons mis ces quelques rflexions sur l'univers, montrant comment, dans la
restriction, il existe en vue d'une fin, nous allons, le plus brivement possible, exposer ce que nous concevons sur
Jsus, afin de faire des recherches sur le maximum la fois absolu et restreint, Jsus-Christ, bni jamais, d'une
faon docte dans l'ignorance, pour augmenter notre foi et notre perfection ; invoquons-le lui-mme afin qu'il soit
une voie vers lui-mme, qui est la vrit, par laquelle nous serons vivifis en lui et par lui qui est la vie ternelle,
par la foi aujourd'hui et, plus tard, en jouissant de lui.

1 - LE MAXIMUM RESTREINT A CECI OU CELA, QUI EST LE PLUS GRAND POSSIBLE, NE
PEUT EXISTER SANS UN ABSOLU.

Dans le premier livre on montre que le maximum absolu, un, incommunicable, immersible et
irrestrictible ceci ou cela, existe en soi toujours le mme ternellement, galement, dans l'immobilit. Puis,
dans le second livre, la restriction de l'univers est rendue manifeste, parce que le ceci ou cela n'existe que d'une
faon restreinte. C'est pourquoi l'unit du maximum est absolue en soi. L'unit de l'univers est restreinte dans la
pluralit. Or, le plusieurs, dans lequel l'univers est restreint en acte, est absolument incompatible avec l'galit
suprme ; en effet, alors, le plusieurs cesserait d'tre. Donc, il est ncessaire que toutes les choses diffrent
mutuellement, ou en genre, espce, nombre, ou en espce et nombre, ou en genre et nombre, pour que chacune
subsiste dans son nombre, son poids et sa mesure propres. C'est pourquoi les objets de l'univers se distinguent les
uns des autres par des degrs, pour que nul d'entre eux ne concide avec un autre. Donc, aucun objet restreint ne
peut participer prcisment du degr de restriction d'un autre : ncessairement n'importe lequel dpasse n'importe
quel autre, ou est dpass par lui. Donc, tous les objets restreints se trouvent entre le maximum et le minimum :
que l'on donne n'importe lequel et l'on pourra donner un degr de restriction plus grand et plus petit, sauf que ce
processus ne parvient pas en acte l'infini, parce qu'une infinit de degrs est impossible : c'est la mme chose
de dire que les degrs sont infinis en acte et de dire qu'il n'en existe aucun : nous l'avons affirm propos du
nombre, dans le livre premier. Donc, dans les objets restreints il ne peut y avoir de monte jusqu'au maximum
absolu ou de descente jusqu'au minimum absolu. Il suit que la nature divine qui est maxima et absolue, ne peut
pas comporter de diminution pour arriver tre une nature finie et restreinte ; ainsi la nature restreinte non plus
ne peut pas voir diminuer sa restriction de faon qu'elle devienne compltement absolue.
Donc tout objet restreint, puisqu'il pourrait tre moins et plus restreint n'atteint la limite ni de l'univers,
ni du genre, ni de l'espce ; en effet une premire restriction des genres, dans l'univers, se fait par la pluralit des
genres, qui doivent ncessairement diffrer selon une gradation. Or, les genres ne subsistent qu' l'tat restreint
dans les espces, et les espces de mme dans les individus, qui, seuls (l), existent en acte. Donc de mme qu'on
ne peut pas avoir, cause de la nature des objets restreints, un individu qui ne soit pas au-dessous de la limite de
son espce, ainsi aucun individu ne peut atteindre la limite de son genre et de l'univers. Entre plusieurs individus
de mme espce il est impossible qu'il n'y ait pas une diversit de degrs de perfection ; c'est pourquoi aucun,
suivant une espce donne, ne sera si parfait qu'on n'en puisse donner de plus parfait, et mme on ne peut pas en
donner de si imparfait qu'on n'en puisse donner de plus imparfait. Donc, aucun n'atteint la limite de son espce.
Donc, il n'y a qu'une limite des espces, comme des genres, comme de l'univers, et elle est le centre, la
circonfrence et la connexion de tout, et l'univers n'puise pas la puissance, infinie et maxima d'une faon
absolue, de Dieu, de faon tre le maximum simple limitant la puissance de Dieu. C'est pourquoi l'univers
n'atteint pas la limite de la maximit absolue, ni les genres la limite de l'univers, ni les espces la limite des
genres, ni les individus la limite des espces, pour que toutes les choses soient ce qu'elles sont d'une meilleure
manire entre le maximum et le minimum, et Dieu est le principe, le moyen et la fin de l'univers et des objets
particuliers, pour que toutes les choses, qu'elles montent, descendent ou tendent vers le milieu, arrivent Dieu.
Or, la connexion de l'univers se fait par lui, pour que toutes les choses, malgr leurs diffrences soient connexes
aussi. C'est pourquoi entre les genres, qui restreignent un univers un, il y a une telle connexion de l'infrieur et
du suprieur qu'ils concident dans leur milieu ; et, entre les espces diverses, il existe un tel ordre de
combinaison, que la plus haute espce d'un genre concide avec la plus basse du genre immdiatement suprieur,
pour que l'univers soit un continu parfait.
Or, toute connexion est gradative et l'on ne parvient pas la connexion maxima parce qu'elle est Dieu.
Donc, diverses espces d'un genre infrieur et d'un genre suprieur ne se lient pas en quelque chose d'indivisible
qui ne soit pas susceptible de plus et de moins, mais en une troisime espce, dont les individus diffrent
graduellement, de telle sorte que nul d'entre eux ne participe galement des deux premires ; il est compos
d'elles, sans doute, mais il restreint dans son degr une seule nature d'une espce propre ; compare d'autres,
cette nature parat compose de celle qui est au-dessous et de celle qui est au-dessus d'elle, et elle ne l'est pas
galement car aucun compos ne peut tre form de deux choses prcisment gales, et, tombant au milieu entre
les espces elles-mmes, elle l'emporte ncessairement en suivant plutt l'une, la suprieure ou l'infrieure,
comme on en apprend des exemples dans les ouvrages des philosophes, propos des hutres, des coquillages
marins, etc.
Aucune espce ne descend donc au point d'tre minima dans un genre quelconque, parce qu'avant
d'arriver au minimum, elle se change en une autre, avant d'tre minima (2). Dans le genre de l'animalit l'espce
humaine, tandis que, parmi les choses sensibles, elle s'efforce d'atteindre un degr minent, est enleve dans un
compos de la nature intellectuelle ; cependant la partie infrieure l'emporte, et c'est pourquoi l'homme est dit
animal. Peut-tre y a-t-il d'autres esprits ; nous en parlerons dans le De conjecturis ; et, si l'on dit qu'ils sont du
genre animal, cause de leur nature sensible, ils sont dits esprits plutt qu'animaux, bien que les Platoniciens les
croient des animaux intellectuels. C'est pourquoi l'on conclut que l'espce est la manire du nombre, qui
progresse en ordre et qui est ncessairement fini ; de la sorte l'ordre, l'harmonie et la proportion sont allis la
diversit, comme nous le montrons dans le livre premier, et il est ncessaire que l'on arrive l'espce la plus
basse du genre le plus bas, qui n'a rien en acte de plus petit qu'elle, et l'espce la plus haute du genre le plus
haut, qui, de la mme faon, n'a rien en acte de plus grand et de plus haut qu'elle, espces cependant telles qu'on
peut en donner une plus grande et une plus petite sans un processus infini ; de la sorte encore, soit que nous
comptions de bas en haut soit que nous comptions de haut en bas, partir de l'unit absolue, qui est Dieu, les
espces sont comme les nombres qui, pour arriver nous, partent du minimum, qui est le maximum, et du
maximum, auquel le minimum ne s'oppose pas ; de la sorte aussi il n'est rien dans l'univers qui n'ait se rjouir
d'une particularit qui ne se trouve en aucun autre objet, et, ainsi, aucun objet ne l'emporte sur tous les autres en
tout ou ne l'emporte galement sur plusieurs, de mme qu'il ne peut jamais y avoir un objet gal en quoi que ce
soit un autre ; mme si un moment il a t plus petit que lui et plus grand que lui un autre, il effectue ce
passage d'une faon particulire, de manire ne jamais atteindre l'galit prcise, comme un carr inscrit dans
un cercle arrive la grandeur du carr circonscrit, partir du carr plus petit que le cercle, jusqu'au carr plus
grand que le cercle, sans jamais parvenir un carr gal lui, et l'angle d'incidence s'lve du droit infrieur au
droit suprieur, sans le moyen de l'galit : de ceci on tirera encore plus de remarques dans le De conjecturis.
Les principes d'individualisation ne peuvent se rencontrer en aucun individu, comme en un autre, dans
une proportion si harmonieuse qu'un objet quelconque soit un par lui-mme et parfait de la faon qu'il peut. Sans
doute dans n'importe quelle espce, l'espce humaine par exemple, on peut, un moment donn, trouver des
individus plus parfaits et plus minents que d'autres, de faon certaine, notamment Salomon l'emporte par sa
sagesse, Absalon par sa beaut, Samson par sa force, et ceux qui ont vcu plus que les autres dans la vie
intellectuelle, ont mrit d'tre honors plus que les autres. Cependant la diversit des opinions, due la diversit
des religions, des sectes et des pays, rend divers les jugements comparatifs, ici vous louerez un fait, l vous
blmerez le mme, de plus bien des gens sont inconnus de nous, disperss qu'ils sont sur la terre, aussi ignorons-
nous qui est plus minent que tous les autres hommes, puisque nous ne pouvons pas mme connatre
parfaitement un seul de tous les hommes. Or, c'est Dieu qui a fait cela pour que chacun ft satisfait en soi-mme,
bien qu'il admirt d'autres hommes, et en sa propre patrie, pour que le sol natal lui part plus doux, et dans les
coutumes de son royaume, dans sa langue, etc., aussi de voir exister l'unit et la paix sans haine, dans la plus
grande mesure du possible, alors qu'elle ne peut exister que pour ceux qui rgnent avec Celui qui est notre paix,
au-dessus de tout ce que nous sentons.

(1) Nous croyons pouvoir traduire ainsi, en nous souvenant que nous n'avons pas affaire un latin
bien classique.
(2) Nous suivons B et C, faute de mieux.


2 - LE MAXIMUM RESTREINT EST AUSSI ABSOLU,CRATEUR ET CRATURE

On a presque assez montr que l'univers ne peut tre que d'une faon restreinte plusieurs choses existant
ainsi en acte, parce que nulle d'elles ne touche au maximum simple. J'ajouterai encore que si l'on pouvait donner
un maximum restreint une espce, existant en acte, il serait en acte, suivant l'espce de restriction donne, tout
ce qui pourrait se trouver dans la puissance de ce genre ou de cette espce. En effet, le maximum absolu est tout
le possible en acte d'une faon absolue et, ici, il est le maximum infini absolu restreint au genre et l'espce ; de
la mme faon il est en acte la perfection possible selon une restriction donne ; or, comme dans celle-ci on ne
peut rien donner de plus grand, l'infini encercle tout ce qui est dans la nature de la restriction donne. Et, comme
le minimum concide avec le maximum absolu, ainsi le mme l'tat restreint concide avec le maximum
restreint. Nous en avons un exemple trs clair dans la ligne maxima, qui ne subit aucune opposition et qui est
toutes les figures et la mesure adquate de toutes, avec qui concide le point : nous l'avons montr dans le
premier livre. C'est pourquoi si l'on pouvait donner un individu maximum d'une espce quelconque, il serait
ncessaire qu'il ft la plnitude de ce genre et de cette espce, en quelque sorte la vie, la forme, la raison et la
vrit dans la plnitude de perfection de tout ce qui serait possible dans l'espce elle-mme. Un tel maximum
restreint plac au-dessus de la nature de toute restriction, en serait le terme final, en enfermerait en lui la
perfection, serait dans une galit parfaite avec n'importe quel objet donn, au-dessus de toute proportion, ne
serait plus grand qu'aucun et plus petit qu'aucun, car il enfermerait dans sa plnitude les perfections de tous.
Il est donc manifeste que le maximum restreint lui-mme ne peut pas subsister comme pur restreint,
selon ce que nous avons montr dans les pages qui prcdent immdiatement, parce que nul restreint ne peut
atteindre la plnitude de perfection dans le genre de perfection de la restriction ; mme un tel tre, comme
restreint, serait galement Dieu, qui est infiniment absolu, mais il serait ncessairement un maximum restreint,
c'est--dire Dieu et crature, absolu et restreint d'une restriction qui ne pourrait subsister en soi qu'en subsistant
dans la maximit absolue. En effet, il n'y a qu'une maximit, comme nous le montrons dans le livre premier, et
c'est par elle que le restreint peut tre dit maximum ; si la puissance maxima unissait elle le restreint lui-mme
de telle faon qu'il ne pt pas lui tre uni davantage, les natures tant respectes, de sorte que lui-mme ft Dieu
et tout, sa nature de restriction lui tant conserve, selon laquelle il est la plnitude d'espce restreinte et cre en
vue de l'union hypostatique, cette union admirable dpasserait tout ce que nous avons d'intelligence ; en effet si
on la concevait comme des choses diverses qui s'unissent, ce serait une erreur. La maximit absolue en effet n'est
pas autre et diverse puisqu'elle est tout. Si on avait la conception de deux choses d'abord spares, puis runies,
erreur ; en effet, la divinit ne se conduit pas diffremment d'abord et ensuite ; elle n'est pas ceci plutt que cela ;
et le restreint lui-mme avant l'union n'a pas pu tre ceci ou cela, comme une personne individuelle subsistant en
soi, ni comme des parties s'associent dans un tout, car Dieu ne peut pas tre une partie. Qui donc concevrait une
union aussi admirable ? Elle n'est pas non plus comme l'union de la forme avec la matire ; car Dieu, tant
absolu, ne peut pas se mler la matire, il n'est pas une forme. Assurment celle-ci serait plus grande que toutes
les unions intelligibles : le restreint, puisqu'il serait maximum, ne subsisterait que dans la maximit absolue
sans rien lui ajouter, puisqu'elle est maximit absolue, et sans passer dans sa nature, puisqu'il est restreint. Donc
le restreint subsisterait dans l'absolu d'une faon telle que si nous le concevions comme tant Dieu lui-mme,
nous nous tromperions, car le restreint ne change pas de nature, si nous l'imaginions comme tant cette nature
mme nous irions une dception, car la maximit absolue, qui est Dieu, n'a que faire d'une nature ; si nous
pensions un tre compos des deux, nous ferions erreur, car il n'y a pas de composition possible de Dieu et de
la crature, du restreint et de l'absolu maximum. Donc il faut concevoir, dans notre esprit un tel tre comme tant
Dieu de telle faon qu'il soit aussi crature, crature de telle faon qu'il soit aussi crateur, crateur et crature
sans confusion, ni composition. Qui peut s'lever assez haut pour concevoir la diversit dans l'unit et l'unit
dans la diversit ? Cette union serait donc au-dessus de toute intelligence.


3 - C'EST SEULEMENT DANS LA NATURE DE L'HUMANIT QU'UN TEL MAXIMUM EST
POSSIBLE

Par suite ce qui prcde on pourra rechercher facilement de quelle nature devrait tre le maximum
restreint lui-mme. Un tel maximum est ncessairement un, comme la maximit absolue est unit absolue, et, en
mme temps, restreint ceci ou cela. Or, il est manifeste, d'abord, que l'ordre des choses demande
ncessairement que certaines soient d'une nature infrieure en comparaison d'autres, comme celles qui n'ont ni
vie ni intelligence, que certaines soient d'une nature suprieure, celles qui comprennent, et que certaines soient
intermdiaires. Si donc la maximit absolue est de la faon la plus universelle l'entit de toutes choses, et non pas
de l'une plutt que d'une autre, il est clair que cet tre peut mieux s'associer au maximum, qui est plus commun
l'universalit des tres. En effet, si l'on considre la nature des choses infrieures et si l'un des tres de ce genre
s'lve la maximit, il sera Dieu et lui-mme, comme on en a un exemple dans la ligne maxima ; en effet parce
qu'elle-mme est infinie par l'infinit absolue et maxima par la maximit, celle qui s'unit la ligne maxima sera
ncessairement Dieu par la maximit et restera ligne par la restriction, et, ainsi, sera en acte tout ce qui peut
venir de la ligne. Or, la ligne ne contient ni la vie, ni l'intelligence ; comment donc la ligne pourra-t-elle tre mise
au degr maximum lui-mme si elle n'atteint pas la plnitude des natures ? En effet le maximum pourrait alors
tre plus grand et il n'aurait pas toutes les perfections. Il faut raisonner de la mme manire au sujet de la nature
suprme, car elle n'embrasse pas la nature infrieure sinon en ce sens qu'il y a plutt union que sparation de
l'infrieur et du suprieur. Or, au maximum, avec qui concide le minimum, il conviendra de n'embrasser une
chose qu' condition de n'en pas abandonner une autre, mais de tout embrasser la fois. C'est pourquoi la nature
intermdiaire, qui est le moyen de connexion de l'infrieur et du suprieur, est, seule, celle qui peut tre leve au
maximum, d'une faon qui convient, par la puissance du maximum infini, Dieu ; en effet, comme elle enferme en
elle toutes les natures, comme le suprme enferme celle de l'infrieur, et l'infime celle du suprieur, si elle-mme
avec tout ce qu'elle est s'lve jamais l'union avec la maximit, il est certain que toutes les natures et l'univers
entier seront parvenus en elle dans toute la mesure du possible au degr le plus lev.
Or, la nature humaine est celle qui a t place au-dessus de toutes les uvres de Dieu et peu au-
dessous des anges, elle qui enferme en elle la nature intellectuelle et la nature sensible et qui resserre en elle
l'univers : elle est un microcosme, ou petit monde, comme l'appelaient les anciens avec juste raison. Elle est celle
qui, leve l'union avec la maximit, serait la plnitude de toutes les perfections universelles et particulires, de
sorte que, dans l'humanit, tout ft lev au degr suprme. Or, l'humanit n'existe que restreinte dans ceci ou
dans cela. C'est pourquoi il ne serait pas possible que plus d'un homme vritable pt s'lever l'union avec la
maximit, et celui-l, sans aucun doute, serait homme ainsi que Dieu et Dieu ainsi qu'il serait homme, la
perfection de l'univers, occupant en tout le premier rang ; en lui les natures minima, maxima et moyenne unies
la maximit absolue, concideraient de manire qu'il ft la perfection de toutes, et toutes, comme tant
restreintes, se reposeraient en lui comme dans leur perfection ; sa mesure serait celle de l'homme et de l'ange ,
comme dit Jean dans lApocalypse, et des choses particulires ; en effet il serait l'entit universelle restreinte des
cratures particulires, grce son union avec l'entit absolue, qui est l'entit absolue de tout l'univers, celui par
qui toutes choses recevraient le commencement et la fin de leur restriction ; et par lui, qui, maximum restreint,
dpend du maximum absolu, tout entrerait dans l'tre de la restriction et rentrerait dans l'absolu par le moyen du
mme, en tant qu'il serait le principe de l'manation et la fin de la rduction. Or, Dieu, comme il est l'galit
d'tre tout, est crateur de l'univers, alors que celui-ci a t cr pour lui. C'est donc l'galit suprme et
maxima d'tre d'une faon absolue toutes les choses, que s'unirait la nature de l'humanit elle-mme ; car Dieu,
par l'humanit qu'il prendrait, serait ainsi toutes les choses restreintes dans l'humanit elle-mme, de mme qu'il
est, absolument, l'gal de tout tre. Donc, comme cet homme subsisterait, grce son union, dans l'galit d'tre
maxima, il serait le fils de Dieu, comme le Verbe, en qui tout a t fait, ou l'galit d'tre elle-mme, qui est
appele fils de Dieu comme on l'a montr dans les chapitres prcdents, et, cependant, il ne cesserait pas
d'tre le fils de l'homme, de mme qu'il ne cesserait pas d'tre homme, comme on le dira plus bas. Et, comme
cela ne rpugne pas au Dieu de toute bont et de toute perfection, parce qu'il peut faire cela sans varier, sans tre
diminu ou amoindri, mais que cela convient plutt son immense bont, pour que l'univers ait t cr par lui et
pour lui dans l'ordre convenable, de la faon la meilleure et la plus parfaite, comme d'autre part, hors de cette
voie, les choses ne pourraient pas tre plus parfaites, personne ne pourra, sans nier Dieu ou sa bont infinie, ne
pas reconnatre, en raison, toutes ces choses. En effet, il a rejet bien loin toute haine, celui qui est suprmement
bon, celui qui, dans la ralisation de son uvre, ne peut pas se trouver en dfaut ; mais, de mme qu'il est lui-
mme maximum, ainsi son uvre, autant que faire se peut, parvient au maximum. Or, la puissance maxima n'a
de limite qu'en elle-mme, parce qu'il n'y a rien en dehors d'elle et qu'elle est infinie. Donc elle n'a de limite dans
aucune crature, sans que, en lui donnant quelque chose, la puissance infinie puisse la faire meilleure et plus
parfaite. Mais si un homme est lev l'unit avec la puissance elle-mme, de telle sorte que l'homme ne soit pas
une crature qui subsiste en soi, mais en unit avec la puissance infinie, cette puissance n'a pas son terme dans la
crature mais en elle-mme. Or, c'est bien l l'opration la plus parfaite de la toute-puissance de Dieu, infinie et
sans limite, dans laquelle il ne peut pas se trouver en dfaut, autrement il ne serait ni crateur, ni crature.

En effet comment la crature serait-elle d'une faon restreinte de par l'tre divin absolu, si la restriction
ne pouvait pas s'unir lui ? Par elle toutes les choses, comme elles sont de par celui qui est d'une faon absolue,
existeraient l'tat restreint, et elles-mmes, comme elles sont l'tat restreint, seraient de par celui qui la
restriction est unie au plus haut point ; ainsi, d'abord, il y aurait le Dieu crateur ; secondement le Dieu homme,
qui aurait assum dans son unit lui d'une faon suprme l'humanit cre, qui est, pour ainsi dire, la restriction
universelle de toutes les choses, unie d'une manire hypostatique et personnelle l'galit d'tre tout, de sorte
qu'elle soit, grce au Dieu infiniment absolu et par la mdiation de la restriction universelle, qui est l'humanit ;
en troisime lieu toute chose entrerait dans l'tre restreint afin de pouvoir tre ce qu'elle est dans un ordre et d'une
manire meilleurs. Mais il ne faut pas considrer temporellement cet ordre, comme si Dieu avait, dans le temps,
prcd le premier-n de la crature, ou si le premier-n Dieu et homme avait, dans le temps, prcd le monde,
mais il faut le considrer en nature et en ordre de perfection au-dessus de tous les temps, et de la sorte celui-ci,
alors qu'il existe en Dieu au-dessus du temps et avant toutes choses dans la plnitude du temps, apparatrait au
monde au bout de longues priodes.


4 - CE MAXIMUM EST JSUS, L'TRE BNI, L'HOMME-DIEU

Notre argumentation telle que nous venons de la prsenter nous a conduits une certitude dsormais
exempte de doute, et nous permet, sans aucune hsitation, d'une faon parfaitement fonde, de tenir nos prmices
pour bien tablies. Poursuivons donc, et nous dirons : la plnitude du temps est passe, et Jsus [dont le nom est]
bni jamais, est le premier-n de toute crature.
Car, d'aprs les uvres qu'il a lui-mme accomplies pendant son existence humaine avec un pouvoir
plus qu'humain et proprement divin ; d'aprs les affirmations qu'il a donnes lui-mme sur son propre compte, et
qui ont t reconnues exactes en tous points ; d'aprs le tmoignage, maintenu jusqu'au martyre, de ceux qui l'ont
approch, nous pouvons, avec une confiance inbranlable, appuye depuis longtemps de preuves en nombre
inexprimable, affirmer avec fondement qu'il est celui que toute crature a, ds le commencement, attendu dans
l'avenir, et qui, par la voix des prophtes, avait annonc au monde sa venue. Il est venu en effet ; il a tout
accompli. Par un acte de sa volont, il a rendu tous les hommes la sant, il leur a ouvert tous les trsors
mystrieux et cachs de sa sagesse, comme celui dont le pouvoir s'tend sur toutes choses, effaant les pchs
comme Dieu, ressuscitant les morts, transmuant l'essence des choses, commandant aux esprits, la mer et aux
vents, marchant sur les eaux, tablissant une loi dont la plnitude est le complment de toutes les lois. En lui,
selon le tmoignage de saint Paul, cet aptre unique de la vrit, qui reut dans un ravissement la rvlation d'en
haut, nous avons la souveraine perfection, la rdemption, la rmission des pchs ; c'est lui qui est l'image du
Dieu invisible, le premier-n de toute la cration ; car c'est en lui qu'ont t cres toutes choses dans les cieux et
sur la terre, les visibles et les invisibles, soit les trnes, soit les dominations, soit les autorits, soit les
puissances ; tout a t cr par lui et pour lui. Il est avant toutes choses et toutes choses subsistent en lui. C'est lui
aussi qui est le chef du corps de l'glise. Il est le commencement, le premier-n d'entre les morts, afin qu'en
toutes choses il tienne le premier rang. Car il a plu Dieu de faire habiter en lui tout sa plnitude, et de
rconcilier par lui toutes choses avec lui-mme .
Ces tmoignages, et bien d'autres qui nous viennent des Saints, tablissent qu'il est la fois Dieu et
homme, et qu'en lui l'humanit dans son essence s'est unie l'essence de la divinit, par l'intermdiaire du Verbe,
au point que ce ne fut pas en lui-mme, mais dans le Verbe qu'il a son existence ; attendu que l'humanit son
plus haut degr et dans toute sa plnitude ne peut se raliser autrement que dans la divine personne du Fils.
Et pour comprendre, par del toute conception intellectuelle telle que la ntre, comme dans la docte
ignorance, cette personne qui a uni l'homme soi, plaons-nous un point de vue plus lev, et considrons dans
notre entendement que Dieu est par toutes choses en tout, et que tout par toutes choses est en Dieu, comme nous
l'avons montr plus haut ; puis, comme ces propositions doivent tre considres copulativement, que Dieu est
en tout dans la mesure o tout est en Dieu ; et comme l'existence divine est en soi la plus haute galit et
simplicit. Dieu, s'il est en tout, n'y est point suivant des degrs comme s'il se communiquait graduellement et
partiellement.
Mais le tout ne peut exister sans une diversit de degrs. C'est pourquoi il existe en Dieu conformment
sa nature, avec une diversit de degrs. Maintenant, comme Dieu est dans le tout dans la mesure o le tout est
en Dieu, il est clair que Dieu, sans son galit d'tre tout sans changer de nature, est en union avec la plus
grande humanit de Jsus. Car l'homme maximum n'y peut tre qu'au degr maximum ; il en est ainsi de Jsus,
qui possde l'galit d'tre tout, et du Fils, tres divins, qui constituent la personne intermdiaire ; en elle sont le
Pre ternel et le Saint-Esprit, et tout est en elle comme dans le Verbe, et aussi toute crature qui possde
l'humanit suprme et parfaite, impliquant toutes les possibilits de cration, au point que [Jsus] est la plnitude
absolue qui habite en lui. Une comparaison va galement nous conduire comme par la main la mme
conclusion : la connaissance sensible est une connaissance restreinte, car la sensation n'atteint que le particulier.
La connaissance intellectuelle est universelle, parce que, compare la connaissance sensible, elle existe
absolument et dgage de la restriction particulire. Mais la sensation est diversement restreinte suivant divers
degrs, restrictions d'o naissent les diverses espces d'tres vivants, suivant le degr de noblesse et de
perfection ; et quoique la sensation ne s'lve pas au degr simplement maximum, comme nous l'avons montr
plus haut, cependant, dans cette espce qui est la plus haute en acte dans le genre de l'Animalit, l'espce
humaine, la sensation a produit un animal tel que, tout animal qu'il est, il est aussi entendement. L'homme est en
effet entendement personnel puisque la restriction sensible repose, tout en lui tant subordonne, sur la nature
intellectuelle, celle-ci tant une certaine manire d'tre, divine, spare, abstraite, et la nature sensible demeurant
temporelle et corruptible conformment son essence. Quelque loigne que soit la comparaison, c'est ainsi qu'il
faut considrer Jsus ; l'humanit repose hypostatiquement sur sa divinit, puisqu'elle ne pourrait autrement tre
maxima dans sa plnitude.
Car l'entendement de Jsus, qui est parfait, existant pleinement en acte, ne peut reposer
hypostatiquement, d'une faon personnelle, que sur l'entendement divin, qui seul est tout en acte. En effet,
l'entendement de tous les hommes peut tre toutes choses, passant par degrs de la puissance l'acte, si bien que
plus il est grand en acte, plus petit en est la puissance. Or, l'entendement maximum, tant le terme suprme de la
puissance de toute nature intellectuelle, ne peut exister pleinement en acte que s'il n'est entendement que dans la
mesure o il est galement Dieu, qui est toutes choses en tout ; la nature humaine est le polygone inscrit dans un
cercle, et le cercle la nature divine ; si le polygone doit tre aussi grand qu'il peut l'tre, il n'existerait plus par lui-
mme avec ses angles dfinis, mais dans la figure du cercle, et ainsi il n'aurait pas de figure propre pour exister,
de figure que l'on pt sparer, mme par la pense, de la figure ternelle du cercle.
La maximit de la perfection de la nature humaine est atteinte dans les choses essentielles et
substantielles, donc en ce qui concerne l'entendement, dont tout ce qui relve du corps est l'esclave. Et par suite
l'homme parfait au maximum ne doit pas s'lever dans les choses accidentelles, sinon en celles qui regardent
l'entendement. On ne peut demander un gant ou un nain que l'un ait la taille, la couleur, la forme, etc., de
l'autre. On ne peut exiger qu'une chose, c'est que le corps vite assez les extrmes pour tre un instrument
parfaitement propre de la nature intellectuelle, laquelle il doit obir et se soumettre sans conteste, sans
murmure, sans fatigue.
Notre Jsus, dans lequel tous les trsors de la science de la sagesse mme pendant son sjour dans le
monde, furent recels, comme une lumire dans les tnbres, eut, croyons-nous (d'aprs la tradition des saints
tmoins de sa vie), un corps parfait et absolument apte cette fin de la nature intellectuelle porte son plus haut
degr.


5 - LE CHRIST, CONU DU SAINT-ESPRIT, EST N DE LA VIERGE MARIE

II faut examiner plus longuement comment l'humanit parfaite, soumise ce qui la dpasse, quand elle
ralise dans le restreint son plus haut point de perfection, ne dpouille pas compltement l'aspect de cette
nature. Le semblable est engendr par le semblable, et par suite, conformment aux rapports naturels, l'tre
engendr procde de celui qui l'a engendr. Mais comme le terme n'a pas de terme, il n'y a ni limitation ni
proportion. Par suite, l'homme maximum ne peut tre engendr par des moyens naturels ; cependant l'espce
dont sort la perfection suprme ne peut compltement tre prive de commencement. D'une part, donc, c'est
conformment aux lois de la nature humaine qu'il fait son entre dans le monde, parce qu'il est homme ; de
l'autre, parce qu'il est le suprme son principe, immdiatement uni au principe, il est le principe mme, dont il
procde immdiatement, en tant que crant ou engendrant, en tant que Pre, et le principe humain en tant que
passif, offrant une matire mallable. C'est pourquoi il est n d'une mre, sans semence virile. Toute l'opration
procde de l'esprit et d'un certain amour qui unit l'actif au passif, comme on le trouve dmontr quelque part
dans les pages qui prcdent. Par suite, l'opration maxima, qui surpasse la proportion de toute nature, et par
laquelle le crateur s'unit la crature, procdant de l'amour maximum qui puisse unir doit natre
ncessairement, sans doute possible, du Saint-Esprit, qui est pur amour. Grce l'esprit seul, sans le secours d'un
agent s'exerant au-dessous des limites de l'espce restreinte, la mre a pu concevoir le fils de Dieu le pre. Si
bien que, de mme que Dieu le pre a cr toutes choses par son esprit, choses qui ne provenaient pas d'un donn
que Dieu aurait fait passer l'existence, ainsi, un degr suprieur encore, c'est l'aide de ce mme trs Saint-
Esprit qu'il opra, quand son activit produisit son uvre la plus parfaite. Un exemple instruira notre ignorance.
Quand un matre trs minent veut exposer ses lves la pense verbale qu'il a forme dans son esprit, afin
qu'ils fassent comme leur nourriture spirituelle de la vrit qu'il a conue et qu'il leur dvoile, il s'emploie
revtir d'un son la pense traduite en mots, parce qu'il ne peut la communiquer ses lves, si elle ne revt une
figure sensible. Mais cela ne peut s'accomplir sans le souffle que la nature a donn au matre qui, de l'air qu'il a
aspir dans sa poitrine, forme une image vocale adapte sa pense verbale, laquelle il unit si intimement ses
mots eux-mmes, que la voix elle-mme n'a d'existence que dans le mot. Et c'est ainsi, par l'intermdiaire de la
voix, que les auditeurs saisissent le mot. Cette comparaison, quelque loigne qu'elle soit sur ce qui peut tre
compris de nous, nous aide un peu mditer.
Le Pre ternel, dans son immense bont, voulant taler nos yeux les richesses de sa gloire pour la
plnitude de la science et de la sagesse, a revtu le Verbe ternel, son fils, qui est la plnitude de tout ;
compatissant nos faiblesses, car nous ne pouvions le saisir que dans une forme sensible et qui nous ressemblt,
il l'a manifest nos regards en se conformant nos capacits, il l'a revtu d'une nature humaine, par
l'intermdiaire du Saint-Esprit, qui lui est consubstantiel. Et cet esprit, comme fait la voix de l'air inspir, a
form, de la puret et de la fcondit d'un sang virginal, un corps vivant, lui donnant en outre la raison, pour que
l'homme ft le verbe de Dieu le pre, et l'a intrieurement si unifi, qu'il fut le centre de la substance de la
nature humaine. Et tout cela ne s'est pas produit d'une faon linaire, comme notre entendement l'exprime, dans
le temps, mais par une action instantane, par del le temps, en vertu d'une volont conforme une puissance
infinie.
Mais cette mre, si riche de vertu, qui a fourni la matire, a, personne n'en doit douter, surpass toutes
les vierges par la perfection de sa vertu, et a t particulirement bnie entre toutes les femmes fcondes. Elle qui
tait prdestine de toute ternit cet enfantement virginal si extraordinaire, unique, devait ncessairement
tre exempte de tout ce qui pouvait s'opposer la puret ou l'unit puissante d'un fruit si suprieur. Si celle qui
avait t lue n'avait pas t vierge, comment et-elle t capable d'un enfantement virginal sans semence
masculine ? Si elle n'avait pas t particulirement sainte et bnie du Seigneur, comment serait-elle devenue le
Sanctuaire o le Saint-Esprit pt former le corps du fils de Dieu ? Si elle n'tait pas demeure vierge aprs
l'enfantement, elle n'et pas consacr cet enfantement unique entre tous le point central de sa fcondit
maternelle, dans la souveraine perfection de sa puret. Son action et t partage, diminue, et indigne de ce fils
unique et suprme. Si donc la trs sainte Vierge s'est tout entire offerte Dieu auquel, par l'opration du Saint-
Esprit, elle a aussi consacr toute la nature profonde et sa fcondit, elle est demeure sans tache, elle a gard sa
virginit avant, pendant, aprs l'enfantement, demeure pure en dpit des lois de toute gnration commune.
C'est donc d'un pre ternel et d'une mre mortelle, de la glorieuse vierge Marie, qu'est n Jsus-Christ
l'homme-Dieu, d'un pre qui est le maximum et la plnitude absolue, d'une mre dans la plnitude de sa virginale
fcondit, remplie de la bndiction suprme, dans la plnitude du temps. Car d'une mre vierge n'a pu natre
qu'un homme mortel, et d'un pre qui tait Dieu qu'un tre ternel, mais la naissance dans le temps a requis dans
le temps la plnitude de la perfection, comme dans la mre la plnitude de la fcondit.
Quand vint donc la plnitude du temps, s'il tait astreint natre dans le temps, il naquit dans un temps
et un espace parfaitement aptes sa mission, quoique cachs toutes les cratures. Car la plnitude souveraine
ne peut pas tre rapproche de l'exprience quotidienne. Par suite, il n'y eut pas d'indice qui permt une raison
de la reconnatre, bien qu'on ait transmis certains signes obscurs, mans d'une tnbreuse inspiration
prophtique, voils de comparaisons humaines, et auxquels les sages auraient pu prvoir rationnellement
l'incarnation du Verbe dans la plnitude des temps. Mais la dtermination du lieu prcis, du temps ou du mode
de l'opration, seul la connut le Pre ternel qui disposa les choses, en sorte que, tandis que le silence couvrait le
monde, au cours de la nuit, le Fils descendit des hauteurs du ciel dans un sein virginal, et, l'poque prescrite et
convenable, sous les traits d'un esclave, se rvlt au monde.


6 - LE MYSTRE DE LA MORT DE JSUS-CHRIST

Une lgre digression est ncessaire notre dessein, pour la claire intelligence du mystre de la croix. Il
n'est pas douteux que l'homme est form d'une sensibilit et d'un entendement, unis par une raison qui leur sert
d'intermdiaire. Dans l'ordre des choses, la sensibilit est subordonne la raison, qui est son tour subordonne
l'entendement. L'entendement n'appartient pas au temps et au monde, dont il est absolument indpendant. La
sensibilit appartient au monde, soumise au temps et au mouvement. La raison est comme l'horizon, en ce qui
concerne l'entendement ; comme sous les yeux, en ce qui regarde la sensibilit : en elle concident les choses qui
sont au-dessous et au-dessus du temps. La sensibilit est incapable des choses supertemporelles et spirituelles.
L'animal, donc, ne peroit pas ce qui est en Dieu, car Dieu est esprit et plus encore, et pour cela, la connaissance
sensible est plonge dans les tnbres de l'ignorance des choses ternelles ; elle se meut selon la chair vers les
dsirs de la chair en vertu de sa puissance concupiscible, et elle est incapable de repousser ces dsirs en vertu de
sa puissance irascible. Mais la raison qui possde de sa nature un pouvoir minent par sa participation la nature
de l'entendement, enferme en elle certaines lois grce auxquelles elle rgle en directrice les passions mmes du
dsir, et les ramne la mesure, de crainte que l'homme, plaant sa fin dans les choses sensibles, ne se prive
ainsi du dsir spirituel de l'entendement.
La plus haute de ces lois commande de ne pas faire aux autres ce qu'on ne voudrait pas qu'on vous ft, et
de prfrer les choses ternelles aux choses temporelles, les choses pures et saintes aux choses passagres et
impures. A cette uvre cooprent les lois que de trs saints lgislateurs ont tires de la raison mme, suivant la
diversit des temps et des lieux, comme moyen de salut pour la raison des pcheurs. L'entendement, tendant son
vol, voit que, mme si la sensibilit se soumettait en toutes choses la raison et refusait d'obir aux passions qui
lui sont congnitales, l'homme ne pourrait pourtant pas parvenir par lui-mme la fin de ses affections
intellectuelles et ternelles. Car l'homme est n de la semence d'Adam dans les volupts de la chair, acte dans
lequel l'animalit, conformment aux ncessits de la propagation de l'espce, l'emporte sur la spiritualit. Aussi
sa nature par elle-mme, plonge par les racines de ses origines dans les dlices de la chair, grce auxquels
l'homme nat de son pre et vient l'existence, demeure radicalement impuissante transcender les choses
temporelles pour embrasser le spirituel. C'est pourquoi, si le poids des plaisirs de la chair sduit la raison et
l'entendement, au point qu'ils s'accordent ne pas rsister ces mouvements, il est clair que l'homme ainsi sduit
et dtourn de Dieu est entirement priv de la jouissance du souverain bien, qui pour l'entendement est dans les
choses suprieures et ternelles. Si, au contraire, la raison domine la sensibilit, il faut encore que l'entendement
domine la raison, afin que l'homme, par del la raison, grce la foi, s'attache au Mdiateur, et qu'ainsi Dieu
puisse l'associer sa gloire.
Personne ne fut jamais par lui-mme en mesure de pouvoir s'lever au-dessus de lui-mme et de sa
nature propre soumise, de par ses origines, aux pchs du dsir charnel et monter, bien au-dessus de sa
naissance, vers les choses ternelles et clestes, sinon celui qui descendit du ciel Jsus-Christ. C'est lui aussi qui
s'leva par sa vertu propre en qui la nature humaine, ne, non point de la volont de la chair mais de Dieu, ne
trouva pas d'obstacle ce qu'il retournt dans toute sa puissance, vers Dieu le pre.
C'est donc dans le Christ que la nature humaine a t par son union [avec Dieu] leve sa puissance
suprme et soustraite au poids des dsirs temporels qui l'alourdissaient. D'autre part, le Seigneur Christ a voulu
se charger de tous les crimes de la nature humaine, qui nous attirent la terre, et les mortifier profondment dans
son corps d'homme, non point cause de lui, car il n'a point commis le pch, mais cause de nous, et les
effacer en les mortifiant, afin que tous les hommes qui partagent sa propre humanit trouvassent en lui-mme le
pardon de tous leurs pchs. Volontaire et parfaitement innocente, pleinement ignominieuse et cruelle, la mort de
l'homme Christ sur la croix a marqu l'extinction de tous les dsirs charnels de la nature humaine, leur
satisfaction et leur pardon. Tout ce qui, d'une faon bien humaine, peut se produire contre la charit que l'on doit
au prochain, trouve abondamment sa satisfaction dans la plnitude de la charit du Christ, qui s'est livr lui-
mme pour le salut de ses ennemis.
L'Humanit en Jsus-Christ a donc rachet toutes les imperfections de tous les hommes. Car comme
cette humanit est maxima, elle embrasse toute l'extension de l'espce, au point que l'existence de tel ou tel
homme est indiffrente, parce que le Christ lui est uni par des liens plus forts que le pre ou l'ami le plus intime.
Telle est la puissance de la maximit de sa nature humaine, que, quel que soit l'homme qu'il se soit attach par
les liens de la foi, le Christ est cet homme mme, grce la perfection de cette union, sans nuire l'indpendance
de l'une ou l'autre partie. Ainsi se vrifie ce qu'il a dit lui-mme : Ce que vous avez fait l'un des plus petits
des miens, c'est moi que vous l'avez fait ; d'o il suit, par conversion, que tout ce que Jsus a mrit par sa
passion, ce sont eux qui l'ont mrit, qui ne font qu'un avec lui, sans prjudice de degrs dans ce mrite, selon le
degr d'union de chacun avec lui, grce la foi qui nat de la charit. Par suite, c'est en lui que les fidles sont
circoncis, baptiss, c'est en lui qu'ils sont morts, en lui qu'ils sont rendus la vie par la rsurrection, en lui qu'ils
sont unis Dieu et glorifis.
Par suite, ce n'est pas de nous, mais du Christ que procde notre justification. Comme il est la plnitude
absolue, c'est en lui que nous atteignons toutes choses, si nous le possdons lui-mme. Et comme nous pouvons
l'atteindre en cette vie par la foi, nous ne pourrons tre justifis que par la foi, comme nous le montrerons plus
explicitement plus loin. Voil le mystre ineffable de la croix et de notre rdemption, par lequel, bien au del de
ce que nous avons trait, le Christ montre comment la vrit, la justice, les vertus divines doivent tre prfres
la vie temporelle, et les choses ternelles aux prissables, et que l'homme parfait doit faire preuve de la plus
grande constance et valeur, de charit et d'humanit, comme la mort du Christ sur la croix montre que Jsus,
l'homme maximum possda au maximum ces vertus et toutes les autres. Donc, plus un homme s'lve dans la
pratique des vertus immortelles, plus il est semblable au Christ ; car le maximum et le minimum concident,
l'humiliation maxima avec l'exaltation, la mort la plus honteuse du plus vertueux des hommes avec la vie
glorieuse, et ainsi du reste, comme nous le montrent la vie du Christ, sa passion et sa crucifixion.


7 - LE MYSTRE DE LA RSURRECTION

Le Christ, soumis en tant qu'homme la passion et la mort, ne pouvait parvenir la gloire de son pre,
qui est l'immortalit mme, parce que la vie absolue, que si l'tre mortel revtait l'immortalit. La chose tait
impossible en de de la mort ; car comment l'tre mortel pouvait-il revtir l'immortalit s'il n'tait dpouill de
sa mortalit ? Comment en et-il t dlivr, s'il n'avait acquitt la mort ce qu'il lui devait ? C'est pourquoi la
parole de vrit elle-mme dit que ceux-l sont sots et ont l'esprit tranant , qui ne comprennent pas qu'il
fallait que le Christ mourt, et entrt ainsi dans sa gloire . Puisque nous avons montr plus haut que le Christ
tait mort pour nous, et de la mort la plus cruelle, il faut dire en consquence qu'il ne convenait pas que la nature
humaine ft porte au temple de l'immortalit autrement que par sa victoire sur la mort. Aussi a-t-il subi la mort,
afin qu'avec lui ressuscitt la vie ternelle la nature humaine, et que son corps d'animal et d'tre mortel devnt
spirituel et imprissable.
Il n'et pu tre un homme vritable s'il n'et t mortel, ni lever l'immortalit la nature mortelle, s'il
n'avait, par sa mort, dpouill sa mortalit. coutez quelles belles instructions nous donne la parole de vrit
elle-mme quand elle nous dit : Si le grain de froment qui tombe sur le sol ne meurt pas, il demeure seul ; mais
s'il meurt, il porte beaucoup de fruits. Si donc le Christ tait toujours demeur mortel, mme sans jamais
mourir, comment et-il, lui, l'homme mortel, confr la nature humaine l'immortalit ? Et si lui-mme n'tait
pas mort, il ft rest seul mortel sans mourir. Il fallait donc qu'il se librt par la mort de la possibilit o il tait
de mourir, si cette mort devait porter beaucoup de fruits, afin qu'ainsi lev il entrant tout soi, puisque sa
puissance n'est pas tant sur le monde et la terre prissables que dans le ciel imprissable.
Nous pourrons le comprendre dans une certaine mesure si nous avons l'esprit ce que nous avons
souvent dit. Nous avons montr dans ce qui prcde que Jsus, l'homme maximum, n'a pas en soi, spar de
Dieu, la possibilit de durer, parce qu'il est le maximum. C'est pourquoi l'on admet l'change des attributs, afin
qu'humanit et divinit concident, parce que cette humanit, insparable de la divinit en raison de leur suprme
union, ne peut, revtue qu'elle est pour ainsi dire et leve elle par la divinit, subsiste sparment d'une
existence personnelle. L'homme, au contraire, est l'union d'une me et d'un corps, dont la sparation constitue la
mort. Puisque donc la personne divine suppose l'humanit maxima, il n'tait pas possible que l'me ou le corps,
mme aprs la sparation locale, ft au moment de la mort spar de la personne divine, sans laquelle cet
homme-l lui-mme ne pouvait subsister. Le Christ ne mourut donc point comme si sa personne avait eu quelque
imperfection, mais, abstraction faite de sa division locale, il demeura, au point de vue du centre sur lequel
reposait son humanit, hypostatiquement uni la divinit ; et c'est conformment sa nature infrieure, qui a pu,
conformment la vrit de sa nature, souffrir la division de l'me et du corps, que cette division s'est faite dans
le temps et dans l'espace, au point qu' l'heure de la mort l'me et le corps n'taient pas dans le mme espace et
dans le mme temps. C'est pourquoi, pour le corps et pour l'me, la corruptibilit ne fut pas possible ; car ils
taient unis l'ternit, mais la naissance dans le temps fut soumise la mort et la sparation temporelles.
Ainsi, quand la composition ayant accompli son cercle fut retourne la dissolution, et qu'en outre le corps fut
dgag de ses mouvements dans le temps, l'humanit dans son essence vritable, qui est au-dessus du temps, et
demeure incorruptible par son union avec la divinit, comme le rclamait la vrit de son essence, unit le
vritable corps l'me vritable, afin qu'ainsi, l'image trouble de l'homme vritable s'tant dissipe, l'homme
vritable, tel qu'il s'est montr dans le temps, ressuscitt dgag de toute passion temporelle ; afin que le mme
Jsus, suprieur tous les mouvements dans le temps, ressuscitt vritablement pour ne plus mourir par une
nouvelle union de l'me et du corps suprieur tous les mouvements dans le temps. Sans cette union, l'essence
vraie de l'humanit, vritablement incorruptible et sans confusion de nature, n'aurait pu s'unir hypostatiquement
la personne divine.
Aide-toi, dans la pauvret de ton esprit et ton ignorance, de la parabole du grain de froment du Christ,
dans laquelle le grain se corrompt en tant qu'unit, tandis que son essence spcifique demeure intacte et permet
la nature de faire lever une foule de grains. Si le grain tait au maximum et absolument parfait, et qu'il venait
mourir dans une terre excellente et fconde, ce n'est pas cent ou mille fruits qu'il rapporterait, mais autant que la
nature de son espce en embrasserait dans sa possibilit.
C'est l ce que dit la parole de vrit : il porte beaucoup de fruits . Car la multitude est une finit sans
nombre. Comprends donc bien que l'humanit de Jsus, dans la mesure o elle est considre relativement
l'homme Christ restreint dans la mesure o elle est comprise en mme temps comme unie la divinit, laquelle
elle est unie, est pleinement absolue si l'on considre le Christ comme un homme vritable ; et elle est
restreinte, s'il est homme par son caractre d'humanit. Et ainsi l'humanit de Jsus est comme un
intermdiaire entre le pur absolu et le pur restreint. C'est pourquoi elle n'a pas t corruptible, si ce n'est en
partie, et a t simplement incorruptible. Elle fut donc corruptible selon la temporalit laquelle elle a t
borne, et selon son indpendance et sa supriorit l'gard du temps, et son union la divinit, incorruptible.
La vrit, sous son aspect restreint dans le temps, est comme le signe et le symbole de la vrit
supertemporelle ; ainsi la vrit du corps, temporellement restreint, est comme l'ombre de la vrit du corps
supertemporel. De mme aussi la vrit de l'me restreinte est comme l'ombre de l'me dgage du temps. Elle
apparat en effet plutt comme sensibilit ou raison qu'entendement tant qu'elle est dans le temps o elle ne saisit
rien sans images ; leve au-dessus du temps, elle est entendement libre et dgage de celles-ci. Et puisque cette
humanit a indissolublement pris ses racines dans l'incorruptibilit divine, l'achvement du cours temporel et
corruptible, la dissolution ne peut se produire, si ce n'est vers la racine de l'incorruptibilit. C'est pourquoi, la
fin du cours temporel, qui fut la mort, dlivr de tout ce qui s'tait ajout dans le temps la vrit de la nature
humaine, Jsus est ressuscit, non point dans un corps pesant, corruptible, imparfait, soumis aux passions, etc.,
mais dans un corps vritable, glorieux, impassible, actif et immortel, comme l'exigeait une vrit libre des
conditions temporelles.
Et cette runion tait exige ncessairement par la vrit de l'union hypostatique de la nature humaine
la nature divine. C'est pourquoi il fallait que Jsus, bni de Dieu, ressuscitt des morts, comme il l'a dclar lui-
mme : II fallait que le Christ souffrt, et que le troisime jour il ressuscitt des morts.

8 - LE CHRIST, PRMICES DE CEUX QUI DORMENT EST MONT AUX CIEUX

Ceci montr, il est facile de voir que le Christ est le premier-n d'entre les morts. Car nul avant lui ne
put ressusciter, parce que la nature humaine n'tait pas encore parvenue dans le temps son maximum, et n'avait
pas connu, comme dans le Christ, l'union avec l'incorruptibilit et l'immortalit. Tous taient impuissants cet
gard, jusqu' ce que vnt celui qui dit : J'ai le pouvoir de dposer ma vie et de la reprendre . C'est donc dans
le Christ que la nature humaine revt l'immortalit, dans le Christ qui est les prmices de ceux qui dorment dans
la mort. Il n'y a qu'une humanit indivisible, une essence spcifique de tous les hommes, grce laquelle tous les
hommes particuliers sont des hommes qui ne se distinguent que par le nombre, au point que le Christ et tous les
hommes possdent la mme humanit, bien qu'il subsiste une diffrence numrale entre les individus
particuliers. D'o il est clair que l'humanit de tous les hommes qui, dans l'ordre du temps, ont vcu avant ou
aprs le Christ, ou vivront demain, a revtu dans le Christ l'immortalit. D'o l'on peut conclure : le Christ en tant
qu'homme est ressuscit ; par suite tous les hommes ressusciteront, au del de tout mouvement de corruptibilit
temporelle, pour tre jamais incorruptibles. Et quoiqu'une seule humanit soit commune tous les hommes, il y
a cependant des principes d'individualisation qui la restreignent tel ou tel sujet, varis et divers. En Jsus-
Christ seul ils taient leur plus haut degr de perfection et de puissance, tout proches de l'essence de l'humanit,
qui avait t unie la divinit, grce la vertu de laquelle le Christ pouvait ressusciter de sa propre vertu, vertu
qui lui venait de la divinit. C'est pourquoi l'on dit que Dieu l'a ressuscit des morts, alors qu'tant homme et
Dieu tout la fois, il a ressuscit par sa propre vertu, et aucun des hommes autres que lui, si ce n'est en la vertu
du Christ, qui est Dieu, ne pourra, comme le Christ, ressusciter.
C'est donc le Christ par lequel, conformment la nature de l'humanit, la nature humaine a contract
l'immortalit, et par lequel nous ressusciterons aussi sa ressemblance, par-dessus le temps, quand le
mouvement cessera pour nous qui sommes ns profondment soumis au mouvement : cela sera la fin des
sicles. Mais le Christ qui, en tant qu'issu d'une mre, est n temporellement, n'a pas attendu dans sa rsurrection
l'coulement complet du temps, parce que le temps n'embrasse pas compltement sa naissance. Tu vois, si je ne
m'abuse, qu'il n'y a aucune religion parfaite, et conduisant les hommes la fin qu'ils souhaitent si vivement, la
paix, qui ne conoive le Christ comme un mdiateur et un sauveur, un Dieu et un homme, le chemin, la vie et la
vrit. Quel n'est pas l'illogisme des Saracniens, qui regardent le Christ comme l'homme maximum et parfait,
affirment qu'il est n d'une vierge et est mont vivant au ciel et nient sa divinit ! Ils sont aveugls assurment,
parce qu'ils affirment une impossibilit. Un entendement qui possde la vrit plus claire que le jour peut se
rendre compte, ne ft-ce que par de telles prmices, qu'aucun homme ne peut tre parfait en toutes choses et
maximum, n, par del les lois de la nature, d'une vierge, qui ne soit Dieu en mme temps. Ces [Saracniens]
sans raison sont des perscuteurs de la croix, ignorent ses mystres, et n'ont pas got le fruit divin de la
rdemption ; et de par la loi de leur Mahomet qui ne promet que la satisfaction des dsirs de la volupt, que la
mort du Christ a teints en nous, ils n'attendent point les choses que, dans notre apprhension d'une gloire
incorruptible, nous esprons jusqu' notre dernier souffle.
Les Juifs, comme les Saracniens, professent galement que le Messie est l'homme maximum, parfait,
et immortel, et nient sa divinit, possds du mme aveuglement diabolique ; ils n'obtiendront pas non plus,
l'inverse de nous, pauvres esclaves du Christ, la batitude suprme, la jouissance de Dieu, qu'ils n'esprent point.
Et ce que je trouve de plus surprenant, c'est que Juifs et Saracniens croient une rsurrection gnrale dans
l'avenir, et n'admettent pas qu'elle soit possible par l'intermdiaire d'un homme qui est galement un Dieu. Car,
bien que l'on puisse dire que, le mouvement de gnration et de corruption cessant, la perfection de l'univers
serait impossible sans la rsurrection, parce que la nature humaine est une partie essentielle de l'univers, sans
laquelle il n'y aurait pas, non seulement de perfection mais d'univers ; que, pour cette raison, il serait ncessaire,
si le mouvement venait cesser quelque jour, que l'univers tout entier prt ou que les hommes ressuscitassent
incorruptibles, eux dont la nature embrasse tous les intermdiaires, au point qu'il ne serait pas ncessaire que les
animaux ressuscitassent, puisque l'homme est leur perfection mme ; bien que l'on puisse dclarer la rsurrection
ncessaire pour que l'homme tout entier reoive de la justice de Dieu la rtribution de ses mrites ; cependant il
faut ajouter toutes ces raisons et avant elles qu'il faut croire que le Christ est homme et Dieu, lui par qui seul la
nature humaine peut atteindre l'incorruptibilit.
Aveugles sont donc tous ceux qui croient la rsurrection et ne reconnaissent pas le Christ pour
intermdiaire de sa possibilit ; car la croyance la rsurrection est l'affirmation de la divinit et de l'humanit
du Christ, de sa mort et de sa rsurrection, lui qui est le premier n d'entre les morts, selon nos prmices. Car il
est ressuscit pour entrer ainsi dans sa gloire par son ascension dans les cieux. Ascension qu'il faut comprendre,
je crois. Comme une ascension au-dessus de tout mouvement de corruption et influence du ciel. Car bien qu'il
soit partout, de par sa divinit, son lieu propre est celui o il n'y a ni changement, ni passion, ni tristesse, etc.,
choses qui sont les accidents de la temporalit. Et ce lieu de bonheur et de paix ternels, nous le plaons au-
dessus des cieux, quoiqu'il soit impossible de le saisir, de le dcrire ou de le dfinir. Le Christ est le centre et la
circonfrence de la nature intellectuelle, et, comme l'entendement embrasse tout, domine toutes choses.
Cependant il se repose comme dans son temple chez les Saints, dans les mes raisonnables et les esprits
intelligents, qui sont les cieux rvlateurs de sa gloire. C'est donc ainsi que nous comprenons son ascension au-
dessus de tout temps et de tout espace jusqu' une demeure imprissable, au-dessus de tout ce qui peut
s'exprimer, quand on dit qu'il s'est lev au-dessus de tous les cieux pour remplir toutes choses ; comme il est
Dieu, il est toutes choses en tout ; et il rgne dans ces cieux de l'entendement, comme il est la vrit mme ; et il
ne sige pas, dans l'ordre de l'espace, la circonfrence plutt qu'au centre, car il est le centre de tous les esprits
dous de raison, et leur vie. Et c'est pourquoi il affirme que le royaume des cieux existe parmi les hommes, lui
qui est la Source de la vie des mes et leur fin.


9 - LE CHRIST JUGE DES VIVANTS ET DES MORTS

Quel juge est plus juste que celui qui est la justice mme ? Le Christ, en effet, tte et principe de toute
crature raisonnable, est la raison maxima en personne, d'o procde toute raison. Or, la raison est la facult de
faire des jugements qui dcident. D'o il suit que c'est juste titre qu'est juge des vivants et des morts celui qui a
pris avec toutes les cratures raisonnables la nature humaine doue de raison, tout en restant Dieu, qui est le
rmunrateur de tout. Le Christ juge tout, au-dessus de tout temps, par lui-mme et en lui-mme, parce qu'il
enferme en lui toutes les cratures, en tant qu'homme maximum, qui enveloppe tout. Parce qu'il est Dieu, il est
en tant que tel la lumire infinie dans laquelle il n'y a pas de tnbres ; lumire qui illumine tout, au point qu'
cette lumire tout devient manifeste cette lumire elle-mme. Cette lumire intellectuelle infinie embrasse le
prsent comme le pass, ce qui est vivant comme ce qui est mort, comme la lumire physique est l'hypostase de
toutes les couleurs. Mais le Christ est comme un feu trs pur, qui est insparable de la lumire et ne subsiste pas
en soi, mais dans la lumire ; il est le feu de la vie spirituelle de l'entendement, qui, consumant et recevant
toutes choses en soi, les prouve et les juge, examinant tout, comme le jugement du feu matriel. Tous les esprits
raisonnables sont jugs dans le Christ, comme sont juges dans le feu les matires qui y sont sujettes, dont
certaines, quand on les y maintient, sont transformes l'image du feu : ainsi, l'or le meilleur et le plus pur est
ce point or et ce point brl qu'on ne voit pas plus d'or que de feu ; d'autres matires ne participent pas ce
degr l'intensit du feu, comme l'argent pur, le bronze ou le fer. Pourtant, tout semble transform en feu,
quoique chacun un degr diffrent qui lui est propre. Et ce jugement ne porte que sur le feu, non sur les
matires qui y sont sujettes, parce que, quelle que soit la matire que l'on brle et o qu'on la brle, on ne
remarque que ce feu trs ardent sans distinguer les matires qui brlent ; ainsi quand nous voyons de l'or, de
l'argent ou du cuivre en fusion dans un feu trs violent, nous ne faisons pas la diffrence des mtaux, quand ils
ont pris la forme du feu. Mais ce feu, s'il possdait l'entendement, connatrait le degr de perfection de chacun, et
la capacit de supporter un feu intense apparatrait diffrente pour chacun, conformment aux degrs mmes de
perfection.
Il y a des matires soumises au feu qui demeurent indestructibles dans le feu, capables de lumire et de
chaleur, et qui peuvent, en raison de leur puret, se transformer l'image du feu ; et cela plus ou moins suivant
des degrs ; d'autres en revanche, en raison de leur impuret, mme si elles sont capables de chaleur, ne peuvent
se transformer en feu. Ainsi le Christ en tant que juge, conformment un jugement unique, parfaitement simple
et indistinct, en un seul moment, avec une parfaite quit dpourvue d'envie, selon un ordre naturel et non
temporel, communique la chaleur de la raison cre afin que, cette chaleur reue, il rpande d'en haut la divine
lumire de l'intelligence, afin que Dieu soit tout en tout, et que toutes choses soient par lui, le mdiateur, en
Dieu, et gales lui-mme, suivant les possibilits et les capacits plus ou moins grandes de chacune. Mais le
fait que certaines choses, par leur plus grande unit et puret, ne sont pas seulement sensibles la chaleur, mais
aussi la lumire, et que d'autres, l'tant peine la chaleur, ne le sont point la lumire, provient de la
disposition dfavorable des sujets.
D'o, comme cette lumire infinie est l'ternit et la vrit mmes, il faut ncessairement que la crature
doue de raison, qui veut recevoir la lumire, se tourne vers les choses vraies et ternelles, au-dessus de notre
monde et de notre corruptibilit. Les choses du corps et de l'esprit sont des contraires. Car la vertu vgtative du
corps incorpore, par une transformation, la nourriture reue du dehors la nature de l'tre nourri. Et ce n'est pas
l'animal qui est transform en pain, mais l'inverse. De son ct, l'esprit dou d'entendement, qui s'exerce par-
dessus le temps, comme l'horizon de l'ternit, lorsqu'il se tourne vers les choses ternelles, ne peut pas se les
incorporer, parce qu'elles sont ternelles et incorruptibles ; mais lui non plus, tant incorruptible, ne peut
s'incorporer elles au point de cesser d'tre une substance intellectuelle ; mais il s'incorpore elles au point
d'tre form l'image de l'ternit ; avec des diffrences de degrs cependant ; s'il se tourne vers elles avec plus
de ferveur, sa perfection par les choses ternelles est plus grande et plus profonde, et son tre se cache dans l'tre
ternel lui-mme. Mais comme le Christ est immortel et vit toujours, comme il est la vie et la vrit, quiconque
se tourne vers lui se tourne vers la vie et la vrit ; et plus il le fait avec ardeur, plus il s'lve du monde et de la
corruption l'ternit, au point que sa vie se dissimule dans le Christ. Car les vertus sont justice ternelle, qui
dure au sicle des sicles, la vie et la vrit.
Celui qui se tourne vers les vertus marche dans les voies du Christ, qui sont celles de la puret et de
l'immortalit. Les vraies vertus sont une illumination de Dieu. C'est pourquoi celui qui en cette vie se convertit
par le Christ, qui est la vertu, quand il sera libr de cette vie temporelle, se trouvera dans la puret de l'esprit et
pourra connatre la joie de saisir Dieu.
Cette conversion de notre esprit se produit quand, avec tout le pouvoir de son entendement, il se tourne
par la foi, qu'il prfre tout, vers la vrit ternelle dans sa puret, et choisit et aime cette vrit comme seule
digne d'amour. La conversion la vrit, qui est le Christ, avec une foi inbranlable, consiste fuir ce monde et
le fouler victorieusement aux pieds. Aimer le Christ d'un amour ardent, c'est tendre vers lui d'un mouvement de
l'esprit, parce qu'il n'est pas seulement digne d'amour, mais la charit mme. Car tandis que l'esprit tend, par les
degrs de l'amour, vers la charit elle-mme, il pntre plus profondment dans la charit, non d'une faon
temporelle, mais au-dessus du temps et de tout mouvement terrestre. Donc, de mme que tout tre qui aime vit
dans l'objet de son amour, tous ceux qui aiment la vertu vivent dans le Christ. Et de mme que tout tre qui
aime, aime par son amour, tous ceux qui aiment la vrit l'aiment par le Christ. D'o personne ne connat la
vrit, s'il n'a en lui l'esprit du Christ. Et comme il est impossible qu'un tre qui aime soit sans amour, de mme il
est impossible de possder Dieu sans l'esprit du Christ, dans lequel seul nous pouvons adorer Dieu. Parce qu'ils
ne se sont pas convertis au Christ, les incrdules, insensibles la lumire qui glorifie, sont dj condamns aux
tnbres et l'ombre de la mort ; ils sont dtourns de la vie, qui est le Christ, dont la plnitude peut seule
rassasier par leur union avec lui ceux qui sont dans la gloire. Nous en reparlerons plus bas, au sujet de l'glise, en
nous appuyant sur les mmes bases, pour notre consolation.


10 - LA SENTENCE DU JUGE

Aucun des mortels n'est manifestement en tat de comprendre ce jugement et la sentence de ce juge.
Car, tant suprieur tout temps et tout mode, ce jugement n'implique pas de discussion comparative ou
prsomptive. Il est dgag de la ncessit de s'exprimer par des mots ou autres signes de ce genre, qui impliquent
la dure. Mais, de mme que tout a t cr dans le verbe, comme il a dit et comme cela s'est produit, c'est dans
le verbe aussi, qu'on appelle galement raison, que toutes choses sont juges. Et il n'y a pas d'intervalle entre la
sentence et l'excution, mais les deux oprations se font en un instant ; la rsurrection et le fait d'atteindre le but
dernier, celle-ci se faisant de deux manires diffrentes : la glorification qui consiste passer au nombre des fils
de Dieu, et la damnation ou exclusion de ceux qui se sont dtourns de Dieu, ne se distinguent par aucun
intervalle de temps, ft-ce indivisible.
La nature intellectuelle, qui domine le temps et n'est pas sujette la corruption temporelle, embrassant
en elle, de par sa nature mme, les formes incorruptibles, comme, sans doute, les sciences mathmatiques,
abstraites comme elle, et aussi les sciences naturelles, que renferme la nature intellectuelle elle-mme et qui
peuvent se rsoudre en elle, qui sont pour nous le signe manifeste de son incorruptibilit, parce qu'elle est le lieu
incorruptible des choses incorruptibles, la nature intellectuelle se meut d'un mouvement naturel vers la vrit la
plus abstraite, comme vers la fin de ses dsirs et l'objet dernier de sa plus parfaite dlectation. Et comme cet
objet est tout, puisque c'est Dieu, l'entendement immortel et incorruptible est insatiable jusqu' ce qu'il l'atteigne,
puisqu'il ne peut se satisfaire que d'un objet ternel.
Que si l'entendement, dtach de ce corps, dans lequel il est soumis aux opinions qui lui viennent
du temps, n'atteint pas la fin qu'il souhaite, mais plutt tombe dans l'ignorance en recherchant la vrit ; quand,
comme dans son ultime dsir il ne dsire rien d'autre que de saisir la vrit, non point travers des nigmes ou
des symboles, mais avec certitude et en face, il tombe, parce qu'il s'est dtourn de la vrit l'heure de la
sparation et s'est tourn vers la corruption, au dsir de la corruption, l'incertitude et la confusion du
tnbreux chaos de la pure possibilit, o il n'y a pas de certitude en acte, on dit avec raison qu'il est dchu
jusqu' la mort intellectuelle. Car, pour l'me doue d'intelligence, l'intelligence est son tre, et l'intelligence de
son dsir, sa vie. Et de mme que la vie ternelle consiste pour elle saisir l'objet dernier de son dsir,
l'immuable, l'ternel, de mme la mort ternelle consiste tre spare de cette stabilit dsire pour tre
prcipite dans le chaos mme de la confusion, o elle est sa manire tourmente par un feu perptuel, que
nous ne pouvons concevoir autrement que comme le tourment de l'tre qui est priv de la nourriture et de la sant
de la vie et, qui plus est, de l'espoir de les possder jamais, au point que, sans pouvoir s'teindre et finir sa vie, il
meurt dans une agonie perptuelle.
C'est une vie de souffrances qui dpassent tout ce qu'on peut imaginer ; une vie qui est une mort ; une
existence qui est un nant ; une intelligence des choses qui est une ignorance. On a montr dans ce qui prcde,
que la rsurrection des hommes est suprieure tout mouvement, temps, quantit et autres choses soumises au
temps ; que le prissable devient imprissable, l'animal, tre spirituel ; au point que l'homme tout entier est
entendement personnel, qui est esprit, et que le corps est vritablement absorb dans l'esprit, si bien que le corps
n'existe pas en soi, comme dans ses rapports qualitatifs et temporels, mais rapport l'esprit, au contraire de ce
qui se passe prsentement pour notre corps, o ce n'est point l'entendement, mais le corps que l'on voit, et dans
lequel l'entendement lui-mme apparat comme emprisonn. L-haut au contraire le corps est absorb dans
l'esprit, comme ici-bas l'esprit dans le corps. Et tandis qu'ici-bas l'me est alourdie par le corps, l-haut le corps
est allg par l'esprit. Par suite, de mme que les joies spirituelles de la vie intellectuelle sont les plus grandes,
joies auxquelles le corps lui-mme glorifi participe en esprit, de mme aux enfers les tristesses de la mort
spirituelle sont les plus grandes tristesses que connat aussi en esprit le corps. Et puisque notre Dieu, qui est saisi
comme vie ternelle, n'est comprhensible que par del tout entendement, ces joies ternelles, qui dpassent tout
entendement tel que le ntre, sont trop grandes pour qu'aucun signe puisse les communiquer. Pareillement, les
peines des damns dpassent toutes les peines que l'on puisse imaginer et dcrire. C'est pourquoi, dans tous ces
signes de joie, de liesse et de gloire emprunts l'harmonie musicale, que nos pres nous ont transmis comme
des signes connus de nous pour porter des jugements sur la vie ternelle, certains de ces signes sensibles sont
infiniment loigns de ces joies de l'intelligence qui chappent toute imagination. De mme pour les peines de
l'enfer, qui sont assimiles au feu de soufre, de poix et autres engins de torture sensibles et qui ne peuvent tre
compars ces souffrances du feu intellectuel, dont juge bon de nous prserver Jsus-Christ, notre vie et notre
salut, qui est bni pour tous les sicles. Ainsi soit-il.


11 - LES MYSTRES DE LA FOI

Nos anctres affirment d'une voix unanime que la foi est le commencement de la connaissance
intellectuelle. Dans tout domaine, en effet, il faut supposer certaines choses comme principes premiers,
principes qui relvent de la seule foi, et dont jaillit l'intelligence des matires que l'on traite. Tout homme qui
veut s'lever la connaissance doit ncessairement croire aux choses sans lesquelles il ne peut s'lever. Comme
le dit Esa : Si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez pas. La foi implique donc en elle tout ce qui est
intelligible. L'intelligence, en retour, est ce qu'implique la foi. L'entendement est donc dirig par la foi, et la foi
est dveloppe par l'entendement. O il n'y a point de saine foi, il n'y a donc point de vritable intelligence. On
sait quelle conclusion conduisent l'erreur de principe et la fragilit des fondements. Il n'y a pas de foi plus
parfaite que la vrit elle-mme, qui est Jsus. Qui ne comprend pas que le don par excellence de Dieu, c'est la
foi parfaite ? L'aptre Jean dit que la foi dans l'incarnation du Verbe de Dieu nous conduit la vrit, afin que
nous devenions fils de Dieu, c'est ce qu'il montre simplement dans son exorde ; puis il raconte de nombreuses
uvres du Christ conformes cette croyance que l'intelligence reoit sa lumire de la foi. Il en vient finalement
cette conclusion : Ces choses ont t crites pour que vous croyiez que Jsus est le fils de Dieu.
La foi si douce dans le Christ, fermement soutenue dans la simplicit de cur, peut tre graduellement
tendue et dveloppe suivant la science que nous avons donne de l'ignorance. Car les mystres de Dieu les
plus grands et les plus profonds, cachs ceux qui se promnent dans le monde, quelle que soit leur sagesse, ont
t rvls aux petits et aux humbles qui ont foi en Jsus, parce que Jsus est celui en qui tous les trsors de la
sagesse et de la science sont renferms, et sans lequel nul ne peut rien. Car il est le Verbe et la puissance par
laquelle Dieu a cr les sicles mmes, et qui seul a pouvoir sur toutes les choses du ciel et de la terre, lui, l'tre
sublime entre tous. Celui-ci, n'tant pas connaissable en ce monde, o la raison, l'opinion ou la science nous
conduisent par des symboles du connu l'inconnu, ne peut tre saisi que l o cesse la dmonstration et o
commence la foi, par laquelle nous sommes ravis dans la simplicit de notre cur, au point qu'au-dessus de toute
raison et intelligence, dans le troisime ciel de l'intellectualit la plus simple, nous le contemplions
incorporellement dans son corps, parce qu'en esprit, d'une faon trangre au monde dans le monde, mais
clestement et incomprhensiblement, afin que nous nous rendions compte aussi qu'il est incomprhensible en
raison de son excellence infinie.
C'est l cette docte ignorance, par laquelle saint Paul lui-mme s'leva l'ide que ce Christ, qu'il ne
connut par le savoir que quelque temps, il l'ignorait, quand il se haussa jusqu' lui. Nous sommes donc conduits,
nous, fidles du Christ, dans la docte ignorance, jusqu' cette montagne qu'est le Christ, que la nature de notre
animalit nous empche d'atteindre, et qui est telle que, quand nous nous efforons de l'apercevoir avec l'il de
notre intelligence, nous sombrons dans le brouillard, sachant seulement que ce brouillard nous cache la
montagne, que ceux-l seuls peuvent habiter qui ont la puissance de l'esprit. Si nous nous approchons de cette
montagne avec une plus grande fermet dans notre foi, sous sommes ravis aux yeux de ceux qui errent dans le
monde des sens, au point d'entendre intrieurement les voix, le tonnerre et les signes terribles de la majest de
Dieu ; nous percevons facilement le Seigneur lui-mme, auquel obissent toutes choses parvenant par degrs aux
traces imprissables de ses pas, comme je ne sais quels caractres divins ; et, entendant la voix, non des
cratures mortelles, mais de Dieu mme en ses saints organes et dans les signes de ses Prophtes et de ses Saints,
nous les contemplons plus clairement, comme travers le voile de la raison. Puis les croyants, possds d'un
dsir plus ardent, s'levant continuellement, sont ravis jusqu' l'intellectualit dans sa simplicit, passant, par-
dessus toutes choses sensibles, comme du sommeil la veille, de l'oue la vue, l o l'on voit de ses yeux ce qui
ne peut tre rvl, parce qu'il n'y a pas d'oreille qui puisse les comprendre, pas de voix qui puisse les enseigner.
Car, si ce qui est rvl l devait tre exprim, c'est l'inexprimable que l'on exprimerait et l'inaudible que l'on
entendrait, de mme que c'est l'invisible que l'on voit l-bas. Jsus, en effet, bni au sicle des sicles, fin de
toute intellection, puisqu'il est vrit ; fin de toute sensibilit, puisqu'il est vie ; fin en dernier lieu de tout tre,
parce qu'il est l'tre ; perfection de tout tre cr en tant que Dieu et homme, est inconcevablement entendu l-
bas comme le terme suprme de toute voix. C'est de lui que procde, lui que retourne toute voix ; tout ce qu'il y
a de vrai dans la voix vient de lui. Toute voix a pour fin l'dification, donc lui-mme, qui est la sagesse mme.
Tout ce qui a t crit l'a t pour notre dification. La voix se reprsente dans l'criture, les cieux sont soutenus
par le Verbe de Dieu. Donc, toutes les choses cres sont le signe du Verbe de Dieu. Toute voix corporelle est le
signe du Verbe spirituel. La cause de tout verbe spirituel corruptible est le Verbe incorruptible, la raison. Le
Christ incarne la raison de toutes les raisons, parce que le Verbe s'est fait chair. Jsus est donc la fin de tout.
Telles sont les vrits qui se rvlent par degrs celui qui s'lve au Christ par la foi. Foi dont la divine
efficacit ne s'explique pas, car, si elle est grande, elle unit le croyant Jsus au point qu'il est lev au-dessus de
tout ce qui n'est pas en communion avec Jsus. Le croyant, si sa foi est entire en la vertu de Jsus auquel il est
uni, a plein pouvoir sur la nature et le mouvement, il commande mme aux esprits malins, et opre des miracles
non par lui-mme, mais en Jsus mme et par lui, comme le montrent les actes des Saints.
Mais il faut que la foi parfaite en Jsus-Christ soit parfaitement pure, aussi grande que possible, forme
par la charit, autant que faire se peut. Elle ne souffre aucun mlange, car elle est la foi en la vrit la plus pure et
puissante en toutes choses. Nous avons dit trs souvent dans ce qui prcde que le maximum concide avec le
minimum. Il en va ainsi de la foi, qui ne peut tre maxima dans son tre et son pouvoir chez le plerin qui ne la
comprend pas en mme temps, comme Jsus. Pour le voyageur terrestre qui veut possder la foi maxima telle
que Jsus l'a possde en acte, il faut que cette foi s'lve un tel degr de rectitude indubitable que, mme dans
une foi minima, la certitude soit entire et dpourvue de quelque hsitation que ce soit.
Telle est la toute-puissance de la foi qui est maxima et minima en sorte qu'elle embrasse tout ce qui peut
tre cru dans celui qui est la vrit. Et s'il arrive que la foi de l'un n'atteint pas le degr de l'autre, parce que
l'galit n'est pas possible absolument, tout comme une chose visible ne peut tre vue galement de plusieurs, il
faut cependant que chacun, autant qu'il est en lui, ait la foi maxima en acte. Alors celui qui, en comparaison des
autres obtiendrait de foi peine gros comme un grain de moutarde, possderait une telle puissance que les
montagnes lui obiraient, s'il leur commandait dans la puissance du Verbe de Dieu avec lequel, autant qu'il est en
lui, son union est maxima grce la foi, laquelle rien ne peut rsister.
Quel n'est pas le pouvoir de l'esprit intelligent qui demeure dans la vertu du Christ, s'il s'attache elle
par-dessus tout, au point de ne vivre que par elle et comme en elle, par une union qui sauvegarde son
indpendance personnelle, comme s'il reposait hypostatiquement sur elle ! Mais comme cela n'est possible que
par la conversion de l'entendement, auquel obissent les sens, au Christ, grce la foi maxima, il faut que celle-
ci soit forme par la charit qui procure l'union ; car la foi ne peut tre maxima sans la charit. Car si tout tre
vivant aime vivre, et tout tre intelligent comprendre, comment peut-on croire que Jsus soit la vie
immortelle et la vrit infinie, si on ne l'aime au maximum ? C'est par lui en effet que la vie est digne qu'on
l'aime, et si l'on croit fermement que Jsus est la vie ternelle, on ne peut pas ne pas l'aimer. Car ce n'est pas une
foi vivante, mais une foi morte, une foi qui n'en est pas une, que la foi sans la charit.
La charit de son ct est la forme de la foi ; elle lui donne son tre vritable, que dis-je ? elle est le
signe de la constance de la foi. Si donc nous prfrons le Christ tout, si nous tenons pour rien auprs de lui
notre corps et notre vie, c'est le signe de la foi maxima, et la foi ne peut tre grande sans le saint espoir de jouir
de Jsus lui-mme. Comment aurait-on une foi assure, si l'on ne croyait pas aux promesses du Christ ? Si l'on
n'esprait pas la vie ternelle que le Christ a promise ses fidles, comment croire au Christ, comment croire
qu'il est la vrit mme ? Si l'on n'a pas foi en ces promesses, comment celui qui n'esprerait pas l'immortalit
choisirait de mourir pour le Christ ? Et parce qu'il croit que le Christ n'abandonne pas ceux qui esprent en lui,
mais leur donne la batitude ternelle, le fidle tient pour un faible sacrifice de souffrir toutes choses pour le
Christ en change d'une pareille rcompense.
Grande est assurment la puissance de la foi. Elle fait l'homme l'image du Christ, au point qu'il
abandonne les plaisirs sensibles, se dpouille des contagions de la chair, marche dans les voies du Dieu qu'il
craint, suit avec joie les pas du Christ et accepte volontairement la croix avec transports ; il vit dans la chair
comme un pur esprit ; ce monde, c'est pour lui mourir pour le Christ, en tre spar, pourvu que ce soit avec le
Christ, est sa vie. Quel n'est pas cet esprit, que le Christ habite par la foi ! Quel don admirable de Dieu, quand il
nous a donn de pouvoir nous lever par la vertu de la foi dans notre plerinage, dans notre frle chair, jusqu'au
pouvoir souverain sur tout ce qui n'est pas le Christ et en union avec lui ! Que chacun, en mortifiant par degrs sa
chair, s'lve peu peu par la foi jusqu' l'union avec le Christ, afin de s'absorber en lui par une union profonde,
autant que c'est possible dans cette vie. L, passant par-dessus toutes les choses visibles de ce monde, il atteint la
complte perfection de sa nature.
Voil la nature accomplie que nous pourrons atteindre dans le Christ par la mortification de la chair et
du pch, transforms son image. Ce n'est point cette nature due l'imagination des mages, qui disent que
l'homme s'lve par l'intermdiaire de la foi, une certaine nature par je ne sais quelles oprations d'esprit qui
agissent conjecturalement sur lui, au point que, par la vertu de ces esprits, auxquels ils s'unissent par la foi, ils
accomplissent de nombreux et rares miracles dans le feu, l'eau, les sciences harmoniques, les transmutations
apparentes, la manifestation des forces occultes et autres choses semblables. Il y l, manifestement, une erreur et
un loignement de la vrit. Parce que ces magiciens sont lis par des pactes d'union avec les esprits du mal, au
point qu'ils montrent effectivement ce qu'ils croient dans les actes de purification et d'adoration qui ne sont dus
qu' Dieu et qu'ils adressent aux esprits, comme s'ils pouvaient remplir leurs dsirs et tre voqus, comme
mdiateurs, dans des prires pleines d'une respectueuse vnration. Ils obtiennent parfois par leur foi les biens
prissables qu'ils demandent, par leur union avec l'esprit auquel, spars du Christ pour l'ternit, ils resteront
attachs mme dans les supplices. Bni soit Dieu, qui par son Fils nous a rachets des tnbres d'une si grande
ignorance, afin que nous sachions que toutes choses sont fausses et trompeuses qui sont obtenues par un autre
mdiateur que le Christ, qui est la vrit avec une autre foi que la foi en Jsus. Car il n'y a qu'un seul Seigneur,
Jsus, dont la puissance s'tend sur toutes choses, qui nous remplit de toute bndiction et qui seul complte
toutes nos imperfections et y supple.

12 - L'GLISE

Quoique l'on puisse comprendre ce qu'est l'glise du Christ d'aprs ce que nous avons dit, j'ajouterai
quelques mots rapides pour que rien ne manque mon ouvrage.
Puisqu'il est ncessaire que la foi soit ingalement rpartie, des degrs divers, parmi les hommes, et
qu'elle en reoive des degrs de plus ou de moins, personne ne peut atteindre la foi maxima, la plus grande
puissance qui soit, non plus que la clart maxima. Car la foi maxima, la plus grande puissance qui soit, si un
plerin de ce monde la possdait, il faudrait qu'il ft capable lui-mme de l'embrasser. Car le maximum dans un
genre quel qu'il soit, s'il en est le terme le plus lev, est aussi le dbut du genre suprieur. C'est pourquoi la foi
maxima ne peut exister simplement en aucun homme qui ne soit en mme temps capable de la comprendre. De
mme la charit ne peut tre simplement maxima chez celui qui aime s'il n'est en mme temps aim. C'est
pourquoi ni la foi ni la charit ne peuvent tre simplement maxima chez un autre que Jsus-Christ, l'homme
aimant et le Dieu aim. Mais dans les limites du maximum toutes choses sont incluses, parce qu'il enveloppe
tout. Par suite, c'est dans la foi de Jsus-Christ qu'est incluse toute vraie foi, dans la charit de Jsus-Christ qu'est
incluse toute vraie charit, les degrs restant cependant toujours distincts. Et parce que ces degrs distincts sont
au-dessous du maximum et au-dessus du minimum, nul ne peut, mme s'il a rellement, autant qu'il est en lui, la
foi en Jsus-Christ, atteindre la foi maxima du Christ, grce laquelle il saisirait le Christ comme Dieu et
homme. Et l'on ne peut aimer le Christ au point qu'on ne puisse l'aimer davantage, parce que le Christ est amour
et charit et consquemment digne d'tre aim infiniment. C'est pourquoi nul ne peut, dans cette vie ou dans la
vie future, aimer le Christ au point d'tre lui-mme Christ et homme. Tous ceux qui, ou bien dans cette vie par la
foi et la charit, ou bien par leur comprhension et leur jouissance du Christ dans une autre vie, sont unis au
Christ (sans prjudice d'une diffrence de degrs), ne sont pas unis lui au point de ne pouvoir l'tre davantage
(sans prjudice de cette diffrence de degrs) ; si bien que personne ne peut se maintenir en soi et sans cette
union, et que personne ne perd par cette union son propre degr.
Cette union est l'glise, ou runion de beaucoup en un seul, de mme que beaucoup de corps sont runis
en un corps unique, chacun sa place propre ; l'un des membres n'est pas l'autre, et aucun d'eux n'existe que dans
le corps, par l'intermdiaire de celui auquel il est uni ; aucun d'eux ne peut avoir de vie et d'existence
indpendantes du corps, quoique dans le corps un membre ne soit pas tous les membres si ce n'est par
l'intermdiaire du corps. C'est pourquoi la vrit de notre foi, dans notre plerinage en ce monde, ne peut
subsister que dans l'esprit du Christ sans prjudice du rang des croyants, si bien que la diversit se fond dans
l'harmonie dans le seul Jsus. Et quand nous nous dtacherons de l'glise militante, notre rsurrection, nous ne
pourrons ressusciter que dans le Christ, afin qu'ainsi encore l'glise triomphante soit une, chacun demeurant
son rang. Et alors la vrit de notre chair n'existera pas en soi, mais dans la vrit de la chair du Christ, la vrit
de notre corps n'existera que dans la vrit du corps du Christ, et la vrit de notre esprit dans la vrit de l'esprit
de Jsus-Christ, comme les sarments de la vigne ; en sorte qu'il n'y a, par le Christ, qu'une seule humanit parmi
tous les hommes, un seul esprit, celui du Christ, dans tous les esprits, si bien que chacun est en lui, comme il n'y
a qu'un seul Christ form de la runion de tous. Et alors celui qui reoit en cette vie un seul de tous ceux qui sont
le Christ, reoit le Christ, et ce que l'on fait un seul des plus petits des siens, c'est lui qu'on le fait. Celui qui
blesse la main de Platon, blesse Platon, et celui qui blesse la plus petite partie d'un homme blesse l'homme tout
entier ; celui qui dans sa patrie se rjouit du plus humble, se rjouit du Christ, et en tout homme voit le Christ, et
par lui. Dieu. C'est ainsi que notre Dieu, par son Fils, est toutes choses en tout, et chacun est dans le Fils, et par
lui avec Dieu et toutes choses, si bien qu'il est plein de joie, sans jalousie ni dfaut.
Et puisque la foi peut constamment tre augmente en nous, pendant notre plerinage terrestre, la
charit elle aussi, quoique chacun ne puisse rellement pas tre un degr tel qu'il ne puisse avec ses propres
forces s'lever un plus haut, quand elle est un degr, est en puissance de s'lever un autre, quoique la
progression ne puisse aller l'infini. D'o il suit que nous devons travailler, par la grce de notre Seigneur Jsus-
Christ, porter notre possibilit l'actualit, afin d'aller ainsi de vertu en vertu, et de degr en degr, par lui qui
est la foi et la charit, sans lequel nous ne pouvons rien tirer de nous, autant qu'il est possible ; mais tout ce que
nous pouvons, c'est en lui que nous le pouvons, lui qui est seul capable de combler nos imperfections, afin que
nous nous trouvions tre un de ses membres pleins de sant et de noblesse au jour de la rsurrection. Et cette
faveur de grandir en foi et charit, c'est en croyant et aimant de toutes nos forces, dans une prire assidue, que
nous pouvons sans aucun doute l'obtenir, nous approchant en confiance de son trne, car il est plein de pieuse
tendresse, et ne laisse personne avec un saint dsir inassouvi.
Si tu mdites ces choses, telles qu'elles sont, au plus profond de ton esprit, tu seras inond de je ne sais
quelle ivresse intellectuelle, tu sentiras, du plus profond de tes sens, comme dans une fume embaume,
l'inexprimable bont de Dieu, qu'il fera passer en toi, et dont tu pourras te rassasier quand sa gloire sera apparue ;
tu en seras rassasi, je le rpte, sans en tre fatigu ; car cette nourriture immortelle est la vie mme. Et de
mme que grandit continuellement le dsir de vivre, on a toujours faim de cette nourriture de vie, sans que cette
nourriture s'incorpore la nature de celui qui s'en nourrit. Car alors elle serait un mets rebutant qui alourdirait et
ne pourrait donner la vie ternelle, car elle reclerait des dfauts et deviendrait l'tre nourri.
Le dsir de notre intelligence est de vivre selon l'intelligence, c'est--dire d'entrer de plus en plus
profondment, d'une faon continue, dans la vie et dans la joie. Et comme la vie est infinie nous serons
constamment ports en elle dans le bonheur au gr de notre dsir. C'est pourquoi on est rassasi comme ceux qui
ont soif et boivent la source de vie, et comme cette action de boire n'est pas transitoire, comme elle est
ternelle, ceux qui boivent sont toujours heureux, ils se rassasient sans jamais cesser de boire ou s'en lasser. Bni
soit Dieu qui nous a donn un entendement qui ne se rassasie pas dans le temps, et dont le dsir illimit se saisit
lui-mme comme immortel et suprieur au temps, du fait qu'il provient d'un dsir insatiable dans le temps, et
reconnat qu'il ne peut se rassasier de la vie intellectuelle qu'il dsire, sinon dans la jouissance du souverain bien
qui ne fait jamais dfaut, et dont la jouissance ne passe pas, parce que l'apptit ne dcrot pas avec la satisfaction.
Pour prendre un exemple emprunt au corps, c'est comme si un homme affam s'asseyait la table d'un puissant
monarque, o on lui fournirait des mets au gr de son dsir, au point qu'il n'en souhaiterait pas d'autres, des mets
capables par leur nature d'exciter l'apptit tout en rassasiant ; si cette nourriture ne venait jamais lui manquer, le
convive, toujours rassasi demanderait videmment toujours le mme mets, auquel ne cesserait de le porter son
dsir ; aussi serait-il toujours capable de prendre la nourriture qui, par sa nature, porterait continuellement celui
qu'elle nourrit vers elle en enflammant son dsir. Cette facult que possde la nature intellectuelle, en recevant en
elle la vie, de se transformer en elle, selon sa nature transformable, de mme que l'air, recevant les rayons du
soleil, se transforme en lumire. C'est pourquoi l'entendement, du moment que sa nature permet une
transformation l'intelligibilit, ne comprend pas que l'universel, l'incorruptible et le permanent, parce que la
vrit incorruptible est son objet, vers lequel il est intellectuellement port, vrit qu'il saisit, dans l'ternit et
dans la quitude paisible, en Jsus-Christ.
Voil l'glise triomphante, dans laquelle est notre Dieu, dont le nom est bni dans tous les sicles ; o,
par une suprme union, Jsus-Christ, l'homme vritable est uni Dieu le fils par une union telle, que son
humanit ne se maintient que dans sa divinit. Cette union hypostatique ineffable est telle, que, bien que subsiste
la vrit de la nature humaine, l'union ne peut tre porte un plus haut degr de simplicit. Puis toute nature
raisonnable, sans rien perdre de sa vrit personnelle, s'unit ce point au Christ, si elle s'est convertie lui dans
cette vie avec toute la force de la foi, de l'esprance et de la charit, que tous, anges ou hommes, n'existent plus
que dans le Christ, par l'intermdiaire duquel elle est attire Dieu par l'esprit et absorbe en lui, qui est la vrit
de chaque corps ; si bien que chacun des bienheureux, tout en conservant la vrit de son propre tre est Christ
en Jsus-Christ, et, par lui Dieu en Dieu, et que Dieu, tout en restant le maximum absolu, est, en Jsus-Christ,
Jsus lui-mme et par lui toutes choses en tout.
L'glise ne peut tre plus une par aucun autre moyen. Car l'glise prononce l'unit de plusieurs, sans
atteindre la vrit personnelle de chacun, et sans confusion de natures ou de degrs. Plus l'glise est une, plus
elle est grande. L'glise la plus grande est donc l'glise ternellement triomphante, parce qu'une plus grande unit
de l'glise est impossible. Admirons donc ici cette union o l'on trouve l'union divine du maximum absolu,
l'union en Jsus de la dit et de l'humanit et l'union de l'glise triomphante dans la dit de Jsus, et des
bienheureux. Et l'union absolue n'est ni plus grande ni plus petite que l'union des natures en Jsus ou des
bienheureux dans leur patrie, parce que l'union maxima est l'union de toutes les unions ; et cette union, qui est
toute union, n'est susceptible ni de plus ni de moins, et procde de l'unit et de l'galit, comme nous le montrons
au premier livre. Et l'union des natures dans le Christ n'est ni plus grande ni plus petite que l'unit de l'glise
triomphante, parce que, tant l'union maxima des natures, elle n'admet pas de plus ou de moins. Par suite, toutes
les choses opposes qui sont unies, tirent leur unit de l'union maxima des natures dans le Christ, unit par
laquelle l'union de l'glise est ce qu'elle est. L'unit de l'glise est l'unit maxima de l'glise. C'est pourquoi cette
unit, quand elle est maxima, concide avec l'unit hypostatique des natures dans le Christ. Et cette union des
natures en Jsus, quand elle est maxima, concide avec l'unit absolue, qui est Dieu. Et c'est ainsi que l'unit de
l'glise, qui est celle des choses qu'elle suppose, bien qu'elle n'apparaisse pas ce point une, comme l'unit
hypostatique, qui n'est que l'union des natures, ou comme ce qui est parfaitement simple et divin, o il ne peut y
avoir ni altrit ni diversit, l'unit de l'glise se rsoud cependant grce Jsus dans l'unit divine, d'o elle tire
son commencement. La chose s'clairera certainement, si l'on se reporte ce que nous rptons plus haut. Car
l'unit absolue est le Saint-Esprit. Et l'unit maxima hypostatique concide avec l'unit absolue ; parce que l'unit
des natures dans le Christ existe ncessairement par l'unit absolue, qui est le Saint-Esprit, et en elle. D'autre part
l'unit de l'glise concide avec l'unit hypostatique, comme il est dit prcdemment ; parce que c'est dans l'esprit
de Jsus qu'est l'unit de l'glise triomphante, qui consiste dans le Saint-Esprit. Ainsi que le dit la parole de vrit
dans saint Jean : Je leur ai donn la gloire que tu m'as donne afin qu'ils soient un, comme nous sommes un,
moi en eux, et toi en moi, afin qu'ils soient parfaits dans l'unit. Afin que l'glise soit dans un ternel repos,
parfaite au point de ne pouvoir tre plus parfaite, dans une transformation si inexprimable de la gloire humaine,
que rien en toutes choses ne soit visible, sinon Dieu. Gloire laquelle nous aspirons, dans la certitude du
triomphe, d'une me ardente, priant Dieu le pre d'un cur suppliant, qu'il veuille bien, par son Fils, notre
Seigneur Jsus-Christ, et en lui, par le Saint-Esprit, nous en gratifier dans son immense bont, pour jouir
ternellement de celui qui est bni dans tous les sicles. Ainsi soit-il.

Reois aujourd'hui, vnrable Pre, ce que, depuis longtemps, j'ai dsir atteindre par les voies de
diverses doctrines ; mais auparavant je l'avais fait sans rsultat ; puis, mon retour de Grce, sur mer, sans doute
par un don du pre des lumires, de qui vient tout don excellent, j'ai t amen embrasser les choses
incomprhensibles d'une faon incomprhensible dans la docte ignorance, en dpassant ce que les hommes
peuvent savoir des vrits incorruptibles. C'est elle que, en celui qui est la vrit, j'ai dgage par ces livres que
l'on peut serrer de plus prs ou dvelopper encore d'aprs le mme principe. Mais, dans sa profondeur, tout
l'effort de notre esprit humain doit se porter l, afin de s'lever cette simplicit o concident les
contradictoires : c'est dans cette intention que j'ai conu mon livre premier. Le livre second tire de ces prmices,
au-dessus de la voie commune des philosophes, quelques considrations sur l'univers, peu banales pour
beaucoup de gens. Et maintenant j'ai termin mon livre troisime sur Jsus bni au-dessus de tout, progressant
toujours partir de la mme base, et le Seigneur Jsus a grandi continuellement dans mon intelligence et dans
mon amour, grce l'augmentation de ma foi. En effet, nul homme qui ait la foi du Christ ne peut refuser d'tre
plus profondment enflamm de dsir dans cette voie, de telle faon qu'aprs avoir longuement mdit, aprs
s'tre lev souvent, il voie que, seul, le trs doux Jsus est digne qu'on l'aime, il abandonne tout avec joie, et
l'embrasse comme tant la vritable vie et la joie ternelle. Devant celui qui entre ainsi en Jsus tout cde ; il
n'est d'criture, il n'est rien au monde qui puisse lui faire quelque difficult ; car celui-l est transform en Jsus,
parce qu'il a en lui l'esprit du Christ qui est la fin des dsirs intellectuels ; prie-le assidment d'un cur suppliant,
Pre trs pieux, pour le misrable pcheur que je suis, afin que nous mritions de jouir de lui ensemble, dans
l'ternit.


TABLE DES MATIRES

I.
1. Comment savoir est ignorer
2. claircissement prliminaire des pages qui suivent
3. La vrit prcise est insaisissable
4. Le maximum absolu est compris sans tre saisi avec lui concide le minimum.
5. Le maximum est un
6. Le maximum est la ncessit absolue.
7. De l'ternit trine et une
8. De la gnration ternelle.
9. Procession ternelle de la connexion
10. Comment l'intelligence de la trinit dans l'unit dpasse toute chose
11. De l'aide puissante des mathmatiques dans l'apprhension des diverses vrits divines.
12. Comment faut user des signes mathmatiques pour l'usage que nous voulons en faire.
13. Les passions de la ligne maxima et infinie.
14. Comment la ligne infinie est un triangle
15. Ce triangle est un cercle
16. Le maximum est par transposition toutes choses ce que la ligne maxima est aux lignes
17. Enseignements trs profonds tirs du mme principe.
18. Comment, du mme principe, nous sommes conduits l'intelligence de la participation de l'entit
19. Transomption du triangle la trinit maxima
20. Encore au sujet de la trinit : la quaternit et plus n'est pas possible dans les choses divines
21. Transomption du cercle infini & l'unit.
22. La providence de Dieu unit les contradictoires.
23. Transomption de la sphre infinie l'existence actuelle de Dieu.
24. La dnomination de Dieu et la thologie affirmative.
25. Les gentils nommaient Dieu de diverses faons, en considration des cratures
26. La thologie ngative

II.

1. Corollaires prliminaires & l'tablissement de l'unit infinie universelle
2. Comment l'tre de la crature est, d'une faon incomprhensible, de par l'tre du [maximum premier
3. Comment le maximum enferme et dveloppe toutes choses d'une faon inintelligible. .
4. Comment l'univers maximum restreint n'est qu'une reproduction de l'absolu.
5. N'importe quoi en n'importe quoi
6. L'implication et le degr de dveloppement de l'univers
7. La trinit de l'univers
8. La possibilit ou matire de l'univers
9. L'me on forme de l'univers.
10. L'esprit de l'univers.
11. Corollaires sur le mouvement
12. Les conditions de la terre.
13. L'art admirable de Dieu dans la cration du monde et des lments

III.

1. Le maximum restreint ceci ou cela, qui est le plus grand possible, ne peut exister sans un absolu.
2. Le maximum restreint est aussi absolu, crateur et crature.
3. C'est seulement dans la nature de l'humanit qu'un tel maximum est possible.
4. Ce maximum est Jsus, l'tre bni, l'homme-Dieu.
5. Le Christ, conu du Saint-Esprit, est n de la Vierge Marie.
6. Le mystre de la mort de Jsus-Christ.
7. Le mystre de la rsurrection
8. Le Christ, prmices de ceux qui dorment est mont aux cieux
9. Le Christ juge des vivants et des morts.
10. La sentence du juge
11. Les mystres de la foi
12. L'glise

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