Textes Sur La Liberte2011
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Liberté, détermination et indétermination : le libre arbitre n'est pas une liberté d'indifférence
« Quand je dis que nous avons le sentiment intérieur de notre liberté, je ne prétends pas soutenir que
nous ayons le sentiment intérieur d'un pouvoir de nous déterminer à vouloir quelque chose sans aucun
motif physique (l) ; pouvoir que quelques gens appellent indifférence pure. Un tel pouvoir me paraît
renfermer une contradiction manifeste (...); car il est clair qu'il faut un motif, qu'il faut pour ainsi dire
sentir, avant que de consentir. Il est vrai que souvent nous ne pensons pas au motif qui nous a fait agir;
mais c'est que nous n'y faisons pas réflexion, surtout dans les choses qui ne sont pas de conséquence.
Certainement il se trouve toujours quelque motif secret et confus dans nos moindres actions; et c'est
même ce qui porte quelques personnes à soupçonner et quelquefois à soutenir qu'ils (2) ne sont pas
libres; parce qu'en s'examinant avec soin, ils découvrent les motifs cachés et confus qui les font vouloir. Il
est vrai qu'ils ont été agis pour ainsi dire, qu'ils ont été mus; mais ils ont aussi agi par l'acte de leur
consentement, acte qu'ils avaient le pouvoir de ne pas donner dans le moment qu'ils l'ont donné; pouvoir,
dis-je, dont ils avaient le sentiment intérieur dans le moment qu'ils en ont usé, et qu'ils n'auraient osé
nier si dans ce moment on les en eût interrogés. »
N. MALEBRANCHE, De la recherche de la vérité, Ier Eclaircissement
(]) motif physique : motif qui agit sur la volonté
(2) ils, c'est-à-dire : ces personnes
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demandez-lui si, dans le cas où son prince lui ordonnerait, en le menaçant d'une mort immédiate, de
porter un faux témoignage contre un honnête homme qu'il voudrait perdre sous un prétexte plausible, il
tiendrait comme possible de vaincre son amour pour la vie, si grand qu'il puisse être. Il n'osera peut-être
assurer qu'il le ferait ou qu'il ne le ferait pas, mais il accordera sans hésiter que cela lui est possible. Il
juge donc qu'il peut faire une chose, parce qu'il a conscience qu'il doit (soll) la faire et il reconnaît ainsi en
lui la liberté qui, sans la loi morale, lui serait restée inconnue ».
E. KANT, Critique de la raison pratique,
trad. Picavet, PUF, pp. 29-30.
« Nous devons envisager l'état présent de l'univers comme l'effet de son état antérieur, et comme la
cause de celui qui va suivre. Une intelligence qui, pour un instant donné, connaîtrait toutes les forces dont
la nature est animée et la situation respective des êtres qui la composent, si d'ailleurs elle était assez
vaste pour soumettre ces données à l'analyse, embrasserait dans la même formule les mouvements des
plus grands corps de l'univers et ceux du plus léger atome : rien ne serait incertain pour elle, et l'avenir,
comme le passé, serait présent à ses yeux. L'esprit humain offre, dans la perfection qu'il a su donner à
l'astronomie, une faible esquisse de cette intelligence. Ses découvertes en mécanique et en géométrie,
jointes à celles de la pesanteur universelle, l'ont mis à portée de comprendre dans les mêmes expressions
analytiques les états passés et futurs du système du monde. En appliquant la même méthode à quelques
autres objets de ses connaissances, il est parvenu à ramener à des lois générales les phénomènes
observés, et à prévoir ceux que les circonstances données doivent faire éclore.»
P.S. LAPLACE (1749-1827), Essai philosophique sur les probabilités.
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sur elle ; ou enfin, il veut prouver en la surmontant ce qu'il a toujours pensé et dit de la liberté. Ces
motifs n'annulent pas la liberté, ils font du moins qu'elle ne soit pas sans étais (*) dans l'être. »
Maurice MERLEAU-PONTY
Phénoménologie de la perception
(*) soutiens
« L'argument décisif utilisé par le bon sens contre la liberté consiste à nous rappeler notre impuissance.
Loin que nous puissions modifier notre situation à notre gré, il semble que nous ne puissions pas nous
changer nous-mêmes. Je ne suis “libre” ni d'échapper au sort de ma classe, de ma nation, de ma famille,
ni même d'édifier ma puissance ou ma fortune, ni de vaincre mes appétits les plus insignifiants ou mes
habitudes. Je nais ouvrier, Français, hérédosyphilitique ou tuberculeux. L'histoire d'une vie, quelle qu'elle
soit, est l'histoire d'un échec. Le coefficient d'adversité des choses est tel qu'il faudrait des années de
patience pour obtenir le plus infime résultat. Encore faut-il “obéir à la nature pour la commander”, c'est-à-
dire insérer mon action dans les mailles du déterminisme. Bien plus qu'il ne paraît “ se faire ”, l'homme
semble “ être fait ” par le climat et la terre, la race et la classe, la langue, l'histoire de la collectivité dont il
fait partie, l'hérédité, les circonstances individuelles de son enfance, les habitudes acquises, les grands et
les petits événements de sa vie.
Cet argument n'a jamais profondément troublé les partisans de la liberté humaine : Descartes, le premier,
reconnaissait à la fois que la volonté est infinie et qu'il faut “tâcher à nous vaincre plutôt que la fortune”.
C'est qu'il convient ici de faire des distinctions ; beaucoup des faits énoncés par les déterministes ne
sauraient être pris en considération. Le coefficient d'adversité des choses, en particulier, ne saurait être
un argument contre notre liberté, car c'est par nous, c'est-à-dire par la position préalable d'une fin, que
surgit ce coefficient d'adversité. Tel rocher qui manifeste une résistance profonde si je veux le déplacer
sera, au contraire, une aide précieuse si je veux l'escalader pour contempler le paysage. En lui-même -
s'il est même possible d'envisager ce qu'il peut être en lui-même - il est neutre, c'est-à-dire qu'il attend
d'être éclairé par une fin pour se manifester comme adversaire ou comme auxiliaire. Encore ne peut-il se
manifester de l'une ou l'autre manière qu'à l'intérieur d'un complexe-ustensile déjà établi. Sans les pics et
les piolets, les sentiers déjà tracés, la technique de l'ascension, le rocher ne serait ni facile ni malaisé à
gravir ; la question ne se poserait pas, il ne soutiendrait aucun rapport d'aucune sorte avec la technique
de l'alpinisme. »
Jean-Paul Sartre (1905-1980)
L'Etre et le Néant, coll. Tel, éd. Gallimard, pp. 538-539