LA CONVERSION ET LE CARÊME - DANS L'ÉGLISE ORTHODOXE - Le Carême Dans Nos Vies - 1ère Partie PDF
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Aussi nouvelles et différentes que soient les conditions dans lesquelles nous
vivons aujourd'hui, aussi réels les difficultés et les obstacles dressés par
notre monde moderne, aucun d'eux n'est un obstacle absolu, aucun d'eux
ne rend le Carême impossible. Si le Carême a perdu progressivement de son
influence sur nos vies, il faut en chercher la vraie raison plus profonde.
C’est que consciemment ou non, nous avons réduit la religion à un
nominalisme et à un symbolisme superficiels, ce qui est précisément une
façon de passer à côté et d’évincer le sérieux des exigences de la religion sur
nos vies, exigences qui nous demandent engagement et effort. Cette
attitude, faut-il ajouter, est d'une certaine manière particulière à
l'Orthodoxie.
Ces Évangiles ne sont pas simplement à écouter à l'église ; l'essentiel est que
je les "emporte chez moi", et que je les médite en fonction de ma vie, de ma
situation familiale, de obligations professionnelles, de mes occupations
matérielles et de ma relation aux êtres humains avec lesquels,
concrètement, je vis.
"Ne détourne pas ton Visage de ton serviteur car je suis affligé".
En premier lieu, un effort sérieux doit être fait sur la plan paroissial pour
une célébration convenable des vêpres du Dimanche du Pardon. Il
faudrait que cela devienne dans la paroisse "la grande affaire" et, comme
telle, qu'elle soit bien préparée..., en faire un véritable événement spirituel.
Car, encore une fois, rien de mieux que cet Office ne révèle le sens du
Carême comme le "temps fort" du repentir et de la réconciliation, et comme
le départ ensemble pour un voyage en commun.
3. LA PRIÈRE ET LE JEÛNE
Il n'y a pas de Carême sans jeûne. Cependant, il semble qu’aujourd'hui
beaucoup ne prennent pas le jeûne au sérieux, ou bien s'ils le font, c'est en
méconnaissant son vrai but spirituel. Pour quelques-uns, le jeûne consiste à
renoncer symboliquement à quelque chose ; pour d'autres, c'est
l'observance scrupuleuse de règles alimentaires. Mais, dans les deux cas, le
jeûne est rarement mis en référence avec l'effort de Carême en sa totalité.
Ici comme ailleurs pourtant, nous devons d'abord essayer de comprendre
l'enseignement de l’Église quant au jeûne, puis nous demander : Comment
appliquer cet enseignement à notre vie ?
L’Église répond : parce que l’homme a refusé la vie telle que Dieu la lui
offrait et la lui donnait, et a préféré une vie qui dépende non de Dieu seul,
mais "de pain seulement". Non seulement il désobéit à Dieu et fut puni, mais
il transforma sa relation même avec le monde. À vrai dire, la création lui
avait été donnée par Dieu comme "nourriture", comme moyen de vie ; mais
la vie devait être communion avec Dieu ; elle avait en lui non seulement sa
fin, mais sa plénitude. En lui était la Vie, et la Vie était la Lumière. des
hommes (Jn 1,4).
Et puisque la question n'est pas une question purement théorique, mais que
je la sens avec mon corps tout entier, c'est aussi le temps de la tentation.
Satan vint trouver Adam au Paradis et il vint trouver le Christ au désert -
deux hommes affamés - et il leur dit la même parole : "Mangez, car votre
faim est bien la preuve que vous dépendez entièrement de la nourriture,
que votre vie est dans la nourriture." Et Adam la crut et mangea ; mais le
Christ rejeta cette tentation et dit : L’homme ne vit pas seulement de pain,
mais de Dieu (cf. Mt 4,4). Il refusa d’accepter ce mensonge cosmique que
Satan impose au monde et dont il a fait une vérité si évidente qu'on ne la
discute même plus, et qui est devenue le fondement de notre vision du
monde, de la science, de la médecine, et peut-être même de la religion. Et ce
faisant, le Christ rétablit le lien entre la nourriture, la vie et Dieu, qu'Adam
avait brisé et que nous brisons encore chaque jour.
Tout ceci signifie que, compris dans toute sa profondeur, le jeûne est le seul
moyen pour l’homme de recouvrer sa vraie nature spirituelle. C'est un défi,
non théorique mais vraiment concret, au Menteur qui a réussi à nous
convaincre que nous n'avons besoin que de pain, et qui a édifié sur ce
mensonge toute la connaissance, la science et l'existence humaines. Le
jeûne dénonce ce mensonge et prouve qu'il en est un. Il est très significatif
que ce soit lors de son jeûne que le Christ rencontra Satan et que, plus tard,
il ait dit que Satan ne peut être vaincu que par le jeûne et la prière (Mt 17,21).
Le jeûne est le véritable combat contre le diable parce qu'il est le défi à la loi
singulière et universelle qui en fait le "prince de ce monde". Mais si
quelqu’un a faim et découvre alors qu'il peut être vraiment indépendant de
cette faim, ne pas être détruit par elle mais, tout au contraire, la
transformer en une source d'énergie spirituelle et de victoire, alors plus
rien ne subsiste de ce grand mensonge dans lequel nous avons vécu depuis
Adam.
C’est la raison pour laquelle nous avons besoin avant tout d’une préparation
spirituelle à cet effort du jeûne. Elle consiste à demander aide de Dieu et à
centrer notre jeûne sur Dieu. C'est par amour de Dieu que nous devrons
jeûner. Il nous faut redécouvrir notre corps comme temple de la divine
présence, retrouver un respect religieux du corps, de la nourriture, du
rythme même de la vie. Tout ceci doit être fait avant que ne commence le
jeûne proprement dit, de sorte que, lorsque nous l’entreprendrons, nous
soyons armés spirituellement dans une optique et un esprit de lutte et de
victoire.
Puis vient le temps du jeûne lui-même. Selon ce que nous avons dit plus
haut, il doit être pratiqué à deux niveaux : celui du jeûne ascétique et celui
du jeûne total.
Tout cela étant dit, il faut se rappeler encore que notre jeûne, si limité soit-il,
s'il est un vrai jeûne, conduira à la tentation, à la faiblesse, au doute et à
l'irritation. En d'autres termes, il sera un réel combat et probablement nous
succomberons bien des fois. Une foi qui n'a pas surmonté les doutes et la
tentation est rarement réelle. Aucun progrès n'est, hélas, possible dans la
vie chrétienne sans l'amère expérience de l'échec. Trop de gens
commencent à jeûner avec enthousiasme, puis y renoncent à la première
défaillance. Je dirai que c’est précisément lors de cette première chute que
se situe le véritable test : si, après avoir faibli et donné libre cours à nos
appétits et à nos passions, nous nous remettons courageusement à la tâche,
sans abandonner, quel que soit le nombre de fois où nous faiblissons, tôt ou
tard, notre jeûne produira ses fruits spirituels. Entre la sainteté et un
cynisme désenchanté, il y place pour la grande et divine vertu de patience -
la patience envers soi-même avant tout. Il n'y a pas de raccourci pour aller a
la sainteté ; on doit payer le prix de chaque pas en avant. Il est donc
préférable et plus sûr de commencer avec un minimum, juste un peu au-
dessus de nos possibilités naturelles, et d'augmenter notre effort
progressivement, plutôt que d'essayer de sauter trop haut au début et de se
casser quelques os en retombant à terre.
Nous ne vivons pas dans une société orthodoxe et il n'est donc pas possible
de créer un "climat" de Carême au niveau de la société. Que ce soit ou non le
Carême, le monde qui nous entoure et dont nous faisons partie intégrante,
ne change pas pour autant. En conséquence, cette situation exige de nous
un nouvel effort pour repenser le lien religieux qui existe nécessairement
entre "l’extérieur" et "l’intérieur". Le drame spirituel du sécularisme est
qu'il nous jette dans une véritable "schizophrénie" religieuse qui divise
notre vie en deux parties, la partie religieuse et la partie séculière, qui sont
de moins en moins interdépendantes. Il faut donc faire un effort spirituel
pour transposer les coutumes et les rappels hérités de la tradition, qui
constituent les moyens de notre effort de Carême. À titre d'essai, et d'une
façon qui sera nécessairement schématique, on peut considérer cet effort
d'une part sur le plan de la vie familiale, et d'autre part hors du foyer.
Et enfin, que peut bien être le sens du Carême, durant les longues heures
passées hors du foyer : déplacements, travail au bureau, devoirs
professionnels, rencontres avec nos collègues et amis ? Bien qu'on ne puisse
donner ici, pas plus qu'ailleurs, aucune "recette" bien déterminée, il est
possible d'avancer quelques considérations très générales.
C'est un même effort d'intériorisation de toutes nos relations qui nous est
demandé ici, du fait que nous sommes des êtres libres, devenus (sans le
savoir, bien souvent) prisonniers de systèmes qui déshumanisent
progressivement le monde. Et notre foi ne peut avoir un sens que si elle est
mise en rapport avec la vie dans toute sa complexité. Une multitude de gens
pensent que les changements nécessaires ne viennent que de l’extérieur,
des révolutions et des modifications des conditions extérieures. À nous,
chrétiens, de prouver qu'en réalité tout vient de l'intérieur, de la foi et de la
vie selon la foi. Quand l’Église pénétra dans le monde gréco-romain, elle ne
dénonça pas l'esclavage, n'appela pas à la révolution. C'est sa foi et la
nouvelle vision de l'homme et de la vie qui était la sienne qui,
progressivement, rendirent impossible l'esclavage. Un saint - et "saint"
signifie ici simplement un homme qui prend à tout instant sa foi au sérieux
- fera plus pour changer le monde que mille programmes imprimés. Le saint
est, en ce monde, le seul vrai révolutionnaire.
En second lieu, et ceci sera notre dernière remarque générale, le Carême est
le temps où nous devons essayer de maîtriser nos paroles. Notre monde est
terriblement verbaliste, et nous sommes constamment submergés par des
mots qui ont perdu leur sens et, partant, leur force. Le Christianisme révèle
le caractère sacré de la parole, don véritablement divin fait à l'homme. C’est
la raison pour laquelle nos paroles sont douées d'un pouvoir extraordinaire,
soit positif, soit négatif. C'est aussi pour cette raison que nous serons jugés
sur nos paroles : Or, je vous le dis : de toute parole sans fondement que les
hommes auront proférée, ils rendront compte au Jour du Jugement ; car c'est
d’après tes paroles que tu seras justifié, et c'est d'après tes paroles que tu
seras condamné (Mt 12,36-37). Maîtriser ses paroles, c'est en retrouver le
sérieux et le caractère sacré ; c'est comprendre que, parfois, une
plaisanterie "innocente",que nous avons prononcée sans même y penser,
peut avoir des conséquences désastreuses - peut-être la "dernière goutte"
qui jette un homme au fond du désespoir et de l'anéantissement. Mais la
parole peut aussi être un témoignage. Une conversation fortuite au bureau,
avec un collègue, peut faire plus pour communiquer une conception de la
vie, une attitude envers les autres hommes ou à l'égard du travail, que tout
un sermon. Cette conversation peut jeter la semence qui provoquera une
question, qui fera envisager la possibilité de concevoir autrement la vie, qui
fera souhaiter en savoir davantage.
Nous n'avons pas idée à quel point, en fait, nous nous influençons
constamment les uns les autres par nos paroles, par le style même de notre
personnalité. Finalement, les hommes sont convertis à Dieu, non parce que
quelqu'un s'est montré capable de leur fournir de brillantes explications
mais parce qu'ils ont vu en lui cette lumière, cette joie, cette profondeur, ce
sérieux, cet amour qui, seuls, révèlent la présence et la puissance de Dieu
dans le monde.
Si donc le Carême est pour l'homme une redécouverte de sa foi, il est aussi
pour lui une redécouverte de la vie, de son sens divin et de sa profondeur
sacrée. C'est en nous abstenant de la nourriture que nous redécouvrons sa
douceur et que nous réapprenons à la recevoir de Dieu avec joie et
gratitude. C'est en réduisant la musique et les divertissements, les
conversations et les entretiens superficiels, que nous redécouvrons la
valeur dernière des relations humaines, du travail de homme et de son art.
Et nous redécouvrons tout ceci tout simplement parce que nous
redécouvrons Dieu lui-même, parce que nous retournons à lui, et, en lui, à
tout ce qu'il nous a donné, dans sa miséricorde et son amour infinis. C'est ce
que nous chantons la nuit de Pâques :