Les Consonnes Finales
Les Consonnes Finales
Les Consonnes Finales
La position des consonnes finales est fragile : c’est la position la plus faible. Cependant, cette
consonne finale est aussi la marque des cas, des nombres et des personnes pour les désinences
verbales. Il y a donc une tension entre deux pulsions contradictoires : l’évolution phonétique et
les exigences morphologiques. Cette tension contribue à expliquer certaines différences entre
la prononciation et la graphie. Certaines consonnes sont conservées dans la graphie, alors
qu’elles ne connaissent aucune réalisation phonétique, parce qu’elles apportent une information
grammaticale. Ex. : dors/dort. On parle en ce cas de morphogramme grammatical.
Disparition du m (et du n)
Il a déjà été rappelé que le [m] de l’accusatif disparaît à la fin du 1er siècle avant JC. Ce [m]
peut se maintenir dans les monosyllabes : ex. rem (> rien).
Les [m] et [n] à la finale, dans de mots comme examen ou nomen, n’étaient déjà plus prononcés
à l’époque latine (cf. Bourciez § 200).
Lorsque [m] et [n] se trouvent finals ou devenus finals derrière une voyelle, ils perdent
l’articulation qui leur est propre et se combinent avec la voyelle précédente pour la nasalisation.
Exemples :
exame(n) (l’acc. est bien examen) > *essame > essaim
nome(n) (l’acc. est bien nomen) > nom.
Le [m] se conserve graphiquement pour indiquer cette nasalisation. Voir plus bas pour cette
question.
Fin VIIe siècle : disparition des voyelles finales autres que [a].
→ Les consonnes qui précédaient ces voyelles deviennent des finales.
Ex. : dénte > dént
Une conséquence pour les consonnes sonores [b], [d], [δ], [g], [v], [z] : toute consonne sonore
se retrouvant en finale absolue s’assourdit à la fin du VIIe siècle. Cet assourdissement suit
immédiatement la chute de la voyelle finale.
Ex. : grande > grant ; vir(i)de > vert ; cervu > cerf ; burgu > bourg [k].
Remarques :
Cet assourdissement explique l’opposition entre le masculin et le féminin pour certains
adjectifs (consonne sourde en finale pour le masculin / consonne sonore + [e̥] graphié –e pour
le féminin). Exemple : sauf/sauve.
Sauf dans certains cas particuliers, on peut considérer que jusqu’au XIIIe siècle, les consonnes
finales se prononcent. Ex. : tant [t] ; chanter [r] ; dormir [r] ; cortois [s].
Parmi ces cas particuliers, il y a celui de la consonne dentale [t] finale précédée d’une
voyelle qui s’efface de bonne heure (voir plus bas).
À partir du XIIe ou XIIIe siècle : les consonnes finales tendent à ne plus être articulées. Mais
cet amuïssement est progressif et on peut distinguer ce qu’on appelle la langue populaire et la
langue savante.
Langue populaire : du XIIIe siècle à la fin du XVIe siècle : les consonnes finales ne sont
plus articulées.
Langue savante : du XIIIe siècle à la fin du XVIe siècle : les consonnes finales restent
articulées à la pause de la phrase et devant une initiale vocalique. Ex. : rois (prononcé
[s] devant pause et [z] devant voyelle).
Sauf en cas de liaison étroite devant une initiale vocalique, les mots dans lesquels la consonne
finale est prononcée constituent des exceptions à l’évolution phonétique. Il s’agit souvent de
restaurations (les grammairiens, à partir du XVIe siècle interviennent dans un sens
conservateur) et/ou de monosyllabes.
Ex. : chef [šęf] mais clef [klẹ] ; sept [sęt] mais chat [ša] ; des hésitations : août [u] / [ut]
Dans tous les cas, il faut distinguer le plan phonétique (tendance à la non-prononciation des
consonnes finales) et la graphie, plus conservatrice : la consonne, pour des raisons
morphologiques notamment, peut être conservée. Ex. morit > il muert > il meurt.
Les dentales
Graphie
Dans certains textes anciens, (par exemple La Chanson de Roland, ca 1100), t est encore présent
à l’écrit mais on peut considérer qu’il s’agit d’une graphie rétrograde.
Exemples : parte = part ; factu = fait ; lectu = lit ; venit = vient ; debet = doit ; grande = grand ;
tarde = tard ; cal(i)du = tard ; frig(i)du = froid
Graphie
Tous ces mots, y compris ceux qu’on écrit avec un d, avaient autrefois en français un t final.
On écrivait ainsi grant, tard, chaut, froit. Le d étymologique a été rétabli par l’orthographe
moderne à quelques exceptions près (vert, souvent, dont).
Prononciation
Le [t] final se faisait sentir à l’époque médiévale et aux XVIe et XVIIe siècles en certaines
situations. Au XVIe siècle, on l’entendait devant une voyelle et aussi à la pause. Encore au
XVIIe siècle on recommandait de prononcer le t final.
Cet état de choses ne s’est conservé que pour les nombre sept et huit (huit livres / j’en ai huit)
et pour quelques mots lorsqu’ils sont prononcés à la pause (ex. fait [fę] / [fęt] ; but [büt] / [bü] ;
soit [swa] / [swat]).
Aujourd’hui le [t] final s’entend aussi dans quelques cas de liaison étroite devant une initiale
vocalique (quand il voudra vs. Il vient quand ?, dort-il vs. il dort, mot à mot, ils sont heureux,
grand esprit, profond ennui [d prononcé comme un t]).
On le prononce par ailleurs toujours dans des mots (latins ou non) savants d’introduction
tardive. Ex. : déficit, transit, ainsi que dans certains monosyllabes : net, sept, dot, but, luth (mais
chat, lit).
Le -s
Le [s] final ou devenu final soit derrière une voyelle soit derrière une consonne s’est général
effacée dans la prononciation française moderne.
Ex. plus = plus ; tra(n)s = très ; nos = nous ; cantas = chantes ; clausu = clos ; risu = ris ; passu
= pas ; grossu = gros.
Dans la plus ancienne période de la langue, le [s] final était sensible dans tous les cas. A partir
du XIIIe siècle, il s’est effacé, d’abord devant une consonne commençant le mot suivant (plus
fort), tandis qu’il se conservait comme sonore devant une initiale vocalique (plus agreable) et
comme sourd à la pause (j’en veux des bons). Telle était encore la prononciation au XVIe siècle.
Prononciation
Depuis le [s] reste sensible, avec prononciation sonore [z], dans le cas de liaison étroite devant
voyelle. Ex. : les enfants.
Il se maintient à la pause seulement dans les nombres : six, dix, dans l’adjectif tous, l’adverbe
plus signifiant davantage, dans l’adverbe sus [hésitation selon le dictionnaire entre
prononciation avec s].
Dans certains monosyllabes la prononciation du s est due à restauration qui s’est généralisée à
partir du XVIIIe siècle : fils1, os, ours.
Bien qu’il soit loin d’être toujours prononcé, s final est en général conservé dans la
graphie puisqu’il avait souvent le rôle de morphème : tu chantes, les enfants.
En finale, z est au départ la graphie de [ts] (voir infra) mais au XIIIe siècle (et même
plus tôt dialectalement), réduction de [ts] à [s] dans la prononciation. À partir de ce
moment-là, dans la graphie, z et s peuvent commuter. C’est la raison pour laquelle, dans
les textes médiévaux, on peut lire amis ou amiz, chevaus ou chevauz.
1
Dans le Littré, 1873-1874, on lit ceci à propos de « fils » : (fi ; l's se lie : le fi-z aîné. Beaucoup de gens ont pris
depuis quelque temps l'habitude de faire entendre l's quand le mot est isolé ou devant une consonne, un fiss' ; c'est
une très mauvaise prononciation) s. m.
Dans beaucoup de mots (heureux, chevaux, châteaux, feux, dieux, genoux) on écrit
aujourd’hui x au lieu de s final. C’est l’issue d’une confusion graphique qui s’est
produite à la fin du Moyen Age. X à la finale, servait d’abréviation dans les manuscrits
pour –us après voyelle. Du coup on écrivait chevax. Mais assez vite, dans ces mots, on
a commencé à rétablir le u tout en gardant le x
(N.B. : différentes graphies sont donc concurrentes : -x / -us / -ls et même des graphies
redondantes comme –lx / -ux / -ulx)
Le cas de -r
Il s’agit d’un cas amuïssement. Cet amuïssement est un peu plus tardif que les autres cas.
Dans la langue parlée, il y avait depuis le moyen français de grandes divergences dans la
prononciation du r final. Parmi les gens éduqués, le r était toujours prononcé. En revanche, dans
la langue populaire, il y avait une tendance à ne pas prononcer le r.
L’opposition des grammairiens à cet état de fait a toujours été forte. Vers le XVIIe et XVIIIe
siècles : les grammairiens s’appuient sur un certain nombre de facteurs pour essayer de contrer
ce phénomène : l’influence de l’alphabétisation qui permet de mieux épeler les mots (d’après
Pope § 740), le modèle du latin, l’analogie des finales en –ire (du type dire) et en –oire (du type
boire). Le [r] est réintroduit dans la plupart des terminaisons.
La prononciation amuïe s’était toutefois trop propagée pour pouvoir être abandonnée par tout.
On n’a donc pas réussi à réintroduire le [r] dans les infinitifs et les substantifs en –er et en –ier
et dans le mot monsieur (la graphie, rétrograde, garde la mémoire de l’état ancien).
N.B. Dans certains mots où le [r] suivait une voyelle ouverte la consonne ne s’était pas effacée
(Pope § 40)
Remarques : Les péripéties du [r] expliquent certains substantifs féminins de la langue française
apparemment non conformes au masculin. En ancien français, on avait le substantif féminin
chantereresse, formé sur chanteur (cf. vengeur/vengeresse). La langue française a développé
ensuite chanteuse (attestée depuis 1671 d’après FEW), qui a été formé car le mot masculin
n’était plus chanteur mais bien le substantif avec la finale amuïe.
Voir aussi menteuse (≠ menteresse). De même, voir ingénieux (survivance) et ingénieur.
Les labiales
En ce qui concerne les labiales, on peut avoir des mots se terminant par [f], consonne dérivant
d’une labiale latine intervocalique ([p], [b] ou [w]) devenue finale, ainsi caput > chef.
Ou alors la voyelle labiale [p], [b] pouvait être maintenue après consonne, par exemple champ
ou plomb (on verra tout cela plus loin).
Dans les cas des labiales, la consonne finale a aussi cessé d’être prononcée dans ces cas selon
une chronologie incertaine qui dépend sans doute des couches sociales et des régions. Dans
certains cas, en particulier dans les monosyllabes mais aussi ailleurs, il y a parfois eu une
résistance et la labiale finale est encore conservé.
Le p final des mots comme champ, ou drap [qui dérive de drappum], était prononcé en ancien
français. Plus tard il s’est effacé devant une consonne. Au XVIIe siècle, on le faisait encore
entendre à la pause un bon drap.
Dans tous les mots qui se terminaient au pluriel par un s de flexion, nous avons eu de bonne
heure des formes divergentes, bœuf et bœufs. La prononciation oeu (pour œuf, singulier) et bœu
(pour bœuf, singulier) n’était pas rare au XVIe et XVIIe siècle. On a eu hésitation pendant
longtemps sur la prononciation des mots cerf ou serf. D’autres hésitations et évolutions
contradictoires existent (voir Bourciez § 172).
Les consonnes dans les autres positions
Quelques rappels :
D’après le mécanisme de leur formation (mode d’articulation), les consonnes se divisent tout
d’abord en occlusives (ou occlusives orales) [p, b, t, d, k, g], nasales (occlusives nasales) [m,
n, n̮], fricatives (constrictives fricatives [f, v, s, z, š, ž]), la vibrante (constrictive vibrante) [r],
les latérales (constrictive latérale) [l] et [l̬ ].
Les occlusives et les fricatives peuvent être soit sourdes soit sonores.
Ensuite, d’après le lieu d’articulation, les consonnes se divisent en vélaires, dentales, labiales,
labio-dentales, alvéopalatales, alvéolaires.
Les consonnes latines, dans le passage du mot latin au français, restent intactes ou se modifient.
Les modifications peuvent se ramener à deux types principaux : affaiblissement ou assimilation.
B) L’assimilation est un changement qu’éprouvent les consonnes sous l’influence directe des
sons avoisinants.
Les consonnes latines doivent être considérées d’après la place qu’elles occupent dans le mot,
où elles sont initiales, intérieures ou finales. Elles peuvent, de plus, être implosives ou
explosives (voir plus haut).