Archiphonéme
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: André THIBAULT
Semaine 4
Neutralisation et archiphonème
1. Introduction
Nous avons vu ces dernières semaines à quoi correspondait le concept de phonème, c’est-à-
dire un ensemble de traits pertinents, distinctifs, qui permettent d’opposer deux formes qui
constituent ce que l’on appelle une paire minimale. Vous aurez remarqué que, pour les con-
sonnes à tout le moins, j’ai pris la peine de chercher des paires minimales dans lesquelles une
opposition s’observait dans plusieurs contextes syllabiques (à l’initiale, à l’intervocalique, en
finale) ; pour les voyelles, je n’ai même pas osé m’aventurer à illustrer toutes les positions
possibles (essentiellement, toniques et atones d’une part, et en syllabe ouverte ou fermée
d’autre part), car il m’aurait été très difficile d’éviter d’aborder le sujet dont nous allons parler
cette semaine, c’est-à-dire la neutralisation de certaines oppositions dans certains contextes
phonétiques.
En effet, nous allons voir aujourd’hui que dans certains contextes phonétiques, des phonèmes
qui normalement s’opposent et permettent de former des paires minimales perdent cette carac-
téristique. Il y a perte de l’opposition, ce que l’on appelle techniquement une neutralisation
de l’opposition. Le résultat de la neutralisation de deux phonèmes est appelé archiphonème ;
on ne retient dans la liste de ses traits pertinents que ceux qui sont communs aux deux phonè-
mes neutralisés. Nous allons exemplifier tout cela en commençant par le système phonologi-
que des consonnes, puis nous enchaînerons avec des exemples de phonèmes vocaliques.
Je reviens à un exemple que nous avons vu la semaine dernière, celui de la fameuse terminai-
son en -isme, qui comme vous le savez peut se prononcer indifféremment avec une sifflante
sourde ([ism̥]) ou sonorisée ([is̬m], que l’on pourrait aussi transcrire [izm]) sans que cela en-
traîne un changement dans l’interprétation de la forme du signifiant : c’est le même mot. Or,
nous savons très bien qu’en position initiale devant voyelle, en position intervocalique, ainsi
qu’en position finale après voyelle, la paire /s/ ~ /z/ permet de former des paires minimales, et
correspond donc bel et bien à deux phonèmes différents :
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Devant consonne, toutefois, il est pratiquement impossible de trouver en français une paire
minimale qui reposerait sur l’opposition phonologique /s/ ~ /z/. Ce n’est pas seulement vrai
devant /m/, mais aussi devant d’autres consonnes : il est vrai qu’il est hautement improbable
qu’un francophone prononce un mot comme ‹aspect› avec une sifflante sonore : dans l’im-
mense majorité des cas, ce mot se prononcera [aspɛ], et non *[azpɛ], en raison du caractère
sourd du /p/ qui suit. Mais c’est justement cette quasi-impossibilité qui fait que l’opposition
sourde ~ sonore, dans ce contexte phonétique, n’est pas vraiment viable. D’autres exemples
de [s] devant consonne sourde :
Inversement, un mot dans lequel notre [s] précède une consonne sonore est très susceptible de
se sonoriser, sans que cela change grand-chose à la perception que nous avons de la forme du
signifiant, qui n’est pas identifié comme étant autre chose, indépendamment de la présence ou
de l’absence de sonorité. Considérons les exemples suivants :
• ‹sbire› peut se prononcer [sbi:ʁ], mais aussi [s̬bi:ʁ] (que l’on pourrait même transcrire
[zbi:ʁ])
• ‹svelte› peut se prononcer [svɛlt], mais tout aussi bien [s̬vɛlt] (ou carrément [zvɛlt])
• ‹Israël› peut se prononcer [isʁ̥aɛl] ou [isʁaɛl], mais aussi [is̬ʁaɛl] (ou [izʁaɛl])
• ‹esbroufe› peut se prononcer [ɛsbʁuf], mais aussi [ɛs̬bʁuf] (que l’on pourrait même
transcrire [ɛzbʁuf])
• Je ne sais pas comment vous prononcez ‹Nasdaq›, mais ça ne change rien à notre
perception du mot qu’on le prononce [nasdak], [nas̬dak] ou [nazdak].
• Exceptionnellement, on trouve un ‹z› graphique devant consonne sourde dans le mot
aztèque, mais il y a de fortes chances que celui-ci corresponde dans la prononciation à
un [s] et non à un [z], comme le confirme la transcription du Petit Robert.1
a) d’abord, des mots où l’opposition est défectueuse parce que l’un des deux phonèmes ne
peut se réaliser normalement, pour des raisons phonétiques (c’est le cas du [s] devant
consonne sourde, pratiquement obligatoire) ;
b) ensuite, des mots où la présence ou l’absence de sonorité ne change rien à la perception que
nous avons du signifiant, que nous interprétons de la même façon.
Comment une analyse phonologique rend-elle compte de ce phénomène ? On dira que dans
un certain contexte phonétique, que l’on peut décrire simplement comme « devant conson-
ne », l’opposition phonologique entre les phonèmes /s/ et /z/ est neutralisée ; dans cette posi-
tion, il ne nous reste qu’une entité abstraite définie par un nombre de traits distinctifs néces-
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Merci à Loïc Lesvignes de m’avoir fourni cet exemple.
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sairement inférieur à celui qui caractérise chacun des phonèmes neutralisés. Concrètement,
dans le cas que nous avons vu, les traits /+ sonore/ et /+ sourd/ cessent d’être pertinents. Nous
avons affaire à ce que l’on appelle par convention un archiphonème, qui ne réunit que les
traits pertinents qui sont communs aux deux phonèmes neutralisés. Ici, l’archiphonème a pour
traits pertinents d’être une consonne constrictive pré-dorso-alvéolaire ; cette énumération est
le plus grand dénominateur commun entre /s/ et /z/.
J’en profite pour attirer votre attention sur un point très important, et très peu respecté dans de
nombreux ouvrages où l’on peut relever des transcriptions phonétiques et phonologiques.
Nous avons déjà distingué un certain nombre de réalisations phonétiques possibles pour ce
qui s’écrit ‹r› en français (il s’agissait de variantes libres, c’est-à-dire déterminés socio-
linguistiquement et non par la structure phonétique du mot). L’une de ces réalisations phonéti-
ques est appelé le « r grasseyé » ; c’est une vibrante uvulaire dont on a dit qu’elle était carac-
téristique de la diction d’Edith Piaf, de Jacques Brel ou de Mireille Mathieu (à tout le moins
lorsqu’ils chantent). Le symbole phonétique de cette vibrante uvulaire est constitué par un
petit [R] majuscule, ce que l’on appelle une « petite majuscule ». Or, dans l’immense majorité
des cas, les typographes ne respectent pas la taille des caractères et utilisent un [R] majuscule
pour noter ce son. Cela est une faute et porte à confusion. Dans une transcription phonologi-
que, cela est encore plus grave, car une majuscule en transcription phonologique signifie auto-
matiquement que l’on a affaire à un archiphonème ; or, comme les différents types de r en
français ne s’opposent jamais phonologiquement (comme cela serait le cas, par exemple, en
espagnol ou en portugais), il n’y a jamais lieu de poser un archiphonème en transcription pho-
nologique. Faites donc très attention de bien distinguer « R majuscule » (qui servirait à noter
un archiphonème, dans les langues où c’est pertinent) de « R petite majuscule » (qui sert à
noter la vibrante uvulaire dans une transcription phonétique, et qui peut être retenu, par
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convention, pour noter le phonème correspondant dans une transcription phonologique). Dans
une transcription phonologique, /R/ majuscule serait possible, par exemple, dans une langue
comme le portugais, où l’opposition entre /r/ et /ʀ/ se neutralise dans certains contextes (il
transcrirait alors un archiphonème). En français, il n’y a qu’un seul phonème correspondant
au graphème ‹r›, qu’on transcrit par convention /ʁ/ (uvulaire constrictif) ou à la rigueur /ʀ/
(uvulaire vibrant), mais jamais /R/.
Une erreur très fréquente dans les copies d’examen consiste à noter une majuscule dans une
transcription phonétique ou phonologique, sous prétexte que le mot en graphie traditionnelle
s’écrit avec une majuscule ; ex. :
Il faut évidemment prendre conscience du fait que chaque système sémiotique a son ensemble
de règles qui lui sont propres ; la valeur d’une majuscule en graphie traditionnelle n’a rien à
voir, mais vraiment rien de rien, avec la valeur d’une majuscule en transcription phonétique
ou en transcription phonologique.
J’aimerais aussi revenir sur le problème de l’environnement phonétique qui détermine la vali-
dité d’une opposition, ou sa neutralisation. J’ai dit pour faire vite que l’opposition /s/ ~ /z/
était neutralisée « devant consonne ». Cela ne semble pas être vrai pour toutes les consonnes
(et, surtout, semi-consonnes) du français. Considérons les mots suivants :
Attention : ne vous laissez surtout pas abuser par la présence du ‹e› graphique devant le ‹l›.
L’analyse phonologique se fait évidemment à partir de la prononciation, et non de la forme
graphique ; dans la transcription phonétique, on note bien sûr la chute du chva ou schwa (le
son noté conventionnellement [ǝ], on y reviendra). Les sons [s] et [z] sont donc bel et bien en
contact avec le son [l]. Ne faites jamais d’analyse phonologique à partir des formes graphi-
ques !
Nous avons affaire ici (avec le couple ‹ficeler› ~ ‹ciseler›) à ce que l’on appelle une semi-
paire minimale (car il y a plus d’un seul segment phonique qui change) ; je n’ai pas réussi à
trouver (mais cela existe peut-être, cf. Sisley ci-dessus) une vraie paire minimale où une op-
position /s/ ~ /z/ se réalise devant [l], mais un locuteur francophone natif perçoit nettement
qu’une forme [fizle], qui n’existe pas mais qui pourrait exister, serait un autre mot que fice-
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ler ; de même, [sisle] n’existe pas, mais il pourrait exister (c’est certainement une prononcia-
tion possible du nom propre Sisley) et serait alors interprété comme un autre mot que ciseler.2
On peut aussi se demander si l’opposition /s/ ~ /z/ se neutralise devant la semi-consonne [w].
Considérons la semi-paire minimale suivante :
• ‹zouave› [zwav] (*[swav] semble une prononciation impossible pour ce mot, et serait
interprété comme correspondant à un autre mot)
• ‹Souabe› [swab] (*[zwab] semble tout aussi improbable, ou alors ce serait interprété
comme un autre mot)
Il semble que devant cette semi-consonne, il n’y a pas de neutralisation possible ; si l’on dis-
tingue ces deux mots, ce n’est pas seulement à cause de la consonne finale, mais bien aussi à
cause de la consonne initiale. Le [w] ne se comporte pas de ce point de vue comme les autres
consonnes (à l’exception du [l]).
Essayons le même test avec la semi-consonne [j]. Ici, on peut trouver sans problème de vraies
paires minimales :
Le fait de précéder une semi-consonne ne semble donc pas constituer, pour une constrictive
pré-dorso-alvéolaire, un contexte entraînant la neutralisation de l’opposition de sonorité (/s/
~ /z/) ; de ce point de vue, les semi-consonnes ne se comportent donc pas comme l’immense
majorité des consonnes (à l’exception du [l]).
On pourrait dire la même chose de l’autre semi-consonne du français, [ɥ] : ‹suave› se pronon-
ce [sɥav] et une forme *[zɥav], qui n’existe pas mais qui pourrait exister, serait un autre
mot (quelque chose qui pourrait s’écrire ‹*zuave›). En français, on ne peut pas faire alterner
librement [s] et [z] devant semi-consonne sans que cela n’entraîne un changement de signi-
fiant. Nous avons vu qu’il n’en allait pas ainsi devant consonne (autre que [l]).
Nous allons maintenant nous livrer à un exercice parallèle, mais portant cette fois-ci sur le
système des voyelles. Alors que pour les consonnes nous avons porté notre attention sur la
position dans la structure syllabique (position initiale, finale, intérieure, etc.), pour les
2
Attention : les étudiants font très souvent l’erreur de dire que deux mots X et Y constituent des pai-
res minimales ; non, bien sûr, ils constituent une paire minimale. Une paire comporte deux éléments !
On ne dit pas de deux chaussures qu’elles constituent des paires de chaussures.
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voyelles nous retiendrons deux critères : le caractère tonique ou atone ; le fait de figurer dans
une syllabe qui se termine par une consonne (on dit syllabe fermée ; certains auteurs parlent
de position couverte) ou dans une syllabe qui se termine par la voyelle elle-même, non suivie
de quelque consonne que ce soit (on dit syllabe ouverte). On dira dans le premier cas que la
voyelle est entravée et dans le second cas qu’elle est libre. Ces critères sont déterminants car
nous allons voir que le système des oppositions phonologiques des voyelles du français (mais
on pourrait observer la même chose dans plusieurs langues) n’est pas le même selon le carac-
tère tonique ou atone, et la nature de la syllabe (ouverte ou fermée).
Considérons d’abord la nature ouverte ou fermée de la syllabe (et ajoutons qu’il faut préciser
de quelle consonne on parle, puisque le comportement phonologique de la voyelle peut par-
fois varier selon la consonne). Nous avons vu il y a deux semaines que les deux mots suivants
constituent une paire minimale (à tout le moins dans la plus grande partie de la moitié septen-
trionale de la France, ainsi qu’en Belgique, en Suisse et au Canada) :
(j’ai relevé récemment dans un courriel la faute suivante : « à l’heure qui vous
conviendrez » ; il fallait comprendre, je suppose, « à l’heure qui vous conviendrait » ;
cette faute ne peut avoir été commise que par une personne qui ne distingue pas
phonologiquement la voyelle ouverte de la voyelle fermée).
Nous avions donc conclu que /e/ s’oppose à /ɛ/, donc que ce sont deux phonèmes, et que par
conséquent le degré d’aperture (fermé pour le premier, ouvert pour le second) était un trait
pertinent dans leur définition. Les transcriptions phonologiques des mots ci-dessus ne seraient
donc pas très différentes de leurs transcriptions phonétiques. Mais cette opposition est-elle
possible dans tous les contextes syllabiques ? Observons les mots suivants :
• ‹père› [pɛʁ] (une prononciation [peʁ], attestée dans certaines variétés de français, n’est
pas impossible, mais la forme résultante n’est pas un autre mot ; ce n’est qu’une
variante stylistique, due à un allophone en distribution libre)
• ‹sept› [sɛt] (une prononciation [set] me semble assez improbable dans la bouche d’un
francophone natif ; mais de toute façon, nous aurions toujours affaire au même mot)
• ‹seize› [sɛ:z] (encore une fois, [se:z] est bizarre et improbable, mais ne serait pas
interprété comme un autre mot)
• ‹belle› [bɛl] ([bel] n’est pas normal en français)
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Que peut-on conclure, dans le cadre d’une analyse phonologique, à partir de ces exemples ?
L’opposition entre /e/ et /ɛ/, qui est valide en syllabe ouverte (plus précisément, en syllabe
ouverte tonique), est neutralisée en syllabe fermée, quelle que soit d’ailleurs la consonne qui
termine la syllabe. On dira donc qu’il y a neutralisation dans ce contexte phonétique entre
ces deux phonèmes et que l’archiphonème résultant ne retient que le caractère de voyelle
orale antérieure moyenne (on ne peut pas préciser qu’elle est fermée ou ouverte, puisque ce
n’est pas pertinent). Comment rendre compte de ce phénomène dans la transcription phono-
logique ? Encore une fois, par l’emploi d’une lettre majuscule pour représenter l’archipho-
nème ; on utilisera tout simplement /E/ (dans ce type d’opposition, il n’y a pas de phonème
marqué qui s’opposerait à un phonème non-marqué ; c’est une opposition de degré d’aperture,
qui ne se définit pas par l’absence ou la présence d’un trait). Les mots que nous avons vus ci-
dessus se noteraient donc ainsi en transcription phonologique :
Dans la série postérieure, la situation est tout à fait différente. En syllabe ouverte, en fin de
mot, il n’est pas possible en français (sauf dans des variétés régionales archaïsantes) d’oppo-
ser un [o] fermé à un [ɔ] ouvert : ce contexte phonétique entraîne obligatoirement en français
l’apparition d’un [o] fermé. Contrairement à ce qui fut le cas jadis (et encore aujourd’hui dans
certaines régions, nous y reviendrons dans quelques semaines), ces paires de mots sont homo-
phones (se prononcent de la même façon) :
D’autre part, le fait pour la voyelle d’apparaître dans une syllabe fermée par la consonne [ʁ],
par exemple, entraîne obligatoirement l’apparition d’un [ɔ] ouvert :
Si l’on s’arrêtait ici, on pourrait être amené à conclure qu’on n’a affaire, en vérité, qu’à un
seul et même phonème, dont [o] et [ɔ] sont deux allophones, deux variantes combinatoires,
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On est bien obligé d’admettre qu’une opposition phonologique est possible entre la fermée et
l’ouverte, dans un contexte syllabique précis (c’est-à-dire tonique dans une syllabe fermée par
l’une des consonnes suivantes : [m, n, l, b, p, t, d, k]).
Comment noterons-nous alors, en transcription phonologique, les mots que nous avons vus
auparavant, dans lesquels notre voyelle se trouvait en syllabe ouverte tonique, ou en syllabe
fermée par la consonne [ʁ] ? Grâce à l’archiphonème /O/, qui représente la neutralisation,
dans ces contextes phonétiques, de l’opposition entre la fermée /o/ et l’ouverte /ɔ/ :
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• ‹trésor› /tʁEzOʁ/
• ‹dinosaure› /dinOzOʁ/
J’ai noté des archiphonèmes /E/ et /O/ dans les syllabes prétoniques (respectivement tré- et
-no-), car dans le système phonologique de bien des francophones la possibilité d’opposition
phonologique entre la fermée et l’ouverte cesse d’être possible dans ce contexte phonétique
(en d’autres mots, on pourrait écrire – et prononcer – trèsor au lieu de trésor et pour bien des
locuteurs cela ne ferait aucune différence ; on pourrait prononcer [dinozɔʁ] ou [dinɔzɔʁ] sans
que personne ne le remarque). Ces exemples montrent encore une fois l’importance du con-
texte phonétique, de la position par rapport à la structure syllabique et accentuelle, au moment
de déterminer la valeur phonologique d’un son, la pertinence phonologique d’un trait, l’exis-
tence d’une opposition.
J’aimerais terminer avec une précision importante : certains auteurs parlent à tort d’archipho-
nème lorsque, dans certaines variétés régionales, des oppositions normalement pratiquées
selon la norme ne sont plus valides. Par exemple, dans de nombreuses régions, on ne distin-
gue pas entre /e/ et /ɛ/ en syllabe ouverte finale (donc, on ne peut pas distinguer pré de près,
par exemple). Cela ne nous autorise pas à dire que ces locuteurs connaissent un archiphonème
/E/ dans ces mots ; le concept d’archiphonème n’a de sens que si, à l’intérieur de leur système,
les locuteurs connaissent dans au moins un contexte phonétique la possibilité d’une opposi-
tion. Or, pour ces locuteurs, la possibilité d’opposer n’existe nulle part. Il n’y a donc pas, à
l’intérieur de leur système à eux, de neutralisation, et par conséquent pas d’archiphonème. Il y
a simplement un autre système phonologique, différent de celui qu’enseigne la norme.
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