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Le Bouddhisme (PDFDrive)

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EYROLLES PRATIQUE

Religion

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EYROLLES PRATIQUE
Religio n

LE BOUDDHISME
Conçu par un spécialiste du sujet et un pédagogue reconnu, ce
livre propose une synthèse d'introduction aux fondamentaux du
bouddhisme. De l'émergence du bouddhisme en Inde à sa diffusion
contemporaine, vous découvrirez, citations à l'appui, l'histoire, les
concepts et les pratiques de cette religion asiatique, qui suscite
aujourd'hui un intérêt croissant en Occident.

• Un auteur spécial iste • Une approche vivante • Un regard actuel

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LE BOUDDHISME

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Cécile Becker

LE BOUDDHISME

Deuxième tirage 2016

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EYROLLES
---co~--
Groupe Eyrolles
61, bd Saint-Germain
75240 Paris Cedex 05
www.editions-eyrolles.com

Ouvrage dirigé par Alexandre Astier

Cet ouvrage a fait l'objet d'un reconditionnement à l'occasion de son deuxième tirage (nouvelle
couverture et nouvelle maquette intérieure).
Le texte reste inchangé par rapport au tirage précédent.

Mise en pages : Istria

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O'l
·c En application de la loi du 11 mars 19 57, il est interdit de reproduire intégralement ou partiel-
>-
a.
0 lement le présent ouvrage, sur quelque support que ce soit, sans autorisation de l'éditeur ou du
u
Centre français d'exploitation du droit de copie, 20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris.

©Groupe Eyrolles 2013, pour le texte de la présente édition


© Groupe Eyrolles 2016, pour la nouvelle présentation
ISBN: 978-2-212-56362-7
Remerciements
Pour leurs conseils précieux, pour leurs relectures, je remercie
Catherine Despeux, Valérie Zaleski, Laurianne Bruneau,
Jean-Pierre Berthon, Jean-Claude Hein et Éric Mollet.
Pour leur soutien constant et leur affectueuse présence à mes côtés,
je remercie tous les miens.

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Conventions orthographiques et prononciation
des caractères translittérés

Les mots translittérés ne portent pas la marque du pluriel français.


u se prononce ou
Les voyelles surmontées d'un trait sont longues
e, ai, au se prononcent é, ai~ ao
r se prononce ri en roulant le r
c se prononce tch
se prononce dj
s se prononce ch
s se prononce s et non z entre deux voyelles
$ se prononce entres français et ch
g se prononce g même avant une voyelle.

N.B. : Les conventions orthographiques sont homogénéisées dans le


corps du texte. Les références bibliographiques conservent les conven-
tions choisies par les différents éditeurs.

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6 1 Le bouddhisme
SOMMAIRE

Introduction Juste avant le Buddha .. ....................... 13


L'Inde du Nord-Est aux v11e- v1esiècles avant J.-C. ..... . .. .. ..... 13
La culture véd ique . . .. . ........ . ...... . .. . .. . .. . ...... . .. . .. . .. 14
Contestations .. . ..... . .... . ... .. ..... . .. . ..... . .... . . . .. .. .... 1 7
Hors ou à la limit e de la sphère védique .. . .. . .. . ...... . .. . .. . .. 18

~émer; ence du bouddhisme en Inde ........... . 21

Chapitre 1 Le Buddha . ........ .. .. .. ....................... 25


Les premières sources concernant le Budd ha. ..... . ...... . .... 26
Les édits d 'Asoka ................................... .26
Premiers reliefs narratifs . . ... .. .... . .... . .... . .... . .. 27
Une vie? Plusieurs vies? . . .. ......... . .. . ......... .. . . .. . ...... 28
La dernière vie du Buddha .. . ...... . .. . .. . .. . ...... . .. . .. . ...... 29
Quelques sources partielles . . . .. . . . .. . . . .. . . . .. . .... . .30
Les événements essentiels de la vie du Bouddha . .. . .... . .. .31
Au fil des récits: des événements merveilleux. un maître
exemplaire ..................................................... 32
Le corps du Buddha .. . . .. . . . .. . . . .. . . . .. . . . .. . .... . .32
La puissance cosmique du Buddha . .. . . . .. . . . .. .. . . ... .33
Comment distinguer le Buddha d'autres rel igieux charismatiques 3 7
vi Un être singulier . . .. . .. . . . . . .. . .. . . . . .. .... . .... . .. .37
Q)

0 Un usage original de la parole religieuse . . . .. . . . .. . .... . .38


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M Chapitre 2 Le dharma, l'enseignement du Buddha ............ 41
0
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Ainsi vont les choses ...... . .. .. .... .. ..... .. .... .. . . ......... .. 42
.._,
..c Alors. que fa ire? Les quat re nobles vérités ... .. .... ... .... .. ... 43
O'l
·c Première des quatre nobles vérités : la vérité de du(lkha . . . . .44
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a.
0
u La deuxième noble vérité : l'origine de du(lkha . . .. . . .. . . . .46
(/)
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La troisième des quatre nobles vérités : la cessation de du(lkha . .47

w
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La quatrième des quatre nobles vérités : le chemin vers
o_
::J l'au-delà de du(l kha . .... .. ... .. . . . .. . . .. . . . .. . . . .. . . .47
2
l')
@
L'efficacité du premier sermo n ................................ 49
L'extension des enseignements du Buddha: questions de
contenus et de langues ........................................ 50
Une classification en trois grandes sections : le Tripitaka . . . .51
Quelle langue de transmission ? ....................... . 51
Chapitre 3 Une organisation novatrice : le sal'Jlgha .. . ... ..... 55
Une communauté, plusieurs types d'acteurs ...... ....... ...... 56
Les bhik$u et bhik$unï : figures idéalisées des textes
bouddhiques ? ..................................... .56
Les religieux vivant en communautés sédentaires . ......... .59
Tous «ceux qui viennent ensuite» ..................... .61
Positionnements sociaux .. ..... . ........ .. ..... . .. ..... . .. ... 63
Richesses et renoncement .................................... 64

multiples .. . 67

Chapitre 4 Identités communautaires- disciplines,


doctrines et initiations . . ...... ............. ...... .......... 71
Premières communautés monastiques de l'Inde ancienne ..... 72
Des congrégations peu différenciées ... .. ... .. ...... . ... 72
La lente constitution d'une altérité doctrinale au sein des
communautés monastiques ...... . .... . .... . ........... 74
Quand de nouveaux sütra sont révélés ..... . ..... .. ........... 76
La notion de sünyata . . ... .... .. . .... . .... . .... . .... . .77
La notion de prajna . ... . .... .. ... .. .... . .... . .... . .. .77
La promotion du bodhisattva et de ses perfections . .. . ...... 77
La description d'une nouvelle cosmologie .. . .... . .... . ... 78
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0
Élaborer de nouvelles synthèses ............................... 78
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>-
w Faire l'expérience de la Voie du milieu ............. ... .......... 79
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Nâgârjuna .... . .... . ........... . .... . .... . ..... 79
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Tous les phénomènes sont dépourvus d'existence propre . .. .79
.._, La voie du milieu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 80
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Vers l'expérience de la profonde nature du Buddha ............ 80
a.
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Asanga ................. . . ..... ... . .... .. ... . ..... 80
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La conscience-réceptacle . . ... .. .... . .... . .... . .... . .. .81 QJ

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La profonde nature du Buddha ..... ... . .... .. ... . ...... 81 >,
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Grandes universités ............................................ 83 ::J
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Parcours initiatiques ..... . ..... . ............ . ..... . ...... . ..... 84 (.')
@

8 1 Le bouddhisme
Les nouvelles perspectives des tiintrika . ................. .85
Chapitre 5 Figures exemplaires et parcours spirituels ........ 89
Un« panthéon »évolutif en constante expansion . . ...... . .... 90
L'arhat ........................................................ . 91
Par-delà le fiot des tourments ................................. 92
Une conduite exemplaire ...... .. ...... . ............ . .. 93
Hors de la vie mondaine .. . .................... ... .. . .93
Cultiver la vigilance . ......... .. ...... . ............ . . .94
Exercices psychiques ..... ... .. ... .. ... .. . .... . ...... .94
Le bodhisattva ................................................. 9 7
Les Prajiittparamitttsutra . ........... . .... . .... . .... .. .98
Engagements ...................................... .99
Cheminements et perfectionnements des dix terres . . . .... . . 101
Chapitre 6 Pratiques ...................................... 105
Pratiquer le don .............................................. 107
Différents types de dons ....... . .... . .... . .... . .... . .108
Un don libre d'intention et de finalité .................. .109
Offrandes ........................................ .109
Énoncer et réciter: un art bouddhique du langage? .. ..... . .. 113
Récitations . ...................................... . 114
Fidèles en chemin: pèlerinages bouddhiques ..... . .. ..... . .. 117
Nouvelles terres saintes en Chine ..................... . 119
Circuits au Japon . ............ .. ... ........... .... . . 120
Soumission des divinités locales au Tibet . .............. . 122
vi
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........ 123
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M
0 Chapitre 7 La grande proscription chinoise de 845 .......... 127
N
@ La portée d'un événement ................................... 129
.._,
..c Une rupture dans un contexte culturel particulièrement
O'l
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a. ouvert et diversifié ........................................... 130
0
u (/) Appréhender la diversité des matériaux bouddhiques ..... . .. 132
<li

2» Différents courants du bouddhisme ch inois .................. 134


w
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Le Tiantai ....................................... . 134
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Le Huayan .... . .... . . . .. . . . .. . . . .. . . . .... . ........ 134
@

Sommaire 1 9
Les Terres pures . .... . .... . .... .. . .... . .. ... .. ... . . 135
Le Chan ........ .. ...... . . .. ................ .. . . .. 135
Proximités et distances ...................................... 137
Des débats réitérés. une proscription de plus ..... . .......... 138
Question de piété filiale . .... . .... .. . .... . .. ... .. ... . . 138
Comment contrôler les monastères ? ... . .... .. ...... . . . 138
Xénophobie . .. . . .... . .... . .... .. . .... . .. . . . .. . . . . . 139
Privilèges et libertés ................................. 139
Après la grande proscription . ........................ . 141
Chapitre 8 1642: un moine bouddhiste dirige désormais
le Tibet ................. ...... ........................... 143
L'avènement du veDalaï-lama à la tête du Tibet ............ 145
La maîtrise d'un échiquier polit ique complexe ................ 146
Plusieurs grandes lignées .. . .... .. ... .. ... .. ........ . 147
Constituer un État stable et puissant . .................. . 149
L'écriture d'une « mystique du pouvoir » ..................... 151
Une ouverture aux enseignements nyingmapa . .... . .... . . 151
Des visions mystiques . . .. . . . .. . . . .. . . . .. . . . .. . . . .. . . 152
Le Potala comme résidence gouvernementale .... . ..... . ... 153
Liturg ies en l'honneur des divinités protectrices ............. 154

Chapitre 9 La réforme de Mongkut, roi du Siam (1851-1868) .. 157


L'ambition d'un moine devenu roi ............................ 158
Le prestige du Mahavihara . . ................... . .... . 159
Une mosaïque ethnique. cu lturelle et religieuse .... .. .... .. .. 161

Vl
Le bouddhisme en Thaïlande ........................ . 162
Q)

0
Tradition cinghalaise et lég itimation du pouvoir royal ......... 163
'-
>-
w Une congrégation au service de la structuration d'un royaume
\D
M moderne .................. .. ....................... .. ........ 164
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Une volonté d'uniformiser les pratiques ........... . ..... 165
...., Les résistances ................................... .166
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La portée d 'une réforme ... . ................... . .... .166
a.
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0 La réforme éducative .. . . ... .. ... ... . .... ... . ... ... . . 167
V)

Un lien étroit entre pouvoir politique et religion . ......... .168 QJ

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Chapitre 10 Tourments et égarements: le bouddhisme QJ
Q_
::J
sous l'ère Meiji (1868-1912) ............................... 169 e
(.')
@

10 1 Le bouddhisme
Le rejet brutal d'une religion« étrangère» installée au Japon
depuis le v ie siècle ............................................ 170
L'héritage culturel continental .. . .... . .... . .... . .... . . 170
Une relation étroite avec le shinto .................... . 170
La rupture de Meiji . . .... . .... . .................... . 171
Séparer les kami des buddha . ................................ 171
Le Kojiki et les Études nationales .... . .... . .... . .... . . 172
L'adaptation des élites bouddhistes ......................... 17 5
Un soutien sans faille à l'empereur . ... . .... . .... . .... . . 176
Un nouvel intérêt pour l'étude historique des textes ...... . 176
Une nouvelle façon de présenter le bouddhisme ... . .... . . 177
Un bouddhisme pour l'Occident? ............................ 178
Le Parlement des religions . ..... . .... . .... . .... . .... . . 178
L'influence de Suzuki ................................ 179
Index ... .. .. .. .. ...................... . ............... ... 181

Bibliographie ...... .... .................................. 185


Sources . .. . . . .. .... . .... . .. . . . .. . . . .. . . . .. . . .. . . . 185
Études .......................................... .186

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Sommaire 1 11
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INTRODUCTION

JUSTE AVANT
LEBUDDHA

L'Inde du Nord-Est aux v11e-v1e siècles


avantJ .-C.
Si la naissance du bouddhisme en Inde du Nord-Est au vie siècle
avant J.-C. a pour fondements l'expérience singulière et l'en-
seignement de son fondateur, elle n'est pas, au regard des déve-
loppements religieux du sous-continent indien, un phénomène
fortuit. Comme l'émergence d'autres mouvements religieux, elle
s'inscrit dans un contexte culturel spécifique dont il est possible
de dessiner les premiers contours. Cela, grâce à deux types de
sources distinctes. Un corpus religieux parvenu jusqu'à nous sous
une forme écrite après bien des siècles de transmission orale et un
abondant matériel archéologique exhumé dans différentes régions
de l'Inde. Ce dernier permet d'éclairer des réalités qui, tantôt
Vl
Q)
corroborent les informations livrées par le corpus textuel, tantôt
0
'-
>-
w s'en distinguent pour les nuancer.
\D
M
0 La mise en regard de ces deux types de sources permet aujourd'hui
N
@ de:
.._,
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O'l
·c
• découvrir un paysage culturel et religieux plus diversifié qu'on
>-
a. ne l'a souvent présenté;
0
u (/)
<li • mieux évaluer l'apport et les limites des traditions écrites domi-
2» nantes qui nous sont parvenues ;
w
<li
o_
::J • mieux reconnaître l'apport de traditions religieuses ayant
2
l')
@
élaboré des systèmes culturels fortement ancrés régionalement
et capables de s'imposer et de se diffuser sans recours à un
corpus scripturaire identifiable.

La culture védique
La culture védique qui s'est constituée en Inde est celle d'une aris-
tocratie dont les acteurs les plus puissants se désignent eux-mêmes
sous le terme sanskrit d'arya (les nobles). Ils se distinguent par des
usages rituels qui consistent à :
• lutter contre les forces de l'obscurité en honorant de nombreuses
puissances divines ;
• rendre un culte au feu par des offrandes abondantes et des
sacrifices ;
• faire usage d'une parole sacrée au moyen de récitations et de
prières ;
• acquérir des pouvoirs hors du commun grâce à la consomma-
tion d'une liqueur sacrificielle.
Ces usages les séparent des dasa, ou dasyu, ces « autres », ces
« gens du dehors » qui ne sacrifient pas et sont prêts à subtiliser les
richesses destinées aux rituels des arya.
Les positions des historiens concernant l'origine des arya ont long-
temps fait prévaloir l'hypothèse « invasionniste ». Supposés être
Vl
Q)
originaires des régions de Russie méridionale, les arya auraient
0
'- ainsi franchi les rives de l'Indus vers 1700 avant J.-C. pour s'ins-
>-
w
\D
taller dans la région du Penjab. Ils auraient ensuite progressé vers
M
0
N
la moyenne vallée du Gange à partir du début du I er millénaire.
@
.._, Diffusant leurs référents religieux et leurs usages linguistiques,
..c
O'l
·c
leur présence se serait imposée pour ne laisser qu'une place négli-
>-
a.
0
geable aux langues et cultures préexistantes.
u V)
QJ

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>,
w
QJ
Q_
::J
e
(.')
@

14 1 Le bouddhisme
Cette hypothèse, diversement contestée, laisse à présent place à
des scénarios différents 1 qui :
• renoncent à la réalité d'une invasion à partir d'un foyer central;
• soutiennent les origines indiennes de la culture védique ;
• observent la diversité régionale des expressions de cette
dernière;
• font état d'éléments culturels autres que ceux dont témoignent
les sources védiques.
Ce qui nous est parvenu des conceptions religieuses des arya et des
éléments de leur culture matérielle se dégage des Veda. Les Veda
désignent un vaste corpus religieux, composé en sanskrit archaïque.
Ils constituent un apport déterminant pour la connaissance de la
genèse de l'hindouisme et éclairent aussi certains éléments relatifs
à l'émergence du jaïnisme et du bouddhisme. C'est en effet en se
positionnant dans un rapport inégal de proximité ou de distance
quant à la culture védique que se sont dessinées ces nouvelles propo-
sitions religieuses. Elles allaient en particulier discuter, contester ou
réorienter plusieurs des composantes de ses usages socioreligieux, en
particulier ceux liés au rituel.
Le rituel védique est avant tout un acte sacrificiel (yajfia) d'hom-
mage et d'offrande à des puissances sacrées. On leur destine
des nourritures végétales ou animales qui sont soit cuisinées ou
abandonnées au feu (ce sont les oblations), soit versées sur le sol
vi
(ce sont les libations). On attend de ce rituel des bienfaits et des
Q)

0 protections de la part des dieux qui en sont bénéficiaires. Éloigner


'-
>-
w les ennemis, obtenir ardeur au combat, longévité et descendance,
\D
M
0
faire prospérer les troupeaux, bénéficier de richesses : telles en sont
N
@ les premières attentes. Elles ne sont toutefois pas limitatives et la
.._,
..c
O'l
·c
>-
a.
0
u (/) 1. On verra à ce sujet :
<li

2» Ashvini Agrawal Contributed papers presented at International seminar "The Search for
w Vedic-Harappan Relationship" organized by Panj ab University, Chandigarh. Aryan
<li
o_ Books International, 2005.
::J
2 J.-Fr. Jarrige, « Du néolithique à la civilisation de l'Inde ancienne », in Arts asiatiques,
l')
@ Vol. L-1995, E FE O, 1995.

Introduction. Juste avant le Buddha 1 15


portée du rituel védique s'est étendue à des conceptions plus vastes,
en même temps que se diversifiaient ses modalités liturgiques.
C'est en revenant à la racine sanskrite du mot « rite » (rta 2 ),
« agencement », que l'on comprend une autre fonction essentielle
du sacrifice védique : celle d'ordonner, d'organiser, de ré-agréger
les parties d'un tout dont la cohérence aurait été mise à mal. Ce
tout est en premier lieu l'ordre spatial et temporel de l'univers : le
dharma.
Dans ce contexte, le roi, garant de la pérennité des richesses et de la
stabilité du dharma, devenait le commanditaire par excellence des
rites les plus prestigieux. Il avait pour cela recours aux brahmanes
qui constituaient un corps de spécialistes de la liturgie versés dans
la connaissance des Veda. Le nombre de ces spécialistes, la recti-
tude de leur savoir-faire rituel, l'abondance des offrandes, l'am-
pleur des préparatifs nécessaires aux célébrations, garantissaient le
soutien des puissances sacrées, l'harmonie sociale et la stabilité de
l'ordre cosmique.
À la faveur d'une économie rendue prospère grâce à des progrès
dans le domaine de l'outillage, du déboisement et de l'élevage du
bétail, les rites solennels prirent une nouvelle ampleur aux alen-
tours du vne siècle avant J.-C. Le dispositif rituel suscita bientôt
des dépenses considérables (en bétail, en ressources somptuaires,
en honoraires rituels ... ) et renforça une alliance structurante de la
société védique : celle des k$atriya (les princes et guerriers) et des
Vl
Q)
brahmanes (les spécialistes de la science rituelle). La prééminence
0
'-
>-
w
de ces deux groupes limitait le rôle d'un troisième de plus en plus
\D
M présent sur la scène économique : celui des vaisya (les producteurs
0
N et marchands). Il laissait par ailleurs pour compte celui des sadra
@
.._, (les serviteurs) et tous ceux qui ne faisaient pas partie de la société
..c
O'l
·c
>-
des arya. Ceci, nous le verrons, n'allait pas rester sans incidence
a.
0
u sur l'émergence et le succès de mouvements religieux contestant
V)

l'ordre védique. QJ

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>,
w
QJ
Q_
::J
e
(.')

2. P rononcé rita. @

16 1 Le bouddhisme
Contestations
Au vne siècle avant l'ère chrétienne, de nouveaux acteurs reli-
gieux, les sraman (les ascètes errants), s'imposent comme maîtres
spirituels à la tête de communautés de disciples plus ou moins
importantes. Ils mettent en cause la suprématie des brahmanes,
dévalorisent ou réorientent les perspectives du rituel et font
entendre de nouvelles aspirations religieuses.
Les Upanisad sont parmi les sources les plus anciennes qui en
portent témoignage. Bien que les données chronologiques soient
toujours difficiles à établir, elles seront suivies par les enseigne-
ments des premiers maîtres du jaïnisme, par ceux du Buddha et
ceux de groupes dont l'histoire a gardé peu de traces. Des quelque
soixante-deux groupes mentionnés par les sources bouddhiques
ou les 363 groupes mentionnés par les sources jaïnes, beaucoup
périclitèrent. Attachées à certains d'entre eux toutefois, appa-
raissent les figures de maîtres dont l'enseignement préparait
l'émergence des écoles de l'hindouisme classique.
Par-delà leurs différences, plusieurs convictions communes
réunirent ces mouvements. Parmi les plus importantes d'entre
elles figure celle du constat que les souffrances inhérentes à la
condition humaine ne sont jamais apaisées par le rituel et les
offrandes faites aux dieux. Il est aussi entendu que cette condition
humaine est aliénée à un cycle réitéré de vies et de renaissances (le
vi salJ1,sara) mais qu'une délivrance de ce cycle (la moksa) est toutefois
Q)

0
'-
>- possible. Enfin, se substituant à l'impératif de la rectitude rituelle,
w
\D
M
se dessine progressivement l'impératif d'une conduite morale et la
0
N valorisation de la vie renoncée. La figure du maître auprès duquel
@
.._, s'assied le disciple et celle du renonçant occupé par ses médita-
..c
O'l
·c tions animent désormais la vie spirituelle et intellectuelle de l'Inde
>-
a.
0 avec plus d'intensité. La forêt et ses ermitages deviennent des lieux
u (/)
<li d'expériences religieuses et de prises de conscience nouvelles de

w l'intériorité.
<li
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2
l')
@

Introduction. Juste avant le Buddha 1 17


Hors ou à la limite de la sphère védique
S'ils sont assez fréquemment oubliés, tant les données les concer-
nant sont rares et délicates à interpréter, il paraît important ici
de prendre en compte tous ceux qui, à la veille de l'émergence
du bouddhisme en Inde, n'étaient que peu - ou pas - intégrés à
la sphère védique. Des usages funéraires et religieux dont il n'est
pas question dans les Veda, des organisations sociales et politiques
singulières ainsi que des pratiques d'échanges et de commerce ont
suffisamment laissé de traces pour attester l'existence de commu-
nautés évoluées et dynamiques que les arya tenaient pour des dosa.

De récentes découvertes archéologiques

Les données archéologiques multipliées depuis une quinzaine d'années ont mis
en évidence quelque 2 000 sites occupés par des communautés de tradition
mégalithique dans toute la péninsule indienne sur une période allant de la
fin du lie millénaire avant J.-C. au 111e siècle après J.-C. Ces communautés, aux
spécificités régionales marquées, utilisaient le fer et édifiaient des enclos
sacrés constitués de grandes pierres. Ils pouvaient entourer des sépultures plus
ou moins importantes, certaines contenant des urnes, d'autres des espaces
funéraires élaborés. Le commerce et les échanges sont attestés au sein de
ces communautés qui bénéficièrent, elles aussi, des progrès économiques,
techniques et agricoles du milieu du 1er millénaire avant J.-C.

Vl
Outre ces usages religieux et ces pratiques d'échanges, les histo-
Q)

0 riens attestent par des sources littéraires cette fois (jaïnes et


'-
>-
w bouddhiques), l'existence en Inde du Nord d'organisations socio-
\D
M
0
politiques autres que la monarchie védique. Les ganasmrigha qui se
N
@ développèrent furent de petits États, des gouvernements claniques
....,
..c
O'l
comparés à des républiques. Qiels que furent leur fonctionnement,
·c
>-
a.
ces États n'étaient pas dépendants d'une alliance avec les forces
0
u divines scellée par le rituel, comme l'était la monarchie védique. V)
QJ

Leur dynamisme interne, stimulé par les conditions économiques e


>,
w
favorables et l'émergence de guildes professionnelles, faisait d'eux QJ
Q_
::J
des concurrents réels aux systèmes monarchiques. Ils contri- e
(.')
@

18 1 Le bouddhisme
huèrent pour une large part à l'urbanisation de la moyenne vallée
du Gange tels qu'en témoignent les vestiges des villes de Vanarasï,
Rajagt;ha ou Sravastî. Ils entretinrent aussi des contacts plus ou
moins nourris avec les milieux védiques. De fait, les différents
systèmes socioculturels présents en Inde à la veille del' émergence
du bouddhisme dessinent un paysage qu'il convient de considérer
avec ses nuances, sans occulter les interactions qui purent soit vivi-
fier, soit affaiblir chacun de ses acteurs. Les frontières religieuses
ne furent jamais tracées de façon exclusive dans l'histoire ancienne
de l'Inde. Des jeux de chevauchements, d'emprunts, d'appropria-
tions les plus divers y furent constamment pratiqués. Ainsi, bien
que les tentatives de distinction et de différenciation puissent avoir
leur utilité didactique, elles ne doivent pas occulter les zones de
contact, de porosité entre des communautés socioreligieuses, qu'il
s'agisse de leurs croyances, de leurs représentations, ou de leurs
pratiques.
Comment dans ce contexte la personnalité du Buddha a-t-elle
émergé ? Comment son enseignement s'est-il fait entendre ?
Comment la communauté qu'il fonda a-t-elle prospéré ? C'est à
ces questions que cette première partie est consacrée.

vi
Q)

0
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Introduction. Juste avant le Buddha 1 19


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PARTIE 1

L'ÉMERGENCE
DU BOUDDHISME
EN INDE

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0
u
Comment restituer les débuts du bouddhisme ?
Les matériaux dont disposent les historiens pour tenter de resti-
tuer les premières manifestations du bouddhisme en Inde consti-
tuent un ensemble d'éléments hétérogènes apparus, pour les plus
anciens, près de deux siècles et demi après la date supposée de la
mort du Buddha.
On peut distinguer d'une part une abondante littérature à vocation
édifiante ou normative (les enseignements, les règles monastiques,
etc.), d 'autre part un matériel épigraphique et archéologique qui,
comme l'a fait remarquer Gregory Schopen3 , restitue sans doute
davantage la réalité des croyances et des pratiques effectives que
la norme prescrite par les textes. Cet historien américain a égale-
ment souligné le fait que ces deux grandes catégories de documents
avaient trop longtemps été inégalement étudiées. Les sources
épigraphiques et archéologiques pourtant localisées et datées avec
assez de précision furent en effet longtemps négligées au béné-
vi
Q)
fice des sources littéraires dont la datation, non seulement diffi-
0
'-
>-
w cile à établir, est souvent tardive. Des controverses parfois vives
\D
M à ce sujet ont opposé les savants bouddhistes et les universitaires
0
N
@
non bouddhistes. C'est toutefois en étudiant minutieusement les
.._,
..c données épigraphiques et en leur accordant un crédit égal à celui
O'l
·c des données scripturaires que la connaissance des premiers siècles
>-
a.
0
u (/)
de l'histoire du bouddhisme en Inde s'est considérablement préci-
<li

2» sée et nuancée depuis quelques années.


w
<li
o_
::J 3. Gregory Schopen, Bones, Stones and Buddhist Monks, Collected Pap ers on the
2 Archeology, Epigraphy, and textes of Monastic Buddhism in lndia, University of H awaï
l')
@ press, Honolulu, 1997.

Partie 1. L'émergence du bouddhisme en Inde 1 23


Les principaux sites bouddhiques de l'Inde

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• • Godavari
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u
CHAPITRE 1

LEBUDDHA

Au programme

• Les premières sources concernant le Buddha


• Une vie ? Plusieurs vies ?
• La dernière vie du Buddha
• Au fil des récits : des événements merveilleux, un maître
exemplaire
• Comment distinguer le Buddha d'autres religieux
charismatiques

Qye savons-nous vraiment du fondateur du bouddhisme ? Fut-il


vraiment un personnage exceptionnel ?
Le mot buddha fut utilisé en Inde ancienne dans un contexte
culturel plus ancien et plus large que celui du bouddhisme. Ce
mot est un adjectif qui vient de la racine sanskrite budh-. Elle
couvre un large champ de significations : se réveiller, percevoir,
Vl
reconnaître, reprendre connaissance, savoir, comprendre ... Le
Q)

0 mot bodhi - qui en découle - désigne l'esprit, l'intelligence, le


'-
>-
w discernement, la compréhension, la connaissance, la science ...
\D
M
0 Le mot buddha désigne ainsi celui qui est réveillé, éveillé, intel-
N
@ ligent, sage, celui qui a compris. Le mot Buddha, « Éveillé »,
.._,
..c
O'l
que l'on écrit avec une majuscule pour désigner le fondateur du
·c
>-
a. bouddhisme, est donc un « titre » et non un nom propre.
0
u (/)
<li Présent dans certains textes, le nom personnel du Buddha est celui
2» de sa lignée: Gotama (en pali) ou Gautama (en sanskrit). Apparaît
w
<li
o_
::J
aussi le nom de son clan - celui des Sakya - dans le composé
2
l')
@
Sakyamuni : « le silencieux ou le sage des Sakya ». Le prénom
Siddhartha signifie quant à lui« celui qui a accompli son but».
Une multitude d'autres termes se substituent à celui de buddha :
!'Omniscient, le Bienheureux, le Vainqueur, !'Incomparable,
!'Ainsi-allé... Certaines sources reconnaissent 108 noms au
Buddha, ce qui n'est pas étonnant en Inde où ce chiffre est sacré.
Cette diversité montre que l'identité de !'Éveillé et ses qualités
furent volontiers discutées, étendues, redéfinies en fonction de ce
que l'on avait à en dire.
Aux questions simples« qu'est-ce que le Buddha? »ou« qui est le
Buddha ? », il n'y a pas de réponse définitive mais une multitude
de points de vue. Ils dépendent des orientations doctrinales, des
époques mais aussi des contextes culturels dans lesquels ils ont été
formulés.
C'est avec les sources indiennes qui s'étendent du IIIe siècle avant
J.-C. aux débuts de 1' ère chrétienne que l'on peut dégager les plus
anciens éléments permettant d'éclairer ce qui fut dit, d'abord, de
la personnalité du Buddha.

Les premières sources concernant


le Buddha
Vl
Q)

0
Les édits d'Asoka
'-
>-
w
\D
M
Les premiers documents faisant mention de l'existence du Buddha
0
N sont des textes que l'on a pris l'habitude de nommer Les édits
@
.._, d'Asoka. Ces données épigraphiques, datées des environs de 250
..c
O'l
·c avant J.-C., furent gravées sur des rochers et des piliers sous l'or-
>-
a.
0 donnance du roi Asoka de la dynastie des Maurya. Ce dernier,
u
devenu le modèle du monarque vertueux, promulgua par ces écrits V)
QJ

les grands axes de sa politique. C'est dans l'un d'eux, l'édit de


e
>,
w
QJ
Bhabru précisément, qu'il déclara sa foi en la personne du Buddha, Q_
::J
e
en sa Loi et en sa communauté. (.')
@

26 1 Le bouddhisme
Bien qu'aucune information concernant la vie de !'Éveillé lui-même
ne soit présente dans ces édits, quelques-uns de ses enseignements
sont cités. Ils n'ont cependant pas pu être rapprochés des docu-
ments qui. sont parvenus JUsqu
. ''a nous.

Premiers reliefs narratifs


À la suite de ces édits viennent les premières expressions connues
de l'art bouddhique : les monuments de Bharhut, de Saficï et, un
peu plus tard, ceux de la côte de l'Andhra Pradesh. Leurs reliefs
narratifs, symboliques et décoratifs ainsi que les inscriptions dédi-
catoires qui les accompagnent ont été datés de la fin du ne siècle
avant J-C . aux premiers siècles de l'ère chrétienne.
On peut ensuite dater les plus anciennes sources doctrinales écrites
provenant du Sri Lanka des environs de 1' ère chrétienne. Comme
c'est le cas pour de nombreux corpus religieux en Inde, il est
habituel de supposer des compositions antérieures. Les écoles
bouddhiques des pays d'Asie du Sud-Est sont assez affirmatives
au sujet de ces datations hautes. Dans 1' état des connaissances
actuelles, les éléments historiques tangibles et surtout archéolo-
giques font toutefois défaut.

Le Buddha a-t-il vraiment existé?

vi De cet ensemble de premières sources, et de celles qui sont venues


Q)

0 ultérieurement, aucune ne permet d'attester l'exactitude d'événements


'-
>-
w relatifs à la vie du Buddha. Si l'historicité du personnage n'est guère discutée,
\D
M les recoupements établis par les historiens ne permettent pas de proposer
0
N de datation définitive pour le début et la fin de sa vie. Les chercheurs situent
@
.._, généralement sa naissance soit en 566 avant J.-C., soit en 448 avant J.-C. et sa
..c
O'l
·c mort, quatre-vingts ans après ces dates. La notion de Buddha « historique » est
>-
a.
0
donc une notion extrêmement ténue si l'on se réfère strictement à la discipline
u (/)
des historiens.
<li

2» Elle acquiert une autre signification si l'on considère les conceptions du temps
w
<li
o_
telles qu'elles se dessinent dans les textes religieux. En fonction des écoles et des
::J
2 périodes, les cosmologies bouddhiques ont en effet désigné des ères cosmiques
l')
@ se succédant les unes aux autres ou se multipliant simultanément à l'infini.

Chapitre 1 . Le Buddha 1 27
Chacune de ces ères est éclairée par l'enseignement d'un buddha. Le Buddha
« historique » est, dans ce contexte, celui qui se manifeste durant la période
cosmique dans lesquels nous vivons . Plusieurs buddha le précédèrent. D'autres
lui succéderont. Selon certains textes une multitude de buddha peuplent d'ores
et déjà des univers lointains et y assurent la prédication de la Loi.

Une vie? Plusieurs vies?


La notion de sarrzsara, le cycle des vies et des renaissances, a déjà
été évoquée. Le Buddha «historique» fut lui-même soumis à une
longue errance au sein de ce cycle. Si son ultime existence a la plus
grande exemplarité, elle fut précédée par de nombreuses étapes
vers la perfection.
Les récits des existences antérieures du Buddha ont fait l'objet d'un
recueil de 547 histoires très populaires: les Jataka . Fixées par écrit
en langue palie vers le V: siècle, elles jouissaient déjà d'une popu-
larité bien établie aux n e-Ier siècles avant J.-C. puisque plusieurs
d 'entre elles furent représentées sur les monuments de Bharhut et
de Safi.cï.
Le Buddha est désigné dans les Jataka sous le terme de bodhisattva
(1' être promis à 1' éveil). Il y naît sous la forme d'un singe, d'une
antilope, d'un cerf aux bois d'or, d'un roi ... et devient le protago-
Vl
Q)
niste principal d'une courte fable édifiante et parfois amusante.
0L. Les vertus du courage, de la générosité, de la patience sont illus-
w>-
\D
trées lorsqu'il met à mal la prodigalité d'un marchand, l'immo-
M
0
N
dération d 'un ministre, le manque de pudeur ou la cruauté d'une
@
.._,
démone . ..
..c
O'l
·c Prologue au commentaire des Jataka, la Nidanakatha permet de
>-
a.
0 comprendre pourquoi le Buddha décida d'une ultime naissance
u V)

humaine et non d 'une naissance divine, plus heureuse à première QJ

e
vue. Si les dieux jouissent d'une très longue félicité, leur conscience >,
w
QJ
demeure attachée à la joie de ne plus être agitée par le jeu des Q_
::J
e
pensées. L eur vie est donc fort longue et heureuse m ais d'une (.')
@

28 1 Le bouddhisme
félicité imparfaite, encore liée au sarnsara. Les conceptions bou-
ddhiques considèrent que la destinée des hommes est la plus
enviable pour qui souhaite s'affranchir de ce cycle. Si le désir et
l'ignorance y attachent les êtres à la souffrance, cette souffrance
peut stimuler l'aspiration à la libération du cycle des vies et des
renaissances. Aussi, malgré les peines qui lui sont liées, la condi-
tion humaine offre-t-elle la possibilité de la délivrance.

La dernière vie du Buddha


Restituer le récit des épisodes essentiels de la dernière vie du
Buddha est à la fois simple et complexe. Simple, car comme les
Jataka, ces épisodes font partie de la culture et de la mémoire
de chaque fidèle et sont largement véhiculés. Complexe, car les
nuances et les variantes apportées dans ce domaine ne manquent
pas. Qi'il s'agisse des traditions orales (populaires ou savantes),
des sources scripturaires (très souvent lacunaires) ou des sources
iconographiques.
L'Inde a toujours accordé à la parole un pouvoir et un statut parti-
culièrement prestigieux. Les savoirs, si vastes soient-ils, y furent
mémorisés puis transmis oralement dans les communautés reli-
gieuses. Les récits relatifs à la vie du Buddha relevèrent donc tout
d 'abord de la tradition orale. Vint ensuite un langage narratif en
Vl
Q) images exprimé dans le premier art bouddhique. Vinrent enfin les
0 documents écrits.
'-
>-
w
\D
M
Pas plus qu'il n'existe de version « officielle » ou « autorisée » de
0
N la vie du Buddha, il n'existe pour les périodes anciennes de docu-
@
.._,
..c
ment qui en fasse la narration complète. Les textes en pali, répu-
O'l
·c
>-
tés les plus anciens, sont très fragmentaires à ce sujet et s'inté-
a.
0
u ressent peu à ce thème. Ils illustrent toutefois les sermons grâce à
(/)
<li
des anecdotes ou des événements dont la présentation se nuance

w
<li
en fonction du rôle didactique qu'on leur assigne. Les textes plus
o_
::J
2
tardifs en sanskrit accordent pour certains une plus large place
l')
@ à la biographie du Buddha. Plus développés, ils sont aussi plus

Chapitre 1 . Le Buddha 1 29
diversifiés dans leurs formes littéraires. Comme les textes palis,
ils ajoutent ou retranchent leurs lots de détails en fonction du
message qu'ils ont à délivrer. Bien plus que leur probabilité histo-
rique, c'est leur exemplarité qui acquit en premier lieu valeur - et
saveur - pour les prédicateurs et les fidèles.

Q uelques sources partielles


Parmi les textes indiens les plus anciens et les plus complets rela-
tant la vie du Buddha, quatre sont particulièrement significatifs.
• Le Mahavastu, écrit en sanskrit, fait principalement le récit de
Jataka avant de relater la dernière existence du Buddha jusqu'à
la conversion des premiers disciples, soit la constitution de la
première communauté. L'hétérogénéité linguistique de ce texte
a posé de nombreux problèmes de datation aux spécialistes.
Alors que le noyau originel est généralement daté des derniers
siècles avant l'ère chrétienne, ses additions les plus tardives
courent jusqu'au IV: siècle après J.-C.
• Biographie elle aussi partielle, le Lalitavistara fut l'un des
premiers textes bouddhiques connus en Europe. Rédigé d'abord
dans une prose sanskrite, il fut complété par une version versi-
fiée. L'ensemble est daté des IIIe-IV: siècles. Son récit se déploie
dans un style énumératif, accumulant une multitude d'allégo-
ries et de comparaisons. Ces dernières constituent des repères
Vl
Q) précieux pour l'étude de bien des éléments du vocabulaire
0
'-
>-
symbolique bouddhique.
w
\D
M
• Par la limpidité de sa poésie sanskrite, le Buddhacarita a constitué
0
N un récit bien différent de ceux du Lalitavistara ou du Mahavastu.
@
.._,
..c
Il a été attribué à Asvagho$a, vraisemblablement contemporain
O'l
·c du règne de l'empereur Kani$ka (127-147). Il est possible que la
>-
a.
0
u
version initiale du Buddhacarita ait décrit la vie du Buddha de sa
V)

naissance à sa mort. La version sanskrite qui nous est parvenue QJ

e
s'interrompt toutefois après l'éveil. >,
w
QJ
Q_
• La Nidanakatha qui elle a été rédigée en langue palie a été traduite ::J
e
(.')
à partir de sources en langue sri lankaise par Buddhaghosa, un @

30 1 Le bouddhisme
grand savant bouddhique du V: siècle. Son texte est une réfé-
rence essentielle pour les communautés theravadin présentes
aujourd'hui en Asie du Sud-Est.

Les événements essentiels de la vie du Bouddha


Voici comment pourraient être esquissés les événements essentiels
de la vie du Buddha d'après les textes qui viennent d'être cités.
À l'aube de sa vie de maître de maison, un jeune homme du
Magadha (nord de l'actuel Bihar), né d'une famille de bonne
condition, prend brutalement conscience de l'évidence de la souf-
france. S'impose à lui la volonté de trouver une issue à l'aliénation
à laquelle elle semble condamner chaque être humain. Il décide
alors de rompre avec la destinée promise par sa naissance et quitte
famille et biens pour poursuivre, dans le renoncement, la quête
d'une voie de salut.
Rejoignant des communautés d'ermites, il reçoit l'enseignement
de plusieurs maîtres et s'astreint à des pratiques ascétiques pendant
de longues années. Aucun enseignement reçu ne le satisfait. Il
s'isole alors et, au terme de longues méditations, fait une expé-
rience spirituelle dont la portée sera déterminante pour sa vie.
Il en tirera les fondements d'une voie de salut qu'il enseignera à
ses compagnons d'ascèse les plus proches, puis à des auditeurs de
toutes conditions jusqu'à la fin de ses jours. Une communauté de
Vl
Q)
disciples et de fidèles se constitue bientôt autour de lui. Il meurt
0
'-
>-
w
fort âgé en laissant ses instructions spirituelles à ses proches. Son
\D
M enseignement et sa communauté seront promis à des développe-
0
N
ments d'une ampleur et d'une diversité inégalées, partout en Asie.
@
.._,
..c
O'l
Utile à l'énoncé de grands repères, cette rapide esquisse occulte
·c
>-
a. la dimension merveilleuse de la vie du Buddha. Elle ne saurait
0
u (/)
être négligée. Elle s'intègre en effet à un contexte culturel dont
<li

2» aucune réalité n'a de raison d'être écartée. Il est donc important ici
w
<li
o_
d'y faire référence, car elle est bien présente, quelles que soient la
::J
2
l')
nature, l'obédience ou l'origine géographique des récits.
@

Chapit re 1 . Le Buddha 1 31
Au fil des récits : des événements
merveilleux, un maître exemplaire
Comme c'est le cas dans d'autres traditions religieuses indiennes,
les textes bouddhiques ont rendu compte de l'existence de forces
divines bienfaisantes ou menaçantes aux pouvoirs plus ou moins
étendus. Ils décrivent ainsi nombre de divinités des arbres,
de génies des eaux et des richesses et intègrent la réalité d'un
panthéon conduit par les dieux Indra et Brahmâ. Outre ces divi-
nités, plusieurs autres protagonistes sont reconnus pour leurs
pouvoirs exceptionnels. C'est particulièrement le cas de certains
brahmanes, sraman ou cakravartin (les monarques universels) que
l'on découvre aptes à communiquer avec les puissances divines ou
cosmiques et même parfois capables de les maîtriser.

Le corps du Buddha
On ne saurait s'étonner dans ce contexte que le Buddha soit
devenu par la ferveur de ses fidèles un personnage à la stature
tout à fait extraordinaire. Les astrologues, l'examinant après sa
naissance, en identifièrent les marques corporelles annonciatrices.
Certains récits listent ainsi avec grand soin trente-deux marques
spécifiques majeures ( lak$a1J,a) dont on peut retenir : des pieds
et des mains marqués d'une roue, le visage orné d'une touffe de
Vl
Q)
poils placée entre les sourcils, une protubérance au-dessus de la
0
'-
>-
w
tête, une langue longue et mince, une voix mélodieuse, des dents
\D
M sans espace entre elles, des yeux bleu saphir, de longues oreilles, le
0
N
corps aux proportions d'un banian, la peau dorée, le buste comme
@
.._, celui d 'un lion ...
..c
O'l
·c
>-
a. Outre ces marques, d'autres détails font du corps du Buddha un
0
u corps sublime, parfaitement beau, lieu de la pleine réalisation de V)
QJ

ses perfections. Sa puissance spirituelle est ainsi rendue visible par e


>,
w
les couleurs et les lumières conférant à sa présence un éclat particu- QJ
Q_
::J
lier. Il attire à lui des assemblées célestes elles aussi éclatantes. D es e
(.')
@

32 1 Le bouddhisme
divinités chargées de guirlandes de fleurs, des esprits de la nature,
des protecteurs des quatre orients, des divinités nombreuses dont
Indra et Brahma convergent ainsi vers les lieux de la naissance, de
l'éveil ou de la première prédication.

Buddha magicien ?

Bien qu'il ait déclaré les pouvoirs magiques inutiles, le Buddha les utilisa
parfois à l'occasion d'attaques lancées par des maîtres rivaux ou de conversions
particulièrement difficiles. À Sravastï, il s'éleva dans les airs et multiplia son
image à l'infini. Maître de l'eau et du feu, il fit aussi sortir de son corps flammes
et flots. Ailleurs, et à l'occasion de la conversion des Kasyapa (des ascètes
brahmaniques), il provoqua une inondation pour disperser leurs instruments
rituels. Lors d'autres épisodes encore, il apaisa un cobra redoutable occupant
un ermitage ou un éléphant rendu furieux, lancé contre lui par un jaloux.

La puissance cosmique du Buddha


Il est intéressant d'observer que les légendes bouddhiques, de façon
comparable aux mythes d'autres traditions religieuses de l'Inde,
dotèrent le Buddha d'affinités avec les éléments cosmiques. C'est
ainsi que la terre tremble ou que la lumière inonde les moindres
recoins de l'univers à l'occasion de sa naissance ou de son dernier
souffle. S'affirmant comme maître de l'espace et du temps, on le
vi voit par ailleurs revendiquer sa souveraineté universelle en faisant
Q)

0
'-
sept pas vers chacun des orients pour proclamer : « Je suis le sommet
>-
w du monde, je suis l'aîné du monde, j e suis le meilleur du monde 4 • » ; et
\D
M
0 déclarer que dans le ciel et sur la terre, il sera le seul être vénérable,
N
@ à sauver les êtres de la naissance, de la vieillesse, de la maladie et
.._,
..c de la mort.
O'l
·c
>-
a.
0 L'aptitude du Buddha à s'affranchir des limites usuelles de l'es-
u (/)
<li pace et à y étendre sa puissance a été traduite de façon très frap-

w pante dans l'art bouddhique. Les sculpteurs montrèrent de façon
<li
o_
::J
2
l')
@ 4. Mahapadanasütra.

Chapitre 1 . Le Buddha 1 33
assez amusante parfois le voyage céleste qu'il fit au ciel des Tu~ita,
le séjour bienheureux de sa mère décédée. Ils firent ainsi figurer
dans leurs images une ou deux échelles. Un aller-retour en quelque
sorte.
D'une façon peut-être moins « pratique », mais aussi efficace,
d'autres représentations ont montré la puissance cosmique du
Buddha en multipliant son image à l'infini ; sa présence s'impo-
sant alors symboliquement en tout lieu, en tout temps. Faisant
référence à une des versions du miracle de Srâvastï, ce thème des
mille Buddha fut la réponse de !'Éveillé à des détracteurs mettant
en cause ses pouvoirs spirituels.

Douze grandes étapes de la vie du Buddha

Douze ou quinze étapes majeures de la vie du Buddha sont le plus souvent


retenues.

1. Le départ du ciel des Tu~ita


Constituant un prologue attestant l'ampleur des mérites accumulés dans
ses vies passées, le séjour au ciel des dieux Tw?ita sert, dans de nombreuses
sources, d'introduction à la narration de la dernière existence de celui qui n'est
encore qu'un bodhisattva. L'excellence et l'évidence de ses qualités étant si
remarquables, les dieux de milliers de mondes se réunissent à ses côtés et le
prient de prendre naissance une dernière fois, d'accepter un devenir humain
pour accéder à l'ultime délivrance et d'attester ainsi d'une possible voie de salut
hors des tourments du samsara.
Vl
Q) 2. Le choix d'une mère
0 C'est dans la famille d'un chef du clan des Sakya régnant à Kapilavastu que
'-
>-
w
\D
s'incarne donc le futur Buddha. Maya, première épouse de Suddhodana,
M
0 deviendra sa mère. Retirée pour un temps dans le gynécée, elle s'éloigne de son
N
@ époux et, purifiée par cette ascèse, fait le rêve merveilleux d'un éléphant blanc
.._,
..c perçant son sein. Le futur Buddha y a pris place, protégé de tout contact avec
O'l
·c
>- le corps de Maya par une sorte d'écrin de béryl dans lequel il séjourne dix mois
a.
0
u lunaires. Il y est miraculeusement nourri par les dieux.
V)
QJ

3. La naissance e
>,
w
Arrivée au terme de sa grossesse, Maya décide de rejoindre la maison de ses QJ
Q_
::J
parents pour donner naissance à son enfant. Elle quitte le palais avec quelques e
(.')
suivantes et fait en chemin une halte dans le bosquet ou le jardin de Lumbinî. @

34 1 Le bouddhisme
S'accrochant d'une main à la branche d'un arbre, elle donne là naissance à son
fils qui sort sans « souillure » de son flanc droit. Le nourrisson, jouissant de
facultés précoces, est accueilli par les dieux. Faisant sept pas dans les directions
de l'espace, il proclame qu'en souverain du monde il apportera à tous les êtres
une voie de salut. Se réjouissant de cette naissance et de ce message, la terre
tremble dans une pluie de fleurs, une abondance de musiques et de parfums.

4. La jeunesse
Suite à la mort de Maya sept jours après la naissance de Gautama, c'est la tante
de ce dernier qui est chargée de l'élever. Les astrologues ont examiné l'enfant,
ont identifié trente-deux marques spécifiques désignant un grand homme et
prédisent à son père qu'il deviendra soit un grand religieux, soit un monarque
universel. C'est dans le cadre aisé du domaine de son père que l'enfant reçoit
une éducation conforme à sa condition. Une première méditation devant le
spectacle de la meurtrissure de la terre par le travail des labours préfigure sa
vocation prochaine. Devenu jeune homme, il se marie toutefois avec la belle
Ya5odhara qui donne bientôt naissance à leur fils Rahula.

S. Les quatre rencontres


C'est à l'occasion d'une sortie hors de son domaine en compagnie de son
cocher que le jeune Gautama prend brutalement conscience de l'aliénation de
la condition humaine à la souffrance. Il rencontre successivement un homme
tremblant de fièvre, un vieillard affaibli et un défunt conduit vers son bûcher
funéraire. « La souffrance est le lot de tous », lui confirme son cocher. Une
quatrième rencontre vient toutefois mettre en cause cette conclusion alors que
s'avance un ascète affranchi de la crainte de la maladie, de la vieillesse et de la
mort.

6. Le grand départ
vi
Q)
Les quatre rencontres ont été décisives. Gautama renonce à son palais, à
0 la promesse de son gouvernement, à son gynécée et à son fils. Les dieux
'-
>-
w accompagnent silencieusement son départ dans le plus grand secret. Gautama
\D
M
0
rejoint alors la forêt et ses ermitages, coupe sa chevelure, confie son cheval
N
et ses parures à son cocher avant de le congédier. La quête de l'éveil débute
@
.._, désormais .
..c
O'l
·c
>-
a. 7. La vie ascétique
0
u (/)
Pendant de longues années de questionnements et d'exercices ascétiques,
<li

2» Gautama côtoie différents maîtres dont les enseignements lui paraissent


w finalement insuffisants. Il s'isole aux alentours du village d' Uruvilva avec cinq
<li
o_
::J renonçants pour compagnons et s'astreint à des austérités qui le conduisent à
2
l')
la limite de ses forces. Il comprend que cette voie extrême n'est pas la bonne
@

Chapit re 1 . Le Buddha 1 35
et retrouve une meilleure santé en acceptant la nourriture que lui offre une
jeune fille et en prenant un bain. Ses compagnons y voient une défaite et
l'abandonnent. Gautama décide de poursuivre sa quête de l'éveil par d'autres
voies que celle des mortifications.

8. La soumission de Mara
Alors que ses méditations le conduisent à une intuition nouvelle de la réalité du
monde et à une conscience précise de la façon de s'affranchir de la souffrance
qui tourmente les êtres, Gautama est assailli par Mâra. Le dieu de la mort et du
désir, maître du samsâra, redoute que sa souveraineté ne soit menacée. Il tente
de détourner Gautama de sa quête par la peur qu' inspirent ses armées ou par le
désir qu'éveille la volupté de ses trois filles. Le renonçant ne cède pas. La déesse
terre témoigne de tous ses actes méritoires et Mâra est vaincu.

9. L'éveil
Parvenu à l'âge d'homme mûr, Gautama, installé à Bodhgayâ sous l'arbre de
la bodhi, parvient enfin à l'éveil. Au terme d'une longue nuit de médiation, il
se remémore toutes ses vies antérieures et comprend ensuite intimement le
parcours passé, présent et à venir de chacun. Les causes de l'enchaînement des
êtres au cycle du samsâra lui sont désormais claires. Tout comme le moyen de
rompre avec ce cycle douloureux. En paix et en joie, Gautama est désormais un
buddha parfaitement éveillé.

10. La première prédication


Après plusieurs semaines d'hésitations et finalement l'intercession du dieu
Brahmâ, Siddhârtha consent à enseigner sa Loi. Il la sait difficile à comprendre
et exigeante à observer. Il retrouve les cinq compagnons qui l'avaient délaissé
et qui réalisent que Gautama est bien parvenu à l'éveil. Arrivé à Sârnâth au parc
des antilopes, il met « en marche la roue du dharma » en énonçant sa Loi à
Vl
Q)
l'occasion d'un premier sermon. Les premières conversions ont lieu. Le noyau de
0 la première communauté se constitue. Pendant les quarante ans qui suivront, le
'-
>-
w Buddha poursuivra sa vie errante et enseignera sa Loi à des auditeurs de toutes
\D
M
0
condition s, répondant parfois à des détracteurs virulents.
N
@ 11. L'ultime extinction ou le mahoparinirvol)a
.._,
..c
O'l C'est à Ku sinagara que le Buddha, affaibli par le grand âge et par un repas
·c
>-
a. de porc servi par un dévot, donne son dernier enseignement et ses ultimes
0
u recommandations. Il meurt étendu sur le côté droit après avoir invité ses V)
QJ
disciples à ne pas s'attrister : le cycle des renaissances s'éteint définitivement e
>,
pour lui, il ne renaîtra plus et touche à l'extinction totale, le parinirva(la. Comme w
QJ
Q_
lors de sa naissance, de son éveil et de son premier sermon, la terre tremble, ::J
e
(.')
@

36 1 Le bouddhisme
les êtres célestes se manifestent en nombre chargés d'offrandes de fleurs et de
parfums pour rendre hommage à l'Ainsi-allé.

12. Les funérailles


Des funérailles pareilles à celles d'un monarque universel sont organisées par
les princes Malla qui régnaient sur les lieux. Le corps du Buddha est conservé
pendant sept jours dans des étoffes précieuses et de l'huile parfumée. On
procède à la crémation. Les cendres sont ensuite divisées en huit parts sur
lesquelles huit monuments seront érigés.

Comment distinguer le Buddha d'autres


religieux charismatiques
Un être singulier
Au contraire des brahmanes ou des cakravartin qui apparaissent
comme des archétypes, au contraire des sages des Veda ou des
maîtres des Upani$ad le plus souvent anonymes, le Buddha appa-
raît doté d'une individualité bien à lui, d'une histoire singulière et
remarquable. Il est désigné par les sources bouddhiques comme un
maître unique dont l'histoire des religions a toutefois rapproché le
parcours de celui de Mahavïra, un des maîtres jaïns. Une personne
tout à fait singulière donc pour les fidèles, si charismatique qu'elle
vi
Q)
bénéficie de l'affection divine et de la reconnaissance des élites de
0
'- son temps, qui ne revendique toutefois aucun autre pouvoir que
>-
w
\D
celui forgé par ses expériences, et qui n'aspire à aucune reconnais-
M
0
N
sance en tant que médiateur d'une puissance divine supérieure.
@
.._,
..c
Affirmant avant tout la visée thérapeutique de son engagement, le
O'l
·c Buddha fut volontiers décrit comme une personnalité résolument
>-
a.
0
u
en marge des attendus socioreligieux brahmaniques :
(/)
<li


• par la teneur de son enseignement bien sûr (nous y reviendrons) ;
w
<li
o_
• par le fait d'avoir abandonné les siens avant d'avoir fait prospé-
::J
2 rer son clan et d'avoir assumé ses devoirs de maître de maison;
l')
@

Chapit re 1. Le Buddha 1 37
• par le fait de ne rendre hommage ou de ne sacrifier à aucun
dieu, par son indifférence à l'autorité du Veda , par un usage de
la parole tout à fait original. C'est un dernier point qu'il semble
important d 'éclairer.

Un usage original de la parole religieuse


Parler, parler aux dieux, aux hommes, parler devant une assem-
blée est un privilège dans toutes les sociétés. Un privilège d'autant
plus important dans une société où la parole est réputée avoir des
pouvoirs spécifiques par le lien qu'elle entretient avec l'énergie et
la cohérence du cosmos tout entier. Dans l'univers védique, l'usage
de la parole rituelle - juste et bien prononcée-, l'usage de la parole
salvatrice, était la prérogative d'une élite sacerdotale attachée au
sanskrit comme langue spécifique.
Les T$i 5, les « sages » des Upani$ad majeures 6 , qui n'étaient pas tous
nécessairement issus de cette élite, réorientèrent l'héritage védique
pour faire de l'usage de la parole religieuse une expérience non
plus essentiellement liturgique mais une expérience de type ésoté-
rique et spirituel. On garde volontiers de ces Upani$ad l'image d'un
maître, transmettant à quelques rares disciples les éléments d'un
savoir, d'un mystère initial, corrélant différents ordres de réalités :
rituelles, cosmiques et individuelles.
La parole, les paroles attribuées au Buddha ne furent en aucun cas
Vl
Q)
présentées comme des paroles inspirées par une source immémo-
0
'-
>-
w
riale telle que celle des Veda, des Upani$ad et, un peu plus tard, des
\D
M épopées hindoues.
0
N
@
.._,
..c
O'l
·c
>-
a.
0
u V)
QJ

e
>,
w
5. Prononcé rishi. QJ
Q_
::J

6. On désigne généralem ent treize Upani$ad anciennes, auxquelles se sont ensuite ajou- e
(.')

t ées de nombreuses autres au cours des siècles. @

38 1 Le bouddhisme
Il est souvent considéré par les différentes traditions bouddhiques que les
enseignements fondamentaux du Buddha furent initialement délivrés dans
des langues vernaculaires accessibles à un auditoire socialement diversifié.

Ces paroles, telles qu'elles nous sont parvenues, frappent par leur
dimension littéraire très présente et par leur caractère gnomique
(en forme de proverbe ou de maxime). Elles se distinguent aussi
par le fait que le Buddha n'hésite pas à utiliser le « je » pour
affirmer la force d'une expérience personnelle. Cette expérience
s'énonce d'ailleurs par des images et par un art narratif extrême-
ment performant et évocateur. Les paroles attribuées au Buddha
furent non seulement respectées parce qu'elles eurent pour origine
une expérience personnelle reconnue comme authentique, parce
qu'elles mirent en œuvre des procédés didactiques variés favorisant
leur mémorisation et leur diffusion, mais aussi, parce qu'elles furent
très puissantes socialement. La perspective d'un salut personnel et
les moyens pour y parvenir allaient en effet structurer moralement
et socialement des communautés plus larges que celles touchées
par la sphère rituelle védique. Ceci, bien avant que l'hindouisme
classique ne parvienne, avec l'universalisme de ses mouvements
théistes (vi~nouites ou sivaïtes), à tempérer les cadres de la caste ou
de l'appartenance communautaire.

vi
Q)

0
'-
>-
w
\D
M
0
N
@
.._,
..c
O'l
·c
>-
a.
0
u (/)
<li


w
<li
o_
::J
2
l')
@

Chapitre 1 . Le Buddha 1 39
Ul
Q)

0!....
>-
w
\.0
r-i
0
N
@
.......
..c
01
·c
>-
a..
0
u
CHAPITRE 2

LE DHARMA,
L'ENSEIGNEMENT
DUBUDDHA

Au programme

• Ainsi vont les choses


• Alors, que faire? Les quatre nobles vérités
• L'efficacité du premier sermon
• L'extension des enseignements du Buddha: questions de
contenus et de langues

Le mot dhamma (en pali) ou dharma (en sanskrit) fut, comme le


mot buddha, utilisé en Inde dans un contexte culturel plus ancien
et plus large que celui du bouddhisme. C'est dans le contexte de la
religion védique qu'il apparaît tout d'abord en dérivé de la racine
Vl
dhr, « tenir ». Il désigne alors ce qui tient, ce qui porte, le socle, le
Q)

0
'-
fondement. Il deviendra, dans le cadre de l'hindouisme, la norme
>-
w religieuse et personnelle à suivre en fonction de sa place dans
\D
M
0 l'ordre socioreligieux.
N
@
.._, Pour les bouddhistes, le dharma est le deuxième« joyau» en lequel
..c
O'l
·c prendre refuge après le Buddha et avant le sarrigha, la communauté.
>-
a.
0
Le dharma bouddhique désigne tout à la fois l'ordre qui sous-tend
u (/)
<li tout ce qui existe et l'enseignement même du Buddha. Il est la
2» Loi qui régit l'existence et le devenir de toute chose, de tout indi-
w
<li
o_
::J
vidu, de toute expérience ... Cet ordre ne dépend d'aucun créateur
2
l') et s'énonce en un processus dynamique en lequel se dessine une
@
des spécificités doctrinales du bouddhisme par rapport à d'autres
messages religieux de son temps.

Ainsi vont les choses


Au sein de ce processus « dharmique », tout ce qui constitue
l'existence et les expériences qui l'animent est irréductiblement
transitoire, changeant, composé, mélangé. « Être au monde » ne
saurait donc s'énoncer que dans la dynamique d'un ensemble de
corrélations et de connexions articulées les unes aux autres. Tous
les phénomènes psychophysiques faisant partie de l'expérience
humaine apparaissent et se développent ainsi par le jeu de causes
multiples. Elles ne cessent d'interférer les unes avec les autres et
de se transformer mutuellement dans un cours ininterrompu de
constructions, de mutations et de disparitions.
Ce processus difficile à saisir - aurait précisé le Buddha - défait
les perceptions coutumières qui consistent en la croyance d'un
soi stable, substantiel, éternel. Ne reconnaissant ni puissance
unifiante, ni principe vital, le Buddha formula la conclusion que
l'individu est absolument dépourvu de soi, qu'il est libre de nature
propre. Aussi loin que l'on puisse pousser l'investigation, nul ne
saurait lui trouver d'identité ultime. Ni âme, ni absolu stable ou
immuable.
Vl
Q)
Si l'on a pris soin ici de ne pas nommer ce processus, c'est que le
0
'-
>-
w
terme qui le désigne, pratrtyasamutpada, est difficile à manier car
\D
M
il n'a pas d'équivalent en français. On a l'habitude de le traduire
0
N par « coproduction conditionnée » ou « production en dépen-
@
.._,
..c
dance ». Comme c'est le cas pratiquement de toutes les notions
O'l
·c
>-
doctrinales, la loi de la coproduction conditionnée a donné lieu à
a.
0
u des explications nuancées en fonction des familles doctrinales et
V)

des époques. Dans certaines sources, elle est équivalente au mot QJ

e
>,
dharma lui-même. w
QJ
Q_
::J
e
(.')
@

42 1 Le bouddhisme
«Celui qui voit clairement la loi de la coproduction conditionnée
voit clairement le dhamma, celui qui voit clairement le dhamma
voit clairement la loi de la production conditionnée. »
Majjhim anikaya.

Alors, que faire?


Les quatre nobles vérités
La tradition rapporte les hésitations du Buddha quant à la perti-
nence d'énoncer ses conclusions. Il s'engagea toutefois en faveur
d'un positionnement clair, compris comme compassionnel : celui
de transmettre son expérience, grâce à son enseignement, pour
le bien du plus grand nombre. Le Buddha ne laisse donc pas ses
semblables devant une interrogation, même s'il refuse de tout
expliquer ou de tout conceptualiser. Pour l'individu pris dans les
filets de la coproduction conditionnée, il propose une échappée,
vers l'au-delà, de ce qui est composé. Cela, grâce à un exposé
assorti de préconisations : «les quatre nobles vérités ». Elles s'arti-
culent toutes autour du mot du}Jkha :
• la vérité de du}Jkha ;
• l'origine de du}Jkha ;
Vl
Q) • la cessation de du}Jkha ;
0
'-
>-
w • le chemin vers l'au-delà de du}Jkha .
\D
M
0 Les linguistes attirent l'attention sur la richesse du mot du}Jkha qui
N
@ ne trouve - lui non plus - pas d'équivalent exact en français.
.._,
..c
O'l
·c Le préfixe du};- en sanskrit (qui a donné en français dys- de
>-
a.
0 « dyslexie », ou dis- de « distorsion ») a le sens de mauvais, dur,
u (/)
<li difficile, affligeant. L'image première suggérée par du};- (mauvais)

w et kha (moyeu) est celle d 'une roue qui tourne mal. Qyi ne peut
<li
o_
::J
donc pas avancer correctement.
2
l')
@

Chapitre 2 . Le dharma. l'enseignement du Buddha 1 43


Plus largement, le mot du}Jkha a pris le sens de difficulté, d'incon-
fort, d'insuffisance, de peine, de souffrance.
Si l'étymologie de ce mot est importante, c'est que, sa richesse
appelle des significations nuancées en fonction des sources mais
aussi des auditoires auxquels elles sont destinées. Les références
aux quatre nobles vérités sont abondantes. La façon dont elles sont
évoquées oriente l'attention de l'auditoire vers des réflexions aux
nuances distinctes. L'exposé des « quatre nobles vérités » peut ainsi
se colorer d'une intention plus moralisante ou plus conceptuelle.
La pédagogie par la crainte, qui affleure dans quelques textes, a été
l'expédient de certains prédicateurs. D'autres déploient une didac-
tique plus subtile et profonde, servie par une langue d'une grande
beauté et d'une charge évocatrice d'une immense richesse.

Première des quatre nobles vérités :


la vérité de dul)kha

« Ô bhikhu qu 'est-ce que dubkha ?


Ce sont les cinq agrégats d'attachement. »
Samyutta -nikaya (V).

En énonçant l'identité de du/:zkha et des cinq agrégats d'attache-


Vl
Q)
ment, le Samyutta-nikaya énonce, par la voix du Buddha, l'identité
0
'-
de du/:zkha avec « l'individu » ou « le moi empirique » et, plus large-
>-
w
\D
ment, l'ensemble des catégories d'êtres vivants. Il renvoie ainsi
M
0
N
d'une façon concrète, pratique pourrait-on dire, à la « coproduc-
@
.._,
tion conditionnée ».
..c
CJl
·c Les conceptions bouddhiques définissent la globalité de « l'indi-
>-
a.
0 vidu », de « la personne », comme un ensemble psychophysique
u V)

constitué de cinq éléments interdépendants : les cinq skandha QJ

e
ou « agrégats ». Ils forment un tout qui est dit « confectionné » , >,
w
QJ
o.
« conditionné ». Ces agrégats sont transitoires, insubstantiels et ::J
e
se conditionnent les uns les autres. Tout ce qui les constitue, la (.')
@

44 1 Le bouddhisme
façon dont tout cela s'agence pour donner une cohérence transi-
toire et relative à l'individu, est dul;kha. De même que tout ce dont
chacun peut faire l'expérience est dul;kha : vulnérable, insatisfai-
sant, douloureux.
Le corps et ses fonctions sont dul;kha, puisque fragiles. Les sensa-
tions qu'il permet de ressentir - qu'elles soient plaisantes ou
non - sont fugitives, imparfaites dans les informations qu'elles
apportent. Les identifications auxquelles chacun se livre sont
partielles, souvent incertaines, voire erronées. De même, les
processus cognitifs, les comportements, les états de conscience,
même les plus subtils et heureux, restent conditionnés, composés,
instables et demeurent irréductiblement sous le joug de dul;kha.
Le constat de la réalité de dul;kha ne reste pas privé d 'issue. Avant
d'en énoncer la voie, c'est l'origine de dul;kha qui fait l'objet de la
deuxième des « quatre nobles vérités. »

Les cinq agrégats

• Rüpa : la forme ou la corporéité. Considérée comme constituée de terre,


d'eau, de feu et d'air c'est-à-dire de composants solides, liquides, chauds et
mobiles, rüpa est la constituante des six organes sensoriels : l'œil, l'oreille,
le nez, la langue, le corps et le psychisme.
• Vedanâ : les sensations (qui peuvent être agréables, neutres ou
douloureuses). Elles sont la manifestation du contact des organes sensoriels
avec les phénomènes extérieurs, et naissent du contact de l'œil avec les
vi formes visibles, de l'oreille avec les sons, du nez avec les odeurs, de la
Q)

0 langue avec les saveurs, du corps avec les objets que l'on peut toucher, de
'-
>-
w l'organe mental avec les idées.
\D
M
0 • Saf!ljnâ : les perceptions qui permettent de nommer, d'identifier toutes les
N
@ choses dont on fait l'expérience.
.._,
..c • Saf!lskâra : les processus de pensée, d'action qui sont « colorés » par
O'l
·c
>-
a. l'histoire de chacun, sa structure cognitive, sa sensibilité. Ils conditionnent
0
u (/)
tous les actes présents et à venir.
<li

2» • Vijnâna : la conscience, l'instance qui réunit et lie les informations de tous


w les autres agrégats.
<li
o_
::J
2
l')
@

Chapitre 2 . Le dharma. l'enseignement du Buddha 1 45


La deuxième noble vérité: l'origine de duf)kha
L'exposé de la deuxième des « quatre nobles vérités » s'articule
autour d'un terme très simple : tr$[lti 7 (la soif), que l'on traduit
usuellement par« désir». Tout ce qui est de l'ordre du vivant est
mu par la pulsion irrépressible de tr$[lti, qui est liée aux besoins
vitaux de l'individu. Cette force est le moteur du smrisara, le cycle
des renaissances.
Il existe trois grandes catégories de« soif». En premier lieu, celle
d'exister et de maintenir son existence par le fait de répondre aux
besoins du corps, de prolonger sa lignée, d'entreprendre pour la
faire prospérer et pour valoriser sa renommée.
Il y a aussi la soif des plaisirs, notamment ceux des sens. La soif
des plaisirs amoureux, esthétiques, du savoir, même des plaisirs de
l'apaisement, est à l'origine de dubkha.
Il y a enfin la soif de ne pas exister. Comme la soif d'exis-
ter, elle attache l'individu au jeu de l'acte. Qy'il soit violent ou
destructeur, qu'il soit positif ou négatif, l'acte suscite une infi-
nité de phénomènes composés, fragiles, incertains ... Les actes
positifs contribueront à des renaissances favorables, les actes
négatifs à des naissances douloureuses. Qyoi qu'il en soit,
c'est par la soif que l'action se développe, perpétue le jeu du
sarrisara et, par là même, dubkha.
La soif est essentiellement nourrie par l'illusion d'un soi stable.
Vl
Q)
Elle nourrit à son tour trois types de poisons ou de passions :
0
'-
>-
w l'ignorance, l'attachement et la colère. L'attachement, raga, attire
\D
M de façon avide l'individu vers ce qu'il convoite. Qyand ce dernier
0
N
@
possède ce qui était convoité, l'attachement l'aliène à l'orgueil de
.._, ce qu'il a acquis et le contraint aux tourments d'avoir à perdre
..c
O'l
·c ce qu'il protège ou chérit. L'ignorance, moha, est un égarement
>-
a.
0
u sans fin dans la confusion, les erreurs concernant la réalité de V)
QJ
l'ensemble des phénomènes et des interactions qui les affectent. e
>,
w
QJ
Q_
::J
e
(.')

7. Prononcé trishna. @

46 1 Le bouddhisme
La colère, dve$a, particulièrement dénoncée, suscite l'hostilité, la
malveillance et déchaîne les violences.

La troisième des quatre nobles vérités :


la cessation de dubkha
Le Buddha soutient dans la troisième des quatre nobles vérités
qu'il existe une expérience où s'épuise le jeu des corrélations entre
les phénomènes composés et impermanents. Cette expérience est
nommée nirvafJa, ce qui signifie « extinction ». Elle est dite non
née, au-delà des causes et des effets, au-delà de la soif et de dubkha.
L'authenticité de l'expérience du Buddha en faisant foi pour l'en-
semble de ses fidèles, l'individu recèlerait donc la possibilité de
se sauver lui-même de ses limitations. Nous avions souligné, en
évoquant l'histoire fabuleuse de Gautama, tout l'intérêt d'une
naissance humaine car elle seule permettrait de s'affranchir du
saf}1sara. Le Buddha impose ainsi l'idée que l'accumulation des
agrégats, bien que somme confuse, devient le lieu de sa possible
émancipation.
Le nirvafJa a été - on le devine aisément - l'objet d'interrogations,
d'approfondissements incessants et de définitions multiples. Le
Buddha aurait délibérément choisi de ne pas en livrer de définition
précise. Cela fait partie de ce qui est traditionnellement nommé
les« silences du Buddha ».
Vl
Q)

0
'-
>-
w
\D
M
La quatrième des quatre nobles vérités :
0
N
@
le chemin vers l'au-delà de dubkha
.._,
..c
O'l
·c Comment s'affranchir de la soif, de dubkha, du saf]1sara ? C'est
>-
a.
0
pour répondre à cette question que le Buddha propose une voie :
u (/)
<li «le chemin à huit branches »ou « l'octuple sentier» car ils' énonce
2» en huit prescriptions.
w
<li
o_
::J
2
l')
@

Chapitre 2 . Le dharma. l'enseignement du Buddha 1 47


«Des voies l'octuple est la meilleure[. .. ], c 'est la seule voie,
il n'y en a pas d'autre pour purifier vos vues : empruntez-la
donc, elle confond Mara (le seigneur de la mort). Car une fois
engagés sur elle, vous en.finirez avec la douleur. C'est moi qui
ai proclamé la voie une fois que j'ai su apaiser les blessures
causées par les épines. »
Dham mapada ( XX) .

Ces huit prescriptions - on le comprendra - ne seront pas toutes


suivies par l'ensemble des fidèles bouddhistes même si elles sont
censées être pratiquées simultanément et être constamment
approfondies.
Elles constituent des énoncés, des repères toujours valorisés
comme enseignement premier du Buddha. Elles seront toutefois
elles aussi amplement discutées voire transgressées dans certaines
circonstances et par certaines écoles. On présente usuellement ces
huit prescriptions en trois catégories : celles relatives à la conduite
morale, celles concernant la culture de l'esprit, celles concernant
la sagesse.
Les prescriptions, relatives à la conduite morale, consistent à :
• ne pas formuler de propos mensongers, calomnieux, grossiers
ou frivoles ;
• ne pas s'engager dans des actions fautives comme porter atteinte
Vl
Q) à la vie, frauder, prendre ce qui n'a pas été donné, se rendre
0
'-
>- coupable d'inconduite sexuelle;
w
\D
M
• ne pas pratiquer une profession nuisible.
0
N
@ Les prescriptions relatives à la culture de l'esprit, consistent à :
....,
..c
O'l
• s'engager à une attention constante de toutes ses activités
·c
>-
a. comportementales, des réactions de ses sens et de ses pensées;
0
u
• concentrer ses efforts pour éloigner les activités, les réactions, V)
QJ

les pensées malsaines ou perturbatrices et pour cultiver et déve- e


>,
w
lopper les activités, réactions et pensées bénéfiques ; QJ
Q_
::J
e
(.')
@

48 1 Le bouddhisme
• favoriser la concentration au moyen d'exercices psychophy-
siques appropriés.
Les prescriptions relatives à la sagesse invitent à :
• exercer une pensée de renoncement, de bienveillance et d'atten-
tion envers tous les êtres ;
• acquérir une compréhension pénétrante du dharma et des quatre
nobles vérités.

L'efficacité du premier sermon


L'efficacité du premier sermon, de 1' énoncé des« quatre noble véri-
tés» tel qu'il a été transmis, tint sans doute en ce qu'il proposa tout
à la fois un constat, un diagnostic, un objectif de succès validé par
une expérience, et des moyens pour y parvenir. Il fut retenu en un
exposé extrêmement efficace par sa brièveté, la clarté de sa struc-
ture, par les exemples conceptuels et les pratiques qui l'étayèrent.
Il présenta l'avantage de pouvoir être délivré de façon très simple
ou de façon approfondie en fonction des auditoires. Les lettrés, les
maîtres de maison, les pauvres gens n'avaient a priori pas besoin
de pré-requis pour le comprendre, il convenait « simplement »,
d 'ajuster le niveau de langue à son énoncé et le niveau des dévelop-
pements à y apporter. Cela n'a cessé d 'être mis en œuvre pendant
plusieurs siècles et le demeure, dans les communautés bou-
vi
Q)
ddhiques du monde entier.
0
'-
>-
w Ce sermon si efficace, sans aucun doute modèle dans l'art de
\D
M
0
communiquer et d 'enseigner, fut toujours présenté comme une
N
@ parole fondatrice par-delà l'affirmation de positionnements bien
.._,
..c
O'l
différents sur la place et le traitement du désir, sur le statut de
·c
>-
a. l'acte, sur l'impératif du renoncement ...
0
u (/)
<li Bien sûr, et malgré ses atouts, ce sermon et ceux qui suivirent ne
2» purent couvrir l'ensemble des questionnements spirituels d'aucune
w
<li
o_
::J
époque. De fait, « la mise en marche de la roue de la Loi » donna
2
l') lieu à des controverses de la part de ses détracteurs, des exégèses
@

Chapitre 2 . Le dharma. l'enseignement du Buddha 1 49


de la part de ses partisans et des prolongements dont l'histoire
s'écrit encore chaque jour.

L'extension des enseignements


du Buddha: questions de contenus
et de langues
La prééminence de la parole par rapport à l'écrit au sein de la
culture de l'Inde ancienne étant une donnée culturelle si forte-
ment ancrée, il n'est pas étonnant que le Buddha fût réputé n'avoir
rédigé aucun enseignement. Qgel que soit le niveau social ou
culturel, l'écriture n'était du reste vraisemblablement pas utili-
sée dans l'Inde du V: siècle avant J.-C. Les textes bouddhiques
rapportent donc des enseignements que le Maître aurait dispensés
oralement à des auditeurs de toutes origines sociales et de tout
niveau d'avancement spirituel.
Transmettre l'enseignement de leur maître disparu fut sans doute
le sujet d'importantes discussions pour les disciples du Buddha.
Qge retenir de ses quarante ans d'enseignement ? Comment
établir son héritage spirituel pour le mémoriser, l'organiser et le
transmettre ? Qgelle langue et quel niveau de langue employer ?
Bien qu'aucun élément historique ne puisse être attesté à ce sujet,
Vl
Q) les sources bouddhiques font état de trois (ou quatre) principaux
0
'-
>- conciles ayant réuni les disciples du Buddha à ce sujet. Le premier,
w
\D
M
qui se serait tenu à Rajag.rha un an après la mort du maître, aurait
0
N duré sept mois. Le deuxième concile, dit de Vaisalï, aurait eu lieu
@
.._,
..c
un peu plus de cent ans après celui-ci. Le troisième concile, tenu
O'l
·c
>-
sous l'autorité du roi Asoka dans sa capitale de Pataliputra, aurait
a.
0
u donné sa forme définitive aux enseignements du Buddha.
V)
QJ

e
>,
w
QJ
Q_
::J
e
(.')
@

50 1 Le bouddhisme
Une classification en trois grandes sections:
le Tripitaka
Il est important de noter que le premier concile fut réputé avoir
institué une classification des enseignements du Buddha en trois
grandes sections qui allaient rester pérennes, même si le contenu
de chacune d'elles put être amendé ou complété.
• La première de ces grandes sections, celle des sütra, est censée
réunir les paroles du Buddha : ce qui fut« bien dit».
• La deuxième section, (le vinaya) édicte un vaste ensemble de
règles monastiques.
• La troisième (l'abhidharma) est constituée de sortes d'essais - au
sens de discussions, de commentaires ou de systématisation -
sur plusieurs des sujets présents dans les sütra.
Ces trois sections furent désignées sous le terme des « trois
corbeilles » (Tripitaka) lorsque l'usage de l'écriture se généralisa au
sein des communautés bouddhiques.
Si leur autorité ne fut jamais invalidée par aucune des écoles
bouddhiques, il est important de préciser que, contrairement à
ce que laisse penser l'histoire des conciles, leur contenu ne fut
pas fixé de façon univoque ; qu'il ne fut pas partout enseigné ou
diffusé à partir d'un référent écrit, et que sa portée fut minorée par
certaines écoles qui - nous le verrons plus loin - se réunirent dès
le début de l'ère chrétienne autour d'un nouvel ensemble de textes
Vl
Q) rédigés en sanskrit.
0
'-
>-
w
\D
M
0
N Quelle langue de transmission ?
@
.._,
..c
O'l
Outre la question des contenus du Tripitaka , celle des langues
·c
>-
a. dans lesquelles ils furent transmis reste largement irrésolue. Les
0
u (/)
feuilles de palme ou les écorces de bouleau qui servirent sans doute
<li

2» de support aux plus anciennes transcriptions des enseignements


w
<li
o_
bouddhiques ont disparu pour des raisons climatiques. Les docu-
::J
2
l')
ments les plus complets qui nous sont parvenus sont souvent des
@

Chapitre 2 . Le dharma. l'enseignement du Buddha 1 51


traductions plusieurs fois recopiées sans que l'on ne sache toujours
quelle fut leur langue d'origine.

Les sources palies


Avant que d'autres documents découverts au Népal et en Asie
centrale ne viennent tempérer son importance, le corpus des
sources palies mis par écrit aux alentours des débuts de 1' ère chré-
tienne au Sri Lanka a retenu pendant près de deux siècles l'atten-
tion des historiens. Il est pour cela important d'en dire un mot.
Le pali est une langue considérée par la plupart des fidèles des pays
d'Asie du Sud-Est comme la langue des enseignements authen-
tiques du Buddha. Elle est en cela comprise comme la langue
que parlait !'Éveillé, la langue du Magadha, la région où il vécut.
Pour les philologues contemporains, les choses sont différentes.
Le pali fait partie d'un ensemble de prakrt : de langues dérivées
du sanskrit. Il est vraisemblable que le Buddha ait parlé plusieurs
formes de prakrt et utilisé aussi peut-être un sanskrit pré-classique.
Comme l'auraient fait les maîtres jaïns, le Buddha aurait transmis
son enseignement en langues vernaculaires afin de se démarquer
des usages liés à la révélation védique dont la langue sacrée (le
sanskrit) n'était accessible qu'à une certaine élite.

Une langue au statut contesté


Vl Selon plusieurs spécialistes, le pali dans lequel est parvenu jusqu'à
Q)

0
'-
nous le Tripifaka n'est non seulement pas la langue du Buddha mais
>-
w une langue qui, par des aspects de sa phonétique, de son style, de
\D
M
0 son vocabulaire et de sa syntaxe, a perdu les caractéristiques d'une
N
@ langue vernaculaire. Elle apparaît davantage comme la résultante
.._,
..c de nombreuses évolutions qui en firent une langue « artificielle »
O'l
·c
>-
a. devenue la langue véhiculaire des sources theravadin. Si ce canon
0
u pali des Theravadin est aujourd'hui tenu pour l'unique enseigne- V)
QJ

ment authentique du Buddha par nombre de communautés de e


>,
w
plusieurs pays d'Asie du Sud-Est, les historiens ont plus récem- QJ
Q_
::J
ment précisé que tel ne fut pas le cas pendant plusieurs siècles. e
(.')
@

52 1 Le bouddhisme
Non seulement au Cambodge où les enseignements bouddhiques
furent transmis sans référence à ce canon jusqu'au XIXe siècle, mais
également dans d'autres régions de l'Inde et d'Asie centrale ou
d'autres langues comme le gandharï furent utilisées. La notion
« d'écriture canonique » est donc, concernant les contenus et les
langues retenues, à considérer avec beaucoup de prudence.

vi
Q)

0
'-
>-
w
\D
M
0
N
@
.._,
..c
O'l
·c
>-
a.
0
u (/)
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w
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::J
2
l')
@

Chapitre 2 . Le dharma. l'enseignement du Buddha 1 53


Ul
Q)

0!....
>-
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.......
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01
·c
>-
a..
0
u
CHAPITRE 3

UNE ORGANISATION
NOVATRICE:
LESAMGHA

Au programme

• Une communauté, plusieurs types d'acteurs


• Positionnements sociaux
• Richesses et renoncement

Le terme sm11gha est tout à la fois un verbe et un nom. Le verbe


désigne l'action d'associer, de mettre ensemble, de rejoindre. Le
nom signifie union, association, corporation. Sarrigha est généra-
lement traduit en français par « communauté ». Il désigne une
institution originale qui, prise ici dans son acception bouddhique,
annonçait sous bien des aspects les formations qui se déployèrent
Vl
quelques siècles plus tard dans le contexte de l'hindouisme
Q)

0 classique.
'-
>-
w
\D
Pour l'ensemble des fidèles, les règles régissant la communauté
M
0
N
bouddhique auraient été énoncées par le Buddha lui-même avant
@ d'être fixées dans le Vinaya (les règles de bonne conduite), une des
.._,
..c
O'l
·c
sections du Tripifaka. Pour les historiens, la connaissance des tout
>-
a.
0
premiers temps de cette communauté reste un sujet d'hypothèses
u (/)
<li dans la mesure où les textes du Vinaya tels qu'ils nous sont parve-
2» nus ne sont pas homogènes. Ils diffèrent sensiblement en fonction
w
<li
o_
::J
des communautés qui nous les ont transmis et datent, pour les
2
l') premiers, de plusieurs siècles après la mort du Buddha. Enfin, et
@
une fois de plus, pratiquement aucun matériel archéologique n'est
attesté avant le IIIe siècle avant J.-C.
L'étude de l'histoire du smrzgha en Inde à partir de cette période
- et jusqu'aux premiers siècles de l'ère chrétienne - a largement
progressé ces quinze dernières années grâce à d'importants travaux
archéologiques et épigraphiques. Les premiers ont mis au jour de
nombreux sites bouddhiques, notamment dans les régions côtières
de l'est de l'Inde. Les seconds se sont attachés à l'étude d'inscrip-
tions rédigées sur des pierres ou des monuments qui, bien que
connues, furent longtemps tenues pour des sources secondaires.
Ces nouvelles données ont conduit à une très large révision des
connaissances portant jusqu'ici sur les acteurs et les usages de la
communauté bouddhique. Elles ont permis notamment de renon-
cer à des clivages trompeurs distinguant trop catégoriquement les
fonctions des différents acteurs de cette communauté.

Une communauté, plusieurs types


d'acteurs
Les bhik$U et bhik$unï: figures idéalisées
des textes bouddhiques ?

Vl
Le mot bhik$u (masc.) ou bhik$unr (fém.) est issu d'une racine qui
Q)

0 désigne d 'abord l'action de demander, de réclamer, de mendier


'-
>-
w notamment des moyens de subsistance ou des aumônes. Certains
\D
M
0
composés à partir de cette racine désignent aussi ce qui est digne
N
@ d 'offrande. Les bhik$u et bhik$unr auxquels le Buddha s'adresse
.._,
..c
O'l
dans de nombreux textes ont quitté leur famille et leur métier.
·c
>-
a. Après avoir publiquement déclaré : « Je vais vers le Buddha, le
0
u dharma et le sa rrigha comme vers un refuge » , ils tournent tous leurs V)
QJ

efforts vers l'éveil. e


>,
w
QJ
Q_
::J
e
(.')
@

56 1 Le bouddhisme
Les devoirs des bhik$U
Ayant abandonné toute vie mondaine, les bhik$u sont censés ne pas
porter atteinte à la vie et respecter l'ahimsti (l'absence de nuisance
pour autrui). Ils ne doivent pas prendre ce qui n'a pas été donné,
s'abstenir de toute activité sexuelle, ne pas mentir ni calomnier,
ne pas consommer de substances intoxicantes, ne pas manger aux
heures défendues, ne pas posséder plus de huit objets person-
nels8. Ils s'abstiennent de faire usage d'argent, de sièges ou de lits
luxueux, de parfums ou de parures. Ils refusent aussi de danser, de
chanter et de se divertir.

De quo i v ivent- il s ?
Les bhik$u sont censés assurer leur subsistance en recevant de la
part d'un tiers leur nourriture, les quelques effets vestimentaires
dont ils ont besoin et parfois, la protection temporaire d'un logis.
Il n'est pas attendu d'eux le devoir de rendre quoi que ce soit en
retour de ce qu'on leur accorde. Toutefois, lorsque cela semble
approprié, ils peuvent faire le don, hautement valorisé par les
textes, de l'enseignement du dharma.

Des êtres hors du monde ?


Les textes permettent de comprendre que les bhik$u, souvent décrits
comme des renonçants itinérants, ne furent pas des ermites isolés
vi
Q)
dans des forêts profondes. Tenus de ne pas séjourner au même
0
'-
endroit, ils entretenaient un lien constant avec les communautés
>-
w
\D
villageoises ainsi que les maîtres de maison. Ils séjournaient dans
M
0
N
des parcs ou des jardins qui leur étaient offerts et dans lesquels, à
@
.._,
l'image du Buddha, ils pouvaient dispenser un enseignement à qui
..c
O'l
·c
le réclamait .
>-
a.
0
u (/)
<li


w
<li
o_
::J
2
l')
@ 8. M ahdpadanasutra. Ce chiffre pouvant sensiblement varier.

Chapit re 3. Une organisat ion novatrice : le sarngha 1 57


Des fonct ions variées
Les façons dont les textes qualifient les bhik$u sont intéressantes
car ils sous-entendent des « hiérarchies » informelles et des fonc-
tions distinctes. On trouve par exemple le mot thera : qui signi-
fie vénérable, ancien, celui qui jouit d'une véritable autorité. Le
terme bahusruta désigne celui qui a beaucoup entendu, celui qui
connaît la Loi, celui qui est érudit. Des réalités très proches sont
véhiculées par le mot dharmadhara : celui qui porte le dharma,
celui qui connaît le dharma. De fait, certains renonçants bou-
ddhiques étaient enseignants. Ils avaient acquis des savoirs qu'ils
étaient jugés aptes à transmettre à d'autres bhik$u ou aux maîtres
de maison. Leur don de la Loi, en fonction de sa qualité, leur
conférait une plus ou moins grande autorité.
La vie itinérante et enseignante conduite vers l'éveil répondait aux
paroles prêtées au Buddha dans le Vinaya : « Mettez-vous en route et
allez pour le bien et le bonheur de beaucoup, par compassion pour le
monde, pour le bénéfice, pour le bien des dieux et des hommes. Ne suivez
pas à deux le même chemin. Prêchez la Loi qui est bonne en son début,
en son milieu et en sa fin. »
La solitude suggérée dans ce passage ne saurait occulter les
moments de réunion, les temps de rencontres entre bhik$u décrits
dans les textes. Il est souvent dit que l'usage le plus ancien fixa
ces réunions lors de la saison des pluies. Il était à plusieurs titres
important d'y confirmer ou raffermir le sentiment d'appartenance
Vl
Q)

0
à un groupe, d'alléger la rudesse de la vie solitaire par une entraide
'-
>-
w et un soutien, d'introduire de nouveaux membres ou de prendre
\D
M acte de l'abandon par certains de leurs engagements.
0
N
@ Qielles que soient les époques, le mode de vie des bhik$u demeura
.._,
..c
O'l
hautement valorisé par les diverses traditions bouddhiques car il
·c
>-
a. renvoyait à l'image du mode de vie même du Buddha. Les quêtes
0
u d'aumônes quotidiennes des religieux des pays d'Asie du Sud-Est, V)
QJ

les retraites ou les voyages solitaires faits par d'éminentes figures e


>,
w
du bouddhisme himalayen, chinois ou japonais sont des échos à QJ
Q_
::J
cette vie itinérante et de renoncement toujours idéalisée. e
(.')
@

58 1 Le bouddhisme
Les imaginaires et les pratiques sont rarement exempts de contra-
dictions. De fait, une grande partie des règles du Vinaya, les sites
archéologiques et les apports récents de 1' épigraphie se rapportent
à un mode de vie très différent de cette itinérance : celui des bhik~u
demeurant au sein de communautés sédentaires hautement struc-
turées dans leur mode de fonctionnement.

Les religieux vivant en communautés


sédentaires
Sites et architecture communautaires
Hormis les informations présentes dans les édits d'Asoka, les
premières traces matérielles attestant 1'existence de lieux de vie
communautaire bouddhiques datent du IIIe siècle avant J.-C. Ces
derniers ne sont encore le plus souvent que des grottes naturelles
plus ou moins aménagées.
Les structures architecturées monumentales qui s'accordent
davantage aux réalités monastiques décrites dans les différentes
versions du Vinaya datent, elles, de la fin du n e siècle avant notre
ère. Les archéologues s'accordent généralement sur le fait que des
constructions de bois durent les précéder. Les premiers complexes
monastiques bouddhiques se trouvent en Inde dans des régions
bien éloignées les unes des autres : l'ouest du Mahara$tra, l'ar-
Vl
Q)
rière-pays de Bombay, le Madhya Pradesh et les zones côtières de
0
'-
l'Andhra Pradesh et de !'Orissa.
>-
w
\D
M
Des sites de l'ouest du Mahara$tra, Bhaja et Pitalkora, comptent
0
N parmi les plus anciens. Dépourvus des décors peints qui durent
@
.._, exister à l'origine, ces lieux présentent une austère architecture
..c
O'l
·c rupestre, creusée dans d 'épaisses falaises de grès. Deux types de
>-
a.
0 bâtiments y accueillaient les membres du sarrzgha : les caitya et les
u (/)
<li vihara.

w
<li
Les caitya sont de profondes salles absidiales ouvertes sur l'ex-
o_
::J
2 térieur par une baie en forme d'arc. Elles abritent un stüpa : un
l')
@ dôme de m açonnerie compact commémorant l'extinction finale

Chapit re 3. Une organisat ion novatrice : le sarngha 1 59


du Buddha. Les fidèles pouvaient s'y réunir, y rendre hommage
à la mémoire du Bienheureux ou y réaliser une circumambula-
tion rituelle. Également creusés dans l'épaisseur des falaises,
les premiers vihara étaient, eux, des lieux de séjour. Ils réunis-
saient autour d'une cour quadrangulaire un ensemble de cellules
monastiques.
Un peu plus récents, les sites de Bharhut et de Safi.cï accueillirent
de véritables constructions. Les stapa y prennent de très amples
dimensions. Le chemin de circumambulation qui les entoure est
le plus souvent magnifié par la présence de balustrades circulaires
(vedika) percées d'une à quatre portes monumentales (torar;a). Leur
décor en relief est d'une vitalité et d'une beauté qui ne laissent
personne indifférent. L'opulence de la nature et la sensualité de ses
génies protecteurs s'y expriment avec une générosité prodigue et
les scènes narratives qui s'y déploient en autant d'offrandes pieuses
éloignent tout visiteur de l'aridité de l'ascèse par leur richesse.
Il en est de même, bien que dans un style différent, dans les
nombreux sites de la région côtière de l'Andhra Pradesh. Bien que
très endommagées après leur abandon, leurs constructions ont
livré de nombreuses données dont 1' étude archéologique n'est pas
achevée.
Qi'il s'agisse du Deccan oriental, de l'Inde centrale ou des régions
de la côte Est, une même évidence s'impose au regard de ces
complexes communautaires : celle des moyens humains et finan-
Vl
Q)
ciers considérables réunis pour construire, orner et faire vivre ces
0
'-
>-
w
lieux. En Inde, aucune autre architecture aussi importante de cette
\D
M époque n'est parvenue jusqu'à nous et il faut attendre le IV: siècle
0
N de l'ère chrétienne pour que s'imposent des monuments hindous
@
.._,
..c
d 'une telle ampleur.
O'l
·c
>-
a.
0
u Des com munautés prospères V)
QJ

Premières constatations donc: au ne siècle avant J.-C. la commu- e


>,
w
nauté bouddhique, répartie largement sur le territoire indien, QJ
Q_
::J

bénéficiait de larges ressources. Ses centres monastiques attestent e


(.')
@

60 1 Le bouddhisme
non seulement la sédentarisation - au moins partielle - des bhik$u
et suggèrent des fonctionnements communautaires sophistiqués.
Le Vinaya, prolixe en détails concernant les règles de conduite des
moines, permet aussi, avec l'archéologie, de garder en mémoire les
contraintes matérielles liées au fonctionnement d'un monastère :
l'hébergement, la nourriture, l'hygiène, l'enseignement, l'accueil
et le soin du pèlerin voire sa sécurité devaient s'y organiser. Si les
religieux qui séjournaient dans les vihara restaient désignés sous le
terme de bhik$u, leur vie s'éloignait donc considérablement de celle
des renonçants itinérants loués par bien des textes.
On sait par exemple, grâce à 1' étude des inscriptions retrouvées
à Bhârhut, à Sâficï et dans une moindre mesure dans la région de
l 'Andra Pradesh, que les bhik!Ju disposaient de fonds personnels
et en faisaient ouvertement usage. Les inscriptions dédicatoires
permettent ainsi d 'établir que quelque 40 % des donateurs de
Bhârhut et de Sâficï étaient soit bhik!fu, soit bhik!Junï. Ces reli-
gieux, dont on devine l'érudition grâce à leur titre, étaient donc
non seulement fortunés mais utilisaient leur argent pour passer
commande d'images, embellir le stüpa et l'honorer de leurs
offrandes. L'archéologie et l'épigraphie bouddhiques attestent par
ailleurs à partir des IIIe-n e siècles avant J.-C un culte des reliques
du Buddha et de celles de maîtres éminents pris en charge par les
bhik!Ju. En plus de leur rôle d'enseignant, de donateurs, les bhik!Ju
furent donc aussi très tôt des officiants, notamment pour le culte des
vi reliques.
Q)

0
'-
>-
w
\D
M
0
Tous « ceux qui viennent ensuite »
N
@
.._,
..c
O'l
·c
>-
a.
0
u On a pris l'habitude de traduire en français les mots sanskrits upâsaka (masc.)
(/)
<li
et upâsikâ (fém.) par« laïcs». C'est une habitude que l'on con servera ici après

w avoir précisé la signification de ces termes sanskrits et rappelé que la notion
<li
o_
::J de laïcité est totalement étrangère à l'Inde ancienne.
2
l')
@

Chapit re 3. Une o rganisat ion novat rice : le sarngha 1 61


Upa- est un préfixe qui donne à la fois l'idée d'une proximité, d'une
contiguïté, d'une relation, et l'idée d'une subordination, d'une
infériorité. Les upasaka et upasika sont donc ceux des fidèles qui
« viennent ensuite » autrement dit ceux qui « sont à côté » ou qui
« sont là après » les bhik~u. Ils constituèrent assez vite le groupe le
plus important révérant le Buddha et jouèrent un rôle extrême-
ment dynamique dans le soutien et le développement des commu-
nautés monastiques.

Les devoirs des upasaka

Comme les bhik$U, les upasaka prennent refuge en Buddha, en sa Loi et en sa


communauté. Ils partagent avec eux l'engagement de ne pas porter atteinte à
la vie, de ne pas prendre ce qui ne leur a pas été donné, de ne pas mentir ou
calomnier, de ne pas consommer de substances intoxicantes. Ils veillent par
ailleurs à de ne pas se rendre coupables d'inconduites sexuelles.

Le culte du stüpa, les dons d'offrandes, les pèlerinages, les ensei-


gnements religieux sont pour les upasaka et les upasika des temps
de contacts privilégiés avec les lieux saints et les communautés
monastiques. Alors que l'obtention de la sagesse est considérée
comme l'objectif de chaque instant de la vie des bhik~u, les fidèles
laïques s'exercent d'abord à progresser en moralité et en générosité.
Bien que ceci ait donné lieu à de multiples controverses, rien de leur
condition ne leur interdit a priori l'accès à l'éveil qui, dans les textes
Vl
Q)
anciens, est réputé bien plus difficile à obtenir si l'on demeure dans
0
'-
>-
w
le flot de la vie mondaine.
\D
M
0 Les contours sociologiques des premiers groupes de fidèles « laïcs »
N
@ et les raisons pour lesquelles ils choisirent de rejoindre le sarrigha
.._,
..c
O'l
sont difficiles à préciser. Les textes bouddhiques servent avant
·c
>-
a. tout un propos doctrinal. Les sources archéologiques renseignent
0
u quant à elles essentiellement sur des individus ou des groupes V)
QJ

suffisamment fortunés pour avoir laissé une trace matérielle de e


>,
w
leur lien avec le sarrigha. Les groupes les plus modestes ne peuvent QJ
Q_
::J
donc faire l'objet que d'hypothèses. e
(.')
@

62 1 Le bouddhisme
S'il ne peut être exclu que l'entrée dans la communauté bou-
ddhique fut motivée par des convictions d'ordre spirituel ou une foi
profonde en la perspective d'un salut, d'autres éclairages peuvent
être apportés sur certaines des raisons pour lesquelles des indivi-
dus ou des groupes d'individus choisirent de rejoindre le sarrigha
en tant qu'upasaka.
Il est important de rappeler que, contrairement aux affiliations
liées à la caste, l'entrée dans le sarrigha était un acte volontaire,
non imposé par la naissance. Il posait, individuellement ou collec-
tivement, un engagement qui créait des solidarités spécifiques et
nouvelles, animées par des valeurs censées être partagées par tous
ses membres. Le sarrigha, porté par des bhik$u aptes à tenir tête
aux brahmanes, fortifié par le volontarisme de ses laïcs et maté-
rialisé par des lieux communautaires très vite remarquables par
leur richesse, pouvait constituer un réseau puissant. Des groupes
fragiles pouvaient espérer y trouver de nouveaux appuis. Des
groupes économiquement prospères, mais jusqu'alors peu valori-
sés socialement, pouvaient s'y enrichir et y être reconnus comme
faisant partie d'une nouvelle élite. Ils pouvaient ainsi articuler
leurs activités mondaines à une éthique et une perspective de salut
désormais accessible. Ce fut le cas notamment pour des commu-
nautés marchandes et urbaines qui ont été récemment mieux
connues grâce à des découvertes archéologiques très éclairantes.

vi
Q)

0
'-
>-
w
Positionnements sociaux
\D
M
0
N On se rappelle que le bouddhisme né, comme d'autres mouve-
@
.._, ments religieux, dans un contexte de contestation de l'ordre rituel
..c
O'l
·c védique, se développa lors d'une expansion économique et urbaine
>-
a.
0 significative. Ses critiques invalidaient non seulement l'efficacité
u (/)
<li du rituel mais dénonçaient aussi la violence qu'il impliquait par la

w captation des richesses et la mise à mort des animaux nécessaires
<li
o_
::J
au sacrifice. La mise en cause des prérogatives religieuses des
2
l') brahmanes et des rois védiques, l'affirmation de différents types
@

Chapit re 3. Une organisat ion novatrice : le sarngha 1 63


d'entités politiques ainsi que le développement économique, susci-
tèrent bientôt l'affirmation de plusieurs groupes sociaux. Deux
groupes en particulier :
• Les vaisya (les producteurs, artisans et commerçants) tout
d'abord qui, au sein de contextes socioculturels dominés par
l'aristocratie védique, restaient éloignés des célébrations reli-
gieuses solennelles.
• Les communautés urbaines ou villageoises ensuite qui, plus ou
moins intégrées à la société védique, se structuraient et consti-
tuaient des sortes de principautés, des guildes, des associations
de parentèles ou de professions.
Bénéficiant d'une nouvelle assise financière, de fonctions sociales
plus importantes au sein des villes et, dans certains cas, d'une
réelle autonomie administrative, juridique et politique, ces groupes
contribuèrent de façon significative à l'élargissement du saf}1gha,
à l'enrichissement de ses lieux saints et de ses monastères. Les
travaux archéologiques menés en Andhra Pradesh l'ont révélé par
1' étude d'inscriptions dédicatoires présentes dès le IIIe siècle avant
J.-C. sur de nombreux sites.
Précisant la nature et l'ampleur des dons accordés aux bhik~u ainsi
que l'identité des donateurs, il est patent que ces inscriptions
constituaient un mode de valorisation prisé des chefs locaux, des
guildes et des associations de marchands entrés dans le saf}1gha.
Leur étaient accordés, via les donations immortalisées par des
Vl
Q)
inscriptions dédicatoires, les bénéfices collectifs d'actes méritoires
0
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>-
w
mais aussi un positionnement social et religieux que leur refusait
\D
M le rituel d'origine védique.
0
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a.
0
Richesses et renoncement
u V)
QJ

Articulée autour du don, la polarité entre renoncement et richesses e


>,
w
structura la communauté bouddhique de façon originale. C'est en QJ
Q_
::J
produisant des richesses de façon respectable et non nuisible que e
(.')

les laïcs acquéraient des mérites, pour cette vie et les vies futures, @

64 1 Le bouddhisme
les rapprochant ainsi de l'issue du saf!îs<lra. C'est parce que leur
renoncement ou leur connaissance du dharma étaient reconnus
comme exemplaires que les bhik$u attiraient à eux les fidèles et
leurs offrandes, qu'ils acquéraient des richesses et faisaient pros-
pérer monastères et lieux de pèlerinage.
Cette articulation entre richesses et renoncement, laïcs et bhik$u,
trouve une illustration emblématique dans l'ornementation du plus
ancien stapa Safi.cï. Le stapa, symbole de la présence du Buddha,
de son extinction finale et du dharma, y est ceint d'une balustrade
dont les reliefs de bon augure sont là, tout à la gloire de la prospé-
rité, de la fertilité, de la fécondité. C'est ainsi qu'y abondent génies
des eaux, des arbres, de la :floraison et des richesses. Laïcs et bhik$u
jouiront, par-delà les développements d'une iconographie spécifi-
quement bouddhique, d'une fortune jamais démentie.

vi
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Chapit re 3. Une organi sat ion novatrice : le sarngha 1 65


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PARTIE 2

UNE
,
DYNAMIQUE DE
DEVELOPPEMENTS
MULTIPLES

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« Venez, ô Kamalas, ne vous laissez pas guider par l'autorité, ni
par les textes religieux, ni par la simple logique, [ ... ], ni par la
pensée que "ce religieux est notre maître spirituel". »
Kamala-sutta.

Est-ce en raison de cette invitation à l'exercice critique attribuée


au Buddha dans le Kamala-sutta? Est-ce en raison des points qu'il
laissa sous silence ? Est-ce en raison de l'environnement religieux
de l'Inde ancienne plus enclin à l'expression de la diversité qu'aux
ambitions unificatrices? Qgelles qu'en soient les raisons premières,
le bouddhisme s'est manifesté dès ses plus anciens développements
comme un phénomène dynamique et irréductiblement pluriel.
Son histoire est celle de questionnements et d'interprétations
toujours renouvelés quant à l'héritage du Buddha. Elle est celle
d'apports théoriques et pratiques pour y répondre, de controverses
pour s'y opposer. Elle est aussi celle d 'une dynamique rituelle très
féconde et diversifiée. Elle est enfin celle d'emprunts à des reli-
gions voisines, d'adaptations au contact de sociétés, de systèmes de
pensées parfois bien éloignés de son contexte d'origine.
Il s'avère donc vite présomptueux de définir l'unité du bouddhisme
par-delà la foi de ses :fidèles en l'authenticité et la valeur de l'expé-
rience du Buddha. Il est aussi malaisé de parler du bouddhisme en
général. À cause de l'hétérogénéité des sources nous permettant
Vl
Q)
d'en suivre les développements dans le temps et la géographie de
0
'- l'Asie tout d'abord ; à cause, ensuite, de l'extrême diversité de ses
>-
w
\D
expressions doctrinales, communautaires, rituelles et culturelles
M
0
N
partout où il s'est implanté.
@
.._,
..c
Il est d'usage, pour tenter de restituer la diversité du bouddhisme,
O'l
·c
>-
de désigner de vastes catégories historiques, géographiques ou
a.
0
u
doctrinales par exemple. Qg'elles soient définies par les historiens
(/)
<li
ou par les pratiquants, ces catégories ont toutes un intérêt spéci-

w fique. Elles peuvent aussi avoir l'inconvénient de suggérer des
<li
o_
::J lignes de partage trop accusées là où existent des zones de chevau-
2
l')
@
chement, d'échanges, d 'interactions réelles. Il est important de

Partie 2. Une dynamique de développements m ultipl es 1 69


rappeler que les phénomènes religieux en Asie sont souvent plus
accumulatifs qu'exclusifs. Par conséquent, les clivages quel' étude
des textes doctrinaux peut mettre en évidence sont souvent moins
accusés d'un point de vue historique, sociologique ou culturel. Il
peut être surprenant pour un lecteur européen d'observer qu'une
communauté ou qu'un individu puissent simultanément avoir des
convictions et des pratiques d'obédiences religieuses différentes.
Tel est pourtant très souvent le cas en Asie où les appartenances
religieuses sont restées extrêmement souples quand elles n'ont pas
eu à se restreindre pour des impératifs politiques ou juridiques.

vi
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70 1 Le bouddhisme
CHAPITRE 4
,
IDENTITES
COMMUNAUTAIRES
- DISCIPLINES,
DOCTRINES ET
INITIATIONS

Au programme

• Premières communautés monastiques de l'Inde ancienne


• Quand de nouveaux sütra sont révélés
• Élaborer de nouvelles synthèses
• Faire l'expérience de la Voie du milieu
• Vers l'expérience de la profonde nature du Buddha
• Grandes universités
vi • Parcours initiatiques
Q)

0
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>-
w
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M
Les sources archéologiques et épigraphiques permettent de
0
N constater l'expansion de la communauté bouddhique dans son
@
.._,
..c
ensemble à partir du IIIe siècle avant].-C. Suivant des modalités et
O'l
·c une chronologie encore mal renseignées, les bhik$u avaient formé à
>-
a.
0
u
cette époque des groupes distincts que les sources écrites désignent
(/)
<li
sous le nom de nikaya. Ce terme assez générique désigne initiale-

w ment un tas, un amoncellement, une réunion d'éléments puis, par
<li
o_
::J extension, un ensemble d'individus réunis dans une même maison,
2
l')
@
partageant les mêmes activités ou les mêmes devoirs. Le mot fran-
çais qui restituerait sans doute le mieux le sens de nikaya serait
celui de « congrégation9 » : ce qui réunit ceux qui sont semblables.

Premières communautés monastiques


de l'Inde ancienne
Les historiens ont répertorié une trentaine de nikaya. Les histo-
riographes bouddhiques, qui en retiennent dix-huit (un nombre
de bon augure), les présentent comme des subdivisions d'une
communauté première mais ne s'accordent ni sur le moment, ni
sur les causes de leur émergence.
Les sources qui nous renseignent sur les nikaya sont en fait assez
hétérogènes et les traces archéologiques qui nous sont parvenues
attestent que tous les nikaya n'eurent pas la même importance dans
l'histoire du bouddhisme indien. À l'exception des Theravadin,
aucun d'entre eux n'a du reste survécu jusqu'à nos jours en Asie.
Les singularités des nikaya se sont établies sur des choix spéci-
fiques en termes :
• d'usages locaux propres à leurs implantations régionales ;
• de discipline monastique ;
• de positionnements doctrinaux.

Vl
Q)

0
'-
>-
Des congrégations peu différenciées
w
\D
M
0
Les comparaisons qui ont pu être faites à partir de l'étude de six
N
@ règles monastiques 10 appartenant à six nikaya distincts montrent
.._,
..c
O'l
que les spécificités relatives à la discipline furent en fait margi-
·c
>-
a.
0
u
9. Certains historiens ont choisi de traduire le mot nikdya tantôt par « secte », tantôt par V)
QJ

« ordre » . e
>,
w
10. Les vinaya des Mahasarrighika, les Mahïsasaka, les Dharmaguptaka, les Sarvastivadin QJ
Q_
ont été conservés dans leur traduction chinoise. Celui des Theravadin est conservé dans ::J

sa version palie du v" siècle. Celui des Malasarvastivadin est conservé en intégr alité en e
(.')

chinois et en tibétain et dans une version partielle en sanskrit. @

72 1 Le bouddhisme
nales. Elles portèrent sur des détails relatifs aux rituels d'ordina-
tions, aux usages vestimentaires des bhik~u, au nombre de leurs
vœux, à l'identification des fautes contrevenant à ces vœux ainsi
qu'aux rites permettant de se purifier ou d'expier ces dernières.
Les spécificités doctrinales des différents nikaya ne peuvent être
que partiellement appréhendées et comparées dans la mesure où,
seuls trois recueils complets d'abhidharma nous sont parvenus :
celui des Theravadin (en pali), celui des Sarvastivadin (en chinois),
celui des Dharmaguptaka (en chinois également).
Ces spécificités doctrinales purent principalement porter sur :
• le statut du Buddha (humain ou suprahumain) et le culte qu'il
était approprié ou non de lui accorder ;
• les qualités et les limites des individus résolument engagés sur
la voie spirituelle et ayant atteint 1' éveil ;
• des approfondissements relatifs à la loi de la « coproduction
conditionnée », relatifs à l'existence ou non du temps, à l'exis-
tence ou à la non-existence des composantes de l'individu réputé
anatta (dépourvu de soi propre).
Si l'on étudie les importants sites monastiques du Madhya Pradesh,
de !'Orissa, de l'Andhra Pradesh ou du Gandhara sur une période
allant du IIe siècle avant J.-C. au IIe siècle après, on constate que
ni l'architecture, ni l'iconographie de ces sites ne permettent
d'identifier les groupes monastiques qui s'y installèrent. Parmi
vi les inscriptions dédicatoires qui ont été repérées sur ces sites,
Q)

0
'-
rares sont celles qui associent le nom personnel d'un donateur à
>-
w son nikaya. Enfin, on constate dans plusieurs cas, que des nikaya
\D
M
0 distincts pouvaient être présents en de même lieux. C'est ce que
N
@ les inscriptions attestent à Nagarjunakl)c,ia par exemple (au sud de
.._,
..c
O'l l'Inde) et de façon très évidente au Gandhara (au nord des actuels
·c
>-
a. Pakistan et Afghanistan).
0
u (/)
<li Les extraordinaires découvertes faites dans cette région ces vingt

w dernières années 11 ont mis au jour de nombreux fragments de
<li
o_
::J
2 11. On verra à ce sujet: R. Salomon, Ancien Buddhist Scrolls From Gandhara, the British
l')
@ Library kharo~tï Fragments, The British Library, London, 1999.

Chapitre 4. Identités comm unauta ires - discipline s. doctrines et initiations 1 73


textes manuscrits rédigés sur des écorces de bouleau et des pots de
terre portant des dédicaces tracées en écriture kharo~tî. Ces écrits
montrent que quatre nikaya étaient implantés dans cette région
au début de 1' ère chrétienne : les Dharmaguptaka - vraisemblable-
ment les plus nombreux - les Sarvastivadin, les Mahïsasaka et les
Kasyapïya.
Tous ces éléments invitent aujourd'hui à atténuer une vision
conflictuelle longtemps véhiculée quant à l'émergence et la
coexistence des plus anciennes communautés monastiques. La
conscience des distinctions entre les différents nikaya semble dans
les faits bien moins soulignée de ce que l'analyse de leurs dissem-
blances laisse imaginer à la lecture de certains historiographes
bouddhiques. La vie des nikaya fut régie par un ensemble de règles
et de rituels dont les variantes demeurèrent marginales. Leur idéal
spirituel - tel qu' énoncé dans les textes - s'incarna en la figure
éminemment ascétique et maîtrisée de l'arhat (que nous verrons
en détail plus loin). Leurs expressions architecturales, par-delà des
différences stylistiques notables, témoignèrent d'une communauté
d'usages cultuels et d'un lien très fort avec les pouvoirs politiques
et économiques en présence. Qy'il s'agisse par exemple des rois au
Gandhara ou des corporations de métiers en Orissa.
Ce que nous percevons de la prospérité de ces sites bouddhiques,
ce qu'ils nous permettent de comprendre de la complexité des
échanges économiques et sociaux qui animaient la vie des nikaya
Vl
Q) aux alentours de l'ère chrétienne, met partout en évidence le
0 même hiatus. Il révèle un contraste saisissant entre un idéal de
'-
>-
w
\D renoncement véhiculé par les enseignements des sutra qui nous
M
0
N sont parvenus et la réalité visible des développements matériels
@
.._, des communautés .
..c
O'l
·c
>-
a.
0
u La lente constitution d'une altérité doctrinale V)
QJ

au sein des communautés monastiques e


>,
w
QJ
Q_

Bien que l'on ignore aujourd'hui encore où et quand exactement, ::J


e
(.')
un nouvel idéal spirituel d'une portée considérable pour l'histoire @

74 1 Le bouddhisme
du bouddhisme allait voir le jour aux alentours des débuts de l'ère
chrétienne. Émergeant au sein des communautés monastiques
que nous venons de décrire, et lentement forgé par des érudits
formés à l'étude du Tripitaka, il constitua tout d'abord un mouve-
ment marginal aux accents parfois contestataires ou réformistes.
Se diffusant assez rapidement par les Routes de la soie en direction
de la Chine, cet idéal ne s'imposa que très progressivement dans
le paysage religieux de l'Inde pour n'y être socialement signifiant
qu'au V: siècle de l'ère chrétienne, soit quelque quatre siècles après
l'émergence de ses premiers enseignements.

Un nouvel idéal spirituel se dessine


Tout d'abord désigné sous le terme de Voie des bodhisattva, ce
mouvement se diffusa ensuite sous le nom de Mahayana : le grand
véhicule. Il se plaçait par là même dans un rapport de supériorité
face aux enseignements qui le précédèrent. Ces derniers ne furent
jamais considérés comme faux ou invalides mais comme porteurs
de vérités partielles ou incomplètement révélées. Ils furent donc
désignés sous le terme de hïnayana: le véhicule de moindre portée.
En Chine, en Corée, au Japon, en Mongolie et au Tibet où aucun
des nikaya anciens ne s'implanta, l'ensemble des développements
doctrinaux du bouddhisme s'adossèrent principalement aux ensei-
gnements du Mahayana.

Vl
En Inde, comme en Asie du Sud-Est, cohabitèrent des enseigne-
Q)

0 ments et des pratiques mahayaniques et pré-mahayaniques. Si les


'-
>-
w uns et les autres disparurent de l'Inde au XIIIe siècle, ils perdurèrent
\D
M
0
conjointement en Asie du Sud-Est. Cela, par-delà la prééminence
N
@ des enseignements des Theravadin imposée par les puissances poli-
.._,
..c
O'l
tiques locales .
·c
>-
a.
0
u (/)
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::J
2
l')
@

Chapit re 4. Identités comm unauta ires - discipline s. doct rines et initiations 1 75


Quand de nouveaux sutra sont révélés
Le Mahayana est fondé sur la révélation de nouveaux sütra attri-
bués (comme ceux de la première corbeille) au Buddha lui-même.
Les plus anciens de ces nouveaux sütra ont été datés des alen-
tours des débuts del' ère chrétienne. Alors que s'affirmait en Inde
l'usage del' écriture, ils furent consignés en sanskrit. La langue des
brahmanes et des princes devint aussi - avec quelques spécificités
propres - celle des enseignements fondateurs du Mahayana.
Voici comment ses propagateurs associèrent la révélation de ces
sütra au Buddha historique. Ce dernier aurait, selon eux, dispensé
des enseignements distincts à l'occasion de différentes « mises en
marche de la roue du dharma ».
• Lors de la première de ces mises en marche, aurait été énoncé à
Sarnath un cycle d'enseignements dont les bénéficiaires furent
les fravaka : les auditeurs.
• Lors de la deuxième mise en marche de la roue du dharma,
le cycle des enseignements de la Perfection de sagesse
(PrajfWparamitasatra) aurait été transmis près de la ville de
Rajag.i;ha à des êtres plus avancés spirituellement que les audi-
teurs. Enseigné pendant quelques années, leur contenu aurait
ensuite été confié aux dieux ou aux génies des eaux avant d'être
enfin diffusé à de nouveaux fidèles prêts à parachever la voie des
auditeurs et à accomplir celle des bodhisattva.
Vl
Q) • Lors de la troisième mise en marche, le Buddha délivra enfin,
0
'-
>- en divers endroits, des enseignements complémentaires aux
w
\D
M
Prajfiaparamitasütra.
0
N
@ Les sütra du Mahayana se présentent comme une discussion tenue
.._,
..c
O'l
devant une vaste assemblée entre un fidèle éminent et le Buddha
·c
>-
a.
lui-même. De façon redondante, leurs thèmes essentiels portent
0
u sur diverses notions. V)
QJ

e
>,
w
QJ
Q_
::J
e
(.')
@

76 1 Le bouddhisme
La notion de sünyata
Sünyata, la vacuité, l'absence de nature propre de l'ensemble des
phénomènes, est le grand thème doctrinal du Mahayana qui consi-
dère avec différentes nuances que la réalité des phénomènes est
illusoire.

La notion de prajiia
Volontiers traduite par sagesse, sapience ou omniscience, la prajiia
est au cœur de la démarche spirituelle du Mahayana. Elle est dési-
gnée comme l'appréhension parfaite et intuitive, de la radicalité de
sünyata. Elle y est dite absolue, dépourvue de toute caractéristique,
au-delà des mots, libre de toute conception, de tout attachement.
Elle ne conduit pas à « acquérir » ou à demeurer dans le nirvtl!J,a,
pas plus qu'à se libérer du sarrisara. « Inconcevable, incommensu-
rable, égale à l'inégalable », elle est celle« qui engendre tous les éveil-
lés, qui est la mère de tous les héros pour l'éveil ».

La promotion du bodhisattva et de ses


perfections
Figure déjà présente dans les sütra anciens mais peu valorisée
encore, le bodhisattva devient le grand personnage charismatique
Vl
Q)
du Mahâyâna. Il formule en présence d'un buddha le vœu solen-
0
'- nel d'œuvrer pour le salut de tous et s'exerce, lors de renaissances
>-
w
\D
innombrables, à la pratique de perfections (paramita) dont celles
M
0
N
de la générosité, et de la prajiia sont très emblématiques. Dans les
@ textes, le bodhisattva est tantôt évoqué de façon générique comme
.._,
..c
O'l
·c
un archétype de sagesse et de compassion, tantôt individualisé
>-
a.
0
en des personnages vénérés comme, par exemple, Avalokite.5vara,
u (/)
<li Mafijusrï, Vajrapal).i, Samantabhadra et K$itigarbha.

w
<li
o_
::J
2
l')
@

Chapit re 4. Identités communauta ires - discipline s. doct rines et initiations 1 77


La description d'une nouvelle cosmologie
Les textes mahayaniques développent de nouvelles conceptions
cosmologiques et évoquent - en des visions souvent « kaléidos-
copiques » - l'existence simultanée d'une infinité de temps et de
mondes. Les buddha et les bodhisattva sans nombre qui les habitent
protègent leurs fidèles de dangers ou de menaces incommensu-
rables et y apparaissent lors d'épiphanies merveilleuses, lumi-
neuses et colorées.

,
Elaborer de nouvelles synthèses
Les recherches récentes tendent à montrer que les expressions de
ces nouveaux thèmes, limitées à des cercles monastiques restreints,
demeurèrent sans représentativité institutionnelle et sans incidence
matérielle sur le samgha de l'Inde des cinq premiers siècles de 1' ère
chrétienne. Il n'en est pas moins attesté, par l'histoire des textes
et celle de leurs traductions en langues non indiennes, que cette
période assez longue fut d'une richesse intellectuelle remarquable
et déterminante pour les siècles qui suivirent, en Inde et hors de
l'Inde. De vastes sommes doctrinales, remarquables par l'acuité
de leurs questionnements et par l'ampleur de leurs synthèses théo-
riques, furent alors rédigées par les érudits du Mahayana, par
ailleurs stimulés par la compétition qui les opposait aux grands
Vl
Q)
penseurs hindous de cette période.
0
'-
>-
w Auve siècle, le Mahayana s'imposant désormais de manière repé-
\D
M
0 rable, les nuances doctrinales et disciplinaires qui distinguaient
N
@ les nikaya les uns des autres commencèrent à céder lentement le
.._,
..c
O'l
pas devant de nouveaux regroupements que l'on désigne généra-
·c
>-
a. lement sous le nom d'« écoles doctrinales ». Il est important de
0
u noter - pour ne pas étriquer ces désignations - que l'activité de V)
QJ

ces écoles et de leurs maîtres fut productive dans les domaines e


>,
w
complémentaires et nécessairement associés de la connaissance du QJ
Q_
::J
réel, de l'exploration des ressources de la conscience, de l'appro- e
(.')
@

78 1 Le bouddhisme
fondissement moral, de l'expression dévotionnelle autant que de
1' élaboration de vastes systèmes symboliques.

Faire l'expérience de la Voie du milieu


Nagarjuna
C'est à Nagarjuna, un moine dont les dates très incertaines varient
des Ier_IIe siècles aux IIe-IIIe siècles, que l'on doit la première grande
somme théorique qui ait approfondi et véritablement systématisé
les thèmes essentiels des Prajiïaparamitasatra. Fondateur histo-
rique du Madhyamaka (la Voie du milieu ou la Voie médiane), il
s'est vu attribuer de nombreux ouvrages. Aux côtés de son œuvre
principale, Traité du milieu, on peut citer ici la Précieuse guirlande
des conseils au roi adressée à un protecteur, monarque de la région
de l'Andhra. Ces deux textes, objets de nombreuses exégèses, réex-
plorent les grands thèmes de la prédication bouddhique au jour de
la notion de sanyata à laquelle il accorde une nouvelle radicalité.

Tous les phénomènes sont dépourvus


d'existence propre
Insistant sur le caractère fondamentalement illusoire de tout
Vl
Q) ce dont l'individu peut faire l'expérience, Nagarjuna s'exerce à
0
'-
>- démontrer que, non seulement le soi est vide de nature propre,
w
\D
M
mais qu'il en est ainsi de tous les phénomènes. Poussant plus loin
0
N l'intuition des sutra anciens, il étend la loi de la « coproduction
@
.._,
..c
conditionnée » à l'ensemble des phénomènes. Tous les phéno-
O'l
·c mènes psychophysiques ou matériels s'énoncent à ses yeux dans
>-
a.
0
u
un réseau de corrélations ininterrompues, dans un flot constant de
(/)
<li
constructions, de mutations et de disparitions.

w
<li
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::J
2
l')
@

Chapit re 4. Identités comm unautaires - discipline s. doct rines et initiations 1 79


La voie du milieu
De façon pragmatique, Nagarjuna articule deux niveaux d'expres-
sion de ces phénomènes :
• Au niveau relatif ou conventionnel, ces derniers semblent véri-
tablement exister.
• Au niveau absolu, ils sont totalement dépourvus d'existence
propre.
La Voie du milieu qu'il énonce vise à une expérience libératrice
qui se tient à la « jonction » dynamique de l'existence et de la
non-existence, de l'affirmation et de la négation. Les phénomènes
ne peuvent, selon lui, être dits existants car ils sont libres de tout
substrat stable ou permanent. Les phénomènes ne peuvent être
dits inexistants car la dynamique de la« coproduction condition-
née » (elle-même vide de nature propre) assure de leur illusoire
manifestation.

Vers l'expérience de la profonde nature


du Buddha
Asariga
Près de deux siècles après Nagarjuna, soit vers les rve-ve siècles, la
Vl
Q)

0
figure éminente d'Asanga allait à son tour enrichir les développe-
'-
>-
w ments doctrinaux du Mahayana de façon significative. Originaire
\D
M
0
de la région de Peshawar et né d'une famille de brahmanes, il se
N
@
convertit au bouddhisme et fut d'abord formé aux enseignements
.._,
..c du Tripitaka par les Mahïsasaka. Il développa ensuite les thèmes
O'l
·c
>- portés par les sutra de la troisième mise en marche de la roue de
a.
0
u Loi pour établir son œuvre théorique. Il fonda une nouvelle école V)
QJ
doctrinale désignée sous différents noms : l'école Cittamatra, « rien e
>,
w
que pensée » ; l'école Vijfianavada, « la Voie de la conscience » ; ou QJ
Q_

encore celle du Yogacara, « la Pratique du yoga ». ::J


e
(.')
@

80 1 Le bouddhisme
S'appuyant sur trois sutra particulièrement importants (le Sutra
du dévoilement du sens profond, le Sutra des dix terres et le Sutra de
l'entrée dans la ville de Lanka12), Asanga insiste lui aussi sur le carac-
tère illusoire de la réalité des phénomènes. Il réitère l'idée d'un
monde dépourvu d'existence propre, pareil à un rêve produit par
la conscience. «Tout est pensée », affirme-t-il, tout n'est que pensée
et ce sont ces pensées qui produisent des effets heureux ou doulou-
reux, aliénants ou bénéfiques pour l'individu.

La conscience-réceptacle
Se distinguant des propositions madhyamika, Asanga reconnut la
réalité d'une conscience-réceptacle, alayavijiiana, comme appui à
l'activité de la pensée. À la façon d'une toile de fond, d'un support,
cette conscience fut caractérisée par son aptitude à recueillir les
empreintes de l'activité psychophysique avant que celles-ci ne
parviennent à leur maturation par le jeu infini des corrélations et
des circonstances.

La profonde nature du Buddha


Cette théorie apportait son concours à la question de la causa-
lité au sujet de laquelle les bouddhistes eurent souvent maille à
partir avec leurs détracteurs. Elle fut parfois superposée à une
vi autre thèse : celle de « la profonde nature de Buddha13 ». Asanga
Q)

0
'-
>-
affirmait avec elle l'idée plusieurs fois ébauchée dans divers sutra
w
\D
M
que chaque être sensible recèle la nature profonde et lumineuse de
0
N Buddha et que la réalisation de cette nature vide et indéterminée
@
.._, irrigue toute œuvre compassionnelle .
..c
O'l
·c Une grande partie de la littérature sanskrite madhyamika et
>-
a.
0
u (/)
cittamtltrin disparut avec les grands monastères bouddhiques de
<li


w
<li
o_
::J
12. Respectivement : le Sandhinirmocanasûtra, le Dafobhümikasütra et le
2 La!Îkavatarasütra.
l')
@ 13. Tathagatagarbha, lit téralement en français« la matrice de l 'Ainsi-allé ».

Chapit re 4. Identités comm unautaires - discipline s. doct rines et initiations 1 81


l'Inde lorsque ces derniers furent frappés par les raids musulmans
des XIIe-XIIIe siècles.
Les œuvres majeures de cette littérature nous sont toutefois
parvenues grâce à leurs traductions chinoises et/ou tibétaines.
Accueillies dans des contextes culturels, philosophiques et reli-
gieux singuliers, ces œuvres suscitèrent la création de nombreuses
nouvelles écoles plus ou moins pérennes ou constituèrent des
apports spécifiques articulés à d'autres constructions doctrinales.
Une large part des écoles bouddhiques en Chine, au Japon, au Tibet
et dans les royaumes himalayens du Népal et du Bhoutan portent
l'empreinte plus ou moins appuyée des thèses du Madhyamika ou
du Cittramatra. Les apports des unes et des autres ont parfois été
associés de façon originale comme c'est le cas pour les enseigne-
ments du Chan/Zen en Chine puis au Japon et, dans un tout autre
contexte, pour ceux des Gelugpa au Tibet.

Les successeurs de Nagarjuna et d' Asariga

Abondamment commentées, précisées, réorientées, les thèses de Nagarjuna et


d'Asariga donnèrent naissance à de nombreux ouvrages, porteurs, parfois, de
nouvelles inflexions doctrinales. Ils furent rédigés par de grands érudits qui se
distinguèrent principalement par leur façon d'argumenter ou de démontrer les
propositions de leurs maîtres. Parmi les plus éminents disciples de Nagarjuna
on peut citer :
• Âryadeva à qui l'on doit avec le Traité des Quatre cents stances une explication
Vl détaillée de la pensée de son maître.
Q)

0 • Candrakïrti qui au vie siècle fut un grand érudit expert en débats philosophiques
'-
>-
w et recteur de Nalanda 14 .
\D
M
0
• Santideva qui vécut au v111e siècle et dont l'œuvre la plus fameuse et la
N
@
plus accessible, L'entrée dans la pratique des bodhisattva, n'a cessé d'être
.._, commentée jusqu'à nos jours .
..c
O'l
·c Parmi les plus éminents disciples d'Asariga on peut citer:
>-
a.
0 • son frère Vasubandhu ;
u V)

• Dharmapala, un grand érudit et logicien des v1e-v11e siècles; QJ

e
>,
• son disciple Dharmakïrti dont l'œuvre fut tenue en grande estime au Tibet. w
QJ
Q_
::J
e
(.')

14. Une des plus grandes universités bouddhiques cf. ci-dessous. @

82 1 Le bouddhisme
Grandes universités
En retournant à présent vers l'Inde et en considérant la longue
période qui s'étend de la fin du VIe siècle à la fin du XIIe siècle, on
peut repérer trois régions très actives concernant les évolutions du
Mahayana:
• l'ouest du Deccan (les sites d'Ellora et d'Aurangabad
notamment) ;
• le Cachemire ;
• et la moyenne vallée du Gange.
C'est en effet dans la moyenne vallée du Gange, non loin des
grands sites de pèlerinages liés à la vie du Buddha, que se dévelop-
pèrent d'importants centres monastiques souvent désignés par les
historiens sous le terme d'« universités ».
• Nalanda fut la plus célèbre et la plus ancienne d'entre elles. Elle
fut créée au IIIe siècle puis considérablement développée sous la
dynastie des Gupta (ive- VIe siècles) et celles des Pala-Sena (vIIIe-
xue siècles) grâce à un mécénat royal particulièrement actif.
• Vikramasïla et Odantapurï constituèrent elles aussi de bril-
lants centres spirituels. Comme à Nalanda, les enseignements
bouddhiques constituaient les fleurons de leurs différents cursus
alors que leurs bibliothèques attiraient à elles des érudits de tous
horizons venus se former à différentes disciplines.
vi
Q)

0
'-
La moyenne vallée du Gange
>-
w
\D
M
Cette région (correspondant aux Bihar et Bengale actuels) mérite une attention
0
N particulière pour plusieurs raisons. La première est que nous disposons d'un
@
.._, matériel historique et archéologique très conséquent nous renseignant sur ses
..c
O'l réalités religieuses. La deuxième est qu'elle eut un pouvoir de rayonnement
·c
>-
a. et d'attraction considérable sur une grande partie du monde bouddhique. La
0
u (/) dernière est qu'elle fut un des derniers grands bastions du bouddhisme indien
<li

2» avant l'islamisation du sous-continent.


w
<li
o_
::J
2
l')
@

Chapit re 4. Identités comm unautaires - disciplines. doct rines et initiations 1 83


S'il est en outre important de s'intéresser à ces universités, c'est
qu'elles furent aussi les lieux de transmissions initiatiques qui,
par-delà leur caractère essentiellement ésotérique (transmis
dans le secret d'un lien forgé entre un maître et son disciple),
marquèrent fortement l'identité du bouddhisme tardif de l'Inde,
celle du bouddhisme himalayen mais également celui de l'Asie du
Sud-Est, de la Chine, de la Corée et du Japon.

Parcours initiatiques
La dimension ésotérique du bouddhisme n'était pas étrangère
à certains des sutra anciens. Le souci de ne transmettre qu'à un
auditoire choisi les vérités les plus profondes fut toutefois affirmé
par les sutra du Mahayana et, plus encore, par les traditions initia-
tiques qui viennent d'être évoquées. Ces dernières donnèrent lieu
à une importante créativité dont les enrichissements furent consi-
dérables dans plusieurs domaines :
• les modes de transmissions spirituelles de maître à disciple ;
• les usages didactiques, poétiques ou magiques du langage;
• l'usage de dispositifs rituels de plus en plus complexes ;
• le développement de figures sacrées de plus en plus nombreuses
(buddha, bodhisattva, gardiens de la doctrine, etc.) ;
• le déploiement de systèmes symboliques riches et complexes ;
Vl
Q)

0 • l'affirmation d'une esthétique nouvelle.


'-
>-
w
\D
Les tttntrika15 furent en Inde au cœur de cette nouvelle dyna-
M
0
N
mique que l'on désigne sous les termes de Vajrayana (le véhicule
@
.._, du diamant), Mantrayana (le véhicule des mantra) ou Tantrayana
..c
O'l
·c
(le véhicule des tantra) .
>-
a.
0
u V)
QJ

e
>,
w
15. Nous utilisons ici le terme générique de tantrika pour désigner les initiés aux QJ
Q_
pratiques du Vajrayana, Manrrayana ou Tantrayana. Le mot tantra désig ne tout d 'abord ::J

la ch aine d'un tissu . Il a pris le sens de continuité, de groupe d' éléments t enus ensemble, e
(.')

de système. @

84 1 Le bouddhisme
Définitions

Vajrayana
Le terme Vajrayana met en évidence le symbole du vajra (le diamant ou le
foudre), dont la clarté et la dureté rappellent la perfection de la sagesse,
l' immuabilité de la vacuité dont la fulgurance anéantit toutes les formes
d'ignorance et de dualité.

Mantrayana
Le terme Mantrayana souligne l'important usage des mantra ou formules
sacrées en tant que moyen d'accomplissement spirituel.

Tantrayana
Le terme Tantrayana fait quant à lui référence à des textes particuliers,
les tantra, dont certains exposent les objectifs et les modalités de rituels
spécifiques. C'est à partir de ce terme que les historiens ont formé le mot
«tantrique».

Les nouvelles perspectives des tantrika


Ouvertement attentifs aux héritages séculaires (malgré de véhé-
mentes critiques à l'égard des rigidités monastiques ou des ratio-
cinations scolastiques), les tantrika, reconnaissaient la valeur des
sutra et celle du cheminement du bodhisattva. Ils appuyèrent leur
démarche sur les fondements théoriques exposés par N agarjuna et
Asar:iga dont ils firent émerger de nouvelles perspectives :
• Ils affirmèrent ainsi la possibilité d 'un accomplissement spiri-
vi
Q)

0
tuel ici et maintenant, dans le temps de cette vie même, et non
'-
>-
w plus uniquement au terme d'une longue succession de renais-
\D
M
0
sances vertueuses.
N
@ • Ils revendiquèrent la possibilité d'user du potentiel des passions
.._,
..c
O'l
au bénéfice des accomplissements spirituels et du bien de tous .
·c
>-
a. Au lieu de les purifier ou de les annihiler, ils proposèrent d'en
0
u (/)
inverser les perspectives grâce à des exercices spirituels d'une
<li

2» radicalité nouvelle.
w
<li
o_ • Ils déclarèrent nécessaire à la pratique de cette voie difficile et
::J
2 dangereuse, l'accompagnement d'un maître accompli capable
l')
@

Chapit re 4. Identités comm unautaires - discipline s. doctrines et initiations 1 85


de prévenir les égarements psychiques ou le mauvais usage des
. .
pouvous acquis.
• Ils multiplièrent les méthodes aptes à réorienter les facultés
de l'individu tout entier (corps, parole, esprit) ; à rendre effec-
tives les implications de l'appréhension parfaite de la prajiia; à
impliquer l'ensemble des constructions mentales, langagières et
comportementales dans un engagement pleinement conforme à
la conscience de la vacuité.
• Ils développèrent la conscience de correspondances micro et
macrocosmiques identifiant la réalité du corps et de ses facultés
à celle de l'univers tout entier.
Avant de marquer largement de leur empreinte la culture bou-
ddhique de plusieurs pays d'Asie (notamment celle de la Chine, du
Japon et dans une mesure plus large encore celle du Tibet), l'imagi-
naire et les pratiques initiatiques ne concernèrent qu'une élite spiri-
tuelle restreinte. Certains tantrika constituèrent d'abord de petits
groupes intégrés à la vie monastique des universités bouddhiques
notamment, d'autres décidèrent de mener une vie essentiellement
érémitique ou socialement marginale, d'autres encore quittèrent
temporairement le cadre du monastère pour des périodes plus ou
moins longues de retraite ou de quête spirituelle.
Dans le cadre de la vie monastique, les processus initiatiques
donnèrent lieu à la création de dispositifs rituels extrêmement
développés dont le vocabulaire cérémoniel fit de nombreux
Vl
Q)
emprunts à l'hindouisme. L'un de ces rituels, l'abhi~eka, est la
0
'-
>-
w
première étape autorisant la pratique du Vajrayana.
\D
M
0
N
@ Rituels initiatiques
.._,
..c
O'l
·c Abhi~eka signifie littéralement onction ou aspersion. Le disciple, paré et ondoyé
>-
a. par son maître, y est investi d'une valeur spirituelle nouvelle, d'une conscience
0
u de son unité avec la réalité suprême et d'un ensemble de pouvoirs liés à V)
QJ

différentes sagesses le rendant apte à engager les premiers pas de sa mutation e


>,
w
spirituelle. Le temps de cette mutation est principalement celui de la sadhana. QJ
Q_
::J
Conduite, là encore, par un maître, elle constitue aussi une session ritualisée e
(.')
qui, au moyen de visualisations, de récitation s et de gestes codifiés, invite un @

86 1 Le bouddhisme
ou plusieurs disciples à une identification avec une figure tutélaire (un buddha
ou un bodhisattva par exemple). Les accomplissements les plus hauts visés par
cette identification sont ceux d'une libération parfaite, exempte de toute dualité.

Qy'ils s'exercent ou non dans un cadre monastique, les dispositifs


initiatiques du Vajrayana convoquaient des puissances telles qu'ils
suscitèrent l'intérêt d'une plus vaste audience que celle d'individus
spirituellement engagés. En exerçant leur art rituel au bénéfice
du roi, du royaume ou de toute autre communauté, les tantrika
assurèrent la diffusion de multiples références tantriques hors des
cercles restreints qu'ils constituèrent tout d'abord. Les manifes-
tations formelles du bouddhisme se rapprochèrent ainsi de celle
de l'hindouisme, lui aussi animé par des tendances tantriques
spécifiques.

Mal)çlala

Devenu familier hors de l'Asie, le maf)çla/a joue un rôle important dans le


contexte tantrique. Il désigne un diagramme centré, orienté et ordonné. Il peut
tout à la fois être la représentation de la résidence d'une figure sacrée, une
aire rituelle, une image restituant l'ensemble du cosmos. Un maf)çla/a peut être
créé mentalement ou représenté matériellement en deux ou trois dimensions.
Il peut donner lieu à des productions pérennes ou éphémères, luxueuses ou
très modestes. Elles pourront, selon les cas, servir d'offrande, de support de
méditation, d'espace consacré pour des rituels initiatiques.

vi
Q)

0
'-
>-
w
\D
M
0
N
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.._,
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O'l
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>-
a.
0
u (/)
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w
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::J
2
l')
@

Chapit re 4. Identités comm unauta ires - disciplines. doct rines et initiations 1 87


Ul
Q)

0!....
>-
w
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r-i
0
N
@
.......
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01
·c
>-
a..
0
u
CHAPITRE 5

FIGURES EXEMPLAIRES
ET PARCOURS
SPIRITUELS

Au programme

• Un« panthéon» évolutif en constante expansion


• L'arhat
• Par-delà le flot des tourments
• Le bodhisattva

Dire sa foi en la figure du Buddha et l'authenticité des sutra,


partager des règles de vie et des rituels, pousser la réflexion intel-
lectuelle afin de comprendre le réel, développer nombre de dispo-
sitifs psycho-physiques pour libérer de l'ignorance et du cortège
de maux qu'elle induit. Ces ambitions toujours renouvelées dans
Vl
le temps et l'espace des développements du bouddhisme furent (et
Q)

0 demeurent) portées, nourries et exprimées par des imaginaires et


'-
>-
w des systèmes de représentations d'une richesse et d'une diversité
\D
M
0 étonnantes.
N
@
.._, Les personnages vénérés, qui y jouent un rôle des plus conséquents,
..c
O'l
·c furent très tôt les appuis familiers des usages dévotionnels, cultuels
>-
a.
0
et méditatifs des fidèles . Ils constituèrent un « panthéon » aux
u (/)
<li variantes locales très affirmées. De fait, et dans de très nombreux
2» contextes, le bouddhisme s'imposa comme une fabrique d'images
w
<li
o_
::J
dont la créativité, au Tibet et au Japon notamment, a souvent défié
2
l') les efforts les plus opiniâtres de dénombrement.
@
Un « panthéon »évolutif en constante
expansion
Si on laisse à part le Buddha qui combine pour les fidèles une
identité historique et une identité archétypale exemplaire, on
peut distinguer deux grandes catégories de figures au sein de ce
panthéon.
• La première de ces catégories réunit des personnages dont
l'identité est une construction doctrinale ou rituelle. L'existence
de ces personnages est bien réelle et signifiante pour les fidèles
mais elle ne s'énonce pas d'un point de vue « historique » ni
même mythologique la plupart du temps. Il en est ainsi des
buddha, boddhisattva, gardiens de la doctrine, rois de sciences16
plus ou moins individualisés qui se sont multipliés dans le cadre
du Mahayana. Avec deux, quatre, huit bras et plus encore, sous
des aspects paisibles ou courroucés, ces figures vénérées - qui
concentrent qualités et pouvoirs - peuvent être accompagnées
ou non d'une parèdre, d 'un cercle d'assesseurs plus ou moins
diversifiés . . . Elles constituent un ensemble dont l'expansion est
potentiellement sans limite et s'enrichit principalement dans le
cadre de la composition liturgique.
• La seconde catégorie réunit des personnages dont la réalité
historique - vraisemblable ou tout à fait réelle - a pris une
dimension exemplaire ou légendaire très affirmée, donnant
Vl
Q) lieu à des productions littéraires, iconographiques ou cultuelles
0
'-
>-
w
signifiantes. Il en est ainsi, par exemple, des « moines
\D
M
éminents » que les biographies rédigées en Chine présentent
0
N selon leurs spécialités : excellents traducteurs, thaumaturges,
@
.._,
..c
instructeurs religieux, compositeurs d'hymnes ... On peut aussi
O'l
·c
>-
citer, concernant le Japon, l'attention portée aux patriarches
a.
0
u fondateurs des grands monastères, ou des écoles doctrinales
V)

(indiennes, chinoises ou japonaises). On peut de même évoquer QJ

e
>,
pour le Tibet, les vies des quatre-vingt-quatre mahasiddha w
QJ
Q_
::J
e
(.')

16. Personnifications des pouvoirs des formules rituelles. @

90 1 Le bouddhisme
(grands accomplis) réunies dans un recueil de courtes histoires
mettant en scène quatre-vingt-quatre tantrika volontiers trans-
gressifs et scandaleux.
Partout dans le monde bouddhique, la diversité de ces maîtres
rend compte des multiples façons de mettre en œuvre le dharma
et d'accomplir son objectif spirituel. Tantôt conformément à des
normes doctrinales, monastiques ou sociales établies. Tantôt de
façon rebelle aux conventions, comme nous invitent à le consta-
ter les irrévérences du moine chan Linji en Chine ou la démesure
de Padmasambhava le « second buddha du Tibet » pour ne citer
'
queux.
Plus que d'explorer la diversité du panthéon bouddhique, il est
dans un premier temps essentiel de s'arrêter sur deux personnages
archétypaux et de dégager avec eux deux types de cheminements
spirituels ayant fortement structuré l'imaginaire bouddhique :
celui de l'arhat, le méritant érémitique, et celui du bodhisattva, le
sage compassionnel.
Si les communautés attachées aux enseignements pré-mahayaniques
s'attachèrent presque exclusivement la figure de l'arhat, les fidèles
du Mahayana valorisèrent, dans des mesures différentes, les figures
de l'arhat et du bodhisattva, donnant à ce dernier une prééminence
certaine.

vi
Q)

0
'-
>-
L'arhat
w
\D
M
0
N « En renonçant au monde, j'ai laissé les maisons, j'ai laissé le
@
.._,
..c
fils, le bétail et l'être cher. J'ai laissé la passion et la haine, j'ai
O'l
·c répudié l'ignorance. J 'ai éradiqué la soif: je suis apaisée17,
>-
a.
0 parvenue à l'extinction. »
u (/)
<li
Therigatha, 18.

w
<li
o_
::J
2
l')
@ 17. L e féminin employé ici précise que l'auteur de cette stance est une nonne. Le cas,
suffisamment rare dans la littérature p âlie, nous invite à le signaler.

Chapitre 5. Figures exemplaires et parcours spirituels 1 91


Des différents types d'engagements spirituels présents des sutra
anciens, l'arhat, toujours subordonné au Buddha historique, est
une figure plus éminente encore que celle du bhik~u. Le sens initial
du mot arhat désigne celui qui a du mérite, le méritant, celui dont
on reconnaît toute la valeur de l'accomplissement spirituel.
Par ses engagements et ses perfections, l'arhat surpasse :
• le simple disciple qui est « entré dans le courant » de la Bonne
Loi;
• le disciple plus avancé qui est entré dans son avant-dernière
existence;
• le disciple, plus avancé encore, qui ne« reviendra plus» dans ce
monde des désirs.
Par ses propres efforts, l'arhat est celui qui s'est libéré du sarnsara.
Plus précisément, celui qui a atteint le nirvtl!Ja après s'être affranchi
des tisrava.

Par-delà le flot des tourments

Lesasrava

Ce dernier terme est volontiers associé à l'image du fleuve dans les textes
anciens. A-sru signifie couler, se déverser, fuir. Les ëisrëiva se rapportent à tout
Vl
Q)
ce qui entraîne dans la dynamique du flux ininterrompu, incontrôlé du cycle
0 des vies et des renaissances. Ils désignent donc en premier lieu les trois forces
'-
>-
w d'égarement que sont :
\D
M
0
• le désir des plaisirs;
N
@ • l'attention au devenir;
.._,
..c • l'ignorance qui prive l'individu ordinaire de la perception juste de la réalité .
O'l
·c
>-
a.
0
u
Les images associées à cette dynamique incessamment mobile du V)
QJ

flux à laquelle condamnent les asrava sont omniprésentes et s'op- e


>,
w
posent à celles de la paix du « lac profond et serein » que l'arhat QJ
Q_
::J

a rejoint. Contenu, contrôlé, paisible, serein, immobile, impas- e


(.')
@

92 1 Le bouddhisme
sible ... l'arhat est celui qui a détruit toutes les souillures, celui qui
est libéré de tous les attachements, celui qui a éteint le cycle des
causes et des effets.
Les sutra anciens qui ont décrit les pratiques de l'arhat se sont
appliqués à rendre perceptibles ses expériences psychiques hors
du commun ainsi que les bonheurs et les bénéfices spirituels qui
en découlent. Parmi ces textes, le recueil des Dhammapada, Les
stances de la Loi, est sans doute l'un des plus éloquents 18 • Il réunit
des exposés brefs sur les grands thèmes de la prédication bou-
ddhique et met en lumière les aspects essentiels de la discipline
intérieure à laquelle le renonçant s'exerce pour cheminer vers l'état
de méritant accompli.

Une conduite exemplaire


Qyalifié de buddha, de muni (silencieux), d'arya (noble), de « vrai
brahmane », l'arhat s'y distingue par l'exemplarité et le caractère
exceptionnel de son engagement. Il est celui qui suit « un chemin
difficile», celui dont personne ne peut mesurer le mérite tant il est
sans limite, celui dont « la trace est aussi difficile à suivre que celle
des oiseaux dans le ciel ». Pleinement éveillé, il est celui dont « la
victoire ne peut être vaincue ».

vi
Q)
Hors de la vie mondaine
0
'-
>-
w Son engagement ne s'accomplit que hors du cadre de vie du maître
\D
M de maison. L'arhat a quitté son domicile pour le « non-domi-
0
N
@
cile ». Il ne trouve plus de plaisir dans l'habitation et, « telles les
.._, oies royales abandonnent leur lac, il délaisse tout séjour » , il rejoint
..c
O'l
·c la montagne ou les forêts sauvages que les hommes ordinaires
>-
a.
0
u (/)
redoutent. Renonçant aux plaisirs de la vie mondaine, il ne se
<li

2» complaît plus dans la recherche des richesses et des honneurs mais


w
<li
o_
::J
2 18. L es citations qui suivent sont issues de la traduction de J.-P. O sier, Le Bouddha
l')
@ Dhammapada, les stances de la Loi, Garnier Flammarion, 1997.

Chapitre 5. Figures exem plaires et parcours spirituels 1 93


se « voue au retrait ». S'éloignant des « sots et des négligents », il
s'exerce au contrôle de ses sens et se libère de ce qui est ordinaire-
ment plaisant. Il contient son corps, sa parole, son esprit et veille
à bien se comporter corporellement, verbalement et mentalement.

Cultiver la vigilance
Une des disciplines à laquelle il consent et qui compte comme un
chemin sûr vers la paix « insurpassée de l'extinction », est celle de
la vigilance. « Debout!» ordonnent les Dhammapada. « Il faut être
vigilant, il faut réaliser la Bonne Loi : celui qui agit ainsi est heureux
dans ce monde et dans l'autre. » La vigilance permet à tout instant de
dompter, de canaliser les intentions portées par l'activité des sens,
de la parole et de l'esprit. Constant dans ses efforts de vigilance,
l'arhat peut accéder à l'intelligence profonde de la Loi. Pleinement
vigilant, il « illumine ce monde comme l'astre lunaire quand il n'y a
pas de nuages ». Il réside ainsi dans la vérité de la Doctrine et,
libéré de tout tourment, il n'est plus la proie de la mort et du désir.
« De ces vertueux qui cultivent la vigilance et que libère la connaissance
correcte, Mara ne trouvera pas la route. » I..:arhat, dont les souillures
sont détruites, est celui qui est « arrivé au bout du chemin, sans
chagrin, absolument libéré, délivré de tous les liens : pour un tel homme
il n'y a plus de peine ardente » . Accédant à un bonheur inégalé, il
goûte la joie de la Loi car il n'est plus soumis au cycle douloureux
Vl des renaissances.
Q)

0
'-
>-
w
\D
M
0
Exercices psychiques
N
@
.._, Plus développés et plus systématisés que ceux des Dhammapada, les
..c
O'l
·c enseignements réunis dans les Dïghanikaya ou les Majjhimanikaya 19
>-
a.
0 proposent un examen minutieux du fonctionnement de l'esprit
u
et décrivent les entraînements psychiques auxquels le renonçant V)
QJ

e
>,
w
QJ
Q_
::J
e
(.')

19. Deux des recueils de la première corbeille des sütra anciens. @

94 1 Le bo uddhisme
s'exerce pour atteindre les accomplissements de l'arhat conquérant
étape par étape de nouvelles habiletés spirituelles.
Elles ont pour vocation de dénouer l'entrelacs des vues erronées
et d'accéder à une nouvelle justesse d'appréhension de la réalité.
L'acquisition de ces habiletés requiert une dynamique qui conjugue
la nécessité d'apaisements de plus en plus profonds et la nécessité
d'une acuité de perception de plus en plus pénétrante.
De façon concomitante, l'apaisement conduit à une appréhension
plus juste de la réalité. Cette appréhension plus juste conduit à son
tour à des apaisements plus profonds et ainsi de suite (ou vice-
versa) jusqu'à ce que l'esprit soit totalement libre d'agitation et que
l'intelligence de la Loi soit pleinement, intuitivement intégrée,
hors du jeu des constructions mentales.
On compte, parmi les premiers exercices, les pratiques vertueuses
de bonne conduite, les réflexions sur la misère du corps mort ou le
bénéfice de la compassion, par exemple, pour venir à bout des cinq
obstacles rédhibitoires à toute progression.

l!t;t.U§i
Cinq obstacles à toute progression :
• le désir pour les objets des sens;
• la malveillance;
• la torpeur ou la langueur;
vi • l'inquiétude;
Q)

0
'- • le doute.
>-
w
\D
M
0
N
@ Affranchi des cinq obstacles, le renonçant peut s'exercer à quatre
.._,
..c
O'l
dhyana - quatre recueillements - qui permettent à la conscience de
·c
>-
a.
s'apaiser et de trouver une plus grande sérénité.
0
u (/) • Lors du premier dhyana, la conscience, encore tenue par l'acti-
<li

2» vité de l'attention et de l'analyse, accède à un détachement dont


w
<li
o_ la joie emplit totalement le renonçant.
::J
2
l')
@

Chapitre 5. Figures exemplaires et parcours spirituels 1 95


• Lors du deuxième dhyana, la conscience, défaite de l'activité de
l'attention et de l'analyse, accède à un détachement plus subtil
et plus joyeux encore.
• Lors du troisième dhyana, la conscience, pleinement vigilante,
se détache de la joie apportée par les deux premiers dhyana et
demeure dans un bonheur d'une parfaite équanimité.
• Lors du quatrième dhyana, la conscience, libérée du bonheur
même du détachement, est parfaitement pure, vigilante et
impassible.
Les accomplissements auxquels préparent les dhyana s' épanouis-
sent dans le cadre de deux orientations :
• La première vise, par l'abandon de toute intentionnalité
consciente, à la cessation progressive de toute perception. Elle
conduit le renonçant à des états psychiques totalement contem-
platifs, à des ravissements extatiques (samapatti).
• La seconde orientation vise, par une extrême acuité, à acquérir
une parfaite intuition de la vacuité du soi. Cette intelligence
parfaite, clairvoyante (prajna), libre de tout flux, ne procède plus
d'aucune intention ni d'aucune construction intellectuelle ou
discursive. L'ayant atteinte, le renonçant bénéficie de pouvoirs
surnaturels (s'élever vers le ciel, traverser les murs, etc.). Il peut
lire les intentions et les destinées d'autrui, peut se remémorer
ses vies passées et a pleinement conscience d ' être libéré. Il est
dit qu'il ne s'attache toutefois ni à ces pouvoirs, ni au nirvtï!Ja car
Vl
Q)
il a pleinement dépassé les jeux« d'appropriations ».
0
'-
>-
w
\D
M
« Ce moine, cet arhat qui a mis fin aux flux impurs, qui a vécu
0
N noblement, fait ce qu'il avait à faire a déposé son fardeau. Il a
@
.._,
..c
brisé les chaînes du devenir il a atteint le but et s 'est libéré par
O'l
·c la connaissance exacte ô moines. Le voici celui qui reconnaît à
>-
a.
0 fond le nirval)a comme étant le nirval)a. »
u V)
QJ
MaJJhimanikaya, 1, 4.
e
>,
w
QJ
Q_
::J
e
(.')
@

96 1 Le bouddhisme
Par ses expériences et ses accomplissements, l'arhat réitère donc
l'essentiel du cheminement ascétique du Buddha historique. Il se
distingue toutefois de !'Éveillé par le fait de ne pas être l'instiga-
teur de la Bonne Loi - mais son disciple - et de ne pas accompa-
gner autrui vers l'extinction grâce à son enseignement. Les textes
font toutefois mention du vœu que formulent certains arhat d'ac-
compagner vers 1' éveil ceux qui le souhaitent et de se conformer
ainsi plus encore à l'exemple d'un buddha « parfaitement éveillé »
apte à partager et enseigner le dharma. Ils sont alors désignés sous
le terme de bodhisattva : des êtres promis à 1' éveil ou des buddha
en devenir. Comme nous l'avons souligné plus haut, cette notion
reformulée et largement enrichie dans les sütra du Mahayana fut
promise à une très grande fortune. L'exemplarité de l'arhat y perdit
en partie sa pertinence au bénéfice de celle du bodhisattva, devenu
la figure exemplaire du Mahayana.

Le bodhisattva
« Demeurant dans le cycle, les sages suprêmes sont à même
d'œuvrer à l'incomparable bien des êtres sans passer au-delà des
peines. Accomplis dans la sagesse fondamentale et la méthode de
la perfection de sagesse, ils savent qu'en raison de la pureté de
tous les phénomènes, le cycle est immaculé. »
Vl
Q)
La perfecti on de sagesse en cent cinquante moyens.
0
'-
>-
w
\D
M
0
N Le mot bodhisattva, qui articule deux termes, bodhi (éveil) et sattva
@
.._,
..c
(être), peut être entendu de deux façons sensiblement distinctes si
O'l
·c l'on considère le personnage emblématique qu'il désigne au jour de
>-
a.
0
u
son cheminement ou de son accomplissement.
(/)
<li

2» • S'il est question de son cheminement, le bodhisattva est un


w
<li
« être promis à 1' éveil» et l'on porte l'attention sur les étapes de
o_
::J
2 sa progress10n.
l')
@

Chapitre 5. Figures exemplaires et parcours spirituels 1 97


• S'il est question de son accomplissement, le bodhisattva est plei-
nement considéré comme un « être d'éveil » et l'on porte plus
volontiers l'attention sur la singularité de son efficience.
Le bodhisattva pleinement accompli est celui dont les qualités
articulent deux efficiences : celle de la prajiïa (la sagesse) et celle
d'upaya (les moyens habiles à conduire les individus vers le salut).
Réitérant l'exemplarité de l'œuvre compassionnelle du Buddha
historique avant son ultime naissance, le bodhisattva se manifeste
lors de son inépuisable carrière par des naissances infiniment
variées. On le découvre maître de village, chef de caravane, chape-
lain, ministre, ermite, esclave ou courtisane, prêt à faire le bien de
tous les êtres et les établir dans la Loi des buddha.
Tout à la fois protecteur de tous les dangers, donateur prodigue
capable de livrer jusqu'à son propre corps pour le salut d'autrui,
le bodhisattva est aussi celui qui recueille, conserve et dispense les
enseignements de buddha en nombre infini. Il est celui qui détient
les dharaJJï, les formules qui en condensent tous les pouvoirs et qui
protègent de tous les fléaux. Son œuvre se dessine ainsi dans l'am-
bivalence d'une nature tout à la fois humaine par son inspiration et
surhumaine par 1' échelle de son ambition compassionnelle.
Nous invitant par leurs nuances à nous confronter à quelques
paradoxes parfois, trois monuments essentiels de la littérature
du Mahayana peuvent être retenus pour aborder le parcours d'un
Vl
bodhisattva :
Q)

0
'-
• les Prajiïaparamitasutra, «Les sutra de la perfection de sagesse»;
>-
w
\D
• le Bodhisattvacaryavatara, « L'entrée dans la pratique des
M
0
N
bodhisattva » ;
@
.._, • le Dasabhumikasutra, «Le sutra des dix terres ».
..c
O'l
·c
>-
a.
0
u Les Prajfiaparamitasütra V)
QJ

e
>,
Nous avons déjà vu l'importance du thème de prajfïa dans les Sutra w
QJ
Q_

de la perfection de sagesse. Elle est désignée comme l'appréhension ::J


e
(.')
parfaite, intuitive, de la radicalité de sunyata, la non-substantialité, @

98 1 Le bouddhisme
non seulement du soi mais de tout ce qui peut être perçu, nommé,
pensé ...
Par l'appréhension de cette sagesse, le bodhisattva bénéficie d'une
omniscience « inconcevable, incommensurable, égale à l 'inégalable ».
Fort de ce pouvoir« qui est la mère de tous les héros pour l'éveil », il
ne s'attache pas à l'éveil ni ne souhaite demeurer en nirva]Ja. Il se
distingue sur ce point de ceux qui, recherchant « gains et honneurs
sont attachés à leur robe et à leur bol à aumônes » et « visent l'inférieur,
de pauvre inspiration, installés dans un piètre véhicule».

Bodhisattva versus arhat

Les accomplissements de l'arhat se dessinent donc - dans ce contexte parfois


polémique - comme une simple étape vers les accomplissements jugés plus
vastes et plus profonds du bodhisattva. Non que l'arhat ait suivi une voie
erronée, mais plutôt inachevée, préliminaire. Attaché à la pensée de l'éveil, il
ne perçoit pas la radicalité de sünyata. Il distingue encore samsara et nirvaf)a et
aspire donc à se défaire de l'un pour gagner l'autre.

Fort de prajfia, le bodhisattva qui empreinte le Grand véhicule n'a


pas à passer au-delà des peines. Il demeure hors du nirva]Ja car
il sait qu'en raison de sanyata, le sarrisara est lui-même « imma-
culé» qu'il est le champ de sa pleine réalisation et celui de tous ses
accomplissements.

vi
Q)

0
'-
>-
Engagements
w
\D
M
0
C'est en abordant le Bodhisattvacaryavatara20 qu'il est possible de
N
@ saisir les tout premiers moments de l'engagement du bodhisattva
.._,
..c
O'l
vers ses accomplissements. Remarquable pour l'intensité de son
·c
>-
a.
inspiration et la clarté de son écriture, ce texte tardif, rédigé par
0
u (/)
Santideva au VIIIe siècle, dresse la figure du « héros pour l'éveil » de
<li


w
<li
o_
::J 20. L es références à ce texte sont 1c1 toutes issues de la traduction du texte du
2 Bodhisattvacaryavata.ra traduit du tibétain par G. Driessens : Santideva, Vivre en héros
l')
@ pour l'éveil, Paris, Le Seuil, 1993.

Chapitre 5. Figures exemplaires et parcours spirituels 1 99


façon particulièrement vivante et sensible. Il restitue, mieux que
toute autre source sans doute, la ferveur de celui qui, par le pouvoir
d'un buddha, voit grandir en lui « l'esprit d'éveil».
Ce dernier, qui délivre de toutes les erreurs passées, s'impose
comme un vœu compassionnel absolu, une aspiration inébranlable
à libérer tous les êtres de la souffrance :

« Puissè-je être le protecteur des abandonnés, le guide de ceux


qui cheminent, la barque, le navire et le pont pour ceux qui
désirent traverser le flot. Puissè-je être une île pour ceux qui
cherchent une île, une lampe pour ceux qui en désirent une, une
couche pour ceux qui veulent prendre du repos et l'esclave des
êtres souhaitant un esclave[. .. } Et, jusqu'à ce qu'ils passent au-
delà des peines, puissé-je de toutes les manières être une source
de vie pour l'ensemble des mondes et des êtres qui atteignent aux
confins del' espace! »

Le texte énonce à la suite de ce vœu les promesses auxquelles le


bodhisattva consent pour ne pas rompre ses engagements et les
« aptitudes » qu'il doit acquérir pour les assumer. Son parcours
se décline alors en une série de six paramita, c'est- à-dire six
perfections :
• la perfection du don (dana) ;
• la perfection de 1' éthique (sïla) ;
Vl
Q)

0
• la perfection de la patience (k~anti) ;
'-
>-
w • la perfection de l'énergie (vïrya) ;
\D
M
0 • la perfection de la méditation (dhyana) ;
N
@
.._, • la perfection de la sagesse (prajna).
..c
O'l
·c Atteinte les unes après les autres, les paramita entrent progressive-
>-
a.
0
u
ment en interaction et se « colorent » mutuellement. La perfection
V)

du don acquiert ainsi plus de richesse parce que nourrie de celle QJ

e
de l'éthique, elle-même nourrie de la patience, de l'énergie, etc. >,
w
QJ

Finalement atteinte, la perfection de sagesse confère une dimen- Q_


::J
e
sion nouvelle à toutes les autres en les éclairant de la conscience de (.')
@

100 1 Le bouddhisme
sanyata. Elle initie donc ainsi une dynamique circulaire qui s'am-
plifie et confère une dimension de plus en plus subtile et profonde
à l'efficience compassionnelle du bodhisattva.
Qyatre sentiments « illimités », quatre dispositions spirituelles
nées de diverses méditations et ferments de l'action salvatrice,
viennent dans certains textes enrichir encore la perfection, il s'agit
de:
• la bienveillance (maitrr) ;
• la compassion (karU1:za) ;
• la joie (mudita) ;
• l'équanimité (upek$a).

Cheminements et perfectionnements des dix


terres
C'est avec le Dasabhamikasatra 21 qu'il est possible de compléter
le portrait du bodhisattva. Ce sutra, qui fut l'objet de nombreuses
exégèses, présente le bodhisattva comme un être s'exerçant sans fin
à une série d'accomplissements plus déployés encore que ceux des
six perfections. Cette série est celle des « dix terres » : dix états de
conscience et de perfectionnement. Trois parmi elles (la première,
la septième et la dernière) sont particulièrement importantes.

vi
Q)
La prem ière terre
0
'-
>-
w
La première nommée «joie suprême » est atteinte par celui qui,
\D
M
ayant « planté des racines de bien », réalise qu'il peut être l'égal
0
N des buddha et aider des êtres en nombre infini à s'affranchir du
@
.._, sarrisara. Dès qu'il engendre cet esprit, il quitte « sa condition
..c
O'l
·c
>-
ordinaire et accède à l'état de bodhisattva».
a.
0
u (/)
Il formule alors les vœux ambitieux de pouvoir :
<li

2» • recevoir, protéger et détenir les enseignements des buddha ;


w
<li
o_
::J
2 21. Les citations du DaS:abhamikasütra sont ici issues de la traduction du chinois de
l')
@ P. Carré : Soûtra des Dix Terres - Dashabhûmika , Fayard, 2004.

Chapit re 5. Figures exem plaires et parcours spirituels l 101


• assister à l'avènement et à la pleine réalisation des buddha;
• instruire et placer sur la voie de l'omniscience tous les êtres
sensibles ;
• percevoir pour cela l'étendue de tous les mondes existants ;
• partager sans rivalité la sagesse d'innombrables bodhisattva;
• ne jamais régresser grâce à l'excellence de ses pratiques ;
• réaliser le parfait éveil et ainsi entrer dans le nirvtv:ia sans inter-
rompre sa pratique de bodhisattva.
Si la pureté de cette aspiration lui permet d'atteindre « l'insur-
passable et parfaite omniscience », il ne sait toutefois pas encore y
demeurer pleinement ni user de tous ses potentiels. C'est donc le
séjour au sein des autres terres qui lui permettra de rendre active
cette omniscience « sur une échelle vaste comme la dimension abso-
lue, ultime comme l'espace, sans limite future ni répit lors de toutes les
ères cosmiques » .

La septième terre
Arrivé à la septième terre au terme d'efforts maintenus durant
plusieurs « centaines de milliers de millions de milliards d'ères
cosmiques », le bodhisattva a non seulement réalisé la sagesse de
la vacuité mais a acquis la maîtrise de tous les moyens habiles. Il
prend alors conscience qu'il doit renoncer à la dynamique de l'ef-
fort et accomplir désormais « spontanément » l'unité de la sagesse
Vl
Q)
et de ces moyens pour « des centaines de milliers de millions de
0 milliards d'ères cosmiques et dans des centaines de milliers de millions
'-
>-
w
\D
de milliards de mondes».
M
0
N
@
.._, La dixième terre
.c
O'l
·c
>- L'arrivée dans la dixième terre nommée « nuage des enseignements»
a.
0
u consacre cette ultime faculté, alors que des buddha et des bodhi- V)
QJ
sattva en nombre infini s'amassent pour célébrer son investiture e
>,
w
dans des flots de louanges, de parfums et d'étoffes chatoyantes. QJ
Q_

Maître du temps passé, présent et futur, le bodhisattva déploie ses ::J


e
(.')
pouvoirs les plus extraordinaires dans les dix directions de l'uni- @

102 1 Le bouddhisme
vers et amasse d'inépuisables mérites. Établi dans la « très profonde
essence véritable du réel [. . .] sans caractéristique [. . .], il manifeste des
activités les plus variées en restant au niveau de la vérité absolue ».
Le parcours des dix terres s'achève ainsi, alors que commence la
pleine efficience du bodhisattva pour des temps infinis et dans des
mondes situés au-delà de toute conscience humaine ordinaire.

vi
Q)

0
'-
>-
w
\D
M
0
N
@
.._,
..c
O'l
·c
>-
a.
0
u (/)
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w
<li
o_
::J
2
l')
@

Chapitre 5. Figures exemplaires et parcours spirit uels l 103


Ul
Q)

0!....
>-
w
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r-i
0
N
@
.......
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01
·c
>-
a..
0
u
CHAPITRE 6

PRATIQUES

Au programme

• Pratiquer le don
• Énoncer et réciter: un art bouddhique du langage?
• Fidèles en chemin : pèlerinages bouddhiques

O!J'ils décident d'embrasser ou non la voie monastique, qu'ils


suivent avec plus ou moins de rigueur les préceptes essentiels de
l'octuple chemin, les bouddhistes dans leur très grande majorité
partagent avant tout leur confiance en l'authenticité de l'expérience
du Buddha et en l'exemplarité des vénérés et des maîtres éminents.
Ils ont, à travers eux, foi en la validité d'enseignements qu'ils n'ont
pas toujours reçus mais dont ils reconnaissent l'autorité. Ils croient
en l'horizon d'une possible délivrance et, quelle que soit la réalité
de leur expérience, placent leurs espoirs en l'efficacité de multiples
pratiques.
Tout comme les constructions doctrinales et les .figures vénérées,
Vl
Q)

0
les pratiques bouddhiques sont d'une grande variété. Elles varient
'-
>-
w en fonction des contextes géographiques, historiques et sociaux.
\D
M
0
Elles se distinguent aussi en fonction du statut des :fidèles (laïcs
N
@
ou religieux), de l'intensité de leur implication personnelle, de
.._,
..c celle de la communauté sociale à laquelle ils appartiennent, de leur
O'l
·c
>-
a.
accès plus ou moins aisé aux enseignements ...
0
u (/) Ces pratiques peuvent être de l'ordre :
<li

2» • du culte : rendre hommage et faire offrande (paja) à des .figures


w
<li
o_
::J
ou des lieux saints, réciter des textes ou des formules propi-
2
l') tiatoires, composer des hymnes en faveur d'un buddha ou d'un
@
bodhisattva, etc. ;
• de l'érudition : étudier, copier, traduire, approfondir, commen-
ter ou prolonger l'enseignement des sütra ou celui de l'enseigne-
ment de grands maîtres ;
• de la discipline intérieure : se conformer à des vœux pronon-
cés, s'astreindre par différents exercices à la culture de l'esprit
(bhavana) que l'on évoque communément - et de façon restric-
tive - sous le terme de « méditation » ;
• de l'accompagnement par les moyens habiles (upaya): instruire,
transmettre le dharma, réaliser des rituels à vocation performa-
tive en faveur d'un tiers, garantir la protection ou des bienfaits
par des processus magiques, aider à la décision par des méthodes
oraculaires.
Si les religieux sont par vocation amenés à exercer ces différentes
catégories de pratiques, très peu d'entre elles leur sont réservées à
titre exclusif. Aucune sanction normative ne saurait par ailleurs
priver un individu de la liberté d'exercer telle ou telle pratique ou
de dénoncer l'inanité de telle autre. Ce qui est proscrit ou pres-
crit s'énonce dans ce domaine au sein de chaque communauté
monastique ou de chaque groupe social. Il faut donc, une fois de
plus, observer de multiples nuances et variantes par-delà un tronc
commun globalement partagé.
Par-delà cette variété, les dons pieux, les récitations, les pèleri-
nages sont partout présents dans le monde bouddhique et sont
partagés par le plus grand nombre. Ceci, même si leur teneur ou
Vl
Q)
leur efficacité religieuse se distinguent en fonction des ambitions
0
'-
>-
w
de chaque fidèle ou de chaque communauté.
\D
M
0
Exécutées par les religieux ou les laïcs, par les hommes ou par
N
@ les femmes, jeunes ou âgés, riches ou pauvres, érudits ou très
.._,
..c
O'l
simplement éduqués, ces pratiques visent trois objectifs souvent
·c
>-
a. intimement intriqués : rendre hommage, transformer celui qui les
0
u accomplit, agir sur le cours des événements. Elles relèvent tout V)
QJ

à la fois de la dévotion, de l'expérience psycho-physique et de la e


>,
w
magie. Leur étude éclaire la façon dont des convictions religieuses QJ
Q_
::J
se partagent en des actes ritualisés engageant souvent la cohésion e
(.')

d'une communauté tout entière. @

106 1 Le bouddhisme
Nous nous y intéresserons ici pour leur permanence et leur récur-
rence dans l'ensemble du monde bouddhique, pour leur popularité
et la visibilité de leur inscription matérielle très présente dans les
pays concernés, pour leur caractère social fédérateur. Elles nous
invitent enfin à écarter un clivage - souvent malencontreuse-
ment véhiculé - entre bouddhisme « populaire » et « bouddhisme
savant».

Pratiquer le don

«Si des gens, dans des temples et pagodes devant les statues
précieuses et les images ont par fleurs et encens, bannières et
dais, d 'un cœur respectueux ont fait leurs offrandes, s'ils ont
amené les autres à faire de la musique[ ... ] ou s'ils ont d'un cœur
exultant célébré en hymne et cantiques les mérites de l 'Éveillé,
même par un seul petit son, ils ont tous désormais réalisé
la voie d'Éveillé. »
Le su tra du Lo tus, chap. Il.

Comme l'ont fait remarquer de nombreux ethnologues, histo-


riens et linguistes, le don est une des activités humaines les plus
complexes et les plus riches de sens. Il occupe une place signifiante
Vl
Q) dans les sources bouddhiques et donne lieu à des pratiques d'une
0
'-
>- extrême diversité, qu'elles revêtent un caractère festif et commu-
w
\D
M
nautaire, personnel et intériorisé ou rituel et performatif. De la
0
N plus simple offrande de fleur au don total de soi, en passant par
@
.._, le don de la doctrine, il implique ses acteurs dans un ensemble de
..c
O'l
·c conséquences spécifiques qui affectent matériellement et spirituel-
>-
a.
0 lement leur vie et celle de leur communauté.
u (/)
<li

2» Les sutra anciens ne sont pas univoques au sujet de la place et du


w statut qu'il convient d'attribuer au don. Il en est de même pour
<li
o_
::J
2 les sources mahâyâniques qui abordent aussi ce thème de façon
l')
@ nuancée. Qyelles que soient leurs différences toutefois, les textes

Chapitre 6. Pratiques l 107


reconnaissent le plus souvent le don comme la première des activi-
tés méritoires qu'un fidèle puisse pratiquer.

Le don est en cela souvent placé avant l'éthique (sï/a) et la culture de l'esprit
(bhëivanëi). Il est aussi la première des perfections (pëiramitëi) à laquelle
s'exerce un bodhisattva.

De façon générale, la qualité d'un don est évaluée en fonction


du don lui-même, de l'esprit dans lequel il est fait et du donateur
auquel il est destiné.

Différents types de dons


On distingue ainsi les dons matériels, le don du dharma, le don
de sa vie. S'il est souvent considéré que le don matériel est l'apa-
nage des laïcs et que le don de la Loi est celui des religieux, ces
catégories se révèlent toutefois souvent plus souples au regard des
pratiques que ce qui en est dit dans les textes.
Ainsi, tel qu'en attestent les plus anciennes traces archéologiques
du bouddhisme, les dons matériels furent très tôt prodigués par les
moines autant que les laïcs au bénéfice de stapa ou de lieux sacrés.
Le don de la Loi, s'il fut principalement l'affaire des moines,
Vl
Q)
put aussi être indirectement celle de laïcs choisissant d'offrir des
0
'-
>-
w
manuscrits à une institution religieuse ou de financer des travaux
\D
M
de traduction, par exemple.
0
N
@ 01iant au don de soi, assez peu valorisé dans les sutra anciens, il
.._,
..c
O'l
fut davantage exalté dans les sources mahayaniques où le bodhi-
·c
>-
a. sattva pousse parfois l'exercice de sa compassion jusqu'au sacrifice
0
u de lui-même. V)
QJ

La qualité du don, nous l'avons dit, dépend aussi de son béné- e


>,
w
ficiaire . Offrir aux moines, aux monastères, à un bodhisattva, QJ
Q_
::J

un buddha est donc d'autant plus méritoire que ces bénéficiaires e


(.')
@

108 1 Le bouddhisme
constituent des champs pleinement purifiés par la sagesse. Les
mérites attendus en retour du don n'en seront que plus certaine-
ment obtenus.

r!'h·B41
On donne en effet communément et légitimement dans le bouddhisme pour
recevoir un bienfait, une rétribution, pour acquérir des mérites (puoya), les
promesses d'une renaissance favorable et d'une progression vers l'au-delà
des souffrances.

Un don libre d'intention et de finalité


Il est toutefois des contextes où cet échange don/contre-don n'a
plus de raison d'être. Nous avions vu que le bodhisattva progressant
de terre en terre s'appliquait dans un premier temps à accumuler
mérites et sagesse. Nous avions vu aussi que, parvenu à la septième
terre, il comprenait l'inanité des discriminations et par là même
celle du jeu des décisions. Pour le bénéficiaire encore égaré dans
le saf!lsti.ra, le don du bodhisattva s'exerce avec pertinence grâce
aux moyens habiles et pourvoit chacun en fonction de ses besoins.
Pour le bodhisattva désormais libéré de la pensée duelle ordinaire,
le don s'exerce librement en conformité avec le réel, vide de nature
propre. Les distinctions illusoires entre donateur et bénéficiaire se
sont évanouies. Le don, pleinement émancipé de toute intention
vi
Q)
et de toute :finalité, s'énonce alors librement, comme une efficience
0 de la prajfia.
'-
>-
w
\D
M
0
N
@
.._,
Offrandes
..c
O'l
·c
>- Les offrandes, entendues comme des dons pieux dédiés aux
a.
0
u moines, aux monastères, aux buddha, aux bodhisattva, aux maîtres
(/)
<li


et à tous les autres vénérés du bouddhisme, sont une des expres-
w
<li
sions les plus répandues de la pratique du don. Elles sont dans
o_
::J
2
certains cas intimement associées à des pratiques méditatives
l')
@ ou à des visualisations développées d ans un contexte initiatique.

Chapitre 6. Pratiques l 109


L'offrande du ma1J4ala de grains qui consiste à offrir à son maître
toutes les richesses de l'univers et, par analogie symbolique sa
personne toute entière, en est un exemple. Elle constitue un rituel
préliminaire essentiel à certaines transmissions de pouvoirs prati-
qués dans le bouddhisme tibétain.

Des témoins de la foi


Modestes ou somptueuses, les offrandes sont souvent les témoins
les plus spontanément repérables de la foi des fidèles . L'offrande
matinale de nourriture accordée aux moines par les laïcs des pays
d'Asie du Sud-Est en est un exemple spectaculaire. L'abondance
des coupes emplies d'eau, de parfums, de céréales, etc., accumulées
sur les autels tibétains en est un autre. Lumières, :fleurs, encens,
eau et nourriture, objets rituels, livres sacrés, argent, terres, trou-
peaux ... tous ces biens sont offerts de façon privilégiée lors des
grands moments du calendrier liturgique 22 et sont des moyens de
rendre hommage, d'apporter un soutien matériel ou de s'investir
dans une dynamique d'émancipation spirituelle.

Pour que l bienfait?


Qiel que soit le contexte doctrinal, l'offrande d'un moine ou d'un
laïc, faite avec foi, dans une disposition d'esprit purifiée et apai-
sée, au bénéfice d'un buddha, d'un maître, d'une institution reli-
gieuse, etc. appelle communément un mérite. Nombre de textes
Vl
Q)

0
prémahayaniques ou mahayaniques font donc état des bienfaits
'-
>-
w qu'elle peut apporter: la beauté, la longévité, la bonne renommée,
\D
M
0
l'estime et le soutien des pairs . .. On peut également en attendre
N
@
une protection contre toutes sortes de dangers (les maladies, les
.._,
..c brigands, les inondations . . .) mais aussi l'espoir d'une vie prochaine
O'l
·c
>- moins douloureuse et, bien sûr, l'horizon du nirvt:tl;a.
a.
0
u L'attente d'un mérite explicitement formulé est parfois matéria- V)
QJ

lisée par une inscription apposée sur le relief d'un stapa, le corps e
>,
w
QJ
Q_
::J

22. C elui-ci peut sensiblement varier en fonction des pays ou des communautés e
(.')

religieuses. @

110 1 Le bouddhisme
d'un objet rituel, le colophon d'un livre ... Elle peut concerner des
mérites attendus par celui qui fait l'offrande pour lui-même. Elle
peut aussi concerner un de ses proches, une catégorie de personnes
(ses coreligionnaires par exemple) ou, plus largement, tous les
êtres sensibles.

Le transfert des mérites


Cette possibilité de dédier à un tiers les mérites accumulés par
un acte pieux est nommée « transfert des mérites ». Elle est une
expression compassionnelle qui, déjà attestée avant l'émergence
du Mahayana, a été amplifiée par la voie des bodhisattva. Elle a, de
fait, instauré une sorte de cercle vertueux transformant la rétribu-
tion consécutive à un don en un nouveau don.

Jeux de don et contre-don


L'échange d'offrandes faites par les laïcs en direction des monas-
tères et leurs maîtres contre la protection spirituelle de ces derniers
a considérablement marqué les sociétés où le bouddhisme s'est
solidement implanté. Ceci dans les domaines économiques, poli-
tiques et culturels. On pourrait à ce sujet faire référence à la Chine
des Tang (618-907), au Japon de la période Muromachi, mais
l'exemple du Tibet est certainement plus explicite encore.

vi Don et contre-don au Tibet


Q)

0
'-
>- Dès l'installation du bouddhisme au Tibet au v111e siècle, les chefs des lignées
w
\D spirituelles, puis les abbés des monastères, reçurent des dons importants de la
M
0
N
part des rois et des seigneurs locaux en échange de la proclamation du dharma
@ et des rituels célébrés en leur faveur. Pourvus de terres à cultiver et de serfs qui
.._,
..c leur étaient attachés, pourvus de troupeaux aussi, les monastères constituèrent
O'l
·c
>-
a.
des seigneuries autonomes parfois très prospères. Réserves de biens, lieux
0
u (/)
d'échanges financiers et commerciaux, ils furent les acteurs essentiels de la vie
<li
économique du Tibet.

w Entretenir l'égalité du lien de donateur laïc/protecteur spirituel dans un jeu de
<li
o_
::J don et de contre-don équilibré eut aussi des incidences importantes sur les
2
l')
équilibres politiques. L'enrichissement des monast ères appelait en effet vers eux
@

Chapitre 6. Pratiques l 111


des interlocuteurs de plus en plus puissants, qu'ils soient tibétains ou étrangers.
La puissante lignée des Sakyapa se trouva ainsi liée à la cour mongole de Gengis
Khan dès le x111e siècle. Elle céda le pas à celle des Gelugpa qui fut conduite aux
plus hautes responsabilités politiques lorsque le ve Da/aï-Lama fut installé à la
tête du pays en 1642.

Le poids des offrandes ne saurait être pleinement évoqué sans


faire référence à l'essor culturel qu'elles suscitèrent un peu partout
dans le monde bouddhique. Les dons en argent, en métaux et en
pigment précieux, en papier, en ouvrages recopiés et traduits par
les meilleurs érudits permirent aux monastères de devenir des
lieux de productions intellectuelles de premier plan. Les monas-
tères du Mont Tiantai sous les Tang, le Daitoku-ji de Kyoto dans
le Japon des XVIe et XVIIe siècles, le monastère de Drepung juste
à côté de Lhasa furent, à des époques différentes, des complexes
culturels de première importance.
Ils formaient non seulement à l'érudition religieuse mais à des
disciplines artistiques variées. Dans le domaine des arts, ils
initièrent ou perpétuèrent des usages stylistiques et iconogra-
phiques d 'une très grande sophistication. Si certains (comme dans
le monde himalayen) firent ainsi appel à des artisans de premier
ordre pour travailler des métaux et des alliages précieux, tailler
des pierres fines et réaliser des objets rituels de très grand prix,
d'autres (comme dans certains milieux japonais) valorisèrent une
Vl
esthétique d'une simplicité apparente mais subtilement codifiée.
Q)

0L. Utilisés en des occasions religieuses, historiques ou diplomatiques


w>- importantes, ces objets accroissaient d'autant le prestige spirituel
\D
M
0
et matériel des communautés qui les possédaient.
N
@
.._,
..c
O'l
·c
>-
a.
0
u V)
QJ

e
>,
w
QJ
Q_
::J
e
(.')
@

112 1 Le bouddhisme
,
Enoncer et réciter: un art bouddhique
du langage?

« Dans les temples et les monastères


Que la lecture et la récitation se maintiennent et fleurissent ;
Que l'harmonie règne toujours dans la communauté
Et que son propos s'accomplisse.»
Bodhisattvacaryavatara, X, 42.

Parce qu'intimement liée au souffle, parce qu'associée aux plus


anciens scénarios cosmogoniques et à l'efficacité du sacrifice, la
puissance vibratoire et sonore de la parole fut, nous l'avons dit,
hautement valorisée en Inde dès la période védique. Son statut fut
renforcé par d'abondantes spéculations faisant de la rectitude du
langage rituel un garant de l'ordre cosmique et plaçant les sciences
linguistiques (grammaire, étymologie, métrique ... ) au plus haut
de la hiérarchie des savoirs. On ne saurait donc s'étonner que,
sur un tel substrat culturel, la parole - et en premier lieu la réci-
tation réitérée d'enseignements ou de formules - ait acquis une
place privilégiée dans le bouddhisme dès les premiers siècles de
son développement. Ceci constaté, il est aussi important de souli-
gner une attitude très présente chez nombre de maîtres consistant
Vl
à se méfier des écueils conceptuels du discours et des pratiques
Q)

0 incantatoires.
'-
>-
w
\D
On constate de fait la cohabitation de plusieurs usages spécifiques
M
0
N
du langage dans le contexte bouddhique :
@
.._, • des enseignements usant de ses ressources les plus subtiles pour
..c
O'l
·c porter leur raisonnement et leur efficacité spirituelle ;
>-
a.
0 • des usages rituels réitérant des récitations pour appuyer la
u (/)
<li pratique de l'offrande ;

w
<li
• des transmissions de pouvoirs grâce à l'usage de formules
o_
::J
2
défaites de toute ambition sémantique ou discursive ;
l')
@

Chapitre 6. Pratiques l 113


• des jeux de désarticulation des logiques communes du discours
pour abandonner les habitudes cognitives usuelles et atteindre
l'éveil.

Les koan

Certaines pratiques des maîtres chan/zen révèlent bien cet art multiple de la
parole. C'est le cas notamment des kaon auxquels l'école zen rinzai accorde
une grande importance comme moyen d'éveil. Les kaon sont des jeux de
questions-réponses entre un maître et un disciple, des sentences surprenantes
ou des historiettes souvent remarquées pour leur aspect déconcertant, voire
humoristique. Les kaon sont utilisés par un maître dans le cadre de la formation
d'un disciple. Ils sont tout à la fois des objets d'étude et d'exégèse qui mettent à
l'épreuve les connaissances, l'érudition et l'intelligence spirituelle de ce dernier.
Ils sont aussi des moyens puissants de questionnement censé conduire à l'éveil
en usant d'un art subtil du langage qui désarticule les logiques et les implications
cognitives usuelles. Ils invitent en dernière instance à une expérience, à une
intuition profonde du réel hors de toute appréhension intellectuelle ou
discursive.
« Quel bruit fait le claquement d'une seule main ? »

Récitations
Dans les temples et les monastères, lors des pèlerinages, lors des
hommages quotidiens ou des festivités solennelles, lors des céré-
Vl
Q) monies domestiques, des funérailles... l'usage le plus directe-
0
'-
>- ment perceptible de la parole bouddhique est celui des récitations.
w
\D
M
Certaines d'entre elles sont dites dans le cadre d'initiations ou
0
N de cérémonies monastiques. C'est le cas par exemple de la récita-
@
.._, tion des règles monastiques (pratimok.$a), lors de la pleine et de la
..c
O'l
·c nouvelle lune, qui ne concerne que les moines d'une même commu-
>-
a.
0 nauté. D'autres sont au contraire partagées par les moines et les
u V)

laïcs. Recelant plus d'efficacité si elles sont dites par une personne QJ

e
purifiée par l'ascèse ou le respect de règles de vie vertueuses, elles >,
w
QJ
constituent donc, en bien des occasions, une occupation assurée Q_
::J
e
par les moines au bénéfice des laïcs. (.')
@

114 1 Le bouddhisme
Paritta
Un exemple familier pour les fidèles du Theravada au Myanmar,
en Thaïlande, au Cambodge et au Sri Lanka, est la récitation des
sütra protecteurs (paritta). Ces sütra constituent une collection
de vingt-quatre textes23 du canon pali réunis pour leur pouvoir
de prévenir les dangers de tous ordres (les peines, les peurs, les
maladies ... ) et d'apporter protections et bienfaits. Les recueils
de paritta sont usuellement présents dans les maisons et chaque
membre d'une famille peut spontanément décider de les réciter.
Dans le cadre monastique, ils sont psalmodiés après les sutra de
prise de refuge en Buddha, dharma et sarngha et le rappel des
grands préceptes. Leur récitation est dans bien des cas l'objet de
commandes de la part des laïcs auprès des moines dans le but de
bénir une maison, un nouveau-né, ou des mariés ; afin d'obtenir
une guérison ou d'honorer un défunt.
Les récitations des paritta sont plus ou moins longues en fonction
des occasions qui peuvent être domestiques ou solennelles. Dans
le cas de rituels domestiques, elles peuvent durer une ou quelques
heures. Dans le cas de festivals religieux ou d'occasions sociales
importantes, elles sollicitent plusieurs moines et peuvent durer
plusieurs jours.

Mantra et dharanT

vi Il est souvent souligné combien l'usage des récitations s'est diver-


Q)

0 sifié et amplifié avec les développements du Mahayana 24 • Outre la


'-
>-
w récitation des sutra, ces pratiques, notamment initiatiques, ont fait
\D
M
0 une large place aux mantra et aux dhara1J,L
N
@
.._,
• Les mantra sont des formules associées à un buddha, un bodhi-
..c
O'l sattva ou à toute autre figure sacrée. Répétés à voix haute ou
·c
>-
a. mentalement, ils servent à l'honorer ou à convoquer sa présence.
0
u (/)
<li


w
<li
o_
::J
23. Le nombre peut toutefois légèrement varier en fonction des communautés.
2 24. On verra à ce sujet notamment : Michel Strickmann, Mantra et mandarins,
l')
@ Gallimard, 1996.

Chapitre 6. Pratiques l 11s


Ils facilitent lors de certains rituels l'identification d'un disciple
à une :figure tutélaire de son choix.
• Les dhiirmff déjà rencontrées plus haut (cf p. 97) ont elles aussi
plusieurs fonctions . La première les investit d'un pouvoir lié à la
mémoire. Elles ont la propriété de concentrer et de retenir l'en-
semble des savoirs, l'ensemble des enseignements. La deuxième
fonction, plus virulente, les associe à un pouvoir coercitif. Elles
sont ainsi celles qui empêchent, contraignent, retiennent les
racines du mal. Corollaire de ce pouvoir, leur troisième fonction
est de protéger leurs détenteurs en les empêchant d'être ébran-
lés par les assauts de Mara, le seigneur de la mort et du désir.
Les usages d'une parole religieuse sans fonction discursive sont
particulièrement présents dans les mouvements ésotériques du
Mantrayana au Tibet et du Shingon au Japon. Les formules utili-
sées lors de leurs rituels réunissent des groupes de sons réputés effi-
caces par leur capacité à concentrer le pouvoir des :figures sacrées
invoquées et à stimuler une activité psychophysique conduisant
vers les accomplissements spirituels.

La dévotion offerte au buddha Amida


Dans un tout autre contexte rituel et doctrinal, peu connu en
Occident malgré ses amples développements en Chine, en Corée,
au Japon et au Vietnam 25 , la dévotion offerte au buddha Amida et
l'espoir de rejoindre sa Terre pure ont exalté le pouvoir de la parole
Vl
Q)
et la pratique des mantra d'une façon tout à fait singulière.
0
'-
>-
w Amida est la forme sino-japonaise du nom sanskrit du buddha
\D
M
0 Amitabha ou Amitayus (respectivement lumière infinie/vie infi-
N
@ nie). Si Sakyamuni s'est attaché à enseigner dans l'univers des
.._,
..c
O'l
peines, Amida enseigne lui dans un univers heureux, une Terre
·c
>-
a. pure, nommée Sukhavatï « la Bienheureuse ». Il y prêche le dharma
0
u et accueille des :fidèles qui, arrivés là, accèdent au bonheur de goûter V)
QJ

e
>,
w
QJ
Q_
25. Les travaux de Jérôme Ducor ont récemment éclairé la tradition des T erres Pures ::J

grâce à deux ouvrages : Honen, Le gué vers la Terre Pure, Fayard, 2005 et Shinran, un e
(.')

réformateur bouddhiste dans le Japon médiéval, Infolio éditions, 2008. @

116 1 Le bouddhisme
l'expérience de la réalisation de l'éveil. Nous avions vu plus haut
les différentes étapes de la carrière d'un bodhisattva décrites en dix
terres. L'accès à la Sukhavatï correspond pour le fidèle qui l'atteint
à l'entrée dans la huitième terre : celui qui y parvient progresse
désormais sans retour vers son accomplissement.
Au contraire des bodhisattva, les dévots d'Amida ne s'engagent pas
sur le chemin des perfections mais pratiquent la récitation réitérée
du nom d'Amida par la formule suivante : « Révérence au buddha
Amida26 ! »
C'est sur la foi de plusieurs satra 27 datés des IIe et Ille siècles
après J.-C. et conformément aux enseignements qu'en tirèrent
des maîtres tels Shandao (613-681) en Chine, ou Honen (1133-
1212) et Shinran (1173-1263) au Japon, que cette pratique acquit
toute son autorité. Plusieurs courants28 de la tradition des Terres
Pures affirment que par la compassion d'Amida, celui qui récite
son nom bénéficie de tous les mérites accumulés par Amida. Il
fait par là même preuve de la foi dans le vœu compassionnel du
buddha, s'imprègne de toutes ses qualités et en acquiert de grands
mérites. Cette pratique acquit une popularité particulière au Japon
dès le XIIe siècle dans le cadre de l'accompagnement des mourants.
Ces derniers récitant avec foi le nom d'Amida étant assurés d'être
accueillis dans la Sukhavatï par le Buddha lui-même.

vi
Q)

0
'-
Fidèles en chemin pèlerinages
>-
w
\D
M
bouddhiques
0
N
@
.._,
La disposition confiante mêlée de gratitude à l'égard du Buddha
..c
O'l et de son enseignement s'est manifestée dès après sa disparition
·c
>-
a. par la vénération des reliques ou des objets lui ayant appartenu. Ils
0
u (/)
<li

2» 26. Elle est principalement connue sous la forme j aponaise namo Amida butsu nommée
w
<li nembutsu.
o_
::J
2 27. Notamment le Sütra de vie infinie, le Sûtra des contemplations de Vie infinies et le
l')
Sûtra d'Amida.
@
28. Le Shandao en Chine, le Jodo-shü et le Jodo-shinshü au Japon.

Chapitre 6. Pratiques l 117


furent magnifiés par l'édification de stapa, par la visite des lieux
où se déroulèrent les moments importants de son existence et par
l'hommage rendu aux traces de sa présence (l'empreinte de ses pas
par exemple).
Les reliefs ornant les balustrades ou les portes des stapa de Bharhut
et de Saîicï attestent de façon très vivante les usages des fidèles du
ne siècle avant J.-C. On les voit là se prosterner auprès de l'arbre de
la bodhi, se presser en faisant le geste de l'aiijali autour d'un stapa,
siffier pour manifester leur ferveur ou apporter des guirlandes de
fleurs en o:ffrande.
Qy'ils soient destinés au stapa, à l'image du Buddha (apparue
au début de l'ère chrétienne), aux images des multiples buddha,
bodhisattva, maîtres et divinités d'élections développées avec le
Mahayana, ces gestes simples - pratiqués par les moines et les laïcs
- sont considérés comme d'autant plus méritoires qu'ils s'adressent
à un support d'une grande autorité. Le désir d'être en contact avec
un lieu saint, une relique ou une image particulièrement éminente
suscita donc très tôt le développement de pèlerinages dont les édits
d'Asoka portent les plus anciens témoignages.
Les premières destinations de pèlerinages furent les lieux attachés
aux huit grands événements de la vie du Buddha. Ils attirèrent
longtemps à eux des pèlerins venus de l'ensemble des régions
« bouddhisées » jusqu'à ce que les communautés monastiques
indiennes du Magadha et de la moyenne vallée du Gange soient
Vl
Q)
détruites par les musulmans à la fin du xne siècle.
0
'-
>-
w La plupart des pèlerins attendaient du contact avec ces lieux l'es-
\D
M
0
poir de « mourir avec les pensées claires et sereines et, après leur
N
@ mort, de renaître dans des destinations heureuses ou dans les mondes
.._,
..c
O'l
des dieux29 ». Comme en témoignent de nombreuses inscriptions,
·c
>-
a. ils espéraient aussi des dons qu'ils y prodiguaient l'exaucement
0
u de vœux pour eux-mêmes ou pour un proche défunt. Les plus V)
QJ

éminents de ces pèlerins, souvent mandatés dans leur pays d'ori- e


>,
w
QJ
Q_
::J

29. Mahaparinibbanasutta, trad . Mohan Wijayaratna in Le dernier voyage du Buddha, e


(.')

Lis, 1998. @

118 1 Le bouddhisme
gine par le pouvoir royal ou leur communauté d'attache, pouvaient
avoir d 'autres objectifs encore :
• apporter en ces lieux des offrandes prestigieuses dont les béné-
fices s'étendraient à leur pays et à leurs coreligionnaires ;
• faire construire et entretenir des espaces d'accueil et d'héberge-
ment pour les fidèles ;
• collecter les enseignements « originels » en consultant, recopiant
et traduisant les ouvrages conservés dans les universités bou-
ddhiques et en recevant les enseignements de leurs maîtres les
mieux qualifiés ;
• acquérir des reliques, des images ou des objets sacrés, qui assu-
reraient, loin du Magadha, une sorte d'ubiquité du Buddha et
du pouvoir de sa présence.
De fait, les reliques se multiplièrent et s'exportèrent hors de l'Inde
pour constituer d'abord une géographie sacrée symboliquement
rattachée à la terre originelle du Buddha. La multiplication des
lieux saints du bouddhisme et la pratique des pèlerinages se déve-
loppa ensuite sous d'autres modalités s'appropriant ici des usages
prébouddhiques, s'attachant, ailleurs, à la présence d'un bodhisattva
ou à la mémoire d 'un maître renommé. Le pèlerinage chinois au
mont Wutai, le pèlerinage japonais des quatre-vingt-huit temples
de Shikoku et le pèlerinage tibétain du Jokhang en constituent
des exemples d 'une grande popularité dont les enjeux religieux et
sociaux présentent des nuances particulières.
Vl
Q)

0
'-
>-
w
\D
M
Nouvelles terres saintes en Chine
0
N
@ Les montagnes furent vénérées en Chine depuis la plus haute anti-
.._,
..c
O'l
quité. Témoins de la force et de la beauté de l'énergie cosmique
·c
>-
a. et tellurique, elles furent le lieu de la quête d'immortalité des
0
u (/) maîtres taoïstes, celui d 'inspiration, d'émerveillement et d'accom-
<li

2» plissement pour les lettrés confucéens, celui de la retraite pour les


w
<li
o_
renonçants bouddhistes. Les « trois voies » de la pensée chinoise
::J
2
l')
@

Chapit re 6. Pratiques l 119


leur associèrent nombre de références mythiques, philosophiques
et poétiques toutes étroitement intriquées.

Le Wutaishan

La « Montagne aux cinq terrasses » est une chaîne de cinq pics située dans la
province septentrionale du Shanxi. Elle fut d'abord un lieu de retraite taoïste
avant d'être considérée par les bouddhistes comme le séjour du bodhisattva
Mafîjusrï. Le Wutaishan fut visité dès les 1ve-ve siècles par de nombreux
bouddhistes chinois auxquels se joignirent, à partir du x111e siècle, nombre de
pèlerins principalement tibétains et mongols. Fervents dévots de Mafîjusrï, ils
venaient honorer les nombreux temples et monastères du site, ses sources
d'eaux sacrées, ses grottes, ses arbres et ses pierres mais aussi les apparitions
miraculeuses de Mafîjusrï dans les nuages. Si le but du pèlerinage pouvait être
l'accumulation des mérites pour une prochaine vie, l'expiation d'une faute
ou l'obtention de la guérison pour soi-même ou pour un proche, les pèlerins
mongols vinrent bientôt y enterrer les restes de leurs parents défunts, y faire
paître leurs troupeaux dans les pâturages alentours, y faire des échanges
commerciaux que ce carrefour religieux stimulait. Bienfaits spirituels et bienfaits
matériels se renforçant mutuellement, le Wutaishan devint un lieu d'échanges
diplomatiques et économiques extrêmement actif et prospère, notamment
sous la dynastie mandchoue des Qing. Les tensions ne furent pas exclues de
cette cohabitation cosmopolite d'usages, d'espoirs et d'ambitions. Le Wutaishan
suscita la générosité des différents groupes de pèlerins et ses quelque 250 lieux
sacrés ne cessèrent d'être enrichis, embellis, restaurés au long des siècles. Il est
aujourd' hui le deuxième site bouddhique le plus riche et le plus actif après celui
du Shaoling.
Vl
Q)

0
'-
>-
w
\D
M
0 Circuits au Japon
N
@
.._,
..c
Certains des grands pèlerinages de l'archipel japonais furent aussi
O'l
·c (et demeurent) l'occasion de vénérer les grands bodhisattva. Le
>-
a.
0
u
circuit des trente-trois lieux saints des provinces de l'Ouest30 est
V)

ainsi dédié à trente-trois formes de Kannon 31 dont la puissance QJ

e
>,
w
QJ
Q_
::J
30. D e l'île de H onshu. e
(.')

31. La forme japonaise d'Avalokitesvara. @

120 1 Le bouddhisme
compassionnelle est volontiers sollicitée lors des difficultés de la
vie quotidienne liées à la maladie d'un proche, la crainte de ne pas
avoir d'enfants ou celle de soucis :financiers.
Parmi les pèlerinages les plus populaires du Japon, celui des
quatre-vingt-huit temples de Shikoku n'est toutefois pas dédié à
un bodhisattva mais placé sous la tutelle bienveillante de Kükai ou
Kobô Daishi, le patriarche du bouddhisme ésotérique japonais.
Introduisant dans son pays des textes et des rituels auxquels il fut
initié en Chine, au début du IXe siècle, il s'attacha à en systématiser
les enseignements, fonda le courant tantrique du Shingon et établit
le Kongôbu-ji, son monastère principal, sur le mont Koya en 834.
La tradition, qui salue volontiers le caractère charismatique de
Kükai, son érudition et ses talents poétiques et calligraphiques,
le considère comme immortel. Les pèlerins du circuit des quatre-
vingt-huit temples de Shikoku ont ainsi la conviction qu'il chemine
auprès d'eux dans une telle intimité qu'ils se sentent toujours « à
deux » et efficacement épaulés pour maintenir les efforts de leur
marche durant quelque mille quatre-cents kilomètres.

Une séquence rituelle réitérée dans chaque temple

Chaque temple du pèlerinage constitue une étape lors de laquelle est réitérée
une séquence rituelle identique : le pèlerin s'incline en geste de salut avant de
franchir la porte principale du temple. Il se purifie ensuite les mains et la bouche
à l'eau d'une fontaine, sonne la cloche du temple, allume des petites bougies
vi
Q)
et offre des bâtonnets d'encens. Puis il dépose dans deux urnes différentes une
0
'-
offrande d'argent et une bandelette de papier nommée osame-fuda qui porte
>-
w son nom, son adresse, la date de son passage, la formulation d'un vœu et, dans
\D
M
0
ce cas, l'image imprimée de Kükai. Après avoir ainsi attesté de son passage, le
N
@
pèlerin s'incline de nouveau et récite le Sütra du cœur puis invoque la lumière
.._, purificatrice et protectrice du buddha Dainichi. Avant de quitter les lieux, il fait
..c
O'l
·c apposer le sceau du temple dans son carnet de pèlerinage et recueille des ofuda:
>-
a.
0 des bandelettes de papier consacrées par le temple, porteuses d'une inscription
u (/)
<li votive et d'une image sainte. Les ofuda sont précieusement conservés ou
2» offertes par les pèlerins en vertu de leurs pouvoirs protecteurs. En propageant
w
<li
o_ les bénéfices liés à la formule ou à l'image qu'ils portent, ils rappellent toute la
::J
2 puissance talismanique de l'image dans le monde bouddhique.
l')
@

Chapitre 6. Pratiques l 121


Soumission des divinités locales au Tibet
Bien moins long que le circuit des quatre-vingt-huit temples de
Shikoku, mais sans doute plus difficile à cause de l'altitude et de
la rudesse de l'environnement, le pèlerinage au temple duJokhang
à Lhasa compte parmi les plus méritoires du Tibet. Il constitue
aussi un exemple particulièrement éloquent d'une interprétation
bouddhique du territoire tibétain et d'une soumission de ses divi-
nités premières.
L'installation du bouddhisme au Tibet à partir du VIIe siècle fut
lente, controversée, prise dans le jeu des conquêtes territoriales et des
alliances politiques. Songtsen Gampo, premier grand roi historique
du Tibet, en fut l'un des principaux acteurs. Son œuvre militaire et
politique s'est muée en une légende édifiante qui fit de lui non seule-
ment une manifestation du bodhisattva Avalokitesvara mais aussi
le vainqueur d'une démone redoutable. Le corps de cette dernière,
qui s'étendait allongé sur l'ensemble du royaume, faisait obstacle à
la diffusion du dharma. Pour s'en libérer, Songtsen Gampo décida
d'ériger douze temples là où le corps couché de la démone pouvait
être neutralisé. Tels des dagues, ces temples furent donc bâtis au
niveau de ses mains et de ses pieds, de ses chevilles et de ses poignets,
de ses genoux et de ses coudes, de ses hanches et de ses épaules. Il
resta enfin à soumettre le lieu où son cœur battait. C'est là, juste au
centre du royaume, que fut construit le Jokhang. Il accueillit, après
moult péripéties politiques, une statue d'un immense pouvoir spiri-
Vl
Q)
tuel- le Jowo - réputée représenter le Buddha à l'âge de douze ans
0
'-
>-
w et offert à Songtsen Gampo par l'une de ses épouses.
\D
M
0 Depuis des siècles, se rendre à Lhasa pour honorer le Jowo, c'est
N
@ se trouver dans le cœur le plus intensément spirituel du Tibet ;
.._,
..c
O'l
plus important encore sans doute que le Potala, séjour d'Ava-
·c
>-
a. lokitesvara et depuis le XVIIe siècle siège du pouvoir politique du
0
u Dalaï-Lama. Dans la fumée des genévriers, le scintillement des V)
QJ

lampes à beurre et l'amoncellement des écharpes cérémonielles, e


>,
w
le Jokhang accueille des pèlerins de toutes conditions, et d'une QJ
Q_
::J
ferveur d'autant plus vibrante qu'elle s'exprime aujourd'hui dans e
(.')
@
un contexte politiquement menaçant.

122 1 Le bouddhisme
PARTIE 3

JEUX, DE POUVOIRS,
CLERGES BOUDDHIQUES
, ,
ET SOCIETES
ASIATIQUES

Vl
Q)

0
'-
>-
w
\D
M
0
N
@
.._,
..c
O'l
·c
>-
a.
0
u (/)
<li


w
<li
o_
::J
2
l')
@
Ul
Q)

0!....
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.......
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01
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>-
a..
0
u
Par voies terrestres ou maritimes, sous des modalités souvent peu
documentées pour les périodes les plus anciennes, le dharma s'est
diffusé dans toutes l'Asie. En plus des régions des actuels Afghanistan
et Pakistan que l'on associe à l'Inde ancienne, on distingue généra-
lement quatre grandes aires culturelles pour appréhender cette diffu-
sion. Ces dernières peuvent se chevaucher ou se recouvrir en fonction
des réalités géopolitiques des différentes périodes de l'histoire :
• celle de l'Asie Centrale ;
• celle de la Chine, de la Corée et du Japon ;
• celle de l'Asie du Sud-Est;
• et celle du monde himalayen auquel on adjoint souvent la Mongolie.
Leur présence et leur autorité devenues suffisamment signifiantes
dans les différents empires ou royaumes où le dharma fut diffusé et
implanté, les élites bouddhistes et leurs institutions monastiques
furent amenées, en différents temps de l'histoire, à jouer un rôle
important dans la structuration idéologique, sociale, politique ou
économique de ces différentes régions d'Asie.
Qy'il s'impose, soit sollicité, attendu ou contesté, on devine aisé-
ment que le pouvoir du smrzgha fut diversement apprécié par ses
partisans, ses concurrents et détracteurs. Ces derniers surent
parfois lui opposer des coups violents, l'affaiblissant durablement
ou l'amenant à adapter ses positionnements sociaux ou doctrinaux.
Révélant de façon exemplaire la diversité des modes d'inscription
Vl
Q)
du bouddhisme dans les sociétés asiatiques et celle des positionne-
0
'- ments du saf?'lgha dans le jeu des pouvoirs, quatre moments parti-
>-
w
\D
culièrement signifiants pour l'histoire du bouddhisme dans quatre
M
0
N
pays d'Asie ont ici été retenus :
@
.._, • la grande proscription de 845 en Chine;
..c
O'l
·c • la prise de pouvoir du yeDalaï-Lama au Tibet en 1642;
>-
a.
0
u (/)
• la réforme religieuse du roi Mongkut (r. 1851-1868) en Thaïlande ;
<li

2» • l'avènement de 1' ère Meiji en 1868 au Japon.


w
<li
o_ Nous permettant de parcourir l'espace et le temps, leur mise en
::J
2 perspective renseigne, nous allons le voir, sur bien des aspects de
l')
@
l'implantation du bouddhisme dans les pays concernés.

Partie 3. Jeux de pouvoirs. clergés bouddhiques et sociétés asiatiques l 12s


Ul
Q)

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u
CHAPITRE 7

LA GRANDE
PROSCRIPTION
CHINOISE DE 845

Au programme

• La portée d'un événement


• Une rupture dans un contexte culturel particulièrement ouvert
et diversifié
• Appréhender la diversité des matériaux bouddhiques
• Différents courants du bouddhisme chinois
• Proximités et distances
• Des débats réitérés, une proscription de plus

De 842 à 845, sous la dynastie impériale des Tang32 , une répres-


vi sion religieuse secoue la Chine dans un contexte politique et
Q)

0
'-
>-
économique tendu.
w
\D
M
0
N
@
.._,
..c
O'l
·c
>-
a.
0
u (/)
<li
32. L'historiographie traditionnelle chinoise procède d'un découpage temporel en
2» tranches dynastiques. Cette écriture de l'histoire donne volontiers la perception de
w
<li cycles successifs avec leurs phases d'émergence, d'apogée et de déclin. Les faits ne sont
o_
::J cependant pas si linéaires. Il existe de longues périodes où la Chine est globalement
2 unifiée sous l'autorité d 'un pouvoir centralisé. Il existe aussi des périodes où la Chine se
l')
@ fragmente territorialement et où plusieurs dynasties cohabitent.
Copyright© 2016 Eyrolles .

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© Groupe Eyrolles
La portée d'un événement

«Plus de 4 600 monastères et 40 000 lieux de culte ont été


détruits et leurs biens confisqués. 26 500 moines et nonnes ont
été contraints de revenir à la vie séculière et doivent désormais
s'acquitter des taxes dues à l'Empire. Trente ou quarante
millions d'unités de terre les plus fertiles sont de nouveau
sujettes à l'impôt... »

Ces comptes, livrés par un décret impérial publié en 845 après que
les mesures décidées avaient été appliquées, donnent l'échelle des
actions menées par l'empereur Wu Zong à l'encontre des institutions
bouddhiques lors de la grande proscription qui eut lieu en Chine de
842 à 845 sous la dynastie des Tang.
Étendue aux religions arrivées d'Iran 33 , cette proscription fut
appliquée avec une grande rigueur à Chang'an mais s'avéra d'une
moindre intensité dans les provinces éloignées de la capitale. Elle
resta toutefois, par sa virulence, un événement mémorable dans
l'histoire des religions en Chine.
Ses effets, longtemps décrits comme fatals pour le bouddhisme
chinois, peuvent aujourd'hui être mesurés de façon moins péremp-
toire. Sans minimiser l'appauvrissement du sarrigha et la dispari-
tion de certaines écoles suscitée par cet événement, on note que
Vl
Q) le décret de Wuzong fut - dès 846 - amendé par son successeur
0
'-
>- en faveur de la reconstruction de nombreux monastères et du
w
\D
M
retour à la vie religieuse de leurs moines. Bien que les modalités
0
N de son influence se soient redessinées, la portée du bouddhisme,
@
.._,
..c
loin d'être anéantie, demeura tout à fait signifiante. Le nombre de
O'l
·c ses monastères, sa portée spirituelle, intellectuelle et artistique fut
>-
a.
0
u
considérable sous la dynastie des Song (960-1127). L'avènement
(/)
<li
des dynasties d'origine nomades des Yuan (1271-1368) et des

w Manchous (1644-1911) permit au bouddhisme chinois de s'enri-
<li
o_
::J
2
l')
@ 3 3. Le zoroastrisme, le m anichéisme et le nestorianisme.

Chapitre 7. La grande proscription chinoise de 845 l 129


chir de nouveaux liens avec plusieurs des grandes familles spiri-
tuelles tibétaines. Les expressions de la dévotion populaire, la
ferveur des hommages adressés aux grands bodhisattva et le déve-
loppement des pèlerinages attestent d'autres aspects de la vitalité
du bouddhisme dans la culture chinoise après cette proscription.
Ainsi, plus encore que pour le choc qu'elle constitue, c'est pour sa
façon de mettre en relief l'importance du bouddhisme à 1' époque
des Tang, de révéler la pérennité de problématiques liées à son
installation en Chine et d'annoncer des mutations idéologiques
profondes, que cet événement mérite un intérêt particulier.

Une rupture dans un contexte culturel


particulièrement ouvert et diversifié
Les décrets concernant la proscription de 842-845 s'imposèrent
d'autant plus brutalement qu'ils contrastaient avec une dynamique
culturelle depuis longtemps ouverte et diversifiée. Elle fut marquée
dès la moitié du vne siècle par l'intensification des relations avec
l'Inde, l'Iran et les petits royaumes des oasis de la Route de la soie.
Dans le domaine religieux, trois groupes d'influence se dispu-
taient alors le soutien du pouvoir impérial :
• les confucéens ;
Vl
Q) • les taoïstes ;
0
'-
>- • et les bouddhistes.
w
\D
M
0
Le confucianisme et le taoïsme s'étaient constitués bien des siècles
N
@ avant l'arrivée du bouddhisme en Chine. Qyelque sept cents ans
.._,
..c furent nécessaires à l'Empire du milieu pour acculturer cette
O'l
·c
>-
a.
nouvelle religion. Ce processus commença à partir de la fin du
0
u ne siècle dans un climat de constante émulation entre les « trois V)
QJ
doctrines 34 ». C'est ainsi lentement - mais sûrement - que le e
>,
w
QJ
Q_
::J

34. L'expression les « trois doctrines » désigne le confucianisme, le taoïsme et le e


(.')

bouddhisme. @

130 1 Le bouddhisme
bouddhisme fit la « conquête 35 » de la Chine. Ses apports furent
nombreux et mirent en question bien des aspects d'une culture
lettrée très consciente de son identité et de ses racines.
Le bouddhisme transmit d'abord à la Chine des images et des
supports de dévotion jusqu'alors inconnus, porteurs de nouveaux
espoirs de protection, de secours ou de bienfaits. Ils furent bientôt
vénérés dans des sanctuaires et sollicités dans l'espoir d 'une rétri-
bution prochaine, d'une destinée plus heureuse où d'un accompa-
gnement vers l'au-delà des souffrances.
Le bouddhisme apporta aussi un ensemble de rituels propitiatoires
ou initiatiques ainsi que des pratiques concernant la maîtrise du
souffle et de l'esprit. Leurs perfectionnements, réputés conduire
vers l'émancipation spirituelle, conférer des facultés de divination
et d'autres pouvoirs miraculeux, suscitèrent beaucoup d'intérêt.
Dans le domaine de la cosmologie, les théories du Mahayana avec
leurs déploiements infinis de mondes dessinèrent des conceptions
de l'espace et du temps radicalement différentes de celles qui avaient
jusqu'alors été imaginées en Chine. La place des êtres vivants dans
le flux ininterrompu des vies et des renaissances s'énonça dans ce
contexte d'une façon tout à fait nouvelle également.
Aux interrogations portant sur la réalité des phénomènes, de
l'individu, de la pensée, les doctrines bouddhiques offrirent
des réponses diversement nuancées, distinctes de celles que les
vi
penseurs chinois avaient jusqu'alors élaborées.
Q)

0
'-
À tout cela s'agrégea une architecture morale, des façons spéci-
>-
w
\D
fiques de penser la légitimation du pouvoir et sa place dans l'ordre
M
0
N
socio-cosmique. Qyant aux structures sociales, le sarrigha consti-
@
.._, tua une nouveauté radicale pour la Chine où le monachisme ne
..c
O'l
·c
s'était pas développé et où les principaux liens sociaux avaient été
>-
a.
0
principalement pensés dans le cadre de la filiation.
u (/)
<li


w
<li
o_
::J
2 35 Cette expression est issue d 'un ouvrage de référence : E. Zürcher, The Buddhist
l')
@ Conquest of China, 1959.

Chapitre 7. La grande proscription chinoise de 845 1131


Appréhender la diversité des matériaux
bouddhiques
Q_ye toutes ces nouveautés suscitent curiosité, intérêt, méfiance
ou hostilité, leur appréhension ne se fit pas sans difficulté. La
première difficulté fut liée à l'hétérogénéité des enseignements,
textes, images et rituels parvenus en Chine.

l!JU·B§i
La diffusion du bouddhisme ne fut planifiée par aucune autorité ou institution.
Les savoirs et les pratiques des moines ou des laïcs bouddhistes étrangers
arrivés là étaient fort disparates et ne furent tout d'abord pas transmis de
façon articulée.

À la confusion suscitée par cette disparité, s'ajoutèrent des diffi-


cultés d'ordre conceptuel et linguistique. Les enseignements bou-
ddhiques usaient de notions et de concepts sans équivalents dans
la pensée et le lexique chinois et l'effort nécessaire à la définition
de ces nouveaux concepts n'était en rien facilité par la mosaïque
des nuances qui leur étaient apportées par les doctrines indiennes
elles-mêmes.
Plusieurs réponses furent successivement proposées pour résoudre
ces difficultés. L'une des premières, qui s'avéra vite insatisfai-
Vl
Q) sante, fut de tenter de comprendre les concepts bouddhiques avec
0
'-
>- les outils intellectuels et spirituels du taoïsme. La proximité de
w
\D
M
certains aspects des deux religions y invitait mais elle ne permit à
0
N terme de ne satisfaire ni les bouddhistes, ni les taoïstes.
@
.._,
..c Les entreprises renouvelées de traduction furent plus fécondes .
O'l
·c Dès le n e siècle, fut établi à Luoyang un centre de traduction placé
>-
a.
0
u sous l'autorité de moines étrangers. An Shigao arrivé vers 148 V)
QJ
dans la capitale des Han est l'un des plus importants d'entre eux. e
>,
w
Les IIIe-VIe siècles correspondent à une longue période de fragmen- QJ
Q_
::J
tation territoriale et politique de la Chine ainsi qu'à la progressive e
(.')
@

132 1 Le bouddhisme
montée en puissance des bouddhistes - moines et laïcs - et du
nouveau poids de leur influence dans les cercles du pouvoir et les
cénacles érudits. Kumarajïva est un des grands traducteurs de cette
période intellectuellement très riche. Installé à Chang'an à partir
de 402, il entreprit une œuvre considérable permettant l'accès à de
nouveaux sutra et aux grands textes du Madhyamika.

Xuangzang
Xuangzang {602-664), un autre grand traducteur, doit aussi être cité. Il fut,
au début de la période tang, le plus célèbre des « moines pèlerins » partis
en Inde pour vivifier le bouddhisme chinois au contact des sources sanskrites
originales. Près de 600 textes furent rapportés de son voyage et permirent
l'approfondissement des connaissances scripturaires portant notamment sur
les doctrines du Yogacara.

Plus encore peut-être que par ses travaux de traduction et d'étude,


c'est par l'originalité de son travail à partir des sources indiennes
quel' élite bouddhique chinoise s'est distinguée. L'assimilation du
bouddhisme procéda d'un immense effort pour « tout » classer,
interpréter, unifier. La réunion des matériaux bouddhiques donna
lieu à des projets d'immenses synthèses globalisantes et à des
méthodes renouvelées concernant le cheminement vers 1' éveil.
L'époque des Tang (618-907) 36 marque un temps d'affirmation
de ce processus. Il s'est en particulier traduit par la formation de
vi
Q) courants réunis par de mêmes orientations exégétiques ou doctri-
0
'-
>- nales, de mouvements dévotionnels ou de groupes motivés par
w
\D
M
des pratiques communes. Leurs positions théoriques respectives
0
N - bien plus souples qu'on ne l'a souvent affirmé sous l'influence des
@
.._,
..c
historiographes bouddhistes - ne se fixèrent que bien plus tard,
O'l
·c
>-
sous les Song.
a.
0
u (/)
<li

2» 36. La perception commune de la période t ang comme une période d'apogée avant le
w
<li déclin du bouddhisme chinois est aujourd'hui mise en cau se par une connaissance plus
o_
::J précise de l'histoire du bouddhisme en C hine lors des périodes ultérieures. On verra
2 notamment à ce sujet : Peter N. Gregory and Daniel A. Getz, Buddhism in the Sung,
l')
@ Honolulu, University of Hawaï Press, 1999.

Chapitre 7. La grande proscription chinoi se de 845 1133


Différents courants du bouddhisme
chinois
Le Tiantai
D'une fortune assez .fluctuante sous les Tang, le Tiantai allait s'im-
poser comme un des courants majeurs du bouddhisme chinois.
Fondée par Zhiyi (539-597), il porte le nom d'une montagne où
ce dernier installa un monastère fameux qui attira à lui de très
nombreux disciples bien avant l'avènement de la dynastie des
Tang. Ses enseignements, éclairés par les vues du Sutra du lotus,
ont été structurés avec l'ambition d'unifier la diversité des théories
bouddhiques en un système cohérent. Ils insistent sur deux grands
points:
• le premier porte sur l'unité de l'univers essentiellement vide de
nature propre dont tous les phénomènes sont la manifestation
et le réceptacle de la« nature-de-buddha » (tathagatagarbha);
• le second est l'accessibilité del' éveil pour tous les êtres sensibles
et la diversité des méthodes qui permettent d'y parvenir.

l!'.t·li§i
Nous avons ici choisi le terme large de « courant » car le Tiantai, le Chan, les
Terres pures ... ne relèvent pas exactement des mêmes catégories. Certains
Vl
auteurs utilisent le mot « école » comme traduction approximative du mot
Q)

0 chinois zong désignant tout à la fois une lignée ancestrale, un fondement


'-
>-
w doctrinal, une tradition exégétique, une famille spirituelle réunie par un
\D
M enseignement...
0
N
@
.._,
..c
O'l
·c Le Huayan
>-
a.
0
u Les enseignements développés à partir du Huayan (le Sutra de l'or- V)
QJ

nementation fieurie37) ont été diffusés par le courant du même nom. e


>,
w
Fashun, son premier patriarche, vécut de 557 à 640 mais c'est QJ
Q_
::J
e
(.')
@
37. En sanskrit : Avatamsakasii.tra.

134 1 Le bouddhisme
Fazang (643-712) qui fut reconnu comme l'un de ses plus grands
théoriciens. Il s'attela lui aussi à de nouveaux travaux de synthèse
qui partagèrent avec le Tiantai des constructions intellectuelles
d'une très grande exigence et une vision synthétique de la diversité
des doctrines. Les talents de Fazang firent bénéficier ses coreli-
gionnaires d'un soutien très affirmé de la part de quatre souverains
dont il fut l'un des conseillers spirituels. Le plus fervent d'entre
eux fut l'impératrice Wu Zetian. Elle s'appuya sur les enseigne-
ments du Huayan et les conceptions de monarque universel pour
assurer la légitimité d'un pouvoir que les structures confucéennes
lui refusaient. Le Huayan, florissant sous les Song, se diffusa en
Corée et au Japon.

Les Terres pures


Animant des courants aux positions doctrinales ou aux pratiques
sensiblement différentes, l'enseignement des Terres pures trouva
lui aussi des prolongements importants en Corée, au Japon mais
aussi au Vietnam. Véritablement structuré par Shandao (546- 645)
au début de l'époque Tang, il s'attacha à l'enseignement des sutra
de la Sukhavatr, la terre pure d'Amitabha, comme voie principale
de libération. Ses pratiques dévotionnelles tournées vers le pouvoir
salvateur d'Amitabha (le buddha de lumière infinie) et la répéti-
tion du nom de ce dernier eurent un ample succès. Elles furent
Vl très largement adoptées, acclimatées à divers positionnements
Q)

0
'-
pratiques et doctrinaux, vivifiées par plusieurs grands maîtres
>-
w chinois et sont demeurées populaires jusqu'à aujourd'hui.
\D
M
0
N
@
.._,
..c
O'l
Le Chan
·c
>-
a.
0 Le Chan revendiqua, lui, l'héritage de Bodhidharma - un
u (/)
<li patriarche indien peut-être légendaire. Parvenu au monastère de

w Shaolin, il serait resté là neuf ans en méditation avant de parvenir
<li
o_
::J à l'éveil et de délivrer ses enseignements. L'histoire des débuts de
2
l')
@
ce courant et celle de ses ramifications est complexe. L'une d 'elles,

Chapitre 7. La grande proscription chino ise de 845 1135


le Chan du Sud, acquit une notoriété importante sous les Tang
grâce à Shenhui (vers 684-758 ?), désigné comme son septième
patriarche, alors proche de la Cour. Au-delà de la Chine, sa posté-
rité fut assurée au Japon par ses branches Linji et Caodong38 •
Si le Chan n'est pas d'emblée réputé pour son attachement à un
texte emblématique, il véhicula lui aussi une tradition d'érudition
appuyée sur l'étude de grands sutra du Mahayana (notamment le
Sutra de l'entrée à Lanka, le Sutra du cœur, le Sutra du diamant39 ), sur
les enseignements du Madhyamika et surtout, ceux du Yogâcâra.
Contrairement aux autres écoles qui s'attachèrent à l'élaboration
de vastes synthèses théoriques, le Chan réaffirma, au-delà des
efforts conceptuels, l'objectif essentiel de réalisation del' éveil.
Sous des modalités renouvelées il mit au cœur de ses expériences :
• les exercices spirituels (désignés en Chine sous le terme géné-
rique de dhyana);
• le lien très fort unissant un maître et ses disciples et les méthodes
permettant l'accompagnement de ces derniers vers l'émancipa-
tion spirituelle.
À l'instar de ce que pratiqua Linji, la pertinence d'un silence ou
la confrontation avec une question apparemment énigmatique
furent autant de moyens visant à sortir des habitudes cognitives
ordinaires et à appréhender l'éveil dans une fulgurance totale et
instantanée. D'un seul coup, révéler une intuition de la vacuité
Vl
défaite de toute pensée duelle ou discriminante. Les développe-
Q)

0 ments du Chan sous les Tang se prolongèrent par-delà 845 au côté


'-
>-
w del' école Tiantai. Ils eurent une place importante dans l'histoire
\D
M
0
religieuse, la culture et les arts de l'encre de la dynastie des Song
N
@ (960-1279).
.._,
..c
O'l
·c
>-
a.
0
u V)
QJ

e
>,
w
QJ
Q_
::J
3 8. Ces deux branches sont connues au Japon sous les noms Rinzai et Soto. e
(.')

39. E n sanskrit: Lankavattirasütra, h$dayasütra et Vajracchediktisütra. @

136 1 Le bouddhisme
Proximités et distances
Préparée par la longue période des Six Dynasties (220-581) -
particulièrement riche en recherches et en échanges intellectuels
- la période tang s'est caractérisée par une grande perméabilité de
ses familles intellectuelles et spirituelles.
Les débats, les jeux d'influences étaient non seulement nombreux
entre les différentes écoles bouddhiques mais également entre les
« trois doctrines » qui s'influencèrent mutuellement tant par le
jeu des affinités que celui des dissensions et des débats qu'elles
suscitèrent. Ce bain culturel, cette imprégnation mutuelle ne fut
pas sans oppositions. Les apports du bouddhisme ne cessèrent de
susciter des questions quant à la pertinence de leur développement
au sein de la société chinoise.
• Les idées, les usages bouddhiques étaient-ils pertinents ?
• Étaient-ils profitables à l'Empire ?
• C&i en bénéficiait ?
• Dans quelle mesure affectaient-ils les fondements des idéolo-
gies confucéennes et taoïstes ?
• Allaient-ils les enrichir ? Les corrompre ?
• Allaient-ils fragiliser leurs partisans influents ?
Les termes, l'intensité et les enjeux de ces débats sont accessibles
dans des recueils réunissant, à l'adresse des empereurs, les ques-
vi
Q)
tions polémiques opposant les « trois doctrines » et les réponses
0 apportées par les différents détracteurs. On doit à Lu Cheng, un
'-
>-
w
\D
fonctionnaire du ~ siècle une première compilation de ce type
M
0
N dont seule la table des matières nous est parvenue. Une autre
@
.._, compilation fut publiée au début du VIe siècle et une autre encore
..c
O'l
·c au vne siècle au début de la dynastie des Tang par Daoxuan40 •
>-
a.
0
u (/)
<li

2» 40. On verra à ce propos les travaux de Sylvie Hureau : « Réseaux de bouddhistes des
w
<li Six Dynasties : défense et propagation du bouddhisme », in Bouddhisme et lettrés dans
o_
::J la Chine médiévale, Peeters, Paris-Louvain, 2002 et L'apparition de thèmes anticléricaux
2 dans la polémique anti-bouddhique médiévale, Extrême -Orient extrême-Occident 24,
l')
@ P aris, 2002.

Chapitre 7. La grande proscription chinoi se de 845 1137


14'.t·B§I
Ce qui est intéressant, par-delà la différence des contextes, c'est la pérennité
de bien des arguments invoqués par les opposants au bouddhisme. La
proscription de 842-845 ne fut pas la première des proscriptions portant
atteinte à ses intérêts. Ni la dernière. En 446, puis en 577 des décrets de
proscriptions furent déjà publiés à son encontre et avec eux, furent énoncés
des arguments comparables à ceux invoqués dans les décrets de l'empereur
Wu Zong.

Des débats réitérés, une proscription


de plus
Les critiques réitérées à l'encontre du bouddhisme portèrent sur
des questions de doctrine mais, plus encore semble-t-il, sur l'im-
pact social et surtout économique de ses monastères.

Question de piété filiale


Les fondements de l'institution monastique furent très tôt mis en
cause quant à la question de « la sortie de la famille ». Devenir
moine, rompre les attaches familiales, décider de ne pas avoir
d'enfant était, aux yeux des opposants confucéens notamment,
enfreindre le devoir de piété filiale et le culte des ancêtres.
Vl
Q)

0
'-
>-
w
\D
Comment contrôler les monastères ?
M
0
N
@
Un autre argument avancé contre le monachisme fut la difficulté
...., rencontrée par l'État pour contrôler l'authenticité de la motiva-
..c
O'l
·c tion des moines, leurs connaissances et leurs mœurs. Cette ques-
>-
a.
u
0
tion était d 'autant plus délicate que les communautés avaient des V)
QJ
statuts variés et que leurs enseignements et leurs règles discipli- e
>,
naires étaient sujets à bien des variations. Cette hétérogénéité w
QJ
Q_

alimenta des accusations portant sur l'indiscipline des religieux, ::J


e
(.')
leur hypocrisie et leurs vagabondages. @

138 1 Le bouddhisme
Xénophobie
Ces accusations furent très vite appuyées par une défiance visant
plus globalement le bouddhisme en tant que religion étrangère
donnant asile à des brigands et soutenant des positions subversives
et contraires aux valeurs ancestrales.
On doit à l'éminent lettré confucéen Han Yu (768-824) un
mémoire anti-bouddhique des plus virulents adressé à l'empereur
Xiang Zong en 819. Le Buddha y fut décrit comme « un barbare
dont la langue n'était pas chinoise », « ne connaissant ni la juste rela-
tion entre prince et ministre, ni le juste sentiment entre père et fils ». Si
Han Yu n'eut pas alors l'écoute de l'empereur et fut même banni
pour ses positions, il s'imposa comme le précurseur d'un renouveau
confucéen trouvant dans les Classiques les éléments d'une éthique
indispensable à l'équilibre de l'Empire. Pleinement épanouies
sous les Song, les positions les plus ouvertement exclusives de ce
renouveau continuèrent à fustiger le bouddhisme comme respon-
sable de la dégradation morale et par là même de l'affaiblissement
politique de l'État.

Privilèges et libertés
La liste des critiques ne s'arrêta pas là. On fit très tôt le procès de
l'indépendance des institutions bouddhiques, de leurs privilèges
Vl
et de leurs richesses.
Q)

0 La démonstration la plus symbolique de l'indépendance des insti-


'-
>-
w
\D tutions bouddhiques était la dispense, pour les moines, de toute
M
0
N prosternation face à l'empereur. Elle posait par là même la sépa-
@
.._, ration du sarn.gha des normes sociales usuelles et l'autonomie de sa
..c
O'l
·c règle face au droit commun. O!iant à leurs privilèges, les monas-
>-
a.
0 tères et ceux qui y étaient attachés étaient exemptés d'impôts,
u (/)
<li soustraits aux devoirs civils et aux corvées. O!iant à leurs richesses

w enfin, les biens possédés par le sarn.gha ne cessèrent de s'étendre
<li
o_
::J
dès les débuts de l'installation du bouddhisme en Chine.
2
l')
@

Chapitre 7. La grande proscription chinoise de 845 1139


Les dons faits par de grandes familles, 1' étendue des terres dont les
monastères disposaient et sur lesquelles ils avaient fait prospérer
des industries et ériger un patrimoine architectural prestigieux,
les réserves de métaux constitués par les statues, les cloches et les
objets de culte, l'apparat des décors des temples et des cérémonies
festives, tout cela représentait des sommes colossales. Les monas-
tères furent accusés de détourner les richesses de l'État au bénéfice
d'une population non productive, pesant d'un poids d'autant plus
lourd sur l'économie qu'elle ne cessait d'augmenter.
Il appartient à Jacques Gernet d'avoir révélé les aspects écono-
miques du bouddhisme dans la société chinoise du ve au xesiècle 41 •
Il y montre tout à la fois l'engagement de l'Empire dans la gestion
de monastères d'État et sa difficulté à contenir l'extension de
monastères appartenant à des familles aristocratiques ou à des
communautés villageoises. L'accumulation de réserves monétaires
et de métaux dans les monastères, l'augmentation des individus
leur étant rattachés échappant au régime fiscal commun, 1' éten-
due des domaines fonciers administrés par le sarrigha, les usages
bancaires qui leur étaient familiers mirent en difficulté l'adminis-
tration et les finances impériales. Aux débats idéologiques furent
donc associées des problématiques économiques. Leur poids dans
les mesures anti-bouddhiques de 845 puis, un siècle plus tard, de
955, fut déterminant. Il était là question de remédier aux besoins
financiers de l'Empire.
Vl
Q) Les confiscations imposées à la communauté monastique en 845
0 permirent au pouvoir impérial de s'approprier nombre de richesses
'-
>-
w
\D et de mettre à profit cette nouvelle manne pour résoudre une
M
0
N partie des problèmes budgétaires installés de longue date. Ceci ne
@
.._, fut pas suffisant pour redresser une situation dégradée depuis la
..c
O'l
·c rébellion du général An Lushan qui mit l'Empire à feu et à sang
>-
a.
0 et interrompit la continuité dynastique des Tang entre 755 et 763.
u V)
QJ

e
>,
w
QJ
Q_
41. Jacques G ernet, Les aspects économiques du bouddhisme dans la société chinoise du V' ::J

au xesiècle, E FE O , Saigon, 1956. Cette étude bien qu'ancienne demeure aujourd'hui e


(.')

une référence essentielle sur la question. @

140 1 Le bouddhisme
Après la grande proscription
La période qui succède à la grande proscription de 845 marque le
début de l'effondrement des Tang. Elle inaugure aussi, par-delà le
morcellement de l'Empire, une longue transition culturelle dessi-
nant une nouvelle étape de l'histoire chinoise.
Dans le domaine religieux, l'une des véritables ruptures concer-
nant le bouddhisme fut l'arrêt de ses relations avec l'Inde. Les
frontières de la Chine furent redessinées sous la pression des
Arabes, des Ouïgours et des Tibétains ; les routes de commerce et
de pèlerinage furent bientôt coupées. Aussi, malgré la diffusion de
nombreux enseignements tantriques 42 , le suivi des évolutions des
grandes universités du Bihar et du Bengale ne fut pas assuré.
Plus largement, la nouvelle période qui s'ouvrait ne fut pas seule-
ment remarquable pour son renouveau confucéen mais, sous
d'autres modalités que celles qui prévalurent sous les Tang, pour
les développements du taoïsme et du bouddhisme. La période
Song vit le repositionnement des « trois doctrines » les unes par
rapport aux autres et une nouvelle dynamique de stimulation
mutuelle. Engagées dans des développements intellectuels, spiri-
tuels et artistiques des plus accomplis, elles se distinguèrent et se
nourrirent de leurs réflexions respectives. L'inscription du bou-
ddhisme dans l'univers intellectuel et spirituel chinois demeura
bel et bien active. Les réflexions menées par les confucéens portant
Vl
sur les questions du réel, de l'unité sous-jacente à l'ensemble des
Q)

0 phénomènes, de la morale et de la sainteté s'énoncèrent, entre


'-
>-
w autres, toutes imprégnées de ses apports.
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0
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~ 42. On verra à ce sujet Michel Strickmann, Mantras et mandarins - Le bouddhisme


@ tantrique en Chine, NRF Gallimard, Paris, 1996.

Chapitre 7. La grande proscription chinoi se de 845 1141


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CHAPITRE 8

1642: UN MOINE
BOUDDHISTE
, DIRIGE
DESORMAIS LE TIBET

Au programme
• L'avènement du ve Dalaï-lama à la tête
du Tibet
• La maîtrise d'un échiquier politique complexe
• L'écriture d'une« mystique du pouvoir»
• Le Potala comme résidence gouvernementale
• Liturgies en l'honneur des divinités protectrices

Lobsang Gyamtso 43 , ye Dalaï-Lama en titre, fut le premier Dalaï-


Lama à diriger le Tibet. Le pouvoir politique et religieux qu'exerça
cet homme au charisme d'exception marqua d'une empreinte
vi déterminante l'histoire de son pays et le rayonnement de la culture
Q)

0
'-
du bouddhisme himalayen. Respectueusement désigné sous le
>-
w titre de« Grand ye », il demeure une figure essentielle et toujours
\D
M
0 célébrée de l'histoire tibétaine.
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0
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::J 43. Blo-bzang rgya-mtsho, Lobsang Gyamtso ou Lozang Gyatso ? La translittération
2 Wylie de l'écriture tibétaine ét ant particulièrement complexe et difficile à prononcer,
l')
@ une transcription simplifiée a été ici adoptée.
Le Tibet du xv11e siècle et les régions himalayennes
sous influence tibétaine

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L'avènement du ve Dalaï-lama à la tête
du Tibet

Le titre Da/aï-Lama,« lama (à la sagesse/ à l'autorité) vaste comme l'océan »,


a été créé au xv1e siècle par le chef mongol Altan Khan afin d'honorer son
précepteur spirituel tibétain Seunam Gyamtso, supérieur du monastère
ge/ugpa de Drepung. Attribué à titre posthume à ses deux prédécesseurs
puis porté par ses successeurs, ce titre magnifia l'autorité spirituelle de cette
lignée de réincarnations. Il ne fut donc pas originellement associé à une
fonction politique.

Né en 1610 dans une puissante famille aristocratique du Yarlung,


Lobsang Gyamtso fut reconnu à cinq ans comme cinquième repré-
sentant de la lignée des Dalaï-Lama et donc destiné - comme ses
prédécesseurs - à assurer les fonctions d'abbé supérieur du monas-
tère gelugpa de Drepung, près de Lhasa. Le Tibet central, où il
grandit et fut formé, était divisé et en proie à des luttes de pouvoir
incessantes depuis plus d'un siècle. C'est ainsi dans un contexte
politique particulièrement tendu qu'eut lieu sa prise de pouvoir en
1642. Elle fut le fruit d'une habile alliance entre Gushri Khan,
un chef nomade mongol de la tribu des Qgshot, et les religieux
gelugpa.
vi
Q) Gushri Khan et son armée étaient installés depuis 1637 dans
0
'-
>- la région aride du lac Kokonor, et poursuivaient une série de
w
\D
M
conquêtes victorieuses dans les régions du Kham et du Tsang.
0
N Partisan et protecteur de la lignée spirituelle des Gelugpa, il honora
@
.._,
..c
le lien qui l'unissait à Lobsang Gyamtso, son précepteur spirituel,
O'l
·c en lui faisant offrande des territoires qu'il venait de soumettre.
>-
a.
0
u
Il se conforma ainsi au principe d'interdépendance « précepteur-
(/)
<li
donateur » (choyon) si important au Tibet, scellant l'alliance entre

w un maître spirituel et un donateur séculier. Le premier garantis-
<li
o_
::J sant l'assistance religieuse par l'enseignement spirituel et l'exécu-
2
l')
@

Chapitre 8. 1642 : un moine bouddhiste dirige désormais le Tibet 1145


tian de rituels propitiatoires, le second garantissant de son côté
l'aide matérielle et la protection militaire.
L'autorité suprême de l'État se trouva ainsi pour la première fois
de l'histoire du Tibet assumée par un religieux qui allait se révéler
d'une habileté remarquable en termes de stratégie, d'administra-
tion et de diplomatie.
En quarante ans de souveraineté, le yeDalaï-Lama parvint à :
• réunir les principautés et les divers royaumes tibétains sous une
même autorité centrale ;
• imposer la prééminence de la lignée spirituelle des Gelugpa et
instituer la succession des Dalaï-Lama à la tête de l'État;
• faire du Tibet un acteur essentiel dans les jeux diplomatiques
en haute Asie.

La maîtrise d'un échiquier politique


complexe
Contrôler un territoire aussi vaste que le Tibet et y installer un
pouvoir centralisé était un projet ambitieux tant l'échiquier des
forces aristocratiques et religieuses était complexe et tendu. Il
fallait compter tout d'abord avec une aristocratie de clans fami-
liaux exploitant d'importants domaines fonciers. Certains d'entre
Vl
Q) eux étaient attachés aux croyances et aux pratiques du bon44 , la
0
'-
>- religion première du Tibet. La plupart toutefois, liés au bou-
w
\D
M
ddhisme, nourrissaient des alliances très fortes avec des monas-
0
N tères dirigés par de grandes lignées spirituelles.
@
.._,
..c
O'l
·c
>-
a.
0
u V)
QJ

44. Le bon peut, en fonction des époques et des sources, désig ner plusieurs réalités reli- e
>,
w
gieuses différentes. Il est dans certains cas clairement distingué du bouddhisme, appa- QJ
Q_
raît d ans d 'autres comme un mouvem ent syncrétique dans d'autres encore comme un ::J

asp ect du bouddhism e tibétain. N ous l'entendon s dan s le cadre de ce ch apitre comme e
(.')

un ensemble de croyances et pratiques revendiquées comme distinctes du bouddhisme. @

146 1 Le bouddhisme
Plusieurs grandes lignées
Ces lignées 45 se distinguaient principalement les unes des autres
par l'importance qu'elles accordaient à l'enseignement d'un maître
fondateur, par les orientations de leurs cursus monastiques et par
la spécificité de leurs transmissions initiatiques. Si leurs nuances
doctrinales ne donnaient lieu qu'à de simples joutes discursives,
leurs divisions sur la scène politique et la défense de leurs intérêts
matériels étaient d'une toute autre âpreté.

Les Nyingmapa
La plus ancienne de ces lignées était celle des Nyingmapa. Ses
monastères, demeurés de taille modestes, exerçaient au XVIIe siècle
une réelle autorité spirituelle mais demeurèrent peu impliqués
dans le jeu politique.
La lignée des Nyingmapa se rattachait à l'enseignement de
Padmasambhava. Considéré comme le deuxième Buddha par les
Tibétains, il introduisit au VIIIe siècle les transmissions initiatiques
de grands maîtres tantriques indiens, puis se chargea de conduire
les premiers efforts de traduction des textes sanskrits en tibétain et
de superviser l'édification de Samye (vers 774), le premier monas-
tère bouddhique du Tibet.
C'est au XIe siècle, après une longue période obscure et politique-
ment confuse durant laquelle le bouddhisme fut pratiquement
Vl
Q) insignifiant, que le dharma fut revivifié. Trois nouvelles lignées
0
'-
>- - celle des Kadampa, des Kagyüpa et des Sakyapa - furent établies
w
\D
M
alors que l'influence du bouddhisme s'ancrait définitivement au
0
N Tibet.
@
.._,
..c
O'l
·c
>- Les Kadampa
a.
0
u (/) La lignée des Kadampa fut créée par Dromtonpa, un disciple de
<li

2» l'érudit indien Atïsa (980-1054). Après un parcours spirituel d'en-


w
<li
o_ vergure dans les grandes universités bouddhiques du Magadha
::J
2
l')
@ 45. Le terme lignée spirituelle est remplacé par certains auteurs par « école».

Chapitre 8. 1642 : un moine bo uddhiste dirige désormais le Ti bet 1147


notamment, ce dernier fut invité au Tibet de l'Ouest par le traduc-
teur Rinchen Zangpo qui y avait entrepris l'édification de plusieurs
temples et monastères et revivifié l'étude des textes anciens.

Les Kagyüpa
La lignée des Kagyüpa fut également fondée dans la première
moitié du XIe siècle grâce à un lien très fort avec les universités
bouddhiques indiennes. Il revint au traducteur tibétain Marpa d'y
séjourner et d'y recevoir les enseignements de maîtres et de yogis
éminents, notamment ceux du mahasiddha N aropa. De retour
au Tibet, Marpa transmit ces enseignements au célèbre poète
mystique Milarepa (1140-1123), reconnu comme le fondateur des
Kagyüpa.

Les Sakyapa
Les Sakyapa, comme les Kadampa et les Kagyüpa, reçurent en Inde
de l'Est la transmission de leurs enseignements fondateurs. Il
revint au traducteur Drokmi de les diffuser au Tibet. Ils y furent
préservés avec une grande rigueur par des moines ou des yogis
laïcs et mariés. Sakya Pandita (1182-1251) fut l'un des représen-
tants les plus éminents de cette lignée et s'illustra par sa poésie,
son érudition et un rôle politique sans précédent jusqu'alors.

Vl
Les Gelugpa
Q)

0 Une dernière grande lignée, celle des Gelugpa, fut fondée au


'-
>-
w
\D
M
xve siècle par Tsongkhapa (1357-1419). Un cursus monastique
0
N d'une richesse remarquable, des expériences visionnaires très
@
.._, présentes et la transmission de plusieurs initiations nourrirent
..c
O'l
·c son œuvre d'enseignant et d'érudit. Il rédigea plusieurs ouvrages
>-
a.
0
majeurs portant sur les étapes de progression vers l'éveil, sur les
u
différentes classes de tantra. Lui et ses plus proches disciples V)
QJ

fondèrent trois monastères du Tibet central qui s'avérèrent histori- e


>,
w
QJ
quement très importants : Ganden, Drepung et Sera (respective- Q_
::J

ment fondés en 1409, 1416 et 1419). e


(.')
@

148 1 Le bouddhisme
Au XVIIe siècle, à l'aube de l'avènement du Ve Dalaï-Lama, ces
lignées, souvent subdivisées en plusieurs branches, dirigeaient des
monastères importants depuis plusieurs siècles. Par leur rayon-
nement spirituel, par les liens familiaux qu'ils entretenaient avec
des seigneuries laïques, par la protection que leur offraient les rois
de certaines provinces, ces monastères avaient fait fructifier de
nombreuses richesses issues de leurs domaines fonciers. Par leur
influence intellectuelle, ils étaient aussi devenus les principaux
acteurs politiques du Tibet.

,
Constituer un Etat stable et puissant
Dès le x111e siècle, les lignées s'étaient livrées - soit en leur nom,
soit en celui de leurs alliés laïcs - à des luttes ouvertement violentes.
Ayant autorité sur l'ensemble de la population religieuse et laïque,
le V e Dalaï-Lama s'employa dès son intronisation à neutraliser ces
luttes et décida pour cela de :
• restructurer le fonctionnement de l'État tibétain;
• étendre et inscrire son autorité sur le territoire grâce des
conquêtes continues ;
• mettre hors d'état de nuire les lignées spirituelles rivales ;
• conduire une diplomatie habile auprès des grandes puissances
v01s1nes.
Vl
Q)
La structure du gouvernement qu'il mit en place dès 1642 fut -
0
'- à quelques aménagements près - celle qui prévalut jusqu'à l'exil
>-
w
\D
du XIVe Dalaï-Lama en 1959. Le pouvoir fut dès lors régi par un
M
0
N
principe fondamental d'union ou « d'ordre conjugué» des pouvoirs
@
.._, religieux et séculiers. À sa tête, le Dalaï-Lama cumulait une double
..c
O'l
·c
autorité spirituelle et temporelle. Il était assisté pour les questions
>-
a.
0
politiques et administratives par un régent - le desi - et par un
u (/)
<li gouvernement - le Ganden Phodrang - dont les fonctions étaient
2» assumées par des fonctionnaires religieux et laïcs. Sélectionnés
w
<li
o_
::J
pour leurs compétences, les premiers, d'origine roturière pour la
2
l') plupart, étaient principalement issus des monastères gelugpa ; les
@
seconds étaient, eux, issus d 'une aristocratie nobiliaire.

Chapitre 8. 1642 : un moine bouddhiste dirige désormais le Tibet 1149


Deux organes principaux composaient ce gouvernement :
• le cabinet des ministres ;
• le cabinet des affaires religieuses.
Un lien permanent était assuré entre ces organes et le Dalaï-Lama
par le Premier ministre.
Des organes secondaires assuraient quant à eux l'administration
des affaires fiscales, juridiques, protocolaires, rituelles, etc.
Le caractère éminemment centralisé de ce fonctionnement devait
être relayé par une administration territoriale dont l'efficacité ne
pouvait être effective sans contrôle de l'ordre dans les différentes
provinces. Gushri Khan et ses hommes s'employèrent pour cela à
neutraliser les dissidences régionales. La présence des Gelugpa fut
par ailleurs renforcée sur l'ensemble du territoire par la fondation
de nombreux nouveaux monastères. De façon très « énergique »,
les lignées hostiles au pouvoir ou jugées dangereuses par leurs
alliances avec des royaumes locaux furent par ailleurs mises hors
d'état de nuire. Ainsi, les Jonangpa, liés au roi du Tsang virent
leurs monastères fermés et leurs biens confisqués. Les Bonpo, alliés
du roi de Beri au Kham, furent tenus de devenir Gelugpa. Les
très puissants Kagyüpa, privés de leurs monastères et de leurs biens
au Tibet central, durent se replier vers le sud, au Kompo et au
Bhoutan.
Le gouvernement du VeDalaï-Lama ne s'en tint pas au contrôle des
Vl
Q)
dissidences intérieures. Il assuma des ambitions expansionnistes
0
'-
sur ses frontières himalayennes et une habile diplomatie envers les
>-
w
\D
puissances mongoles et la dynastie Manchoue des Qing nouvelle-
M
0
N
ment installée à la tête de la Chine. Le Tibet joua dans ce contexte
@
.._,
un rôle de médiateur et permit le maintien d'une certaine stabilité
..c
O'l
·c
politique dans la région .
>-
a.
0
u V)
QJ

e
>,
w
QJ
Q_
::J
e
(.')
@

150 1 Le bouddhisme
L'écriture d'une« mystique du pouvoir»
Si les démonstrations d'autorité et les exercices diplomatiques
sont, par-delà la singularité des contextes historiques, communs
à bien des souverains, c'est dans l'écriture d'une « mystique du
pouvoir » que la profonde originalité du ye Da/aï-Lama est sans
doute le mieux perceptible.
Lobsang Gyamtso fut formé à une école réputée rigoureuse dans
le domaine du respect de la discipline monastique, mais égale-
ment dans celui de la formation intellectuelle et spirituelle.
Offrant une connaissance approfondie des différentes doctrines
du Madhyamaka, le cursus gelugpa défendait les vues portées
par Candrakïrti grâce à l'appui des commentaires qu'en livra
Tsongkhapa. Le Lamrim, les Étapes de la Voie, introduit par Atïsa
au XIe siècle, constituait quant à lui la méthode de progression vers
l'éveil la plus en faveur auprès de ses maîtres.

Une ouverture aux enseignements nyingmapa


Les transmissions initiatiques tantriques n'étant traditionnelle-
ment accessibles chez les Gelugpa qu'à la condition d'une maîtrise
préalable de ces disciplines intellectuelles et spirituelles, Lobsang
Gyamtso fit preuve d'une véritable indépendance en décidant, dès
ses vingt-six ans, d'enrichir sa formation par des enseignements
Vl
Q) d 'une autre lignée que la sienne, celle des Nyingmapa. Cette déci-
0
'-
>- sion fut prise à la suite de sa rencontre avec Konchog Lhundrup,
w
\D
M
un maître charismatique nyingmapa, qui l'initia à des pratiques
0
N tantriques que les Gelugpa ne reconnaissaient pas.
@
.._,
..c L'attachement du ye Da/aï-Lama aux Nyingmapa se traduisit ouver-
O'l
·c
>- tement par le port à sa ceinture d'une courte dague rituelle qui était
a.
0
u (/)
leur emblème et par son soutien aux monastères de Mindroling, de
<li

2» Nechung et de Dzogchen. Il entretint par ailleurs un lien spirituel


w très fort jusqu'à la fin de ses jours avec Terlag Limgpa (1646-1714),
<li
o_
::J
2 un des plus éminents mystiques tibétains, découvreur de textes
l')
@ sacrés.

Chapitre 8. 1642: un moine bouddhiste dirige désormais le Tibet l 1s1


L'intérêt du Ve Dalaï-Lama pour les transmissions tantriques des
Nyingmapa s'accordait à son mysticisme, à son intérêt pour la
création liturgique et pour les rituels magiques. Cet aspect de sa
personnalité, considéré avec distance par les membres rigoristes
de son entourage, allait jouer un rôle essentiel dans son œuvre
politique.

Des visions mystiques


De l'âge de six ans à la fin de sa vie, Lobsang Gyamtso fit l'expé-
rience de visions lors desquelles se manifestaient à lui des aspects
variés d'Avalokitesvara, de divinités protectrices, de maîtres spiri-
tuels, de personnages historiques ... Elles eurent à ses yeux un
caractère inspiratif ou prophétique, accompagnèrent des grands
moments de sa vie mystique, l'aidèrent à prendre des décisions
politiques, l'apaisèrent dans des moments de tension ou d'incer-
titude. Ainsi par exemple, lors d'une liturgie réalisée au palais de
Ganden à Drepung en 1641, la vision « d'une grande tête humaine
d'apparence macabre ouvrant la bouche d'où tombaient des têtes comme
des grains de blé déversés d'un sac » fut entendue comme le signe de
la victoire prochaine de Gushri Khan sur le roi de Tsang46 •
Ces visions furent consignées dans une biographie secrète qui
éclaire non seulement de nombreux aspects de l'œuvre du VeDalaï-
Lama, mais aussi son intelligence« arborescente» corrélant l'exer-
Vl
Q) cice du pouvoir et la vie mystique, superposant plusieurs niveaux
0
'-
>-
de réalités historiques et mythologiques, articulant plusieurs types
w
\D d'efficacités rituelles ou politiques. La cohérence de ce tissage est
M
0
N concrètement perceptible dans la construction de référents fédéra-
@
.._, teurs qui se sont avérés pérennes dans l'histoire du Tibet. Le sens
..c
O'l
·c donné au choix de son installation à Lhasa fut l'un d'entre eux.
>-
a.
0
u V)
QJ

e
>,
w
QJ
Q_
::J

46. Samten Karmay, Le Manuscrit d'or, Visions secrètes du V" Dalaï Lama, Findakly, e
(.')

1998, p. 45. @

152 1 Le bouddhisme
Le Potala comme résidence
gouvernementale
La résidence habituelle du Dalaï-lama à Drepung s'avéra vite insa-
tisfaisante pour accueillir un gouvernement et exalter une fonction
placée au-delà de celles que Lobsang Gyamtso avait assumées en
tant que supérieur de son monastère. Il fallait par ailleurs assurer
la sécurité liée à sa personne, à son entourage ainsi que le protocole
et la logistique afférents.
Le choix de la colline de Marpori à Lhasa sur laquelle fut construite
- de 1645 à 1649 - la forteresse du Potala (siège du gouvernement
et résidence du Dalaï-lama) donna d'abord lieu à toutes sortes
d'hésitations d'ordres géographique, sécuritaire, architectural. ..
Ce choix, pesé avec prudence, devint à ses yeux particulièrement
signifiant. Il le rattacha ainsi ouvertement au premier grand roi
historique du Tibet Songtsen Gampo.

Songtsen Gampo

Songtsen Gampo (r. 620-649) avait établi une résidence sur cette colline, assumé
une ambition impériale en réunissant les seigneuries tibétaines sous une même
bannière et poussé ses conquêtes du Tibet central au bassin du Tarim. Outre
un charisme de guerrier remarquable, la tradition tibétaine attribua à Songtsen
Gampo l'introduction du dharma et de l'usage de l'écriture au Tibet. L'exaltation
de sa personnalité en fit même, à partir du x1e siècle semble-t-il, une émanation
vi
Q) d'Avalokitesvara.
0
'-
>-
w
\D
M
0 En établissant un lien avec Songtsen Gampo par la construction de
N
@ la résidence gouvernementale à Lhasa, Lobsang Gyamtso inscri-
.._,
..c
O'l
vait symboliquement la lignée spirituelle des Dalaï-lama dans la
·c
>-
a. lignée historique des rois de la période impériale (vne-Ixe siècles).
0
u (/)
<li
À l'exaltation de cette filiation politique s'adjoint également celle
2» d'une filiation spirituelle, elle aussi hautement signifiante. On sait
w
<li
o_ combien le culte des montagnes est attaché au Tibet à des divinités
::J
2
l')
locales extrêmement puissantes. Bientôt « bouddhisée » , la colline
@

Chapitre 8. 1642 : un moine bouddhiste dirige désormais le Tibet 1153


de Marpori fut aussi considérée comme le Potala, le séjour d'Ava-
lokitesvara. Prenant place au cœur de ce séjour, le ye Da/aï-Lama
manifesta pleinement son statut d'émanation du bodhisattva de la
compassion, protecteur du Tibet.
Au centre d'une géographie éminemment sacrée par la proximité
du Jokhang, celle des monastères de Samye, Ganden, Drepung
et Sera, le Potala irradia désormais de son pouvoir sur le Tibet
tout entier. En célébrant ou faisant célébrer dans ses chapelles
des rituels destinés à établir un lien constant avec des puissances
sacrées, le ye Dalaï-Lama veilla constamment à attirer à lui la
protection et le soutien de ces dernières.

Liturgies en l'honneur des divinités


protectrices
L'attachement de Lobsang Gyamtso pour les grandes figures
protectrices l'amena à composer quelque deux cents liturgies qu'il
fit célébrer en des occasions solennelles ou privées. Ses préférences
dans ce domaine démontrèrent une fois encore l'intimité de ses
perceptions mystiques et politiques. L'intelligence avec laquelle il
les fit valoir révéla son souhait de transcender les particularismes
des lignées au bénéfice d'une synthèse extrêmement sophistiquée et
cohérente, unifiant des référents culturels et spirituels fédérateurs.
Vl
Q)

0
'-
Dorje Dragden, Mahakala, Begtse, Palden Lhamo et certains
>-
w aspects terribles de Padmasambhava comptent parmi les figures
\D
M
0 protectrices les plus fréquemment présentes dans les visions du ye
N
@
.._,
Dalaï-Lama. Corpulentes et courroucées, parées d'atours guerriers
..c
O'l et macabres, auréolées d'un halo de flammes, elles ont toutes en
·c
>-
a. commun des aspects particulièrement redoutables, capables de
0
u protéger le dharma, d'éloigner les situations dangereuses et les V)
QJ

esprits néfastes. e
>,
w
QJ
Q_
::J
e
(.')
@

154 1 Le bouddhisme
Palden Lhamo

Il revint à Palden Lhamo d'occuper une place tout à fait particulière dans la
vie de Lobsang Gyamtso. Cette déesse apparut de nombreuses fois dans ses
visions sous un aspect terrible. Protectrice du dharma, protectrice personnelle
du Dalaï-lama et du Potala, sa personnalité agrégea des éléments de
légendes tibétaines prébouddhiques et de mythologies indiennes relatives à
des divinités ogresses ou guerrières hindoues47 • Toutes ces strates culturelles
furent amalgamées et totalement réinterprétées au bénéfice de conceptions
pleinement bouddhiques et de cultes dont les premières expressions connues
remontent au x1e siècle. Au xv11e siècle, les rituels consacrés à Palden Lhamo
donnèrent lieu à des représentations picturales très ambitieuses par leur qualité
et la complexité de leur iconographie. Ils stimulèrent aussi la création d'objets
rituels particulièrement luxueux garantissant leur efficacité tant par leur fonction
que par la charge des intentions dont ils furent investis.

La détermination politique du Ve Dalaï-Lama, son apport à l' éru-


dition et à la littérature de son temps, l'intimité du lien spirituel
qu'il entretint toute sa vie avec des divinités au pouvoir si intense
par la célébration de rituels mais aussi par des sessions divinatoires
auprès l'oracle de Nechung (dont les prophéties étaient toujours
entendues avant les prises de décisions les plus importantes concer-
nant l'État) firent de lui le « Grand Ve ».

Des parallèles entre les ve et XIVe Da/aï-Lama?

L'intelligence du parcours du« Grand ve»fut célébrée par bien des personnalités
vi
Q)
spirituelles de l'histoire ultérieure du Tibet. Le recul n'est peut-être pas suffisant
0
'-
>- encore, mais nombreux sont les observateurs qui, aux vues de l'intelligence
w
\D politique et spirituelle du XIVe Dalaï-lama, de sa connaissance et sa révérence
M
0
N pour l'œuvre du « Grand ve», n'hésitent pas aujourd'hui à établir de nombreux
@ parallèles entre les deux hommes .
.._,
..c
O'l
·c
>-
a.
0
u (/)
<li


w
<li
o_
::J 47. Amy H eller, « L es Nathang et les divinités protectrices : quelques observations
2 sur leur signification historique et leur développem ent esthétique » in Rituels tibétains,
l')
@ Visions secrètes du V' Da/aï-Lama, RMN, 2002.

Chapitre 8. 1642: un moine bouddhiste dirige désormais le Tibet l 1ss


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Q)

0!....
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CHAPITRE 9
,
LA REFORME
DEMONGKUT,
ROI DU SIAM
(1851-1868)

Au programme

• L'ambition d'un moine devenu roi


• Une mosaïque ethnique, culturelle et religieuse
• Tradition cinghalaise et légitimation du pouvoir royal
• Une congrégation au service de la structuration d'un royaume
moderne

Le roi Rama IV, qui régna sur le Siam de 1851 à 1868, est resté
célèbre pour plusieurs raisons. La plus anecdotique, mais non
Vl
Q)
la moins populaire en Occident, est qu'il fut le héros du roman
0
'- de Margaret Landon Anna and the King of Siam qui donna lieu à
>-
w
\D
plusieurs adaptations cinématographiques.
M
0
N Plus sérieusement, Rama IV, mieux connu sous le nom de
@
.._,
..c
Mongkut, permit au Siam de conserver son indépendance grâce
O'l
·c à d'habiles tractations avec les puissances européennes et à une
>-
a.
0
u
ouverture résolue à la modernité. Outre un ensemble de disposi-
(/)
<li
tions diplomatiques et commerciales, Mongkut assuma un posi-

w tionnement religieux très affirmé qui fut relayé par son fils et
<li
o_
::J successeur Chulalongkorn (Rama V). Tous deux mirent en œuvre
2
l')
@
un ensemble de mesures visant à assurer l'authenticité et la qualité
des engagements monastiques et à impliquer le sarrigha thaï
dans un processus de réformes et de modernisation du royaume.
Elles portèrent sur la rénovation des rituels d'ordination, sur de
nouveaux positionnements doctrinaux, sur la structuration admi-
nistrative du sarrigha et sur le système éducatif associé. C'est dans
un contexte politique dominé par la présence des puissances colo-
niales européennes que cette réforme eut en Thaïlande - et au
Cambodge 48 - des effets déterminants. Leur portée se prolongera
durant une longue partie du xxe siècle.

L'ambition d'un moine devenu roi


Avant d'accéder au trône à la mort de son demi-frère en 1851,
Mongkut fut moine pendant vingt-sept ans. Cette période
monastique fut pour lui le temps d'une formation intellectuelle
très nourrie dont il souhaita souvent afficher les orientations ratio-
nalistes. Cette formation lui permit en premier lieu d'acquérir une
connaissance précise de sa religion et du paysage monastique du
royaume qu'il allait diriger. Elle lui permit aussi d'étudier de façon
approfondie les textes palis d'obédience theravadin, d'apprendre le
sanskrit, le latin et l'anglais ; de forger enfin son intérêt pour les
sciences et plusieurs aspects de la civilisation occidentale.
En 1829, bien avant d'accéder au trône, Mongkut initia ce qui allait
Vl
Q) plus tard s'imposer comme une véritable réforme religieuse en assu-
0 rant la fondation d'un nouveau nikaya nommé Dhammayutika49 ,
'-
>-
w
\D « ceux qui adhèrent au dharma ». Cette initiative, soutenue par
M
0
N de jeunes aristocrates et des intellectuels de Bangkok, avait pour
@
.._, origine une réelle insatisfaction quant à la réalité religieuse obser-
..c
O'l
·c vée dans les monastères. Elle s'imposa de fait comme une émana-
>-
a.
0 tion religieuse du pouvoir de la famille royale, bientôt mise au
u V)
QJ

e
>,
w
QJ
48. Cf. François Bizot, Le figuier à cinq branches, recherche sur le Bouddhisme khmer, Q_
::J
EFEO, 1976, introduction p. 1à44. e
(.')

49. On trouvera aussi la transcription Thammayut pour Dhammayutika. @

158 1 Le bouddhisme
service des visées politiques et administratives de Mongkut, puis
de son successeur.
Ses premiers objectifs furent les suivants :
• réformer les rituels d'ordination pour leur assurer une validité
jugée conforme au vinaya pali theravadin du Sri Lanka ;
• appuyer l'étude du dharma sur la tradition cinghalaise ;
• ajuster certaines données doctrinales aux connaissances scienti-
fiques et à une nouvelle forme de morale sociale ;
• ouvrir «l'exégèse bouddhique aux courants de pensée de
l'Occident50 » .
On le constate, ces objectifs s'inscrivaient entre deux pôles :
• ouvrir d'une part les questions religieuses à la modernité;
• renforcer d'autre part le lien avec la tradition palie du Sri Lanka.

Le prestige du Mahavihara
Mongkut n'était pas le premier à faire valoir cet héritage cingha-
lais. Qye ceci relève ou non en partie d'une fiction historique,
plusieurs royaumes d'Asie du Sud-E st tinrent le Sri Lanka - et
notamment le Mahavihara (le Grand monastère) d'Anuradha-
pura - pour le conservatoire des enseignements bouddhiques les
plus authentiques et le garant de la pureté de l'ordination monas-
tique. Cela, sur la foi des chroniques cinghalaises selon lesquelles
Vl
Q) le Mahavihara aurait été fondé dès le IIIe siècle avant J.-C. lorsque
0
'-
>- Mahinda - fils ou frère d'Asoka - transmit les premiers enseigne-
w
\D
M
ments bouddhiques au Sri Lanka.
0
N
@ Le prestige du Mahavihara se renforça lorsque le Tripitaka y fut
.._,
..c couché par écrit peu de temps avant l'ère chrétienne puis, lorsqu'au
O'l
·c
>-
a.
ye siècle, l'érudit indien Buddhagho$a vint y étudier et y rédiger
0
u (/)
plusieurs ouvrages. Après plusieurs années de travail, ce dernier
<li

2» fixa en pali les commentaires « définitifs » du Tripitaka. Il détrui-


w
<li
o_
::J
2
l')

@ 50. François Bizot, Le bouddhisme des Thaïs, Édition des Cahiers de France, 1993, p. 22.

Chapit re 9. La réfo rme de Mongkut. roi du Siam (1 851 - 1868) 1159


sit ensuite les écrits cinghalais préexistants, imposant de fait son
œuvre comme un repère normatif theravadin essentiel.
Si le Theravada n'était vraisemblablement pas encore constitué
lors de la fondation du Mahavihara, il y était pleinement installé
au ye siècle lorsque Buddhagho$a y étudia. Il s'imposa avec force
au XIIe siècle, quand le roi cinghalais Vijayabahu écarta toutes
les autres communautés à son bénéfice exclusif. Les expres-
sions mahayaniques et tantriques qui avaient été introduites de
longue date au Sri Lanka furent condamnées par son successeur
Parakkamabahu et toutes les communautés monastiques durent
se ranger, par la volonté royale, aux usages et aux enseignements
theravadin du Mahavihara. Une« orthodoxie d'État» fut établie et
il fut ainsi décrété : un royaume, un roi, une communauté religieuse
et une lignée d'ordination pour garantir sa rectitude monastique.
Qyelle qu'ait pu être la distance entre le bouddhisme du
Mahavihara du 111e siècle avant J.-C. et celui pratiqué là-bas au
XIIe siècle, sa lignée d'ordination fut ainsi imposée comme une
référence « intangible ».

Le positionnement du roi Parakkamabahu eut une influence


importante sur les choix religieux de plusieurs monarques de la
péninsule indochinoise et notamment ceux du Siam. À l'instar de
cet exemple cinghalais, ils désignèrent le bouddhisme theravadin
Vl
comme le bouddhisme de leur royaume et affirmèrent avec lui une
Q)

0 certaine conception de la royauté bouddhique.


'-
>-
w
\D
Leur volonté de « purifier » le sarrzgha en réactivant le lien au
M
0
N
Mahavihara, de favoriser aussi l'unité du Siam, ne fut toutefois pas
@
.._, assumée sans ambivalence, ni même sans le maintien volontaire
..c
O'l
·c
d'autres expressions religieuses. Pour éclairer ces phénomènes et
>-
a.
0
comprendre l'ambition de Mongkut, un bref panorama des spéci-
u
ficités ethniques, culturelles et religieuses de la Thaïlande doit ici V)
QJ

être brossé. e
>,
w
QJ
Q_
::J
e
(.')
@

160 1 Le bouddhisme
Une mosaïque ethnique, culturelle
et religieuse
Une des caractéristiques de ce que nous nommons aujourd'hui la
Thaïlande est sa mosaïque ethnoculturelle et les jeux de pouvoir
auxquels se livrèrent ses principaux acteurs : les Môns, les Khmers
et les Thaïs.
Au cours d'une histoire que l'on peut difficilement suivre avant
le VIe siècle, ces populations fondèrent des royaumes indianisés
plus ou moins pérennes et puissants qui sont entrés en compéti-
tion et se sont mutuellement influencés à l'occasion de conflits, de
conquêtes et d'échanges commerciaux. C'est sur un substrat de
croyances et de pratiques locales (attachées aux esprits du territoire
et des ancêtres) que ces royaumes adoptèrent plusieurs éléments
de la civilisation indienne dont, notamment, certains aspects de
l'hindouisme et du bouddhisme.
Attestées à partir du VIe siècle, ces religions furent sans doute diffu-
sées par des marchands puis des religieux érudits. Elles consti-
tuèrent deux composantes essentielles d'une histoire marquée par :
• l'interaction d'expressions religieuses distinctes ;
• le choix de monarques faisant valoir leurs préférences confes-
sionnelles et tentant, avec plus ou moins de succès, de les
imposer5 1 ;
vi
Q) • la légitimation du pouvoir royal par une idéologie religieuse
0 adaptant localement de nombreux éléments venus de l'Inde.
'-
>-
w
\D
M
0
N
@
.._,
..c
O'l
·c
>-
a.
0
u (/)
<li


w
<li 51. Par-delà les témoignages officiels de ces préférences, livrés par l'épigraphie ou l'ar-
o_
::J chéologie, il convient de ne pas négliger l'existence de pratiques parfois reléguées à un
2 statut de « folklore » rural. Elles demeurèrent actives et se pérennisèrent, même éloi-
l')
@ gnées de celles de l'élite socio-politique dominante.

Chapit re 9. La réforme de Mongkut. roi du Siam (1851 - 1868) 1161


Le bouddhisme en Thaïlande
Du VIe siècle à l'avènement de la dynastie des Chatri - dont
Mongkut fut le quatrième souverain - trois grandes étapes struc-
turent l'histoire du bouddhisme en Thaïlande.
• La première concerne les populations mônes, progressivement
indianisées qui dominèrent la Thaïlande centrale du VIe au
XIe siècle. Elles constituèrent divers petits États dont les carac-
téristiques ont défini la culture dite de « Dvaravatï ». Qyelle
était la religion des Môns de Dvaravatï? Un Theravada prédo-
minant, « coloré » par des influences mahayaniques, hindoues
et par des cultes locaux liés aux génies locaux du sol et aux
ancêtres ? Une religion royale originale intégrant d'une façon
singulière des cultes locaux et des aspects de l'hindouisme à
un bouddhisme prééminent ? Hormis la coexistence d'éléments
plus ou moins affirmés selon les sites, il est aujourd'hui très
difficile de formuler quelque affirmation à ce sujet tant les diffi-
cultés d'interprétation du matériel archéologique demeurent
présentes.
• Les informations concernant l'histoire religieuse de la Thaïlande
commencent à être plus précises avec la présence des Khmers
sur le territoire. Ils firent valoir entre le début du XIe siècle et
le XIIIe siècle leur adhésion au Mahayana et à ses expressions
tantriques, de même qu'à l'hindouisme. À partir du XIIIe siècle,
ils pratiquèrent un Theravada empreint d'influences variées.
Vl
Q)

0 • La période des rois thaïs est très intéressante pour contextuali-


'-
>-
w ser dans un vaste ensemble l'œuvre de Mongkut. Les Thaïs, qui
\D
M
0
s'installèrent à partir du XIIIe siècle au Siam, fondèrent d'abord
N
@ les royaumes de Chiangmai et de Sukhothaï et leurs rois choi-
.._,
..c
O'l
sirent le bouddhisme theravadin comme religion .
·c
>-
a. À de très nombreuses reprises, le souci de la pureté du saf]1gha
0
u
conduisit les rois thaïs à faire réviser le Tripitaka, à réglementer la V)
QJ

lecture des textes palis, à rectifier des usages monastiques jugés e


>,
w
litigieux et, d'une façon ou d'une autre, à maintenir un lien avec la QJ
Q_
::J

tradition palie du Mahavihara de Sri Lanka. e


(.')
@

162 1 Le bouddhisme
L'efficacité de leur ambition normative s'avéra très relative tant il
fut besoin de la réitérer. Leur persévérance dans ce domaine fut
toutefois constante. La réforme de Mongkut s'inscrivit ainsi dans
une lignée de préoccupations partagées déjà par nombre de ses
prédécesseurs.

Tradition cinghalaise et légitimation


du pouvoir royal
Les raisons de cette volonté normative étaient profondes et inti-
mement liées à une conception de la royauté bouddhique telle
qu'elle fut notamment cristallisée au xne siècle par le roi cinghalais
Parakkamabahu mentionné plus haut.
Cette conception, agrégée à des mythologies et des théories
indiennes anciennes, identifiait le roi idéal à un dharmaraja : un roi
régnant conformément à la Loi bouddhique ; à un cakravartin : un
monarque universel assurant la bonne marche de la roue du dharma.
Désigné grâce à des mérites acquis dans ses existences passées, ce roi
devait à titre personnel respecter dix vertus royales, détaillées dans
l'encadré ci-dessous.

141.1.u41
vi
Q) Les dix vertus royales :
0
'-
>- • la générosité ; • le contrôle de soi ;
w
\D
M
• la moralité; • la patience;
0
N • le détachement; • la non-violence ;
@
.._, • l'intégrité ; • le respect des opinions d'autrui ;
..c
O'l
·c • la mansuétude; • la fermeté.
>-
a.
0
u (/)
<li

2» Il lui revenait aussi - et de façon quasi « monopolistique » - le


w
<li
o_ devoir de capter et de préserver des reliques ou des objets talis-
::J
2
l')
m aniques de grande valeur. À l'exemple du Buddha d'Émeraude,
@

Chapit re 9. La réforme de Mongkut. roi du Siam (185 1- 1868) 1163


conservé aujourd'hui dans la chapelle royale du Grand palais de
Bangkok, ces objets constituaient des palladiums, des emblèmes
tutélaires, chargés d'un pouvoir mystique et magique éminem-
ment protecteur.
Enfin, et surtout, le roi dharmique était le garant de la probité
monastique, de la conformité des récitations rituelles et des ordi-
nations grâce au respect d'un Tripitaka « originel et authentique ».
Cela était considéré comme primordial pour l'équilibre social du
royaume tout entier. Nous avons vu combien la qualité du bénéfi-
ciaire d'un don était essentielle pour la rétribution qu'un donateur
pouvait en espérer. Sans pureté de la religion, les dons prodigués à
des moines « corrompus » auraient été définitivement privés d'ef-
ficacité. Sans communauté monastique vertueuse et correctement
ordonnée : pas de mérite engrangé, pas d'horizon de délivrance,
pas de peuple en paix. On comprend alors tout l'enjeu du contrôle
par le roi du salflgha et toute l'importance de l'identification et de
la préservation d'écritures canoniques garantissant - avec les palla-
diums - le rayonnement du monarque et l'irradiation des bénéfices
liés aux offrandes faites aux moines.
Le symbole bouddhique de la roue (cakra), si puissamment matéria-
lisé dans l'art de la Thaïlande dès la période de Dvaravatï, trouvait
avec cette conception du pouvoir royal une vibrante actualisation.
Emblème de la dynastie des Chatri, la roue fut tout à la fois le mani-
feste du rayonnement de la Loi bouddhique, l'un des joyaux tradi-
Vl
Q)
tionnels du monarque idéal et le symbole du rayonnement à partir
0
'-
>-
w
du centre que devait assurer le roi, le palais et la ville royale.
\D
M
0
N
@
.._,
..c
O'l
·c
Une congrégation au service de la
>-
a.
0
u structuration d'un royaume moderne V)
QJ

Mongkut prit le relais des préoccupations de ses prédécesseurs


e
>,
w
QJ
en créant, nous l'avons dit, la congrégation du Dhammayutika et Q_
::J
e
en l'imposant comme le nikaya officiel. Outre les objectifs liés à (.')
@

164 1 Le bouddhisme
la validité de l'ordination et de l'énoncé du Tripitaka, Mongkut -
puis Chulalongkorn (Rama V) - firent de cette congrégation un
instrument servant plusieurs autres ambitions :
• juguler les luttes d'influence sociopolitiques entre les commu-
nautés religieuses tournant parfois à la lutte armée ;
• tempérer des désordres moraux plus ou moins avérés dans les
monastères ;
• défaire le bouddhisme theravadin de certaines pratiques jugées
inappropriées par leur dimension magique ou par trop irration-
nelles ou « folklorique » ;
• valoriser un bouddhisme à visée universelle face aux autres reli-
gions occidentales;
• encourager par la doxa religieuse officielle l'intégration à la
culture thaïe des régions culturellement éloignées de Bangkok;
• favoriser l'unité du royaume par l'efficience d'un pouvoir centra-
lisé en contrôlant le sarrigha et en lui assignant des missions
spécifiques.

Une volonté d'uniformiser les pratiques


Au début du xxe siècle, sous le règne de Chulalongkorn, le
Dhammayutika renforça encore son statut de nikaya officiel. Il fut
dirigé par Vajiranyana52 (un fils de Mongkut) qui acquit ainsi taci-
vi tement le statut de patriarche du sarrigha du Siam. Ses positions
Q)

0 furent énoncées en matière d 'usages monastiques, de calendrier


'-
>-
w liturgique mais aussi d'enseignement du dharma. Des manuels de
\D
M
0 doctrine et de discipline furent rédigés à l'intention des novices
N
@ et des moines. Ces pratiques furent diffusées avec un désir d'uni-
.._,
..c
O'l
formisation très appuyé non seulement en matière religieuse mais
·c
>-
a. aussi linguistique - le thaï devenant la langue référente.
0
u (/)
<li


w
<li
o_
::J
2 52. On trouve aussi pour désigner le nom de ce prince et patriarche la transcription
l')
@ W achirayan , ou encore Vajirananavarorasa.

Chapit re 9. La réforme de Mongkut. roi du Siam (1851 - 1868) 1165


Les résistances
Cette volonté de fixer et d'unifier les usages, mais également les
enseignements, suscita des controverses et des oppositions réelles
notamment de la part du Mahanikaya, le « Grand nikaya ». Cette
congrégation qui réunissait la très grande majorité des moines du
Siam était peu favorable aux perspectives de :
• renoncer à des pratiques et des usages jugés irrationnels,
archaïques ou non conformes au Theravada par le nikaya des
Dhammayutika;
• se priver d'une liberté d'enseignement du dharma qui jusqu'alors
n'avait jamais été mise en cause dans la mesure où le respect des
règles monastiques était avéré ;
• mettre en cause le lien social et coutumier qui l'unissait aux
laïcs via certains rituels.
Les efforts de Mongkut et de Chulalongkorn pour réformer et
unifier le bouddhisme pratiqué dans le royaume du Siam eurent
une portée assez limitée si l'on s'en tient aux pratiques et aux
croyances religieuses des moines et des fidèles laïcs dans leur
ensemble.

La portée d'une réforme


Le Dhammayutikanikaya dirigé et animé par des membres ou
Vl
Q) des proches de la famille royale demeura très minoritaire malgré
0
'-
>- la protection royale, les titres et les honoraires dont ses moines
w
\D
M
bénéficiaient. Son insistance à vouloir écarter certaines pratiques
0
N initiatiques, certains types d'exercices psychophysiques ou autres
@
.._, rituels de protection très populaires, laissa, certes, bien des aspects
..c
O'l
·c traditionnels du bouddhisme du Siam dans un relatif « dédain »
>-
a.
0 de l'élite religieuse de Bangkok. Un clivage s'accentua entre les
u V)

usages d'un bouddhisme réformé, officiel et citadin et un bou- QJ

e
ddhisme« traditionnel», aux accents parfois contestataires. Même >,
w
QJ
négligées ou affaiblies, les pratiques de ce dernier demeurèrent Q_
::J
e
(.')
@

166 1 Le bouddhisme
périphériquement vivantes, pour certaines mêmes intégrées au
sein même du nikaya du Dhammayutika.

Des rituels de cour traditionnels

On peut noter par ailleurs que les visées unificatrices et rationalistes affichées
par le roi et le Dhammayutika ne furent pas de la même exigence en tous
domaines. Ceci notamment concernant les rituels de cour. Il demeura par
exemple d'usage de faire appel à des brahmanes pour certaines pratiques
oraculaires, pour les calculs astrologiques destinés à déterminer les jours fastes
ou pour des récitations propitiatoires lors des cérémonies d'intronisation. La
présence de ces brahmanes demeura également requise lors des grandes fêtes
calendaires. Agrégeant des références religieuses disparates, leurs cérémoniels
fastueux participèrent de la légitimation d'une royauté ouvertement liée au
Theravâda. Ces diverses fêtes véhiculant des conceptions et des représentations
si profondément inscrites dans l'histoire du Siam, leur bien-fondé ne fut pas
discuté mais au contraire valorisé jusqu'à nos jours avec un faste ostentatoire
joyeusement accueilli par la très grande majorité de la population.

Si la réforme religieuse de Mongkut et de son successeur eut donc


des résultats mesurés sur bien des pratiques et des croyances très
profondément inscrites dans l'histoire du bouddhisme en Asie du
Sud-Est, sa portée fut plus déterminante dans deux domaines :
• celui du renforcement de la hiérarchisation étatique du sarrigha ;
• et celui de la structuration progressive de l'éducation nationale.
vi Chulalongkorn renforça des dispositions prises dès le xve siècle
Q)

0
'-
par les rois thaïs pour s'assurer la fidélité d'une clientèle religieuse
>-
w gratifiée par des titres honorifiques, des dons et des privilèges.
\D
M
0
N
@
.._,
..c
O'l
La réforme éducative
·c
>-
a.
0 Décidée dès 1875, il revint à Vajiranyana, frère de Chulalongkorn
u (/)
<li et supérieur du Dhammayutika de mettre en œuvre une réforme

w éducative. Les monastères furent chargés de participer à la struc-
<li
o_
::J turation sociale et scolaire de l'État et il fut décidé de mettre à
2
l')
@
contribution le réseau monastique implanté sur tout le terri-

Chapit re 9. La réforme de Mongkut. roi du Siam (1851 - 1868) 1167


toire pour développer l'instruction de la population. Les pago-
des urbaines ou rurales furent désormais chargées d'accueillir les
enfants suivant des normes pédagogiques plus rigoureuses que
celles suivies jusqu'alors. Dans le cadre d'une instruction élémen-
taire ouverte à tous, il fut demandé aux moines de dispenser, en
thaï, des cours dans les disciplines profanes de la lecture, del' écri-
ture et de l'arithmétique (les disciplines religieuses faisant l'objet
de cursus distincts).

Tenter d'atténuer les particularismes régionaux

Imposant, via les manuels pédagogiques une langue, un alphabet et des savoirs
élémentaires communs, la réforme scolaire assumée dans un premier temps
par le SGTTJgha visait clairement à étendre l'influence culturelle de Bangkok, à
intégrer les régions plus ou moins dissidentes et à atténuer les particularismes
régionaux.

Un lien étroit entre pouvoir politique et religion


Même de façon moins ouverte et résolue, cette utilisation du
sarrzgha au service d'un projet politique fut réitérée à plusieurs
reprises au cours du xxe siècle. Elle suscita tantôt des réticences
plus ou moins appuyées, tantôt des allégeances consenties afin de
. ' .
mieux s opposer au communisme ou au consumensme.
, .

Vl
Q)
Aujourd'hui, dans un royaume où le bouddhisme demeure une
0
'-
>-
w référence identitaire et morale revendiquée par quelque 93 % de
\D
M la population, les questions de probité du sarrzgha sont toujours
0
N
@
observées avec beaucoup d'intérêt. Si le roi ne dispose plus de
.._, pouvoirs exécutifs, son autorité symbolique demeure très forte et
..c
O'l
·c éminemment respectée. Les débats sur le pouvoir du sarrzgha et
>-
a.
0
u sur l'inscription du bouddhisme dans les institutions demeurent V)
QJ
d'actualité et soulignent la permanence de liens de dépendance e
>,
entre politique et religion. w
QJ
Q_
::J
e
(.')
@

168 1 Le bouddhisme
CHAPITRE 10

,TOURMENTS
ET
EGAREMENTS : LE
BOUDDHISME SOUS
L'ÈRE MEIJI (1868-1912)

Au programme

• Le rejet brutal d'une religion« étrangère» installée au Japon


depuis le vie siècle
• Séparer les kami des buddha
• L'adaptation des élites bouddhistes
• Un bouddhisme pour l'Occident?

D'une façon remarquablement continue, le bouddhisme exerça


du début du VIIe siècle au début de la période Meiji (1868) une
Vl
Q)
influence profonde sur la vie du Japon. Il marqua la culture et la
0
'- sensibilité de son peuple de façon manifeste ou discrète à tous les
>-
w
\D
niveaux de la société, en commençant par les élites, pour se diffu-
M
0
N
ser lentement vers les populations villageoises.
@
.._,
..c
O'l
·c
>-
a.
0
u (/)
<li


w
<li
o_
::J
2
l')
@
Le rejet brutal d'une religion
« étrangère » installée au Japon depuis
le vie siècle
Une statue de Buddha en bronze doré, des dais et des bannières,
quelques sütra et traités doctrinaux. Tels furent les tous premiers
éléments du bouddhisme introduits de façon officielle au Japon
vers 550 par l'intermédiaire d'une ambassade coréenne dépê-
chée auprès de l'empereur Kinmei. Le dharma, reçu comme une
des expressions de la culture chinoise, fut associé au prestige de
cette dernière. Après quelques interrogations ou réticences, il fut
d'abord accueilli comme une doctrine apte à pourvoir de multiples
bienfaits et, plus tard, compris comme un appui utile à l'affirma-
tion du pouvoir du souverain et à la protection de l'État.

L'héritage culturel continental


On retient du bouddhisme japonais qu'il constitua, jusqu'en 1868,
un phénomène religieux dont l'érudition demeura longtemps non
seulement attachée aux sources chinoises, mais dépendante de la
maîtrise du chinois classique puisque l'essentiel de ses textes ne fut
pas traduit en japonais avant le xxesiècle. Dans leur ensemble, ses
nombreuses écoles - parfois rivales malgré leurs emprunts respec-
Vl
Q)
tifs - demeurèrent largement attachées aux enseignements doctri-
0
'-
naux continentaux. À l'exemple de l'école de Nichiren, certaines
>-
w
\D
d'entre elles s'en émancipèrent toutefois pour constituer des voies
M
0
N
d'expressions bouddhiques pleinement japonaises.
@
.._,
..c
O'l
·c
>-
a.
Une relation étroite avec le shintô
0
u V)

Qyels qu'aient été leurs fondements doctrinaux, les pratiques et les QJ

e
croyances des différentes écoles s'amalgamèrent très tôt au shintô, >,
w
QJ
la religion autochtone de l'archipel. C'est dans une relation de Q_
::J
e
complémentarité avec cette dernière que le bouddhisme constitua, (.')
@

170 1 Le bouddhisme
jusqu'à l'ère Meiji, un socle idéologique utilisé par les puissants
(empereurs ou shoguns) pour assoir leur autorité. Les institu-
tions monastiques entretinrent ainsi des relations privilégiées avec
l'État (très soucieux de leur contrôle) en apportant notamment
leur soutien spirituel pour la protection du pays.

La rupture de Meiji
Mettant fin aux divisions opposant d'importantes familles
guerrières au shogunat de la dynastie des Tokugawa, le jeune
empereur Mutsuhito (Meiji) instaura en 1868 un nouveau régime
impérial et décida de faire de son pays un État moderne. Le temps
de son règne : l'ère Meiji - ère de la « politique éclairée » - marqua
une profonde rupture dans l'histoire du Japon et eut un impact
considérable sur sa vie religieuse - qu'il s'agisse de ses expressions
shinta ou bouddhiques. Si le shintô fut réinventé et instrumen-
talisé en faveur d'une nouvelle culture nationale mise au service
de la légitimation du pouvoir impérial, le bouddhisme désigné
alors comme religion étrangère fut mis à 1' écart et affecté par une
répression d'une ampleur sans précédent. Ses moines furent rendus
à la vie séculière et 40 000 de ses édifices furent abandonnés, très
sérieusement endommagés ou détruits. Si la violence de ce radi-
calisme ne dura pas, ses fondements idéologiques continuèrent
toutefois à affecter en profondeur la vie religieuse du Japon. Leur
Vl effets - parfois très sombres - initièrent des évolutions doctrinales
Q)

0
'-
du bouddhisme japonais et marquèrent aussi l'histoire naissante
>-
w du bouddhisme en Occident.
\D
M
0
N
@
.._,
..c
O'l
·c
>-
Séparer les kami des buddha
a.
0
u (/)
<li Afin de préserver l'indépendance du Japon face aux puissances

w occidentales, la rénovation de Meiji associa deux ambitions :
<li
o_
::J • la construction d'une identité nationale forte,
2
l')
@ • et l'ouverture résolue à la modernité.

Chapitre 10. Tourments et égarem ent s : le bouddhisme sous l'ère Meiji (1 868 - 19 12) 1171
C'est pour assumer la première de ces ambitions que l'empereur
décida de dessiner les contours d'une nouvelle religion capable de
fédérer le peuple autour de sa personne et de lui conférer une auto-
rité de nature divine lui accordant le statut de « dieu manifesté
sous forme humaine ». Lui et ses conseillers décidèrent pour cela
que le Japon ferait retour à un shintô originel, débarrassé de ses
« scories » bouddhiques.

Le shintô

Le shintô, dont les plus anciennes expressions sont antérieures à l' introduction
du bouddhisme au Japon, procède de la célébration de rites agraires et de la
vénération d'innombrables kami. Ces puissances divines (dont la mythologie
rapporte la geste des plus importantes d'entre elles), sont associées pour la
plupart aux éléments atmosphériques et aux éléments du paysage que sont les
collines, les rochers, les cascades mais aussi les arbres. Elles peuvent aussi être
liées à l'esprit d'ancêtres prestigieux.
Les kami assument volontiers un rôle protecteur et sont à cet effet propiciés
lors de rituels d'invocation ou de purification. Le respect du tabou de l'impureté
(liée à la mort et aux matières organiques notamment) étant particulièrement
présent dans le shintô, il convient de se prémunir de toute souillure ou de s'en
libérer. On se purifie et on purifie rituellement les lieux de séjour des kami afin
d'éloigner tout risque de contamination préjudiciable au contact maintenu avec
ces derniers.

Le volontarisme de cette entreprise allait faire fi de deux difficul-


Vl
Q) tés essentielles. La première, celle de retrouver les contours de ce
0
'-
>- shintô originel. La seconde, celle de départir durablement de la vie
w
\D
M
religieuse du Japon de ce qui relevait de la voie des kami de celle
0
N des buddha.
@
.._,
..c
O'l
·c ,
>-
a.
0
Le Kojiki et les Etudes nationales
u V)
QJ
C'est avec pour appui les travaux philologiques conduits dans la e
>,
deuxième moitié du XVIIIe siècle dans le cadre des Études natio- w
QJ
Q_

nales que ce shintô originel fut « identifié » dans des textes rédigés ::J
e
(.')
au début du VIIIe siècle. L'un d'entre eux, le Kojiki, Les chroniques @

172 1 Le bouddhisme
des choses anciennes, retraçait les mythes fondateurs du Japon
et mettait en évidence les liens entre les généalogies divines et
dynastiques. Il acquit à ce titre une importance particulière. Si sa
première édition imprimée en 1644 suscita un vaste mouvement
d'étude, c'est l'exégèse qu'en fit Motoori Norinaga entre 1764 et
1768 qui retint 1'attention des théoriciens de l'idéologie de 1' ère
Meiji.
Sa lecture notamment leur permit :
• d'accorder au Kojiki le statut d'un véritable « livre sacré de la
fondation du pays » ;
• de prôner la quête de l'authenticité d'une culture ancestrale par
la restauration du shintô ;
• de donner une nouvelle assise aux thèses théocratiques soute-
nant la continuité entre la déesse solaire Amaterasu et !'Empe-
reur lui-même;
• de justifier l'anathème porté sur le bouddhisme comme religion
subversive et étrangère ;
• d'exalter la sacralité du sol japonais pour appuyer un nationa-
lisme virulent.
La fondation d'un shintô d'État fut donc décidée. Elle procéda :
• d'une hiérarchisation des sanctuaires avec à leur tête le grand
sanctuaire d'Ise (dédié à la déesse solaire Amaterasu) ;
• d'une campagne de « propagation du grand enseignement »
Vl
Q) destiné à l'édification de la population ;
0
'-
>- • de la séparation des kami et des buddha, c'est-à-dire de la dissolu-
w
\D
M
tion autoritaire du syncrétisme shintô-bouddhique qui animait
0
N la vie religieuse du pays depuis de nombreux siècles.
@
.._,
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O'l
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>-
a.
0
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w
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@

Chapitre 10. Tourments et égarements : le bouddhisme sous l'ère Meiji ( 1868- 19 12) 1173
Familles doctrinales

Après la perte d'influence de six premières écoles fondées à l'époque de Nara


(710-784), les principales familles doctrinales du bouddhisme japonais furent
les suivantes :
• Le Tendai dont le centre principal se trouve sur le mont Hiei est la forme
japonaise du Tientai chinois. Il fut fondé par Saichë au début du 1xe siècle.
• Le Shingon, fondé par Kükai au tout début du IXe siècle après que ce dernier
eut reçu en Chine les transmissions ésotériques de l'École des mantra, relève
des enseignements du bouddhisme tantrique.
• Le Jôdo et le Jôdo-shin sont deux écoles se revendiquant - avec des nuances
spécifiques - des enseignements fondateurs du moine Honen. Elles placent
au cœur de leurs pratiques la foi en le buddha Amida (sk. Amitabha) et la
récitation de son nom comme exercice essentiel conduisant en sa terre pure.
• L'école de Nichiren porte le nom de son fondateur et fut créée au XIIIe siècle.
Elle prône pour unique voie de salut la vénération du Sütra du Lotus et la
récitation de sa formule d'invocation.
• Le Zen (ch. Chan) fut introduit au Japon à la fin du XIIe siècle. Les trois branches
principales qui s'y épanouirent furent les branches Rinzai, Sëtë en un premier
temps et ensuite ôbaku. De la fin du xv1 e siècle à la première moitié du
XIXe siècle la première d'entre elles, déjà proche du pouvoir au XIIe siècle, fut
particulièrement influente auprès des shogun de la période d'Edo.

À la veille de Meiji, ce syncrétisme initié dès le vne siècle avait en


effet vu ses bases théoriques s'élaborer depuis le XIe siècle. Les kami
étaient depuis lors considérés comme des manifestations locales
ou des « traces » des buddha ou des bodhisattva. Ils étaient honorés
Vl
Q)
et propiciés dans des chapelles des temples bouddhiques par des
0
'-
>-
w offrandes et des récitations de sutra. La déesse solaire Amaterasu,
\D
M à titre d'exemple, était reconnue par l'école ésotérique du Shingon
0
N
comme une manifestation de Dainichi-nyorai (Mahavairocana), le
@
.._, buddha dont la lumière rayonne dans toutes les directions. Oyant
..c
O'l
·c aux sanctuaires shintô, l'habitude fut prise de faire construire dans
>-
a.
0
u leurs enceintes des chapelles dédiées aux grandes figures vénérées
V)
QJ
du bouddhisme. e
>,
w
Le décret de mars 1868, ordonnant cette séparation des kami et QJ
Q_
::J
des buddha, suscita un mouvement de destruction des bâtiments, e
(.')
@

17 4 1 Le bouddhisme
des statues et des objets de culte bouddhiques. Il se poursuivit
pendant presque cinq ans. Sa vigueur fut à la mesure du volon-
tarisme des autorités mais aussi des critiques et des ressentiments
nourris depuis le début du xvne siècle à l'encontre des institutions
bouddhiques.
Si les cercles intellectuels des Études nationales et les néo-confu-
céens voyaient en ces institutions les manifestations d'une reli-
gion préjudiciable aux intérêts de l'État, la population villageoise
leur reprochait les prérogatives qu'elles s'étaient octroyées dans le
domaine de l'accompagnement des défunts. Il revenait en effet aux
moines bouddhistes de s'occuper des funérailles et des cérémonies
dédiées aux ancêtres. Ces fonctions, assorties d'honoraires rituels,
furent vécues de façon d'autant plus abusive que l'État imposa à
chaque individu de se faire inscrire sur les registres d'un monastère
d'attache. Cette mesure, qui visait en fait à prévenir toute conver-
sion au christianisme, ne cessa de nourrir un ressentiment très vif
à 1' égard d'une population monastique dont les convictions étaient
régulièrement mises en doute.
Malgré la profondeur de ce ressentiment, malgré la vigueur
de leurs injonctions haibutsu kishaku « rejeter les buddha abolir
Sakyamuni », les autorités de Meiji se rendirent assez vite à l' évi-
dence. L'intrication du bouddhisme et du shintô n'était pas si facile
à défaire et la dissolution autoritaire de ce syncrétisme les mettait
elles-mêmes dans des impasses ou des difficultés certaines. Des
Vl
Q) «assouplissements » furent apportés en 1873 au décret de 1868.
0
'-
>-
w
\D
M
0
N
@ L'adaptation des élites bouddhistes
.._,
..c
O'l
·c
>-
Bien qu' ébranlées par les violences perpétrées à l'encontre de leurs
a.
0
u monastères et de leurs temples ainsi que par la rupture du lien
(/)
<li
qui les unissaient au pouvoir depuis de nombreux siècles, les élites

w
<li
bouddhiques décidèrent très majoritairement de s'adapter. Elles
o_
::J
2
prirent le parti de montrer leur loyauté envers !'Empereur et de
l')
@

Chapitre 10. Tourments et égarements : le bouddhisme sous l'ère Meiji (1868 - 19 12) 1175
conduire des réformes témoignant de leur engagement en faveur
de la modernisation et de« l'ouverture à la civilisation».

Un soutien sans faille à l'empereur


Leur contribution la plus sombre apportée à l'idéologie de Meiji
fut leur engagement ultranationaliste et leur soutien à l'impéria-
lisme militaire engagé par le Japon. Les guerres sino-japonaise
(1894-1895) puis russo-japonaise (1904-1905) furent ainsi soute-
nues comme des « causes justes »engagées dans le but de triom-
pher des maux menaçant la « civilisation ».

Très rares - et d'autant plus exposés à la répression du pouvoir - furent


les religieux qui opposèrent une contestation au militarisme généralisé du
sarngha japonais. Lorsqu'ils furent arrêtés - et pour certains exécutés par les
autorités pour crime de lèse-majesté -, leurs écoles d'attache présentèrent
des excuses publiques à !'Empereur pour le manque de vigilance ayant permis
la dissidence de certains des leurs.

La collaboration des élites bouddhistes aux ambitions militaristes


du Japon se poursuivit durant la Seconde Guerre mondiale. Elle
donna lieu, près de quarante ans après la signature de l'armistice, à
des déclarations publiques reconnaissant les torts passés.
Vl
Q)

0
'-
>-
w
\D
M
Un nouvel intérêt pour l'étude historique
0
N des textes
@
.._,
..c
O'l
·c
Le souhait de souscrire aux ambitions de l'ère Meiji eut d'autres
>-
a. incidences. Moins violentes, elles furent déterminantes pour
0
u
l'avenir de l'érudition bouddhique. En « cherchant dans le monde V)
QJ

entier les diverses connaissances et s'en servir pour promouvoir e


>,
w
la politique impériale » , les élites bouddhistes décidèrent de se QJ
Q_
::J

former aux sciences humaines, notamment à la philologie et la e


(.')
@

176 1 Le bouddhisme
lecture critique des textes sacrés telles qu'elles se développaient
en Europe dans les milieux universitaires depuis plus d'un demi-
siècle. Plusieurs moines japonais vinrent ainsi se former dès 1878
en Grande-Bretagne auprès de Max Müller, éminent orientaliste
et éditeur à Oxford des volumes de la collection The Sacred Books
of the East. Étudiant le sanskrit et le pali, ils découvrirent aussi
bientôt les travaux de la Pali Text Society fondée en 1881 par
T. W. Rhys Davids et avec eux les sources du bouddhisme thera-
vadin cinghalais. Un nouveau choc ébranla le sarrigha japonais :
les sütra du Mahayana étaient-ils bien porteurs des enseigne-
ments originels et authentiques du Buddha historique ? Comment
désormais positionner les écoles bouddhiques japonaises, natio-
nalement comprises comme les expressions les plus accomplies
du Mahayana, dans le concert d'enseignements bouddhiques
totalement ignorés jusqu'alors ? Les débats furent intenses. Deux
personnalités aux approches distinctes y contribuèrent largement:
Murakami Sensho (1851-1929) et Inoué Enryo (1858-1919). Ils
revendiquèrent tous deux la volonté de forger l'étude historique et
critique du bouddhisme au Japon et celle de le moderniser. Cela,
à la lumière des nouvelles sciences religieuses mais aussi des caté-
gories de la philosophie.

Une nouvelle façon de présenter le bouddhisme


Vl Une des manifestations de cette modernisation procéda chez
Q)

0
'-
certains réformistes de la volonté de défaire le bouddhisme de ce
>-
w qui apparut alors à leurs yeux comme relevant de la « supersti-
\D
M
0 tion ». Inoué Enryo fut un des premiers hérauts de cette démarche.
N
@ Intégrant des catégories de pensée alors très présentes en Occident,
.._,
..c il s'efforça de désigner ce qui pour lui relevait de la« superstition»
O'l
·c
>-
a. bouddhique et de la« religion» bouddhique. Il dénonça alors les
0
u (/) rituels de protection contre les dangers, les esprits néfastes ou les
<li

2» malédictions, il renonça aux principaux fondements de la cosmo-


w
<li
o_ logie du Mahayana, il conféra une existence métaphorique aux
::J
2 entités vénérées et s'efforça à travers ses publications de présenter
l')
@
le bouddhisme comme un système philosophique.

Ch apitre 10 . Tourments et éga rements : le bouddhisme sous l'ère Meiji ( 1868- 19 12) 1177
Ce genre de positionnement intellectuel eut de nombreux avatars
dans les cercles universitaires ou dans les associations bouddhiques
du Japon. Il trouva en Occident une écoute tout particulièrement
attentive.

Un bouddhisme pour l'Occident?


Le Parlement des religions
En Europe et en Amérique du Nord, la découverte des textes
bouddhiques n'intéressait pas seulement les philologues et les
historiens mais également les philosophes et de nombreux groupes
extra universitaires. Animés par diverses orientations littéraires,
psychanalytiques ou mystiques, ces deniers virent dans les reli-
gions d'Asie un ensemble de sagesses capables d'apporter à l'Oc-
cident des réponses nouvelles aux questions spirituelles et sociales
des temps modernes. Le Parlement des religions réuni à Chicago
en 1893 répondit à plusieurs de leurs motivations lors d'un congrès
auquel des religieux de toutes confessions furent invités à exposer
leur doctrine et à dialoguer avec différents philologues et spécia-
listes des religions comparées. Les échos et les prolongements
de ce congrès furent importants. Ils contribuèrent notamment
à forger dans l'opinion publique occidentale une perception du
Vl
bouddhisme (zen et theravadin notamment) d'autant mieux rece-
Q)

0
'-
vable qu'elle entrait en affinité avec certaines attentes idéologiques
>-
w de cette époque.
\D
M
0
N La délégation japonaise invitée à ce congrès était composée de
@
.._, quatre religieux et deux laïcs représentants de différentes écoles. Il
..c
O'l
·c revint à Shaku Shoen de 1' école zen rinzai d'être plus particulière-
>-
a.
0
ment remarqué à l'occasion de son exposé sur la Loi de coproduc-
u
tion conditionnée. Shaku Shoen avait compté parmi les premiers V)
QJ

moines envoyés en Grande-Bretagne pour se former aux sciences e


>,
w
QJ
religieuses européennes. Loyaliste et réformiste convaincu, il Q_
::J
e
entretenait des liens étroits avec le moine cinghalais D harmapala (.')
@

178 1 Le bouddhisme
(lui aussi invité à Chicago) et partageait sa quête d'un « bou-
ddhisme authentique ». C 'est à la suite du congrès du Parlement
des religions de Chicago qu'il fut chargé par Paul Carus, rédacteur
en chef de la revue Open Court Publishing, d'envoyer un interlocu-
teur anglophone proche de son école en Amérique. Ce qu'il fit en
dépêchant aux États-Unis son élève Suzuki Daitetzu Teitaro (1870-
1966) formé aux études bouddhiques de l'université de Tokyo.

L'influence de Suzuki
Les enseignements en anglais de Suzuki suscitèrent un grand
enthousiasme dans certains milieux aux États-Unis puis en
Europe. Ils contribuèrent à forger en Occident une perception
du bouddhisme zen tout à fait dépendante des orientations réfor-
mistes de son temps, de sa propre lecture du Mahayana et de la
présentation d'un Zen qu'il mit à la disposition des Occidentaux
assez peu aptes, selon lui, à en saisir vraiment l'essence.
Cette présentation rencontra en Occident les intérêts de toute
une mouvance d'associations et de sociétés qui privilégiaient
une lecture universaliste des textes sacrés et y cherchaient une
« essence » spirituelle commune à toutes les religions (volontiers
défaites au passage de leurs ancrages culturels ou institutionnels).
De fait, au début du xxe siècle, la conjonction :
• de la surexposition des positions réformistes des bouddhistes
Vl
Q)

0
eux-mêmes (japonais ou cinghalais);
'-
>-
w • des attentes de certains milieux occidentaux éloignés des
\D
M
0 méthodes d'analyse critique et historique des textes ;
N
@
.._,
• de la prééminence au sein des universités des études philo-
..c
O'l logiques face aux sciences sociales tout juste émergentes ;
·c
>-
a.
0 privilégia longtemps la « fiction » d 'un bouddhisme-philosophie
u
anhistorique, ignorant les expressions dévotionnelles portées par la
(/)
<li


w foi de millions de fidèles en Asie. Véhiculée par l'enthousiasme de
<li
o_
::J ses promoteurs, elle eut un succès dont les échos furent largement
2
l')
@
portés par la contre-culture américaine des années 1950. Ils se

Chapitre 10. Tourments et égarements : le bouddhisme sous l'ère Meiji ( 1868- 19 12) 1179
font encore entendre aujourd'hui dans bien des milieux média-
tiques ou spiritualistes.

vi
Q)

0
'-
>-
w
\D
M
0
N
@
.._,
..c
O'l
·c
>-
a.
0
u V)
QJ

e
>,
w
QJ
Q_
::J
e
(.')
@

180 1 Le bouddhisme
INDEX

A Candrakîrti 82, 151


Cirta matra 80
abhidharma 73
cittamatrin 81
abhi?eka 86
ahirnsa 57
D
alayavijfîana 81
Amitabha 116, 135, 174 Dalaï-lama 112, 122, 125, 143, 145,
Amitayus 116 146, 149-155
afîjali 118 dana 100
Anuradhapura 159 dasa 14, 18
arhat 74, 89, 91-97, 99 Dasabhümikasütra 81, 98, 101
Âryadeva 82 Dhammayutikanikaya 166
Asanga 80, 81, 82, 85 dharar:iî 115
Asoka 26, 50, 59 , 118, 159 dharma 16, 36,41,42,49, 56-58, 65,
asrava 92 76, 91, 97, 106, 108, 111, 115, 116,
Asvagho.sa 30 122, 125, 147, 153- 155, 158, 159, 163,
Atïsa 147, 151 165, 166, 170
Avalokitesvara 77, 122, 152-154 dharmadhara 58
Dharmaguptaka 72-74
B Dharmakîrti 82
Dharmapala 82, 178
bahusruta 58
dharmaraja 163
Bharhut 27, 28, 60,61, 118
dhyana 95, 96, 100, 136
bhavana 106, 108
Dîghanikaya 94
bhik$U 56-59, 61 - 65, 71, 73, 92
dubkha 43-47
bhik$Unî 56, 61
Dvaravatï 162, 164
Vl Bihar 31, 83, 141
Q)
dve?a 47
0 Bodhgaya 36
'-
>-
w bodhisattva 28, 34, 75-78, 82, 84, 85,
\D
G
M 87, 89,91,97 - 103, 105, 108, 109, 111,
0
N 115, 117-122, 130, 154, 174 ganasarngha 18
@ Bodhisattvacaryavatara 98, 99, 113
.._,
..c
O'l Brahma 32, 33, 36
J
·c
>- Buddhacarita 30 Jataka 28, 29, 30
a.
0
u Buddhagho.sa 159, 160 Jôdo 174
(/)
<li Jôdo-shinshü 117

w
c Jôdo-shü 117
<li
o_ caitya 59
::J
2 cakravartin 32, 37, 163 K
l')
@ kami 169, 171-174
Kani?ka 30 Mara 48
Kapilavastu 34 Maya 34, 35
karur:ia 101 moha 46
Kasyapa 33 mok?a 17
Kasyapîya 74 mudita 101
kôan 114 Mülasarvastivadin 72
Kôbô 121
Kongôbu-ji 121 N
Kôya 121 Naga~una 79, 80, 82,85
k?anti 100 Nalanda 82, 83
k?atriya 16 Nidanakatha 28
K?itigarbha 77 nikaya 44, 71-75, 78, 158, 164-167
Kükai 121, 174 nirvana 47, 77, 92, 96, 99, 102, 110
Kumarajîva 133
Kusinagara 36 0
ôbaku 174
L
Odantapurî 83
lak?ar:ia 32
Lalitavistara 30 p
Larikavatarasütra 81, 136
pali 25, 29,41, 52, 73, 115, 159, 177
Lumbinî 34
Parakkamabahu 160, 163
paramita 77, 100, 108
M
parinirvar:ia 36
Madhyamaka 79, 151 Pataliputra 50
Mahakala 154 prajfia 77, 86, 96, 98-100, 109
Mahanikaya 166 Prajfiaparamitasütra 76, 79, 98
Mahapadanasütra 33, 57 pratimok?a 114
Mahasarnghika 72 pratïtyasamutpada 42
mahasiddha 90, 148 püja 105
Mahavairocana 174
Vl Mahavastu 30 R
Q)

0 Mahavihara 159, 160, 162


'- raga 46
>-
w Mahavîra 37
Rahula 35
\D Mahayana 75-78, 80, 83, 84, 90, 91,
M
Rajagrha 50, 76
0
N
97,98, 111, 115, 118, 131, 136, 162,
Rama 157, 165
@ 177, 179
.._, r?i 38
..c mahayanique 75
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·c rüpa 45
>- MahîSasaka 72, 74, 80
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0
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maitrî 101
Majjhimanikaya 43, 94, 96
s V)
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mar:i<;Jala 87, 110 sadhana 86 e


>,
Saichô 174 w
Mafijusrî 77, 120 QJ
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Mantrayana 84, 85, 116 Sakya 25, 26, 34, 148 ::J

Sakyamuni 26, 116, 175


e
(.')
Mara 36, 48, 94, 116 @

182 1 Le bouddhisme
Sakyapa 112, 147, 148 u
Samantabhadra 77
Upani?ad 17, 37, 38
sa ma parti 96 upasaka 61, 62, 63
saryigha 41, SS, S6, S9, 62-64, 78, llS, upasika 61, 62
12S, 129, 131, 139, 140, 1S8, 160, 162, upaya 98, 106
164, 16S, 167, 168, 176, 177 upek?a 101
Saryijf\a 4S Uruvilva 3S
sarrisara 17, 28, 29, 34, 36, 46, 47, 6S,
77, 92,99, 101, 109 V
Sarriskara 4S
Vaisalï so
Saf\ci 27,28,60,61,6S, 118
vaisya 16, 64
Santideva 82, 99
Vajiranyana 16S, 167
sarnath 36, 76
Vajracchedikasütra 136
Sarvastivadin 72-74
Vajrapaoi 77
shintô 170-17S
Vajrayana 84-87
Siddhartha 26, 36
Vasubandhu 82
sïla 100, 108
Veda lS, 16, 18, 37, 38
sivaïtes 39
Vedana 4S
skandha 44
vedika 60
Sôtô 136, 174
vihara S9-61
sraman 17, 32
Vijayabahu 160
sravaka 76
Vijf\ana 4S
Sravasti 19, 33, 34
Vijf\anavada 80
stûpa S9-62, 6S, 108, 110, 118
Vikramasïla 83
Suddhodana 34
vinaya Sl, 72, 1S9
südra 16
Vinaya SS, S8, S9, 61
Sukhavati 116, 117, 13S
vïrya 100
sünyata 77, 79, 98, 99, 101
sutra Sl, 71, 74, 76, 77, 79-81, 84, 8S,
Vi?oouites 39
89,92-94,98,101, 106-10~ llS, 11~ y
121, 133-136, 170,174, 177
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Q) yajf\a lS
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T Ya5odhara 3S
w Yogacara 80, 133, 136
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Tantrayana 84, 8S
M
0 Tathagatagarbha 81
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@ Theravada llS, 160, 162, 166, 167
.._, theravadin 31, S2, 72, 73, 7S, 1S8-160
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·c 162, 16S, 177, 178 '
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188 1 Le bouddhisme
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