Le Bouddhisme (PDFDrive)
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Religion
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EYROLLES PRATIQUE
Religio n
LE BOUDDHISME
Conçu par un spécialiste du sujet et un pédagogue reconnu, ce
livre propose une synthèse d'introduction aux fondamentaux du
bouddhisme. De l'émergence du bouddhisme en Inde à sa diffusion
contemporaine, vous découvrirez, citations à l'appui, l'histoire, les
concepts et les pratiques de cette religion asiatique, qui suscite
aujourd'hui un intérêt croissant en Occident.
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Cécile Becker
LE BOUDDHISME
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EYROLLES
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Groupe Eyrolles
61, bd Saint-Germain
75240 Paris Cedex 05
www.editions-eyrolles.com
Cet ouvrage a fait l'objet d'un reconditionnement à l'occasion de son deuxième tirage (nouvelle
couverture et nouvelle maquette intérieure).
Le texte reste inchangé par rapport au tirage précédent.
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·c En application de la loi du 11 mars 19 57, il est interdit de reproduire intégralement ou partiel-
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a.
0 lement le présent ouvrage, sur quelque support que ce soit, sans autorisation de l'éditeur ou du
u
Centre français d'exploitation du droit de copie, 20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris.
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6 1 Le bouddhisme
SOMMAIRE
multiples .. . 67
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Élaborer de nouvelles synthèses ............................... 78
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w Faire l'expérience de la Voie du milieu ............. ... .......... 79
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Nâgârjuna .... . .... . ........... . .... . .... . ..... 79
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Tous les phénomènes sont dépourvus d'existence propre . .. .79
.._, La voie du milieu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 80
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Vers l'expérience de la profonde nature du Buddha ............ 80
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Asanga ................. . . ..... ... . .... .. ... . ..... 80
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La profonde nature du Buddha ..... ... . .... .. ... . ...... 81 >,
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Grandes universités ............................................ 83 ::J
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Parcours initiatiques ..... . ..... . ............ . ..... . ...... . ..... 84 (.')
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8 1 Le bouddhisme
Les nouvelles perspectives des tiintrika . ................. .85
Chapitre 5 Figures exemplaires et parcours spirituels ........ 89
Un« panthéon »évolutif en constante expansion . . ...... . .... 90
L'arhat ........................................................ . 91
Par-delà le fiot des tourments ................................. 92
Une conduite exemplaire ...... .. ...... . ............ . .. 93
Hors de la vie mondaine .. . .................... ... .. . .93
Cultiver la vigilance . ......... .. ...... . ............ . . .94
Exercices psychiques ..... ... .. ... .. ... .. . .... . ...... .94
Le bodhisattva ................................................. 9 7
Les Prajiittparamitttsutra . ........... . .... . .... . .... .. .98
Engagements ...................................... .99
Cheminements et perfectionnements des dix terres . . . .... . . 101
Chapitre 6 Pratiques ...................................... 105
Pratiquer le don .............................................. 107
Différents types de dons ....... . .... . .... . .... . .... . .108
Un don libre d'intention et de finalité .................. .109
Offrandes ........................................ .109
Énoncer et réciter: un art bouddhique du langage? .. ..... . .. 113
Récitations . ...................................... . 114
Fidèles en chemin: pèlerinages bouddhiques ..... . .. ..... . .. 117
Nouvelles terres saintes en Chine ..................... . 119
Circuits au Japon . ............ .. ... ........... .... . . 120
Soumission des divinités locales au Tibet . .............. . 122
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0 Chapitre 7 La grande proscription chinoise de 845 .......... 127
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@ La portée d'un événement ................................... 129
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..c Une rupture dans un contexte culturel particulièrement
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a. ouvert et diversifié ........................................... 130
0
u (/) Appréhender la diversité des matériaux bouddhiques ..... . .. 132
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Sommaire 1 9
Les Terres pures . .... . .... . .... .. . .... . .. ... .. ... . . 135
Le Chan ........ .. ...... . . .. ................ .. . . .. 135
Proximités et distances ...................................... 137
Des débats réitérés. une proscription de plus ..... . .......... 138
Question de piété filiale . .... . .... .. . .... . .. ... .. ... . . 138
Comment contrôler les monastères ? ... . .... .. ...... . . . 138
Xénophobie . .. . . .... . .... . .... .. . .... . .. . . . .. . . . . . 139
Privilèges et libertés ................................. 139
Après la grande proscription . ........................ . 141
Chapitre 8 1642: un moine bouddhiste dirige désormais
le Tibet ................. ...... ........................... 143
L'avènement du veDalaï-lama à la tête du Tibet ............ 145
La maîtrise d'un échiquier polit ique complexe ................ 146
Plusieurs grandes lignées .. . .... .. ... .. ... .. ........ . 147
Constituer un État stable et puissant . .................. . 149
L'écriture d'une « mystique du pouvoir » ..................... 151
Une ouverture aux enseignements nyingmapa . .... . .... . . 151
Des visions mystiques . . .. . . . .. . . . .. . . . .. . . . .. . . . .. . . 152
Le Potala comme résidence gouvernementale .... . ..... . ... 153
Liturg ies en l'honneur des divinités protectrices ............. 154
Vl
Le bouddhisme en Thaïlande ........................ . 162
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0
Tradition cinghalaise et lég itimation du pouvoir royal ......... 163
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w Une congrégation au service de la structuration d'un royaume
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M moderne .................. .. ....................... .. ........ 164
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Une volonté d'uniformiser les pratiques ........... . ..... 165
...., Les résistances ................................... .166
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La portée d 'une réforme ... . ................... . .... .166
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0 La réforme éducative .. . . ... .. ... ... . .... ... . ... ... . . 167
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Chapitre 10 Tourments et égarements: le bouddhisme QJ
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sous l'ère Meiji (1868-1912) ............................... 169 e
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@
10 1 Le bouddhisme
Le rejet brutal d'une religion« étrangère» installée au Japon
depuis le v ie siècle ............................................ 170
L'héritage culturel continental .. . .... . .... . .... . .... . . 170
Une relation étroite avec le shinto .................... . 170
La rupture de Meiji . . .... . .... . .................... . 171
Séparer les kami des buddha . ................................ 171
Le Kojiki et les Études nationales .... . .... . .... . .... . . 172
L'adaptation des élites bouddhistes ......................... 17 5
Un soutien sans faille à l'empereur . ... . .... . .... . .... . . 176
Un nouvel intérêt pour l'étude historique des textes ...... . 176
Une nouvelle façon de présenter le bouddhisme ... . .... . . 177
Un bouddhisme pour l'Occident? ............................ 178
Le Parlement des religions . ..... . .... . .... . .... . .... . . 178
L'influence de Suzuki ................................ 179
Index ... .. .. .. .. ...................... . ............... ... 181
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Sommaire 1 11
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INTRODUCTION
JUSTE AVANT
LEBUDDHA
La culture védique
La culture védique qui s'est constituée en Inde est celle d'une aris-
tocratie dont les acteurs les plus puissants se désignent eux-mêmes
sous le terme sanskrit d'arya (les nobles). Ils se distinguent par des
usages rituels qui consistent à :
• lutter contre les forces de l'obscurité en honorant de nombreuses
puissances divines ;
• rendre un culte au feu par des offrandes abondantes et des
sacrifices ;
• faire usage d'une parole sacrée au moyen de récitations et de
prières ;
• acquérir des pouvoirs hors du commun grâce à la consomma-
tion d'une liqueur sacrificielle.
Ces usages les séparent des dasa, ou dasyu, ces « autres », ces
« gens du dehors » qui ne sacrifient pas et sont prêts à subtiliser les
richesses destinées aux rituels des arya.
Les positions des historiens concernant l'origine des arya ont long-
temps fait prévaloir l'hypothèse « invasionniste ». Supposés être
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originaires des régions de Russie méridionale, les arya auraient
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taller dans la région du Penjab. Ils auraient ensuite progressé vers
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la moyenne vallée du Gange à partir du début du I er millénaire.
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.._, Diffusant leurs référents religieux et leurs usages linguistiques,
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leur présence se serait imposée pour ne laisser qu'une place négli-
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geable aux langues et cultures préexistantes.
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14 1 Le bouddhisme
Cette hypothèse, diversement contestée, laisse à présent place à
des scénarios différents 1 qui :
• renoncent à la réalité d'une invasion à partir d'un foyer central;
• soutiennent les origines indiennes de la culture védique ;
• observent la diversité régionale des expressions de cette
dernière;
• font état d'éléments culturels autres que ceux dont témoignent
les sources védiques.
Ce qui nous est parvenu des conceptions religieuses des arya et des
éléments de leur culture matérielle se dégage des Veda. Les Veda
désignent un vaste corpus religieux, composé en sanskrit archaïque.
Ils constituent un apport déterminant pour la connaissance de la
genèse de l'hindouisme et éclairent aussi certains éléments relatifs
à l'émergence du jaïnisme et du bouddhisme. C'est en effet en se
positionnant dans un rapport inégal de proximité ou de distance
quant à la culture védique que se sont dessinées ces nouvelles propo-
sitions religieuses. Elles allaient en particulier discuter, contester ou
réorienter plusieurs des composantes de ses usages socioreligieux, en
particulier ceux liés au rituel.
Le rituel védique est avant tout un acte sacrificiel (yajfia) d'hom-
mage et d'offrande à des puissances sacrées. On leur destine
des nourritures végétales ou animales qui sont soit cuisinées ou
abandonnées au feu (ce sont les oblations), soit versées sur le sol
vi
(ce sont les libations). On attend de ce rituel des bienfaits et des
Q)
2» Ashvini Agrawal Contributed papers presented at International seminar "The Search for
w Vedic-Harappan Relationship" organized by Panj ab University, Chandigarh. Aryan
<li
o_ Books International, 2005.
::J
2 J.-Fr. Jarrige, « Du néolithique à la civilisation de l'Inde ancienne », in Arts asiatiques,
l')
@ Vol. L-1995, E FE O, 1995.
l'ordre védique. QJ
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2. P rononcé rita. @
16 1 Le bouddhisme
Contestations
Au vne siècle avant l'ère chrétienne, de nouveaux acteurs reli-
gieux, les sraman (les ascètes errants), s'imposent comme maîtres
spirituels à la tête de communautés de disciples plus ou moins
importantes. Ils mettent en cause la suprématie des brahmanes,
dévalorisent ou réorientent les perspectives du rituel et font
entendre de nouvelles aspirations religieuses.
Les Upanisad sont parmi les sources les plus anciennes qui en
portent témoignage. Bien que les données chronologiques soient
toujours difficiles à établir, elles seront suivies par les enseigne-
ments des premiers maîtres du jaïnisme, par ceux du Buddha et
ceux de groupes dont l'histoire a gardé peu de traces. Des quelque
soixante-deux groupes mentionnés par les sources bouddhiques
ou les 363 groupes mentionnés par les sources jaïnes, beaucoup
périclitèrent. Attachées à certains d'entre eux toutefois, appa-
raissent les figures de maîtres dont l'enseignement préparait
l'émergence des écoles de l'hindouisme classique.
Par-delà leurs différences, plusieurs convictions communes
réunirent ces mouvements. Parmi les plus importantes d'entre
elles figure celle du constat que les souffrances inhérentes à la
condition humaine ne sont jamais apaisées par le rituel et les
offrandes faites aux dieux. Il est aussi entendu que cette condition
humaine est aliénée à un cycle réitéré de vies et de renaissances (le
vi salJ1,sara) mais qu'une délivrance de ce cycle (la moksa) est toutefois
Q)
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>- possible. Enfin, se substituant à l'impératif de la rectitude rituelle,
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se dessine progressivement l'impératif d'une conduite morale et la
0
N valorisation de la vie renoncée. La figure du maître auprès duquel
@
.._, s'assied le disciple et celle du renonçant occupé par ses médita-
..c
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·c tions animent désormais la vie spirituelle et intellectuelle de l'Inde
>-
a.
0 avec plus d'intensité. La forêt et ses ermitages deviennent des lieux
u (/)
<li d'expériences religieuses et de prises de conscience nouvelles de
2»
w l'intériorité.
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Les données archéologiques multipliées depuis une quinzaine d'années ont mis
en évidence quelque 2 000 sites occupés par des communautés de tradition
mégalithique dans toute la péninsule indienne sur une période allant de la
fin du lie millénaire avant J.-C. au 111e siècle après J.-C. Ces communautés, aux
spécificités régionales marquées, utilisaient le fer et édifiaient des enclos
sacrés constitués de grandes pierres. Ils pouvaient entourer des sépultures plus
ou moins importantes, certaines contenant des urnes, d'autres des espaces
funéraires élaborés. Le commerce et les échanges sont attestés au sein de
ces communautés qui bénéficièrent, elles aussi, des progrès économiques,
techniques et agricoles du milieu du 1er millénaire avant J.-C.
Vl
Outre ces usages religieux et ces pratiques d'échanges, les histo-
Q)
18 1 Le bouddhisme
huèrent pour une large part à l'urbanisation de la moyenne vallée
du Gange tels qu'en témoignent les vestiges des villes de Vanarasï,
Rajagt;ha ou Sravastî. Ils entretinrent aussi des contacts plus ou
moins nourris avec les milieux védiques. De fait, les différents
systèmes socioculturels présents en Inde à la veille del' émergence
du bouddhisme dessinent un paysage qu'il convient de considérer
avec ses nuances, sans occulter les interactions qui purent soit vivi-
fier, soit affaiblir chacun de ses acteurs. Les frontières religieuses
ne furent jamais tracées de façon exclusive dans l'histoire ancienne
de l'Inde. Des jeux de chevauchements, d'emprunts, d'appropria-
tions les plus divers y furent constamment pratiqués. Ainsi, bien
que les tentatives de distinction et de différenciation puissent avoir
leur utilité didactique, elles ne doivent pas occulter les zones de
contact, de porosité entre des communautés socioreligieuses, qu'il
s'agisse de leurs croyances, de leurs représentations, ou de leurs
pratiques.
Comment dans ce contexte la personnalité du Buddha a-t-elle
émergé ? Comment son enseignement s'est-il fait entendre ?
Comment la communauté qu'il fonda a-t-elle prospéré ? C'est à
ces questions que cette première partie est consacrée.
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PARTIE 1
L'ÉMERGENCE
DU BOUDDHISME
EN INDE
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Comment restituer les débuts du bouddhisme ?
Les matériaux dont disposent les historiens pour tenter de resti-
tuer les premières manifestations du bouddhisme en Inde consti-
tuent un ensemble d'éléments hétérogènes apparus, pour les plus
anciens, près de deux siècles et demi après la date supposée de la
mort du Buddha.
On peut distinguer d'une part une abondante littérature à vocation
édifiante ou normative (les enseignements, les règles monastiques,
etc.), d 'autre part un matériel épigraphique et archéologique qui,
comme l'a fait remarquer Gregory Schopen3 , restitue sans doute
davantage la réalité des croyances et des pratiques effectives que
la norme prescrite par les textes. Cet historien américain a égale-
ment souligné le fait que ces deux grandes catégories de documents
avaient trop longtemps été inégalement étudiées. Les sources
épigraphiques et archéologiques pourtant localisées et datées avec
assez de précision furent en effet longtemps négligées au béné-
vi
Q)
fice des sources littéraires dont la datation, non seulement diffi-
0
'-
>-
w cile à établir, est souvent tardive. Des controverses parfois vives
\D
M à ce sujet ont opposé les savants bouddhistes et les universitaires
0
N
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non bouddhistes. C'est toutefois en étudiant minutieusement les
.._,
..c données épigraphiques et en leur accordant un crédit égal à celui
O'l
·c des données scripturaires que la connaissance des premiers siècles
>-
a.
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de l'histoire du bouddhisme en Inde s'est considérablement préci-
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CHAPITRE 1
LEBUDDHA
Au programme
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Les édits d'Asoka
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Les premiers documents faisant mention de l'existence du Buddha
0
N sont des textes que l'on a pris l'habitude de nommer Les édits
@
.._, d'Asoka. Ces données épigraphiques, datées des environs de 250
..c
O'l
·c avant J.-C., furent gravées sur des rochers et des piliers sous l'or-
>-
a.
0 donnance du roi Asoka de la dynastie des Maurya. Ce dernier,
u
devenu le modèle du monarque vertueux, promulgua par ces écrits V)
QJ
26 1 Le bouddhisme
Bien qu'aucune information concernant la vie de !'Éveillé lui-même
ne soit présente dans ces édits, quelques-uns de ses enseignements
sont cités. Ils n'ont cependant pas pu être rapprochés des docu-
ments qui. sont parvenus JUsqu
. ''a nous.
2» Elle acquiert une autre signification si l'on considère les conceptions du temps
w
<li
o_
telles qu'elles se dessinent dans les textes religieux. En fonction des écoles et des
::J
2 périodes, les cosmologies bouddhiques ont en effet désigné des ères cosmiques
l')
@ se succédant les unes aux autres ou se multipliant simultanément à l'infini.
Chapitre 1 . Le Buddha 1 27
Chacune de ces ères est éclairée par l'enseignement d'un buddha. Le Buddha
« historique » est, dans ce contexte, celui qui se manifeste durant la période
cosmique dans lesquels nous vivons . Plusieurs buddha le précédèrent. D'autres
lui succéderont. Selon certains textes une multitude de buddha peuplent d'ores
et déjà des univers lointains et y assurent la prédication de la Loi.
e
vue. Si les dieux jouissent d'une très longue félicité, leur conscience >,
w
QJ
demeure attachée à la joie de ne plus être agitée par le jeu des Q_
::J
e
pensées. L eur vie est donc fort longue et heureuse m ais d'une (.')
@
28 1 Le bouddhisme
félicité imparfaite, encore liée au sarnsara. Les conceptions bou-
ddhiques considèrent que la destinée des hommes est la plus
enviable pour qui souhaite s'affranchir de ce cycle. Si le désir et
l'ignorance y attachent les êtres à la souffrance, cette souffrance
peut stimuler l'aspiration à la libération du cycle des vies et des
renaissances. Aussi, malgré les peines qui lui sont liées, la condi-
tion humaine offre-t-elle la possibilité de la délivrance.
Chapitre 1 . Le Buddha 1 29
diversifiés dans leurs formes littéraires. Comme les textes palis,
ils ajoutent ou retranchent leurs lots de détails en fonction du
message qu'ils ont à délivrer. Bien plus que leur probabilité histo-
rique, c'est leur exemplarité qui acquit en premier lieu valeur - et
saveur - pour les prédicateurs et les fidèles.
e
s'interrompt toutefois après l'éveil. >,
w
QJ
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• La Nidanakatha qui elle a été rédigée en langue palie a été traduite ::J
e
(.')
à partir de sources en langue sri lankaise par Buddhaghosa, un @
30 1 Le bouddhisme
grand savant bouddhique du V: siècle. Son texte est une réfé-
rence essentielle pour les communautés theravadin présentes
aujourd'hui en Asie du Sud-Est.
2» aucune réalité n'a de raison d'être écartée. Il est donc important ici
w
<li
o_
d'y faire référence, car elle est bien présente, quelles que soient la
::J
2
l')
nature, l'obédience ou l'origine géographique des récits.
@
Chapit re 1 . Le Buddha 1 31
Au fil des récits : des événements
merveilleux, un maître exemplaire
Comme c'est le cas dans d'autres traditions religieuses indiennes,
les textes bouddhiques ont rendu compte de l'existence de forces
divines bienfaisantes ou menaçantes aux pouvoirs plus ou moins
étendus. Ils décrivent ainsi nombre de divinités des arbres,
de génies des eaux et des richesses et intègrent la réalité d'un
panthéon conduit par les dieux Indra et Brahmâ. Outre ces divi-
nités, plusieurs autres protagonistes sont reconnus pour leurs
pouvoirs exceptionnels. C'est particulièrement le cas de certains
brahmanes, sraman ou cakravartin (les monarques universels) que
l'on découvre aptes à communiquer avec les puissances divines ou
cosmiques et même parfois capables de les maîtriser.
Le corps du Buddha
On ne saurait s'étonner dans ce contexte que le Buddha soit
devenu par la ferveur de ses fidèles un personnage à la stature
tout à fait extraordinaire. Les astrologues, l'examinant après sa
naissance, en identifièrent les marques corporelles annonciatrices.
Certains récits listent ainsi avec grand soin trente-deux marques
spécifiques majeures ( lak$a1J,a) dont on peut retenir : des pieds
et des mains marqués d'une roue, le visage orné d'une touffe de
Vl
Q)
poils placée entre les sourcils, une protubérance au-dessus de la
0
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>-
w
tête, une langue longue et mince, une voix mélodieuse, des dents
\D
M sans espace entre elles, des yeux bleu saphir, de longues oreilles, le
0
N
corps aux proportions d'un banian, la peau dorée, le buste comme
@
.._, celui d 'un lion ...
..c
O'l
·c
>-
a. Outre ces marques, d'autres détails font du corps du Buddha un
0
u corps sublime, parfaitement beau, lieu de la pleine réalisation de V)
QJ
32 1 Le bouddhisme
divinités chargées de guirlandes de fleurs, des esprits de la nature,
des protecteurs des quatre orients, des divinités nombreuses dont
Indra et Brahma convergent ainsi vers les lieux de la naissance, de
l'éveil ou de la première prédication.
Buddha magicien ?
Bien qu'il ait déclaré les pouvoirs magiques inutiles, le Buddha les utilisa
parfois à l'occasion d'attaques lancées par des maîtres rivaux ou de conversions
particulièrement difficiles. À Sravastï, il s'éleva dans les airs et multiplia son
image à l'infini. Maître de l'eau et du feu, il fit aussi sortir de son corps flammes
et flots. Ailleurs, et à l'occasion de la conversion des Kasyapa (des ascètes
brahmaniques), il provoqua une inondation pour disperser leurs instruments
rituels. Lors d'autres épisodes encore, il apaisa un cobra redoutable occupant
un ermitage ou un éléphant rendu furieux, lancé contre lui par un jaloux.
0
'-
sept pas vers chacun des orients pour proclamer : « Je suis le sommet
>-
w du monde, je suis l'aîné du monde, j e suis le meilleur du monde 4 • » ; et
\D
M
0 déclarer que dans le ciel et sur la terre, il sera le seul être vénérable,
N
@ à sauver les êtres de la naissance, de la vieillesse, de la maladie et
.._,
..c de la mort.
O'l
·c
>-
a.
0 L'aptitude du Buddha à s'affranchir des limites usuelles de l'es-
u (/)
<li pace et à y étendre sa puissance a été traduite de façon très frap-
2»
w pante dans l'art bouddhique. Les sculpteurs montrèrent de façon
<li
o_
::J
2
l')
@ 4. Mahapadanasütra.
Chapitre 1 . Le Buddha 1 33
assez amusante parfois le voyage céleste qu'il fit au ciel des Tu~ita,
le séjour bienheureux de sa mère décédée. Ils firent ainsi figurer
dans leurs images une ou deux échelles. Un aller-retour en quelque
sorte.
D'une façon peut-être moins « pratique », mais aussi efficace,
d'autres représentations ont montré la puissance cosmique du
Buddha en multipliant son image à l'infini ; sa présence s'impo-
sant alors symboliquement en tout lieu, en tout temps. Faisant
référence à une des versions du miracle de Srâvastï, ce thème des
mille Buddha fut la réponse de !'Éveillé à des détracteurs mettant
en cause ses pouvoirs spirituels.
3. La naissance e
>,
w
Arrivée au terme de sa grossesse, Maya décide de rejoindre la maison de ses QJ
Q_
::J
parents pour donner naissance à son enfant. Elle quitte le palais avec quelques e
(.')
suivantes et fait en chemin une halte dans le bosquet ou le jardin de Lumbinî. @
34 1 Le bouddhisme
S'accrochant d'une main à la branche d'un arbre, elle donne là naissance à son
fils qui sort sans « souillure » de son flanc droit. Le nourrisson, jouissant de
facultés précoces, est accueilli par les dieux. Faisant sept pas dans les directions
de l'espace, il proclame qu'en souverain du monde il apportera à tous les êtres
une voie de salut. Se réjouissant de cette naissance et de ce message, la terre
tremble dans une pluie de fleurs, une abondance de musiques et de parfums.
4. La jeunesse
Suite à la mort de Maya sept jours après la naissance de Gautama, c'est la tante
de ce dernier qui est chargée de l'élever. Les astrologues ont examiné l'enfant,
ont identifié trente-deux marques spécifiques désignant un grand homme et
prédisent à son père qu'il deviendra soit un grand religieux, soit un monarque
universel. C'est dans le cadre aisé du domaine de son père que l'enfant reçoit
une éducation conforme à sa condition. Une première méditation devant le
spectacle de la meurtrissure de la terre par le travail des labours préfigure sa
vocation prochaine. Devenu jeune homme, il se marie toutefois avec la belle
Ya5odhara qui donne bientôt naissance à leur fils Rahula.
6. Le grand départ
vi
Q)
Les quatre rencontres ont été décisives. Gautama renonce à son palais, à
0 la promesse de son gouvernement, à son gynécée et à son fils. Les dieux
'-
>-
w accompagnent silencieusement son départ dans le plus grand secret. Gautama
\D
M
0
rejoint alors la forêt et ses ermitages, coupe sa chevelure, confie son cheval
N
et ses parures à son cocher avant de le congédier. La quête de l'éveil débute
@
.._, désormais .
..c
O'l
·c
>-
a. 7. La vie ascétique
0
u (/)
Pendant de longues années de questionnements et d'exercices ascétiques,
<li
Chapit re 1 . Le Buddha 1 35
et retrouve une meilleure santé en acceptant la nourriture que lui offre une
jeune fille et en prenant un bain. Ses compagnons y voient une défaite et
l'abandonnent. Gautama décide de poursuivre sa quête de l'éveil par d'autres
voies que celle des mortifications.
8. La soumission de Mara
Alors que ses méditations le conduisent à une intuition nouvelle de la réalité du
monde et à une conscience précise de la façon de s'affranchir de la souffrance
qui tourmente les êtres, Gautama est assailli par Mâra. Le dieu de la mort et du
désir, maître du samsâra, redoute que sa souveraineté ne soit menacée. Il tente
de détourner Gautama de sa quête par la peur qu' inspirent ses armées ou par le
désir qu'éveille la volupté de ses trois filles. Le renonçant ne cède pas. La déesse
terre témoigne de tous ses actes méritoires et Mâra est vaincu.
9. L'éveil
Parvenu à l'âge d'homme mûr, Gautama, installé à Bodhgayâ sous l'arbre de
la bodhi, parvient enfin à l'éveil. Au terme d'une longue nuit de médiation, il
se remémore toutes ses vies antérieures et comprend ensuite intimement le
parcours passé, présent et à venir de chacun. Les causes de l'enchaînement des
êtres au cycle du samsâra lui sont désormais claires. Tout comme le moyen de
rompre avec ce cycle douloureux. En paix et en joie, Gautama est désormais un
buddha parfaitement éveillé.
36 1 Le bouddhisme
les êtres célestes se manifestent en nombre chargés d'offrandes de fleurs et de
parfums pour rendre hommage à l'Ainsi-allé.
2»
• par la teneur de son enseignement bien sûr (nous y reviendrons) ;
w
<li
o_
• par le fait d'avoir abandonné les siens avant d'avoir fait prospé-
::J
2 rer son clan et d'avoir assumé ses devoirs de maître de maison;
l')
@
Chapit re 1. Le Buddha 1 37
• par le fait de ne rendre hommage ou de ne sacrifier à aucun
dieu, par son indifférence à l'autorité du Veda , par un usage de
la parole tout à fait original. C'est un dernier point qu'il semble
important d 'éclairer.
e
>,
w
5. Prononcé rishi. QJ
Q_
::J
6. On désigne généralem ent treize Upani$ad anciennes, auxquelles se sont ensuite ajou- e
(.')
38 1 Le bouddhisme
Il est souvent considéré par les différentes traditions bouddhiques que les
enseignements fondamentaux du Buddha furent initialement délivrés dans
des langues vernaculaires accessibles à un auditoire socialement diversifié.
Ces paroles, telles qu'elles nous sont parvenues, frappent par leur
dimension littéraire très présente et par leur caractère gnomique
(en forme de proverbe ou de maxime). Elles se distinguent aussi
par le fait que le Buddha n'hésite pas à utiliser le « je » pour
affirmer la force d'une expérience personnelle. Cette expérience
s'énonce d'ailleurs par des images et par un art narratif extrême-
ment performant et évocateur. Les paroles attribuées au Buddha
furent non seulement respectées parce qu'elles eurent pour origine
une expérience personnelle reconnue comme authentique, parce
qu'elles mirent en œuvre des procédés didactiques variés favorisant
leur mémorisation et leur diffusion, mais aussi, parce qu'elles furent
très puissantes socialement. La perspective d'un salut personnel et
les moyens pour y parvenir allaient en effet structurer moralement
et socialement des communautés plus larges que celles touchées
par la sphère rituelle védique. Ceci, bien avant que l'hindouisme
classique ne parvienne, avec l'universalisme de ses mouvements
théistes (vi~nouites ou sivaïtes), à tempérer les cadres de la caste ou
de l'appartenance communautaire.
vi
Q)
0
'-
>-
w
\D
M
0
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.._,
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O'l
·c
>-
a.
0
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2
l')
@
Chapitre 1 . Le Buddha 1 39
Ul
Q)
0!....
>-
w
\.0
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@
.......
..c
01
·c
>-
a..
0
u
CHAPITRE 2
LE DHARMA,
L'ENSEIGNEMENT
DUBUDDHA
Au programme
0
'-
fondement. Il deviendra, dans le cadre de l'hindouisme, la norme
>-
w religieuse et personnelle à suivre en fonction de sa place dans
\D
M
0 l'ordre socioreligieux.
N
@
.._, Pour les bouddhistes, le dharma est le deuxième« joyau» en lequel
..c
O'l
·c prendre refuge après le Buddha et avant le sarrigha, la communauté.
>-
a.
0
Le dharma bouddhique désigne tout à la fois l'ordre qui sous-tend
u (/)
<li tout ce qui existe et l'enseignement même du Buddha. Il est la
2» Loi qui régit l'existence et le devenir de toute chose, de tout indi-
w
<li
o_
::J
vidu, de toute expérience ... Cet ordre ne dépend d'aucun créateur
2
l') et s'énonce en un processus dynamique en lequel se dessine une
@
des spécificités doctrinales du bouddhisme par rapport à d'autres
messages religieux de son temps.
e
>,
dharma lui-même. w
QJ
Q_
::J
e
(.')
@
42 1 Le bouddhisme
«Celui qui voit clairement la loi de la coproduction conditionnée
voit clairement le dhamma, celui qui voit clairement le dhamma
voit clairement la loi de la production conditionnée. »
Majjhim anikaya.
e
ou « agrégats ». Ils forment un tout qui est dit « confectionné » , >,
w
QJ
o.
« conditionné ». Ces agrégats sont transitoires, insubstantiels et ::J
e
se conditionnent les uns les autres. Tout ce qui les constitue, la (.')
@
44 1 Le bouddhisme
façon dont tout cela s'agence pour donner une cohérence transi-
toire et relative à l'individu, est dul;kha. De même que tout ce dont
chacun peut faire l'expérience est dul;kha : vulnérable, insatisfai-
sant, douloureux.
Le corps et ses fonctions sont dul;kha, puisque fragiles. Les sensa-
tions qu'il permet de ressentir - qu'elles soient plaisantes ou
non - sont fugitives, imparfaites dans les informations qu'elles
apportent. Les identifications auxquelles chacun se livre sont
partielles, souvent incertaines, voire erronées. De même, les
processus cognitifs, les comportements, les états de conscience,
même les plus subtils et heureux, restent conditionnés, composés,
instables et demeurent irréductiblement sous le joug de dul;kha.
Le constat de la réalité de dul;kha ne reste pas privé d 'issue. Avant
d'en énoncer la voie, c'est l'origine de dul;kha qui fait l'objet de la
deuxième des « quatre nobles vérités. »
0 langue avec les saveurs, du corps avec les objets que l'on peut toucher, de
'-
>-
w l'organe mental avec les idées.
\D
M
0 • Saf!ljnâ : les perceptions qui permettent de nommer, d'identifier toutes les
N
@ choses dont on fait l'expérience.
.._,
..c • Saf!lskâra : les processus de pensée, d'action qui sont « colorés » par
O'l
·c
>-
a. l'histoire de chacun, sa structure cognitive, sa sensibilité. Ils conditionnent
0
u (/)
tous les actes présents et à venir.
<li
7. Prononcé trishna. @
46 1 Le bouddhisme
La colère, dve$a, particulièrement dénoncée, suscite l'hostilité, la
malveillance et déchaîne les violences.
0
'-
>-
w
\D
M
La quatrième des quatre nobles vérités :
0
N
@
le chemin vers l'au-delà de dubkha
.._,
..c
O'l
·c Comment s'affranchir de la soif, de dubkha, du saf]1sara ? C'est
>-
a.
0
pour répondre à cette question que le Buddha propose une voie :
u (/)
<li «le chemin à huit branches »ou « l'octuple sentier» car ils' énonce
2» en huit prescriptions.
w
<li
o_
::J
2
l')
@
48 1 Le bouddhisme
• favoriser la concentration au moyen d'exercices psychophy-
siques appropriés.
Les prescriptions relatives à la sagesse invitent à :
• exercer une pensée de renoncement, de bienveillance et d'atten-
tion envers tous les êtres ;
• acquérir une compréhension pénétrante du dharma et des quatre
nobles vérités.
e
>,
w
QJ
Q_
::J
e
(.')
@
50 1 Le bouddhisme
Une classification en trois grandes sections:
le Tripitaka
Il est important de noter que le premier concile fut réputé avoir
institué une classification des enseignements du Buddha en trois
grandes sections qui allaient rester pérennes, même si le contenu
de chacune d'elles put être amendé ou complété.
• La première de ces grandes sections, celle des sütra, est censée
réunir les paroles du Buddha : ce qui fut« bien dit».
• La deuxième section, (le vinaya) édicte un vaste ensemble de
règles monastiques.
• La troisième (l'abhidharma) est constituée de sortes d'essais - au
sens de discussions, de commentaires ou de systématisation -
sur plusieurs des sujets présents dans les sütra.
Ces trois sections furent désignées sous le terme des « trois
corbeilles » (Tripitaka) lorsque l'usage de l'écriture se généralisa au
sein des communautés bouddhiques.
Si leur autorité ne fut jamais invalidée par aucune des écoles
bouddhiques, il est important de préciser que, contrairement à
ce que laisse penser l'histoire des conciles, leur contenu ne fut
pas fixé de façon univoque ; qu'il ne fut pas partout enseigné ou
diffusé à partir d'un référent écrit, et que sa portée fut minorée par
certaines écoles qui - nous le verrons plus loin - se réunirent dès
le début de l'ère chrétienne autour d'un nouvel ensemble de textes
Vl
Q) rédigés en sanskrit.
0
'-
>-
w
\D
M
0
N Quelle langue de transmission ?
@
.._,
..c
O'l
Outre la question des contenus du Tripitaka , celle des langues
·c
>-
a. dans lesquelles ils furent transmis reste largement irrésolue. Les
0
u (/)
feuilles de palme ou les écorces de bouleau qui servirent sans doute
<li
0
'-
nous le Tripifaka n'est non seulement pas la langue du Buddha mais
>-
w une langue qui, par des aspects de sa phonétique, de son style, de
\D
M
0 son vocabulaire et de sa syntaxe, a perdu les caractéristiques d'une
N
@ langue vernaculaire. Elle apparaît davantage comme la résultante
.._,
..c de nombreuses évolutions qui en firent une langue « artificielle »
O'l
·c
>-
a. devenue la langue véhiculaire des sources theravadin. Si ce canon
0
u pali des Theravadin est aujourd'hui tenu pour l'unique enseigne- V)
QJ
52 1 Le bouddhisme
Non seulement au Cambodge où les enseignements bouddhiques
furent transmis sans référence à ce canon jusqu'au XIXe siècle, mais
également dans d'autres régions de l'Inde et d'Asie centrale ou
d'autres langues comme le gandharï furent utilisées. La notion
« d'écriture canonique » est donc, concernant les contenus et les
langues retenues, à considérer avec beaucoup de prudence.
vi
Q)
0
'-
>-
w
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M
0
N
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.......
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01
·c
>-
a..
0
u
CHAPITRE 3
UNE ORGANISATION
NOVATRICE:
LESAMGHA
•
Au programme
0 classique.
'-
>-
w
\D
Pour l'ensemble des fidèles, les règles régissant la communauté
M
0
N
bouddhique auraient été énoncées par le Buddha lui-même avant
@ d'être fixées dans le Vinaya (les règles de bonne conduite), une des
.._,
..c
O'l
·c
sections du Tripifaka. Pour les historiens, la connaissance des tout
>-
a.
0
premiers temps de cette communauté reste un sujet d'hypothèses
u (/)
<li dans la mesure où les textes du Vinaya tels qu'ils nous sont parve-
2» nus ne sont pas homogènes. Ils diffèrent sensiblement en fonction
w
<li
o_
::J
des communautés qui nous les ont transmis et datent, pour les
2
l') premiers, de plusieurs siècles après la mort du Buddha. Enfin, et
@
une fois de plus, pratiquement aucun matériel archéologique n'est
attesté avant le IIIe siècle avant J.-C.
L'étude de l'histoire du smrzgha en Inde à partir de cette période
- et jusqu'aux premiers siècles de l'ère chrétienne - a largement
progressé ces quinze dernières années grâce à d'importants travaux
archéologiques et épigraphiques. Les premiers ont mis au jour de
nombreux sites bouddhiques, notamment dans les régions côtières
de l'est de l'Inde. Les seconds se sont attachés à l'étude d'inscrip-
tions rédigées sur des pierres ou des monuments qui, bien que
connues, furent longtemps tenues pour des sources secondaires.
Ces nouvelles données ont conduit à une très large révision des
connaissances portant jusqu'ici sur les acteurs et les usages de la
communauté bouddhique. Elles ont permis notamment de renon-
cer à des clivages trompeurs distinguant trop catégoriquement les
fonctions des différents acteurs de cette communauté.
Vl
Le mot bhik$u (masc.) ou bhik$unr (fém.) est issu d'une racine qui
Q)
56 1 Le bouddhisme
Les devoirs des bhik$U
Ayant abandonné toute vie mondaine, les bhik$u sont censés ne pas
porter atteinte à la vie et respecter l'ahimsti (l'absence de nuisance
pour autrui). Ils ne doivent pas prendre ce qui n'a pas été donné,
s'abstenir de toute activité sexuelle, ne pas mentir ni calomnier,
ne pas consommer de substances intoxicantes, ne pas manger aux
heures défendues, ne pas posséder plus de huit objets person-
nels8. Ils s'abstiennent de faire usage d'argent, de sièges ou de lits
luxueux, de parfums ou de parures. Ils refusent aussi de danser, de
chanter et de se divertir.
De quo i v ivent- il s ?
Les bhik$u sont censés assurer leur subsistance en recevant de la
part d'un tiers leur nourriture, les quelques effets vestimentaires
dont ils ont besoin et parfois, la protection temporaire d'un logis.
Il n'est pas attendu d'eux le devoir de rendre quoi que ce soit en
retour de ce qu'on leur accorde. Toutefois, lorsque cela semble
approprié, ils peuvent faire le don, hautement valorisé par les
textes, de l'enseignement du dharma.
2»
w
<li
o_
::J
2
l')
@ 8. M ahdpadanasutra. Ce chiffre pouvant sensiblement varier.
0
à un groupe, d'alléger la rudesse de la vie solitaire par une entraide
'-
>-
w et un soutien, d'introduire de nouveaux membres ou de prendre
\D
M acte de l'abandon par certains de leurs engagements.
0
N
@ Qielles que soient les époques, le mode de vie des bhik$u demeura
.._,
..c
O'l
hautement valorisé par les diverses traditions bouddhiques car il
·c
>-
a. renvoyait à l'image du mode de vie même du Buddha. Les quêtes
0
u d'aumônes quotidiennes des religieux des pays d'Asie du Sud-Est, V)
QJ
58 1 Le bouddhisme
Les imaginaires et les pratiques sont rarement exempts de contra-
dictions. De fait, une grande partie des règles du Vinaya, les sites
archéologiques et les apports récents de 1' épigraphie se rapportent
à un mode de vie très différent de cette itinérance : celui des bhik~u
demeurant au sein de communautés sédentaires hautement struc-
turées dans leur mode de fonctionnement.
60 1 Le bouddhisme
non seulement la sédentarisation - au moins partielle - des bhik$u
et suggèrent des fonctionnements communautaires sophistiqués.
Le Vinaya, prolixe en détails concernant les règles de conduite des
moines, permet aussi, avec l'archéologie, de garder en mémoire les
contraintes matérielles liées au fonctionnement d'un monastère :
l'hébergement, la nourriture, l'hygiène, l'enseignement, l'accueil
et le soin du pèlerin voire sa sécurité devaient s'y organiser. Si les
religieux qui séjournaient dans les vihara restaient désignés sous le
terme de bhik$u, leur vie s'éloignait donc considérablement de celle
des renonçants itinérants loués par bien des textes.
On sait par exemple, grâce à 1' étude des inscriptions retrouvées
à Bhârhut, à Sâficï et dans une moindre mesure dans la région de
l 'Andra Pradesh, que les bhik!Ju disposaient de fonds personnels
et en faisaient ouvertement usage. Les inscriptions dédicatoires
permettent ainsi d 'établir que quelque 40 % des donateurs de
Bhârhut et de Sâficï étaient soit bhik!fu, soit bhik!Junï. Ces reli-
gieux, dont on devine l'érudition grâce à leur titre, étaient donc
non seulement fortunés mais utilisaient leur argent pour passer
commande d'images, embellir le stüpa et l'honorer de leurs
offrandes. L'archéologie et l'épigraphie bouddhiques attestent par
ailleurs à partir des IIIe-n e siècles avant J.-C un culte des reliques
du Buddha et de celles de maîtres éminents pris en charge par les
bhik!Ju. En plus de leur rôle d'enseignant, de donateurs, les bhik!Ju
furent donc aussi très tôt des officiants, notamment pour le culte des
vi reliques.
Q)
0
'-
>-
w
\D
M
0
Tous « ceux qui viennent ensuite »
N
@
.._,
..c
O'l
·c
>-
a.
0
u On a pris l'habitude de traduire en français les mots sanskrits upâsaka (masc.)
(/)
<li
et upâsikâ (fém.) par« laïcs». C'est une habitude que l'on con servera ici après
2»
w avoir précisé la signification de ces termes sanskrits et rappelé que la notion
<li
o_
::J de laïcité est totalement étrangère à l'Inde ancienne.
2
l')
@
62 1 Le bouddhisme
S'il ne peut être exclu que l'entrée dans la communauté bou-
ddhique fut motivée par des convictions d'ordre spirituel ou une foi
profonde en la perspective d'un salut, d'autres éclairages peuvent
être apportés sur certaines des raisons pour lesquelles des indivi-
dus ou des groupes d'individus choisirent de rejoindre le sarrigha
en tant qu'upasaka.
Il est important de rappeler que, contrairement aux affiliations
liées à la caste, l'entrée dans le sarrigha était un acte volontaire,
non imposé par la naissance. Il posait, individuellement ou collec-
tivement, un engagement qui créait des solidarités spécifiques et
nouvelles, animées par des valeurs censées être partagées par tous
ses membres. Le sarrigha, porté par des bhik$u aptes à tenir tête
aux brahmanes, fortifié par le volontarisme de ses laïcs et maté-
rialisé par des lieux communautaires très vite remarquables par
leur richesse, pouvait constituer un réseau puissant. Des groupes
fragiles pouvaient espérer y trouver de nouveaux appuis. Des
groupes économiquement prospères, mais jusqu'alors peu valori-
sés socialement, pouvaient s'y enrichir et y être reconnus comme
faisant partie d'une nouvelle élite. Ils pouvaient ainsi articuler
leurs activités mondaines à une éthique et une perspective de salut
désormais accessible. Ce fut le cas notamment pour des commu-
nautés marchandes et urbaines qui ont été récemment mieux
connues grâce à des découvertes archéologiques très éclairantes.
vi
Q)
0
'-
>-
w
Positionnements sociaux
\D
M
0
N On se rappelle que le bouddhisme né, comme d'autres mouve-
@
.._, ments religieux, dans un contexte de contestation de l'ordre rituel
..c
O'l
·c védique, se développa lors d'une expansion économique et urbaine
>-
a.
0 significative. Ses critiques invalidaient non seulement l'efficacité
u (/)
<li du rituel mais dénonçaient aussi la violence qu'il impliquait par la
2»
w captation des richesses et la mise à mort des animaux nécessaires
<li
o_
::J
au sacrifice. La mise en cause des prérogatives religieuses des
2
l') brahmanes et des rois védiques, l'affirmation de différents types
@
les laïcs acquéraient des mérites, pour cette vie et les vies futures, @
64 1 Le bouddhisme
les rapprochant ainsi de l'issue du saf!îs<lra. C'est parce que leur
renoncement ou leur connaissance du dharma étaient reconnus
comme exemplaires que les bhik$u attiraient à eux les fidèles et
leurs offrandes, qu'ils acquéraient des richesses et faisaient pros-
pérer monastères et lieux de pèlerinage.
Cette articulation entre richesses et renoncement, laïcs et bhik$u,
trouve une illustration emblématique dans l'ornementation du plus
ancien stapa Safi.cï. Le stapa, symbole de la présence du Buddha,
de son extinction finale et du dharma, y est ceint d'une balustrade
dont les reliefs de bon augure sont là, tout à la gloire de la prospé-
rité, de la fertilité, de la fécondité. C'est ainsi qu'y abondent génies
des eaux, des arbres, de la :floraison et des richesses. Laïcs et bhik$u
jouiront, par-delà les développements d'une iconographie spécifi-
quement bouddhique, d'une fortune jamais démentie.
vi
Q)
0
'-
>-
w
\D
M
0
N
@
.._,
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2
l')
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0!....
>-
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0
N
@
.......
..c
01
·c
>-
a..
0
u
PARTIE 2
UNE
,
DYNAMIQUE DE
DEVELOPPEMENTS
MULTIPLES
Vl
Q)
0
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>-
w
\D
M
0
N
@
.._,
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O'l
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w
\.0
r-i
0
N
@
.......
..c
01
·c
>-
a..
0
u
« Venez, ô Kamalas, ne vous laissez pas guider par l'autorité, ni
par les textes religieux, ni par la simple logique, [ ... ], ni par la
pensée que "ce religieux est notre maître spirituel". »
Kamala-sutta.
vi
Q)
0
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w
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M
0
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O'l
·c
>-
a.
0
u V)
QJ
e
>,
w
QJ
Q_
::J
e
(.')
@
70 1 Le bouddhisme
CHAPITRE 4
,
IDENTITES
COMMUNAUTAIRES
- DISCIPLINES,
DOCTRINES ET
INITIATIONS
Au programme
0
'-
>-
w
\D
M
Les sources archéologiques et épigraphiques permettent de
0
N constater l'expansion de la communauté bouddhique dans son
@
.._,
..c
ensemble à partir du IIIe siècle avant].-C. Suivant des modalités et
O'l
·c une chronologie encore mal renseignées, les bhik$u avaient formé à
>-
a.
0
u
cette époque des groupes distincts que les sources écrites désignent
(/)
<li
sous le nom de nikaya. Ce terme assez générique désigne initiale-
2»
w ment un tas, un amoncellement, une réunion d'éléments puis, par
<li
o_
::J extension, un ensemble d'individus réunis dans une même maison,
2
l')
@
partageant les mêmes activités ou les mêmes devoirs. Le mot fran-
çais qui restituerait sans doute le mieux le sens de nikaya serait
celui de « congrégation9 » : ce qui réunit ceux qui sont semblables.
Vl
Q)
0
'-
>-
Des congrégations peu différenciées
w
\D
M
0
Les comparaisons qui ont pu être faites à partir de l'étude de six
N
@ règles monastiques 10 appartenant à six nikaya distincts montrent
.._,
..c
O'l
que les spécificités relatives à la discipline furent en fait margi-
·c
>-
a.
0
u
9. Certains historiens ont choisi de traduire le mot nikdya tantôt par « secte », tantôt par V)
QJ
« ordre » . e
>,
w
10. Les vinaya des Mahasarrighika, les Mahïsasaka, les Dharmaguptaka, les Sarvastivadin QJ
Q_
ont été conservés dans leur traduction chinoise. Celui des Theravadin est conservé dans ::J
sa version palie du v" siècle. Celui des Malasarvastivadin est conservé en intégr alité en e
(.')
72 1 Le bouddhisme
nales. Elles portèrent sur des détails relatifs aux rituels d'ordina-
tions, aux usages vestimentaires des bhik~u, au nombre de leurs
vœux, à l'identification des fautes contrevenant à ces vœux ainsi
qu'aux rites permettant de se purifier ou d'expier ces dernières.
Les spécificités doctrinales des différents nikaya ne peuvent être
que partiellement appréhendées et comparées dans la mesure où,
seuls trois recueils complets d'abhidharma nous sont parvenus :
celui des Theravadin (en pali), celui des Sarvastivadin (en chinois),
celui des Dharmaguptaka (en chinois également).
Ces spécificités doctrinales purent principalement porter sur :
• le statut du Buddha (humain ou suprahumain) et le culte qu'il
était approprié ou non de lui accorder ;
• les qualités et les limites des individus résolument engagés sur
la voie spirituelle et ayant atteint 1' éveil ;
• des approfondissements relatifs à la loi de la « coproduction
conditionnée », relatifs à l'existence ou non du temps, à l'exis-
tence ou à la non-existence des composantes de l'individu réputé
anatta (dépourvu de soi propre).
Si l'on étudie les importants sites monastiques du Madhya Pradesh,
de !'Orissa, de l'Andhra Pradesh ou du Gandhara sur une période
allant du IIe siècle avant J.-C. au IIe siècle après, on constate que
ni l'architecture, ni l'iconographie de ces sites ne permettent
d'identifier les groupes monastiques qui s'y installèrent. Parmi
vi les inscriptions dédicatoires qui ont été repérées sur ces sites,
Q)
0
'-
rares sont celles qui associent le nom personnel d'un donateur à
>-
w son nikaya. Enfin, on constate dans plusieurs cas, que des nikaya
\D
M
0 distincts pouvaient être présents en de même lieux. C'est ce que
N
@ les inscriptions attestent à Nagarjunakl)c,ia par exemple (au sud de
.._,
..c
O'l l'Inde) et de façon très évidente au Gandhara (au nord des actuels
·c
>-
a. Pakistan et Afghanistan).
0
u (/)
<li Les extraordinaires découvertes faites dans cette région ces vingt
2»
w dernières années 11 ont mis au jour de nombreux fragments de
<li
o_
::J
2 11. On verra à ce sujet: R. Salomon, Ancien Buddhist Scrolls From Gandhara, the British
l')
@ Library kharo~tï Fragments, The British Library, London, 1999.
74 1 Le bouddhisme
du bouddhisme allait voir le jour aux alentours des débuts de l'ère
chrétienne. Émergeant au sein des communautés monastiques
que nous venons de décrire, et lentement forgé par des érudits
formés à l'étude du Tripitaka, il constitua tout d'abord un mouve-
ment marginal aux accents parfois contestataires ou réformistes.
Se diffusant assez rapidement par les Routes de la soie en direction
de la Chine, cet idéal ne s'imposa que très progressivement dans
le paysage religieux de l'Inde pour n'y être socialement signifiant
qu'au V: siècle de l'ère chrétienne, soit quelque quatre siècles après
l'émergence de ses premiers enseignements.
Vl
En Inde, comme en Asie du Sud-Est, cohabitèrent des enseigne-
Q)
2»
w
<li
o_
::J
2
l')
@
e
>,
w
QJ
Q_
::J
e
(.')
@
76 1 Le bouddhisme
La notion de sünyata
Sünyata, la vacuité, l'absence de nature propre de l'ensemble des
phénomènes, est le grand thème doctrinal du Mahayana qui consi-
dère avec différentes nuances que la réalité des phénomènes est
illusoire.
La notion de prajiia
Volontiers traduite par sagesse, sapience ou omniscience, la prajiia
est au cœur de la démarche spirituelle du Mahayana. Elle est dési-
gnée comme l'appréhension parfaite et intuitive, de la radicalité de
sünyata. Elle y est dite absolue, dépourvue de toute caractéristique,
au-delà des mots, libre de toute conception, de tout attachement.
Elle ne conduit pas à « acquérir » ou à demeurer dans le nirvtl!J,a,
pas plus qu'à se libérer du sarrisara. « Inconcevable, incommensu-
rable, égale à l'inégalable », elle est celle« qui engendre tous les éveil-
lés, qui est la mère de tous les héros pour l'éveil ».
,
Elaborer de nouvelles synthèses
Les recherches récentes tendent à montrer que les expressions de
ces nouveaux thèmes, limitées à des cercles monastiques restreints,
demeurèrent sans représentativité institutionnelle et sans incidence
matérielle sur le samgha de l'Inde des cinq premiers siècles de 1' ère
chrétienne. Il n'en est pas moins attesté, par l'histoire des textes
et celle de leurs traductions en langues non indiennes, que cette
période assez longue fut d'une richesse intellectuelle remarquable
et déterminante pour les siècles qui suivirent, en Inde et hors de
l'Inde. De vastes sommes doctrinales, remarquables par l'acuité
de leurs questionnements et par l'ampleur de leurs synthèses théo-
riques, furent alors rédigées par les érudits du Mahayana, par
ailleurs stimulés par la compétition qui les opposait aux grands
Vl
Q)
penseurs hindous de cette période.
0
'-
>-
w Auve siècle, le Mahayana s'imposant désormais de manière repé-
\D
M
0 rable, les nuances doctrinales et disciplinaires qui distinguaient
N
@ les nikaya les uns des autres commencèrent à céder lentement le
.._,
..c
O'l
pas devant de nouveaux regroupements que l'on désigne généra-
·c
>-
a. lement sous le nom d'« écoles doctrinales ». Il est important de
0
u noter - pour ne pas étriquer ces désignations - que l'activité de V)
QJ
78 1 Le bouddhisme
fondissement moral, de l'expression dévotionnelle autant que de
1' élaboration de vastes systèmes symboliques.
0
figure éminente d'Asanga allait à son tour enrichir les développe-
'-
>-
w ments doctrinaux du Mahayana de façon significative. Originaire
\D
M
0
de la région de Peshawar et né d'une famille de brahmanes, il se
N
@
convertit au bouddhisme et fut d'abord formé aux enseignements
.._,
..c du Tripitaka par les Mahïsasaka. Il développa ensuite les thèmes
O'l
·c
>- portés par les sutra de la troisième mise en marche de la roue de
a.
0
u Loi pour établir son œuvre théorique. Il fonda une nouvelle école V)
QJ
doctrinale désignée sous différents noms : l'école Cittamatra, « rien e
>,
w
que pensée » ; l'école Vijfianavada, « la Voie de la conscience » ; ou QJ
Q_
80 1 Le bouddhisme
S'appuyant sur trois sutra particulièrement importants (le Sutra
du dévoilement du sens profond, le Sutra des dix terres et le Sutra de
l'entrée dans la ville de Lanka12), Asanga insiste lui aussi sur le carac-
tère illusoire de la réalité des phénomènes. Il réitère l'idée d'un
monde dépourvu d'existence propre, pareil à un rêve produit par
la conscience. «Tout est pensée », affirme-t-il, tout n'est que pensée
et ce sont ces pensées qui produisent des effets heureux ou doulou-
reux, aliénants ou bénéfiques pour l'individu.
La conscience-réceptacle
Se distinguant des propositions madhyamika, Asanga reconnut la
réalité d'une conscience-réceptacle, alayavijiiana, comme appui à
l'activité de la pensée. À la façon d'une toile de fond, d'un support,
cette conscience fut caractérisée par son aptitude à recueillir les
empreintes de l'activité psychophysique avant que celles-ci ne
parviennent à leur maturation par le jeu infini des corrélations et
des circonstances.
0
'-
>-
affirmait avec elle l'idée plusieurs fois ébauchée dans divers sutra
w
\D
M
que chaque être sensible recèle la nature profonde et lumineuse de
0
N Buddha et que la réalisation de cette nature vide et indéterminée
@
.._, irrigue toute œuvre compassionnelle .
..c
O'l
·c Une grande partie de la littérature sanskrite madhyamika et
>-
a.
0
u (/)
cittamtltrin disparut avec les grands monastères bouddhiques de
<li
2»
w
<li
o_
::J
12. Respectivement : le Sandhinirmocanasûtra, le Dafobhümikasütra et le
2 La!Îkavatarasütra.
l')
@ 13. Tathagatagarbha, lit téralement en français« la matrice de l 'Ainsi-allé ».
0 • Candrakïrti qui au vie siècle fut un grand érudit expert en débats philosophiques
'-
>-
w et recteur de Nalanda 14 .
\D
M
0
• Santideva qui vécut au v111e siècle et dont l'œuvre la plus fameuse et la
N
@
plus accessible, L'entrée dans la pratique des bodhisattva, n'a cessé d'être
.._, commentée jusqu'à nos jours .
..c
O'l
·c Parmi les plus éminents disciples d'Asariga on peut citer:
>-
a.
0 • son frère Vasubandhu ;
u V)
e
>,
• son disciple Dharmakïrti dont l'œuvre fut tenue en grande estime au Tibet. w
QJ
Q_
::J
e
(.')
82 1 Le bouddhisme
Grandes universités
En retournant à présent vers l'Inde et en considérant la longue
période qui s'étend de la fin du VIe siècle à la fin du XIIe siècle, on
peut repérer trois régions très actives concernant les évolutions du
Mahayana:
• l'ouest du Deccan (les sites d'Ellora et d'Aurangabad
notamment) ;
• le Cachemire ;
• et la moyenne vallée du Gange.
C'est en effet dans la moyenne vallée du Gange, non loin des
grands sites de pèlerinages liés à la vie du Buddha, que se dévelop-
pèrent d'importants centres monastiques souvent désignés par les
historiens sous le terme d'« universités ».
• Nalanda fut la plus célèbre et la plus ancienne d'entre elles. Elle
fut créée au IIIe siècle puis considérablement développée sous la
dynastie des Gupta (ive- VIe siècles) et celles des Pala-Sena (vIIIe-
xue siècles) grâce à un mécénat royal particulièrement actif.
• Vikramasïla et Odantapurï constituèrent elles aussi de bril-
lants centres spirituels. Comme à Nalanda, les enseignements
bouddhiques constituaient les fleurons de leurs différents cursus
alors que leurs bibliothèques attiraient à elles des érudits de tous
horizons venus se former à différentes disciplines.
vi
Q)
0
'-
La moyenne vallée du Gange
>-
w
\D
M
Cette région (correspondant aux Bihar et Bengale actuels) mérite une attention
0
N particulière pour plusieurs raisons. La première est que nous disposons d'un
@
.._, matériel historique et archéologique très conséquent nous renseignant sur ses
..c
O'l réalités religieuses. La deuxième est qu'elle eut un pouvoir de rayonnement
·c
>-
a. et d'attraction considérable sur une grande partie du monde bouddhique. La
0
u (/) dernière est qu'elle fut un des derniers grands bastions du bouddhisme indien
<li
Parcours initiatiques
La dimension ésotérique du bouddhisme n'était pas étrangère
à certains des sutra anciens. Le souci de ne transmettre qu'à un
auditoire choisi les vérités les plus profondes fut toutefois affirmé
par les sutra du Mahayana et, plus encore, par les traditions initia-
tiques qui viennent d'être évoquées. Ces dernières donnèrent lieu
à une importante créativité dont les enrichissements furent consi-
dérables dans plusieurs domaines :
• les modes de transmissions spirituelles de maître à disciple ;
• les usages didactiques, poétiques ou magiques du langage;
• l'usage de dispositifs rituels de plus en plus complexes ;
• le développement de figures sacrées de plus en plus nombreuses
(buddha, bodhisattva, gardiens de la doctrine, etc.) ;
• le déploiement de systèmes symboliques riches et complexes ;
Vl
Q)
e
>,
w
15. Nous utilisons ici le terme générique de tantrika pour désigner les initiés aux QJ
Q_
pratiques du Vajrayana, Manrrayana ou Tantrayana. Le mot tantra désig ne tout d 'abord ::J
la ch aine d'un tissu . Il a pris le sens de continuité, de groupe d' éléments t enus ensemble, e
(.')
de système. @
84 1 Le bouddhisme
Définitions
Vajrayana
Le terme Vajrayana met en évidence le symbole du vajra (le diamant ou le
foudre), dont la clarté et la dureté rappellent la perfection de la sagesse,
l' immuabilité de la vacuité dont la fulgurance anéantit toutes les formes
d'ignorance et de dualité.
Mantrayana
Le terme Mantrayana souligne l'important usage des mantra ou formules
sacrées en tant que moyen d'accomplissement spirituel.
Tantrayana
Le terme Tantrayana fait quant à lui référence à des textes particuliers,
les tantra, dont certains exposent les objectifs et les modalités de rituels
spécifiques. C'est à partir de ce terme que les historiens ont formé le mot
«tantrique».
0
tuel ici et maintenant, dans le temps de cette vie même, et non
'-
>-
w plus uniquement au terme d'une longue succession de renais-
\D
M
0
sances vertueuses.
N
@ • Ils revendiquèrent la possibilité d'user du potentiel des passions
.._,
..c
O'l
au bénéfice des accomplissements spirituels et du bien de tous .
·c
>-
a. Au lieu de les purifier ou de les annihiler, ils proposèrent d'en
0
u (/)
inverser les perspectives grâce à des exercices spirituels d'une
<li
2» radicalité nouvelle.
w
<li
o_ • Ils déclarèrent nécessaire à la pratique de cette voie difficile et
::J
2 dangereuse, l'accompagnement d'un maître accompli capable
l')
@
86 1 Le bouddhisme
ou plusieurs disciples à une identification avec une figure tutélaire (un buddha
ou un bodhisattva par exemple). Les accomplissements les plus hauts visés par
cette identification sont ceux d'une libération parfaite, exempte de toute dualité.
Mal)çlala
vi
Q)
0
'-
>-
w
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M
0
N
@
.._,
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O'l
·c
>-
a.
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w
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2
l')
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0!....
>-
w
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r-i
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N
@
.......
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01
·c
>-
a..
0
u
CHAPITRE 5
FIGURES EXEMPLAIRES
ET PARCOURS
SPIRITUELS
Au programme
e
>,
pour le Tibet, les vies des quatre-vingt-quatre mahasiddha w
QJ
Q_
::J
e
(.')
90 1 Le bouddhisme
(grands accomplis) réunies dans un recueil de courtes histoires
mettant en scène quatre-vingt-quatre tantrika volontiers trans-
gressifs et scandaleux.
Partout dans le monde bouddhique, la diversité de ces maîtres
rend compte des multiples façons de mettre en œuvre le dharma
et d'accomplir son objectif spirituel. Tantôt conformément à des
normes doctrinales, monastiques ou sociales établies. Tantôt de
façon rebelle aux conventions, comme nous invitent à le consta-
ter les irrévérences du moine chan Linji en Chine ou la démesure
de Padmasambhava le « second buddha du Tibet » pour ne citer
'
queux.
Plus que d'explorer la diversité du panthéon bouddhique, il est
dans un premier temps essentiel de s'arrêter sur deux personnages
archétypaux et de dégager avec eux deux types de cheminements
spirituels ayant fortement structuré l'imaginaire bouddhique :
celui de l'arhat, le méritant érémitique, et celui du bodhisattva, le
sage compassionnel.
Si les communautés attachées aux enseignements pré-mahayaniques
s'attachèrent presque exclusivement la figure de l'arhat, les fidèles
du Mahayana valorisèrent, dans des mesures différentes, les figures
de l'arhat et du bodhisattva, donnant à ce dernier une prééminence
certaine.
vi
Q)
0
'-
>-
L'arhat
w
\D
M
0
N « En renonçant au monde, j'ai laissé les maisons, j'ai laissé le
@
.._,
..c
fils, le bétail et l'être cher. J'ai laissé la passion et la haine, j'ai
O'l
·c répudié l'ignorance. J 'ai éradiqué la soif: je suis apaisée17,
>-
a.
0 parvenue à l'extinction. »
u (/)
<li
Therigatha, 18.
2»
w
<li
o_
::J
2
l')
@ 17. L e féminin employé ici précise que l'auteur de cette stance est une nonne. Le cas,
suffisamment rare dans la littérature p âlie, nous invite à le signaler.
Lesasrava
Ce dernier terme est volontiers associé à l'image du fleuve dans les textes
anciens. A-sru signifie couler, se déverser, fuir. Les ëisrëiva se rapportent à tout
Vl
Q)
ce qui entraîne dans la dynamique du flux ininterrompu, incontrôlé du cycle
0 des vies et des renaissances. Ils désignent donc en premier lieu les trois forces
'-
>-
w d'égarement que sont :
\D
M
0
• le désir des plaisirs;
N
@ • l'attention au devenir;
.._,
..c • l'ignorance qui prive l'individu ordinaire de la perception juste de la réalité .
O'l
·c
>-
a.
0
u
Les images associées à cette dynamique incessamment mobile du V)
QJ
92 1 Le bouddhisme
sible ... l'arhat est celui qui a détruit toutes les souillures, celui qui
est libéré de tous les attachements, celui qui a éteint le cycle des
causes et des effets.
Les sutra anciens qui ont décrit les pratiques de l'arhat se sont
appliqués à rendre perceptibles ses expériences psychiques hors
du commun ainsi que les bonheurs et les bénéfices spirituels qui
en découlent. Parmi ces textes, le recueil des Dhammapada, Les
stances de la Loi, est sans doute l'un des plus éloquents 18 • Il réunit
des exposés brefs sur les grands thèmes de la prédication bou-
ddhique et met en lumière les aspects essentiels de la discipline
intérieure à laquelle le renonçant s'exerce pour cheminer vers l'état
de méritant accompli.
vi
Q)
Hors de la vie mondaine
0
'-
>-
w Son engagement ne s'accomplit que hors du cadre de vie du maître
\D
M de maison. L'arhat a quitté son domicile pour le « non-domi-
0
N
@
cile ». Il ne trouve plus de plaisir dans l'habitation et, « telles les
.._, oies royales abandonnent leur lac, il délaisse tout séjour » , il rejoint
..c
O'l
·c la montagne ou les forêts sauvages que les hommes ordinaires
>-
a.
0
u (/)
redoutent. Renonçant aux plaisirs de la vie mondaine, il ne se
<li
Cultiver la vigilance
Une des disciplines à laquelle il consent et qui compte comme un
chemin sûr vers la paix « insurpassée de l'extinction », est celle de
la vigilance. « Debout!» ordonnent les Dhammapada. « Il faut être
vigilant, il faut réaliser la Bonne Loi : celui qui agit ainsi est heureux
dans ce monde et dans l'autre. » La vigilance permet à tout instant de
dompter, de canaliser les intentions portées par l'activité des sens,
de la parole et de l'esprit. Constant dans ses efforts de vigilance,
l'arhat peut accéder à l'intelligence profonde de la Loi. Pleinement
vigilant, il « illumine ce monde comme l'astre lunaire quand il n'y a
pas de nuages ». Il réside ainsi dans la vérité de la Doctrine et,
libéré de tout tourment, il n'est plus la proie de la mort et du désir.
« De ces vertueux qui cultivent la vigilance et que libère la connaissance
correcte, Mara ne trouvera pas la route. » I..:arhat, dont les souillures
sont détruites, est celui qui est « arrivé au bout du chemin, sans
chagrin, absolument libéré, délivré de tous les liens : pour un tel homme
il n'y a plus de peine ardente » . Accédant à un bonheur inégalé, il
goûte la joie de la Loi car il n'est plus soumis au cycle douloureux
Vl des renaissances.
Q)
0
'-
>-
w
\D
M
0
Exercices psychiques
N
@
.._, Plus développés et plus systématisés que ceux des Dhammapada, les
..c
O'l
·c enseignements réunis dans les Dïghanikaya ou les Majjhimanikaya 19
>-
a.
0 proposent un examen minutieux du fonctionnement de l'esprit
u
et décrivent les entraînements psychiques auxquels le renonçant V)
QJ
e
>,
w
QJ
Q_
::J
e
(.')
94 1 Le bo uddhisme
s'exerce pour atteindre les accomplissements de l'arhat conquérant
étape par étape de nouvelles habiletés spirituelles.
Elles ont pour vocation de dénouer l'entrelacs des vues erronées
et d'accéder à une nouvelle justesse d'appréhension de la réalité.
L'acquisition de ces habiletés requiert une dynamique qui conjugue
la nécessité d'apaisements de plus en plus profonds et la nécessité
d'une acuité de perception de plus en plus pénétrante.
De façon concomitante, l'apaisement conduit à une appréhension
plus juste de la réalité. Cette appréhension plus juste conduit à son
tour à des apaisements plus profonds et ainsi de suite (ou vice-
versa) jusqu'à ce que l'esprit soit totalement libre d'agitation et que
l'intelligence de la Loi soit pleinement, intuitivement intégrée,
hors du jeu des constructions mentales.
On compte, parmi les premiers exercices, les pratiques vertueuses
de bonne conduite, les réflexions sur la misère du corps mort ou le
bénéfice de la compassion, par exemple, pour venir à bout des cinq
obstacles rédhibitoires à toute progression.
l!t;t.U§i
Cinq obstacles à toute progression :
• le désir pour les objets des sens;
• la malveillance;
• la torpeur ou la langueur;
vi • l'inquiétude;
Q)
0
'- • le doute.
>-
w
\D
M
0
N
@ Affranchi des cinq obstacles, le renonçant peut s'exercer à quatre
.._,
..c
O'l
dhyana - quatre recueillements - qui permettent à la conscience de
·c
>-
a.
s'apaiser et de trouver une plus grande sérénité.
0
u (/) • Lors du premier dhyana, la conscience, encore tenue par l'acti-
<li
96 1 Le bouddhisme
Par ses expériences et ses accomplissements, l'arhat réitère donc
l'essentiel du cheminement ascétique du Buddha historique. Il se
distingue toutefois de !'Éveillé par le fait de ne pas être l'instiga-
teur de la Bonne Loi - mais son disciple - et de ne pas accompa-
gner autrui vers l'extinction grâce à son enseignement. Les textes
font toutefois mention du vœu que formulent certains arhat d'ac-
compagner vers 1' éveil ceux qui le souhaitent et de se conformer
ainsi plus encore à l'exemple d'un buddha « parfaitement éveillé »
apte à partager et enseigner le dharma. Ils sont alors désignés sous
le terme de bodhisattva : des êtres promis à 1' éveil ou des buddha
en devenir. Comme nous l'avons souligné plus haut, cette notion
reformulée et largement enrichie dans les sütra du Mahayana fut
promise à une très grande fortune. L'exemplarité de l'arhat y perdit
en partie sa pertinence au bénéfice de celle du bodhisattva, devenu
la figure exemplaire du Mahayana.
Le bodhisattva
« Demeurant dans le cycle, les sages suprêmes sont à même
d'œuvrer à l'incomparable bien des êtres sans passer au-delà des
peines. Accomplis dans la sagesse fondamentale et la méthode de
la perfection de sagesse, ils savent qu'en raison de la pureté de
tous les phénomènes, le cycle est immaculé. »
Vl
Q)
La perfecti on de sagesse en cent cinquante moyens.
0
'-
>-
w
\D
M
0
N Le mot bodhisattva, qui articule deux termes, bodhi (éveil) et sattva
@
.._,
..c
(être), peut être entendu de deux façons sensiblement distinctes si
O'l
·c l'on considère le personnage emblématique qu'il désigne au jour de
>-
a.
0
u
son cheminement ou de son accomplissement.
(/)
<li
0
'-
• les Prajiïaparamitasutra, «Les sutra de la perfection de sagesse»;
>-
w
\D
• le Bodhisattvacaryavatara, « L'entrée dans la pratique des
M
0
N
bodhisattva » ;
@
.._, • le Dasabhumikasutra, «Le sutra des dix terres ».
..c
O'l
·c
>-
a.
0
u Les Prajfiaparamitasütra V)
QJ
e
>,
Nous avons déjà vu l'importance du thème de prajfïa dans les Sutra w
QJ
Q_
98 1 Le bouddhisme
non seulement du soi mais de tout ce qui peut être perçu, nommé,
pensé ...
Par l'appréhension de cette sagesse, le bodhisattva bénéficie d'une
omniscience « inconcevable, incommensurable, égale à l 'inégalable ».
Fort de ce pouvoir« qui est la mère de tous les héros pour l'éveil », il
ne s'attache pas à l'éveil ni ne souhaite demeurer en nirva]Ja. Il se
distingue sur ce point de ceux qui, recherchant « gains et honneurs
sont attachés à leur robe et à leur bol à aumônes » et « visent l'inférieur,
de pauvre inspiration, installés dans un piètre véhicule».
vi
Q)
0
'-
>-
Engagements
w
\D
M
0
C'est en abordant le Bodhisattvacaryavatara20 qu'il est possible de
N
@ saisir les tout premiers moments de l'engagement du bodhisattva
.._,
..c
O'l
vers ses accomplissements. Remarquable pour l'intensité de son
·c
>-
a.
inspiration et la clarté de son écriture, ce texte tardif, rédigé par
0
u (/)
Santideva au VIIIe siècle, dresse la figure du « héros pour l'éveil » de
<li
2»
w
<li
o_
::J 20. L es références à ce texte sont 1c1 toutes issues de la traduction du texte du
2 Bodhisattvacaryavata.ra traduit du tibétain par G. Driessens : Santideva, Vivre en héros
l')
@ pour l'éveil, Paris, Le Seuil, 1993.
0
• la perfection de la patience (k~anti) ;
'-
>-
w • la perfection de l'énergie (vïrya) ;
\D
M
0 • la perfection de la méditation (dhyana) ;
N
@
.._, • la perfection de la sagesse (prajna).
..c
O'l
·c Atteinte les unes après les autres, les paramita entrent progressive-
>-
a.
0
u
ment en interaction et se « colorent » mutuellement. La perfection
V)
e
de l'éthique, elle-même nourrie de la patience, de l'énergie, etc. >,
w
QJ
100 1 Le bouddhisme
sanyata. Elle initie donc ainsi une dynamique circulaire qui s'am-
plifie et confère une dimension de plus en plus subtile et profonde
à l'efficience compassionnelle du bodhisattva.
Qyatre sentiments « illimités », quatre dispositions spirituelles
nées de diverses méditations et ferments de l'action salvatrice,
viennent dans certains textes enrichir encore la perfection, il s'agit
de:
• la bienveillance (maitrr) ;
• la compassion (karU1:za) ;
• la joie (mudita) ;
• l'équanimité (upek$a).
vi
Q)
La prem ière terre
0
'-
>-
w
La première nommée «joie suprême » est atteinte par celui qui,
\D
M
ayant « planté des racines de bien », réalise qu'il peut être l'égal
0
N des buddha et aider des êtres en nombre infini à s'affranchir du
@
.._, sarrisara. Dès qu'il engendre cet esprit, il quitte « sa condition
..c
O'l
·c
>-
ordinaire et accède à l'état de bodhisattva».
a.
0
u (/)
Il formule alors les vœux ambitieux de pouvoir :
<li
La septième terre
Arrivé à la septième terre au terme d'efforts maintenus durant
plusieurs « centaines de milliers de millions de milliards d'ères
cosmiques », le bodhisattva a non seulement réalisé la sagesse de
la vacuité mais a acquis la maîtrise de tous les moyens habiles. Il
prend alors conscience qu'il doit renoncer à la dynamique de l'ef-
fort et accomplir désormais « spontanément » l'unité de la sagesse
Vl
Q)
et de ces moyens pour « des centaines de milliers de millions de
0 milliards d'ères cosmiques et dans des centaines de milliers de millions
'-
>-
w
\D
de milliards de mondes».
M
0
N
@
.._, La dixième terre
.c
O'l
·c
>- L'arrivée dans la dixième terre nommée « nuage des enseignements»
a.
0
u consacre cette ultime faculté, alors que des buddha et des bodhi- V)
QJ
sattva en nombre infini s'amassent pour célébrer son investiture e
>,
w
dans des flots de louanges, de parfums et d'étoffes chatoyantes. QJ
Q_
102 1 Le bouddhisme
vers et amasse d'inépuisables mérites. Établi dans la « très profonde
essence véritable du réel [. . .] sans caractéristique [. . .], il manifeste des
activités les plus variées en restant au niveau de la vérité absolue ».
Le parcours des dix terres s'achève ainsi, alors que commence la
pleine efficience du bodhisattva pour des temps infinis et dans des
mondes situés au-delà de toute conscience humaine ordinaire.
vi
Q)
0
'-
>-
w
\D
M
0
N
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.._,
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O'l
·c
>-
a.
0
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.......
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01
·c
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a..
0
u
CHAPITRE 6
PRATIQUES
Au programme
• Pratiquer le don
• Énoncer et réciter: un art bouddhique du langage?
• Fidèles en chemin : pèlerinages bouddhiques
0
les pratiques bouddhiques sont d'une grande variété. Elles varient
'-
>-
w en fonction des contextes géographiques, historiques et sociaux.
\D
M
0
Elles se distinguent aussi en fonction du statut des :fidèles (laïcs
N
@
ou religieux), de l'intensité de leur implication personnelle, de
.._,
..c celle de la communauté sociale à laquelle ils appartiennent, de leur
O'l
·c
>-
a.
accès plus ou moins aisé aux enseignements ...
0
u (/) Ces pratiques peuvent être de l'ordre :
<li
106 1 Le bouddhisme
Nous nous y intéresserons ici pour leur permanence et leur récur-
rence dans l'ensemble du monde bouddhique, pour leur popularité
et la visibilité de leur inscription matérielle très présente dans les
pays concernés, pour leur caractère social fédérateur. Elles nous
invitent enfin à écarter un clivage - souvent malencontreuse-
ment véhiculé - entre bouddhisme « populaire » et « bouddhisme
savant».
Pratiquer le don
«Si des gens, dans des temples et pagodes devant les statues
précieuses et les images ont par fleurs et encens, bannières et
dais, d 'un cœur respectueux ont fait leurs offrandes, s'ils ont
amené les autres à faire de la musique[ ... ] ou s'ils ont d'un cœur
exultant célébré en hymne et cantiques les mérites de l 'Éveillé,
même par un seul petit son, ils ont tous désormais réalisé
la voie d'Éveillé. »
Le su tra du Lo tus, chap. Il.
Le don est en cela souvent placé avant l'éthique (sï/a) et la culture de l'esprit
(bhëivanëi). Il est aussi la première des perfections (pëiramitëi) à laquelle
s'exerce un bodhisattva.
108 1 Le bouddhisme
constituent des champs pleinement purifiés par la sagesse. Les
mérites attendus en retour du don n'en seront que plus certaine-
ment obtenus.
r!'h·B41
On donne en effet communément et légitimement dans le bouddhisme pour
recevoir un bienfait, une rétribution, pour acquérir des mérites (puoya), les
promesses d'une renaissance favorable et d'une progression vers l'au-delà
des souffrances.
2»
et à tous les autres vénérés du bouddhisme, sont une des expres-
w
<li
sions les plus répandues de la pratique du don. Elles sont dans
o_
::J
2
certains cas intimement associées à des pratiques méditatives
l')
@ ou à des visualisations développées d ans un contexte initiatique.
0
prémahayaniques ou mahayaniques font donc état des bienfaits
'-
>-
w qu'elle peut apporter: la beauté, la longévité, la bonne renommée,
\D
M
0
l'estime et le soutien des pairs . .. On peut également en attendre
N
@
une protection contre toutes sortes de dangers (les maladies, les
.._,
..c brigands, les inondations . . .) mais aussi l'espoir d'une vie prochaine
O'l
·c
>- moins douloureuse et, bien sûr, l'horizon du nirvt:tl;a.
a.
0
u L'attente d'un mérite explicitement formulé est parfois matéria- V)
QJ
lisée par une inscription apposée sur le relief d'un stapa, le corps e
>,
w
QJ
Q_
::J
22. C elui-ci peut sensiblement varier en fonction des pays ou des communautés e
(.')
religieuses. @
110 1 Le bouddhisme
d'un objet rituel, le colophon d'un livre ... Elle peut concerner des
mérites attendus par celui qui fait l'offrande pour lui-même. Elle
peut aussi concerner un de ses proches, une catégorie de personnes
(ses coreligionnaires par exemple) ou, plus largement, tous les
êtres sensibles.
0
'-
>- Dès l'installation du bouddhisme au Tibet au v111e siècle, les chefs des lignées
w
\D spirituelles, puis les abbés des monastères, reçurent des dons importants de la
M
0
N
part des rois et des seigneurs locaux en échange de la proclamation du dharma
@ et des rituels célébrés en leur faveur. Pourvus de terres à cultiver et de serfs qui
.._,
..c leur étaient attachés, pourvus de troupeaux aussi, les monastères constituèrent
O'l
·c
>-
a.
des seigneuries autonomes parfois très prospères. Réserves de biens, lieux
0
u (/)
d'échanges financiers et commerciaux, ils furent les acteurs essentiels de la vie
<li
économique du Tibet.
2»
w Entretenir l'égalité du lien de donateur laïc/protecteur spirituel dans un jeu de
<li
o_
::J don et de contre-don équilibré eut aussi des incidences importantes sur les
2
l')
équilibres politiques. L'enrichissement des monast ères appelait en effet vers eux
@
e
>,
w
QJ
Q_
::J
e
(.')
@
112 1 Le bouddhisme
,
Enoncer et réciter: un art bouddhique
du langage?
0 incantatoires.
'-
>-
w
\D
On constate de fait la cohabitation de plusieurs usages spécifiques
M
0
N
du langage dans le contexte bouddhique :
@
.._, • des enseignements usant de ses ressources les plus subtiles pour
..c
O'l
·c porter leur raisonnement et leur efficacité spirituelle ;
>-
a.
0 • des usages rituels réitérant des récitations pour appuyer la
u (/)
<li pratique de l'offrande ;
2»
w
<li
• des transmissions de pouvoirs grâce à l'usage de formules
o_
::J
2
défaites de toute ambition sémantique ou discursive ;
l')
@
Les koan
Certaines pratiques des maîtres chan/zen révèlent bien cet art multiple de la
parole. C'est le cas notamment des kaon auxquels l'école zen rinzai accorde
une grande importance comme moyen d'éveil. Les kaon sont des jeux de
questions-réponses entre un maître et un disciple, des sentences surprenantes
ou des historiettes souvent remarquées pour leur aspect déconcertant, voire
humoristique. Les kaon sont utilisés par un maître dans le cadre de la formation
d'un disciple. Ils sont tout à la fois des objets d'étude et d'exégèse qui mettent à
l'épreuve les connaissances, l'érudition et l'intelligence spirituelle de ce dernier.
Ils sont aussi des moyens puissants de questionnement censé conduire à l'éveil
en usant d'un art subtil du langage qui désarticule les logiques et les implications
cognitives usuelles. Ils invitent en dernière instance à une expérience, à une
intuition profonde du réel hors de toute appréhension intellectuelle ou
discursive.
« Quel bruit fait le claquement d'une seule main ? »
Récitations
Dans les temples et les monastères, lors des pèlerinages, lors des
hommages quotidiens ou des festivités solennelles, lors des céré-
Vl
Q) monies domestiques, des funérailles... l'usage le plus directe-
0
'-
>- ment perceptible de la parole bouddhique est celui des récitations.
w
\D
M
Certaines d'entre elles sont dites dans le cadre d'initiations ou
0
N de cérémonies monastiques. C'est le cas par exemple de la récita-
@
.._, tion des règles monastiques (pratimok.$a), lors de la pleine et de la
..c
O'l
·c nouvelle lune, qui ne concerne que les moines d'une même commu-
>-
a.
0 nauté. D'autres sont au contraire partagées par les moines et les
u V)
laïcs. Recelant plus d'efficacité si elles sont dites par une personne QJ
e
purifiée par l'ascèse ou le respect de règles de vie vertueuses, elles >,
w
QJ
constituent donc, en bien des occasions, une occupation assurée Q_
::J
e
par les moines au bénéfice des laïcs. (.')
@
114 1 Le bouddhisme
Paritta
Un exemple familier pour les fidèles du Theravada au Myanmar,
en Thaïlande, au Cambodge et au Sri Lanka, est la récitation des
sütra protecteurs (paritta). Ces sütra constituent une collection
de vingt-quatre textes23 du canon pali réunis pour leur pouvoir
de prévenir les dangers de tous ordres (les peines, les peurs, les
maladies ... ) et d'apporter protections et bienfaits. Les recueils
de paritta sont usuellement présents dans les maisons et chaque
membre d'une famille peut spontanément décider de les réciter.
Dans le cadre monastique, ils sont psalmodiés après les sutra de
prise de refuge en Buddha, dharma et sarngha et le rappel des
grands préceptes. Leur récitation est dans bien des cas l'objet de
commandes de la part des laïcs auprès des moines dans le but de
bénir une maison, un nouveau-né, ou des mariés ; afin d'obtenir
une guérison ou d'honorer un défunt.
Les récitations des paritta sont plus ou moins longues en fonction
des occasions qui peuvent être domestiques ou solennelles. Dans
le cas de rituels domestiques, elles peuvent durer une ou quelques
heures. Dans le cas de festivals religieux ou d'occasions sociales
importantes, elles sollicitent plusieurs moines et peuvent durer
plusieurs jours.
Mantra et dharanT
2»
w
<li
o_
::J
23. Le nombre peut toutefois légèrement varier en fonction des communautés.
2 24. On verra à ce sujet notamment : Michel Strickmann, Mantra et mandarins,
l')
@ Gallimard, 1996.
e
>,
w
QJ
Q_
25. Les travaux de Jérôme Ducor ont récemment éclairé la tradition des T erres Pures ::J
grâce à deux ouvrages : Honen, Le gué vers la Terre Pure, Fayard, 2005 et Shinran, un e
(.')
116 1 Le bouddhisme
l'expérience de la réalisation de l'éveil. Nous avions vu plus haut
les différentes étapes de la carrière d'un bodhisattva décrites en dix
terres. L'accès à la Sukhavatï correspond pour le fidèle qui l'atteint
à l'entrée dans la huitième terre : celui qui y parvient progresse
désormais sans retour vers son accomplissement.
Au contraire des bodhisattva, les dévots d'Amida ne s'engagent pas
sur le chemin des perfections mais pratiquent la récitation réitérée
du nom d'Amida par la formule suivante : « Révérence au buddha
Amida26 ! »
C'est sur la foi de plusieurs satra 27 datés des IIe et Ille siècles
après J.-C. et conformément aux enseignements qu'en tirèrent
des maîtres tels Shandao (613-681) en Chine, ou Honen (1133-
1212) et Shinran (1173-1263) au Japon, que cette pratique acquit
toute son autorité. Plusieurs courants28 de la tradition des Terres
Pures affirment que par la compassion d'Amida, celui qui récite
son nom bénéficie de tous les mérites accumulés par Amida. Il
fait par là même preuve de la foi dans le vœu compassionnel du
buddha, s'imprègne de toutes ses qualités et en acquiert de grands
mérites. Cette pratique acquit une popularité particulière au Japon
dès le XIIe siècle dans le cadre de l'accompagnement des mourants.
Ces derniers récitant avec foi le nom d'Amida étant assurés d'être
accueillis dans la Sukhavatï par le Buddha lui-même.
vi
Q)
0
'-
Fidèles en chemin pèlerinages
>-
w
\D
M
bouddhiques
0
N
@
.._,
La disposition confiante mêlée de gratitude à l'égard du Buddha
..c
O'l et de son enseignement s'est manifestée dès après sa disparition
·c
>-
a. par la vénération des reliques ou des objets lui ayant appartenu. Ils
0
u (/)
<li
2» 26. Elle est principalement connue sous la forme j aponaise namo Amida butsu nommée
w
<li nembutsu.
o_
::J
2 27. Notamment le Sütra de vie infinie, le Sûtra des contemplations de Vie infinies et le
l')
Sûtra d'Amida.
@
28. Le Shandao en Chine, le Jodo-shü et le Jodo-shinshü au Japon.
Lis, 1998. @
118 1 Le bouddhisme
gine par le pouvoir royal ou leur communauté d'attache, pouvaient
avoir d 'autres objectifs encore :
• apporter en ces lieux des offrandes prestigieuses dont les béné-
fices s'étendraient à leur pays et à leurs coreligionnaires ;
• faire construire et entretenir des espaces d'accueil et d'héberge-
ment pour les fidèles ;
• collecter les enseignements « originels » en consultant, recopiant
et traduisant les ouvrages conservés dans les universités bou-
ddhiques et en recevant les enseignements de leurs maîtres les
mieux qualifiés ;
• acquérir des reliques, des images ou des objets sacrés, qui assu-
reraient, loin du Magadha, une sorte d'ubiquité du Buddha et
du pouvoir de sa présence.
De fait, les reliques se multiplièrent et s'exportèrent hors de l'Inde
pour constituer d'abord une géographie sacrée symboliquement
rattachée à la terre originelle du Buddha. La multiplication des
lieux saints du bouddhisme et la pratique des pèlerinages se déve-
loppa ensuite sous d'autres modalités s'appropriant ici des usages
prébouddhiques, s'attachant, ailleurs, à la présence d'un bodhisattva
ou à la mémoire d 'un maître renommé. Le pèlerinage chinois au
mont Wutai, le pèlerinage japonais des quatre-vingt-huit temples
de Shikoku et le pèlerinage tibétain du Jokhang en constituent
des exemples d 'une grande popularité dont les enjeux religieux et
sociaux présentent des nuances particulières.
Vl
Q)
0
'-
>-
w
\D
M
Nouvelles terres saintes en Chine
0
N
@ Les montagnes furent vénérées en Chine depuis la plus haute anti-
.._,
..c
O'l
quité. Témoins de la force et de la beauté de l'énergie cosmique
·c
>-
a. et tellurique, elles furent le lieu de la quête d'immortalité des
0
u (/) maîtres taoïstes, celui d 'inspiration, d'émerveillement et d'accom-
<li
Le Wutaishan
La « Montagne aux cinq terrasses » est une chaîne de cinq pics située dans la
province septentrionale du Shanxi. Elle fut d'abord un lieu de retraite taoïste
avant d'être considérée par les bouddhistes comme le séjour du bodhisattva
Mafîjusrï. Le Wutaishan fut visité dès les 1ve-ve siècles par de nombreux
bouddhistes chinois auxquels se joignirent, à partir du x111e siècle, nombre de
pèlerins principalement tibétains et mongols. Fervents dévots de Mafîjusrï, ils
venaient honorer les nombreux temples et monastères du site, ses sources
d'eaux sacrées, ses grottes, ses arbres et ses pierres mais aussi les apparitions
miraculeuses de Mafîjusrï dans les nuages. Si le but du pèlerinage pouvait être
l'accumulation des mérites pour une prochaine vie, l'expiation d'une faute
ou l'obtention de la guérison pour soi-même ou pour un proche, les pèlerins
mongols vinrent bientôt y enterrer les restes de leurs parents défunts, y faire
paître leurs troupeaux dans les pâturages alentours, y faire des échanges
commerciaux que ce carrefour religieux stimulait. Bienfaits spirituels et bienfaits
matériels se renforçant mutuellement, le Wutaishan devint un lieu d'échanges
diplomatiques et économiques extrêmement actif et prospère, notamment
sous la dynastie mandchoue des Qing. Les tensions ne furent pas exclues de
cette cohabitation cosmopolite d'usages, d'espoirs et d'ambitions. Le Wutaishan
suscita la générosité des différents groupes de pèlerins et ses quelque 250 lieux
sacrés ne cessèrent d'être enrichis, embellis, restaurés au long des siècles. Il est
aujourd' hui le deuxième site bouddhique le plus riche et le plus actif après celui
du Shaoling.
Vl
Q)
0
'-
>-
w
\D
M
0 Circuits au Japon
N
@
.._,
..c
Certains des grands pèlerinages de l'archipel japonais furent aussi
O'l
·c (et demeurent) l'occasion de vénérer les grands bodhisattva. Le
>-
a.
0
u
circuit des trente-trois lieux saints des provinces de l'Ouest30 est
V)
e
>,
w
QJ
Q_
::J
30. D e l'île de H onshu. e
(.')
120 1 Le bouddhisme
compassionnelle est volontiers sollicitée lors des difficultés de la
vie quotidienne liées à la maladie d'un proche, la crainte de ne pas
avoir d'enfants ou celle de soucis :financiers.
Parmi les pèlerinages les plus populaires du Japon, celui des
quatre-vingt-huit temples de Shikoku n'est toutefois pas dédié à
un bodhisattva mais placé sous la tutelle bienveillante de Kükai ou
Kobô Daishi, le patriarche du bouddhisme ésotérique japonais.
Introduisant dans son pays des textes et des rituels auxquels il fut
initié en Chine, au début du IXe siècle, il s'attacha à en systématiser
les enseignements, fonda le courant tantrique du Shingon et établit
le Kongôbu-ji, son monastère principal, sur le mont Koya en 834.
La tradition, qui salue volontiers le caractère charismatique de
Kükai, son érudition et ses talents poétiques et calligraphiques,
le considère comme immortel. Les pèlerins du circuit des quatre-
vingt-huit temples de Shikoku ont ainsi la conviction qu'il chemine
auprès d'eux dans une telle intimité qu'ils se sentent toujours « à
deux » et efficacement épaulés pour maintenir les efforts de leur
marche durant quelque mille quatre-cents kilomètres.
Chaque temple du pèlerinage constitue une étape lors de laquelle est réitérée
une séquence rituelle identique : le pèlerin s'incline en geste de salut avant de
franchir la porte principale du temple. Il se purifie ensuite les mains et la bouche
à l'eau d'une fontaine, sonne la cloche du temple, allume des petites bougies
vi
Q)
et offre des bâtonnets d'encens. Puis il dépose dans deux urnes différentes une
0
'-
offrande d'argent et une bandelette de papier nommée osame-fuda qui porte
>-
w son nom, son adresse, la date de son passage, la formulation d'un vœu et, dans
\D
M
0
ce cas, l'image imprimée de Kükai. Après avoir ainsi attesté de son passage, le
N
@
pèlerin s'incline de nouveau et récite le Sütra du cœur puis invoque la lumière
.._, purificatrice et protectrice du buddha Dainichi. Avant de quitter les lieux, il fait
..c
O'l
·c apposer le sceau du temple dans son carnet de pèlerinage et recueille des ofuda:
>-
a.
0 des bandelettes de papier consacrées par le temple, porteuses d'une inscription
u (/)
<li votive et d'une image sainte. Les ofuda sont précieusement conservés ou
2» offertes par les pèlerins en vertu de leurs pouvoirs protecteurs. En propageant
w
<li
o_ les bénéfices liés à la formule ou à l'image qu'ils portent, ils rappellent toute la
::J
2 puissance talismanique de l'image dans le monde bouddhique.
l')
@
122 1 Le bouddhisme
PARTIE 3
JEUX, DE POUVOIRS,
CLERGES BOUDDHIQUES
, ,
ET SOCIETES
ASIATIQUES
Vl
Q)
0
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01
·c
>-
a..
0
u
Par voies terrestres ou maritimes, sous des modalités souvent peu
documentées pour les périodes les plus anciennes, le dharma s'est
diffusé dans toutes l'Asie. En plus des régions des actuels Afghanistan
et Pakistan que l'on associe à l'Inde ancienne, on distingue généra-
lement quatre grandes aires culturelles pour appréhender cette diffu-
sion. Ces dernières peuvent se chevaucher ou se recouvrir en fonction
des réalités géopolitiques des différentes périodes de l'histoire :
• celle de l'Asie Centrale ;
• celle de la Chine, de la Corée et du Japon ;
• celle de l'Asie du Sud-Est;
• et celle du monde himalayen auquel on adjoint souvent la Mongolie.
Leur présence et leur autorité devenues suffisamment signifiantes
dans les différents empires ou royaumes où le dharma fut diffusé et
implanté, les élites bouddhistes et leurs institutions monastiques
furent amenées, en différents temps de l'histoire, à jouer un rôle
important dans la structuration idéologique, sociale, politique ou
économique de ces différentes régions d'Asie.
Qy'il s'impose, soit sollicité, attendu ou contesté, on devine aisé-
ment que le pouvoir du smrzgha fut diversement apprécié par ses
partisans, ses concurrents et détracteurs. Ces derniers surent
parfois lui opposer des coups violents, l'affaiblissant durablement
ou l'amenant à adapter ses positionnements sociaux ou doctrinaux.
Révélant de façon exemplaire la diversité des modes d'inscription
Vl
Q)
du bouddhisme dans les sociétés asiatiques et celle des positionne-
0
'- ments du saf?'lgha dans le jeu des pouvoirs, quatre moments parti-
>-
w
\D
culièrement signifiants pour l'histoire du bouddhisme dans quatre
M
0
N
pays d'Asie ont ici été retenus :
@
.._, • la grande proscription de 845 en Chine;
..c
O'l
·c • la prise de pouvoir du yeDalaï-Lama au Tibet en 1642;
>-
a.
0
u (/)
• la réforme religieuse du roi Mongkut (r. 1851-1868) en Thaïlande ;
<li
0!....
>-
w
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r-i
0
N
@
.......
..c
01
·c
>-
a..
0
u
CHAPITRE 7
LA GRANDE
PROSCRIPTION
CHINOISE DE 845
Au programme
0
'-
>-
économique tendu.
w
\D
M
0
N
@
.._,
..c
O'l
·c
>-
a.
0
u (/)
<li
32. L'historiographie traditionnelle chinoise procède d'un découpage temporel en
2» tranches dynastiques. Cette écriture de l'histoire donne volontiers la perception de
w
<li cycles successifs avec leurs phases d'émergence, d'apogée et de déclin. Les faits ne sont
o_
::J cependant pas si linéaires. Il existe de longues périodes où la Chine est globalement
2 unifiée sous l'autorité d 'un pouvoir centralisé. Il existe aussi des périodes où la Chine se
l')
@ fragmente territorialement et où plusieurs dynasties cohabitent.
Copyright© 2016 Eyrolles .
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© Groupe Eyrolles
La portée d'un événement
Ces comptes, livrés par un décret impérial publié en 845 après que
les mesures décidées avaient été appliquées, donnent l'échelle des
actions menées par l'empereur Wu Zong à l'encontre des institutions
bouddhiques lors de la grande proscription qui eut lieu en Chine de
842 à 845 sous la dynastie des Tang.
Étendue aux religions arrivées d'Iran 33 , cette proscription fut
appliquée avec une grande rigueur à Chang'an mais s'avéra d'une
moindre intensité dans les provinces éloignées de la capitale. Elle
resta toutefois, par sa virulence, un événement mémorable dans
l'histoire des religions en Chine.
Ses effets, longtemps décrits comme fatals pour le bouddhisme
chinois, peuvent aujourd'hui être mesurés de façon moins péremp-
toire. Sans minimiser l'appauvrissement du sarrigha et la dispari-
tion de certaines écoles suscitée par cet événement, on note que
Vl
Q) le décret de Wuzong fut - dès 846 - amendé par son successeur
0
'-
>- en faveur de la reconstruction de nombreux monastères et du
w
\D
M
retour à la vie religieuse de leurs moines. Bien que les modalités
0
N de son influence se soient redessinées, la portée du bouddhisme,
@
.._,
..c
loin d'être anéantie, demeura tout à fait signifiante. Le nombre de
O'l
·c ses monastères, sa portée spirituelle, intellectuelle et artistique fut
>-
a.
0
u
considérable sous la dynastie des Song (960-1127). L'avènement
(/)
<li
des dynasties d'origine nomades des Yuan (1271-1368) et des
2»
w Manchous (1644-1911) permit au bouddhisme chinois de s'enri-
<li
o_
::J
2
l')
@ 3 3. Le zoroastrisme, le m anichéisme et le nestorianisme.
bouddhisme. @
130 1 Le bouddhisme
bouddhisme fit la « conquête 35 » de la Chine. Ses apports furent
nombreux et mirent en question bien des aspects d'une culture
lettrée très consciente de son identité et de ses racines.
Le bouddhisme transmit d'abord à la Chine des images et des
supports de dévotion jusqu'alors inconnus, porteurs de nouveaux
espoirs de protection, de secours ou de bienfaits. Ils furent bientôt
vénérés dans des sanctuaires et sollicités dans l'espoir d 'une rétri-
bution prochaine, d'une destinée plus heureuse où d'un accompa-
gnement vers l'au-delà des souffrances.
Le bouddhisme apporta aussi un ensemble de rituels propitiatoires
ou initiatiques ainsi que des pratiques concernant la maîtrise du
souffle et de l'esprit. Leurs perfectionnements, réputés conduire
vers l'émancipation spirituelle, conférer des facultés de divination
et d'autres pouvoirs miraculeux, suscitèrent beaucoup d'intérêt.
Dans le domaine de la cosmologie, les théories du Mahayana avec
leurs déploiements infinis de mondes dessinèrent des conceptions
de l'espace et du temps radicalement différentes de celles qui avaient
jusqu'alors été imaginées en Chine. La place des êtres vivants dans
le flux ininterrompu des vies et des renaissances s'énonça dans ce
contexte d'une façon tout à fait nouvelle également.
Aux interrogations portant sur la réalité des phénomènes, de
l'individu, de la pensée, les doctrines bouddhiques offrirent
des réponses diversement nuancées, distinctes de celles que les
vi
penseurs chinois avaient jusqu'alors élaborées.
Q)
0
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À tout cela s'agrégea une architecture morale, des façons spéci-
>-
w
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fiques de penser la légitimation du pouvoir et sa place dans l'ordre
M
0
N
socio-cosmique. Qyant aux structures sociales, le sarrigha consti-
@
.._, tua une nouveauté radicale pour la Chine où le monachisme ne
..c
O'l
·c
s'était pas développé et où les principaux liens sociaux avaient été
>-
a.
0
principalement pensés dans le cadre de la filiation.
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2 35 Cette expression est issue d 'un ouvrage de référence : E. Zürcher, The Buddhist
l')
@ Conquest of China, 1959.
l!JU·B§i
La diffusion du bouddhisme ne fut planifiée par aucune autorité ou institution.
Les savoirs et les pratiques des moines ou des laïcs bouddhistes étrangers
arrivés là étaient fort disparates et ne furent tout d'abord pas transmis de
façon articulée.
132 1 Le bouddhisme
montée en puissance des bouddhistes - moines et laïcs - et du
nouveau poids de leur influence dans les cercles du pouvoir et les
cénacles érudits. Kumarajïva est un des grands traducteurs de cette
période intellectuellement très riche. Installé à Chang'an à partir
de 402, il entreprit une œuvre considérable permettant l'accès à de
nouveaux sutra et aux grands textes du Madhyamika.
Xuangzang
Xuangzang {602-664), un autre grand traducteur, doit aussi être cité. Il fut,
au début de la période tang, le plus célèbre des « moines pèlerins » partis
en Inde pour vivifier le bouddhisme chinois au contact des sources sanskrites
originales. Près de 600 textes furent rapportés de son voyage et permirent
l'approfondissement des connaissances scripturaires portant notamment sur
les doctrines du Yogacara.
2» 36. La perception commune de la période t ang comme une période d'apogée avant le
w
<li déclin du bouddhisme chinois est aujourd'hui mise en cau se par une connaissance plus
o_
::J précise de l'histoire du bouddhisme en C hine lors des périodes ultérieures. On verra
2 notamment à ce sujet : Peter N. Gregory and Daniel A. Getz, Buddhism in the Sung,
l')
@ Honolulu, University of Hawaï Press, 1999.
l!'.t·li§i
Nous avons ici choisi le terme large de « courant » car le Tiantai, le Chan, les
Terres pures ... ne relèvent pas exactement des mêmes catégories. Certains
Vl
auteurs utilisent le mot « école » comme traduction approximative du mot
Q)
134 1 Le bouddhisme
Fazang (643-712) qui fut reconnu comme l'un de ses plus grands
théoriciens. Il s'attela lui aussi à de nouveaux travaux de synthèse
qui partagèrent avec le Tiantai des constructions intellectuelles
d'une très grande exigence et une vision synthétique de la diversité
des doctrines. Les talents de Fazang firent bénéficier ses coreli-
gionnaires d'un soutien très affirmé de la part de quatre souverains
dont il fut l'un des conseillers spirituels. Le plus fervent d'entre
eux fut l'impératrice Wu Zetian. Elle s'appuya sur les enseigne-
ments du Huayan et les conceptions de monarque universel pour
assurer la légitimité d'un pouvoir que les structures confucéennes
lui refusaient. Le Huayan, florissant sous les Song, se diffusa en
Corée et au Japon.
0
'-
pratiques et doctrinaux, vivifiées par plusieurs grands maîtres
>-
w chinois et sont demeurées populaires jusqu'à aujourd'hui.
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Le Chan
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a.
0 Le Chan revendiqua, lui, l'héritage de Bodhidharma - un
u (/)
<li patriarche indien peut-être légendaire. Parvenu au monastère de
2»
w Shaolin, il serait resté là neuf ans en méditation avant de parvenir
<li
o_
::J à l'éveil et de délivrer ses enseignements. L'histoire des débuts de
2
l')
@
ce courant et celle de ses ramifications est complexe. L'une d 'elles,
e
>,
w
QJ
Q_
::J
3 8. Ces deux branches sont connues au Japon sous les noms Rinzai et Soto. e
(.')
136 1 Le bouddhisme
Proximités et distances
Préparée par la longue période des Six Dynasties (220-581) -
particulièrement riche en recherches et en échanges intellectuels
- la période tang s'est caractérisée par une grande perméabilité de
ses familles intellectuelles et spirituelles.
Les débats, les jeux d'influences étaient non seulement nombreux
entre les différentes écoles bouddhiques mais également entre les
« trois doctrines » qui s'influencèrent mutuellement tant par le
jeu des affinités que celui des dissensions et des débats qu'elles
suscitèrent. Ce bain culturel, cette imprégnation mutuelle ne fut
pas sans oppositions. Les apports du bouddhisme ne cessèrent de
susciter des questions quant à la pertinence de leur développement
au sein de la société chinoise.
• Les idées, les usages bouddhiques étaient-ils pertinents ?
• Étaient-ils profitables à l'Empire ?
• C&i en bénéficiait ?
• Dans quelle mesure affectaient-ils les fondements des idéolo-
gies confucéennes et taoïstes ?
• Allaient-ils les enrichir ? Les corrompre ?
• Allaient-ils fragiliser leurs partisans influents ?
Les termes, l'intensité et les enjeux de ces débats sont accessibles
dans des recueils réunissant, à l'adresse des empereurs, les ques-
vi
Q)
tions polémiques opposant les « trois doctrines » et les réponses
0 apportées par les différents détracteurs. On doit à Lu Cheng, un
'-
>-
w
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fonctionnaire du ~ siècle une première compilation de ce type
M
0
N dont seule la table des matières nous est parvenue. Une autre
@
.._, compilation fut publiée au début du VIe siècle et une autre encore
..c
O'l
·c au vne siècle au début de la dynastie des Tang par Daoxuan40 •
>-
a.
0
u (/)
<li
2» 40. On verra à ce propos les travaux de Sylvie Hureau : « Réseaux de bouddhistes des
w
<li Six Dynasties : défense et propagation du bouddhisme », in Bouddhisme et lettrés dans
o_
::J la Chine médiévale, Peeters, Paris-Louvain, 2002 et L'apparition de thèmes anticléricaux
2 dans la polémique anti-bouddhique médiévale, Extrême -Orient extrême-Occident 24,
l')
@ P aris, 2002.
0
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Comment contrôler les monastères ?
M
0
N
@
Un autre argument avancé contre le monachisme fut la difficulté
...., rencontrée par l'État pour contrôler l'authenticité de la motiva-
..c
O'l
·c tion des moines, leurs connaissances et leurs mœurs. Cette ques-
>-
a.
u
0
tion était d 'autant plus délicate que les communautés avaient des V)
QJ
statuts variés et que leurs enseignements et leurs règles discipli- e
>,
naires étaient sujets à bien des variations. Cette hétérogénéité w
QJ
Q_
138 1 Le bouddhisme
Xénophobie
Ces accusations furent très vite appuyées par une défiance visant
plus globalement le bouddhisme en tant que religion étrangère
donnant asile à des brigands et soutenant des positions subversives
et contraires aux valeurs ancestrales.
On doit à l'éminent lettré confucéen Han Yu (768-824) un
mémoire anti-bouddhique des plus virulents adressé à l'empereur
Xiang Zong en 819. Le Buddha y fut décrit comme « un barbare
dont la langue n'était pas chinoise », « ne connaissant ni la juste rela-
tion entre prince et ministre, ni le juste sentiment entre père et fils ». Si
Han Yu n'eut pas alors l'écoute de l'empereur et fut même banni
pour ses positions, il s'imposa comme le précurseur d'un renouveau
confucéen trouvant dans les Classiques les éléments d'une éthique
indispensable à l'équilibre de l'Empire. Pleinement épanouies
sous les Song, les positions les plus ouvertement exclusives de ce
renouveau continuèrent à fustiger le bouddhisme comme respon-
sable de la dégradation morale et par là même de l'affaiblissement
politique de l'État.
Privilèges et libertés
La liste des critiques ne s'arrêta pas là. On fit très tôt le procès de
l'indépendance des institutions bouddhiques, de leurs privilèges
Vl
et de leurs richesses.
Q)
e
>,
w
QJ
Q_
41. Jacques G ernet, Les aspects économiques du bouddhisme dans la société chinoise du V' ::J
140 1 Le bouddhisme
Après la grande proscription
La période qui succède à la grande proscription de 845 marque le
début de l'effondrement des Tang. Elle inaugure aussi, par-delà le
morcellement de l'Empire, une longue transition culturelle dessi-
nant une nouvelle étape de l'histoire chinoise.
Dans le domaine religieux, l'une des véritables ruptures concer-
nant le bouddhisme fut l'arrêt de ses relations avec l'Inde. Les
frontières de la Chine furent redessinées sous la pression des
Arabes, des Ouïgours et des Tibétains ; les routes de commerce et
de pèlerinage furent bientôt coupées. Aussi, malgré la diffusion de
nombreux enseignements tantriques 42 , le suivi des évolutions des
grandes universités du Bihar et du Bengale ne fut pas assuré.
Plus largement, la nouvelle période qui s'ouvrait ne fut pas seule-
ment remarquable pour son renouveau confucéen mais, sous
d'autres modalités que celles qui prévalurent sous les Tang, pour
les développements du taoïsme et du bouddhisme. La période
Song vit le repositionnement des « trois doctrines » les unes par
rapport aux autres et une nouvelle dynamique de stimulation
mutuelle. Engagées dans des développements intellectuels, spiri-
tuels et artistiques des plus accomplis, elles se distinguèrent et se
nourrirent de leurs réflexions respectives. L'inscription du bou-
ddhisme dans l'univers intellectuel et spirituel chinois demeura
bel et bien active. Les réflexions menées par les confucéens portant
Vl
sur les questions du réel, de l'unité sous-jacente à l'ensemble des
Q)
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CHAPITRE 8
1642: UN MOINE
BOUDDHISTE
, DIRIGE
DESORMAIS LE TIBET
Au programme
• L'avènement du ve Dalaï-lama à la tête
du Tibet
• La maîtrise d'un échiquier politique complexe
• L'écriture d'une« mystique du pouvoir»
• Le Potala comme résidence gouvernementale
• Liturgies en l'honneur des divinités protectrices
0
'-
du bouddhisme himalayen. Respectueusement désigné sous le
>-
w titre de« Grand ye », il demeure une figure essentielle et toujours
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0 célébrée de l'histoire tibétaine.
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::J 43. Blo-bzang rgya-mtsho, Lobsang Gyamtso ou Lozang Gyatso ? La translittération
2 Wylie de l'écriture tibétaine ét ant particulièrement complexe et difficile à prononcer,
l')
@ une transcription simplifiée a été ici adoptée.
Le Tibet du xv11e siècle et les régions himalayennes
sous influence tibétaine
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L'avènement du ve Dalaï-lama à la tête
du Tibet
44. Le bon peut, en fonction des époques et des sources, désig ner plusieurs réalités reli- e
>,
w
gieuses différentes. Il est dans certains cas clairement distingué du bouddhisme, appa- QJ
Q_
raît d ans d 'autres comme un mouvem ent syncrétique dans d'autres encore comme un ::J
asp ect du bouddhism e tibétain. N ous l'entendon s dan s le cadre de ce ch apitre comme e
(.')
146 1 Le bouddhisme
Plusieurs grandes lignées
Ces lignées 45 se distinguaient principalement les unes des autres
par l'importance qu'elles accordaient à l'enseignement d'un maître
fondateur, par les orientations de leurs cursus monastiques et par
la spécificité de leurs transmissions initiatiques. Si leurs nuances
doctrinales ne donnaient lieu qu'à de simples joutes discursives,
leurs divisions sur la scène politique et la défense de leurs intérêts
matériels étaient d'une toute autre âpreté.
Les Nyingmapa
La plus ancienne de ces lignées était celle des Nyingmapa. Ses
monastères, demeurés de taille modestes, exerçaient au XVIIe siècle
une réelle autorité spirituelle mais demeurèrent peu impliqués
dans le jeu politique.
La lignée des Nyingmapa se rattachait à l'enseignement de
Padmasambhava. Considéré comme le deuxième Buddha par les
Tibétains, il introduisit au VIIIe siècle les transmissions initiatiques
de grands maîtres tantriques indiens, puis se chargea de conduire
les premiers efforts de traduction des textes sanskrits en tibétain et
de superviser l'édification de Samye (vers 774), le premier monas-
tère bouddhique du Tibet.
C'est au XIe siècle, après une longue période obscure et politique-
ment confuse durant laquelle le bouddhisme fut pratiquement
Vl
Q) insignifiant, que le dharma fut revivifié. Trois nouvelles lignées
0
'-
>- - celle des Kadampa, des Kagyüpa et des Sakyapa - furent établies
w
\D
M
alors que l'influence du bouddhisme s'ancrait définitivement au
0
N Tibet.
@
.._,
..c
O'l
·c
>- Les Kadampa
a.
0
u (/) La lignée des Kadampa fut créée par Dromtonpa, un disciple de
<li
Les Kagyüpa
La lignée des Kagyüpa fut également fondée dans la première
moitié du XIe siècle grâce à un lien très fort avec les universités
bouddhiques indiennes. Il revint au traducteur tibétain Marpa d'y
séjourner et d'y recevoir les enseignements de maîtres et de yogis
éminents, notamment ceux du mahasiddha N aropa. De retour
au Tibet, Marpa transmit ces enseignements au célèbre poète
mystique Milarepa (1140-1123), reconnu comme le fondateur des
Kagyüpa.
Les Sakyapa
Les Sakyapa, comme les Kadampa et les Kagyüpa, reçurent en Inde
de l'Est la transmission de leurs enseignements fondateurs. Il
revint au traducteur Drokmi de les diffuser au Tibet. Ils y furent
préservés avec une grande rigueur par des moines ou des yogis
laïcs et mariés. Sakya Pandita (1182-1251) fut l'un des représen-
tants les plus éminents de cette lignée et s'illustra par sa poésie,
son érudition et un rôle politique sans précédent jusqu'alors.
Vl
Les Gelugpa
Q)
148 1 Le bouddhisme
Au XVIIe siècle, à l'aube de l'avènement du Ve Dalaï-Lama, ces
lignées, souvent subdivisées en plusieurs branches, dirigeaient des
monastères importants depuis plusieurs siècles. Par leur rayon-
nement spirituel, par les liens familiaux qu'ils entretenaient avec
des seigneuries laïques, par la protection que leur offraient les rois
de certaines provinces, ces monastères avaient fait fructifier de
nombreuses richesses issues de leurs domaines fonciers. Par leur
influence intellectuelle, ils étaient aussi devenus les principaux
acteurs politiques du Tibet.
,
Constituer un Etat stable et puissant
Dès le x111e siècle, les lignées s'étaient livrées - soit en leur nom,
soit en celui de leurs alliés laïcs - à des luttes ouvertement violentes.
Ayant autorité sur l'ensemble de la population religieuse et laïque,
le V e Dalaï-Lama s'employa dès son intronisation à neutraliser ces
luttes et décida pour cela de :
• restructurer le fonctionnement de l'État tibétain;
• étendre et inscrire son autorité sur le territoire grâce des
conquêtes continues ;
• mettre hors d'état de nuire les lignées spirituelles rivales ;
• conduire une diplomatie habile auprès des grandes puissances
v01s1nes.
Vl
Q)
La structure du gouvernement qu'il mit en place dès 1642 fut -
0
'- à quelques aménagements près - celle qui prévalut jusqu'à l'exil
>-
w
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du XIVe Dalaï-Lama en 1959. Le pouvoir fut dès lors régi par un
M
0
N
principe fondamental d'union ou « d'ordre conjugué» des pouvoirs
@
.._, religieux et séculiers. À sa tête, le Dalaï-Lama cumulait une double
..c
O'l
·c
autorité spirituelle et temporelle. Il était assisté pour les questions
>-
a.
0
politiques et administratives par un régent - le desi - et par un
u (/)
<li gouvernement - le Ganden Phodrang - dont les fonctions étaient
2» assumées par des fonctionnaires religieux et laïcs. Sélectionnés
w
<li
o_
::J
pour leurs compétences, les premiers, d'origine roturière pour la
2
l') plupart, étaient principalement issus des monastères gelugpa ; les
@
seconds étaient, eux, issus d 'une aristocratie nobiliaire.
e
>,
w
QJ
Q_
::J
e
(.')
@
150 1 Le bouddhisme
L'écriture d'une« mystique du pouvoir»
Si les démonstrations d'autorité et les exercices diplomatiques
sont, par-delà la singularité des contextes historiques, communs
à bien des souverains, c'est dans l'écriture d'une « mystique du
pouvoir » que la profonde originalité du ye Da/aï-Lama est sans
doute le mieux perceptible.
Lobsang Gyamtso fut formé à une école réputée rigoureuse dans
le domaine du respect de la discipline monastique, mais égale-
ment dans celui de la formation intellectuelle et spirituelle.
Offrant une connaissance approfondie des différentes doctrines
du Madhyamaka, le cursus gelugpa défendait les vues portées
par Candrakïrti grâce à l'appui des commentaires qu'en livra
Tsongkhapa. Le Lamrim, les Étapes de la Voie, introduit par Atïsa
au XIe siècle, constituait quant à lui la méthode de progression vers
l'éveil la plus en faveur auprès de ses maîtres.
e
>,
w
QJ
Q_
::J
46. Samten Karmay, Le Manuscrit d'or, Visions secrètes du V" Dalaï Lama, Findakly, e
(.')
1998, p. 45. @
152 1 Le bouddhisme
Le Potala comme résidence
gouvernementale
La résidence habituelle du Dalaï-lama à Drepung s'avéra vite insa-
tisfaisante pour accueillir un gouvernement et exalter une fonction
placée au-delà de celles que Lobsang Gyamtso avait assumées en
tant que supérieur de son monastère. Il fallait par ailleurs assurer
la sécurité liée à sa personne, à son entourage ainsi que le protocole
et la logistique afférents.
Le choix de la colline de Marpori à Lhasa sur laquelle fut construite
- de 1645 à 1649 - la forteresse du Potala (siège du gouvernement
et résidence du Dalaï-lama) donna d'abord lieu à toutes sortes
d'hésitations d'ordres géographique, sécuritaire, architectural. ..
Ce choix, pesé avec prudence, devint à ses yeux particulièrement
signifiant. Il le rattacha ainsi ouvertement au premier grand roi
historique du Tibet Songtsen Gampo.
Songtsen Gampo
Songtsen Gampo (r. 620-649) avait établi une résidence sur cette colline, assumé
une ambition impériale en réunissant les seigneuries tibétaines sous une même
bannière et poussé ses conquêtes du Tibet central au bassin du Tarim. Outre
un charisme de guerrier remarquable, la tradition tibétaine attribua à Songtsen
Gampo l'introduction du dharma et de l'usage de l'écriture au Tibet. L'exaltation
de sa personnalité en fit même, à partir du x1e siècle semble-t-il, une émanation
vi
Q) d'Avalokitesvara.
0
'-
>-
w
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M
0 En établissant un lien avec Songtsen Gampo par la construction de
N
@ la résidence gouvernementale à Lhasa, Lobsang Gyamtso inscri-
.._,
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O'l
vait symboliquement la lignée spirituelle des Dalaï-lama dans la
·c
>-
a. lignée historique des rois de la période impériale (vne-Ixe siècles).
0
u (/)
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À l'exaltation de cette filiation politique s'adjoint également celle
2» d'une filiation spirituelle, elle aussi hautement signifiante. On sait
w
<li
o_ combien le culte des montagnes est attaché au Tibet à des divinités
::J
2
l')
locales extrêmement puissantes. Bientôt « bouddhisée » , la colline
@
0
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Dorje Dragden, Mahakala, Begtse, Palden Lhamo et certains
>-
w aspects terribles de Padmasambhava comptent parmi les figures
\D
M
0 protectrices les plus fréquemment présentes dans les visions du ye
N
@
.._,
Dalaï-Lama. Corpulentes et courroucées, parées d'atours guerriers
..c
O'l et macabres, auréolées d'un halo de flammes, elles ont toutes en
·c
>-
a. commun des aspects particulièrement redoutables, capables de
0
u protéger le dharma, d'éloigner les situations dangereuses et les V)
QJ
esprits néfastes. e
>,
w
QJ
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::J
e
(.')
@
154 1 Le bouddhisme
Palden Lhamo
Il revint à Palden Lhamo d'occuper une place tout à fait particulière dans la
vie de Lobsang Gyamtso. Cette déesse apparut de nombreuses fois dans ses
visions sous un aspect terrible. Protectrice du dharma, protectrice personnelle
du Dalaï-lama et du Potala, sa personnalité agrégea des éléments de
légendes tibétaines prébouddhiques et de mythologies indiennes relatives à
des divinités ogresses ou guerrières hindoues47 • Toutes ces strates culturelles
furent amalgamées et totalement réinterprétées au bénéfice de conceptions
pleinement bouddhiques et de cultes dont les premières expressions connues
remontent au x1e siècle. Au xv11e siècle, les rituels consacrés à Palden Lhamo
donnèrent lieu à des représentations picturales très ambitieuses par leur qualité
et la complexité de leur iconographie. Ils stimulèrent aussi la création d'objets
rituels particulièrement luxueux garantissant leur efficacité tant par leur fonction
que par la charge des intentions dont ils furent investis.
L'intelligence du parcours du« Grand ve»fut célébrée par bien des personnalités
vi
Q)
spirituelles de l'histoire ultérieure du Tibet. Le recul n'est peut-être pas suffisant
0
'-
>- encore, mais nombreux sont les observateurs qui, aux vues de l'intelligence
w
\D politique et spirituelle du XIVe Dalaï-lama, de sa connaissance et sa révérence
M
0
N pour l'œuvre du « Grand ve», n'hésitent pas aujourd'hui à établir de nombreux
@ parallèles entre les deux hommes .
.._,
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>-
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2»
w
<li
o_
::J 47. Amy H eller, « L es Nathang et les divinités protectrices : quelques observations
2 sur leur signification historique et leur développem ent esthétique » in Rituels tibétains,
l')
@ Visions secrètes du V' Da/aï-Lama, RMN, 2002.
0!....
>-
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CHAPITRE 9
,
LA REFORME
DEMONGKUT,
ROI DU SIAM
(1851-1868)
Au programme
Le roi Rama IV, qui régna sur le Siam de 1851 à 1868, est resté
célèbre pour plusieurs raisons. La plus anecdotique, mais non
Vl
Q)
la moins populaire en Occident, est qu'il fut le héros du roman
0
'- de Margaret Landon Anna and the King of Siam qui donna lieu à
>-
w
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plusieurs adaptations cinématographiques.
M
0
N Plus sérieusement, Rama IV, mieux connu sous le nom de
@
.._,
..c
Mongkut, permit au Siam de conserver son indépendance grâce
O'l
·c à d'habiles tractations avec les puissances européennes et à une
>-
a.
0
u
ouverture résolue à la modernité. Outre un ensemble de disposi-
(/)
<li
tions diplomatiques et commerciales, Mongkut assuma un posi-
2»
w tionnement religieux très affirmé qui fut relayé par son fils et
<li
o_
::J successeur Chulalongkorn (Rama V). Tous deux mirent en œuvre
2
l')
@
un ensemble de mesures visant à assurer l'authenticité et la qualité
des engagements monastiques et à impliquer le sarrigha thaï
dans un processus de réformes et de modernisation du royaume.
Elles portèrent sur la rénovation des rituels d'ordination, sur de
nouveaux positionnements doctrinaux, sur la structuration admi-
nistrative du sarrigha et sur le système éducatif associé. C'est dans
un contexte politique dominé par la présence des puissances colo-
niales européennes que cette réforme eut en Thaïlande - et au
Cambodge 48 - des effets déterminants. Leur portée se prolongera
durant une longue partie du xxe siècle.
e
>,
w
QJ
48. Cf. François Bizot, Le figuier à cinq branches, recherche sur le Bouddhisme khmer, Q_
::J
EFEO, 1976, introduction p. 1à44. e
(.')
158 1 Le bouddhisme
service des visées politiques et administratives de Mongkut, puis
de son successeur.
Ses premiers objectifs furent les suivants :
• réformer les rituels d'ordination pour leur assurer une validité
jugée conforme au vinaya pali theravadin du Sri Lanka ;
• appuyer l'étude du dharma sur la tradition cinghalaise ;
• ajuster certaines données doctrinales aux connaissances scienti-
fiques et à une nouvelle forme de morale sociale ;
• ouvrir «l'exégèse bouddhique aux courants de pensée de
l'Occident50 » .
On le constate, ces objectifs s'inscrivaient entre deux pôles :
• ouvrir d'une part les questions religieuses à la modernité;
• renforcer d'autre part le lien avec la tradition palie du Sri Lanka.
Le prestige du Mahavihara
Mongkut n'était pas le premier à faire valoir cet héritage cingha-
lais. Qye ceci relève ou non en partie d'une fiction historique,
plusieurs royaumes d'Asie du Sud-E st tinrent le Sri Lanka - et
notamment le Mahavihara (le Grand monastère) d'Anuradha-
pura - pour le conservatoire des enseignements bouddhiques les
plus authentiques et le garant de la pureté de l'ordination monas-
tique. Cela, sur la foi des chroniques cinghalaises selon lesquelles
Vl
Q) le Mahavihara aurait été fondé dès le IIIe siècle avant J.-C. lorsque
0
'-
>- Mahinda - fils ou frère d'Asoka - transmit les premiers enseigne-
w
\D
M
ments bouddhiques au Sri Lanka.
0
N
@ Le prestige du Mahavihara se renforça lorsque le Tripitaka y fut
.._,
..c couché par écrit peu de temps avant l'ère chrétienne puis, lorsqu'au
O'l
·c
>-
a.
ye siècle, l'érudit indien Buddhagho$a vint y étudier et y rédiger
0
u (/)
plusieurs ouvrages. Après plusieurs années de travail, ce dernier
<li
@ 50. François Bizot, Le bouddhisme des Thaïs, Édition des Cahiers de France, 1993, p. 22.
être brossé. e
>,
w
QJ
Q_
::J
e
(.')
@
160 1 Le bouddhisme
Une mosaïque ethnique, culturelle
et religieuse
Une des caractéristiques de ce que nous nommons aujourd'hui la
Thaïlande est sa mosaïque ethnoculturelle et les jeux de pouvoir
auxquels se livrèrent ses principaux acteurs : les Môns, les Khmers
et les Thaïs.
Au cours d'une histoire que l'on peut difficilement suivre avant
le VIe siècle, ces populations fondèrent des royaumes indianisés
plus ou moins pérennes et puissants qui sont entrés en compéti-
tion et se sont mutuellement influencés à l'occasion de conflits, de
conquêtes et d'échanges commerciaux. C'est sur un substrat de
croyances et de pratiques locales (attachées aux esprits du territoire
et des ancêtres) que ces royaumes adoptèrent plusieurs éléments
de la civilisation indienne dont, notamment, certains aspects de
l'hindouisme et du bouddhisme.
Attestées à partir du VIe siècle, ces religions furent sans doute diffu-
sées par des marchands puis des religieux érudits. Elles consti-
tuèrent deux composantes essentielles d'une histoire marquée par :
• l'interaction d'expressions religieuses distinctes ;
• le choix de monarques faisant valoir leurs préférences confes-
sionnelles et tentant, avec plus ou moins de succès, de les
imposer5 1 ;
vi
Q) • la légitimation du pouvoir royal par une idéologie religieuse
0 adaptant localement de nombreux éléments venus de l'Inde.
'-
>-
w
\D
M
0
N
@
.._,
..c
O'l
·c
>-
a.
0
u (/)
<li
2»
w
<li 51. Par-delà les témoignages officiels de ces préférences, livrés par l'épigraphie ou l'ar-
o_
::J chéologie, il convient de ne pas négliger l'existence de pratiques parfois reléguées à un
2 statut de « folklore » rural. Elles demeurèrent actives et se pérennisèrent, même éloi-
l')
@ gnées de celles de l'élite socio-politique dominante.
162 1 Le bouddhisme
L'efficacité de leur ambition normative s'avéra très relative tant il
fut besoin de la réitérer. Leur persévérance dans ce domaine fut
toutefois constante. La réforme de Mongkut s'inscrivit ainsi dans
une lignée de préoccupations partagées déjà par nombre de ses
prédécesseurs.
141.1.u41
vi
Q) Les dix vertus royales :
0
'-
>- • la générosité ; • le contrôle de soi ;
w
\D
M
• la moralité; • la patience;
0
N • le détachement; • la non-violence ;
@
.._, • l'intégrité ; • le respect des opinions d'autrui ;
..c
O'l
·c • la mansuétude; • la fermeté.
>-
a.
0
u (/)
<li
164 1 Le bouddhisme
la validité de l'ordination et de l'énoncé du Tripitaka, Mongkut -
puis Chulalongkorn (Rama V) - firent de cette congrégation un
instrument servant plusieurs autres ambitions :
• juguler les luttes d'influence sociopolitiques entre les commu-
nautés religieuses tournant parfois à la lutte armée ;
• tempérer des désordres moraux plus ou moins avérés dans les
monastères ;
• défaire le bouddhisme theravadin de certaines pratiques jugées
inappropriées par leur dimension magique ou par trop irration-
nelles ou « folklorique » ;
• valoriser un bouddhisme à visée universelle face aux autres reli-
gions occidentales;
• encourager par la doxa religieuse officielle l'intégration à la
culture thaïe des régions culturellement éloignées de Bangkok;
• favoriser l'unité du royaume par l'efficience d'un pouvoir centra-
lisé en contrôlant le sarrigha et en lui assignant des missions
spécifiques.
2»
w
<li
o_
::J
2 52. On trouve aussi pour désigner le nom de ce prince et patriarche la transcription
l')
@ W achirayan , ou encore Vajirananavarorasa.
e
ddhisme« traditionnel», aux accents parfois contestataires. Même >,
w
QJ
négligées ou affaiblies, les pratiques de ce dernier demeurèrent Q_
::J
e
(.')
@
166 1 Le bouddhisme
périphériquement vivantes, pour certaines mêmes intégrées au
sein même du nikaya du Dhammayutika.
On peut noter par ailleurs que les visées unificatrices et rationalistes affichées
par le roi et le Dhammayutika ne furent pas de la même exigence en tous
domaines. Ceci notamment concernant les rituels de cour. Il demeura par
exemple d'usage de faire appel à des brahmanes pour certaines pratiques
oraculaires, pour les calculs astrologiques destinés à déterminer les jours fastes
ou pour des récitations propitiatoires lors des cérémonies d'intronisation. La
présence de ces brahmanes demeura également requise lors des grandes fêtes
calendaires. Agrégeant des références religieuses disparates, leurs cérémoniels
fastueux participèrent de la légitimation d'une royauté ouvertement liée au
Theravâda. Ces diverses fêtes véhiculant des conceptions et des représentations
si profondément inscrites dans l'histoire du Siam, leur bien-fondé ne fut pas
discuté mais au contraire valorisé jusqu'à nos jours avec un faste ostentatoire
joyeusement accueilli par la très grande majorité de la population.
0
'-
par les rois thaïs pour s'assurer la fidélité d'une clientèle religieuse
>-
w gratifiée par des titres honorifiques, des dons et des privilèges.
\D
M
0
N
@
.._,
..c
O'l
La réforme éducative
·c
>-
a.
0 Décidée dès 1875, il revint à Vajiranyana, frère de Chulalongkorn
u (/)
<li et supérieur du Dhammayutika de mettre en œuvre une réforme
2»
w éducative. Les monastères furent chargés de participer à la struc-
<li
o_
::J turation sociale et scolaire de l'État et il fut décidé de mettre à
2
l')
@
contribution le réseau monastique implanté sur tout le terri-
Imposant, via les manuels pédagogiques une langue, un alphabet et des savoirs
élémentaires communs, la réforme scolaire assumée dans un premier temps
par le SGTTJgha visait clairement à étendre l'influence culturelle de Bangkok, à
intégrer les régions plus ou moins dissidentes et à atténuer les particularismes
régionaux.
Vl
Q)
Aujourd'hui, dans un royaume où le bouddhisme demeure une
0
'-
>-
w référence identitaire et morale revendiquée par quelque 93 % de
\D
M la population, les questions de probité du sarrzgha sont toujours
0
N
@
observées avec beaucoup d'intérêt. Si le roi ne dispose plus de
.._, pouvoirs exécutifs, son autorité symbolique demeure très forte et
..c
O'l
·c éminemment respectée. Les débats sur le pouvoir du sarrzgha et
>-
a.
0
u sur l'inscription du bouddhisme dans les institutions demeurent V)
QJ
d'actualité et soulignent la permanence de liens de dépendance e
>,
entre politique et religion. w
QJ
Q_
::J
e
(.')
@
168 1 Le bouddhisme
CHAPITRE 10
,TOURMENTS
ET
EGAREMENTS : LE
BOUDDHISME SOUS
L'ÈRE MEIJI (1868-1912)
Au programme
2»
w
<li
o_
::J
2
l')
@
Le rejet brutal d'une religion
« étrangère » installée au Japon depuis
le vie siècle
Une statue de Buddha en bronze doré, des dais et des bannières,
quelques sütra et traités doctrinaux. Tels furent les tous premiers
éléments du bouddhisme introduits de façon officielle au Japon
vers 550 par l'intermédiaire d'une ambassade coréenne dépê-
chée auprès de l'empereur Kinmei. Le dharma, reçu comme une
des expressions de la culture chinoise, fut associé au prestige de
cette dernière. Après quelques interrogations ou réticences, il fut
d'abord accueilli comme une doctrine apte à pourvoir de multiples
bienfaits et, plus tard, compris comme un appui utile à l'affirma-
tion du pouvoir du souverain et à la protection de l'État.
e
croyances des différentes écoles s'amalgamèrent très tôt au shintô, >,
w
QJ
la religion autochtone de l'archipel. C'est dans une relation de Q_
::J
e
complémentarité avec cette dernière que le bouddhisme constitua, (.')
@
170 1 Le bouddhisme
jusqu'à l'ère Meiji, un socle idéologique utilisé par les puissants
(empereurs ou shoguns) pour assoir leur autorité. Les institu-
tions monastiques entretinrent ainsi des relations privilégiées avec
l'État (très soucieux de leur contrôle) en apportant notamment
leur soutien spirituel pour la protection du pays.
La rupture de Meiji
Mettant fin aux divisions opposant d'importantes familles
guerrières au shogunat de la dynastie des Tokugawa, le jeune
empereur Mutsuhito (Meiji) instaura en 1868 un nouveau régime
impérial et décida de faire de son pays un État moderne. Le temps
de son règne : l'ère Meiji - ère de la « politique éclairée » - marqua
une profonde rupture dans l'histoire du Japon et eut un impact
considérable sur sa vie religieuse - qu'il s'agisse de ses expressions
shinta ou bouddhiques. Si le shintô fut réinventé et instrumen-
talisé en faveur d'une nouvelle culture nationale mise au service
de la légitimation du pouvoir impérial, le bouddhisme désigné
alors comme religion étrangère fut mis à 1' écart et affecté par une
répression d'une ampleur sans précédent. Ses moines furent rendus
à la vie séculière et 40 000 de ses édifices furent abandonnés, très
sérieusement endommagés ou détruits. Si la violence de ce radi-
calisme ne dura pas, ses fondements idéologiques continuèrent
toutefois à affecter en profondeur la vie religieuse du Japon. Leur
Vl effets - parfois très sombres - initièrent des évolutions doctrinales
Q)
0
'-
du bouddhisme japonais et marquèrent aussi l'histoire naissante
>-
w du bouddhisme en Occident.
\D
M
0
N
@
.._,
..c
O'l
·c
>-
Séparer les kami des buddha
a.
0
u (/)
<li Afin de préserver l'indépendance du Japon face aux puissances
2»
w occidentales, la rénovation de Meiji associa deux ambitions :
<li
o_
::J • la construction d'une identité nationale forte,
2
l')
@ • et l'ouverture résolue à la modernité.
Chapitre 10. Tourments et égarem ent s : le bouddhisme sous l'ère Meiji (1 868 - 19 12) 1171
C'est pour assumer la première de ces ambitions que l'empereur
décida de dessiner les contours d'une nouvelle religion capable de
fédérer le peuple autour de sa personne et de lui conférer une auto-
rité de nature divine lui accordant le statut de « dieu manifesté
sous forme humaine ». Lui et ses conseillers décidèrent pour cela
que le Japon ferait retour à un shintô originel, débarrassé de ses
« scories » bouddhiques.
Le shintô
Le shintô, dont les plus anciennes expressions sont antérieures à l' introduction
du bouddhisme au Japon, procède de la célébration de rites agraires et de la
vénération d'innombrables kami. Ces puissances divines (dont la mythologie
rapporte la geste des plus importantes d'entre elles), sont associées pour la
plupart aux éléments atmosphériques et aux éléments du paysage que sont les
collines, les rochers, les cascades mais aussi les arbres. Elles peuvent aussi être
liées à l'esprit d'ancêtres prestigieux.
Les kami assument volontiers un rôle protecteur et sont à cet effet propiciés
lors de rituels d'invocation ou de purification. Le respect du tabou de l'impureté
(liée à la mort et aux matières organiques notamment) étant particulièrement
présent dans le shintô, il convient de se prémunir de toute souillure ou de s'en
libérer. On se purifie et on purifie rituellement les lieux de séjour des kami afin
d'éloigner tout risque de contamination préjudiciable au contact maintenu avec
ces derniers.
nales que ce shintô originel fut « identifié » dans des textes rédigés ::J
e
(.')
au début du VIIIe siècle. L'un d'entre eux, le Kojiki, Les chroniques @
172 1 Le bouddhisme
des choses anciennes, retraçait les mythes fondateurs du Japon
et mettait en évidence les liens entre les généalogies divines et
dynastiques. Il acquit à ce titre une importance particulière. Si sa
première édition imprimée en 1644 suscita un vaste mouvement
d'étude, c'est l'exégèse qu'en fit Motoori Norinaga entre 1764 et
1768 qui retint 1'attention des théoriciens de l'idéologie de 1' ère
Meiji.
Sa lecture notamment leur permit :
• d'accorder au Kojiki le statut d'un véritable « livre sacré de la
fondation du pays » ;
• de prôner la quête de l'authenticité d'une culture ancestrale par
la restauration du shintô ;
• de donner une nouvelle assise aux thèses théocratiques soute-
nant la continuité entre la déesse solaire Amaterasu et !'Empe-
reur lui-même;
• de justifier l'anathème porté sur le bouddhisme comme religion
subversive et étrangère ;
• d'exalter la sacralité du sol japonais pour appuyer un nationa-
lisme virulent.
La fondation d'un shintô d'État fut donc décidée. Elle procéda :
• d'une hiérarchisation des sanctuaires avec à leur tête le grand
sanctuaire d'Ise (dédié à la déesse solaire Amaterasu) ;
• d'une campagne de « propagation du grand enseignement »
Vl
Q) destiné à l'édification de la population ;
0
'-
>- • de la séparation des kami et des buddha, c'est-à-dire de la dissolu-
w
\D
M
tion autoritaire du syncrétisme shintô-bouddhique qui animait
0
N la vie religieuse du pays depuis de nombreux siècles.
@
.._,
..c
O'l
·c
>-
a.
0
u (/)
<li
2»
w
<li
o_
::J
2
l')
@
Chapitre 10. Tourments et égarements : le bouddhisme sous l'ère Meiji ( 1868- 19 12) 1173
Familles doctrinales
17 4 1 Le bouddhisme
des statues et des objets de culte bouddhiques. Il se poursuivit
pendant presque cinq ans. Sa vigueur fut à la mesure du volon-
tarisme des autorités mais aussi des critiques et des ressentiments
nourris depuis le début du xvne siècle à l'encontre des institutions
bouddhiques.
Si les cercles intellectuels des Études nationales et les néo-confu-
céens voyaient en ces institutions les manifestations d'une reli-
gion préjudiciable aux intérêts de l'État, la population villageoise
leur reprochait les prérogatives qu'elles s'étaient octroyées dans le
domaine de l'accompagnement des défunts. Il revenait en effet aux
moines bouddhistes de s'occuper des funérailles et des cérémonies
dédiées aux ancêtres. Ces fonctions, assorties d'honoraires rituels,
furent vécues de façon d'autant plus abusive que l'État imposa à
chaque individu de se faire inscrire sur les registres d'un monastère
d'attache. Cette mesure, qui visait en fait à prévenir toute conver-
sion au christianisme, ne cessa de nourrir un ressentiment très vif
à 1' égard d'une population monastique dont les convictions étaient
régulièrement mises en doute.
Malgré la profondeur de ce ressentiment, malgré la vigueur
de leurs injonctions haibutsu kishaku « rejeter les buddha abolir
Sakyamuni », les autorités de Meiji se rendirent assez vite à l' évi-
dence. L'intrication du bouddhisme et du shintô n'était pas si facile
à défaire et la dissolution autoritaire de ce syncrétisme les mettait
elles-mêmes dans des impasses ou des difficultés certaines. Des
Vl
Q) «assouplissements » furent apportés en 1873 au décret de 1868.
0
'-
>-
w
\D
M
0
N
@ L'adaptation des élites bouddhistes
.._,
..c
O'l
·c
>-
Bien qu' ébranlées par les violences perpétrées à l'encontre de leurs
a.
0
u monastères et de leurs temples ainsi que par la rupture du lien
(/)
<li
qui les unissaient au pouvoir depuis de nombreux siècles, les élites
2»
w
<li
bouddhiques décidèrent très majoritairement de s'adapter. Elles
o_
::J
2
prirent le parti de montrer leur loyauté envers !'Empereur et de
l')
@
Chapitre 10. Tourments et égarements : le bouddhisme sous l'ère Meiji (1868 - 19 12) 1175
conduire des réformes témoignant de leur engagement en faveur
de la modernisation et de« l'ouverture à la civilisation».
0
'-
>-
w
\D
M
Un nouvel intérêt pour l'étude historique
0
N des textes
@
.._,
..c
O'l
·c
Le souhait de souscrire aux ambitions de l'ère Meiji eut d'autres
>-
a. incidences. Moins violentes, elles furent déterminantes pour
0
u
l'avenir de l'érudition bouddhique. En « cherchant dans le monde V)
QJ
176 1 Le bouddhisme
lecture critique des textes sacrés telles qu'elles se développaient
en Europe dans les milieux universitaires depuis plus d'un demi-
siècle. Plusieurs moines japonais vinrent ainsi se former dès 1878
en Grande-Bretagne auprès de Max Müller, éminent orientaliste
et éditeur à Oxford des volumes de la collection The Sacred Books
of the East. Étudiant le sanskrit et le pali, ils découvrirent aussi
bientôt les travaux de la Pali Text Society fondée en 1881 par
T. W. Rhys Davids et avec eux les sources du bouddhisme thera-
vadin cinghalais. Un nouveau choc ébranla le sarrigha japonais :
les sütra du Mahayana étaient-ils bien porteurs des enseigne-
ments originels et authentiques du Buddha historique ? Comment
désormais positionner les écoles bouddhiques japonaises, natio-
nalement comprises comme les expressions les plus accomplies
du Mahayana, dans le concert d'enseignements bouddhiques
totalement ignorés jusqu'alors ? Les débats furent intenses. Deux
personnalités aux approches distinctes y contribuèrent largement:
Murakami Sensho (1851-1929) et Inoué Enryo (1858-1919). Ils
revendiquèrent tous deux la volonté de forger l'étude historique et
critique du bouddhisme au Japon et celle de le moderniser. Cela,
à la lumière des nouvelles sciences religieuses mais aussi des caté-
gories de la philosophie.
0
'-
certains réformistes de la volonté de défaire le bouddhisme de ce
>-
w qui apparut alors à leurs yeux comme relevant de la « supersti-
\D
M
0 tion ». Inoué Enryo fut un des premiers hérauts de cette démarche.
N
@ Intégrant des catégories de pensée alors très présentes en Occident,
.._,
..c il s'efforça de désigner ce qui pour lui relevait de la« superstition»
O'l
·c
>-
a. bouddhique et de la« religion» bouddhique. Il dénonça alors les
0
u (/) rituels de protection contre les dangers, les esprits néfastes ou les
<li
Ch apitre 10 . Tourments et éga rements : le bouddhisme sous l'ère Meiji ( 1868- 19 12) 1177
Ce genre de positionnement intellectuel eut de nombreux avatars
dans les cercles universitaires ou dans les associations bouddhiques
du Japon. Il trouva en Occident une écoute tout particulièrement
attentive.
0
'-
vable qu'elle entrait en affinité avec certaines attentes idéologiques
>-
w de cette époque.
\D
M
0
N La délégation japonaise invitée à ce congrès était composée de
@
.._, quatre religieux et deux laïcs représentants de différentes écoles. Il
..c
O'l
·c revint à Shaku Shoen de 1' école zen rinzai d'être plus particulière-
>-
a.
0
ment remarqué à l'occasion de son exposé sur la Loi de coproduc-
u
tion conditionnée. Shaku Shoen avait compté parmi les premiers V)
QJ
178 1 Le bouddhisme
(lui aussi invité à Chicago) et partageait sa quête d'un « bou-
ddhisme authentique ». C 'est à la suite du congrès du Parlement
des religions de Chicago qu'il fut chargé par Paul Carus, rédacteur
en chef de la revue Open Court Publishing, d'envoyer un interlocu-
teur anglophone proche de son école en Amérique. Ce qu'il fit en
dépêchant aux États-Unis son élève Suzuki Daitetzu Teitaro (1870-
1966) formé aux études bouddhiques de l'université de Tokyo.
L'influence de Suzuki
Les enseignements en anglais de Suzuki suscitèrent un grand
enthousiasme dans certains milieux aux États-Unis puis en
Europe. Ils contribuèrent à forger en Occident une perception
du bouddhisme zen tout à fait dépendante des orientations réfor-
mistes de son temps, de sa propre lecture du Mahayana et de la
présentation d'un Zen qu'il mit à la disposition des Occidentaux
assez peu aptes, selon lui, à en saisir vraiment l'essence.
Cette présentation rencontra en Occident les intérêts de toute
une mouvance d'associations et de sociétés qui privilégiaient
une lecture universaliste des textes sacrés et y cherchaient une
« essence » spirituelle commune à toutes les religions (volontiers
défaites au passage de leurs ancrages culturels ou institutionnels).
De fait, au début du xxe siècle, la conjonction :
• de la surexposition des positions réformistes des bouddhistes
Vl
Q)
0
eux-mêmes (japonais ou cinghalais);
'-
>-
w • des attentes de certains milieux occidentaux éloignés des
\D
M
0 méthodes d'analyse critique et historique des textes ;
N
@
.._,
• de la prééminence au sein des universités des études philo-
..c
O'l logiques face aux sciences sociales tout juste émergentes ;
·c
>-
a.
0 privilégia longtemps la « fiction » d 'un bouddhisme-philosophie
u
anhistorique, ignorant les expressions dévotionnelles portées par la
(/)
<li
2»
w foi de millions de fidèles en Asie. Véhiculée par l'enthousiasme de
<li
o_
::J ses promoteurs, elle eut un succès dont les échos furent largement
2
l')
@
portés par la contre-culture américaine des années 1950. Ils se
Chapitre 10. Tourments et égarements : le bouddhisme sous l'ère Meiji ( 1868- 19 12) 1179
font encore entendre aujourd'hui dans bien des milieux média-
tiques ou spiritualistes.
vi
Q)
0
'-
>-
w
\D
M
0
N
@
.._,
..c
O'l
·c
>-
a.
0
u V)
QJ
e
>,
w
QJ
Q_
::J
e
(.')
@
180 1 Le bouddhisme
INDEX
Mantrayana 84, 85, 116 Sakya 25, 26, 34, 148 ::J
182 1 Le bouddhisme
Sakyapa 112, 147, 148 u
Samantabhadra 77
Upani?ad 17, 37, 38
sa ma parti 96 upasaka 61, 62, 63
saryigha 41, SS, S6, S9, 62-64, 78, llS, upasika 61, 62
12S, 129, 131, 139, 140, 1S8, 160, 162, upaya 98, 106
164, 16S, 167, 168, 176, 177 upek?a 101
Saryijf\a 4S Uruvilva 3S
sarrisara 17, 28, 29, 34, 36, 46, 47, 6S,
77, 92,99, 101, 109 V
Sarriskara 4S
Vaisalï so
Saf\ci 27,28,60,61,6S, 118
vaisya 16, 64
Santideva 82, 99
Vajiranyana 16S, 167
sarnath 36, 76
Vajracchedikasütra 136
Sarvastivadin 72-74
Vajrapaoi 77
shintô 170-17S
Vajrayana 84-87
Siddhartha 26, 36
Vasubandhu 82
sïla 100, 108
Veda lS, 16, 18, 37, 38
sivaïtes 39
Vedana 4S
skandha 44
vedika 60
Sôtô 136, 174
vihara S9-61
sraman 17, 32
Vijayabahu 160
sravaka 76
Vijf\ana 4S
Sravasti 19, 33, 34
Vijf\anavada 80
stûpa S9-62, 6S, 108, 110, 118
Vikramasïla 83
Suddhodana 34
vinaya Sl, 72, 1S9
südra 16
Vinaya SS, S8, S9, 61
Sukhavati 116, 117, 13S
vïrya 100
sünyata 77, 79, 98, 99, 101
sutra Sl, 71, 74, 76, 77, 79-81, 84, 8S,
Vi?oouites 39
89,92-94,98,101, 106-10~ llS, 11~ y
121, 133-136, 170,174, 177
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T Ya5odhara 3S
w Yogacara 80, 133, 136
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Tantrayana 84, 8S
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.._, theravadin 31, S2, 72, 73, 7S, 1S8-160
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188 1 Le bouddhisme
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