Le Foisonnement, Phénomène Complexe: Guylaine Cochrane
Le Foisonnement, Phénomène Complexe: Guylaine Cochrane
Le Foisonnement, Phénomène Complexe: Guylaine Cochrane
2021 14:03
TTR
Traduction, terminologie, re?daction
ISSN
0835-8443 (imprimé)
1708-2188 (numérique)
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Guylaine Cochrane
1. Introduction
Tous les traducteurs ont déjà comparé une traduction à son original, que
ce soit l'étiquette d'un produit, un manuel d'utilisation ou une revue
bilingue comme celles que l'on trouve dans les terminus d'autobus ou
à bord des avions. Ce type de comparaison fait vite ressortir la
différence de longueur entre les deux textes. C'est cet allongement de
texte qu'on appelle le foisonnement, et c'est ce phénomène qui fait
l'objet du présent article. Étant donné qu'il est impossible de traiter en
profondeur une question de cette ampleur en quelques pages, j'ai retenu
quatre grands points. Tout d'abord, les concepts de base de l'étude
seront précisés. Ensuite, le coefficient de foisonnement pour des textes
de physique, d'histoire et d'économie sera déterminé. Puis, je mesurerai
la proportion de foisonnement lié à la différence entre les codes
linguistiques et la proportion attribuable au libre choix du traducteur.
Enfin, je tenterai de voir s'il existe d'autres causes que celles présentées
par Durieux (1990 et 1991).
Avant d'entrer dans le vif du sujet, voyons ce que recouvre le terme qui
est au centre de la recherche: foisonnement, parfois appelé étoffement
(Juhel, 1982) ou dilution (Vinay et Darbelnet, 1977). Le Petit Robert en
donne une définition très sommaire: «augmentation de volume».
Durieux précise la notion en indiquant que «le foisonnement est la
proligération de mots en surnombre», c'est-à-dire l'augmentation du
volume du texte d'arrivée par rapport au texte de départ (1990, p. 55).
175
Il est à noter que le volume représente le nombre de mots et non pas le
nombre de caractères typographiques.
176
4. État de la question
177
Quant à Van Hoof, il estime que «plusieurs facteurs externes
peuvent jouer un rôle dans cet allongement: la nature même du texte,
le sujet traité, le style de l'auteur et le style du traducteur aussi» (1989,
p. 35). Il ajoute que l'anglais peut habituellement se contenter de moins
de mots que le français pour exprimer une même idée en raison de sa
plus grande facilité de dérivation et de composition, de la structure de
la langue et des ressources qu'elle offre (interchangeabilité des parties
du discours, tours elliptiques, accent d'insistance, abandon plus fréquent
des articulations) et du génie propre à la langue, l'anglais préférant
demeurer vague et laisser certaines choses implicites là où le français
demande plus de clarté (1989, pp. 35-36). Il va même jusqu'à affirmer
que «bien souvent, alors que l'énoncé anglais pourrait se traduire avec
une même économie de moyens, le français choisit délibérément de
recourir à un plus grand nombre de mots pour satisfaire le besoin de
clarté qui lui est propre» (1989, p. 38).
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Dans son corpus, «la différence entre la longueur moyenne des
textes anglais et celle des textes traduits (+10,2 %) est significative
(t = -5,26, p = 0,0001) et caractéristique de tous les types de textes
étudiés» (1992, p. 221). Il ajoute que «cette différence, observée
généralement en traduction de l'anglais au français, peut être attribuée
en partie aux langues en présence, en partie au processus de traduction
lui-même, mais [qu'] on ne connaît pas encore précisément la part de
chaque cause ni les phénomènes particuliers enjeu» (1992, p. 221).
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français ou du français à l'anglais, et si le degré de technicité a une
influence sur le taux de foisonnement.
5. Concepts de base
5.1 Mot
Avant d'aller plus loin, il convient de définir les concepts qui sous-
tendent l'étude. Tout d'abord, la notion de mot, qui peut sembler simple
à première vue, mais qui est loin de faire l'unanimité. En effet, les
chercheurs qui se sont penchés sur la question se contredisent, et
personne ne s'entend. Comme j'effectue une étude de corpus et que les
mots sont analysés un à un, j'ai décidé d'adopter une seule norme pour
tous les textes. J'ai donc retenu la définition utilisée en statistique
lexicale selon laquelle un mot2 est une unité graphique séparée des
unités voisines par un blanc, une ponctuation ou un autre signe
diacritique (Muller, 1992b, p. 4).
Pour être plus précise dans l'analyse, j'ai ajouté des notions
complémentaires au mot: unité lexicale et terme. L'unité lexicale
désigne tous les mots de la langue générale. Cette unité peut être soit
simple (formée d'un seul mot séparé par deux blancs typographiques et
qui a un sens à lui seul), soit complexe, soit composée (formée de plus
d'un mot). La principale différence entre unité lexicale complexe et
unité lexicale composée, c'est que cette dernière comporte un signe
diacritique (une apostrophe ou un trait d'union) comme séparateur des
éléments de l'unité. La même subdivision s'applique aux termes qui
désignent tous les mots de la langue de spécialité.
6. Corpus
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livres traduits au cours d'une année et les classe par pays, auteur et
domaine. J'ai dépouillé systématiquement tous les volumes de Y Index
Translationum publiés dans la deuxième série, c'est-à-dire entre 1948
et 1985, et j'ai retenu les textes ayant fait l'objet d'une traduction au
Canada ou aux États-Unis.
8. Coefficient de foisonnement
181
Stade de la recherche, il s'agisse de résultats partiels, certaines tendances
ont pu être dégagées.
182
Taux de foisonnement moyen selon le domaine
O 5 10
% Foisonnement
1"F-Al
DA-F
Taux de foisonnement en histoire
•2
•F-A
•S DA-F
2O1?
23,1
21,1
16,9 14 16,8
14,2 14,5
1
2,3 m51 H
0,6
•s, •F-A
DA-F
-3,6 -4,7
-8,8 -9,4
-13,3 -12,5 -11,9
-19
10
En histoire, pour les traductions de l'anglais au français, (A-F),
le taux varie entre -1,8 % et 20 %, et il va de 10,7 % à -17,3 % pour
les traductions du français à l'anglais (F-A). En ce qui a trait à
l'économie, il se situe entre -4,7 % et 26,9 % pour les traductions de
l'anglais au français (A-F) et entre -19 % et 5,7 % pour les traductions
du français à l'anglais (F-A). On voit que, de manière générale, les taux
de foisonnement dans les textes du corpus sont plus élevés que les
pourcentages avancés par la plupart des auteurs qui ont étudié ce
phénomène. Jusqu'à maintenant, l'analyse a fait ressortir que
l'expression de l'article zéro par une forme linguistique est une cause
importante de foisonnement. Toutefois, il semble qu'à part Demers
personne n'ait tenu compte de ce facteur.
185
9. Causes du foisonnement
186
de formation des lexies complexes est également une cause de
foisonnement qui ne dépend pas du traducteur.
Demers a noté que, dans son corpus de textes scientifiques, il existe des
différences selon les sous-domaines et selon le registre. Mes résultats
montrent que les différences sont minimes, sauf pour les traductions du
français à l'anglais des textes d'histoire et les traductions de l'anglais
aufrançaisdans le domaine de l'économie. Le tableau suivant donne les
résultats par langue, domaine et degré de spécialité. On voit qu'à
l'exception des traductions de l'anglais au français des textes spécialisés
en économie, le taux de foisonnement est un peu plus important pour
les textes spécialisés que pour les textes de vulgarisation. Il serait
possible d'expliquer cet allongement en émettant l'hypothèse que le
niveau de langue a une influence sur la longueur des traductions. Il
semblerait, après étude de quelques textes, que le niveau de langue des
textes de spécialité soit plus soutenu que celui des textes de
vulgarisation et que la logique de l'énoncé soit soulignée par l'ajout de
charnières. De plus, le traducteur a tendance à expliciter certains
passages, ce qui est moinsfréquentdans les textes de vulgarisation, les
originaux anglais étant déjà très explicites.
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Tableau 1. Taux moyen de foisonnement en fonction du degré de spécialité
Anglais-Français Français-Anglais
Vulgarisation Spécialisé Vulgarisation Spécialisé
Physique 6,12 % 7,39% -5,65% -3,13%
Histoire 12,89% 13,87% -7,26% -1,7%
Économie 17,46% 11,66% -8,45% -6,82%
9.2 Articles
188
de 6,81 % et de 7,17 %. Par contre, il est important de rappeler que
l'article zéro n'existe pas en français, alors qu'il représente un article à
part entière en anglais (Quirk et al., 1972, p. 127). En français on parle
plutôt d'absence d'article. Selon Grevisse, l'article est souvent absent
devant le nom apposé postposé, devant le nom attribut, devant le nom en
apostrophe, devant les noms servant de complément de caractérisation d'un
autre nom, devant les noms de jours et de mois, dans les enumerations et
devant les noms propres (1988, pp. 917-925). L'absence d'article existe
aussi en anglais. À ce sujet, Quirk fait remarquer qu'il ne faut pas
confondre article c/> et absence d'article (1972, p. 127). L'article <j>
s'emploie dans le cas des noms communs, tandis que dans celui des noms
propres il y a absence d'article.
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souvient que le taux de foisonnement moyen était de -7,7 % (F-A) et de
14,5 % (A-F) pour les textes d'économie. Si l'on tient compte du taux de
foisonnement attribuable aux articles, on obtient un taux de foisonnement
de -13,5 % (F-A) et de 8,70 % (A-F).
10. Conclusion
Références
ARON, Raymond (1966). Trois essais sur l'âge industriel. Paris, Pion.
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BÉLANGER, Gilles (1992). Études des relations cohésives
grammaticales; perspective traductologique et typologique. Thèse de
doctorat, Québec, Université de Sherbrooke.
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KOCOUREK, Rotislav (1992). La langue française de la technique et
de la science. Wiesbaden, Oscar Brandstetter Verlag GMBH & Co.
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whatever the languages in use and that the increase can only be
attributable to the translator. A corpus of texts containing more than
61,000 words was analyzed. Definitions of concepts, the amplification
coefficient for texts in physics, history, and economy, and the relation
between amplification produced by the translator's free choices and the
amplification caused by differences among linguistic codes are
discussed. Preliminary results of some of the analyses are also
presented.
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