United Nations A 74 L.20 Enquête Sur La Mort de Dag Hammarskjöld
United Nations A 74 L.20 Enquête Sur La Mort de Dag Hammarskjöld
United Nations A 74 L.20 Enquête Sur La Mort de Dag Hammarskjöld
Soixante-treizième session
Point 131 de l’ordre du jour
Enquête sur les conditions et les circonstances
de la mort tragique de Dag Hammarskjöld
et des personnes qui l’accompagnaient L'histore de Victor Rosez comen au parghe 142
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Lettre d’envoi
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renseignements dans mon rapport, j’en ai jugé la valeur probante nulle, faible,
modeste ou forte, selon le cas.
Je relève également que toutes les fois que le rapport de 2017 concluait que tel
acte était imputable à tel État Membre, certains États Membres ont saisi l ’occasion
pour apporter des précisions dont j’ai tenu compte. Toutes les fois que tel acte
imputable à tel État Membre selon le rapport de 2017 n’a donné lieu ni à précisions
ni à complément d’informations, j’ai conclu que la fiabilité de cette constatation s’en
trouve renforcée.
Nous avons gagné du terrain s’agissant de la somme de connaissances utiles
recueillies, singulièrement en ce qui concerne les probables interceptions de
communications dignes d’intérêt réalisées par des États Membres, l’aptitude des
forces armées katangaises à organiser un éventuel attentat contre l’avion du Secrétaire
général, la présence d’éléments paramilitaires et d’agents de services de
renseignement étrangers dans la région et d’autres éléments d’information intéressant
le contexte et les circonstances entourant les événements de 1961, toutes avancées
qui m’ont permis de dégager certaines conclusions dont je vous saisis pour examen.
Je m’arrête également dans mon rapport sur la contribution de chaque État Membre à
l’œuvre du responsable indépendant compétent.
Les États Membres ont, dans leur grande majorité, obéi à la lettre et à l ’esprit
de la demande tendant à les voir faire procéder chacun par son responsable
indépendant à un examen ciblé des archives de leurs services de renseignement, de
sécurité et de défense. Je vois dans le travail ainsi accompli un succès et une avancée
dans le sens de la manifestation de la vérité concernant cet événement tragique, en ce
qu’il a permis de mettre au jour et faire connaître de nouveaux éléments d ’information
utiles, dont des dépositions de témoins, des éléments de preuve littérale et des
photographies et images vidéo. On a beaucoup fait pour se donner les moyens
d’interroger les éléments d’information utiles réunis et de déterminer précisément les
contours des matières touchant lesquelles il y a fort à parier que l’on pourrait en savoir
encore plus.
Je sais gré à tous les États Membres de la coopération et du concours qu ’ils
m’ont prêtés et singulièrement à ceux d’entre eux qui ont nommé un responsable dont
le niveau et l’indépendance ne sont nullement douteux et qui a pu compter sur toutes
autorisations et assistance requises pour pouvoir, en bonne méthode, rendre
pleinement compte du fruit de ses recherches. C’est ici le lieu de féliciter en
particulier la Belgique, la France, la Suède et le Zimbabwe pour l’énorme travail
d’investigation poussé abattu par leurs responsables indépendants. Lesdits États
Membres ont, après examen, fourni des éléments d’information, dont la divulgation
a pu avoir été jugée par le passé contraire à leurs intérêts, surtout si l’on en juge par
le contexte historique de décolonisation à l’époque considérée. Je sais spécialement
gré aux responsables indépendants de l’Allemagne, du Canada, du Portugal et de la
Zambie de l’œuvre qu’ils ont accomplie. Même si le champ délimité aux fins de leurs
éventuelles investigations était à certains égards moins étendu, les États Membres en
question se sont tout autant investis dans cette entreprise ainsi qu ’ils y avaient été
invités, fournissant des renseignements de taille.
Par leurs travaux, les responsables indépendants de tous les États Membres
susmentionnés ont spécialement enrichi le dossier, m’ont aidé à m’acquitter de mon
mandat et ont posé les jalons des investigations devant être menées. Je suis redevable
à ces responsables indépendants qui se sont en tout temps prêtés à nos échanges dans
un esprit d’ouverture. Je considère que même si mon actuel mandat a maintenant
expiré, les États Membres gagneraient sans doute à faire poursuivre leurs
investigations par leurs responsables indépendants selon les pistes tracées dans le
présent rapport.
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Des éléments de preuve laissent présumer qu’au moins l’un desdits États Membres a
tenté d’amener les enquêtes menées en 1961/62 à conclure à une « erreur de
pilotage », d’où l’intérêt de faire à présent toute la lumière sur ce point. Il se peut
également que les archives de l’ancienne URSS renferment des renseignements utiles.
On peut ainsi s’autoriser du dossier à ce jour pour dire sans risquer de se tromper
que les États Membres en question ont certainement confectionné des dossiers dignes
d’intérêt ou en ont pris possession. Par exemple, les bulletins et communications de
certains de leurs propres agents de renseignement ont été mis au jour ou retrouvés
dans des archives personnelles et il ressort également de la corresponda nce
diplomatique que les intéressés ont saisi les services de renseignement d ’informations
pour suite à donner. Vu ce que l’on sait des politiques, sources, moyens et agents dont
ils disposaient dans la zone à l’époque des faits, ainsi que de leur intervention au
Congo et dans la région et de leurs rapports avec l’ONU, des États Membres se sont
certainement constitué des dossiers de communications interceptées ou surprises. Ils
ont certainement confectionné des rapports classés secrets en faisant appel à le urs
sources et agents de renseignement dès qu’ils ont appris que l’avion du Secrétaire
général s’était écrasé. Malgré tout, ils n’ont livré aucun renseignement allant dans ce
sens ; mise à part une pièce solitaire d’une page dont il est fait état dans mon rapport,
aucun desdits États Membres nous a fourni le moindre renseignement en 2018 ou
2019 comme suite à la résolution 72/252.
En l’absence du type de renseignement sollicité, le tableau demeure incomplet
à ce stade et, étant donné ce trou manifeste dans le dossier, je ne suis toujours pas en
mesure de dégager quelque conclusion sur la cause de l’accident. Que des éléments
d’information qui existent sans aucun doute ne soient toujours pas mis au j our ne fait
que donner libre cours à des thèses de complot concernant les faits. Je me suis senti
le devoir de tenter d’écarter de telles thèses toutes les fois qu’il y avait lieu. Le
dialogue avec les États Membres susmentionnés n’ayant pas vécu, j’ai, à titre de
complément d’information, adressé à chacun d’eux une lettre venant tracer les pistes
d’investigation restant à emprunter, suivant ainsi en cela la démarche retenue par le
Groupe d’experts indépendants en 2015.
S’agissant de la divulgation d’éléments d’information sensibles, je reconnais
bien entendu sans la moindre hésitation que de légitimes intérêts d ’ordre sécuritaire
commandent à tout État Membre de traiter avec le plus grand soin toutes informations
intéressant sa sécurité, sa défense et ses impératifs de renseignement. Il reste que leurs
propres investigations et anciens agents de renseignement sont venus confirmer
publiquement que lesdits États Membres avaient mis des agents de renseignement et
autres personnels et moyens en Afrique centrale au service de leurs visées politiques
dans les décennies qui ont suivi la fin de la Seconde guerre mondiale.
Inédites, les circonstances qui ont entouré l’accident d’avion dans lequel ont
péri le Secrétaire général Dag Hammarskjöld et les personnes qui l’accompagnaient
voici presque 60 ans appartiennent à une époque longtemps révolue. On ne saurait
dès lors raisonnablement voir dans la présente enquête un précédent ou dire que s ’y
prêter serait exposer sa sécurité à quelque risque. De plus, si l ’on concluait, après les
avoir interrogées en toute transparence, que les archives ne renferment aucune
information utile au sens de la large et non technique définition de l ’adjectif « utile »
que je propose dans mon rapport, on pourrait alors clore la présente enq uête en se
prononçant sur la foi du dossier en son état actuel.
Ayant consenti d’énormes efforts et recueilli patiemment de nouveaux utiles
éléments d’information dans cette entreprise depuis la parution du rapport majeur de
la Commission Hammarskjöld de 2013, la communauté internationale a toujours
l’obligation et des raisons valables de ne pas laisser l’œuvre de manifestation de la
vérité souffrir d’amnésie ou tomber dans l’oubli. C’est qu’il est des pistes
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L’Éminente Personnalité
(Signé) Mohamed Chande Othman
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Résumé analytique
A. Introduction
3. J’ai dégagé certaines conclusions dans le rapport de 2017 sans avoir cependant
pu dire en définitive ce qui a causé la chute de l’avion, faisant observer qu’il était
clair que, n’ayant pas en ma possession l’ensemble des éléments d’information et
pièces utiles pour ce faire, je n’étais pas en mesure de me prononcer formellement. Il
ressort dudit rapport qu’il incombait désormais aux États Membres de rapporter la
preuve de ce qu’ils avaient procédé à un examen exhaustif de tous dossiers et archives
sous leur garde ou en leur possession. Ainsi que le prescrivait la résolution 72/252,
j’ai, en 2018, invité 14 États Membres (Afrique du Sud, Allemagne, Angola,
Belgique, Canada, États-Unis d’Amérique, Fédération de Russie, France, Portugal,
République démocratique du Congo, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande
du Nord, Suède, Zambie et Zimbabwe) à charger chacun une haute personnalité
indépendante (responsable indépendant) de procéder à un examen interne ciblé de s
archives de ses services de renseignement, de sécurité et de défense. Le rapport de
2019 qui propose, à titre de complément d’information, un tableau indiquant l’état
des nominations de responsables indépendants rend compte dans le détail du dialogue
entretenu avec lesdits pays.
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C. Faits constants
1. Généralités
8. Encore qu’elles soient venues enrichir sensiblement le dossier, les enquêtes de
1961/62 souffraient de sérieuses lacunes, faute d’avoir su saisir une chance
intéressante, ayant fait peu de cas des récits de témoins locaux. Les premières
enquêtes n’ont pas examiné jusqu’au bout les hypothèses, dont celles d’une attaque
ou menace extérieure avancées comme cause possible de l’accident. On peut
également leur reprocher par exemple de n’avoir pas dûment tenu compte du contexte
des faits en septembre 1961, notamment de ceci qu’un conflit armé ouvert opposait
alors diverses parties, y compris les Nations Unies. Le vol SE -BDY avait ainsi pour
destination une région en état de vive tension militaire, théâtre d ’opérations militaires
de part et d’autre de la frontière entre le Congo et la Rhodésie du Nord où sont
massées des forces prêtes au combat.
9. Autre critique adressée aux enquêtes originelles de 1961/62, il est constant que
des responsables britanniques et nord-rhodésiens ont tenté d’en infléchir les
conclusions dans le sens de la thèse de l’erreur de pilotage par opposition à celle de
quelque intervention extérieure.
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3. Interception de communications
16. En septembre 1961, des États Membres surveillaient et interceptaient les
communications dans la région considérée, y compris celles de l’ONU. Des États
Membres, dont les États-Unis et le Royaume-Uni, recevaient rapport de
communications interceptées de l’Opération des Nations Unies au Congo (ONUC)
tout au long de l’année 1961, y compris celles cryptées de caractère militaire sensible,
communications évoquées en haut lieu, y compris par Lord Alport, Haut -Commissaire
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4. Forces armées sur les lieux de l’accident ou dans les environs en septembre 1961
20. L’armée de l’air du Katanga (Avikat) aux prises avec les forces et civils
congolais et les forces de l’ONU recevait des ravitaillements en 1961 par vols
commerciaux de Douglas DC-3, Dornier DO-28, De Havilland Dove, Fouga Magister
et divers autres aéronefs du type Piper. Avikat empruntait des aérodromes situés u n
peu partout en territoire congolais et à l’étranger, notamment au Katanga, en Rhodésie
du Nord, en Angola et en République du Congo. De la prépondérance de la preuve il
résulte qu’en septembre 1961 la chasse opérationnelle d’Avikat consistait en un Fouga
Magister, un Dornier DO-28 et un certain nombre de De Havilland Dove, aéronefs
qu’Avikat avait adaptés aux fins de missions d’attaques et de bombardements aériens
qu’elle effectuait de jour et de nuit contre l’ONUC et des cibles terrestres et aériennes
congolaises. L’arsenal d’Avikat était constitué d’armements achetés ou fabriqués sur
place avec le concours de l’Union Minière du Haut Katanga (UMHK).
21. Contrairement à ce qu’a prétendu Joseph Delin, major d’Avikat, qui a déclaré à
l’occasion des premières enquêtes qu’un seul pilote katangais aurait été capable d’être
aux commandes d’un avion lors de quelque attaque contre le SE-BDY, nombre de
pilotes étaient au service d’Avikat. Nombreux étaient les hommes dignes d’intérêt
dans les rangs des forces armées katangaises qui, sans être pilotes, se trouvaient alors
dans la zone. On ne peut s’autoriser de ce que l’on sait à ce stade pour dresser une
fois pour toutes la liste des personnes qui s’étaient trouvées au Katanga ou en quelque
sorte non loin de Ndola dans la nuit du 17 au 18 septembre1961. Il reste qu’il y avait
au moment des faits beaucoup plus de personnes dignes d ’intérêt parties aux combats
contre l’ONU sur le terrain que celles auxquelles on s’est intéressé à l’occasion des
premières enquêtes.
22. Il se peut que Jan Van Risseghem, pilote mercenaire belge d’Avikat soit retourné
au Katanga à la date du 17 septembre 1961. D’après les interceptions de bribes de ses
propres transmissions radio, Van Risseghem a été entre juillet et septembre 1961, avec
divers co-pilotes nommément identifiés, aux commandes de Douglas DC-3, Dornier
DO-28, De Havilland Dove, Fouga Magister et Piper.
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23. Il n’est pas établi de manière concluante qu’il n’y avait aucun avion dans les airs
cette nuit-là. Outre des avions de l’Avikat, il y avait dans Ndola et les environs d’autres
appareils, dont les 18 chasseurs-bombardiers Canberra, 30 chasseurs-bombardiers
Vampire et 12 Provost légers de la Royal Rhodesian Air Force (Armée de l ’air royale
de Rhodésie).
6. Divers
28. La transcription des derniers messages du SE-BDY établie par la tour de
contrôle de l’aéroport de Ndola était incomplète, présentant sans doute de gros trous.
Il apparaît qu’Arundel Campbell Martin, contrôleur aérien, a détruit ses notes
originales même s’il a reconnu n’avoir pas ignoré l’exceptionnelle qualité des
passagers à bord de l’avion et le fait que la tour de contrôle de Nodal n’avait nullement
pourvu à l’enregistrement des échanges avec le vol.
29. En ce qui concerne la thèse du sabotage, n’ayant pu à ce jour disposer de tous
éléments de preuve utiles contenus dans les archives sud-africaines, je ne suis pas en
mesure de dire si la South African Institute for Maritime Research (SAIMR),
organisation paramilitaire qui a existé en Afrique du Sud pendant les années 1980 et
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D. Conclusions et recommandations
31. Pour les motifs exposés dans le rapport de 2019, je m’autorise du dossier à ce
jour pour dire en toute confiance que certains États Membres se sont certainement
constitué des dossiers utiles ou ont sûrement pris possession de tels dossiers non
communiqués à l’ONU. Ainsi, de bulletins ou fiches établis par des agents de
renseignement de certains États Membres mis au jour ou retrouvés dans des archives
privées et de la correspondance diplomatique, il ressort que des renseignements ont
également été transmis aux services de renseignement pour suite à d onner. Quand on
connaît les politiques, moyens, matériel et personnels qu’ils ont mis à leur service
dans la région à l’époque des faits ainsi que l’intérêt qu’ils portaient au Congo et la
région et leurs relations avec l’ONU, des États Membres se sont sûrement constitués
des dossiers de communications interceptées ou surprises. Ils ont certainement
confectionné des rapports classés secrets en exploitant leurs moyens et sources de
renseignement dès que l’on a appris que l’avion du Secrétaire général s’était écrasé,
tous éléments d’information manifestement utiles à la manifestation de la vérité sur
la ou les cause(s) de l’accident mais qui n’ont toujours pas vu le jour.
32. La démarche prescrite par l’Assemblée générale dans sa résolution 72/252 s’est
pour l’essentiel révélée fructueuse, les États Membres s’étant pour la plupart
véritablement prêtés à une entreprise inédite à maints égards. Encore que l ’on ait
enregistré des progrès encourageants en 2018/19, les recherches menées par certains
États Membres ne sont pas allées jusqu’au bout. Même si une nette majorité à
l’Assemblée générale souhaite voir dissiper l’opacité entourant le dossier, ceux qui
détiennent fort probablement des éléments d’information de taille répugnent à les
livrer quand bien même toutes précautions voulues seraient prises pour en préserver
la confidentialité.
33. Il reste du chemin à parcourir quand on sait que certains États Membres clefs
n’ont pas répondu quant au fond aux questions à eux posées ou semblent avoir, du
fait que leur législation interne n’en autorise normalement pas la consultation, conclu
que les archives de leurs services de renseignement, de sécurité et de défense ne
sauraient renfermer d’« utiles » éléments d’information. Le rapport de 2019 conclut
ainsi que rien n’autorise à remettre en cause la constatation qu’il demeure plausible
que quelque attaque ou menace extérieure ait été la cause de l ’accident et qu’il
incombe désormais aux États Membres de rapporter la preuve qu’ils ont interrogé à
fond tous dossiers et archives sous leur garde ou en leur possession. À mon humble
avis, cette charge de preuve doit continuer de peser sur les États Membres en cause
tant que l’Assemblée générale n’aura pas acquis la conviction qu’ils s’en sont dûment
déchargés en divulguant toutes informations utiles ayant trait à la ou aux cause(s)
probable(s)de la tragédie.
34. J’ai également retenu des pistes bien déterminées à creuser, à savoir notamment
faire procéder à l’expertise balistique des photographies fournies par le responsable
indépendant de la Suède sur lesquelles on peut voir – semble-t-il – des impacts de
balles sur ce qui serait l’épave du DC-6 ; rechercher toutes traces écrites disponibles
de décollage et d’atterrissage d’aéronefs d’aérodromes dans Brazzaville et les
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environs en septembre 1961 ; analyser des pièces, dont des journaux de bord
concernant Van Risseghem ; solliciter des États-Unis et du Royaume-Uni des
informations précises contenues dans les archives de leurs services de
renseignement ; demander à l’Afrique du Sud de donner accès à tous dossiers
intéressant la SAIMR ; rechercher des compléments d’information concernant des
agents de renseignement étrangers et d’autres pistes résultant du texte de mon rapport.
35. Sans préjudice des prérogatives propres au Secrétaire général et à l ’Assemblée
générale, le rapport de 2019 propose quatre recommandations compatibles qui, se
complétant les unes les autres, tendent a) à voir l’ONU donner à une personne
indépendante pour mission de poursuivre les investigations dans le droit fil de l ’actuel
mandat de l’Éminente Personnalité ; b) à voir prier instamment de nouveau les États
Membres clefs de charger une haute personnalité indépendante (responsable
indépendant) de rechercher si les archives de leurs services de renseignement, de
sécurité et de dépense renferment d’utiles éléments d’information ; c) à demander à
toute personnalité indépendante nommée de dire au terme de son mandat si tel ou tel
État Membre a observé les prescriptions de l’Assemblée générale, y compris si de
l’inobservation desdites prescriptions par tout État Membre l ’on serait autorisé à tirer
quelque conclusion et d) à voir l’ONU continuer d’œuvrer à mettre à la disposition
du public un recueil en ligne consacré aux documents clefs résultant de toutes récentes
investigations.
36. En conclusion, à l’évidence, des faits sans doute qualifiables d’acte hostile
contre la personne du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies
intéressent tous au plus haut point. Le rapport de 2019 redit une fois de plus combien
il importe de continuer d’œuvrer de concert à la manifestation de la vérité concernant
ce dossier. C’est que par-delà la question de la place même de l’ONU dans le monde
et de ses rapports avec les États Membres, il intéresse le devoir à nous fait vis-à-vis
des familles des victimes et de vérité devant l’histoire. Beaucoup a été accompli
encore pour parvenir à faire toute la lumière sur les circonstances et conditions de
l’accident du SE-BDY. Force est d’encourager les États Membres à prêter encore plus
activement à cette entreprise leur concours qui demeure indispensable pour permettre
de mettre définitivement au jour tous éléments d ’information de nature à permettre
de clore le dossier de cette tragédie.
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I. Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18
A. Titre préliminaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18
B. Résumé des conclusions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20
C. Historique : investigations et enquêtes précédentes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20
D. Mandat et définitions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22
E. Méthode et activités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23
II. Élargissement des recherches d’information : demande tendant à voir les États Membres
charger une haute personnalité indépendante d’examiner les archives de leurs services de
renseignement, de sécurité et de défense . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
A. Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
B. Réponses des États Membres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
C. Archives de l’ONU . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31
D. Observations sur les réponses émanant d’États Membres et les limites des recherches . . 32
III. Informations nouvelles concernant les causes possibles de l ’accident . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32
A. Attaque air-air ou sol-air ou autre menace extérieure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33
B. Sabotage : Opération Céleste/South African Institute for Maritime Research . . . . . . . . . . 70
IV. Autres éléments d’information nouveaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75
A. Actions des autorités et responsables locaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75
B. Questions diverses . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 84
V. Constatations et conclusions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 90
A. Cause(s) de l’accident . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 90
B. Questions diverses . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96
VI. Recommandations et conclusions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101
A. Fondement des recommandations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101
B. Recommandations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 102
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I. Introduction
A. Titre préliminaire
1. Ainsi qu’il est dit dans le rapport de 2017, dans la nuit du 17 au 18 septembre
1961, un DC-6 affrété, immatriculé SE-BDY, transportant, Dag Hammarskjöld,
Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies s’écrase peu après minuit non
loin de Ndola, dans une région de ce que l’on appelait alors la Rhodésie du Nord.
Hammarskjöld et 14 des 15 personnes qui l’accompagnent périssent sur le champ et
le seul survivant succombera à ses blessures six jours plus tard. L’ONU, encore
naissante, perd ainsi son deuxième Secrétaire général, qui recevra le prix Nobel de la
paix à titre posthume, ainsi que 15 hommes et femmes dévoués tombés au service de
la paix au Congo.
2. Depuis l’accident survenu voici 58 ans, des enquêtes successives sont venues
examiner diverses hypothèses concernant la chute de l’appareil, dont celles de
quelque attaque aérienne ou terrestre ou autre menace extérieure ( « attaque ou menace
extérieure »), du sabotage, du détournement ou de l’erreur humaine, aucune desdites
enquêtes n’ayant, à ce jour, abouti à quelque résultat concluant. À la suite de deux
enquêtes rhodésiennes menées en 1961, une Commission d’enquête de l’ONU viendra
conclure que rien ne l’autorisait à retenir ou exclure telle ou telle des diverses thèses
avancées pour expliquer l’accident. Cela étant, en 1962, l’Assemblée générale
laissera la question ouverte à l’examen en demandant au Secrétaire général de porter
à sa connaissance tout nouvel élément de preuve qui viendrait à voir le jour. Le rapport
établi en 2013 par la Commission de juristes chargée d ’enquêter sur la mort de Dag
Hammarskjöld (Commission Hammarskjöld), groupe privé bénévole de quatre
juristes de renom, conduira l’Assemblée générale à charger en 2015 un groupe
d’experts indépendants à examiner et évaluer la valeur probante d ’informations
nouvelles concernant la tragédie. Le groupe d’experts viendra écarter de fait certaines
de ces thèses mais conclura en définitive, à titre de recommandation, à l’opportunité
de poursuivre l’enquête ou les investigations. Le Secrétaire général m’a ainsi chargé
en qualité d’Éminente Personnalité en 2017 d’examiner d’éventuels éléments
d’information nouveaux, d’en évaluer la valeur probante, de déterminer la portée à
donner à toute nouvelle enquête et, si possible, de tirer des conclusions des enquêtes
déjà menées. M’autorisant d’éléments d’information nouveaux émanant d’États
Membres et de particuliers, j’ai pu écarter certaines thèses à l’occasion de mes
investigations dans le rapport que j’ai présenté au Secrétaire général en juillet 2017.
3. Reconduit dans ma qualité d’Éminente Personnalité en 2018, j’ai, dans le
respect des prescriptions résultant de la résolution 72/252 de l’Assemblée générale,
entrepris décisivement de prendre langue par correspondance avec des États membres
clefs pour leur demander de charger chacun une haute personnalité indépendante
(responsable indépendant) de procéder à un examen interne ciblé des archives de ses
services de renseignement, de sécurité et de défense. Le présent rapport rend compte
de mes échanges avec lesdits États Membres et de la valeur des éléments
d’information obtenus de ces derniers et de particuliers.
4. Le présent rapport s’inscrit dans la continuité de l’entreprise lancée à nouveau
en 2015 par le groupe d’experts indépendants sous les auspices de l’ONU et qui,
poursuivie en 2017, fait fond sur l’analyse et les conclusions résultant des rapports
sur la question. Il propose par souci de commodité un résumé analytique de
conclusions se voulant la synthèse de conclusions provisoires adossées à des éléments
d’information recueillis entre 2015 et 2019. Les sections III et IV en sont consacrées
au résumé et à l’évaluation de la valeur probante d’éléments d’information nouveaux
sur le dossier obtenus depuis la clôture du rapport de 2017 et à des pistes
d’investigation à creuser, la section V l’étant aux constatations et conclusions
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11. Ainsi qu’il ressort succinctement du rapport de 2017, dans un premier temps,
les événements tragiques ont donné lieu à investigations et enquêtes officielles par le
Comité d’enquête du Département de l’aviation civile du Gouvernement de la
Fédération de la Rhodésie du Nord et du Nyassaland (le Comité d ’enquête rhodésien),
qui a siégé du 19 septembre au 2 novembre 1961. Il sera établi par la suite une
Commission fédérale d’enquête en vertu de la loi de 1955 portant commissions
fédérales d’enquête (Commission d’enquête rhodésienne). L’ Assemblée générale des
Nations Unies viendra créer en 1961, par sa résolution 1628 (XVI), la Commission
d’enquête de l’ONU (la Commission de 1961) chargée de conduire une enquête
internationale sur les conditions et les circonstances de la tragédie. La Commissio n
de 1961 n’ayant pu ni confirmer ni infirmer l’une quelconque des hypothèses relatives
aux causes de l’accident, l’Assemblée générale, prenant acte du rapport de ladite
Commission (A/5069), a, par sa résolution 1759 (XVII), prié le Secrétaire général de
lui communiquer tout nouvel élément d’information dont il pourrait avoir
connaissance.
12. En 2013, la Commission Hammarskjöld, groupe privé de juristes bénév oles
concluait dans son rapport que l’ONU serait fondée à rouvrir l’enquête sur la tragédie.
Composée de quatre juristes de renommée internationale, la Commission
Hammarskjöld, a examiné tout un éventail de pièces et documents, y compris le
travail de fond accompli par différents chercheurs, dont Susan Williams, auteure du
livre paru en 2011 intitulé Who Killed Hammarskjold? The UN, the Cold War and
White Supremacy in Africa, avant de rendre compte de ses travaux. Pour conclure que
l’ONU serait fondée à rouvrir l’enquête de la Commission d’enquête de 1961, la
Commission Hammarskjöld s’est fondée sur ceci qu’elle estimait qu’il existait
suffisamment d’éléments de preuve pour justifier de rechercher plus avant si l ’avion
avait été condamné par quelque acte d’hostilité.
13. Le 21 mars 2014, Ban Ki-moon, alors Secrétaire général de l’ONU, présente à
l’Assemblée générale le rapport de la Commission Hammarskjöld, accompagné d ’une
note (A/68/800 et A/68/800/Add.1) d’où il ressort, selon lui, que le rapport contient
des éléments de preuve nouveaux. Par suite, l’Assemblée générale adoptera, le
29 décembre 2014, la résolution 69/246 venant prier le Secrétaire général de désigner
un groupe d’experts indépendants chargé d’examiner les nouvelles informations et
d’en évaluer la valeur probante, l’Assemblée encourageant également dans ladite
résolution les États Membres à divulguer tous dossiers pertinents en leur possession
et à communiquer au Secrétaire général toutes informations pertinentes.
14. Le 16 mars 2015, comme suite à la demande de l’Assemblée générale, le
Secrétaire général annonce avoir chargé le Groupe d ’experts indépendants
d’examiner les éléments d’information nouveaux et d’en évaluer la valeur probante,
le Groupe d’experts étant constitué de ma propre personne Mohamed Chande
Othman, alors Président de la Cour suprême de la République -Unie de Tanzanie,
nommé chef du Groupe, de Kerryn Macaulay (Australie), spécialiste de la sécurité
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D. Mandat et définitions
21. Nommé en 2017 puis reconduit en 2018/19 Éminente Personnalité, j’ai fait fond
sur les travaux du Groupe d’experts pour approfondir mes investigations. En cette
qualité, je tiens des résolutions 71/260 et 72/252 de l’Assemblée générale pour
mandat d’examiner d’éventuels éléments d’information nouveaux, émanant
notamment d’États Membres et d’en évaluer la valeur probante, de déterminer la
portée à donner à toute nouvelle enquête et, si possible, de tirer des conclusions des
enquêtes déjà menées, sauf à préciser qu’à l’instar du Groupe d’experts, l’Éminente
Personnalité n’a pas vocation à mener quelque investigation ou enquête complète sur
la tragédie.
22. Le Groupe d’experts a retenu deux grandes catégories « d’informations
nouvelles » intéressant la tragédie à savoir, d’une part, celles dont n’était pas saisie
la Commission de 1961 et, d’autre part, celles dont ladite Commission avait
connaissance mais qui sont susceptibles d’être envisagées sous un jour nouveau à la
faveur de la mise au jour d’éléments d’information nouveaux, de l’évolution des
moyens scientifiques ou techniques et de l’avènement de pratiques meilleures.
Procédant identiquement, j’ai, le cas échéant, réexaminé à la lumière d’informations
nouvelles tel élément d’information précédemment analysé.
23. Je continue de retenir de la « valeur probante » de toute information la même
définition que celle dégagée par le Groupe d’experts, consistant à rechercher si et
dans quelle mesure, en soi ou en combinaison avec d’autres, l’information considérée
tend à confirmer ou infirmer l’existence ou l’inexistence de tel(s) ou tel(s) fait(s)
considéré(s). S’agissant de chaque nouvel élément d’information potentiel, j’ai retenu
les critères non-limitatifs ci-après : l’authenticité de l’information considérée
(cohérence et contemporanéité, notamment), la nature de l ’information (information
primaire, secondaire, ouï-dire ou indirecte), la crédibilité de l’information (sa
concordance avec d’autres renseignements ou faits établis notamment), toutes
expertises de l’information et la corroboration de l’information par d’autres éléments
d’information. Juger que tel élément d’information nouveau a faible valeur probante
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E. Méthode et activités
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2. Contraintes et limites
31. Le Groupe d’experts et l’Éminente Personnalité étaient censés, en guère que
quelques semaines en 2015 et quelques mois en 2017 respectivement, analyser toute
une masse d’informations, en apprécier l’authenticité et la fiabilité avant d’en faire la
synthèse dans un rapport. Le fait de m’être vu ménager plus de temps à l’occasion
mon actuel mandat m’aura grandement permis d’entretenir un dialogue plus
approfondi avec les uns et les autres, encore que, entre autres limites mises à ma
qualité d’Éminente Personnalité, je n’aie ni vocation à mener quelque pleine enquête,
ni les moyens d’une telle entreprise. Ce nonobstant, j’ai pu mettre fort utilement le
temps qui m’est ainsi imparti au service de mes échanges avec les États Membres
dont les protocoles et procédures internes sont souvent dévoreuses de temps ainsi que
de recherches et investigations chronophages. On retiendra que j ’ai pu ainsi susciter
de la part de certains États Membres la coopération prescrite par la résolution 72/252.
Malheureusement, tous les États Membres n’ont pas mis à profit le temps dont ils
disposaient ainsi pour procéder sérieusement à des recherches, ce sur quoi je
reviendrai.
32. Je redis que le fait que les investigations semblent s’intéresser principalement à
certains États Membres s’explique logiquement par ceci que tels et tels États
Membres avaient une plus forte présence que tels autres au Congo et dans la région
au moment des faits et que des personnes et institutions de ces États Membres en
cause tentent toujours d’en élucider les circonstances. On n’en conclura donc pas que
d’autres États Membres ou sources privées ne détiennent pas d ’informations utiles et
pertinentes.
33. Même rapproché des précédents, le présent rapport ne prétend pas et n e saurait
prétendre épuiser la matière. À l’instar des précédents, il s’inscrit dans la continuité
de la quête de l’entière vérité, venant ajouter à un récit évolutif. S’agissant de la
question même, à savoir celle de la cause de l’accident, je ne pense pas que tous les
éléments d’information utiles existants aient vu le jour. J ’en suis quasiment certain à
ce stade, ce sur quoi je reviendrai également ci-après. On peut malgré tout s’autoriser
du dossier en son état actuel pour dégager des constatations et c onclusions, ainsi qu’il
résulte de la section V.
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34. Les États Membres ayant été invités en 2015 à rechercher dans leurs dossiers et
archives toutes informations susceptibles de permettre de faire la lumière sur la
tragédie, j’ai, en 2017, demandé à un certain d’entre eux et à l’Organisation des
Nations Unies d’approfondir et de cibler leurs recherches sur des questions bien
précises, le but étant de mettre au jour tous éléments d ’information nouveaux de
nature à permettre de replacer l’accident dans son contexte. J’ai ainsi adressé en 2017
des demandes dans ce sens à l’ONU et aux huit États Membres suivants : Afrique du
Sud, Allemagne, Belgique, Canada, États-Unis, Fédération de Russie, France et
Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord. J’ai choisi de solliciter le
concours desdits États Membres car il ressort du dossier qu’ils détiennent le plus
vraisemblablement des éléments d’information d’intérêt immédiat, étant donné la
décolonisation et d’autres aspects de la donne géopolitique au Congo et dans la région
pendant les années 1960. Il ne m’échappe cependant pas que d’autres États Membres
pourraient également avoir en leur possession des éléments d ’information dignes
d’intérêt et que l’Assemblée générale a invité tous les États Membres à prêter
concours et assistance à l’entreprise.
35. Je su gré aux États Membres du concours qu’ils m’avaient apporté en 2017,
m’ayant permis d’entrer en possession de quantité d’éléments d’information de taille,
nouveaux et pertinents. Je reviens ci-après sur des aspects clefs de ces éléments
d’information obtenus en 2017. L’essentiel des informations nouvelles de taille
produites est tiré cependant presque exclusivement d’archives diplomatiques et/ou
politiques.
36. Comme suite à la résolution 72/252 de l’Assemblée générale, j’ai, en mars 2018,
invité les huit États Membres susmentionnés à charger une personnalité indépendante
de haut niveau de procéder à un examen interne ciblé des archives de leurs services
de renseignement, de sécurité et de défense. Estimant en outre qu ’ils pourraient
détenir des informations pertinentes, j’ai également, en juin 2018, demandé à cinq
autres États membres, à savoir l’Angola, le Portugal, la République démocratique du
Congo, la Zambie et le Zimbabwe de procéder également à la nomination d ’une telle
personnalité à cette fin. M’autorisant de ce que l’Assemblée générale l’a
expressément prescrit, j’ai ainsi, pour la première fois, demandé expressément aux
États Membres de veiller à étendre leurs recherches aux archives de leurs services de
renseignement, de sécurité et de défense.
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Angola
38. L’Angola m’a informé en avril 2019 que le pays ayant été sous domination
portugaise à l’époque des faits en septembre 1961, le Gouvernement angolais n ’avait
pas accès à la documentation classifiée datant de l’époque coloniale. Ayant saisi le
Portugal de la question, je traite ci-après de la suite qu’il lui a donnée.
39. Je remercie l’Angola de sa réponse d’où il résulte qu’il n’y a pas lieu à autres
questions.
Belgique
40. La Belgique m’a informé en mai 2018 avoir nommé responsables indépendants
Guy Rapaille, Président du Comité permanent de contrôle des services de
renseignement et de sécurité (Comité R) et avocat général près la Cour d ’appel de
Liège et Kris Quanten, Lieutenant-Colonel, Instructeur militaire et Titulaire de la
Chaire d’histoire militaire à l’École militaire Royale. Les responsables indépendants
belges ont produit un rapport intérimaire détaillé renseignant sur le travail
considérable par eux accompli sur demande à la date d ’octobre 2018. J’ai été informé
que M. Rapaille parti à la retraite en mai 2019 a été remplacé par Serge Lipszyc en
qualité de responsable indépendant, M. Quanten conservant sa qualité.
41. Les responsables indépendants belges M. Lipszyc et M. Quanten m’ont remis
en juin 2019 leur rapport final dans lequel ils disent avoir pu pleinement consulter
tous les dossiers et archives du Ministère de la défense, de la Sûreté de l ’État et du
Service général du renseignement et de la sécurité (renseignement militaire), tout en
précisant n’avoir pas reçu pour mandat d’interroger les archives d’acteurs
non-étatiques ou d’organisations privées.
42. Je sais gré à M. Rapaille, M. Quanten et M. Lipszyc ainsi qu’à leurs
collaborateurs de leur concours et de l’énorme travail qu’ils ont accompli. Je traiterai
plus loin sous la rubrique thématique correspondante des éléments d’information clefs
que je leur dois d’avoir reçus du gouvernement belge.
Canada
43. Le Canada m’a informé en octobre 2018 avoir nommé responsable indépendant
Jeffrey Marder, Directeur pour affaires mondiales à la Division des Nations Unies du
Canada. M. Marder a présenté en avril 2019 un rapport final détaillé dans lequel il
confirme avoir pu consulter tous les dossiers et archives susceptibles d ’être utiles à
l’enquête, y compris avoir pu interroger pleinement le fonds central des dossiers et
archives du gouvernement canadien de Bibliothèque et Archives Canada (y compris
aussi d’Affaires extérieures Canada prédécesseure d’Affaires mondiales Canada), et
les archives militaires gérés par le Ministère de la défense nationale et le Bureau du
Conseil privé, ainsi que des archives privées. M. Marder a été assisté à l’occasion de
sa mission par des chercheurs qui ont, à leur tour, bénéficié du concours de Kevin
Spooner, professeur canadien spécialiste de la question de l ’intervention canadienne
au Congo pendant la période en question.
44. Je remercie M. Marder et son équipe de l’activité et de l’énorme contribution
qu’ils ont apportées à leur mission. Je reviendrai plus loin sous la rubrique
correspondante sur les informations clefs que je leur dois d ’avoir obtenu du
Gouvernement canadien.
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France
48. La France m’a informé en mai 2018 avoir nommé responsable indépendant
Maurice Vaïsse, professeur émérite à Sciences Po, ayant dirigé l’ouvrage Documents
diplomatiques français.
49. Le responsable indépendant français a rendu compte dans un rapport intérimaire
circonstancié du travail considérable qu’il a accompli sur demande à la date d’octobre
2018. Il viendra confirmer dans son rapport final de juin 2019 avoir pu consulter des
archives de services de renseignement, de sécurité et de défense notamment, ayant
spécialement obtenu en 2019 le visa secret défense nécessaire à cette fin. Il s’agissait
des archives du Ministère des affaires étrangères, du Ministère de la culture, des
Archives nationales, du Ministère de la défense et des forces armées, du Secrétariat
général de la défense et de la sécurité nationale et du Service de documentati on
extérieure et de contre-espionnage (SDECE), ainsi que d’archives privées, dont celles
du Centre d’histoire de Sciences Po et de la Direction générale de l ’aviation civile.
50. Je sais gré à M. Vaïsse de son activité et de sa contribution non négligeable et
reviendrai plus loin sous la rubrique thématique correspondante sur les informations
clefs que je lui dois d’avoir reçues du Gouvernement français.
Allemagne
51. L’Allemagne m’a informé en mai 2018 avoir nommé responsable indépendant
Hans Vorbeck, Sous-Secrétaire et Commissaire à l’histoire du Service fédéral de
renseignement (Bundesnachrichtendienst, BND) à la Chancellerie. S ’étant acquitté de
sa mission de responsable indépendant de mai à juin 2018, date de son départ à la
retraite, Vorbeck sera remplacé en cette qualité en mai 2018 par Thomas Fitschen,
Ambassadeur et Représentant spécial chargé de la cyberpolitique étrangère et de la
cybersécurité au Bureau fédéral des affaires étrangères (Federal Foreign Office) .
52. Ayant rendu compte des recherches qu’il a menées à la date d’octobre 2018 dans
le rapport intérimaire circonstancié qu’il a établi sur demande, le responsable
indépendant allemand viendra confirmer dans son rapport final en date de juin 2019
avoir été autorisé par les autorités allemandes à consulter sans restriction aucune tous
les dossiers et archives du Bureau fédéral des affaires étrangères, du Ministère fédéral
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Portugal
54. Le Portugal m’a informé en février 2019 avoir nommé responsable indépendant
José Júlio Pereira Gomes, Ambassadeur.
55. Rendant compte du travail non négligeable qu’il a accompli dans un rapport
final circonstancié en date de mai 2019, le responsable indépendant portugais est venu
confirmer avoir eu accès sans restriction aucune à tous dossiers et archives,
abstraction faite de tout niveau de classification, dont les archives diplomatiques (du
Bureau des affaires politiques du Ministère des affaires étrangères), les archives
d’histoire militaire, les archives de la défense nationale, les archives de l’histoire de
l’armée de l’air, les archives nationales de « Torre do Tombo », les archives des
services de renseignement (Police de la défense internationale et d ’État/direction
générale de la sécurité) et les archives de l’histoire d’outre-mer.
56. Je remercie M. Pereira Gomes qui par sa contribution non négligeable m’aura
permis de recevoir du Gouvernement portugais les informations clefs sur lesquel les
je reviendrai plus loin sous la rubrique thématique correspondante.
Fédération de Russie
57. Comme suite à ma demande, la Fédération de Russie m’a informé par note
verbale en mai 2018 que les autorités compétentes russes interrogeaient les archives
des services de renseignement, de sécurité et de défense russes en quête de toutes
informations utiles à l’enquête Dag Hammarskjöld.
58. J’ai demandé par écrit en mars 2019 à la Fédération de Russie de s ’intéresser
davantage à la nomination d’un responsable indépendant prescrite par l’Assemblée
générale, le texte de cette correspondance étant reproduit dans le présent rapport à
titre de complément d’information.
Afrique du Sud
59. Les demandes d’assistance que j’ai adressées à l’Afrique du Sud en 2017 étant
demeurées sans suite, j’ai plus d’une fois tenté officiellement et officieusement de
prendre langue avec ce pays en 2018 et 019 et demandé également au Secrétaire
général et à l’ancien Secrétaire général disparu Kofi Annan d’intervenir dans ce sens
en haut lieu auprès du Gouvernement sud-africain.
60. L’Afrique du Sud m’informera en mai 2019, soit 15 mois après ma demande
initiale et l’expiration du délai imparti aux autres responsables indépendants pour le
dépôt de leurs rapports finals, avoir nommé responsable indépendant et interlocuteur
Mxolisi Nkosi, Ambassadeur et Directeur général adjoint du Programme de
gouvernance mondiale et continentale (Global Governance and Continental Agenda)
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Suède
62. La Suède m’a informé en avril 2018 avoir nommé responsable indépendant,
Mathias Mossberg, ancien Ambassadeur, à qui je sais spécialement gré d’avoir
apporté à sa mission son esprit d’initiative et une remarquable activité personnelle
ainsi qu’il ressort du présent rapport.
63. Ayant rendu compte dans un rapport intérimaire circonstancié du gros travail
qu’il a mené sur demande à la date d’octobre 2018, le responsable indépendant
suédois viendra confirmer dans son rapport final en date de mai 2019 avoir été
autorisé, par décision du Ministère des affaires étrangères en date du 9 septembre
2018, à consulter toutes archives suédoises sans restriction aucune. Il a ainsi pu
interroger en toute liberté tous dossiers et archives, dont ceux du Ministère des
affaires étrangères (y compris les dossiers transférés du Bureau des affaires
étrangères), des Archives nationales suédoises (y compris de la Commission royale
de l’aviation civile et de la Police criminelle d’État suédoise), ceux des archives Dag
Hammarskjöld (collection de la Bibliothèque nationale suédoise), ceux de la
Commission royale de l’aviation civile, ceux des Archives militaires, du
Renseignement militaire suédois, de l’Office de radiodiffusion de la défense
nationale, du Service de la sécurité suédois et des archives privées (dont ceux de la
famille Wallenberg, d’Atlas Copco, de Transair et des familles Virving et Hellstrom).
64. La Suède a pris le soin de ménager à son responsable indépendant toute latitude
pour examiner sans restriction aucune, y compris par des moyens électroniques, toutes
archives, dont celles sensibles de ses services de renseignement, d e sécurité et de
défense en quête de toutes informations dignes d’intérêt, et ce en lui prêtant les
moyens et tel concours que nécessaires pour interroger quantité de documents. Encore
qu’aucune restriction n’ait été mise à ses recherches, le responsable indépendant était
censé convenir avec l’ONU de modalités de communication de toutes informations
classifiées, ainsi que je l’ai précisément recommandé dans le rapport de 2017 ; je me
félicite également ainsi de l’esprit d’initiative dont la Suède a fait preuve sur ce sujet.
65. Le responsable indépendant suédois a interrogé de nouveau des archives
précédemment consultées, y compris celles de caractère politique et diplomatique
ainsi que d’autres sources susceptibles de présenter quelque intérêt qui ne l ’avaient
pas été auparavant, dont les archives de particuliers et de sociétés. De telles
recherches sont d’autant plus importantes et nécessaires que tel personnage, pièce et
autre fait jusque-là regardé comme dérisoire aura pris du relief à la faveur de
l’évolution des connaissances. J’exprime ma gratitude à M. Mossberg pour l’activité,
la grande contribution et le sens de l’initiative qu’il a apportés à cette entreprise. Je
reviendrai plus loin sous la rubrique thématique correspondante sur les informations
clefs que je lui dois d’avoir pu obtenir du Gouvernement suédois.
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États-Unis d’Amérique
69. Les États-Unis m’ont informé en avril 2018 avoir nommé responsable
indépendant Eric Gaudiosi, Sous-Secrétaire d’État adjoint par intérim aux affaires des
organisations internationales au Bureau des affaires des organisations internationales
du Département d’État des États-Unis (mars-septembre 2018) et Joseph Manso,
Sous-Secrétaire d’État principal par intérim au Bureau des affaires des organisations
internationales du Département d’État (depuis octobre 2018).
70. Le responsable indépendant américain n’a produit de rapport ni intérimaire ni
final quant au fond, ayant déclaré dans sa lettre en date du 29 avril 2019 avoir
interrogé à fond toutes archives des services de renseignement, de sécurité et de
défense et m’ayant saisi d’un seul document (sur lequel je reviendrai plus loin).
71. Je remercie M. Manso du travail qu’il a accompli. Pour les motifs exposés
ci-après, je joins au présent rapport, à titre de complément d’information, le texte de
la correspondance que j’ai adressée aux États-Unis en mars 2019, ceux-ci n’ayant pas
précisément répondu aux questions qui y sont posées et sur lesquelles on pourrait
faire fond pour approfondir les investigations dans l’avenir. M. Manso m’a fait
remarquer en conclusion que « comme suite à vos demandes élargies, y compris celles
résultant de l’annexe à votre lettre en date du 24 mars 2019, j’ai élargi mes recherches
à d’autres services de renseignement américain. Ces recherches n’auront certes pas
été achevées à temps avant la parution de votre rapport final, mais il nous plaira de
pouvoir collaborer avec vous dans l’avenir. »
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Zambie
72. La Zambie m’a informé en février 2019 avoir nommé responsable indépendant
John Zulu, Directeur à la Présidence.
73. Le responsable indépendant zambien a rendu compte du travail considérable
qu’il a accompli dans un rapport final en date de juin 2019 co -signé par le Ministre
zambien des affaires étrangères, rapport dans lequel il confirmait avoir pu consulter
à fond, sans restriction aucune tous les dossiers et archives zambiens, dont ceux des
services de renseignement, de sécurité et de défense du pays, abstraction faite de
toutes classifications, exception toutefois faite d’archives privées.
74. Je sais gré à M. Zulu de son activité et de sa contribution non négligeable sur
laquelle je reviendrai plus loin sous la rubrique thématique correspondante.
Zimbabwe
75. Le Zimbabwe m’a informé en octobre 2018 avoir nommé responsable
indépendant Sydney Sekeramayi, Sénateur et ancien Ministre de la défense et de la
sécurité nationale et Secrétaire d’État, le Général de brigade Asher Tapfumaneyi et
son équipe étant chargés de l’aider à s’acquitter de sa mission.
76. Le responsable indépendant zimbabwéen a rendu compte du travail considérable
qu’il a accompli dans un rapport circonstancié en date de mai 2019 dans lequel il
confirme s’être vu autoriser par le pays à interroger à fond tous dossiers et archives,
abstraction faite de toutes classifications, dont ceux des services de renseignement,
de sécurité et de défense des Forces de défense zimbabwéennes (successeures de la
Royal Rhodesian Army), de l’Armée nationale zimbabwéenne (Zimbabwe National
Army), de l’Armée de l’air zimbabwéenne (Air Force of Zimbabwe, successeure de
la Royal Rhodesian Air Force), de l’Office central du renseignement (Central
Intelligence Organization, successeur de la Rhodesian Special Branch), de la Police
républicaine zimbabwéenne (Zimbabwe Republic Police, successeure des anciennes
Rhodesian police organizations et de la British South Africa Police), de la Direction
de l’aviation civile zimbabwéenne (Civil Aviation Authority of Zimbabwe, successeur
de la Rhodesian Department of Civil Aviation) et des Archives nationales du
Zimbabwe (National Archives of Zimbabwe). M. Sekeramayi poursuivra également
ses recherches avec son équipe après m’avoir remis son rapport, me fournissant
d’autres utiles compléments d’information jusqu’au moment où j’ai mis la dernière
main au présent rapport.
77. Le responsable indépendant zimbabwéen a fait observer que la matière de ses
investigations était d’autant plus limitée qu’à la veille de l’indépendance du
Zimbabwe, les autorités rhodésiennes avaient « pris le soin d’enlever quasiment tous
dossiers et archives ayant trait à l’accident de Dag Hammarskjöld ».
78. Je sais gré à M. Sekeramayi et à son équipe de leurs recherches et de leur
appréciable contribution à cette entreprise en ce sens que, certes intervenus
tardivement, ils ont abattu un énorme travail et mis au jour quantité d ’importants
éléments d’information. Je reviendrai plus loin sous la rubrique thématique
correspondante sur les informations clefs que je lui dois d ’avoir reçues du
Gouvernement zimbabwéen.
C. Archives de l’ONU
79. J’ai pu, une fois de plus, interroger sans restriction aucune toutes les archives
de l’ONU et compter fort utilement, à cet effet, sur le concours privilégié du personnel
de la Section des archives et de la gestion des dossiers du Secrétariat. J’ai épluché à
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80. Force est de dire que les recherches ne sont pas achevées, souffrant pour partie
du peu d’empressement d’États Membres à y concourir et pour partie d’entraves
d’ordre opérationnel.
81. Premièrement, on retiendra avant tout que les recherches sont d ’autant moins
exhaustives que certains États Membres se sont refusés à prêter véritabl ement le plein
et agissant concours attendu d’eux par l’Assemblée générale. Je sais gré de leur
assistance à la plupart des États Membres qui avaient été invités à concourir à cette
entreprise. Certains États Membres, à savoir l’Allemagne, la Belgique, le Canada, la
France, le Portugal, la République démocratique du Congo, la Suède, la Zambie et le
Zimbabwe ont clairement certifié avoir procédé à des recherches dans les archives
présumées de leurs services de renseignement, de sécurité et de défense, certai ns
allant jusqu’à préciser en poursuivre l’opération.
82. D’autres États Membres, comme l’Afrique du Sud, les États-Unis, la Fédération
de Russie et le Royaume-Uni gagneraient à faire procéder à des recherches poussées
dans des conditions de transparence propres à nous convaincre absolument qu’ils ont
mis au jour tous éléments d’information susceptibles d’être pertinents.
83. Deuxièmement, comme je l’ai fait observer en 2017, certaines entraves d’ordre
opérationnel dont souffrent l’Éminente Personnalité, les États Membres, l’ONU et les
particuliers tiennent à la nature des investigations. Ainsi, la majorité des archives de
l’époque n’étant pas numérisée, il est généralement parlant impossible de les
interroger de manière systématique en utilisant des mots clefs et, d ’ordinaire, on ne
voit que le simple (souvent général) intitulé du dossier. De plus, même lorsque les
documents sont numérisés, en usant de mots clefs on ne parvient pas toujours à
trouver l’information recherchée, en raison par exemple de la variété des graphies,
les noms ou alias de mercenaires étant ainsi très diversement orthographiés ou de la
piètre qualité de la reconnaissance des caractères s’agissant de vieux documents tapés
à la machine ou manuscrits.
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85. Comme on le verra ci-après, le dossier s’est enrichi sur cette matière, s’agissant
singulièrement des probables interceptions par des États Membres de
communications dignes d’intérêt et de la capacité que les forces armées katangaises
ou d’autres protagonistes auraient eu de perpétrer quelque attaque contre l ’avion du
Secrétaire général. On verra également ci-après que certaines informations viennent
s’ajouter à celles obtenues d’autres sources en et avant 2017 cependant que d’autres
l’ont été nouvellement en 2018/19, ces dernières étant de celles émanant notamment
de responsables indépendants, de Victor Rosez (témoin oculaire des faits en toile de
fond de septembre 1961) et de l’équipe du film Cold Case Hammarskjöld.
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éléments de preuve ne concordent pas sur le point de savoir si plus d ’un Fouga
Magister était entré en action la nuit du 17 au 18 septembre 1961. Le Fou ga
Magister était capable de mener un attaque air-air et avait également attaqué au
Katanga des appareils appartenant aux États-Unis (et non à la seule ONU).
• En ce qui concerne le Dornier DO-28 utilisé par l’armée de l’air katangaise, ce
type d’appareil acheté en Allemagne de l’Ouest avait été livré au Katanga en
1961, et au moins un de ces appareils se trouvait au Congo avant septembre
1961. Ayant été modifié en sorte de pouvoir effectuer des attaques aériennes et
des bombardements, l’appareil menait, de jour comme de nuit, des opérations
de bombardement contre l’ONU et a fait une tentative de chasse air-air. Le
DO-28 opérait dans des secteurs du Katanga et de Rhodésie du Nord éloignés
d’environ 1 000 kilomètres l’un de l’autre (Kaniama et Ndola).
• Il y avait à Ndola et les environs plus de terrains d ’aviation que ceux auxquels
les premières enquêtes se sont intéressées au départ et l’armée de l’air
katangaise utilisait des aérodromes et au Katanga et en Rhodésie du Nord.
• S’autorisant de la déposition du Major Joseph Delin de l’armée de l’air
katangaise (« Avikat »), les première enquêtes ont conclu qu’il n’y avait qu’un
seul pilote katangais qui aurait pu être aux commandes d’un appareil lors d’une
attaque contre le SE-BDY. La preuve sera rapportée par la suite qu’il y en avait
plus d’un, sans que l’on ait toutefois pu établir de façon concluante l’identité de
ces personnes qui se trouvaient au Katanga les 17 et 18 septembre.
88. Venant étoffer les éléments d’information examinés en 2017, ceux reçus en
2018/19 comportent de nouvelles informations sur lesquelles je m’arrête ci-après.
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(Texas). Je relève qu’Abram n’a pas varié par la suite par rapport à ce qu’il avait dit
au Groupe d’experts en 2015.
91. En 2015, Abram a également fourni au Groupe d’experts copie d’éléments de
son dossier rendant compte de ses états de service, ainsi qu ’un document relatif au
« Programme de services pédagogiques » qu’il a suivi à Héraklion. Il remettra en
2016 et 2017 à l’ONU et l’Éminente Personnalité d’autres documents censés prouver
ses états de service, dont son identifiant/nom de code « AbelBaker ».
92. Invités en 2015, 2016 et 2017 à s’expliquer au sujet des affirmations d’Abram,
s’agissant notamment de savoir ce qu’il en était des états de service dont celui-ci
prétendait justifier, s’il avait été au service de l’armée de l’air américaine ou de tout
autre service de l’État à l’époque considérée, s’il avait été affecté en Grèce et si et en
quelle qualité l’intéressé avait travaillé à l’appui de la NSA à ce moment-là, les
États-Unis n’ont donné aucune réponse concernant Abram en 2015, ont répondu en
2016 que l’armée de l’air américaine ne savait rien de lui, et ayant été saisis par moi
de compléments d’information émanant d’Abram, me répondront en juin 2017 en ces
termes : « Nous ne sommes en mesure ni de retrouver quelque autre information
concernant M. Abram, ni d’authentifier les documents reçus de vous tendant à rendre
compte des états de service de l’intéressé. Nous n’avons connaissance d’aucune
information ou documentation en la possession du Gouvernement américain tendant
à étayer ou accréditer les affirmations de M. Abram. »
93. Je recevrai toutefois des États-Unis, mi-juillet 2017, soit quelques jours avant
d’arrêter le texte du rapport de 2017, une nouvelle communication faite d ’un
formulaire de cinq pages, la première desquelles correspondait au dossier
professionnel fourni par Abram, les quatre autres constituant son dossier
administratif, venant renseigner notamment sur sa spécialisation (« spécialiste de
protocole d’interception vocale »), ses décorations, visas de sécurité, affectations et
une note émanée du service des affaires étrangères, le tout étant accompagné de la
mention suivante : « Il ressort des dossiers de l’armée de l’air américaine… que Paul
Abram a été affecté en Crète à compter du 24 octobre 1959. Il en ressort également
que Paul Abram est rentré aux États-Unis le 7 avril 1961. Il appert donc que Paul
Abram n’était pas en Crète en septembre 1961. »
94. L’ayant invité à répondre à l’affirmation selon laquelle il ne s’était pas trouvé
en Crète à l’époque considérée, Abram m’a confirmé son récit originel me certifiant
que les dates portées sur le formulaire ne sauraient être exactes, ce dont il était
d’autant plus certain qu’il se souvenait d’autres faits marquants de sa vie survenus à
ce moment-là ou vers cette date et, confirmant s’être bel et bien trouvé en Crète en
septembre 1961 en la qualité évoquée, a accusé les États-Unis d’avoir dénaturé la
vérité.
95. Voulant résoudre cette apparente contradiction, j ’ai adressé en avril 2018 à Niki
Haley, Représentante permanente des États-Unis d’Amérique auprès de l’ONU, une
lettre dans laquelle je faisais observer notamment ce qui suit : « Je relève qu’à la date
de mon rapport de 2017, il subsistait quelque contradiction au sujet des informations
concernant l’exposé détaillé des états de service de M. Paul Abram et M. Charles
Southall. Il resterait à confirmer en fin de compte ledit exposé dans tous ses détails,
notamment la qualité des deux agents à l’époque des faits en1961, les dates précises
auxquelles ils s’étaient trouvés à tel ou tel lieu d’affectation bien déterminé à l’époque
considérée, l’affirmation faite par l’un et l’autre que ce qu’ils avaient dit avoir
entendu avait été enregistré sur bande ou consigné et conservé sous quelque autre
forme. Je saurais en outre gré aux États-Unis de me procurer tous autres compléments
d’information ou explications concernant toutes questions résultant ou en
complément de mon rapport de 2017 », lettre à la suite de laquelle j’ai demandé par
écrit aux responsables indépendants américains de suivre ce dossier.
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96. Les États-Unis n’ont nullement répondu aux questions à eux que m’ont inspiré
les affirmations d’Abram. J’apprendrai en 2019, qu’Abram était décédé fin 2018 à
l’âge de 77 ans.
97. Si elles se vérifient, les affirmations d’Abram seraient à l’évidence du plus
grand intérêt dans ce dossier. Invités pendant des années à produire toutes
informations tendant à étayer ou infirmer lesdites affirmations, les États -Unis ont nié
de 2015 à 2017, avoir la moindre information concernant Abram, nonobstant le fait
qu’ils avaient été saisis pour vérification d’importantes précisions, dont son lieu
d’affectation, sa qualité et son numéro matricule. Sans expliquer ce qui les avait
conduits à changer leur fusil d’épaule, les États-Unis finiront par confirmer en juillet
2017 le bien-fondé de ce qu’Abram avait dit de ses états de service de spécialiste
d’interception affecté en Crète, niant toutefois qu’il s’y soit trouvé en septembre
1961. S’étant vu opposer entre 2017 et 2019 ceci que l’intéressé avait réfuté leur
affirmation, ils n’ont de nouveau fourni aucune autre explication en réponse.
98. Le Groupe d’experts a attribué en 2015 une valeur probante modérée à
l’information fournie par Abram selon laquelle le SE-BDY avait essuyé une attaque,
appréciation que j’ai confirmé à titre provisoire en 2017. On retiendra que les
États-Unis ont eu, des années durant, tout le loisir de réfuter ou de préciser ce
qu’Abram avait affirmé plus d’une fois. Disparu en 2019, ce dernier ne peut plus aider
à résoudre la question cruciale de savoir quand précisément il avait effectivement été
en service au poste d’écoute en Crète et à connaître la chronologie des faits. Dans la
mesure où il y va directement du point de savoir à quelle époque précise il avait été
affecté en Crète, ce que l’on pourrait vérifier d’après son parcours professionnel au
service du Gouvernement américain et toutes autres pièces justificatives ou
susceptibles de preuve, il n’est pas sans intérêt aucun, s’agissant d’une enquête de
cette nature, de préconiser que l’on continue de s’intéresser à la question, quand bien
même une des parties essentielles ne serait plus là pour défendre son point de vue sur
ce point litigieux.
99. M’autorisant des éléments d’information disponibles pris dans leur ensemble, y
compris ceci qu’Abram a redit, la dernière fois en juillet 2017, s’être trouvé en Crète
aux dates en question, que, ayant qualité de spécialiste des protocoles d ’interception
vocale, il était détenteur de visas de sécurité de l’armée de l’air américaine et de la
nature des missions à lui confiées au poste d’écoute de la NSA, j’attribue une forte
valeur probante aux dires d’Abram selon lesquels les États-Unis surveillaient le trafic
de transmissions radio et en avaient fort probablement gardé trace écrite. Je
continuerai à juger de force probante modérée la partie de l ’affirmation d’Abram
faisant état de quelque attaque visant le SE-BDY. Je pourrais être conduit à modifier
ces appréciations par tels éléments d’information nouveaux ou le cours de mes
investigations, rapportés notamment à tels autres faits et pièces.
b) Charles Southall
100. En 2015, le Groupe d’experts a examiné l’information selon laquelle le
Commandant Charles Southall avait lui-même entendu des transmissions radio
parlant d’attaque contre un DC-6 Transair la nuit du 17 au 18 septembre 1961, étant
alors affecté à un centre de communications navales de la NSA près de Nicosie en
1961, l’information en question ayant été communiquée par l’intermédiaire de la
Commission Hammarskjöld, d’après les recherches effectuées par Williams.
101. Selon ses dires, Southall était agent de « traitement et de transmission » au
service de la NSA. Sans jamais varier dans ses dires nombre d ’années durant, il a
prétendu avoir, la nuit en question, entendu ou lu les déclarations suivantes : « Je vois
un avion de transport s’approcher en contrebas, tous feux allumés. Je vais descendre
pour m’en assurer. Oui, c’est le DC-6 Transair. C’est l’avion. Je l’ai touché. Il y a des
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121. Au moment où il déposait oralement et par écrit, Martin n’avait pas de notes
contemporaines à lui propres. La Commission de 1961 lui fera confirmer ceci qu ’il a
« dit à la Commission fédérale qu’[il] avait détruit [ses] notes ». Martin n’a ni nié
cela ni donné quelque autre éclaircissement. Encore que les procès -verbaux de la
Commission d’enquête rhodésienne ne disent pas expressément que les notes avaient
été « détruites », à la question à lui posée de savoir si les notes étaient disponibles,
Martin a répondu « hélas, non », et de confirmer avoir pris uniquement « des
brouillons de notes » de la fiche de progression de vol qui, – il le reconnaîtra par la
suite – ne comportait pas tous les éléments essentiels de sa conversation avec l ’avion.
Thorogood, de la tour de contrôle de Salisbury, confirmera également à la
Commission rhodésienne que la fiche était « un condensé et qu’il s’était passé
beaucoup de choses qui n’y étaient pas consignées ». Nombre d’autres aspects de la
conversation avec le SE-BDY, dont la question posée par Martin à l’avion de savoir
s’il ferait route vers Salisbury après Ndola n’étaient pas mentionnés dans ses notes
mais avaient été évoqués devant la Commission rhodésienne, autant qu’il pouvait s’en
souvenir. Il a admis avoir de mémoire couché à peu près certaines heures ; ce
nonobstant, ces heures ont depuis été retenues comme faisant autorité. Martin a
également reconstitué de mémoire dans sa déclaration les derniers échanges qu ’il
avait eu avec le SE-BDY, sans pour autant les avoir consignés dans l’une quelconque
de ses notes, près de 36 heures après son dernier échange avec le SE-BDY, ayant su
à ce moment-là que l’appareil s’était écrasé.
122. De ce qui précède, il résulte établi que Martin a détruit ses notes originelles,
même s’il a reconnu avoir su que les passagers à bord de l’avion étaient des
personnalités de qualité exceptionnelle et n’ignorait pas que les échanges de la tour
de contrôle de Ndola avec l’appareil n’avaient nullement été enregistrés.
123. Il convient de rappeler ici que la Commission Hammarskjöld a mis au jour en
2013 d’autres pièces venant mettre à nu les lacunes des notes de la tour de contrôle
de Ndola. Il ressort des mémoires de Sir Ronald Prain parus en 1961 que, dans la
soirée fatidique, séjournant dans le Copperbelt « un de nos géologues a appelé pour
dire qu’il se passait quelque chose d’inhabituel dans les airs. “Amateur” de radio, il
avait capté une conversation entre la tour de contrôle de l ’aéroport de Ndola et
diverses unités en vol et sur terre, dont il avait compris qu’un avion s’était écrasé
quelque part non loin de là. » Comme la Commission Hammarskjöld l’a fait observer
sur ce sujet, s’il se vérifiait, ce récit viendrait prouver à quel point le journal de la
tour de contrôle est défaillant, que les transmissions en provenance du SE -BDY ont
dû certainement signifier clairement qu’il était en détresse et allait s’écraser et que
l’auditeur a sans doute entendu quelque échange entre le SE -BDY et quelque autre
appareil.
124. Le SE-BDY était un vol de toute première importance. À l’évidence, les notes
de la tour de contrôle de Ndola relatives aux communications de toute dernière minute
avec l’avion étaient scandaleusement défaillantes, ce qui conduit également à se
demander si Martin avait détruit les notes dont il s’était inspiré pour rédiger sa brève
et incomplète déclaration près de 36 heures après que le SE-BDY s’est volatilisé,
sachant déjà qu’il s’était écrasé. Étant donné cette étrange lacune des notes de la tour
de contrôle de Ndola, il est d’autant plus important de retrouver d’autres traces des
communications intervenues cette nuit tragique que divers témoins, dont Martin
lui-même, ont dit que des aéronefs américains surveillaient sans doute toutes
transmission radio et étaient vraisemblablement en communication avec le SE -BDY
depuis Ndola.
125. Par ailleurs, le responsable indépendant portugais m’a saisi d’un câble daté du
22 septembre 1961, adressé par L. Fonseca de l’Ambassade du Portugal à
Léopoldville au Ministère portugais des affaires étrangères à Lisbonne d ’où il ressort
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en évidence des dégâts tout à fait curieux, selon l’angle de tir. Il est en fait difficile
– voire impossible – de dire à l’œil nu si le dégât avait été causé par une cartouche ou
tel autre objet ». Cary qui était censé rédiger le protocole d’essai ne l’a apparemment
pas fait.
131. Les expertises en question ont été réalisées le 25 octobre 1961, mais deux des
photos estampillées le 20 octobre 1961 et deux autres le 28 novembre 1961. Selon le
responsable indépendant suédois, il se peut que, l’ayant examiné, l’enquête de 1961
se soit désintéressée du trou sur l’une des photos estimant qu’il avait été causé par
des rivets qui avaient sauté. Or, il apparaît que les premières enquêtes ont méconnu
le trou sur cette image et sur les autres, dont on ne saurait exclure qu ’il ait été
provoqué par quelque impact de balle.
132. Comme il faudrait les soumettre à une expertise balistique plus poussée pour
pouvoir en déterminer l’intérêt en définitive, j’ai confié à l’ONU la garde des
photographies reçues de la famille Cary.
a) Van Risseghem
134. En 2015, le Groupe d’experts a été saisi de l’information selon laquelle un pilote
belge du nom de Van Risseghem (également orthographié « Van Reisseghem », « Van
Rysseghem », « Van Reisenghan », « Van Riesseghel » et autrement) a pu avoir été
aux commandes de l’avion qui aurait abattu le SE-BDY. Plus précisément, dans une
communication émanant des États-Unis revêtant la forme d’un télégramme daté du
18 septembre 1961, adressé par Léopoldville à Washington, D.C., Gullion dit ceci :
« Il est possible que le [SE-BDY] ait été abattu par le même pilote qui harcelait les
opérations des Nations Unies et qui était identifié par une source généralement fiable
comme étant Vam (rpt VAK) Riesseghel, ressortissant belge, qui a donné des cours de
formation à l’armée de l’air du Katanga. On avait précédemment supposé qu’il
s’agissait d’un Rhodésien inconnu. Tant qu’il est opérationnel, il risque de paralyser
les opérations de secours aérien. » Les enquêtes de 1961/62 ignoraient ou ont
méconnu cette information.
135. S’autorisant principalement d’autres éléments d’information émanant de la
Belgique, le Groupe d’experts conclura que les autorités belges avaient établi que,
n’ayant pas quitté Bruxelles avant le 16 septembre 1961, Van Risseghem n ’avait pu
s’être trouvé au Katanga à la date du 17 septembre 1961. Van Risseghem était
« supposé avoir signé un reçu le 17 septembre pour la prime de démobilisation que
lui avait versée la ‘‘Mission’’ du Katanga à Bruxelles » ; la Belgique a toutefois noté
que le document signé était une procuration pour qu’une autre personne retire l’argent
en son nom auprès du « Sabina Solidarity Fund » et qu’il était possible qu’il fût encore
à Bruxelles ou qu’il se fût déjà rendu à Paris en route pour le Congo.
136. J’ai reçu en 2017 de l’ONU et des États-Unis des compléments d’information
concernant Van Risseghem autorisant à douter qu’il ait effectivement pu s’être trouvé
au Katanga à la date du 17 septembre 1961, dont une communication du 15 septembre
1961 dans laquelle Gullion évoquait une « attaque menée à Kamina par un pilote de
chasse individuel à bord d’un avion à réaction. Tour de contrôle en contact avec pilote
de chasse. Pilote semble être belge. Après avoir attaqué à la roquette et à la
mitrailleuse, le pilote a promis de revenir », et une autre du 16 septembre 1961 dans
laquelle Gullion déclarait ceci : « un pilote de ligne signale qu’hier après-midi un
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avion à réaction katangais l’a frôlé, aile contre aile, et qu’il a reconnu le pilote comme
étant un grand individu barbu, connu de nos services comme étant Van Reisseghem,
formateur dans l’armée de l’air katangaise. Arrivé au Katanga de Bruxelles vers le
1 er mai. Prétendument pilote de la Sabena. Pensons qu’il est le seul pilote disponible
sur place capable de piloter les deux avions ». À la même date, Hammarskjöld
demandait également son aide à la Belgique pour mettre un terme aux actes criminels
de Van Risseghem contre l’ONU et ses biens, ainsi que ses attaques contre des civils.
Je concluais ainsi dans mon rapport de 2017 que, étant contradictoires, les
informations disponibles ne me permettaient pas d ’établir si Van Risseghem s’était
trouvé au Katanga le 17 septembre 1961.
137. J’ai reçu en 2018/19 de sources diverses de nouveaux compléments
d’information concernant Van Risseghem. D’après les responsables indépendants
belges, Jan Van Risseghem de Sautiernon de Saint Clement était un citoyen belge né
en Allemagne de père belge et de mère anglaise qui, ayant servi dans la Section belge
de Royal Air Force au Royaume-Uni pendant la Seconde guerre mondiale, était marié
à une anglaise du nom de Marion Fowkes. Pilote de la Sabena, il sera recruté en mars
ou avril 1961 par Avikat (Aviation katangaise, également appelée Force aérienne
katangaise). Arrêté par les forces de l’ONU en août 1961, Van Risseghem sera rapatrié
en Belgique, débarquant à Zaventem le 8 septembre 1961 et séjournant dans le pays
jusqu’au 16 septembre 1961. Il n’y a nulle trace de son départ de Zaventem ; il est
probable qu’il soit retourné au Katanga via Paris, et les responsables indépendants
belges de redire comme ils l’ont affirmé en 2017, sur la foi des mêmes documents
d’archives, que Van Risseghem n’aurait pu s’être retrouvé au Katanga à la date du
17 septembre 1961.
138. Les responsables indépendants belges ont également examiné l ’original du
journal de bord de pilote signé de Van Risseghem provenant d’archives familiales.
(L’équipe de Cold Case Hammarskjöld m’a également remis une autre copie en
apparence identique d’extraits dudit livre de bord). Sont consignés dans le livre les
vols effectués par Van Risseghem en 1961 au service d’Avikat jusqu’au 27 août 1961,
date qui coïncide avec le début de l’Opération Rumpunch au cours de laquelle il sera
arrêté par l’ONUC et rapatrié. Le livre fait ensuite état de la reprise par lui de vols au
service d’Avikat le 20 septembre 1961. En juillet et août, Van Risseghem est aux
commandes de Dove, Piper, DC-3 et Fouga Magister. Il pilote un Fouga immatriculé
« KAT93 » et effectue quatre vols à bord de ce type d’appareil et en juillet et en août,
ses copilotes étant Delcourt, Wicksteed, Pieret, De L(o)uigi et Bracco (Le journal de
bord fait par ailleurs état de vols de nuit aux commandes de Fouga Magister, DC -3 et
Dove, ainsi qu’on le verra ci-après).
139. D’après ses livres de bord, Van Risseghem a effectué tous ses vols au service
d’Avikat en septembre 1961 aux commandes d’un « Dornier-28 » (sans doute le
Dornier DO-28, dont il est question ci-après), ayant pour copilote le « Colonel John
Cassart », celui-ci étant – croit-on savoir – Jean Cassart (né le « 02/07/1906 »),
volontaire de la Seconde guerre mondiale et officier de l’armée belge jusqu’au milieu
des années 1950. Après son service, Cassart deviendra président de Mitraco, société
congolaise qui, en 1961, sert d’intermédiaire au gouvernement katangais aux fins de
l’acquisition de Dornier. Il reste à savoir si Van Risseghem avait appris à piloter le
Dornier DO-28 avant septembre 1961.
140. De nouvelles informations concernant Van Risseghem me sont parvenues de
diverses sources privées en 2018/19. Selon Pierre Coppens interviewé dans Cold Case
Hammarskjöld, Van Risseghem aurait reconnu en 1965 avoir perpétré une attaque
contre l’avion d’Hammarskjöld. Ancien parachutiste, ami de Van Risseghem,
Coppens a dit avoir fait la connaissance de ce dernier au début des années 1960. Van
Risseghem étant alors pilote dans un centre de formation de parachutistes en
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b) Beukels
153. J’ai reçu en 2017 des informations nouvelles faisant état d ’une attaque en vol
dont l’auteur serait un pilote mercenaire belge dénommé « Beukels ». Selon cette
allégation examinée au départ par les anciens fonctionnaires de l ’ONU que sont de
Kemoularia et George Ivan Smith, Manuel Fröhlich, Williams et d ’autres, Beukels,
aux commandes d’un avion à réaction Fouga Magister, aurait décollé de l’aérodrome
de Kolwezi (à environ 430 km au nord-ouest de Ndola) étant accompagné d’un second
Fouga Magister au pilote non identifié ; l’un et l’autre auraient reçu de M. X, censé
être un haut commandant militaire et du lieutenant-colonel Lamouline, Commandant
en chef des forces katangaises, l’ordre d’intercepter le SE-BDY près de Ndola et de
le détourner sur le terrain d’aviation de Kamina (à environ 620 km au nord-ouest de
Ndola), Hammarskjöld devant y rencontrer un « cadre influent d’une entreprise
européenne ». Beukels a déclaré avoir intercepté le SE-BDY et lui avoir ordonné de
mettre le cap sur Kamina. Le SE-BDY n’ayant pas suivi ses instruction, Beukels aurait
actionné la mitrailleuse de son Fouga derrière le SE -BDY, et atteint par inadvertance
l’empennage du DC-6, à la suite de quoi le pilote aurait perdu le contrôle de son
appareil qui s’est alors écrasé et embrasé (les rapports de la Commission
Hammarskjöld et du Groupe d’experts s’arrêtent sur les allégations de Beukels).
154. À l’origine de la piste Beukels se trouvent des hommes qui, se disant anciens
mercenaires, en ont avancé la thèse à de Kemoularia en 1967. La fille de de
Kemoularia a mis à ma disposition en 2017 les originaux des agendas de son père
pendant les périodes allant de 1951 à 1992 et de 2006 à 2012, ainsi qu ’une vingtaine
de cartons renfermant ses dossiers personnels. Il résulte de ces informations que de
Kemoularia avait en fait averti les autorités de la thèse Beukels dès les années 1960
et 1970, soit avant 1993, ainsi plus tôt que ne l’avait compris la Commission
Hammarskjöld. Je concluais toutefois dans le rapport de 2017 que les éléments
d’information nouveaux venant établir l’époque à laquelle la thèse en question avait
été portée à la connaissance des autorités n’avaient pas pour effet de rendre plus ou
moins plausible la version des faits alléguée, et que somme toute, les éléments
d’information nouveaux ayant trait à la piste Beukels étaient de faible valeur
probante.
155. J’ai reçu en 2018 de la fille de de Kemoularia, d’autres éléments d’information
nouveaux consistant dans deux pages de notes manuscrites qui sembleraient avoir été
l’une et l’autre rédigées en même temps. Les notes rendent compte en apparence d ’un
entretien que de Kemoularia avait eu chez lui, le 16 juin 1993, avec Robert (Bob)
Denard (pseudonyme Gilbert Bourgeaud), ancien mercenaire français, qui s ’était
également trouvé au Katanga à l’époque considérée. Rédigées en sténo en français,
les notes pèchent par défaut de clarté à certains égards. Elles trahissent également des
erreurs mineures, d’orthographe par exemple, parlant de « Develine », pour désigner
« Devlin », chef de station de la CIA au Congo, sur lequel je reviendrai ci-après et de
septembre « 1962 », sans doute pour dire « 1961 », ou de « DC-7 » au lieu de « DC-
6 » vraisemblablement. Les notes fournissent en outre les coordonnées des
mercenaires Bracco et Lamouline. Je m’arrêterai ci-après sur les notes dans la mesure
où elles évoqueraient d’autres pilotes, matériel et terrains d’aviation.
156. Il ressort des deux pages de notes manuscrites de de Kemoularia de 1993 qu ’il
tenait de Denard ce qui suit :
• « Develin », chef de la CIA à Léopoldville en 1962, avait dit la même chose, à
savoir que Bracco était le pilote du Fouga Magister. Magain, l ’autre pilote,
n’avait rien dit. Delin était le chef d’Avikat, mais n’était pas pilote.
• Trois belges Bracco, Magain, Delin.
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• Bracco (belge) recruté en 1961, spécialiste censé piloter trois des six Fouga
livrés. Mais un Fouga s’était écrasé en heurtant des fils à haute tension ;
Daggonier, le pilote avait été tué.
• À l’époque, Bracco se trouvait à Kolwezi.
• Un seul Fouga était opérationnel en septembre 1962. Il ne l’était pas de nuit.
• Bracco pense que les pilotes suédois ont confondu Ndolo et Ndola.
• Devlin avait dit que le DC-7 qui avait été réparé avait eu une panne de moteur
au décollage de Léopoldville.
• Michel Declarey (maintenant âgé de 80 ans), capitaine de la Gendarmerie
katangaise à Jadotville, avait fait des Irlandais prisonniers.
• Le général Muke était le chef des forces katangaises.
• Trois des huit achetés étaient arrivés. Il n’y avait que trois Fouga.
• Bracco : aucun appui pour navigation de nuit. Il y avait un seul Fouga en état de
marche.
• Ignorance de l’Afrique. Ndolo/Ndola en réalité proche de Kinshasa.
Graphique/carte/livre.
• Les chars supplémentaires n’ont jamais été livrés.
• Il n’y avait aucun système de repérage.
• Kamina était aux mains de l’ONU.
157. Les notes rendent compte de ceci que de Kemoularia n’a cessé de tenter d’établir
la vérité sur ce qui était arrivé au SE-BDY. Au vu spécialement de l’analyse dont ont
précédemment été l’objet d’autres éléments d’information émanant de de Kemoularia,
rien n’autorise à douter que l’entretien dont il est rendu compte dans les notes a eu
lieu ou que les informations y consignées avaient été livrées à de Kemoularia, étant
toutefois observé qu’il n’est nullement question de Beukel dans ces notes de
l’entretien de 1993 avec Denard.
158. Comme je le leur ai demandé en 2018 de s’intéresser à la piste Beukel à
l’occasion de leurs recherches, les responsables indépendants belges ont déclaré dans
leur rapport final qu’il n’y avait dans les archives militaires belges nulle mention d ’un
pilote dénommé Beukels et qu’il n’était question de personne ainsi nommé qui aurait
été lié à l’Avikat.
159. Cold Case Hammarskjöld met également en scène des entretiens menés avec
deux individus se disant, l’un le neveu et l’autre l’ami d’un certain Roger
« Beuckels », qui avait été mercenaire au Katanga. L’un et l’autre individus déclarent
que Beuckels n’était pas pilote (le nom de l’intéressé n’étant pas orthographié de la
même façon, il faut savoir que c’est à de Kemoularia – qui l’a sans doute transcrit
phonétiquement, ne l’ayant, semble-t-il, entendu qu’au cours d’une conversation
– que l’on doit le premier l’orthographe de « Beukels »).
160. À en juger par l’analyse précédemment faite de la piste Beukels ainsi que par
les éléments d’information nouveaux obtenus, le récit tel qu’originellement fait à de
Kemoularia n’apparaît pas pouvoir être véridique. S’il est avéré qu’il n’y avait qu’un
seul Fouga d’opérationnel à l’époque des faits (j’y reviendrai plus loin), ce constat
cadrerait mal avec la version des faits de l’hypothèse Beukels selon laquelle deux
Fouga étaient entrés en action lors de l’attaque. Il ressort en outre des dossiers de
l’ONUC que les forces des Nations Unies tenaient Kamina le 17 septembre 1961,
ainsi que Denard l’avait fait remarquer à de Kemoularia lors de leur entretien. On
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verrait tout de suite mal pourquoi Beukels aurait voulu voir détourner l ’avion du
Secrétaire général sur Kamina.
161. À mon sens, les éléments d’information nouveaux obtenus viennent réfuter la
thèse selon laquelle un individu dénommé Beukels (ou Beuckels) avait attaqué l ’avion
du Secrétaire général. Il faudrait de toutes façons analyser toutes notes originales de
de Kemoularia et tout enregistrement de quelque conservation avec Beukels qui
viendraient à être mis au jour. Toutefois, du poids des éléments d ’information dont on
a connaissance depuis 2015 on peut s’autoriser pour dire qu’à certains égards, la thèse
Beukels est indéfendable. Il reste cependant que cette version des faits pourrait être
çà et là vraie ou fausse ; par exemple, l’idée que « Beukels » se serait attribué le fait
d’autrui dans le dessein d’en tirer quelque gain financier ou autre le moment venu.
La thèse ne pouvant être totalement démentie à ce stade, il ne faudrait pas l ’exclure.
Je continue cependant de juger de faible valeur probante l ’information tendant à
accréditer la version de l’attaque contre le SE-BDY avancée par Beukels.
c) Contexte général
162. Ainsi qu’il est dit plus haut, les premières enquêtes n’ont presque rien dit du
contexte de l’accident. Ces dernières années, on a élargi les investigations à la quête
d’informations qui intéressent le contexte général dans lequel intervient le vol
SE-BDY, notamment la donne militaire et géopolitique explosive du moment. En
2018/19, des responsables indépendants et des particuliers sont venus aider encore à
camper ce décor.
163. Le responsable indépendant français a déclaré que les archives françaises, y
compris celles des services de renseignement, de sécurité, de défense et aéronautique
ne renseignaient nullement sur les circonstances ayant entouré la mort de Dag
Hammarskjöld et n’évoquaient guère sa disparition proprement dite. Il a dit avoir
interrogé à fond les archives françaises et n’y avoir rien trouvé de nature à jeter
quelque lumière sur les circonstances de la mort d’Hammarskjöld, et certainement
nul commencement de preuve de quelque tentative d’assassinat bien déterminé et
s’être intéressé spécialement à la question des « mercenaires français » au Katanga
mais n’avoir pas trouvé la moindre preuve de quelque lien entre leur présence et la
mort du Secrétaire général.
164. L’examen des archives françaises a toutefois permis au responsable indépendant
français de me renseigner davantage sur le contexte général des faits et les relations
entre la France et le Secrétaire général à l’époque de la crise du Katanga. Il a dit
proposer de bonne foi les éléments d’information par lui glanés qui, sans être
directement liés à la chute du SE-BDY, venaient aider à comprendre certains aspects
de la politique française d’alors. Selon lui, la politique française vis-à-vis du Katanga
trahissait une dualité. Il y avait, d’un côté, la politique affichée par le Ministère des
affaires étrangères préconisant le retour du Katanga dans le giron du Congo et ce,
sans recours à la force, cependant que de l’autre, le Service de documentation
extérieure et de contre-espionnage (SDECE) et la défense avaient notamment pour
ambition de défendre et de préserver l’ancien empire colonial français de tout
ingérence étrangère et, si possible, de l’étendre à d’autres pays francophones du
continent. Il en résultera, d’après lui, une tension entre « deux politiques africaines
de la France » dont les tenants étaient d’un côté Maurice Couve de Murville, Ministre
des affaires étrangères et Michel Debré, Premier Ministre, accentuée par Jacques
Foccart, Secrétaire général français aux affaires africaines et malgaches.
165. Au Ministère des affaires étrangères, Couve de Murville pour qui le Katanga
entrait dans son champ de compétence, défendait la légalité internationale. Par contre
Debré qui voyait dans les affaires africaines son domaine réservé, avait un robuste
intérêt personnel dans les services secrets (SDECE), dirigés par le général Grossin,
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qui étaient placés sous son autorité. Debré dénonçait la « mollesse » du Ministère des
affaires étrangères et entendait défendre le continent contre la menace communiste et
soutenir la sécession du Katanga, position idéologique qui justifiait, à ses yeux, d ’y
envoyer des armes et des « mercenaires ». Je reviendrai sur ce point ci-après. Selon
le responsable indépendant, les tensions en présence seront à l ’origine « d’un jeu à
cache-cache à protagonistes multiples entre le Ministère des affaires étrangères, le
Premier Ministre (dont le SDECE relevait à l’époque) et les Forces armées ; entre la
Chancellerie et l’ambassade à Léopoldville ; entre cette dernière et le consulat à
Élisabethville ; entre les autorités françaises et les représentants de l’ONU ».
166. S’agissant de la présence du SDECE, le responsable indépendant a relevé que
pendant le printemps et l’été 1961, des agents consulaires étaient en poste à
Stanleyville et Élisabethville, mais que le SDECE n’avait pas de station à
Léopoldville. Un certain M. Bistos s’était bel et bien rendu en visite au Katanga en
qualité de représentant du SDECE et l’on était au courant de cette visite en haut lieu
en France, et le responsable indépendant de dire ceci : « il semble ainsi que sous la
responsabilité du Premier Ministre, Michel Debré, le SDECE ait été directement
impliqué dans l’intervention au Katanga, en dépit de l’opposition manifeste du
Ministère des affaires étrangères. »
167. Aux dires du responsable indépendant français, la réaction de la France face à
la sécession du Katanga était influencée par a) sa situation intérieure et coloniale et
b) l’inquiétude que lui inspirait l’interventionnisme de l’ONU en Afrique. S’agissant
a) de sa situation intérieure et coloniale, pour le responsable indépendant, il ne fallait
pas oublier que la France vivait un état de guerre civile à l ’époque considérée. La
politique algérienne du Président de Gaulle avait conduit à la démission ou
l’expulsion de nombre de soldats français des rangs de l’armée tout au long des années
1960 et 1961, situation qui se compliquera encore après l ’été 1961. Selon le
responsable indépendant, la position française était que l ’ONU n’avait nullement le
droit d’intervenir dans ses affaires intérieures qui englobaient, aux yeux de la France,
les discussions concernant l’indépendance de l’Algérie.
168. S’agissant b) de l’inquiétude qu’inspirait à la France ce qu’elle qualifiait
d’interventionnisme de l’ONU en Afrique, d’après le responsable indépendant, les
autorités françaises, y compris le Président de Gaulle, voyaient dans toute
intervention de l’ONU en Afrique le risque d’intrusion dans la sphère d’influence
française et prêtaient à Hammarskjöld la volonté de « remplacer personnellement les
puissances européennes dans le rôle qu’elles jouent en Afrique ». Tendues à l’époque
considérée, de Gaulle ayant refusé dans un premier temps de s’entretenir avec le
Secrétaire général au Siège en avril 1960, les relations entre l ’ONU et la France se
détérioreront encore en juin et juillet 1961 lors de la crise de Bizerte. La France
« décide de prendre ses distances » et refuse de contribuer aux dépenses occasionnées
par l’intervention de l’ONU.
169. S’agissant toujours du contexte des faits, Picard m’a livré des informations au
sujet de l’entretien qu’il avait eu avec Paul Ropagnol, qui est apparemment le seul
toujours en vie des 22 mercenaires français du Katanga au moment des faits. Bob
Denard dit dans ses Mémoires que Ropagnol était le soldat mercenaire à la tête des
forces katangaises qui ont encerclé un peloton de soldats de la paix irlandais de
l’ONUC lors de l’opération Morthor ; des documents de l’ONU situent également
Ropagnol au Katanga au moment des faits. Parlant de son propre recrutement,
Ropagnol a dit qu’après en avoir discuté à Paris avec Pierre Lefranc, conseiller du
Président de Gaulle, son ami Robin Wrenacre et lui sont partis au Katanga, tous frais
payés et sous leurs identités réelles, former l’armée katangaise. Officier de la Légion
étrangère, d’origine britannique, qui avait fait l’Algérie, Wrenacre sera tué au
Katanga dans des circonstances douteuses, selon Ropagnol.
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170. Ropagnol a également confié à Picard avoir recruté pour le compte du Ministère
katangais de la défense à Élisabethville en 1961 des mercenaires, y compris de
Toulouse en décembre 1961, opération pour laquelle il finira par être arrêté par les
autorités françaises.
171. Toutes informations nouvelles touchant le contexte des faits conservent l ’intérêt
d’aider à tracer de nouvelles pistes d’enquête et à cerner le sens d’éléments
d’information disponibles. À cet égard, ces informations étant d ’intérêt secondaire, il
n’est pas spécialement nécessaire d’en apprécier la valeur probante relativement aux
causes de l’accident.
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que Messmer avait découvert, en septembre 1960, que le Colonel Trinquier multipliait
les contacts pour s’opposer à la politique de de Gaulle en Algérie. Le putsch survenu
en avril 1961 en France s’est déroulé en l’absence de ces mercenaires, ce qui confirme
l’hypothèse selon laquelle leur présence au Katanga présentait un avantage pour le
Gouvernement. Enfin, le responsable indépendant de la France a fait observer que
lorsque les forces de l’ONU ont saisi le bureau de poste et la station radio le
13 septembre 1961, Tshombé s’est réfugié au consulat britannique et non au consulat
de France.
181. Le responsable indépendant de la Suède a appelé mon attention sur des mentions
de son entretien avec Van Risseghem que Rösiö avaient faites dans son article de 1994
intitulé « Ndola once again ». Rösiö y indique que Van Risseghem lui avait « parlé en
détail des autres pilotes et [qu’il ne] voit aucune raison logique qui expliquerait
pourquoi il falsifierait les journaux de vol ou dissimulerait quoi que ce soit. Il les
connaissait tous : Fouquet, Pence, de Radiques, de Stoute, Dubois, Melot, Hedges,
Puren, Delcors, Mans, Heuckets, Hislier, Boutet, Bertaux, Volont, Pier, Hirsch et
Osy ». Certains de ces noms apparaissent également dans les documents de l’ONU,
mais d’autres en sont absents.
182. À l’examen des archives de l’ONU, il ressort également, d’une note datée du
3 mars 1962 adressée au représentant de l’ONU, Jose Rolz-Bennett, par Charles
(Chuck) Cox, que ce dernier était à Salisbury en février 1962 pour l’acquisition d’un
avion DC-4 et que le bureau des douanes lui avait conseillé de se mettre en rapport
avec le « Capitaine Jan van Reisenghan », un ancien pilote de la Sabena, de
nationalité belge, qui était à la tête de l’Avikat. Il y exposait un plan visant à baser
des avions de l’Avikat au Tchad, pays que les forces de l’ONU n’avaient pas
l’autorisation de survoler. Il apparaît certain que « van Reisenghan » est ici une
graphie incorrecte de Van Risseghem, celui-ci ayant informé Cox que plusieurs
pilotes de l’Avikat se trouvaient alors à Kolwezi, dont « Peter Wickstend », « Josh
Purin », « Hedges », « Glasspole » et le Hongrois « Sputnik ». Ces références
confirment avec un forte probabilité que le représentant avait été informé que Peter
Wicksteed, Jerry Purin, Jimmy Hedges, Max Glaspole et Sandor Gürkitz travaillaient
pour l’Avikat et étaient basés à Kolwezi au début de l’année 1962.
183. Comme indiqué plus haut, j’ai reçu en 2018 des informations nouvelles émanant
de la fille de Claude de Kemoularia, au sujet d ’une rencontre que ce dernier a eue
chez lui, le 16 juin 1993, avec l’ancien mercenaire français, Robert (Bob) Denard. Il
est indiqué dans ces notes, citées plus haut, que Bracco était un des pilotes du Fouga,
que Magain « ne disait rien » et que Delin était le chef de l’Avikat mais qu’il n’était
pas pilote.
184. L’équipe du film Cold Case Hammarskjöld a apporté de nouvelles informations
sous la forme d’extraits des transcriptions des entretiens menés avec l’ancien
mercenaire Carlos Huyghe, qui avait alors 93 ans. Huyghe a reconnu ses activités de
mercenaire au Congo mais réfuté les propos de Jerry Puren selon lesquels il se serait
trouvé à Ndola la nuit de l’accident. Il a expliqué que cela était impossible puisqu’il
n’était pas arrivé en Afrique avant le 18 septembre 1961, précisant qu ’il venait
d’Europe (il disait être parti de Paris et arrivé en Afrique du Sud). Il a déclaré qu ’il
était retourné au Katanga environ une semaine plus tard depuis Joh annesburg, en
passant par Ndola, accompagné du mercenaire « Sputnik » (Gürkitz), qui se trouvait
alors à Johannesburg, attendant la réparation d’un avion. Il ne savait pas si « Sputnik »
était à Ndola la nuit du 17 au 18 septembre 1961.
185. Selon l’équipe du film Cold Case Hammarskjöld, Huyghe a fourni des
documents dont il a affirmé qu’ils prouvaient qu’il ne se trouvait pas à Ndola à la date
en question. Il a montré aux personnes qui menaient l’entretien une copie de
transcriptions de pages de son passeport tamponnées par le consulat belge de
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Johannesburg ainsi que des pages comportant des dates d ’entrée et de sortie du
territoire. Elles lui ont demandé des précisions sur certaines dates car une mention
indiquait qu’il avait quitté le Katanga le 3 août 1961 et une autre qu’il était arrivé à
l’aéroport de Mala le 5 août 1961. Ces indications contredisaient sa déclaration selon
laquelle il avait quitté le Katanga pour se rendre en Europe. Huyghe a cependant
répondu que ces dates devaient être erronées.
186. Huyghe a également confirmé que Roderick Russell-Cargill recrutait des
mercenaires pour le Katanga mais il a affirmé qu’il n’effectuait pas de recrutement
lui-même. Il a dit que Russell-Cargill (qui, plus tard, a informé l’ONU que Huyghe
était impliqué dans l’assassinat de Patrice Lumumba) avait recruté Jerry Puren au
Katanga et que Crèvecœur et lui-même étaient déjà sur place et l’avaient accepté
comme navigateur dans l’Avikat. Il a également déclaré que le Gouvernement français
avait envoyé 17 officiers français au Katanga, à la connaissance du Président de
Gaulle, que Bob Denard avait des liens avec les renseignements français et qu ’il avait
dirigé des combats contre l’ONUC. Il a indiqué que Trinquier, Faulques et
Debourdonnaie étaient au Katanga à la période considérée. Je relève qu’à cet égard
la déclaration d’Huyghe recoupe l’analyse menée par le responsable indépendant de
la France. Huyghe a déclaré qu’il souhaitait laver son nom dans les affaires Lumumba
et Hammarskjöld.
187. Dans sa déclaration, Rosez a également donné des informations sur les
mercenaires. Il a dit que, lorsqu’il vivait à Élisabethville, sa famille avait pour voisin
immédiat le Général Norbert Muke, commandant en chef de la Gendarmerie
katangaise. En 1961, Rosez s’était lié d’amitié avec le fil du Général (également
prénommé Victor) et était devenu proche du Général lui-même, car il se rendait
souvent chez les Muke. Parfois, le Général recevait la visite d ’autres personnalités
politiques, comme le Ministre Godefroid Munongo et Évariste Kimba et ses deux fils.
188. Rosez a raconté qu’il avait vu nombre de mercenaires étrangers au Katanga en
août et septembre 1961. Il en connaissait certains personnellement, il avait vu certains
d’entre eux se battre contre les forces de l’ONUC et il en avait rencontré d’autres en
différents lieux d’Élisabethville (dont « le Palace » en face du bureau de poste, l’hôtel
Léopold II (bar et gîte), la piscine municipale et la piscine du Lido). Rosez a déclaré
qu’il avait rencontré des mercenaires chez des amis de la fa mille, chez les van Dijks,
chez le Général Muke ou en ville. Il connaissait de vue les mercenaires recensés dans
sa déclaration. Il connaissait le véritable nom de certains d ’entre eux et seulement le
surnom de certains autres à l’époque, mais il a appris leur nom par la suite. Les
mercenaires étaient impatients de raconter leurs histoires et, dans un milieu aussi
restreint, il n’était facile de garder des secrets.
189. Parmi les mercenaires étrangers qui ne faisaient pas partie de l ’Avikat et que
Rosez dit avoir vus personnellement à Élisabethville en août ou septembre 1961 se
trouvaient : Robert (Bob) Denard (soldat français), Jean-Baptiste Dubois (soldat
belge, hébergé par les van Dijks), Dislaire Lucien, Jacques Saquet, le Colonel Van
DeWalle, le Major Weber, le Commandant Lebvebre, Ropagnol (Français, surnommé
« le Légionnaire ») et Faulques (Français, surnommé « Indo »). Parmi les mercenaires
étrangers incorporés à l’Avikat que Rosez dit avoir vus personnellement à
Élisabethville en août ou septembre 1961 se trouvaient : Jimmy Hedges
(Sud-Africain, pilote privé de Tshombé, qui a résidé chez les van Dijks avec un autre
Sud-Africain, un navigateur qu’il ne connaissait que sous le nom de « Fossy »), Jerry
Puren (un navigateur-bombardier sud-africain), Jan Van Risseghem (un pilote
belge/britannique qui était souvent avec Puren), Sandor Gürkitz (un pilote hongrois,
qu’il se souvient avoir vu un jour alors qu’il allait à l’école de dessin technique vers
0800 heures avenue Ruwe), Joseph Delin (un commandant belge), Dubois (un pilote
belge de Fouga qui était à bord du même vol que Tshombé lorsqu’il a atterri à
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Belgique. Comme un des trois pilotes de Fouga s’était écrasé à Élisabethville, il n’y
avait plus que deux pilotes de Fouga, plus Van Risseghem et un instructeur français,
pour le seul Fouga en service, un CM-170, qui restait à Kolwezi. Au terme de la
formation qu’il avait suivie en Afrique du Sud, Delin devait devenir navigateur et non
pilote. Il n’avait pas d’expérience et n’avait pas été accepté par l’armée de l’air belge.
Il avait pour seul atout de parler katangais. Il semblerait que Despas ait également été
en rapport avec le Colonel Vandewalle. Risseghem a déclaré qu’il était disposé à en
dire plus. Il a joint une photocopie d’un journal de vol dans lequel trois Fouga étaient
enregistrés au début, sous les codes K91, K92 et K93, et seul le K93 restait à la fin.
Aucun vol n’est consigné entre le début de l’opération Rumpunch, le 28 août, et le
20 septembre, date à laquelle Risseghem serait revenu de Belgique. Celui -ci a
effectué son dernier vol avec le Fouga le 10 août. À part Van Risseghem, les autres
pilotes étaient Dubois et Dagonier. D’autres noms apparaissent pour les copilotes ou
apprentis, mais ils ne correspondent à aucune autre information précédente. Les autres
avions étaient des modèles Heron, DC-3, Dove et un Dornier 28. Le tampon indique
‘‘État du Katanga, Force Aérienne’’. Depas a peint un Fouga pour remercier
Risseghem, considéré comme ‘‘pilote titulaire du KAT93 et Commandant de
l’AVIKAT’’ (AVIKAT étant sans doute une abréviation pour la Force aérienne
katangaise). Des coupures de journaux étaient également incluses, comportant des
critiques acerbes de l’article du Guardian, et allant dans le sens de l’hypothèse de la
confusion Ndolo-Ndola, décriant le piteux enseignement de la navigation de Transair
qui ne savait pas distinguer l’ouest de l’est. Il ressort également du journal de vol que
le Fouga ne pouvait pas rester en vol plus d’une heure et 30 minutes. »
194. Comme il a été indiqué, en 2017 et 2019, que Dubois pouvait avoir été pilote de
Fouga, il faudrait, dans le cadre de toute enquête ultérieure, chercher d ’autres
éléments permettant de déterminer où il se trouvait le 17 septembre 1961.
195. Il ressort des nouvelles informations reçues en 2018/19 qu’il y avait, au Katanga
et dans la région, beaucoup plus de mercenaires étrangers, dont des pilotes, que ce
qui avait été conclu au terme des premières investigations. Je n ’ai pas été en mesure
de recouper toutes les informations et celles-ci ne sont pas non plus nécessairement
exhaustives. Ainsi, dans l’état actuel des connaissances, il est impossible d’établir une
liste définitive de tous les mercenaires qui se trouvaient au Katanga ou non loin de
Ndola la nuit du 17 au 18 septembre 1961. Toutefois, en l’absence d’hypothèse
articulée à cet égard, il n’est pas non plus nécessaire de le faire. Ce que nous sommes
en mesure de conclure c’est qu’à l’époque des faits il y avait sans doute plus de
personnes d’intérêt combattant activement l’ONU qu’il n’avait été admis lors des
premières investigations. J’attribue donc à nouveau une valeur probante modérée à la
nouvelle information selon laquelle il n’y avait plus qu’un seul pilote dans l’armée
katangaise la nuit du 17 au 18 septembre 1961. Si une hypothèse ét ait élaborée à ce
sujet, l’information nécessiterait d’être vérifiée plus avant.
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l’attaque contre le SE-BDY aurait été effectivement menée par un Fouga. Compte
tenu de ce qui précède, j’attribue une valeur probante modérée aux informations
relatives à la présence et aux opérations du Fouga au Katanga en septembre 1961.
b) Aéronef : Dornier
216. Le Groupe d’experts indépendants et l’Éminente personnalité ont analysé des
informations communiquées par Torben Gülstorff au sujet de la présence au Katanga
d’avions Dornier DO-27 et DO-28 et de la possibilité que l’un d’eux ou les deux aient
été impliqués dans une attaque contre le SE-BDY. Dans son rapport, Rösiö avait fait
observer qu’un Dornier avait été utilisé pour bombarder l’ONU de nuit.
217. En 2017, j’ai reçu de Gülstorff, de la Belgique, de l’Allemagne, des États-Unis
et de l’ONU des informations complémentaires concernant le Dornier. Dans le rapport
de 2017, il est considéré comme établi que des Dornier DO -28 avaient été vendus au
Katanga par l’Allemagne de l’Ouest en 1961, qu’au moins un de ces avions était
présent avant la nuit du 17 au 18 septembre 1961 et qu’il pourrait avoir subi des
modifications lui permettant de mener des attaques aériennes et d ’effectuer des
bombardements. D’après les informations de l’ONU, les Dornier qu’avait l’Avikat en
1961 menaient des opérations, dont des bombardements diurnes et nocturnes, des
opérations étaient signalées dans des secteurs éloignés d ’environ 1 000 kilomètres
l’un de l’autre (Kaniama et Ndola) et au moins une tentative de chasse air-air avait
été faite en octobre 1961. Bien que certains de ces faits se soient produits après
l’accident du SE-BDY, ils donnent des indications sur la capacité qu’avait le Dornier
d’effectuer de telles opérations.
218. Parmi les informations sur les Dornier reçues en 2018/19, le responsable
indépendant de l’Allemagne a fourni des renseignements détaillés sur la livraison de
ces appareils. À la mi-1961, le Gouvernement ouest-allemand avait initialement
réfuté les allégations selon lesquelles l’Allemagne avait livré des Dornier et affirmé
que, par principe, l’Allemagne ne fournissait pas d’armes aux régions traversant des
crises politiques et qu’elle respectait les résolutions sur le Congo adoptées par le
Conseil de sécurité et l’Assemblée générale.
219. Cependant, le 29 septembre 1961, l’ambassade des États-Unis à Bonn a informé
le Ministère ouest-allemand des affaires étrangères qu’un DO-28 armé avait été
observé au Katanga, sans plus de détails. Par la suite, le responsable indépendant de
l’Allemagne a communiqué à l’Éminente personnalité des informations nouvelles
permettant d’établir qu’au début de l’année 1961 Jean Cassart avait passé commande
de six DO-28, par l’intermédiaire de sa société, Mitraco (le représentant de Dornier
au Congo). Un des avions avait été livré à l’acquéreur le 18 août 1961 à l’aérodrome
de Dornier à Oberpfaffenhofen et, après contrôle des douanes et avec l ’autorisation
du Luftfahrtbundesamt (Office fédéral de l’aviation), il s’était rendu au Katanga en
partant de l’aéroport international de Munich le 21 août 1961 et en faisant escale à
Ajaccio en Corse. L’appareil était piloté par Heinrich Schäfer, ancien pilote d ’essai
de Dornier, accompagné de Jean Cassart. Il est arrivé au Katanga vers le 29 août 1961.
220. Les autres informations analysées ont permis d’établir que quatre autres Dornier
DO-28, pilotés par des Belges, étaient arrivés au Katanga via Luanda après la mi -
octobre 1961. Comme cette date est postérieure à celle de l ’accident du SE-BDY, ces
avions ne sont pas pris en compte aux fins de la présente analyse. Compte tenu d ’un
télégramme du 25 octobre 1961, adressé par l’Observateur permanent de la
République fédérale d’Allemagne auprès de l’Organisation des Nations Unies à
l’ONU, l’Organisation avait été informée de l’existence des Dornier, et l’Observateur
permanent aurait conclu que « l’Allemagne était absolument en règle. »
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mêmes sources, le DO-28 avait une manœuvrabilité excellente et que, comme c ’était
un avion à décollage et atterrissage court, il avait la capacité de décoller ou d’atterrir
sur des pistes de moins de 300 mètres. Il a précisé que le premier DO-28 (3016) était
équipé d’un radiocompas Lear ADF 14-d-1, qui pouvait l’aider à voler de nuit, ainsi
que d’un instrument radio Narco Marc V HF et de l’émetteur-récepteur Sunair 5-T-R
HF qui était spécialement conçu pour les communications longue distance.
227. Après l’établissement du rapport du responsable indépendant de l ’Allemagne,
j’ai reçu des informations supplémentaires de Gülstorff à propos d ’activités
concernant le Dornier menées par des agents des services secrets allemands en
collaboration avec la CIA. Cette dernière a adressé à la Direction des plans un rapport
marqué « secret » daté du 28 juillet 1961, intitulé « Évaluation de l’aéronef Dornier ».
On y lit ce qui suit : « aux fins de certaines missions, le meilleur appareil à utiliser
est un aéronef léger de type ADAC (avion à décollage et atterrissage court). À ce jour,
ces missions ont été exécutées au moyen d’un [avion] Helio Courier … 2. L’Agence
demande qu’une équipe de pilotes et ingénieurs de l’armée de l’air évalue les modèles
pertinents de Dornier fabriqués en Allemagne à des fins de comparaison, [notamment]
le Do. 27, le Do. 27T à turbopropulseur et le Do. 28 ». Compte tenu d’autres éléments
relatifs aux opérations aériennes menées par la CIA au Congo en 1961 (voir
ci-dessous), il faudrait déterminer si, parmi les Dornier que la CIA recherchait,
certains avaient été utilisés contre l’ONU au Congo.
228. Gülstorff a fourni un document daté du 20 octobre 1961 et récemment
déclassifié par la CIA, intitulé « Rapport sur le contact de Caravel ». On y lit ce qui
suit : « Avions Dornier destinés au Katanga : on a expliqué le risque que l’Allemagne
soit mise sur la sellette en raison de la transaction et récapitulé les événements.
Caravel a été informé du nom du marchand d’armes belge Jean Cassart et de celui de
l’intermédiaire présumé, Freddy Loeb (domicilié à Kitwe, Rhodésie) afin qu ’il puisse
faire des vérifications auprès d’INTERPOL, qui pourraient à leur tour entraîner des
enquêtes plus approfondies. Caravel compte obtenir la version de Dornier car ‘‘il se
trouve que nous avons un agent chez Dornier’’. » Le fait que la CIA connaissait les
identités de Cassart, qui fournissait des avions à l’Avikat, et de Loeb, qui assurait la
liaison avec les services de renseignement britanniques, l ’UMHK et les hauts
responsables katangais (entre autres), et le fait qu’elle avait un agent lié à Dornier
méritent d’être étudiés plus avant (ce point est élaboré ci-après).
229. Dans sa déclaration, Rosez a dit se souvenir que, le premier week -end de
septembre 1961, il devait se rendre à une réunion de préparation de la rentrée scolaire.
Vers le premier samedi de septembre 1961, il se trouvait à Kipushi où il visitait une
ferme et son petit lac. Ceux-ci appartenaient à un ami qui avait un petit avion
monomoteur. Il a vu un Dornier DO-28, immatriculé 3016, dont il a trouvé les portes
étonnamment grandes. Son ami et lui-même se sont entretenus avec des mercenaires
francophones dont l’accent différait du leur (par la suite, il s’est dit qu’ils étaient
peut-être français et non belges). Les mercenaires leur ont dit que d ’autres avions
allaient être livrés et demandé qu’une aire soit laissée libre à cet effet sur la piste qui
était très petite. Rosez a précisé qu’il avait personnellement vu un système de bombe
sur le Dornier DO-28 qui était arrivé en août 1961.
230. Comme on l’a noté plus haut, les journaux de vol de Van Risseghem et Bracco
font mention de vols de DO-28. De même, il y est indiqué que le DO-28 utilisait des
terrains d’aviation au Katanga, en Rhodésie du Nord, en Angola et en République du
Congo (ce point est examiné plus en détails ci-après). De plus, il y a, dans de
nouveaux éléments provenant des archives de l’ONUC qui m’ont été communiqués,
un rapport daté du 14 décembre 1961 adressé par l’attaché de l’air de l’armée de l’air
américaine à l’Ambassadeur des États-Unis Gullion, dans lequel il est indiqué que
lorsque Matlick s’est rendu à Ndola, le 13 décembre 1961, on lui a présenté un pilote
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de « l’opposition » qui opérait le Dornier DO-28 et dont il a retenu qu’il avait été
enregistré sur des formulaires de l’aéroport en tant que « Wicksteed (ou Wickstead),
nationalité britannique ». Le pilote avait laissé le DO-28 stationné à Ndola avant de
faire « un court trajet au Katanga pour récupérer ses bombes » puis bombarder de nuit
des cibles de l’ONUC à Élisabethville.
231. Les informations nouvelles sur les Dornier reçues en 2018/19 viennent étoffer
les informations recueillies les années précédentes. De nombreuses sources
confirment qu’au moins un DO-28 était présent en septembre 1961 et qu’il opérait
sur une aire géographique étendue. De même, il est fait état d ’un DO-28 modifié et
armé qui opérait la nuit et menait des attaques air-air. Ici aussi, l’analyse permet
seulement d’établir qu’il est possible qu’un Dornier ait menacé ou attaqué le SE-BDY
mais elle ne suffit pas à étayer l’hypothèse selon laquelle l’attaque contre le SE-BDY
aurait été effectivement menée par un Dornier. Compte tenu de ce qui précède,
j’attribue une valeur probante modérée aux informations relatives à la présence et aux
opérations du Dornier au Katanga en septembre 1961.
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certaines informations fournies par Rosez à cet égard se recoupent avec les
informations fournies par Puren et Virving qui avaient déjà été an alysées par la
Commission Hammarskjöld et le Groupe d’experts.
236. Rosez a également déclaré qu’il avait personnellement vu la fabrication des
bombes destinées aux aéronefs de l’Avikat et qu’il avait aussi participé à leur
fabrication. Les locaux de la Compagnie du chemin de fer du Bas-Congo au Katanga
(BCK) où travaillait son père étaient attenants à l’usine de l’Union minière du Haut
Katanga (UMHK) à Élisabethville. Comme nombre des amis de son père travaillaient
à l’UMHK, il se rendait fréquemment dans les locaux des deux entreprises. Rosez
n’avait que 16 ans en 1961 mais, en raison de la pénurie de main d ’œuvre, il a aidé à
fabriquer des bombes à l’usine de l’UMHK, avenue de Kato, de mai à août 1961. Son
ami, Cornelis van Dijk, lui a montré comment fabriquer les bombes et, en quelques
heures, il avait appris la technique et savait faire des filetages intérieurs et extérieurs
et découper des tuyaux métalliques (qui pouvaient avoir été de vieux panneaux de
signalisation ou lampadaires). Les tuyaux étaient coupé s à une certaine longueur, des
plaques étaient découpées puis soudées pour former des queues et les pièces étaient
ensuite assemblées par des boulons. Ces bombes fonctionnaient avec des allumeurs à
fusible belges de l’armée belge qui étaient disponibles en grande quantités à la « base
terrestre » de la Gendarmerie katangaise, sise avenue Industriel. Il y avait également
de grandes quantités de munitions de différents types dans ces locaux.
237. Rosez a déclaré que les bombes étaient destinées à l’Avikat, dont une série de
bombes de 25 kilogrammes, certaines conçues pour le Fouga Magister et certaines
pour le T-6 Texan. Il y avait également des bombes de 50 kilogrammes fabriquées à
Kolwezi qui étaient destinées au T-6 Texan (Rosez n’a pas participé à leur fabrication)
et des bombes de 12,5 kilogrammes destinées au De Havilland Dove. Rosez a précisé
qu’il avait vu la fabrication d’autres armes à la même usine de l’UMHK, notamment
le forage des canons des mitrailleuses des Fouga de 7,5 mm à 7,62 mm, taille standard
de munition. S’il est vrai que les canons étaient forés alors il est possible que les
balles tirées par ces armes n’aient pas été marquées de rayures. Ce point n’a pas été
vérifié.
238. Rosez a dit aussi que tout le monde, lui compris, savait qu’un Belge nommé
(Colonel) Jean Cassart avait organisé la livraison de nombre des aéronefs de l ’Avikat.
Il avait une très grande salle d’assemblage dans le « quartier industriel »
d’Élisabethville, à l’arrière de la base terrestre. Plusieurs T-6 Texans y ont été
assemblés avant août 1961. Le Colonel Cassart y avait ménagé un espace pour les
travaux à effectuer sur les aéronefs. Il achetait des avions d ’occasion en Belgique et
les vendait au Katanga. Rosez a déclaré avoir personnellement rencontré Cassart plus
d’une fois chez le Général Muke mais n’a pas assisté à leurs réunions dans la grande
salle de conférence située à l’étage du bas.
239. Comme indiqué plus haut, les extraits du journal de vol de Van Risseghem
faisaient mention de vols de nuit à bord du DC-3 et du Dove. On y lit « atterrissage
nocturne 5 » du DC-3 le 22 juin 1961, avec le copilote « V Gee », et « atterrissage
nocturne 5 » du Dove le 27 juillet 1961, avec le copilote Verloo.
240. Les dossiers récemment publiés en 2017 et 2018 en application du President
John F. Kennedy Assassination Records Collection Act (1992) (loi sur la collection de
dossiers relatifs à l’assassinat du Président John F. Kennedy) contiennent également
des renseignements sur l’armée de l’air katangaise. Ces documents n’ont pas été
communiqués par le responsable indépendant des États-Unis, mais par Williams. Ils
sont examinés en détail ci-après. Selon certains éléments, dans un rapport adressé à
Washington en novembre 1961, il est indiqué que le Fouga était basé à Kolwezi et
qu’outre le Fouga, « le gros de la flotte de la KAT [Avikat] comptait probablement
5 Dornier 28, 2 ou 3 Dove et peut-être aussi un C-47. »
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241. Comme dans le cas des aéronefs Fouga et Dornier examinés plus haut, les
informations nouvelles reçues en 2018/19 au sujet des autres modèles d’aéronef
viennent étoffer les informations des années précédentes. Selon de nombreuses
sources, les appareils étaient équipés d’armes et menaient des offensives sur un vaste
secteur, y compris la nuit. Cette analyse n’étaye pas en elle-même une hypothèse
particulière selon laquelle tel ou tel modèle d’aéronef aurait été utilisé pour attaquer
le SE-BDY, mais confère une probabilité plus forte à pareille hypothèse. Compte tenu
de ce qui précède, j’attribue une valeur probante modérée aux informations relatives
à la présence et aux opérations d’aéronefs d’autres modèles au Katanga en septembre
1961.
d) Aérodromes
242. Sur la base des informations analysées en 2017, il était conclu dans le rapport
de 2017 qu’il y avait probablement beaucoup plus d’aérodromes au Katanga à
l’époque considérée qu’on ne le pensait initialement et que les forces katangaises
avaient la liberté de franchir les frontières rhodésiennes et d ’utiliser les aérodromes
du Katanga. Ces informations comprenaient des éléments de correspondance des
États-Unis indiquant que la Rhodésie du Nord avait autorisé les aéronefs katangais à
utiliser l’aérodrome de Ndola, ainsi qu’un communiqué de presse de l’ONU daté de
décembre 1961, faisant état d’un Dornier katangais utilisant l’aéroport de Ndola pour
mener des bombardements aériens contre l’ONU à l’aéroport d’Élisabethville, situé à
environ 250 kilomètres de distance.
243. En 2017, j’ai examiné quels aérodromes munis de pistes de plus de 750 mètres
pouvaient s’avérer pertinents mais je note que, dans les informations recueillies en
2018/19, il est indiqué que le DO-28 pouvait utiliser des terrains d’aviation plus
petits. Selon l’opinion d’experts, le Fouga nécessitait une piste à revêtement dur
(asphalte ou béton) pour décoller ou atterrir, car tout objet extérieur éventuellement
projeté d’une piste d’herbe ou de gravier risquait de l’endommager. Cependant, j’ai
également constaté qu’il existait des éléments, y compris le témoignage de Delin,
attestant que le Fouga pouvait aussi décoller ou atterrir sur des surfaces non dures.
Delin avait déclaré à la Commission d’enquête rhodésienne que le Fouga pouvait
décoller d’un bon nombre d’aérodromes et qu’au moins une fois il en avait fait
« décoller un de Kolwezi et avait atterri sur une piste en terre et que, pour décoller, il
fallait mettre de l’eau et le lancer sur la piste ». S’agissant des vols de nuit, il a été
établi lors des premières enquêtes que, de façon ponctuelle, du kérosène et du sable
avaient été utilisés pour faire des balises lumineuses. Une carte des aérodromes
éventuellement pertinents du secteur figure dans l’annexe du rapport de 2017.
244. De nouvelles informations concernant les terrains d ’aviation ont été recueillies
en 2018/19. Le responsable indépendant de la Suède a communiqué une lettre datée
d’avril 1993 adressée par Rösiö au Ministère des affaires étrangères (la lettre étant
ultérieure à la remise de son rapport) rendant compte des principales conclusions de
ses entretiens en Belgique. Il indiquait que l’aéroport de Kipushi avait été utilisé par
un DO-28 pour attaquer les forces de l’ONUC, y compris la nuit. Cela s’était produit
au moins à partir d’octobre 1961, voire plus tôt. Parmi les autres conclusions, il était
établi que Delin n’était pas le pilote et que « Beukels » pouvait avoir été un certain
« Beuken » de la Société anonyme belge de constructions aéronautiques.
245. Comme l’a fait remarquer Picard, un ancien soldat rhodésien a également fait
mention écrite de vols de nuit effectués par le Dornier. Dans l ’ouvrage d’Alexandre
Binda intitulé The Saints : the Rhodesian Light Infantry, un commandant de
l’infanterie légère rhodésienne (commando A, 1 er Bataillon) en 1960/61 qui était
affecté à la frontière entre le Congo et la Rhodésie du Nord a déclaré : « Nous avons
également constaté que l’aérodrome à piste courte de Kipushi était à cheval sur la
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frontière. Nous le contrôlions pour la plus grande partie de jour, mais la nuit, il était
souvent utilisé par des mercenaires pilotant un Dornier ADAC (avion à décollage et
atterrissage court) qui ressemblait à un modèle agrandi du de Havilland Twin Otter.
Il transportait des munitions et des armes, et parfois des personnes, pour les forces
katangaises et il évacuait les victimes faites parmi les mercenaires... Nous avons
signalé les activités clandestines menées à l’aérodrome mais on nous a donné
l’instruction de ne pas intervenir et nous y avons donc obéi. »
246. Rosez a confirmé dans sa déclaration qu’il savait qu’au début de l’année 1961
la principale base aérienne de l’Avikat était située à Luano mais il a vu que les
aérodromes de Kolwezi, Jadotville, Kisenge, Dilolo, Kipushi, Ndola et Kitwe étaient
également utilisés. Quant aux vols de nuit du Fouga vers août 1961, il a entendu dire
qu’il décollait et atterrissait à l’aérodrome « KM30 », dont la piste d’environ
1,5 kilomètre de long était en terre battue rouge.
247. Les extraits des journaux de vol susmentionnés de Van Risseghem de juin à
septembre 1961 indiquent que les appareils de l’Avikat utilisaient des aérodromes au
Katanga, en Rhodésie du Nord, en Angola et en République du Congo. En septembre,
le Dornier DO-28 a utilisé plusieurs aérodromes pour décoller ou atterrir, notamment
les suivants : Brazzaville, Vila Herique (probablement une orthographe incorrecte de
Vila Henrique en Angola), Kolwezi, Kipushi, Ndola, Jadotville, Kamina et Kongolo.
248. Il y avait, dans les informations communiquées par Gülstorff, un compte rendu
daté du 21 octobre 1961 d’une réunion entre représentants de l’Ambassade ouest-
allemande à Washington et du Département d’État des États-Unis, dans lequel il est
fait mention d’un DO-28 basé à Kipushi.
249. Comme cela a été fait dans le rapport de 2017, j ’attribue une valeur probante
modérée à l’information nouvelle selon laquelle les forces katangaises pouvai ent
avoir utilisé davantage d’aérodromes au Katanga, en Rhodésie du Nord et ailleurs
qu’on ne le pensait initialement.
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7. Attaque terrestre
254. Les éléments reçus en 2018/19 contiennent des informations historiques selon
lesquelles des forces terrestres auraient directement attaqué le SE -BDY ou essayé
d’atteindre l’épave (et les survivants éventuels) immédiatement après l’accident.
255. La Commission de 1961 a brièvement examiné la possibilité « d ’une distraction
momentanée du pilote lors d’une attaque, ou d’un simulacre d’attaque, des airs ou du
sol » et il est rappelé, dans le rapport de 2017, que la possibilité d’une « attaque air-air
ou sol-air ou d’une autre menace extérieure » figurait parmi les quatre grandes
questions examinées par le Groupe d’experts indépendants. La plupart des
informations nouvelles examinées depuis concernaient la possibilité d’une attaque
air-air et le rapport de 2017 concluait notamment qu’il était « presque certain que Dag
Hammarskjöld et les personnes qui l’accompagnaient n’avaient pas été assassinés
après avoir atterri ». Toutefois, la possibilité d’une attaque sol-air pendant le vol du
SE-BDY n’a pas été élucidée et, selon des allégations persistantes, des militaires au
sol auraient pu tenter d’atteindre l’épave avant qu’elle ne soit découverte. Peu
d’informations nouvelles sur ce point ont été reçues en 2018/19 (voir ci-après).
256. Certaines informations nouvelles ont trait au récit de Wren Mast -Ingle. On
rappellera que Mast-Ingle a dit à Williams que lorsqu’il travaillait pour une société
minière de la Copperbelt, il s’était rendu de Luanshya à Bancroft en septembre 1961
et avait entendu un avion s’écraser lors de ce voyage. Il a déclaré qu’une fois arrivé
à l’épave, il a vu un fuselage criblé d’une rangée de trous. Quelques minutes plus
tard, des véhicules sont arrivés et il se souvient qu’il s’agissait de Jeeps ou de Land
Rovers d’une couleur plus claire que le noir, et un groupe de six à huit hommes blancs
armés en uniforme de combat lui a ordonné de quitter les lieux. Le Groupe d ’experts
indépendants a relevé que six des nouveaux témoins avaient dit s’être rendus sur le
site de l’accident aux premières heures le 18 septembre (Chimema, Custon Chipoya,
Lumiya Chipoya, Mast-Ingle, Mwebe et Mwansa) et déclaré qu’ils y avaient vu des
policiers, des soldats ou les deux. Les témoins Mpinganjira et Chisan ga ont aussi dit
avoir vu deux Land Rovers se diriger à vive allure vers le site de l ’accident quelques
heures après les faits. Le Groupe d’experts a attribué une valeur probante faible au
récit de Mast-Ingle, en particulier à la mesure dans laquelle il avait contribué à établir
que des parties de l’aéronef avaient été « criblées de balles ».
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257. Picard a rapporté que, lors de nouveaux entretiens avec Mast-Ingle en 2018,
celui-ci avait décrit de façon plus étoffée l’apparence des uniformes de combat portés
par les hommes qu’il avait vus, précisant qu’ils « étaient différents » et qu’ils
« ressemblaient plus à des tenues de camouflage qu’à de simples uniformes vert
kaki » et qu’ils avaient « d’étranges casquettes à rabat ». Selon Picard, qui a mené
des recherches à cet égard, les contingents et les régiments de parachutistes français
déployés en Algérie avaient des chapeaux de brousse camouflés à rabat qui se
portaient avec une tenue appelée « léopard » et une casquette « Bigeard ». Il est d’avis
que ceux qui avaient laissé des tenues de combat à Ndola pourraient avoir été des
mercenaires français ayant combattu en Algérie et agissant sous les ordres de
Faulques au Katanga.
258. Dans sa déclaration, Rosez a également dit avoir entendu que des tenues de
combat singulières se trouvaient à Ndola. Il a raconté qu’au début de l’année 1962,
son ami l’inspecteur de police, David Robert Steel, de la police Ndola, lui avait
montré des tenues de combat qui avaient été laissées par un groupe de mercenaires au
commissariat de Ndola en septembre 1961 et que la police avait conservées comme
« souvenirs ». Rosez a ajouté que les tenues de combat qu’il avait vues à cette
occasion ressemblaient à celles de la légion étrangère française en Indochine en 1950.
259. Dans des informations reçues en 2018/19, les deux sources susmentionnées ont
déclaré indépendamment l’une de l’autre que des tenues de combat particulières
avaient été vues à Ndola et aux alentours après l’accident. Mast-Ingle a confirmé son
premier récit concernant des hommes armés en tenue de combat présents sur le site
de l’accident avant sa découverte officielle. À l’heure actuelle, cette information n’a
pas été vérifiée mais pourrait être corrélée avec d’autres informations concernant
l’hypothèse de l’attaque sol-air reçues à la fin de l’établissement du présent rapport
(examinées ci-dessous).
260. Des informations importantes sur ce sujet reçues en 2018/19 viennent enrichir
les éléments analysés par le Groupe d’experts (voir ci-dessous).
261. Des documents rendus publics à la fin des années 1990 pendant les travaux
Commission Vérité et réconciliation d’Afrique du Sud faisaient état d’un complot
visant à saboter le vol du SE-BDY. La Commission était saisie de documents faisant
mention d’une bombe placée dans l’avion, activée peu avant son atterrissage et ayant
provoqué l’accident. Il y était indiqué que, selon des documents portant l’entête d’une
organisation obscure nommée « South African Institute for Maritime Research »
(SAIMR), des agents de cet organisme avaient planifié et exécuté « l’Opération
Céleste » dans l’objectif « d’éliminer » Hammarskjöld.
262. La Commission Hammarskjöld a examiné ces documents en 2013, après leur
découverte par Christelle Terreblanche et les recherches menées par Williams. Elle a
certes gardé des réserves quant à leur crédibilité mais jugé qu ’ils pouvaient avoir une
certaine valeur comme éléments de preuve secondaire de sabotage et devaient faire
l’objet d’une analyse scientifique. L’évaluation de la valeur probante des documents
du SAIMR n’a pas pu figurer dans les rapports de 2015 et de 2017 parce que l’Afrique
du Sud n’a pas autorisé qu’ils soient consultés et n’a pas accordé son assistance aux
fins des recherches. Malgré les questions soulevées par l’« Opération Céleste » et le
SAIMR, j’ai fait observer en 2017 qu’il demeurait indispensable de les examiner pour
vérifier l’hypothèse de l’acte de sabotage ayant causé l’accident du SE-BDY.
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279. Dans le film Cold Case Hammarskjöld, plusieurs sources affirment que certains
des documents de « l’Opération Céleste » sont écrits de la main de Maxwell. D’après
une analyse de non-spécialiste, l’écriture ressemble à celle des mémoires manuscrits
qui m’ont été transmis par l’équipe du film. Si les documents de « l’Opération
Céleste » ont bien été écrits de la main de Maxwell et s’ils ont effectivement été
établis en 1961 (sans préjuger de leur véracité), alors Maxwell doit avoir été en lien
avec le SAIMR en 1961 et ne pouvait donc, selon les estimations, pas être âgé de plus
de 20 ans à l’époque. Une autre possibilité à envisager, si l’écriture est bien celle de
Maxwell, est qu’il ait établi de faux documents de sa propre main, pour fabriquer
ainsi une image de sa propre expérience de mercenaire et des opérations du SAIMR,
à des fins éventuelles de « propagande » ou de marketing.
280. Selon un article de la British Broadcasting Corporation daté du 20 août 1998, le
Ministère des affaires étrangères et du Commonwealth du Royaume -Uni a déclaré, en
réponse aux allégations de participation de Britanniques aux activités du SAIMR, que
« les agents des services de renseignement britanniques ne s’amusent pas à dégommer
les gens. Pendant la guerre froide, les Soviétiques pratiquaient la désinformation de
façon assez systématique et pourraient avoir mis [les lettres] en circulation. » Selon
Williams, la CIA a également nié toute implication le même jour. On ignore toutefois
si les pays concernés par les documents en question ont mené des enquêtes internes
sur le SAIMR, Keith Maxwell ou, plus largement, le complot de sabotage du vol du
SE-BDY. Il serait pertinent que les recherches menées au Royaume -Uni et aux
États-Unis portent également sur Maxwell, sur le SAIMR et sur les résultats de toute
enquête interne menée après que les allégations ont été divulguées en 1998.
281. Les nouvelles informations reçues en 2018/19 concernant le SAIMR ont un
poids certain. J’ai lu la transcription de l’entretien mené en 2019 entre Jones et le
responsable indépendant de la Suède et j’ai reçu l’évaluation que ce dernier en a faite.
Je n’ai pas été en mesure de vérifier tous les aspects des déclarations de Jones, mais
les informations qu’il a fournies sont détaillées et paraissent assez cohérentes pour
qu’il semble raisonnable, compte tenu des éléments dont on dispose actuellement, de
croire que l’organisation appelée SAIMR a bel et bien existé dans les année 80 et 90.
Comme je n’ai pas vu les photographies que Jones affirme qu’on lui a montrées et
comme il ne les a vues qu’une seule fois il y a trente ans et n’a donc pu les décrire
qu’avec peu de détails, je ne suis pas en mesure d’évaluer leur valeur probante. En ce
qui concerne la version manuscrite des mémoires de Maxwell, je ne suis pas non plus
en mesure de vérifier la véracité de leur contenu. Cela dit, vu leur teneur, leur style,
la façon dont ils ont été obtenus et les sources du document, il semble crédible qu ’ils
aient été écrits par Maxwell lui-même. Il faudrait cependant d’autres éléments de
preuve et analyses d’expert pour le confirmer.
282. Les nouveaux éléments reçus n’augmentent pas la valeur probante des
informations relatives à l’« Opération Céleste ». Toutefois, de même qu’il faut encore
déterminer si l’organisation appelée SAIMR a véritablement existé, ces éléments
indiquent que l’hypothèse de l’« Opération Céleste » reste à vérifier. À cet égard, la
coopération de l’Afrique du Sud est indispensable pour obtenir les documents
originaux et les faire analyser par les services scientifiques compétents. Même des
copies, si elles étaient communiquées, permettraient déjà de procéder à l ’analyse du
type de document, de l’écriture et d’autres aspects, en particulier à une comparaison
avec la version manuscrite des mémoires de Maxwell. Hormis les documents relatifs
à l’« Opération Céleste », les autres éléments que détiennent les services de
renseignement sud-africains, et éventuellement britanniques et américains, peuvent
probablement aider à vérifier si le SAIMR existait et menait des opérations en 1961.
Il convient d’examiner ces questions plus avant pour déterminer si les allégations de
sabotage doivent être considérées comme recevables ou non.
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mémoires, « Hotline from the Katanga », la personne qu’il appelle « notre homme au
Katanga » n’est autre que Ritchie. Le Groupe d’experts indépendants a examiné
l’ouvrage, rédigé en 1969 sur la base de la correspondance contemporaine et de ses
souvenirs. Hunt dit avoir été « formé par le service de renseignements britannique en
temps de guerre comme en temps de paix » et avoir fait l’intermédiaire entre les
représentants du Gouvernement britannique au Katanga, les intérêts commerciaux, le
Gouvernement belge, les mercenaires étrangers au Katanga, l ’UMHK et le
Gouvernement rhodésien de Sir Roy Welensky. Lors d’entretiens que Picard a menés
en 2017 avec le fils de Gordon Hunt, celui-ci a déclaré qu’il savait que son père était
un ancien agent du MI5.
293. Dans ses mémoires, Hunt décrit une ligne de communication « directe » entre
le Katanga et la Rhodésie du Nord opérée par l’UMHK et le Rhodesian Selection
Trust, qui était utilisée par « le Ministère britannique des affaires étrangères, le
Consul, la Croix-Rouge et la Fédération rhodésienne » et était, durant « une période,
le seul moyen d’obtenir des informations venant du Katanga ». Il décrit le rôle qu’il
a joué dans l’organisation de la rencontre entre Hammarskjöld et Tshombé à Ndola
mais précise que « tout devait être planifié dans les moindres détails et c ’est ‘‘notre
homme au Katanga’’ qui en a reçu la responsabilité. » À la lumière des mémoires de
Ritchie et d’autres informations, il est presque certain que le rôle joué par « notre
homme au Katanga » décrit dans l’ouvrage contribue à confirmer l’identité de Ritchie.
294. Il est ressorti de l’examen des archives de l’UMHK communiquées par Picard
en 2018 qu’entre le 17 et le 19 septembre 1961, les membres du corps diplomatique,
des services de renseignement et des entreprises commerciales britanniques
effectuaient tous leurs communications internationales avec les autorités belges et
katangaises et avec l’ONU par l’entremise des installations de l’UMHK. Les câbles
de l’UMHK montrent également qu’après l’accident du SE-BDY, Ritchie devait
revenir à Ndola le 19 septembre (il était parti la veille) pour aller chercher Tshombé
et l’emmener à Kipushi en avion.
295. Picard a également mené des entretiens avec Manfred « Freddy » Loeb, un
ingénieur qui travaillait pour la société Traction et Électricité et l ’UMHK. Celui-ci a
confirmé la présence et le rôle clef de Ritchie ainsi que la nature des communications
facilitées par l’UMHK. Loeb a fourni à Picard un exemplaire de ses mémo ires
intitulés « Fragments de la vie d’un voyageur du siècle ». Il y décrit notamment son
séjour au Katanga en septembre 1961. Quant à la raison pour laquelle il se trouvait
au Katanga à l’époque, il déclare ce qui suit : [les contingents de l’ONU avaient]
isolé les communications de l’Union Minière et essayaient de déstabiliser
Tshombé. J’ai donc appelé le directeur général de Traction Électricité,
Georges Landsberg, pour lui proposer mon assistance et, quatre heures
plus tard, j’étais sur un vol Paris-Johannesburg. Accompagné de l’agent
diplomatique britannique, Neil Ritchie, j’ai sauté dans un petit avion
reliant Kitwe à un village de Rhodésie du Nord, près de la frontière
katangaise, où se trouvait le point de terminaison de la ligne électrique
(220 kva) qui venait de Jadotville. J’étais hébergé chez le directeur de la
compagnie d’électricité, le Colonel [Gordon] Hunt, qui était directement
venu à Burma et était un personnage haut en couleur.
[…]
À l’époque, l’outil de communication le plus couramment utilisé était le
télex. Comme les transmissions étaient interrompues entre Élisabethville
et la Belgique, je devais impérativement trouver un moyen de rétablir les
communications avec le siège de l’Union Minière à Élisabethville.
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Léopoldville, Park était soutenue par d’autres responsables du MI6, dont John de
St. Jorre et Hugo Herbert-Jones. M me Park a publiquement fait mention de ses
activités de coordination avec les responsables de la CIA, ce que ces derniers et
d’autres ont confirmé.
300. Parmi les récits individuels recueillis, on citera l’entretien de Williams avec
l’officier responsable de l’ONUC, Sture Linner. Ce dernier a affirmé que des
responsables de la CIA et du MI6 se trouvaient parmi les personnes ayant rencontré
Hammarskjöld à une réception dans sa villa à Léopoldville une semaine seulement
avant l’accident. D’autres personnes ont été publiquement reconnues comme ayant
été agents du MI5 ou MI6 basés en Rhodésie du Nord ou du Sud ou au Congo à
l’époque considérée, notamment Basil (Bob) de Quehen, qui est ensuite devenu chef
du Bureau fédéral du renseignement et de la sécurité de Rhodé sie. Celui-ci aurait
activement contribué à assurer la liaison entre le Bureau et les services de
renseignement et de sécurité du Katanga et d’Afrique du Sud.
301. Parmi les informations nouvelles reçues en 2019 du responsable indépendant du
Canada se trouve un courrier daté du 25 septembre 1961 entre le représentant des
Affaires extérieures canadiennes à Londres et Boothby (il s’agissait de Basil Boothby,
alors chef du Département de l’Afrique au Ministère des affaires étrangères). Ce
dernier aurait reconnu, lors de réunions, que la politique britannique « concernant le
Katanga souffrait continuellement d’un élément de doute. Col Waterhouse et la
Tanganyika Concessions Holdings qui avaient des intérêts communs avec l ’Union
Minière pourraient avoir exercé des pressions de façon clandestine ». Bien que le
Royaume-Uni ait fermement nié toute implication dans la mort de Hammarskjöld, il
importe de tenir compte, dans la suite des recherches, du fait que l ’influence des
intérêts commerciaux britanniques sur la politique relative au Katanga ait été
reconnue de la sorte, d’autant plus étant donné le rôle essentiel joué par d’autres
intérêts commerciaux connexes au Katanga, comme ceux de l ’UMHK.
302. Dans un câble du 20 septembre 1961 adressé par le Haut-Commissaire de
Nouvelle-Zélande à Londres au Ministre des affaires extérieures à Wellington, le
Haut-Commissaire dit avoir vu un exemplaire du « rapport de Landsdowne sur sa
réunion avec Hammarskjöld le 18 septembre » que détenait le Bureau des relations
du Commonwealth. Étant donné que Dag Hammarskjöld n’était plus en vie le
18 septembre, cette date doit être erronée ou faire référence à la date du rapport de
Lord Landsdowne. Quoi qu’il en soit, il semblerait que l’existence de ce rapport, qui
doit décrire l’une des dernières réunions tenues avec Hammarskjöld de son vivant,
n’ait pas été connue lors des premières enquêtes. Parallèlement, Dunnett, dans ses
mémoires susmentionnés, dit avoir « reçu l’ordre de se rendre à Kipushi et
d’accompagner Tshombé à Ndola où il devait rencontrer Hammarskjöld ». Il
n’indique pas qui lui a donné ces instructions. Cependant, comme le rapport de
Ritchie faisait partie des documents d’Alport et que ces deux membres du personnel
britannique, ainsi que Dunnett et Landsdowne, se sont rencon trés autour la date du
décès d’Hammarskjöld, il faudrait demander au Royaume-Uni de communiquer le
rapport de Landsdowne établi vers la date du 18 septembre 1961, ainsi que tout
rapport connexe.
b) États-Unis d’Amérique
303. Comme on l’a vu plus haut, Southall, Abram et Doyle, entre autres, ont
communiqué des informations sur le fait que les services de sécurité, de
renseignement et de défense américains étaient actifs dans la région en 1961. La
Commission Hammarskjöld et le Groupe d’experts indépendants ont noté que le
rapport d’activité de 1975/76 établi par le Comité spécial du Sénat des États -Unis
chargé d’étudier des opérations gouvernementales en matière d ’activités de
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et que WIROGUE, ignorant que QJWIN était égale ment un agent de la CIA, avait
cherché à le recruter pour son « escouade d’exécution ».
307. Selon ces documents, fin janvier 1961, le chef du bureau de la CIA à
Léopoldville (Devlin) a été autorisé à prendre des dispositions pour que WIROGUE
prenne des cours de pilotage et pilote l’avion de la CIA sur place, immatriculé
« YQCLAM ». En mars, WIROGUE était nommé conseiller de l’armée de l’air
congolaise et en avril, il donnait des cours de pilotage à des aviateurs congolais. Sur
instruction de Washington D.C., Devlin a demandé à WIROGUE de constituer une
unité de renseignement aérien. WIROGUE est parti pour Brazzaville au début de
juillet 1961 et a été conduit à Washington D.C. pour rencontrer Bronson Tweedy, le
chef de la Division Afrique de la CIA. On lui a donné de nouveaux papiers d’identité
et de l’argent avant de l’emmener dans un avion militaire à Francfort (Allemagne de
l’Ouest) ; son contrat a été résilié le 8 septembre, mais il est retourné au Congo. Il a
pris un vol de Francfort à Brazzaville, où il est arrivé le 22 septembre 1961, quelques
jours à peine après la mort de Dag Hammarskjöld et en même temps que le Dornier
DO-28 de l’Avikat et Jan Van Risseghem ; il a rejoint Léopoldville, au Congo, le jour
même. Il a ensuite continué de travailler pour la CI A.
308. Les documents de la CIA contiennent également des informations sur les
responsables du renseignement d’autres pays. Par exemple, le 12 novembre 1961, un
Allemand de l’Ouest qui travaillait pour la CIA au Congo sous le nom de code STAHL
– et dont le vrai nom était Wolf Meister – a posé un Dornier DO-27 à Ndolo, le
deuxième aéroport de Léopoldville, qui était utilisé par l ’armée. STAHL a été arrêté,
mais WIROGUE a obtenu sa remise en liberté.
309. Les dossiers récemment divulgués au titre du President John F. K ennedy
Assassination Records Collection Act contiennent une grande quantité de
renseignements sur WIROGUE et QJWIN qui n’ont pas été communiqués par
ailleurs ; ils contiennent aussi de nouvelles informations se rapportant au Congo sur
des agents du renseignement, des recrues pour des missions contractuelles et d ’autres
projets codés de la CIA (dont un concernant des pilotes et des avions ayant pour nom
de code « WICLAM »). Certains documents portent la mention « ZRRIFLE », qui est
le nom de code donné par la CIA aux opérations planifiant des assassinats (désignés
par l’euphémisme « mesures d’exécution »). Toutefois, bon nombre des informations
contenues dans les documents divulgués en ont été supprimées. Dans certains cas, des
dossiers de près de 200 pages ont été expurgés à tel point que presque toutes les pages
sont blanches, si bien que leur divulgation n’a qu’une utilité extrêmement limitée (par
exemple, seulement 3 des 186 pages du dossier n o 104-10182-10003, 8 des 176 pages
du dossier n o 104-10182-10004 et 8 des 144 pages du dossier n o 104-10182-10002 ne
sont pas totalement expurgées). On trouve d’autres documents sur WIROGUE,
ZRRRIFLE et Lumumba dans les « autres dossiers » de la CIA, qui sont liés à
l’assassinat de Kennedy mais qui n’ont pas encore été divulgués ou décrits en ligne.
310. En ce qui concerne ses observations sur la présence d ’autres étrangers, Devlin
a dit aussi que « des initiés américains [pensaient] que les Français espéraient chasser
les Belges au Katanga et obtenir le contrôle des grandes richesses minérales de la
province », car, d’après lui (reflétant en cela certaines conclusions du responsable
indépendant de la France), certains des mercenaires les plus compétents du Katanga
venaient de France. Devlin a dit également que « Jacques Foccart, le chef du
renseignement français pour l’Afrique au Palais de l’Élysée à Paris, [avait] offert de
gracier certains [mercenaires] s’ils se battaient pour Tshombé au Katanga ».
311. À une conférence tenue en 2004 (« The Congo crisis, 1960-1961: a critical oral
history conference » [conférence destinée à recueillir des récits oraux sur la crise au
Congo en 1960 et 1961]), Devlin a dit aussi que « l’attaché de l’air [américain] avait
été en contact avec le pilote du [SE-BDY] avant », à savoir avant que le SE-BDY ne
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quitte Léopoldville. Si c’est le cas, des recherches plus poussées dans les dossiers de
cet attaché de l’air pourraient faire apparaître d’autres renseignements pertinents,
notamment sur les communications qui ont eu lieu pendant le vol.
312. Comme il a été dit plus haut, en 2019, Gülstorff a communiqué des documents
de la CIA récemment déclassifiés montrant que les États-Unis étaient au courant, au
milieu de l’année 1961, des liens qui unissaient Cassart à Loeb et Dornier et,
implicitement, également au Katanga et à l’UMHK. Un autre « rapport sur le contact
de Caravel » daté du 23 novembre 1961 confirme qu’un fonctionnaire de la CIA a
reçu un agent de l’organisation connu sous le nom de « Caravel » « dans son bureau,
pendant une heure, avec lequel il a discuté des points suivants :... d. CARAVEL n’a
toujours pas de nouvelles de ‘‘notre homme à Dornier’’ mais il a fait remarquer
(comme nous l’avions conclu à la lecture des données d’ODACID) que mis à part les
noms des signataires du contrat se rapportant aux avions et peut-être ceux des
techniciens allemands ayant participé à la livraison du premier avion, on ne pouvait
pas savoir grand-chose. Il n’abandonne pas pour autant ». Cela montre que la CIA et
le Département d’État cherchaient activement des informations sur des questions
touchant à l’enquête de 1961, vraisemblablement concernant la fourniture de Dornier
à l’Avikat.
c) Allemagne
313. En juillet 2019, Gülstorff a fourni également des informations concernant la
présence d’agents du renseignement allemand au Congo et alentour en septembre
1961. Dans un rapport datant du début de décembre 1961, la CIA avait dit qu ’elle
disposait d’informations provenant de la police de sécurité autrichienne selon
lesquelles un certain Hans Germani était un agent du renseignement ouest-allemand.
Elle avait cité une deuxième source, le corps de contre -espionnage de l’armée
américaine, qui savait aussi que Germani travaillait avec le renseignement
ouest-allemand. Une dépêche avait été reçue le 10 janvier 1 961 du chef du bureau de
liaison de la CIA à Munich, adressée aux chefs « EE » et « NE », citant diverses
sources confirmant qu’un certain Hans Germani, né le 11 avril 1927 à Trieste et
demeurant à Vienne, était un agent du renseignement ouest -allemand infiltré (auquel
la CIA avait donné le nom de code « Uphill ») qui travaillait pour le magazine Der
Spiegel.
314. Selon un rapport du 20 septembre 1961 adressé au Ministère ouest-allemand des
affaires étrangères par l’ambassade de l’Allemagne de l’Ouest à Salisbury, Hans
Germani, infiltré en tant que journaliste, s’était rendu à Élisabethville pour filmer
l’intervention de l’ONUC et les combats. On pouvait y lire : « l’équipe du film
Dr. Germani, qui revient d’Élisabethville, a rencontré deux allemands, Bachmann
(propriétaire d’un garage) et Lönne (de Düsseldorf ?), ainsi que deux journalistes
allemands. Tous allaient bien et ne souhaitaient pas partir. Un Allemand travaille
[aussi] à l’hôtel Léopold II. Il n’y a pas de victimes allemandes. » Selon d’autres
recherches menées par Gülstorff sur la base de déclarations faites plus tard par Lönne,
c’était l’un des deux Allemands qui ont combattu dans un groupe de mercenaires
dirigé par Faulques jusqu’au début de 1962.
315. Si les informations de la CIA datant de 1961 concernant Germani sont exactes,
cela signifie que le service de renseignement ouest-allemand avait un agent au
Katanga au moment de l’accident du SE-BDY et que des dossiers, concernant
Germani notamment, ont forcément été établis par les autorités ouest -allemandes.
Comme il a été dit, étant donné que cette information a été reçue en juillet 2019 après
que le représentant indépendant de l’Allemagne a eu terminé son rapport, il n’a pas
été possible de lui en parler. Toutefois, j’appelle l’attention sur ce point, sur lequel il
faudra peut-être assurer un suivi.
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cuivre de Nchanga. Après avoir passé la nuit dans un hôtel à Ndola, ils avaient pris
une route de raccordement pour rejoindre la route principale menant à Kitwe, où ils
avaient prévu de déjeuner. En chemin, ils avaient remarqué de la fumée noire, signe
d’un incendie dans la brousse voisine ; il y avait des gens sur le bord de la route, dont
un policier africain en tenue. Son père, qui parlait couramment Bemba, avait demandé
ce qui se passait, après quoi ils s’étaient dirigés ensemble vers l’incendie. Une fois
sur place, il était apparu qu’un très gros avion s’était écrasé et avait pris feu, mais il
n’y avait aucune trace d’un quelconque survivant et ils ne pouvaient voir aucun corps
humain intact. Wright a ajouté qu’il ne s’agissait manifestement pas d’un feu de
brousse, car il était limité à une petite zone et il y avait une odeur de chair brûlée. Les
personnes présentes avaient dit que l’avion s’était écrasé la nuit précédente ; Wright
et sa famille avaient supposé que les services d’urgence locaux étaient déjà venus sur
place et ils avaient donc quitté les lieux.
323. Confirmant d’autres informations transmises ces dernières années, les
déclarations faites en 2018/19 par Rosez et Wright confirment la thèse selon laquelle
l’accident a été découvert le 18 septembre 1961 avant l’heure officielle, fixée à
environ 15 heures. Bien qu’ils ne concernent pas directement la cause de la tragédie,
ces éléments sont importants car ils remettent en question les actes de différe nts
gouvernements immédiatement après l’accident et invitent à se demander pourquoi il
n’a pas été consigné que l’accident était survenu plus tôt.
B. Questions diverses
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340. Dans un article publié en 2018 qui m’a été communiqué, Matthew Stevenson et
Joseph Majerle, un pilote, évoquent la possibilité que le SE -BDY soit descendu à une
altitude inférieure pour parer à l’attaque d’un autre avion ou parce que l’avion était
déjà en feu. Leur hypothèse repose sur l’expérience de Majerle, qui a examiné des
accidents d’avion similaires et discuté avec les pilotes de ces avions ; il a conclu que
si les pilotes du SE-BDY avaient percuté le sol par inadvertance et non pas parce
qu’ils y avaient été contraints, l’avion aurait parcouru beaucoup plus que 137 mètres
avant de s’arrêter. Ils disent aussi que l’on ignore, à l’issue des premières enquêtes,
pourquoi les volets hypersustentateurs et le train d’atterrissage étaient sortis, alors
que le SE-BDY se trouvait alors à près de 16 kilomètres de l’aéroport de Ndola (soit
environ trois minutes de vol à la vitesse estimée), et que cela donne à penser que
l’avion a tenté de se poser avant d’atteindre l’aéroport. À nouveau, j’inclus ici
l’examen de cet article par souci d’exhaustivité ; l’affirmation selon laquelle les
calculs relatifs à la distance parcourue par l’épave par rapport à la vitesse pourraient
être erronés, telle qu’elle a été examinée lors des premières enquêtes, exigera de
procéder à des vérifications avant d’être analysée plus avant.
341. En juin et juillet 2019, j’ai reçu des informations supplémentaires d’un homme
qui a souhaité garder l’anonymat et qui a évoqué l’hypothèse d’une attaque terrestre.
Il a présenté une contribution importante fondée sur de nombreux éléments de preu ve.
Pour lui, les premières enquêtes n’ont pas suffisamment évalué la possibilité d’une
attaque terrestre ; il aurait fallu procéder à un exercice d’évaluation et envisager les
lieux d’attaque possibles et les types d’armes disponibles. Il affirme qu’il est possible
qu’une équipe déployée au sol sur la trajectoire d’approche aux instruments et dotée
de véhicules équipés de mitrailleuses à balles traçantes ait tiré sur le SE -BDY depuis
deux positions au sol, qu’il précise. Il pense que cela a distrait les pilotes et a dû les
forcer à effectuer une manœuvre d’évitement qui les a fait descendre très bas et les a
amenés à s’écraser. Il ajoute qu’une équipe prête à lancer une attaque au sol aurait pu
faire une estimation de l’approche qu’allait choisir le SE-BDY, étant donné que la
politique de Transair était de pratiquer une approche aux instruments à l ’aide du
manuel Jeppesen ; c’est d’ailleurs l’approche que le SE-BDY a choisie. Il fait
remarquer que même si le pilote suivait ce manuel, il avait toute latitude pour
déterminer l’angle du virage final, et le fait d’installer des positions d’attaque au sol
à deux endroits aurait permis de couvrir la zone requise. Pour ce qui est des armes, il
affirme qu’une mitrailleuse comme la Browning M2 ou M1919 ou une mitraill euse
similaire, disponible dans la région à l’époque, aurait eu la portée nécessaire pour
atteindre un avion volant à environ 533 mètres au-dessus du sol, et il fournit les
calculs étayant ces chiffres.
342. La source anonyme suggère également qu’une équipe d’attaque déployée au sol
aurait pu utiliser le brouillage radio pour dissimuler ses activités et mentionne à cet
égard les registres du poste de police de Mufulira, qui font état de problèmes radio la
nuit de l’accident. La police de Mufulira a également consigné « qu’une sentinelle
[avait] entendu un avion bimoteur léger survoler Makombo à environ 2 h 20 », ce qui
atteste la présence inexpliquée d’un tel avion. Si un brouillage radio s’est produit ce
soir-là, on peut s’attendre à ce que les avions de l’armée de l’air des États-Unis à
Ndola l’aient consigné ; cela peut être vérifié. La source anonyme affirme aussi que
sa théorie est étayée notamment par les « étincelles dans le ciel » mentionnées par le
sergent Julien, par le fait que Dag Hammarskjöld aurait ordonné que l ’avion fasse
demi-tour, et par les trous constatés (par Bo Virving) dans le radar en dôme,
l’huisserie, les sièges et l’astrodôme. En ce qui concerne la présence de ce qui pourrait
être des impacts de balles dans le radar en dôme et l’huisserie, elle affirme que les
déclarations faites par le capitaine Els devant le Comité d’enquête rhodésien n’ont
pas écarté la possibilité que ces parties aient été endommagées par un projectile tiré
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alors que l’avion était quasiment hors de portée ; cela demanderait toutefois
vérification par un expert militaire en balistique.
343. L’hypothèse d’une attaque terrestre a été envisagée par les premières enquêtes,
en partie parce qu’il avait déjà été établi que des avions de l’ONUC avaient été
touchés par des tirs au sol en 1961 ; d’ailleurs, le DC-6 de Dag Hammarskjöld a dû
être réparé à Léopoldville avant son dernier vol, précisément pour cette raison. Le
mémoire reçu en juin et juillet 2019 expose la théorie de son auteur, mais je n ’ai eu
ni le temps ni les ressources nécessaires pour l’analyser en profondeur. Je note qu’il
serait peut-être bon de l’examiner plus avant.
344. En juin 2019, tandis que j’écrivais le présent rapport, j’ai reçu un dernier
document, dans lequel Anna Roosevelt donnait des informations concernant ses
recherches sur les individus impliqués dans l’assassinat de dirigeants africains au
Congo et alentour à l’époque des faits. L’idée maîtresse était que des officiers belges
menaient à bien un programme visant à assassiner des dirigeants africains et à
démanteler leurs mouvements politiques dans le but de maintenir le contrôle de la
Belgique sur au moins une partie du Congo. Elle affirmait qu’ils étaient contre l’ONU
et qu’ils avaient assassiné Dag Hammarskjöld car ils cherchaient à préserver la
sécession minière du Katanga et son contrôle militaire et admi nistratif ailleurs au
Congo face à l’opposition militaire de l’ONUC.
345. Roosevelt fournit de nombreuses recherches référencées sur ce qu ’elle qualifie
de liens étroits unissant la Belgique à la sécession du Katanga et à la formation et au
soutien de ses structures militaires. Elle mentionne des Belges comme Vandewalle,
Brassine, Clemens, Huyghe, Crèvecœur, Weber et Van Risseghem, qui, affirme-t-elle,
agissaient sous l’autorité du Gouvernement belge et non en tant que mercenaires. Elle
affirme que de nombreux meurtres (individuels et collectifs) étaient liés sur le plan
institutionnel et avaient pour objectif central de maintenir le contrôle de la Belgique.
Certaines des informations fournies concernent la responsabilité alléguée de la
Belgique concernant des actes et des campagnes au Congo (par exemple contre les
Luba) qui ne sont pas liés directement à la présente enquête, même si des acteurs et
des équipements similaires pourraient avoir été impliqués.
346. Roosevelt affirme qu’il est possible que Huyghe ait joué un rôle dans la mort de
Dag Hammarskjöld, étant donné que, selon Puren, il se trouvait à Ndola la nuit du 17
au 18 septembre 1961, avec un autre officier belge de haut rang et plusieurs membres
de l’escadron de combat aérien sécessionniste qu’il supervisait. Huyghe ayant
travaillé en étroite collaboration avec les services de sécurité militaire et les
diplomates des colonies britanniques de suprématie blanche, de l ’Afrique du Sud et
de la Rhodésie du Nord, ses aviateurs étaient autorisés à accéder à l ’aéroport de
Ndola, y compris à sa tour, le jour où l’avion de Hammarskjöld s’est écrasé. Elle
ajoute que, compte tenu de l’importance, pour la sécession, d’éliminer Dag
Hammarskjöld, il est probable que Vandewalle faisait partie des officiers de haut rang
dont le nom n’a pas été communiqué qui se trouvaient à Ndola ce jour-là. Je constate
que l’on n’a pas vérifié, de manière indépendante, si Huyghe se trouvait à Ndola ce
jour-là, ni s’il se trouvait ailleurs, et qu’aucun élément de preuve ne vient étayer une
hypothèse ou l’autre.
347. Roosevelt affirme que les dossiers pertinents de l’ONU sont sous contrôle et
n’ont pas été déclassifiés. Comme je l’ai fait observer plus haut, j’ai eu accès sans
restriction à tous les dossiers de l’ONU et son personnel impartial et professionnel
m’a aidé dans mes recherches. Quant à la déclassification des archives de l ’ONUC, il
en est aussi question dans le présent rapport. Comme je l’ai également noté, j’ai
bénéficié de la coopération solide des responsables indépendants de la Be lgique, qui
semblent avoir eu un large accès aux archives des services de sécurité, de
renseignement et de défense. Roosevelt soutient que les actes des membres du
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V. Constatations et conclusions
348. Dans sa résolution 72/252, l’Assemblée générale m’a chargé, si possible, de tirer
des conclusions des enquêtes déjà menées. On peut tirer certaines conclusions, mais
rien ne permet en soi d’établir avec certitude la cause ou les causes de la tragédie. De
plus, certains États Membres n’ont semble-t-il pas divulgué certaines informations
pertinentes et importantes, et doivent encore se conformer pleinem ent aux
prescriptions de l’Assemblée générale. Le présent rapport, y compris ses conclusions,
n’est qu’un maillon dans la chaîne des recherches visant à faire toute la lumière sur
les faits. Étant donné, comme je viens de le dire, qu’il existe probablement des
éléments pertinents qui n’ont pas encore été divulgués, il est possible qu’il faille
modifier les conclusions du présent rapport à l’avenir en fonction de ce que ces autres
éléments pourront révéler.
349. Dans mon rapport de 2017, j’ai expliqué les raisons pour lesquelles on pouvait
dire que les premières enquêtes n’avaient pas permis de faire une évaluation juste et
raisonnable de tous les éléments de preuve. Sans les reprendre dans leur intégralité,
ces raisons concernaient notamment le fait que l’on s’était fondé trop largement sur
certains aspects de l’enquête rhodésienne initiale, que peu de crédibilité avait été
accordée aux déclarations des témoins « africains », que l’on cherchait visiblement à
conclure à une « erreur de pilotage » et que des tentatives avaient été faites
d’influencer la Commission de 1961. Les premières enquêtes n’ont donc pas
suffisamment envisagé la possibilité qu’au moins un autre avion ait été vu alors que
le SE-BDY approchait de Ndola, ni que l’aéronef ait été en flammes avant de toucher
le sol ou qu’il ait fait l’objet d’une attaque ou d’une pression extérieure. Dans le corps
du présent rapport, il a été fait référence chaque fois que nécessaire à la manière dont
les lacunes des premières enquêtes avaient pu avoir des effets sur l’analyse faite de
certaines informations ou à la nécessité de réexaminer ces informations.
350. Pendant la période d’environ deux ans qui s’est écoulée depuis le rapport de
2017, les éléments nouveaux qui ont fait surface ont concerné essentiellement trois
domaines en lien avec la tragédie, à savoir : a) l’existence d’une attaque aérienne ou
terrestre ou d’une autre menace extérieure ; b) l’éventualité d’actes de sabotage ;
c) les actes des autorités locales et étrangères (en 2017, des informations ont
également été reçues sur les « facteurs humains », mais aucune information
importante sur le sujet n’a été examinée dans le cadre du présent mandat). Les
observations finales y relatives sont examinées dans les catégories décrites
ci-dessous.
A. Cause(s) de l’accident
351. Il est plus commode d’évaluer les causes de l’accident en les classant dans deux
grandes catégories : celles qui comportent une forme d’influence (« influence
extérieure » renvoie à une attaque aérienne ou terrestre ou à une menace extérieure et
« influence intérieure » renvoie au sabotage) et les autres.
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l’avion s’approchait de Ndola, et peut-être une explosion soudaine. Ces preuves ont
été complétées en 2018/19 par des informations en provenance du Zimbabwe qui ont
établi que les autorités de Rhodésie du Nord avaient tenté d’étouffer ces déclarations
de Julien et d’empêcher qu’elles soient rendues publiques.
358. Dans au moins deux rapports sur le terrain établis le 18 septembre 1961,
l’ambassadeur des États-Unis, Gullion, avait dit que l’avion avait « peut-être été
abattu » et que plusieurs personnes avaient signalé une « lumière vive dans le ciel ».
Ces renseignements avaient été transmis immédiatement à la Maison Blanche, au
Secrétaire d’État à la défense, à l’armée, la marine, l’armée de l’air et la CIA.
359. Comme il a été dit dans le rapport de 2017, de nombreuses déclarations de
témoins oculaires tendent à établir qu’il y avait au moins un autre avion en vol au
moment où le SE-BDY faisait ses manœuvres d’approche vers Ndola, que l’autre
appareil présent était un avion à réaction, que le SE-BDY était en flammes avant de
s’écraser au sol et qu’il pouvait avoir essuyé des tirs ou avoir été pris en chasse par
un ou plusieurs autres aéronefs. Les informations issues des archives des services de
renseignement, de sécurité et de défense des États Membres en 2018/19 ne
contredisent pas ces déclarations, mais elles n’étayent pas l’hypothèse de manière
concluante. Toutefois, comme on l’a vu plus haut et comme on le reverra plus loin,
tous les États Membres n’ont pas encore examiné l’ensemble des informations de
manière approfondie.
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pouvaient être utilisés pour une attaque. Les descriptions faites par les témoins et les
documents analysés ont montré que des atterrissages avaient bel et bien eu lieu de
nuit, à l’aide de balisage au sable et au kérosène, qu’à l’époque, la plupart des vols
de l’ONU au Congo se faisaient de nuit, et que des attaques air-air avaient eu lieu. Ils
ont montré également que de multiples avions, y compris ceux à capacité offensive
tels que le Fouga Magister, le De Havilland Dove et le Dornier DO-27 ou DO-28
notamment, étaient disponibles au Katanga et que l’Avikat s’en servait pour mener
des attaques en septembre 1961.
369. En 2018/19, de nouvelles informations importantes à cet égard ont été
communiquées, qui renforcent encore les conclusions tirées en 2017, à une réserve
près : l’ensemble des éléments de preuve donne à penser qu’un seul Fouga Magister
de l’Avikat était encore opérationnel en septembre 1961. Les nouvelles informations
confirment la présence de certains mercenaires au Katanga, y compris de mercenaires
français qui auraient pu se trouver là avec l’autorisation tacite ou expresse du
Gouvernement français. Les renseignements fournis par plusieurs responsables
indépendants et d’autres personnes confirment également que l’Avikat se servait de
Dornier DO-28 et Dove armés en septembre 1961 et utilisait plusieurs terrains
d’aviation et aéroports internationaux au Katanga, en République du Congo, en
Angola et en Rhodésie du Nord.
370. Rosez a déclaré que l’UMHK fabriquait, dans ses usines, des armes destinées à
l’Avikat, ce qui constitue la preuve d’une allégation formulée antérieurement.
371. En ce qui concerne Van Risseghem, des extraits de ses carnets de vol (qui
doivent encore être analysés plus avant) montrent qu’entre juin et septembre 1961, il
a piloté divers avions pour l’Avikat (Dove, Piper, DC-3, Fouga Magister et Dornier
DO-28) avec divers copilotes et à partir de différents endroits au Katanga, en
République du Congo et en Rhodésie du Nord. Coppens a affirmé que Van Risseghem
avait reconnu avoir abattu le SE-BDY ; il a nié cela devant d’autres et déclaré qu’il
ne voulait pas avoir de problèmes par rapport à ce qu’il avait fait au Congo. Il ressort
de l’analyse d’informations contradictoires, y compris celles provenant des archives
des services de sécurité et de renseignement des États Membres, qu ’on ne peut pas
encore établir avec certitude où se trouvait Van Risseghem dans la nuit du 17 au
18 septembre 1961. Toutefois, sa présence à Brazzaville quelques jours après
l’accident du SE-BDY, en même temps que plusieurs personnes suspectes, dont des
agents de la CIA, doit également faire l’objet d’une enquête plus approfondie. Compte
tenu de ses antécédents, de ses relations familiales et de ses états de service dans les
forces armées britanniques, ainsi que des informations selon lesquelles les États -Unis
pensent qu’il a pu attaquer le SE-BDY, des recherches supplémentaires à cet égard
restent nécessaires.
372. En ce qui concerne l’hypothèse Beukels, de Kemoularia a communiqué en 2018
de nouvelles informations sur sa rencontre avec Bob Denard en 1993, qui confirment
certains aspects de l’hypothèse même s’il n’était alors plus question de « Beukels »
lui-même. De plus, il ressort de l’analyse faite par l’équipe de tournage du film Cold
Case Hammarskjöld que Beukels (ou Beuckels) n’était pas un pilote de l’Avikat.
373. Les renseignements issus des archives des services de renseignement, de
sécurité et de défense des États Membres analysés en 2019 ont montré ég alement que
les forces de Rhodésie du Nord étaient rassemblées et prêtes au combat le long de la
frontière avec le Katanga et, à un moment donné, au Katanga. À cet égard, je note
une fois encore que pas plus qu’en 1961, il n’a été possible d’écarter de manière
concluante la possibilité qu’un ou plusieurs autres avions non katangais se soient
trouvés dans les airs cette nuit-là, par exemple un (ou plusieurs) des 18 chasseurs
bombardiers Canberra, des 30 chasseurs bombardiers Vampire ou des 12 Provost
légers de combat de l’armée de l’air royale rhodésienne.
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374. Comme il a été dit plus haut, bien que prise isolément, l’information selon
laquelle un Fouga, un De Havilland, un Dornier ou un autre aéronef pourrait avoir
attaqué le SE-BDY puisse être jugée peu concluante, il convient de l’examiner au
regard d’autres éléments de preuve, y compris les témoignages. En outre, même si sa
préparation présentait des difficultés opérationnelles, l ’attaque ne devait pas
nécessairement être directe pour réussir. Il est possible qu’un deuxième avion ait
perturbé le vol SE-BDY et que cela ait suffi à causer l’accident. Je répète toutefois
qu’il faut rester prudent concernant toute analyse d ’une attaque extérieure. Les
informations données ci-dessus montrent qu’il est possible que le SE-BDY ait été
attaqué ou menacé par un autre avion, ou qu’il ait été la cible d’une attaque terrestre ;
on ne peut donc écarter cette hypothèse. Toutefois, à ce stade, ces informations ne
précisent pas les détails d’une telle attaque. Comme nous le verrons plus loin, c’est
la raison pour laquelle il reste essentiel d’établir un compte rendu complet de toutes
les informations qui pourraient être disponibles.
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notamment intervenir la CIA). Malheureusement, c’est une hypothèse que je n’ai pas
été en mesure d’infirmer ou d’étayer plus avant en 2018/19.
3. Il demeure possible que l’accident ait été causé par une erreur de pilotage,
sans interférence extérieure
379. Comme il a été dit dans le rapport de 2017, il est possible que l’accident ait été
causé par une simple erreur de pilotage. De tels accidents se produisent même lorsque
l’équipage est expérimenté et dans des conditions de vol normales.
380. Les allégations formulées selon lesquelles il était possible qu’il y ait eu une
défaillance mécanique ou une autre panne, notamment de l ’altimètre, que le contrôle
de la circulation aérienne ait communiqué un calage altimétrique erroné aux pilotes
ou que de mauvaises cartes d’atterrissage aient été utilisées ont été dûment écartées
entre 2013 et 2017. En conséquence, si l’accident s’est produit sans interférence
extérieure, il est presque certain qu’il a été causé par une pure erreur de pilotage, par
exemple une lecture erronée de l’altimètre combinée à une erreur d’appréciation
visuelle.
381. Bien que l’hypothèse d’une erreur de pilotage semble être trop simple, on ne
saurait conclure qu’il n’y a pas eu d’interférence alors qu’il est clair que tous les
éléments de preuve pertinents n’ont pas été communiqués. Il ne serait ni judicieux ni
responsable de tirer une conclusion définitive alors que l’on sait que tous les éléments
de preuve matériels potentiels n’ont pas été examinés. En effet, de nombreux éléments
de preuve qui n’ont pas encore été établis de manière incontestable, y compris de
nombreux témoignages de première main, réfutent la thèse d ’une erreur de pilotage.
Il ne sera évidemment pas possible d’examiner la totalité des éléments de preuve
ayant existé à un moment donné, notamment car environ 80 % de l’avion a brûlé dans
l’accident. Toutefois, on a encore besoin d’informations probablement détenues par
les États Membres concernant par exemple la question de savoir si les transmissions
vocales interceptées existent réellement et si elles sont authentiques, ou si une agence
de sécurité ou de renseignement a enregistré la présence d ’un deuxième aéronef, pour
les confronter aux allégations des témoins oculaires. Si tous les éléments de preuve
disponibles avaient été examinés et qu’aucune autre hypothèse ne pouvait être étayée,
il pourrait être légitime de supposer, à toutes fins utiles, que l ’erreur de pilotage est
la seule explication possible. Toutefois, nous n’en sommes pas encore au point où il
serait raisonnable de tirer une telle conclusion.
B. Questions diverses
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capacité des forces armées d’organiser une éventuelle attaque contre l’avion
transportant le Secrétaire général, la présence dans la région de personnel
paramilitaire et de personnel du renseignement, et la situation en 1961 et les
événements connexes.
384. Il convient en particulier de saluer les États Membres ayant nommé des
responsables dont on peut dire qu’ils sont véritablement indépendants et de haut rang
et qui ont bénéficié des autorisations et de la coopération nécessaires pour rendre
compte de leurs recherches de manière méthodique et exhaustive, y compris des
recherches effectuées dans les documents classifiés. Je remercie tous les États
Membres, et en particulier la Belgique, la France, la Suède et le Zimbabwe, pour le
travail considérable et approfondi accompli par leurs responsables indépendants. Ces
États Membres ont examiné et communiqué des informations dont la divulgation a pu
être considérée comme contraire à leurs intérêts, en particulier compte tenu du
contexte historique qui prévalait alors (c’était notamment l’époque de la
décolonisation). Je remercie également tout particulièrement les responsables
indépendants de l’Allemagne, du Canada, du Portugal et de la Zambie. Bien que leurs
recherches aient porté sur un volume globalement moins important de pièces
potentielles, ces États Membres ont, comme les autres, fait ce qui leur était demandé
et communiqué des informations importantes à l’issue des recherches ciblées menées
par leurs fonctionnaires indépendants et de haut rang.
385. Des progrès encourageants ont été accomplis, mais on ne peut pas dire que les
recherches aient été exhaustives dans tous les États Membres. Certains États n ’ont
pas répondu véritablement aux demandes de renseignement ou semblent avoir pensé
que leurs archives de renseignement, de sécurité et de défense ne pouvaient pas
détenir d’informations « pertinentes », car ce ne sont pas, en général, des archives
dont la législation autorise la consultation ou la divulgation. Comme je l’ai dit, la
question de savoir quelle information peut être jugée « pertinente » doit s’entendre
dans un sens large et non exclusif, plutôt que dans un sens technique ou juridique.
Une information n’est donc pas considérée comme non « pertinente » parce que, par
exemple, une législation existante n’exigerait pas ou ne permettrait pas de la
divulguer.
386. En ce qui concerne les États Membres avec lesquels je pense qu’il faudrait
continuer de collaborer, je constate que l’Afrique du Sud a nommé un responsable
indépendant en mai 2019, soit environ 15 mois après ma demande initiale et après la
date limite fixée pour les rapports des autres responsables indépendants. C ’est une
mesure positive dont je me réjouis. Toutefois, aucune information n’a été reçue, alors
que depuis le début on pense que l’Afrique du Sud détient très probablement des
informations pertinentes.
387. Le Royaume-Uni a également procédé à une nomination en mai 2019, soit
environ 15 mois après ma demande initiale et après la date limite fixée pour les
rapports des autres responsables indépendants. C’est une autre mesure positive dont
je me réjouis. Dans une lettre reçue en juin 2019, le responsable indépendant du
Royaume-Uni a confirmé qu’il était absolument persuadé que tous les documents
détenus par le Gouvernement britannique qui contenaient des informations
pertinentes pour l’enquête avaient été pleinement recensés et soumis en réponse à des
demandes antérieures. Je ne pense pas qu’on puisse raisonnablement s’attendre à ce
qu’un mois suffise pour procéder à un examen complet de la nature et de la portée
demandées, et il est reconnu que l’examen interne a été effectué dans toute la mesure
possible et dans le délai imparti. Je pense que la demande détaillée et les q uestions
transmises dans le cadre de l’enquête au responsable indépendant et celles qui sont
décrites dans mon rapport pourraient se prêter à un examen futur. Bien que la
probabilité très élevée que le Royaume-Uni détienne des informations pertinentes ait
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été établie et bien que j’aie indiqué les endroits précis où on pouvait trouver de telles
informations, aucun nouveau document et aucune nouvelle information n ’ont été
reçus, et mes demandes ciblées n’ont pas reçu de réponse. Toutefois, en 2019, le
Royaume-Uni semble disposé à collaborer davantage, ce dont je me félicite.
388. En ce qui concerne les États-Unis, je me réjouis qu’une nomination ait eu lieu
en 2018. En avril 2019, on m’a informé que des recherches exhaustives avaient été
effectuées dans un certain nombre d’organismes publics, dont le Ministère de la
Défense, la CIA et l’Office national de sécurité, au cours des années précédentes ;
d’autres recherches étaient en cours et leur portée avait même été élargie pour
concerner d’autres services de renseignement des États-Unis. Même si la coopération
est continue, il convient également de noter qu’en ce qui concerne un certain nombre
de questions et de demandes précises, aucune information ou clarification
supplémentaire n’a été reçue. La probabilité très élevée que les États-Unis détiennent
des informations pertinentes a été établie et des endroits précis où de telles
informations pourraient se trouver ont été mentionnés dans la correspondance, mais
aucune information autre que le rapport mentionné p lus haut n’a été reçue. Il est
encourageant de constater qu’en 2019, la portée des recherches a été élargie à d’autres
services de renseignement américains ; cet effort mérite d’être salué.
389. En 2019, le Royaume-Uni et les États-Unis ont répété que les recherches menées
les années précédentes avaient déjà été exhaustives. Toutefois, quelques exemples
concrets déjà mentionnés montrent que cela n’est peut-être pas tout à fait vrai. Le
Royaume-Uni par exemple a affirmé ne détenir aucune information concernant
l’agent du MI6 Ritchie ; quant aux États-Unis, ils ont dit qu’ils ne disposaient
d’aucune information établissant qu’ils avaient fourni des jets Fouga Magister au
Katanga en 1961 ou qu’un ou plusieurs avions américains équipés de matériel de
transmissions se trouvaient à Ndola le 17 septembre 1961 ni d’aucun livret de service
d’Abram. Lorsqu’on a remis aux États Membres des documents indiquant que ces
informations avaient été vérifiées de manière indépendante, en 2017, ils ont fait des
recherches plus approfondies à l’issue desquelles ils ont reconnu l’existence
d’éléments pertinents. Ces exemples montrent, comme on s’en est déjà rendu compte,
que lorsque les recherches sont faites de manière ciblée avec des connaissances, un
accès et des ressources suffisantes, il est possible de découvrir des informations
importantes. C’est la raison pour laquelle j’exhorte à nouveau les États à poursuivre
leurs recherches et à les approfondir.
390. En ce qui concerne la Fédération de Russie, j’ai été heureux d’apprendre qu’elle
avait mené des recherches dans les archives des services de renseignement, de
sécurité et de défense ; toutefois, aucun responsable indépendant n’a été nommé et
aucune précision sur les recherches n’a été donnée. Je ne dispose d’aucune
information précise indiquant que l’ex-URSS savait ce qui se passait, mais comme
c’était un acteur important dans la région à l’époque, je pense que par souci
d’exhaustivité et d’uniformité, il serait bon de demander à la Fédération de Russie de
mener un examen complet et approfondi, dans les conditions prévues.
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398. Dans mon rapport de 2017, j’ai jugé plausible l’hypothèse selon laquelle
l’accident aurait été causé par une attaque ou une menace d ’origine extérieure et j’ai
dit que la charge de la preuve incombait désormais aux États Membres, qu i devaient
montrer qu’ils avaient procédé à un examen complet des dossiers et archives en leur
possession ou sous leur garde. Compte tenu de l’analyse qui précède, les activités
menées en 2018/19 ne donnent pas de motif de remettre en question une conclusi on
plutôt qu’une autre, les États ne s’étant pas encore pleinement acquittés de la charge
de la preuve qui leur incombe. J’estime que cette charge doit continuer de leur
incomber jusqu’à ce que l’Assemblée générale soit convaincue qu’ils s’en sont
suffisamment acquittée en communiquant des informations pertinentes relatives à la
cause ou aux causes probables de la tragédie.
399. Le présent mandat fait suite à l’important travail entrepris sous les auspices de
l’ONU en 2015 et 2017, qui s’est appuyé sur le travail monumental accompli
auparavant par d’autres. L’Assemblée générale a décidé de continuer de chercher à
établir la vérité sur la tragédie, comme elle l’a dit dans ses résolutions successives.
Ces dernières années, de nouveaux témoins ont été entendus, des dizaines de milliers
de pages de documents originaux ont été examinées, des examens médico -légaux ont
été effectués, des experts ont été consultés et des États Membres ont apporté leur
coopération. Plutôt que de chercher à établir telle ou telle hypothèse, nous nous
sommes employés à réfuter les théories du complot et à rejeter les affirmations non
fondées et nous nous sommes concentrés sur ce qui avait vraiment pu se passer.
400. Des théories du complot et des allégations de dissimulation pèsent sur cette
affaire depuis le début. De nombreux États Membres clefs avaient examiné les
informations provenant des sphères diplomatique et politique, mais à quelques
exceptions près, avant 2017, quasiment aucun n’avait fourni d’informations émanant
d’organismes de renseignement, de sécurité et de défense, bien que les informations
les plus pertinentes se trouvent probablement dans les archives de ces organismes.
Dans la résolution 72/252, il a été demandé aux États Membres d’examiner leurs
archives précisément à la recherche de ce type d’informations, et un mécanisme a été
créé pour leur permettre de le faire sans être tenus de divulguer les résultats de leurs
recherches. Ce mécanisme leur permettait également de conclure des accords de
confidentialité, s’ils le jugeaient approprié, afin de respecter leurs obligations
juridiques nationales. Plusieurs États Membres ont ainsi pris des dispositions
ponctuelles en ce sens, comme la Suède, dont le Gouvernement a décidé d’accorder
au responsable indépendant un accès sans entrave aux documents classifiés, ou la
Zambie et le Zimbabwe, dont les cabinets présidentiels respectifs ont fait la même
chose.
401. Comme je l’ai dit, l’approche préconisée par l’Assemblée générale s’est révélée
fructueuse dans l’ensemble et une majorité d’États Membres ont entrepris des
démarches qui, à bien des égards, sont sans précédent. Il fallait s ’attendre à une telle
approche étant donné que les circonstances dans lesquelles s’est produit l’accident
d’avion qui a coûté la vie au Secrétaire général Dag Hammarskjöld et aux personnes
qui l’accompagnaient étaient uniques et que le contexte mondial a changé depuis. Il
convient donc de noter que l’approche actuelle ne vise pas à créer un précédent, mais
à trouver un équilibre satisfaisant entre préserver les intérêts légitimes des États
Membres en matière de sécurité et faciliter la divulgation d ’informations remontant à
près de 60 ans et relatives à des événements et un monde depuis longtemps rév olus.
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402. Bien que la nette majorité des membres de l’Assemblée générale ait exprimé le
souhait de faire la lumière sur les faits, les pays qui détiennent le plus probablement
des informations importantes ne les ont pas divulguées. S ’il existe des informations
susceptibles de nous en apprendre davantage sur les causes de l ’accident, il est
probable qu’elles se trouvent encore dans les archives des services de renseignement,
de sécurité et de défense d’un petit nombre d’États Membres. Ces États doivent
encore confirmer précisément l’existence de tout élément pertinent ou, dans le cas où
ils n’auraient aucun élément de ce type, répondre de manière exhaustive aux
demandes qui leur sont faites et préciser explicitement et sans équivoque la nature et
les résultats de leurs recherches.
403. Il y a lieu de noter à nouveau que de nombreux États Membres ont déjà mené
différentes formes d’enquêtes internes concernant leurs activités en Afrique centrale
pendant les décennies qui ont suivi la fin de la Deuxième Guerre mondiale. L es
résultats de nombre de ces enquêtes ont été rendus publics il y a longtemps et
mentionnent des questions qui étaient autrefois très sensibles, comme la participation
d’étrangers à la planification et à la perpétration d ’assassinats de dirigeants d’autres
pays. La présente enquête n’innove donc pas en abordant des sujets qui peuvent être
sensibles.
404. Si l’on pouvait affirmer à ce stade que toutes les informations éventuelles ont
été recensées et examinées, on pourrait conclure à l’hypothèse la plus probable de
manière impartiale et objective. Toutefois, les informations qui ont été révélées – tant
grâce aux efforts de certaines personnes privées que grâce à la coopération d ’États
Membres – montrent où davantage d’informations doivent se trouver. En outre,
comme il est expliqué en détail dans le présent rapport, des États Membres ont changé
de position concernant certains points au sujet desquels ils avaient déclaré
précédemment ne rien savoir. Le fait que certains États Membres aient été réticents à
communiquer des informations supplémentaires est important en l ’espèce, mais nous
n’en sommes pas encore au point de pouvoir qualifier la non-coopération de
dissimulation volontaire.
B. Recommandations
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