School Work, mercenaries et katanga">
Histoires de Mercenaires 1960 - 1967
Histoires de Mercenaires 1960 - 1967
Histoires de Mercenaires 1960 - 1967
LE CRAPOUILLOT
LE Jean Galtier- Boissière (t 1966) - Jean- Français Devay (t 1971}
Directeur de la publication :
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Nicole Dupaty
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Avant-propos
ercenaires? Volontaires? La distinction n'est pas évidente. Quand on
Jean Bourdier
Introduction : le troisième plus vieux
métier du monde .................... ..... ................... Page 7
Première partie :
L'ex-Congo belge ou le théatre principal
des opérations ............................... .......... ..... Page 11
Deuxième partie :
Les autres fronts ...... ... .................. ... .. .. .. .... ... Page 42
Xavier Cheneseau
Congo 1960 : acte fondateur
du mercenariat moderne
Page 11
Paul Ribeaud
Les mercenaires
Page 14
Jean Mabire
Comment j'ai été le "nègre"
de Schramme
Page 23
,,
Michel Roland
Xavier Cheneseau Un mercenaire
Rencontre avec se souvient (interview de .---..-.:"I
un soldat perdu ................. Page 71 Seren-Rosso)
Page 39
Bibliographie .............. ..... Page 75
Roland Gaucher
Non conforme ....... ............. Page 76
Alain Sanders Alain Sanders
LES LETTRES Dans les maquis Mourir à Bukavu
anti-communistes ex-Congo belge
Celina Courtinat au Nicaragua un seul Page 32
Saint Fredo ...... .................. Page 78 volontaire Français
Page 51
Roland Gaucher
Putain de guerre ............. ... Page 79
Jean Mabire
Lettre ouverte à des amis A.D.G.
algériens devenus Mais où est donc passée
la 7 ème compagnie
tortionnaires ............. .. ........ Page 80
Page 47
Jean Bourdier
OEdip en Médoc .... ....... ..... Page 81
Alain Sanders
Croatie. Les volontaires
étrangers ont répondu :
"présent! " Paul Ribaud
Page 59 Jean Kay, le mercenaire-
aventurier-écrivain
Page 68
Gregory Canavan
Les Croisés de Birmanie
Page 53
François-Xavier Rocchi
Douze ans de règne
aux commores
Page 30 1 « -- _t
.
• 'I
'.
Roland Gaucher
Bob Denard ou le corsaire de
la République (interview)
Page 28
Roger Holeindre
Patrick Ollivier (témoignage)
Page 42
•
# •
Jean-Christophe Buisson
Patrick Ollivier évoque les
mercenaires et leur image (interview)
Bernard Lugan Page 42
L'Afrique duSud , hier et demain
Page 65
6 LE CRAPOL ILLOT
Baptisés ou pas, peu me chaut, bien que catholique / Ces paras, peut-être contre leur gré,
étaient au service de l'impérialisme soviétique qui s'efforçait d 'asservir un peuple
musulman, comme il l'avait déjà fait pour les peuples chrétiens de Lituanie, d 'Estonie,
d 'Ukraine, de Pologne, etc. Pour ma part, j 'ai du respect pour le combat de ces islamistes,
qui se sont portés volontaires au service d 'un peuple libre, soumis à la chiennerie
bolchevique et qui poursuivent, aujourd'hui, leur combat ailleurs, au risque d 'être
soumis à la torture des chiens d'Alger.
Les pages et les images qui suivent retracent des combats qui ont com1111tWlcé au Congo
belge et qui se poursuivent aujourd'hui en Croatie. Trente années d 'affrontements sans
merci/ Trente années d 'affrontements planétaires. Animés par des hommes dont on peut
penser ce que l'on veut, sauf qu 'ils sont insignifiants.
Colonel Denard, colonel Schramme, colonel Trinquier, capitaine Souètre, Rolf Steiner, et
vous aussi les petits, les sans grade du mercenariat comme Seren-Rosso , vous qui vous
êtes battus sur tous les fronts, et toi, mon camarade, que j'ai rencontré en Thaïlande, et
qui est mort pour les Karens anticommunistes ; votre " affreuse " épopée aurait dû
donner matière à une bonne douzaine de films, américains, anglais, français, italiens,
allemands ... je suis sans doute amnésique, mais je n 'en ai aucun en mémoire. Il me
semble, de même, que vos aventures, quelque peu marquantes, auraient dû susciter un
certain nombre de reportages ou d 'interviews sur les chaînes de télévision. Là encore,
j 'ai sûrement été très distrait. Messieurs-dames de TF1 , de France 2, de France 3, de
Canal Plus, dArte, soyez généreux, venez au secours de mes trous de mémoire.
En contraste avec ces carences, j 'ai eu, ces derniers jours, deux clowns à me mettre sous
la dent: Guy Bedos dans Arturo Ui à TF1 , et, à !'Heure de Vérité, le nouveau Zavatta
de la Charité, l'abbé Froc, l'abbé Fric, l'abbé Phoque, l'abbé Barbudo, l'abbé Pierre-Ta-
Gueule /
Roland GAUCHER
Le troisième
plus vieux métier
du monde
euls des naïfs d'âge un peu tendre - mais il en existe
,~~"'
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:~<~ i;S.~.
LE CRAPOULLOT 9
L'EX-CONGO BELGE OU
LE THEATRE PRINCIPAL -
DES OPERATIONS - Le général Bobozo, commandant
I' ANC (Armée nationale
congolaise). Avant la révolte, les
mercenaires sont déjà là.
L'aventure mercenaire
peut commencer The right spelling is Tshombe
Les divers groupes de pression économique influents en Tschombé pense au colonel Trinquier pour diriger sa troupe.
Europe et ailleurs ne peuvent laisser la situation tourner au Un ancien haut fonctionnaire belge nommé Thyssens (devenu
chaos . Plusieurs Etats mobilisent leurs " services " • afin de se depuis l'un des proches de Tschombé) est chargé de prendre
rendre maître de cet Eldorado à la dérive. Le lieutenant Masy, contact avec Trinquier . Le passé du colonel français joue en sa
ancien héros de la Résistance belge, décide de se lancer dans faveur : ancien d'Indochine, c'est lui qui a organisé les maquis
les combats très durs qui se déroulent autour d'Elisabethville ... anticommun istes durant la guerre d'Indochine, puis, en Algérie,
Le premier mercenaire à combattre au Congo est un Français, il a su lutter efficacement contre la guérilla urbaine du FLN .
il se fait appeler Roger de Saint-Preux, sa véritable identité Le 25 janvier 1961 , le colonel Trinquier rencontre Tschombé
est Antoine de Saint-Paul. Roger de Saint-Preux est arrivé au à Elisabethville. Tschombé propose à Trinquier les postes de
Congo à ses frais , peu de jours après l'indépendance. D'autres ministre de l'intérieur et ministre de la propagande ainsi que le
Français sont aussi présents dans le pays. Les plus connus commandement de l'armée. Trinquier est avant tout un officier
sont le capitaine Lasimone et le commandant Gilles qui enca- de l'armée française , il ne se sent pas l'âme d'un mercenaire ...
drent les Balubas dans le Sud -Kasaï. L'officier français réserve sa réponse et décide d'en rendre
Le gros des troupes de ce que l'on appellera les Affreux compte à son gouvernement. A Paris , Pierre Messmer est
arrive à partir de 1961 . Ceux-ci sont en majorité des Français, enthousiasmé par la " mission ,, Trinquier , il voit là une oppor-
officiers, sous-officiers et hommes du rang qui , écœurés de la tunité pour affaiblir les partisans de l'Algérie française, en
politique de de Gaulle en Algérie, viennent ici trouver une autre envoyant plusieurs militaires partisans de l'OAS . Mais l'assassi-
guerre ... nat du communiste Lumumba fait " capoter ,, le projet . Cet
assassinat, attribué à Tschombé , conduit Pierre Messmer à
s'aligner sur l'opinion de Couve de Murville , pour lequel la
LE RECOURS mission Trinquier serait une ingérence flagrante .
AU COLONEL TRINQUIER
Sur les conseils de son conseiller militaire , le journaliste
ROGER FAULQUES ET SES HOMMES
Jacques Duchemin , Tschombé fait appel aux Français. Pour ENTRENT EN SCENE
Tschombé , ce choix a deux avantages : d'abord, il rompt avec
les ex-colonisateurs belges, ensuite, avec les Français, il dispo- Le 26 février 1962, l'avion qui conduit Trinquier au Katanga
se de soldats aguerris par quinze années de guerres coloniales. fait escale à Salisbury (Rhodésie). Trinquier se voit opposer le
veto des Belges et Thyssens autorise seulement deux anciens
du 11 e choc , trois officiers, et le commandant Faulques à
débarquer au Katanga . Etant le plus élevé en grade, c'est tout
naturellement que Roger Faulques (officier du 1er REP) prend
le commandement des mercenaires français , en remplacement
de Trinquier. Pour Bob Denard, Faulques a " un regard miné-
ral et inflexible ..... " Il est aussi impressionnant en civil qu 'en
uniforme ,, ... D'ailleurs, lorsqu 'il fut blessé en Indochine, Giap
n'a-t-il pas dit, en le rendant à ses hommes : " Un combattant
d'un tel courage mérite d'expirer parmi les siens . ,, Faulques
est de ces hommes qui inspirent le respect ... même à ses
adversaires.
Faulques prend rapidement en main l'entraînement des
troupes katangaises , mais , déjà , il doit livrer bataille aux
Balubas. En août 1961 , apparaît un autre adversaire : ce sont
les troupes de l'ONU , qui comprennent des Irlandais , des
Egyptiens, des Gurkhas et des Suédois.
Les Egyptiens et les Gurkhas se révèlent être des combat-
tants aussi odieux que les Balubas : ils pillent, violent et achè-
vent les prisonniers à coups de machette ... Ils infligeront aux
troupes de Faulques de cuisants revers . Les combats se pour-
suivront jusqu 'au 28 décembre 1962, date à laquelle une offen-
sive de grande envergure est lancée contre les Katangais. Cet
ultime combat conduira les mercenaires à se replier avec
armes et bagages en Angola.
Le mercenariat moderne est né, et les Affreux n'ont pas fini
de faire parler d'eux ...
Xavier CHENESEAU
.~
Stanleyville
~~~
CONGO~
\
ANGOLA
ZAMBIE
14 LE CRAPOUILLOT
LES Récit de
Paul Ribeaud
ette histoire des mercenaires que nous raconte par Stanley qui la donna à Léopold Il. Mo'ise Tschombé pro-
Ribeaud commence quelques semaines après l'indé- clama l'indépendance du Katanga au nez et à la barbe des
pendance du Congo " ex-belge '" où 1OO 000 Belges Américains , de l'ONU , des Russes et du grand fonctionnaire
furent jetés dehors en trois jours. C'est dans ce pays aux grands principes et aux petites mœurs , Dag
prodigieux - appelé Zaïre aujourd 'hui et hier territoire Hammarskjôld , qui termina sa carrière écrasé sous son avion
exemplaire du continent africain - que les merce- blanc et bleu , pulvérisé contre une termitière géante de
naires modernes ont débarqué un jour d'avril 1961 . Rhodésie du Nord , à la frontière du Katanga . Accident ,
Les leaders africains s'appelaient Lumumba, N'Krumah, attentat ? .. .On ne le saura jamais , mais Hammarskjëld fut
Nasser, Ben Bella, Bourguiba, Sékou Touré, et, au-dessus moins pleuré que Lumumba, livré mourant par le colonel
du lot, Mao Tsé Toung et Khrouchtchev, sans oublier leur Mobutu à Tschombé. Ce cadeau empoisonné priva Tschombé
fidèle marionnette , Fidel Castro. Pour les aventuriers, français d'une victoire politique et militaire. Lumumba fut déifié ,
et belges pour la plupart, l'aventure commençait dans la plus Tshombé fut assassiné quelques années plus tard après que
riche province du riche Congo , celle du Katanga, découverte son avion fut détourné par un gangster français au nom belge,
Bodena , à la solde de Mobutu et... de la GIA qui contrôlait
alors le Congo " ex-belge .. et ses gisements d'uranium , de
tungstène , de cobalt , de cuivre et de diamants.
Le renard Tschombé,
dit« Tiroir-caisse »,tombe dans
le piège et se retrouve au cachot.
A·t·il perdu la partie?
- Pat'on , c 'est ici , la maison pou' le P'ésident Tschombé ,
m'annonce le chauffeur congolais d'un des rares et délabrés
taxis d'Elisabethville , capitale de la république du Katanga
encore et toujours indépendante.
La résidence présidentielle est à 300 mètres de la rivière
Lumumbashi , qui serpente au milieu des eucalyptus géants ,
des flamboyants et des acacias aux petites fleurs jaunes. En
face , par-dessus les arbres , fume l'immense cheminée de
briques roses et grises de l'Union minière qui fabrique , jour et
nuit, des tonnes de cuivre qui valent de l'or .
. J'ai vu Tschombé , " mon ami .. le président Tschombé , gra-
vi~ les marches du perron et prendre dans ses bras une petite
En avion, Tsc~ombé avec Evariste Kimba, son ministre, qui sera
negrillonne , avec un ruban dans les cheveux , qui est sa fille .
pendu trois ans plus tard, par Mobutu, à la Pentecôte 1966. Tschombé revenait , après soixante jours de captivité , de la
LE CRAPOLILLOT 15
ville-prison où le retenaient les soldats de son " ami ,, le géné- rente d'une autre marque prisée les soirs de paye, se décide à
ral Mobutu - qui est aussi mon ami . Au Congo, tout le monde céder à un aventurier du Texas, Deviller , toute la production
est ami , n'est-ce pas? minière du Katanga ! Incroyable ! L'affaire fait du bruit, quand
J'ai vu les noirs gaillards de la garde d'honneur, qui veillent Lumumba est arrêté par son chef d'état-major , le sergent-
au péristyle dans une petite guérite, troquer leur chapeau de comptable Mobutu , promu quelques jours avant colonel.
brousse contre leur casque à queue de cheval de cuirassier de Torturé , ficelé comme une antilope amenée au bûcher ,
la guerre de 1914. Ils les avaient enlevés, en signe de deuil , Patrice est jeté dans un avion en partance pour Elisabethville. Il
lorsque l'incroyable nouvelle de l'arrestation par traîtrise de leur a la rate éclatée, il est mourant. C'est un cadavre qui arrivera
Président s'était répandue dans la capitale du jeune Etat du dans la capitale indépendante. Tschombé en portera toujours
Katanga . Dans toutes les avenues de la ville , les affiches la responsabilité .
noires et vertes témoignent toujours de la fidélité du peuple du
Katanga et de l'Union minière à leur chef pris au piège, ces
affiches, qui proclamaient, en français et en swahili , sous son L'ONU veut venger Lumumba
portrait: " Il souffre pour nous. Soyons dignes de lui "· Enfin , je
« exécuté » par Tschombé
viens d'entendre un porte-parole officiel du gouvernement
Tschombé annoncer que le gouvernement a purement et sim-
En ce début de 1961 , le mouvement de Lumumba
plement proclamé nuls les accords signés à Léopoldville, sous
déclenche les passions. Dans les pays communistes ,
la contrainte , accords qui stipulaient la fin de l'indépendance de
la riche province katangaise . Lumumba devient un martyr dont on va se servir. Un peu par-
tout dans le monde, à Moscou , à Pékin , à Cuba, et dans les
Pour trouver dans les manuels d'histoire un événement poli- pays de l'Europe de l'Est, il n'y a pas de ville où une rue , une
tique de cette nature, il faut remonter à Louis XI. Charles le école, une université ne porte le nom du martyr de l'indépen-
Téméraire invita Louis XI à Péronne à une conférence qui dance congolaise , Patrice Lumumba.
n'était qu 'un guet-apens. Il fit prisonnier ce roi pourtant si rusé Lumumba, par son talent d'orateur, devint vite un meneur
et ne le relâcha qu 'après lui avoir fait signer des accords que parmi les autres leaders de l'indépendance. En 1958-1959, les
Louis renia dès son retour à Paris. Congolais ont compris que la Belgique allait leur accorder
L'indépendance du Katanga fut proclamée par Tschombé au l'autonomie. Commencent les premiers voyages à Bruxelles
lendemain des troubles qui suivirent l'indépendance, le 30 juin où , invités du gouvernement belge, les leaders africains font
1960. Ce jour-là Beaudouin , roi des Belges , fut humilié par connaissance avec l'Europe, l'argent et les filles faciles, et donc
Lumumba et par un quidam qui lui vola son sabre, suprême la corruption . Tout va très vite . Le 30 juin 1960, l'indépendance
affront en Afrique. Trois jours plus tard , la force publique se du Congo ex-belge, comme on dit alors, est proclamée dans un
mutinait , violait toute femme en âge de tenir debout. faste digne des Mille et Une Nuits. Lumumba et Kasavubu sont
Religieuses , petites filles , grand-mères , toute~ faisaient l'affai- les rois de la fête. Feux d'artifice, banquet pour 5 000 per-
re . Cent mille Belges quittèrent le Congo, la peur aux trousses . sonnes, festivités sont offerts au peuple , et surtout aux
Le prestige de l'homme blanc n'était plus qu 'un souvenir. notables ... On connaît la suite.
Lumumba, Premier ministre, ne put recoller' le tissu déchiré Au moment où le Katanga est menacé par la mort de
du Congo à vau-l'eau . Russes , Chinois, Américains , lui font des Lumumba, injustement imputée au gouvernement katangais ,
avances . Lumumba, ancien vendeur de bière Primus, concur- les mercenaires arrivent.
16 LE CRAPOUILLOT
a été récemment équipé de feux de signalisation permettant chance, une balle perdue, tirée depuis la rive gauche du fleuve
l'atterrissage de nuit. Heureusement encore , les dernières alors que j'inspectais une de nos positions placée dans les bâti-
gouttes d'essence du réservoir suffisent au petit bimoteur pour ments de /'OTRACQ ,, (l'OTRACO est une organisation de
accomplir les derniers mètres d'un bond sans escale de deux transports qui , avant l'indépendance, faisait la pluie et le beau
mille kilomètres . Jean-Louis Demance, le radio de bord , un temps au Congo où ses palaces flottants blanc ivoire descen-
Français de 28 ans qui fit la guerre d'Algérie dans une unité de daient et remontaient le fleuve de Stanleyville à Léopoldville) .
paras , a alerté la tour de contrôle : L'OTRACO contrôlait toute la navigation fluviale , ainsi que la
- Nous avons vingt hommes grièvement blessés à notre circulation routière et ferroviaire du Congo. Elle était une institu-
bord. Vite, faites venir toutes les ambulances disponibles ! tion toute-puissante au même titre que l'Union minière du
Quatre ambulances blanches s'arrêtent devant la petite Katanga . Aujourd 'hui , le Congo , cinquième fleuve du monde,
porte arrière du DC 4. Un homme de grande taille , grelottant de n'est sillonné que par les pirogues des pêcheurs Wagenias et
froid et de fièvre , le visage mangé par une barbe rousse, la tête par les jacinthes d'eau qui se développent à la même cadence
à demi recouverte d'un pansement rouge de sang est porté que se détériore un pays qui n'a jamais existé : c'est un assem-
avec précaution dans la première ambulance. Trois autres blage hétéroclite de tribus qui n'ont souvent de commun que la
Européens et dix-huit Noirs, hommes et femmes , tous sérieu- couleur de la peau .
sement blessés , sont tour à tour descendus de la carlingue . Ils Sur la table de chevet du colonel Denard , je remarque
sont transportés d 'urgence à Salisbury , la capitale de la quelques livres aux titres évocateurs : Histoire des coups
Rhodésie blanche de lan Smith. d 'Etat, Les mémoires du cardinal de Retz, Dien Bien Phu,
L'homme à la tête ensanglantée est le major Bob Denard , le Adieu Congo.
chef des mercenaires du Congo . Dans la nuit, il est opéré dans Bob Denard a jeté un coup d'œi l sur les journaux anglais
la salle chirurgicale de l'hôpital ultramoderne de Salisbury . que je lui ai apportés (les gros titres disaient : " Les merce-
Trois jours après , non sans difficulté , nous sommes entrés naires font route vers le Katanga sous le commandement du
dans l'hôpital de Salisbury , par une grande allée bordée major Schramme qui a succédé au major Denard ,,) et il a
d'eucalyptus et de jacanradas. A quatre cents mètres de là, la poursuivi :
statue de bronze du conquistador , mercenaire à sa manière, - Les soldats congolais ont /'habitude de vider leur char-
Cecil Rhodes , se dresse sur son socle de pierre. geur à la moindre alerte : une brindille qui craque, ou une
Profil de mousquetaire, yeux bleu clair, nez fort de Béarnais, fenêtre qui grince un peu trop fort. Je leur avais pourtant dit
discrète moustache rousse , le crâne disparaissant sous un mille fois, quand ils étaient encore sous mes ordres, de ne pas
bandage blanc , Bob Denard m'a tendu la main gauche, son tirer à tort et à travers. Pour une fois, Je tir à /'aveuglette a payé.
bras droit est paralysé ainsi que toute la partie droite de son La balle qui s'est logée dans mon crâne a ricoché avant de ter-
corps . miner sa course en un point d'impact situé à quatre centimètres
Tout de suite , il m'a dit de sa voix rude de guerrier bourru : au-dessus de mon oreille droite. On m'a fait un pansement pro-
- La balle perdue qui s 'est logée dans ma tête a peut-être visoire et, pendant deux jours et demi, j'ai assumé le comman-
prolongé de quelques mois l 'avenir politique incertain de dement des opérations. Le troisième jour, je sentis les premiers
l 'ancien sergent de la force publique Mobutu. C 'est pas de symptômes de la paralysie, qui se transforma très vite en hémi-
mande alors le sixième commando formé principalement de du Maniema est encore vierge de toute présence humaine et si
Belges et de Français. Plus au Sud , dans le Maniema, le cin- Schramme aujourd 'hui , après avoir fui Stanleyville, décide de
quième commando est formé de Sud-Africains . Les Sud- vivre là avec ses mille Katangais , il peut y résister pendant des
Africains de Johannesburg sont venus au secours des années.
Congolais de Léopoldville, c'est un peu le monde à l'envers .
Comprenne qui pourra. Fin décembre 1965, le commandant La vengeance de Mobutu.
Denard est promu colonel. Ses rapports avec Mobutu sont
alors excellents . On lui reprochera d'ailleurs, à ce propos , Mobutu , quelques mois après avoir montré la force de son
d'avoir sauvé le régime de Mobutu lors des mutineries de l'été pouvoir en faisant pendre à un gibet, érigé sur la place centrale
1966, où Stanleyville fut une fois de plus le théâtre d'une guer- de Léopoldville , quatre de ses ministres - dont un ami de
re civile entre les ex-gendarmes katangais fidèles à Tschombé Tschombé , Evariste Klmba - , décidait de " dissoudre ,, le
et les soldats de l'ANC . Les Européens de Bob Denard bataillon de Schramme , qui pouvait à tout moment devenir
auraient pu faire pencher la balance du côté de Tschombé , dans les mains de Tschombé un moyen de revenir au pouvoir.
paraît-il. Pour une fois , Denard resta neutre. Tschombé , qui Schramme avait le droit de répondre à Mobutu : " Qui t'a fait
devait arriver à Stanleyville, resta à Madrid et les Katangais roi ? ,, . En tout cas , il parvint à repousser le plus longtemps
furent décimés. possible la date de la dissolution de son groupe de Katangais ,
qu 'il ne voulait à aucun prix abandonner à la vindicte des
Schramme, un condottiere hommes de l'armée nationale congolaise . Ils auraient probable-
ment été liquidés un à un. L'occasion de rentrer en rébellion
au-dessus de tout soupçon contre Léopoldville allait lui être en quelque sorte imposée par
le kidnapping de Tschombé. Il semble que du côté de chez
Schramme, qui a succédé à Denard depuis que ce dernier a Schramme , quelques jours avant que n'éclate l'affaire
quitté Stanleyville, est lui aussi un soldat digne d'entrer dans la Tschombé , des avions provenant d'Europe, probablement via
légende de l'histoire congolaise. Du même âge que Denard, l'Angola , avaient amené des groupes de mercenaires et des
trente-huit ans, de taille moyenne, ce Flamand blond a la répu- armes : ce sont les fameux parachutistes dénoncés par Mobutu
tation d'un homme discret . Son emprise sur les Congolais au micro de Léopoldville il y a quelques jours. En réalité, ces
tschombistes est célèbre dans tout le Congo. Ancien colon de avions se sont posés un soir en pleine brousse sur une piste de
Stanleyville, au lendemain de la sécession katangaise il avait fortune construite par le condottiere belge qui se disait de cœur
emmené ses soldats katangais jusqu 'à la ville angolaise de noir comme celui de ses Katangais . Lui et ses hommes les
Heinrique Carvalho. Il n'abandonna jamais ses hommes. Il ren- attendaient dans une plantation de bananiers. En très peu de
tra avec eux au Congo au moment de la rébellion des Simbas. temps, les bananiers furent rasés à la machette et un nouveau
Schramme opérait contre les rebelles dans la région de terrain d'aviation était né au Congo sans que Léopoldville y
Bukavu et la province du Maniema, où il y a des canyons aussi puisse rien faire .
impressionnants que ceux du Colorado . D'ailleurs , une partie Avec ce renfort, Schramme prépara un soulèvement, sans
doute en accord avec Moïse Tschombé qui tirait les ficelles avec des fraises et des œillets toute l'année dans tous les jar-
depuis Madrid . En principe , Tschombé aurait dû rallier dins - sans tirer un coup de feu , le camp de l'ANC est occupé.
Stanleyville et faire une proclamation au peuple congolais . Le Les cinq cents soldats congolais s'enfuient à demi nus vers le
kidnapping des Baléares l'empêcha de venir. lac Kiwu , abandonnant aux trente mercenaires de Schramme à
Le 6 juillet, Schramme et ses hommes arrivent à Bukavu - peu près de quoi équiper un bataillon : 20 camions , 10 Jeeps,
cette ville, qui était la perle du Congo du temps des Belges, au 200 fusils Fall (le fusil de l'OTAN à vingt coups , automatique,
cœur des montagnes qu 'on appelait " la Suisse africaine ,. un de ceux qui faillirent envoyer Bob Denard dans l'autre
LE CRAPOIJILLOT 21
et le camp Katétélé, fief de l'ANC , dont les cinq cents occu- Denard et Léopoldville. Et commence ce qu'on appellera le mal-
pants, soldats et officiers, s'enfuient au premier coup de feu , si heur des otages , qu 'on imputera un peu vite , peut-être , à la
bien qu'en un quart d'heure la troisième ville du Congo est prise " cruauté ,, ou à I'" arrivisme ,, de Denard .
par une poignée de mercenaires, suivis à quelque distance de
quelques centaines de soldats katangais et d'anciens rebelles Denard a·t·il sacrifié les Européens
ralliés. Car Denard et Schramme ont appliqué avec succès les
méthodes de guerre expérimentées en Indochine et en Algérie gardés en otages à Stanleyville?
et utilisé ce phénomène selon lequel les rebelles se rallient
aisément lorsqu'ils sont à bout de forces et de vivres et, surtout, " Il n'y avait pas d'otages européens à Stanleyville, dit Bob
lorsqu'ils sont sur le point d'être pris par l'armée nationale Denard sur son lit d'hôpital , nous avons évidemment réquisi-
congolaise qui a l'habitude de découper à la machette ses pri- tionné les deux avions arrivés de Léopoldville et qui ne pou-
sonniers. Schramme et Denard leur donnent à manger, procè- vaient s 'en aller. Tous ces gens sont allés habiter à l'hôtel
dent à leur " rééducation politique " • et en font des auxiliaires Congo Palace . Beaucoup d 'Européens, craignant les massa-
fidèles jusqu 'à la mort. creurs de l'A NC, ont quitté la ville pour venir se réfugier auprès
Stan est donc prise, et avec elle deux avions d'Air Congo de nous dans l 'enceinte de /'aéroport. Voilà nos "otages''. Je
venus de Léopoldville pour célébrer les fêtes de vous signale d'ailleurs que tous les anciens rebelles simbas de
l'indépendance. Maintenant, c'est la guerre ouverte entre Bob Soumialot, dont Stan était la place forte , s'étaient ralliés à
nous : nos propres ennemis marchaient avec nous, au dernier
moment, par crainte des hommes de l'ANC. "
Bob Denard , maintenant, explique pourquoi , lui, fidèle au
gouvernement congolais lors de la révolte des gendarmes
katangais de l'année dernière, a cette fois-ci pris les armes.
" On m 'a reproché beaucoup d 'être resté neutre en juillet
1966 pendant la révolte des Katangais. On m 'a reproché d'avoir
fait tirer sur les soldats katangais de Tschombé ... On m 'a même
reproché d'avoir été la cause de la mort malheureuse de l'offi-
cier belge Vautier ... "
En fait, on sait, chez les mercenaires, que Vautier a été tué
accidentellement par un de ses copains blancs qui manipulait un
pistolet pour le nettoyer (NDLR, Denard dixit) .
" J'ai pris les armes parce que nous avons envers Tschombé
une dette d'honneur. C'est lui, Je premier, qui a voulu encadrer
son armée katangaise d'Européens. Nous avons lutté, Tschombé
et nous, pour la même cause : contre l'ONU, contre les inca-
pables de Léopoldvil/e. Nous préférions garder une petite partie
du Congo saine et viable que de voir l'anarchie s'installer aussi à
Elisabethville, ce qui s'est produit depuis que le Katanga a été
absorbé par le reste du Congo . C 'est pour cela , nous qui
connaissons bien ce pays, bien ses chefs, que nous pensons
que la révolte était une nécessité. Alors, quand nous avons
appris Je kidnapping de Tschombé, nous n'avons plus hésité... "
Il me livra deux noms. L'un était un journaliste, critique litté- - Je veux bien essayer. Mais il faudrait quand même voir le
raire de talent, bien connu entre Nice et Monaco. Paix à ses manuscrit.
cendres. L'autre est du style reporter-baroudeur, bon photo- - Tu verras, le début est un peu à reprendre.
graphe de surcroît. - Et la fin n'existe pas! Merci du cadeau.
- Ils te serviront de guides, car je suppose que tu ne - Si tu n'as pas besoin de travailler...
connais rien de l'Afrique. - Mais si. Va chercher ce manuscrit.
- La Noire, non. Juste le Nord et le Sud. -Le voilà!
- Ça pourra toujours servir. Il y avait, à vue de nez, une centaine de feuillets . Guère plus.
- Je croyais que vous ne vouliez plus publier les Mémoires Les vingt premiers consistaient en une géographie , du style :
de Tschombé. " Le nom de Congo , d'origine portugaise , désignait au XVl 8
- Exact. Mais nous voudrions rentrer un peu dans l'argent siècle un fleuve africain de 4 700 kilomètres de long , avec un
de l'à-valoir que nous avons versé pour ce projet. débit de 40 000 mètres-cubes / seconde. La superficie du pays
- C'est la quadrature du cercle. est de 2 344 885 kilomètres carrés et son climat est équato-
- Mais non ! Si Tschombé n'intéresse plus personne, il y a rial. " Suivait une autre vingtaine de feuillets , plus historiques,
un bonhomme qui correspond assez bien au goût du public. du genre : " Le pays fut exploré dès 1874 par Stanley. Dix ans
Enfin, d'un certain public. plus tard, le congrès de Berlin reconnaissait l'Etat indépendant
-Qui? du Congo, dont le souverain était le roi des Belges , Léopold
- Le colonel Jean Schramme. Il. "
- Le mercenaire ! Un bon cours à l'usage des enfants des écoles ! Il fallait
- Il n'aime pas ce nom. Il préfère qu 'on parle de lui comme attendre la moitié de la copie pour arriver aux Mémoires du
d'une sorte de combattant malgré lui. Tu pourras le rencontrer. fameux Tschombé . Il y avait pas mal de ratures .
Le public aime les histoires d'aventurier. Surtout en Afrique. - Ne fais pas attention, me dit le directeur littéraire. Nos
Vieille nostalgie coloniale. Schramme, c'est à la fois un guerrier deux amis ont déjà commencé à travailler sur les Mémoires de
et un idéaliste, une sorte de croisé. Pas un militaire. Un ancien Schramme quand je leur ai suggéré que ce serait une bien
colon. A la fois naïf, roublard, pittoresque. Un personnage, quoi. meilleure idée.
Toi qui étais dans un commando de chasse en Algérie, tu Le " travail " consistait, dans ce récit, attribué d'abord au
devrais t'entendre avec lui. président Tschombé , de barrer une phrase comme : "Je reçois
- Bon, je veux bien. Mais je ne comprends pas très bien ce le colonel Schramme " et d'écrire au-dessus " Je suis reçu par
passage des Mémoires de Tschombé aux Mémoires de le président Tschombé " · Manière comme une autre de racon-
Schramme ... ter la sécession katangaise . De la suite des aventures de
- On a signé un contrat. On a reçu une partie du manuscrit. Schramme et de son Bataillon Léopard - qui devait fournir le
Autant l 'utiliser. titre au livre-, pas question !
- Mais ce n'est pas le même homme, ni la même histoire! - Ne t 'inquièté pas. Nos deux lascars ont récupéré le
- D'accord. Mais ils habitaient le même pays et ont lutté Journal de marche du bataillon. Ou ils vont le récupérer. Tu ver-
tous deux pour l'indépendance du Katanga. Que l'un soit noir et ras ça avec eux. Et surtout avec Schramme.
l'autre blanc ne peut gêner que les racistes ! Maintenant, si tu - Ça me semble un peu compliqué.
ne veux pas écrire ce livre ... - Mais non. Quand on a commandé une compagnie de
U<: CRi-\POt;ILLOT 25
Cadets de l'armée belge faits prisonniers par I'ANC (Armée nationale congolaise).
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combat en Algérie et qu 'on se prétend écrivain, on doit pouvoir d'ailleurs sur le piano maternel. Schramme , s'i l devait éviter de
écrire un livre en s 'inspirant un peu d 'un JMO (Journal de trop se montrer , n'en avait pas moins installé son quartier
marche et d 'opération) . Et si tu rencontres Schramme, alors général chez sa maman , dans le quartier le plus bourgeois de
c 'est comme si le livre était terminé. la très bourgeo ise cité de Bruges. Des fenêtres d'un bel appar-
- Mais les deux zèbres qui t'ont vendu ce manuscrit, totale- tement moderne , un peu en dehors de la cité méd iévale, on
ment impubliable en l'état, ne peuvent pas l'écrire eux-mêmes, apercevait l' eau morte d'un canal , les berges avec leur
ce bouquin? pelouses bien tondues , quelques cygnes.
- Bien sûr que non. Celui qui a le contact avec le colonel ne Avec ce qu 'i l restait de son Journal de marche et ce qu'i l me
sait pas écrire et celui qui sait écrire ne connaît rien aux choses racontait quand il en manquait quelques pages, je pouvais tant
militaires. bien que mal reconst ituer l'i tinéra ire du fameux Bataillon
Il ne restait plus qu 'à signer un accord me consacrant dans Léopard et de son chef, du 30 juin 1960, date de l'indépendan-
mon rôle de nègre et à discuter du forfait que je devais toucher. ce congolaise , au 5 novembre 1967, jour auquel Schramme et
Quelques jours plus tard , je prenais la route de la Belgique ses derniers compagnons , pressés de toutes parts par l'Armée
avec un des deux " auteurs ,, de la prem ière version , afin de nationale congolaise , avaient réussi à franchir la frontière pour
retrouver à Bruxelles le second compère. Celui-c i devait se réfugier au Ruanda.
m'introduire auprès du colonel qui vivait peut-être pas dans la Au cours de longues heures d'entretiens , je devais découvrir
clandestinité , mais du moins dans la discrétion . un homme qui ne ressemblait en rien à sa légende de terrible
La discrétion , ce n'était certes pas la qualité première de baroudeur. Il était l'antithèse même d'un Bob Denard , qu 'il
notre reporter-photographe qui nous avait donné rendez-vous détestait avec une obstination parfois un peu lassante :
au bar de l'hôtel le plus connu de Bruxelles, le Métropole, place - S 'il ne nous avait pas trahi, nous serions toujours à
de Brouckère. Bukavu ... ou au pouvoir à Léo !
Les Portugais, qui se débattaient encore en Angola comme Schramme s'exprimait d'une voix calme . Dans cette famille
au Mozambique, se montraient très intéressés par tout ce qu i de la grande bourgeoisie flamande , il était d'usage de parler le
touchait le Congo ex-belge. Ce que pouvait tramer Schramme frança is, avec juste une po inte d'accent et quelques belg i-
les interpellait, comme on dit. Aussi , prévenus par quelque cismes.
imprudence , avaient-ils délégué à Bruxelles deux agents de - A Bukavu, sans l'aide de Denard, je ne savais plus rien
leur police secrète , la PIOE , qui prenaient le café à quelques faire .
tables de nous et étaient aussi repérables que pouvaient l'être Tradu ire : je ne pouvais plus rien faire.
deux Dupont et Dupond lusitaniens. Il s'agissait de les semer Pour qui connaît un peu le vocabulaire militaire , il suffit de
pour rejoindre Bruges et le repaire du colonel. savo ir qu 'un terrain d'aviation se dit " plaine ,, et qu 'un canon
" Attention , on a la PIOE aux fesses ! '" devait rester un des de " septante-cinq ,, sans recul n'est qu 'un de nos 75 SR de la
mots de passe de ceux qui ont vécu cette petite aventure de la guerre d'Algérie. Et j'étais bien d'accord avec le colonel quand
décolonisation . il m'affirmait que " nonante pour cent ,, des Belges n'avaient
A cette époque, Jean Schramme n'avait pas encore tout à jamais rien compris à la question congolaise.
fait quarante ans. Solide , le sourire facile , l'œil bleu-vif, un tou- Par moments , sa mère ouvrait la porte du salon où nous
pet de cheveux blonds, il évoquait irrésistiblement Tintin , per- gibernions en vieux grognards des campagnes coloniales .
pétuel boy-scout. Sa photo en uniforme d'éclaireur trônait - Jean, tu penseras à acheter des pistolets.
26 LE CRAPOUILLOT
Diable ! Le colonel se livrerait-il à la contrebande d'armes ? - Il y avait tellement de cadavres que les gens de Mobutu
- J'irai après la messe, maman. pouvaient s'en servir comme des boucliers humains. Nos deux
Il suffit de savoir qu'en Belgique les pistolets sont une sorte mitrailleuses de 7, 62 et de 12, 7 tiraient et tiraient. Elles étaient
de petits pains. si brûlantes qu'il fallait pisser sur le tube pour le refroidir!
Après avoir promis d'assister à l'office dominical , le colonel La porte s'ouvrit, laissa apparaître une tête aux cheveux
revenait à un des épisodes de son aventure sanglante : argentés.
- Surtout, Jean, tu n 'oublies pas les pistolets après la
messe. Tu ne sais pas te tromper : notre boulangerie est dans
la rue de l'église.
- Vous goûtez les pistolets ? m'interrogea le colonel.
Il me demandait si ça me plaisait. Je le rassurai. Il exprima
toute sa joie d'être de nouveau à Bruges.
- Quand même bon d'être revenu chez moi. Mais, en vrai,
je suis devenu un Africain. Un Africain blanc.
Belle formule . On devait en faire le sous-titre du livre.
- Je n'en peux rien de ma réputation. Mais c'est fort dom-
mage de se faire traiter de mercenaire, de tueur, de colonialis-
te. Je ne sais plus supporter cela.
- Nous en étions à l'assaut de /'ANC.
- Ils étaient des centaines, peut-être des milliers.
Et il en arrivait toujours de ces Noirs. Je ne veux pas décau-
ser ces pauvres gens. Ils étaient fort courageux. Mais ils étaient
sûrement drogués. Les chefs, en face, ils avaient la " dawa '"
une espèce de pouvoir magique de sorciers. Nos cartouches
s 'épuisaient. Et sans cartouches les mitrailleuses ne savent
plus tirer, c'est sûr! Vous prendrez bien une tasse de café ?
Il me servait lui-même , aussi à l'aise dans ce salon cossu
qu 'au fin fond de la forêt équatoriale avec ses Katangais .
- S'il vous plaît.
Bruit des petites cuillers dans les tasses.
- C 'est fort malheureux ce qui est arrivé en Afrique.
Pourtant, quand le roi Baudouin, l'arrière-petit-fils de Léopold Il,
est venu pour la première fois au Congo en 1955, les Noirs taires , ce fut sans doute un soldat d'occasion - ce qu 'i l ne faut
/'appelaient " Bwana Kitoko ., : " le joli enfant blanc "· Je fai- pas confondre avec un soldat de fortune . Mais là où il se révé-
sais alors mon service militaire. Car je ne suis pas soldat de lait vrai militaire , c'était dans son inaptitude totale à entendre
métier. C'est seulement six ans après mon arrivée en Afrique quoi que ce soit à la politique. Et quand on sait ce qu 'a été la
comme planteur que j'ai été appelé à l'armée. Je suis parti au politique congolaise du début de ces années soixante ...
camp de Kamina , dans le Katanga. J 'ai alors demandé à Il fut pris au milieu d'intrigues et de complots , auxquels, en
rejoindre les paras-commandos. Tant qu 'à faire ... vrai boy-scout, il ne comprenait rien . Embarqué dans une aven-
Depuis, j'ai toujours porté un béret vert. Au bout d'un an et ture rocambolesque , il crut travailler pour Tschombé , mais
demi, j'ai quitté l'armée comme officier de réserve pour retour- celui-ci venait d' être enlevé et emprisonné en Algérie .
ner sur ma plantation. Mon domaine s'appelait Bafwakwandji. Schramme , encouragé par Denard, déclencha pourtant une
L'indépendance déboucha sur un fantastique désordre. Les rébellion contre Mobutu . L'attaque de Stanleyville fut un échec.
Belges n'avaient rien prévu pour assurer le passage du pou- Celu i qui venait d'être nommé colonel par Tschombé fut alors
voir. Près de deux cent mille civils blancs durent fuir l'égorge- blessé de deux balles dans la cuisse . Il commanda pourtant la
ment et le viol. Les luttes tribales aboutissaient à d'épouvan- marche vers Bukavu , où il s ' enferma avec cent vingt
tables massacres. Tout le pays sentait la mort. Européens et un millier de Noirs fidèles .
- Et savez-vous ce qu 'a déclaré alors à Bruxelles le - En face de nous, se regroupait la moitié de l'ANC, soit au
ministre Eyskens ? me demanda Schramme. moins quinze mille hommes ; nous étions pris au piège.
- Non, mon colonel. Nous arrivions à la fin de l'histoire. Malgré une proclamation
- Mot pour mot : " Tout cela n'est pas grave, ce sont les du colonel Monga , " président du gouvernement de salut
petites convulsions d 'un jeune Etat. " Et quand le général publ ic du Congo " et futur fusillé, Mobutu devait se révéler le
Janssens est revenu en Belgique, il n'y aura qu'un sous-offi- plus fort . Abandonné de tous , Schramme se réfugia avec les
cier pour /'accueillir à l'aéroport. siens au Ruanda.
Sans se départir de son calme, Schramme me raconta com- Le livre avançait. Le Journal de marche, le carnet de notes
ment il fut alors, à plusieurs reprises, arrêté et molesté. Il réus- du colonel , quelques photos, sa mémoire ... Tout cela s'organi -
sit à s'enfuir en Ouganda. sait, le travail allait être bouclé pour le mois de mars 1969.
Quand il apprit la création de l'Etat katangais , il décida de Je m'étais attaché à cette aventure. Je comprenais un peu
revenir dans ce Congo où il avait vécu depuis l'âge de dix-huit mieux, à chacune de nos rencontres , l'ascendant du colonel.
ans. L'ancien sous-lieutenant de réserve de la Force publique Même son accent et ses belgicismes ne me faisaient plus sou-
fut alors nommé lieutenant et partit comme instructeur à rire.
Albertville, sur le lac Tanganyka. Peu après , avec les quelques C'était mieux qu'un chef de guerre : un homme. Ou plutôt un
Katangais placés sous ses ordres, le futur commandant du éternel adolescent : Tintin au Congo . Sans nul doute. Aussi
Bataillon Léopard tomba pour la prem ière fois dans une " brave " que le petit personnage inventé par Hergé.
embuscade: Pour le principe , je suggérai que le livre, Le Bataillon
- Ils étaient mille ou deux mille peut-être, armés de vieux Léopard, fut assorti d'une mention style " traduit du belge par
fusils " pou-pou '" de haches ou de chaînes de vélo. C'étaient Jean Mabire '"
des Balubas, manifestement drogués. Il n'en fut bien entendu pas question . Oui , j'avais été un bon
Le récit de ce premier accrochage sera suivi de beaucoup nègre, jusqu'au bout, et je devais rentrer dans l'anonymat de la
d'autres. négritude.
L'évocation des pires atrocités d'une guerre où s'exacer- Jean MABIRE
baient toutes les haines tribales était coupée par le rituel des
repas , les promenades le long d'un canal qui menaçait de geler (1) Le président Tschombé devait être kidnappé lors d'un voyage à
comme sur un tableau de Breughel, ou des absences du colo- bord d'un avion privé et incarcéré en Algérie. Il y mourut assez mysté-
nel qui devait assister aux offices avant de faire l'emplette des rieusement à cinquante ans le 29 juin 1969, moins d'un mois après
fameux pistolets. l'achevé d'imprimé du livre Le Bataillon Léopard ...
Les combats héroïques et sanglants se succédaient :
" Onze hommes contre deux bataillons ... Seul contre deux
blindés de l'ONU .. . Face aux Gurkhas .. . "
Les combats d'E'ville (Elisabethville) étaient un des mor-
ceaux de bravoure de la " saga " de Schramme. Et les
Casques bleus y prenaient quelques raclées mémorables.
Finalement, huit Blancs et vingt Noirs partirent dans le Nord-
Katanga où ils devaient créer, à Kansimba , ce qui deviendra un
jour le Bataillon Léopard. Schramme fut alors promu major.
Au début de l'année 1963, il dut se réfugier en Angola avec
ses hommes. L'exil dura vingt mois. Quand Tschombé , par un
incroyable retournement de la situation, forma le nouveau gou-
vernement congolais , les Léopards revinrent au pays . Ils se
battirent à Kabambaré et à Mazomeno.
Le colonel possédait un talent indéniable pour évoquer les
pires moments de la guerre qu 'il avait menée à la tête de ses
volontaires noirs et de leurs cadres blancs.
- Nous étions quatre cents. En face, il y avait dix mille
Simbas. C'est alors que commença la campagne du Maniéma
à l'été 1965. Mais tout devait se gâter à cause de la politique.
Tschombé fut chassé. Mobutu le remplaça. Et savez-vous qui
devint alors son homme de confiance ?
- Aucune idée, mon colonel.
- Bob Denard. Il prit même /'initiative d'ouvrir le feu sur les
Katangais, ses anciens frères d'armes des années 1960-1962.
Nous ne lui pardonnerons jamais.
Schramme était le type même du colon qui avait fait la guer- Les troupes de Schramme entrent dans Bukavu.
re par devoir plus que par goût. Malgré tant de succès mili-
28 LE CRAPOlJILLOT
ou le corsaire
de la République
Le Crapouillot. -Avant tout, quand on interroge des hommes Je su is entré comme attaché de direction dans une société
qu'on désigne, en général, comme d'anciens mercenaires, on d'appareils ménagers. Mes fonctions m'amenaient à me déplacer
sent que ce terme les met mal à l'aise. Qu'en pensez-vous ? dans toute la France. J'en profitais pour prendre contact avec des
cellules de rapatriés, à Lille, à Marseille, à Toulouse, etc.
Bob Denard - On a trop dénigré. On a présenté ces hommes
Un jour, après avoir lu un article de L'Aurore et avoir pris
comme des tueurs pour de l'argent. Je ne me sens pas concerné
contact avec son directeur, Dominique Pado , j'ai décidé d'aller
par ce terme.
rejoindre un Français au Katanga.
Le Crapouillot. - Alors, si vous étiez amené à vous définir, en A partir de là, commence l'épopée de ceux qu'on appelle des
quels termes le feriez-vous ? mercenaires.
Bob Denard - Je me définirais comme un corsaire de la Le Crapouillot. - Pourriez-vous rappeler quels ont été vos
République . C'est le titre d'un prochain livre que je vais faire principaux théâtres d'opérations ?
paraître chez Fixot, au mois de mai prochain. J'ai du reste signé
Bob Denard - Le Katanga, deux ans (1961-1963).
chez le même éditeur un contrat pour cinq livres, sur le Katanga, le
Le Yémen (1963-1965).
Bénin, etc.
Le Congo (1965-1967).
Le Crapouillot. - Pourriez-vous évoquer rapidement les L'Angola (1967-1968).
étapes principales de votre existence avant les expéditions Puis, en 68-69 , il y eut l'offensive du Biafra.
militaires qui ont fait votre célébrité ? Puis se situe une période creuse jusqu 'au moment où j'ai été
relancé pour une mission chez les Kurdes. Il faut rappeler qu 'à
Bob Denard - Je suis né à Bordeaux. J'ai passé mon enfance
cette époque le Shah d'Iran aidait les Kurdes.
dans un petit village de 400 habitants à la Pointe de Graves. J'ai
été confronté très jeune à la guerre : les Allemands, en effet, après
la Libération , avaient constitué une poche à la Pointe de Graves,
comme à Lorient, ou à Cherbourg .
Les sept mercenaires
J'ai quitté mon village en septembre 1944. Mon père, adju-
dant-chef en retraite, qui avait rejoint le maquis, m'avait fait entrer Après quoi , intervient une brève mission en Libye. Puis l'expé-
dans une école de Marine. dition aux Comores : pour reprendre le pays nous étions exacte-
J'en suis sorti au bout de 18 mois, breveté mécanicien. Pu is, ment ... sept.
je suis parti en Indochine en 48-50 à la flotille FAIS. (Flotille amphi-
Le Crapouillot. - JI fallait le faire !
bie Indochine Sud) . De retour d'Indochine, j'ai gagné les Etats-
Unis pour faire un stage de sécurité, à la Fire School (école de Bob Denard - Oui. En deux jours, nous avons levé sur place une
Feu) , sur un porte-avions. J'ai quitté l'armée en 1952. armée qui ne savait guère faire autre chose que défiler en chan-
Pu is je suis allé au Maroc, et je suis entré dans la Police ché- tant. Mais cette manifestation impressionnait. Et c'était là l'essen-
rifienne, où je suis resté jusqu'en 1957. tiel. La population , stupéfaite, voyait une armée sortir de terre.
Après cela, comme le Premier ministre - mis en place par
Le Crapouillot. - Avez-vous été mêlé aux opérations de la
nous - avait plutôt des tendances marxistes-léninistes, nous
Main Rouge?
sommes partis.
Bob Denard - Pas à la Main Rouge proprement dite, qui opérait
Le Crapouillot. -Avec tout de même l'idée de revenir...
en Tunisie , mais j'ai servi dans une brigade de lutte antiterroriste à
Casablanca, et j'ai été mêlé à diverses opérations antiterroristes. Bob Denard - Oui. Mais, entre-temps, il y a eu une opération en
De même, j'ai été impliqué dans la tentative d'attentat contre Angola, où les Cubains débarquaient. Nous avons accompagné
Mendès France , alors ministre d'Etat. J'ai fait quatorze mois de les embryons de troupes de Savimbi , jusqu 'au moment où les
prison à Rabat avant d'être acquitté. Sud-Africains ont pris le relais.
J'ai ensuite été affecté en Algérie, grâce au colonel Battesti qui
Le Crapouillot. - Dans cette série d'opérations, vous avez
dirigeait une des principales organisations de rapatriés d'Afrique du
bien été en contact avec les Services français ?
Nord, l'ANFANOMA (1). De 1957 à 1958, j'ai ainsi été mêlé à toutes
les activités parallèles de Battesti et à celles de Me Queyrat, qui Bob Denard - Oui , mais jamais officiellement. Il y avait toujours
avait appartenu au BCRA. (ancêtre de SDCE). A la même époque, un Etat-écran africain entre nous. Si bien qu 'on peut considérer
avec Melero, j'ai participé à la création de !'Amicale des anciens que nous avons été man ipulés sans le savoir, ou en le sachant.
policiers rapatriés d'Afrique du Nord. On a ainsi, plus ou moins,
Le Crapouillot. - Vous avez bien, quand même, été en liaison
côtoyé les milieux de l'OAS.
avec Foccart ?
En ce temps-là, j'étais marié, mais en instance de divorce .
J'avais déjà un fils. Bob Denard - Fatalement. Mais, en fin de compte, je l'ai très peu
LE CRAPOLILLOT 29
Bob Denard en Angola en 1967, avec le commandant belge Piret et son radio français Domange.
rencontré. Je connaissais beaucoup mieux Journiac, remplaçant de-sac. Mais il est vrai qu'il avait une colonne de deux mille civils à
de Foccart. protéger.
Il s'est sacrifié. Ils étaient un millier d'hommes contre vingt
Le Crapouillot. - Revenons en arrière : sur un épisode du
mille en face.
Congo, où on vous reproche d'avoir abandonné les
Européens. Le Crapouillot. - Lors de votre second séjour aux Comores
(2), vous vous êtes trouvé pratiquement coincé entre le gou-
Bob Denard - Je n'ai pas abandonné les Européens. C'est
vernement d'Afrique du Sud et le gouvernement français
l'antenne administrative de notre groupe militaire à Kinshasa qui a
socialiste qui vous abandonnait. Finalement, vous avez
été capturée et massacrée. On ne pouvait pas imaginer, à l'époque,
gagné l'Afrique du Sud.
que Mobutu allart les liquider. Ni que les ambassades, à l'exception
de l'ambassade brrtannique, leur fermeraient leurs portes. Bob Denard - Oui. Mais je n'ai pas eu le choix. Je ne pouvais
Le drame de cet épisode, c'est que nous étions peu nom- accepter de rester en paria en Afrique du Sud, je suis donc rentré
breux, dispersés. Nous n'avions pas non plus les appareils de avec ma conscience d'homme.
radio modernes qui nous auraient permis d'assurer de bonnes liai-
Le Crapouillot. - Et à votre retour ce fut votre procès, pour
sons.
une affaire qui remontait au Bénin et où vous avez été défen-
du par Me Sou/ès-Larivière.
Schramme Bob Denard - C'est exact. Mais je ne peux pas en parler. Je
vous rappelle que je suis sous contrôle judiciaire.
Là-dessus, je souhaiterais parler de Schramme.
Le Crapouillot. - Pour finir, votre jugement sur cette Afrique
Dans les milieux, disons mercenaires, pour la commodité du
où vous vous êtes passionnément battu ?
langage, on a toujours essayé de faire des dissensions. On a tou-
jours présenté Schramme comme mon ennemi et concurrent. Bob Denard - Pour moi, l'indépendance de l'Afrique a été un
Quand j'ai repris le commandement général, aussi bien au grand échec.
Congo qu'au Katanga, il était administrativement sous mes ordres.
Le Crapouillot. - Vos projets immédiats ?
C'est un homme courageux, que je respecte. Il avait peut-être
des motifs qui n'étaient pas les miens ; il avait peut-être un côté , Bob Denard - En dehors de mes livres, ouvrir un Musée de la
disons : paternaliste, mais c'était un homme de courage. décolonisation.
Quand j'ai été blessé, je lui ai remis mes galons. A partir de là, (Propos recueillis par Roland GAUCHER)
il a assuré la responsabilité de toute l'affaire, je ne me suis pas
senti viré. (1) A cette association appartenaient entre autres Me Le Coroller
Il est vrai que nous devions faire une brigade d'intervention (aujourd 'hui décédé) , Me Guibert, Me Vaysse-Tempé , le colonel
rapide . Le conflit angolais, ensuite , aurait changé la face de Raymond, Pierre Descaves (aujourd 'hui conseiller régional FN de
l'Afrique. Picardie), André Draghi , l'inspecteur de police Antoine , dit Tony, Melero ,
J'ai engagé mon potentiel armé aux côtés de Schramme. impliqué dans l'attentat contre Lemaigre-Dubreuil , mais qui bénéficia pour
Quand il s'est replié sur Bukuvu, cela n'était pas prévu . Il s'est lais- cette affaires de trois non-lieux.
sé entraîner par les colons kodaki. Il est allé se mettre dans un cul- (2) Voir p. 30-31.
Douze ans de règne
Pendant près de douze ans, Bob Denard et ses " conseillers
techniques ,, ont tenté de faire des Comores " la Suisse de
l'océan Indien"· Histoire rapide d'une belle réussite gâchée
par la politique socialiste.
lors, président, voilà ce qu'il en coûte d'oublier de tenir sa présente un visage nouveau . La chance, mais aussi le nettoyage
les travaux qu 'il veut réaliser , et des fermiers , pour créer à des échecs. La première est le fait d'une douzaine de Comoriens
Sangan i une ferme pilote destinée à prouver aux Comoriens qui sont vite arrêtés. Trois d'entre eux trouvent la mort au cours
qu'ils peuvent acquérir leur autosuffisance alimentaire. Troquant d'une tentative d'évasion et la presse française présente les faits
la kalashnikov contre la pelle , les compagnies de la GP se succè- comme s'il s'agissait d'une répression sanglante. La deuxième
dent à Sangani pour y construire un " impluvium " qui réglera les vient de Paris, d'un groupe d'anciens officiers de la GP en mal
difficiles problèmes d'irrigation sur ce sol volcanique . d'exotisme qui pensent pouvoir jouer leur carte. Attisé en sous-
main par un ancien capitaine de la Garde, qu'à Moroni on sur-
nomme par dérision le " mcine soldat ,, du fait de sa tendance à
Jean-Christophe Mitterrand donner des leçons , le complot échoue et se traduit par deux
expulsions de cadres européens.
Seule ressource possible et durable pour les Comores, le Mais la fin de règne est proche. Paris multiplie les pressions
tourisme n'y existe presque pas. Bob Denard s'attache donc à sur Abdallah pour qu'il se débarrasse de Denard. Dans le même
trouver des investisseurs pour construire des hôtels, qui ouvriront temps , l'Afrique du Sud , en quête de reconnaissance internatio-
leurs portes en 1988. Les Comores sont parées pour la prospéri- nale, amorce sa " libéralisation "· La GP gêne, il faut s'en débar-
té. C'est probablement cela qui ne lui sera pas pardonné par les rasser. Agissant de concert avec les Affaires étrangères sud-afri-
Affaires africaines de l'Elysée , dirigées par Jean-Christophe caines , la France socialiste décide d'en finir. La mort du président
Mitterrand . Il est toujours plus facile de manipuler un pays lors- Abdallah , tué accidentellement par son garde du corps , le ser-
qu'il dépend, pour se nourrir, des oboles que lui verse la coopé- gent-chef Jaffar, pendant une attaque de la présidence par des
ration française . mutins des Forces armées comoriennes , précipite les événe-
Le pays vit sous le " règne " Denard une période d'excep- ments. L'opération Oside est déclenchée, regroupant des forces
tionnelle stabilité. Certes , un tel outil excite des convoitises. La considérables comparées à la poignée de " mercenaires ,, que
tentative la plus sérieuse de coup d'Etat, en 1985, met en lumière l'on veut déloger. Le 15 décembre 1989, la mort dans l'âme , Bob
un début de noyautage de la GP par le Front démocratique, le Denard se résout à partir pour ne pas avoir à faire tirer sur des
parti commun iste local , et permet aux hommes de Denard de soldats français . Les hommes du 1er RPI Ma prennent en compte
" faire le ménage " avec un minimum de casse : quelques inter- la GP. Ils seront très vite impressionnés par son niveau opéra-
rogatoires musclés font tomber la conspiration. Les quatorze pri- tionnel et sa discipline.
sonniers gardés par la GP à ltsoundzou seront libérés en Une page est tournée , mais l'aventure comorienne est-elle
décembre 1989 dans un triste état. vraiment terminée ? Rien n'est moins sûr.
Deux autres tentatives, en 1987, se soldent également par François-Xavier ROCCHI
32 LE CRAPOLILLOT
JUILLET 1967
Mourir à Bukavu,
ex-Congo belge
En juillet 1967, au terme d'une héroïque odyssée à travers le Congo ex-belge,
moins de 650 hommes - 123 mercenaires et 500 gendarmes katangais - ,
commandés par Jean Schramme, vopt résister pendant des mois üusqu'au 5
novembre à l'aube) aux assauts répétés des 15 000 troupiers de l'Armée
nationale congolaise. L'astuce, le courage, l'ingéniosité et l'honneur seront
dans le camp de ceux qui tiendront en échec un adversaire vingt fois plus
nombreux et généreusement pourvu d'artillerie et d'aviation.
5
oucieux de ne raconter qu 'une histoire d'hommes, nous qu 'après avoir désarmé les paisibles troupes de l'ANC caser-
n'aborderons pas les déchirements imbéciles qui ont pu nées à Bukavu et Albertville , les mercenaires sont en train de
exister entre les mercenaires. massacrer " les innocentes populations congolaises "·
Notre histoire commence donc le 5 juillet 1967, quand la Pendant dix jours, les " étrangers ., ayant été désignés à la vin-
radio de Kinshasa annonce que les mercenaires de Schramme dicte publique, les Blancs vont vivre un véritable cauchemar. Ils
et de Denard ont déclenché une rébellion dans la province seront tous pris en otages. Diplomates et ambassadeurs com-
orientale et dans celle du nord . Le même jour, Mobutu lance pris. En divers endroits, les Belges seront, dans le meilleur des
un message " gaullien ,, à la nation, laissant entendre cas , battus, ou , plus généralement, massacrés.
Le 6 juillet, à Kisangani (ex-Stanleyville) , Bob Denard décla-
re aux journalistes présents dans la ville : " Les dirigeants
congolais sont tous pourris, l'appareil de l 'Etat est pourri,
l'armée est pourrie et il suffit de secouer le cocotier pour que
toute cette pourriture tombe. Ce n'est pas nous, à nous seuls,
qui renverserons le gouvernement. Le gouvernement s'écroule-
ra par la force des choses. "
Le lendemain , le malheur veut qu'il soit touché à l'os mastoï-
de droit par une balle perdue. Paralysé , il est évacué en DC-3
vers la Rhodésie , laissant le commandement au major
Schramme . Avant de partir, il ordonne aux mercenaires et aux
gendarmes katangais de se replier sur Bukavu où devraient les
rejoindre , via Kolwesi, d' autres mercenaires ramenés en
Angola par le frère de Tschombé .
Le 12 juillet, ayant rassemblé armes , munitions , vivres et
essence, Schramme et ses hommes décrochent vers Bukavu.
Prudemment , l'ANC va attendre le 13 pour réoccuper
Kisangani ... Début août, après une avance longue et périlleuse
(qui, à elle seule , mériterait une autre histoire), à travers la
brousse , la colonne Schramme arrive à Bukavu , gonflée par
200 Simbas qui ont décidé de se joindre à leurs ennemis héré-
ditaires, les Katangais , pour étriller des ennemis pire encore,
les soldats de l'ANC .
Au centre de la table
Guy Ribeaud, "l'homme du
13 mai 58 " avec des
mercenaires sud-africains au
Katanga. l'Algérie française
espérait une aide de l'Afrique
du Sud ...
Le 28 octobre, la chance
change de camp
Pendant des semaines, les mercenaires vont faire merveille .
A chaque assaut, les paras congolais laissent des dizaines de
morts sur le terrain. Le 28 octobre, pourtant, la chance va chan-
ger de camp. Ce jour-là, vers deux heures du matin , quatre
T-28 , pilotés par des Cubains, donnent le signal de l'offensive
généralisée. " Pétrus .. tombe , occupée par les paras congo- Bob Denard en route vers le Katanga. Sur une bicyclette ...
lais . Elle est reprise , au mortier , par le mercenaire
Laboudique, planqué en surplomb dans une école transfor-
mée en blockhaus. Au tapis, 400 soldats de l'ANC . Le lende-
main , rebelote. L'ANC récupère " Pétrus .. et menace qualité que "Vénus ", son point d'appui nord, tenu par Je sous-
" Baka ... Leleu , parti à l'assaut avec 15 Katangais, est capturé lieutenant Desbles. Mais j 'étais plus inquiet pour sa position
puis assassiné. A " Baka '" Van Der Vœken tombe à son tour. avancée, "Petrus", à l'extrême sud de notre dispositif. Un pro-
Il est immédiatement remplacé par des déserteurs de l'ANC ral- fond ra vin la sépa rait du point d 'appui "Bruno ", que tenait
liés à Schramme. A quatre-vingts, et seulement dotés de deux Martinez, de la ;!8 compagnie. C'est dans ce secteur que tout
mitrailleuses, ils vont repousser l'assaut de 1 500 hommes de allait se jouer.
l'ANC . " Mes Léopards n'ont jamais connu un tel déluge de feu . A
Schramme a raconté l'assaut du 28 octobre : 4 h 30 du matin, ce sont les canons sans recul qui succèdent
" A 3 heures du matin, les soldats de J'ANC déclenchèrent aux mortiers, et, à 5 h 30, les mitrailleuses lourdes qui succè-
un tir d 'artillerie d 'une violence extraordinaire. Mortiers et dent aux canons sans recul.
canons sans recul pilonnaient toutes les positions des crêtes. " Dans leurs trous, les parachutistes congolais se préparent
Les hommes qui avaient négligé de creuser assez pofondé- à donner l'assaut et les injures fusent d'une position à l'autre.
ment leurs trous et de recouvrir leur abri regrettaient amère- Ils sont certainement drogués au chanvre indien et cela va
ment leur négligence. Je pensais que J'attaque la plus dure devenir un carnage. A 7 h 30, une légère accalmie marque une
aurait lieu dans l'angle sud-ouest de notre dispositif, sur le sec- pause fugitive. Très vite, les armes légères prennent la relè ve
teur de la 4 8 compagnie, celle du lieutenant Le/eu. des armes lourdes . C'est à nouveau l'enfer. Il va durer plus
" Sa position principale, "Baka ", me paraissait d'aussi bonne d'une heure.
36 LE CRA.POUILLOT
" Au point d'appui "Baka ", un jeune officier vient déjà de Européens avaient trouvé la mort dans les combats.
tomber : c'est le sous-lieutenant français Martin Cordier, offi- " L 'ANC avait eu au moins sept mille morts. Mais nous
cier de carrière, sorti de Saint-Cyr, mais venu au Congo parce avions, de notre côté, perdu le dixième de notre effectif. Les
qu 'il s'ennuyait trop entre les murs d'une caserne. Les obus de Léopards tombés à Bukavu, à côté des mercenaires venus de
mortier continuent d'exploser sur sa position où de nombreux Belgique, de France, d'Italie, du Portugal, d'Afrique du Sud,
Katangais ont rejoint dans la mort /'officier blessé. La situation d'Angleterre, de Grèce, d'Espagne, d'Allemagne, de Suisse, de
est très sérieuse à la 4e compagnie. " Rhodésie, et même d'Israël, ces Léopards ne sont pas morts
Chez les mercenaires , on compte les morts et les blessés. pour rien. Ils ont témoigné de la fidélité et du courage des sol-
Mais sans inquiétude excessive . On sait que, quelques jours dats katangais.
plus tôt, Denard a rassemblé , en Angola , 110 mercenaires et " Je voulais un départ en bon ordre. Nous allions nous
300 gendarmes katangais . Son but ? Remonter le Katanga par replier, peloton après peloton, compagnie après compagnie,
le sud et prendre l'ANC à revers . Aux côtés de Denard, l'ex- sans rien faire sauter, quittant nos positions silencieusement
capitaine Jean-René Souêtre, ancien officier des commandos dans la nuit. Bukavu ne serait pas Camerone et nous garde-
de l'air, et un Belge, le capitaine d'Hulster. Le 1er novembre, rions nos dernières cartouches ... Il faut croire que notre départ
les trois pelotons de mercenaires s'enfoncent en territoire silencieux impressionna fort l'ANC car les soldats de Mobutu
congolais , chacun avec un objectif devaient attendre trois jours pour
précis : Dilolo, Kasagi , Kolwezi. Le investir la ville déserte.
1er peloton , tombé dans une " Des prisonniers avaient
embuscade, n'échappe que de peu demandé à nous suivre dans notre
à l'anéantissement. Le 2e peloton exil. Je pensais à tous ceux qui,
occupe Kasagi sans problèmes. Le autrefois, s'étaient déjà engagés
3e peloton, en route vers Kolwezi , dans nos rangs et étaient devenus
stoppé par des tirs de mortier, est de bons soldats. Combien de
obligé de se replier sur Kasagi . Balubas et de Simbas avions-nous
ralliés , sous l 'écusson noir
du fameux "Commando
Kansimba " ?"
Offensive Mobutu tentera l' impossible
généralisée pour faire extrader les merce-
naires. Le président rwandais
L'honneur des mercenaires , d'alors, Kayibanda, résista aux
repliés sur Luaschi , fut sauvé par le pressions de son puissant voisin.
capitaine d'Hulster : avec 40 mer- Entre le 24 et le 26 avril 1968, les
cenaires (dont 20 paras français) et mercenaires furent évacués vers
60 Katangais , il repart à l'assaut de leurs pays respectifs . Quarante-
Kasagi tenue par 1 500 soldats de trois mercenaires belges débar-
l'ANC et réussit à reprendre la ville. quèrent à Bruxelles. Vingt-cinq
Une contre-offensive congolaise mercenaires français débarquè-
eut raison du capitaine courageux. rent à Orly. Gilbert Martin, vieux
Resté seul avec 29 mercenaires, il baroudeur, ancien adjudant de
se sacrifie pour ses hommes, cou- l'armée française, eut ces simples
vrant jusqu 'au bout leur repli avant paroles : " Nous voulons saluer
d'être abattu . nos quatre-vingts camarades
Le 2 novembre, Schramme se morts à nos côtés depuis juillet
replie sur une ligne de défense 1967. Et nous adressons une pen-
longue de 5 km. Il sait que c'est la sée émue à nos trente compa-
fin. La colonne Denard ne viendra gnons innocents, assassinés le 8
plus. Il va donc envoyer deux juillet dans leur casernement de
représentants de la Croix-Rouge , Kinshasa."
Della Santa et Marty, négocier le Mais tous avaient dans la tête
passage des mercenaires et des
Ce colon belge, devenu mercenaire, s'est enduit le
ce vieux proverbe bantou : " Nul
Katangais au Rwanda . Le visage de poudre noire. ne connaît l'histoire de la prochai-
3 novembre , c'est l'offensive géné- ne aurore. "
ralisée. Premier objectif : la position Martinez en avant du ter- De son côté , le R.P. Joseph-Noël Sage, missionnaire au
rain d'aviation . Les paras congolais n'y trouveront plus person- Congo ex-belge, témoigna pour ces soldats qui lui avaient
ne mais feront , en revanche , connaissance avec un gadget sauvé la vie :
signé Martinez : des bouteilles d'oxygène et d'acétylène gar- " J'étais au Congo jusqu'en 1965, missionnaire au poste de
nies de plastique et mises à feu par déclenchement automa- Médjé, en pleine forêt équatoriale, à 80 km de Paulis (actuelle-
tique . Les paras congolais ne savouraient pas encore leur vic- ment : lsiro) , au nord-est de Stanleyville (Kisangani) , dans la
toire qu 'ils se transformaient en chaleur et lumière : 300 morts province de /'Uélé. Là, j 'ai vécu le drame atroce de la rébellion
dont on ne retrouvera pas même un orteil. congolaise. Prisonnier : tous les jours, et souvent plusieurs fois
Ce " boum " calma un peu les ardeurs de l'ANC qui se par jour, sur le point d'être massacré ; deux fois évadé ; vivant
contenta alors , prudemment, de faire donner la dizaine de caché en forêt, comme une bête traquée ; j'ai été admirable-
chasseurs T-28 . Dans la nuit du 4 au 5 novembre , les ment (héroïquement !) aidé par les chrétiens de ma mission
Katangais commençaient à déserter en masse vers le Rwanda, qui, cependant, comme tous les autres indigènes, vivaient dans
Tous les mercenaires survivants sont sur la rive rwandaise. la plus cruelle terreur.
Désarmés par l'armée locale , ils sont conduits au camp de " Nous étions trois religieux à Médjé, jusqu'au 30 octobre
Bujunge. L'aventure congolaise des mercenaires prend fin à 1964, où mes deux compagnons furent emmenés par les
cette minute même. Simbas à Paulis. L'un d'eux fut massacré là, à coups de bêche
Laissons encore une fois la parole à Jean Schramme : et de bouteille, dans la nuit du 24-25 novembre 1964. L'autre
" Au cours de notre lutte dans Bukavu, nous avions perdu fut sauvé avec les Européens encore vivants à Pau/is, le 26
une centaine d 'hommes . Quatre-vingts Katangais et vingt novembre, par les paras belges ...
38 LE CRAPOUILLOT
" Quant à moi, je dus mon salut au courage de quelques beaucoup de gens ? (« C'est quoi , ton Bukavu ? ,,, m'a deman-
"mercenaires" blancs et gendarmes katangais (groupe régulier dé l'autre jour un jeune homme pourtant branché sur les
de l'armée nationale congolaise, sous le commandement du Karens ...). J'expl ique.
général Mobutu) qui, alertés par un appel que je pus leur faire En août 1967, j'avais vingt ans et sortais d'une PM Para
parvenir par deux courageux garçons congolais de ma mission, (effectuée en compagn ie de Dimitri Voronine, qui sera tué , en
n 'hésitèrent pas à foncer jusqu'à Médjé, bien que toute la octobre 1970, au Tchad) et d'une PMS musclée. Le hasard -
région fût infestée de Simbas. ou la providence - faisait que, depuis deux ans, je passais mes
" Je fus ramené à Paulis, avec un petit groupe de commer- vacances d'été au Rwanda (avec, pour camp de base , Butaré,
çants grecs avec qui j'avais vécu en prison (trois d'entre eux l'ex-Astrida des Belges), très occupé à chasser le buffle dans la
furent massacrés par les Simbas quelques instants avant /'arri- Mutara, à proximité des frontières ougandaise et tanzanienne .
vée des "mercenaires''). Malgré l'encombrement des quelques Cette année-là, mon safari fut écourté. D'abord parce que
piteux véhicules dont se servaient ces soldats, je n'eus aucune nous nous occupâmes , en priorité, de faire une sorte de noria
difficulté à faire ramener à Paulis vingt-neuf Congolais qui entre Bu kavu et Butaré, pour évacuer, en Combi-Volkswagen ,
avaient eu une attitude admirable vis-à-vis, en particulier, des un certain nombre de réfugiés , principalement des mission-
Grecs et de moi-même, et qui risquaient gros (car les "merce- naires, et que je décidai, courant août, de rejoindre les hommes
naires" ne pouvaient demeurer à Médjé, et il était à prévoir des de Schramme dans le camp retranché . J'y fus fort bien accueilli.
représailles de la part des Simbas). Au Résidence Palace, où Schramme avait installé son poste de
" Pendant plusieurs jours je suis resté volontairement à commandement, comme à l'hôtel Riviera, théâtre de quelques
Paulis, avec l'accord empressé du major blanc, qui organisa, " dégagements ,, historiques, on eut la gentillesse de considé-
sur ma demande, le sauvetage de tous les otages encore aux rer avec amitié mes offres de service , sans " dauber ,, sur mes
mains des Simbas dans la région. Ainsi eurent lieu les opéra- maigres états de service ... On eut aussi l'i ntelligence - et je
tions de Viadana (sauvetage de cinq religieuses belges et des repense en particulier à Schmidt, dit " mini-Schmidt ,,, tombé
religieux dominicains congolais) ; Wamba (plusieurs centaines en héros au Biafra - de me faire comprendre qu 'il était peut-
d'otages blancs et de Congolais) ; Gao, Mongbéré, Bétongwé, être inutile de se mettre dans ce qui était (déjà) un guépier.
Vubé (cent vingt-sept otages de toutes nationalités) ... Est-ce Johnny le Belge, ou Perrin , ou Alex qui me conseillera
de repasser du côté rwandais et d'attendre des " combats plus
sûrs ,, ? Je ne sais plus. Après quelques jours passés entre le
« J'ai accompagné (comme prêtre) collège Notre -Dame -de-la-Victoire , la vi lla Schramme et les
les mercenaires... » bords du lac Kivu, j'ai regagné le Rwanda , direction Cyangugu.
Je n'ai jamais oublié la détermination et le courage des sol -
" J'ai accompagné (comme prêtre) les "mercenaires". Je dats d'i nfortune du major Schramme. Ni la discipline - n'en
dois dire qu 'ils ont fait mon admiration, tant par leur courage déplaise à quelques journal istes imbéciles qui parlèrent des
que par leur "humanité". Et, depuis mon retour en Europe, j'ai délices de " Bukapue ,, - que Schramme avait su imposer à
reçu maints témoignages de Congolais sur leur action humani- son " armée ,., en même temps que se développait une remar-
taire. On a trop écrit contre les "mercenaires" et gendarmes quable fraternité entre ces nouveaux Africains : mercenaires
katangais. En cette dure épreuve pour eux, je ne peux m'empê- blancs, gendarmes katangais, Congolais ralliés.
cher d'apporter mon témoignage, et de saluer leur héroïsme. " Tout commence à Bukavu .
Pourquoi raconter toute cette histoire restée inconnue pour Alain Sanders
Un mercenaire
se souvient
Le Crapouillot. - Qui étiez-vous avant de décider de devenir
mercenaire ? Origine, études, profession, activités politiques
éventuel/es...
Seren-Rosso - D'origine, je suis lorrain. Je suis né accidentelle-
ment dans l'Ariège le 11 mars 1942. Ma famille était d'ascendan-
ce italienne. Mes arrière-grands-parents sont venus en 1860 en
Lorraine. J'ai passé mon bac-philo. Puis je me suis engagé dans
le 1er RPIMa (Régiment parachutiste d'infanterie de marine).
J'avais commencé des études de Droit à la faculté de Nancy,
mais je voulais participer à la guerre d'Algérie. Au RPIMa, j'ai ter-
miné comme sergent, puis j'ai quitté l'armée en juin 63.
Le Crapouillot. - Bon. Vous quittez l'armée, et ensuite ?
Seren-Rosso - J'aurais voulu enseigner en Afrique. Mais je
n'avais pas de certificat pédagogique. Impossible de l'obtenir. Je
m'emmerdais. J'avais lu des choses sur Tschombé. Je vivais
dans le milieu des anciens de l'Algérie française. J'avais lu dans
Paris-Match un reportage sur les mercenaires au Yemen . De
guerre lasse, j'ai décidé de m'engager à la Légion étrangère. A Seren-Rosso.
Marseille, au fort Saint-Nicolas, un ancien du 29 REP me dit :
" Qu'est-ce que tu fais là ? A ta place je partirais au Congo. Il te
suffit d'aller à l'ambassade congolaise. "
J'ai mis quelques mois avant de me décider. Issu d'un milieu
bourgeois, c'était pour moi faire un grand saut.
Le Crapouillot.- Pourquoi?
Seren-Rosso - Mercenaire , c'est l'homme qui tue pour de
l'argent.
En juin 65, j'ai trouvé l'adresse de l'ambassade congolaise, rue
de Greuze. A l'homme qui m'a reçu, j'ai demandé d'abord s'ils
n'avaient pas un poste d'instituteur au Congo. Réponse :
- Vous ne voulez pas voir l'attaché militaire plutôt ?
- Pourquoi pas? '
Sympa, mon nouvel interlocuteur. Il me demande tout de
suite:
- Etes-vous allé en Algérie ?
-Oui.
- Dans quelle arme ? De gauche à dr1ite : un Belge, Jacquemin, un Français,
- Parachutiste. Thorez, un Français, Negri. Au second plan :
- Quel grade ?
un Portugais, Ferreira, et un Congolais.
-Sergent.
- Vous savez que notre pays est en lutte contre le communis-
me. Nous avons besoin de renforcer notre armée. Vous pouvez - J'ai plus d'argent.
partir comme instructeur. Après un contrat de six mois, si vous On m'en a donné sans problème. Avec 7 ou 8 camarades,
voulez entrer dans /'Education nationale de notre pays, vous nous sommes venus loger près de la porte Saint-Martin. Pendant
serez le bienvenu. quinze jours, on a visité Paris. Le 14 juillet, à la porte Saint-Martin,
J'accepte. Mon interlocuteur me donne rendez-vous à l'ambas- on a rencontré le capitaine Petitpas. Il me montra une carte pos-
sade quinze jours plus tard . tale du général Salan.
Dans ma famille , j'ai dit à ma mère que je partais comme Le 15, on embarqua dans un Boeing 707.
reporter de guerre.
Le Crapouillot.- Réaction?
J'étais heureux:
je partais à la guerre
Seren-Rosso - Tu aimes l'armée. Ça te plaira.
J'avais aussi écrit à Lartéguy. Jamais eu de réponse. J 'étais heureux. Je partais à la guerre. Tout cela pour
Quinze jours après , je me retrouve à Paris. A l'ambassade, je Tschombé .
tombe sur Jean-Michel Desblé, qui venait du 1er RCP. Il me dit : Vol sans histoire. Le lendemain, à Léopoldville, je me retrou-
- Je vais aussi au Congo. Rendez-vous ce soir au Bourget. vais à la base aérienne du 66 CODO (6 6 bataillon ?) , regroupant
Au Bourget, l'avion était plein . On me dit d'aller à l'hôtel. les volontaires francophones.
40 LE CRAPOUILLOT
-·--:~,
1
·' .,. ;
Dans notre famille politique, nous avons de la chance : nous Grey's Scouts, unité à cheval qui traque les terroristes dans la
savons qui nous sommes , d'où nous venons et où nous allons. brousse. Les résultats sont excellents, les Grey's Scouts sont
Cet héritage national que nous avons reçu en garde, il nous les seuls au monde à opérer de cette façon .
faut le défendre. L'armée, dans une nation, représente le seul Pendant toute cette période, je n'ai jamais éprouvé le
garant de l'indépendance nationale. J'ai servi au 68 Régiment moindre regret.
parachutiste d'infanterie de marine à Mont-de-Marsan (la caser- Que dire, aujourd 'hui, de mon engagement, sur le sens de
ne Bosquet n'est pas sans évoquer bien des souvenirs aux celui-ci?
" anciens .. ! ?) Tout au départ, n'était qu 'idées ! Maintenant s'ajoutent des
Expérience formatrice ! Se réclamer de certaines idées est liens très forts avec les hommes et les femmes qui vivent et lut-
une chose, les mettre en pratique en est une autre. Force est de tent sur ce sol de Rhodésie. Je disais qu 'une nation est une
constater que certains de nos " amis ,, politiques manquent par- amitié, je le ressens très fortement. La solidarité n'est pas un
fois de sérieux à ce sujet. vain mot, des amis, des Noirs comme des Blancs (mon unité est
Que ce soit le civil ou l'armée, le combat politique continue ! multiraciale !) sont tombés pour la Rhodésie . J'ai perdu un ami
Tourangeau , il aura pour cadre la Touraine ! Je suis très attaché que je considérais comme un frère : Simon Le Vieux, jeune
à la province, Paris ne m'a jamais beaucoup attiré. Puis, voilà Rhodésien de 20 ans, d'origine mauritanienne. Le combat n'est
1974 et la présidentielle. Pour moi, c 'est la campagne plus tout à fait contre le communisme, mais pour la Rhodésie,
Renouvin. Echec complet, à Paris, rue des Petits-Champs, dans le " bush .. , nous avons l'impression de construire une
juste une centaine de lettres de personnes intéressées ! nation, de vivre un nationalisme ! Quelle aventure extraordinaire
Au niveau de l'image de marque, les royalistes ont réussi leur en cette fin de XX 0 siècle ! Cela fait rêver lorsque l'on vient
opération, mais le bilan général est négatif. Le mouvement ne d'une Europe où la jeunesse, faute d'idéal , défile pour le SMIG
décolle pas, bien au contraire. Qu 'importe ! Je suis maurrassien , ou la retraite à 60 ans (voilà ce que sont devenus les anciens
je le resterai ! Je préfère saint Louis à Paul Deschanel ... ques- combattants " soixante-huitards " !
tion de goût !) Moi qui avais l'habitude des mots veulerie, lâcheté, trahison ,
Alors, pourquoi rejoindre les Rhodésiens et se battre avec eux ? faiblesse et prostitution , pédérastie, me voilà dans un monde où
Qu'une poignée de Blancs réussisse le tour de force de ren- l'on parle de sacrifice, courage, fidélité, force et honneur.
verser le " cours de l'histoire .. et crée une nation où, coude à Faut-il donc faire 15 000 km pour rejoindre un bastion où res-
coude, Noirs et Blancs se battent pour un devenir commun, cela tent en demeure des valeurs qui avaient permis à nos pères et à
contre le reste du monde, ne pouvait que me séduire. notre civilisation de rayonner et de s'affirmer de par le monde ?
Rhodésie ! ? Peuple de bâtisseurs, peuple de soldats - peut- L'avenir?
être suis-je sensible au mythe du moine-soldat ? Pourquoi pas ? Qu 'i mporte ! Aux frontières de l'empire, du haut des rem-
Pas question de mercenariat ! L'armée rhodésienne est une parts, nous faisons face, attendant impatiemment les vagues de
armée régulière disciplinée . Chaque soldat est l'héritier des barbares qui vont déferler ! Pour moi, pour nous, pas d'inquié-
pionniers bâtisseurs d'empires ! tudes !. .. Mais pour vous ?
Pour moi , bientôt deux ans de combat rhodésien avec les (Propos recueillis par Roger HOLEINDRE)
Soldat rhodésien et mercenaire français: faire face aux vagues barbares qui vont déferler.
44 LE CRAPOUILLOT
Patrick Ollivier
évoque les mercenaires
et leur image
Le Crapouillot-. Y a-t-il, selon vous, une similitude entre
les mercenaires des années 60-70 et ceux d'aujourd'hui ?
Patrick Ollivier -. Je ne le crois pas, pour plusieurs raisons.
La première relève du facteur géographique. A l'heure actuelle,
il existe un théâtre d'opérations " favorable ., à deux heures
d'avion de Paris. En pleine Europe ! Il y a quinze ou vingt ans,
les " soldats de fortune " devaient faire plusieurs milliers de
kilomètres avant de trouver un cadre d'action, généralement en
Afrique ou en Asie . Le plus proche était alors le Liban . A ce
sujet, je pense que la guerre qui s'y est déroulée a totalement
préfiguré ce qui se passe aujourd'hui en ex-Yougoslavie. Même
type de conflit qui mêle civils et militaires , mêmes types de
haines, sinon ethniques, du moins religieuses, etc.
Deuxième nuance importante : l'esprit des hommes. Malgré ce
qui peut être dit ici ou là, les mercenaires qui s'engageaient en
Afrique dans les décennies passées avaient pour la plupart un
goût de l'aventure et des grands espaces ne relevant pas de la
simple passion pour le combat ; pour certains , un réel désir de
construire quelque chose sur place , dépassant la volonté de la
guerre pour la guerre. Par exemple, il y eut, à un moment, chez
une partie d'entre eux, un souhait explicite de bâtir un royaume
du Bas-Congo. Au contraire, le conflit balkanique actuel ne
dépassera jamais le stade de la lutte gratuite, sauvagement
guerrière. Le nihilisme des combattants sur place m'effraie un
peu . Certains mercenaires que j'ai vu revenir de là-bas étaient
eux-mêmes écœurés par le degré de haine et de barbarie qui y
règne ... Sale guerre, vraiment.
Le Crapouillot -. Dans le cœur des mercenaires, le conti-
nent africain demeure-t-11 un lieu de prédilection ?
Patrick Ollivier -. C'est évident. Il va d'ailleurs y avoir, dans
les années à ven i r, une forte demande en provenance
d'Afrique . Les trente années de décolonisation ont complète-
ment changé les données politiques sur place. Les démocraties
instaurées là-bas, en cassant le système de parti unique, ont
détruit le système d'Etat-nation. Or, les nouveaux partis pol i-
tiques se créent autour des entités ethniques, ce qui laisse pré-
sager de véritables luttes tribales pour la conquête du pouvoir.
Des pays comme le Congo, la Centre-Afrique, la Côte d'ivoire
ou le Gabon vont exploser dans les années à venir. Les suc-
cesseurs des Mobutu, des Houphouët-Boigny ou des Bongo
seront les chefs des ethnies les mieux armées, les mieux équi-
pées et ... les mieux épaulées. L'Homme qui voulait être roi, de
Rudyard Kipling aura demain pour cadre l'Afrique.
Le Crapouillot - Les mercenaires constituent-lis un grou-
pe social homogène ?
Patrick Ollivier-. Absolument pas . C'est un milieu très indivi-
dualiste où l'on rencontre - comme dans toute société - des
bons et des méchants, des salauds et des héros, des traitres et
des hommes fidèles. Il existe plusieurs catégories de merce-
naires : ceux qui combattent par pure idéologie (on les retrouve
aujourd 'hui en Croatie ou en Serbie) ; ceux qui choisissent
cette voie parce qu'ils sont en rupture de ban de la société,
combattent pendant quelques mois et finissent gardiens de Après un raid contre une ferme.
square ; ceux qui s'engagent pour cinq ou six semaines et
Les combattants partent à l'assaut
pour nettoyer une tranchée
des forces de la Swapo.
reviennent frimer dans les soirées versaillaises ; ceux, enfin , je gauche •., qui se sont engagés auprès des Tupamaros , par
le répète, qu i essaient de laisser une trace matérielle de leur exemple. Ce n'était pas le cas chez nos " aînés ... D'autre part,
passage parce qu 'i ls aiment vraiment l'Afrique et les Africains . nous, nous avons chois i notre lieu d'engagement. Pour moi, ce
J'en ai connu plusieurs , comme Jean-Michel Deblet qu i est fut la Rhodés ie. J'ai toujours refusé de me rendre au Liban ou
même resté au Mozambique et s'y est installé. en Afghan istan . Pour ce dernier pays, je disais que s'engager
auprès des moudjahidines islam istes pour combattre de jeunes
Le Crapouillot - Les différences de générations représen- parachutistes ukrain iens baptisés en cachette par leur vieilles
tent-elles également un obstacle à une éventuelle homogé- babouchkas ne me semblait pas aller de so i.
néité chez les mercenaires ?
Le Crapouillot -. Vous avez évoqué l'amour de l'Afrique
Patrick Ollivier-. Disons qu'il y ava it dans la génération des de certains mercenaires. Seraient-lis sensibles ?
années so ixante un côté desesperado indén iable. Beaucoup
étaient marqués par la perte de l'Algérie et considéraient qu'ils Patrick Ollivier -. Bien sûr que les mercenaires sont des
devaient rester su r le continent africain pour continuer ce pour- hommes sensibles. J'en ai connu un qui a adopté un enfant
quoi la France les y avait envoyés. Il y avait chez eux un senti- angolais. Rappelez-vous encore Bob Denard pleurant dans les
ment d'obl igation qui n'a pas existé dans ma génération , celle bras de ses filles lors de son procès le printemps dernier. Le
de 68, pour résumer . Le côté " Mai-68 .. est important parce fait est que, lorsqu'on vit au milieu d'une population , il se noue
qu 'i l y a eu , dans les années 70 , des mercena ires " de des contacts humains où la sensibilité occupe forcément une
J,E CRAPOUILLOT
L'œil aux aguets, le doigt sur la gâchette, l'ennemi peut surgir à tout instant.
certaine place. Demandez à tous ceu x qui sont partis chez les Patrick Ollivier -. Non , bien sûr. J'ai toujours reconnu qu 'il y
Karens. Ils vous parleront de leurs rencontres sur place avec avait chez les mercenaires un certa in nombre de brebis
une émotion qui est tout sauf fe inte . galeuses dont il fallait se débarrasser. Cela dit, quand il y a une
breb is galeuse dans un troupeau , on ne détruit pas le troupeau
Le Crapouillot -. L'image du mercenaire, en France, est- ! Ce n'est pas parce qu 'il existe des journalistes ivrognes que
e/le juste, selon vous ? l'on doit dire que le journalisme est un métier d'ivrogne !
Patrick Ollivier -. Non , elle est dramatiquement fausse . La Le Crapouillot -.Des projets dans les mois à venir ?
notion même de mercenaire a, dans le langage courant, une Patrick Ollivier -. Oui , des projets d'écriture sur le compa-
dimension péjorative . D'ailleurs, on colle l'étiquette de merce- gnon de Savorgnan de Brazza qu i s'est retrouvé seul , au
naire à n'importe quoi , aujourd 'hui. A tout cela, il y a une raison départ de son chef, pour gérer les terr itoires conquis par ce
idéologique. Pendant des années, le supposé livre de référen- dernier. Il incarne le symbole même de la fidélité , de cette fidé-
ce pour parler des mercenaires éta it le livre de François lité si rarement récompensée. L'homme a fini sa vie su r l'îl e de
Maspero , au titre évocateur : Les Putains de l'impérialisme. Gorée, malade , sans soutien , abandonné . J'ai toujours été cho-
Comme, dans les années 70, les marxistes dominaient toute la qué par le fait que chaque départ de la France d'un territo ire. ait
vie intellectuelle française , on pouvait toujours expliquer que été marqué par l'abandon de populations fidèles , massacrees
les mercenaires avaient sauvé des massacres des enfants et par les nouveaux gouvernants . Je ne veu x pas cro ire qu 'il
des religieuses au Congo : dans le camp d'en face se trou- s'agisse d'une caractéristique de notre pays . Du rég ime poli -
vaient Che Guevara et Patrice Lumumba . Donc, les merce- tique en place depuis deux siècles, ou i. De la France, non .
naires étaient des méchants ! Les parachutistes sont un peu
victimes du même phénomène , en France. Toujours à cause Propos recueillis par
d'un livre : Les Parachutistes, de Gilles Perrault. Le mal qu 'ont Jean-Christophe BUISSON
pu faire ces livres n'est pas mesurable . L'image qu 'i ls ont créée
a imprégné en profondeur les esprits. Il faudrait un film pour
rétablir la vérité .
Patri ck Ollivier a publié il y a troi s ans Solda t de fortune, aux éditions
Le Crapouillot-. Les mercenaires ne sont tout de même Gérard de Vi ll iers (263 p., 95 F). Il est âgé de 42 ans et père de cinq
pas des saints ! enfants.
LE CRAPOUILLOT 47
Blanchis
sous
l'uniforme
En face d'eux , deux Français
blanchis sous l'uniforme. Le pre-
mier, que nous appellerons
Raymond, était sous-officier en
Algérie, fait officier et décoré de la
Légion d'honneur pour avoir rallié
toute une katiba rebelle. Le baroud
l'a entraîné ensuite sous les ordres
de Bob Denard dans la catastro-
phique tentative de débarquement
au Bénin en 1976, quelque temps
en Angola dans les rangs de
l'Unita et il exerce , entre deux
engagements, la profession plus Embuscade, à la frontière du Mozambique.
48 LE CRAPOLILLOT
veulent pas d'Asiatiques et on signe un protocole d'accord portant l'époque, mais la monnaie rhodésienne ne vaut rien hors de ses
sur la moitié, deux cent cinquante hommes dans un premier frontières) et même pas " d'assurances " qui correspondent à ces
temps, tous Blancs. primes allouées en cas de blessures, selon un barème rigoureux
Mais il apparaît très vite aux deux Français que Brant est qui va de l'amputation de l'index à la perte de ses " joyeuses '"
quelque peu bizarre et surtout très rapiat. N'entend-il pas , par Les Français seront considérés comme des trouffions rhodésiens
souci d'économie, faire voyager cette troupe dans un charter rho- qui toucheront seulement une pension d'invalidité, en cas de bles-
désien qui livre de la viande de bœuf toutes les semaines en sures et auront droit aux honneurs militaires, s'ils défunctent.
Irlande et qui, revenant à vide, ferait escale à Madrid où embar- Mais si Marcello éprouve quelques difficultés à trouver des
queraient les volontaires, charge à eux de gagner la capitale volontaires, ce n'est rien à côté de Raymond qui, à Lyon, en est
espagnole ... en auto-stop s'il le faut, le Rhodésien n'entendant réduit à passer des petites annonces peu discrètes, d'abord dans
pas assurer leur acheminement depuis la France. Il mégote éga- les revues spécialisées dans l'embauche des vigiles musclés ou
lement sur les primes et notes de frais, assure ne pas pouvoir les bulletins d'anciens des régiments d'élite puis, comme le ren-
dépasser 50 francs par jour et finit par accepter 60 francs ! Le dement n'est pas probant, carrément dans Le Progrès de Lyon,
major-général McLean avale whisky sur whisky, et paraît se en ces termes : " Ch. d'urgence sécurité-gardiennage outre-mer
désintéresser des tractations qui portent également sur l'autono- h. cél. de 22 à 35 ans . Bonne prés. Se prés. l 'Epi, rue
mie du bataillon français, la création d'un insigne distinctif, ainsi Bellecordière '" Des journalistes du Point du jour flairant
que la possibilité pour les officiers de passer le brevet rhodésien l'embrouille, se présentèrent alors à l'Epi, un bar accueillant où on
et d'avoir ainsi droit à une retraite. Un officier de liaison est dési- leur expliqua qu 'il s'agissait de garder des fermes rhodésiennes
gné, en la personne d'un ancien Cyrard qui sert déjà comme situées près de la frontière du Mozambique. Le scandale éclata,
sous-lieutenant dans le " Rhodesian African Riffles " et qui Le Matin de Paris reprit l'information en livrant les noms de
s'occupera des passeports. Après les deux cent cinquante pre- Marcello et d'un autre loustic que nous appellerons Jacques de
miers départs envisagés, il est entendu que deux cent cinquante !'Annonciation ... Du coup, même si les autorités françaises ont
autres hommes partiront, français ou francophones , pour le fermé les yeux sur l'entreprise, la DST, qui n'a pas les mêmes
30 octobre. On se sépare, apparemment d'accord , le major-géné- intérêts que le SDECE, fait les gros yeux et commence à s'i nté-
ral McLean plutôt fatigué par ses inépuisables libations. resser à ces " cinquante mauvais mercenaires '" comme les a
Raymond a assuré pouvoir recruter la moitié du contingent aimablement qualifié Le Matin de Paris. Marcello quitte le domicile
dans sa bonne ville lyonnaise (il ne précise pas si c'est en distri- de son ami journaliste, qui a vu , pendant un mois, défiler dans
buant des contraventions sous les pare -brise ... ) tandis que son salon les tronches les plus patibulaires et les plus couturées
Marcello part pour Paris où il compte passer un accord avec Bob de Paris et de la Grande Couronne.
Denard pour débaucher quelques-uns de ses hommes. Celui-ci Les choses se compliquent encore quand certains volontaires
donnera son aval mais fournira surtout quelques " cloches " dont exigèrent de partir avec leur famille et même, certains, avec leur
il n'arrive pas à se débarrasser. Marcello s'installe chez un ami chien , ce qui causa de féroces migraines à l'officier de liaison
journaliste et s'adjoint un recruteur en la personne de René, un pour régler les problèmes de quarantaine. Mais, tant bien que
ancien para, qui convoque les impétrants baroudeurs dans sa mal , le 13 novembre , vingt-trois costauds , accompagnés de
loge, car René , pour vivre, est concierge dans un bel immeuble quatre femmes et de quatre enfants, s'embarquent à Orly avec
de l'avenue Foch .. . des passeports à visas sud-africains qu 'on leur remet au dernier
moment pour qu 'ils n'aient pas la tentation de se faire rembourser
leurs billets d'avion et de disparaître dans la nature ...
200 dollars... rhodésiens
Mais les volontaires ne se bousculent pas au portillon . Les La 7e compagnie
conditions proposées ne sont en effet pas spécialement enthou-
siasmantes : engagement de trois ans au tarif misérable de deux De Johannesburg, les éclaireurs de pointe de ce qui allait bien-
cents dollars rhodésiens (environ mille deux cents francs de tôt devenir .. . " La 7e compagnie " (?th lndependant Company, 28
Brigade, sous le commandement du brigadier-général Rampling ,
et basée à Rushinga) gagnèrent Salisbury, aussitôt suivis , le
23 novembre, par le reste de la maigre troupe enrôlée. On les ins-
talle au Camp-Marié de Cranborn , dit aussi R.L.I. Baracks (les
Français les rebaptisèrent aussitôt " les baraques de Loreleï " et,
immédiatement après avoir touché les uniformes (leur béret vert
sera adorné d'un écusson tricolore) , commence le problème des
grades.
Les premiers arrivés seront les mieux servis , le tout sous l'œil
narquois du commandant " de !'Annonciation ,, qui partagera
avec Marcello le commandement de ce qui n'est, après tout,
qu'une grosse section et, quand le deuxième contingent arrivera,
tous les grades auront été largement attribués (et arrosés), et un
authentique sous-lieutenant de l'armée française devra se conten-
ter de rester deuxième classe, quand quelques cabots-chefs de
réserve s'étaient autonommés sergents ou adjudants.
Il faut dire qu 'on trouve un peu de tout dans cette 78 compa-
gnie, où ne manquent que Jean Lefebvre, Pierre Mondy et
Aldo-la-classe. Pêle-mêle : un garçon de café en rupture de zinc,
un moniteur d'auto-école, un mauvais garçon très tatoué, un juif
myope et, le plus beau de tous, un objecteur de conscience ! On
se souvient en effet que, lors du recrutement par le biais des
petites annonces lyonnaises, on racontait à peu près n'importe
quoi aux postulants pour gonfler les effectifs. Parfois même, on
n'expliquait rien du tout, et c'est ainsi qu 'en toute naïveté , un
brave garçon qui s'était fait porter pâle, pour ne pas accomplir son
Les Grey's Scouts unité d'élite unique en son genre. service national , eut le plus grand choc de sa vie quand on lui fit
Ils feront du dégat. revêtir la tenue camouflée de l'armée rhodésienne et qu 'on lui
LE CRAPOUILLOT 49
Parfois, quelques Français partent avec les " traqueurs " indigènes pour s'aguerrir.
confia un fusil d'assaut Fal. Ecœuré, il repartit le lendemain ... des tumulus improvisés. Les petites annonces n'avaient pas tout
L'équipement rhodésien est disparate et chaque militaire à fait menti : c'est bien de gardiennage qu 'il s'agissait. ..
s'équipe selon son goût. Mis à part la tenue léopard et une veste Les volontaires grognent et Noël se passe dans la morosité.
molletonnée sans manche, à énormes poches kangourou , four- Malgré la bière et le vin hors de prix, malgré les virées de dégage-
nies par le gouvernement, la fantaisie vestimentaire est de règle, ment au " Samantha '" une boîte de nuit de Salisbury où les
ce qui ne peut manquer de plaire aux volontaires français, ama- " natives " ne sont pas admises , malgré les frites de chez
teurs d'uniformes pittoresques et partisans d'une certaine anar- " Roger le Français ,, qui, comme son nom ne l'indique pas , est
chie dans l'exercice du service. Idem pour les armes, et les belge , malgré la lecture en situation de Compte à rebours en
" fana-mili " s'en donnent à cœur joie : PM Uzi israéliens, Rhodésie, un S.A.S. de Gérard de Villiers, ils s'ennuient, ils ont
mitraillettes Sterling britanniques, MAG belges, il y en a pour tous l'impression - avec juste raison - qu'on ne les prend pas au
les goûts et l'on peut voir, au PC du bataillon, à Montdarwin, sérieux. Bref, la 76 Compagnie a du vague à l'arme.
déambuler des Français désœuvrés au ceinturon bardé d'un cha- A Paris, l'enrôlement s'est tari, sans doute à cause des nou-
pelet de grenades M.K. , le Smith & Wesson battant la cuisse, le velles moroses qu 'envoient les garçons déjà sur place : lutte
Fal sur l'épaule. Désinvoltes, ils oublient souvent de saluer les d'influence entre les trois " commandants "• mauvaise conscien-
officiers réguliers rhodésiens qui, à la vue de la cocarde tricolore, ce du " capitaine " (qui est métis ... ). Dans cette petite commu-
ne peuvent que soupirer avec indulgence : nauté réduite aux caquets et que les Rhodésiens hésitent à enga-
-Ah... The Frenchies ! ger dans des missions sérieuses, les bagarres éclatent, la pré-
Nos compatriotes font aussi là-bas des rencontres inattendues sence des femmes plus ou moins légitimes n'arrange rien et
comme cet officier rhodésien, nommé de Bourbon des Deux- même le gigantesque doberman de Roger, le concierge , trouve
Siciles, descendant directement de la famille royale de Bourbon que tout cela manque singulièrement d'entrain. Parfois, quelques
et qui, curieusement, ne connaissait en français que La Français partent avec les " traqueurs " indigènes ou suivent l'ins-
Marseillaise, qu'il entonna un soir d'une voix de stentor. truction de la " Special Branch " qui fait dans le renseignement et
l'intox, mais, pour le grand baroud , ce n'est pas cela. Aucun ren-
fort n'arrive et ils ne sont toujours que 70 , un peu maigrelet pour
Du vague à l'arme une compagnie.
Bientôt, ils repartiront les uns après les autres, désenchantés.
Comme, malgré tout, ils sont là pour combattre , on envoie la Quelques-uns s'engageront à titre individuel dans les " Grey's
fameuse 7 6 Compagnie surveiller la frontière avec le Scouts '" où on leur fera les pires difficultés pour conserver leur
Mozambique. Cantonnée à Rushinga, elle se voit octroyer le sec- belle cocarde franchouillarde sur leur béret vert, et c'en sera fini
teur de Marymont, en pleine saison des pluies , dans un coin de la 7e Compagnie à l'été 1978.
infesté par les mouches tsé-tsé et les mines anti-personnel. Les
hommes sont en opération quatre jours sur six, en sticks de cinq ADG
(trois Rhodésiens, deux Français - ce qui déplait fortement à nos
individualistes chauvins), partant dans la nature avec un sac de Mais où était-elle donc passée avant que de trépasser dans
couchage et quelques rations individuelles, montant la garde sur tous les rêves de ces hommes qui voulurent être rois? ...
50 LE CRAPOUILLOT
Un soldat perdu
Rolf Steiner
" Je ne me suis jamais battu pour de l'argent »
Depuis la capitulation allemande de 1945, Rolf
Steiner n'avait qu'une patrie : la Légion. Intégré
au 3e bataillon étranger parachutiste, il saute sur
la cuvette de Dien Bien Phû. Après la victoire des
Viets, il se retrouvera détenu dans les camps de
concentration communistes.
Une fois libéré, Steiner se retrouve en Algérie. Il
devient sergent au 1er REP. En avril 61, son régi-
ment est dissous pour avoir participé au putsch
d'Alger. Il s'engage alors, aux côtés de ses cama-
rades parachutistes, dans les combats de l'OAS.
Comme pour beaucoup, son aventure s'achèvera
en prison.
Libéré, il retourne à la vie civile, une vie
qu'il n'a jamais connue, une vie qui
n'est pas faite pour les hommes de sa
trempe
En 1967, il part pour le Biafra. Là, il
sera nommé colonel, et, bientôt,
Steiner se retrouve à la tête de la
--=~ 4e brigade de commandos. Il
revit. Il a 3 000 hommes sous
ses ordres. Mais, en octobre 68,
la 4e brigade de commandos
est écrasée par les Nigérians.
Rolf Steiner en réchappe. Pour
lui, l'aventure continue ...
ailleurs ... Cette fois, on le
retrouve au Soudan. Là, il
tente d'organiser un soulève-
ment contre les Arabes.
Arrêté en 1971, il est traduit
devant le tribunal de
Karthoum. Il frôlera la peine
capitale et sera libéré en 1974.
Dans ses Mémoires, Carré rouge, il refu-
sera le qualificatif de mercenaire.
Diane CHARPENTIER
P
endant des années, les résistants anticommunistes nica- Il y eut, en revanche, quelques dizaines de volontaires
raguayens, les fameux Contras, ont fait échec aux sandi - nord-américains qui, pour des laps de temps variables séjour-
no-communistes arrivés au pouvoir par la force en 1979. nèrent dans les maquis de la Contra. Leur histoire et leurs
Un temps, les Freedom Fighters de la Contra furent aventures ont été racontées - et photographiées - de long en
aidés par les Américains qui , après avoir soutenu les sandi- large dans l'excellent magazine Soldier of Fortune. On pourra
nistes contre Somoza , avaient fini par s'apercevoir que les s'y reporter. Nous nous arrêterons, quant à nous , au seul
sandinistes étaient des communistes. " volontaire ,, français qui , à partir du Honduras, a aidé la
Contrairement à ce que prétendit à l'époque la propagande Contra : Jean-Pierre.
de Managua, il y eut très peu de " conseillers techniques ,, US Jean-Pierre a rejoint le Honduras presque par hasard.
aux côtés de la Contra . Excellents connaisseurs de leurs Après un passage par la Légion espagnole, le légendaire
jungles, les combattants de la Résistance nicaraguayenne Tercio , un séjour discret en Argentine, Jean-Pierre va débar-
n'avaient pas vraiment besoin d'autres choses que d'armes quer à Tegucigalpa. C'est là que je le rencontrerai. Avec un
capables de contrebalancer celles de l'armée sandiniste, aidée grade de sous-lieutenant de la Contra. Et en compagnie du
massivement par l'URSS, Cuba, les Bulgares et les Allemands colonel Juan Gomez, chef de la force aérienne - de la maigre
de l'Est. force aérienne - de la Contra.
52 LE CRAPOt.;ILLOT
Ce jour-là, le colonel Gomez nous dira : partir du moment où j'avais choisi de quitter la France, m 'instal-
- Vous êtes prêts à accompagner l'un de nos comman- ler dans d 'autres pays d 'Amérique latine . Mais c 'est ici, au
dos en mission sur le Rio Coco, au Nicaragua ? Nicaragua, que /es choses se passaient vraiment. Alors ...
- i Corno no, hombre ! Alors Jean-Pierre a choisi de s'installer au Honduras où ,
C'est ainsi que nous nous retrouverons dans le grand dans les années 80 , les Contras pouvaient évoluer quasiment
maquis de Yamales avant d'être héliportés, le lendemain , sur au grand jour. Un " mercenaire '" Jean-Pierre ? Si on lui pose
les bords du Rio Coco, pour porter assistance à des centaines la question , il rigole :
de civils qui, depuis des semaines , fuyaient devant les troupes - Mercenaire ? Je n'ai jamais touché un sou . Sinon pour
sandinistes. Pendant cinq jours, à moitié enterrés pour échap- payer mes déplacements de Tegucigalpa à Yamales . Je suis
per aux hélicoptères soviétiques, les terribles Mi-24/ 25 . Et , plutôt, si tu veux bien , un soldat d'infortune ... Au vrai , je suis un
avec Jean-Pierre, nous aurons le temps de parler de son enga- volontaire . Un soldat politique. Et le mercenariat, aujourd'hui,
gement. n'a plus rien à voir avec celui qui existait du temps du Congo
- Mon nom de guerre, c 'est " Chacal vert '" m 'expliquera- belge , du Katanga, du Yémen , voire même du Biafra. D'abord
t-il. Dans la Contra, tout le monde a un nom de guerre. Pour parce que les mercenaires de ces époques étaient souvent des
éviter que /es sandinistes n'exercent des représailles sur /es militaires en rupture de ban - officiers ou sous-officiers -
familles restées au Nicaragua. Mon engagement ? Normal. J'ai alors que les volontaires d'aujourd 'hui ont généralement un
toujours été un anticommuniste conséquent. J 'aurais pu, à mince bagage militaire, voire pas de bagage militaire du tout.
Après la victoire de Violetta Chamorro à Managua, on a pu
croire un temps que c'en était fini des Contras. Mais le maintien
aux postesclés - défense , armée , police , milice - des
anciens responsables sandinistes , les promesses non tenues,
l'assassinat dans la capitale nicaraguayenne de l'ex-n ° 1 de la
Résistance , le colonel Bermudez , a renvoyé les Contras dans
les maquis.
Aujourd 'hui , les Contras , rebaptisés Recontras , ont repris
les armes . Et Jean-Pierre ? Marié au Honduras , avec une
Hondurienne, père de deux enfants, Jean-Pierre avait trouvé
un poste de convoyeur . Beaucoup de convoyeurs font des car-
rières sans problèmes graves . Pas Jean-Pierre . Son camion
blindé ayant été attaqué, il en fera trop . Jusqu 'à bloquer une
balle de 11,43 dans la jambe. Il s'en est sorti sans séquelles
importantes .
Il y a quelques semaines , je l'ai eu au téléphone :
- Alors?
-Alors tu as vu, c 'est reparti comme en 14 !
- Qu 'est-ce que tu vas faire ?
- Essayez de reprendre du service, of course ! T'as vu le
nom de guerre du nouveau chef des Recontras, José Talavera :
" El Chacal "· Entre " El Chacal " et le " Chacal vert'" le cou-
rant devrait passer non ? Je te tiens au courant de toutes
façons ...
- i Corno no, hombre !
A.S.
Dans le « sanctuaire »
d' Aguacate,
retour de mission.
'homme qui court à perdre haleine porte , cousu sur Couché face contre terre , un cadavre criblé d'éclats, plus
Congo, et sont capables d'admirer à la fois le REP , les SAS, roquette Karl-Gustave , lors d'une inspection de routine des
les Watten SS ou les commandos israéliens. Pour tout ce que positions karens. Les Français ne sont pas les seuls à payer le
ces régiments ont en commun : le professionnalisme, la com - tribut de la guerre d'ailleurs. D'autres également, australiens,
bativité, et la camaraderie d'armes. britanniques et suisses, ont laissé leur vie sur cette terre de
Birmanie.
Dès la nouvelle de la mort de Jean-Philippe Courrège-Clerc
Ancien de Saint-Cyr connue, la presse avait ressorti les vieux poncifs sur les
" chiens de guerre '" les " demi-soldes '" " les réseaux armés
Comme la plupart de ses camarades, Guillaume avait à de l'internationale de l'extrême droite " ...
peine vingt-cinq ans. Ancien de Saint-Cyr, il avait servi deux - Jean-Philippe aimait les armes, c 'est vrai. Mais il avait été
ans au 13 8 Régiment de dragons parachutistes à Dieuze , élevé chez les prêtres et il savait surtout que les Karens parta-
jusqu'à ce qu'il s'ennuie dans sa caserne et décide de forcer geaient ses valeurs et sa foi, rappelait son frère peu de temps
lui-même le destin pour aller trouver une guerre à mener. Pas après l'annonce de son décès. Pas de politique dans sa
pour l'argent, pas pour les femmes, pas même pour la gloire. démarche.
Mais pour l'aventure. Pour lui-même. Pour se trouver une rai- Contrairement à ce qu 'on pourrait croire, ces morts n'étaient
son d'exister ... De l'époque de sa vie en France, il n'avait pas des morts annoncées . Avant l'opération dans laquelle
conservé que son nom de guerre : cc William Dragon » , en Courrège-Clerc se fit tuer, les volontaires étrangers ne partici-
mémoire de ce régiment qui ne lui avait pas apporté ce qu'il paient pas aux combats. Au mieux y assistaient-ils. En obser-
recherchait. vateurs. Leur rôle se cantonnait à la formation des recrues . Il
Contrairement aux affirmations de beaucoup de confrères , peut paraître curieux à certains esprits critiques que des gens
bien incapables de situer sur une carte le petit bout de territoire se battant depuis près de quarante ans aient ressenti le besoin
où se battent ces Français, ces derniers ne ressemblent en rien de faire appel à de jeunes Français pour les former à la guerre.
aux " Affreux ,, du Congo. Ce sont bien souvent des amateurs Pourtant, les chefs politiques karens savaient ce qu 'ils fai-
dont certains deviendront des professionnels " à l'usage " • et saient. A l'époque où débarquèrent les premiers Français, la
qui iront servir en Afghanistan, au Laos , au Cambodge et, résistance était à bout de souffle . Les combattants - des
beaucoup plus tard , dans l'ex-Yougoslavie. enfants entre dix et quinze ans - étaient levés dans les vil-
Avant Guillaume, sont tombés deux autres Français : Jean- lages et auss itôt envoyés au front. Sans entraînement. Ils
Phil i ppe Courrège-Clerc , en 1984, et Olivier Thirriat , en devaient agir à l'exemple de leurs camarades plus aguerris.
1989. Courrège, l'un des premiers volontaires à rejoindre les Inutile de préciser que cette méthode laissait un nombre
Karens, a été tué non loin de l'endroit où est tombé Guillaume. impressionnant de morts sur le terrain . Les Français proposè-
" Mort en héros, en montant, seul , à l'assaut d'un bunker bir- rent qu 'on leur confie , dans un premier temps , une vingtaine
man •., selon les témoins . Thirriat est mort - plus convention- d'hommes pour les instruire pendant deux à trois mois . Leur
nellement, devrait-on dire - au camp de Wung-Ka, à une ving- ambition était modeste au départ. Ils voulaient les entraîner
taine de kilomètres de la frontière thaïlandaise , fauché par une physiquement, leur apprendre à se déplacer, à utiliser leur
cinq cents kilomètres des théâtres d'opérations cambodgiens , cheminements dans la jungle sont hasardeux et difficiles, la
les chefs karens avaient entendu parler du " petit chef de guer- chaleu r de ce mois de février est déjà bien installée, et, lorsque
re franco-chinois "· le corps arrive à l'arrière, il est déjà très abîmé . Alertées par
Lorsque le " capitaine Heang ,, se présente, il obtient immé- l'état-major karen , les autorités locales thaïlandaises prévien-
diatement tout ce qu 'il réclame . Il fait construire un camp. Son nent aussitôt l'ambassadeur de France et lui demandent de
commando est doté d'armes semi-lourdes , d'explosifs , de faire vite pour organiser le rapatriement du corps que la famille
moyens radio ... En quelques mois, la guerre de Birmanie chan- réclame . Dans un premier temps , l'ambassadeur ne se donne
ge de visage . En février 1987, notamment, l'opération qu 'il pas même la peine de répondre, puis il refuse net de se char-
monte contre la mine de Sédwé , au nord de la 1ère Brigade ger " de ce mercenaire inconnu de ses services consulaires " ·
karen , est un énorme succès. En quelques heures de combat, Les Thaïs sont furieux , les Karens écœurés . Ces derniers
il enlève la position et récupère une quantité impressionnante menacent alors d'abandonner le cadavre de Guillaume avec
d'armes lourdes et de munitions. Des colonnes de porteurs arme et treillis militaire , et passeport à la main , dans la ville
affluent vers l'endroit pour transporter le butin vers le quartier frontière de Mae-Sot, mais non sans avoir convoqué la presse
général karen. Trois hommes du " commando ,, ont été tués internationale. L'ambassadeur prend peur et se décide enfin à
dans l'opération . En face , le bilan est autrement plus lourd : les envoyer dans le nord un troisième couteau du consulat pour
Birmans ont abandonné sur le terrain près d'une cinquantaine prendre en charge la dépouille de Guillaume.
de cadavres. Mais, beaucoup plus important pour les Karens , Plus d'une semaine s'est passée. Lorsque l'agent consulaire
les Birmans savent désormais que des unités spéciales, entraî- parvient enfin dans un petit camp karen de la rivière Moïe; non
nées par des étrangers, attaquent en profondeur. Le moral de loin de Mae-Sot, on le remercie et on lui indique qu 'il peut ren-
l'ennemi s'en ressent. trer à Bangkok . Guillaume a été incinéré depuis quelques
Toutes les opérations du " commando ,, sont meurtrières. heures et ses cendres déposées dans le carré des martyrs d'un
Pour tout le monde . Les coups de main sont dangereux, ris- cimetière karen.
qués, souvent à des semaines de marche des bases arrière .
Au fil des mois, la liste des Karens tombés au champ d'honneur
s'allonge.
- Chaque recrue que nous acceptions savait que son capi-
tal-vie était considérablement écorné dès lors qu 'elle allait ser-
Faites réaliser votre
vir au " commando '" note l'un des anciens instructeurs. A
peine quelques mois. Quelques mois pendant lesquels il allait
portrait ou celui d'un
falloir multiplier les actes de bravoure. être cher, sans même
En une dizaine d'années, plus de deux cent cinquante sur
les trois cents soldats passés par le " commando ,, sont tom- vous déplacer !
bés en opération . Le reste a été blessé sept, huit... dix fois !
Aujourd 'hui , tous les cadres de l'armée karen sont sortis de
l'instruction française . Les plus célèbres d'entre eux, les majors
Walter, Bodjo, Pomoo et Lawadee n'ont cessé de s'illustrer
dans des opérations suicides.
Les Français auront surtout effectué de l'instruction.
" Heang ,, veut être seul à accompagner et à diriger ses
hommes au combat . Il a toujours en mémoire la mort de
Courège-Clerc , et ne tient pas à faire prendre de risques
inutiles aux instructeurs étrangers dont il est devenu le
" patron "· Les Karens non plus ne souhaitent pas les voir par-
ticiper aux combats . En fait, le vrai problème vient des autorités Il vous suffi de nous envoyer une photo
thaïlandaises qui désirent que le minimum de publicité soit fait
d'un format supérieur ou égale à une
autour des volontaires .
photo d'identité pour recevoir chez vous,
par la poste, dans un délai de 15 jours
Mort de Guillaume. maximum un superbe portrait réalisé au
Le consul de France fusain sur papier blanc
(format 24 cm / 32 cm) signé par l'artiste*.
n'en a rien à cirer
Personne n'est dupe de la complicité dont jouissent les
étrangers pour se rendre en Birmanie. On ne peut rejoindre les
Karens que par la Thaïlande. Le passage se fait trois fois sur
--------------
COUPON RÉPONSE À RENVOYER À
S. LE TIRANT. 55, GRANDE RUE 60390 VILLOTRAN 1
1
quatre avec l'accord de la police des frontières thaïe dont la
sympathie à la cause karen est acquise de longue date. Mais le
NOM .................. .. .. ... ...... PRÉNOM ........................ ... ... .... . 1
gouvernement de Rangoon multiplie les plaintes auprès du ADRESSE ........................... .. .... ..................... .... .... .. .......... 1
ministère des Affaires étrangères de Bangkok, et tente égale-
ment de faire pression sur l'ambassade de France, qui ne reste ............................................................................................ 1
d'ailleurs pas sourde et essaie depuis quelques mois d'obtenir
de l'immigration thaïe qu 'elle récupère ces " gêneurs ,, pour les ............................................................................................ 1
expulser du territoire .
En fait, il existe depuis des siècles (depuis la destruction par
Je vous commande un portrait au prix exprtionnel de : 1
les hordes birmanes de l'ancienne capitale du royaume de 390 F TTC franco de port 1
Siam , Ayuddhya) une haine farouche de Bangkok à l'encontre Paiement par I
de son turbulent voisin . Le travail des volontaires français aux O CHEQUE O CONTRE RE MBOURSEMENT O CCP O MANDAT
côtés des Karens est donc plutôt apprécié. RÉGLE MENTS À LORDRE DE S. LE TIRANT 1
Ces relations à trois prendront un tour odieux à l'occasion de
la mort de Guillaume.
Le Français n'a pas été tué très loin de la frontière , mais les -
*Satisfait ou remboursé sous réserve du renvoie
du dessin dans un delai de 5 jours.
Nous nous engageons également à restituer et à ne pas utiliser à des fins
publicitaires ou commerciales les documents fournis par notre clientèle.
...
1
58 LE CRAPOUILLOT
Les volontaires
CROATIE étrangers
ont répondu « Présent ! »
e quotidien d'extrême gauche Le Monde, jamais en retard français , britanniques, allemands, quelques Noirs - se sentent
que plusieurs journaux néerlandais ont publié des appels aux Mais allons plus au fond des choses . Pour évoquer, par
volontaires pour s'engager dans les forces croates , l'opération exemple , l'ex-adjudant-chef Tot , du 1er REG , qui a choisi -
étant organisée par un ancien du bataillon néerlandais des après vingt-huit ans de Légion - de rentrer en Croatie pour
forces de l'ONU au Liban, Van den Bros. aider au combat contre l'envahisseur serbo-communiste.
Pour l'ex-adjudant-chef Tot , devenu aujourd 'hui colonel de
l'armée croate , tout commence en 1958. Il a 18 ans et il ne veut
Guerre idéologique pas vivre sous régime communiste . Alors il s'enfuit et s'engage
dans la Légion étrangère française . Avec une histoire qu 'il est à
En septembre 1991, un Hollandais âgé de 45 ans, Ervin peine besoin de raconter . D'Algérie au Liban , l'adjudant-chef
Kornalis van der Mast , po rteur de l'uniforme de la Garde Tot sera à tous les rendez-vous . Blessé trois fois très griève-
nationale croate , a été tué par les serbo-communistes. ment, il est décoré de la Médaille militaire et de la Croix du
Et du côté de Belgrade ? Du côté de Belgrade, on trouve combattant. Il est cité deux fois à l'ordre du régiment et à l'ordre
des conseillers israéliens qui croisent, sans en être gênés plus de la brigade, avec deux étoiles de bronze.
que ça, des envoyés très spéciaux du colonel Kadhafi. Mais En 1987, fin de parcours . Et un job alimentaire : un poste de
aussi d'anciens membres de la Securitate roumaine et des directeur de la sécurité d'un centre commercial dans le Midi de
Bulgares fortement motivés politiqusment. Ceux-là ont compris la France. Quand les serbo-communistes attaquent la Croatie ,
que la guerre qui se déroulait entre la libre Croatie et la Serbie il n'hésite pas une seconde. Avec toute sa famille - et une
communiste était d'abord et avant tout idéologique . vingtaine d'anciens légionnaires d'origine croate -, il rejoint la
balbutiante armée croate. Salaire : 4 000 F par mois. Il en Fin novembre 1991 . un volontaire anglais sera capturé par
gagnait quatre fois plus en France. les Serbes. Il sera torturé au-delà de toute description. Après
Très vite , l'ex-adjudant-chef met sur pied une unité de cent lui avoir arraché les yeux, coupé la langue et les testicules , les
hommes - des " Bérets verts ,. - qui deviendra légendaire : Serbes le pendront. Inutile de dire qu 'après cette date, les trou-
le commando Obuka . On le verra partout, créant la pan ique piers serbes qui sont tombés entre les mains des camarades
dans les rangs des envahisseurs serbo-communistes. En jan- de ce garçon n'ont pas été faits prisonniers ...
vier 1993 - après avoir prévenu . fait unique dans les annales
de la guerre, les Casques bleus français de l'imminence de leur
attaque-. ce sont ses " Bérets verts ,. croates qui reprendront De Roger le Suédois...
le barrage de Peruca, l'aéroport de Zadar-Zemunik , et le pont
de Maslenica. Quelques-uns des volontaires engagés en Croatie, puis en
Avec les hommes du commando Obuka. nous avons affaire Bosnie , se feront un " nom "· Ains i en ira-t-il de Roger le
à des volontaires encadrés par des " pros ,. . Il en va autrement Suédois , de !'Espagnol Eduardo Flores, évoqué plus haut, de
des centaines de jeunes gens qui , pétris de bonnes intentions. Gaston Besson . dont nous allons reparler . Mais jamais ,
souvent, se précipitent en Croatie au début de la guerre - et comme le rappela à juste titre Jean-Pascal Heraut dans un
l'été aidant. L'hiver venu , ils décrocheront .. . numéro de Raids (février 1992) , il n'y a eu , en Croatie , une
Des " mercenaires ,. ? Aucunement. Et, d'abord , parce qu 'ils quelconque " brigade internationale de mercenaires " · Et
ne sont pas payés, recevant quelque 350 francs pour améliorer Heraut , qui consacrait là l'un des rares articles sérieux aux
l'ordinaire de la troupe. S'il fallait donner des chiffres à pe u près volontaires étrangers , notait encore : " Tous les volontaires
sérieux quant au nombre de volontaires , ce serait impossible . étrangers venus faire le "coup de feu " en Croatie n'ont pas tou-
D'abord , parce qu 'il conviendrait de faire le tri entre les véri- jours fa it preuve du même sang-froid. Nombreux sont, en effet,
tables combattants - hongrois , autrichiens . anglais , alle- ceux qui, au premier accrochage sérieux ou au premier bom-
mands, français - qui ont rejoint la Croatie et la palanquée de bardement "un peu méchant" (. .. ) ont préféré plier bagages et
guignols venus prendre la pose, le temps d'une photo provoca- rentrer à la maison. "
trice, avant de reprendre le chemin de Zagreb. Observation confirmée par Roger le Suédois :
Au début de la guerre - dernier trimestre 1991 - . nous - Tant qu 'il s 'agissait de se balader en ville en tenue cam '
avons eu l'occasion de rencontrer de nombreux Ang lo-saxons et armé jusqu 'aux dents, les choses allaient pour le mieux.
(entre 50 et 1OO) sur les fronts de Karlovac et de Sisak (au sud Mais dès qu 'ils se sont retrouvés dans la boue jusqu 'aux
de Zagreb) et celui d'Osijek (est de la Croatie) . A Osijek, où ils genoux, sous les bombes ou les tirs des snipers, la plupart ont
étaient les plus nombreux, les Britanniques , tous anciens sol - craqué. Ils ne savaient pas que la guerre est sale, qu 'elle est
dats de Sa Très Gracieuse Majesté , avaient même formé un faite de sang et de merde.
peloton de combat au sein d'une unité de choc de la Garde A la différence de la France , où l'engagement pour la
nationale. D'autres avaient rejoint , pour des raisons d'affinité Croatie s'est fait de copain à copain , par le bouche à oreille, les
idéologique , les milices du HOS (le bras armé du Parti croate journaux anglais, hollandais et italiens ont appelé - ce qui est
du droit) . interdit chez nous - de jeunes volontaires par voie de presse .
LE CRAPOL'ILLOT 63
Rémy Daillet,
volontaire français
en Croatie
Fils du député de la Manche, Jean-Marle Dalllet, Rémy, 25
ans en 1991, et Michel, 19 ans, choisirent, en août 1991 , de
prendre la direction de la Croatie. Pour s'y battre. Et mettre
leurs convictions anticommunistes et leur foi catholique au bout
de leurs fusils. Rémy Daillet nous en dit plus. - AS .
Sur l'histoire de ce combattant, un remarquable livre de Sur quel front avez-vous été placé ?
Marc Charuel. (Voir la critique de Roland Gaucher.)
Nous avions demandé à être à Okucani-Nova Gradiska, où
Ainsi a-t-on pu lire , dans le bi-hebdomadaire italien nous nous étions liés d'amitié avec les gardes croates. Cela
Portaportese , cette sympathique petite annonce : " Jeunes nous a été accordé.
volontaires bienvenus pour aider la Croatie en danger, victime
de l'assaut bestial des Serbes et des communistes yougo- Outre votre frère, y avait-li d'autres Français avec vous ?
slaves."
La majeure partie des nouveaux venus en Croatie sont des
Allemands , des Italiens, des Français d'origine croate ou des
... à Gaston Besson Croates de la diaspora. Mais il y a aussi des Français, trop
peu , hélas, dont on parle en bons termes en Croatie et en très
Nous avons évoqué, plus haut, la figure héroïque d'un jeune mauvais termes en France. Car il est évident que cette
volontaire français , Gaston Besson . Le journaliste Marc démarche déplaît à l'intelligentsia française procommuniste -
Charuel a fait un livre avec lui : Putain de guerre (Editions du journalistes et hommes politiques - qui s'acharne à chercher
Rocher) . Et il a eu raison, dans la mesure où Gaston , ancien de sombres filières " néo-nazies ,, entre l'Occident et la
volontaire chez les Karens de Birmanie , est emblématique de Croatie. Dans le plus grand mépris de toute la résistance croa-
l'engagement d'un certain nombre de jeunes Français aux te et du drame qu'elle vit.
côtés des Croates.
Marc Charuel explique : Restez-vous en contact avec vos camarades croates ?
- J 'ai connu Gaston Besson en 1986, dans les studios
d'une société de production vidéo. Je rentrais d 'une guerre ; il Le manque de nouvelles nous mine. Il n'y a aucun moyen de
revenait d'une autre, avec un excellent reportage sur la prise, savoir où se trouve l'unité, qui est blessé, qui est mort ... Nous
par des rebelles inconnus du grand public, d'un piton sans les avons tous revus - tous, sauf trois - récemment, à
importance, perdu au fond d'une jungle sans nom. Après six Zagreb, au repos. Ça a été d'incroyables retrouvailles. Ils nous
années d 'errance d 'un front à l'autre, à faire des guerres per- croyaient morts.
dues d'avance, il avait décidé de ne plus toucher une arme. De
changer de " métier '" Et de tourner le dos à cette vie d'aven- Comment prolongez-vous, en France, votre engagement
tures sans lendemain, pour redevenir " comme tout le pour la Croatie catholique ?
monde '"
Mais Gaston Besson - et, comme lui, quelques garçons de Il y a un énorme travail d'information à faire. Rares sont les
France qui sont le sel de notre pays - n'est justement pas journaux pour s'intéresser au fond de ce drame. Il faut accepter
comme tout le monde. tous les débats, car de tous les débats les Croates ressortent
Il y aura pour Gaston ce qu 'il appellera le " syndrome grandis, à commencer par l'étude historique. Mais nous partici-
Vukovar ,, . Et il dit très bien : " La reddition de Vukovar restera pons autant que possible à l'aide humanitaire.
le symbole de /'ignominie de cette guerre civile et de la lâcheté Propos recueillis par Alain Sanders
européenne. " Et il précise :
64 LE CRAPOUILLOT
- A Paris, les gens étaient froids comme la mort, égoïstes, gers. La mort de l'un ou de l'autre était d'autant plus stressante
sinistres. Les filles ne donnaient pas de plaisir. Elles voulaient pour le reste du groupe qu 'elle était individualisée (.. .) Monter
en prendre, rien de plus. On gérait les égoïsmes qu'on addi- un assaut à quinze, c'était terrible parce qu 'on se regardait
tionnait comme des comptables aveugles et bornés. Je suis avant, on se reconnaissait, on connaissait chaque regard,
allé voir parce que même la merde de Croatie, ça devait sentir chaque expression, chaque sourire et chaque timbre de voix, on
meilleur qu'ici. Tout était très flou . J'étais curieux, mais, surtout, ne pouvait pas accepter que l'un de nous n'achève pas sa cour-
j 'avais honte de ce que je voyais et entendais autour de moi. Je se. On était trop nombreux pour accepter de mourir. "
devrais dire : je ne sais pas pourquoi j'étais resté. Je sais, en Une réfle xion de Gaston Besson résumerait , à elle seule ,
revanche, pourquoi je suis parti. l'état d'esprit de ces jeunes volontaires européens qui , à bien
La première position où Gaston Besson , qui avait rejoint les des égards , diffèrent des soldats de fortune que nous avons
" Chicago ,, du commandant Yelenic, un groupe de " chiens fous ,, connus et côtoyés il y a quelques lustres :
pas piqués des hannetons, sera Mala Bosna, l'un des faubourgs de - Je n'étais qu'un mercenaire, trop idéaliste pour monnayer
pointe de Vinkovc i. Il y retrouvera d'autres volontaires : un mes services. Je ne savais rien de ce qui m'attendait, dans une
Américain , trois Allemands, un Suisse, un Français, un Australien , heure, demain, au bout de la vie. J 'ignorais où j'allais, pour
et, faisant office de chef, un Anglais, Jo, ancien des SAS. quoi, pour qui. J'aurais aimé être un chevalier, mais, pour tout Je
Après Vinkovci , ce sera Karlovac. Au cœur de l'offensive monde, je n'étais qu 'un voyou et un tueur. Je n'avais jamais
serbe. Et puis la Bosnie -Herzégovine . Et les villages où les vibré aux histoires d'exécutions sommaires ; j'avais toujours
Serbes avaient tout nettoyé : hommes , femmes , enfants , même détesté ces longs récits de meurtres collectifs, de pillages et de
les animaux. Ailleurs , comme à Zeric , les volontaires retrouve- viols. C'était la guerre, pourtant, mais j'étais allé à la guerre en
ront l'un des leurs, un Allemand , crucifié vivant , cloué sur une espérant autre chose.
porte de grange .. . Gaston lui-même sera blessé. Plusieurs fois. Peut-être espèrent-ils, au bout du chemin , la lumière. C'est
Parmi les " figures ,, évoquées par Gaston Besson , pour cela, sans doute , que Freddy, John , Karl , Jo et les autres
l'Allemand Andreas Strauss. Les poches bourrées de bou- vont jusqu 'au bout de leur baraka. Dans Le prêtre et le commis-
quins de Nietzsche , polyglotte. John aussi , tué à Bosanska saire, le RP Stihle écrit : " Quel que soit l'accueil qui nous
Biala par les Tcheniks. Et encore Ron Wolf, un Américain lassé attend, n'oublions pas que nous sommes aussi les survivants
de l'American Way of Lite. Rod Morgan , un Ec~sais " qui d'un enfer où des hommes acceptèrent de mourir pour effacer
rêvait de se faire un char "· le scandale de ceux qui se contentent de vivre. " En Croatie,
Après la dissolution du HOS, Gaston et les étrangers de son les volontaires étrangers ont essayé de faire oublier le scandale
groupe seront versés dans un bataillon d'élite gardiste : " Nous de ceux qui laissent crever les Croates.
étions une poignée. Quelques dizaines de combattants étran- Alain SANDERS
Hier et demain
l'Afrique du Sud
n 1899, quand la guerre éclata en Afrique australe , Russes, Autrichiens , Allemands , Italiens , Hollandais et
... à Villebois-Mareuil
Georges-Henri-Anne-Marie-Victor de Villebois-Mareuil
naquit à Nantes le 2 mars 1847. Sorti de Saint-Cyr en 1867, il
choisit l'infanterie de marine et fut nommé en Cochinchine. Le
6 janvier 1871, il fut incorporé au 7° bataillon de marche de
chasseurs à pied et nommé capitaine. Il avait vingt-quatre ans.
Il rejoignit le corps le 11 janvier à Issoudun et reçut le comman-
dement de la 50 compagnie . Le 12, le bataillon partait pour
Vierzon où il arriva le 13, pour être affecté au xxv0 corps de
l'armée de la Loire.
Le 28 janvier, Blois est occupé par l'ennemi et l'état-major
décide de reprendre la ville. Le capitaine de Villebois-Mareuil a
une conduite au feu tout à fait exemplaire. Les Prussiens sont
chassés de Blois, mais lui-même est grièvement blessé.
En 1881 , il participe à la campagne de Tunisie ; en 1889, il
est nommé chef d'état-major de la division d'Alger. Promu au
grade de colonel en 1892, il est alors le plus jeune colonel de
l'armée française.
En 1895, il est chef de corps du 10r Régiment étranger
d'infanterie à Sidi-bel-Abbès.
Le colonel de Villebois-Mareuil était farouchement antidrey-
fusard et il préféra quitter l'armée plutôt que de cautionner sa
politisation. Quelques années plus tard éclatera d'ailleurs l'af- Cavalier boer.
LE C:RAPOULLOT 67
i~
(1) C'est un texte inédit que j'ai publié en 1989 sous le titre : Le der-
nier commando boer, 317 pages , photos, cartes. Commande contre un
chèque de 140 francs franco à L'Afrique réelle, BP 6, 03140 Charroux. Veuillez trouver ci-joint mon règlement à l'ordre de Pd'P-diffusion par:
(2) Je prépare un livre sur cette question. Sa publication est prévue fin 1994. o chèque bancaire ou postal o eurochèque o mandat-postal ou international m
(3) Elles ont été publ iées, avec l'i ntégral ité des cah iers de guerre de o je préfère payer par carte bancaire (Carte Bleue, Visa, Eurocard, Mastercard) Î
Villebois-Mareuil, sous le titre Villebois-Mareuil, le héros de l'Afrique du Numéro !_ 1_ /_/_/ /_/_/_/_/ /_ /_ /_/_ / l_ l_ I_/_ / ~
Sud, 1990, 326 pages , photos , cartes. Commande contre un chèque de Expire fin /_ I_ !_ /_ / Signature: ......... ....... .......... .
160 francs franco à L'Afrique réelle , BP 6, 03140 Charroux. (Pour paiement par carte bancaire)
Pd'P-DIFFUSION BP 579-01 75027 Paris cedex 01
(4) African National Congress, dont un des principaux dirigeants est Comptoir de vente: 146, rue saint Honoré 75001 Paris
Mandela. A ne pas confondre avec l'armée de Mobutu
- NDLR - Les intertitres sont de la rédaction.
L---------------~
68 LE CRAPOUILLOT
Entre deux aventures, Paul Ribeaud, Jean Kay et Roland Raucoules (de gauche à droite). Debout, le pilote de l'OAS, du
Biafra, assassiné au Nord Tchad par les hommes de Hissen Habré.
a plus spectaculaire opération, réussie celle-là, réalisée toire qu'il avait conquis avec un revolver et vingt cartouches .
Kay écrit à Malraux, lui propose ses services et se rend à son et sillonne les océans.
domicile à Verrières . Le paladin du gaullisme n'est pas là, mais On l'aperço it aux Antilles , aux Philippines, à Tahiti où un
sa secrétaire explique au visiteur que le départ de !'écrivain gendarme lui dit :" Votre tête me rappelle quelque chose. ,, Il
pour une ultime et tardive aventure s'apparente plus au rêve met les voiles sans attendre. Le voilà en Inde où il sombre dans
qu 'à la réalité . le mysticisme. L'argent de Dassault a fondu . Dans une lettre
Jean Kay décide de frapper un grand coup en kidnappant un publiée dans un hebdomadaire, Jean Kay lance un appel à sa
avion . Par la radio de bord , il explique son geste . Quatre · fam ille et à ses proches.
tonnes de médicaments s'entassent dans la soute de l'avion . A " Je suis en train de crever comme un chien après avoir
la nuit tombante , le pirate est neutralisé par un policier déguisé découvert tous les secrets de l'existence et reçu les clefs du
en bagagiste. Il est enfermé pendant huit mois dans la prison royaume. Je vois tout et je peux parler comme un dieu. "
de Fleury-Mérogis. Il disparaît encore et rejoint la Guadeloupe où il vit sur son
A son procès, au tribunal de Versailles , où il est défendu par bateau. En octobre , il repart pour l'Inde où il est emprisonné
Maître Varaut, André Malraux vient à la barre : " Lors de son depuis quelques jours pour usage de faux passeport.
dernier voyage en Inde, on m'a passé autour du cou un collier Voilà l'itinéraire de cet aventurier d'exception. Il avait com-
de fleurs ; l'homme qui est aujourd'hui dans le box méritait plus mencé une prem ière cavale en désertant à dix-neuf ans pour
que moi cet hommage, ce qu'il a fait, il n'y avait pas foule pour rejoindre les " soldats perdus ,, de l'Algérie française . Il avait
le faire. " ensuite combattu au Yémen et au Biafra - encore une guerre
Le pirate quittait le tribunal , libre, condamné à cinq ans de perdue où une minorité d'opprimés se battait contre le puissant
prison avec sursis . Il part pour le Liban , où il entraîne les pha- Nigeria . Jusqu'alors l'argent n'avait jamais été son mobile .
langes chrétiennes de Gemayel. Il n'est pas mercenaire puis- Les huit mill ions de francs de Dassault - qui avait retiré la
qu 'il ne reçoit aucune solde. Il se retire ensuite dans la mon- plainte déposée par Bénouville - lui ont peut-être tourné la
tagne et écrit son premier livre, L'Arme au cœur. tête . Devenu pour lui-même un personnage de légende, ayant
En 1974, il rejoint l'Angola, où la guerre d'indépendance atteint le sommet de l'aventure , il commença peut-être à ne
touche à sa fin , avec l'arrivée du corps expéditionnaire cubain plus croire en rien. Peu après, il débarqua pourtant à Beyrouth
transporté dans des avions russes . L'enclave de Cabinda, riche où il semble que les phalanges chrétiennes ne voulurent plus
de pétrole, veut faire sécession , à la manière du Katanga de de lui . Il éta it devenu compromettant . Beaucoup de zones
l'ex-Congo belge. Un mouvement de libération, le FLEG, prépa- d'ombre occultent ses dern ières années d'errance.
re l'indépendance de Cabinda. Jean Kay prend la tête d'une Mandrin , le bandit bien-aimé qui volait les riches pour distri-
petite armée. Tel le héros du livre de Schoendorfer, L'Adieu au buer leur argent aux pauvres, fut supplicié à Valence . Jean
roi, il rêve de faire de Cabinda son royaume. Rêve de courte Kay , heureusement , ne subira pas un sort aussi tragique.
durée. Avec une poignée de guérilleros noirs, il s'empare du Dassault lui a, dit-on, pardonné. Après quelques semaines de
fort de Massaba. Des officiers portugais sont faits prisonniers. prison à Calcutta, il reprendra ses errances, refusant le juge-
De Luanda , l'amiral Rosa Continho , qui est favorable aux ment des hommes .
Cubains, expédie deux mille paracommandos pour reprendre le Il avait confié à un am i, il y a quelques années : " Je ne suis
fort de Massaba. C'est le dernier combat que livrera l'armée plus de ce monde. ,, Son imagination délirante doit l'emporter
portugaise en Angola .
Jean Kay et sa petite armée se replient sur le territoire du
Congo-Brazzaville, où les dirigeants sont favorables à l'indé-
pendance de Cabinda. Jean Kay est cependant arrêté et empri-
sonné à Brazzaville pendant neuf mois, malgré des grèves de
la faim successives .
Rencontre
avec un soldat
de fortune
Il n'existe pas, à proprement parler, de portrait-type du mercenaire. Ce qui est
sûr, c'est qu'il existe entre eux un certain nombre de motivations communes.
Beaucoup sont passés par les paras, les marsouins, plus simplement par la
Force d'action rapide ••• Ou alors ils ont milité à l'extrême droite
(ou l'extrême gauche).
Périodiquement, les mercenaires font la" une" de l'actualité. C'est pourquoi
nous avons souhaité en savoir plus. Sont-ils avant tout des idéalistes 1 Ou,
avant tout, sont-ils attirés par l'argent 1 Sont-ils prêts à trahir leur pays ? ...
Le Crapouillot. - Pourtant, il y a bien certains volontaires "Au risque de vous étonner, je dois dire que je n'ai jamais
qui font cela pour de l'argent ? · choisi mon camp pour de l'argent. "
72 LE CRAPOUILLOT
Jacques F. - C'est vrai , mais le plus souvent ces derniers se Jacques F. - A 96 %, les conflits où nous intervenons se pas-
contentent de donner l'instruction aux " locaux ». Ils travaillent sent dans les pays du tiers-monde. On trouve des engagés
aussi , en général , pour les services spéciaux . Là aussi , la français à peu près partout à la surface du globe. Mais, contrai-
légende est loin de la réalité . Les principaux agents sont rement aux volontaires d'autres nations, les volontaires français
aujourd 'hui les journalistes, les médecins dits " humanitaires » sont des gens propres. Voyez, par exemple, les Israéliens : ils
et les curés qui professent le plus souvent la théologie de la magouillent avec les trafiquants de drogue. Les Japonais, eux,
libération, en fait , qui tiennent le discours des oppresseurs travaillent pour des groupes industriels nippons . Quant aux
rouges ou yankees. Américains , ne m'en parlez pas : ce sont tous des agents du
FBI ou de la CIA. Seuls les Belges et nous, les Français, fai-
Le Crapouillot. - Quelles sont les " prestations " que vous
sons notre travail proprement.
pouvez offrir à vos clients ?
Jacques F. - A peu près tout : un coup d'Etat, l'entraînement Le Crapouillot. - Un jour, seriez-vous à même de vous
d'une garde prétorienne, l'organisation d'une rébellion armée ... battre contre des Français ?
Le champ de mes activités est large . Je travaille en " free
lance », et c'est moi qui recrute mes camarades volontaires . Jacques F. - Vous rigolez, le type qui me propose ça, je le
Cela dépend aussi de l'argent dont dispose mon client. bute illico. Pour moi, la France, c'est sacré .. . La France est,
avec ma famille, ce que j'ai de plus sacré au monde.
Le Crapouillot. - Au fait, pour un coup d'Etat, c'est com-
bien? Le Crapouillot. - Vous allez bientôt repartir, pouvez-vous
Jacques F. - Vous disposez de combien ? Et quelle cause je nous donner votre destination ?
dois défendre ?
Jacques F. - Sûrement pas ... Mais , c'est promis, je vous
Le Crapouillot. - L'action des volontaires est le plus sou- enverrai quand même une carte postale.
vent discrète. Où intervenez-vous ? Propos recueillis par Xavier CHENESEAU
Mercenaires
•
sur Rap1er
glace
•Avec 35 000 abonnés, et plusieurs
dizaines de milliers de lecteurs, Soldier of
fortune est le magazine américain qui
décrit par le menu toutes les opérations de
guerre, de guérilla, de terrorisme en cours
dans le monde. Il présente les derniers
modèles d'armes individuelles, les unités
spéciales, et les méthodes de combat
modernes. En quelques années, son
fondateur, Robert Brown s'est taillé un
véritable succès avec son journal destiné
aux" aventuriers professionnels».
Une des rubriques du journal,
particulièrement appréciée : les petites
annonces. On peut y lire par dizaines des
textes du genre : « Ancien Marine
recherche action à haut risque. Sale boulot
accepté. Voyage n'importe où, n'importe
quand.»
Brown, licencié en sciences politiques
de l'université du Colorado, ancien des
Spéciales Forces au Vietnam, lieutenant-
colonel de réserve, retourne de temps à
autre lui-même sur le terrain. Rhodésie,
Afghanistan, Panama ... Il n'avait pas hésité
à offrir une récompense de 10 000 dollars à
qui exécuterait le président ldi Amin Dada
lorsque le dictateur ougandais avait pris en
otages les sujets de Sa Gracieuse Majesté.
Bulletin d'abonnement
Nom ............................................................................................................ prénom ........................................................................................
Adresse ...................................................................................................................................................................................................................
Alphonse Boudard.
Saint Frédo
e peux encore, en décortiquant tel ou tel pas- Alphonse Soudard rencontre Alfred Friteau dans une
sage, en braquant mon projecteur porte-plume prison de l'après-guerre. Il le retrouve au grand air dans
sur celui-ci ou celle-là, vous conter de belles les années 60 . Le premier vient de publier la Cerise, de
histoires pour vous endormir, mes enfants. ,, s'offrir sa première DS 19, de commencer à engranger
Donc , à l'en croire, Alphonse Soudard, Saint les choses vues pour écrire Cinoche. Le second est sorti
Frédo, qualifié roman et paru chez Flammarion , est le de Saint-Martin-en-Ré, libre mais sous surveillance , et a
dernier tiré ·mais pas le dernier à boire. Une nouvelle his- reconnu dans les journaux, pages lettres, la photo de son
toire qui porte la promesse ancien voisin de cellule.
des prochaines, une joie, un " Je reste ouvert avec
vrai plaisir et un événement. toutes sortes de person-
La production éditoriale nages. Je les écoute. Des
boudardière ne s ' était choses qu 'on se figure pas
certes pas tarie, mais elle s 'amorcent ... des aven -
égrenait depuis quelques tures, péripéties formi-
années des livres contenant dables. Avec Frédo, ça va
des histoires. Et non pas se confirmer. " Ecrit en
une vraie " belle histoire "• Soudard dans le texte .
de celles qui endorment Balzac aurait-il tourné la
assez pour vous faire phrase autrement en note
oublier qu'il fait sommeil. de la Comédie humaine ?
L'histoire de saint Frédo Dans cette rencontre ,
finit on ne plus naturelle- Frédo ne cherchait rien de
ment, c ' est à dire mal. précis. Il va trouver un
D'abord parce que l'on quit- mentor on ne peut plus
te Frédo au cimetière, et discret, un confident aussi,
surtout parce que l'on quitte même si ce terme racinien
Soudard en bout de ligne , ne convient a priori pas
au milieu d'une page à moi- aux personnages en pré-
tié blanche, au milieu d'une sence. En tout cas un bio-
nuit de même couleur. On graphe. Et même un
est obligé de retourner au hagiographe , à en croire le
chapitre 3 pour parvenir à titre de l'œuvre.
fermer l'œil : " Mes choix se Alphonse Soudard
portent sur les olibrius, les déroule en conna issance
caractériels, les traîne- de cause la trajectoire de
lattes, gibier de guillotine , son héros , entre les
saigneurs de rentières, années gaulliennes , pom -
mais les autres aussi, les pidoliennes, giscardiennes ,
apparemment normaux qui finissent par vomir
méritent tout autant les leurs relents trotskistes et
bons soins du roman- maoïstes aux rives mitter-
cier ... " On les attend, donc. rand ien n es. Frédo est
double , entier et ambivalent. Son narrateur n'en finit pas
Frédo s'apparente aux deux sortes de personnages. de le peindre, touche après touche , fait après fait, sans
Son histoire se tient entre des débuts de pauvre gosse jamais juger de l'ombre ni de la lumière. Et c'est ce clair-
qui n'a pas eu de chance, puis la prison, le bagne, la obscur qui compose non pas le tableau , les lignes dan-
relégation , et une vie presque normale , menée comme sent trop, mais le roman, la " belle histoire "·
une belle carrière dans la réinsertion, la sienne et celle Le témoin, !'écrivain voit tout, note tout, bien au-delà
des autres. On peut changer de rôle, de bord, d'objectif du premier plan. Jamais condamné, jamais absous ,
et de job, mais peut-on changer de nature, de culture, jamais épinglé, Frédo évolue libre d'auteur. Ma is ,
d'habitudes ? D'autant que si Alfred Friteau développe l'auteur, avec derrière lui les ombres myth iques de tous
d'admirables aptitudes à saisir les opportunités, il n'est ceux qui détiennent les ficelles et entortillent les histoires,
cependant rien moins qu'opportuniste. S'il se fond une à force de pouvoir tout voir, tout entendre, tout dire , tout
figure de vitrail, il ne fonde pas sa chapelle sur un renie- écrire, comme ceux pour qui le scandale n'arrive jamais,
ment. comme ceux qui notent, curieux, intéressés, jamais éton-
LE CRAPOUILLOT 79
nés , comme ceux qui en ont vu d'autres , mais sont Quant au style Soudard , on en a beaucoup parlé . " Je
avides de voir encore et de faire voir, comme un roman- n'en continue pas moins mes petits écrits comme naguè-
cier au plein sens de la fonction enfin , Alphonse Soudard re , d'une même plume, sans forcer la note. Je dis ce qu'il
nous promène au bout de son regard . A force de l'effa- faut et comme il faut , du moins je le suppose. Oh ! mais
cer, il l'effile comme un rayon laser, et en balaye le alors je suis dépassé, submergé par l'école des caca-
champ de notre comédie humaine contemporaine . teux. Ils comptent mes merdes et mes bibites, ils en trou-
Soubrettes , tro isièmes couteaux (quelquefois au sens vent par-ci , par plume. Ne serais-je qu 'un timoré bour-
propre) , utilités : personne n'est secondaire . Comme on geois d'écriture? La question se pose. ,,
disait à propos de Balzac , même les portières ont de Pratique : ainsi Alphonse Soudard fournit-il au critique
l'esprit. Ni velours ni passementerie chez Soudard , mais la question et le paradoxe avec lesquels il est de bon ton
les portières claquent et vous mettent en voiture jusqu'au de clore la critique.
bord de la tombe de Frédo. Et là, on se penche moins Celina COURTINAT
sur le mystère de ce malfrat devenu bon larron que sur
celui de son biographe qu i, à force de suspendre son Saint Frédo, Alphonse Soudard , éditions Flammarion ,
jugement parvient à brosser cette fresque férocement 270 pages , 98 francs.
aiguë, précisément ambiguë . Pas l'œuvre d'un myope. Alphonse Soudard signe aussi le texte de deux très
Plutôt celle d'un grand chef qui parvient à nous faire beaux albums : histoires de soif et soif d'histoires, esprit
accroire qu 'il ne met pas son grain de sel personnel par- du vin et nostalgie sans tristesse, livres de fête en habits
tout. Mais pas un sel d'amer. La sereine objectivité mène de mémoire:
à tout : même à la tendresse. En tout cas à la drôlerie.
Bercy, la dernière balade, photographies de Jean-Claude
Car même humaine , le propre d'une comédie , c'est
et Philippe Gautrand , texte d'Alphonse Soudard , éditions
d'amuser, de faire rire . Soudard s'est bien amusé à
Marval, 110 pages, 280 francs .
raconter Frédo . Le lecteur s'amuse d'entendre le rire de
Le Vin quotidien , album de famille , texte d'Alphonse
cette comédie de Soudard entre les lignes, même muet
Soudard , éditions Du May, 70 pages, 140 francs.
comme un E, piqué comme un point sur un 1, grave
comme un accent. Marc CHARUEL
Putain de guerre
rand reporter, Marc Charuel a accompa-
gné un Français nommé Gaston Besson,
et recueilli son témoignage. C'est l'histoire
d'un volontaire frança is qui a choisi de
rejoindre les Croates pour lutter contre
l'oppression serbe-communiste . Une guerre terrible et
sans merci.
Il suffira de citer les premières lignes du témoignage
de Besson qui , pourtant, a connu beaucoup de guerres :
" Je me croyais vivant, j'étais mort. Tout, l'odeur, la cou-
leur, la forme des morts était en moi . Les morts alignés
sagement au bord des routes , alignés comme des qu illes
en bordure des villages ; les morts coincés sous les
éboulis des tranchées ; affalés au volant de leur com-
mando-car, la tête explosée sur le pare-brise ; les morts
accrochés comme des guirlandes aux branches des
arbres. Il y en avait trop. On rencontrait plus de morts
que de vivants. On parlait plus souvent des morts, et on
sentait plus souvent la mort que !'after-shave. ,,
Voilà . C'est le début du récit recueilli par Marc
Charuel.
En suivant Gaston Besson , nous entrons dans l'hor-
reur de la guerre. D'une guerre féroce , qui ne se déroule
pas en Asie ou en Afrique, ou en Amérique du Sud , mais
à quelques centaines de kilomètres de chez nous. Une
guerre à laquelle viennent prendre part, s'engager, non
pas des mercenaires , mais des volontaires. Une guerre Pour le croire , il faut être très optimiste, très naïf, très
qui est à moins de deux heures d'avion d'Orly. Une guer- con .
re qui peut s'étendre demain à l'Albanie, à la Macédoine. Alors, lisez le livre passionnant de Marc Charuel. Ce
Une guerre qui existe aussi en Irlande du Nord, sous la livre, c'est un signe . Cette " putain de guerre » , c'est
forme du terrorisme. Et un peu auss i en Catalogne . Et au peut-être (putain !) l'avenir qu i nous guette.
Pays Basque français. Et , encore , en Corse. Et
!'Hexagone serait définitivement à l'abri dE'. ces périls ? Roland GAUCHER
80 LE CRAPOUILLOT
Jacques Vergès
Lettre ouverte à des
amis algériens
devenus tortionnaires
1va bien falloir croire qu'il existe une " bonne ,, envers un certain parti national-socialiste d'Adolf Hitler en
torture et une " mauvaise "· Ceux qui furent 1933 ...
naguère les grands orchestrateurs de la cam- Dans cette cohorte d'anciens amis des révolution-
pagne contre les tortures pratiquées par l'armée naires algériens devenus aujourd 'hu i défenseurs d'un
française en Algérie gardent, depuis plus de Etat indiscutablement dictatorial et policier, on ne sera
trente ans, un silence révélateur sur les tortures perpé- pas surpris de ne pas rencontrer Jacques Vergès qui
trées par les nouvelles autorités algériennes. lui , au moins, et lui seul , ou presque , reste parfaitement
Cela était vrai au temps des quatre-vingts ou cent logique avec lui-même.
mille harkis massacrés dans des conditions abomi- Après avoir bien servi , à son rang d'avocat et peut-
nables. Cela reste tout aussi vrai aujourd'hui où les pires être même un peu au-delà, la cause de l'indépendance
exactions se déroulent dans les locaux des forces de algérienne , au nom de principes auxquels il a la naïveté
l'ordre algériennes pour faire parler les complices ou de rester fidèle , le voici aujourd'hui qui ose rappeler ses
supposés complices du FIS . anciens amis à un peu plus de logique et à un peu plus
La méthode est simple et parfois efficace : on arrête de pudeur.
pêle-mêle tous ceux qui peuvent être soupçonnés de Sa Lettre ouverte à des amis algériens devenus tor-
sympathies islamistes. On les torture systématiquement tionnaires aurait fait, en d'autres temps , autant de bruit
pendant des heures et même pendant des jours et des que La Question ou L'Affaire Audin. Mais la nouvelle
nuits , jusqu'à ce que quelques-uns finissent par " se conscience universelle " politiquement correcte ,, a déci-
mettre à table "· Fous de douleur, ces malheureux dé que les islamistes étaient des terroristes, des incultes,
racontent n'i mporte quoi et accusent n'importe qui. Il suf- des fanatiques , des sectaires, bref des " intégristes '" il
fit d'arrêter les hommes et les femmes ainsi dénoncés et est donc loisible de les traiter au nerf de bœuf, à l'électri-
de recommencer sur eux la même opération avec le cité et à l'ingestion forcée d'eau de vidange à travers une
même résultat . On finit quand même par apprendre serpillère. Les faits sont là. Irréfutables.
quelque chose : la torture est peut-être la forme moderne C'est l'honneur de Me Vergès de ne pas se taire
la plus achevée du fameux" mouvement perpétuel "· quand on torture ainsi une nouvelle catégorie de " sous-
Cette méthode, si fréquente qu'on est bien forcé de hommes ,, - peut-être coupables , peut-être innocents
la déclarer systématique, est étrangement peu dénoncée - mais en tout cas décidés jusqu 'à la mort à ne pas
chez nous, surtout par les spécialistes de l'humanitaris- accepter que leur pays devienne une nation " moder-
me le plus pleurnichard . ne "• régie par les lois du commerce mondial et dominée
Etant donné que les partisans du FIS , à en croire les économiquement , idéologiquement, politiquement par
responsables algériens et les journalistes français , sont l'impérialisme américain .
des ennemis de la démocratie, de la laïcité en particulier En créant les " sections spéciales ,, , Vergès nous
et des droits de l'homme (sans compter ceux de la prouve, textes à l'appui, qu 'Alger aujourd ' hui fait
femme) en général, qu'i ls soient assassins ou complices " mieux ,, dans la répression que Vichy hier. Et comme
d'assassins ou sympathisants d'assassins , il est donc on le sait, et comme on n'a d'ailleurs pas le droit de dire
parfaitement licite de leur faire subir les plus abomi- le contraire, Vichy était déjà l'horreur absolue .
nables suppl ices pour les amener à " cracher le Qu 'un gouvernement refuse l'entrée d'une salle
morceau" · d'aud ience à un avocat en dit long sur la situation réelle
Ce silence quasi unanime de la presse et surtout des de la justice au-delà de la Méditerranée. Mais le peu
grandes consciences patentées a quelque chose non d'écho que soulève une telle mesure en dit encore plus
seulement de criminel mais aussi de grotesque. Il fallait long sur la perversion morale de tous les défenseurs de
voir à la télévision le nommé Jeanson , celui du réseau l'humanitarisme à sens unique.
des ex-porteurs de valises, peu pressé de s'indigner de Aujourd 'hui , les soixante-huitards reconvertis dans le
voir ses amis du FLN employer les mêmes méthodes libéral-socialisme préfèrent les flics aux barbus.
qu 'il dénonçait jadis - avec il faut le dire un certain suc-
cès auprès des âmes sensibles. Le pauvre homme trou- Jean MABIRE
vant par ailleurs parfaitement normal qu 'on refuse le pou-
voir à des gens qui se préparaient à gagner démocrati- Jacques Vergès : Lettre ouverte à des amis algériens
quement les élections , puisque le gouvernement de devenus tortionnaires . 136 pages , 75 francs, Albin
Weimar avait eu bien tort de ne pas procéder ains i Michel.
LE CRAPOUILLOT 81
ROM! Romi
Festins et goinfrerie
~
't
~
i
·~ • Dans les milieux de la presse et de l'édition, tout le
monde connaît Romi qui est, en quelque sorte, le
prince de l'insolite. Quand nous avons racheté Le
Crapouillot, en novembre 91, Romi a été le respon-
sable rédactionnel de notre premier numéro, Le
Histoire Diable est de retour, qui a connu un vif succès. Nous
bes ne l'oublions pas.
Hubert Monteilhet
Œdipe en Médoc
epuis assez belle lurette, les vieux admi- de miss Marple au meilleur de sa forme. Car c'est, là
rateurs d'Hubert Monteilhet le conju- encore, la forme du roman par lettres, où il a toujours
raient de revenir de temps à autre , entre excellé , que Monteilhet a choisie pour nous raconter -
deux monuments littéraires d'époque, à ou plutôt nous faire raconter par ses divers
ces romans policiers élégamment machia- personnages - sa diabolique histoire où inceste, grands
véliques qui , de Mantes religieuses et du Retour des crus, " crus bourgeois '" héritages et meurtres à huis
cendres aux Pavés du Diable et aux Bourreaux de clos viennent se mêler avec une belle harmonie.
Cupidon, lui avaient valu ses premiers succès. Le très aristocratique et fortuné Claude du Plessis-
Monteilhet avait commencé à s'exécuter il y a trois ans Longueville a poussé à l'origine Christine, sa maîtresse
avec La part des anges, où une histoire de cognac d'avant et d'après, à épouser son camarade, moins gâté
empoisonné aussi savoureuse que ténébreuse lui per- par la vie, la vigne et les quartiers de noblesse, Philippe
mettait de faire tout à la fois la démonstration de son Bourré. Mais, ce faisant , ce personnage , trop habile et
imagination meurtrière et celle de ses remarquables raffiné pour être tout à fait honnête, a joué les apprentis
compétences de chroniqueur gastronomique - métier sorciers . Et , à la mort - pourtant naturelle - de
qu'il exerce à titre de violon d'lngres pour un important Christine, un processus infernal se met en route, qui ne
journal du Sud-Ouest - , sans parler, bien sûr, de celle, pourra aboutir qu'aux pires situations et aux plus redou-
toujours renouvelée , de son insolent talent de plume. tables extrémités. Mais, Dieu merci , l'helvétique sagesse
C'est avec le plus grand plaisir que nous retrouvons tous veille en la personne de Peter Rëssli, et démonstration
ces éléments dans Œdipe en Médoc, en même temps sera faite , une fois de plus, qu 'il y a des arrangements
que le narrateur, détective et faux ingénu de La part des avec le Ciel qui dépassent la morale des hommes.
anges, l'enquêteur d'assurances helvétique Peter En tout cas, si les conventions et les idées reçues pas-
Rôssli. Celui-ci est toujours en correspondance indiscrè- sent parfois un assez mauvais quart d'heure, le lecteur,
te et détaillée avec la femme de sa vie, clouée sur un lit lui , est assuré d'un excellent moment.
d'hôpital suisse par d'intempestifs bacilles de Koch mais Jean BOURCIER
manifestant, encore une fois, une activité cérébrale digne • Editions de Fallais, 90 F.