L'histoire D'un Belge en Voyage Au Congo
L'histoire D'un Belge en Voyage Au Congo
L'histoire D'un Belge en Voyage Au Congo
En voyage au Congo
En Kongolie 1896
Et
Notre Congo 1909
Offert par :
EDMOND
PICARD
EN CONGOLIE
1896
TROISIME
DITION
SUIVIE DE
BRUXELLES
VVE F E R D I N A N D L A R C I E R ,
1909
DITEUR
26-28
RCITS DE VOYAGE
PAR
E D M O N D
LES
EL
HAUTS
P I C A R D
PLATEAUX
MOGHREB AL AKSA
DE
MONSEIGNEUR LE MONT
JOURNAL
L'ARDENNE.
DE M E R
D'UN
BLANC.
ADOLESCENT.
EDMOND
PICARD
EN CONGOLIE
1896
TROISIME
DITION
SUIVIE DE
BRUXELLES
VVE FERDINAND L A R C I E I L ,
1909
DITEUR
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AU LECTEUR
Je suis le premier Belge <]ui alla au Congo
en touriste.
Ce fut en i8q6.
J'crivis au jour le jour la relation de mon
voyage alors considr excentrique. J'eus la
coquetterie de remettre le manuscrit l'imprimeur le jour mme de mon retour. De ces
circonstances on peut prsumer combien le
rcit de mes visions fut sincre et imprgn
de la vie que je menai l-bas.
C'tait encore, pour la formation de cette
merveilleuse colonie, la priode de l'hrosme
et des misres. Le chemin de fer de Matadi
Lopoldville qui devait abolir la fameuse barrire d'entre des cataractes de Livingstone
n'tait construit qu' moiti, jusqu' Tumba.
Douze ans peine s'taient couls depuis que
le Congo avait, Berlin, t admis comme
Etat Indpendant par les Puissances.
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1909.
EDMOND
P I C A R D .
Du 6 au i3 aot 1896.
La respiration la suriace aprs la longue,
longue nage sous les eaux troubles de la sociale
existence. Les vacances ! Les vtements enlevs et jets la vole pour courir nu sur le
rivage. Le licol rompu, la fuite liors et loin
des curies o s'alignent, pour les quotidiennes et lassantes besognes, en escadrons
tte au rtelier, les chevaux d'omnibus que
nous sommes. La libert! ou, au moins, son
illusion. Le dpart, cette petite mort heureuse, acompte puril et doux sur la grande,...
plus heureuse, plus douce peut-tre !
Me voici sur un steamer ronflant, amarr
l'un des quais immenses de la grande ville
maritime. Le fleuve s'tire, mare tale, ce
quart d'heure de repos entre la mare montante et le jusant descendant. Anvers, Ambres, de son beau nom castillan. La haute
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rouges. Le btail pensif regarde, sans comprendre, passer le puissant mastodonte noir
qui nous emporte, empanach du vomissement
tumultueux des fumes.
A peine la mlancolique solitude du fleuve
a-t-elle aboli les rumeurs et les perspectives
de la cit, que l'on jette l'ancre dans un coude
dsert; au Lievekenshoek, le coin des amoureux, site paisible qui, d'une lgende de
fiancs noys et rouls par le courant la
mer, ne garde que le nom, dsormais banal et
sans cho sentimental ; car tout s'efface sous
les stratifications du temps, paternel niveleur
des douleurs et des joies. Il y a l un fort d'o
nous arrivent de la dynamite et de la poudre.
Jusqu'au soir, de batelets drapeau rouge
accrochs notre flanc, sortent les caisses
plates et les tonnelets, manis avec des gestes
prompts mais infiniment prcautionneux, et
qu'on range bord dans de grands compartiments aux parois de fer, coffres-forts emprisonnant les dangers aussi jalousement que si
c'taient des trsors. Poudre, explosif des
roches. Or, explosif des consciences.
A la nuit tombe, aprs un coucher de soleil
sans magnificence nous repartons, et cette
fois c'est le grand coup! D'une haleine, sans
lassitude, sans jamais interrompre le va-
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Du i3 au 19 aot.
Par l'aprs-midi d'un beau jour, une semaine
coule depuis notre dpart, le Steamer et la
forte brise du nord qui nous accompagne courant, de conserve, vers le sud, les flots sautant et aboyant infatigables autour de nous,
apparat dans un indcis lointain le profil,
vague comme un brouillard, mais immuable en
son contour, de la Grande Canarie. Tel dut
l'apercevoir, il y a cinq sicles, le chevalier
Jean de Bthencourt, condottiere de la mer au
service du roi de Castille, allant en conquistador enlever au peuple disparu des
Guanches mystrieux les terres insulaires,
sjour mystique du bonheur et de la paix.
A notre droite, cent trente kilomtres, plus
vague encore, assis sur un rivage de nuages,
le cne .vaporeux du pic de Teydo, gloire
cleste de l'le de Tnriffe, le volcan gant
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lequel s'ouvrent les gueules des foyers ronflant, rutilant, brasillant en cratres sous les
chaudires. Devant ces fournaises, pataugeant parmi les croulements de charbon, au
plus profond des flancs caverneux du navire,
des hommes, des sacrifis, des martyrs, pelletant le combustible, fourgonnant les brasiers,
esclaves n'ayant de la libert que le droit
nominal drisoire, plus asservis dans la ralit
que ceux qu'on vend et qu'on achte comme
du btail. Il en meurt presque chaque
voyage. L'ternelle et tragique antithse,
l'affreuse nigme : toute cette merveilleuse
organisation d'un transatlantique, cette horlogerie-prodige, aboutissant non pas allger
les misres, mais les intensifier, en crer
de plus exasprantes. L'afflux, la surface,
du bien-tre pour les uns, ayant pour courant
parallle souterrain l'afflux des souffrances
pour les autres. La machine, dans sa chambre
spacieuse et are, fonctionnant aise et brillante, ses aciers polis, ses cuivres miroitants,
ses peintures fraches, soigne comme un trsor, et dessous, ses accessoires, les misrables
chauffeurs, suant, abrutis, esquints, ddaigns, oublis. Ils ne cotent rien. Tandis que
la machine ! s'il fallait la remplacer ! Et, alors,
dans l'me fraternelle se gonflent le dsir, le
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dressent sur les gazons leurs troncs contrefort qui semblent forms de la peau rugueuse
et grise des lphants. et l un baobab suspendant ses rameaux, au bout d'un fil vgtal, l'encensoir de sa lourde fleur ou de son
gros fruit ovode et feutr. De larges avenues
verdoyantes et humides s'ouvrent sur des
perspectives riantes et colores qu'empanachent de hauts cocotiers bouriffant leurs
palmes entre lesquelles s'entassent les fruits
jaunes en ufs d'autruche. Dessous, autour
des cases cylindriques, toits champignonnants, faites d'un tressage d'corces, encloses
de palissades lgres, des bananiers en buisson et des lauriers-roses, adorablement fleuris, avec toutes les grces et tous les souvenirs qu'voquent la teinte charmante de
leurs ptales et l'lgance penche de leurs
rameaux. Des vautours, nettoyeurs de voirie
comme les chiens de Constantinople, planent
nonchalants ou se branchent sur les cimes.
Des ngrillonnes, attifes d'toffes tons vifs,
demi flottantes, dansent sur les prairies, en
se tenant par la main et gazouillantes. L'atmosphre est moite et caressante. Une paix
ingnue enveloppe toutes choses. On se surprend dire : Ici je voudrais vivre. Hlas!
cette idylle est un des sites les plus mortels
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ment et sont bienveillantes pour les tmraires ! Heureusement aussi qu'au cou des
chemineux de notre singulire escorte pendent, en scapulaires, des milliers de gris-gris
prservateurs, achets aux fticheurs et qui
conjurent l'uvre des mauvais dmons!
De
Bathurst
Banana.
Sierra-Leone.
Du 19 au 29 aot.
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de gagner les issues ! La vie fuyante et dsespre ne se rvle que par des plaintes de
mourants !
Des tousseries rauques dchirent les gosiers.
L'humidit est terrible pour ces tropicaux
habitus aux tempratures sngaliennes,
couverts de la mince pellicule de leurs cotonnades et n'ayant gure de vtements de
rechange. Du haut de la dunette, o les vagues
dferlant en ventail nous atteignent de leurs
embruns, nous regardons cet aquarium, et,
de nouveau, en l'me fraternelle et songeuse,
reparaissentles fantmes des iniquits sociales
et l'moi de l'incompressible nigme qu'est le
contraste entre ce navire, miracle de progrs
et d'ingniosit, et l'horrible condition de ce
millier d'esclaves qu'il charrie en vue d'un
profit dont ils ne seront vraisemblablement
que les victimes, vritable chair industrie,
analogue au charbon qu'on enfourne dans les
foyers de la machine au piston infatigable
battant, coups sourds, le tambour dans les
flancs du vapeur. Toutes ces forces humaines
et matrielles, fonctionnant dans l'aurole
des mtores et dans la beaut pathtique du
voyage, pour cette seule fin goste : le Business! les affaires, la stupide poursuite, par
quelques fauves, quelques btes de proie, de
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ordre leur
danse bouscusortir de Bats e c o u s ^ vio-
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Banana,
le Bas Fleuve,
Boma.
Du 29 aot au 6 septembre.
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cevoir l'effort millnaire et les tapes innombrables qui furent ncessaires pour passer
des ignobles pirogues pagaies, creuses dans
un tronon d'arbre, pareilles de vieilles
galoches en caoutchouc cules, qui circulent
autour de nous avec leur quipe de chimpanzs, et le prodige d'un transatlantique. Et
cette pense s'impose de nouveau : l'illusion
ridicule de ceux qui esprent leur faire accomplir par l'ducation le chemin historique,
cruel et immense, que notre race a parcouru
an milieu des enthousiasmes et des souffrances.
Il a fallu allger. C'est la saison sche, la
saison des basses eaux. Jamais, assurent les
pilotes, le Lopoldville, charg jusqu'aux barrots du pont, ne passera, avec sa flottaison, les
bancs de Matba. Et tout l'aprs-midi, et toute
la nuit, au milieu du vacarme et d'un gaspillage inou d'efforts, les kroo-boys ont sorti des
coutilles de l'avant des dames-jeannes et les
normes barils remplis de rhum de traite
quarante centimes le litre, les sacs de sel, le
charbon en briquettes. Le soir, du haut de la
dunette, la clart des papillons lectriques
allums bord, je regarde l'trange et saisissant spectacle de cette cohue se dmenant au
milieu des Sngalais dormant, innombrables,
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savamment cliancr entre des rives empanaches de splendeurs silvestres. Partout des
presqu'les et des golfes, des contours mollement arrondis, une verdure continue et opulente, sans une tache d'aridit, sans un crev
de dboisement. Les arbres ne sont pas hauts,
ils n'ont pas la beaut svre de nos wagnriennes forts de htres ; mais l'tranget, pollinos yeux, des vgtations quatoriales! Quand
nous serrons la rive, les palmiers foisonnants
baignent dans les eaux les gerbes de leurs
feuilles. Et ces plantes de serre, ici prodigues, augmentent l'impression d'un gigantesque domaine royal amnag pour la joie des
regards. Tout pourtant a l'apparence d'une
peinture de dcor, procdant, par larges lampes plates, sans l'infinie varit des nuances,
incomparable sduction des coloris du Nord.
Cela dure des lieues ! Ce pristyle du Congo
est admirable de majest pacifique. C'est ici,
pourtant, qu'encore au cours de ce sicle,
venaient mouiller les ngriers et qu'ils embarquaient leur infernal chargement vivant de
a Bois d'bne . C'est ici qu'on s'approvisionnait de chair humaine pour le Moloch de
l'esclavage. Oui, parmi ces beauts, oui, parmi
cette paix !
Mais les magnificences reposantes de cette
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dont il moire les eaux du fleuve, nous mouillons. L'allgement deBanana a t insuffisant.
Il faudra plus amplement dgarnir les cales.
Et Borna qui est l-bas, pas bien loin, dont on
nous aperoit, apparemment, avec le tlescope !
Une nuit dans le calme de cet ancrage. Des
brleries de grandes lierbes mettent en dix
endroits de l'horizon bas qui nous encercle des
lueurs d'incendie. Pourquoi ces dvastations?
Pour fertiliser la terre par des cendres? pour
dtruire les moustiques? pour chasser les serpents? pour traquer les antilopes? pour faire
la plaine libre aux voyageurs? pour honorer
Zambi le Grand Esprit? pour imiter les
anctres? pour produire des nuages de pluies?
pour dcouvrir l'approche de l'ennemi? pour
empcher la putrfaction vgtale la saison
humide? Choisissez, devinez, dmlez : comme
pour tout ici, des explications multiples, contradictoires, baroques, raisonnables, ridicules,
admissibles, inadmissibles. On ne sait pas!
On ne sait jamais !
Le lendemain, au jour pointant. A gauche
de notre navire, long au cours descendant
du fleuve, un vaste paysage plat, marcageux,
embruni de vgtations courtes : suis-je aux
environs campinois de Genck? Ces collines
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cravatant l'horizon sont-elles la dorsale limbourgeoise? Cette chaleur solaire, non cuisante mais lourde, est-ell celle d'un midi
orageux d'aot en Belgique?
Voici un steamer de rivire qui approche.
Branle-bas ! La moiti de nos passagers veut
nous quitter, pris de l'impatience de l'arrive,
et monter Boma. Eh bien ! embarquez-vous !
Et ils s'embarquent dans un tohu-bohu de
bagages amens, trans des cabines et des
cales. Ah! le besoin de lcher la mer pour la
terre, pour le vieux plancher immobile et sans
bastingage !
Des vides, donc. Des tables dpareilles.
Des coins tout coup dserts. Tels des hiatus
dans la denture. Et voici que nos ngres
deviennent plus entreprenants, plus insolents.
La moiti de notre garnison de blancs n'at-elle pas dmnag? Ils envahissent de plus
prs ce qui nous restait du pont. Ils viennent
sous nos nez pancher leur parfum de denres
coloniales avaries, plucher leurs vermines
varies, taler les maladies cutanes qui font
ressembler plusieurs d'entre eux aux vieux
murs rongs de salptre. Et leurs tumultueuses palabres se meuvent avec plus d'impudence : tantt il y eut une gesticulation furibonde, les mains ont gifl les bouches maflues
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et les poings ont martel les tignasses laineuses avec un entrain qui a mis des saignes
de pavots carlates et d'oeillets rouges sur ces
crnes de dogues et ces faces de mandrilles.
Un missionnaire anglais est intervenu au nom
du Dieux de paix et de misricorde : on l'a
saboul ! Il a fallu se battre pour mettre aux
fers les meneurs . Dcidment, il est temps
de dguerpir !
Et comme deux compatriotes installs l'le
de Matba, l proche, m'offrent de voisiner
chez eux, je pars en canot vigoureusement
pagay par six ngres. Ah! qu'ils font bien
travailler leurs palettes, les six ngres ! Quelle
cadence appuye d'un chant monotone de
ngre !
Deux jours j'ai repos l, dans la paix d'une
rusticit de soldat au campement. Les repas
improviss, les ratatouilles locales, les cuisines la diable, paraissant dlicieuses. Les
bavardages affectueux et oss qui s'panouissent entre hommes dans les solitudes o
l'on savoure tant de choses, o l'on se souvient de tant de choses, de la patrie, des amis,
des amies. Puis le sommeil, peupl de rves,
de dsirs, de l'espoir des joies du retour, sur
la couchette envirgine et emprisonne d'une
blanche moustiquaire, dans une chambre sans
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croisent, d'un vol mou et agile, des chauvessouris; elles m'ventent en happant les moustiques qui susurrent dans le nimbe tide du
visage. Entre les parois creuses, les cloisons
double fond des murs mtalliques, des rats
dboulent et sautent pour des palabres nigmatiques.
Durant trois jours, sous la direction de
fonctionnaires minemment aimables pour le
singulier lgislateur qui a choisi le Congo
comme villgiature de vacances, je visite les
curiosits ; on 111e fait accomplir le tour
du propritaire . Tout l'administratif m'est
exhib et expliqu avec une courtoisie charmante. Mais pour l'instant je ne veux fixer
que mes impressions d'artiste, ce qui fut la
fleur et l'ornement de cette aventure o, pourtant, l'homme d'tude 11e fut jamais absent
sous les sensations pittoresques. Je reviendrai cette part des penses remues en moi
durant ces trois mois de concentration obstine et violente sur un sujet unique, en plein
dans l'ambiance o il se droule, en compagnie d'mes incessamment occupes de lui,
panchant, sans interruption, ce qui fermente
en elles pour l'dification de qui sait les
couter et synthtiser leurs perfluences.
Borna ci d la gTciCG, mais un8 grc gaiiclic
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Du G au 12 septembre.
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flexible qui fait croire quelque serpent fluviatile inspectant l'alentour. Le ciel enfloconn de nues grises, les sommets lourdement
arrondis, les versants en tages, les impasses
apparentes transformant le fleuve en lac, font
penser la valle du Rhin entre Coblentz et
Bingen, mais ravage par un conqurant
impitoyable qui aurait ras les villes, abattu
les arbres, coup las vignobles, ne laissant sur
les cimes et sur les pentes que l'herbe courte
et strile, insuffisante parure d'un paysage
sombre, grandiose et isol.
Quel contraste entre ce couloir qui inaugure
la rgion du Congo moyen et l'embouchure
sereine et enverdure dufleuve Banana! Les
deux spectacles ont environ la mme dure
panoramique. L'un est le drame, l'autre
l'idylle. L'un s'achve par la riante Borna,
l'autre par le farouche Matadi.
C'est au dtour du plus sombre jet des
roches riveraines, du Chaudron d'Enfer et de
ses tourbillons qui parfois triomphent de
l'avance des grands steamers, que Matadi, la
Ville des pierres , apparat, grevant le versant de la lpre de ses constructions ou plutt
de ses baraquements rcents,parmi des boulis
semblables aux terrils charbonniers. Tout est
jet l au hasard des ncessits commerciales
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Du 12 au 19 septembre.
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pour le passage bienveillant des brises rafrachissantes, sur les massifs qui sparent
Matadi des Pools et forment le district des
Cataractes, pntrant en wagon, mule,
pied, jusques deux cent cinquante kilomtres : peu de chose, certes, dans cet norme
Congo dont je n'aurais pu heurter la paroi
terminale l'Orient qu'en sextuplant le trajet
total que j'ai franchi depuis la mer. Mais qui,
dans cette arne immense, a fait jamais plus
qu'un parcours insignifiant eu gard l'ensemble? Qui fit jamais plus que strier le sol de
la mince gerure d'une expdition, pareille
la dchirure d'un diamant sur une vitre? Qui
fit jamais plus que garnisonner en quelque
lieu, n'tendant qu' une faible distance le
rayon visuel de ses tudes? Et pourtant, mme
les sdentaires, mme les promeneurs, eussentils les cerveaux les moins devinatoires, les
moins aptes juger sur chantillon et gnraliser srement les dtails, quand ils reviennent se laissent aller parler en matres et en
parfaits connaisseurs. N'en est-il pas qui
jamais n'y furent, qui jamais n'y iront, et qui
dictent des arrts et des oracles sur le noir
empire peine dgag du limon de ses mystres? Je m'encourage donc dire ici sincrement ce que je vis, simple passant, j'en cou-
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Sous le prestige des ombres, dans la dfiguration ferique des lignes, des couleurs et des
perspectives que les tnbres translucides
infligent tout ce qui peuple ces lieux
inconnus pour moi, et que, sans doute, je ne
reverrai jamais, je pense Parsifal, marchant
travers la fort fatidique, vers le val sacr
o Monsalvat dressait ses tours pieuses. Mais
le but o finit ma rveuse tape n'est pas un
chteau fabuleux : c'est la pauvre petite maison danoise , aux cloisons de carton, la
chambre unique, aux auvents timides, qu'on
dmonte, qu'on transporte, qu'on remonte en
quelques heures, qu'habite, hros modeste et
oubli, l'ingnieur, ermite volontaire, dont
le cerveau est le moteur et le rgulateur de
tout le travail qui fermente l'environ.
Une rception cordiale et simple comme au
bivouac. Des causeries d'exils. Le Congo et
ses incertitudes, et ses cruauts, et ses dceptions, et ses esprances, et son charme viril,
revenant en basse profonde dans cette mlodie
de souvenirs. La nuit passe sans la perscution de moiteur qui, Matadi, me faisait rver
sans interruption de Bain Turc et d'touffement.
Ds l'aube, j'ouvre la fenestrelle de ma
cabane. Par exception, un lever de soleil
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brousse dont les tiges, grilles par d'insuffisants incendies, noircies aux jointures
semblent les piquants jasps d'normes porcspics ; dans les fonds humides, elles sont,
malgr la saison sche, restes vertes et
palissadent la route de leur haut plumage,
faisant penser aux venelles entre nos seigles,
au mois d'aot.
Incessamment nous rencontrons ces porteurs, isols ou en file indienne, noirs, noirs,
noirs, misrables, pour tout vtement ceinturs d'un pagne horriblement crasseux, tte
crpue et nue supportant la charge, caisse,
ballot, pointe d'ivoire, manne bourre de
caoutchouc, baril, la plupart chtifs, cdant
sous le faix multipli par la lassitude et l'insuffisance del nourriture, faite d'une poigne
de riz et d'infect poisson sec, pitoyables cariatides ambulantes, btes de somme aux grles
jarrets de singes, les traits contracts, les
yeux fixes et ronds dans la proccupation de
l'quilibre et l'hbtude de l'puisement. Ils
vont et reviennent ainsi, par milliers, organiss en un systme de transport humain,
rquisitionns par l'Etat arm de sa force
publique irrsistible, livrs par les chefs dont
ils sont esclaves et qui raflent leur salaire,
trottinant les genoux ploys, le ventre en
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les cases et les ombragent de leurs aristocratiques verdures de serre chaude europenne.
A l'extrmit flexible des longues feuilles
empennes pendent des nids globuleux, fruits
artificiels, que les oiselets ingnieux tressent
et accrochent des rameaux si frles que les
lourds oiseaux de proie, ne pouvant s'y poser,
ne les pillent pas. On croirait des retraites
choisies par des potes, ralisant un rve de
vie heureuse et lgante dans une oasis
enchante. Les habitations, arcadiennes, dorment paisibles au hasard des fantaisies,
harmonisant leur simplicit avec les grces
de la Nature. C'est l'Eden! C'est l'Eden et ses
maternelles bienveillances, et ses douceurs
bnignes et caressantes. Des papillons, orchides volantes, des papillons dont les ailes
sont des palettes de peintres-joailliers, palpitent nonchalamment leur floraison mouvante
parmi la floraison vgtale. Ce serait l'Eden !
oui, si l'touffante, l'accablante moiteur des
tropiques meurtriers ne collait pas la peau
sa sue, l'esprit sa lourdeur; si de ces cases qui
semblent faites pour les Adams et les Eves
paradisiaques, ne sortaient pas, affreux et sordides, en leur nudit sauvage, avec leur odeur
de fauves, des ngres aux traits camards, aux
lvres vulvaires, aux dents carnassires, aux
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Du 19 au 26 septembre.
Autour et clans Matadi, parmi les constructions sur piliers et blancs toits aplatis des
Europens, parmi les chim'beks chancelantes
des noirs, parmi les escarpements, j'ai encore
promen, aux heures les moins dprimantes,
ma paresse augmentante d'humain conomisant sur tous les mouvements dans la lutte
contre la moiteur, la grasse et humide moiteur
qui vous prend et vous lubrfie toutes les
anfractuosits du corps. Et nous sommes la
saison frache ! finissante, il est vrai, car dj
une avant-garde de pluies fines, trs courtes,
est venue, en tirailleur, annoncer l'approche
des averses diluviennes, et des orages, et des
tornades. Le ciel est invariablement couvert.
Pas d'aurores aux pompes virginales, pas de
couchants flamboyants, pas de soleil et pas
d'toiles. Une atmosphre miraculeusement
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Du 26 septembre au 3 octobre.
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toujours par les eaux ramifies eu canaux serpentins ainsi qu'une immense Venise africaine. Les les, basses, sont d'normes plateaux de verdure, qu'on croirait des lambeaux
de forts flottantes amarrs l jusqu' leur
prochain dpart pour des destinations magiques travers les ocans. Pas un hiatus dans
leurs touffes magnificentes pandant les beaux
feuillages ornementaux de la vgtation tropicale. Au fur et mesure du parcours de
l'embarcation solitaire, elles dmasquent leurs
dcors charmants et leurs perspectives
idales, entoures du cadre des eaux lames
de l'argent du ciel, rptant en une image
renverse la ligne ondule de leurs frondaisons et la mosaque de leurs couleurs. C'est le
parc superbe et sduisant d'une wallialla habite par des fes ! Tantt les sinueux contours
s'largissent en un lac dont on cherche en vain
l'issue parmi les paisses bordures de malachite et d'meraude; tantt ce n'est plus
qu'une troite rivire dont la main peut paresseusement toucher les rives faites des gigantesques et lgantes palmes du bambou penches en d'immobiles prosternations au-dessus
du miroir qu'elles effleurent et o elles
mouillent l'extrmit de leurs lamelles effiles. Quelques-unes, engrisailles par la fane,
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Accra.
Du 3 au 7 octobre 1896.
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Nos premires journes de mer sont heureuses et paisibles. Nous sommes bientt dans
le Pot-au-Noir des marins, cette rgion
toujours pesamment nuageuse, et pluvieuse
par saccades, qui forme une ceinture ondulante sur l'Equateur, se dplaant avec la
marche fictive du soleil au long de l'Ecliptique et de son Zodiaque. Les aubes bleutes
sont ternes, mais quelques beaux couchers
illustrent la coupole cleste d'immenses
paysages mtalliques ou fulgurants. Les eaux
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pieuvre allongeant ses tentacules innombrables suoirs partout o il y a des business rafler.
Sur la plage, jonche de rochers plats formant des brise-lames artificiels, dferlent en
normes volutes les lourdes vagues de l'Atlantique. Des baleinires, bouscules par les flots
comme des bouchons, arrivent force de
pagaies manuvres frntiquement par des
noirs, mahoni, acajou, bne, palissandre,
chantillons humains des bois africains ;
pagaies dont la palette, tridente, s'tale ainsi
que de larges pattes de crocodile, attaquant
des deux cts la mer, avec fureur. Quand
cette flottille farouche accoste le steamer et
s'accroche sa coque, ballote par la houle,
avec ses quipages aboyant, on dirait une
meute prenant aux flancs le sanglier d'Erymanthe. Dans un indicible dsordre de gesticulation, de cris et de jaillissements d'eau de
mer, on descend les beaux coffres de nos
ngres et nos beaux ngres eux-mmes,
oublieux de leur dignit et de leurs brillants
costumes que mosaque promptement de
souillures cette bousculade de cure acharne.
Une chaise, la mamy-chair , me dgringole
au milieu du tas; mes mains, cherchant un
appui, ttent des ttes crpues, des bras, des
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prive du Blanc :
Leone.
L'Avenir du Ngre.
Du 7 au i l octobre.
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Xnoplion l'Anabase. Cette occupation successive par l'tablissement de postes jusqu'aux plus lointains confins, relis ainsi que
les noeuds et les rets d'un pervier solide
couvrant la colonie entire de ses mailles et
la protgeant. La fondation de villes en des
endroits parfaitement choisis pour l'administration, le commerce et les guerres invitables. L'organisation Boma, la capitale,
des services du pouvoir central dont j'ai pu
tudier le fonctionnement et les dtails remarquables. L'tablissement de communications
rgulires entre toutes les parties de l'Empire.
La formation, parmi des difficults, des
dceptions et des remises sur le mtier innombrables, d'un corps de fonctionnaires et de
dtermins soldats qui suffit la direction,
la surveillance et au travail incessant. L'obtention des ressources ncessaires cette
uvre longue, ininterrompue, d'une complication inoue, d'abord par des sacrifices personnels tenant de la prodigalit la plus gaspilleuse, puis, quand cette source fut puise,
par une diplomatie opinitre d'une surprenante habilet, voil un prodige dont il
serait puril, mme ceux qui n'prouvent
pour l'entreprise congolaise aucune sympathie, de contester le merveilleux et qui s'im-
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le nom
BOULA-MATAKI,
de guerre de
Stanley,
Brise-Pierres, le Saxifrage, et
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Blancs au Congo, la Ngresse est l'autre. Il
est rare d'en rencontrer qui aient rsist au
besoin de ce concubinat panacb d'o rsulte
parfois un petit multre, mle ou femelle, pour
lequel l'heureux pre manifeste une vive affection, moins qu'il ne l'abandonne carrment
aux hasards du ngrillonnisme. Il en est qui,
par allusion la couleur de peau de la chre
et tendre , nomment cela : Devenir bniste. Dans les premiers mois, parat-il, la
rpugnance est vive. L'odeur, la teinte, la
physionomie indchiffrable sous les tnbres
du derme, l'aspect vulvaire et sanguinolent de
la bouche malgr la splendeur de la denture,
apaisent les vellits masculines. Mais peu
peu on s'accoutume, comme un bal masqu,
ne plus demander le dcisif attrait au
visage, miroir souvent menteur de l'me, ici
dissimul sous la suie. On s'arrte avec complaisance contempler le beau bronze des
bras, des paules... et de leurs environs.
La sduction opr, la Nature complice fait
mouvoir les secrets ressorts de la reproduction, ... et on se lance comme les autres. Les
plus dlicats vous prdisent ce sort en cas de
sjour prolong et affirment qu'on ne s'en
trouve pas mal ; qu'on se fait ce rgime o le
parfum rance de l'huile de palme, habituel
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d'institution. Que son influence soit bienfaisante, on peut, sans bgueulerie en douter.
L'absence presque complte de femmes blanches est assurment un des facteurs qui contribuent infliger tout rsident au Congo
cette relative dpression morale qui impressionne l'observateur, le dbraill des allures
et des habitations, le flchissement des sentiments dlicats, une rusticit allant parfois
jusqu' la sauvagerie. Il faut, il est vrai, combiner cette cause avec l'amoindrissement,
sinon la suppression de la vie intellectuelle :
presque pas de conversation possible, et quand
on converse, une manie de dnigrement rciproque, l'agent de l'Etat ddaignant le factorien, le factorien brimant l'agent de l'Etat, les
factoriens, se dbinant entre eux, les agents
de l'Etat se bchant. Pas de journaux, si ce
n'est par paquets, aussi rancis en leurs nouvelles que les vieilles gazettes ramenes par
le hasard du fond des marais de l'oubli. Peu
de livres et quels livres ! Pas d'art, 11011
pas d'art, rien de cet essentiel aliment des
mes, producteur et conservateur du plus
beau de nous-mmes ! Tout cela est pneuinatiquement rduit au vide, subit un universel
dcollement; c'est un corcliement, une dcortication crbrale.
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dans
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farouche
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les insuffisances
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l'vnement lugubre et son moi indestructible signalent dsormais l'cueil et en cartent le navigateur.
Durant quelques heures, un jet de froid est
venu nous atteindre. On et dit que les doigts
invisibles qui manient les mtores entr'ouvraient les portes du Nord et voulaient nous
annoncer que nous approchions du Septentrion. Le soir, nous ne cherchons plus la
Croix du Sud dans le ciel mridional, moins
riche en constellations superbes que le ntre.
La sublime Grande Ourse, et ses sept flambeaux, va reparatre ! Nous allons revoir les
toiles splendides et familires qui furent les
compagnes muettes et mysti'ieuses de notre
vie depuis l'enfance.
Mais les mains invisibles referment les
lourds battants et nous voici, par un temps de
fte et d'harmonie, un temps qui devrait toujours rgner sur la terre, si la terre tait faite
pour nous, voguant vers les Iles Fortunes,
dont dj le dcor garnit le lointain horizon
de dlinaments lgers, de paysages translucides et ples comme ceux de la pleine lune.
La gamme dlicieuse des bleus lgers et des
gris colombins rsonne en sourdine dans la
tendre atmosphre, au-dessus des vagues qui
ont la paresseuse lourdeur, le luisant doux, le
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les bornes milliaires ou les poteaux tlgraphiques; caravansrails o la discipline mondaine et niaise des touristes oblige adopter
pour le dner l'uniforme des garons de table.
Rien ne manque : ni le Hall classique, ni les
rocking-chairs, ni les gravures (sur acier !)
charges de reprsenter les scnes de chasse,
de chiens, de chevaux, de babies jouant avec
des chats, dlices de la distinction conventionnelle et du sentimentalisme de confiseur en
lesquels se complat laine de cette caste de
marchands gostes. Nous dormons mal...
puisque notre programme tait de dormir
bien. Le lendemain, ds l'aube, au march,
nous nous gorgeous de raisins, de figues, de
pommes. Quel rgal! Au Congo, les papaes,
les corossols, les avokas, les ananas sauvages,
les farineuses et parfumes bananes, les marakoujas, les mangues au lger got de trbenthine, c'est valuable . Mais, quand il s'agit
des fruits europens, des pches, des fraises,
des poires, des cerises, de toute la srie des
exquisits de nos terres savantes en pomologie, il faut, mesdemoiselles, vous retirer
comme des ngresses devant des blanches.
Le sort du Blanc
Du 16 au 25 octobre.
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courte giboule de fivres, est bonne. N'aurions-nous pas de morts en cours de route? Ce
serait rare. On en grne invariablement
quelques-uns, comme des sacrifices aux avides
divinits marines, spcialement pendant les
intolrables escales aux lieux les plus mal
fams de la cte d'Afrique, Lagos, aux
boucbes du Niger, Forcados, Elmina. Car,
par une de ces attentions familires aux
business-men, les navires qui devraient ramener au plus tt dans la patrie et au foyer
les victimes de la F. D. H., de ces Parques
trilogiques, plus froces que Clotlio, Lacbsis,
Atropos : la Fivre, la Dysenterie, l'Hmaturie, les navires, qui devraient tre des
steamers blancs comme les trains blancs
transportant les malades et les infirmes
Lourdes, sont autoriss courir les ports de
la sinistre cte d'Afrique et s'y attarder dans
la fournaise des mouillages pour faire la cueillette du cargo ! Le cargo, le cargo, voil la
grosse affaire! Auprs de cela un malheureux
Congolais qui crve ne vaut qu'un ATeuer min<l !
ou, tout au plus, un Poor fellowl
Tandis que (aprs ces trois mois d'un rude
voyage, certes, mais aussi de rupture savoureuse avec les ennuis, les soucis, les servitudes de l'existence coutumire) je rve aux
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souffrir. Vraiment, pour ne tromper personne, il faudrait montrer dans une tuve les
photographies du Congo, ces uvres du plus
menteur, du plus ct des procds de
reproduction, par lesquelles on prtend initier
nos compatriotes aux sites de la colonie; ils
sauraient dans quelle temprature baignent
ces prtendus enchantements. J'en ai vu tout
l'heure qui feraient croire que Matadi est un
Eden!
Et je suis ramen penser encore cette
obsdante contre dont le mystre et l'inquitude tintent incessamment. Je refais l'inventaire de mes souvenirs avec le sentiment que
tout cela ne peut se rduire n'avoir t pour
moi qu'une simple distraction; qu'on me
demandera compte de plus prs de cette
quipe et qu'il me faudra formuler un jugement. Pourrai-je faire plus, pourtant, que
d'apporter des impressions personnelles et
sincres en contribution l'amas montant des
impressions de tant d'autres qui en sont revenus? Chacun fait-il plus que de jeter un petit
lot sur le tas? Ah ! si, comme je le demandai
jadis en Belgique, au lieu de ce fourmillement
de racontars se battant et se dvorant entre
eux pareils aux soldats de Cadinus, on ouvrait
l'tude les archives o, depuis des annes,
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Il faut reconnatre que ces donnes mritent un examen fort attentif. Ici, comme pour
d'autres obscurits de ce continent noir, qui
est souvent le pot au noir, il serait facile de
tout claircir en permettant l'accs aux
archives du Domaine priv, puisque, malgr
son qualificatif, il fait, au mme titre que la
fort de Soignes, la fort de Saint-Hubert ou
la fort d'Anlier chez nous, partie des intrts
de l'tat Congolais et que le mot priv
n'est qu'une manire de parler. Mais on ne
peut gure esprer qu'en ceci l'habituelle dis
simulation qui a t adopte comme la meilleure des politiques, fasse place une sincre
et complte divulgation appuye de la mise en
lumire de tous les documents et de tous les
chiffres.
Que l'on considre pourtant l'importance de
cette question au point de vue de la Reprise
par la Belgique. Certes, cette reprise est dans
le courant historique qui entrane irrsistiblement les nations de race Europo-Amricaine
occuper la terre entire soit la place, soit
ct des populations de race primitive, infrieure ou moyenne, par des colonies de peuplement, d'exploitation ou d'extermination,
car c'est un rve de croire qu'en cela on fait ce
qu'on veut. Certes, elle est conseille par l'in9*
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priv demeure intact comme source de revenus, si la Belgique l'obtient en mme temps
que la colonie, si elle peut, elle, application
imprvue du Collectivisme d'Etat, se mettre
aux lieu etplace du Roi-Souverain, et devenir
son tour the biggest caoutchouc et ivovy
mercliant in the world.
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Une lioule atlantique norme arrive des profondeurs de l'horizon, rang lourd par rang
lourd, profonde et bleue, des panaches d'cume
fumant aux crtes, des marbrures blanches
serpentant agiles sur les versants. Elle vient,
passe,s'loigne irrsistible toujours du mme
point vers le mme point, inpuisable et formidable, soulevant le steamer sur son large dos
comme un hippopotame une mouche et le laissant derrire elle bouscul et chancelant. Audessus les nuages, ceux d'Odin et desWalkures,
dfilent belliqueux en une course prcipite
comme s'ils luttaient de vitesse avec les flots,
et, parfois, lchent sur la mer turbulente la
borde d'une averse. Tout est rumeur, lutte,
agression, agitation, et, tout petit, rencoign
dans la conscience de n'tre rien pour ces
gestes souverains des mtores, par le hublot
je regarde.
Dans le mnage du navire, lavaisselle bouge
ettinte comme si une sorcellerie l'avaitrendue
vivante. Aux tables on a mis le quadrillage
des violons pour empcher les dbcles,
sous le heurt d'une secousse perfide et
violente, des verres, des assiettes et des bouteilles, les inondations de potage et les cataclysmes de sauces. Parfois, tous du mme
coup, avec des rires de dtresse, nous sommes
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verront jamais le Congo. Que si, nanmoins, vous avez une me hroque, dsintresse, s'irritantdes conventions europennes,
comptant pour peu ce qui vient de vous tre
dit, aimant l'imprvu et le lointain pour euxmmes, amoureuse d'une petite monarchie
isole o vous rgnerez sur quelques ngres,
trouvant peu viril de marchander avec les
prils, prte au sacrifice et prise d'une belle
uvre mme quand elle est ingrate pour ceux
qui la servent ; que si vous avez une raison
premptoire et personnelle de fuir la Belgique, alors partez et vous serez peut-tre
parmi les quelques heureux qui surnagent ou
qui s'enrichissent.
Oui ces rares qui surnagent, et qu'incessamment on nomme, on signale, on montre, on
exhibe, comme les curiosits la foire !
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lore. La cte anglaise dcore sobrement l'horizon, simple liser sur les amples dalmatiques
de la mer et des cieux. L'le de Wiglit, BeachyHead, Hastings, Dungenes, Douvres, SoutliForeland, Dunkerque, avec leurs phares
pareils des plautes calmes ou des globes
d'artifice mouvants, les plus beaux phares
parmi les neuf mille qui font une illumination
titanique sur toutes les ctes du Monde ! Ah !
que de fois dj en ma vie vagabonde je vous
ai vus quand les espoirs du dpart prenaient
leur essor, quand-les joies et les craintes du
retour chantaient leurs hymnes ! Le troupeau
des flots vert clair, chasss par un vent d'arrire, nous fait cortge. Soyeuses, lgantes,
courtes, marbres de serpentaisons lactes,
les vagues souples de la Manche contrastent
avec la lourdeur majestueuse de leurs surs
bleues de l'Atlantique laisses derrire nous.
Mais revoici, solennelle, volutant ses lames
pesantes charges du sable de ses bancs poissonneux, la mer de la Patrie, la mer natale, la
Mer du Nord ! Et dans la brume les dunes
vaporeuses o j'ai puis tant d'heures de bonheur et de mlancolie, d'amour et de rverie.
Et l-bas Flessingue, et le vaste estuaire
des bouches de l'Escaut qui va me rsorber
pour me rendre la vie cadence de la terre !
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Je voudrais d'abord esquisser vol d'oiseau ce qu'est la Terre Congolaise, de l'occident l'orient, depuis l'estuaire du fleuve
gigantesque qui lui donne son nom, jusqu'
sa source, puisqu'on ne peut mieux la circonscrire dans son ensemble qu'en disant qu'elle
est le bassin tout entier du Congo, c'est--dire
tout le sol sur lequel s'tale le lacis prodigieux
des cours d'eau petits, moyens et grands qu'il
recueille, synthtise et porte l'Atlantique.
Le voyageur arien qui, planant, arriverait
par celle-ci verrait, ds qu'il serait vingt
kilomtres de la cte africaine, la masse de
limpide azur de l'ocan se teinter en ventail
de la couleur jaune ple du th.
C'est la projection, au loin, du courant du
puissant fleuve arrivant son embouchure
aprs un parcours de quatre mille kilomtres,
huit fois celui de notre Escaut, quatre fois
celui de notre Meuse, profond alors de cent
mtres, large de deux de nos lieues, dbitant
en saison sche quarante mille mtres cubes
par seconde, cent vingt mille en saison des
pluies. Seul l'Amazone brsilienne en fait
plus.
La cte apparat, basse mais se relevant
bientt en une chane qui lui est parallle :
les Monts de Cristal (ne pas prendre ce beau
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nom la lettre) qui vont du Kameroun allemand au nord l'Angola portugais au sud,
une altitude moyenne de sept huit cents
mtres.
C'est au travers de ces monts que le Congo
passe par une longue gorge d'coulement vers
la mer, descendant l'escalier de Titan des
trente-deux chutes Livingstone qui, durant
des sicles, firent obstacle la pntration de
l'Afrique de ce ct et persuadrent aussi,
d'abord, que les projets de Lopold II taient
chimriques et irralisables. Heureuse chance
qui rendit commodes les Puissances, spcialement l'Angleterre abuse, lorsqu'il s'est agi
d'admettre, au profit de notre roi, en intention
secrte fidei-commissaire de la Belgique, la
cration de l'Etat Indpendant.
Cette cliaue bordire franchie apparat la
Cuve Congolaise.
Regardez la carte. Remarquez la forme
totale de notre Colonie et sa place dans le
grand jambon qu'est l'Afrique. Elle va se
fixer jamais dans votre esprit.
C'est une gourde grosse panse dont le
goulot dbouche dans l'Atlantique. Ou un de
ces ventails forms d'une feuille ramifie de
palmier, dont la queue pointe du mme ct.
Ou, mieux encore : ouvrez votre main gauche,
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taclie, l'azur provenal tant vant, et pourtant ennuyeusement monotone en comparaison des ciels de notre zone tempre aux
changeants et belliqueux nuages, l'heureux
pays des quatre saisons .
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poussent, comme des voix, la destine principale et historique de son rgne, de sa vie,
de sa gloire.
En 1876 il est devenu roi et mdite
comment s'y prendre pour raliser son rve
il convoque Bruxelles une Confrence Gographique Internationale. Il espre dcider
les grands Etats explorer ce gros bloc
d'inconnu demeur intact et d'en avoir pour
la Belgique un lot.
On l'coute avec indulgence, mais sans foi.
On croit paradoxal le projet du jeune souverain. On le laisse faire avec une sceptique
et souriante indiffrence. On prdit qu'il s'y
brlera les ailes.
Mais ce rveur a vu juste. Il a la prvision
de l'homme de gnie. Stanley dont l'Angleterre n'a pas discern la valeur et qu'elle
nglige, tente la premire descente du Congo
et l'audacieux aventurier l'effectue au cours
de 1877 en une srie de tragiques pisodes. Il
revient Bruxelles raconter son mouvante
odysse.
Lopold I I est dsormais difi et rsolu.
C'est le Congo, le fleuve royal, qu'il veut,
avec le rseau surprenant de ses ramifications et les opulents environs qu'il arrose,
notamment le bnfice de l'immense fort
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quatoriale sur laquelle est pose cette gigantesque patte cl'oie aquatique. Il veut la mine
de caoutchouc.
Il fonde en 1878 l'Association conqurante
qu'il qualifie successivement Comit d'Etudes
du Haut-Congo et Association internationale
du Congo. Stanley et, ds lors, de plus en
plus des Belges, des Consquitadores , en
qui ressuscite l'ancestral esprit d'aventure,
explorent et, partout, plantent le piquet ,
traitent avec les chefs de tribus, annexent
ainsi suivant les us et coutumes plus ou
moins justifis en Droit International europen. L'aventure grandit, gonfle, s'affermit.
C'est l'uvre merveilleusement hardie, tmraire, presque invraisemblable, de l'Etat
Indpendant qui surgit et qui, enfin, en
1884, est reconnu par les Puissances runies
Berlin, toujours peu crdules en son avenir, ce qui heureusement les rend accommodantes et provisoirement dsintresses.
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Mais le chemin de fer de Matadi StanleyPool s'achve. C'est sur une distance gale
celle de Bruxelles Paris et un tiers en plus.
Le parti pris, l'esprit de parti, l'ignorance,
le besoin malsain de dnigrer, la zwanze
nationale l'avaient reprsent comme un joujou sans signification.
C'est, en ralit, une uvre admirable, confondante par la rapidit et la sret de son
excution, d'une utilit qui s'est tout de
suite magnifiquement affirme par l'abondance des transports, le chiffre des recettes
et la hausse des titres.
Tout change, en effet, ds qu'il est inaugur
en juillet 1898. Le sentier des caravanes et
les pnibles portages dos d'hommes qu'il
ncessitait n'existent plus. Une re nouvelle
s'ouvre, re de paix et de prosprit qui
s'acclre et dont il convient maintenant d'indiquer les rsultats tels qu'ils sont visibles en
1909, tels qu'ils se manifestaient au moment
o la Belgique a repris le Congo pour son
compte et lui a confr une Constitution
spciale, une charte, que l'activit juridique
est dj en train de commenter.
Je vais essayer d'en esquisser le tableau.
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C'est sur ces bases scientifiquement recherches et tablies que s'est poursuivie l'Organisation Administrative.
Il s'agissait d'abord de donner aux indignes et aux migrants, les bienfaits d'une
bonne Police, c'est--dire la tranquillit et la
scurit pour les personnes et pour les biens.
On s'est appliqu faire disparatre les
luttes intestines de village village elles
rappelaient, de loin, les guerres de chteau
chteau des premiers temps de la Fodalit
et leur cruelle consquence, l'anthropophagie. On peut dire que prsentement, sauf
quelques regains vite rprims, la paix sociale
rgne.
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La scurit doit tre garantie non seulement contre les entreprises illicites des
hommes, mais aussi contre les agressions
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Notre Congo est divis en quatorze districts la tte de chacun desquels est un commissaire europen nomm par le Gouverneur
gnral.
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Quelques-ims, les plus vastes, sont subdiviss en zones, et quelques autres en secteurs,
ayant chacun leur chef galement europen.
Au-dessous vient enfin le poste, dernire
subdivision confie un blanc; il y en a
actuellement plus de trois cents.
Alors apparat la Chefferie indigne,
avec son chef africain, ayant reu l'investiture
et un insigne; il s'engage gouverner son
territoire selon les us et coutumes locaux
pour autant qu'ils ne soient pas contraires
aux lois gnrales.
Pouvait-on mieux faire la part du neuf et
du vieux et ne pas tomber dans les extravagances du rationalisme pur et intransigeant?
*
*
J'ai dit que l'humanit congolaise, difficilement chiffrable avec exactitude, peut tre
value vingt millions, plus ou moins.
Goffart et Morissens disent dix-sept, Perthes
dix-neuf, Levasseur vingt.
A la page 32 de son livre A travers le Congo,
Ren Dubreucq donne le tableau de la population blanche, notamment au Ier janvier 1908.
C'est environ trois mille, dont treize cent
vingt-neuf agents du gouvernement, le surplus
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desservant les quatre-vingt-une firmes commerciales dj tablies au Congo, dont cinquante-quatre belges.
Pour se figurer ce que ces diverses populations reprsentent, prenons la Belgique et
calculons proportionnellement : c'est comme
si dans chacune de nos provinces il n'y avait
que deux mille trois cents noirs et quatre
blancs. Nous avons environ deux cent cinquante habitants par kilomtre carr; le
Congo n'en a que sept. S'il tait peupl
comme la Belgique un des pays les plus peupls du monde il aurait six cents millions
d'habitants, le tiers de l'humanit terrestre !
Notons aussi, en passant, cent soixantequinze missionnaires anglais, cette peste,
qui ne semblent essaimer au loin que pour
prparer sournoisement des annexions une
patrie folle d'imprialisme.
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merce tabli en milliards de francs, la premire mme quand on calcule par tte ou par
kilomtre carr.
Nous n'avons plus regretter d'avoir perdu,
par notre sparation de la Hollande, le bnfice de l'Insulinde.
Dans notre Ame belge renaissent peu
peu les grands et nobles dsirs des lointains,
de la Terre et de l'Humanit vues autrement
que dans le petit coin o l'Histoire nous a confins. A notre Patrie est ajout un appendice
superbe, plus considrable qu'elle-mme.
Notre petite barque trane allgrement derrire elle un vaisseau trois ponts !
Et puisque j'envisage les voyages qui de
plus en plus y mneront, que je dise quelles
sont prsentement les voies pour y pntrer
et pour en revenir. Cela aidera mieux comprendre la valeur de ce Congo et son avenir.
Il s'agit d'un parcours de deux mille lieues.
Cinq lignes rgulires le permettent : d'Anvers, du Havre, de Bordeaux, de Liverpool, de
Lisbonne, ralisant par mois six diffrentes
occasions de dpart pour l'embouchure du
fleuve, pointe d'entonnoir de la Colonie,
entre principale et majestueuse.
Mais on peut aussi y pntrer par la frontire oppose, celle de la Grande Crevasse.
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Ali! vraiment, si c e planeur que je supposais au dbut de cette tude volant au-dessus
de ces vastes contres aujourd'hui dj largement amliores et disciplines par la civilisation que nous y avons introduite, allait
atterrir l'extrme orient de notre colonie,
sur le sommet du gigantesque Ruenzori, sur
le plus liaut de ses pics, le pic Marguerite,
ainsi nomm par le duc des Abruzes en l'honneur de la reine d'Italie; et si se retournant,
du haut de ce phare merveilleux qui, par
une chance qui rjouira toute me artiste,
est au dedans de nos frontires, il pouvait
contempler notre majestueux domaine, il ressentirait, tant Belge, une lgitime reconnaissance et une joyeuse allgresse; il comprendrait la place largie que nous avons
obtenue parmi les nations et le bien que nous
avons accompli ; il aurait quelque reconnaissance pour les Cobourg qui, j>ar un sort analogue celui des Valois de Bourgogne devenus
jadis nos ducs, se sont faits plus Belges que les
Belges.
Par ce jugement, je me spare, socialiste,
de ceux avec qui j'eus et j'ai encore tant de
croyances et d'esprances communes. Il ne
sera pas dit, dans l'Histoire, que tous nous
avons commis l'erreur d'attaquer et mpriser
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une uvre aussi noblement nationale et civilisatx-ice. Un parti ne consiste pas dans les
liommes qui passagrement y manuvrent,
mais dans les ides qui y sont admises. Il
suffit qu'un seul les ait accueillies pour que
la postrit ne puisse dire qu'on les y a mconnues. L'humiliation de s'tre trop lourdement tromp est ainsi vite.
Mais d'o me vient cette prsomption?
N'est-ce pas moi qui me trompe? Qui a reu du
Destin le don de dire Vrit pour les autres?
Toute affirmation humaine ne devrait-elle pas,
pour tre sage, se borner une simple, hsitante et personnelle allgation ?
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NOTRE CONGO EN
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I er octobre 1909.
TABLE
Pages
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Sngalais bord
Banana. Le Bas Fleuve. Borna
. . .
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TABLE
RCITS DE VOYAGE
PAR
EDMOND
LES
EL
HAUTS
MOGHREB AL
PLATEAUX
AKSA
DE
L'ARDENNE.
MONSEIGNEUR
JOURNAL
PICATtD
DE M E R
LE MONT
D'UN
BLANC.
ADOLESCENT.