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Mobile Banking Sur L'inclusion Financière

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Le mobile banking au service


de l’inclusion financière
Au cours de la dernière décennie, la téléphonie mobile s’est développée de façon exponentielle
en Afrique ; le taux de bancarisation, lui, demeure faible. Ce contraste crée les conditions idéales
pour que le mobile banking se développe sur le continent africain. La téléphonie mobile réduit les
contraintes géographiques et les coûts de transaction tout en offrant aux banques commerciales
une stratégie d’expansion à faible coût.

Peter Ondiege ment sous-développé. L’accès limité aux services


Economiste en chef, Banque africaine de développement
1
financiers s’explique par l’isolement géogra-
phique, mais aussi par l’insuffisance des infras-
tructures et l’illettrisme financier. Ce sont au-

L
a pénétration de la téléphonie mobile dans tant de facteurs qui contribuent à expliquer les
les pays en développement a connu une coûts habituellement très élevés des services
progression rapide, avec des taux de crois- bancaires dans ces zones. Dans certains pays,
sance annuels compris entre 30 % et 50 %, voire le montant minimum de dépôt peut atteindre
plus dans certains pays (Hausman, J., 2010). jusqu’à 50 % du produit intérieur brut (PIB) par
Entre 1998 et 2009, le taux d’équipement lui, habitant et les coûts de transaction sont généra-
est passé de 0,53 appareils pour 100 habitants à lement relativement élevés.
42,82 appareils pour 100 habitants (Hausman,
J., 2010). En même temps, le prix moyen d’un Mettre la banque à portée de tous
téléphone 2G passait de 150 dollars en 2003 Les institutions financières et les opérateurs
à 75 dollars en 2008. L’Afrique est désormais de téléphonie mobile mettent en place des
considérée comme le continent émergent où systèmes ingénieux pour intégrer les popula-
l’évolution du secteur des technologies de l’in- tions non bancarisées à l’économie formelle via
formation et de la commu- le téléphone portable. Pour
nication est la plus rapide. les banques commerciales, le « Le mobile banking
Cette croissance exponen- principal atout de la télépho- est un outil puissant
tielle crée en Afrique sub- nie mobile réside dans sa capa- per­mettant d’offrir des
saharienne une opportu- cité à pénétrer tous les milieux services d’épargne. »
nité unique de développer et à pouvoir être joint de n’im-
les services bancaires. La porte où. Le mobile banking est un outil puissant
majorité de la population permettant d’offrir des services d’épargne aux
africaine, en effet, n’a au- milliards de personnes dans le monde qui dis-
cun accès aux services posent d’un téléphone portable mais qui sont
Peter Ondiege
bancaires formels. Seuls dépourvus de compte bancaire. Parce qu’il s’af-
Titulaire d’un doctorat en
20  % des foyers disposent franchit des contraintes géographiques, le mo-
sciences économiques de
l’Université de Tsukuba
d’un compte en banque. bile banking présente des avantages par
(Japon), Peter Ondiege L’Afrique  ­s ubsaharienne
est économiste en chef a ainsi le plus faible taux Figure 1 : Progression du mobile banking
au sein du département de pénétration des éta- en Afrique
de la recherche sur le
blissements de dépôt au 14
Nombre d’abonnés (millions de personnes)
développement de la Banque
africaine de développement.
monde, avec une moyenne 12
11,89

Il suit notamment les études de 16,6 % - à comparer aux 10


concernant les innovations 63,5 % pour l’ensemble des 8 7,38
du secteur des technologies pays en développement 6
de l’information et de la
(­Financial ­Access, 2010). 4
communication. Il a été
auparavant professeur et
Dans les zones rurales, qui 2 0,9
directeur du Housing and représentent 60 % de la po- 0
Building Research Institute pulation africaine totale, le 2007 2009 2010
à l’université de Nairobi. réseau des banques com- Source : Banque africaine de développement, 2010
1
Cet article s’appuie sur une publication antérieure de l’auteur, intitulée Mobile Banking in Africa:
merciales est particulière- Taking the Bank to the People, 2010.

Secteur Privé & Développement


10 Le mobile banking au service de l’inclusion financière

Évolution du secteur rapport à la banque traditionnelle. Il ments et aux transferts d’argent par téléphone
bancaire africain :
nouveaux acteurs, est aussi immédiat, sûr et efficace. Il modifie portable. En 2009, ce chiffre était passé à 10 mil-
nouveaux modèles ?
par ailleurs le modèle économique du service, lions ; entre 2009 et 2010, le nombre de clients
notamment en réduisant les coûts des transac- de M-Pesa progressait encore de 61 %, dont un
tions financières. C’est là toute sa force. Ce n’est tiers de personnes non bancarisées. Les services
donc pas étonnant que ce type de service pro- financiers de M-Pesa ont une faible valeur mais
gresse rapidement en Afrique subsaharienne les volumes sont importants et ils génèrent des
(Figure 1). gains conséquents. En outre, les coûts de tran-
Le téléphone portable peut servir de carte ban- saction sont minimes, de l’ordre de 0,46 dollar.
caire virtuelle et stocker en toute sécurité les C’est moins que les coûts des services bancaires
informations concernant le client et l’institu- au Kenya, compris entre un et trois dollars.
tion financière. La carte SIM2 présente à l’in- Une autre initiative intéressante, le compte
térieur de la plupart des téléphones GSM3 est M-Kesho, a été développée au Kenya grâce au
en fait une carte à puce semblable à une carte partenariat entre Equity Bank et Safaricom.
bancaire. Le code PIN4 et le numéro de compte Il s’agit d’un compte bancaire lié au compte
du client de la banque peuvent être stockés sur M‑Pesa, qui permet de réaliser des transferts
cette carte SIM pour remplir les mêmes fonc- d’argent d’un compte à l’autre et d’épargner.
tions que celles d’une carte bancaire. Le télé- M-Kesho, comme M-Pesa, ne facture ni frais
phone portable reproduit aisément les fonc- d’ouverture ni frais mensuels, et aucun solde mi-
tionnalités d’un terminal de point de vente : il nimum n’est requis. L’épargne est, par ailleurs,
peut être utilisé pour obtenir une autorisation rémunérée. Les clients de M-Kesho peuvent ou-
de transaction auprès d’un établissement finan- vrir des comptes soit auprès d’agences d ­ ’Equity
cier. Le téléphone portable peut aussi être utili- Bank soit auprès de 5 000 agents M-Pesa. Ils
sé comme guichet automatique. De fait, il peut peuvent également réaliser des opérations dans
servir de point de dépôt et de retrait d’argent les 17  000  points de vente
liquide. Enfin, le téléphone portable peut être M-Pesa. En s’alliant avec des « Le mobile banking doit
utilisé comme un terminal de services bancaires opérateurs en technologie de être porté par le secteur
en ligne. Cela permet d’offrir deux services fon- l’information et de la commu- bancaire lui-même. »
damentaux à la clientèle : un accès instantané à nication et en se lançant dans
n’importe quel compte et la possibilité d’effec- le mobile banking, Equity Bank a pu, entre 2007
tuer des paiements et des transferts à distance. et 2012, faire progresser sa base de dépôt de
Le téléphone et la connexion sans fil mettent 40 % en moyenne annuelle. Et ce, sans engager
tous les services Internet à la portée de clients de frais de développement d’un réseau d’agences
non bancarisés. et sans dégrader son coefficient d’exploitation.
Cette nouvelle initiative est un exemple parfait
Le kenya et l’afrique du Sud, de la convergence qui existe entre téléphonie
au premier rang du mobile banking mobile et activité bancaire. Elle constitue sur-
Seulement 19 % de la population adulte du Ken- tout un formidable levier pour faire progresser
ya a accès à un compte bancaire conventionnel et la pénétration bancaire, bien au-delà de ce que
les services bancaires sont en grande partie limi- permettait M-Pesa. M-Pesa pouvait faciliter et
tés aux populations urbaines (Mas, I., Radcliffe, renforcer l’accès aux services financiers formels,
D., 2010). Les opérateurs de téléphonie mobile mais n’encourageait pas directement les dépôts.
ont imaginé un moyen ingénieux de fournir des M-Kesho pourrait amener plus de 18 millions
services financiers aux populations rurales ha- de Kenyans vers des services bancaires formels.
bitant dans des régions reculées. En 2007, l’opé- Cet exemple démontre ainsi que le mobile ban-
rateur national de téléphonie mobile Safaricom, king doit être porté par le secteur bancaire lui-
alors filiale de Vodafone, a lancé M-Pesa (« M » même et doit s’adapter aux besoins et attentes
pour « mobile » et « Pesa » pour « argent » en swa- des clients locaux.
hili). Ce service révolutionnaire permet au plus En 2010, la Banque centrale du Kenya édic-
rudimentaire des téléphones portables de trans- tait de nouvelles règles concernant les détail-
férer de l’argent à un autre appareil par simple lants bancaires. Cette nouvelle réglementation
envoi de SMS. La prédominance de Safaricom
sur le marché kenyan et la forte pénétration de repères
la téléphonie mobile dans le pays, en particu-
lier dans les régions rurales reculées, ont créé les La Banque africaine de développement (BAD) compte 78 pays
conditions du succès de M-Pesa. Fin 2008, cinq membres – dont 54 pays africains et 24 pays non-africains. Avec
un capital d’environ 100 milliards de dollars, elle est la principale
millions de personnes avaient recours aux paie-
institution financière de développement en Afrique. En menant des
actions de conseil stratégique et d’assistance technique, elle favorise
2
Subscriber Identity Module en anglais.
3
Global System to Mobile en anglais. l’investissement sur le continent pour encourager le développement
4
Personal Identification Number en anglais. économique durable et le progrès social.

www.proparco.fr
11

ouvrait la voie à l’utilisation de la plate-forme à stimuler l’épargne domestique et à faire pro-


M-Pesa par les banques, qui disposaient ain- gresser les transferts financiers de la diaspora à
si d’un nouveau canal de distribution - le ré- bas coût. Il permettra également de réduire les
seau de points de vente M-Pesa. Elle a égale- coûts de transaction, ce qui profitera au dévelop-
ment conduit un nombre croissant de banques pement du secteur privé en général. Pour les po-
à nouer des partenariats avec les opérateurs de pulations pauvres et non bancarisées d’Afrique,
téléphonie mobile locaux. En octobre 2010, Sa- le téléphone portable devient ainsi bien plus
faricom et Barclays Bank of Kenya signaient ain- qu’un simple téléphone. Il devient une véritable
si un accord permettant aux titulaires de compte banque à portée de main.
de la Barclays Bank d’effectuer à la fois des dé- Pour aller plus loin, il faudrait abaisser encore les
pôts et des retraits de leurs comptes M-Pesa. coûts et renforcer la pénétration de la télépho-
Les agents M-Pesa intervenant pour le compte nie mobile. Celle-ci reste en effet très variable
de Barclays Bank pouvaient également faciliter selon les pays, avec des taux de pénétration al-
le financement de leurs activités quotidiennes à lant de moins de 10 % en Éthiopie à presque
travers ce partenariat. Barclays Bank est la hui- 100 % au Gabon - la moyenne s’établissant aux
tième banque, après notamment Family Bank et alentours de 33 % pour l’ensemble du conti-
Kenya Commercial Bank, à devenir partenaire nent africain. La révolution du téléphone por-
de M-Pesa. Cela montre les opportunités crois- table continue à laisser de grands pans de la po-
santes offertes par les synergies entre la télépho- pulation sur le bord du chemin. La faiblesse des
nie mobile et les activités bancaires. Le modèle revenus, l’analphabétisme et les importantes
de l’agency banking devient un axe clé de la stra- « zones blanches », constituent les principaux
tégie d’expansion des banques commerciales ba- obstacles à l’acquisition et à l’utilisation des télé-
sées au Kenya. Il fournit en effet un puissant le- phones portables. À ces obstacles s’ajoutent des
vier pour augmenter leur présence, leur visibilité taxes élevées qui peuvent, dans des pays comme
et leur réseau sans pour autant augmenter leurs la Tanzanie ou l’Ouganda, atteindre jusqu’à 30 %
coûts d’exploitation. En septembre 2011, le Ken- des frais globaux. Ces difficultés peuvent être le-
ya comptait ainsi 70 000 détaillants bancaires vées par les autorités en engageant des réformes
agréés par dix banques seulement. politiques et en augmentant les investissements
L’Afrique du Sud fournit elle aussi d’autres dans le secteur des technologies de l’informa-
exemples intéressants de réussite dans le do- tion et de la communication.
maine du mobile banking. Avec un taux de pé- En outre, les partenariats entre les banques, les
nétration de téléphonie mobile élevé, elle est institutions financières, les institutions de mi-
de loin le pays d’Afrique où le recours au mobile crofinance et les acteurs de l’industrie du télé-
banking est le plus développé et où le potentiel phone mobile devront également être encoura-
est le plus important. L’opérateur MTN5, avec gés. Pour soutenir la réussite du mobile banking
son compte Mobile Money, en donne l’illustra- et de son extension, il y aura aussi besoin d’un
tion. Le compte Mobile Money permet, via un cadre intégré unique, regroupant institutions
téléphone cellulaire MTN et une connexion sé- financières et opérateurs de téléphonie mo-
curisée, d’accéder à un compte client depuis bile. Cela permettrait de réduire les coûts et de
n’importe quel point de la planète, à tout mo- fournir aux consommateurs les avantages de la
ment. En 2010, MTN Afrique du Sud annonçait banque « à domicile » - que les usagers habitent
des projets de services bancaires mobiles com- une maison en ville, une ferme à la campagne
plets, avec une carte de crédit en option. Le ser- ou se trouvent quelque part dans une zone re-
vice sera étendu aux 20 pays où MTN est pré- culée. Les institutions de microfinance devront
sent, notamment en Ouganda, au Nigeria, au également améliorer leurs infrastructures tech-
Cameroun et en Côte d’Ivoire qui représentent, niques pour pouvoir adopter la technologie du
au total, plus de 90 millions d’utilisateurs de té- mobile banking et rechercher des solutions acces-
léphones portables. sibles et faciles d’utilisation pour leurs clients.
Favoriser l’accès des Africains non bancarisés à
Élargir les frontières du mobile banking la téléphonie mobile constituera sans conteste la
Les exemples du Kenya et de l’Afrique du Sud méthode la plus avantageuse financièrement et
le montrent clairement : les moyens d’assu- la plus performante économiquement pour ren-
rer l’inclusion financière des populations afri- forcer, dans un futur très proche, l’intégration fi-
caines - exclues pendant des décennies des ser- nancière sur le continent.
vices financiers formels - ne manquent pas. Le 5
Lancé en 1994, MTN est un groupe multinational de télécommunica-
développement du mobile banking contribuera tions, opérant dans 21 pays en Afrique et au Moyen-Orient.

Références / Financial Access, 2010. Sub-Saharan Africa Factsheet, CGAP-Banque mondiale, accessible à l’adresse : http://www.cgap.org/financialindicators./ Hausman, J. 2010. Mobile
phones in developing Countries. Mai 2010, accessible à l’adresse : http://www.crei.cat/conferences/cornucopia/confpapers.html et ITU, World Telecommunication/ICT Indicators Database 2010, 1ère
Edition. / Mas, I., Radcliffe, D. 2010. Mobile Payments go Viral: M-PESA in Kenya. Fondation Bill and Melinda Gates, Seattle. Mars. / Ondiege, P., 2010. Mobile Banking in Africa: Taking the Bank to the
People. Banque africaine de développement. Africa Economic Brief. Volume 1. Issue 8. Décembre 2010.

Secteur Privé & Développement

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