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Victimes Yangambi 1964

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Août 1964

Les massacres de Yangambi


Il y a quatre ans: des enfants de rescapés des mas- y créer un éphémère gouverne-
Cinquante années ont passé sacres de Yangambi, qui se sont ment sécessionniste, ancêtre du
depuis les massacres de 1964 passés en août 1964. La mémoire CNL (2), qui, créé en 1963, sera
à Stanleyville : leur souvenir collective reste vivace : la com- responsable des massacres qui
en reste vivace. En cette année munauté dans son ensemble s’en endeuilleront le pays.
2014, des cérémonies commé- est souvenue ce 23 août 2014
moratives ont eu lieu au Congo et a commémoré ses disparus. YANGAMBI, 1964
et en Belgique, qui ont permis Jean Likango, infirmier formé
de rappeler à la population YANGAMBI, 1960-1963, à Elisabethville (où il a connu
ces douloureux Le nombre de en un rapide survol Moïse Tshombe), est le succes-
événements. Nombreux ont victimes
été les resca- pés, Congolais congolaises se
comme Belges monte, selon toute
et étrangers, leurs amis et sym- vraisemblance, à
pathisants à assister à la messe plusieurs dizaines
à la cathédrale St Michel le 20 de milliers de
septembre 2014, cérémonie tout morts : qui en
empreinte de recueillement pour connaitra jamais le
les victimes de ces massacres. nombre exact ?
Ces événements, pour tragiques
qu’ils aient été, ne sauraient oc- Mais ce nombre
culter le fait que des massacres deviendra très vite
ont aussi eu lieu dans toute la un multiple entre
partie du Congo occupée par 150 et 250 milles La petite ville, située à une cen- seur du Dr Marcel Ph. Desmet,
les Simbas : au Kwilu, en pro- victimes civils faits taine de kilomètres à l’ouest de dernier directeur belge de l’hôpi-
vinces de l’Equateur, du Kivu et par les mercenaires Stanleyville (Kisangani), abrite tal : avant de quitter son poste
de l'Ommegang à tel
du Katanga, à Stanleyville (Pro- point que le Nord-Est depuis les années ’50 la Direc- en juillet ’60, il a pris le temps de
vince Orientale), les habitants du Congo fut tout à tion Générale ainsi que le Centre proposer Jean Likango pour lui
ont eu à subir la folie destruc- fait dépeuplé. de Recherche de l’INEAC (1). succéder. Ce dernier est l’époux
trice de ces bandes droguées à note de Victor E. Rosez Un hôpital est également de Mwayuma-Lomito Adolphine
la “maya Mulele”. Le nombre de construit sur le site. L’indépen- Elisabeth (Elise). Ils sont les
victimes congolaises se monte, dance du Congo est proclamée parents de huit enfants et sont
selon toute vraisemblance, à le 30 juin 1960 mais les événe- domiciliés dans la cité “Belge”.
plusieurs dizaines de milliers de Institut National pour
(1) ments qui la suivent amènent Parallèlement à ses fonctions
morts : qui en connaîtra jamais l’Etude Agronomique du tous les cadres belges de l’ex de Directeur Administrateur de
Congo Belge.
le nombre exact ? Leurs noms, colonie à quitter le Pays. l’Hôpital de l’INEAC Yangambi,
à quelques exceptions près, ne (2)
Conseil National de Jean Likango continue sa pra-
sont pas connus, à peine men- Libération. Du jour au lendemain, l’Institut, tique médico-chirurgicale.
tionnés dans les rares revues placé sous la tutelle du ministre La rébellion, partie d’Uvira
ou livres qui ont été publiés à Weregemere, voit son encadre- (Kivu) en mai 1964, finit par
l’époque. ment disparaître et la reprise gagner la province Orientale.
se fait, tant bien que mal, par Moïse Tshombe, nouveau Pre-
Le devoir de mémoire ne saurait les techniciens Congolais, qui mier Ministre, visite Stanleyville
cependant être sélectif : toutes restent sur place. Tous les chefs le 25 juillet 1964 : l’accueil est
les victimes sont égales devant de service, dès ce moment, sont triomphal. Il rencontre Jean
la mort mais, en l’occurrence, Congolais : ils occupent les rési- Likango et lui conseille de fuir
innombrables sont les Congo- dences de fonction de leurs pré- la région et de gagner Léopold-
lais qui ne peuvent malheureu- décesseurs. ville: ce dernier refuse. Il préfère
sement pas être nommés. Nous rester à Yangambi pour soigner
pouvons cependant faire en En janvier 1961, devant la tour- malades et blessés. En tant que
sorte que certains d’entre eux nure des événements à Léopold- personnel médical, il ne trouve
le soient, représentants symbo- ville (Kinshasa), les responsables pas normal de fuir et de se réfu-
liques de leurs frères assassinés. du MNC-L (Gizenga, Gbenye) gier à Léopoldville alors que les
Le hasard a mis sur ma route refluent vers Stanleyville pour gens auront certainement besoin

Mémoires du Congo n°32 MdC Décembre 2014



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de ses soins. Malgré les bruits Diverses raisons sont invoquées des draps, des couvertures et
répandus par les fuyards venant pour justifier leur arrestation : des désinfectants.
de Stanleyville, malgré les mes- “ils” auraient fait partie du P.N.P
sages alarmants envoyés par ses (Parti National du Progrès) ou Les onze corps en état de dé-
contacts, Jean LIKANGO décide de l’UNACO (Union Nationale composition sont jetés dans la
de rester sur place, au péril de Congolaise), partis modérés peu remorque d’un tracteur. La veuve
sa vie. favorables aux thèses du MNC- Malheur aux de LIKANGO Jean et ses parents
Lumumba. “Ils” auraient reçu de rebelles ont cependant le temps d’enve-
Les Simbas sont aux portes de la l’argent des Belges … sur lesquels lopper le corps de leur beau-fils
ville. Début août, Stanleyville et l’armée peut dans un linceul, le placent sur la
sa région, Yangambi comprise, La plupart sont arrêtés dans la mettre la main : civière et prennent la direction
sont occupées par les rebelles, semaine du 08 au 15/08/1964. ils sont passés par du cimetière de la cité Belge.
qui recrutent parmi les pauvres. Bangala Léonard et Moussa Au- les armes sans Maman Elise, aidée de ses pa-
Une femme, non autrement gustin, que leurs parents avaient autre forme rents, de ses oncles ainsi que de
nommée que “maman Likutu”, caché sur un îlot du fleuve loin de procès. quelques membres de la famille
dont la fille Charlotte est la fil- de Yangambi, sont découverts proche portent en terre les onze
leule de maman Elise (v. supra), par la femme rebelle maman corps. Jean est inhumé dans
poussée par la jalousie, dénonce LIKUTU, grâce à une ruse : elle une tombe, seul ; ses dix com-
onze personnes au chef rebelle fait croire que la rébellion est pagnons sont regroupés dans
local, au prétexte que ce sont terminée, que tous doivent sortir deux fosses communes, juste
des “Mundele Moindo” (3) : il faut de leurs cachettes et retourner à derrière sa tombe. Ces “onze”
éliminer les élites. Ils appar- leur domicile et reprendre le tra- sont connus et bénéficient enfin
tiennent tous à la tribu Lokele, vail. Ils sont ramenés en pirogue (3) Les “Noirs blancs” d’une sépulture digne.
sauf Ekutsu Eugène, originaire à Yangambi.
de l’Équateur :
(4)
In “l’Ommegang”, Colonel D’autres victimes peuvent être
e.r F. Vandewalle, p.392.
LIKANGO Jean est donc arrê- également être citées : SONGE,
BADJOKO Augustin (Agent à la té le mercredi 20/08/1964. Le MAFUTA Antoine et BOTON-
Direction Générale de l’INEAC) 22/08, il demande à son épouse GOLONONGO Augustin sont
BANGALA Léonard (Secrétaire de lui apporter sa chemise et sa tués les jours suivants dans la
Administratif de l’Hôpital et à cravate parce que le 23/08, ils cité même. Mais d’autres vic-
la D.G.) seront exécutés. Le lundi 23/08, times, une bonne cinquantaine,
BONYOMA Jacques (Adminis- un lundi, jour de la St Barthé- sont également à déplorer :
tratif à la Direction Générale) lémy, vers 10H00, au sortir de beaucoup sont jetés aux croco-
EKUTSU Eugène (Directeur la messe, les “onze” qui ont été diles dans le fleuve. Ils ont été
a.i. du Centre de Recherche de mis au cachot du sous-sol du surpris, certains dans la forêt
l’INEAC) Guest House, sont emmenés au entourant Yangambi, d’autres
MOUSSA Augustin (Administra- stade de la cité Reine Astrid: à sur leurs lieux de travail, où ils
tif à la D.G.) midi, en présence des habitants, tentaient de se cacher. Leurs
MANGAPI Pierre (Administratif contraints d’assister à la tuerie, familles seules ont retenu leurs
à la D.G.) ils sont fusillés par un peloton noms.
LIKANGO Jean (Directeur Ad- d’exécution composé d’étran-
ministrateur Général de l’Hôpital gers à la région. Son mari mort, Les rebelles occupent alors la
de l’INEAC) maman Elise veut enterrer son maison de fonction de la famille
WAWINA Gilbert (Administratif époux. Avec un bébé de 7 jours Likango, qui se voit contrainte
à la Direction Générale) dans ses bras, elle ose affron- de fuir vers le village d’Elambi
LINGELEMA Gilbert (Adminis- ter les rebelles qui refusent de (territoire d’Isangi) chez les
tratif à la Direction Générale) l’écouter. beaux-parents qui sont venus re-
BITA Birharo chercher Elise et ses huit enfants;
AFETE Daniel Les corps restent deux jours en d’autres rescapés fuient dans la
plein air dans le stade. Agacés forêt, dont certains ne sortiront
En plus de ces onze victimes, par l’insistance de Maman Elise, qu’après plusieurs mois. Le 10
deux membres de la communau- les rebelles finissent par lui ac- décembre (4) 1964, une colonne
té Lokele et n’appartenant pas corder l’autorisation d’inhumer le de l’ANC, commandée par
au personnel de l’INEAC (leurs corps de son mari, à la condition Mike Hoare, et qui a incorporé
noms restent inconnus à ce jour) qu’elle s’occupe aussi de trouver d’autres jeunes congolais tels que
sont dénoncés comme sorciers une sépulture pour les dix autres LIKWELA, LIMBILA Paul, Paul
(Ndimo): ils sont massacrés et corps, faute de quoi les cadavres BITYA et tant d’autres, atteint
leurs corps jetés dans le fleuve. seront jetés dans le fleuve tout Yangambi et Isangi et ramène,
LIKANGO Jean est arrêté parce proche. L’hôpital de Yangambi parmi d’autres otages, la famille
qu’il défend son ami Ekutsu Eu- met à la disposition de la veuve Likango vers Stanleyville.
gène, originaire de l’Équateur. de LIKANGO Jean une civière,

Mémoires du CongoMdC
n°31 Septembre 2014
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Histoire - 1964
La justice est alors expéditive et Témoignages : YANGAMBI, épilogue Tout récemment, le curé de la
malheur aux rebelles (ou suppo- 1. Likango Nelly (Bel- En 1965, les “onze” sont décla- paroisse de Yangambi stigma-
gique)
sés tels) sur lesquels l’armée peut 2. Limbanga Jeanne (Bel- rés “Martyrs” et des pierres tom- tisait la cupidité de la popula-
mettre la main : ils sont passés gique) bales sont posées sur leur fosse. tion qui, lors des guerres de l’Est
par les armes sans autre forme 3. Lifeta André (Bologne L’INEAC Yangambi débaptise avec l’armée rwandaise, dénon-
de procès. Quant à maman Li- Italie) quelques cités et les renomme : çait certains villageois auprès
kutu, elle se cache à Kisangani 4. Ngama Patrice (Retraité la cité “Belge” devient la cité de l’armée d’occupation ? Cin-
à Yangambi)
mais, suite à une dénonciation, 5. Lomami Paul (Secré- “Likango”, quante ans après les tragiques
elle est arrêtée en 1965 : elle est taire Paroissial) Yangambi la cité “Reine Astrid” devient la événements de 1964, l’Histoire
jugée et condamnée à la peine 6. Bolengelenge Faustin cité “Ekutsu”, repassait les plats …
de mort par fusillade devant (Yangambi) la cité “Coquilhatville” devient
toute la population et les veuves 7. Maingolo (Yangambi) la cité “Bangala, Une messe commémorative a été
8. Lobaisi (Kisangani)
de ses victimes. C’est alors que Travail de fin d’études et la cité “Paris” devient la cité célébrée à Yangambi le 24 août
YAFALI Augustin, devenu Direc- fourni sur les Martyrs de “Moussa”. 2014 : Nelly Ghislaine, la fille de
teur du Centre des Recherches Yangambi. Jean Likango, a fait le déplace-
de l’INEAC, propose à toutes Chaque année, à la date du 23 ment de Bruxelles pour assis-
les veuves qui le souhaitent de Sources : août, en mémoire des Martyrs ter à la cérémonie. De passage
retourner à Yangambi pour y tra- 1. L’Ommegang, odyssée de la Rébellion, des cérémonies à Kinshasa, elle a fait célébrer
et reconquête de Stanley-
vailler à la place de leur maris. ville 1964, Colonel e.r.
commémoratives sont célébrées une messe à la mémoire de sa
Maman Élise y retourne, où elle Vandewalle avec faste par la Direction Géné- maman, décédée le 07 décembre
commence une carrière de sage- 2. Dans Stanleyville, rale de l’INEAC, devenue INERA. 2004 à Kinshasa.
femme qu’elle termine en 1975. Patrick Nothomb, Faut-il ajouter que l’état congolais
Elle devient alors chef de cuisine Ed Masoin, Bruxelles n’a jamais versé de pension aux Dr Marc Georges
de l’Hôpital jusqu’en 1980. 3. Qui sont les leaders familles des survivants (mais en
Congolais ? Pierre Ar- avait-il les moyens ?).
tigue, Editions Europe –
Afrique, Bruxelles, 1960

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