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Le métalangage de l'enseignement de la traduction

Chapitre 2 LE MÉTALANGAGE DE L’ENSEIGNEMENT DE LA TRADUCTION1 P OUR ÊTRE VRAIMENT efficace, l’enseignement pratique de la traduction, didactique ou professionnelle, doit chercher à transmettre un savoir organisé et pensé en s’efforçant de développer l’aptitude à traduire de façon raisonnée. Apprendre à traduire au niveau universitaire, c’est, entre autres choses, apprendre à réfléchir sur des textes, à en faire une analyse rigoureuse afin de déceler les multiples embûches qu’ils cachent et à interpréter correctement le sens dont ils sont porteurs; c’est encore apprendre à dissocier les langues à tous les niveaux du maniement du langage et à mettre en œuvre des stratégies opératoires de transfert interlinguistique; c’est, enfin, apprendre à exploiter au maximum les ressources de la langue d’arrivée et à maîtriser les techniques de rédaction, car dans tout traducteur il y a un rédacteur. La salle de classe a des exigences que ne connaît pas le traducteur professionnel dans l’exercice quotidien de son métier. Le praticien n’a pas à démonter, à des fins didactiques, la «mécanique» de l’opération qu’il accomplit avec plus ou moins de talent, plus ou moins de facilité. Le professeur de traduction, lui, a pour tâche de guider la réflexion des étudiants aux prises avec un texte à reformuler dans une autre langue. Aussi, on conçoit mal comment cette réflexion puisse se faire de façon efficace sans outils conceptuels, sans un arsenal de termes techniques servant à désigner les faits de langue, le processus cognitif de la traduction, les procédés de transfert d’une langue à une autre, ou encore le résultat de l’opération. Disposer d’un métalangage précis m’apparaît comme une condition sine qua non pour enseigner convenablement la traduction à l’université et pour rendre compte du caractère spécifique de cette activité complexe. Persuadé que cette exigence était unanimement admise, j’ai néanmoins voulu savoir ce qu’il en était dans les faits. J’ai cherché à découvrir quel discours l’on tient en enseignement pratique de la traduction dans les salles de classe. Quelle terminologie le professeur y utilise 167 ENSEIGNEMENT PRATIQUE DE LA TRADUCTION pour analyser et décrire les phénomènes de la traduction. La terminologie qu’il emploie n’est pas étrangère à sa conception de la traduction et peut même déterminer sa façon d’enseigner. Traduire pour apprendre les langues et traduire pour devenir traducteur professionnel est-il le même exercice? On se plaît à répéter que ces deux formations sont distinctes et n’ont pas la même finalité. Commandent-elles alors un métalangage différent? Pour tenter de répondre à ces questions, j’ai dépouillé les manuels d’enseignement de la traduction didactique et professionnelle publiés en Grande-Bretagne, au Canada et en France depuis les années 1950. Pourquoi ces trois pays? Parce que mon étude se limite à l’enseignement de la traduction entre l’anglais et le français et que c’est dans ces trois pays qu’il se publie le plus grand nombre de manuels pour cette combinaison linguistique. Mon corpus se compose de 88 manuels, dont 16 renferment un glossaire (v. la liste des manuels à l’annexe 2). On peut raisonnablement supposer que les utilisateurs d’un manuel – son auteur, les professeurs qui l’ont adopté et les étudiants – font usage, en partie tout au moins, du métalangage qu’il renferme. Les raisons pour lesquelles les auteurs incluent un glossaire dans leur manuel de traduction sont nombreuses et significatives, comme nous le verrons. L’analyse des termes de ces glossaires m’a amené à remonter aux sources du métalangage de l’enseignement de la traduction. Cette analyse m’a aussi conduit à distinguer, en conclusion, quatre sous-ensembles de notions utiles, selon moi, aux pédagogues de la traduction. Nous verrons donc dans la suite de cette étude quels sont les manuels qui renferment un glossaire et quels sont les motifs qui ont poussé les auteurs à définir les principales notions utilisées dans leur ouvrage. La troisième et dernière partie sera consacrée à l’analyse proprement dite des notions. Manuels renfermant un glossaire Rares sont les études systématiques qui ont porté sur le métalangage de la traduction en général et aucune jusqu’ici n’a été consacrée exclusivement à la terminologie de l’enseignement de la traduction. Au début des années 1980, Frank G. Königs a signé un long article en allemand dans Lebende Sprachen sur les «notions-clés de la traductologie2» [«Zentrale Begriffe aus der wissenschaftlichen Beschäftigung mit Übersetzen» (Königs 1982-1984)]. Cette étude terminologique ne porte pas spécifiquement sur le métalangage de l’enseignement de la 168 MANUELS ET MÉTALANGAGE traduction, pas plus d’ailleurs que les trois autres travaux suivants : «The Terminology of Translation3», de Roda P. Roberts (1985a : 343352), «Glossaire de la théorie interprétative de la traduction et de l’interprétation4», de Monique C. Cormier (1985 : 353-359) et Théorie du langage et théorie de la traduction. Les concepts-clefs de trois auteurs : Kade (Leipzig), Coseriu (Tübingen), Seleskovitch (Paris), de Colette Laplace (1994). L’année 1997 a vu la publication d’un Dictionary of Translation Studies, œuvre de Mark Shuttleworth et de Moira Cowie. L’ambition des auteurs de ce répertoire « is to provide an overview of some of the issues, insights and debates in Translation Studies, inasmuch as these are reflected in the discipline terminology» (Shuttleworth et Cowie 1997 : ix). Cet ouvrage embrasse tout le champ de la traductologie et n’est pas ciblé sur l’enseignement pratique. Les termes recensés appartiennent à tous les courants de pensée ayant marqué la réflexion théorique sur la traduction au cours des quarante dernières années. Cet ouvrage de référence facilitera assurément la lecture des articles et des ouvrages produits par les théoriciens ou les historiens de diverses tendances. Ses usagers y trouveront, par exemple, la définition de termes tels que architranseme, bilingual corpora, close translation, covert translation, exegetical fidelity, hermeneutic motion, logeme, skopos theory, etc. Ce dictionnaire n’a cependant aucune utilité réelle pour l’enseignement pratique de la traduction. On trouve aussi de nombreuses définitions dans la Routledge Encyclopedia of Translation Studies (1998) publiée sous la direction de Mona Baker. Pas plus que le dictionnaire de Shuttleworth et Cowie, cette encyclopédie n’est utile en enseignement pratique de la traduction. Pour ma part, j’ai axé ma recherche uniquement sur le vocabulaire de l’enseignement de la traduction tel qu’il ressort des manuels. J’ai voulu savoir si les rédacteurs de manuels de traduction se préoccupent de terminologie, s’ils intègrent à l’apprentissage de la traduction l’assimilation d’un métalangage propre à faciliter l’acquisition de ce savoirfaire et s’ils cherchent à inculquer aux étudiants des habitudes dénominatives. Faut-il rappeler que la pédagogie en général et l’enseignement de la traduction en particulier ne se ramènent pas à la transmission d’un catalogue de recettes? La pédagogie – nous l’avons vu – est fondamentalement la recherche de l’adéquation entre l’acte d’enseigner et les objectifs d’apprentissage poursuivis, objectifs définis à partir des besoins des étudiants. Et on peut voir dans la conception et la rédaction d’un manuel la manifestation concrète de ce désir d’adéquation 169 ENSEIGNEMENT PRATIQUE DE LA TRADUCTION entre enseignement et poursuite d’objectifs de formation. Pour accomplir efficacement cet acte de communication qui consiste à transmettre des connaissances ou, dans le cas qui nous occupe, à développer l’aptitude à traduire, il faut disposer d’un métalangage afin de décrire l’opération complexe du transfert interlinguistique. Tout enseignement de la traduction repose sur l’analyse, car la pratique de la traduction implique d’innombrables choix : choix de la signification pertinente, choix du mot juste, choix de la structure syntaxique appropriée, choix du bon registre, choix des bonnes charnières, choix du style, choix du ton à donner au texte, choix liés aux destinataires, etc. Or, «toute analyse, a écrit l’historien Marc Bloch, veut d’abord, comme outil, un langage approprié, un langage capable de dessiner avec précision les contours des faits, tout en conservant la souplesse nécessaire pour s’adapter progressivement aux découvertes, un langage surtout sans flottements ni équivoques» (Bloch 1993 : 167). Il paraît sage à cet égard de suivre le conseil de Blaise Pascal et «de n’employer aucun terme dont on n’[a] auparavant expliqué nettement le sens» (Pascal 1954 : 577) . Qu’en est-il chez les rédacteurs de manuels de traduction? Sur les 88 titres du corpus, 16 seulement renferment un glossaire ou un vocabulaire, soit un sur six. Cette proportion ne manque pas d’étonner. Les auteurs des 72 autres manuels supposent-ils assimilées les notions nécessaires à l’apprentissage de la traduction? Estiment-ils qu’il est possible d’enseigner (et d’apprendre) à traduire sans disposer d’une terminologie particulière? Croient-ils que l’opération n’est pas assez complexe pour justifier le recours à des termes spécialisés? Les connaissent-ils? Pensent-ils qu’il est impossible de tenir un discours structuré dans les cours pratiques de traduction? Il serait injuste de répondre par l’affirmative à toutes ces questions. Bien qu’une forte majorité d’auteurs passent sous silence les questions d’ordre métalinguistique bon nombre d’entre eux définissent néanmoins certains termes-clés dans le corps de leur manuel, termes qu’ils regroupent parfois dans un index. Beverly J. Adab, par exemple, auteur de deux manuels (1994, 1996), est consciente de l’importance du métalangage pour la formation des traducteurs, sans pour autant consacrer à cet aspect un objectif d’apprentissage distinct. Elle écrit dans les pages liminaires de son manuel Annotated Texts for Translation, English-French : «We hope to help the student to develop the critical ability to judge the appropriateness of choices made, by a study of actual practice and by the introduction of certain basic terms 170 MANUELS ET MÉTALANGAGE of metalanguage which can be used to explain and identify the nature of such choices» (Adab 1996 : 3). Le danger que je vois à ne pas fonder l’enseignement de la traduction sur une terminologie rigoureuse est de verser dans l’impressionnisme. Une formation de niveau universitaire ne peut pas, à mon avis, se contenter d’explications vagues comme «pas français», «mal traduit», «imprécis» ou de commentaires tels que «Vous pouvez faire mieux» et «Réfléchissez encore». Enseigner à traduire ne saurait se cantonner à la correction de copies d’étudiants sans qu’une réflexion précède ou suive les exercices pratiques de traduction effectués en classe ou hors classe. «Corriger des erreurs n’est pas théoriser», rappelle avec raison Marianne Lederer (1994 : 9). Attardons-nous aux 16 manuels renfermant un glossaire. Le tableau de l’annexe 3 en donne la liste et précise le titre exact du glossaire, les pages où il figure et le nombre de termes définis. Six manuels comptent 36 termes ou moins, 4 autres, plus de 120. Le plus volumineux est celui de Nida et Taber avec 270 entrées, dont beaucoup de termes appartenant à la grammaire et à la linguistique générale et générative. On remarquera l’inclusion dans ce tableau du glossaire analytique La Traduction : mode d’emploi (1995) de Jean et Claude Demanuelli. Cet ouvrage, le seul, à ma connaissance, consacré spécifiquement au métalangage de l’enseignement de la traduction, peut être vu, au dire même de ses auteurs, comme un «complément possible» à leur manuel Lire et traduire (1990). La Traduction : mode d’emploi, qui reprend tous les termes de l’«Index notionnel» du manuel, à l’exception de 13 entrées, est en quelque sorte le prolongement de la réflexion terminologique amorcée dans Lire et traduire. Ce glossaire analytique avait donc doublement sa place dans la présente étude. Les auteurs précisent que leur glossaire a une visée «pratique et pédagogique» et ils en délimitent la portée en ces termes : L’ouvrage n’est pas un dictionnaire visant à baliser tout le domaine de la métalangue de la traduction, mais un guideglossaire qui se propose de clarifier environ 140 termes ou expressions dont la connaissance nous a paru indispensable à quiconque veut réfléchir sur l’activité traduisante et assimiler une terminologie aussi cohérente que possible, pour être davantage à même de maîtriser à la fois l’enseignement et la pratique de la traduction de et vers l’anglais (Demanuelli et Demanuelli 1995 : 4e de couverture). 171 ENSEIGNEMENT PRATIQUE DE LA TRADUCTION Dans les seize manuels renfermant un glossaire, 1419 termes ont été dénombrés. Ce chiffre est toutefois moins significatif que le nombre de notions. Pour faire le décompte des notions, il a fallu ramener à une les occurrences multiples (le terme «adaptation», par exemple revient huit fois, «juxtaposition», cinq fois) et supprimer les synonymes et les variantes. À la suite de cet élagage, on obtient 838 notions, soit une cinquantaine de notions en moyenne par manuel. L’annexe 4 en donne la liste complète. Pourquoi un glossaire? Avant de procéder à l’analyse sommaire de ces quelque huit cents notions constituant le métalangage «brut» de l’enseignement de la traduction, tel qu’il ressort tout au moins du corpus étudié, il me semble intéressant de chercher à connaître les raisons pour lesquelles les auteurs ont inséré un glossaire dans leur ouvrage. Ces raisons sont nombreuses et révélatrices de l’utilité qu’ils voient à ces répertoires. Précisons qu’aucun d’entre eux ne cherche à «faire savant» en proposant un jargon forgé de toute pièce, et cela est tout en leur honneur. Au contraire, chacun pourrait reprendre à son compte ce qu’écrivent dans leur introduction les auteurs de La Traduction : mode d’emploi : «Nous ne cherchons pas à imposer un discours "scientifique" par le biais d’une suite d’entrées plus ou moins hermétiques, ni une quelconque terminologie normative par le biais de définitions plus ou moins originales. [...] La formule retenue nous a été dictée par un souci de clarification» (Demanuelli et Demanuelli 1995 : 1). Éclairer le sens technique des termes employés dans leur manuel, telle est la raison la plus souvent évoquée par les auteurs pour justifier l’ajout d’un glossaire. C’est d’ailleurs l’utilité première de tout glossaire. Ces définitions servent aussi à «faciliter la lecture» des ouvrages (Chuquet 1990 : 155, Demanuelli et Demanuelli 1990 : 231) ainsi que les notes et commentaires accompagnant les textes (Guivarc’h et Fabre 1989 : 11). Pour Basil Hatim et Ian Mason, le métalangage permet de procéder de façon plus objective à l’analyse et à la critique des traductions. What can be done [pour réduire la part de subjectivité en traduction] is to elaborate a set of parameters for analysis which aim to promote consistency and precision in the discussion of translating and translations. A common set of categories is needed and a set of terms for referring to them, 172 MANUELS ET MÉTALANGAGE a metalanguage for translation studies. It is one of our aims in this book to suggest a model of the translation process based on just such a set of categories (Hatim et Mason 1990 : 5). La maîtrise d’un métalangage cohérent est vue aussi par plusieurs auteurs comme une façon de contrer la «pratique instinctive de la traduction». Grâce au métalangage, il est possible, écrit Michel Ballard, d’«objectiver des processus, [de] prendre conscience des différences, [de] les identifier [et de] les nommer» (Ballard 1992 : 7). Et il ajoute : «C’est par la nomination, par l’utilisation d’une terminologie spécifique, que l’on comprend et assimile un objet de connaissance et une pratique» (ibid.). Geoffrey Vitale, Robert Larose et Michel Sparer reconnaissent la même utilité pratique au métalangage : «Nous nous servons de cette terminologie, version simplifiée de celle de la stylistique comparée [de Vinay et Darbelnet], écrivent-ils dans l’Avant-propos de leur manuel, dans la mesure où elle permet à l’étudiant de cerner clairement et rapidement un problème de traduction» (Vitale et al 1978 : xii). Jean et Claude Demanuelli ont eux aussi centré les notions définies dans leur glossaire «sur les besoins terminologiques de l’activité traduisante» (Demanuelli et Demanuelli 1990 : 231). Comme leurs collègues, ils ont voulu mettre à la disposition des professeurs et des étudiants un outillage conceptuel propre à décrire le plus grand nombre possible de faits de langue liés au transfert interlinguistique, en particulier des œuvres littéraires. Au-delà de la clarification de certaines notions, ces auteurs ont voulu constituer un instrument d’analyse précis permettant de résoudre les problèmes de traduction ponctuels et récurrents. Mais leur ambition dépasse ces considérations pragmatiques. Leur glossaire, et plus encore La Traduction : mode d’emploi, a «pour but de tenter de regrouper les différentes terminologies en cours et de mettre au jour les recoupements à opérer lors de la lecture d’ouvrages consacrés au même sujet» (ibid.). C’est en partie pour la même raison qu’un glossaire de 186 termes figurait dans la première édition de La Traduction raisonnée (Delisle 1993 : 19-49). La deuxième édition (2003) en compte 238. Il est intéressant de constater que commence à se manifester le désir de regrouper et d’ordonner diverses terminologies en usage, de mettre un peu d’ordre dans la maison terminologique de l’enseignement de la traduction. Sans métalangage, comment en effet tenir un discours méthodique sur la pratique de la traduction et son apprentissage? Comment 173 ENSEIGNEMENT PRATIQUE DE LA TRADUCTION faire voir à l’apprenti traducteur qu’il y a de la méthode dans la façon dont on transpose un texte d’une langue dans une autre? Enfin, les rédacteurs de manuels d’initiation à la traduction professionnelle (Horguelin 1985, Bédard 1986, Delisle 1993, 2003) ont une raison supplémentaire d’appuyer leur enseignement sur une terminologie rigoureuse : cette terminologie n’est pas utile uniquement pour l’enseignement, elle l’est aussi dans l’exercice de la profession en facilitant la communication entre «initiés», pour ainsi dire, entre traducteurs et entre traducteurs et réviseurs. Voici ce qu’écrit à ce propos Paul A. Horguelin. Ce qu’il dit du réviseur (qui est en fait un traducteur chevronné chargé de réviser le travail de traducteurs débutants et de parfaire leur formation) s’applique tout autant au traducteur : «Dans le cours de son activité professionnelle, le réviseur est appelé à traiter régulièrement avec des traducteurs qui, comme lui, sont des spécialistes du langage. Il doit donc utiliser des termes précis pour décrire ses corrections, rédiger ses annotations ou faire ses observations» (Horguelin 1985 : 107). Les 168 termes qu’il propose dans son «Vocabulaire du réviseur» correspondent, selon lui, aux «termes couramment employés dans l’exercice de la profession» (ibid.). Mais tous les traducteurs de métier disposent-ils d’un métalangage commun, comme les comptables, pour décrire les faits de langue et de traduction? Comme l’a fait remarquer Annie Brisset : «Peut-on qualifier de "professionnel" un traducteur dépourvu des moyens de s’expliquer en termes techniques sur son propre métier?» (Brisset 1990 : 239-240). Les enseignants, les aspirants traducteurs de même que les traducteurs et réviseurs de métier devraient tous idéalement être capables de nommer les concepts et les procédés associés à l’opération de traduction «comme n’importe quel technicien apprend le nom de ses outils et des opérations qu’il effectue» (ibid.). On attend d’un comptable qu’il sache ce qu’est un «bilan consolidé» et qu’il soit capable d’en dresser un. Et ce terme, tout comme «actif et passif», «amortissement» ou «dépenses non compressibles», a plus ou moins la même signification pour tous les membres de sa profession, tout au moins à l’intérieur d’un même pays. Ne devrait-il pas en être de même, jusqu’à un certain point, pour les traducteurs? Ne devraient-ils pas tous savoir ce qu’est un «étoffement», une «correspondance» vs une «équivalence», un «chassé-croisé», une «création discursive» ou un «complément cognitif»? Un des buts de l’enseignement professionnel est de doter les membres d’une profession d’un ensemble de concepts opératoires ayant plus ou moins la même signification pour tous. C’est un des aspects par lesquels une profession se distingue de l’amateu174 MANUELS ET MÉTALANGAGE risme, voire du charlatanisme. Comme on le voit, la question du métalangage de la traduction déborde le cadre strictement pédagogique et a des ramifications jusque dans le domaine de la reconnaissance professionnelle. On trouvera à la page suivante, sous une forme synthétique, les motifs évoqués par les rédacteurs pour ajouter un glossaire à leur manuel, motifs qui témoignent de l’importance qu’ils accordent au métalangage. Analyse sommaire des notions Toute discipline, tout champ d’activité, tout domaine de connaissance possède sa terminologie propre. L’enseignement de la traduction ne fait pas exception. Son métalangage enregistre, discrimine, analyse, combine, classe, ordonne les notions et les faits, les processus et les méthodes, les règles, les principes et les lois utiles pour enseigner et apprendre à traduire. Un métalangage est un discours raisonné sur un objet d’étude circonscrit. Toute science est d’abord langue bien faite. Supprimez son métalangage et la science n’existe plus. Il lui faut, pour exister, s’incarner dans des ensembles de notions structurées et cohérentes. Cette exigence vaut également pour la traduction et son enseignement. Par ailleurs, un métalangage ne peut pas fonctionner indépendamment de la langue courante. Certains termes appartiennent à la fois au métalangage et à la langue dont ils sont issus. Tel est le cas en pédagogie de la traduction des termes «articulation», «catégorie», «charnière», «démarche», «économie», «servitude»... L’ensemble des termes appartenant à un domaine de spécialisation forme une langue de spécialité. Dans Language Engineering and Translation: Consequences of Automation, Juan C. Sager reprend, en la modifiant légèrement, la définition de special languages qu’il avait proposé en 1980 dans English Special Languages, ouvrage rédigé en collaboration avec David Dungworth et Peter F. McDonald : «Special languages are semi-autonomous, complex semiotic systems based on and derived from general language: their use presupposes special education and is restricted to specialists for conceptualization, classification and communication in the same or closely related fields (Sager 1994 : 44). 175 ENSEIGNEMENT PRATIQUE DE LA TRADUCTION Tableau 1 MOTIFS D’INCLUSION D’UN GLOSSAIRE DANS LES MANUELS 1. Préciser l’acception particulière des termes techniques employés. 2. Faciliter la lecture des manuels (exposés, notes, commentaires). 3. Contrer la pratique instinctive de la traduction. 4. Fonder l’enseignement sur une terminologie précise. 5. Faciliter l’apprentissage de la traduction. 6. Tenir un discours structuré sur la pratique de la traduction. 7. Disposer d’un instrument d’analyse précis. 8. Objectiver des processus, des opérations, des stratégies de traduction. 9. Cerner clairement les difficultés de traduction. 10. Nommer les opérations et les difficultés de traduction. 11. Regrouper différentes terminologies en usage en enseignement de la traduction. 12. Proposer une terminologie utilisable par l’ensemble des pédagogues de la traduction. 13. Faciliter les recoupements lors de la lecture d’ouvrages consacrés à l’enseignement de la traduction. 14. Doter les futurs traducteurs professionnels d’une terminologie spécialisée qui leur soit utile dans la pratique quotidienne de leur métier, notamment, pour faciliter les communications entre eux. 176 MANUELS ET MÉTALANGAGE Le métalangage de l’enseignement de la traduction correspond bien à cette définition : il s’agit effectivement d’un langage «semi-autonome» formé en partie de mots de la «langue commune»; son acquisition nécessite une «formation» particulière, il est utilisé par les «spécialistes» de la traduction (professeurs, étudiants, traducteurs, réviseurs), il rend possible la «conceptualisation» du domaine et la «classification» de ses notions et de ses opérations et il facilite, enfin, la «communication» (entre professeurs et étudiants et entre traducteurs de métier). Presque tous les éléments de cette définition figurent dans le tableau de la page précédente, où sont énumérés les motifs d’inclusion d’un glossaire dans les manuels de traduction. Si le métalangage de l’enseignement de la traduction est constitué pour une bonne part d’emprunts à la langue courante, il a aussi puisé largement à d’autres sources. Ce serait une erreur de croire à sa «virginité épistémologique» pour reprendre une image de Jean-René Ladmiral (1986 : 34). En effet, l’examen des notions qui composent les 16 glossaires formant un sous-ensemble du corpus révèle à l’évidence que cette langue de spécialité emprunte ses termes, dans des proportions variables, à la linguistique (générale, différentielle, textuelle), à la théorie de la traduction, à la grammaire générale, à la rhétorique, aux techniques de rédaction et quelques termes à la pédagogie générale et à des disciplines auxiliaires de la traduction, comme la documentation et la terminologie. La traduction n’étant pas une activité cloisonnée, son métalangage est forcément éclectique : il est formé d’emprunts interdisciplinaires. Mais les créations d’auteurs y sont aussi nombreuses. En entreprenant la présente étude, je pensais pouvoir dégager des glossaires un noyau substantiel de notions correspondant à la terminologie «fondamentale» de l’enseignement de la traduction. À mon grand étonnement, ce «tronc commun» ne semble pas exister. À peine 38 notions sur 838 – un maigre 4,5 % – figurent dans cinq glossaires. Comme il était facile de le prévoir, les termes décrivant les fameux «procédés de traduction» de Vinay et Darbelnet occupent une place de choix dans cette liste. En fait, sur les 38 notions, 23 proviennent du glossaire de la Stylistique comparée du français et de l’anglais (1958). Les onze notions les plus fréquentes (9, 10 ou 11 occurrences) sont les suivantes : anaphore, connotation, contexte, déictique, équivalence, étoffement, faux ami(s), modulation, niveau de langue, transposition et unité de traduction. Le tableau 2 de la page suivante donne la liste des 38 notions les plus fréquemment définies dans les glossaires. 177 ENSEIGNEMENT PRATIQUE DE LA TRADUCTION Tableau 2 NOTIONS LES PLUS FRÉQUENTES DANS LES GLOSSAIRES Ordre alphabétique adaptation anaphore animisme aspect calque chassé-croisé collocation compensation concentration connotation contexte déictique dénotation dérivation discours ellipse emprunt équivalence étoffement faux ami(s) générique juxtaposition lacune traduction littérale métaphore modulation niveau de langue nominalisation polysémie procès référent registre signe linguistique situation surtraduction syntagme transposition unité de traduction Ordre de fréquence (nombre d’occurrences entre parenthèses) (11) faux ami(s) modulation transposition (8) adaptation aspect syntagme (10) contexte déictique unité de traduction (7) chassé-croisé collocation dénotation discours ellipse emprunt nominalisation situation (9) anaphore connotation équivalence étoffement niveau de langue (6) métaphore polysémie 178 procès référent signe linguistique surtraduction (5) animisme calque compensation concentration dérivation générique juxtaposition lacune registre traduction littérale MANUELS ET MÉTALANGAGE Des notions aussi importantes en traduction que «cohérence», «compléments cognitifs», «destinataire», «fidélité», «procédé de transfert», «sens» (l’objet même de l’opération), «traduction» ou «interprétation du sens» (l’opération elle-même) ne sont définies que dans deux ou trois glossaires. Cela est plutôt étonnant. Il est capital, à mes yeux, qu’un auteur définisse clairement sa conception de la «traduction», par exemple, car la façon dont il envisage ce processus mental conditionne sa démarche pédagogique, a une incidence directe sur le contenu de son enseignement et détermine une bonne partie du métalangage qu’il utilisera. Par ailleurs, un glossaire consacré à l’enseignement de la traduction doit-il inclure des termes aussi usuels qu’«adjectif qualificatif», «adverbe», «conjonction», «coquille», «guillemets», «italiques», «majuscules», «nom», «perluète», «soulignement», «tilde» ou «verbe»? Ces termes courants n’appartiennent pas à la langue spécialisée de l’apprentissage de la traduction. Pour la terminologie de l’enseignement pratique de la traduction, il convient d’adopter la règle appliquée par les auteurs du Dictionary of Translation Studies : «Non-Translation Studies terms have been kept to a minimum in order to be able to devote as much space as possible to terminology specific to the study of translation» (Shuttleworth et Cowie 1997 : ix). On évitera ainsi que la terminologie propre au sous-domaine de l’enseignement pratique de la traduction soit noyée dans celle de la linguistique générale, de la grammaire, voire des autres branches de la traductologie. Évidemment, chaque auteur est libre d’inclure dans son glossaire les termes qu’il juge utiles. Il peut aussi, et beaucoup ne s’en privent pas, créer ses propres termes avec l’intention d’en limiter l’usage à son manuel ou d’enrichir éventuellement le métalangage de l’enseignement de la traduction. Dans ce deuxième cas, ces néologismes seront soumis aux lois subtiles de l’acceptation des créations lexicales. Pour s’imposer chez les pédagogues de la traduction, ces néologismes devront en tout cas recevoir la sanction d’une majorité d’entre eux. La prolifération désordonnée des «vocabulaires maison» est toujours une source de babélisme et un mal endémique dont souffrent certaines disciplines. Je doute fort que le terme iceberg, que Peter Newmark définit ainsi dans son glossaire : «All the work involved in translating, of which only the "tip" shows» (Newmark 1988 : 283), ait quelque chance de s’imposer. Il en est de même de l’expression «"house-onhill" construction» servant à désigner tout simplement l’étoffement d’une préposition (the plot against him : le complot ourdi contre lui) (ibid. : 87; 283). Que penser du mot «acinèse» qu’Henri Van Hoof 179 ENSEIGNEMENT PRATIQUE DE LA TRADUCTION emprunte au langage médical et qu’il définit ainsi : «Absence ou privation de mouvement; terme employé ici pour décrire la tendance du français à utiliser comme auxiliaires statiques certains verbes d’action ou de mouvement»? (Ex. : «Don’t you believe it! : N’allez pas croire cela!» (Van Hoof 1986 : 67; 297). Un dernier exemple, emprunté cette fois à Claude Bédard qui crée le terme «chosocentricité» défini ainsi : «Point de vue axé essentiellement sur l’univers des choses, à l’exclusion de l’univers humain» (Bédard 1986 : 156; 245). Dans le langage technique, le passif serait la manifestation par excellence de cette «chosocentricité». On peut dire à l’examen des 838 notions recensées qu’une forte majorité de notions linguistiques servent à décrire les langues et le résultat du processus de la traduction dans une perspective comparative traditionnelle et les auteurs font relativement peu de place aux termes décrivant les multiples aspects du processus de la traduction appréhendé avant la postulation d’une équivalence. Deux auteurs seulement (Ballard et al. 1988 et Delisle 1993) distinguent dans leur glossaire les entrées renvoyant à des notions linguistiques des entrées indiquant une opération spécifique de traduction. Dans son glossaire, Michel Ballard indique les premières en italiques et les secondes en caractères gras. Quant à moi, j’ai classé les notions par thèmes et les ai réparties dans plusieurs tableaux de façon à les regrouper logiquement et d’en faire ressortir les rapports hiérarchiques (Delisle 1993 : 53-59). Nous devons constater qu’une majorité de rédacteurs de manuels, si l’on en juge par leur «silence métalinguistique», ne semblent pas accorder une importance prioritaire à la terminologie de leur domaine de spécialisation. Quelques exceptions notables, cependant, me portent à croire que la situation commence à changer et qu’un nombre grandissant d’auteurs prennent conscience de l’importance de cet aspect de la pédagogie de la traduction. J’en veux pour preuve le fait que dix des seize manuels renfermant un glossaire ont été publiés au cours des dix dernières années. Par ailleurs, je n’ai pas constaté de différence significative dans le métalangage employé pour l’enseignement de la traduction didactique et celui de la traduction professionnelle. Ces deux formations ne semblent pas commander des terminologies différentes. Tout au plus peut-on remarquer dans les manuels de thème et de version une propension plus grande à décrire les langues et à classer des paires de correspondances ou d’équivalences au moyen des catégories de la linguistique différentielle. Chez les seize auteurs qui se sont intéressés de plus près au métalangage, encore qu’à des degrés 180 MANUELS ET MÉTALANGAGE divers, il faut le dire – certaines listes comptent à peine une quinzaine de termes – il ne semble pas y avoir un «consensus» très large quant aux notions constituant le vocabulaire fondamental de l’enseignement de la traduction. Une quinzaine de termes suffisent-ils pour décrire une opération aussi complexe que la traduction et satisfaire les exigences de son enseignement? Qu’il me soit permis d’en douter. La très grande majorité des 1419 termes n’ont qu’une ou deux occurrences dans le corpus dépouillé. Nous sommes manifestement en présence d’une terminologie «jeune» et «éclatée», d’une terminologie «en voie de constitution» qui cherche ses mots, pour ainsi dire, afin d’appréhender son objet d’étude. L’observation que Mark Shuttleworth et Moira Cowie font dans l’introduction de leur dictionnaire au sujet du métalangage de la traduction s’applique aussi à la terminologie de l’enseignement pratique de la traduction : «Translation Studies have been enriched by dint of possessing [...] a multi-faceted nature. However, at the same time this very nature has meant that there is still considerable lack of agreement on the irreducible minimum of concepts which should form the foundation on which to build» (Shuttleworth et Cowie 1997 : vi). Dans tout domaine spécialisé, la fréquence n’est pas le seul critère de la pertinence d’un terme. En langue de spécialité, en effet, tout terme a sa raison d’être s’il répond à un besoin de désignation d’un concept, d’une opération, d’un résultat. Néanmoins, si l’on fait intervenir des considérations d’ordre pédagogique, il y a lieu, me semble-til, de faire reposer l’enseignement de la traduction, particulièrement au stade de l’initiation, sur un nombre relativement restreint de notionsclés. Est-ce 100, 150, 200? Il est difficile de le dire. Une quinzaine de notions est trop peu, de toute évidence, mais plus de 300, me semble beaucoup. Quant à 838, c’est déjà Babel, le vertige de la confusion... Quel que soit le nombre minimal de notions autour duquel l’accord pourra se faire, il sera impératif de bien délimiter chacune d’entre elles et de les définir clairement. On peut souhaiter aussi que ces notions soient utilisables dans l’optique d’un enseignement raisonné de la traduction vue comme une opération dynamique de maniement du langage et non uniquement comme la description a posteriori de correspondances hors discours, voire un catalogage d’équivalences. Au bout du compte, enseigner à traduire, c’est apprendre à des aspirants traducteurs à lire les textes originaux avec des yeux de traducteur : dans une première étape, il faut pouvoir repérer (isoler, reconnaître) la difficulté à surmonter, puis pouvoir la nommer et, enfin, pouvoir la résoudre en sachant préciser, au besoin, le procédé de 181 ENSEIGNEMENT PRATIQUE DE LA TRADUCTION transfert utilisé (étoffement, calque, chassé-croisé, recatégorisation, etc.). Les deux premières étapes de ce processus se situent avant l’établissement des équivalences de traduction et nécessitent la connaissance d’une terminologie spécialisée pour faire une traduction raisonnée. Voyons ce qu’il en est au moyen d’exemples. Exemple 1 Mortgage loans jumped by $883 million to $17.3 billion. Notions utiles : VERBES DE PROGRESSION ET D ’ABOU TISSE MEN T ÉTOFFEMENT Traduction : Les prêts hypothécaires ont fait un bond de 883 millions de dollars pour atteindre 17,3 milliards. / _________________________________ Exemple 2 Statistics can show how and where women workers are employed. Notion utile : ÉTOFFEMENT Traduction : Grâce aux statistiques, on peut déterminer [les secteurs d’activité] où travaillent les femmes et le genre d’emplois qu’elles [y] occupent. [Les mots entre crochets peuvent être omis.] _________________________________ Exemple 3 Not to be taken away from this area. (Mention sur la couverture d’un document.) Notions utiles : DÉIC T IQ U E TR O P A C TU A LISATEUR FIGÉE Traduction : À consulter sur place. / EXPR ESSIO N _________________________________ 182 MANUELS ET MÉTALANGAGE Exemple 4 The university decides to economize the department out of existence. Notions utiles : STRUCTURE RÉSULTATIVE / CHASSÉ -CROISÉ Traduction : L’université ferme le département afin de réaliser des économies. [Var. L’université ferme le département par mesure d’économie.] _________________________________ Exemple 5 The warranty period is limited to twelve months or 20,000 km from the warranty registration date, whichever occurs first. Notions utiles : DISJONCTION EXCLUSIVE / RESTRUCTURATION Traduction : Le véhicule est couvert pour une période de 12 mois à partir de la date d’enregistrement de la garantie ou pour 20 000 km, s’il atteint ce kilométrage avant 12 mois. _________________________________ Le métalangage de l’enseignement de la traduction comporte quatre sous-ensembles de termes : a) faits de langue, b) transfert interlinguistique, c) pédagogie et d) disciplines connexes. Les deux premiers sont de loin les plus importants. Le tableau 3 donne les subdivisions de ces quatre sous-ensembles et propose pour chacune d’elles deux termes à titre d’exemple. 183 ENSEIGNEMENT PRATIQUE DE LA TRADUCTION Tableau 3 SOUS-ENSEMBLES DU MÉTALANGAGE DE L’ENSEIGNEMENT DE LA TRADUCTION I – Termes relatifs aux faits de langue 1. Linguistique générale (collocation, déictique) 2. Linguistique différentielle (concentration, dilution) 3. Grammaire (adjectif de relation, charnière) II – Termes relatifs au transfert interlinguistique 1. Plan théorique a) Processus cognitif (interprétation, déverbalisation) b) Types d’équivalences (correspondance, équivalence) 2. Plan comparatif a) Procédés de transfert (chassé-croisé, compensation) b) Stratégies de traduction (adaptation, traduction littérale) c) Aspect qualitatif (fidélité, perte) 3. Plan rédactionnel a) Techniques de rédaction (concision, dépersonnalisation) b) Discours (cohérence, registre) c) Rhétorique (fausse question, métaphore) III – Termes relatifs à la pédagogie 1. Notions générales (objectif d’apprentissage, corrigé) 2. Catégories d’erreurs a) Fautes de traduction (contresens, omission) b) Fautes de langue (répétitions abusives, zeugme) IV – Termes appartenant aux disciplines connexes 1. Documentation (aides à la traduction, dictionnaire de traduction) 2. Terminologie (banque de terminologie, langue de spécialité) 184 MANUELS ET MÉTALANGAGE En somme, le métalangage de l’enseignement de la traduction est bel et bien une spécialisation fonctionnelle du langage, car il implique la transmission d’une information relevant d’un champ d’expérience particulier, en l’occurrence la transmission d’un savoir-faire : l’aptitude à traduire. L’utilisation d’un métalangage rigoureux et opérationnel dans les manuels comme en salle de classe est, à mes yeux, le meilleur antidote contre les «méthodes» d’enseignement trop intuitives et trop impressionnistes. C’est à la fois un moyen de communication indispensable entre professeurs et étudiants et un gage d’efficacité pédagogique. Épilogue Cette étude sur le métalangage de l’enseignement de la traduction a donné lieu à la formation d’un groupe de travail interuniversitaire composé d’une vingtaine de terminologues et de pédagogues de la traduction. Cette équipe internationale, qui regroupait des collaborateurs de huit pays5, a proposé quelque deux cents termes-clés utiles en enseignement de la traduction dans un ouvrage quadrilingue, Terminologie de la traduction / Translation Terminology / Terminología de la traducción / Terminologie der Übersetzung6. Cette publication existe aussi en versions arabe, finnoise, galicienne, italienne, néerlandaise, polonaise et russe et, au moment où ces lignes sont écrites, d’autres traductions sont en cours, notamment en coréen, en chinois et en japonais. C’est un premier pas vers l’harmonisation ou l’uniformisation souhaitable du vocabulaire du domaine. Notes 1. Version remaniée d’un article paru dans Enseignement de la traduction et traduction dans l’enseignement, publié sous la direction de Jean Delisle et Hannelore Lee-Jahnke, Ottawa, Les Presses de l’Université d’Ottawa, 1998, p. 185-242. 2. L’auteur définit une cinquantaine de termes généraux appartenant aussi bien à la linguistique différentielle qu’à la théorie de la traduction, termes puisés chez divers théoriciens, dont Bausch, Catford, Mounin, Newmark, Toury, Wilss, Nida, Reiss. Exemples de termes définis : analyse componentielle, typologie des erreurs, invariant, 185 ENSEIGNEMENT PRATIQUE DE LA TRADUCTION recréation (poétique), test, traduction grammaticale, traduisibilité, transposition, traduction mot à mot. 3. L’auteur procède à l’analyse de la signification des mots meaning et «sens» chez plusieurs traductologues. 4. «Le présent glossaire regroupe les principaux termes utilisés dans la théorie interprétative de la traduction et de l’interprétation élaborée par Danica Seleskovitch et l’équipe de recherches de l’ÉSIT à l’Université Paris III/Sorbonne Nouvelle. Il vise à préciser certaines notions fondamentales à l’intention des chercheurs qui s’intéressent à cette théorie» (Cormier 1985 : 353). 5. Allemagne, Canada, Espagne, États-Unis, France, Grande-Bretagne, Suisse et Venezuela. 6. Publié sous la direction Jean Delisle, Hannelore Lee-Jahnke et Monique C. Cormier, Amsterdam/Philadelphie, John Benjamins, coll. «Collection FIT», no 1, 1999, 433 p. 186