Brussels Studies est publié avec le soutien d’Innoviris (Institut bruxellois pour la recherche et l’innovation)
w w w. b r u s s e l s s t u d i e s . b e
la revue scientifique électronique pour les recherches sur Bruxelles
Numéro 100, 13 juin 2016. ISSN 2031-0293
Arnaud Bilande, Cynthia Dal, Ludivine Damay, Florence Delmotte, Julie Neuwels,
Christine Schaut, Anne-Laure Wibrin
Tivoli, quartier durable : une nouvelle manière de faire la ville
à Bruxelles ?
À Bruxelles comme ailleurs, la référence au durable fait son chemin dans les politiques publiques. Avec 400 logements, un parc
et un pôle économique dédié aux entreprises « vertes », le projet de quartier durable « Tivoli » est un des plus ambitieux parmi
ceux développés actuellement sur le territoire bruxellois. En 2012, des chercheurs de l’Université Saint-Louis à Bruxelles (USLB), de l’Université libre de Bruxelles (ULB), de l’Université catholique de Louvain (UCL) et des acteurs associatifs, dont Periferia,
en charge de la participation dans le cas de Tivoli, décident de l’étudier in vivo. Cet article synthétise une partie des travaux du
groupe « Quartiers durables » à
partir de quatre thèmes : 1) les Arnaud Bilande est chargé de mission à l’ASBL Periferia, entre autres en charge de la conception et de l’organisation de la parrecompositions de l’action publi- ticipation sur le projet Tivoli. arnaud@periferia.be
que et de la « gouvernance » ; 2) Cynthia Dal est assistante en sociologie à l’Université Saint-Louis – Bruxelles. Elle s’intéresse à la culture comme outil alternatif
la participation, au cœur du projet d’intervention sociale dans trois secteurs : la santé mentale, l’activation des allocataires sociaux et l’animation socio-culturelle. En
durable ; 3) les liens entre l’archi- 2015 elle a participé avec François Demonty et Justine Harzé à la rédaction de la synthèse « Les pratiques culturelles en Fédération Wallonie-Bruxelles : regards croisés » (sous la dir. de J.-P. Delchambre, J.-L. Genard, C. Schaut et D. Vander Gucht, coll.
tecture et le modèle de la ville
«
Études de l’Observatoire des Politiques Culturelles »). cynthia.dal@usaintlouis.be
durable ; 4) l’appropriation de
l’habiter durable dans deux au- Ludivine Damay est docteure en sciences politiques et sociales, chercheuse et chargée de cours à l’Université Saint-Louis tres projets bruxellois. Pour les Bruxelles. Elle a publié plusieurs articles et chapitres d’ouvrage portant sur le développement urbain en Région de Bruxelles-Capiauteurs, le projet Tivoli apparaît tale et la participation citoyenne. Ses travaux sur le RER ont également été publiés dans Brussels Studies (n°74, 2014). En 2011,
révélateur de (nouvelles ?) maniè- elle a co-dirigé, avec Benjamin Denis et Denis Duez, « Savoirs experts et profanes dans la construction des problèmes publics » (Bruxelles, Presse de l’Université Saint-Louis). ludivine.damay@usaintlouis.be
res de faire qui interrogent plus
Florence
Delmotte est chercheuse qualifiée du Fonds de la recherche scientifique (F.R.S.-FNRS) et professeure à l’Université
largement les modes de fabricaSaint-Louis à Bruxelles. Elle a réalisé, entre 2006 et 2009, une étude sur les schémas directeurs bruxellois (voir Brussels Studies
tion de la ville contemporaine.
n° 30). Par ailleurs spécialiste de la sociologie historique du politique appliquée à l’intégration européenne, elle a récemment publié, avec Denis Duez, « Les frontières et la communauté politique. Faire, défaire et penser les frontières » (Presses de l’Université
Saint-Louis, Bruxelles, 2016). florence.delmotte@usaintlouis.be
Benjamin Wayens (Secrétaire de rédaction), +32(0)2 211 78 22, bwayens@brusselsstudies.be
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Julie NEUWELS, Christine SCHAUT, Anne-Laure WIBRIN,
Tivoli, quartier durable : une nouvelle manière de faire la ville à Bruxelles,
Brussels Studies, Numéro 100, 13 juin 2016, www.brusselsstudies.be
Julie Neuwels est docteure en architecture et urbanisme et coordinatrice de projet
au Brussels Studies Institute. Dans le cadre de sa thèse de doctorat, elle s’est intéressée à l’institutionnalisation de l’habiter durable à partir d’une analyse transversale
et historique de l’action publique. Elle a notamment publié « Le développement durable comme objet de transactions. Le cas des politiques urbaines en Région bruxelloise » (co-rédaction avec Jean-Louis Genard, SociologieS, 2016).
jneuwels@ulb.ac.be
Christine Schaut est docteure en sociologie, professeure à l’Université Saint-Louis
– Bruxelles et à la Faculté d’Architecture La Cambre Horta de l’Université libre de
Bruxelles où elle dirige le centre de recherche Clara et coordonne le laboratoire Sasha. Ses domaines de recherche portent sur la mise à l’épreuve des politiques de la
ville, les cultures urbaines et l’enquête de terrain. Elle a récemment contribué à l’ouvrage « Les frontières et la communauté politique. Faire, défaire et penser les frontières » dirigé par Florence Delmotte et Denis Duez, paru en 2016 aux Presses de l’Université Saint-Louis, et dont elle a rédigé le premier chapitre : « Des murs et des passages. Une approche socio-anthropologique de la frontière ».
christine.schaut@usaintlouis.be
Anne-Laure Wibrin, docteure en sociologie, s’est spécialisée en analyse de discours d’experts à partir d’une démarche socio-historique. Depuis 2012, elle travaille
dans le secteur de l’habitat et des logements en Région bruxelloise. Elle développe
actuellement de nouveaux modèles d’habitats groupés pour la S.A Urbani.
wanne_laure@hotmail.com
1
Introduction : un projet ambitieux, une déjà longue histoire
1. Le projet Tivoli – du nom d’une rue d’un quartier populaire et
dense du bas de Laeken, encore marqué par son histoire industrielle,
née de la proximité avec le canal et son port – est un ancien site d’entreposage. Le quartier est situé dans le nord-ouest de la Région de
Bruxelles-Capitale dans la zone dite du canal, considérée par les acteurs institutionnels et économiques comme une des zones stratégiques, voire comme la zone stratégique, du redéploiement socio-économique de la Région. Deux des trois parcelles du site sont acquises
au milieu des années 2000 par la SDRB (Société de Développement
pour la Région de Bruxelles-Capitale, rebaptisée depuis peu
Citydev.Brussels), institution publique pararégionale consacrée à l’expansion économique, à la rénovation urbaine et à l’élaboration de projets mixtes. En 2008, après de multiples péripéties, la SDRB demande
au bureau d’architecture et d’urbanisme MSA d’élaborer un schéma
directeur, d’abord, un permis de lotir, ensuite, lequel voit le jour en
2011. Celui-ci prévoit, entre autres, des îlots semi-ouverts, des logements et des équipements collectifs et des voiries traversant et structurant le site. Parallèlement, sur l’une des trois parcelles, un projet de
pépinière d’entreprises vertes, Greenbizz, voit le jour et est porté par le
service de l’expansion économique. À cette époque, si la SDRB est
désireuse de promouvoir des logements passifs, la référence au durable n’est pas encore utilisée. Il faudra l’arrivée, en 2009, de la Ministre
Écolo Evelyne Huytebroeck pour que le projet Tivoli soit labellisé « quartier durable » (pour une présentation plus complète du projet, voir [Curado, 2014]).
Le projet de logements durables
2. Le projet de logements concerne deux des trois parcelles du site.
Il est prévu qu’il accueille quelque 400 logements « zéro énergie »
(30 %) et « passifs » (70 %). Le projet comprend 70 % d’appartements
acquisitifs conventionnés Citydev et 30 % de logements sociaux. Parmi
ceux-ci, environ 5% devraient être consacrés à l’habitat solidaire. Deux
lots distincts d’une cinquantaine de logements devraient quant à eux
accueillir des projets d’habitation alternative inspirés du co-housing,
des coopératives ou des Community Land Trust. En termes d’équipements, le projet prévoit deux crèches, un parc de 2000 m², une zone
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de commerces, une salle polyvalente et la création de nouvelles voiries.
Parallèlement à ce dossier urbanistique, un volet « participation » est
prévu. Il doit à la fois concerner les habitants du quartier avoisinant et
les futurs habitants des logements. Ce processus est confié à l’ASBL
Periferia.
3. En mars 2012, un premier appel aux candidats promoteurs est
lancé afin de retenir cinq équipes de promotion. À l’instar du projet
Greenbizz, l’évaluation des projets se base pour moitié sur des critères
économiques et financiers et pour l’autre moitié sur la qualité architecturale et la dimension durable. En décembre 2012, le conseil d’administration de Citydev choisit une équipe mais cette décision est annulée
suite à un recours introduit au Conseil d’État par l’une des équipes non
désignées, entraînant le retrait de l’attribution de marché. Une nouvelle
procédure de sélection est dès lors lancée en juin 2013 auprès des
cinq promoteurs retenus lors de la première procédure. Une nouvelle
désignation est prononcée en décembre 2013. Cependant, la décision
est à nouveau suspendue début 2014. Finalement, en juillet 2014, le
marché est officiellement attribué à l’association de promoteurs PARBAM, gérée par Pargesy et BAM.
Le projet Greenbizz
Figure 1. Vues aériennes du site du quartier durable Tivoli
4. Si le projet Greenbizz participe de la même ambition politique et
d’une même vision de la ville « durable » – on reviendra sur ce que signifie « durable », mais on peut comprendre ici « douce », mixte socialement et fonctionnellement – et s’il est sous la houlette du même maître d’œuvre, ce projet d’économie verte est géré par un autre service
de Citydev : l’expansion économique. Il obéit aussi à une autre temporalité en raison des délais plus courts imposés par le fonds européen
FEDER qui le finance. Il répond principalement au pilier économique du
développement durable par la création d’emplois dits verts. Le marché,
concernant l’incubateur d’entreprises vertes, est lancé en février 2012
et est attribué trois mois plus tard à l’association « Architectes Associés
– Setesco – Stockman-FTI – Peutz & Associés – Cenergie - Health &
Safety ». Les travaux démarrent fin 2013. Pour respecter les termes du
projet FEDER le chantier devait être terminé en mai 2015. Un incendie
d’origine criminelle en juin 2015 en a allongé les délais. Le bâtiment a
finalement été inauguré fin avril 2016.
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1. Gouvernance et durabilité : l’action publique urbaine en mutation ?
5. Dans son ensemble, tel qu’on vient de le présenter brièvement, le
cas Tivoli est riche d’enseignements pour observer comment les objectifs et les contraintes d’un projet qui se veut durable – même s’il ne
l’était pas au départ et même si cette notion ne reçoit pas forcément
une définition claire de la part des initiateurs du projet – interagissent
avec l’évolution de ce que l’on appelle la « gouvernance urbaine ».
1.1. Une référence consensuelle mais floue
Figure 2. Plan de lotissement du quartier durable Tivoli définissant la restructuration de l’îlot et les trois
grandes parties du projet. Source : MSA, bureau d'études et de projets urbanisme et architecture
6. Si ses origines sont anciennes, la référence au développement
durable est apparue sur la scène internationale au tournant des années
1990, notamment à l’occasion de la déclaration de Rio en 1992 [Vivien,
2003]. La grammaire contemporaine du durable s’est alors progressivement constituée comme un « référentiel » suivant l’approche dite
« cognitive » des politiques publiques [Muller, 2015 : 53-59]. Celle-ci
parle de référentiel pour désigner une « vision du monde » qui donne un
sens aux actions à mener et qui renvoie à une certaine représentation
d’un problème à traiter, des conséquences de celui-ci et des solutions
pour le résoudre. Ce référentiel est petit à petit traduit et adapté dans
les politiques publiques en vue de produire des compromis entre les
différents aspects du développement durable – environnemental, économique et social –, parfois difficilement compatibles. En Belgique et à
Bruxelles, le thème de la durabilité entre dans le débat public à la fin
des années 1990, porté par le parti Écolo et des associations militantes. Sa montée en puissance dans les politiques de la ville date de la
seconde moitié des années 2000. En 2008, c’est déjà la Ministre
bruxelloise Huytebroeck (Écolo), qui jouera ensuite un rôle clé à propos
du caractère « durable » du projet Tivoli, qui rapporte l’ordonnance sur
la performance énergétique des bâtiments à l’objectif de « ville durable ». Le premier appel à projets « quartiers durables » de Bruxelles-Environnement date aussi de 2008. En 2010, les contrats de quartier sont
qualifiés de « durables ». Le troisième Plan régional de développement
présenté en 2014 est lui aussi labellisé durable (PRDD).
7. Cependant, ces divers projets menés au niveau régional et qualifiés de durables semblent souvent menés de manière déconnectée les
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Figure 3. Réseau des
principaux acteurs et
institutions coordonnant
la mise en place des
projets d’architecture
d’envergure sur le territoire bruxellois. Source :
Bouwmeester - Maître
Architecte pour la Région bruxelloise, 2010.
Note d’orientation
uns par rapport aux autres, et sans qu’aient été précisés certains critères de « durabilité » valant pour tous. Nombre d’acteurs publics y
vont en effet de leurs projets « durables », en se contentant parfois
d’apposer le qualificatif à des politiques et instruments existants. Également frappante, l’idée assumée à Bruxelles « qu’il n’existe pas de
modèle unique, ni de critères pour la “ville durable” » [Curado, 2014].
Dans le même esprit, les objectifs de la « Charte Quartiers durables »
de Bruxelles-Environnement demeurent très larges : préserver les ressources naturelles, promouvoir la construction durable, diminuer les
déchets, se déplacer autrement, « mieux vivre ensemble », habiter un
quartier dense et actif, etc. Et on ne demande aux partenaires que
« d’adhérer à ces enjeux » (sic).
4
8. Dans le cas Tivoli, il est difficile de trouver un accord sur ce que
signifie son caractère durable au-delà de quelques points. La plupart
des acteurs régionaux impliqués dans le projet Tivoli – Citydev, Bruxelles Environnement, le cabinet de la Ministre Huytebroeck, le
Bouwmeester – ont ainsi évoqué dans la presse, les entretiens [réalisés
par François Rinschbergh et Laura Curado, 2014] ou lors de la journée
du 9 octobre organisée à Saint-Louis, le souci de connexion du futur
quartier à ses alentours. L’« exemplarité » du projet – laquelle évoque
tantôt le projet « parfait », tantôt le projet « pilote » – est aussi au cœur
des discours, ainsi que les aspects technico-écologiques les plus consensuels, comme la performance énergétique des bâtiments. Dans le
même temps, il est significatif que le cahier des charges de Greenbizz
réaffirme « deux grands axes prioritaires d’intervention » qui n’ont rien
de spécifiquement durable : soutenir la compétitivité et la cohésion territoriale.
1.2. Gouvernance et acteurs des projets urbains : Tivoli, quoi de
neuf ?
9. Qu’en est-il, par ailleurs, des liens existant entre cette référence au
durable et ces autres mots d’ordre, tout aussi en vogue et flous, que
sont « la gouvernance » et « le projet », auxquels il faut ajouter « la participation » [Damay et Delmotte, 2009] ? Ces mots d’ordre semblent
s’alimenter. En particulier, la « bonne » gouvernance inclut des critères de
durabilité notamment selon l’agence des Nations Unies UN-Habitat [Lieberherr-Gardiol, 2007], alors que certains voient dans la gouvernance le
« quatrième pilier du développement durable » [Brodhag cité par Pinson,
2009 ; Goxe, 2007]. D’évidence, gouvernance et durabilité s’épanouissent dans des contextes où grandit la prise de conscience de l’interdépendance des problèmes, des échelles, des espaces et de l’incertitude
par rapport aux choix posés par les sociétés. Ces termes sous-entendent aussi la nécessité de faire travailler ensemble des acteurs publics et
privés en dehors d’une perspective hiérarchique et sectorielle. Aussi les
pouvoirs publics régionaux bruxellois semblent-ils aujourd’hui soucieux
de recréer « un projet » au départ de la multitude de projets. La coordination de ceux-ci fait en tout cas partie des missions de l’Agence de développement territorial (ADT) créée en 2008 et davantage encore de celle
du Bouwmeester, fonction créée en 2009. Soit deux instances assez
récentes, typiques des exigences de ladite gouvernance urbaine.
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10. L’histoire du projet Tivoli est marquée par la succession de projets
immobiliers privés, et par la réalisation d’un « schéma de développement » non contraignant, d’un « permis de lotir » et d’un « marché de
promotion ». Ces procédures multiples témoignent à la fois d’une requalification des ressources, d’une sélection renouvelée des acteurs
(les plus) légitimes et d’une modification des règles du jeu. Par exemple, l’étape du permis de lotir et le rachat des terrains par Citydev rappellent l’importance de la maîtrise du foncier pour les pouvoirs publics.
Cette procédure permet, pour certains acteurs, de minimiser le pouvoir
des promoteurs privés et de fixer les grandes lignes du développement
futur du quartier (la forme des îlots, par exemple). La procédure du
marché de promotion (et le cahier des charges qui y est lié), qui établit
une présélection d’équipes, est loué par certains du fait qu’elle permet
l’ajout de critères esthétiques et techniques qui dépassent les seuls
arguments du coût. Pour d’autres, elle est trop réductrice (elle limite les
innovations en cadenassant trop le projet) et trop éliminatoire (elle demande un investissement trop important pour les petites équipes qui
sont, de ce fait, exclues du marché). Pour résumer, à la fois ces procédures sont le résultat d’un rapport de force existant et contribuent à
forger les coalitions futures.
11. La multitude d’étapes, dans ce dossier comme dans d’autres,
pousse ainsi à la recomposition des coalitions entre des acteurs publics
et des acteurs privés [Comhaire, 2012] – mais aussi d’autres, plus difficiles à classer d’après ce clivage, tels les bureaux d’urbanisme. Quant
à la référence au « durable », qui intervient quand le parti écologiste
arrive au pouvoir, elle ne modifie qu’à la marge la définition architecturale du projet, et induit surtout une dimension participative, absente des
pratiques antérieures du maître d’ouvrage Citydev.
12. On peut alors s’interroger à nouveau : est-ce que la démarche
partenariale promue par la « gouvernance urbaine » permet, ou permettra, une « socialisation des différents acteurs du territoire à la problématique du développement durable, voire un apprentissage d’une culture
et d’un langage commun » [Goxe, 2007] ? Le doute est permis. Au
final, le cas Tivoli illustre surtout la complexité du jeu des acteurs des
projets urbains, pris dans des réseaux d’interdépendances évoluant en
lien avec d’autres dossiers au niveau régional, des acteurs se rejoignant
5
ou s’opposant en fonction, notamment, de leurs visions respectives
des enjeux du développement urbain.
1.3. Des instruments, des échelles et des temporalités multiples
13. Le projet Tivoli semble se trouver au croisement de deux tendances dont les effets se cumulent. D’une part, Bruxelles donne l’image
d’une ville soignée par « acupuncture » pour reprendre les termes du
premier Bouwmeester, Olivier Bastin, c’est-à-dire d’une ville où l’action
publique en matière d’urbanisme se construit à partir de points précis
(plus ou moins douloureux), tout en ayant l’objectif de la « connectivité », de la « reconnexion » ou du « remaillage » des différents morceaux
de ville pour reprendre les mots de Mathieu Berger [Berger, 2013].
Comme si l’intervention « par projets » était à la fois source de problèmes (dispersion, manque de cohérence) et de solutions, par les pratiques de dialogue et de coopération qu’elle favorise, parce que certains
acteurs sont de fait souvent les mêmes, comme dans les contrats de
quartier, et apprennent à se connaître. Le problème n’en reste pas
moins celui d’un manque de vision globale d’autant plus criant qu’à
Bruxelles comme ailleurs de nombreux acteurs dénoncent l’appétit de
nombreux promoteurs, peu soucieux d’une telle vision.
14. D’autre part, autour de ces « points » les projets s’agglutinent, en
lien avec le développement de politiques publiques de plus en plus
« territorialisées », sans qu’on y voie très clair. Certaines zones sont
ainsi au centre d’un jeu de quadrillage où se superposent différents
instruments (avec leurs objectifs et leurs procédures propres), définissant des périmètres d’action qui ne coïncident pas forcément, s’inscrivant dans des temporalités diverses et mobilisant des acteurs, publics
et privés, qui ne sont jamais ni tout à fait les mêmes, ni tout à fait autres. Situé on l’a dit au nord de Bruxelles, dans l’ancienne zone industrielle du canal, devenue stratégique, le cas du quartier durable Tivoli
est un cas d’école. S’y côtoient de nombreux instruments de développement, contraignants ou non, esquissant des grandes lignes de planification pour une large zone, ou proposant à l’inverse des projets concrets pour des espaces restreints. On peut citer le Plan Directeur Canal, un Masterplan du Port Horizon 2030, un certain nombre de contrats de quartiers à divers stades d’achèvement (notamment Maison
Rouge, achevé en 2011 mais non connecté au projet Tivoli), les nouvel-
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les zones ZEMU (Zones d’Entreprises en Milieu Urbain) contenues dans
le Plan Régional d’Affectation du Sol (PRAS) démographique, etc. Les
problèmes posés par l’enchevêtrement de ces multiples instruments
sont évidents. Certains grands « plans », comme le plan Canal de
Chemetoff, permettent certes d’espérer qu’il existe une ligne directrice,
voire une « vision ». Mais le risque existe toujours de se préoccuper
surtout des diktats du marketing urbain.
2. La participation à l’épreuve du durable
15. Comme à l’idée de « gouvernance », la durabilité présentée
comme une nouvelle manière de « faire la ville » est par ailleurs étroitement liée à l’idée de « démocratie participative », que cette dernière soit
présentée comme constitutive du pilier social ou qu’elle soit évoquée
de façon transversale au travers de la gouvernance, souvent elle-même
considérée comme la condition centrale pour assurer l’implémentation
du développement durable. Pourtant si la nécessité de mettre en pratique les notions de « développement durable » et de « démocratie participative » est largement reconnue, la traduction de ces discours dans la
pratique ne semble pas si évidente. En effet, ces notions ont aussi en
commun d’être grevées d’un même flou sémantique et d’une incertitude dans le contenu des formes concrètes à leur donner. Le projet du
quartier Tivoli apparaît donc comme un terrain de choix pour étudier la
participation à l’épreuve du durable. Si les intentions participationnistes
contenues dans les discours publics sont ambitieuses – on évoque une
« gouvernance durable exemplaire » mettant le citoyen au centre de la
conception d’une « ville durable » –, la participation comme « garantie
de cohésion sociale » et d’adoption de « comportements durables » et
les moyens de les mettre en œuvre concrètement sont peu explicités
par Citydev, pas plus que ne l’est la nature des liens existant entre toutes ces notions.
2.1. La participation, gage de cohésion sociale ?
16. La démarche participative du projet Tivoli a cette particularité
qu’elle s’adresse à la fois aux habitants du quartier déjà là (aux alen1
Cahier des charges relatif à la participation, p. 3.
6
tours du site concerné par le projet) et aux nouveaux venus qui potentiellement habiteront le quartier une fois le projet sorti de terre. Ce souci
témoigne d’une volonté d’intégration et de cohésion entre des environnements différents, caractérisés par des populations qui seront amenées à partager le même quartier, tout en y étant arrivées par des biais
très divers. Cependant, cette volonté d’intégration des nouveaux et
anciens habitants - devant se concrétiser par la mise sur pied d’un collectif – est fortement entravée par la temporalité du projet. Selon le calendrier initial, la démarche participative devait arriver à son terme fin
2014 alors que la commercialisation des logements n’aurait quant à elle
débuté qu’à partir de l’année suivante. Citydev a certes lancé une invitation aux candidats acquéreurs inscrits sur ses listes, ces derniers
étant conviés à prendre part à la démarche participative mais sans que
cette implication ne leur permette d’obtenir des gages quant à la possibilité d’acquérir un logement sur le site Tivoli. Cette différence de
temporalité réduit évidemment les possibilités de rencontres et les
échanges entre habitants présents et futurs.
2.2. La participation comme moyen de « sensibiliser » au développement durable ?
17. Si les démarches de participation institutionnalisées possèdent
déjà une longue tradition à Bruxelles, un nouvel élément saillant réside
dans cette volonté de « sensibiliser les habitants au comportement durable »1 . Dès lors, peut-on penser qu’il s’agit de faire de la démarche
un dispositif pédagogique afin « d’éduquer » les habitants aux normes
et valeurs du développement durable, si tant est que l’on s’accorde sur
ce que recouvre cette notion ? Et si tel est le cas, ce type de pratiques
relève-t-il encore de la participation ?
18. Par ailleurs, si un objectif pédagogique visant à apprendre les
comportements durables est annoncé, la notion de développement
durable est encore peu centrale dans les débats citoyens ; tant son
contenu que ses implications pratiques sont restés jusqu’à présent le
parent pauvre des débats, les citoyens se préoccupant plutôt des logements sous d’autres aspects, de la qualité des espaces publics verts
ou encore de la mobilité. Du côté de Citydev ou des bureaux d’études,
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quand il y a une référence au durable, elle est bien souvent cantonnée
à des aspects écologiques et souvent appréhendée en des termes
hautement techniques pouvant, pour les non-initiés, faire obstacle au
débat. La contribution de la démarche participative à cette composante
pédagogique du développement durable aurait encore besoin de
temps et de modalités spécifiques que les rythmes du projet ne facilitent pas.
2.3. Quelles échelles pour la participation ?
19. Le processus de participation concerne avant tout le périmètre
circonscrit du projet Tivoli. Pourtant, bien des aspects du projet touchent à des thématiques plus larges dépassant le cadrage initial : la
mobilité, la gestion des eaux ou l'aménagement des espaces publics,
le maillage vert, par exemple. S’il est évident que des revendications
touchant à des aspects extérieurs au projet n’ont aucune garantie
d’être prises en compte, la démarche de participation offre par contre
un cadre qui permet d’identifier et de traiter des enjeux liés au quartier
qui dépassent le projet de quartier durable. Par exemple, si la question
des transports en commun ne relève pas de Citydev, l’atelier sur la
mobilité a permis d’apporter un éclairage sur les projets en cours en la
matière avec un représentant de la STIB (Société des transports intercommunaux de Bruxelles), de Bruxelles-Mobilité (l'administration de la
Région de Bruxelles-Capitale chargée des équipements, des infrastructures et des déplacements) et du cabinet de la ministre en charge de la
mobilité au niveau de la Région.
7
décalage entre, d’une part, des procédures publiques relativement
lourdes et se déroulant dans des espaces fermés et, d’autre part, des
ambitions participatives incluant le citoyen dans l’élaboration de projets
urbains.
2.5. La participation, une première pour Citydev
21. Dans le cadre du projet Tivoli, il aurait pu être envisagé d’inclure
les participants dans les procédures de sélection des architectes ou du
moins de présenter publiquement les esquisses des différents projets
en lice, mais ce ne fut pas le cas, le choix du projet s’est fait par un
comité restreint d’experts.
2.4. Informer même sur des aspects sensibles ?
20. Suite aux différents recours, la démarche de participation a été
suspendue entre décembre 2012 et novembre 2014. Cette interruption
brutale de la dynamique de participation n’a pas été sans poser de
problèmes. D’une part, elle a mis à mal une dynamique à peine lancée
et un travail de plusieurs mois sur le terrain visant à nouer des contacts,
établir des liens de confiance, etc. D’autre part, le caractère relativement confidentiel – voire opaque – des procédures de recours et la
prudence de Citydev ont rendu la communication difficile. Cette difficulté à communiquer sur des aspects plus « sensibles » semble entrer en
contradiction avec la volonté d’instaurer une démarche transparente
vis-à-vis du quartier. Cet élément est également révélateur d’un certain
Figure 4. La participation dans le cadre de la mise en place du projet Tivoli : la
présentation du projet dans l'espace public. Source : Periferia asbl
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8
3. L’Architecture dans un projet urbain durable
23. Dans ce qui suit, nous nous intéressons à ce que peut signifier
« construire durable », à la fois pour les architectes, pour les institutions
des secteurs de la construction et de l’immobilier et, en lien avec ce qui
précède, pour tous ceux qui auront à « voir » le quartier durable et à y
vivre au quotidien.
3.1. Vers une écologisation de l’architecture
Figure 5. La participation
dans le cadre de la mise
en place du projet Tivoli : visite du terrain du
futur quartier durable.
Source : Periferia asbl
22. Il existe donc des positions contrastées à l’égard de l’ampleur que
doit prendre la participation, les uns défendant une position maximaliste, les autres présentant un degré d’ouverture moins important. Le
choix pour la démarche participative entraîne souvent une remise en
question des manières de faire et est parfois susceptible de buter contre la culture de différents acteurs, des pratiques professionnelles, des
partenariats rôdés, etc. Il faut néanmoins souligner que l’adjonction
d’un processus de concertation à l’élaboration d’un projet mené par
Citydev constitue une première pour cette institution et nécessite par là
même une forme de socialisation, d’apprentissage et d’adaptation. Il
est à cet égard significatif de remarquer que Citydev a choisi de se faire
épauler par des « professionnels de la participation » pour mener à bien
cette mission, signe que ce type de démarche ne s’improvise pas et
requiert des savoir-faire spécifiques.
2
24. En tant que projet de quartier durable, Tivoli est composé de bâtiments respectant des critères environnementaux ambitieux. Les cahiers spéciaux des charges exigent des bâtiments a minima « passifs »,
dont un tiers « zéro énergie ». Ils insistent sur l’impact environnemental
des matériaux et sur leur recyclage futur, incitant les concepteurs à privilégier les matières à faible empreinte écologique, le réemploi, la préfabrication ou encore des techniques de construction permettant un démontage ultérieur aisé. Les eaux de pluie et les eaux grises doivent être
récupérées, réutilisées et, de préférence, recyclées in situ. Les aménagements extérieurs doivent, quant à eux, être composés de noues ou
de zones humides afin de « restituer les eaux pluviales au milieu naturel
le plus en amont possible »2 . Quant aux aménagements des espaces
verts ils doivent respecter un certain coefficient de biotope par surface.
25. Ces exigences environnementales ne peuvent pas être atteintes
par une « simple » addition de techniques. La maîtrise des flux d’énergie, de matière, d’eau ou encore de biotope oblige les praticiens à développer des interactions permanentes et synergiques à toutes les
phases de la conception architecturale [Terrin, 2009]. Au final, Tivoli
constitue un exemple parmi d’autres d’un processus en cours pouvant
être qualifié d’« écologisation de l’architecture ». Il s’agit de minimiser
les impacts environnementaux en les pensant en termes de flux et en
modifiant les logiques de production et de fonctionnement des bâtiments, et de ne pas de se contenter des approches par correction a
posteriori des nuisances. Plus encore, certains impacts environnementaux, en particulier énergétiques, doivent être réduits au maximum des
possibilités qu’offrent les techniques.
Cahier spécial des charges de la partie du projet Tivoli allouée au pôle rénovation urbaine de Citydev, p. 32.
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ques et matériaux de construction, le rapprochement physique avec la
nature ou encore l’habiter en ville dans l’optique d’une nécessaire compacité des territoires habités. Ces enjeux dépassent le cadre de Tivoli. Ils
ne visent pas uniquement les habitants des espaces en question, mais
bien l’ensemble des citoyens, dont les praticiens de l’habiter, qui ne partageraient pas encore les valeurs inhérentes au référentiel de l’habiter
durable tel qu’il se définit progressivement à Bruxelles.
3.2. Un consensus facilitant la négociation de la qualité architecturale
Figure 6. Partie « rénovation urbaine » du quartier durable Tivoli, hors logements alternatifs, composée de
près de 400 logements, dont un tiers de logements sociaux, deux espaces de commerce, deux crèches et
un parc public. Portée par Immo Tivoli s.a. et Parbam s.a., et élaborée par Adriana, société momentanée
des architectes Atelier 55, Atlante, Cerau, YY Architecture et du paysagiste Eole. Source : Parbam et
Adriana.
26. Ce mouvement d’écologisation concerne également l’esthétique
architecturale. Au-delà de l’énoncé classique appelant à la « cohérence
urbanistique » et à une expression architecturale « de qualité », les cahiers spéciaux des charges insistent sur la nécessité de « refléter le caractère démonstratif » des bâtiments, de renvoyer une image « exemplaire », « forte », « de marque » et une « forte identité »3. Cet usage de l’esthétique architecturale s’inscrit dans le prolongement de l’objectif du projet Tivoli, déjà évoqué ci-dessus, visant à « créer un quartier durable où
on a envie d’habiter, où on se sent bien ». Recherchant l’« acceptabilité
sociale » du durable, il s’agit d’inciter les futurs habitants à opter pour
des « comportements durables » et de promouvoir certains choix techni3
27. Parce que la nécessité de rendre la fabrique architecturale plus
soutenable fait globalement consensus, ce processus d’écologisation
de l’architecture facilite la négociation du projet Tivoli en particulier lors
de l’élaboration du schéma de développement et du permis de lotir.
Effectivement, avant même qu’il ne soit question de « quartier durable », la mise en évidence de contraintes techniques de l’habiter écologique a permis de tempérer des désaccords autour du concept de
« qualité architecturale », confrontant une conception de l’architecture
se voulant plus contemporaine [Comhaire, 2012], portée par le bureau
d’architecture et d’urbanisme MSA, et une conception de l’architecture
s’inscrivant dans la ville traditionnelle européenne, portée par Citydev.
En particulier, les concessions portant sur l’écologisation de l’habiter
ont permis de négocier l’épaisseur des volumes constructibles, réduite
à 12 mètres contre les 15 voire 18 généralement d’application. Entrant
en tension avec les contraintes de rendement financier, cette mesure
est retenue principalement parce qu’elle permet la mise en œuvre de
logements traversants, morphologie qui, en évitant les appartements
mono-orientés nord, facilite l’atteinte des critères de la construction
passive. Tivoli se caractérise également par la mise en place d’îlots
semi-ouverts, justifiée en termes de luminosité des logements, de végétalisation et de diversification du paysage urbain en référence au
concept de la « ville conviviale ». La possibilité est également laissée
aux concepteurs de concevoir des bâtiments à toitures plates notamment parce que cette forme permet d’augmenter les surfaces allouées
aux panneaux photovoltaïques et solaires. Au final, les formes de Tivoli
Cahier spécial des charges de la partie du projet Tivoli allouée au pôle rénovation urbaine de Citydev, p. 7, 8 et 26 ; Cahier spécial des charges de la partie du projet Tivoli allouée au pôle
expansion économique de Citydev, p. 20.
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se distinguent du modèle classique des projets résidentiels de Citydev.
Aux dires de divers acteurs, ce sont ces formes « nouvelles » qui permettent d’ancrer le futur quartier dans une perspective exemplaire de
durabilité.
Figure 7. Partie « expansion économique » du quartier durable Tivoli. Bâtiment Greenbizz composé d’un
incubateur d’entreprises à vocation environnementale, de bureaux et d'ateliers de production. Elaboré par
les bureaux Architectes Associés, Setesco (stabilité), Istema - FTI – Cenergie (techniques spéciales), Daidalos Peutz (acoustique). Source : Architectes Associés
3.3. Un consensus avant tout environnemental et technico-normatif
28. Néanmoins, durant l’élaboration du projet Tivoli, la réflexion sur le
durable reste fondamentalement cantonnée au registre technique ; si
des consensus se nouent autour de l’habiter durable, ils demeurent
ancrés dans les registres environnemental et technico-normatif. Tivoli
illustre qu’au-delà de ces registres, la négociation est plus ardue. La
nature des tensions qui émergent lors de la définition du type de marché à adopter le démontre. Les uns défendent la mise en place d’un
marché de promotion unique témoignant ainsi d’une méfiance envers la
10
figure de l’architecte, jugé trop artiste, peu soucieux des enjeux financiers et trop sensible à des esthétiques rapidement « démodables ». Le
promoteur est quant à lui présenté comme un partenaire garant de la
bonne exécution du projet, du respect des délais et des budgets en
partie issus de l’argent public. À l’opposé, d’autres défendent la mise
en place de plusieurs marchés à la fois établis lot par lot et séparant les
phases de conception architecturale et de financement/construction.
Leurs arguments témoignent d’une méfiance envers la figure du promoteur dont les choix seraient essentiellement guidés par la rentabilité
économique, attitude jugée contradictoire avec le projet du quartier
durable. Pour ces acteurs, l’architecte est considéré comme le partenaire principal, garant de l’intérêt général car moins conditionné par la
question financière, le seul à même, par sa créativité et son sens de
l’innovation, à concevoir un quartier durable.
29. C’est la solution du marché de promotion unique qui, finalement,
est retenue. Concomitamment, les concepteurs font face à une accumulation importante de contraintes normatives. Comme dans tout
quartier durable, les exigences liées à l’exemplarité environnementale,
au permis de lotir et à certaines parties du programme (crèches et logements sociaux) se superposent aux réglementations normalement
d’application. Selon les architectes interviewés, l’ampleur de ces contraintes limite leurs apports à des considérations essentiellement esthétiques, elles-mêmes soumises aux enjeux de rentabilité soutenus par
les promoteurs immobiliers.
30. Pour résumer, si la référence au durable favorise une remise en
question du rapport entre l’habiter et l’environnement naturel, celle-ci
est abordée presque exclusivement en termes d’intégration de l’écoinnovation. De même, c’est moins le rôle social de l’architecte qui est
souligné que son rôle technique, le reléguant principalement à l’intégration de la technique, à la maîtrise des surcoûts des normes environnementales et à l’expression formelle d’une supposée prise de conscience environnementale. Les enjeux de durabilité pourraient pourtant
constituer une opportunité de redéfinition plus globale du rôle sociétal
de l’architecture et de ses acteurs, à condition du moins de considérer
le développement durable plus comme une notion questionnant le rapport moderne au monde que comme une notion stabilisée, consensuelle et opératoire.
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4. Habiter le durable ou la question de l’appropriation
31. Si l’un des objectifs du groupe « Quartiers durables » était d’observer in vivo l’appropriation d’un quartier durable par ses habitants, les
retards qu’a connus la concrétisation du projet de quartier Tivoli l’ont
conduit à porter son attention sur d’autres projets de constructions
neuves et durables bruxelloises. L’observation a porté sur deux terrains
particuliers, tous deux reconnus par la Région bruxelloise comme des
« bâtiments exemplaires » : Brutopia (projet d’habitats groupés écologiques à Forest, 29 logements) et une partie de la rue Bruyn à Neederover-Hembeek (250 logements passifs ou « basse énergie » construits
par le Centre public d’aide sociale (CPAS) de Bruxelles dans le cadre
du plan 1000 logements).
Figure 8. Projet rue Bruyn – site Bruyn Nord : brise-vue placés le long de jardins privatifs. Source: photo d’A.-L. Wibrin
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4.1. La rue Bruyn : l’appropriation d’un site de logements par
des locataires
32. En l’espace de quelques années, la rue Bruyn s’est métamorphosée. D’une longue rue longeant des maisons unifamiliales, des petits immeubles de trois étages, des champs et l’hôpital militaire, elle s’est transformée en rue à deux ou quatre bandes. Les champs ont été remplacés
par 350 nouveaux logements « moyens », loués au prix du marché et
appartenant au CPAS de Bruxelles. Des entretiens réalisés auprès de
futurs locataires au moment de la mise en location du site montrent que
les principales motivations à déménager vers ces nouveaux logements
sont au nombre de trois : habiter dans un logement neuf, vivre dans un
quartier tranquille, avoir un jardin (privé) ou un espace vert (collectif).
33. Lors d’entretiens avec des locataires, aucun d’entre eux n’évoque le
choix d’habiter un logement passif ou encore écologique. Un couple va
même jusqu’à expliquer que s’il avait su que le logement était passif, il ne
l’aurait jamais choisi. L’expérience du passif qu’avait l’épouse était,
dit-elle, « négative ». L’information du caractère passif du logement avait,
en réalité, été donnée à deux reprises au couple : une première fois au
bureau lorsqu’il était venu déposer sa candidature, une deuxième fois sur
place lorsqu’il avait fait la visite du logement. Le couple reconnait que,
peut-être, il a eu l’information, mais explique que ce qui comptait à ce
moment-là était de trouver un nouveau logement. Il est probable, dit-il,
qu’il n’ait pas fait attention. Plus que des arguments écologiques, les
locataires voient plutôt les avantages économiques pouvant découler de
leur logement passif. L’argument du « neuf » est également mis en avant.
Habiter un logement neuf peut être perçu comme un signe d’ascension
sociale. Certains expliquent avoir quitté des logements « pourris » situés
dans des quartiers « pourris » dont ils sont bien contents d’éloigner leurs
enfants. Si le « neuf » est attirant, c’est aussi qu’il est souvent associé à
une « absence de problèmes », de vétusté, d’usure, d’humidité etc.
Puisqu’un des premiers critères évoqués quant au choix du logement est
d’habiter un logement neuf, on comprend le mécontentement des locataires qui découvrent peu à peu les maladies de jeunesse du bâtiment et
les petits problèmes techniques parfois longs à résoudre (problèmes des
chasses d’eau de pluie, d’odeur et de ventilation…). Les entretiens font
ressortir une insatisfaction à cet égard.
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34. Les caractéristiques majeures des trois sites sont de proposer des
petits immeubles de trois ou quatre étages et de donner une place importante aux espaces extérieurs privés (jardins privés) et collectifs. Mais
alors que les bureaux d’architectes ont favorisé les espaces ouverts ou
semi-ouverts et l’ouverture des jardins sur la rue et/ou sur l’ilot, nombreux sont les locataires qui cherchent à cloisonner davantage leur espace par des brise-vue placés le long des balustrades ou des jardins
privatifs. Au quotidien, les espaces collectifs extérieurs sont occupés
essentiellement par les enfants. Des plaintes d’habitants qui trouvent
qu’il y a trop de bruit ou que les enfants abiment la pelouse (ou les arbustes, etc.) sont fréquentes. Et, à part comme terrain de jeux, l’espace est très peu investi. Quant aux espaces communs intérieurs (couloirs, cages d’escaliers), peu de marges de manœuvre sont permises
pour les personnaliser. Leur appropriation n’est guère visible. Certains
soignent les paliers et l’entrée de leur appartement en choisissant un
paillasson, un cadre ou une petite plante. Un des enjeux les plus importants dans l’appropriation de l’espace extérieur est de parvenir à intégrer les attentes, parfois fort différentes, de familles nombreuses et de
personnes seules. L’attrait du site est notamment de pouvoir bénéficier
d’un jardin (privé ou collectif). Certains espèrent y trouver la tranquillité,
d’autres y voient un espace de jeux et de rencontres. La cohabitation
de ces attentes opposées engendre de vraies difficultés du point de
vue de l’occupation de l’espace.
4.2. Le projet Brutopia
Figure 9. Projet Brutopia : appropriation des coursives par les habitants.
Source : photo d’A.-L. Wibrin
35. L’histoire du projet Brutopia est différente. En effet, Brutopia n’est
pas le fruit d’une décision politique mais est né de la volonté de quelques personnes désireuses de construire un ensemble de logements
écologiques en autopromotion. Le choix d’une construction durable
d’une part, et le choix de partager certains espaces d’autre part, constituent la base du projet. Pour que celui-ci voie le jour et que les bâtiments soient habités, il aura fallu cinq années de réunions entre les 29
ménages propriétaires. C’est le bureau Stekke+Fraas Architectes qui a
conçu les deux bâtiments de quatre et cinq étages reliés par un jardin
collectif. Si les différences entre les sites de la rue Bruyn et Brutopia
sont multiples, seules les manières de s’approprier l’espace sont interrogées dans ce travail. À Brutopia, les espaces partagés – un jardin
commun, un salon-lavoir et une salle commune – sont plus nombreux
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qu’à la rue Bruyn. L’aménagement et l’entretien de ces espaces se font
par les habitants du projet. Brutopia n’abrite aucun jardin privé. À Brutopia aussi, ce sont les enfants qui rythment l’occupation des espaces
communs. En termes de décibels produits, il n’y a sans doute pas de
différence. Par contre, là où certains locataires de la rue Bruyn se plaignent de l’absence de calme, le discours collectif de Brutopia est unanimement positif. Certes, à certains moments, certains habitants peuvent trouver qu’il y a trop de bruit dans le jardin, mais ça ne relève pas
de la plainte ni du conflit de voisinage. En soirée durant l’été, plus qu’à
la rue Bruyn, l’espace est investi par des adultes. Soit certaines familles
se regroupent, soit une famille occupe une partie de l’espace avec des
invités. À Bruyn, en soirée, les jardins collectifs sont rarement occupés,
les gens se retrouvant plus volontiers dans les jardins privés. Les larges
coursives de Brutopia, conçues pour être des espaces de rencontres,
sont investies par les habitants (plantes, tables, jeux d’enfants…) qui en
font des lieux de vie. À Bruyn, les coursives, tout comme les allées,
sont uniquement des lieux de passage. Dans quelques rares parties du
site, les familles voisines ont les mêmes attentes et permettent toutes à
leurs enfants de jouer dans ces espaces. Mais, en général, lorsqu’une
famille s’approprie l’espace, le règlement d’ordre intérieur lui est rappelé soit par les voisins, soit par le concierge, soit, lorsque les relations
sont plus tendues, par le propriétaire. Autre différence visible, à Brutopia, il n’y a pas de tentative de se cacher de ses voisins lorsqu’on est
sur sa terrasse. Personne ne met de brise-vue. Personne n’en formule
la demande.
36. Les différences d’appropriation entre les sites sont probablement
liées à de nombreux facteurs. Le fait qu’à Brutopia le règlement d’ordre
intérieur est conçu collectivement et destiné à 29 ménages qui se connaissent le rend plus souple que celui de la rue Bruyn, conçu pour pouvoir être appliqué identiquement et sans négociation dans tous les logements du CPAS. Il est évidemment plus difficile de s’approprier un
espace commun lorsque le règlement en interdit toute personnalisation.
De plus, l’interconnaissance préalable à l’habitat engendre une dynamique collective plus difficile à mettre en œuvre ex nihilo. Dans le cas
de Brutopia, l’appropriation forte est entretenue par l’existence d’un
projet commun et volontariste qui fait sens pour le groupe, par ailleurs
propriétaire du lieu. D’autres éléments interviennent. Le degré de mixité
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socio-culturelle est différent d’un site à l’autre. Si les différences sociales, en termes de revenus, sont du même ordre sur les deux sites, les
appartenances culturelles sont nettement plus homogènes à Brutopia
qu’à Bruyn. La diversité culturelle rue Bruyn participe sans doute à la
construction d’attentes différentes de la part des locataires.
37. Cela nous fait dire que pour parvenir à un projet durable dans lequel les habitants ont envie d’habiter, se sentent bien et s’approprient
l’espace, il faut que leurs besoins et envies puissent être entendus.
Lorsqu’on les écoute, les habitants, propriétaires ou locataires, peuvent
souvent dire ce qui leur convient, ce qui devrait être adapté, ce qui est
difficile à négocier avec leurs voisins. Dans un projet d’habitat groupé,
le processus participatif est central. À l’usage, les uns proposent un
aménagement du jardin, les autres du local vélo et tous participent tant
à la prise de décision qu’à la réalisation concrète. Mais ce mode de
fonctionnement exige une forte implication, du temps, des moyens et
ne portera ses fruits que si tous les habitants sont preneurs de la démarche. Dans un site habité par des locataires, les prises de décisions
se font par le propriétaire. In fine, on peut se demander si parvenir à
prendre en considération les différentes attentes de centaines de locataires et inciter des « comportements durables » ne demande pas aussi
de ré-envisager la relation « propriétaire-locataires » ?
Conclusion
38. Cette plongée dans le processus de construction du futur quartier
durable Tivoli et l’éclairage qui vient d’être donné par deux projets tout
différents mais apparentés et déjà réalisés montrent que le référentiel
de la durabilité accompagne plus qu’il ne bouleverse certaines recompositions déjà en cours en termes de production de l’action publique
urbaine et des manières d’habiter. « Le durable » s’inscrit ainsi dans
des évolutions antérieures concernant notamment la place grandissante donnée à la culture du projet, la multiplication des interdépendances et les tentatives, parfois vaines, de coordination entre les acteurs privés et publics, les expériences de décloisonnement sectoriel, la
volonté de développer une image cohérente et globale malgré la multi-
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plication des acteurs et des points d’entrée ou encore celle d’inclure,
par la participation, les acteurs concernés.
loppe une réflexion plus globale sur ce qu’un quartier durable implique,
au-delà de l’intégration de normes techniques.
39. Cela dit, le cas Tivoli montre que l’introduction du référentiel de la
durabilité et les acteurs qui le portent produisent incontestablement
certaines évolutions. Comme si la légitimité du durable, du moins la
reconnaissance de la nécessité d’avancer sur le sujet, favorisait un certain consensus. Avant tout, le référentiel facilite l’introduction de procédures participatives auprès de l’acteur chargé du projet, Citydev, qui
n’en avait guère l’habitude. Néanmoins, si les avancées sont notables
en la matière, il demeure difficile, comme dans d’autres projets, de
consolider les pratiques de participation, surtout quand de multiples
finalités très ambitieuses s’y grèvent (la cohésion sociale actuelle et
future, la sensibilisation au durable, la cohabitation harmonieuse des
anciens et nouveaux habitants, l’intégration d’entreprises « vertes »
dans le quartier, etc.). Les aspects les plus consensuels pour les experts, à savoir, on l’a vu, les aspects techniques du durable, sont aussi
ceux qui sont les moins bien appréhendés par les participants « ordinaires » et qui intéressent le moins ceux-ci, quand ces participants
s’inquiètent davantage de la mobilité et de l’accessibilité du futur quartier. Par ailleurs, la participation est souvent très peu liée aux décisions
majeures, concernant par exemple le choix de l’équipe de promotion
ou l’esthétique du projet. La montée en puissance du durable qu’illustre
le cas Tivoli, portée par des écologistes depuis lors renvoyés dans
l’opposition gouvernementale, paraît (momentanément ?) renforcer certains acteurs, comme le Bouwmeester, l’ADT, et marque peut-être ainsi
le retour en grâce (relative) des architectes, longtemps décriés pour
leurs rêves modernistes. La percée du durable pousse aussi d’autres
acteurs, comme Citydev, à l’adaptation et à l’innovation.
41. Les futurs habitants du quartier Tivoli n’ayant pas encore été choisis au sein de la liste des candidats au logement de Citydev, il n’a pas
été possible d’observer une éventuelle procédure participative en
amont de leur arrivée, et encore moins la manière dont ils pourraient
s’approprier ce quartier durable et son environnement immédiat. Cela
dit, l’analyse des deux autres cas d’habitats durables, Bruyn et Brutopia, amènent à quelques constats. À Bruxelles comme ailleurs, la situation du parc immobilier pousse les candidats locataires à valoriser les
logements neufs, les quartiers tranquilles ou encore la présence d’espaces verts. Dans le cas des logements « Bruyn », le caractère passif
de l’habitat leur importe peu, voire se révèle trop contraignant. Sur cet
aspect et sur d’autres, comme la cohabitation entre voisins, des différences d’appropriation apparaissent entre les propriétaires qui ont opté
pour le durable et les locataires, en lien avec la manière dont les habitants s’investissent lors de la conception et la réalisation du projet et
dans son fonctionnement quotidien.
40. Pour en revenir aux aspects plus techniques, ou au « processus
d’écologisation de l’architecture », c’est sans doute la dimension du
développement durable qui paraît la plus à même de faire bouger les
lignes entre les experts et de construire du consensus sans pour autant
faire disparaître les débats sur la qualité ou l’esthétique architecturale.
Par ailleurs, si l’architecte paraît retrouver une place dans le projet urbain grâce, entre autres, à la montée en puissance du durable, l’hégémonie de la dimension technique en limite le rôle sans que se déve-
42. En 2016, quatre ans après le premier appel à promoteurs, le
chantier « logements » du projet Tivoli, mis à l’enquête publique durant
le dernier trimestre de l’année 2015, devrait démarrer pour se clôturer
courant 2019. Quant au complexe Greenbizz, il devrait bientôt accueillir
des entreprises. De nouveaux chantiers… d’analyse pourraient dès lors
s’avérer enthousiasmants. Le choix des entreprises vertes et leur intégration dans le tissu socio-économique local, les rapports de voisinage
entre les nouveaux habitants et les anciens et entre les habitants propriétaires Citydev et les locataires sociaux, la place qu’y prendra le projet de logements alternatifs, l’appropriation des lieux et des règles de
l’habitat durable qui peuvent s’avérer contraignantes : autant de terrains d’expérimentation sociologique éclairant, au ras du quotidien d’un
quartier singulier, les manières dont se fabrique la ville contemporaine.
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Tivoli, quartier durable : une nouvelle manière de faire la ville à Bruxelles,
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Brussels Studies est publié avec le soutien de :
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Pour citer ce texte
BILANDE, Arnaud, DAL, Cynthia, DAMAY, Ludivine, DELMOTTE, Florence, NEUWELS, Julie, SCHAUT, Christine, WIBRIN, Anne-Laure,
2016. Tivoli, quartier durable: une nouvelle manière de faire la ville à
Bruxelles ?, In : Brussels Studies, Numéro 100, 13 juin 2016,
www.brusselsstudies.be.
Liens
D’autres versions de ce texte sont disponibles
ePub FR : http://tinyurl.com/BRUS100FREPUB
ePub NL : http://tinyurl.com/BRUS100NLEPUB
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Vol. 1, n° 21, pp. 1-21.
pdf NL : http://tinyurl.com/BRUS100NLPDF
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