PDF of Stay With Me Wyffa Jessica Full Chapter Ebook
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seulement immense, il était infini. Ces sentiments n’avaient pu
s’abolir, ils s’étaient sans doute agrandis en se reproduisant sous
une autre forme. Elle si noble, si généreuse et si craintive, allait faire
retentir incessamment aux oreilles de ce grand homme le mot argent
et le son de l’argent; lui montrer les plaies de la misère, lui faire
entendre les cris de la détresse, quand il entendrait les voix
mélodieuses de la Renommée. Peut-être l’affection que Balthazar
avait pour elle s’en diminuerait-elle? Si elle n’avait pas eu d’enfant
elle aurait embrassé courageusement et avec plaisir la destinée
nouvelle que lui faisait son mari. Les femmes élevées dans
l’opulence sentent promptement le vide que couvrent les jouissances
matérielles; et quand leur cœur, plus fatigué que flétri, leur a fait
trouver le bonheur que donne un constant échange de sentiments
vrais, elles ne reculent point devant une existence médiocre, si elle
convient à l’être par lequel elles se savent aimées. Leurs idées, leurs
plaisirs sont soumis aux caprices de cette vie en dehors de la leur;
pour elles, le seul avenir redoutable est de la perdre. En ce moment
donc, ses enfants séparaient Pépita de sa vraie vie, autant que
Balthazar Claës s’était séparé d’elle par la Science; aussi, quand
elle fut revenue de vêpres, et qu’elle se fut jetée dans sa bergère,
renvoya-t-elle ses enfants en réclamant d’eux le plus profond
silence; puis, elle fit demander à son mari de venir la voir; mais
quoique Lemulquinier, le vieux valet de chambre, eût insisté pour
l’arracher à son laboratoire, Balthazar y était resté. Madame Claës
avait donc eu le temps de réfléchir. Et elle aussi demeura songeuse,
sans faire attention à l’heure ni au temps, ni au jour. La pensée de
devoir trente mille francs et de ne pouvoir les payer, réveilla les
douleurs passées, les joignit à celles du présent et de l’avenir. Cette
masse d’intérêts, d’idées, de sensations la trouva trop faible, elle
pleura. Quand elle vit entrer Balthazar dont alors la physionomie lui
parut plus terrible, plus absorbée, plus égarée qu’elle ne l’avait
jamais été; quand il ne lui répondit pas, elle resta d’abord fascinée
par l’immobilité de ce regard blanc et vide, par toutes les idées
dévorantes que distillait ce front chauve. Sous le coup de cette
impression elle désira mourir. Quand elle eut entendu cette voix
insouciante exprimant un désir scientifique au moment où elle avait
le cœur écrasé, son courage revint; elle résolut de lutter contre cette
épouvantable puissance qui lui avait ravi un amant, qui avait enlevé
à ses enfants un père, à la maison une fortune, à tous le bonheur.
Néanmoins, elle ne put réprimer la constante trépidation qui l’agita,
car, dans toute sa vie, il ne s’était pas rencontré de scène si
solennelle. Ce moment terrible ne contenait-il pas virtuellement son
avenir, et le passé ne s’y résumait-il pas tout entier?
Maintenant, les gens faibles, les personnes timides, ou celles à
qui la vivacité de leurs sensations agrandit les moindres difficultés
de la vie, les hommes que saisit un tremblement involontaire devant
les arbitres de leur destinée peuvent tous concevoir les milliers de
pensées qui tournoyèrent dans la tête de cette femme, et les
sentiments sous le poids desquels son cœur fut comprimé, quand
son mari se dirigea lentement vers la porte du jardin. La plupart des
femmes connaissent les angoisses de l’intime délibération contre
laquelle se débattit madame Claës. Ainsi celles même dont le cœur
n’a encore été violemment ému que pour déclarer à leur mari
quelque excédant de dépense ou des dettes faites chez la
marchande de modes, comprendront combien les battements du
cœur s’élargissent alors qu’il s’en va de toute la vie. Une belle
femme a de la grâce à se jeter aux pieds de son mari, elle trouve
des ressources dans les poses de la douleur; tandis que le
sentiment de ses défauts physiques augmentait encore les craintes
de madame Claës. Aussi, quand elle vit Balthazar près de sortir, son
premier mouvement fut-il bien de s’élancer vers lui; mais une cruelle
pensée réprima son élan, elle allait se mettre debout devant lui! ne
devait-elle pas paraître ridicule à un homme qui, n’étant plus soumis
aux fascinations de l’amour, pourrait voir juste. Joséphine eût
volontiers tout perdu, fortune et enfants, plutôt que d’amoindrir sa
puissance de femme. Elle voulut écarter toute chance mauvaise
dans une heure si solennelle, et appela fortement:—Balthazar? Il se
retourna machinalement et toussa; mais sans faire attention à sa
femme, il vint cracher dans une de ces petites boîtes carrées
placées de distance en distance le long des boiseries, comme dans
tous les appartements de la Hollande et de la Belgique. Cet homme,
qui ne pensait à personne, n’oubliait jamais les crachoirs, tant cette
habitude était invétérée. Pour la pauvre Joséphine, incapable de se
rendre compte de cette bizarrerie, le soin constant que son mari
prenait du mobilier, lui causait toujours une angoisse inouïe; mais,
dans ce moment, elle fut si violente, qu’elle la jeta hors des bornes,
et lui fit crier d’un ton plein d’impatience où s’exprimèrent tous ses
sentiments blessés:—Mais, monsieur, je vous parle!
—Qu’est-ce que cela signifie, répondit Balthazar en se retournant
vivement et lançant à sa femme un regard où la vie revenait et qui
fut pour elle comme un coup de foudre.
—Pardon, mon ami, dit-elle en pâlissant. Elle voulut se lever et
lui tendre la main, mais elle retomba sans force.—Je me meurs! dit-
elle d’une voix entrecoupée par des sanglots.
A cet aspect, Balthazar eut, comme tous les gens distraits, une
vive réaction et devina pour ainsi dire le secret de cette crise; il prit
aussitôt madame Claës dans ses bras, ouvrit la porte qui donnait sur
la petite antichambre, et franchit si rapidement le vieil escalier de
bois, que la robe de sa femme ayant accroché une gueule des
tarasques qui formaient les balustres, il en resta un lez entier
arraché à grand bruit. Il donna, pour l’ouvrir, un coup de pied à la
porte du vestibule commun à leurs appartements; mais il trouva la
chambre de sa femme fermée.
Il posa doucement Joséphine sur un fauteuil en se disant:—Mon
Dieu, où est la clef?
—Merci, mon ami, répondit madame Claës en ouvrant les yeux,
voici la première fois depuis bien long-temps que je me suis sentie si
près de ton cœur.
—Bon Dieu! cria Claës, la clef, voici nos gens.
Joséphine lui fit signe de prendre la clef qui était attachée à un
ruban le long de sa poche. Après avoir ouvert la porte, Balthazar jeta
sa femme sur un canapé, sortit pour empêcher ses gens effrayés de
monter en leur donnant l’ordre de promptement servir le dîner, et vint
avec empressement retrouver sa femme.
—Qu’as-tu, ma chère vie? dit-il en s’asseyant près d’elle et lui
prenant la main qu’il baisa.
—Mais je n’ai plus rien, répondit-elle, je ne souffre plus!
Seulement, je voudrais avoir la puissance de Dieu pour mettre à tes
pieds tout l’or de la terre.
—Pourquoi de l’or, demanda-t-il. Et il attira sa femme sur lui, la
pressa et la baisa de nouveau sur le front.—Ne me donnes-tu pas
de plus grandes richesses en m’aimant comme tu m’aimes, chère et
précieuse créature, reprit-il.
—Oh! mon Balthazar, pourquoi ne dissiperais-tu pas les
angoisses de notre vie à tous, comme tu chasses par ta voix le
chagrin de mon cœur? Enfin, je le vois, tu es toujours le même.
—De quelles angoisses parles-tu, ma chère?
—Mais nous sommes ruinés, mon ami!
—Ruinés, répéta-t-il. Il se mit à sourire, caressa la main de sa
femme en la tenant dans les siennes, et dit d’une voix douce qui
depuis longtemps ne s’était pas fait entendre:—Mais demain, mon
ange, notre fortune sera peut-être sans bornes. Hier en cherchant
des secrets bien plus importants, je crois avoir trouvé le moyen de
cristalliser le carbone, la substance du diamant. O ma chère
femme!... dans quelques jours tu me pardonneras mes distractions.
Il paraît que je suis distrait quelquefois. Ne t’ai-je pas brusquée tout
à l’heure? Sois indulgente pour un homme qui n’a jamais cessé de
penser à toi, dont les travaux sont tout pleins de toi, de nous.
—Assez, assez, dit-elle, nous causerons de tout cela ce soir,
mon ami. Je souffrais par trop de douleur, maintenant je souffre par
trop de plaisir.
Elle ne s’attendait pas à revoir cette figure animée par un
sentiment aussi tendre pour elle qu’il l’était jadis, à entendre cette
voix toujours aussi douce qu’autrefois, et à retrouver tout ce qu’elle
croyait avoir perdu.
—Ce soir, reprit-il, je veux bien, nous causerons. Si je
m’absorbais dans quelque méditation, rappelle-moi cette promesse.
Ce soir, je veux quitter mes calculs, mes travaux, et me plonger dans
toutes les joies de la famille, dans les voluptés du cœur; car, Pépita,
j’en ai besoin, j’en ai soif!
—Tu me diras ce que tu cherches, Balthazar?
—Mais, pauvre enfant, tu n’y comprendrais rien.
—Tu crois?... Hé! mon ami, voici près de quatre mois que j’étudie
la chimie pour pouvoir en causer avec toi. J’ai lu Fourcroy, Lavoisier,
Chaptal, Nollet, Rouelle, Berthollet, Gay-Lussac, Spallanzani,
Leuwenhoëk, Galvani, Volta, enfin tous les livres relatifs à la Science
que tu adores. Va, tu peux me dire tes secrets.
—Oh! tu es un ange, s’écria Balthazar en tombant aux genoux de
sa femme et versant des pleurs d’attendrissement qui la firent
tressaillir, nous nous comprendrons en tout!
—Ah! dit-elle, je me jetterais dans le feu de l’enfer qui attise tes
fourneaux pour entendre ce mot de ta bouche et pour te voir ainsi.
En entendant le pas de sa fille dans l’antichambre, elle s’y élança
vivement.—Que voulez-vous, Marguerite? dit-elle à sa fille aînée.
—Ma chère mère, monsieur Pierquin vient d’arriver. S’il reste à
dîner, il faudrait du linge, et vous avez oublié d’en donner ce matin.
Madame Claës tira de sa poche un trousseau de petites clefs et
les remit à sa fille, en lui désignant les armoires en bois des îles qui
tapissaient cette antichambre, et lui dit:—Ma fille, prenez à droite
dans les services Graindorge.
—Puisque mon cher Balthazar me revient aujourd’hui, rends-le-
moi tout entier? dit-elle en rentrant et donnant à sa physionomie une
expression de douce malice. Mon ami, va chez toi, fais-moi la grâce
de t’habiller, nous avons Pierquin à dîner. Voyons, quitte ces habits
déchirés. Tiens, vois ces taches? N’est-ce pas de l’acide muriatique
ou sulfurique qui a bordé de jaune tous ces trous? Allons, rajeunis-
toi, je vais t’envoyer Mulquinier quand j’aurai changé de robe.
Balthazar voulut passer dans sa chambre par la porte de
communication, mais il avait oublié qu’elle était fermée de son côté.
Il sortit par l’antichambre.
—Marguerite, mets le linge sur un fauteuil, et viens m’habiller, je
ne veux pas de Martha, dit madame Claës en appelant sa fille.
Balthazar avait pris Marguerite, l’avait tournée vers lui par un
mouvement joyeux en lui disant:—Bonjour, mon enfant, tu es bien
jolie aujourd’hui dans cette robe de mousseline, et avec cette
ceinture rose. Puis il la baisa au front et lui serra la main.
—Maman, papa vient de m’embrasser, dit Marguerite en entrant
chez sa mère; il paraît bien joyeux, bien heureux!
—Mon enfant, votre père est un bien grand homme, voici bientôt
trois ans qu’il travaille pour la gloire et la fortune de sa famille, et il
croit avoir atteint le but de ses recherches. Ce jour doit être pour
nous tous une belle fête...
—Ma chère maman, répondit Marguerite, nos gens étaient si
tristes de le voir refrogné, que nous ne serons pas seules dans la
joie. Oh! mettez donc une autre ceinture, celle-ci est trop fanée.
—Soit, mais dépêchons-nous, je veux aller parler à Pierquin: Où
est-il?
—Dans le parloir, il s’amuse avec Jean.
—Où sont Gabriel et Félicie?
—Je les entends dans le jardin.
—Hé! bien, descendez vite; veillez à ce qu’ils n’y cueillent pas de
tulipes! votre père ne les a pas encore vues de cette année, et il
pourrait aujourd’hui vouloir les regarder en sortant de table. Dites à
Mulquinier de monter à votre père tout ce dont il a besoin pour sa
toilette.
Quand Marguerite fut sortie, madame Claës jeta un coup d’œil à
ses enfants par les fenêtres de sa chambre qui donnaient sur le
jardin, et les vit occupés à regarder un de ces insectes à ailes
vertes, luisantes et tachetées d’or, vulgairement appelés des
couturières.
—Soyez sages, mes bien-aimés, dit-elle en faisant remonter une
partie du vitrage qui était à coulisse et qu’elle arrêta pour aérer sa
chambre. Puis elle frappa doucement à la porte de communication
pour s’assurer que son mari n’était pas retombé dans quelque
distraction. Il ouvrit, et elle lui dit d’un accent joyeux en le voyant
déshabillé:—Tu ne me laisseras pas long-temps seule avec
Pierquin, n’est-ce pas? Tu me rejoindras promptement.
Elle se trouva si leste pour descendre, qu’en l’entendant, un
étranger n’aurait pas reconnu le pas d’une boiteuse.
—Monsieur, en emportant madame, lui dit le valet de chambre
qu’elle rencontra dans l’escalier, a déchiré la robe, ce n’est qu’un
méchant bout d’étoffes; mais il a brisé la mâchoire de cette figure et
je ne sais pas qui pourra la remettre. Voilà notre escalier déshonoré,
cette rampe était si belle!
—Bah! mon pauvre Mulquinier, ne la fais pas raccommoder, ce
n’est pas un malheur.
—Qu’arrive-t-il donc, se dit Mulquinier, pour que ce ne soit pas un
désastre? mon maître aurait-il trouvé l’absolu?
—Bonjour, monsieur Pierquin, dit madame Claës en ouvrant la
porte du parloir.
Le notaire accourut pour donner le bras à sa cousine, mais elle
ne prenait jamais que celui de son mari; elle remercia donc son
cousin par un sourire et lui dit:—Vous venez peut-être pour les trente
mille francs?
—Oui, madame, en rentrant chez moi, j’ai reçu une lettre d’avis
de la maison Protez et Chiffreville qui a tiré, sur monsieur Claës, six
lettres de change de chacune cinq mille francs.
—Hé! bien, n’en parlez pas à Balthazar aujourd’hui, dit-elle.
Dînez avec nous. Si par hasard il vous demandait pourquoi vous
êtes venu, trouvez quelque prétexte plausible, je vous en prie.
Donnez-moi la lettre, je lui parlerai moi-même de cette affaire. Tout
va bien, reprit-elle en voyant l’étonnement du notaire. Dans quelques
mois, mon mari remboursera probablement les sommes qu’il a
empruntées.
En entendant cette phrase dite à voix basse, le notaire regarda
mademoiselle Claës qui revenait du jardin, suivie de Gabriel et de
Félicie, et dit:—Je n’ai jamais vu mademoiselle Marguerite aussi jolie
qu’elle l’est en ce moment.
Madame Claës, qui s’était assise dans sa bergère et avait pris
sur ses genoux le petit Jean, leva la tête, regarda sa fille et le notaire
en affectant un air indifférent.
Pierquin était de taille moyenne, ni gras, ni maigre, d’une figure
vulgairement belle et qui exprimait une tristesse plus chagrine que
mélancolique, une rêverie plus indéterminée que pensive; il passait
pour misanthrope, mais il était trop intéressé, trop grand mangeur
pour que son divorce avec le monde fût réel. Son regard
habituellement perdu dans le vide, son attitude indifférente, son
silence affecté semblaient accuser de la profondeur, et couvraient en
réalité le vide et la nullité d’un notaire exclusivement occupé
d’intérêts humains, mais qui se trouvait encore assez jeune pour être
envieux. S’allier à la maison Claës aurait été pour lui la cause d’un
dévouement sans bornes, s’il n’avait pas eu quelque sentiment
d’avarice sous-jacent. Il faisait le généreux, mais il savait compter.
Aussi, sans se rendre raison à lui-même de ses changements de
manières, ses attentions étaient-elles tranchantes, dures et bourrues
comme le sont en général celles des gens d’affaires, quand Claës lui
semblait ruiné; puis elles devenaient affectueuses, coulantes et
presque serviles, quand il soupçonnait quelque heureuse issue aux
travaux de son cousin. Tantôt il voyait en Marguerite Claës une
infante de laquelle il était impossible à un simple notaire de province
d’approcher; tantôt il la considérait comme une pauvre fille trop
heureuse s’il daignait en faire sa femme. Il était homme de province,
et Flamand, sans malice; il ne manquait même ni de dévouement ni
de bonté; mais il avait un naïf égoïsme qui rendait ses qualités
incomplètes, et des ridicules qui gâtaient sa personne. En ce
moment, madame Claës se souvint du ton bref avec lequel le notaire
lui avait parlé sous le porche de l’église Saint-Pierre, et remarqua la
révolution que sa réponse avait faite dans ses manières; elle devina
le fond de ses pensées, et d’un regard perspicace elle essaya de lire
dans l’âme de sa fille pour savoir si elle pensait à son cousin; mais
elle ne vit en elle que la plus parfaite indifférence. Après quelques
instants, pendant lesquels la conversation roula sur les bruits de la
ville, le maître du logis descendit de sa chambre où, depuis un
instant, sa femme entendait avec un inexprimable plaisir des bottes
criant sur le parquet. Sa démarche, semblable à celle d’un homme
jeune et léger, annonçait une complète métamorphose, et l’attente
que son apparition causait à madame Claës fut si vive qu’elle eut
peine à contenir un tressaillement quand il descendit l’escalier.
Balthazar se montra bientôt dans le costume alors à la mode. Il
portait des bottes à revers bien cirées qui laissaient voir le haut d’un
bas de soie blanc, une culotte de casimir bleu à boutons d’or, un
gilet blanc à fleurs, et un frac bleu. Il avait fait sa barbe, peigné ses
cheveux, parfumé sa tête, coupé ses ongles, et lavé ses mains avec
tant de soin qu’il semblait méconnaissable à ceux qui l’avaient vu
naguère. Au lieu d’un vieillard presque en démence, ses enfants, sa
femme et le notaire voyaient un homme de quarante ans dont la
figure affable et polie était pleine de séductions. La fatigue et les
souffrances que trahissaient la maigreur des contours et l’adhérence
de la peau sur les os avaient même une sorte de grâce.
—Bonjour, Pierquin, dit Balthazar Claës.
Redevenu père et mari, le chimiste prit son dernier enfant sur les
genoux de sa femme, et l’éleva en l’air en le faisant rapidement
descendre et le relevant alternativement.
—Voyez ce petit? dit-il au notaire. Une si jolie créature ne vous
donne-t-elle pas l’envie de vous marier? Croyez moi, mon cher, les
plaisirs de famille consolent de tout.—Brr! dit-il en enlevant Jean.
Pound! s’écriait-il en le mettant à terre. Brr! Pound!
L’enfant riait aux éclats de se voir alternativement en haut du
plafond et sur le parquet. La mère détourna les yeux pour ne pas
trahir l’émotion que lui causait un jeu si simple en apparence et qui,
pour elle, était toute une révolution domestique.
—Voyons comment tu vas, dit Balthazar en posant son fils sur le
parquet et s’allant jeter dans une bergère. L’enfant courut à son
père, attiré par l’éclat des boutons d’or qui attachaient la culotte au-
dessus de l’oreille des bottes.—Tu es un mignon! dit le père en
l’embrassant, tu es un Claës, tu marches droit.—Hé bien! Gabriel,
comment se porte le père Morillon? dit-il à son fils aîné en lui
prenant l’oreille et la lui tortillant, te défends-tu vaillamment contre
les thèmes, les versions? mords-tu ferme aux mathématiques?
Puis Balthazar se leva, vint à Pierquin, et lui dit avec cette
affectueuse courtoisie qui le caractérisait:—Mon cher, vous avez
peut-être quelque chose à me demander? Il lui donna le bras et
l’entraîna dans le jardin, en ajoutant:—Venez voir mes tulipes?...
Madame Claës regarda son mari pendant qu’il sortait, et ne sut
pas contenir sa joie en le revoyant si jeune, si affable, si bien lui-
même; elle se leva, prit sa fille par la taille, et l’embrassa en disant:
—Ma chère Marguerite, mon enfant chérie, je t’aime encore mieux
aujourd’hui que de coutume.
—Il y avait bien long-temps que je n’avais vu mon père si
aimable, répondit-elle.
Lemulquinier vint annoncer que le dîner était servi. Pour éviter
que Pierquin lui offrît le bras, madame Claës prit celui de Balthazar,
et toute la famille passa dans la salle à manger.
Cette pièce dont le plafond se composait de poutres apparentes,
mais enjolivées par des peintures, lavées et rafraîchies tous les ans,
était garnie de hauts dressoirs en chêne sur les tablettes desquelles
se voyaient les plus curieuses pièces de la vaisselle patrimoniale.
Les parois étaient tapissées de cuir violet sur lequel avaient été
imprimés, en traits d’or, des sujets de chasse. Au-dessus des
dressoirs, çà et là, brillaient soigneusement disposés des plumes
d’oiseaux curieux et des coquillages rares. Les chaises n’avaient
pas été changées depuis le commencement du seizième siècle et
offraient cette forme carrée, ces colonnes torses, et ce petit dossier
garni d’une étoffe à franges dont la mode fut si répandue que
Raphaël l’a illustrée dans son tableau appelé la Vierge à la chaise.
Le bois en était devenu noir, mais les clous dorés reluisaient comme
s’ils eussent été neufs, et les étoffes soigneusement renouvelées
étaient d’une couleur rouge admirable. La Flandre revivait là tout
entière avec ses innovations espagnoles. Sur la table, les carafes,
les flacons avaient cet air respectable que leur donnent les ventres
arrondis du galbe antique. Les verres étaient bien ces vieux verres
hauts sur patte qui se voient dans tous les tableaux de l’école
hollandaise ou flamande. La vaisselle en grès et ornée de figures
coloriées à la manière de Bernard de Palissy, sortait de la fabrique
anglaise de Wedgwood. L’argenterie était massive, à pans carrés, à
bosses pleines, véritable argenterie de famille dont les pièces, toutes
différentes de ciselure, de mode, de forme, attestaient les
commencements du bien-être et les progrès de la fortune de Claës.
Les serviettes avaient des franges, mode tout espagnole. Quant au
linge, chacun doit penser que chez les Claës, le point d’honneur
consistait à en posséder de magnifique. Ce service, cette argenterie
étaient destinés à l’usage journalier de la famille. La maison de
devant, où se donnaient les fêtes, avait son luxe particulier, dont les
merveilles réservées pour les jours de gala, leur imprimaient cette
solennité qui n’existe plus quand les choses sont déconsidérées
pour ainsi dire par un usage habituel. Dans le quartier de derrière,
tout était marqué au coin d’une naïveté patriarcale. Enfin, détail
délicieux, une vigne courait en dehors le long des fenêtres que les
pampres bornaient de toutes parts.
—Vous restez fidèle aux traditions, madame, dit Pierquin en
recevant une assiettée de cette soupe au thym, dans laquelle les
cuisinières flamandes ou hollandaises mettent de petites boules de
viandes roulées et mêlées à des tranches de pain grillé, voici le
potage du dimanche en usage chez nos pères! Votre maison et celle
de mon oncle Des Raquets sont les seuls où l’on retrouve cette
soupe historique dans les Pays-Bas. Ah! pardon, le vieux monsieur
Savaron de Savarus la fait encore orgueilleusement servir à Tournay
chez lui, mais partout ailleurs la vieille Flandre s’en va. Maintenant
les meubles se fabriquent à la grecque, on n’aperçoit partout que
casques, boucliers, lances et faisceaux. Chacun rebâtit sa maison,
vend ses vieux meubles, refond son argenterie, ou la troque contre
la porcelaine de Sèvres qui ne vaut ni le vieux Saxe ni les
chinoiseries. Oh! moi je suis Flamand dans l’âme. Aussi mon cœur
saigne-t-il en voyant les chaudronniers acheter pour le prix du bois
ou du métal, nos beaux meubles incrustés de cuivre ou d’étain. Mais
l’État social veut changer de peau, je crois. Il n’y a pas jusqu’aux
procédés de l’art qui ne se perdent! Quand il faut que tout aille vite,
rien ne peut être consciencieusement fait. Pendant mon dernier
voyage à Paris, l’on m’a mené voir les peintures exposées au
Louvre. Ma parole d’honneur, c’est des écrans que ces toiles sans
air, sans profondeur où les peintres craignent de mettre de la
couleur. Et ils veulent, dit-on, renverser notre vieille école. Ah!
ouin?...
—Nos anciens peintres, répondit Balthazar, étudiaient les
diverses combinaisons et la résistance des couleurs, en les
soumettant à l’action du soleil et de la pluie. Mais vous avez raison:
aujourd’hui les ressources matérielles de l’art sont moins cultivées
que jamais.
Madame Claës n’écoutait pas la conversation. En entendant dire
au notaire que les services de porcelaine étaient à la mode, elle
avait aussi conçu la lumineuse idée de vendre la pesante argenterie
provenue de la succession de son frère, espérant ainsi pouvoir
acquitter les trente mille francs dus par son mari.
—Ah! ah! disait Balthazar au notaire quand madame Claës se
remit à la conversation, l’on s’occupe de mes travaux à Douai?
—Oui, répondit Pierquin, chacun se demande à quoi vous
dépensez tant d’argent. Hier, j’entendais monsieur le premier
président déplorer qu’un homme de votre sorte cherchât la pierre
philosophale. Je me suis alors permis de répondre que vous étiez
trop instruit pour ne pas savoir que c’était se mesurer avec
l’impossible, trop chrétien pour croire l’emporter sur Dieu, et comme
tous les Claës, trop bon calculateur pour changer votre argent contre
de la poudre à Perlimpinpin. Néanmoins je vous avouerai que j’ai
partagé les regrets que cause votre retraite à toute la société. Vous
n’êtes vraiment plus de la ville. En vérité, madame, vous eussiez été
ravie si vous aviez pu entendre les éloges que chacun s’est plu à
faire de vous et de monsieur Claës.
—Vous avez agi comme un bon parent en repoussant des
imputations dont le moindre mal serait de me rendre ridicule,
répondit Balthazar. Ah! les Douaisiens me croient ruiné! Eh! bien,
mon cher Pierquin, dans deux mois je donnerai, pour célébrer
l’anniversaire de mon mariage, une fête dont la magnificence me
rendra l’estime que nos chers compatriotes accordent aux écus.
Madame Claës rougit fortement. Depuis deux ans cet
anniversaire avait été oublié. Semblable à ces fous qui ont des
moments pendant lesquels leurs facultés brillent d’un éclat inusité,
jamais Balthazar n’avait été si spirituel dans sa tendresse. Il se
montra plein d’attentions pour ses enfants, et sa conversation fut
séduisante de grâce, d’esprit, d’à-propos. Ce retour de la paternité,
absente depuis si long-temps, était certes la plus belle fête qu’il pût
donner à sa femme pour qui sa parole et son regard avaient repris
cette constante sympathie d’expression qui se sent de cœur à cœur
et qui prouve une délicieuse identité de sentiment.
IMP. S RAÇON
LEMULQUINIER
avait conçu pour son maître un
sentiment superstitieux mêlé de terreur,
d’admiration et d’égoïsme.