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Until Beckett. 1st Edition Sophia Nixs .

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latines, il eut un sursaut d’irritation. Des serpents s’agitèrent en lui,
tandis qu’un sombre éclat de rire retentissait au fond de son cœur.
Il se leva et demanda d’un ton sec :
— Eh bien, viendras-tu ?
— Certes ; si tu veux je t’accompagnerai tout de suite.
— Non, attends à demain. Chériat changera peut-être d’idée…
Je ne voudrais pas avoir l’air de l’influencer.
— Mais s’il persiste, dit Robert en lui posant la main sur le bras et
en le regardant bien en face, me laisseras-tu lui amener un prêtre ?
— Un prêtre !…
Charles hésita : son horreur de la soutane le portait à refuser.
Mais il réfléchit qu’une concession prouverait de la tolérance. Il
haussa les épaules comme pour affirmer que ce détail lui importait
peu et déclara :
— Si Chériat le désire, flanque-toi d’un prêtre. Seulement, tu me
préviendras. Je ne tiens pas à être témoin de…
Il allait dire : de ces simagrées mais il se reprit :
— De l’entrevue… Ainsi, à demain, dès que tu seras libre, et au
revoir.
Il avait hâte de s’esquiver, se courrouçant à la pensée que, mû
par un désir d’effusion, qu’il taxait maintenant de lâcheté, il avait failli
révéler son tourment à ce Robert, adepte de ce qu’il considérait
comme une basse superstition.
Abry n’essaya point de le retenir : ce n’était pas la première fois
que Charles lui donnait le spectacle de ses revirements. Mais il eut
l’intuition que leur colloque n’en resterait pas là.
En effet, Charles avait déjà franchi le seuil, lorsque, se
retournant, il surprit tant de sollicitude apitoyée dans le regard de
son ami que sa superbe dut fléchir. Cédant à une de ces détentes
d’âme, qui lui étaient coutumières auprès d’Abry, il revint sur ses pas
et s’écria :
— Je suis affreusement malheureux !
— Oh ! mon pauvre, dit l’autre en lui pressant les mains et en le
faisant rasseoir, crois-tu donc que je ne m’en suis pas aperçu ?…
Que je voudrais, Dieu aidant, te consoler un peu. Je ne suis pas bon
à grand’chose mais enfin je t’aime et je ne demande qu’à t’être utile.
— Je le sais, répondit Charles qui s’attendrissait, mais si je te
confie mes peines, je crains que tu ne te mettes à me réciter ton
catéchisme ou ton Évangile ou tout autre de tes bouquins
ascétiques… Or, j’ai besoin, comprends-tu, de paroles vivantes et
non de textes arides.
— Ah ! très cher, tu ignores — et ce n’est pas de ta faute — que
les plus vivantes des paroles sont contenues dans cet Évangile que
tu redoutes… Mais, poursuivit Robert avec un rire amical, rassure-
toi, je ne t’alléguerai aucun de mes bouquins, comme tu dis. Nous
causerons de cœur à cœur et puissé-je panser tes blessures.
Charles ne savait de quelle façon commencer. Une impulsion
irrésistible venait de lui faire crier sa souffrance. Pourtant, quoiqu’il il
y eût là une affection toute fervente qui ne demandait qu’à se
manifester, il hésitait de nouveau. Ses incertitudes recommençaient
à le lanciner. Il voulait étaler sa détresse. Et d’autre part, son orgueil
lui insinuait qu’il était plus viril de celer en lui, comme un cercueil
sous la pierre d’une tombe, les songeries funèbres où il s’était perdu.
Puis il redoutait d’aller trop loin dans ses confidences et, à aucun
prix, il n’entendait révéler à Robert le dénouement lugubre qu’il
méditait de donner à la tragédie dont il était le théâtre.
Le biais qu’il prit pour solliciter un conseil, sans s’ouvrir tout à fait,
fut le suivant.
— Pourquoi donc, demanda-t-il, es-tu si calme et sembles-tu si
heureux ? Tu es pauvre, seul dans l’existence et tu n’as jamais
connu ces joies sensuelles qui procurent, à ce que certains
prétendent, l’oubli de ce monde stupide où, sous le nom d’hommes,
se démènent tant de bêtes cauteleuses ou féroces. Faut-il t’envier
ou te plaindre ?
Es-tu un privilégié dont l’intelligence plane tellement au-dessus
des cloaques où barbotent nos contemporains que leurs cris de rage
et leurs grognements de volupté n’arrivent pas jusqu’à lui ? Es-tu un
incomplet de qui la foi émoussa définitivement les sensations ?
Robert fut d’abord un peu dérouté par ces questions. Mais il
comprit vite que si Charles les lui posait, c’était parce qu’il ne pouvait
concevoir la sérénité d’un chrétien, et surtout parce que, sans qu’il
se l’avouât, son âme fiévreuse cherchait un refuge où déposer ses
inquiétudes.
La réponse était aisée à faire.
— Comme toi, comme tous, dit le catholique, je suis fils de la
chute et je porte le fardeau du péché originel. Comme toi, comme
tous, je suis tenté constamment et je céderais à mes passions si je
n’avais appris à me vaincre.
— Mais, reprit âprement Charles, ce que tu nommes tes
passions, ce sont tes penchants les plus irrésistibles. Tu les dois à la
nature : en les combattant, c’est elle que, par une aberration puérile,
tu tentes d’abolir.
— Je n’essaie pas d’abolir la nature. Dieu nous voulut tels que
nous sommes. Mais il a voulu aussi que nous soyons libres de nous
racheter par la foi dans une destinée supérieure à celle que semble
nous désigner la nature telle que, laissée à elle-même, elle agit sur
la terre. Vois-le ce Dieu, là, sur cette croix. Il nous ouvre ses bras
tout grands et il nous demande de nous hausser jusqu’à la plaie
adorable de son cœur… Si c’est un privilège, tout homme de bon
vouloir peut l’acquérir.
Une conviction ardente rayonnait de ces paroles qui furent
d’ailleurs prononcées très simplement ; Charles en fut presque sur le
point de reconnaître que les sophismes de la raison humaine étaient
fort peu de chose en regard des certitudes formulées par la foi. Mais
son amour-propre n’admettait pas une défaite aussi rapide. Se
raidissant pour dissimuler le défaut de sa cuirasse, il demanda :
— Qu’est-ce qu’un homme de bon vouloir ?
— Celui qui dompte l’orgueil, principe de tous les péchés.
— Et comment le dompter ?
— Par la prière.
— Et qu’est-ce que la prière ?
— C’est à la fois un acte d’humilité, l’aveu que nous ne pouvons
réduire la nature sans le secours d’En-Haut et un appel à ce
secours.
— Encore, pour prier, repartit Charles, faut-il croire au surnaturel.
Je n’y crois pas.
Robert soupira :
— Tu n’y crois pas et c’est, hélas, ton malheur. Pourtant il nous
enveloppe de toutes parts. Qui l’écarte comme divin tombe
cependant sous son joug ; mais alors c’est qu’il est diabolique.
L’orgueil s’empare de l’incroyant ; il s’imagine qu’il se suffit à lui-
même ; il s’estime supérieur au commun des hommes ; il se targue
de sa fière solitude pour les mépriser et bientôt les haïr. Il pèche
contre le précepte de Notre-Seigneur : Tu aimeras ton prochain
comme toi-même.
— Ainsi, dit Charles avec amertume, il faudrait s’humilier, aux
pieds d’une Divinité incompréhensible ; il faudrait ensuite aimer tous
ces gredins et tous ces imbéciles qui peuplent l’univers pour vivre
heureux ? Jamais je n’admettrai cela. Je veux les frapper…
Il s’interrompit et se prit à rêver. Maintenant il s’étonnait d’avoir
supposé qu’une intelligence asservie à la religion comme celle de
Robert pourrait lui donner un conseil efficace. C’est un bon garçon,
pensa-t-il, mais les prêtres l’ont chaponné. J’étais par trop naïf,
espérant de lui autre chose que des maximes de lâcheté. Mais je ne
retomberai plus dans mon erreur. Ni Robert ni personne ne
connaîtra mon secret… L’homme le plus libre est celui qui est le plus
seul : Ibsen a raison.
Il se redressa. Un orgueil sauvage lui durcissait la face. Il se revit
jetant la bombe et criant sa joie de faire souffrir l’humanité. La
révolte se peignit, si formidable, dans ses yeux et dans toute son
attitude que Robert épouvanté recula.
— Nul autel, s’écria-t-il, ne me verra m’agenouiller.
J’ai pris conscience de ma force dans cet orgueil que tu
réprouves. Ton Dieu et ton diable je les laisse aux âmes d’esclaves
que leurs instincts effraient. Les hommes m’ont meurtri ; je leur
rendrai au décuple le mal qu’ils me firent. Oui, puisque la nature a
voulu que le règne de l’humanité ce soit le règne de la bête, je serai
une bête farouche et splendide et malheur à qui se mettra en travers
de mon chemin. En avant !…
Il dit et s’élança dehors sans regarder son ami.
Seigneur, Seigneur, murmura Robert en écoutant le bruit de ses
pas décroître dans l’escalier, venez à son aide. N’induisez pas en
tentation cette pauvre âme si malade. Ayez pitié de lui !
Il se prosterna devant le Crucifix et se mit en prière.
Dans la rue, Charles allait d’une marche inégale. Tantôt il courait
presque, tantôt il ralentissait pour considérer le ciel où des nuées
fuligineuses, que chassait le vent d’hiver, galopaient, semblables aux
songes d’un fiévreux. Quelques étoiles, qui scintillaient faiblement çà
et là, lui parurent les rires ironiques de l’infini nocturne. Il les détesta
puis ramenant ses regards sur les affairés qui encombraient les
trottoirs, sur les tramways bondés qui suivaient la chaussée, il se
dit :
— Un geste, un geste de ma main et tous ces misérables
hurleront de douleur…
Il repartit au hasard, enfilant des ruelles, arpentant des avenues,
franchissant des ponts, traversant des esplanades désertes,
coudoyant la foule, sur des boulevards pleins de rumeurs et de
lumières. A un moment il pensa qu’il avait bien fait de jeter à l’égout
le projectile à système d’amorce et il résolut de fabriquer une bombe
à renversement. Puis toute formule précise s’effaça de son cerveau.
Il lui parut que son âme se résolvait en une brume rougeâtre où
brillait, seule, comme un phare aux mornes clartés, l’idée fixe du
meurtre.
Il allait, il allait parmi les ombres et les prestiges de la ville. Ainsi
dut errer Caïn la nuit qui précéda le fratricide…
CHAPITRE VIII

Les puissances mauvaises ne laissent guère de répit aux


malheureux êtres dont elles font leurs victimes. Charles l’éprouva
qui, ayant refusé la main secourable tendue par Abry, ne pouvait que
hâter son destin sous l’aiguillon de la colère et de l’orgueil.
Quelques semaines avaient passé depuis sa rencontre avec le
catholique. Et ce fut à fabriquer une nouvelle bombe qu’il les
employa. Il avait consigné sa porte aux Greive, aux Sucre, aux
Jourry car les vaticinations burlesques de ces camelots de la foire au
bonheur lui étaient par trop insupportables. Outrés de son dédain,
les sectaires répandirent le bruit qu’il désertait la cause… Jourry
saisit, avec empressement, ce prétexte de le dénoncer comme un
traître qu’il fallait flétrir. Une réunion fut organisée dans ce but et on
le somma de s’y rendre. Il n’en eut cure. Alors on lui signifia, par
lettre recommandée, son exclusion du parti. Il jeta au feu le papier
déclamatoire en haussant les épaules.
Que lui importaient les soupçons et les injures. Mieux que tous
les discours, la bombe n’allait-elle pas démontrer ce que vaut le
vouloir d’un solitaire résolu à l’action ?
Chez lui, il tolérait encore les visites de Paul Paulette et de
Louise afin qu’ils donnassent des soins à Chériat. Toutefois, il évitait
de leur parler ; et lorsqu’il devenait absolument nécessaire qu’il le fît,
c’était sur un ton si bref, en leur opposant un visage si fermé que
tous deux n’osaient le presser. L’atmosphère tragique, qui régnait
autour de lui, les mettait mal à l’aise ; ils vivaient dans l’attente de
quelque catastrophe.
Il avait aussi tenu l’engagement pris de permettre que Robert
assistât le moribond. Mais craignant la clairvoyance de cet esprit
dont la mansuétude perspicace l’irritait, il esquiva toute conversation,
ou bien il s’absentait aux heures où il sut que Robert devait venir.
Du reste, une fois l’engin terminé, prêt à éclater, il ne demeura
presque plus au logis. Une inquiétude fébrile le chassa par les rues.
De l’aube au soir, du soir à l’aube, il battait la ville, tournant et
retournant cette pensée unique :
— Maintenant, où vais-je jeter la bombe ?
Ce qu’il voulait, c’était que son crime eût une signification
symbolique, qu’il s’imposât comme un châtiment infligé aux soutiens
d’un état social où — d’après le sophisme qui lui déformait l’âme —
quelques maîtres, usant de ruses médiocres, exploitaient un
troupeau d’esclaves abêtis par une longue hérédité d’obéissance à
la coutume et à la loi.
— Quel que soit le parti que je prendrai, se disait-il, que je
punisse ceux qui commandent ou ceux qui se soumettent, l’acte
sera efficace car les uns et les autres ont besoin d’apprendre, à
leurs dépens, qu’il existe des mâles capables de se hausser hors du
marécage où ils barbotent.
S’exaltant de la sorte, il ne concevait ni l’horreur du sang versé,
ni les palpitations des membres mis en lambeaux par les éclats de
sa bombe, ni les plaintes des mutilés, ni l’épouvante et le reproche
dans les yeux, écarquillés par l’effroi, des morts. L’éducation, tout
abstraite, toute conforme aux principes de la Révolution, qu’il avait
reçue, l’avait habitué à se représenter l’humanité comme une série
de chiffres qui, additionnés, multipliés ou divisés donnent un total, un
produit ou un quotient plus ou moins conformes à ce credo de la
démocratie : les droits de l’homme et du citoyen.
La seule différence qui se marquât entre son aberration et celle
des apôtres de la folie individualiste c’est que ceux-ci se félicitaient
des résultats obtenus par l’application à la France de leur algèbre
anti-sociale tandis que Charles, leur élève, tenait l’équation pour mal
posée et s’apprêtait à en modifier brutalement les termes.
Et pourquoi aurait-il hésité ? Ne lui avait-on pas appris à écouter
uniquement sa raison ? Or, de par cette raison prépotente, il estimait
qu’il y avait lieu de rétablir le problème sur d’autres bases. Qui
pouvait trouver étrange que pour y arriver, il effaçât un ou plusieurs
chiffres ?
Cette horrible chimère lui était devenue si habituelle que quand il
imaginait les incidents qui suivraient l’explosion de la bombe, c’était
pour se voir en train d’expliquer la beauté de son geste devant un
tribunal vaguement admiratif ou pour composer l’attitude qu’il
prendrait au pied de l’échafaud lorsqu’il lancerait à la foule des
paroles historiques, autres bombes qui ne manqueraient pas de faire
merveille.
Pauvre cœur en proie au démon d’orgueil ! — Et pourtant, il y
avait des minutes où il entendait s’élever, en lui, une voix suppliante
qui réclamait pour ses semblables. Mais il se blâmait vite de cette
faiblesse et il se posait de nouveau la question sinistre :
— Qui frapperai-je ?…
Une après-midi de janvier, Charles suivait les quais qui bordent la
rive droite de la Seine. C’était par un de ces jours de ciel bleu-pâle,
de soleil aux rayons doucement argentés, de givre scintillant et d’air
vif qui font une éclaircie dans les brouillards visqueux où
s’emmitoufle trop souvent l’hiver parisien. Il avait dépassé l’Hôtel-de-
Ville et remontait le cours du fleuve vers l’Estacade. Un peu las, il
s’arrêta en face de l’île Saint-Louis et s’accouda au parapet.
L’eau ondulait, verdâtre et trouble et s’engouffrait, parmi des
remous écumeux, sous les arches des ponts. Dans les alvéoles des
bateaux-lavoirs amarrés à l’autre rive, des blanchisseuses riaient et
jacassaient en frappant leur linge à grand bruit. Sur le bas-port, que
dominait le jeune homme, on travaillait également. Des rouliers
menaient de lourds attelages ou déchargeaient des tombereaux de
gravats. Des mariniers goudronnaient la carène de chalands rangés
les uns contre les autres. Sur le tillac, des femmes cuisinaient ou
raccommodaient des prélarts. Un peu plus loin, une grue à vapeur,
allongeant en oblique son col mince, pivotait sur sa plate-forme,
sifflait, soufflait, vidait maintes bennes de sable dans une cale
béante. — Tous, mariniers, charretiers, débardeurs, mécaniciens de
la grue, ménagères et lavandières vaquaient gaîment à leur
besogne, en échangeant des propos goguenards.
Charles ne put s’empêcher d’opposer cet insouci laborieux à sa
morose oisiveté. Le souvenir lui vint d’une vieille estampe reproduite
par un périodique qu’il avait feuilleté naguère. Elle représentait un
homme, en costume espagnol du XVIe siècle, et de qui la figure
exprimait l’ennui et le chagrin. Assis sur une sorte de pouf à franges,
il élevait ses bras au-dessus de sa tête comme pour s’étirer. Mais,
au lieu de mains, deux becs aigus sortaient de ses manchettes
brodées, s’enfonçaient dans sa chevelure et lui fouillaient le crâne.
Charles se murmura la légende inscrite au bas de cette gravure :
« Je ne fais rien et je me ronge la cervelle. »
— C’est bien cela, pensa-t-il avec dépit, ce peuple goûte la joie
d’un travail utile. Nul de ces manœuvres ne se rend compte qu’il est
une dupe et un exploité. Ils accomplissent leur tâche quotidienne,
plaisantent, mangent, boivent, dorment et recommencent le
lendemain sans se demander si la société est bien ou mal faite et
s’ils ne pourraient pas améliorer leur sort… Sont-elles enviables, ces
brutes dont nul songe de révolte ne troubla jamais l’intelligence
rudimentaire ?…
Aussitôt l’esprit d’orgueil lui chuchota :
— C’est toi qui es enviable, vivant dans un monde d’idées fières
dont l’accès reste interdit à ces maupiteux.
Il acquiesça. Cependant cette arrogante vantardise ne réussit
pas à le rasséréner. Au surplus, comme les neuf-dixièmes des
socialistes de parlotes, il ignorait et méprisait le vrai peuple. Pour les
entrepreneurs de félicité publique, le prolétariat se constitue, en
effet, d’imbéciles nuageux et de braillards altérés à qui l’on verse,
chez les mastroquets électoraux, des boissons violentes et des
diatribes égalitaires et qu’on tient adroitement à l’écart dès qu’ils ont
servi l’ambition de leurs meneurs.
Charles n’en était pas tout à fait là puisqu’il n’avait jamais désiré
le moindre mandat politique. Néanmoins, en sa qualité
« d’intellectuel » il méconnaissait la grandeur — superbe d’être
inconsciente — de ces humbles, dont les mains rugueuses
ébauchent, dont les épaules massives supportent des civilisations. Il
ne voyait pas luire le foyer d’amour au cœur du peuple. La
résignation des pauvres, la solidarité admirable qui les unit aux jours
d’épidémie et de famine, leur idéalisme touchant qui, même
détourné des voies divines par d’odieux banquistes, ne cesse
d’aspirer à un Éden où il n’y aurait pas de malheureux et où
régnerait la Justice, tout de leurs vertus lui échappait. Il les assimilait
à cette bourgeoisie aussi égoïste qu’obtuse, qui soit qu’elle feigne la
foi, soit qu’elle propage l’incrédulité, fomente, depuis cent ans et
davantage, cet abaissement des caractères, ce matérialisme bestial
par où notre époque mérite la définition qu’en donna un humoriste :
l’Age du Mufle.
Il ne percevait pas non plus le contraste entre ce peuple,
demeuré presque sain malgré l’alcool, le socialisme et le café-
concert, et cette soi-disant aristocratie qui ne se plaît qu’aux
rigaudons et aux fanfreluches, qui révère tout banquiste habile dans
l’art de la réclame, qui s’accouple aux Juifs, qui, parmi ses
gambades, inflige à Notre-Seigneur, l’outrage de prières
superstitieuses, sans humilité ni repentir sincère.
Bien plus, le fiévreux rêveur avait considéré, au cours de
récentes explorations à travers le faubourg Saint-Antoine, les taudis
ignobles où la Ville-Lumière entasse ses pauvres. Les tristes
femmes d’ouvriers traînant leurs guenilles devant des étalages de
nourritures nauséabondes, les enfants anémiques et livides qui
encombraient les trottoirs l’avaient fait frissonner. Mais se reprochant
ce mouvement de pitié tout instinctif, il tira du navrant spectacle la
conclusion que leur docilité cause leurs maux. Il conçut, un moment,
l’idée atroce de jeter la bombe sur ces infortunés pour les punir de
ce qu’il appelait leur obéissance servile aux préjugés que la
bourgeoisie leur inculquait, sous couleur d’ordre social.
Cette velléité démoniaque n’eut que la durée d’un éclair. Mais le
seul fait qu’il l’ait subie prouve à quel point ce déplorable produit des
hautes études républicaines avait perdu le sens même de
l’humanité.
Maintenant, redressé contre le parapet, il promenait autour de lui
des regards vides. Il ne voyait pas le fleuve roulant ses eaux, d’un
cours majestueux. C’est en vain que Paris se faisait, par hasard,
souriant. C’est en vain que le soleil se jouait, en reflets chatoyants
sur la façade enfumée des maisons. C’est en vain qu’une fine brume
mauve noyait les lointains et flottait, comme un rêve, autour de la
flèche de Notre-Dame aperçue par-delà les toits de l’île Saint-Louis.
Il n’appréciait pas le charme de ce paysage urbain. A force de vivre
muré en lui-même, ses sens s’étaient, pour ainsi dire, oblitérés. Rien
ne l’émouvait plus de la vie ambiante que les sensations
susceptibles d’accroître sa rancœur. Lorsque, d’aventure, l’idée fixe
du meurtre faisait relâche dans son cerveau gorgé d’images
funèbres, il pliait sous une mélancolie telle que l’on peut la comparer
à ces chapes de plomb qui accablent certains damnés dans un des
cercles de l’Enfer vu par Dante.
Ce jour-là, il se débattait contre une sourde envie d’éclater en
sanglots, qui lui labourait le cœur, tant sa tristesse devenait
intolérable. Puis le lugubre refrain reprenait, comme un glas
d’épouvante et de damnation :
— Qui frapperai-je ?…
Comme il se posait, pour la centième fois, la question, deux
ouvriers le bousculèrent qui discutaient si chaudement qu’ils
négligèrent de s’excuser. L’un, — c’était un menuisier barbu, habillé
de velours à côtes, — querellait l’autre, un plombier, vêtu de toile
bleue et qui portait en bandoulière une trousse pleine d’outils.
Le menuisier disait en brandissant sa varlope :
— Bougre d’empaillé, tu en es encore à croire que Legranpan
aime le peuple ! J’t’écoute qu’il l’aime… A peu près comme le
gargotier aime les poules dont il coupe le sifflet dans sa basse-cour.
Je te dis : Legranpan, c’est un bourgeois… pareil à tous les
bourgeois… Faudrait le descendre.
Au nom de Legranpan, Charles tressaillit comme si c’était là le
mot qu’il fallait pour fixer ses incertitudes. Machinalement, il se mit à
suivre les deux ouvriers et à prêter l’oreille aux propos qu’ils
échangeaient à tue-tête.
Le plombier répondit : — Comment ça, le descendre ? C’est-il
que tu voudrais qu’on l’estourbisse ?… J’en suis pas.
Et le menuisier : — Mais non, espèce de gourde, le descendre du
pouvoir. C’est ça que je veux t’introduire. Il y a assez longtemps qu’il
fait son beurre avec sa clique. Dans le temps, quand il écrivait ses
articles, il nous promettait la justice et des tas de profits pour le cas
où les radicaux décrocheraient la timbale du gouvernement. Ben,
v’là deux ans qu’ils la tiennent la timbale aux pots-de-vins et qu’est-
ce que nous y avons gagné, nous autres ? La peau ! Tâte mes
poches : les toiles se touchent. C’est-il pas vrai que les salaires
diminuent et que le tarif des vivres augmente ? Ma femme, elle dit
qu’il n’y a plus moyen d’approcher de la bidoche. Et tout le reste,
c’est comme ça…
— Tout de même, reprit le plombier, peut-être bien que
Legranpan fera voter les retraites ouvrières. Il l’a promis…
— Il l’a promis ! C’te bonne blague : bien sûr qu’il l’a promis. Les
bourgeois, c’est leur truc de promettre tout ce qu’on veut ! Demande-
leur la lune, ils te répondront : « Mon ami, on s’occupe de la
coloniser à votre bénéfice. » Pour tenir, ça fait deux… Mais rappelle-
toi donc ces fameuses retraites ouvrières, c’était avec la galette
ratiboisée aux congrégations qu’on devait remplir la caisse pour les
faire fonctionner. Ben, où qu’il est le milliard des congrégations ? Ne
manque pas de poches où il s’a englouti, mais c’est pas les nôtres.
Plus d’un pourrait dire où qu’il a passé. Colle-toi ça dans le
ciboulot, c’est que les gas chargés de rafler les picaillons des
moines et des bonnes sœurs, ils se sont dit : « Ça c’est de l’argent
liquide, et puisque c’est nous les liquidateurs, nous nous
l’appliquons. » Pour l’ouvrier, il se tape — comme toujours.
— C’est tout de même vrai, grogna le plombier, fallait ouvrir l’œil
à la manigance, on était averti. Je me rappelle que j’ai lu, dans le
temps, un article de la Libre Parole où Drumont prévenait les
ouvriers qu’ils seraient roulés par les radicaux à propos de cette
affaire du milliard. Drumont, c’est un sale calotin, tant que tu
voudras, mais, tout de même, il avait raison.
— Sans doute, mais ça se ramène à ce que je te disais tout à
l’heure. Puisque les radicaux se sont offert notre bobine et que c’est
Legranpan qui est leur grand moutardier, faut le supprimer. Trop
connu Legranpan, qu’on le fiche au rancart et passons à d’autres.
— Et qui ça ?
— Pardié, un ministère rien que de socialistes, qu’on voie un peu
ce qu’ils ont dans le ventre, ceux-là, depuis leur des années que
nous leur faisons la courte-échelle…
Charles n’en écouta pas plus long.
Laissant ces pauvres diables s’illusionner, une fois de plus, sur
les bienfaits qu’ils se promettaient de la mascarade socialiste, il
ralentit le pas, se disant :
— Ils voient juste ces simples. Supprimer Legranpan… ce serait
un acte d’une portée admirable. Oui, le supprimer, non pas le
« renvoyer à ses chères études » comme l’entend la niaiserie
plébéienne. Mais l’abolir d’une façon — effective !
Il fit de la main un geste coupant comme pour raser un obstacle,
tandis qu’un feu sombre s’allumait dans ses prunelles.
Il était arrivé sur la place de la Bastille.
La foule grouillait autour de lui ; les tramways et les omnibus
menaient tapage. Au sommet de cette colonne qui témoigne d’une
des plus remarquables duperies dont le peuple ait été la victime, le
Génie de la Liberté enlevait dans un rayon de soleil, sa silhouette
d’équilibriste romantique.
Charles ne voyait rien que son idée :
— Supprimer Legranpan, répéta-t-il en un ricanement farouche,
pulvériser ce scélérat, ses mensonges et ce qui lui reste
d’intelligence, projet grandiose !… — Or donc, à toi la bombe, César
de la radicaille ! Toi qui te vantes de mener tes séides à la baguette,
je vais t’apprendre ce que c’est qu’un homme libre.
Il fit volte-face et, piquant droit sur son domicile, se mit à courir le
long du boulevard Henri IV.
Son parti était pris.
CHAPITRE IX

Jamais le penchant que la démocratie éprouve pour les


médiocres n’a trouvé à se satisfaire aussi complètement qu’en
faveur de M. Félix Saurien, député de Loire et Garonne. Non
seulement cet homme d’État se montre incapable d’associer deux
idées touchant la cuisine intérieure ou la politique étrangère du
régime, mais il ne possède même pas ce bagout grâce auquel divers
favoris du corps électoral réussissent à dissimuler, sous un flot de
paroles redondantes, la misère de leur intelligence.
Soit que Saurien ait à couronner un bœuf dans quelque comice
agricole, soit qu’il lui faille soutenir un projet de loi sur une ligne
d’intérêt local, à la tribune, son manque d’éloquence se manifeste
par un bafouillage qui met à la torture les sténographes les plus
entraînés.
Renonçant donc aux longues palabres, il s’est composé une
attitude de penseur taciturne, ne lâche plus, en séance, dans les
couloirs ou dans les bureaux, que de creuses maximes empruntées
aux articles de fond des feuilles radicales et a fini par donner à la
plupart de ses collègues, aussi nuls que lui, l’impression d’une
capacité qui se réserve.
D’autre part, il a réussi à caser des membres de sa famille dans
toutes les sinécures que la République prodigue à ses rongeurs les
mieux endentés.
Il y a des Sauriens, fils, neveux, filleuls, cousins au trente-
neuvième degré, assis sur les ronds-de-cuir de tous les ministères,
et non pas comme gratte-papiers infimes, mais comme chefs de
division ou secrétaires particuliers. Des Sauriens maîtrisent les
requêtes, ouvrent leurs conduits auditifs au Conseil d’État. Des
Sauriens dorment debout à la Cour des Comptes. Des Sauriens
culminent dans les Tabacs. Des Sauriens déploient des parasols
tricolores chez les Annamites et les Malgaches. Des Sauriens
drainent les porte-monnaie des contribuables, au profit du Trésor, en
Bretagne et en Lorraine, en Provence et en Picardie. Des Sauriens
plastronnent, sous des feuillages d’argent, en des préfectures
comparables, pour les mœurs paisibles de leur population, à des
champignonnières.
Étayé par cette clientèle, qui chante ses mérites sur le mode
majeur, le chef de la tribu a formé le parti radical-restrictif où sont
entrés, avec enthousiasme, ces mous, ces muets, ces icoglans et
ces eunuques qui béent sur les banquettes gauches de la Chambre,
entre les grands braillards du socialisme et les solennels farceurs du
Centre.
Par ainsi, Saurien était devenu quelque chose faute de pouvoir
devenir quelqu’un. La bêtise propre aux parlementaires lui avait
conféré de l’influence de sorte que les cinq ou six malins qui mènent
la députasserie à la glandée étaient obligés de compter avec lui.
Lors des crises ministérielles, c’est lui d’abord que l’on consultait,
ses grognements sibyllins étant tenus pour des oracles. Même, à
plusieurs reprises, Marianne l’avait chaussé, en guise de savate —
le temps de se commander des brodequins plus décisifs. Ce qui
signifie qu’il lui arriva de présider le conseil des ministres. Bien
entendu l’on se hâtait de le remplacer dès qu’on avait soudoyé
quelque banquiste moins borné.
Trente ans avaient coulé depuis que Saurien bedonnait et
bredouillait dans les assemblées. Fidèle, parce que sursaturé de
faveurs, son comité lui façonnait des réélections triomphales —
manœuvre du reste aisée car on lui avait seriné, une fois pour
toutes, un discours élastique dont, par accoutumance, il crachotait,
sans trop de peine, les périodes, les jours où il sollicitait le
renouvellement de son mandat. Cette harangue, corroborée par des
palmes académiques, des pièces de cent sous et des futailles mises
en vidange au moment propice, lui maintenait une de ces majorités
imposantes que le suffrage universel réserve aux nullités dont il fait
ses délices.
Mais voici qu’un incident se produisit qui menaçait d’entraver la
carrière si glorieusement négative, de Saurien.
Les Chambres avaient soudain découvert qu’on ne payait pas
assez les services qu’elles rendent à la France, en lui fournissant
l’illusion d’être gouvernée. Elles estimaient qu’un sénateur et un
député ne peuvent vivre à moins de quinze mille francs par an. Car
enfin, il s’agit de raisonner équitablement : bourdonner dans le vide,
sommeiller au Palais-Bourbon ou au Luxembourg, tenir un bureau
de placement à l’usage des électeurs, encourager l’art en
chatouillant les figurantes des petits théâtres, en se faisant
dindonner par le corps de ballet de l’Opéra ou par les ingénues
sexagénaires de la Comédie, ce sont là des occupations qui exigent
de la dépense. Et puis tout augmente : les denrées et le tarif des
bulletins de vote. Qu’est-ce que deux louis quotidiens ? A peine le
strict nécessaire pour ces hommes dévoués qui, par amour du bien
public, consument leurs forces à élargir l’assiette de l’impôt. Et notez
que, moyennant une somme aussi minime, ces patriotes et ces
humanitaires s’engageaient à : 1o Traquer et dévaliser sans merci
les catholiques et leurs prêtres. 2o Combler l’armée de poudres
inoffensives et la marine de charbons incombustibles. 3o Taxer,
comme objets de luxe, les savons et les serviettes-éponges. 4o
Héberger, avec faste, le prince de Balkanie et les envoyés de la
République-sœur de Caracas. 5o Renouveler le trousseau de
maintes Aspasies nettement gouvernementales. 6o Assurer aux
anciens Présidents de la République, aux parlementaires
dégommés, à leurs femmes de ménage et aux hoirs d’icelles des
pensions et des retraites. 7o Sous couleur de finances, faire prendre
au populaire les vessies juives pour des lanternes magiques.
Ces travaux et d’autres encore, tels que la transmutation des
lingots de la Banque en papiers russes, valaient bien quinze mille
francs annuels.
Les Chambres en jugèrent ainsi de sorte que l’augmentation fut
votée, parmi des clameurs d’allégresse, en une seule séance qui
dura tout juste dix minutes.
Quelques députés esquissèrent bien une vague protestation.
Mais les hurlements faméliques de l’Extrême-Gauche leur coupèrent
la parole. L’un d’eux qui, par surcroît, portait, sans rougir, ce signe
d’infamie : le catholicisme, déclara qu’il distribuerait le surplus de
son indemnité aux pauvres de son arrondissement. Il fut hué, traité
de « vache » et de « sagouin » par les lieutenants du citoyen Jaurès,
rappelé à l’ordre par Brisson, président austère. On parla même de
le chasser de ce temple de la vertu qu’on appelle la Chambre ; une
si impudente sollicitude à l’égard des meurt-de-faim, devant être
qualifiée de tentative de corruption électorale.
Les quinze mille francs acquis, une ère de prospérité allait à coup
sûr commencer pour la France. — Mais, détail incompréhensible, un
certain nombre d’électeurs en jugèrent différemment et, entre autres,
ceux de Saurien.
L’éminente nullité s’était transvasée dans sa circonscription, soi-
disant aux fins de rendre compte de son mandat. La parade avait
lieu comme ceci : cependant que Saurien se pavanait, sur des
tréteaux garnis d’andrinople, parmi les délégués des Loges et les
membres de son comité, l’un de ses acolytes lisait un papier où il
était affirmé que le radicalisme ne cessait de servir le progrès en
promulguant, que, demain, sans faute, on mettrait à l’étude les
réformes propres à garantir honneurs et profits aux citoyens qui se
montreraient athées intrépides, pacifistes irréductibles et
propriétaires féroces. D’habitude, la séance se terminait par des
acclamations à la gloire du représentant et par un ordre du jour
dithyrambique où ses électeurs lui renouvelaient leur confiance.
Cette fois, il n’en alla pas de même. Dès le prologue de la
pasquinade, la salle retentit d’apostrophes incongrues et de cris
d’animaux. Le porte-paroles de Saurien ne parvint pas à se faire
entendre. Des gens aux poings brandis se dirigèrent vers l’estrade,
avec de telles invectives à la bouche, que le député, pris de panique,
se leva pour se dérober à la rude accolade dont on le menaçait. Il
gagna la porte sous une grêle de tomates, de poires blettes et
d’œufs gâtés et il s’enfuit poursuivi par cette clameur grosse de
catastrophes : « A bas les quinze mille ! »
Il fallut bien se rendre à la désolante évidence que
l’augmentation manquait de popularité. Le comité dut avouer à
Saurien que sa réélection serait fort compromise s’il n’inventait
quelque biais pour revenir sur cette première des grandes réformes
annoncées.
D’autant qu’un misérable médecin de campagne battait le pays
en se déclarant socialiste et versait sur le feu des indignations l’huile
de son éloquence anti-saurienne.
Il y avait là l’indice d’une candidature rivale.
De retour à Paris, Saurien s’empressa de provoquer une réunion
des radicaux-restrictifs. Il leur exposa ses déboires, abonda en
pronostics défavorables sur les prochaines élections, invoqua
l’intérêt supérieur de la République et insinua qu’il serait peut-être
prudent de revenir aux neuf mille francs périmés. Stimulé par le
danger, il réussit presque à prononcer trois phrases de suite.
Mais ses suggestions furent on ne peut plus mal accueillies. Des
rugissements, auprès de quoi les cris de ses électeurs n’étaient que
rossignolades et soupirs de flûte, ébranlèrent le plafond. Saurien plia
sous l’orage.
Sommé de disparaître, il donna sa démission de président du
groupe et s’éclipsa tandis que ses Collègues juraient de mourir
plutôt que d’abandonner leur butin. On flétrit Saurien dans un
manifeste où, par surcroît, il était expliqué au peuple que subsister
dans la capitale est impossible à qui ne se trouve point en mesure
d’égrener quinze mille francs le long des 365 jours de l’année.
Ainsi roulé dans la crotte, ahuri et navré, Saurien se demanda
que faire. Il songea un instant à quitter la vie politique. Mais, instruite
de cette velléité, la tribu saurienne se leva comme un seul homme,
et lui représenta que s’il se dérobait, tous ses suivants seraient
extirpés, comme des molaires pourries, des sinécures où ils avaient
pris racine. Or il se devait à sa famille, et à sa clientèle.
Alors Saurien se résolut à solliciter Legranpan.
Un matin de janvier, vers midi, celui-ci le reçut dans son cabinet
de la Place Beauvau. Saurien, les yeux embrumés de larmes et la
voix chevrotante, étala sa déconfiture. Et Legranpan s’amusait fort, à
part soi, à constater l’effondrement de ce cube de sottise qui, jadis,
au temps où lui-même gisait écrasé sous les ruines du Panama,
s’était montré l’un des plus ardents à jouer les Aliborons vertueux et
à s’écarter de lui comme s’il eût propagé la peste. Puis, parmi les
impersonnalités visqueuses qui obstruent les conduits du pouvoir,
Saurien avait été l’une des plus collantes. Legranpan se disait qu’à
cette heure, un vigoureux coup de pompe suffirait à le précipiter pour
jamais dans les abîmes méphitiques d’où il n’aurait jamais dû sortir.
Comme l’ex-cacique des radicaux-restrictifs s’appesantissait en
lourdes plaintes sur l’ingratitude de ses collègues et de ses
électeurs, le ministre l’interrompit :
— Oui, n’est-ce pas, dit-il, c’est dur de se voir charrier à la
poubelle par des imbéciles qui vous encensaient la veille ?… Je
connais ce revers. Vous vous rappelez, autrefois, quand on me
pourchassait comme malpropre, il y en eut qui se lavèrent les mains
et me vidèrent leur cuvette sur la tête.
Saurien fit semblant de ne pas comprendre l’allusion. Il essaya
de prendre la pose d’un Coriolan pour s’écrier :
— Puisque la France méconnaît mon dévouement, je veux la fuir.
Donnez-moi une ambassade. Je suis bien vieux, bien fatigué, mais
si je meurs à l’étranger, du moins ce sera en servant la République.
— Sublime, ricana Legranpan. Ingrate patrie, tu n’auras pas mes
os. Le mot est historique. Mais si je vous envoyais à Pétersbourg ou
à Vienne et que vous décédiez, qu’est-ce que les Russes ou les
Autrichiens pourraient faire de votre squelette, je vous le
demande ?… Des manches à couteau, et encore ! D’autre part, vous
n’êtes pas fichu de mener une négociation ni même d’appliquer de la

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