Dơnload Until Beckett. 1st Edition Sophia Nixs - Full Chapter
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latines, il eut un sursaut d’irritation. Des serpents s’agitèrent en lui,
tandis qu’un sombre éclat de rire retentissait au fond de son cœur.
Il se leva et demanda d’un ton sec :
— Eh bien, viendras-tu ?
— Certes ; si tu veux je t’accompagnerai tout de suite.
— Non, attends à demain. Chériat changera peut-être d’idée…
Je ne voudrais pas avoir l’air de l’influencer.
— Mais s’il persiste, dit Robert en lui posant la main sur le bras et
en le regardant bien en face, me laisseras-tu lui amener un prêtre ?
— Un prêtre !…
Charles hésita : son horreur de la soutane le portait à refuser.
Mais il réfléchit qu’une concession prouverait de la tolérance. Il
haussa les épaules comme pour affirmer que ce détail lui importait
peu et déclara :
— Si Chériat le désire, flanque-toi d’un prêtre. Seulement, tu me
préviendras. Je ne tiens pas à être témoin de…
Il allait dire : de ces simagrées mais il se reprit :
— De l’entrevue… Ainsi, à demain, dès que tu seras libre, et au
revoir.
Il avait hâte de s’esquiver, se courrouçant à la pensée que, mû
par un désir d’effusion, qu’il taxait maintenant de lâcheté, il avait failli
révéler son tourment à ce Robert, adepte de ce qu’il considérait
comme une basse superstition.
Abry n’essaya point de le retenir : ce n’était pas la première fois
que Charles lui donnait le spectacle de ses revirements. Mais il eut
l’intuition que leur colloque n’en resterait pas là.
En effet, Charles avait déjà franchi le seuil, lorsque, se
retournant, il surprit tant de sollicitude apitoyée dans le regard de
son ami que sa superbe dut fléchir. Cédant à une de ces détentes
d’âme, qui lui étaient coutumières auprès d’Abry, il revint sur ses pas
et s’écria :
— Je suis affreusement malheureux !
— Oh ! mon pauvre, dit l’autre en lui pressant les mains et en le
faisant rasseoir, crois-tu donc que je ne m’en suis pas aperçu ?…
Que je voudrais, Dieu aidant, te consoler un peu. Je ne suis pas bon
à grand’chose mais enfin je t’aime et je ne demande qu’à t’être utile.
— Je le sais, répondit Charles qui s’attendrissait, mais si je te
confie mes peines, je crains que tu ne te mettes à me réciter ton
catéchisme ou ton Évangile ou tout autre de tes bouquins
ascétiques… Or, j’ai besoin, comprends-tu, de paroles vivantes et
non de textes arides.
— Ah ! très cher, tu ignores — et ce n’est pas de ta faute — que
les plus vivantes des paroles sont contenues dans cet Évangile que
tu redoutes… Mais, poursuivit Robert avec un rire amical, rassure-
toi, je ne t’alléguerai aucun de mes bouquins, comme tu dis. Nous
causerons de cœur à cœur et puissé-je panser tes blessures.
Charles ne savait de quelle façon commencer. Une impulsion
irrésistible venait de lui faire crier sa souffrance. Pourtant, quoiqu’il il
y eût là une affection toute fervente qui ne demandait qu’à se
manifester, il hésitait de nouveau. Ses incertitudes recommençaient
à le lanciner. Il voulait étaler sa détresse. Et d’autre part, son orgueil
lui insinuait qu’il était plus viril de celer en lui, comme un cercueil
sous la pierre d’une tombe, les songeries funèbres où il s’était perdu.
Puis il redoutait d’aller trop loin dans ses confidences et, à aucun
prix, il n’entendait révéler à Robert le dénouement lugubre qu’il
méditait de donner à la tragédie dont il était le théâtre.
Le biais qu’il prit pour solliciter un conseil, sans s’ouvrir tout à fait,
fut le suivant.
— Pourquoi donc, demanda-t-il, es-tu si calme et sembles-tu si
heureux ? Tu es pauvre, seul dans l’existence et tu n’as jamais
connu ces joies sensuelles qui procurent, à ce que certains
prétendent, l’oubli de ce monde stupide où, sous le nom d’hommes,
se démènent tant de bêtes cauteleuses ou féroces. Faut-il t’envier
ou te plaindre ?
Es-tu un privilégié dont l’intelligence plane tellement au-dessus
des cloaques où barbotent nos contemporains que leurs cris de rage
et leurs grognements de volupté n’arrivent pas jusqu’à lui ? Es-tu un
incomplet de qui la foi émoussa définitivement les sensations ?
Robert fut d’abord un peu dérouté par ces questions. Mais il
comprit vite que si Charles les lui posait, c’était parce qu’il ne pouvait
concevoir la sérénité d’un chrétien, et surtout parce que, sans qu’il
se l’avouât, son âme fiévreuse cherchait un refuge où déposer ses
inquiétudes.
La réponse était aisée à faire.
— Comme toi, comme tous, dit le catholique, je suis fils de la
chute et je porte le fardeau du péché originel. Comme toi, comme
tous, je suis tenté constamment et je céderais à mes passions si je
n’avais appris à me vaincre.
— Mais, reprit âprement Charles, ce que tu nommes tes
passions, ce sont tes penchants les plus irrésistibles. Tu les dois à la
nature : en les combattant, c’est elle que, par une aberration puérile,
tu tentes d’abolir.
— Je n’essaie pas d’abolir la nature. Dieu nous voulut tels que
nous sommes. Mais il a voulu aussi que nous soyons libres de nous
racheter par la foi dans une destinée supérieure à celle que semble
nous désigner la nature telle que, laissée à elle-même, elle agit sur
la terre. Vois-le ce Dieu, là, sur cette croix. Il nous ouvre ses bras
tout grands et il nous demande de nous hausser jusqu’à la plaie
adorable de son cœur… Si c’est un privilège, tout homme de bon
vouloir peut l’acquérir.
Une conviction ardente rayonnait de ces paroles qui furent
d’ailleurs prononcées très simplement ; Charles en fut presque sur le
point de reconnaître que les sophismes de la raison humaine étaient
fort peu de chose en regard des certitudes formulées par la foi. Mais
son amour-propre n’admettait pas une défaite aussi rapide. Se
raidissant pour dissimuler le défaut de sa cuirasse, il demanda :
— Qu’est-ce qu’un homme de bon vouloir ?
— Celui qui dompte l’orgueil, principe de tous les péchés.
— Et comment le dompter ?
— Par la prière.
— Et qu’est-ce que la prière ?
— C’est à la fois un acte d’humilité, l’aveu que nous ne pouvons
réduire la nature sans le secours d’En-Haut et un appel à ce
secours.
— Encore, pour prier, repartit Charles, faut-il croire au surnaturel.
Je n’y crois pas.
Robert soupira :
— Tu n’y crois pas et c’est, hélas, ton malheur. Pourtant il nous
enveloppe de toutes parts. Qui l’écarte comme divin tombe
cependant sous son joug ; mais alors c’est qu’il est diabolique.
L’orgueil s’empare de l’incroyant ; il s’imagine qu’il se suffit à lui-
même ; il s’estime supérieur au commun des hommes ; il se targue
de sa fière solitude pour les mépriser et bientôt les haïr. Il pèche
contre le précepte de Notre-Seigneur : Tu aimeras ton prochain
comme toi-même.
— Ainsi, dit Charles avec amertume, il faudrait s’humilier, aux
pieds d’une Divinité incompréhensible ; il faudrait ensuite aimer tous
ces gredins et tous ces imbéciles qui peuplent l’univers pour vivre
heureux ? Jamais je n’admettrai cela. Je veux les frapper…
Il s’interrompit et se prit à rêver. Maintenant il s’étonnait d’avoir
supposé qu’une intelligence asservie à la religion comme celle de
Robert pourrait lui donner un conseil efficace. C’est un bon garçon,
pensa-t-il, mais les prêtres l’ont chaponné. J’étais par trop naïf,
espérant de lui autre chose que des maximes de lâcheté. Mais je ne
retomberai plus dans mon erreur. Ni Robert ni personne ne
connaîtra mon secret… L’homme le plus libre est celui qui est le plus
seul : Ibsen a raison.
Il se redressa. Un orgueil sauvage lui durcissait la face. Il se revit
jetant la bombe et criant sa joie de faire souffrir l’humanité. La
révolte se peignit, si formidable, dans ses yeux et dans toute son
attitude que Robert épouvanté recula.
— Nul autel, s’écria-t-il, ne me verra m’agenouiller.
J’ai pris conscience de ma force dans cet orgueil que tu
réprouves. Ton Dieu et ton diable je les laisse aux âmes d’esclaves
que leurs instincts effraient. Les hommes m’ont meurtri ; je leur
rendrai au décuple le mal qu’ils me firent. Oui, puisque la nature a
voulu que le règne de l’humanité ce soit le règne de la bête, je serai
une bête farouche et splendide et malheur à qui se mettra en travers
de mon chemin. En avant !…
Il dit et s’élança dehors sans regarder son ami.
Seigneur, Seigneur, murmura Robert en écoutant le bruit de ses
pas décroître dans l’escalier, venez à son aide. N’induisez pas en
tentation cette pauvre âme si malade. Ayez pitié de lui !
Il se prosterna devant le Crucifix et se mit en prière.
Dans la rue, Charles allait d’une marche inégale. Tantôt il courait
presque, tantôt il ralentissait pour considérer le ciel où des nuées
fuligineuses, que chassait le vent d’hiver, galopaient, semblables aux
songes d’un fiévreux. Quelques étoiles, qui scintillaient faiblement çà
et là, lui parurent les rires ironiques de l’infini nocturne. Il les détesta
puis ramenant ses regards sur les affairés qui encombraient les
trottoirs, sur les tramways bondés qui suivaient la chaussée, il se
dit :
— Un geste, un geste de ma main et tous ces misérables
hurleront de douleur…
Il repartit au hasard, enfilant des ruelles, arpentant des avenues,
franchissant des ponts, traversant des esplanades désertes,
coudoyant la foule, sur des boulevards pleins de rumeurs et de
lumières. A un moment il pensa qu’il avait bien fait de jeter à l’égout
le projectile à système d’amorce et il résolut de fabriquer une bombe
à renversement. Puis toute formule précise s’effaça de son cerveau.
Il lui parut que son âme se résolvait en une brume rougeâtre où
brillait, seule, comme un phare aux mornes clartés, l’idée fixe du
meurtre.
Il allait, il allait parmi les ombres et les prestiges de la ville. Ainsi
dut errer Caïn la nuit qui précéda le fratricide…
CHAPITRE VIII