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MFG FR Publications Diverses Microfinance Et Finance Informelle 2002

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FINANCE INFORMELLE ET SYSTÈMES FINANCIERS

L’évolution de la finance informelle et ses conséquences sur


l’évolution des systèmes financiers

Michel Lelart (Directeur de recherche émérite au CNRS, Université d’Orléans)

T ous les pays, même les plus industrialisés, ont


connu autrefois, il y a quelques générations ou
plusieurs siècles, des pratiques traditionnelles
d’épargne et de crédit comme celles que l’on observe
aujourd’hui dans les pays africains et dans la plupart
– Une première constatation concerne l’extrême
diversité de ces pratiques. A côté des prêteurs
professionnels, des marchands et des commerçants,
de la famille et des amis, on sait qu’il existe dans
certains pays en développement des gardes-monnaie
des pays en développement. Les modalités ont été et des tontiniers, et qu’à côté de ces pratiques
sans doute ici ou là un peu différentes, mais la finance individuelles, il existe dans la plupart d’entre eux des
que l’on appelle aujourd’hui informelle a préexisté pratiques collectives, constituées surtout par les
partout. Et cependant il n’y a pas vingt ans que l’on a tontines, qui peuvent être pratiquées différemment
pris conscience de l’intérêt et de l’importance de ce dans une même région, et même d’un groupe à l’autre
phénomène. Il y avait bien eu quelques histoires de (Bouman, 1995). Tout cela constitue un ensemble fort
tontines ou quelques critiques des pratiques usuraires. disparate qui ne doit son unité qu’à la proximité des
Il y a bien eu en 1970 le célèbre rapport sur l’emploi au relations entre les débiteurs et les créanciers. Ce sont
Kenya publié par le BIT qui parle de « secteur informel toujours des relations personnelles entre des agents
». Mais l’analyse de ces pratiques ne viendra qu’avec qui se connaissent très bien et qui sont en relations
l’enquête menée au Niger par l’USAID et l’Université habituelles pour d’autres raisons, économiques ou
d’Etat de l’Ohio en 1986 (Graham et alii, 1987), avec le sociales. Toutes les observations effectuées soulignent
Rapport sur le développement de la Banque mondiale l’importance de la confiance et de la solidarité.
qui en 1989 consacre un chapitre au système financier
informel (Banque mondiale, 1989, pp. 134-144), avec – Une seconde constatation concerne l’aspect
la série d’études effectuées pour le Centre de Dévelop- financier de ces pratiques qui, quoique très éloignées
pement de l’OCDE qui en a publié la synthèse en 1991 de celles dont nous avons l’habitude, caractérisent
(Germidis et alii, 1991), enfin, avec le lancement d’un néanmoins une forme originale – et parfois
programme de recherche sur les circuits parallèles de sophistiquée – de finance. L’activité des tontines et
financement au sein du Réseau Entrepreneuriat de l’U- des tontiniers, notamment, fait naître un faisceau de
niversité des Réseaux d’Expression Française (UREF), créances et de dettes dans lesquelles on peut voir de
devenue l’Agence Universitaire de la Francophonie. véritables produits financiers. On peut donc
considérer qu’il s’agit là d’une véritable intermédiation
Les travaux qui se sont multipliés depuis quinze ans financière, dans laquelle les coûts de transaction sont
pour mieux comprendre ces pratiques ont permis de réduits, les risques moins grands, l’information plus
faire un certain nombre de constatations, parmi « symétrique » . L’observation peut étonner
lesquelles trois sont essentielles : aujourd’hui. Mais il n’y a pas si longtemps que le

1 En introduction à l’ouvrage qu’ils ont dirigé et qui est bien connu, D. Adams et D. Fitchett (1994, pp. 17-36) décrivent dix types de
finance informelle. Leur liste n’est pas exhaustive puisque, par exemple, ils ne parlent pas des tontiniers.
2 Cf. par exemple, pour les tontines, C. Mayoukou (1994) et J.D. von Pischke (1994).

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MICHEL LELART

système financier informel est opposé au système – Pour les tenants du dualisme financier, la finance
financier formel et que le concept de finance informelle fait partie du secteur informel, elle permet
informelle s’est vulgarisé. de financer l’activité informelle. Les sociétés en
développement ne se définissent-elles pas par la
– Une troisième constatation concerne l’efficacité du coexistence d’un secteur moderne et d’un secteur
secteur financier informel. D’une part, parce qu’elle informel ? Il en est pour la finance comme pour
repose sur des relations de proximité, la finance l’économie réelle. L’unification ne peut alors se faire
informelle se pratique en circuit fermé, entre les que d’une façon très progressive, extrêmement lente,
personnes qui se connaissent et qui se rencontrent et certainement pas par des réformes ponctuelles et
régulièrement. L’argent ne peut circuler qu’au sein de brutales. Il faut alors respecter les relations entre les
groupes relativement restreints. L’allocation des deux systèmes. C’est le processus ou la stratégie
ressources n’est donc pas optimale. D’autre part, il y a d’articulation. Il arrive en effet que les prêteurs
peu d’accumulation car les créances et les dettes individuels empruntent aux banques ou que les
s’éteignent rapidement. L’argent prêté l’est toujours à tontiniers déposent auprès d’elles une partie de
court terme, la durée n’est jamais au cœur de ces l’argent collecté. Il arrive même que les fonds d’une
opérations qui sont dénouées rapidement. Dans ces tontine, au moins une partie, soient déposés dans une
conditions, la finance informelle contribue certes au banque, voire que les banques prêtent à une tontine
financement de l’activité économique, en particulier ou à certains de ses membres avec la garantie du
au sein des familles et des micro-entreprises, et elle le groupe. De tels cas ne sont pas isolés. Ils ont été
fait efficacement, mais elle n’y contribue que observés un peu partout, en Afrique comme en Asie,
faiblement, pour des montants limités et pour des où ils sont même parfois encouragés par les autorités
durées courtes. (Seibel et Parhusip, 1994).

Dès lors, la question s’est posée de déterminer ce que C’est pourquoi cette stratégie d’articulation semble
l’on fait de cette finance informelle. Et comment faut-il aujourd’hui beaucoup plus réaliste, d’autant plus
la traiter. Mais pour cela il faut savoir d’où elle vient, qu’elle peut s’accompagner d’une double incitation :
comment elle s’explique. Et on sait qu’à cet égard à la fois pour que les banques fassent l’effort de s’ouvrir
deux thèses se sont opposées et s’opposent toujours. à une clientèle moins aisée et de leur offrir des services
vraiment adaptés, et pour que des initiatives
– Pour les tenants de la répression financière, la judicieuses introduisent des innovations dans la
finance informelle se développe parce que les finance informelle et la rendent plus attractive pour des
banques sont contraintes au niveau de leurs opérations populations plus avisées ou plus exigeantes. On peut
(plafonnement des taux d’intérêt, encadrement du dire que cela conduirait à renforcer la concurrence
crédit, réserves obligatoires, limitation d’accès…). Il entre les deux systèmes, en même temps qu’ils
faut donc libérer leur activité dans le cadre d’une développeraient leur complémentarité. On est bien
réfor me fin an cière visant à am élio rer l e s loin d’une opposition, apparemment irréductible,
performances du secteur financier formel… qui entre les théoriciens de la répression et ceux du
pourrait ainsi absorber le secteur financier informel. dualisme. On a même pu considérer l’articulation
C’est un processus ou une stratégie d’intégration. Elle entre les deux secteurs comme le moyen de réaliser
se justifie difficilement. On peut certes trouver un l’intégration à long terme, et ainsi de la faire apparaître
intérêt à un programme de libéralisation financière, comme « un premier pas » vers l’objectif d’un secteur
mais on voit mal comment des taux d’intérêt plus financier homogène (Germidis et alii, 1991). C’est ce
élevés suffiraient pour amener l’épargne informelle – que ces auteurs appellent « l’intégration douce ».
qui est informelle depuis toujours – dans des banques
qui sont parfois des filiales de banques étrangères ! On Mais est-ce vraiment là l’objectif vers lequel nous
a suffisamment opposé les comportements dans ces devons tendre ? Et est-ce la voie qui est suivie depuis
deux secteurs pour ne pas accorder trop de crédit à une douzaine d’années ? La réponse semble
une stratégie aussi peu réaliste. aujourd’hui évidente : elle est négative, parce que la
finance informelle a évolué vers la micro-finance.

1 C’est ce que H.D Seibel (1996) a appelé la stratégie de l’adaptation (des banques) ou de la modernisation (du secteur informel). L’auteur
distingue aussi une stratégie d’innovation qui consiste à créer de nouveaux organismes locaux pour répondre aux besoins de
financement.

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extérieurs dépassent leurs engagements extérieurs


L’émergence de la micro-finance régulièrement depuis 1994. L’excédent de leurs
dépôts est donc prêté à l’étranger ! Pendant ce temps,
De même que le concept de finance informelle a
les populations locales manquent de crédits pour
émergé pendant les années 80, le concept de
développer des activités qui sont souvent de nature
micro-finance a émergé pendant la décennie suivante.
informelle certes, mais qui sont génératrices de
Avant de comparer les deux concepts et de montrer ce
revenu. N’est-ce pas par elles que l’on a le plus de
qui les différencie, essayons d’expliquer cette
chances de réduire la pauvreté alors qu’il reste tant à
évolution. Plusieurs facteurs sont intervenus.
faire dans la plupart des pays, alors que les institutions
internationales prennent conscience du problème…
– Ce sont les limites du recours au financement et alors que la lutte contre la pauvreté devient le mot
extérieur, et l’endettement excessif des Etats qui se d’ordre des bailleurs de fonds .
sont financés en empruntant à l’étranger dès les
années 85, et surtout de plus en plus. Dans la Zone – C’est enfin la capacité d’innovation du secteur
franc par exemple, à la veille de la dévaluation décidée informel. Celle-ci s’est d’abord manifestée avec la
en janvier 1994, la dette extérieure atteignait 36 création de la Grameen Bank au Bangladesh en 1976.
milliards de dollars et les arriérés correspondants 10 De petits crédits sont accordés à des groupes de
milliards. Il était impératif que les pays se financent femmes pauvres pour développer des activités
davantage par eux-mêmes et que l’épargne intérieure génératrices de revenu. Accordés pour un an, au taux
prenne peu à peu le relais de l’épargne étrangère. de 20%, ils commencent à être remboursés dès la
Celle-ci s’est en même temps déplacée, l’aide deuxième semaine. On sait combien l’expérience a
internationale privilégiant la proximité et s’orientant réussi. D’une part 98% des crédits sont remboursés…
de plus en plus vers les organisations non parce que la formule repose sur un groupe qui s’est
gouvernementales (ONG), nombreuses dans les pays constitué au départ et qui va littéralement « vivre »
africains, et dont un bon nombre sont des antennes jusqu’au remboursement. En cela elle applique au
d’ONG internationales. crédit bancaire un mécanisme pratiqué depuis
toujours dans la finance informelle, notamment dans
– Ce sont les limites du secteur public, à la fois des les tontines!. D’autre part, la formule a été reprise un
entreprises et des banques. La plupart des entreprises peu partout, et au Nord comme au Sud. Elle a donc été
publiques africaines ont été privatisées, non seulement copiée ou couramment adaptée dans la plupart des
parce qu’elles étaient peu ou non rentables, mais parce pays africains où la finance informelle est en
que les pays prenaient conscience du rôle moteur que permanence un champ privilégié pour les innovations.
devaient avoir les entreprises privées dans le processus
de développement, en particulier les plus petites. Les
En définitive, l’émergence de la micro-finance est une
micro-entreprises, comme les petites et les moyennes,
manifestation de la vitalité de la finance informelle, et
se voient maintenant reconnaître comme des acteurs
elle s’est enracinée dans trois évolutions : le
essentiels du développement. De même les banques
financement extérieur auquel on a préféré le
publiques, qui étaient le plus souvent des banques
financement local, le secteur public auquel on a
nationales de développement finançant de grands
préféré le secteur privé, l’épargne à laquelle on a
projets, ont vu leur efficacité mise en doute et ont été,
préféré le crédit. Ce faisant elle a fait apparaître deux
dans la plupart des pays, purement et simplement
changements majeurs.
liquidées.
– C’est l’apparition, ou du moins le développement,
– C’est l’insuffisante mobilisation de l’épargne
d’institutions. Alors que la finance informelle recouvre
nationale. Dans la plupart des pays africains, ce n’est
plutôt un ensemble de pratiques mettant en présence
pas le volume de l’épargne qui pose problème, c’est
des personnes, deux ou un plus grand nombre, la
son affectation. Les banques commerciales disposent
micro-finance s’est institutionnalisée. Ne parle-t-on pas
souvent de liquidités abondantes, et dans les pays de
couramment d’institutions de micro-finance (les IMF) ?
l’Union économique et monétaire ouest africaine
(UEMOA) et de la Communauté économique et
– C’est l’importance accordée au crédit. Alors que la
monétaire d’Afrique centrale (CEMAC) leurs avoirs
finance informelle recouvre plutôt des pratiques

2 Dans la Zone franc, l’incidence de la pauvreté monétaire varie de 30 à 70% et 10 à 30% des individus seraient dans une situation
d’extrême pauvreté. De plus, les conditions de vie des ménages et leurs potentialités de création de revenu s’améliorent peu (Zone
Franc, 1999, pp. 52-55).
3 J. Morduch (1999) montre bien comme la Grameen Bank est proche des associations rotatives d’épargne et de crédit (les tontines).

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MICHEL LELART

d’épargne – les tontines par exemple sont considérées ou d’une nouvelle activité. C’est pourquoi le micro-
davantage comme une incitation efficace à épargner crédit est souvent considéré comme un moyen de
que comme un moyen d’obtenir du crédit – la lutter contre la pauvreté et qu’il intéresse la Banque
micro-finance concerne principalement le crédit. Ne m o n dia l e e t l e s b a n q u e s r é gio n a l e s d e
parle-t-on pas couramment du micro-crédit ? développement$.

Ces deux changements vont bouleverser complètement – Enfin, les emprunteurs n’ont guère de garantie
le paysage financier africain. Autrefois les secteurs personnelle à offrir. Mais comme les candidats sont
formel et informel dominaient. Il y avait bien entre les nombreux dans chaque quartier ou chaque village, ils
deux les coopératives, les mutuelles d’épargne et de se connaissent, et la solidarité africaine agissant, ils se
crédit, inspirées du modèle occidental, mais qui ne constituent en groupes restreints au sein desquels
s’étaient développées que faiblement dans la plupart chacun s’engage pour les autres. C’est ainsi que les
des pays africains, et elles étaient considérées plutôt taux de remboursement voisinent les 100%.
comme constituant un secteur semi-formel". Ces
nouvelles institutions de micro-finance doivent Le micro-crédit est facile à définir parce qu’il prend
s’insérer dans la nomenclature des institutions plutôt en compte le débiteur. La micro-finance
financières, ce qui détermine en même temps la soulève plus de difficultés parce qu’elle prend aussi
réglementation qui leur est appliquée. en compte le créancier et parce que le créancier est
souvent une institution. Mais les institutions
financières autres que les banques sont nombreuses
dans la plupart des pays, elles ne font pas toutes de la
Les institutions de micro-finance dans le micro-finance et celles qui en font n’en font pas toutes
paysage financier de la même façon. On a l’habitude de distinguer
quatre catégories d’institutions.
La micro-finance est maintenant bien connue, et
même si chaque auteur est tenté de la définir à sa – Ce sont les mutuelles d’épargne et de crédit, créées à
façon, et même si on fait plus souvent référence au partir d’un modèle bien connu imaginé il y a plus d’un
micro-crédit, on peut admettre un certain nombre de siècle en Europe et au Canada pour lutter contre
caractéristiques, dont la première est une question de l’usure et proposer aux paysans des crédits à des taux
taille, comme le nom lui-même l’indique. convenables. Elles se sont implantées en Afrique
beaucoup plus tardivement, mais elles collectent
– Il s’agit d’un petit crédit, d’un montant peu élevé, davantage d’épargne qu’elles n’accordent de crédits.
sensiblement inférieur au crédit qu’une entreprise ou
un ménage peut solliciter d’une banque. La Banque – Ce sont les caisses villageoises créées au niveau des
mondiale retient un plafond de 30% du PNB par villages à partir des besoins, des habitudes et des idées
habitant, ce qui représente, dans un pays africain, à des populations locales. Elles sont autogérées, elles
peu près 100.000 FCFA ou 150 euros. n’adoptent pas le schéma des coopératives et elles ne
s’organisent pas en réseau. Elles équilibrent davantage
– Ce crédit est donc sollicité par des personnes dont le la collecte de l’épargne et l’octroi de crédits.
revenu est relativement bas. Ce sont souvent des
femmes. Les chiffres ci-dessus étant déterminés par – Ce sont les expériences de crédit direct ou les
rapport à un PIB moyen au niveau du pays, le montant programmes d’appui au micro-crédit qui sont
peut être inférieur au niveau d’un débiteur donné. généralement financés par des organisations étrangères
C’est bien pourquoi le micro-crédit est considéré et gérées par des ONG locales. Ils ne lient pas le crédit
comme un crédit pour les pauvres#. à l’épargne, mais ils cherchent souvent à susciter une
épargne locale qui prenne peu à peu le relais de l’aide
– Il peut être demandé pour différents mobiles, mais il extérieure.
l’est principalement pour développer « une activité
génératrice de revenu », qu’il s’agisse d’une ancienne

4 Mais dans certains pays, elles sont considérées comme faisant partie du secteur formel, dans d’autres du secteur informel. Le Rapport du
Centre de Développement de l’OCDE, par exemple, qui est la synthèse d’études menées dans une douzaine de pays, n’a pas de position
claire à leur égard. (Germidis et alii, 1991, pp. 17, 49, 89 )
5 Cf.. le titre d’un autre ouvrage publié par le Centre de Développement de l’OCDE et dirigé par H. Schneider (1997).
6 Ainsi que les pays du Nord, comme on a pu le constater au sommet mondial du micro-crédit, organisé à Washington en février 1997 sous
le patronage de Bill Clinton et auquel son épouse a participé.

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FINANCE INFORMELLE ET SYSTÈMES FINANCIERS

– Ce sont enfin les projets à volet crédit, financés et


gérés comme les précédents, mais dont l’activité Les institutions de micro-finance face à
principale est toute autre. Cette fois l’octroi d’un la réglementation
crédit vient en complément d’une action en faveur des
petites entreprises, de groupes d’artisans ou de La diversité du paysage financier, et notamment des
femmes… ou dans le domaine de la formation, de la secteurs informel et semi-formel, a rendu nécessaire
gestion, de la santé… l’élaboration d’une loi qui fixe un cadre à l’activité de
toutes ces institutions. Cela a été fait dans l’UEMOA
Il est bien évident que ces institutions ou ces avec la loi PARMEC (Lelart, 1996). Mais cette loi
expériences ne sont pas toutes impliquées également concerne principalement, comme son nom l’indique,
dans la micro-finance. Elles accordent toutes des crédits, les mutuelles d’épargne et de crédit. Elle a été préparée
mais qui ne correspondent pas forcément aux par des experts de la Société de développement
micro-crédits que nous avons définis. De plus, aucun international Desjardins qui se sont naturellement
groupe n’est vraiment homogène%, chacun rassemble référés en priorité au modèle des Caisses Desjardins
des institutions qui peuvent être très différentes par du Québec : la loi définit les institutions qu’elle
leur origine, leur taille, leur but, leur financement, les concerne en se référant aux principes de la mutualité
modalités de leur fonctionnement… Enfin, il arrive (une personne, une voix…) et à l’existence d’un « lien
que des institutions modifient leur statut et qu’elles se commun » entre les membres ; les décrets d’application
transforment, parfois même en banques traditionnelles. prévoient que l’Assemblée générale est souveraine et
C’est dire que le monde de la micro-finance est difficile à qu’elle désigne un Conseil d’Administration, un
appréhender avec précision. Conseil de Surveillance, un Comité de crédits ; les
institutions de base peuvent s’affilier à des institutions
Il l’est d’autant plus que les institutions dont nous faîtières, s’organiser en réseau – comme toutes les
venons de parler n’ont pas le monopole du mutuelles – et se doter d’un organe financier ; enfin,
micro-crédit. Les tontines sont l’occasion pour les les règles prudentielles qui doivent être respectées
participants de s’accorder mutuellement du crédit, et sont d’abord orientées vers la protection de l’épargne
hormis le cas des Bamilékés au Cameroun, on peut et la sécurité des déposants.
parler chaque fois de micro-crédit. De même, les
tontiniers remboursent maintenant plus qu’ils Cette loi, qui sert de modèle à la réglementation
n’ont reçu, ils méritent vraiment leur appellation de élaborée dans les pays de la CEMAC, devrait permettre
« banquiers ambulants »&. Et entre les tontines et les d’encadrer tout le secteur de la micro-finance,
projets à vocation financière, combien d’associations puisqu’il englobe maintenant un nombre croissant
de village ou de clubs de femmes profitent de leurs d’institutions et que celles-ci, en privilégiant l’octroi
échanges pour se prêter en cas de besoin ? La de crédits, encourent des risques qu’il convient de
micro-finance est encore loin d’être totalement maîtriser par une réglementation adaptée. On peut,
institutionnalisée. De même que toutes les en effet, considérer que cette loi « a fait passer la
institutions financières ne font pas du micro-crédit, de micro-finance du statut de projets de développement
même tout le micro-crédit n’est pas fait par des et de pratiques informelles au bénéfice des pauvres à
institutions financières. Ainsi la micro-finance celui d’institutions à professionnaliser et à
rejoint-elle la finance informelle. Et comme dans autonomiser financièrement » (Humbert, 2001). On
certains pays, au Bénin par exemple, des banques peut à l’inverse considérer que cette nouvelle loi n’est
commerciales commencent à faire du micro-crédit, la pas adaptée à la micro-finance, mais que ses initiateurs
micro-finance se situe un peu partout dans le paysage ont voulu que tous les programmes d’épargne et de
financier africain'. crédit d’une certaine taille adoptent la structure
mutualiste qu’eux-mêmes préféraient parce qu’ils la
connaissaient mieux (Webster et Fidler, 1995, p. 331).

7 Même les mutuelles d’épargne et de crédit appartiennent à plusieurs familles qui constituent autant de modèles. On en distingue trois
habituellement dans les pays du Nord : les Caisses Raiffeisen en Allemagne, les Caisses Desjardins au Canada, le Crédit Mutuel en
France (M. Lancelin, 2001).
8 Sur une conception ainsi élargie du micro-crédit, cf. F. Vincent (1999).
9 Ce qui confirme l’idée que les deux secteurs financiers ne sont pas nettement distincts, mais qu’ils constituent un « continuum » de
positions en termes de formalité. Cf. P.B. Ghate (1990) et M. Labie (1999, pp. 30-31).
10 Programme d’appui à la réglementation des mutuelles d’épargne et de crédit.

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La loi qui impose aux institutions mutualistes de pertinente qu’à peine adoptée, la loi PARMEC a dû
demander leur agrément permet à des groupements être modifiée. Le taux d’usure est désormais fixé par le
mutualistes d’épargne et de crédit de demander Conseil des Ministres – il peut donc être modifié en
seulement leur reconnaissance, ce qui est pour eux fonction des circonstances ou des besoins – et il est
plus facile. Les autres structures devraient être différent pour les « systèmes financiers décentralisés »
soumises aux lois bancaires nationales… mais elles et pour les banques et établissements financiers .
peuvent demander à signer une convention avec le
Ministre, ce qui constitue une procédure plus légère Dans l’Afrique de l’Ouest, la loi sur les mutuelles n’est
encore que la précédente. Bien que cette troisième pas vraiment adaptée à la micro-finance!. Elle est
catégorie ne soit pas définie, on peut penser qu’elle pourtant une loi « excluante » ou « habilitante », en ce
concerne la plupart des institutions non mutualistes sens qu’elle interdit toute activité d’épargne et de
de micro-finance, qu’il s’agisse des programmes crédit à une institution non agréée, ou non reconnue,
d’appui aux micro-entreprises ou des expériences de ou qui n’a pas signé de convention. Le risque est donc
crédit solidaire inspirées de la Grameen Bank. Cette grand qu’un certain nombre d’institutions restent en
formule de convention prévoit une procédure de dehors de ce cadre légal et ne viennent grossir le
demande simplifiée, et les règles prudentielles sont secteur informel. Ce serait un résultat contraire à celui
adaptées : par exemple, les limites imposées au regard attendu… Il vaut mieux attendre – et espérer – un
des ressources disponibles ne prennent pas en aménagement de ces dispositions pour qu’elles
compte les risques pris sur les ressources affectées, deviennent plus accueillantes à des formules
lesquelles sont normalement plus importantes dans nouvelles, originales, bien adaptées aux besoins et
ces institutions que dans les mutuelles. qui, de ce fait, se développent actuellement de façon
spectaculaire. Sinon elle pourrait constituer un frein à
Cette formule convient-elle pour autant à la de nombreuses initiatives et à toutes sortes
micro-finance ? La procédure est certes simplifiée, d’innovations (Chao-Beroff, 1997)".
mais les institutions sont tenues de fournir des
indications sur leur activité et de rendre compte
régulièrement au Ministre de leurs opérations. Elles
doivent aussi accepter et mettre en place le contrôle La micro-finance et le secteur bancaire
d’un audit externe. Une telle procédure peut sembler
lourde pour des structures récentes, de petite taille, L’opposition a toujours été manifeste entre les
qui disposent de faibles moyens techniques aussi bien pratiques informelles d’épargne et de crédit et les
que financiers, et qui peuvent difficilement produire pratiques bancaires. Elle a été maintes fois analysée. Il
en permanence des informations fiables. De plus, s’agissait là de comportements très différents, et il
leurs opérations restent soumises à la loi sur l’usure était normal que ces deux secteurs financiers soient
qui plafonne le taux d’intérêt à deux fois le taux nettement séparés. D’une part, la finance informelle
d’escompte. Cette disposition se comprend fort bien n’était pas institutionnalisée – elle n’a commencé à
pour des institutions organisées en réseau et qui l’être que depuis peu. De leur côté, les banques
peuvent se refinancer auprès de la Banque centrale. devaient entrer en contact avec les agents eux-mêmes,
Mais elle est impossible à respecter pour de petites les paysans, les femmes, les artisans... D’autre part,
institutions de micro-crédit qui entendent couvrir l’épargne et le crédit étaient toujours à court terme, il
leurs coûts et assurer au plus vite leur indépendance n’y avait pratiquement pas d’accumulation, l’argent
et leur pérennité. La plupart d’entre elles prêtent à 2% circulait en circuit fermé. Dans ces conditions, la
par mois à des emprunteurs qui vivent et raisonnent à monnaie utilisée dans l’informel, dans l’économie
court terme, qui ne relient pas le coût du crédit à sa comme dans la finance, ne peut être que la monnaie
durée, et qui ne considèrent pas comme excessif un fiduciaire ou manuelle, les billets. Leur pourcentage
taux de 5% par mois. Cette observation est tellement dans la quantité de monnaie en circulation reste

11 En s’appuyant sur le cas des caisses villageoises autogérées du pays Dogon au Mali, R. Chao-Beroff (1997) écrit que cette formule de la
convention « a l’inconvénient d’incorporer les obligations les plus gênantes sans donner de droits en contrepartie, sinon celui d’opérer à
petite échelle».
12 Il est actuellement respectivement de 27 et 18%. Au moment où la loi était élaborée, le taux d’escompte était de 14% et le taux d’usure
par conséquent de 28%. Le taux d’escompte n’a cessé de baisser depuis. Il était en 2001 de 6,5%, le taux d’usure aurait donc dû être de
13% pour l’ensemble des institutions.
13 On peut faire la même observation à Madagascar où une loi similaire a été élaborée avec l’appui de la Société de développement
international Desjardins. Votée en 1996, elle ne concerne, en fait, que les institutions financières mutualistes.
14 L’auteur dit bien que si cette loi avait existé en 1986, les caisses villageoises du pays Dogon n’auraient pas pu être créées. Elles sont
aujourd’hui l’une des expériences qui ont le mieux réussi dans l’UEMOA.

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FINANCE INFORMELLE ET SYSTÈMES FINANCIERS

encore aujourd’hui proche de 50% dans la Zone anciens qui leur sont remboursés. Leur encaisse est
franc#. toujours susceptible de fluctuer fortement, que ce soit
pour l’ensemble des institutions ou pour chacune.
Il y avait bien quelques exemples de relations entre les
deux secteurs financiers : il arrivait que les cotisations Que ces institutions soient aussi différentes des
versées dans une tontine ne soient pas redistribuées banques ne les empêche pas d’entrer en relations avec
en totalité ou aussitôt, ou que des versements elles. Elles y sont même obligées. Elles font en billets
complémentaires alimentent une caisse de secours ou la majorité de leurs opérations avec leurs clients, mais
de prêt, ce qui permet de déposer des fonds à la elles-mêmes disposent d’un compte bancaire sur
banque voisine. Il arrivait aussi, et de plus en plus lequel elles maintiennent leurs fonds et par lequel
semble-t-il, que les tontiniers déposent à la banque elles gèrent leur liquidité. Elles peuvent aussi être en
l’excédent des dépôts qu’ils ont reçus. Il en est ainsi au relations avec une mutuelle, mais cette caisse qui n’est
Bénin (Lelart 2000b). Mais même si ces pratiques pas une banque détient nécessairement elle-même un
avaient tendance à s’étendre, les montants étaient compte bancaire. La plupart des banques commerciales
faibles et les banques restaient en marge de la finance ou des coopératives africaines centralisent aujourd’hui
informelle. Cette situation se modifie progressivement les dépôts des institutions de micro-finance. Il arrive
avec la micro-finance. D’une part, des institutions même que ces institutions utilisent leur compte
apparaissent qui devraient être enregistrées ou, au directement, en faisant en sorte que la somme prêtée
moins, devraient signer une convention avec le soit mise par la banque à la disposition des
Ministre, les banques peuvent donc entrer plus bénéficiaires qui prennent ainsi un premier contact
facilement en relations avec elles. D’autre part, la avec une banque commerciale$.
micro-finance est plus tournée vers le crédit. Il faut
donc disposer des fonds nécessaires, car l’argent Il est plus rare que les banques acceptent de
emprunté par les uns n’est plus celui des autres, et le refinancer ces institutions. Elles n’ont pas à prendre le
circuit n’est plus fermé. relais du soutien apporté par des bailleurs de fonds,
généralement étrangers, qui subventionnent,
Mais la différence reste grande entre les banques et les temporairement, des initiatives intéressantes en
institutions de micro-finance. Les banques accordent matière de développement. Elles n’ont pas non plus à
des crédits en créditant des comptes, elles créent la jouer le rôle d’une Banque centrale en donnant à ces
monnaie qu’elles prêtent, elles n’ont pas besoin d’en institutions les moyens de répondre aux demandes de
disposer au préalable, elles ne « perdent » rien – crédit présentées par des débiteurs qui leur paraissent
jusqu’à ce qu’il y ait retrait et qu’elles soient obligées solvables… Mais elles pourraient aider ces institutions
de rembourser le dépôt en billets. Les flux monétaires à maîtriser leur problème de liquidité, en particulier
sont déconnectés de leur activité de crédit. Ils celles qui commencent à recevoir des dépôts et qui
dépendent de l’usage que font leurs clients du crédit deviennent, par exemple, des caisses rurales. Ces
accordé, en chèque ou en billet, et du rythme de leurs dépôts ne sont pas liés aux crédits et ils ne sont pas de
dépenses et de leurs recettes. Au niveau d’une grande la monnaie scripturale créée ex nihilo, ils sont des
banque, et plus encore au niveau d’un pays – de billets venus d’ailleurs et déposés dans la caisse.
l’ensemble des banques – ces flux sont relativement Celle-ci peut donc éprouver des difficultés à gérer son
stables. Il en est tout autrement pour les institutions encaisse. Une compensation peut se faire entre
de micro-finance. D’une part, elles accordent des plusieurs institutions voisines, surtout si elles se sont
crédits en « donnant » de l’argent, en billets ou en constituées en réseau. Mais la solution la plus simple
chèques, elles ne créent pas de monnaie, elles doivent n’est-elle pas une ligne de crédit auprès d’une banque
en avoir avant d’en prêter. D’autre part, elles doivent de la place ? Cela commence à se faire ici ou là, en
être remboursées si elles ne veulent pas être particulier au Bénin, au Mali, au Burkina Faso, au
contraintes de cesser leurs opérations rapidement. Cameroun. Certaines banques commerciales acceptent
Les flux monétaires sont donc pour elles directement de refinancer – au sens étroit que nous venons de
liés à leurs opérations de crédit, ils dépendent du préciser – telle ou telle institution de micro-finance%.
rythme des nouveaux crédits qu’elles accordent et des Cette pratique devrait s’étendre, notamment en

15 Près de 49% dans l’UEMOA – dont 62,5% au Bénin – et 47% dans la CEMAC à la mi 2001. Ces pourcentages n’ont pas diminué depuis
dix ans. Ils sont du même ordre dans les autres pays africains, en dehors de la Zone franc.
16 C’est le cas par exemple du Programme d’Appui au Développement des Micro-Entreprises (PADME) lancé à Cotonou en 1993 avec le
soutien de la Banque mondiale et géré par une ONG américaine. Cf. l’article de J.P. Agbodjan dans ce numéro. Les bénéficiaires d’un
crédit retirent l’argent aux guichets de la Bank of Africa.
17 En Gambie, les caisses villageoises pourraient même se refinancer auprès de la Banque centrale (L. Webster et P. Fidler, 1995, p. 105).

Mondes en Développement - 2002 - Tome 30 - 119 - 15


MICHEL LELART

faveur des institutions qui sont jugées favorablement autres, spécialisée dans le crédit rural (Seibel, 2000).
par les agences de rating, en particulier lorsque la Mais il y a d’autres expériences, par exemple en Inde
Centrale des risques, actuellement en projet, sera où beaucoup de banques commerciales sont
devenue opérationnelle. concernées par la micro-finance (Shete, 1999).

– Les institutions de micro-finance peuvent se


transformer en établissements bancaires. Si elles
L’avenir des systèmes financiers existent depuis un certain temps pendant lequel elles
africains ont pu étendre leur activité, s’ouvrir à une large
clientèle, rentabiliser leurs opérations et ne plus
L’apparition des agences de rating spécialisées dans dépendre de subventions extérieures, elles peuvent
les institutions de micro-finance est révélatrice du adopter le statut d’une banque commerciale et faire
poids que représentent maintenant ces institutions partie du secteur financier formel. Cela est surtout
dans la plupart des pays africains. La mise en place de pratiqué en Amérique latine où les cas les plus
structures ministérielles chargées de l’agrément et du connus sont ceux de Bancosol en Bolivie, de
suivi de ces institutions dans chacun des pays de Corposol en Colombie, de Pro Empressa au Pérou,
l’UEMOA en témoigne également. Elle permet, de Calpia au Salvador… C’est ce qu’on appelle le
simultanément, de disposer d’informations sur processus « d’upgrading », ou transformation par le
l’évolution de ce secteur. Le nombre des institutions est haut (Schmidt et Zeitinger, 2000). On trouve aussi
passé de 107 à 250 en sept ans, l’encours des crédits a quelques exemples, plus modestes il est vrai, en Asie.
été multiplié par 5, le nombre des clients ou des Ainsi au Népal une tontine est devenue une véritable
membres par 7, le volume des dépôts collectés par 9 banque (Seibel et Schrader, 1999).
(Mission pour la réglementation et le développement
de la micro-finance, 2000). Certes, ces institutions Ce qui s’est passé en Amérique latine ou en Asie ne
n’accordent encore que 4% des crédits octroyés par pourrait-il se passer en Afrique, où l’on pourrait
les banques et elles ne recueillent que 5% de leurs rencontrer chacune de ces deux évolutions ?
dépôts, mais les pourcentages étaient de 1% sept ans Quelques banques se sont d’ores et déjà aventurées
plus tôt (cf. annexe). Leur progression est irrégulière dans la micro-finance, en ouvrant un guichet
et le rythme différent selon les pays, mais les faits sont spécialisé – c’est le cas de la Financial Bank à Cotonou.
là : on peut maintenant parler d’une industrie de la On peut aussi imaginer que les institutions de
micro-finance et on peut se demander comment la micro-finance les plus anciennes et les plus grosses se
soutenir (Isern, 2000). Demandons-nous plutôt transforment peu à peu en banques. Si ces deux
comment elle va trouver sa place auprès des banques : évolutions étaient concomitantes, on n’aurait pas un
ces institutions vont-elles à terme se confondre ou système bancaire unifié. Mais n’est-il pas beaucoup
coexister ? plus vraisemblable que, même si quelques banques se
rapprochent de la micro-finance et vice-versa, ces
Elles pourraient se confondre. Le système financier ne deux catégories d’institutions subsistent, d’autant
comprendrait plus qu’une seule catégorie d’institutions. plus qu’il y a aussi les mutuelles, et on les voit mal
On serait en présence d’un système unifié. Cela peut disparaître !
se faire sous deux formes.
Le système financier comprendrait donc, à côté des
– Les banques peuvent s’intéresser à la micro-finance, banques traditionnelles, des institutions spécialisées
à la fois en intervenant dans les programmes d’appui dans la micro-finance. Cette coexistence se justifie à
aux petites et micro-entreprises et en acceptant de de nombreux égards. Les populations pauvres ont des
prêter aux pauvres. Cela n’irait pas sans problèmes car besoins bien particuliers, dont les montants sont
telle n’est pas leur vocation. Elles sont peu familières beaucoup plus modestes ; elles n’ont pas de garanties
des ONG avec lesquelles elles devraient coopérer, et le à offrir, sinon de nature sociale, parce que fondée sur
micro-crédit ne peut être rentable qu’à bien des la confiance et sur la solidarité ; elles appartiennent au
conditions (Lelart, 2000a). Cependant, les exemples secteur informel où les cycles d’activité sont courts,
ne manquent pas, en Asie notamment. On connaît elles n’ont donc besoin de crédit que pour une durée
bien la Banque Rakyat Indonesia (BRI), qui est une courte et elles sont disposées à supporter un coût qui,
banque de développement agricole reconvertie dans ramené à la durée de l’emprunt, nous apparaît à nous
la micro-finance ; on connaît moins la Bank for excessif ; elles appartiennent à un monde dans lequel
Agriculture and Agricultural Cooperatives en Thaïlande les relations personnelles sont essentielles, ce qui les
(BAAC) qui est devenue une banque comme les amène à préférer en toute occasion des formules de
proximité. Le maintien d’institutions spécialisées

16
FINANCE INFORMELLE ET SYSTÈMES FINANCIERS

pour répondre aux besoins de ces populations est en • La progression est très irrégulière selon les années et
même temps le seul moyen de réduire l’informel et de son rythme varie beaucoup selon les pays. Les crédits
le faire évoluer peu à peu. Une telle coexistence et les dépôts ne progressent pas parallèlement et le
semble bien, à long terme, la solution la plus réaliste coefficient d’engagement est même très volatil,
pour les pays africains (Severino, 2000). Comment n o t a m m e n t c o m p a r é à c e l u i de s ba nques
pourrait-on la rejeter alors que les pays du Sud, à leur commerciales.
tour, exportent vers les pays du Nord le micro-crédit et
la finance solidaire ! On pourrait probablement faire les mêmes consta-
tations au niveau de toute l’Afrique. Partout la
Si deux types d’institutions doivent coexister, ils ne micro-finance constitue un secteur disparate. Mais elle
peuvent rester isolés pour autant. Les banques est en pleine croissance et les innovations s’y
continueront d’accueillir les dépôts des mutuelles ou bousculent. Elle est en même temps fragile. Nombre de
des caisses de femmes. Si celles-ci s’organisent en structures ne sont pas encore institutionnalisées, et
réseau, leurs positions pourront être compensées, nombre d’institutions ne sont pas encore réglementées.
mais il sera toujours plus facile de faire transférer Celles qui le sont ne sont pas pour autant tirées
l’argent, d’une caisse à l’autre, en utilisant les banques d’affaires. La rentabilité et la pérennité sont deux
les plus proches. Et les institutions de micro-finance problèmes majeurs pour toutes ces institutions.
pourront toujours, en contrepartie de ces dépôts, Plusieurs ont déjà disparu ou ont été fermées, d’autres
négocier facilement une ligne de crédit. Pourront-elles connaissent actuellement des difficultés au niveau de
aller jusqu’à la Banque centrale ? Non, si elles ne leur gestion ou de la « gouvernance » (Lecuyer, 2000).
créent pas de monnaie et ne peuvent recevoir de C’est bien pour éviter les erreurs et susciter des
dépôts qu’en recevant effectivement les fonds. Mais si réactions rapides que dans l’UEMOA la loi a prévu tout
elles grandissent, si elles se multiplient, si elles un arsenal de dispositions : des sanctions disciplinaires
s’organisent au niveau régional ou national, elles ou pénales à l’encontre des dirigeants, un retrait de
peuvent se doter d’un organe financier qui, s’il peut l’agrément ou de la reconnaissance, la désignation
obtenir le statut bancaire, peut être éligible au d’un administrateur provisoire, la dissolution ou la
financement de la Banque centrale. C’est déjà ce que liquidation…
prévoit la loi PARMEC dans l’UEMOA.
C’est parce qu’elles sont fragiles que ces institutions
ont éprouvé la nécessité de se regrouper. C’est
l’Association nationale des praticiens de la micro-finance
Conclusion du Bénin créée en 1997, ce sont l’Association
professionnelle des institutions de la micro-finance
La finance informelle, largement remplacée désormais du Mali et l’Association nigérienne des institutions
par la micro-finance, est un monde très hétéroclite. professionnelles de la micro-finance créées en 1999…
On y trouve toutes sortes d’organisations, de C h a q u e p a y s da n s l ’UE M OA e t l a C EM A C a
procédures, de formules… Aucune analyse d’ordre probablement la sienne, et il en est sans doute de
général ne peut tenir compte d’une telle variété. Au même en dehors de la Zone franc. Un Réseau africain
niveau de l’UEMOA où l’on connaît mieux les choses, de micro-finance (AFMIN) s’est même constitué sous
on peut faire néanmoins quelques constatations. forme d’ONG à la fin de l’année 2000. Fondé par une
douzaine de réseaux nationaux, de la Côte d’Ivoire au
• La situation des pays est très différente, en ce sens Nigéria, de la Guinée à l’Ouganda et à l’Afrique du
que la micro-finance y est plus ou moins développée. Sud, il regroupait dès le départ 326 institutions. Si on
Cela peut être dû à l’existence de trois ou quatre ajoute les initiatives des bailleurs de fonds, avec le
grosses institutions qui peuvent représenter à elles Comité d’échanges, de réflexion et d’information sur
seules 60 ou 70% de l’activité du secteur dans un les systèmes d’épargne-crédit (CERISE) en France, le
pays. Groupe consultatif d’assistance aux plus pauvres
(CGAP) auprès de la Banque mondiale et Microstart
• La progression de la micro-finance est très rapide, lancé par le Programme des Nations-Unies pour le
les crédits et les dépôts ont été multipliés par 4 et 5 développement (PNUD), on a une idée du chemin
en sept ans. Cela tient à la fois à la création de parcouru par la finance informelle depuis quinze ans
nouvelles institutions et à l’augmentation de leur et de l’espoir suscité actuellement par « l’industrie de
« clientèle », mais aussi à ce que le recensement est la micro-finance ».
plus systématique.

Mondes en Développement - 2002 - Tome 30 - 119 - 17


MICHEL LELART

Ces réseaux offrent de nombreux services aux Bibliographie


institutions, ils organisent des sessions de formation
pour leur personnel, ils encouragent l’harmonisation ADAMS D. et FITCHETT D. (éds) (1994), Finance informelle
des procédures comptables, ils facilitent le dialogue dans les pays en développement, Presses Universitaires de Lyon.
avec les autorités, ils recueillent et publient des
informations statistiques… Beaucoup de travail reste Banque mondiale, Rapport sur le développement dans le monde –
Systèmes financiers et développement, Washington, 1989, pp.
à faire, si l’on songe qu’en Afrique de l’Ouest 10% 134-144.
seulement des institutions de micro-finance auraient
atteint le stade d’une « institutionnalisation complète BOUMAN F.J.A. (1995), Rotating and Accumulating Savings
», reposant sur « un équilibre financier durable, une and Credit Associations : A Development Perspective, World De-
velopment, vol. 23, n°3, pp. 371-384.
conformation stricte aux exigences du cadre juridique
et une appropriation sociale assortie d’une bonne CHAO-BEROFF R. (1997), Développer les services financiers en
gouvernance » (Wampler 2001). Mais on peut espérer milieu défavorisé : le cas des caisses villageoises d’épargne et de
que la micro-finance va continuer à s’organiser, que crédit autogérées du pays Dogon, in H. SCHNEIDER (éd.), op.
cit., pp. 95-117.
les centrales de risques vont se mettre en place, que
les systèmes de suivi des performances ou de GERMIDIS D. et alii (éds) (1991), Systèmes financiers et dévelop-
surveillance des risques vont être améliorés, que les pement : quel rôle pour les secteurs financiers formel et informel,
agences de notation vont contribuer à renforcer la OCDE, Paris.
crédibilité des institutions les plus solides. GHATE P.B. (1990), Interaction between the Formal and Infor-
mal Financial Sectors, Conférence internationale des Nations-
C’est tout un nouveau système qui s’organise et qui va Unies sur l’épargne et le crédit pour le développement, Copen-
hague, Danemark, 28-30 mai.
modifier considérablement le paysage financier
africain, plus encore sans doute qu’en Asie ou en GRAHAM D.H. et alii (1987), Finance rurale au Niger : une
Amérique latine où les économies sont davantage évaluation critique et les projets de réforme, Rapport final pré-
bancarisées. On opposait il y a dix ans les secteurs senté à la mission de l’USAID, Niamey, février.
formel et informel, et on discutait de stratégies qui HUMBERT L. (2001), La micro-finance : lieu de confrontation
avaient chacune leurs avantages et entre lesquelles il d’intérêts et de cultures, in J.M. SERVET et D. VALLAT (éds),
aurait fallu choisir. Les choix sont faits aujourd’hui. Exclusion et liens financiers, Rapport du Centre Walras 2001,
Toutes les voies sont ouvertes. Les banques vont, du Economica, Paris, pp. 277-281.
moins certaines, s’ouvrir au micro-crédit ; des ISERN J. (2000), Soutenir le développement d’une industrie de la
institutions de micro-finance, parfois créées comme micro-finance en Afrique, Techniques Financières et Développe-
telles, parfois venues des tontines ou des banquiers ment, n°59-60, juillet-octobre, pp.78-80.
ambulants pourront grandir, innover, adopter un
LABIE M. (1999), La micro-finance en questions, Editions Luc
statut qui se rapprochera peu à peu de celui des Pire, Bruxelles.
banques ; et les unes et les autres vont trouver intérêt à
coopérer et à développer leurs relations. Cette LANCELIN M. (2001), Quelques éléments de réflexion sur les
évolution ne peut se faire que lentement, et il est problèmes d’épargne et de crédit dans le processus de développe-
ment, Techniques Financières et Développement, n°62-63, juin,
probable que l’Afrique conservera encore longtemps pp. 4-10.
un système financier sensiblement distinct des
systèmes occidentaux… pendant que ceux-ci LECUYER F. (2000), Crises et évolutions récentes des IMF,
s’ouvrent à leur tour, mais d’une façon marginale, à Techniques Financières et Développement, n°59-60, juillet-
octobre, pp. 50-54.
des pratiques bancaires venues du Sud.
LELART M. (1996), La nouvelle loi sur les mutuelles d’épargne et
En s’intéressant il y a vingt ans aux pratiques de crédit dans les pays de l’Afrique de l’Ouest – La loi PARMEC
financières informelles et en reconnaissant leur de l’UEMOA, Mondes en Développement, n°94, décembre, pp.
57-69.
importance pour les personnes et leur poids dans les
économies nationales, les chercheurs du Réseau LELART M. (2000 a), Stratégie de la banque africaine face aux
Entrepreneuriat ont fait preuve d’une réelle secteurs informel et semi-formel, Savings and Development, n°2,
perspicacité. Ils ont ouvert la voie aux travaux qui pp. 141-159.
accompagnent désormais l’évolution de la finance LELART M. (2000 b), L’évolution de la finance informelle au Bé-
informelle en Afrique et les manifestations de sa nin, in M. LELART (éd.), Finance informelle et financement du
vitalité. développement, AUPELF/FMA, Beyrouth, pp. 17-39.

18
FINANCE INFORMELLE ET SYSTÈMES FINANCIERS

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Zone franc (1999), Rapport annuel, Secrétariat du Comité
monétaire de la zone franc, Banque de France, Paris.

Mondes en Développement - 2002 - Tome 30 - 119 - 19


MICHEL LELART

ANNEXE

Les systèmes financiers décentralisés (SFD) et les banques de l’UEMOA

Les crédits

Les crédits accordés par les SFD par rapport aux crédits bancaires varient considérablement selon les pays : 5 fois
plus en juin 2000 au Bénin et au Burkina Faso qu’en Côte d’Ivoire.

La progression de ces crédits est très forte, mais très inégale selon les pays. En l’espace de six ans et demi, le
pourcentage des crédits des SFD a été multiplié par 3,6 mais il l’a été par plus de 6 au Burkina Faso et il n’a guère
beaucoup plus que doublé au Bénin.

Enfin, cette progression a été très irrégulière, notamment si on compare une fois encore les pays. Au Bénin, par
exemple, le pourcentage est passé de 4% en 1993 à plus de 10% deux ans après et à plus de 22% deux ans plus tard,
avant de revenir à 9%. Au Mali, le pourcentage est passé de 4,8 à 1,7% en deux ans, au Burkina Faso de 1,47 à plus de
5% pendant la même période. Le cas du Niger est très particulier du fait que les banques ont été restructurées au
cours de l’année 1995.

Les dépôts

Les dépôts collectés par les SFD par rapport aux dépôts bancaires varient de la même façon selon les pays : 4,5 fois
plus au Bénin et au Togo qu’au Niger en juin 2000.

La progression relative de ces dépôts est plus forte encore que celle des crédits : multiplication par 4,6 en six ans et
demi. Mais les dépôts des SFD par rapport aux dépôts bancaires ont été multipliés par 18 en Côte d’Ivoire, par 11 au
Niger, par 3 seulement au Burkina Faso et au Togo et moins encore au Bénin.

Enfin, cette progression a été moins irrégulière pour chacun de ces pays que celle des crédits.

Le coefficient d’engagement

C’est le rapport entre les crédits accordés (en cours) et les dépôts reçus. Fin 1993, ce coefficient était supérieur à 1
pour l’ensemble des institutions qui prêtaient donc plus que leurs dépôts. Au 30 juin 2000, ce coefficient était
devenu inférieur à 1. Mais s’il était plus élevé pour les SFD que pour les banques en 1993, c’est l’inverse en 2000.
Cela correspond à l’évolution respective des crédits et des dépôts pour ces deux catégories d’institutions.

Compte tenu de cette évolution très irrégulière pour la plupart des pays, ce coefficient ne pouvait que beaucoup
fluctuer lui aussi : de 8 à moins de 2 pour le Niger, de 0,6 à plus de 1 pour le Burkina Faso. Ce même coefficient est
au contraire beaucoup plus stable pour les banques et moins irrégulier selon les pays. Mais en l’espace de sept ans,
les coefficients sont devenus plus homogènes entre les pays pour les SFD et ils se sont rapprochés de ceux des
banques.

Source des données brutes :


- pour les SFD, par la BCEAO et le BIT, Banque de données sur les Systèmes Financiers décentralisés – UEMOA, Rapport annuel 2000
- pour les banques, BCEAO, Notes d’information et Statistiques, Statistiques monétaires mensuelles.

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