SOLITUDE ET VIEILLISSEMENT Christian Van Rompaey
SOLITUDE ET VIEILLISSEMENT Christian Van Rompaey
SOLITUDE ET VIEILLISSEMENT Christian Van Rompaey
2003/2 no 6 | pages 31 à 40
ISSN 1376-0963
ISBN 2-8041-4198-5
DOI 10.3917/pp.006.0031
Article disponible en ligne à l'adresse :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
https://www.cairn.info/revue-pensee-plurielle-2003-2-page-31.htm
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Solitude et vieillissement
CHRISTIAN VAN ROMPAEY
Etrange paradoxe. Alors que nous pourrions nous réjouir d'avoir obtenu un
allongement sans précédent de l'espérance de vie, avec une amélioration
constante de l'état de santé des personnes âgées, la vieillesse n'en finit pas de
nous inquiéter.
La retraite (et plus encore la préretraite) ne marque plus l'entrée dans la vieil-
lesse. Que du contraire ! Le retraité d'aujourd'hui peut raisonnablement penser à
une deuxième vie active, libérée des obligations du travail sous contrainte. Mais
celui-ci ne peut oublier que - inévitablement - « l'âge d'or » rejoint un jour « le
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 07/10/2022 sur www.cairn.info (IP: 94.109.224.139)
31
31118 Plurielle6 (v.Internet).qxd 04/11/2004 15:41 Page 32
Isolement et solitude
Le fait d'être socialement isolé peut se mesurer à la réduction du nombre de
contacts sociaux. Avec l'avancée en âge, le risque de se retrouver isolé devient
évidemment plus important. Les collègues de travail se perdent de vue. La
famille se réduit. Les amis s'éloignent. Les voisins se déplacent moins souvent…
L'isolement est aussi la conséquence d'incapacités qui se cumulent : les diffi-
cultés de déplacement, mais aussi la perte de mémoire, la perte de l'ouïe ou de
la vue creusent l'écart et rendent les contacts sociaux difficiles. L'isolement peut
aussi être la conséquence d'une attitude culturelle : certains milieux sociaux sont
_______
1
Personnes âgées : restaurer le lien social dans La santé de l'homme, n° 363, janvier-février 2003.
32
31118 Plurielle6 (v.Internet).qxd 04/11/2004 15:41 Page 33
davantage prêts à prendre en charge les personnes âgées que d'autres. Les
ressources économiques enfin sont déterminantes et entrent pour une large part
dans l'isolement des personnes âgées, surtout si elles sont atteintes d'une
maladie chronique. Autrement dit, les plus malades et les plus pauvres courent
évidemment le plus de risques d'être isolés, avec cette conséquence générale-
ment peu connue que les gens les plus isolés demandent peu d'aide aux orga-
nismes publics, malgré leur situation. En effet, beaucoup d'entre eux se sentent
également étrangers aux milieux de l'aide socio-sanitaire soit qu'ils préfèrent s'en
remettre à leur propre sens de la débrouille, soit qu'ils méconnaissent les
ressources de ces services, soit qu'ils ont été déçus par ces aides.
La solitude, par contre, relève davantage d'un « sentiment ». On parle du
«sentiment de solitude » comme d'une situation insatisfaisante quant à la qualité
des relations. La solitude, ce n'est pas nécessairement vivre seul. C'est ainsi que
le sentiment de solitude peut envahir des personnes qui ont pourtant gardé de
nombreux contacts sociaux. elles continuent à voir beaucoup de gens, mais les
rencontres sont décevantes. Les difficultés de l'âge ne leur permettent plus de
voir les gens qu'elles ont envie de rencontrer. elles ont de moins en moins de
confidents (surtout les hommes) dans leur relation, même elles vivent bien
entourés comme on peut l'être dans une maison de repos. Ce besoin de ne pas
se couper de toute vie sociale n'expliquerait-il pas pourquoi tant de vieux aiment
à passer beaucoup de temps près des fenêtres ou des baies vitrées de leur rési-
dence, voire près de la porte d'entrée ? Il est évident que la réduction du nombre
de contacts sociaux contribue évidemment à développer le sentiment de solitude.
On ne peut négliger les conséquences, pour ces personnes encore (relative-
ment) valides les conséquences de l'isolement et du sentiment de solitude résul-
tant de l'éloignement familial, lit-on dans un Rapport sur le vieillissement (France,
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 07/10/2022 sur www.cairn.info (IP: 94.109.224.139)
33
31118 Plurielle6 (v.Internet).qxd 04/11/2004 15:41 Page 34
Isolement et institution
La maison de repos est souvent présentée comme un lieu de convivialité :
« Là-bas, tu verras, tu seras bien. Et tu ne seras pas seule… ». Mais là-bas, n'est
jamais ici ! Les personnes âgées qui vivent en maison de retraite se sentent sans
doute moins isolée que ceux qui vivent seules à leur domicile. Mais, par nature,
même quand elles se veulent ouvertes, la plupart des institutions font écran au
monde extérieur, surtout si elles sont éloignées du lieu de vie habituel de leurs
pensionnaires. Par ailleurs, les personnes âgées entrent de plus en plus tard en
maisons de repos. Elles arrivent à un âge très avancé avec de nombreux han-
dicaps d'audition, de vision, de mobilité. Cela ne facilite pas la communication
entre résidents, ni avec le personnel d'accompagnement et les animateurs
34
31118 Plurielle6 (v.Internet).qxd 04/11/2004 15:41 Page 35
35
31118 Plurielle6 (v.Internet).qxd 04/11/2004 15:41 Page 36
sion et à l'importance d'y associer ceux qui en sont les principaux intéressés : les
personnes âgées ».
« Après 60 ans, une personne sur trois est concernée par la solitude », relève
une enquête menée par le CREDOC 2. Celle-ci, publiée en mars 1995, établissait
déjà qu'entre 20 et 30 % des personnes de 60 ans vivant à leur domicile souf-
fraient de solitude. Les principales raisons fournies par les personnes de plus de
60 ans sur l'origine de leur solitude (chaque personne interrogée était invitée à
donner les deux principales raisons) étaient par ordre décroissant de fréquence
de citation, l'isolement par rapport à la famille (49,6%), la perte d'un être cher
(45,6%), la maladie (30,7%), le manque d'activité (25,7%), le manque d'amis
(20,5%) et un problème d'argent (17,2%). Comme on le voit, l'isolement par
rapport à la famille vient en tête des causes citées sur l'origine de la soli-
tude des personnes âgées.
On entend dire souvent que le vieillissement va de pair avec l'isolement social
et que cette solitude physique se voit précipitée par l'entrée en institution, la
famille se désintéressant progressivement de ses vieux parents.
Certes, le grand âge est marqué par une suite successive de pertes : pertes
des collègues de travail, réduction du nombre des amis, perte des proches,
pertes des capacités intellectuelles, difficultés de mobilité… Et pourtant de
nombreuses recherches montrent que les relations familiales, la circulation des
aides et des services restent le plus souvent très intenses. Ainsi, au cours d'un
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 07/10/2022 sur www.cairn.info (IP: 94.109.224.139)
_______
2
CREDOC, Robert Rochefort, Consommation et modes de vie n°96. On trouvera d'autres données
sur la vieillesse et la solitude dans le rapport de la députée française Christine Boutin, Pour sortir de
l'isolement, rapport commandé par le Premier ministre français sur la fragilité du lien social.
3
Les Actes de cette journée peuvent être obtenus auprès de la Fédération des Aides et des Soins à
Domicile. Renseignements : 02/735.24.24, secretariat.fasd@skynet.be Les Ateliers abordaient
différents thèmes comme Handicap et bientraitance, Art et bientraitance, le don et la dette, être mal…
aller bien, communiquer pour bien traiter.
36
31118 Plurielle6 (v.Internet).qxd 04/11/2004 15:41 Page 37
37
31118 Plurielle6 (v.Internet).qxd 04/11/2004 15:41 Page 38
38
31118 Plurielle6 (v.Internet).qxd 04/11/2004 15:41 Page 39
Vieillissement et participation
______
5
Revue de l'INSEE, n° 737, septembre 2000.
39
31118 Plurielle6 (v.Internet).qxd 04/11/2004 15:41 Page 40
traités). Mais ce qui est remarquable, c'est que le taux de participation ne faiblit
de manière significative qu'après 80 ans alors qu'apparaissent pour la plupart les
grandes difficultés de la vieillesse.
Deux âges de la vie se signalent donc par une activité associative intense. La
quarantaine semble être l'âge de l'engagement social (associations de parents,
syndicalisme, mouvements humanitaires). Mais ce sont les personnes de plus de
60 ans, libérées de leur vie professionnelle, allégées de leurs charges familiales,
qui détiennent le record de la vie associative : 47 % d'entre elles adhèrent à une
association et la moitié d'entre elles sont membres d'au moins deux associations
(Insee). Bien sûr, les motivations sont très variables. Certains espèrent y trouver
un prolongement de leur vie professionnelle, d'autres y cherchent des loisirs,
d'autres encore s'engagent dans des associations humanitaires ou à vocation
culturelle. Quoi qu'il en soit, ce mouvement s'oppose à l'idée que la retraite est
synonyme de repli sur soi et de solitude.
A cet égard, les associations du 3e âge sont de la première importance (même
si certaines ne proposent que des activités ludiques, voire puériles, peu
valorisantes et régressives…).
Reste un défi ultime aussi bien à domicile qu'en institution : la vie devrait
rester un plaisir, les petits et les grands plaisirs de la vie. Car sinon, à quoi bon
vivre si le seul objectif est de s'occuper pour chasser l'ennui ? Il est évident que
chacun vit mieux quand il peut vivre ce qui le passionne ou tout au moins s'il y
trouve un intérêt personnel, en fonction de son âge.
« On ne vit pas pour être soigné, mais on est soigné pour pouvoir continuer
à vivre dans les meilleures conditions possibles, lit-on dans la revue «La santé
de l'homme » 6. Il y a encore trop de confusions entre les objectifs et les
conséquences. Chanter ne vise pas obligatoirement la rééducation de la capacité
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 07/10/2022 sur www.cairn.info (IP: 94.109.224.139)
_____
4
C'est le thème d'un ouvrage essentiel de Marcel Hénaff, Le Prix de la vérité. Le don, l'argent, la
philosophie, Le Seuil, 2002. Celui-ci est largement commenté dans un dossier de la revue française
Esprit de février 2002.
6
La santé de l'homme, n° 363, janvier-février, 2003.
40