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SOLITUDE ET VIEILLISSEMENT Christian Van Rompaey

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SOLITUDE ET VIEILLISSEMENT

Christian Van Rompaey

De Boeck Supérieur | « Pensée plurielle »

2003/2 no 6 | pages 31 à 40
ISSN 1376-0963
ISBN 2-8041-4198-5
DOI 10.3917/pp.006.0031
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-pensee-plurielle-2003-2-page-31.htm
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Solitude et vieillissement
CHRISTIAN VAN ROMPAEY

Etrange paradoxe. Alors que nous pourrions nous réjouir d'avoir obtenu un
allongement sans précédent de l'espérance de vie, avec une amélioration
constante de l'état de santé des personnes âgées, la vieillesse n'en finit pas de
nous inquiéter.

Mots clefs : solitude, isolement, maltraitance, suicide, placement, institution,


violence, lien, social, don/contre-don, association.

Les jeunes vont par bandes,


Les couples vont deux ensemble,
Les vieux avec la solitude.
(Dicton suédois).

La retraite (et plus encore la préretraite) ne marque plus l'entrée dans la vieil-
lesse. Que du contraire ! Le retraité d'aujourd'hui peut raisonnablement penser à
une deuxième vie active, libérée des obligations du travail sous contrainte. Mais
celui-ci ne peut oublier que - inévitablement - « l'âge d'or » rejoint un jour « le
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grand âge » avec ses déficiences… physiques, intellectuelles, psychologiques et
la perte progressive ou subite de son autonomie. Voilà ce qui nous inquiète tous,
plus ou moins consciemment, au fond de nous-mêmes : non pas le nombre crois-
sant de personnes âgées d'autant plus que l'espérance de vie sans incapacité
est régulièrement en hausse, mais l'augmentation irrésistible de personnes très
âgées. Cela nous inquiète sans doute plus que les problèmes auquel devra faire
face notre système de sécurité sociale : faire face à des dépenses de santé sans
cesse croissantes et assurer le paiement des pensions futures.
Ainsi, l'Institut National de Statistique a calculé que la Belgique compterait en
2010 un demi million de personnes de plus de 80 ans, c'est-à-dire qu'elles
représenteront 5 % de la population. En 2050, il y en aurait 970 000, soit 10 %
de la population. En France, selon un rapport sur le vieillissement publié en 1998,
il était déjà acquis que, dès 2010, il y aura plus de personnes de plus de 60 ans
que de personnes de moins de 20 ans. Le fait que, au siècle dernier, l'espérance
de vie moyenne a augmenté en Belgique de 32 ans pour les femmes et de 29
ans pour les hommes est l'un des évènements principaux du XXe siècle. Si
certains s'inquiètent de cette évolution, il faut faire remarquer que c'est là le
résultat d'importants efforts consentis dans l'amélioration des conditions de
travail, de logement, du niveau de formation et de nombreux autres progrès qui
tous ont contribué à améliorer notre niveau de bien-être. Fallait-il y renoncer pour
éviter de vieillir plus longtemps ?

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L'augmentation de la longévité nous conduit à nous préoccuper de plus en


plus de la qualité de vie des personnes âgées : « Comment vivre au mieux cette
avancée en âge ? » se demande la revue française d'éducation pour la santé La
santé de l'homme dans sa dernière livraison 1. « Comment, lit-on dans l'introduc-
tion, permettre aux personnes âgées de continuer à s'impliquer dans leur envi-
ronnement, comment maintenir autour de ces personnes les liens sociaux et
favoriser les solidarités entre les générations ? Comment accompagner les situa-
tions d'incapacité, de maladie ou de fin de vie ? Voilà des interrogations qui se
posent à notre société : en contrepartie d'une espérance de vie en constante
amélioration, il nous faut imaginer des relations sociales où la personne
âgée trouve sa place. Même si, autour d'elle, les amis disparaissent et la famille
rétrécit ». Dans tous les cas, dans toutes les situations, à domicile comme en
institution, et à tous les âges, la majorité des personnes âgées est en forte
demande de relations sociales. Si certaines d'entre elles parviennent à préserver
une certaine vie sociale, beaucoup d'autres connaissent des vies chahutées par
les évènements de la vie et doivent faire face à l'isolement et à la solitude.
Encore faut-il distinguer isolement et solitude.

Vieillissement et dépenses de santé


L'augmentation de l'espérance de vie, la multiplication des maladies
chroniques et l'isolement croissant au sein de notre société vont inévitable-
ment être à l'origine d'une hausse des dépenses liées au vieillissement.
Si vieillissement et maladie ne sont pas forcément des synonymes, on
constate que le coût moyen pour l'assurance maladie des plus de 80 ans est
quatre à six fois plus élevé que celui des personnes de 60 ans. Ce vieillisse-
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ment ira en s'accélérant. En 1995, les 80 ans et plus représentaient 18 % des
plus de 60 ans, ils en représenteront 31 % en 2050.
Au cours des 20 dernières années, les dépenses pour les soins spéci-
fiques aux personnes âgées (maisons de repos, maisons de repos et de
soins, soins infirmiers…) ont quadruplé pour représenter en 2001 plus de 12
% du total des dépenses publiques de santé.

Isolement et solitude
Le fait d'être socialement isolé peut se mesurer à la réduction du nombre de
contacts sociaux. Avec l'avancée en âge, le risque de se retrouver isolé devient
évidemment plus important. Les collègues de travail se perdent de vue. La
famille se réduit. Les amis s'éloignent. Les voisins se déplacent moins souvent…
L'isolement est aussi la conséquence d'incapacités qui se cumulent : les diffi-
cultés de déplacement, mais aussi la perte de mémoire, la perte de l'ouïe ou de
la vue creusent l'écart et rendent les contacts sociaux difficiles. L'isolement peut
aussi être la conséquence d'une attitude culturelle : certains milieux sociaux sont

_______
1
Personnes âgées : restaurer le lien social dans La santé de l'homme, n° 363, janvier-février 2003.

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davantage prêts à prendre en charge les personnes âgées que d'autres. Les
ressources économiques enfin sont déterminantes et entrent pour une large part
dans l'isolement des personnes âgées, surtout si elles sont atteintes d'une
maladie chronique. Autrement dit, les plus malades et les plus pauvres courent
évidemment le plus de risques d'être isolés, avec cette conséquence générale-
ment peu connue que les gens les plus isolés demandent peu d'aide aux orga-
nismes publics, malgré leur situation. En effet, beaucoup d'entre eux se sentent
également étrangers aux milieux de l'aide socio-sanitaire soit qu'ils préfèrent s'en
remettre à leur propre sens de la débrouille, soit qu'ils méconnaissent les
ressources de ces services, soit qu'ils ont été déçus par ces aides.
La solitude, par contre, relève davantage d'un « sentiment ». On parle du
«sentiment de solitude » comme d'une situation insatisfaisante quant à la qualité
des relations. La solitude, ce n'est pas nécessairement vivre seul. C'est ainsi que
le sentiment de solitude peut envahir des personnes qui ont pourtant gardé de
nombreux contacts sociaux. elles continuent à voir beaucoup de gens, mais les
rencontres sont décevantes. Les difficultés de l'âge ne leur permettent plus de
voir les gens qu'elles ont envie de rencontrer. elles ont de moins en moins de
confidents (surtout les hommes) dans leur relation, même elles vivent bien
entourés comme on peut l'être dans une maison de repos. Ce besoin de ne pas
se couper de toute vie sociale n'expliquerait-il pas pourquoi tant de vieux aiment
à passer beaucoup de temps près des fenêtres ou des baies vitrées de leur rési-
dence, voire près de la porte d'entrée ? Il est évident que la réduction du nombre
de contacts sociaux contribue évidemment à développer le sentiment de solitude.
On ne peut négliger les conséquences, pour ces personnes encore (relative-
ment) valides les conséquences de l'isolement et du sentiment de solitude résul-
tant de l'éloignement familial, lit-on dans un Rapport sur le vieillissement (France,
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1998) : «… il y a là un véritable problème de société qui ne peut qu'aller vers
l'aggravation, dans la mesure où la solitude, l'impression d'inutilité et la désin-
sertion sociale sont des facteurs d'accélération du vieillissement… Si les
réponses ne sont pas apportées rapidement, il est à craindre que s'accentuent
l'isolement et l'exclusion que connaissent déjà, dans notre société, un grand
nombre de personnes âgées… Le maintien d'une réelle insertion sociale est l'une
des conditions du maintien d'expression de la personnalité et de la qualité de vie
de la personne âgée ».

La maltraitance des personnes âgées


L'isolement est encore aggravé par la maltraitance que subit une personne
âgée sur vingt. Selon l'Association Allô Maltraitance des personnes âgées
(A.L.M.A.), 70 % des maltraitances se produiraient à domicile et 30 % en institu-
tion. Elles sont souvent insidieuses et multiformes. La maltraitance, atteinte à l'in-
tégrité physique et psychique de la personne, n'est pas toujours délibérée et
voulue, mais elle nie dans tous les cas la dignité de ces personnes au prétexte
de leur âge en abusant de leur faiblesse physique et mentale. La maltraitance
concerne environ 5 % des plus de 65 ans et 15 % des plus de 75 ans. Elle
s'exerce sous différentes formes : menaces de rejet, privation de visites, humi-
liation, violences verbales ; spoliation d'argent, de biens mobiliers et immobiliers ;

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héritage anticipé ; brutalités et coups ; excès ou privation de médicaments ;


atteintes aux droits des personnes. Les maltraitances sont souvent dues à des
négligences ou omissions (oubli d'aider la personne à se laver, se nourrir... alors
qu'elle ne peut assumer seule ces actes quotidiens). La nature des violences
subies par les personnes âgées est très liée à leur degré d'autonomie et à leur
mode de vie.
Plusieurs types d'acteurs de la maltraitance peuvent être en cause. Dans la
famille, le conjoint, les enfants ou les petits-enfants peuvent avoir une attitude
agressive en refusant la dépendance de la personne âgée ou son besoin d'aide
financière. Impasse relationnelle et chantage affectif sont aussi observés.
L'environnement médico-social est également source de maltraitance. C'est
l'exemple du médecin généraliste qui prescrit trop de médicaments (surtout de
tranquillisants et neuroleptiques) ou de l'infirmière qui, faute de temps, peut
parfois être négligente dans les soins qu'elle donne. Enfin, en institution, la
maltraitance est souvent due à l'organisation même de l'établissement qui ne
personnalise pas suffisamment les accompagnements et repose sur un effectif
souvent insuffisant en nombre de postes.

Le suicide : violence ultime de l'isolement

Le suicide, conséquence la plus violente de l'isolement, est un problème


encore rarement abordé de front alors que le phénomène connaît une ampleur
mondiale. Au Québec, sur 1000 suicides rapportés chaque année, 13 % ont été
commis par des personnes âgées de plus de 60 ans. En France, on constate 19
décès par suicide pour 100 000 habitants, soit presque 12 000 par an ou encore
plus de trente par jour, c'est-à-dire deux fois plus que les décès dus aux acci-
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dents de la route. Le suicide semble ainsi un des moyens auquel les personnes
âgées ont recours pour régler les problèmes liés au vieillissement et à la
maladie ! Cette observation doit nous inciter à prendre au sérieux tous les indices
qui font soupçonner un risque potentiel de suicide. La propension au suicide est
généralement corrélée à l'une ou l'autre situation d'isolement, voire à la combi-
naison de plusieurs d'entre elles. Dans certains cas, les difficultés matérielles et
psychologiques s'accumulant, certaines personnes se laissent mourir et font le
choix d'un véritable suicide que certains appellent un « suicide altruiste ».

Isolement et institution
La maison de repos est souvent présentée comme un lieu de convivialité :
« Là-bas, tu verras, tu seras bien. Et tu ne seras pas seule… ». Mais là-bas, n'est
jamais ici ! Les personnes âgées qui vivent en maison de retraite se sentent sans
doute moins isolée que ceux qui vivent seules à leur domicile. Mais, par nature,
même quand elles se veulent ouvertes, la plupart des institutions font écran au
monde extérieur, surtout si elles sont éloignées du lieu de vie habituel de leurs
pensionnaires. Par ailleurs, les personnes âgées entrent de plus en plus tard en
maisons de repos. Elles arrivent à un âge très avancé avec de nombreux han-
dicaps d'audition, de vision, de mobilité. Cela ne facilite pas la communication
entre résidents, ni avec le personnel d'accompagnement et les animateurs

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souvent déçus de trouver peu de participation et d'enthousiasme aux activités


qu'ils proposent. Malgré la vie communautaire qui est proposée, la vieillesse
devient une vie « où l'on s'ennuie ». Aussi, le passage du médecin ou plus encore
celui des aides soignantes, est toujours un moment important : c'est souvent le
moment de la confidence et de l'échange.
On peut se sentir très seul, bien que l'on soit entouré, parce qu'on est loin de
ses enfants, de ses proches et de son milieu de vie habituel, surtout si on n'est
pas entré en maison de repos de son plein gré.
La personne « placée » contre son gré souffre apparemment en silence. Elle
s'exprime en fait, mais d'une autre façon que par des mots. Elle s'isole dans sa
chambre, elle se laisse aller, elle mange très peu, elle est sans appétit. Elle ne
se déplace pratiquement plus et passe le plus clair de son temps à somnoler
dans son lit. Son entourage pense que cette absence de réaction est liée à sa
maladie alors que la cause est dans le fait même du placement, dans le senti-
ment d'être rejetée, de ne plus compter pour personne, de n'être plus entendue
dans ses choix, sentiment qui lui fait perdre le goût et l'envie de vivre… Pour
qualifier ce tableau de retrait, d’« indifférence », de refus de soins et d'alimenta-
tion, les médecins parlent de « syndrome de glissement », signe d'une décom-
pensation à la fois physique et psychique.
Une étude menée en France dans les années 1980 montre clairement l'in-
fluence négative d'un placement non consenti sur l'évolution de la santé des
personnes âgées en institution : épisodes infectieux plus nombreux, davantage
de chutes, importante aggravation de la dépendance (incontinence, refus d'ef-
fectuer des actes simples de la vie quotidienne…) et, plus grave encore,
augmentation significative de la mortalité dans les 6 mois suivant l'entrée. Plus
près de nous, en 1998, une enquête belge soulignait notamment les difficultés
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d'adaptation des personnes âgées n'ayant pas consenti à leur entrée en institu-
tion et identifiait le placement forcé à une réelle violence. Pour les auteurs de
cette étude, « il est fondamental qu'une personne âgée prenne elle-même la
décision d'entrer en maison de repos, même si cela prend du temps. Si la déci-
sion vient de la personne elle-même ou en tout cas, si elle est convaincue de son
bien-fondé, son adaptation et sa vie en seront améliorées ».
Distinguer « placer » et « entrer » en maison de repos n'est pas qu'une ques-
tion de langage. Se placer dans la dynamique de « l'entrée » en maison de repos
consiste à impliquer au maximum, parce qu'elle en est la principale intéressée,
la personne âgée dans le processus, tout en étant conscient que la décision
concerne également bien souvent la famille. C'est envisager la rupture que peut
représenter cette entrée et comprendre, voire accompagner, la personne âgée
dans ses deuils et réaménagements.
C'est à partir de là que la vie en maison de repos peut prendre la forme d'une
alternative positive au maintien à domicile, positive pour la personne âgée mais
aussi pour ceux qui l'entourent. Elle peut être l'occasion de relations familiales
plus sereines et plus riches alors qu'à domicile, les liens affectifs s'étaient parfois
ternis par la lourdeur de la prise en charge du quotidien.
« Il n'y a pas lieu de faire l'apologie du domicile ou de la maison de repos ni
d'opposer un lieu de vie à un autre, affirme Benoît Lemaire, écoutant à "Alma
Wallonie-Bruxelles", mais bien de réfléchir à leur articulation, au poids d'une déci-

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sion et à l'importance d'y associer ceux qui en sont les principaux intéressés : les
personnes âgées ».

Les liens familiaux restent le pivot du lien social

« Après 60 ans, une personne sur trois est concernée par la solitude », relève
une enquête menée par le CREDOC 2. Celle-ci, publiée en mars 1995, établissait
déjà qu'entre 20 et 30 % des personnes de 60 ans vivant à leur domicile souf-
fraient de solitude. Les principales raisons fournies par les personnes de plus de
60 ans sur l'origine de leur solitude (chaque personne interrogée était invitée à
donner les deux principales raisons) étaient par ordre décroissant de fréquence
de citation, l'isolement par rapport à la famille (49,6%), la perte d'un être cher
(45,6%), la maladie (30,7%), le manque d'activité (25,7%), le manque d'amis
(20,5%) et un problème d'argent (17,2%). Comme on le voit, l'isolement par
rapport à la famille vient en tête des causes citées sur l'origine de la soli-
tude des personnes âgées.
On entend dire souvent que le vieillissement va de pair avec l'isolement social
et que cette solitude physique se voit précipitée par l'entrée en institution, la
famille se désintéressant progressivement de ses vieux parents.
Certes, le grand âge est marqué par une suite successive de pertes : pertes
des collègues de travail, réduction du nombre des amis, perte des proches,
pertes des capacités intellectuelles, difficultés de mobilité… Et pourtant de
nombreuses recherches montrent que les relations familiales, la circulation des
aides et des services restent le plus souvent très intenses. Ainsi, au cours d'un
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colloque organisé par PSD ("Permanence et soins à domicile") 3 consacré au
"Domicile et Bientraitance" Nathalie Rigaux, professeur aux Facultés Notre-
Dame-de-la-Paix à Namur expliquait que dans l'ensemble des pays occidentaux,
80 % de l'aide requise par les personnes âgées dépendantes est assurée par les
proches et que les trois-quarts de cette aide est prise en charge par les femmes :
« On ne peut donc pas dire que, malgré les changements importants des modes
de vie familiaux de ces dernières années, nous vivons une époque plus
égoïste ».
Nathalie Rigaux fait ce commentaire : « L'importance du rôle des familles
s'explique, bien sûr, par les liens qui unissent entre eux les membres d'une

_______
2
CREDOC, Robert Rochefort, Consommation et modes de vie n°96. On trouvera d'autres données
sur la vieillesse et la solitude dans le rapport de la députée française Christine Boutin, Pour sortir de
l'isolement, rapport commandé par le Premier ministre français sur la fragilité du lien social.
3
Les Actes de cette journée peuvent être obtenus auprès de la Fédération des Aides et des Soins à
Domicile. Renseignements : 02/735.24.24, secretariat.fasd@skynet.be Les Ateliers abordaient
différents thèmes comme Handicap et bientraitance, Art et bientraitance, le don et la dette, être mal…
aller bien, communiquer pour bien traiter.

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famille. Il s'agit de rendre au moment de la maladie ou de la vieillesse ce qui a


été reçu à d'autres moments de l'existence. Mais on sent bien que cet échange
ou cette logique du don, ne fonctionne comme un échange marchand. Le sens
du don est de créer ou d'entretenir le lien social. Par la médiation des biens et
des services qu'il fait circuler, le don permet avant tout de relier ceux entre
lesquels il circule. Cette fonction est essentielle en ce qu'elle est non réductible
aux biens et aux services échangés, contrairement à l'idéologie ambiante qui ne
justifie les comportements que par l'intérêt économique ».
Cela ne signifie pas cependant que « l'aide par les proches » soit la solution
idéale. Tout le monde n'est pas entouré d'une présence efficace et aimante. Tout
le monde ne sent pas avec la même intensité « l'obligation » d'aider un conjoint
ou un parent malade. Aussi, pour que les aidants familiaux puissent choisir
quand et comment aider, il faut qu'il existe des prises en charge professionnelles
accessibles telles que des centres de jour, des aides et soins à domicile, des
garde malades… Il faut que les femmes qui travaillent - et qui sont les plus
nombreuses à prendre en charge un membre de la famille - puissent prendre des
congès pour convenance personnelle, que les hommes y participent davantage
par une meilleure organisation du temps de travail…
Rendre possible, par une politique de santé et de l'emploi, le choix des
proches quant à l'aide qu'ils veulent offrir est important pour trois raisons, affirme
encore Nathalie Rigaux :
- Cela accroît la liberté des proches et réduit le poids de la contrainte tout en
rendant accessible le choix d'aider ;
- En soutenant les efforts des aidants informels par l'intervention de profes-
sionnels, on prévient les risques de maltraitance des personnes âgées dépen-
dantes ;
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- En soutenant les aidants informels, on encourage le choix du don et ce
faisant, on renforce les liens sociaux. Certes, « ces dons-là ne sont pas faciles à
recevoir. Mais ils rendent pourtant la vie plus digne d'être vécue, plus intéres-
sante, plus ouverte à des expériences d'humanité pouvant être radicalement
différentes et en même temps, tellement proches ».
La relation de don, dans la tradition de Marcel Mauss, a bien été analysée par
Marcel Hénaff. La relation de don, écrit-il, n'est pas seulement un transfert de
biens, un échange entre un donateur et un donataire parce qu'elle ne porte pas
tant sur les biens que l'on peut donner gratuitement que sur les valeurs de
respect, d'attachement, de reconnaissance, de dignité qui y sont liées. Et, c'est
de cela, qui est source de lien social « que le processus de marchandisation
voudrait nous « délivrer » en nous faisant entrer dans des logiques d'engage-
ments purement contractuels, de risques savamment calculés, d'investissements
garantis, de profits assurés et même de générosités rentabilisées ». Autrement
dit, la logique du don affirme tranquillement que ce n'est pas de l'échange
économique que l'on peut atteindre la formation et le maintien du lien social.
Marcel Mauss l'avait bien compris en disant que « donner n'est pas d'abord
donner quelque chose, c'est se donner dans ce que l'on donne ». Voilà pourquoi
il faut dire que la relation de don, même si elle ne se définit pas comme l'opposé
du rapport marchand, n'a pas pour fonction de s'y substituer. Elle se joue sur un
autre plan et elle ne cherche pas à empêcher l'échange monétaire dont, par

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ailleurs, on ne pourrait se passer. Nous avons besoin de l'esprit du don, tout en


sachant que celui-ci ne peut tout assumer…
Vieillissement et solitude, vieillissement et rupture du lien social ne vont pas
nécessairement de pair, même s'ils sont fréquemment associés. Ainsi, l'entrée en
institution pour des raisons de santé liées à l'âge ne provoque pas nécessaire-
ment, semble-t-il, une perte des liens familiaux selon une enquête menée en
France par l'Insee entre 1998 et 2001 sur les personnes handicapées ou dépen-
dantes : « Alors que plus d'une personne sur trois est entrée en institution pour
raison de santé (plus de 83 % pour celles qui y résident depuis moins d'un an),
la perte des capacités physiques et/ou psychiques n'affecte pas la fréquence des
échanges familiaux… En revanche, les relations avec les amis ou la famille plus
éloignée sont affectées par l'état de santé. En présence de troubles psychiques,
ces liens extérieurs à la parenté proche s'affaissent encore davantage. L'écart se
creuse encore davantage avec la perte des capacités fonctionnelles qui limite les
possibilités d'échanges et de réciprocité dans les liens amicaux. Dans ce cas,
l'existence de relations en dehors du cercle de parenté proche ne concerne plus
que la moitié des personnes dépendantes, en institution comme à domicile ».
On peut donc souligner la stabilité de la vie relationnelle dans le grand âge.
Mais en revanche, la taille du réseau parental peut connaître d'importantes modi-
fications à la suite de décès, et notamment le décès d'enfants de résidants, un
risque bien réel. Or les enfants constituent bien souvent la clé de voûte du lien
social et l'assurance de ne pas se retrouver isolé. Les générations qui atteignent
aujourd'hui le grand âge ou qui l'atteindront dans les prochaines années
devraient être assurées d'être accompagnées par une descendance suffisante.
L'interrogation porte plutôt sur la capacité des proches à accompagner leurs
ascendants fragilisés durant de plus longues années…
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Notre système social tend de plus en plus à répondre aux besoins de la vieil-
lesse en terme d'argent, d'aide et de soins. Bien sûr, ceux-ci sont plus que jamais
nécessaire. Mais il ne faudrait pas qu'ils masquent les besoins sociaux de rela-
tions sociales des personnes âgées et le sentiment de solitude si présent aussi
bien à domicile que dans les institutions. Suffit-il que les personnes âgées soient
rassemblées dans un cadre confortable, parfois entouré d'un parc agréable, pour
effacer les blessures de la vie : séparation, veuvage, départ des enfants, le fait
d'avoir dû quitter un logement inadapté mais qui fut le lieu de la vie quotidienne
pendant de nombreuses années… Le « gîte et le couvert », s'ils sont indispen-
sables à la vie des personnes âgées ne suffisent pas à tuer l'ennui des après-
midi qui sont toujours trop longues.
La tendance actuelle est de mettre l'accent sur la participation. Les recom-
mandations des gens qui réfléchissent à cette question de la solitude des
personnes âgées sont de veiller à ce que celles-ci conservent des contacts avec
d'autres personnes, plus âgées, les membres de la famille, les amis, les voisins
mais aussi avec les tout-petits. Cela suppose tout un ensemble de moyens pour
faciliter les déplacements, les activités de loisir, l'accessibilité aux services,
l'adaptation des logements…

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Sentiment d'être inutile, sentiment de solitude


La rupture que représente le passage à la retraite se vit autrement chez
les hommes et chez les femmes.
Ainsi, les hommes parlent très peu d'eux-mêmes et de leurs émotions. Au
moment du passage à la retraite, ils parlent d'un « sentiment d'inutilité » plutôt
que de solitude. De même, au fil des ans, quand l'engagement social, sous
forme de bénévolat, ne peut plus s'exercer au même rythme suite à une
santé vacillante. « La vie professionnelle a été si investie que son arrêt
provoque une vraie rupture jamais véritablement intégrée, en particulier chez
les anciens cadres ».
Les femmes, quant à elles, parlent davantage d'un « sentiment de soli-
tude », c'est-à-dire d'un mal-être lié à des regrets ou à une insatisfaction
quant à leur vie professionnelle ou familiale. Ce sentiment est renforcé par le
veuvage ou le célibat.
Autrement dit, le sentiment de rupture provient le plus souvent de la
sphère personnelle et familiale du côté des femmes et de la sphère profes-
sionnelle et sociale du côté des hommes.

Vieillissement et participation

Il ne faudrait pas en rester à une vision négative de la retraite et de la


percevoir comme une marche inévitable vers la dépendance physique, morale,
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intellectuelle.
Annonciatrice de la mort, la vieillesse suggère encore trop souvent, quand on
atteint le grand âge, que « vieillir et mourir » vont de pair. C'est là en réalité une
manière de nier la vieillesse. Un regard éthique sur la vieillesse serait de regarder
la personne pour ce qu'elle est maintenant et non pour ce qu'elle a été ou ce
qu'elle sera. Et donc contribuer à sauvegarder son autonomie. C'est sans aucun
doute la seule voie qui la sauvera de la pire des perspectives : l'isolement et la
solitude. A cet égard, la participation à la vie associative est un signe d'une bonne
insertion sociale… et un moyen de rester socialement utile.
« Près d'une personne âgée sur deux est membre d'une association, affirme
l'INSEE 5. Epanouissement personnel et pratique d'activités communes sont les
principales motivations de bon nombre de ces adhésions qui se portent d'abord
vers les clubs du 3e âge et les associations culturelles, musicales ou sportives.
Mais les 60 ans et plus ne le cèdent en rien aux autres dans des domaines plus
tournés vers l'action collective : ils sont également présents dans les associations
fondées sur une communauté d'intérêt ou à but humanitaire ». Cette participation
des aînés à la vie associative a connu un incontestable développement ces
dernières années avec l'accroissement du nombre de retraités (et des prére-

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5
Revue de l'INSEE, n° 737, septembre 2000.

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traités). Mais ce qui est remarquable, c'est que le taux de participation ne faiblit
de manière significative qu'après 80 ans alors qu'apparaissent pour la plupart les
grandes difficultés de la vieillesse.
Deux âges de la vie se signalent donc par une activité associative intense. La
quarantaine semble être l'âge de l'engagement social (associations de parents,
syndicalisme, mouvements humanitaires). Mais ce sont les personnes de plus de
60 ans, libérées de leur vie professionnelle, allégées de leurs charges familiales,
qui détiennent le record de la vie associative : 47 % d'entre elles adhèrent à une
association et la moitié d'entre elles sont membres d'au moins deux associations
(Insee). Bien sûr, les motivations sont très variables. Certains espèrent y trouver
un prolongement de leur vie professionnelle, d'autres y cherchent des loisirs,
d'autres encore s'engagent dans des associations humanitaires ou à vocation
culturelle. Quoi qu'il en soit, ce mouvement s'oppose à l'idée que la retraite est
synonyme de repli sur soi et de solitude.
A cet égard, les associations du 3e âge sont de la première importance (même
si certaines ne proposent que des activités ludiques, voire puériles, peu
valorisantes et régressives…).
Reste un défi ultime aussi bien à domicile qu'en institution : la vie devrait
rester un plaisir, les petits et les grands plaisirs de la vie. Car sinon, à quoi bon
vivre si le seul objectif est de s'occuper pour chasser l'ennui ? Il est évident que
chacun vit mieux quand il peut vivre ce qui le passionne ou tout au moins s'il y
trouve un intérêt personnel, en fonction de son âge.
« On ne vit pas pour être soigné, mais on est soigné pour pouvoir continuer
à vivre dans les meilleures conditions possibles, lit-on dans la revue «La santé
de l'homme » 6. Il y a encore trop de confusions entre les objectifs et les
conséquences. Chanter ne vise pas obligatoirement la rééducation de la capacité
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respiratoire ou la prévention ; manger n'est pas uniquement un acte de préven-
tion de la dénutrition ; parler avec son voisin n'est pas uniquement lutter contre
l'isolement. Il manque dans ces visions beaucoup de perspectives, beaucoup de
vie, surtout beaucoup d'éléments liés au plaisir et au plaisir des cinq sens, mais
aussi des notions telles que l'accomplissement de soi ou l'exercice de son rôle et
son action par rapport aux autres. Là se trouvent les raisons de vivre, l'envie de
vivre, les plaisirs de la vie, et même le sens de la vie… L'animation et la vie
sociale des personnes âgées ne peuvent plus être conçues et pratiquées comme
une succession d'activités visant à occuper, à lutter contre l'ennui ou à participer
à la rééducation… ».
Journal « En marche »
Chaussée de Haecht, 579 BP 40
B-1031 Bruxelles
Tél. : 00 (32)2.246.46.29
Courriel : christian.vanrompaey@mc.be

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4
C'est le thème d'un ouvrage essentiel de Marcel Hénaff, Le Prix de la vérité. Le don, l'argent, la
philosophie, Le Seuil, 2002. Celui-ci est largement commenté dans un dossier de la revue française
Esprit de février 2002.
6
La santé de l'homme, n° 363, janvier-février, 2003.

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