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La Diplomatie Chinoise de L'énergie

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La diplomatie chinoise de l'énergie

Heinrich Kreft
Dans Politique étrangère 2006/2 (Été), pages 349 à 360
Éditions Institut français des relations internationales
ISSN 0032-342X
ISBN 2200921195
DOI 10.3917/pe.062.0349
© Institut français des relations internationales | Téléchargé le 11/05/2024 sur www.cairn.info (IP: 196.75.228.247)

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politique étrangère 2:2006

CHINE : RIVALITÉS ET STRATÉGIES DE PUISSANCE


La diplomatie chinoise de l’énergie
Par Heinrich Kreft
Heinrich Kreft est analyste au Centre d’analyse et de prévision du ministère allemand des
Affaires étrangères. Diplomate depuis 1985, il a été en poste à Tokyo de 1991 à 1994 et à
Washington, de 2001 à 2004.

Les ressources pétrolières ou charbonnières intérieures chinoises sont


largement dépassées par la demande générée par la croissance sou-
tenue du pays. La Chine cherche donc à se garantir des approvision-
nements extérieurs, devenus vitaux, par une diplomatie volontariste qui
marginalise la logique du marché. Cette politique a d’ores et déjà de mul-
tiples répercussions, en matière de prix, d’équilibres régionaux, voire de
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rapports globaux de puissance.

politique étrangère

L’ascension de la République populaire de Chine (RPC) qui, en un quart


de siècle seulement, est passée de la périphérie au centre de l’économie
mondiale, est sans précédent dans l’histoire. Le Royaume-Uni et même
les États-Unis ont pris beaucoup plus de temps dans leur développement
économique pour en arriver à la place que la Chine occupe aujourd’hui
dans la production et le commerce mondiaux.

Les besoins en énergie et en ressources naturelles de ce pays, qui est


le plus grand consommateur de charbon, d’acier et de cuivre au monde
et le deuxième consommateur de pétrole et d’énergie électrique après les
États-Unis, ont provoqué une flambée des prix sur le marché mondial de
l’énergie et des matières premières. Parallèlement, la planète est inondée
de produits chinois bon marché, dont la qualité ne cesse de s’améliorer et
qui constituent une grave menace pour les emplois, non seulement dans
les pays industrialisés du Nord mais aussi dans les pays en développe-
ment du Sud. De plus en plus souvent, la RPC figure à l’ordre du jour
des débats au Congrès américain, et elle préoccupe les hommes politiques

Les opinions exprimées ici ne relèvent que de la responsabilité de l’auteur et en aucun cas des institutions
auxquelles il est rattaché.

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politique étrangère 2:2006

dans les capitales européennes tout comme dans de nombreux pays du


Tiers-Monde. Le défi chinois revêt une dimension mondiale. Lorsqu’à la
fin des années 1980, le Japon était en passe de compromettre la position de
leader de l’économie mondiale qui était celle des États-Unis, Washington
et Bruxelles n’avaient pas tardé à réagir. Le défi que représente l’ascension
de la Chine aux plans économique et politique est bien plus grand que le
décollage économique du Japon, qui s’est terminé subitement au début
des années 1990. L’ascension de la Chine a de nombreuses facettes, et des
conséquences mondiales qu’il faut urgemment analyser.

La croissance des besoins énergétiques chinois

La RPC est actuellement le deuxième consommateur d’énergie dans le


monde, après les États-Unis. L’augmentation de ses besoins en énergie
est la conséquence d’un essor économique qui dure depuis vingt-cinq
ans maintenant, et s’accompagne d’une hausse des échanges extérieurs et
des revenus, d’une plus grande urbanisation et d’une croissance démo-
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graphique. L’augmentation des besoins énergétiques concerne toute la
gamme des sources d’énergie, du charbon au nucléaire en passant par le
pétrole, le gaz, l’électricité, l’énergie hydroélectrique et d’autres énergies
renouvelables. La Chine possède des gisements de charbon importants,
ce qui explique que deux tiers de ses besoins aient toujours été couverts
par cette source d’énergie. Néanmoins, la croissance économique rapide
a entraîné une augmentation très forte de la demande de pétrole. Suite
à la décision des dirigeants chinois de développer l’exploitation du gaz
naturel, il faut s’attendre à ce que cette source d’énergie gagne en impor-
tance à l’avenir. Ces évolutions rendront la Chine encore plus tributaire de
l’étranger : les dirigeants chinois redoubleront d’efforts pour s’assurer ces
importations d’énergie.

Garantir l’approvisionnement en pétrole est donc le principal souci des


dirigeants chinois. Voici quelques années, la Chine arrivait à couvrir ses
besoins en pétrole à partir de ses propres ressources, et jusqu’au début des
années 1990, ses réserves lui permet-
taient même d’en exporter une petite
La Chine a commencé partie. Elle a commencé à importer du
à importer du pétrole en 1993 pétrole en 1993 et ses importations n’ont
et ses importations n’ont dès lors cessé d’augmenter. Depuis le
milieu des années 1960, la Chine est le
dès lors cessé d’augmenter plus grand producteur de pétrole d’Asie
et, ces dernières années, sa production a
atteint les 3,5 millions de barils par jour (Mb/j). Mais la production n’a pu
augmenter au rythme des besoins. Entre 1984 et 1995, ceux-ci ont doublé,
passant de 1,7 à 3,4 Mb/j et doublé de nouveau jusqu’en 2005, atteignant
6,8 Mb/j. En 2003, la Chine a délogé le Japon de la deuxième place sur la

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La diplomatie chinoise de l’énergie

CHINE : RIVALITÉS ET STRATÉGIES DE PUISSANCE


liste des plus grands consommateurs de pétrole, et elle est le troisième
importateur mondial derrière les États-Unis et le Japon. Aujourd’hui, elle
importe plus de 40 % du pétrole dont elle a besoin.

Face à cette situation, le gouvernement chinois a décidé d’entreprendre


des réformes fortes sur le plan de la politique intérieure et a adopté en
politique étrangère une stratégie mondiale visant à garantir ses importa-
tions. Ainsi les dirigeants chinois s’emploient-ils à maintenir la production
dans les gisements de pétrole traditionnels du nord-est du pays tout en
augmentant la production à l’Ouest (politique visant à « stabiliser l’Est tout
en développant l’Ouest1 »). La priorité est donnée au développement des
gisements offshore, dans la mer de Chine méridionale tant que septentrio-
nale, mais les résultats restent modestes. L’industrie chinoise du pétrole a
fait l’objet de restructurations répétées pour devenir plus compétitive et
plus performante, tandis que les lois du marché ont presque seules régulé
la formation des prix. Il est néanmoins peu probable que la production de
pétrole chinoise puisse augmenter sensiblement dans un avenir proche,
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alors que tous les observateurs prévoient que les besoins iront croissant :
et, par conséquent, les importations. L’Agence internationale de l’énergie
(AIE) escompte que celles-ci seront multipliées par cinq d’ici à 2030,
passant de 2 Mb/j en 2002 à presque 11 Mb/j. Cela signifie que la Chine
devra alors importer 80 % du pétrole qu’elle consommera2.

Les dirigeants chinois doivent dès aujourd’hui reconnaître que la dépen-


dance de la Chine vis-à-vis de ses importations de pétrole est inévitable,
et ira s’accentuant3. Tout comme ses voisins asiatiques, la Chine est dans
une large mesure tributaire de ses importations en provenance du golfe
Persique. On estime qu’en 2015, 70 % des importations de pétrole chinoises
proviendront du Proche et du Moyen-Orient, et que le reste devra être
acheminé de Russie par pipeline ou par train, d’Asie centrale par pipeline
ou d’Afrique par pétroliers. De petites quantités pourront éventuellement
être importées d’Amérique latine.

S’agissant de l’énergie électrique, les besoins ont également forte-


ment progressé au cours de ces dernières années. La Chine, le plus grand
producteur et le plus grand consommateur de charbon au monde, possède
de grands gisements qu’elle exploite essentiellement pour la production
d’électricité. Elle couvre ainsi les deux tiers de ses besoins en énergie, et
produit 80 % de son électricité. On prévoit que la consommation de charbon

1. Voir le site de China National Petroleum Corporation, texte disponible sur <www.cnpc.com.cn/english/
zyyw/ktysc.htm>.
2. Agence internationale de l’énergie, World Energy Outlook, Paris, OCDE, 2004.
3. On peut s’étonner que cet état de choses suscite un débat aussi large et animé. Cf. E. S. Downs,
« The Chinese Energy Security Debate », The China Quarterly, New York, Cambridge University Press,
mars 2004, n° 177, p. 21-41.

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politique étrangère 2:2006

doublera pendant la période 2001-2025, avec de lourdes conséquences pour


l’environnement et la santé. La Chine serait alors responsable d’un quart
des émissions de gaz carbonique produites dans le monde. Bien qu’elle en
exporte actuellement de petites quantités, il se pourrait qu’elle soit amenée
à importer du charbon à partir de 2015, malgré les grandes réserves dont
elle dispose.

L’explosion des besoins en énergie électrique pousse en outre la Chine


à nourrir des projets ambitieux visant à développer l’énergie nucléaire :
elle prévoit pour les vingt prochaines années de construire deux grandes
centrales atomiques par an. Le développement de l’énergie hydroélec-
trique doit également être accéléré ainsi que l’exploitation d’autres éner-
gies renouvelables (notamment les énergies solaire et éolienne), mais il
est probable que ces sources d’énergie n’apporteront pas une contribution
suffisante. L’annonce faite lors de la Conférence sur l’énergie de Pékin4 en
novembre 2005, qui prévoit de faire passer à 10 % d’ici à 2010, et même à
15 % d’ici à 2015, la part des énergies renouvelables dans la production
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d’électricité semble nettement trop ambitieuse.

En ce qui concerne le gaz naturel, la Chine est quasiment autosuffisante


mais, en comparaison avec les autres pays, la part de 3 % que représente
le gaz naturel dans la consommation d’énergie totale paraît très faible. Le
gouvernement s’attache pourtant à développer la part du gaz naturel dans
la production d’électricité au détriment du charbon. Il est prévu de la faire
passer à 8 ou 10 % d’ici à 2020. Le gouvernement multiplie les investisse-
ments dans le domaine de l’exploration du gaz naturel, et développe le
réseau national de pipelines afin de transporter le gaz du nord et de l’ouest
du pays dans les métropoles du Sud et de la côte est pour approvisionner
l’industrie et les ménages de ces régions. La construction d’un pipeline de
4 000 km pour transporter le gaz de Xinjiang à l’ouest jusqu’à Shanghai
vient de s’achever.

Bien que le gaz naturel joue un rôle de premier plan dans la couver-
ture des besoins énergétiques chinois, surtout du point de vue de l’en-
vironnement – il revêt donc une grande importance pour la politique
énergétique nationale –, ce rôle ne fait qu’accentuer la dépendance du
pays par rapport aux importations. Après 2010, il ne sera probablement
plus possible de couvrir les besoins à partir de la production nationale. La
Chine commencera à importer du gaz naturel en 2007, dès que le premier
terminal d’importation de gaz naturel liquéfié, construit dans la province
de Guangdong, sera mis en service. Toute une série de terminaux de ce
type doivent être construits le long de la côte. On estime qu’en 2025, les

4. Zhanf Guobao, Deputy Director de la National Development and Reform Commission, lors de son inter-
vention à la Beijing International Renewable Conference 2005, voir <wwww.birec2005.cn>.

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La diplomatie chinoise de l’énergie

CHINE : RIVALITÉS ET STRATÉGIES DE PUISSANCE


importations représenteront 40 % de la consommation de gaz chinoise. Le
gaz naturel liquéfié sera importé essentiellement de la région asiatique et
du Pacifique : Australie, Indonésie, Malaisie, Brunei et Timor-Oriental. La
région du golfe Persique, avec des pays comme le Qatar, l’Iran, le sultanat
d’Oman et éventuellement le Yémen, figurera certainement aussi parmi
les fournisseurs. Il est probable également que la Chine importera du gaz
naturel de Sibérie orientale, où la Russie envisage de construire un grand
réseau de pipelines.

Force est donc de constater qu’en dépit de tous ses efforts pour déve-
lopper la production nationale d’énergie, la Chine ne parviendra pas à
inverser la tendance qui la rend de
plus en plus tributaire des importa-
tions d’énergie. Cette dépendance La Chine ne parviendra pas à
est plus forte en ce qui concerne le inverser la tendance qui la rend
pétrole, mais elle va aussi augmenter
de plus en plus tributaire
rapidement pour le gaz naturel. De
plus, l’augmentation des besoins des importations d’énergie
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en énergie électrique incite la Chine
à prendre des décisions qui entraînent des conséquences considérables
pour l’environnement et la sécurité en général, et engendrent de nouveaux
risques pour la non-prolifération nucléaire.

Une « inquiétude énergétique » croissante

Pour assurer la croissance économique du pays, Pékin doit donc couvrir


des besoins croissants en énergie. Le fait de devenir de plus en plus tribu-
taire des importations fait naître chez les dirigeants chinois un sentiment
de profonde inquiétude, et la crainte de voir la croissance économique du
pays freinée par des interruptions éventuelles des approvisionnements et
des hausses de prix imprévisibles. Les dirigeants de Pékin estiment qu’un
affaiblissement de la croissance économique pourrait engendrer une insta-
bilité sociale qui, à son tour, pourrait saper la puissance et le contrôle poli-
tique exercés par le Parti communiste chinois (PCC). Ils établissent donc
un lien étroit entre la fiabilité de l’approvisionnement en énergie et la stabi-
lité politique et économique du pays, ainsi que le maintien du contrôle et
du leadership du parti.

Dans ce contexte, l’approvisionnement en énergie constitue une priorité


essentielle de la sécurité nationale. La sécurité énergétique est considérée
comme trop importante pour être réglée par les seules forces du marché, la
prospérité de la Chine étant de plus en plus exposée aux risques de pénurie
induits par les lois de l’approvisionnement international, à l’instabilité
chronique qui règne dans les régions exportatrices de pétrole, et aux aléas
de la géopolitique énergétique mondiale. L’approvisionnement en énergie

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politique étrangère 2:2006

est donc au centre des préoccupations des dirigeants chinois, qui s’atta-
chent à trouver des sources d’énergie sûres au-delà de leurs frontières.

Les attentats terroristes du 11 septembre 2001, la « guerre contre


la terreur » menée par les États-Unis, les interventions militaires en
Afghanistan et en Irak ont renforcé ce sentiment d’insécurité et de vulné-
rabilité. La Chine est de plus en plus inquiète des risques d’attentats terro-
ristes sur les infrastructures énergétiques, et notamment sur certains points
particulièrement sensibles des voies de transport maritime qui la relient
au Proche-Orient, comme les détroits d’Ormuz et de Malacca. En 2003,
15 millions de barils ont traversé chaque jour le détroit d’Ormuz, dans le
golfe Persique, sur des pétroliers, et 10 millions ont emprunté également
le détroit de Malacca entre l’Indonésie et la Malaisie. Un autre million de
barils traverse ce même détroit en venant d’Afrique à destination du nord-
est de l’Asie, si bien que plus de 50 % des besoins journaliers en pétrole de
toute l’Asie transitent par ce détroit5.
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Le gouvernement de Pékin craint que la réaction affichée par les États-
Unis, et jugée démesurée, face aux attentats terroristes de New York et
de Washington n’engendre une déstabilisation progressive des régions
productrices d’énergie du Proche et Moyen-Orient, et d’Asie centrale, déjà
en proie à l’instabilité. En outre, la Chine considère les États-Unis comme
un « concurrent stratégique » à long terme, de sorte que l’extension de l’in-
fluence américaine en Asie centrale et dans le golfe Persique renforce la
crainte d’un encerclement américain. Pékin est bien obligé de constater
que la marine américaine contrôle les voies maritimes qui rejoignent le
nord-est de l’Asie en traversant l’océan Indien et qui constituent l’artère
principale par laquelle il s’approvisionne en pétrole. Le gouvernement
s’interroge ainsi sur ce que cela signifie pour la sécurité du pays, pour ses
marges de manœuvre stratégiques, pour son économie et enfin pour sa
stabilité au plan social (et donc au plan politique). La crainte de voir les
États-Unis, en cas de conflit au sujet de Taiwan, interrompre l’approvision-
nement de la Chine en pétrole est dans tous les esprits.

La Chine estime en conséquence que les États-Unis et les magnats du


pétrole occidentaux exercent une domination trop forte sur un marché
mondial dont elle est de plus en plus tributaire, ainsi que sur l’industrie
mondiale du pétrole. Ce sentiment de vulnérabilité des dirigeants chinois
est également renforcé par les prix élevés du brut et par la crainte d’une
diminution de l’offre sur le marché mondial. En outre, Pékin se considère
exclu des institutions mondiales chargées de la gestion de l’approvision-
nement énergétique, et en particulier de l’AIE, bien qu’il participe sur un

5. Energy Information Administration (U.S. Department of Energy), « World Oil Transit Chokepoints », avril
2004, rapport disponible sur le site <www.eia.doe.gov>.

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La diplomatie chinoise de l’énergie

CHINE : RIVALITÉS ET STRATÉGIES DE PUISSANCE


pied d’égalité au Forum international de l’énergie qui réunit pays consom-
mateurs et pays producteurs.

La diplomatie énergétique chinoise

Face à ces défis, la Chine a élaboré une stratégie énergétique internationale à


grande échelle qui vise à augmenter la sécurité de l’approvisionnement et à
rendre ainsi le pays moins vulnérable à la diminution de l’offre et aux chocs
dus à la flambée des prix. Il s’agit là d’une stratégie énergétique « à somme
nulle », fortement empreinte de néo-mercantilisme. Elle a pour principe
l’achat par les trois grands groupes pétroliers chinois, la China National
Petroleum Corporation (CNPC),
la China National Petrochemical
Corporation (Sinopec) et la China Il s’agit de rendre le pays moins
National Offshore Oil Corporation vulnérable à la diminution
(CNOOC), de gisements étran- de l’offre et aux chocs
gers de pétrole et de gaz naturel,
afin d’exercer sur ces derniers un dus à la flambée des prix
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contrôle national direct, ainsi que la
conclusion d’accords avec les pays voisins sur la construction de nouveaux
pipelines pour amener le pétrole et le gaz directement dans le pays. Pékin
pratique ainsi une active diplomatie dans le domaine de l’énergie, en
établissant des relations étroites avec de multiples pays, en développant
son commerce avec eux, et en nouant des contacts militaires avec les grands
pays exportateurs de pétrole et de gaz naturel. Ces efforts se concentrent
naturellement sur les pays du golfe Persique, sur l’Asie centrale, la Russie,
l’Afrique, l’Amérique latine et, depuis peu, sur le Canada. Rien qu’au
cours des cinq dernières années, le gouvernement chinois a conclu des
« alliances stratégiques en matière d’énergie » avec huit pays.

Répercussions sur le prix du pétrole

Non seulement en Asie mais dans le monde entier, on observe avec inquié-
tude les répercussions de cette diplomatie énergétique chinoise. Nombreux
sont ceux qui pensent que la flambée des prix du pétrole et l’explosion de la
demande chinoise sont liées. Le fait que la demande chinoise ait augmenté
de 14 % pour la seule année 2004 a manifestement contribué aux dernières
hausses de prix. La part que la Chine a représentée en 2005 dans l’augmen-
tation de la demande mondiale, qui s’élevait à 2,8 Mb/j, n’a été que de 30 %,
ce qui correspond à la part moyenne de la Chine durant les dix dernières
années. Entre 2000 et 2004, la demande chinoise a augmenté de 1,5 Mb/j,
une hausse légèrement supérieure à celle de la demande des États-Unis,
qui avoisinait 1,3 Mb/j pendant la même période. À l’échelle internatio-
nale, l’augmentation de la demande en pétrole est essentiellement due à
la relance de la conjoncture mondiale depuis 2003. Actuellement, le niveau

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politique étrangère 2:2006

élevé des prix du pétrole s’explique essentiellement par le manque de


capacités de production supplémentaires, auquel s’ajoutent les pénuries
de capacités dans le secteur des raffineries.

Répercussions sur le marché mondial du pétrole

Un autre aspect des efforts déployés par la Chine pour assurer sa sécu-
rité énergétique est peut-être plus important. La stratégie pétrolière néo-
mercantiliste de Pékin consiste notamment à faire exercer par le biais de
filières pétrolières chinoises placées sous la tutelle de l’État un contrôle
direct sur la production dans les grands pays exportateurs de pétrole,
afin que ces derniers exportent directement vers la Chine et que cette
production n’arrive pas sur le marché mondial au même titre que celle
de la plupart des grandes entreprises pétrolières internationales. Si ces
efforts aboutissent, et si la Chine parvient à l’avenir à faire de certains pays
des sources d’approvisionnement exclusives pour couvrir ses besoins en
énergie, cela se répercutera sur le marché mondial du pétrole, qui aura
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plus de difficultés à s’adapter rapidement à une réduction de l’offre ou à
une augmentation de la demande.

La hausse des prix du pétrole de 1973-1974 a enseigné aux pays indus-


triels occidentaux qu’en temps de crise, un jeu à somme nulle dans le
secteur pétrolier ne fait que diminuer les capacités du marché à réagir avec
souplesse et efficacité à la pénurie. C’est pour remédier à cette situation que
l’AIE a été créée, afin d’écarter le risque d’une course à l’énergie entre les
pays, qui n’aurait pour effet que de faire grimper les prix et d’aggraver la
pénurie. Depuis lors, la priorité de la stratégie de l’Ouest consiste à diver-
sifier la production de pétrole, et à veiller à ce qu’une quantité maximum
arrive sur le marché mondial, où la distribution est réglée par les forces du
marché.

Répercussions géopolitiques en Asie

La stratégie néo-mercantiliste de la Chine – qui vise à rétablir sa sécurité


énergétique en exerçant un contrôle direct sur les gisements de pétrole et
de gaz naturel ainsi que sur les voies de transport – risque d’augmenter les
tensions dans une région qui se caractérise déjà par le manque d’organisa-
tions régionales chargées du règlement des conflits, et est aux prises avec
un processus de transformation difficile précisément dû à l’ascension de
la Chine. La course aux ressources énergétiques renforce les rivalités déjà
existantes entre la Chine et certains de ses voisins. Depuis quelque temps,
la Chine et le Japon déploient des efforts diplomatiques intenses au sujet
du tracé d’un oléoduc russe destiné à transporter le pétrole de l’est de la
Sibérie jusqu’à la côte du Pacifique. En outre, les deux pays revendiquent
un petit gisement de gaz offshore dans la mer de Chine septentrionale.

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La diplomatie chinoise de l’énergie

CHINE : RIVALITÉS ET STRATÉGIES DE PUISSANCE


Ces éléments s’ajoutent aux conflits existant déjà entre les deux pays, et
contribuent à une nette détérioration des relations bilatérales entre Pékin
et Tokyo.

Il ne s’agit toutefois pas d’un problème purement chinois. Une forme


virulente de « nationalisme énergétique » semble se répandre dans toute
l’Asie, et attiser de vieilles rivalités. Les grandes puissances économiques
d’Asie – non seulement la Chine mais encore le Japon, l’Inde ou la Corée
du Sud – comme, de plus en plus, certains pays d’Asie du Sud-Est, appli-
quent une stratégie néo-mercantiliste et/ou nationaliste pour assurer leurs
importations d’énergie et sécuriser leurs voies de transport, empêchant le
développement de stratégies de coopération orientées vers le marché, qui
permettraient de faire face collectivement aux défis – identiques pour tous
ces pays – de la sécurité énergétique.

Répercussions sur les stratégies militaire et maritime


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La dépendance de plus en plus forte vis-à-vis des importations de pétrole
provenant de régions instables et qui doivent emprunter des voies mari-
times difficiles à contrôler, affecte également les projets militaires chinois.
Certains experts occidentaux pensent que les dirigeants de Pékin sont
déterminés à développer leurs capacités maritimes bien au-delà de ce qui
serait nécessaire pour assurer la
protection des côtes et du détroit
de Taiwan. Cette thèse est étayée La Chine est devenue un acteur
par la constitution d’une flotte important dans de nombreuses
considérable de sous-marins, régions riches en matières
et par les efforts déployés pour
conclure des accords d’exploita- premières et en sources d’énergie
tion des installations portuaires
le long des itinéraires empruntés par les pétroliers en mer de Chine méri-
dionale, en Birmanie, au Bangladesh et au Pakistan. Des conflits pour-
raient éclater si la Chine ne se contraignait pas à coopérer avec d’autres
pays asiatiques, qui nourrissent des intérêts identiques, et surtout avec les
États-Unis, dont dépendra la sécurité des voies maritimes dans la région
au moins jusqu’à la seconde moitié de ce siècle.

Répercussions sur « l’ordre international »

De par son activité diplomatique dans le domaine de l’énergie, la Chine


est devenue au cours de ces dernières années un acteur important dans
de nombreux pays et régions riches en matières premières et en sources
d’énergie. Pékin a ainsi conclu des alliances avec toute une série d’États
occupant une place particulière dans la communauté internationale, et
a parfois réalisé des investissements considérables. On citera parmi ces

357
politique étrangère 2:2006

pays le Soudan, l’Iran, la Birmanie, le Venezuela et l’Ouzbékistan. C’est


au Soudan que la Chine a réalisé ses investissements les plus importants
dans le secteur du pétrole. On reproche à Pékin d’influer sur la politique
de l’Organisation des Nations unies (ONU) – qui cherche à punir les viola-
tions massives des droits de l’homme au Darfour –, pour empêcher des
sanctions plus graves. La Chine a continué à développer ses activités en
Birmanie, et elle vient de conclure un accord prévoyant un large investis-
sement dans le secteur de l’énergie en Ouzbékistan, tout en signant une
alliance stratégique dans le domaine de l’énergie avec Hugo Chavez, le
président populiste et antiaméricain du Venezuela. Si l’on considère le
secteur plus global des matières premières, on note l’intensification des
relations avec le Zimbabwe de Robert Mugabe, autre paria de la commu-
nauté internationale. Une bonne partie de l’activisme chinois vient ainsi
miner les efforts internationaux en faveur du respect des droits de l’homme
et de la bonne gouvernance.

Répercussions sur le Moyen-Orient et sur l’Eurasie


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De par ses activités visant à assurer son approvisionnement, la Chine
va sans doute voir son influence au Proche et au Moyen-Orient grandir
à moyen terme. Cela pourrait remettre en cause la dominance jusque-là
exercée dans la région par les États-Unis et compliquer encore les relations
déjà problématiques que ces derniers entretiennent avec certains de ces
pays, en particulier avec l’Iran – comme on le voit déjà dans le contexte des
ambitions nucléaires de ce pays.

Aujourd’hui, près des deux tiers du pétrole du Proche-Orient sont


destinés à l’Asie, et la tendance s’accentue. Outre l’Iran, quelques États du
golfe Persique, et notamment l’Arabie Saoudite, essaient de développer
activement leurs relations avec la Chine pour faire contrepoids à leur
situation de dépendance vis-à-vis des États-Unis.

La diplomatie chinoise s’intéresse également à la Russie et à l’Asie


centrale. À côté de l’armement russe, la soif d’énergie de la Chine est le
moteur essentiel du rapprochement entre Pékin et Moscou auquel on a
assisté ces dernières années. D’ailleurs, la concurrence que se livrent la
Chine et le Japon pour le pétrole (et le gaz) russe augmente les chances de
Moscou de revenir sur le devant de la scène en Asie. L’observation inquiète
de l’ascension de la Chine, de son influence économique et politique
croissante, et de la pression démographique qu’elle exerce sur la Sibérie
et l’Extrême-Orient, incite Moscou à jouer sa carte énergétique avec un
maximum d’efficacité. C’est dans ce contexte qu’il faut analyser sa décision
d’acheminer le pétrole vers la côte Pacifique à travers son propre territoire,
ce qui semble avoir frustré Pékin, même si, entre-temps, Moscou a accepté
une bifurcation vers la Chine. En considération des sources d’énergie

358
La diplomatie chinoise de l’énergie

CHINE : RIVALITÉS ET STRATÉGIES DE PUISSANCE


existant en Asie centrale, la Chine a également poursuivi le développe-
ment de la Coopération de Shanghai6. Le gouvernement de Pékin a investi
des sommes considérables dans l’industrie énergétique au Kazakhstan, et
a dernièrement supplanté un concurrent indien dans la compétition pour
obtenir le contrôle du producteur canadien Petro-Kazakhstan. Il construit
actuellement, avec le Kazakhstan, un grand oléoduc en direction de l’ouest
de la Chine.

***

L’augmentation des besoins énergétiques chinois et les efforts de Pékin


pour assurer sa sécurité dans ce domaine constituent un défi politique
d’envergure mondiale. L’établissement d’une stratégie de coopération avec
la Chine est ainsi essentiel. Faute de cette coopération, les conséquences en
matière d’environnement et de climat mondial (notamment le réchauffe-
ment de la planète), pour la vitalité de l’économie internationale ou pour la
stabilité et la paix – et pas seulement en Asie – pourraient s’avérer considé-
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rables. La Chine a besoin d’aide pour améliorer son efficience énergétique
et pour développer l’exploitation des énergies renouvelables. C’est le seul
moyen de freiner sa consommation d’énergie, qui progresse à une vitesse
fulgurante et engendre un réel sentiment d’insécurité quant au futur de ses
approvisionnements.

Il faudrait ainsi renforcer la confiance de la Chine dans le marché


mondial du pétrole, en lui proposant une coopération venant se substi-
tuer à sa diplomatie néo-mercantiliste – diplomatie qui pourrait bien, à
moyen terme, noyauter le fonctionnement de ce marché au détriment de
tous. On pourrait en particulier examiner la possibilité d’associer la Chine
au système mondial conjoint de constitution et de gestion des stocks de
pétrole, au sein duquel l’AIE joue un rôle central. La Chine prévoit de
construire sur certains sites majeurs de sa côte est quatre entrepôts straté-
giques de stockage de pétrole. Il serait opportun de coordonner ses efforts,
ainsi que l’exploitation de ses réserves stratégiques, avec l’AIE pour leur
assurer un maximum d’efficacité en cas de crise.

La création d’organisations régionales de l’énergie, chargées de promou-


voir des projets énergétiques multilatéraux ainsi que la coopération régio-
nale, pourrait peut-être aider à remédier aux conséquences pour la sécurité
internationale des « nationalismes énergétiques » émergents en Asie. De
même, on pourrait avoir recours aux organisations existantes, telles le
Forum de coopération économique Asie-Pacifique (Asia Pacific Economic

6. L’Organisation de coopération de Shangai (Shangai Cooperation Organisation, SCO), qui regroupe la


Chine, la Russie, le Kazakhstan, l’Ouzbékistan, le Kirghistan et le Tadjikistan, vise à promouvoir la paix,
les échanges économiques et la coopération en général dans la région.

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politique étrangère 2:2006

Cooperation, APEC), le Forum régional de l’Association des nations du


Sud-Est asiatique (ASEAN Regional Forum, ARF) ou le Dialogue Europe-
Asie (Asia-Europe Meeting, ASEM), qui ont pour avantage de compter
parmi leurs membres des puissances extérieures intéressées à la stabilité
de cette région – comme les États-Unis ou l’Union européenne (UE) –, pour
mener un dialogue efficace en matière énergétique.

Toute une gamme de stratégies a déjà été élaborée pour associer la


Chine à la coopération internationale dans le secteur de l’énergie (dans le
cadre du G8, notamment à Gleneagles et dans le processus de suivi ; avec
l’Union européenne, notamment dans le cadre du sommet UE-Chine ; avec
l’Allemagne dans le domaine des énergies renouvelables ; dans le cadre du
Forum international de l’énergie de l’AIE). Il importe d’agir rapidement
sur ces bases : le défi que la Chine représente en termes de politique éner-
gétique est véritablement de dimension mondiale.
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Chine
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Géopolitique de l’Asie
Pays producteurs de pétrole

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