Rancon Dat
Rancon Dat
Rancon Dat
1. Introduction
En réaction aux méthodologies traditionnelles, la méthode directe proposait déjà des leçons qui
s’appuyaient sur des gestes, des dessins ou des images pour favoriser la compréhension du lexique. Les
premières leçons se référaient à des situations qu’il était possible de mimer ou montrer. Cette étape orale
mettait en jeu le corps par des activités souvent artificielles.
1
Simultanément à leur réalisation linguistique orale, les objets étaient dénotés et l’apprenant était incité à
imiter les formes linguistiques avant même de les comprendre entièrement pour les mémoriser. C’est la
première méthode à prendre « en charge les langues vivantes dans leur oralité interactive, dans leur
« globalisme »» (Besse, 1995 : 34).
La méthodologie active, effective à partir des années 1925, représente un compromis entre la
méthodologie directe et les méthodologies traditionnelles. Tandis que le texte écrit reprend sa place avec
une présence réduite de la langue orale, le recours à la langue première comme moyen explicatif n’est plus
exclu. Pour la première fois, il est fait appel à des procédés audio-visuels : radio, disques, images,
magnétophone, photos, cartes, puis films fixes ou animés et télévision, afin d’attirer et retenir l’attention
des apprenants. L’utilisation d’outils présentant de l’oral est plus grande que ceux présentant écrit et oral
conjointement. Mais cet oral est prétexte à aborder l’écrit, qui reste au centre des objectifs d’apprentissage
(Germain, 1993). Par la suite, les travaux du Conseil de l’Europe ainsi que ses actions éducatives tentent
d’améliorer les contenus linguistiques existants (oraux et écrits) pour les adapter aux changements de la
société. Le Français fondamental, mis au point par l’équipe du CREDIF (1954, 1959), en est la réponse,
méthode qui permet d’acquérir les éléments linguistiques essentiels à la communication.
Les méthodologies audio-visuelles se sont ainsi servies des techniques de l’époque pour présenter la
langue comme instrument de communication. Il n’est pas question d’avoir recours à la traduction, le sens
étant inféré par les interactions des personnages, leurs gestes, leurs mimiques, les éléments du décor. Les
éléments non-verbaux et paraverbaux accompagnent ainsi le verbal et permettent d’induire le sens du
lexique.
Depuis, la présentation des éléments nouveaux pour l’apprenant s’effectue de manière plus souple.
L’enseignant ne travaille plus sur un modèle de présentation préétabli de type : présentation du dialogue,
explication du dialogue, mémorisation, exploitation à partir des images, transposition et réemploi. Les
enseignants s’accordent plutôt sur le fait que les moyens didactiques non-verbaux et paraverbaux doivent
servir la bonne compréhension de ce qui est dit en classe (Defays & Deltour, 2003). Ces moyens
accompagnent, illustrent, précisent la parole de l’enseignant.
Les recherches actuelles en didactique cognitive des langues permettent de mieux comprendre le
fonctionnement cognitif de l’apprenant et proposent des pistes de recherche pour améliorer l’enseignement
du lexique. Les didacticiens cognitivistes estiment que l’enseignement-apprentissage d’une langue
s’élabore à partir de la mise à jour des conditions (linguistiques, environnementales et psychologiques) et
des processus qui engendrent les modifications des comportements langagiers de l’apprenant à partir de ce
que produit l’enseignant (Billières & Spanghero-Gaillard, 2005). Cette perspective aura non seulement
pour objectif de mener une réflexion sur le rôle discursif/non-discursif de l’enseignant en classe, sur
l’impact du type de présentation du lexique (interactions verbales, autonomie guidée par ordinateur, etc.)
mais aussi sur le fonctionnement cognitif de l’apprenant pour appréhender de manière globale mais précise
le processus de présentation/compréhension/mémorisation des mots de vocabulaire.
Parmi les pistes de recherche développées par la didactique cognitive des langues étrangères, émergent
celles qui s'intéressent à l'utilisation des nouvelles technologies, les TICE (Techonologies de l'information
et de la communication pour l'enseignement), dont l'impact sur l'apprentissage des L2 reste peu étudié
notamment chez les jeunes apprenants. L'utilisation des TICE pose pourtant toute une série de problèmes,
dont celui de l'impact de la présentation multimodale de la L2 sur l'apprentissage. Rappelons que par
multimodalité, nous entendons la présentation de la langue soit à l'oral soit à l'écrit, soit les deux
simultanément ou avec un léger différé.
Nous pouvons donc légitimement nous interroger sur le rôle joué par la présentation multimodale de la
L2 et nous demander notamment si la multimodalité facilite ou pas les processus de mémorisation, sachant
qu'ils participent à l'apprentissage (Mayer & Moreno, 1998; Sweller, 1994; Tricot, 1998). Cette
multimodalité est souvent présentée comme facilitante, alors que certaines recherches posent plusieurs
conditions. En effet, le coût cognitif des opérations d’encodage (quand notre cerveau perçoit et traite
l’information) (Merlet, 1998) est en langue étrangère plus lourd qu’en langue première, ce qui peut entraver
l’accès au sens. Nous rappelons donc l'importance de contrôler les formats de présentation de la L2
(Sweller, 1994), d'autant que nous disposons aujourd'hui de travaux qui montrent que la multimodalité peut
représenter un coût cognitif tel qu'elle va freiner l'apprentissage au lieu de le favoriser (Sweller, 2003;
Tricot, 1998).
2
Dans le contexte qui vient d’être décrit, la multimodalité est principalement utilisée pour les TICE.
Pourtant, en observant des classes de langues étrangères/secondes et des classes de langue maternelle, nous
nous sommes aperçues que l’enseignant utilisait des techniques qui relevaient de la multimodalité. Rançon
& Spanghero-Gaillard (2005) ont délimité ces techniques explicatives et les ont scindé en deux groupes
distincts : les techniques explicatives d’ordre verbal et les techniques non-verbales et paraverbales.
Les techniques verbales (cf. tableau infra) peuvent être de type définitoire ou mise en situation. Lorsque
l’enseignant explique en définissant le mot ou l’expression donnée, son discours peut être
synonymique/antonymique, par inclusion (hypéronymie/hyponymie), par métalangage et par morpho-
sémantisme. L’enseignant peut également proposer des explications paraverbales/non-verbales de type
kinésique (en utilisant la posturo-mimo-gestualité), la proxémique, des supports iconiques et la prosodie qui
comprend l’accent, la pause et le débit. En langue étrangère, la traduction peut être un moyen comme un
autre de faire comprendre rapidement et efficacement un mot de vocabulaire dans une classe où la langue
première est la même pour tous. Cette technique n’a pas été observée car les classes de FLE/S
comprenaient des apprenants de cultures très diverses1.
Ces techniques verbales, paraverbales/non-verbales peuvent être associées ou non pour plus d’efficacité.
Elles peuvent être multimodales en ce sens qu’elles convoquent plusieurs types de supports pour maintenir
l’interaction. Mais dans quel ordre sont-elles plus efficaces? Doivent-elles être forcément associées pour
permettre une meilleure mémorisation? Selon Laufer (2007), la connaissance lexicale est cumulative et un
mot ou une expression doit être rencontré entre 8 et 10 fois pour être retenu. Certains auteurs (Richards,
1976 ; Nation, 1990 ; Laufer & Sim, 1984), conscients de la nature multidimensionnelle du mot, définissent
justement la compétence lexicale comme l’accumulation des connaissances des différents aspects qui
composent le mot. Cette conception cumulative de la connaissance lexicale ne peut être que longue et
graduelle dans le temps. Nous nous demandons alors si ces associations de techniques pallient le manque
d’apprentissage graduel du lexique.
Explications verbales
Hyperonymie Hyponymie
Partielle Totale
Rythme Intonation
1
Cependant, en tant qu’enseignante de FLE/S, il nous est arrivé de traduire en anglais, dans des classes hétérogènes, un mot
courant et/ou transparent comme « magic » pour « magique », etc. Ceci dit, nos apprenants (des étudiants provenant d’autres
universités étrangères) avaient tous les connaissances préalables nécessaires pour comprendre.
2
Nous incluons dans cette catégorie les explications grammaticales.
3
4. Conditions d’apprentissage-enseignement du lexique
Les deux expérimentations que nous allons présenter maintenant ont pour objectif rappelons-le, de
préciser les conditions qui vont permettre une meilleure mémorisation lexicale en classe de langue
étrangère. Leur point commun se situe au niveau de l'utilisation de la multimodalité par l'enseignant et de
ses effets sur la mémorisation de la L2 chez l'apprenant.
Le premier contexte présenté (partie 4.1) montre une situation d'apprentissage-enseignement du FLES
en groupe-classe auprès d'apprenants adultes alors que le deuxième (partie 4.2) présentera un travail en
autonomie guidée, en anglais langue étrangère, auprès d'enfants de 8 à 11 ans.
Dans cette première expérimentation, nous avons filmé des séquences de cours de langue étrangère et
seconde dans le but, premièrement, de décrire les différents pratiques multimodales des enseignants puis,
dans un second temps, d’évaluer leurs effets sur la mémorisation du lexique par les apprenants. Deux
enseignantes de FLE/S de l’université de Toulouse II-le Mirail (nommées GOU et LEC) ont été amenées à
expliquer des mots ou expressions présents dans trois textes littéraires (pour une présentation détaillée du
protocole expérimental, voir Rançon & Spanghero-Gaillard, 2007). Ces textes contenaient des mots de
vocabulaire peu courants ou difficilement compréhensibles comme « un fiacre », « des miasmes », « une
étuve », etc. Le public d’apprenants à qui s’adressait ces explications se composait d’étudiants âgés de 20 à
27 ans, de cultures très diverses, dont le niveau de français a été évalué par les enseignantes et par
l’institution au niveau utilisateur (B1/B2) du CECR (Conseil de l’Europe, 2001).
Suite à ces observations de classes et à la transcription des données recueillies, nous avons évalué la
compréhension des apprenants en demandant à ces derniers d’expliquer par écrit les mots vus en classe une
semaine auparavant. Avec les résultats qualitativement et quantitativement obtenus, nous avons ainsi relevé
ce qui a été retenu par l’apprenant par rapport au type d’explication multimodale fourni par l’enseignante3.
Voici le tableau correspondant aux données recueillies que nous allons expliciter et commenter :
Les apprenants ont tous rencontrés les mots ou expressions lors de la lecture, silencieuse ou non, des
trois passages de Bel-Ami. Ils savent donc comment s’écrivent ces mots et n’ont pas de problème de
reconnaissance lors de la tâche de restitution par écrit du lexique.
Lors d’une lecture instinctive de ce tableau, nous pourrions penser que plus les enseignants utilisent de
techniques explicatives diverses, plus le mot ou l’expression est retenu. Il n’en est rien. En effet, lorsqu’il
n’y a pas d’explication (A) de la part de l’enseignante (par choix didactique ou autre), dans la majorité des
cas, il n’y a pas rétention de vocabulaire par les apprenants. Ils n’arrivent à répondre à la question
3
La tâche proposée nécessite une compétence supplémentaire, celle de maîtriser l’écrit. Les apprenants étant de niveau
intermédiaire, l’écrit ne pose pas réellement de problème, excepté le fait de commettre des erreurs grammaticales, syntaxiques et
lexicales. Le sens étant perçu par le destinataire. Ainsi les erreurs, autres que sémantiques, commises par les apprenants n’ont
pas été sanctionnées.
4
Il s’agit pour chaque catégorie de l’explication d’une seule des deux enseignantes. Et c’est le pourcentage de réussite de sa
classe qui est mesuré, tous apprenants confondus.
4
« expliquer tel ou tel mot ». Pourtant, deux mots ont été retenus par les apprenants. Nous reviendrons en
dernier lieu sur ces deux termes.
Lorsque les mots de vocabulaire sont expliqués verbalement par l’enseignante (B), sans technique
paraverbale/non-verbale, l’explication peut apparaître dans deux contextes discursifs spécifiques : soit
l’enseignante explique la lexie immédiatement après l’avoir rencontrée dans le texte, soit l’explication vient
un peu plus tard dans le discours comme dans les exemples suivants :
GOU « ils vont traverser toute l’église et sortir (0.4) sur le perron et vous voyez (0.3) la mad’leine (0.7) lorsque vous sortez d’la
mad’leine donc vous arrivez au niveau des colonnes (0.3) et vous avez les marches (0.3)… »
Dans le premier cas, l’enseignante utilise une synonymie partielle et propose l’explication « dans la
foulée ». Dans le second cas, il s’agit également d’une synonymie partielle mais l’explication apparaît un
peu plus tard dans le discours parce qu’il y a remise en contexte. Il peut alors sembler difficile pour un
apprenant étranger de reconstituer le sens du mot dans ce continuum oral. En outre, le premier mot
appartenait à la compréhension globale alors que le second dépendait de la compréhension détaillée. Nous
aurions pu penser que le deuxième mot de vocabulaire aurait été moins bien retenu par les apprenants. Cela
n’a pas été le cas. Aucun des deux n’a obtenu de résultat positif, les apprenants ne se sont pas souvenus des
mots abordés et expliqués en classe.
Lorsque la lexie est lue par les apprenants, expliquée verbalement par l’enseignante avec une
explication de type définitoire (C), nous obtenons des résultats un peu plus élevés sur la mémorisation des
mots de vocabulaire. Nous pouvons nous demander si ces 14.4% de réussite au test sont à attribuer à
l’explication par définition encyclopédique. Cette dernière est généralement plus longue et plus précise
qu’une simple synonymie partielle. En ce sens, les apprenants ont peut-être l’impression que, comme
l’explication est détaillée et comme l’enseignante insiste, le terme est important. De ce fait, ils tentent de
s’en souvenir et obtiennent de meilleurs résultats.
5
Dans l’exemple (E), l’enseignante marque une dichotomie entre la lecture du passage et la parenthèse
explicative (Chesny-Kohler, 1980). Dans cette phase explicative, elle se sert d’un élément de son corps
pour aider à la compréhension, explicite son geste et reprend la lecture du passage.
Lorsque l’enseignante utilise un grand nombre de techniques explicatives, les résultats sont un peu plus
élevés. C’est le cas de l’exemple (F). L’enseignante associe intonation montante, descendante, insistance
sonore, gestes, écrit et aide les apprenants à co-construire le sens à partir de ce qu’ils savent déjà5:
L’insistance sonore pour l’expression « boite noire » permet d’attirer l’attention sur ce terme et installe une
demande d’explication. Les apprenants sont amenés à chercher la signification de cette expression au
regard du contexte/cotexte textuel ou encore par leurs connaissances antérieures. Une étudiante fait une
proposition en décrivant d’un geste des deux mains une forme ronde comme pour qualifier spatialement
l’objet « voiture ». L’intonation montante confirme les propos de l’apprenant par l’enseignante et le geste
suivant tente d’interpeller d’autres apprenants pour préciser la réponse donnée. Une élève apporte une
précision supplémentaire. L’enseignante s’empresse de montrer au reste de la classe qui vient de parler en
la désignant d’un geste de la main, geste qui baisse comme pour approuver ce qui vient d’être dit.
L’enseignante tente à nouveau d’interpeller le reste de la classe d’un geste de la main qui balaie l’ensemble
des apprenants de gauche à droite. L’intonation montante accentue sa demande. Suite à la réponse erronée
d’une étudiante, l’enseignante adoucit et allonge un « n:on » pour ne pas donner un « non » catégorique à sa
proposition. Elle l’accompagne par ailleurs d’un hochement de tête pour ne pas fermer la porte aux
5
Attention, nous sommes avec des étudiants de niveau utilisateur (B1/B2). Il n’est pas utile pour l’enseignante de faire de
grands gestes, de grandes mimiques comme cela peut être le cas pour des apprenants débutants. Ce n’est pas aussi théâtral. Ceci
dit, les petits indices qui parsèment le discours de l’enseignante sont assez bien décodés par les apprenants que nous avons
observés.
6
discussions. L’enseignante poursuit sa demande d’explication en donnant un indice verbal (« c’est fermé ») et
paraverbal (geste de parenthèse) supplémentaire. Un apprenant ne donnera pas la réponse attendue et
l’intonation descendante, le haussement des épaules et le geste de la main tentent encore une fois de
montrer que la réponse est fausse sans pour autant faire perdre la face à l’interlocuteur. D’ailleurs, elle se
justifie en spécifiant l’usage de « carrosse » et montre que dans le contexte textuel, il n’est pas question de
rois, ni de reines. L’enseignante comprend que le mot attendu ne sera pas obtenu et prend un stylo feutre
pour le marquer au tableau. Elle rejette ainsi les termes de « diligence » (accepté dans un premier temps) et de
« charrette ». L’inscription au tableau de « fiacre » pousse les apprenants à prendre des notes sur leurs cahiers. Le
mot étant mis en relief, il peut être considéré comme étant important. C’est une stratégie d’enseignement
parce que ce terme, écrit dans le texte, n’avait pas forcément besoin d’être marqué au tableau. Les éléments
verbaux, paraverbaux et non-verbaux s’associent ainsi pour aider à la co-construction de sens.
Cependant, de tous nos résultats, le plus fort taux de mémorisation est attribué à la recherche du terme
« amasser » et en l’occurrence, il s’agissait en contexte « d’une foule amassée ». L’enseignante, outre
l’utilisation de techniques verbale, paraverbale et non-verbale, a co-construit le sens du terme avec les
apprenants et a fini son explication en exemplifiant par des gestes la signification du mot. Ainsi ce dernier a
été mis en contexte et a pris sens. L’enseignante a rassemblé plusieurs fois (réellement et virtuellement) les
feuilles posées sur son bureau, en a fait un amas tout en verbalisant une explication. C’est l’exemple (G) :
Les apprenants ont pris part à la découverte du sens volontairement et n’ont pas attendu que
l’enseignante les sollicite. Pourtant, ils n’ont pas trouvé exactement la signification du mot et donc cette
dernière leur a proposés une mise en situation ; elle a utilisé un exemple pour rendre compte du sens du
mot. Si nous en restions là, nous penserions qu’exemplifier aide à la compréhension, mais rien n’est moins
sûr. La qualité des explications des enseignantes, notamment, n’a pas été évaluée pourtant elle influe très
certainement sur le taux de mémorisation du lexique. En outre, si l’on revient un instant sur (A), nous avons
dit que sans explication, il n’y avait pas compréhension. Pourtant, deux mots non expliqués par les
enseignantes ont obtenus des résultats surprenants : « un vestibule » et « des assistants » qui signifiait « les
invités du mariage » ont respectivement décroché 35.7% et 77% de réussite au test de mémorisation. De
plus, les deux termes appartenaient à la compréhension détaillée de deux textes différents et n’avaient
aucun rapport sémantique. Il n’était pas nécessaire de les comprendre pour assimiler le sens du texte, ni le
sens de l’œuvre. Nous pouvons supposer que le contexte ou cotexte textuel a permis d’aider à la
compréhension de ces termes mais rien n’indique pourquoi ils ont été retenus par les apprenants.
Il est donc quasi impossible d’affirmer que l’association ou non de supports permet de mieux faire
comprendre et faire mémoriser des informations pour des apprenants adultes lors d’interactions verbales en
classe de français langue étrangère. Ceci dit, il est essentiel de prendre en considération les variables
suivantes car elles ont potentiellement un rôle à jouer lors de l’apprentissage de lexique :
- Le contexte discursif/le cotexte textuel
- Le type d’explication proposé par l’enseignant (qualité, quantité, etc.)
- Les stratégies d’enseignement/ d’apprentissage notamment (Cyr, 1998)
7
Le public d'apprenants sur lequel s'appuie notre seconde expérimentation est un public d'enfants de 8 à
11 ans. Nous avons essentiellement cherché à évaluer les effets de la présentation multimodale de la L2
(orale et/ou écrite, ou une combinaison des deux) sur la mémorisation de lexique en anglais langue
étrangère (pour une présentation plus détaillée voir Dat, 2006).
Nous avons ainsi vérifié auprès de 570 élèves de 8 à 11 ans l’impact de la modalité d’encodage par deux
types de tâches qui constituent deux séries de tests : une tâche de désignation (les participants devaient
montrer les mots reconnus), et une tâche de restitution (ils devaient alors les dire ou les écrire). Pour ce
faire, nous leur avons proposé de participer à un jeu de mémoire sur ordinateur à partir d'un cdrom éducatif.
Les 12 mots choisis à mémoriser pour ces expérimentations ont été associés à des dessins mis en scène qui
constituent la scène imagée ci-dessous.
12 objets cliquables:
The crab
The treasure
The coconut tree
The rock
The island
The parrot
The sun
The swimmer
The boat
The snake
The cloud
The shell
Scène informatisée « L’île de tes rêves » présentée aux enfants pour les tests
Les enfants disposaient de 2 mn pour mémoriser les 12 mots. Ils pouvaient cliquer sur les icônes autant
de fois qu'ils le souhaitaient dans l'ordre de consultation de leur choix, et la mascotte du jeu leur proposait
le mot soit à l'oral, soit à l'écrit, soit les deux simultanément ou une combinaison des deux, selon le plan
d'expérience.
A l'issue de ces 2 mn, la même mascotte faisait passer le test à l'enfant qui devait soit montrer, soit dire
soit écrire le mot indiqué selon la même modalité qui lui avait été proposée pendant la phase
d'apprentissage. S'ensuivait une correction toujours proposée par la mascotte immédiatement après la
passation du test.
Une semaine plus tard exactement, l'enfant repassait le test, mais cette fois-ci sans nouvelle phase
d'apprentissage, pour vérifier sa mémorisation à plus long terme (immédiat vs différé).
Les principales hypothèses à l'origine de notre expérimentation ont porté sur l'influence de l'âge sur les
performances, sur l'influence du mode de restitution oral vs écrit, et sur l'influence de la modalité de
présentation du lexique sur la mémorisation des 12 mots, présentation orale, écrite, les deux simultanément
ou une combinaison des deux.
Les résultats obtenus dans les deux séries de tests, tests de désignation et de restitution confirment
l'importance de la mémoire dans le traitement de l'information en L2 et permettent de souligner que la
multimodalité est insuffisante en soi pour favoriser un apprentissage. De façon statistiquement
significative, on observe en effet le rôle joué par :
l’âge des apprenants : un enfant de 11 ans mémorisera plus qu'un enfant de 10 ans etc., quelle que soit
la modalité utilisée
8
le rôle joué par le mode de désignation ou de restitution de la langue étrangère : dire est plus difficile
qu'écrire et plus difficile que montrer
le rôle de la modalité d'encodage du matériau langagier : elle donne des performances très variables,
avec une baisse des performances quand les deux modalités sont présentées conjointement, alors que
les résultats sont meilleurs quand les deux sont présentées en différé, la restitution orale présentant plus
de difficulté que la restitution écrite.
Il nous reste à analyser plus en profondeur le rôle de la longueur des mots à mémoriser, le rôle de la
transparence phonétique et graphémique de ces mots anglais par rapport à leurs correspondants en français
(L1) dans la mémorisation lexicale.
Ces observations nous amènent à insister sur la nécessité de contrôler les formats de présentation,
d'envisager le multimédia comme un médium pour utiliser la L2 à l'oral, tout particulièrement pour
l'apprentissage du lexique dans le cadre d'une utilisation en autonomie guidée, pour conduire notamment
les apprenants à une meilleure reconnaissance phonologique et grapho-phonologique en particulier.
5. Perspectives
Les deux études montrent que la prise en compte de la multimodalité en classe de langue est aussi
importante que délicate. Son utilisation en classe doit dépendre à la fois du type de public et des objectifs
d'enseignement fixés.
Pour un public d’enfants (expérimentation 2), la présentation multimodale conjointe de la L2 (oral +
écrit + image simultanément) dans le cadre d’un apprentissage-enseignement assisté par ordinateur donne
des taux de mémorisation lexicale plus faibles que si les éléments avaient été présentés l’un après l’autre.
Pour un public d’adultes (expérimentation 1), la multimodalité semble aussi aider les apprenants à
mémoriser le lexique présenté. Cependant, les résultats sont là encore assez aléatoires, et dépendent des
contextes dans lesquels les explications des enseignants ont été énoncées.
En outre, la classe de langue se compose de nombreux paramètres qui facilitent ou limitent la
compréhension de données orales produites par l’enseignant (disposition dans la salle, ambiance silencieuse
ou non, superposition d’énoncés, degré d’articulation, etc.). Le contexte discursif mais aussi le contexte
textuel (organisation des mots dans le texte, isotopie importante, mot intégré à la compréhension globale ou
détaillée du texte, etc.) ont un impact sur le décodage des informations par les apprenants. Ceux-ci mettent
en place des stratégies d’apprentissage qui tentent de pallier les difficultés de compréhension rencontrées.
Mais tant sur le plan de la compréhension effective de lexique que sur celui de sa rétention, la
multimodalité est à considérer en regard d’autres variables.
La seconde étude limite au maximum le nombre de ces variables en utilisant l’interface informatique.
La transmission d’informations nouvelles passe directement de l’ordinateur à l’apprenant. Ainsi, nous
avons pu observer directement les effets de la multimodalité sur le degré de mémorisation du lexique.
Pourtant, des paramètres tels que l’âge (et donc la maturité cognitive), la charge cognitive engendrée et le
rôle de la tâche proposée ont eu un impact sur le degré d’acquisition du lexique.
Ainsi, quel que soit le public considéré, l'utilisation de plusieurs supports didactiques implique une
nécessaire réflexion sur la façon dont l’apprenant va être en mesure ou non de décoder les informations.
Dans un environnement où la multimodalité est une notion très valorisée, les recherches en apprentissage-
enseignement des langues étrangères sont utiles pour aider les pédagogues à mieux intégrer les supports qui
s’offrent à eux, sans oublier que l'un des principaux objectifs reste l’acquisition d’une langue étrangère au
travers du lexique qui la compose.
Conventions de transcription
9
ah :: allongement
<((en riant)) transcription> commentaire sur une production verbale ou
description d’une production non-verbale ou paraverbale
oui/ non\ montée et chute intonative
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10