Analyse de La Productivite de Ses Determinants Et de Ses Resultantes Dans Un Contexte International Ces
Analyse de La Productivite de Ses Determinants Et de Ses Resultantes Dans Un Contexte International Ces
Analyse de La Productivite de Ses Determinants Et de Ses Resultantes Dans Un Contexte International Ces
AVIS
AVANT-PROPOS ......................................................................................................................... 1
1 Analyse factuelle................................................................................................................. 3
1.1 La productivité : un concept complexe aux facettes multiples .................................. 3
1.2 Quelques déterminants de la productivité ................................................................. 4
1.2.1 Les déterminants économiques de la productivité ............................................. 5
1.2.2 Les déterminants sociaux de la productivité ....................................................... 7
1.2.3 Le cadre politique et institutionnel...................................................................... 9
1.2.4 Le niveau de formation ...................................................................................... 10
1.3 Défis liés à la mesure de la productivité ................................................................... 11
1.3.1 Généralités ......................................................................................................... 11
1.3.2 La mesure de la productivité dans l’économie non marchande ....................... 13
1.3.2.1 Production (productivité) non marchande basée sur les outputs : le rapport
Atkinson .................................................................................................................... 14
1.3.2.2 Sélection des indicateurs de production : la « qualité » et autres défis
méthodologiques .......................................................................................................... 17
1.3.2.3 Production (productivité) non marchande : la situation danoise .............. 20
1.3.2.4 Les mesures « output » dans la comptabilité nationale du Luxembourg .. 21
1.3.2.4.1 Enseignement .......................................................................................... 21
1.3.2.4.2 Santé et Action Sociale ............................................................................ 22
1.3.2.5 Conclusions et points d’action.................................................................... 24
1.4 Les principaux indices de productivité utilisés .......................................................... 25
1.4.1 Le facteur « travail » et la productivité apparente du travail ........................... 25
1.4.1.1 Considérations méthodologiques .............................................................. 25
1.4.1.2 Quelques résultats pour le Luxembourg .................................................... 26
1.4.1.3 La situation dans la Grande Région ............................................................ 32
1.4.2 Le facteur « capital » et la productivité apparente du capital .......................... 35
1.4.3 Le facteur « progrès technique » et la productivité globale des facteurs (PGF) 38
1.4.3.1 Considérations méthodologiques .............................................................. 38
1.4.3.2 Quelques résultats pour le Luxembourg .................................................... 40
II CES/PRODUCTIVITE (2017)
Graphiques
Tableaux
AVANT-PROPOS
Suite à une réunion du Bureau élargi du CES avec le Premier Ministre, M. Xavier Bettel,
en date du 27 novembre 2015, le CES a été saisi, le 1er décembre 2015, pour avis et
analyse de la productivité, de ses déterminants et de ses résultantes, dans un contexte
international.
La réunion en question avait été convoquée par M. le Premier Ministre afin d’affiner la
formulation de la saisine pour avis du CES quant à la productivité qui, dans sa version
initiale, invitait le CES à élaborer un avis sur « le principe et les modalités éventuelles d’un
lien entre la politique salariale et l’évolution de la productivité ». Etant donné que l’accord
trouvé lors de la dernière « tripartite » portait sur une analyse de la productivité « en
général » et non sur le seul lien entre la productivité et l’évolution salariale, la saisine
avait été jugée trop restrictive et a donc été reformulée de façon à convenir à toutes les
parties concernées.
En effet, beaucoup d’autres éléments tels le capital, les infrastructures, l’énergie, les
inégalités, le cadre institutionnel, etc. ont une influence sur la productivité et méritent
d’être analysés au même titre que le lien avec la rémunération des facteurs de
production. Etant donné le lien entre la productivité, la compétitivité et le niveau de vie,
il a été décidé de situer l’analyse dans un contexte international.
Le cadre de la saisine est donc éminemment vaste et prend en compte l’ensemble des
éléments ayant une influence sur la productivité. La productivité est en effet un concept
complexe et multidimensionnel où interviennent de nombreux facteurs, de sorte que sa
mesure n’est pas chose aisée.
Le CES va, dans un premier temps, aborder les différents concepts de productivité
(productivité du travail, productivité du capital, productivité globale des facteurs, etc.)
pour contribuer à clarifier ces notions qui sont souvent mal appréhendées ou mal
interprétées.
Différents niveaux peuvent être considérés : celui des entreprises (micro), celui des
secteurs (meso) et celui de l’économie nationale (macro).
Actuellement, des travaux du Statec visent à produire des indices mesurant la
productivité au niveau meso ou macro, tout en incorporant l’information recueillie au
niveau micro (qui est souvent quelque peu noyée dans le cas d’une simple somme ou
moyenne d’indices de productivité).
Parmi les secteurs, ce sont les services (notamment financiers) et le secteur non-
marchand qui posent, a priori, le plus de défis méthodologiques. Leur « output » effectif
est en effet difficilement cernable, ce qui rend la mesure de leur productivité
relativement ardue.
1
CES/PRODUCTIVITE (2017)
Concernant ces services, des efforts sont souhaitables et même indispensables pour
mieux retracer l’évolution de leur productivité, notamment au vu de leur poids important
dans l’économie nationale.
1
Cf. le nouveau rapport de l'OCDE intitulé « L’articulation entre productivité et inclusivité ».
https://www.oecd.org/fr/economie/L-articulation-entre-productivite-et-inclusivite-version-
preliminaire.pdf
2
CES/PRODUCTIVITE (2017)
découlant ne devraient pas donner lieu, dans le cadre du dialogue social national, à des
débats sur la forme, mais bien sur le fond.
Pour démarrer ses travaux, le CES a organisé une audition double, avec le Dr. Chiara
Criscuolo de l’OCDE pour ce concerne l’étude intitulée « The Future of Productivity », et
avec le Dr. Chiara Peroni du STATEC au regard de l’étude « Measuring productivity in
Luxembourg ». Cette audition a été utile afin de faire un tour de table de ce qui existe en
matière de mesure de la productivité aux niveaux national et international et pour voir
quelles sont les pistes qui restent à creuser pour améliorer la manière de mesurer la
productivité.
1 Analyse factuelle
La productivité : un concept complexe aux facettes multiples
De façon générale, la productivité est définie comme le rapport, en volume, entre la
production d’un bien ou d’un service et les ressources mises en œuvre pour l’obtenir. Elle
constitue donc une sorte de mesure de l’efficacité avec laquelle une entreprise, un
secteur et/ou une économie mettent à profit les ressources dont ils disposent pour
fabriquer des biens ou prester des services. Or, malgré l’apparente simplicité de cette
définition, la productivité est une notion dont les effets et les déterminants sont difficiles
à cerner.
Le développement de la notion de « productivité » en sciences économiques ne s’est
imposée que progressivement. La première apparition du terme « productivité » semble
remonter à un ouvrage sur les techniques minières et le travail du métal d’Agricola en
1530. Par la suite, on retrouve la notion de productivité au 18e siècle chez les physiocrates
(Quesnay, 1766) et chez les économistes classiques anglais (Smith, 1776), contemporains
de la première révolution industrielle, mais elle ne fait pas l’objet d’approfondissements
théoriques. A la fin du 19e siècle, le sens donné communément à cette expression est la
« faculté de produire »2. Au début du 20e siècle, le terme change de sens. Aftalion (1911)
est le premier à présenter une analyse précise et argumentée de la productivité. Les
travaux de Taylor sur le comportement de l’homme au travail (1911) positionnent la
notion de productivité au centre d’une analyse plus globale.
Plusieurs indicateurs, habituellement regroupés en deux grandes catégories, peuvent
être développés pour mesurer l’évolution de la productivité : les indicateurs unifactoriels
et les indicateurs multifactoriels. Les premiers mettent en relation la production avec un
2
Littré, 1883.
3
CES/PRODUCTIVITE (2017)
seul facteur de production (habituellement le travail ou le capital), alors que les seconds
combinent simultanément les effets de plusieurs facteurs de production.
Vincent (1944) a été l’un des premiers à poser les bases des formules mathématiques de
la productivité et à développer l’étude d’autres facteurs que le travail. Après la seconde
guerre mondiale, les recherches en matière de productivité se développent fortement.
En 1947, le premier « plan » français, établi sous la direction de Jean Monnet, fait très
largement référence à la problématique de la productivité. Par la suite, de nombreux
travaux sont entrepris au cours des années cinquante et soixante, et de nombreux
organismes sont créés pour avancer dans les travaux de recherche et de mesure de la
productivité, tels que l’Agence Française pour l’Accroissement de la Productivité (AFAP),
le Comité National de la Productivité (CNP) et le Centre d’Etudes et de Mesure de la
Productivité (CEMP) en 1950 ou encore l’Agence Européenne de Productivité (AEP) au
sein de l’Organisation Européenne de Coopération Economique (OECE) en 1953.
Dans le cadre de ces nouvelles structures, nombreux sont les auteurs qui ont contribué à
la constitution d’un ensemble d’analyses théoriques synthétisées par l’Agence
Européenne de Productivité en 1955. Parallèlement, de multiples études pratiques ont
été réalisées au niveau des pays, des branches ou des industries.
4
CES/PRODUCTIVITE (2017)
Finalement, le CES s’est encore penché plus spécifiquement sur la formation et son
influence sur la productivité.
1.2.1 Les déterminants économiques de la productivité
Dans la littérature, il existe trois principaux facteurs économiques ayant une influence sur
la productivité : l’investissement en matériel, en outillage et en infrastructures, le
développement des compétences et l’ouverture au commerce et à l’investissement. A
ceux-ci viennent s’ajouter d’autres facteurs, mais leurs effets sont plutôt indirects et donc
difficilement retraçables.
En ce qui concerne les investissements dont l’effet bénéfique sur la productivité est
largement reconnu, il convient de relever qu’ils peuvent être freinés :
5
CES/PRODUCTIVITE (2017)
Dans une étude rédigée pour l’institut allemand IMK (« Institut für Makroökonomie und
Konjunkturforschung »), le professeur Achim Truger montre que la forte pression
budgétaire dans la zone euro a mené à des coupes particulièrement importantes en
matière d’investissements; sur la période 2010-2016, elles ont représenté, en moyenne,
20% du total des mesures d’assainissement. Si le Luxembourg a pratiqué une politique
moins contractionniste que la plupart des autres pays de la zone euro (une diminution du
solde structurel primaire cumulé de 2009 à 2015 de 2,2% contre 5,2% en moyenne de la
zone euro), la diminution des dépenses consacrées aux investissements représente
toutefois plus du tiers de l’effort contractionniste total réalisé3.
Dans l’idéal, le retour sur investissement (recettes fiscales futures grâce à une plus forte
croissance) a un impact positif sur la situation des finances publiques.
De son côté, l’OCDE constate également que la période récente a vu reculer les dépenses
en faveur de l’accroissement de la productivité, notamment par les coupes budgétaires
dans l’investissement, en vue d’atteindre les objectifs de consolidation d’après-crise, ou
encore dans l’éducation. Elle propose que le cadre budgétaire européen soit assoupli
dans le sens de la règle d’or des finances publiques (excluant les dépenses
d’investissement net de ce cadre budgétaire) pour permettre l’utilisation des marges
disponibles, recours entravé dans la moitié des pays considérés par les règles budgétaires
en place4.
3
Truger A., « The golden rule of public investment – a necessary and sufficient reform of the EU
fiscal framework », working paper N° 168, May 2016, Hans-Böckler-Stiftung.
4
« The SGP rules essentially do not distinguish between public investment and other forms of
expenditure as they are defined in terms of overall budget balances or broad expenditure
measures. A number of small adjustments exist to take into account investment, but these are
marginal. Fiscal expansion through higher public investment would be facilitated by excluding net
public investment spending from assessment of compliance with fiscal rules, as is currently the
case for countries’ contributions to the EFSI (Juncker Plan). […] Such a move to a “golden rule”
could be formalised on a permanent basis through deeper changes to the rules. […] The advantage
of this approach is that it creates an incentive to use additional fiscal space to boost public
investment, for which short and long run multipliers are likely to be higher than other forms of
fiscal expansion. There is also evidence of sizeable spillovers across countries (OECD, 2015e; In’t
Veld, 2016). Furthermore, net public investment has been zero or negative in the main euro area
economies in recent years. »
6
CES/PRODUCTIVITE (2017)
Source : OCDE
5
Sachs, Jeffrey D., Warner, Andrew, « Economic Reform and the Process of Global Integration »,
Brookings Papers on Economic Activity, 1995. Le sommaire de l’étude est disponible sur le site
Internet suivant :
www.brookings.edu/dybdocroot/es/commentary/journals/bpea_macro/1995_1.htm
7
CES/PRODUCTIVITE (2017)
entre les groupes sociaux. Peu de chercheurs remettent en question que l’environnement
sociopolitique peut influencer la productivité, mais l’analyse s’avère plus ardue à partir
du moment où il faut se mettre d’accord sur les méthodes à utiliser pour mesurer ces
effets. De même, les liens entre ces variables paraissent flous.
L’étude des relations entre la politique sociale, les inégalités de revenus et la croissance
économique oppose les adeptes de la théorie économique classique et ceux de la théorie
de la croissance endogène. Les premiers considèrent qu’une inégalité des revenus génère
une croissance de la productivité, en permettant une plus grande concentration de
l’épargne, ce qui favoriserait l’investissement, alors que les seconds considèrent que les
rendements de l’investissement individuel sont décroissants à partir d’un certain
moment, ce qui plaide en faveur d’une distribution plus équitable des revenus.
D’un point de vue empirique, les résultats obtenus par Persson et Tabellini en 1994 6 ont
prouvé pour la première fois un effet négatif et significatif de l’inégalité sur la croissance
économique et la productivité. Ainsi, plus les inégalités sont grandes, moins la croissance
serait forte. Selon l’OCDE, « la progression des inégalités est néfaste pour la croissance
économique à long terme »7. Un certain nombre d’études récentes ont abouti à des
résultats semblables8.9
Les déterminants sociaux de la productivité ne doivent pourtant pas se limiter à la seule
question des inégalités. L’environnement du travail, l’aménagement des postes de travail,
l’équilibre vie professionnelle - vie privée sont d’autant de pistes qu’il convient d’explorer
en vue d’une augmentation de la productivité.
Depuis près d’un siècle, diverses études sociologiques, à l’instar de l’étude « Individual
well-being and performance at work: a conceptual and theoretical overview »10, ont
montré que le fait d’accorder une attention particulière au bien-être des travailleurs peut
rendre ces derniers plus productifs, même s’il convient de tenir compte des différentes
dimensions de la performance (par exemple performance liée aux processus et
performance en termes de résultats, performance orientée vers le cœur des tâches ou
6
Persson, Torsten, Tabellini, Guido, « Is Inequality Harmful for Growth? », American Economic
Review, vol. 84, no 3, juin 1994, p. 607.
7
OCDE, « In it together: why less inequality benefits all », 2015.
http://www2.cegep-ste-
foy.qc.ca/freesite/fileadmin/groups/213/_temp_/150521_OCDE_inegalites.pdf
8
FMI, Staff Discussion Note « Causes and consequences of income inequalities : a global
perspective », E. Dabla Norris, K. Kochhar, N. Suphaphiphat, F. Ricka, E. Tsounta, juin 2015.
9
Ce point peut être nuancé, voire complété par les travaux d’Agion (résumés ici)
http://www.telos-eu.com/fr/politique-economique/innovation-inegalites-de-revenus-et-
mobilite-socia.html
et d’Acemoglu (résumés ici) http://voxeu.org/article/job-race-machines-versus-humans.)
10
Référence : (https://lirias.kuleuven.be/bitstream/123456789/487936/1/134.pdf
8
CES/PRODUCTIVITE (2017)
Un des principaux problèmes qui apparaît dans l’examen de la relation causale entre ces
politiques et la croissance de la productivité est la période de temps requise pour que
leurs effets deviennent visibles. Une réforme du système d’éducation ne peut augmenter
les compétences des salariés que plusieurs années après sa mise en œuvre. D’autre part,
l’élaboration des indicateurs pose problème et ne fait pas toujours l’unanimité.
Les économistes ne s’entendent pas tous sur les conditions macroéconomiques propices
à la croissance de la productivité.
Parmi les éléments de la politique microéconomique pouvant influencer la productivité,
il y a lieu de mentionner notamment la fiscalité et la réglementation s’appliquant au
marché du travail, aux entreprises et à leur mode de financement.
Pour ce qui concerne ces éléments, qui méritent qu’on approfondisse les recherches
quant à leur lien de causalité avec la productivité, une critique récurrente est que l’on ne
peut jamais avoir la certitude que la corrélation mesurée est synonyme de causalité. La
complexité des interactions, de même que le déploiement de variables d’environnement,
peuvent faire en sorte que le modèle ne capte pas adéquatement tous les éléments
nécessaires ou n’arrive pas à identifier toutes les relations de cause à effet qui peuvent
exister (voir également le chapitre « 1.3.2 La mesure de la productivité dans l’économie
non marchande »).
11
Cf. « The Effects of Working Time on Productivity and Firm Performance », Research Synthesis
Paper, (https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=2149325)
9
CES/PRODUCTIVITE (2017)
12
OCDE « L’articulation entre productivité et inclusivité » (2016).
10
CES/PRODUCTIVITE (2017)
chômeurs. Une telle procédure ne garantit donc pas que l’ensemble des activités
économiques soient couvertes, puisqu’il ne s’agit pas d’un critère d’échantillonnage13.
Depuis 2002, le CEPS (devenu LISER par la suite), en collaboration avec le Statec, procède
régulièrement à une enquête sur les frontaliers. Or, les informations sur la qualification
des salariés n’y ressortent pas d’une manière individuelle, puisque seuls des chiffres
agrégés sont présentés. Il en ressort seulement que les frontaliers sont généralement
davantage diplômés que les résidents.
En ce qui concerne les enquêtes à destination des entreprises, elles ne permettent pas
de déterminer directement la qualification des travailleurs, puisqu’elles souffrent
souvent d’un mauvais échantillonnage (couverture réduite des activités économiques et
des caractéristiques sociodémographiques courantes)14. Elles sont souvent d’une
périodicité réduite tel que c’est le cas pour l’enquête sur la structure des salaires.
***
La productivité est un concept basé sur des mesures en unités physiques et le premier
problème rencontré lors de l’analyse de la productivité est donc celui de l’évaluation du
résultat. Idéalement, la production est mesurée en quantités physiques. Cette possibilité
semble malheureusement avant tout appropriée aux industries mono-produits,
13
Le questionnaire est défini par l'ensemble des pays européens et est standardisé pour
permettre des comparaisons internationales.
14
Source : « La productivité totale des facteurs au Luxembourg », Statec, Cahier économique no.
102, p. 55.
11
CES/PRODUCTIVITE (2017)
quasiment inexistantes de nos jours. Il n’est dès lors pas possible de raisonner
exclusivement sur des quantités produites.
Plusieurs indices de prix sont également nécessaires pour convertir la valeur ajoutée et
la valeur des facteurs de production en euros constants. La qualité de ces indices est
essentielle pour mesurer la productivité. Ils s’avèrent toutefois particulièrement difficiles
à évaluer dans des secteurs comme ceux de la santé, de l’éducation ou encore des
services financiers.
Le problème peut être abordé au moyen d’indices de prix « hédoniques », dont la fonction
est de corriger ce biais. Les indices hédoniques sont utilisés dans le but d’éliminer les
effets liés à la composition changeante d’un échantillon ou à un changement de la qualité
d’un bien entre deux périodes. Cette technique consiste à établir une relation statistique
entre le prix d’un bien et les caractéristiques de ce bien, permettant ainsi de gommer tout
effet de structure. Leur utilisation est cependant limitée à un nombre restreint de pays
et de produits, car leur développement demande des ressources considérables.
L’utilisation des indices de prix hédoniques est certainement un aspect très important
dans la mesure de la valeur ajoutée et en fin de compte de la productivité. De tels indices
sont toutefois rares.
De manière générale, les mesures réelles de la production, et donc par ailleurs celles liées
à la productivité, pourraient être améliorées si le PIB était corrigé afin de prendre en
12
CES/PRODUCTIVITE (2017)
compte la production indésirable (p.ex. les émissions nocives)15. Les mesures standard de
la croissance de la productivité multifactorielle ignorent souvent la contribution de
l’épuisement ou de l’utilisation des ressources naturelles, tels que gisements (p.ex.
pétrole, gaz, cuivre, plomb), terrains et sols, eau douce, populations naturelles de
poissons et forêts vierges, alors que le revenu généré par ces actifs entre dans le PIB. Une
productivité accrue peut donc parfois résulter d’une plus forte utilisation des ressources
naturelles.
Alors que les coûts d’investissement dans la lutte contre la pollution sont pleinement pris
en compte dans les mesures classiques de la croissance de la productivité (en termes de
moyens de production, y compris le travail et le capital produit), les bénéfices tirés de tels
investissements ne le sont pas, car la pollution n’est pas considérée comme un produit
du processus de production.
La présente partie vise à faire le point sur la mesure de la production de biens et services
non marchands par les Administrations publiques, dispensés à titre gratuit ou quasi
gratuit et ne pouvant dès lors faire l’objet d’un chiffrage sur la base des prix du marché.
Pour rappel, selon les règles du système européen de comptes SEC 2010, il n’existe, au
sens strict du terme, (même si des définitions plus larges sont souvent privilégiées dans
la littérature économique) que deux secteurs de producteurs non marchands, à savoir le
secteur des administrations publiques (S.13) et le secteur des institutions sans but lucratif
au service des ménages (ISBLSM, S.15).
On se référera ici, dans le contexte luxembourgeois, à une définition simple du segment
non marchand de l’économie consistant à agréger trois branches des comptes nationaux,
à savoir l’Administration publique (code NaceR2 O), l’enseignement (code P) et la santé
publique et action sociale (code Q). Il convient de souligner que cet agrégat ne correspond
pas strictement à la notion usuelle d’Administrations publiques, car il comprend
13
CES/PRODUCTIVITE (2017)
La valeur ajoutée nominale ou réelle de telles activités ne peut être aisément estimée.
Faute de mieux, elle est donc fréquemment dégagée par simple sommation du coût des
inputs de production - notamment la rémunération des salariés16 et la consommation de
capital fixe. Cette méthode dite des « inputs » n’est pourtant pas recommandée par
Eurostat, dont le manuel SEC 2010 privilégie la méthode des « outputs » commentée ci-
après.
Quand les activités des Administrations publiques sont appréhendées selon cette
méthode des inputs, la productivité tend schématiquement à n’être qu’un rapport des
inputs (= l’output) aux inputs, de sorte que son évolution affichera un profil « plat »
pratiquement dénué de toute signification économique. Ce qui revient à postuler
implicitement - et vraisemblablement de manière incorrecte - une stagnation
tendancielle de la productivité dans ce secteur.
16Notons que la rémunération des salariés est utilisée comme déflateur également dans certains
secteurs de l’économie marchande pour lesquels se pose donc la même problématique.
14
CES/PRODUCTIVITE (2017)
A titre d’exemple, pour la sécurité ou les tribunaux, les indicateurs directs de production
pourraient être le nombre de dossiers traités ou de cas réglés. Citons également, en guise
d’illustration, le nombre de cartes d’identité remises, le nombre de jours-prisonniers dans
les prisons, le nombre de déclarations fiscales traitées, ou encore le nombre de brevets
ou de publications en matière de recherche publique.
La mesure de la production non marchande selon la méthode des outputs propose en
effet une mesure alternative aux inputs, tout en demeurant en deçà de la notion plus
large d’« outcomes » (résultats PISA pour l’éducation, espérance de vie pour la santé,
etc.). La figure suivante illustre ces différents concepts.
15
CES/PRODUCTIVITE (2017)
C’est, par exemple, le cas des dépenses militaires, d’ordre public, de justice et de sécurité
ou encore de la protection de l’environnement. Plus précisément, selon les règles du SEC
2010, uniquement certains services des branches d’activité de santé, récréation, sports
et culture, enseignement et de sécurité sociale sont des services individuels. Tous les
autres services sont à considérer comme des services collectifs, y compris la recherche et
le développement publics dans toutes les fonctions.
Toujours au sein du système comptable SEC 2010, les méthodes préférées pour les
services individuels sont les mesures de type « output ». Les méthodes de type « input »
sont toutefois généralement acceptées, à l’exception des services individuels
d’enseignement. Pour les services collectifs, les méthodes input sont également
acceptables et sont en général utilisées pour des raisons de faisabilité ; tel est notamment
le cas pour le Luxembourg.
Le choix des indicateurs directs de production, qui sont à la base de la méthode des
outputs (ou extrants), est par ailleurs essentiel et délicat. Un indicateur doit être simple
et mesurable et il ne peut altérer le comportement des agents publics (exemple théorique
d’un indicateur basé sur les résultats d’examens dans l’enseignement, qui pourrait inciter
les enseignants à assouplir ces derniers). Enfin, le choix des indicateurs directs renvoie de
façon ultime aux objectifs fondamentaux de l’action publique et même, in fine, au rôle de
l’Etat.
Le rapport Atkinson souligne par ailleurs que « la mesure des extrants » (« outputs ») des
services publics devrait en principe être ajustée en matière de qualité, en tenant compte
de la contribution aux résultats (« outcomes ») des services concernés.
D’autre part, pour être pertinente, la méthode d’évaluation de la productivité du secteur
public selon les outputs supposerait de distinguer les facteurs d’environnement
purement exogènes des facteurs d’environnement résultant directement ou
indirectement de la production publique. Au niveau de l’éducation, par exemple, la
tenue, par les enseignants, de rencontres entre parents et professeurs n’aurait aucun
impact sur la production selon la méthode des outputs (en matière de nombre
d’élèves/heures), mais pourrait résulter en une amélioration du suivi des élèves par les
parents et donc déboucher sur une amélioration de leurs résultats. Le facteur
« implication des parents » ne saurait, dans ce cas être exclu de l’évaluation en tant que
facteur environnemental exogène.
L’évaluation de la productivité du secteur public devrait donc neutraliser uniquement
l’impact des facteurs d’environnement purement exogènes, puisque la comptabilité
nationale cherche à mesurer l’incidence finale des flux de production publique sur la
société, abstraction faite des facteurs d’environnement ou comportementaux exogènes.
Les principaux problèmes méthodologiques entourant la sélection des indicateurs de
production sont détaillés dans les lignes qui suivent.
16
CES/PRODUCTIVITE (2017)
Pour être pertinente, la méthode de calcul par les outputs suppose de distinguer la part
des inputs correspondant au service non marchand considéré, c’est-à-dire l’ensemble des
intrants participant à offrir ce service. Reprenons l’exemple des enseignants : le nombre
d’heures de cours par semaine par élève étant fixé par les programmes de l’éducation
nationale, il n’évolue pas en fonction de la performance des enseignants. La productivité
des enseignants selon le principe des outputs, basée sur le seul nombre d’heures de cours
données, n’augmenterait donc jamais et baisserait, au contraire, par le simple jeu du
glissement des carrières qui, toutes choses étant égales par ailleurs, ferait augmenter la
valeur des inputs sans impacter les outputs. Cette méthode, reposant sur un indicateur à
l’évidence trop étriqué, exclurait par ailleurs notamment les heures consacrées à la
formation continue, la correction des copies, l’utilisation de nouveaux outils
d’enseignement, de même que les éventuelles améliorations infrastructurelles
(bâtiments, outils informatiques, mobilier, etc.) et organisationnelles (groupes de
niveaux, enseignements pluridisciplinaires, etc.). Par ailleurs, une simple augmentation
du nombre d’élèves par classe pourrait faire augmenter la productivité apparente des
enseignants, le cas échéant au détriment de la qualité des cours.
Enfin, cette productivité augmenterait en apparence si l’on augmentait le nombre
d’heures de cours par élève, sans pour autant améliorer nécessairement le niveau
d’éducation (temps de pause insuffisant pour les élèves, notamment).
Plus fondamentalement, un travail de l’Université Lille 1 basé sur une recherche financée
par le ministère français des Affaires sociales, du travail et de la solidarité (DAGPB) et
publié en 2007 dans la Revue d’économie industrielle fait le bilan des difficultés
analytiques qui se posent en matière d’évaluation de la productivité des services publics
au regard de la dimension d’output.
L’évaluation de la production non marchande sur base des outputs permet en théorie de
mesurer la productivité des services publics sur une base quantitative, mais elle ne tient
pas en elle-même compte de la qualité de ces services. Or, une stratégie d’amélioration
de la productivité des services publics exclusivement centrée sur la maîtrise des coûts
pourrait améliorer, sur le papier, la productivité en tant que rapport coûts/outputs, c’est-
à-dire l’efficience économique tout en n’ayant aucun impact sur la productivité (rapport
inputs/outputs), voire même en ayant un impact négatif sur l’efficacité (rapport
inputs/outcomes) de l’action publique.
Des exemples de méthodes de détermination des outputs (situation danoise et
luxembourgeoise) sont fournis ci-après.
C’est pourquoi il importe d’emblée de définir clairement l’objectif final d’une telle
évaluation : « Ce qui importe fondamentalement, en effet, ce n’est pas le nombre de jours
d’hospitalisation, d’heures d’enseignement, ou d’arrestations effectuées ou encore de
17
CES/PRODUCTIVITE (2017)
Source : Faridah Djellal et Faïz Gallouj, « Les services publics à l’épreuve de la productivité et la
productivité à l’épreuve des services publics », Revue d’économie industrielle 119 | 3e trimestre
2007, http://rei.revues.org/1963
Il est possible de mesurer l’output d’un certain nombre de services publics, par exemple,
le nombre d’autorisations d’établissement délivrées chaque année, les délais de
traitement des demandes, le nombre de démarches administratives qu’il est possible
d’effectuer directement en ligne. Il existe d’ailleurs d’ores et déjà des indicateurs dans
certains domaines comme les services publics digitaux (« Digital Economy and Society
Index » – DESI).
Il importe néanmoins, et avant tout, de ne pas perdre de vue la raison d’être des services
publics qui fait que la productivité au sens classique du terme de ces services ne devrait
pas être appréhendée de manière trop étriquée et en recourant aux mêmes indicateurs
et dans la même optique que celle des services marchands : les services publics existent
dans certains domaines pour combler des défaillances de marché (transports, voierie,
éclairage public, sécurité intérieure, formation, etc.) et permettent d’assurer une équité
et une justice sociale par une couverture universelle de certains services répondant à des
besoins fondamentaux (éducation, santé, justice, etc.) pour ceux qui ne seraient pas en
mesure de les payer.
18
CES/PRODUCTIVITE (2017)
Le Groupe patronal, s’il peut souscrire en partie à cette remarque, donne à penser que
la mesure par les outcomes peut, même si cela n’est de toute évidence pas l’objectif
recherché, diluer la responsabilité publique, car ces derniers dépendent aussi de
multiples variables d’environnement. La mesure par les outputs, en complémentarité
avec celle des inputs et, le cas échéant, celles des outcomes, est certes partielle, mais
néanmoins utile.
19
CES/PRODUCTIVITE (2017)
D’autre part, la réforme du statut des fonctionnaires de l’Etat entrée en vigueur en 2015
a mis en œuvre un système d’appréciation des performances professionnelles qui
s’appuie sur le système de gestion par objectifs. Ce système d’appréciation fondé sur des
critères précis et sur des entretiens d’appréciation est articulé autour de périodes de
référence de 3 ans. La première période de référence prenant fin le 31 décembre 2018,
elle sera l’occasion de tirer un premier bilan de ce dispositif.
1.3.2.3 Production (productivité) non marchande : la situation danoise
L’Institut statistique danois a publié, en 2016, un rapport sur la production et la
productivité des Administrations publiques17, qui décrit avec une grande précision la
méthode de calcul de la production publique danoise et les indicateurs directs de
production associés. Un autre intérêt de l’expérience danoise est que l’incorporation de
la méthode des extrants y est récente, puisqu’elle date de septembre 2014, ce qui permet
de mieux souligner les défis associés à l’introduction ou au développement d’un tel cadre.
La présente partie se focalise donc sur cette expérience et ne constitue nullement un
inventaire des pratiques prévalant dans différents pays ayant opté pour la mesure directe
de la production « publique » (Royaume-Uni, Suède, Finlande, Nouvelle-Zélande, Pays-
Bas, Australie, etc.).
La méthode de l’output (des extrants) revient, pour rappel, à mesurer la quantité de
services dispensée aux usagers. Ces derniers sont très hétérogènes, de sorte que, au
Danemark, cette mesure est effectuée de manière isolée pour diverses catégories de
produits. Les indices de production par produits obtenus de la sorte sont ensuite agrégés,
avec une pondération qui reflète les coûts respectifs.
Statistics Denmark collecte quelque 1.300 indicateurs de production pour la seule
branche « santé ». Ces indicateurs sont « directs », dans la mesure où ils permettent de
mesurer l’évolution de l’activité dans des domaines précis. Pour le domaine hospitalier,
il peut par exemple s’agir du nombre d’opérations à cœur ouvert.
Une première agrégation permet de dégager 18 sous-indicateurs, pour 18 domaines
d’activité (la santé, les hôpitaux généraux et spécialisés, les services dentaires, les soins à
domicile, la psychologie, les services paramédicaux, etc.; dans l’éducation, le
fondamental, le secondaire et le supérieur, par exemple). Ces 18 catégories sont, à leur
tour, assemblées en un seul indicateur du volume de la production, qui ne couvre que les
17
« General Government Output and Productivity 2008-2014 », Statistics Denmark, février 2016,
http://www.dst.dk/en/Statistik/Publikationer/VisPub?cid=18684
20
CES/PRODUCTIVITE (2017)
biens et services non marchands consommés sur une base individuelle (à l’exception des
biens collectifs, donc) et produits par les Administrations publiques danoises.
Les indicateurs de volume de production dégagés par Statistics Denmark ne sont pas
ajustés pour l’évolution de la qualité, sauf dans quelques séries encore
« expérimentales ». Ces dernières séries consistent à intégrer au volume mesuré non
seulement une mesure directe du volume de production, mais également un indicateur
de qualité comme le temps d’attente moyen avant l’opération, la douleur ressentie avant
ou après l’opération (santé), le temps consacré par les enseignants à chaque élève ou la
qualité de la formation des professeurs (enseignement). Nombre de ces indicateurs de
qualité nécessitent une forme d’enquête auprès des bénéficiaires des services. Ils doivent
par ailleurs être raisonnablement en ligne avec les objectifs ultimes des pouvoirs publics,
de même qu’avec les besoins des bénéficiaires du service. Un groupe de travail réunissant
Eurostat et certains instituts nationaux de statistique travaille actuellement sur les
ajustements explicites pour la qualité.
Les indicateurs de volume (corrigés ou non pour la qualité) étant disponibles, il reste à les
diviser par les indicateurs d’inputs pour obtenir un indice de productivité des
Administrations publiques. Statistics Denmark calcule deux indicateurs de productivité,
correspondant à la division de la production ou de la valeur ajoutée par le nombre
d’heures travaillées.
Dans le cas danois, la productivité calculée sur la base des outputs ne se serait accrue que
de 0,17% par an en moyenne de 2008 à 2014 dans la santé, l’éducation, la protection
sociale ainsi que la culture et les loisirs. Ces chiffres officiels ne font cependant l’objet
d’aucun ajustement pour la qualité et ils ne portent que sur une période limitée.
1.3.2.4 Les mesures « output » dans la comptabilité nationale du
Luxembourg
Au Luxembourg, les mesures d’output sont utilisées pour (i) les services individuels de
l’enseignement non marchand (pré-primaire et primaire, secondaire, supérieur et les
autres services d’enseignement) ; (ii) les services individuels de santé non marchande
(services pour la santé humaine et services vétérinaires) et (iii) pour les services d’action
sociale non marchande (action sociale avec hébergement et action sociale sans
hébergement). Les résultats corrélatifs sont brièvement passés en revue ci-dessous.
1.3.2.4.1 Enseignement
Les services individuels de l’enseignement non marchand sont les services qui sont les
mieux couverts dans le cadre des mesures output. Les publications annuelles du Ministère
de l’Education Nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse (MEN) ainsi que les rapports
annuels de l’Université du Luxembourg fournissent des statistiques fiables et plus ou
moins stables dans leur structure. Pour les autres services d’enseignement non
marchands, uniquement une partie des services est couverte par les données du rapport
21
CES/PRODUCTIVITE (2017)
Pour les services de l’enseignement, les élèves-heures sont, depuis plusieurs années,
utilisés pour calculer l’évolution en volume. L’évolution de la production en volume d’une
année à l’autre est calculée et ventilée par le pourcentage des coûts pour obtenir un
indicateur en volume non chaîné. Cet indicateur est enfin appliqué à la production à prix
courants de l’enseignement non marchand.
1.3.2.4.2 Santé et Action Sociale
Les services de santé non marchands sont pris en compte à l’aide de données fournies
par le Laboratoire national de santé ainsi que sur la base de certaines informations issues
des rapports annuels de la Ligue médico-sociale et du Ministère de la Santé. Les
informations sur les services vétérinaires non marchands proviennent du rapport annuel
du Ministère de l’agriculture.
Les services d’action sociale non marchands sont fournis par des associations sans but
lucratif (asbl), coopératives, etc., classés dans la comptabilité nationale comme
producteurs non marchands. Ceux-ci excluent cependant de nombreuses associations,
comme l’APEMH, le Tricentenaire ou la fondation Kräizbierg. Par ailleurs, seule une petite
partie des associations classées comme producteurs non marchands est couverte dans le
cadre des mesures d’output, à cause d’un manque d’informations disponibles.
Pour la santé et l’action sociale, les clients-heures sont utilisées dans la mesure où cette
information est disponible, mais en général, les nombres de clients, analyses, etc. sont
utilisés. De même que pour l’enseignement, où les méthodes output sont appliquées
depuis plusieurs années.
Il faut cependant noter que les informations reprises des rapports annuels des ministères
et des associations ne sont pas stables dans leurs structures, puisque la forme des
rapports et les informations fournies peuvent varier d’une année à l’autre. En plus, en
raison du fait que peu d’informations sont disponibles, des changements relativement
réduits peuvent induire de fortes variations des résultats. Par exemple, l’évolution de la
production en volume de l’action sociale avec hébergement de 2014 à 2015 (+38%) est
due au fait qu’en 2015, deux associations ont eu en total 51 clients en plus qu’en 2014.
Cet exemple montre que la stabilité et la fiabilité de ces statistiques sont encore limitées,
contrairement à celles relatives aux services d’enseignement non marchand.
22
CES/PRODUCTIVITE (2017)
Coûts en %
Pré-Primaire et Primaire 48% 48% 47% 45% 42%
Secondaire 39% 40% 40% 41% 42%
Supérieur 8% 9% 10% 10% 9%
Autres 4% 4% 4% 5% 6%
Indicateur en volume t/(t-1) pondéré par les coûts 1.000 1.011 1.015 1.021 1.004 1.001
Indicateur en volume chaîné (base 2010) 1.000 1.011 1.027 1.048 1.052 1.053
Production non-marchande en volume - non chaîné mio EUR 1 530.87 1 548.25 1 572.12 1 604.79 1 611.14 1 612.58
Production non-marchande en volume - chaîné base 2010 mio EUR 1 530.87 1 548.25 1 589.97 1 666.75 1 754.14 1 847.78
Emploi mio heures 23.74 24.47 25.44 25.42 26.03 26.41
Productivité 64 475 325 63 264 030 62 494 512 65 567 465 67 395 932 69 966 507
Productivité - variation -1.9% -1.2% 4.9% 2.8% 3.8%
Source : Statec
Source : Statec
Coûts en %
Action sociale avec hébergement 52% 40% 38% 35% 35%
Action sociale sans hébergement 48% 60% 62% 65% 65%
Indicateur en volume t/(t-1) pondéré par les coûts 1.000 1.179 1.154 1.002 1.051 1.148
Indicateur en volume chaîné (base 2010) 1.000 1.179 1.361 1.363 1.433 1.645
Production non-marchande en volume - non chaîné mio EUR 441.19 520.32 600.46 601.52 632.08 725.83
Production non-marchande en volume - chaîné base 2010 mio EUR 441.19 520.32 708.15 965.50 1 383.23 2 275.65
Emploi mio heures 8.91 9.52 10.39 11.40 11.93 12.70
Productivité 49 536 464 54 667 691 68 134 592 84 722 975 115 982 595 179 222 892
Productivité - variation 10.4% 24.6% 24.3% 36.9% 54.5%
Source : Statec
23
CES/PRODUCTIVITE (2017)
Il convient d’insister sur le fait que la santé non marchande et l’action sociale non
marchande ne concernent qu’un nombre très limité d’unités, ce qui explique la grande
volatilité des indicateurs d’output correspondants.
1.3.2.5 Conclusions et points d’action
Le segment non marchand revêt une importance de premier ordre en termes de valeur
ajoutée et d’emploi. L’évaluation de la productivité de ce segment s’avère toutefois
particulièrement complexe.
Le CES note que les autorités luxembourgeoises ont mis en œuvre diverses réformes
susceptibles de renforcer la productivité non marchande, comme l’attestent notamment
la mise en place du Common Assessment Framework ou encore la gestion par objectifs
introduite dans le cadre de la Réforme du statut des fonctionnaires de l’Etat. En matière
statistique, le Statec applique déjà en rapport avec l’enseignement, la santé et l’action
sociale (parties non marchandes) une mesure de la production basée sur des indicateurs
de volume.
Ces indicateurs quantitatifs ne sont cependant pas ajustés par des critères de qualité et
ne couvrent que partiellement l’ensemble du segment non marchand de l’économie.
Pour le Groupe salarial, une approche purement quantitative basée sur les « outputs »
apparaît inadaptée pour les services non marchands, voire pour les services marchands,
au vu de la négligence de l’aspect qualitatif des services prestés.
24
CES/PRODUCTIVITE (2017)
avec :
(1) : rapport entre revenus nets des facteurs de production résidents et revenus nets des
facteurs de production employés sur le territoire
(2) : indicateur de productivité
(3) : indicateur de la durée de travail moyenne
(4) : indicateur de la part des frontaliers dans l’emploi intérieur
(5) : complément à 1 du taux de chômage
(6) : taux d’activité
(5) x (6) = taux d’emploi
(7) : profil démographique
18
Cf. la définition de l’Observatoire de la Compétitivité:
« Le taux moyen de variation annuelle de la productivité apparente du travail met en relation la
variation en volume de la valeur ajoutée brute d’une année par rapport à la précédente et la
variation sur la même période du volume d’heures travaillées. La variation de la productivité du
travail mesure la variation de la production par homme au cours d’unités de temps successives.
25
CES/PRODUCTIVITE (2017)
Tous les pays ne disposent cependant pas des données nécessaires pour obtenir ce type
d’information. Parfois on prend en compte alors des données plus facilement accessibles,
comme les heures rémunérées (plutôt que travaillées) et le nombre de travailleurs
exprimé en « équivalents temps complet » (ETC).
La mesure de la rémunération du travail présente également des difficultés, puisqu’elle
doit inclure tous les compléments au salaire payés par l’entreprise, ainsi que les parties
non salariales de la rémunération, comme les actions boursières ou les participations aux
bénéfices. Concernant les travailleurs indépendants, il est souvent difficile de départager
le revenu du travail de celui du capital (« revenu mixte »). Des techniques d’estimation
ont été développées, mais elles varient souvent d’un pays à l’autre.
1.4.1.2 Quelques résultats pour le Luxembourg
Ce progrès résulte soit d’un usage plus intense du capital, soit de l’introduction du progrès
technologique, soit d’une meilleure organisation du travail. La productivité est un facteur essentiel
du niveau de vie, appréhendé par le RNB par tête, et de la compétitivité-coût grâce à l’influence
sur le coût salarial unitaire. L’évolution de la productivité du travail fournit un étalon de mesure
afin d’apprécier les variations possibles du coût du travail. Une augmentation de la productivité
apparente du travail peut engendrer une amélioration de la compétitivité, alors qu’une baisse
peut engendrer une perte de compétitivité. »
26
CES/PRODUCTIVITE (2017)
Alors que le niveau absolu de productivité est plus élevé au Luxembourg que dans la zone
euro dans presque toutes les branches, la crise a provoqué une chute beaucoup plus
importante de la productivité apparente du travail au Luxembourg que dans les autres
pays de la zone euro (baisse de 8,8% au Luxembourg contre 1,4% dans la zone euro, au
cours de la période 2007-2010).
Cette évolution est le résultat d’une baisse plus forte et plus rapide de l’activité que celle
de l’emploi, laquelle ne réagit normalement qu’avec un certain retard (d’environ 3
trimestres au Grand-Duché) sur l’activité économique.
Alors que la plupart des autres pays européens ont pu retrouver les niveaux de
productivité d’avant-crise au cours de 2010, le niveau de la productivité observé au
Luxembourg en 2010 demeurait largement en-dessous de celui observé en 2007. En
raison des difficultés d’appréhender correctement les niveaux de productivité dans
certaines branches du secteur tertiaire, les résultats sont toutefois à interpréter avec
prudence.
Cette tendance est observable pour toutes les branches, à l’exception de celle du
transport et des communications, ainsi que de celle de l’éducation. Deux branches, à
savoir l’industrie manufacturière et les activités financières, expliquent à elles seules près
de la moitié de l’écart.
Cette dégradation s’explique en majeure partie par une hausse de l’emploi plus
importante au Luxembourg que dans la zone euro (respectivement +7,7% et +0,4% entre
2007 et 2010) et beaucoup moins par une évolution divergente de la valeur ajoutée brute
(-1,8% au Grand-Duché et -1,0% dans la zone euro).
Deux explications peuvent être avancées pour cela. Premièrement, un effet de rattrapage
des autres pays par rapport au Luxembourg est tout-à-fait plausible au vu du niveau de
productivité élevé atteint auparavant et, deuxièmement, le manque structurel de main-
d’œuvre qualifiée a certainement contribué à favoriser le maintien dans l’emploi (dit
« labour hoarding ») et le recrutement plus prononcé de main-d’œuvre au Luxembourg
qu’ailleurs.
Les chiffres les plus récents donnent une productivité sectorielle qui est résumée dans le
graphique ci-après. Les données sous-jacentes sont tirées directement de la comptabilité
nationale (mai/juin 2017). Le CES fait remarquer que certains résultats sont difficilement
explicables et qu’il faudrait davantage désagréger les données pour pouvoir faire une
analyse sectorielle plus approfondie, c’est-à-dire qu’il faudrait prendre en compte
quasiment les productivités au niveau de l’entreprise, puis réagréger et regrouper les
résultats obtenus de nouveau par secteurs.
27
CES/PRODUCTIVITE (2017)
Graphique 4 : Productivité apparente du travail par secteurs de 1995 à 2016 (1995 =100)
La productivité et son analyse ne devraient être situées dans un contexte trop cantonné
à une seule optique à court terme. Etant donné les corrections fréquentes des données
macroéconomiques (dont notamment l’évolution de la valeur ajoutée), mais aussi les
retombées des efforts mis en œuvre pour améliorer la productivité, ce concept
économique est à analyser avec un recul de quelques années.
En prenant comme base 100 en 200019, le trend au niveau national en matière d’évolution
de la productivité du travail se présente comme suit :
28
CES/PRODUCTIVITE (2017)
29
CES/PRODUCTIVITE (2017)
En revanche, le Groupe patronal estime que c’est bien la valeur ajoutée qui doit donner
le ton en économie. A défaut, seraient, le cas échéant, favorisées des structures dotées
de peu de substance en termes socio-économiques et qui se contentent de modifier à la
marge des productions venant d’ailleurs.
Le Groupe patronal rappelle que la productivité est, par essence, un indicateur en
volume. Si la quantification de la valeur ajoutée et de la productivité réelles est
effectivement un exercice complexe, il convient de mettre en œuvre des actions
permettant d’améliorer notre capacité à mesurer la valeur ajoutée réelle, et ce dans
notre économie fortement tertiairisée. Il ne semble guère satisfaisant de recourir à des
concepts nominaux en invoquant les défis quant à la mesure de la valeur ajoutée (et donc
de la productivité) réelle ; car c’est bien la productivité réelle qui est l’étalon de mesure
à long terme de l’évolution des salaires (réels), tout comme il s’agit de l’évolution de la
productivité réelle dont il faut tenir compte dans les travaux ayant trait à l’analyse de
l’évolution du niveau de vie. Le Groupe patronal constate, sur la période 2000 à 2016,
une relative stagnation de la productivité réelle, alors qu’en même temps, les salaires
réels ont bel et bien progressé de manière dynamique. A titre d’illustration, le facteur de
revalorisation des pensions (qui adapte ces dernières aux évolutions des salaires réels,
tout en éliminant les 20% des salaires les plus bas, ainsi que de 5% des salaires les plus
élevés) a progressé de 13% au cours de la période 2000-2015 (dernières données
disponibles).
Le Groupe salarial note qu’en ce qui concerne l’évolution des salaires réels par rapport
aux gains de productivité réels (rappelons que les deux valeurs ont des déflateurs
différents ce qui influence également la comparaison), ces derniers dépassent largement
les premiers ces dernières années (16% contre 11% depuis 2010). Aussi, le rapport du
coût salarial moyen par rapport à la productivité est parmi les plus faibles au Luxembourg
en 2016 au sein de la zone euro. Il convient d’ajouter que depuis 2000, l’excédent brut
d’exploitation (la part de la valeur ajoutée revenant à l’employeur) par emploi progresse
de la même manière que le salaire moyen et qu’au Luxembourg il est le plus élevé dans
l’Union européenne derrière l’Irlande.
30
CES/PRODUCTIVITE (2017)
Toujours est-il que, même en volume, les chiffres récents du Statec montrent que la
« productivité continue à se redresser »20 ces derniers trimestres.
Graphique 7 : Productivité apparente du travail (par tête)
Toujours selon le Statec, « la productivité avait été lourdement impactée par la crise de
2008-2009. Elle était remontée de manière temporaire en 2010-2011, mais ce n’est que
depuis 2014 que l’on peut vraiment parler d’un rétablissement tendanciel. Celui-ci a
31
CES/PRODUCTIVITE (2017)
principalement été soutenu par les gains de productivité enregistrés dans les services
d’information et de communication, les activités financières, les services de transports, les
services aux entreprises et l’industrie (par ordre décroissant en termes de contributions) ».
Dans sa note de conjoncture n°1.2017, le Statec estime que « l’image d’une reprise
économique sans redressement significatif de la productivité n’est par conséquent plus de
mise », même si en volume le niveau d’avant crise n’est pas encore atteint.
1.4.1.3 La situation dans la Grande Région
32
CES/PRODUCTIVITE (2017)
33
CES/PRODUCTIVITE (2017)
34
CES/PRODUCTIVITE (2017)
35
CES/PRODUCTIVITE (2017)
sont d’autant plus délicats qu’il apparaît nécessaire de prendre en compte la « qualité »
des équipements en question.
Ensuite, il faut prendre en compte les effets de l’usure et la perte de capacité productive
des biens de capital à mesure que ceux-ci vieillissent. La forme retenue est souvent une
courbe hyperbolique, où la perte d’efficience s’accroît avec le temps.
En effet, la détermination des stocks de capital par enquête ou par simple observation a
été écartée par la quasi-intégralité des pays pour des raisons budgétaires évidentes.
22 Source : Statec, Cahier économique no. 102, « La productivité totale des facteurs au
Luxembourg », novembre 2006.
36
CES/PRODUCTIVITE (2017)
Ainsi, de nombreux paramètres doivent être imposés par l’analyste (la durée de vie, le
schéma de mortalité, la dispersion, etc.).
L’ensemble de ces faits a pour conséquence de déterminer pour certaines branches et
certains produits des stocks de capital nets négatifs, incompatibles avec la théorie
économique.
D’autres difficultés apparaissent du fait que le respect d’un des principes fondamentaux
de la comptabilité nationale, à savoir l’équilibre entre les ressources et les emplois, n’est
en réalité pratiquement jamais vérifié.
Comme le capital est souvent la propriété du producteur, c’est le coût d’usage et non le
prix qui sert d’unité de mesure. Ce coût d’usage du capital correspond à la somme que le
producteur serait prêt à payer pour le stock de capital au moment de son utilisation.
Une des difficultés consiste dans la mesure concrète de ce coût d’usage, qui est
partiellement inobservable puisque la composition exacte du stock n’est pas observable,
mais inférée à partir de la méthode de l’inventaire perpétuel.
Le coût total du capital va donc correspondre à la somme pondérée des différentes
générations de capital où la pondération est le coût d’usage de chaque génération. Il est
indéniable que le concept de service de capital est celui qui correspond le mieux à la
définition du capital productif pour mesurer sa contribution à la production.
37
CES/PRODUCTIVITE (2017)
Cependant, il n’est pas envisagé pour le moment de produire une mesure des services de
capital pour le Luxembourg. Cette piste pourrait cependant être poursuivie dans la
continuité du projet Prométhée23.
L’Observatoire de la Compétitivité (ODC) relève que la PGF est « l’efficience globale avec
laquelle les facteurs de production capital et travail sont transformés en produit. Son
évolution est mesurée dans le temps par le taux moyen de variation annuelle (TMVA). Un
accroissement de la PGF peut être à l’origine d’un accroissement de la compétitivité, et
peut être interprété de deux manières : soit en termes de hausse de production à
utilisation donnée de facteurs, soit en termes de baisse de coût à production donnée. Une
baisse de la PGF indique cependant une perte de compétitivité. »
38
CES/PRODUCTIVITE (2017)
La PGF correspond donc à ce que les facteurs travail et capital « n’expliquent pas ». Elle
est souvent assimilée au progrès technique, bien qu’il serait peut-être plus précis de
considérer que le progrès technique est un déterminant de la PGF. La PGF incorpore en
fait tout ce qui permet d’améliorer la combinaison productive travail/capital, c’est-à-dire
le progrès technique au sens étroit (l’innovation), les économies d’échelle, les économies
externes, l’organisation du travail, les améliorations de l’offre de travail, une meilleure
gestion, l’amélioration de l’offre de produits, etc.
Les théories de la croissance interprètent la PGF non seulement comme un résidu
comptable, mais comme un facteur de production dont les déterminants sont à élucider.
Etant donné que les ressources humaines et le stock de capital ne sont pas illimités, la
pertinence de la PGF s’impose logiquement, car c’est à travers elle que des gains de
productivité peuvent être réalisés, toutes choses égales par ailleurs.
La PGF est donc intimement liée à la croissance potentielle, car celle-ci est obtenue en
maximisant trois éléments pour une période donnée : le stock de travail, le stock de
capital et la PGF.
Cet indicateur était jusque-là largement absent dans l’analyse et le débat de politique
économique au Luxembourg, peut-être en raison des difficultés que pose sa construction
statistique et son interprétation économique. Mais dans le sillage du succès grandissant
des théories de la croissance « endogène » auprès des analystes économiques, la
promotion du développement endogène des entreprises autochtones a fait également
partie de l’accord de coalition d’août 1999. Les travaux de recherche dans ce domaine
furent aussitôt lancés avec le projet POLECO, qui fut confié à la CREA (Cellule de
Recherche en Economie Appliquée) de l’Université du Luxembourg et intitulé
« Développement d’indicateurs macro-économiques structurels à l’usage de la politique
économique ».
Concernant les sources statistiques disponibles, le Luxembourg a lancé, en 1993, une
enquête sur les dépenses de R&D et l’innovation dans les entreprises. Les chercheurs du
CREA ont essayé de constituer des séries sur le stock de R&D des entreprises. Les séries
sur le stock de capital sont encore récentes et peu explorées et il n’existe pas encore de
séries longues sur les compétences des salariés par catégorie de qualification. En raison
du manque de données sur les services, l’étude économétrique se focalise
malheureusement sur l’industrie dont le poids dans l’économie a fortement diminué au
fil du temps. Il est donc important d’explorer davantage les branches de services dont la
PGF est décisive.
Malgré l’absence de données chronologiques sur les déterminants les plus importants,
comme les dépenses de R&D par branche ou par entreprise, il est toutefois possible
d’approfondir l’analyse des déterminants de la PGF au niveau de certaines branches ou
au niveau des entreprises, en exploitant la dimension transversale de certaines enquêtes
39
CES/PRODUCTIVITE (2017)
La première famille est celle des indices. Les avantages des indices sont nombreux,
notamment en raison de la simplicité du calcul et de l’absence d’hypothèses
économiques qui peuvent poser problème.
La seconde famille est celle qui se réfère à la notion de « frontière ». La plupart des études
sur la mesure de l’efficacité économique se base sur cette approche. Dans le projet
Prométhée, il a été choisi de mettre en avant la méthode DEA (« Data Envelopment
Analysis »), particulièrement adaptée pour un service de comptabilité nationale et en lien
avec l’approche précitée. La méthode DEA permet d’étendre l’analyse de l’efficacité
technique à des situations multiproduits et de rendements d’échelle non constants. Par
cette méthode, l’on peut représenter la frontière de production de la meilleure pratique
et donc évaluer l’efficacité de différentes unités de production. La frontière d’efficacité
indique le maximum de production qui peut être produit avec différentes combinaisons
de facteurs pour une technologie donnée.
1.4.3.2 Quelques résultats pour le Luxembourg
La croissance de la PGF constitue l’un des déterminants principaux de la croissance à long
terme. Une évolution évidente à ce sujet paraît être la pénétration des « TIC »
(technologies de l’information et de la communication) au sein des entreprises. Selon les
analyses théoriques, l’utilisation des TIC , en particulier l’informatique, n’est
véritablement efficace que lorsque l’organisation du travail est adaptée à cette
technologie (et vice versa) : organisation du travail et informatisation devraient donc être
complémentaires. Le facteur déterminant n’est donc ni la réorganisation seule ni
l’informatisation isolée, mais la combinaison des deux. Le Luxembourg étant nettement
plus utilisateur que producteur de TIC, l’innovation organisationnelle apparaît dès lors
comme étant cruciale.
40
CES/PRODUCTIVITE (2017)
De 1980 à 2001, la PGF a augmenté de façon presque linéaire avant de stagner jusqu’en
2008, et de s’effondrer avec la crise et de retrouver, à partir de 2010, le niveau du début
des années 1990. La crise de la « nouvelle économie » au tournant du 3e millénaire semble
en effet avoir été accompagnée d’une réallocation efficace des ressources, alors que celle
de 2007 porte un coup d’arrêt net à la croissance de la productivité.
41
CES/PRODUCTIVITE (2017)
Le graphique montre des tendances similaires dans les quatre pays ; la Belgique et la
France ayant connu les plus fortes baisses de la PGF après la crise de 2008.
Pendant la crise, la baisse du PIB peut être imputée à la baisse de la PGF, mais celle-ci a
déjà commencé à baisser avant la crise.
Contrairement au rapport de l’OCDE de 2001 consacré à l’économie luxembourgeoise et
qui affirmait que le Luxembourg n’avait pas connu de hausse notable de la PGF lors du
développement d’Internet et de la société de l’information en général, l’analyse du Statec
effectuée en 200324 confirme l’importance de la PGF et sa contribution à la croissance de
l’ensemble des branches.
En effet, lorsque l’ensemble des branches sont incluses dans l’analyse – y compris les
services financiers – la PGF a fortement augmenté au cours de la période 1991-1999
comptant pour plus du tiers de la croissance économique (PGF 39%, travail 31% et capital
28%). Dans les branches de l’industrie manufacturière, sa contribution s’élevait même à
96%, alors que celle du stock de capital plafonnait à 12% et que celle du travail était
négative (-8%). Cependant, en comparaison avec la décennie précédente 1981-1990, la
PGF s’est ralentie.
En 2014, l’analyse du Statec25 de l’évolution de la productivité totale des facteurs (PTF)
dans les entreprises industrielles26 et l’identification des sources de gains obtenus
montrent un ralentissement de cette dernière. Afin de distinguer les facteurs « prix » et
« qualité » dans les biens exportés, un « indice de sensibilité au prix » est calculé dans le
cadre d’une comparaison internationale et révèle des faiblesses dans le positionnement
du Luxembourg. Au Luxembourg, les exportations de biens sont particulièrement
sensibles aux prix, les entreprises luxembourgeoises étant souvent des « price takers ».
L’évolution de l’indice révèle une forte dégradation de la position concurrentielle hors–
prix du Luxembourg notamment après la crise de 2008. L’indice est parmi les plus élevés
de la comparaison internationale.
Les écarts de compétitivité constatés proviennent pour l’essentiel d’une spécialisation
sectorielle donnée. Dans ce contexte, les entreprises industrielles, principales
exportatrices de biens, doivent faire des efforts de repositionnement importants pour
rester compétitives.
24
Perspectives économiques N°1, Décembre 2003 : « Analyses théoriques et empiriques des
déterminants de la productivité globale des facteurs – Une application au Grand-Duché de
Luxembourg. ».
25
Statec « Dynamiques des entreprises du Luxembourg », 2014.
26
Il convient de noter qu’au Luxembourg, certaines grandes entreprises peuvent avoir une
influence importante, voire déterminante, sur le résultat sectoriel global.
42
CES/PRODUCTIVITE (2017)
43
CES/PRODUCTIVITE (2017)
Par ailleurs, les entreprises les plus productives tendent à exporter de façon plus
intensive, et les entreprises exportatrices devraient voir leur taille augmenter pour
répondre à l’augmentation de la demande qui leur est adressée. Cependant, au
Luxembourg, la taille de l’entreprise semble négativement corrélée à la productivité du
travail27.
La décomposition des gains de productivité en quatre sources28 et l’analyse de leur
évolution montrent que l’impact de la crise n’a pas été immédiat dans l’industrie, mais
en a profondément modifié la trajectoire de long terme. En effet, le rythme de croissance
relativement élevé de la PTF dans l’ensemble de l’industrie est largement déterminé par
la dynamique de l’industrie de fabrication de produits métalliques (NACE 25). Dans cette
branche, l’activité économique globale s’est contractée, entraînant la disparition des
entreprises les moins productives.
Selon le Statec, les gains d’efficacité dans l’allocation des facteurs réalisés après 2002
résultent du mécanisme de « nettoyage du marché » opéré par la récession. Le principal
moteur de la croissance de la productivité est constitué par les gains d’efficacité obtenus
27
Source : Statec, « Dynamiques des entreprises du Luxembourg », 2014
28
L’agrégation des gains réalisés individuellement par les entreprises existantes, l’augmentation
de la part que représentent les entreprises les plus productives dans la branche, l’apparition
d’entreprises plus efficaces et la disparition des entreprises les moins efficaces.
44
CES/PRODUCTIVITE (2017)
individuellement par les entreprises actives après la crise de 2002. L’importance de cet
effet tient à la profonde restructuration de la production au cours de laquelle les
ressources ont été transférées de l’industrie de l’acier vers les services aux entreprises,
support important du développement des services financiers. En revanche, la réallocation
des parts de marchés entre les entreprises existantes n’est pas une source majeure de
gains de productivité. Selon le Statec, la disparition et la réduction des activités des
entreprises les moins productives ont le plus contribué au processus de réallocation des
facteurs de production. Les entreprises les plus efficaces peuvent alors exploiter leur
avantage productif et accèdent à une part plus grande des facteurs de production
disponibles.
Comme le poids des établissements moins efficaces diminue dans la branche au bénéfice
des plus productifs, la croissance de la productivité globale se renforce dans l’industrie ;
la dynamique d’allocation des facteurs devient moins efficace après 2007 et la croissance
de la productivité ralentit tout au long des deux dernières années de la période étudiée
(2011-2012).
En revanche, les services d’intermédiation financière traditionnels subissent un fort
ralentissement amorcé depuis plusieurs années déjà. De façon plus surprenante, les
assurances et les services auxiliaires d’assurances, ainsi que les services informatiques et
les télécommunications se distinguent par un taux de croissance encore plus élevé depuis
2007. Pour ces branches, le progrès technologique semble être à l’origine de la croissance
de la productivité. L’innovation est donc au cœur de la dynamique dans les branches qui
ont le mieux résisté à la crise.
Selon le Statec, la crise financière de 2007-2008 a mis fin à cette période de progrès dans
l’affectation efficace des ressources au sein des entreprises industrielles et entre les
entreprises. La chute rapide observée à partir de 2008 appelle une politique structurelle
cohérente. Pour préserver le potentiel de croissance des activités industrielles, il pourrait
s’avérer utile de recourir à une politique pluri-dimensionnelle et coordonnée, alliant la
baisse des barrières à l’entrée (encouragement à l’entrepreneuriat) et à la sortie
(prévention des faillites), et la recherche de gains de productivité au sein des entreprises
(recherche, innovation, formation, TIC, etc.).
Concernant les services, l’évolution était la suivante :
45
CES/PRODUCTIVITE (2017)
46
CES/PRODUCTIVITE (2017)
Tableau 6 : Evolution de la PGF dans les services par périodes (moyennes annuelles)
Pour le Luxembourg, c’est le stock de connaissances constitué à l’étranger, par les effets
d’externalités (« spill overs »), qui revêt une grande importance : une augmentation du
stock de R&D étrangère de 10% augmente la PGF dans l’industrie d’environ 5%29. En
revanche, une augmentation de 10% du stock de technologie national n’élève la PGF que
d’un peu plus d’un demi-point de pourcentage. En parallèle, plus les entreprises
autochtones font des efforts de R&D, plus l’absorption des technologies nouvelles
réalisées à l’étranger est importante.
29
Source : « La productivité totale des facteurs au Luxembourg », Statec, Cahier économique n°
102 (2006).
47
CES/PRODUCTIVITE (2017)
Productivité en panne ?
Actuellement, la croissance relativement modeste de certaines économies avancées est
en partie conjoncturelle et donc un reflet de la réalité de l’après-crise, mais résulte
également d’un ralentissement préoccupant de la croissance de la productivité engagé
avant la crise30.
Le ralentissement persistant de la croissance de la productivité est préoccupant, car les
gains de productivité sont un levier essentiel de l’amélioration du niveau de vie sur le long
terme.
En dépit de la montée en puissance de l’économie numérique, la croissance de la
productivité du travail a ralenti. Cela implique soit que les effets de la mutation
technologique rapide ne se sont peut-être pas (encore) pleinement diffusés sur la
croissance de la productivité du travail, soit qu’ils sont compensés par des forces
antagonistes.
En tout cas, cette croissance ralentie de la productivité alimente les préoccupations liées
à la possible persistance d’une croissance mondiale molle et le débat actuel quant à
l’avenir de la productivité oppose une vision « pessimiste » à une vision plus
« optimiste ».
Selon les partisans de la vision dite pessimiste, le ralentissement récent de la croissance
de la productivité observé a vocation à devenir permanent31. Les innovations survenues
avec la diffusion des TIC seraient moins révolutionnaires à l’échelle de l’économie dans
son ensemble que celles de la première moitié du XXe siècle (comme l’électrification par
exemple).
A l’inverse, les plus optimistes estiment que le rythme du progrès technologique n’a pas
ralenti et que la numérisation croissante des activités économiques apportera de
nouveaux changements aux économies situées à la frontière32.
L’enjeu consiste à discerner quels pourraient être le rythme et l’ampleur des mutations
technologiques futures, notamment les progrès de l’intelligence artificielle et de
l’exploitation massive des données, à savoir les mégadonnées (« big data »), riches en
promesses pour la croissance de la productivité. Les travailleurs vont avoir besoin de
compétences plus nombreuses mais surtout différentes. Les avancées de la digitalisation
30
OCDE, « L’articulation entre productivité et inclusivité », 2016.
31
Gordon, 2012; Cowen, 2011.
32
Brynjolfsson et McAfee, 2011.
48
CES/PRODUCTIVITE (2017)
49
CES/PRODUCTIVITE (2017)
Une des explications les plus plausibles du ralentissement de la productivité n’est pas tant
le fléchissement du rythme de l’innovation, mais l’enrayement du mécanisme de
diffusion, c’est-à-dire le fléchissement du rythme auquel les innovations se propagent
dans l’économie (Andrews, Criscuolo et Gal, 2015).
50
CES/PRODUCTIVITE (2017)
33
OCDE, « In it together: why less inequality benefits all », 2015, et http://www2.cegep-ste-
foy.qc.ca/freesite/fileadmin/groups/213/_temp_/150521_OCDE_inegalites.pdf
http://www2.cegep-ste-
foy.qc.ca/freesite/fileadmin/groups/213/_temp_/150521_OCDE_inegalites.pdf
34
OCDE, « In it together: why less inequality benefits all », 2015.
35
Source : OCDE, « L'articulation entre productivité et inclusivité », 2016.
51
CES/PRODUCTIVITE (2017)
Malgré le fait que l’accès aux technologies numériques se soit fortement accru, il apparaît
que l’acquisition des compétences nécessaires pour faire bon usage des TIC n’a pas
forcément suivi. L’OCDE suppose que la fracture numérique pourrait perdurer en
l’absence d’efforts de formation accrus de la main-d’œuvre et sans réformes
approfondies des systèmes d’éducation.
Les technologies numériques pourraient, à la faveur notamment de tels efforts, être un
formidable levier potentiel de croissance de la productivité, des revenus et du bien-être
social et constituer un facteur d’inclusion sociale.
Graphique 16 : Nombre de participants à des cours en ligne (2007 et 2013), en
pourcentage des individus s’étant connectés à Internet au cours des trois derniers mois
Source : OCDE
De même, l’utilisation des TIC et du capital intellectuel dans les PME accuse un retard
certain, ce qui concourt à ralentir la diffusion des gains de productivité réalisés à la
frontière. L’analyse préliminaire de l’OCDE donne à penser que la dispersion des gains de
productivité et celle des salaires à l’échelle des entreprises vont de pair. Les données
micro-économiques suggèrent que l’accroissement des inégalités salariales entre les
individus peut être attribué pour une bonne part à un élargissement des écarts de salaires
entre les entreprises, plutôt qu’à l’intérieur de celles-ci. Les individus les plus productifs
travailleraient de plus en plus ensemble et au service des entreprises les plus productives.
52
CES/PRODUCTIVITE (2017)
L’OCDE estime que les effets des inégalités en matière de revenu, d’éducation et de
formation, de santé et d’accès à des emplois de qualité ou à de nouvelles technologies,
ont tendance à se nourrir les uns des autres et, en amoindrissant la qualité de la main-
d’œuvre, contribuent à la lenteur de la diffusion de l’innovation, aux divergences en
termes de croissance de la productivité entre les entreprises à la frontière et celles qui
sont à la traîne, et à l’affaiblissement général de la productivité globale.
Des travaux préliminaires de l’OCDE montrent que l’écart de salaires entre les individus
ayant achevé le deuxième cycle du secondaire et ceux s’étant arrêtés à la fin du primaire
est en moyenne de 15%. Cet écart ne rend cependant pas compte de l’avantage lié aux
études dont bénéficie la première catégorie par rapport à la seconde.
Le Groupe salarial relève que, selon les économistes Askenazy et Erhel, non seulement
les inégalités ont un impact négatif sur la productivité, mais de manière générale, une
dégradation de la qualité de l’emploi affaiblit la dynamique de la productivité : « plusieurs
mécanismes peuvent expliquer cette relation entre qualité de l’emploi et productivité :
outre qu’elles [les politiques économiques successives qui ont longtemps soutenu le
développement d’emplois plus flexibles et à plus faible coût pour les entreprises] ont des
effets négatifs sur la motivation des salariés et sur leurs efforts – à travers des conditions
moins favorables d’embauche, de rémunération et/ou de carrière –, ces politiques
réduisent pour les entreprises les incitations à former les salariés. »36
36
Askenazy Philippe et Erhel Christine, Qualité de l’emploi et productivité, CEPREMAP, 2017.
37
Entretemps un nouveau jeu de projections (« EUROPOP2015 ») est disponible.
53
CES/PRODUCTIVITE (2017)
l’emploi national qui passera à 491.000 en 2060, ce qui représenterait 230.000 salariés
de plus qu’en 2013. Cela correspond à une hausse de 91,6% ou encore un taux de
croissance annuel de 1,4% (+2,3% entre 2013 et 2023 et +1,1% entre 2023 et 2060).
Les projections tablent à l’échelle européenne sur une progression annuelle de la PGF de
1% dans le scénario de base et de 0,8% dans un scénario alternatif « de risque ». Ce
scénario tient compte que la croissance du PIB pourrait être moins prononcée que dans
le scénario de base avec également un PIB potentiel de 0,2 point de pourcentage plus bas
pour l’ensemble des pays de l’UE (1,2% contre 1,4%). Au Luxembourg, la croissance du
PIB potentiel devrait atteindre 2,5% en moyenne annuelle (2,3% pour le « risk scenario »)
avec un maximum de 3% durant les années 2030 et un déclin marqué par la suite.
Pour l’ensemble de l’UE, les sources de la croissance vont également changer de manière
radicale. L’évolution de l’emploi y contribuera positivement jusque dans les années 2020,
puis cette tendance s’inversera. Au Luxembourg, la contribution de l’emploi déclinera
également tout au long de la période, mais restera positive jusqu’en 2060.
54
CES/PRODUCTIVITE (2017)
La contribution des différents facteurs à la croissance du PIB potentiel est résumée dans
les tableaux ci-après.
55
CES/PRODUCTIVITE (2017)
Le Groupe patronal en déduit que si un tel « modèle » de croissance basé sur une
stagnation de la productivité devait perdurer et si la croissance moyenne du PIB en
volume devait s’établir à 3% l’an (un peu plus en début d’horizon) (cf. graphique suivant),
pas moins de 480.000 frontaliers seraient requis en 2040. Leur nombre augmenterait
donc de quelque 300.000 personnes par rapport à la situation actuelle, malgré le
maintien supposé de l’immigration nette à un niveau élevé (soit initialement son niveau
actuel, avec ensuite un déclin de l’ordre d’un tiers d’ici 2040 ; cette hypothèse est
similaire à celle du GT sur le vieillissement sur le plan européen). En revanche, si le
Luxembourg était en mesure de rehausser la productivité du travail à 1,5% l’an à partir
de 2018, le nombre requis de frontaliers s’établirait à 230.000 en 2040, soit « seulement »
55.000 de plus environ que le niveau actuel. Une même croissance économique, de
l’ordre de 3% l’an, pourrait donc être maintenue sans pour autant devoir solliciter
massivement l’emploi des pays limitrophes.
Graphique 18 : Evolution du nombre de frontaliers avec une productivité apparente du
travail de 0 et 2% l’an à partir de 2018 (nombre de personnes)
600000
500000
400000
300000
200000
100000
0
2026
2033
2040
2017
2018
2019
2020
2021
2022
2023
2024
2025
2027
2028
2029
2030
2031
2032
2034
2035
2036
2037
2038
2039
56
CES/PRODUCTIVITE (2017)
Pour le Groupe patronal, un nombre aussi important de frontaliers (et de résidents : ces
derniers seraient, dans les deux scénarios, au nombre de 944.000 en 2040) exigerait du
Luxembourg de considérables investissements en infrastructures de transport,
d’éducation et crèches, de logement, de santé, etc. L’actuelle situation sur le front des
transports et du logement, qui est pour le moins tendue, illustre les difficultés
considérables inhérentes à une éventuelle matérialisation du scénario « 0% de
productivité » illustré ci-dessus. Comme le Luxembourg ne peut, pour des raisons de
cohésion sociale notamment, se permettre d’opter pour un brusque ralentissement de
sa croissance économique, il doit impérativement et prioritairement redonner un coup
de fouet à la progression de la productivité et ce à travers la mise en œuvre d’une
politique volontariste en faveur d’une croissance plus qualitative où les gains de
productivité joueront un rôle majeur afin d’alimenter le moteur de la croissance et de la
cohésion sociale. L’efficacité des ressources quelles qu’elles soient (foncières
(aménagement du territoire), matérielles, physiques, naturelles, énergétiques,
humaines, etc.) doit être au centre des préoccupations afin de faire du Luxembourg un
territoire dynamique au cœur de la Grande Région offrant à ses citoyens un haut niveau
de vie, économiquement, socialement et environnementalement soutenable.
Doit-on rappeler les projections antérieures, faites notamment dans le cadre de bilans de
l’assurance pension, qui se sont toutes révélées largement erronées ? Doit-on rappeler
que le Statec vient d’annoncer un redressement significatif de la productivité ? Doit-on
rappeler les incertitudes liées aux mesures des gains actuels de productivité qui
pourraient être sous-estimés dans les services et celles liées aux gains de productivité
futurs qui pourraient résulter de la numérisation ? Doit-on rappeler que les économies
contemporaines sont de plus en plus caractérisées par des activités de services où il est
57
CES/PRODUCTIVITE (2017)
difficile de faire des gains de productivité sans en dégrader la qualité ? Doit-on rappeler
que le concept de productivité fait abstraction des externalités environnementales des
activités économiques ?
Ainsi, le CES, dans son avis sur le PIBien-être38, a reconnu la nécessité de compléter le PIB
(à la base de la mesure de la productivité) par d’autres indicateurs. La question des futurs
gains de productivité mérite donc d’être posée dans ce contexte également.
Le Groupe salarial soutient l’approche d’une croissance qualitative qui doit se situer dans
un contexte grand-régional et qui se veut socialement et écologiquement responsable. Il
exprime toutefois ses doutes qu’une augmentation de la productivité au Luxembourg
puisse aboutir à un ralentissement des flux de main-d’œuvre venant des autres
composantes de la Grande-Région, étant donné qu’un espace économique marqué par
des gains de productivité, et, partant, par des augmentations de salaires, exerce un attrait
sur les travailleurs de la périphérie.
Le Groupe salarial partage l’analyse que la croissance économique récente (et future ?)
liée à une forte croissance démographique et de l’emploi nécessite d’énormes
investissements en infrastructures de transport, d’éducation et crèches, de logement, de
santé, etc. ; la réalisation de futurs gains de productivité en dépend d’ailleurs également.
Le Groupe salarial rappelle ainsi sa demande d’une nouvelle approche de
comptabilisation des investissements publics qui devraient bénéficier d’un statut spécial
au niveau des procédures budgétaires européennes (règle d’or) facilitant la préparation
de l’économie aux défis de demain.
38 http://ces.public.lu/fr/avis.html?r=f%2Faem_theme%2Ftags_theme%3Aces%5Cgeneral_policy&
58
CES/PRODUCTIVITE (2017)
Au niveau d’une entreprise, la performance est un terme général qui exprime le degré
d’accomplissement des objectifs poursuivis. Une entreprise performante doit être à la
fois efficace et efficiente. Elle est efficace lorsqu’elle atteint les objectifs qu’elle s’est fixés.
Elle est efficiente lorsqu’elle minimise les moyens mis en œuvre pour atteindre les
objectifs qu’elle s’est fixés.
59
CES/PRODUCTIVITE (2017)
60
CES/PRODUCTIVITE (2017)
La performance sociale peut être définie comme la performance d’une entreprise dans
les domaines qui ne relèvent pas directement de l’activité économique, mais qui influent
sur la motivation des salariés, sur leur comportement au travail et ce qui peut permettre,
in fine, une hausse de la productivité du travail.
Il s’agit, entre autres, d’évaluer le bien-être des salariés dans l’entreprise et s’inscrit dans
une optique de développement durable. L’amélioration de ce bien-être passe par la
gestion des défis existants au sein de l’entreprise tels que l’absentéisme, les arrêts
maladie, le stress, les problèmes relationnels, le burn out, ou encore le harcèlement
moral.
61
CES/PRODUCTIVITE (2017)
Au fil des années, l’organisation du travail a évolué avec le capitalisme en passant par
différents stades: capitalisme essentiellement familial d’abord, capitalisme managérial
puis capitalisme financier. Les modèles dominant le 19e siècle et l’essentiel du 20e siècle
sont le taylorisme et le fordisme.
Les conséquences de ces organisations se sont traduites par des hausses de productivité,
une standardisation de la production pour favoriser la consommation de masse. Ces
modes d’organisation permettaient la baisse des coûts de production avec des
conséquences parfois néfastes sur les ouvriers à cause d’un travail de plus en plus
répétitif et monotone.
En effet, la dernière étude réalisée en 2013 à travers le monde par l’entreprise américaine
Gallup39, spécialisée dans les sondages touchant au management et aux ressources
humaines, montre qu’en 2012, 87% des salariés interrogés ne se sentent pas engagés
dans leurs entreprises. La vaste majorité des salariés rapporte une expérience
professionnelle globalement négative. A peine plus d’un sur dix est enthousiaste au sujet
de son travail et se sent engagé dans le succès de son entreprise.
39«State of the Global Workplace: employee engagement insights for business leaders
worldwide» Gallup Inc., 2013.
62
CES/PRODUCTIVITE (2017)
Les résultats obtenus par la plupart des pays européens montrent une marge de
progression; le positionnement du Luxembourg semble plutôt moyen, même si des
marges de progression existent sans doute aussi au Luxembourg.
Source : Résultats de l’enquête Gallup de 2013 comparant l’engagement des salariés européens
et américains sur une base des réponses aux sondages Gallup de 27 millions d’employés dans 195
pays.
*: Le score d’engagement est calculé par la soustraction du taux de salariés activement
désengagés au taux de salariés engagés.
L’enquête Gallup estime que le manque d’engagement continue d’entraver les gains de
productivité et la qualité de vie au travail dans la plupart des pays.
Parmi les méthodes pouvant, a priori, apporter une réponse au manque d’engagement
des salariés, le management participatif apparaissait le plus prometteur.
En plus du dialogue social à l’intérieur de l’entreprise via les représentants du personnel,
le management participatif vise à impliquer les salariés dans les prises de décisions et à
susciter l’engagement de tous les salariés à l’innovation, au progrès et au maintien de la
63
CES/PRODUCTIVITE (2017)
64
CES/PRODUCTIVITE (2017)
Graphique 20 : Les effets de l’engagement des salariés sur des indicateurs de performance
clés
Selon Gallup, le coût lié au désengagement au travail atteindrait entre 450 et 550
milliards de dollars par an aux Etats-Unis, entre 112 et 138 milliards pour l’Allemagne,
entre 83 et 112 milliards pour la Grande-Bretagne et pour la France, il est estimé à
60 milliards d’euros par an40.
Jusqu’à présent, les employés devaient s’adapter aux entreprises. Leur emploi doit
dorénavant s’adapter à leur vie et non plus l’inverse.
Les dernières études Gallup révèlent qu’ils désirent :
40
http://www.lemonde.fr/emploi/article/2016/03/30/plus-l-entreprise-est-grande-plus-l-engagement-
des-collaborateurs-diminue_4892204_1698637.html#Bu2YIToLqQ4CuCXv.99
65
CES/PRODUCTIVITE (2017)
L’enquête Gallup porte aussi sur les facteurs qui influent sur l’engagement des salariés et
à ce niveau, les résultats parlent d’eux-mêmes :
En effet, si les outils ont évolué, les paradigmes managériaux n’ont pas nécessairement
suivi au même rythme dans l’ensemble des entreprises. Quand on parle d’innovation, on
pense en premier lieu aux innovations technologiques ou à la création de nouveaux
produits. Et lorsqu’il est fait état d’innovation managériale, les évolutions portent avant
tout sur l’organisation et les systèmes d’information. Les « principes collaboratifs »
arrivent en dernière position, alors que c’est certainement dans cette direction que se
situe la véritable (r)évolution du management.
66
CES/PRODUCTIVITE (2017)
Le cadre de la saisine est donc éminemment vaste et prend en compte tous les éléments
ayant une influence sur la productivité.
Le CES précise que beaucoup d’éléments tels le capital, les infrastructures, l’énergie, etc.
ont une influence sur la productivité et méritent d’être analysés au même titre que le lien
avec les salaires – autre sujet également central. Etant donné le lien entre la productivité,
la compétitivité et le niveau de vie, il a été décidé de situer l’analyse également dans un
contexte international.
67
CES/PRODUCTIVITE (2017)
Si la productivité du travail peut être calculée assez facilement, en vertu d’une simple
division de la valeur ajoutée par le nombre d’heures de travail ou d’emplois, il existe
toutefois déjà à ce niveau des difficultés méthodologiques. En effet, tant le passage de la
valeur ajoutée nominale à la valeur ajoutée en volume (utilisation des déflateurs) dans
les services marchands tout comme l’utilisation de la rémunération du personnel des
services non marchands et autres pour estimer la valeur ajoutée de ces services ne sont
pas exempts de défis.
Par ailleurs, une analyse détaillée de la productivité des différentes branches de
l’économie est indispensable.
41
Il est possible d’approfondir l’analyse des déterminants de la PGF au niveau de certaines
branches ou au niveau des entreprises, en exploitant la dimension transversale de certaines
enquêtes récentes Eurostat/Statec, comme celles sur l’innovation, les technologies de
l’information et de la communication ou de la formation continue.
68
CES/PRODUCTIVITE (2017)
néanmoins les différents acteurs de continuer leurs travaux en la matière afin de pouvoir
disposer à terme de statistiques plus explicites à ce sujet.
7 ans après le creux de la crise, en 2009, la zone euro connaît toujours un décrochage de
l’investissement équivalent à 1% du PIB.
69
CES/PRODUCTIVITE (2017)
L’ensemble des Etats membres rencontrent un besoin avéré de formation de capital fixe,
tant infrastructurel qu’humain, pour relever les défis présents et à venir, à la fois dans un
esprit de relance et de transition économique, notamment dans le cadre de la
numérisation, par exemple en matière de transport, de logement, de changement
climatique, de préservation de l’environnement, d’énergie, d’éducation ou encore de
vieillissement démographique.
Le contexte actuel (taux d’intérêt bas, infrastructures publiques dégradées voire vétustes
dans de nombreux pays, etc.) plaide pour la mise en œuvre ou le renforcement d’une
telle stratégie favorisant les investissements.
Il est largement reconnu que la politique budgétaire doit être renforcée comme outil de
politique macroéconomique. Les investissements publics doivent être stimulés dans de
nombreux pays, à rebours d’une politique budgétaire purement comptable.
70
CES/PRODUCTIVITE (2017)
Le cadre de gouvernance européen pourrait le cas échéant évoluer dans le sens d’un
recours à une véritable « règle d’or », c’est-à-dire au concept de soldes corrigés des
dépenses d’investissement, afin de ne pas tenir compte, sous certaines conditions, de ces
dépenses pour le calcul du solde public susceptible de déclencher la procédure de déficit
excessif.
De son côté, l’OCDE propose également que le cadre budgétaire européen soit assoupli
dans le sens de la règle d’or des finances publiques (excluant les dépenses
d’investissement net de ce cadre budgétaire) pour permettre l’utilisation des marges
disponibles, recours entravé dans la moitié des pays considérés par les règles budgétaires
en place42.
2.2.2 La réduction des inégalités
Le point 122 du présent avis cite l’OCDE qui voit dans les inégalités de revenu, de
patrimoine et de bien-être des facteurs ayant une influence négative sur la productivité43.
En effet, sur le long terme, les ajustements structurels dus aux mutations technologiques
favorisent la main-d’œuvre qualifiée, auxquels se rajoutent l’approfondissement de
l’intégration économique et les évolutions sur le marché du travail, qui contribuent aussi
à la hausse des inégalités des compétences de la main-d’œuvre.
L’OCDE fournit plusieurs explications à la dispersion de la croissance de la productivité,
comme le ralentissement de la diffusion des technologies et la possibilité d’une captation
croissante des rentes par les entreprises qui se situent à la frontière technologique.
D’après l’OCDE, un manque de concurrence peut renforcer le pouvoir de marché des
entreprises les plus performantes et créer des barrières à l’entrée. Ces entreprises à la
42
« The SGP rules essentially do not distinguish between public investment and other forms of
expenditure as they are defined in terms of overall budget balances or broad expenditure
measures. A number of small adjustments exist to take into account investment, but these are
marginal. Fiscal expansion through higher public investment would be facilitated by excluding net
public investment spending from assessment of compliance with fiscal rules, as is currently the
case for countries’ contributions to the EFSI (Juncker Plan). […] Such a move to a “golden rule”
could be formalised on a permanent basis through deeper changes to the rules. […] The advantage
of this approach is that it creates an incentive to use additional fiscal space to boost public
investment, for which short and long run multipliers are likely to be higher than other forms of
fiscal expansion. There is also evidence of sizeable spillovers across countries (OECD, 2015e; In’t
Veld, 2016). Furthermore, net public investment has been zero or negative in the main euro area
economies in recent years. »
43
« L’articulation entre productivité et inclusivité », http://www.oecd.org/fr/economie/L-
articulation-entre-productivite-et-inclusivite-version-preliminaire.pdf; OCDE, « In it together :
why less inequality benefits all », 2015. et
http://www2.cegep-ste-
foy.qc.ca/freesite/fileadmin/groups/213/_temp_/150521_OCDE_inegalites.pdf
71
CES/PRODUCTIVITE (2017)
Cette tendance à long terme est exacerbée par une régression des revenus du bas de
l’échelle après la crise et l’affaiblissement du rôle d’amortisseur des politiques de
redistribution dans de nombreux pays.
En outre, les disparités dans la distribution du patrimoine sont en augmentation
croissante et beaucoup plus importantes que dans celle des revenus et probablement
accentuées par la crise avec des conséquences probables et notables sur l’égalité des
chances et la croissance.
L’accès aux TIC s’améliore mais l’acquisition de compétences pour en faire bon usage et
en retirer des bénéfices reste à la traîne tant auprès des individus que de petites
entreprises et de certaines régions, freinant les gains de productivité.
Le Groupe salarial estime qu’on assiste à une financiarisation accrue de l’économie, et
des données empiriques montrent qu’il existe un lien entre financiarisation et inégalités
par le biais d’une réduction du potentiel productif des petites entreprises et des
catégories à faible revenu qui ont toutes deux du mal à financer des investissements dans
leur capacité productive.
Les inégalités, de même qu’une mauvaise qualité de l’emploi, peuvent également être un
frein à la productivité en limitant la capacité d’adaptation des individus aux nouvelles
circonstances économiques et technologiques.
2.2.3 La formation et l’éducation
D’après les simulations effectuées par l’OCDE, si tous les pays atteignaient le niveau
maximum d’appariement des compétences observé dans l’OCDE, les gains qui en
résulteraient pour la productivité globale seraient considérables, de l’ordre de 3% aux
Etats-Unis et de 10% en Italie. En moyenne dans les pays de l’OCDE, environ un quart des
travailleurs indiquent qu’il existe un décalage entre leurs compétences et celles requises
par l’emploi qu’ils occupent – c’est-à-dire qu’ils sont soit sous-qualifiés soit surqualifiés.
Ainsi, si les mesures visant à améliorer les compétences de la main-d’œuvre sont
importantes, elles se doivent d’être accompagnées de politiques visant à promouvoir une
meilleure affectation des compétences au sein de l’économie.
72
CES/PRODUCTIVITE (2017)
Le CES estime que la création d’un véritable droit à l’orientation à tout moment d’une
carrière professionnelle mis en œuvre par des conseillers en orientation professionnelle
constitue une nécessité dans cette optique. Une orientation scolaire et une orientation
professionnelle efficaces constituent entre autre un préalable indispensable à un système
de formation professionnelle dynamique et performant. Il s’agit de rapprocher, autant
que faire se peut, les aspirations personnelles des jeunes en matière de formation et
d’emploi. L’orientation scolaire et professionnelle doit être vue comme un processus
continu, qui nécessite l’intervention de différents professionnels durant les différents
stades de vie scolaire et professionnelle d’une personne. L’orientation joue un rôle crucial
pour tout apprenant aux différentes transitions du parcours scolaire et professionnel:
choix formation initiale, passage école-travail, passage emploi - nouvel emploi,
réorientation professionnelle, réintégration au marché́ du travail, etc.
Une diffusion efficace d’informations relatives aux compétences requises par les
employeurs, ainsi que des décisions d’apprentissage des individus face aux besoins de
compétences actuels et émergents pourraient réduire le mésappariement des
compétences. Le Luxembourg doit valoriser les filières d’apprentissage et promouvoir la
formation en alternance à tous les niveaux d’éducation.
Dans « Labour Market Mismatch and Labour Productivity : Evidence from PIAAC Data
(2015) », l’OCDE analyse les effets de la discordance des compétences (skills) et des
qualifications sur la productivité du travail. Le mésappariement des compétences réduit
la productivité : des travailleurs très qualifiés peuvent être « piégés » dans des activités
peu productives générant des décalages entre compétences requises et proposées. Les
discordances de compétences et de qualifications ont une relation négative avec la
productivité moyenne du travail. L’impact de la discordance de compétences est
principalement dû au fait que les compétences des travailleurs sont le cas échéant
supérieures aux compétences requises pour un travail et se manifeste au niveau de la
réallocation. De plus, les nouveaux emplois créés pour lutter contre le chômage causé
par la crise ne correspondent pas toujours aux emplois occupés par les travailleurs avant
la crise.
Or, le Groupe salarial relève que, selon Paul Romer, si le travail devient moins cher, les
entreprises peuvent embaucher des travailleurs qualifiés pour un salaire plus bas et elles
sont moins disposées à substituer du capital au travail, ce qui freine la productivité.
(Source: Paul M. Romer, « Crazy explanations for the Productivity Slowdown », NBER
Macroeconomics Annual, Vol. 2 (1987), pp. 163-202.)
Par ailleurs, il est important de ne pas axer la formation uniquement sur des compétences
techniques, mais également sur des compétences sociales.
L’OCDE pointe vers la nécessité de passer à une éducation plus axée sur la résolution de
problèmes, la collaboration, etc., ce qui permet (au travers l’innovation notamment)
d’améliorer la productivité quel que soit finalement le secteur d’activité de la personne.
Le CES estime qu’il importe de prendre sur le métier le dispositif existant de la formation
73
CES/PRODUCTIVITE (2017)
44
Voir le Cahier Economique n°118, 2014, « Dynamiques des Entreprises au Luxembourg »
http://www.statistiques.public.lu/catalogue-publications/cahiers-economiques/2014/PDF-
Cahier-118-2014.pdf - Etude basées sur des sources individuelles d’entreprises.
45
https://mpra.ub.uni-muenchen.de/56983/1/MPRA_paper_56983.pdf
74
CES/PRODUCTIVITE (2017)
Selon les données de l’enquête « Quality of work Index Luxembourg 2016 » de la Chambre
des salariés, il existe une corrélation positive entre le niveau de bien-être (mesuré par
l’échelle de bien-être WHO-5) et un niveau de participation dans les décisions de
l’entreprise plus élevé, une définition claire des rôles du salarié dans son entreprise et la
sécurité d’emploi. À l’inverse, bien-être et harcèlement moral (cf. également à ce sujet
Sischka, & Steffgen, 2016a) sont corrélés négativement.47 Ce tableau présente les
corrélations entre le niveau de bien-être et les conditions de travail:
Tableau 9 : Corrélations entre le niveau de bien-être et des conditions de travail
(1) WHO-5
46
Jirjahn Uwe, « Ökonomische Wirkungen der Mitbestimmung in Deutschland: Ein Update »,
Artbeitspapier 186, Februar 2010.
47
Sischka, P., & Steffgen, G. (2017a). « Bien-être des salariés au Luxembourg. Better Work »,
Newsletter, 1.
48
Schaufeli, W.B., Bakker, A.B. & Salanova, M. (2006), « The measurement of work engagement
with a short questionnaire: A cross-national study. Educational and Psychological Measurement»,
66, 701-716.
75
CES/PRODUCTIVITE (2017)
La polarisation de la productivité
Selon l’OCDE49, le ralentissement de la croissance globale de la productivité du travail est
paradoxal, puisqu’il a lieu dans un contexte de mutation technologique importante. Or,
historiquement, les périodes de progrès technologique rapide ont fréquemment été
sources de croissance de la productivité50, avec un possible décalage temporel. Ce constat
pourrait donc laisser penser que les effets favorables sur la productivité ne se sont soit
pas encore matérialisés, soit qu’ils seront nuls. Mais l’OCDE avance une troisième
possibilité : les mesures globales de la productivité masquent des écarts importants entre
les entreprises situées à la frontière de l’innovation et les autres, et l’accentuation de la
divergence des gains de productivité entre ces entreprises, en particulier. En effet, alors
que la productivité ralentit, en agrégé, depuis le début des années 200051, l’OCDE
observe, dans ses travaux, que la croissance de la productivité des entreprises les plus
productives à l’échelle mondiale52 est restée dynamique, s’établissant à un taux annuel
moyen de 3,5% dans le secteur manufacturier pendant les années 2000, alors qu’elle a
fortement ralenti dans les autres entreprises, dont les gains de productivité n’ont été que
de 0,5 % au cours de la même période. L’écart était encore plus prononcé dans le secteur
des services marchands, où la productivité du travail des entreprises situées à la frontière
a progressé à un rythme annuel de 5%, alors que celle des autres entreprises ne
progressait pas.
Le Groupe salarial s’interroge sur les leçons à tirer de ce développement pour le
Luxembourg. Est-ce que cette analyse est transposable dans le contexte
luxembourgeois ? Quelles sont alors les entreprises à la traîne, respectivement à la pointe
dans l’économie luxembourgeoise ? Dans le cadre d’une telle analyse, il conviendrait de
ne pas négliger les problèmes de mesure susmentionnés. Il ne faut pas non plus
confondre productivité, compétitivité (au niveau des exportations) et rentabilité d’une
entreprise. Il convient également de tenir compte de la structure spécifique de
l’économie luxembourgeoise.
49
OCDE (2016), « L’articulation entre productivité et inclusivité », Editions OCDE, Paris.
50
Machine à vapeur, électrification, technologies numériques dans les années 1990, etc.
51
La progression annuelle moyenne de la productivité apparente du travail est passée dans la
zone euro de 1,5% dans les années 1990 à 0,6% seulement de 2000 à 2014. Pour les Etats-Unis,
les chiffres correspondants se sont établis à, respectivement, 1,2 et 0,9%.
52
Il s’agit d’un ensemble constitué d’entreprises de différents pays, présentant des profils
d’avantages comparatifs différents et plus ou moins dotés en richesses naturelles.
76
CES/PRODUCTIVITE (2017)
Dans une récente contribution55, le STATEC a montré que les effets dynamiques de
l’innovation, en particulier la persistance, diminuent avec la taille de l’entreprise et que
la rentabilité de l’entreprise et sa capacité à innover sont très fortement liées. Toute
53
Andrews, D., C. Criscuolo et P. Gal (2015), « Frontier Firms, Technology Diffusion and Public
Policy: Micro Evidence from OECD Countries », OECD Productivity Working Paper, nº 2.
54
FMI, op. cit.
55
Economie et Statistiques n°86, Juin 2016, « L’innovation au Luxembourg pendant la période
2002-2010 », Wladimir Raymond et Tatiana Plotnikova.
77
CES/PRODUCTIVITE (2017)
mesure incitative d’innovation, telle que les crédits d’impôt, devrait en conséquence
cibler de préférence les PME.
56
Selon la loi de Metcalfe, l’utilité d’une innovation est proportionnelle au carré du nombre de
ses utilisateurs. Les avantages tirés de l’utilisation d’un réseau augmentent proportionnellement
au nombre de ses utilisateurs élevé au carré.
57
IMF, Fiscal monitor, Chapter 2 « Fiscal policies for innovation and growth », avril 2016.
78
CES/PRODUCTIVITE (2017)
58 Le CES note toutefois qu’à ce sujet, le projet de loi n°7163 relative au régime fiscal de la
propriété intellectuelle et modifiant : la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur
le revenu ; la loi modifiée du 16 octobre 1934 concernant l’évaluation des biens et valeurs («
Bewertungsgesetz ») a été déposé au mois d’août 2017.
79
CES/PRODUCTIVITE (2017)
80
CES/PRODUCTIVITE (2017)
Pour l’OCDE, le décrochage de la productivité des pays européens par rapport à celle des
Etats-Unis constatée depuis la fin des années ‘80 s’explique notamment par la
« destruction créatrice ». Ce phénomène est selon nombre d’analystes59 bien plus
présent outre-Atlantique, où des entreprises moins efficientes et/ou moins disposées à
utiliser les technologies d’information et de communication subissent une éviction
graduelle, au profit d’entreprises plus en pointe – le cas échéant (mais pas
nécessairement) des firmes ayant une assise plus large, conformément à l’effet dit
« Walmart »60.
Pour le Groupe patronal, la concurrence sur les marchés des produits et les politiques du
marché du travail, mais encore le coût élevé des transports et du logement, sont autant
de facteurs influençant la possibilité, pour les travailleurs, de quitter un emploi pour en
accepter un autre, et donc un possible mésappariement des compétences, une mauvaise
allocation des ressources menant à des pertes de bien-être pour l’ensemble de
l’économie, tant les entreprises que les travailleurs-consommateurs.
Il est également primordial de faciliter la création d’entreprises et la cessation d’activité,
des taux élevés de mésappariement des compétences et donc une faible productivité
étant observés lorsqu’une économie comporte une forte proportion d’entreprises plus
anciennes et non productives qui emploient, avec une efficacité limitée, une main-
d’œuvre fortement qualifiée. La « destruction créatrice » des entreprises non
59
Voir notamment Bartelsman E., Haltiwanger J. et Scarpetta S. (2009), « Cross-Country
Differences in Productivity: The Role of Allocation and Selection », NBER Working Paper n°15490.
60
Voir à ce sujet l’étude de France Stratégie, « Comprendre le ralentissement de la productivité
en France », note d’analyse n°38 de janvier 2016.
81
CES/PRODUCTIVITE (2017)
Pour le Groupe patronal, l’allocation des facteurs de production est aussi entravée par
des réglementations excessives des marchés des produits, qui limitent tant les taux de
sortie (d’entreprises peu efficientes) que d’entrée de nouvelles entreprises susceptibles
de renouveler les processus de production et d’introduire de nouveaux produits. Il est
tout d’abord essentiel de veiller à une régulation plus ciblée, plus simple et performante.
En particulier en ce qui concerne les politiques en faveur d’une démographie saine des
entreprises, le marché du travail, le marché des produits, la simplification administrative,
l’incitation à l’innovation et aux « jeunes pousses », un droit des faillites performant et
une transmission d’entreprises facilitée. Si on en croit l’OCDE, l’indicateur global de
régulation du marché des produits était en 2013 et au sein de la zone euro le plus élevé
au Luxembourg, après la France, la Grèce et la Slovénie. Les barrières à l’entrée seraient
particulièrement dissuasives dans les services, le Luxembourg étant à ce titre la lanterne
rouge de l’OCDE après l’Italie.
Enfin, le Groupe patronal est d’avis qu’une réforme du droit des faillites contribuerait
également à assurer une meilleure allocation des moyens de production. Selon la Banque
mondiale, le délai moyen pour la fermeture d’une société serait particulièrement long au
Luxembourg, avec en prime un coût moyen élevé des procédures de faillite. Enfin, le
cadre juridique en la matière semble assez dépassé, certaines dispositions datant de
1935.
Le Groupe salarial ne partage pas l’approche développée ci-avant laissant sous-entendre,
selon le Groupe salarial, une volonté de « destruction d’entreprises ». Il est clair que
certaines entreprises sont toujours à la pointe, et d’autres sont à la traîne, mais il ne peut
61
http://www.oecd.org/fr/luxembourg/
82
CES/PRODUCTIVITE (2017)
en aucun cas être un objectif politique de détruire celles « à la traîne », voire celles du
milieu. Des entreprises hautement rentables peuvent ne pas être parmi les plus
productives ; des entreprises socialement responsables peuvent ne pas être parmi les
plus productives ; des entreprises remplissant des missions d’utilité publique peuvent ne
pas être parmi les plus rentables.
Toutes ces entreprises, même si elles sont moins productives que celles, peu
nombreuses, à la pointe, sont indispensables pour le bon fonctionnement d’une
économie, voire d’une société.
Pour le Groupe salarial, les réflexions théoriques de l’OCDE sur ce point sont à rejeter. La
recherche d’une productivité plus grande ne doit pas se faire au détriment de
considérations sociales et ne constitue pas une fin en soi.
Par ailleurs, développement économique et développement social vont de pair. Dans une
optique schumpétérienne, on pourrait considérer également que l’abaissement du coût
du travail et la flexibilisation du droit du travail permettent à des entreprises peu
productives de rester rentables sans être innovatrices et de bloquer le processus créatif
au sein de ces entreprises et de limiter l’investissement dans la main-d’œuvre.
En ce qui concerne plus particulièrement le droit des faillites, le Groupe salarial estime
aussi que les procédures doivent être accélérées afin de protéger au mieux les droits des
salariés qui doivent d’ailleurs être améliorés. La réalisation d’une faillite ne doit toutefois
pas constituer une fin en soi, un objectif, pour mettre fin à la vie d’une entreprise viable
et rentable, mais moins productive qu’une entreprise de pointe.
Afin de faciliter et de mieux organiser des restructurations, il y a lieu de réaliser une
meilleure sécurisation des parcours professionnels et une meilleure gestion anticipée de
l’emploi sur base des nouvelles dispositions légales en matière de dialogue social à
l’intérieur des entreprises et en renforçant le régime des conventions collectives. Dans ce
contexte, des améliorations au niveau du dispositif légal de maintien dans l’emploi sont
toutefois indispensables afin de le rendre plus contraignant.
83
CES/PRODUCTIVITE (2017)
62
http://bruegel.org/2015/02/euro-area-governance-what-to-reform-and-how-to-do-it/
63
https://ec.europa.eu/priorities/sites/beta-political/files/5-presidents-report_fr.pdf
64
http://eur-lex.europa.eu/legal-content/fr/TXT/?uri=CELEX%3A52015DC0601
65 http://data.consilium.europa.eu/doc/document/ST-10083-2016-INIT/fr/pdf
84
CES/PRODUCTIVITE (2017)
85
CES/PRODUCTIVITE (2017)
nouer des contacts avec les conseils de la productivité des autres États membres
participants afin de procéder à des échanges de vues et de bonnes pratiques, en
tenant compte également de la dimension plus large de la zone euro et de l’Union;
exercer leurs activités de manière continue;
rendre publiques leurs analyses (en principe);
publier un rapport annuel (qui pourrait être intégré dans un rapport existant);
être unique;
s’appuyer sur les structures existantes afin de préserver ce qui fonctionne déjà et
de réduire autant que possible les coûts administratifs. Le conseil de la
productivité pourrait être fondé sur une structure nationale déjà établie et
respectée, notamment en ce qui concerne la participation et la consultation des
parties prenantes. Cependant, pour pouvoir exercer convenablement leurs
activités, les conseils de la productivité pourraient quant à eux s’appuyer sur
plusieurs organismes distincts déjà en place, pour autant que l’analyse produite
par ces derniers présente le même niveau élevé de qualité.
86
CES/PRODUCTIVITE (2017)
Il convient de ne pas non plus oublier le rôle macroéconomique des salaires, notamment
pour le marché intérieur de la zone euro qui risque d’être encore plus négligé par
l’instauration de conseils de compétitivité et/ou de productivité. La course à une
meilleure compétitivité-coût par tous est insoutenable, non seulement d’un point de vue
social, mais d’un point de vue économique également en affaiblissant de plus en plus la
demande intérieure de la zone euro.
A titre subsidiaire, le Groupe salarial estime que, si de tels conseils nationaux devraient
voir le jour, ils devraient analyser les évolutions dans le domaine de la productivité, y
compris par rapport aux concurrents mondiaux, en tenant compte des particularités
nationales et des pratiques établies. Il s’agit surtout d’éclaircir toutes les problématiques
méthodologiques abordées dans le présent avis et de ne pas s’immiscer dans les
négociations collectives entre partenaires sociaux.
66A noter qu’en Autriche, les partenaires sociaux ont demandé ensemble au Gouvernement de
confier cette mission au « Beirat für Wirtschafts- und Sozialfragen ».
87
CES/PRODUCTIVITE (2017)
Alors que Bruegel proposait la mise en place de conseils de compétitivité - cette notion
étant définie de manière restrictive (accent sur la compétitivité-coûts) - le conseil de
productivité aujourd’hui discuté est censé appréhender la compétitivité, respectivement
la productivité, de manière très vaste, avec un réel risque de « diluer » des défis
intrinsèques de compétitivité-coût (p.ex. à travers un dérapage du CSU nominal) avec des
indicateurs « favorables » dans certaines dimensions hors-coûts de la compétitivité.
Toujours est-il que même ce « conseil de productivité » au mandat plus flou et moins
orienté vers la stabilité macroéconomique et donc plus éloigné de l’idée de base de la
nécessaire compétitivité d’un Etat membre dans une perspective de sa participation dans
la zone monétaire commune (entraînant logiquement des droits et des obligations dans
le chef de ces pays) peut constituer une avancée et peut aider notre pays à mieux
appréhender de nombreuses thématiques et défis énoncés le long du présent avis. Aussi,
les rapports d’un tel conseil pourraient utilement alimenter le débat public et les
évolutions constatées en matière de productivité réelle pourront inspirer les marges de
progression des salaires réels et des pensions.
Le Groupe patronal ne partage pourtant pas la proposition du Groupe salarial de confier
la mission du Conseil national de la productivité au Conseil économique et social. Une
88
CES/PRODUCTIVITE (2017)
Résultat du vote:
Le présent avis a été arrêté à l’unanimité des voix des membres présents.
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