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Guillaume SANTORO1
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Résumé : Le principe de la liberté d’établissement donne aux sociétés établies dans
les différents États membres de l’Union européenne la possibilité de développer
leurs activités transfrontalières. Une fois le principe consacré par le Traité de
Rome, aucune règle de droit communautaire sur la reconnaissance des sociétés
susceptible de mettre en œuvre cette liberté ne fut édictée. Les textes se sont limités
à prévoir un renvoi aux droits nationaux et ont établi un principe de neutralité par
rapport aux systèmes de rattachement des États membres. Ces derniers ont recours
à deux critères de rattachement différents : la théorie du siège réel ou celle du siège
statutaire, ce qui génère des difficultés d’application de la liberté d’établissement.
Les problèmes se posent non seulement dans le cadre du transfert de siège, mais
également dans la création ex nihilo d’un établissement secondaire. Il est donc
revenu au juge communautaire de préciser les modalités d’application de la liberté
d’établissement au cours des deux dernières décennies. Dans un premier temps, les
juges de Luxembourg ont laissé une marge de manœuvre aux États membres. Puis la
Cour de justice s’est engagée vers plus de libéralisme en rappelant régulièrement
que les règles nationales ne devaient pas constituer une entrave à l’exercice de la
liberté d’établissement. En 2008, l’arrêt Cartesio est allé plus loin en affirmant le
droit pour une société qui changeait de loi applicable de transférer son siège dans
un autre État sans dissolution ni liquidation préalable. Cela a permis d’étendre la
liberté d’établissement pour les sociétés migrantes. Un certain équilibre entre le
droit international privé des États membres et l’exercice de la liberté d’établisse-
ment a donc été trouvé. Mais l’absence de règles communautaires uniformes et la
1 Introduction
2 La libéralisation du droit d’établissement communautaire
2.1 L’accès à la liberté d’établissement subordonné à un rattachement étatique
2.1.1 L’impuissance du droit communautaire à définir un système commun de
rattachement des sociétés
2.1.2 Le renvoi aux systèmes de rattachement des droits nationaux
2.2 L’exercice de la liberté d’établissement indépendamment du rattachement étatique
2.2.1 L’affirmation d’un principe de libre transfert de siège social
2.2.2 La liberté d’établissement, un moyen de transformation des sociétés
3 L’incidence des restrictions de la jurisprudence sur le droit des États membres
3.1 La liberté de s’installer
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3.1.1 Les conditions d’accueil du transfert de siège social
3.1.2 Les conditions de création des établissements secondaires
3.2 La liberté de partir
3.2.1 Le droit de se désinstaller
3.2.2 Vers un changement d’attitude des États d’origine ?
Summary
1 INTRODUCTION
La liberté d’établissement2 a pour objectif de favoriser l’interpénétration économi-
que et sociale à l’intérieur de l’Union européenne dans le domaine des activités non
salariées3. Contrairement à la libre prestation de services qui permet à un opérateur
économique d’offrir ses services de manière temporaire dans un autre État membre,
la liberté d’établissement donne la possibilité à un ressortissant communautaire de
participer de façon stable4 et continue à la vie économique d’un ou plusieurs États
membres autres que son État d’origine5. Pour les sociétés, cette faculté définie aux
articles 49 TFUE (ex-article 43 TCE) et 54 TFUE (ex-article 48 TCE) s’exerce par
« la constitution et la gestion d’entreprises », ce qui permet à leurs fondateurs d’établir
durablement des entités dans un ou plusieurs États de leur choix.
Cette liberté a été instaurée par le Traité de Rome dont l’un des objectifs initiaux
était d’établir des conditions favorables au développement des activités économi-
ques communautaires et permettre ainsi la réalisation du Marché intérieur. Un tel
objectif a été établi sur les bases d’une Communauté européenne composée d’un
2. Y. Loussouarn, « Le droit d’établissement des sociétés », RTD eur., 1990, n° 2, pp. 229-239.
3. CJCE, 21 juin 1974, Reyners, 2/74, Rec., p. 631, point 21.
4. Le caractère durable de l’activité permet de différencier les activités relevant de la liberté d’établis-
sement de celles qui relèvent de la libre prestation de services qui ont un caractère temporaire.
5. CJCE, 30 novembre 1995, Gebhard, C-55/94, Rec., p. 4165, point 25.
L’évolution du principe de liberté d’établissement en droit communautaire 353
nombre restreint d’États mais dont la puissance économique leur permettait d’im-
poser leurs systèmes économique et juridique. Deux changements ont fondamenta-
lement transformé cette situation et modifié l’exercice de la liberté d’établissement.
D’abord, les élargissements successifs de l’Union européenne ont intégré des pays
aux économies et systèmes juridiques très divers, ce qui a profondément remanié
les relations économiques entre les États et les sociétés. Puis, ce mouvement s’est
accompagné, au cours des vingt dernières années, d’une globalisation des échanges
qui a également eu un impact sur la stratégie de localisation des établissements ou
des sièges de sociétés6.
Ces changements ont eu l’avantage de permettre aux différentes sociétés
exerçant une activité au sein de l’Union européenne d’avoir accès à un marché
de l’emploi plus intéressant, à un environnement technologique plus favorable ou
encore à des régimes fiscaux plus avantageux7, ce qui leur a permis de créer ou de
développer leurs activités transfrontalières. Mais l’établissement de nouvelles struc-
tures au-delà des frontières habituelles a eu également pour effet d’augmenter les
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litiges résultant de la confrontation entre les différents systèmes juridiques nationaux
et l’application du principe de liberté d’établissement. Cette liberté fondamentale
est garantie par le Traité, il appartient donc à la Cour de justice de protéger son
application contre des dispositions nationales qui seraient susceptibles de gêner ou
de rendre moins attrayant son exercice. Mais il convient également d’apprécier si
l’expansion de la mobilité des sociétés sur le fondement de la liberté d’établissement
n’a pas eu des incidences sur les droits annexes, ce qui pourrait remettre en cause
son application.
À titre d’exemple, l’exercice de la liberté d’établissement se trouve réguliè-
rement confronté aux règles fiscales des États membres dont la particularité est
d’être fondées sur la notion de résidence fiscale, notion distincte de celle du siège
de la société8. Ces divergences peuvent constituer des discriminations indirectes en
matière d’établissement. En limitant celles-ci, la Cour de justice établit une supré-
matie de la liberté d’établissement sur les règles fiscales nationales9. De même, le
choix d’implantation dans certains pays pour leur législation sociale plus favorable
crée des conflits avec le droit du travail. C’est ainsi que la Cour de justice a rappelé
que « la Communauté a non seulement une finalité économique, mais également une
finalité sociale »10, et les droits résultant des libertés économiques telles que la liberté
d’établissement doivent être mis en balance avec les objectifs poursuivis par la poli-
tique sociale. Mais à la lecture de la jurisprudence communautaire11, il est légitime
de s’interroger sur le rapport de forces qui existe entre capital et travail. Devant une
telle confrontation entre droits nationaux et liberté d’établissement, il convient de
rappeler comment s’exerce cette liberté pour en apprécier les conséquences.
La liberté d’établissement permet une mobilité des sociétés par le déplacement
géographique de différents types d’établissements. Le Traité distingue deux types
d’implantations : l’établissement principal et l’établissement secondaire. Le premier
peut être défini comme le centre de gravité de l’activité économique d’une entité
indépendante12. L’absence de toute référence à un statut juridique démontre que
c’est une conception économique de la notion d’établissement qui est retenue13, à
la différence de l’établissement secondaire qui peut prendre la forme d’agence, de
succursale ou de filiale et qui est un deuxième type d’implantation. Ces deux types
d’établissements font apparaître des problèmes distincts au regard de l’exercice de
la liberté d’établissement. Le déplacement du siège de la société soulève des diffi-
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cultés relatives à la personnalité morale puisque le transfert de siège peut remettre en
cause l’existence même de la société. En ce qui concerne l’établissement secondaire,
ce n’est pas tellement la liberté de constitution qui suscite une réflexion mais les
conséquences de sa mobilité.
Les difficultés que rencontrent les sociétés lors de la mobilité de leurs établis-
sements sont dues à l’existence d’un conflit entre le droit communautaire et les
droits nationaux suite à l’instauration par le Traité d’un système de rattachement
communautaire particulier. Ainsi, le premier alinéa de l’article 54 TFUE (ex-article
48 TCE) impose que les sociétés remplissent deux conditions pour être assimilées
aux personnes physiques et bénéficient au même titre de la liberté d’établissement.
Elles doivent être constituées en conformité avec la législation d’un État membre
et posséder leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal éta-
blissement à l’intérieur de la Communauté. Le texte impose donc une implantation
européenne mais laisse la reconnaissance des sociétés à l’initiative des États mem-
bres. Ce libre choix donné aux États a pour conséquence de créer un affrontement
entre les deux principales conceptions de rattachement. La première, la théorie de
l’incorporation, prévoit qu’une société est rattachée au droit du pays où elle a été
constituée, c’est-à-dire dans lequel elle a fait l’objet d’une immatriculation régulière
et au sein duquel son siège est abstraitement localisé par les statuts. Il s’agit d’une
vision formaliste du rattachement qui est fondée sur un critère formel et non sur un
critère réel d’activité effective. La société est considérée comme une abstraction
11. M. Colucci, « L’avenir de l’Union européenne entre libertés économiques et droits sociaux fonda-
mentaux », Rev. dr. UE, 2009, n° 1, pp. 55-72.
12. G. Mustaki et V. Engammare, Droit européen des sociétés, Bruxelles, Bruylant, 2009, p. 24.
13. J.-B. Blaise, « Une cohabitation difficile : nationalité des sociétés et libre établissement dans la
Communauté Européenne », in Souveraineté étatique et marchés internationaux à la fin du XXe
siècle, Mélanges en l’honneur de Philippe Kahn, Paris, Litec, 2000, pp. 585-598, spéc. p. 596,
n° 15.
L’évolution du principe de liberté d’établissement en droit communautaire 355
créée par l’autorité publique qui lui a donné naissance et ne vit qu’en vertu de la loi
de son lieu de constitution. La seconde, la théorie du siège réel, privilégie le critère
matériel du lieu d’établissement. La société doit donc conserver son siège effectif
dans l’État d’immatriculation. Le rattachement effectif au territoire national est une
condition nécessaire mais pas suffisante, et la reconnaissance de la personnalité
juridique est subordonnée à des conditions complémentaires (enregistrement ou
adaptation des statuts sociaux). Si le critère est simple, les modalités d’application
sont variables selon les États. La description de ces critères peut laisser penser que
le rattachement est un frein à la mobilité des sociétés et va à l’encontre du principe
de liberté d’établissement. Il n’en demeure pas moins qu’il constitue une nécessité
de l’accès à la liberté d’établissement.
Mais comme l’a souligné un auteur14, la cohabitation est difficile entre la natio-
nalité des sociétés et leur libre établissement dans l’Union européenne. En effet,
faute d’harmonisation communautaire, et en s’abstenant de définir un critère de
rattachement indépendant des droits nationaux, les rédacteurs du Traité ont confié
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l’avenir du principe de liberté d’établissement aux législations des différents États
membres. Leur attitude est dépendante de leur législation. Il convient de distinguer
le cas où un État membre empêche ou dissuade les sociétés constituées en vertu
de sa propre loi de tenter de s’établir à l’étranger de celui où c’est l’État membre
d’accueil qui restreint la liberté d’établissement. En vingt ans de jurisprudence,
des premiers arrêts Daily Mail15, Centros16, Überseering17, Inspire Art18, Sevic19
au dernier arrêt Cartesio20, la Cour de justice a posé les principes d’exercice de la
liberté d’établissement des sociétés. L’étude de cette jurisprudence fait apparaître
un processus de libéralisation de celle-ci (2) qui n’est pas sans incidence sur le droit
à la mobilité des sociétés des différents États membres (3).
14. Ibid.
15. CJCE, 27 septembre 1988, Daily Mail, aff. 81/87, Rec., p. 5483.
16. CJCE, 9 mars 1999, Centros, aff. C-212/97, Rec., p. 1459.
17. CJCE, 5 nov. 2002, Überseering, aff. C-208/00, Rec., p. 9919.
18. CJCE, Plén., 30 septembre 2003, Inspire Art Ltd, aff. C-167/01, Rec., p. 10155.
19. CJCE, 13 décembre 2005, SEVIC, aff. C-411/03, Rec., p. 10805.
20. CJCE, 16 décembre 2008, Cartesio, aff. C-210/06, Rec., p. 9919.
356 L’évolution du principe de liberté d’établissement en droit communautaire
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2.1.1 L’impuissance du droit communautaire à définir un système commun
de rattachement des sociétés
Dans son article 54 TFUE (ex-article 48 CE), le Traité impose aux sociétés une
double obligation pour qu’elles puissent avoir accès à la liberté d’établissement.
Elles doivent, d’une part, être constituées en conformité avec la législation d’un État
membre et, d’autre part, posséder leur siège statutaire, leur administration centrale
ou leur principal établissement à l’intérieur de l’Union européenne. Un tel choix
de rattachement n’est pas anodin, mais la conséquence d’un échec de la reconnais-
sance mutuelle des sociétés. En effet, devant l’existence d’une disparité entre les
différents systèmes de rattachement nationaux, les rédacteurs du Traité n’ont pu
élaborer un critère commun. C’est pourquoi ils ont pris en compte ces divergences
et mis sur un pied d’égalité le siège statutaire, l’administration centrale et le principal
établissement d’une société comme liens de rattachement23. Le texte exige ainsi que
les sociétés appartiennent à l’Union européenne mais renvoie la problématique du
rattachement aux droits des États membres.
Devant cette règle, une partie des auteurs s’accorde à reconnaître que l’article
54 TFUE (ex-article 48 CE) retient « le système le plus libéral, qui est celui de
l’incorporation »24. D’autres estiment que « la rédaction était assez large pour
s’appliquer aussi bien aux sociétés constituées dans un État de siège réel que dans
21. L. Lévy, La nationalité des sociétés, Paris, L.G.D.J., 1984, p. 51, n° 26.
22. M. Menjucq, Droit international et européen des sociétés, 3e éd., Paris, Montchrestien, 2008, p. 55,
n° 53.
23. CJCE, 27 septembre 1988, Daily Mail, aff. 81/87, point 21 ; CJCE, 16 décembre 2008, Cartesio,
aff. C-210/06, point 106.
24. Ch. Gavalda et G. Parléani, Droit des affaires de l’Union européenne, 6e éd., Paris, Litec, 2010,
p. 142, n° 213.
L’évolution du principe de liberté d’établissement en droit communautaire 357
un État d’incorporation »25. Il est plus légitime de penser que ce texte instaure une
règle de rattachement alternatif qui « évite de trancher »26 et ne confère pas plus de
prérogatives à un système de rattachement qu’à un autre. Pour Jacques Béguin, c’est
un « critère très œcuménique »27, qui permet aux États membres de choisir le critère
le plus adapté à leur politique de liberté de circulation.
Outre cet article, les rédacteurs du Traité avaient envisagé que les problèmes de
reconnaissance soient résolus par des travaux conventionnels et législatifs. En effet,
l’article 293 du Traité CE28 prévoyait que les États négocient une convention qui
permettrait la reconnaissance mutuelle des sociétés afin de permettre le maintien de la
personnalité juridique en cas de transfert du siège de pays en pays. Une Convention
de reconnaissance mutuelle a été signée entre les États le 29 février 196829. Mais
elle n’est jamais entrée en vigueur faute de ratification par les Pays-Bas. Selon
Tito Ballarino, cet échec s’explique par le fait que « la ligne de partage entre pays
d’incorporation et pays du siège social (…) court à l’intérieur de la Communauté
européenne et a fait obstacle à l’adoption de la convention »30. Celle-ci demeure
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donc aujourd’hui « une pure référence doctrinale »31.
Cette absence de définition uniforme par le droit communautaire a conduit la
Cour de justice à considérer que la reconnaissance des sociétés bénéficiaires de la
liberté d’établissement ne pouvait trouver une réponse que dans le droit national
applicable32. En conséquence, cette reconnaissance devra s’apprécier au regard des
deux principaux systèmes de rattachement adoptés par les droits nationaux. Le choix
des États membres résulte de l’orientation qu’ils souhaitent donner à leur politique
de libre circulation des sociétés établies sur leur territoire.
25. P. Lagarde, note sous l’arrêt Überseering, Rev. crit. DIP, 2003, n° 3, pp. 508-536, spéc. p. 508,
n° 1.
26. A. V. M. Struycken, « Les conséquences de l’intégration européenne sur le développement du droit
international privé », Rec. cours La Haye, 1992, tome 232, pp. 267-379, spéc. n° 79.
27. J. Béguin, « Un texte à abroger : la loi sur la reconnaissance internationale des sociétés anonymes
étrangères », in Le droit de l’entreprise dans ses relations externes à la fin du XXe, Mélanges en
l’honneur de Claude Champaud, Paris, Dalloz, 1997, pp. 1-22.
28. L’article 293 CE qui a été abrogé par le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne dis-
posait que « les États membres engageront entre eux, en tant que de besoin, des négociations en
vue d’assurer, en faveur de leurs ressortissants : (…) la reconnaissance mutuelle des sociétés au
sens de l’article 48, deuxième alinéa, le maintien de la personnalité juridique en cas de transfert
du siège de pays en pays et la possibilité de fusion de sociétés relevant de législations nationales
différentes ».
29. B. Goldman, « Rapport concernant la convention sur la reconnaissance mutuelle des sociétés et
personnes morales » (signée à Bruxelles le 29 février 1968), RTD eur., 1968, n° 4, pp. 405-423 ;
P.-E. Partsch, Le droit international privé européen de Rome à Nice, Larcier, 2003, p. 58, n° 37
et s.
30. T. Ballarino, « Les règles de conflit sur les sociétés commerciales à l’épreuve du droit communau-
taire d’établissement. Remarques sur deux arrêts récents de la Cour de justice des Communautés
européennes », Rev. crit. DIP, 2003, n° 3, pp. 373-402 et spéc. p. 375, n° 1.
31. J. Boucourechliev, « Les voies de l’Europe des sociétés », JCP, E, 1996, n° 22, pp. 225-233, et spéc.
p. 226, n° 4.
32. CJCE, 16 décembre 2008, Cartesio, aff. C-210/06, point 109.
358 L’évolution du principe de liberté d’établissement en droit communautaire
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le territoire allemand. Elle exigeait que la société se reconstitue afin d’acquérir la
capacité juridique au regard du droit allemand, ce qui a été sanctionné par la Cour
de justice. Cet interventionnisme constitue certainement la faiblesse de ce système
de rattachement qui semble inadapté au contexte communautaire36. On perçoit en
effet un écart entre la vision nationale du principe de la théorie du siège réel et le
principe de la liberté d’établissement qui a pour vocation de faciliter la mobilité
transfrontalière des sociétés. C’est pourquoi des auteurs considèrent la théorie du
siège réel comme « peu adaptée au développement d’une économie transfrontalière
européenne au sein d’un espace de liberté et de justice »37.
À l’inverse, la théorie de l’incorporation ou du siège statutaire est fondée sur
une « approche abstentionniste »38. Seul le lieu mentionné par l’acte constitutif
est pris en compte pour désigner la lex societatis. Le système de l’incorporation
a ainsi l’avantage de permettre « la pérennisation de la loi de la société »39. Outre
cette faculté, ce système facilite la mobilité puisqu’il y a une indépendance entre le
rattachement juridique et la localisation réelle de l’activité, ce qui caractérise « le
réalisme de l’incorporation »40. L’intérêt de ce critère réside ainsi dans la possibilité
donnée aux sociétés d’exercer leur activité à l’extérieur du territoire national et de
33. Y. Loussouarn et J.-D. Bredin, Droit du commerce international, Paris, Sirey, 1969, p. 322,
n° 291.
34. J.-M. Jonet, « Sociétés commerciales : la théorie du siège réel à l’épreuve de la liberté d’établisse-
ment. Autour de l’arrêt Überseering », JTDE, 2003, n° 96, pp. 33-37, spéc. p. 33, n° 2.
35. CJCE, 5 nov. 2002, Überseering, aff. C-208/00.
36. Th. Mastrullo, Le droit international des sociétés dans l’espace régional européen, PUAM, 2009,
p. 272, n° 587 et s.
37. J.-M. Jonet, op. cit., p. 35, n° 10.
38. Ibid., p. 34, n° 3.
39. M. Menjucq, La mobilité des sociétés dans l’espace européen, Paris, L.G.D.J., 1997, p. 93,
n° 133.
40. Ibid., p. 97, n° 140 et s.
L’évolution du principe de liberté d’établissement en droit communautaire 359
posséder une pluralité de centres décisionnels sans que cela n’ait d’incidence sur la
loi applicable. Les États ayant recours à ce critère encouragent d’ailleurs les sociétés
à « s’exporter » en instituant des législations favorables. L’arrêt Centros en est un
parfait exemple. En l’espèce, les fondateurs ont préféré constituer leur société au
Royaume-Uni dont le droit est moins exigeant en matière de libération de capitaux, et
créer par la suite une succursale au Danemark afin d’exercer leur activité principale.
En revanche, la mobilité n’est que partielle car elle est limitée au seul déplacement du
siège effectif. Celui-ci fait d’ailleurs l’objet de toutes les attentions puisqu’il consti-
tue généralement le domicile fiscal de la société. Cela permet aux États d’imposer
des contraintes à la mobilité afin d’éviter l’évasion fiscale des sociétés, comme la
Cour l’a démontré dans l’arrêt Daily Mail.
À l’occasion des arrêts Centros, Überseering et Inspire Art, rendus entre 1980
et 2003, la Cour de justice a développé une jurisprudence restrictive à l’égard des
États adoptant le critère du siège réel. Elle a énoncé qu’ils ne pouvaient restreindre la
liberté d’établissement en faisant prévaloir leur critère de rattachement. La solution
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semblait être établie ; les États en tenaient compte, à l’instar du droit allemand qui
a réalisé une étude dans le but d’abandonner le critère du siège réel41. L’efficacité
de celui-ci semblait donc décliner avec cette trilogie d’arrêts qui avaient adopté
une position plus libérale. Or nous avons assisté à « la renaissance inattendue de la
théorie du siège réel »42 en 2008 dans l’arrêt Cartesio. Selon la Cour, le principe de
libre établissement ne s’opposait pas à « une réglementation d’un État membre qui
empêche une société constituée en vertu du droit national de cet État de transférer
son siège dans un autre État membre »43. Les États ont ainsi retrouvé des prérogatives
identiques quel que soit le système de rattachement retenu.
Parallèlement à la construction jurisprudentielle de la Cour de justice, le légis-
lateur européen a opté pour un critère de rattachement spécifique dans le cadre du
règlement portant statut de la Société Européenne44 (SE ci-après) en imposant que
le siège statutaire soit situé dans le même État membre que l’administration centrale
et au même endroit si l’État membre l’exige45. Il devra donc y avoir coïncidence de
lieu entre l’administration centrale et le siège statutaire tout au long de la vie de la
SE. C’est donc le système du siège réel qui a été clairement adopté comme critère de
rattachement même si une telle option a été acquise après de rudes négociations avec
41. En 2006, le Haut comité allemand pour le droit international privé a proposé l’abandon par l’Alle-
magne de la théorie du siège réel. Voir H. J. Sonnenberger et F. Bauer, « Proposition du Deutscher
Rat für Internationales Privatrecht en vue de l’adoption d’une réglementation du droit international
des sociétés au niveau européen/national », Rev. crit. DIP, 2006, n° 3, pp. 712-734.
42. R. Dammann, L. Wynaendts et R. Nader, « La renaissance inattendue de la théorie du siège réel »,
D., 2009, n° 9, pp. 574-575.
43. CJCE, 16 décembre 2008, Cartesio, aff. C-210/06, point 124.
44. Règlement (CE) 2157/2001 du Conseil du 8 octobre 2001 relatif à la société européenne (SE),
JOCE, L 294, 10 novembre 2001, p. 1.
45. Art. 7 du règlement.
360 L’évolution du principe de liberté d’établissement en droit communautaire
les États de tradition formaliste46. Alors que le choix d’un tel critère en 2001 allait
à l’encontre de la jurisprudence communautaire en vigueur, le règlement se trouve
aujourd’hui en adéquation avec celle-ci depuis la réhabilitation de la théorie du siège
réel par l’arrêt Cartesio. Deux éléments de réponse permettent de comprendre le
choix du législateur. D’abord, la théorie du siège réel était historiquement celle rete-
nue par les principaux États fondateurs. Les négociations furent ensuite si longues
et vaines qu’il apparut normal de conserver ce critère. Enfin, imposer que l’admi-
nistration centrale soit attachée au siège statutaire de la société permettait d’affirmer
l’ancrage européen de cette structure supranationale. Malgré cette justification, le
choix du critère de rattachement le plus contraignant peut paraître antinomique au
regard de l’objectif de cette société qui doit constituer un outil facilitant la mobilité
intracommunautaire. Aux détracteurs de l’adoption d’une position beaucoup moins
souple, il convient d’opposer que le règlement a prévu que le siège statutaire de la
SE puisse être transféré dans un autre État membre sans que celui-ci ne donne lieu
ni à dissolution ni à création d’une personne morale nouvelle47, ce qui constituait en
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2001 une avancée considérable puisque la directive sur les fusions transfrontalières48
n’avait pas encore été adoptée.
L’obligation d’être constituées conformément à la législation d’un État membre
a pour conséquence de rendre les sociétés dépendantes d’un système de rattachement
national pour avoir accès à la liberté d’établissement. En revanche, ce lien s’estompe
lors de l’exercice de la liberté d’établissement.
46. Le considérant 27 du règlement dispose en effet que « compte tenu de la nature spécifique et com-
munautaire de la SE, le régime du siège réel retenu pour la SE par le présent règlement ne porte
pas préjudice aux législations des États membres et ne préjuge pas les choix qui pourront être faits
pour d’autres textes communautaires en matière de droit des sociétés ».
47. Art. 8 du règlement.
48. Directive 2005/56/CE du Parlement européen et du Conseil du 26 octobre 2005 sur les fusions
transfrontalières des sociétés de capitaux, JOUE, L 310, 25 novembre 2005, p. 1.
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concluant « qu’un État membre a la possibilité d’imposer à une société constituée
en vertu de son ordre juridique des restrictions au déplacement du siège effectif de
celle-ci hors de son territoire pour que cette société puisse conserver la personnalité
juridique dont elle bénéficie en vertu du droit de ce même État membre »51.
Bien que la Cour ait repris en grande partie la position adoptée dans les arrêts
Daily Mail et Überseering, elle a sensiblement limité la portée de sa position en
introduisant une distinction dans l’arrêt Cartesio. Ainsi, le « transfert du siège d’une
société constituée selon le droit d’un État membre dans un autre État membre sans
changement du droit dont elle relève doit être distingué de celui relatif au dépla-
cement d’une société relevant d’un État membre vers un autre État membre avec
changement du droit national applicable, la société se transformant en une forme de
société relevant du droit national de l’État membre dans lequel elle se déplace »52.
Le transfert sans changement de loi applicable se matérialise par le déplacement
du seul siège effectif ou de la seule administration centrale. C’était le cas dans les
arrêts Daily Mail, Überseering et Cartesio où une société constituée conformément
à la législation d’un État membre, y possédant à la fois le siège statuaire et le siège
effectif, souhaitait transférer ce dernier dans un autre État membre sans perdre sa
personnalité juridique ou sa qualité de société afin de rester soumise à la loi du
pays d’origine. Dans ce cas, la législation de l’État de constitution a la possibilité
d’interdire, comme dans l’arrêt Cartesio, ou de soumettre à des conditions, comme
dans l’arrêt Daily Mail, le transfert d’une société relevant de son droit national qui
49. CJCE, 27 septembre 1988, Daily Mail, aff. 81/87, point 19 ; CJCE, 5 novembre 2002, Überseering,
aff. C-208/00, point 81 ; CJCE, 16 décembre 2008, Cartesio, aff. C-210/06, point 104.
50. CJCE, 27 septembre 1988, Daily Mail, aff. 81/87, point 24 ; CJCE, 5 novembre 2002, Überseering,
aff. C-208/00, point 70 ; CJCE, 16 décembre 2008, Cartesio, aff. C-210/06, point 107.
51. CJCE, 27 septembre 1988, Daily Mail, aff. 81/87, point 24 ; CJCE, 5 novembre 2002, Überseering,
aff. C-208/00, point 70 ; CJCE, 16 décembre 2008, Cartesio, aff. C-210/06, point 107.
52. CJCE, 16 décembre 2008, Cartesio, aff. C-210/06, point 111.
362 L’évolution du principe de liberté d’établissement en droit communautaire
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tution, en imposant la dissolution et la liquidation de cette société, empêche celle-ci
de se transformer en une société de droit national de l’autre État membre »53. Ainsi,
l’État de constitution ne pourra plus empêcher une société de se transformer en une
société de droit national d’un autre État membre car tout obstacle à la transformation
effective d’une telle société constituerait une restriction à la liberté d’établissement,
à moins qu’elle ne soit justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général54.
Par une telle solution, l’arrêt Cartesio établit un nouvel équilibre entre le respect
du droit international privé des États membres et l’exercice du principe communau-
taire de liberté d’établissement. Mais, comme le souligne un auteur, la Cour aurait pu
affirmer que la modification du lien de rattachement d’une société d’un État membre
relève de la coordination des droits nationaux. L’État d’origine aurait eu l’obligation
d’autoriser le changement et l’État d’accueil l’obligation de l’accepter55. Mais la
Cour n’a pas suivi cette voie et a préféré « communautariser cette opération en la
rapprochant de la transformation des sociétés »56.
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siège statutaire »60. La solution était atténuée par le fait qu’il s’agissait d’une posi-
tion « en l’état actuel du droit communautaire ». Mais celui-ci n’ayant pas évolué,
la formule est toujours d’actualité61. Et, si la Cour est favorable au transfert de siège
avec changement de droit applicable, le régime d’une telle opération reste à définir.
En effet, la solution réside dans l’adoption d’une législation propre au transfert de
siège. Or la proposition de 14e directive sur le transfert de siège social (fondée sur
l’article 50 TFUE (ex-article 44 CE), présentée en 1997) a été abandonnée par la
Commission européenne en 2007. Le dernier espoir résidait dans une résolution du
Parlement européen qui demandait à la Commission européenne de présenter fin
mars 2009 une proposition de directive établissant des mesures de coordination des
législations nationales des États membres pour faciliter le transfert transfrontalier62.
Mais aucune disposition n’a été élaborée à ce jour. À défaut d’un tel texte, la juris-
prudence fait dépendre l’exercice de la liberté d’établissement du règlement des
conflits entre les différents droits nationaux. Cela a pour conséquence de soumettre
les États membres aux décisions que prendront les sociétés dans le cadre de leurs
restructurations transfrontalières.
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Art puis complétée par l’arrêt Cartesio. La Cour de justice a pu énoncer les condi-
tions d’accueil du transfert de siège social (3.1.1) mais également celles relatives à
la création d’établissements secondaires dans un autre État membre (3.1.2).
63. A. Autenne et M. De Wolf, « La mobilité transfrontalière des sociétés en droit européen : le cas par-
ticulier du transfert de siège social », Cah. dr. eur., 2007, n° 5-6, pp. 647-694, spéc. p. 661 et s.
64. CJCE, 16 décembre 2008, Cartesio, aff. C-210/06, point 112.
65. CJCE, 5 novembre 2002, Überseering, aff. C-208/00, point 73.
66. CJCE, 5 novembre 2002, Überseering, aff. C-208/00, point 76.
L’évolution du principe de liberté d’établissement en droit communautaire 365
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membre d’immatriculer la succursale d’une société constituée en conformité avec la
législation d’un autre État membre dans lequel elle a son siège social, constitue une
entrave à la liberté d’établissement70. Une telle affirmation est conforme à l’article
49 TFUE (ex-article 43 CE). Mais la Cour de justice va plus loin puisqu’elle permet
à la société d’exercer l’ensemble de son activité dans l’État où sa succursale vient
d’être constituée. En lui permettant d’agir ainsi, la Cour évite à la société mère de
créer une nouvelle société, ce qui la dispense d’appliquer les règles de constitution
des sociétés plus contraignantes que celles applicables à la création d’une succursale.
Il y a cependant une certaine réserve des juges de Luxembourg à l’égard des
montages purement artificiels dès lors qu’ils n’ont d’autre but que de contourner les
lois nationales et de porter atteinte aux intérêts des tiers. C’est pourquoi les autorités
de l’État membre concerné ont la possibilité de prendre toute mesure de nature à
prévenir ou à sanctionner les fraudes, soit à l’égard de la société elle-même (le cas
échéant en coopération avec l’État membre dans lequel elle est constituée), soit à
l’égard des associés dont il serait établi qu’ils cherchent en réalité, par le biais de
la constitution d’une société, à échapper à leurs obligations vis-à-vis de créanciers
privés ou publics établis sur le territoire de l’État membre concerné71. Mais l’abus
ne peut consister dans le simple fait qu’une société n’exerce aucune activité dans
l’État de constitution72, ce qui confère aux sociétés une grande latitude pour exercer
leurs activités transfrontalières.
Après avoir affirmé le principe du libre établissement secondaire, la Cour de
justice a précisé dans le cadre de l’arrêt Inspire Art les restrictions qui pouvaient lui
être imposées par le droit de l’État d’accueil. Il s’agissait en l’espèce d’une société
constituée sous l’empire du droit britannique et disposant d’une succursale imma-
triculée aux Pays-Bas sous la forme d’une « société étrangère de pure forme » ou
« pseudo-foreign companies » de la loi hollandaise du 17 décembre 1997. Cette loi
prévoit des obligations à l’égard des sociétés immatriculées dans un autre État mais
ayant leur siège effectif et exerçant l’intégralité de leur activité aux Pays-Bas. Le
non-respect de ces règles impératives est sanctionné par la responsabilité solidaire
des dirigeants sociaux avec la société. La Cour de justice a estimé qu’une succursale
créée à cet effet ne pouvait se voir imposer un formalisme plus contraignant qu’une
succursale appartenant à une société de cet État. Il doit donc y avoir une égalité des
conditions de constitution des établissements secondaires créés au sein d’un État,
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quand bien même l’un d’eux appartiendrait à une société dont le siège serait situé
dans un autre État membre.
Tout en confirmant le principe de liberté d’établissement au profit des sociétés, la
Cour de justice a régulièrement affirmé que certaines limites pouvaient être imposées
par les États membres. De telles mesures nationales, qui seraient susceptibles de
gêner ou de rendre moins attrayant l’exercice des libertés fondamentales garanties
par le Traité, doivent, pour être justifiées, remplir quatre conditions : elles doivent
s’appliquer de manière non discriminatoire, se justifier par des raisons impérieuses
d’intérêt général, être propres à garantir la réalisation de l’objectif qu’elles pour-
suivent et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre73. C’est dans
ce cadre que la Cour a souligné que la protection des intérêts des créanciers, des
associés minoritaires et des salariés74, ainsi que la préservation de l’efficacité des
contrôles fiscaux et de la loyauté des transactions commerciales75, pourraient, dans
certaines circonstances et en respectant certaines conditions, justifier une mesure
restreignant la liberté d’établissement. Certaines pratiques fiscales abusives ont
également été admises comme des restrictions justifiées à la liberté d’établissement
à condition que le montage soit considéré comme purement artificiel, dépourvu de
réalité économique, effectué dans le but d’éluder l’impôt normalement dû sur les
sociétés et généré par des activités réalisées sur le territoire national76.
Si certaines restrictions au principe de liberté d’établissement ont été auto-
risées, la Cour a parallèlement affirmé la validité d’un principe de law shopping
72. CJCE, 30 septembre 2003, Inspire Art, aff. C-167/01, point 120.
73. Voir notamment : CJCE, 31 mars 1993, Kraus, aff. C-19/92, Rec., p. 1663, point 32 ; CJCE, Gebhard,
30 novembre 1995, aff. C-55/94, point 37 ; CJCE, 30 septembre 2003, Inspire Art, aff. C-167/01,
point 133 et CJCE, 9 mars 1999, Centros, aff. C-212/97, point 34.
74. CJCE, 5 novembre 2002, Überseering, aff. C-208/00, point 92.
75. CJCE, 30 septembre 2003, Inspire Art, aff. C-167/01, point 132.
76. CJCE, 12 septembre 2006, Cadbury Schweppes, aff. C-196/04, Rec., p. 7995, point 55.
L’évolution du principe de liberté d’établissement en droit communautaire 367
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concurrence le droit des différents États membres, puisqu’il s’inscrit en contradiction
avec la politique d’intégration communautaire dont l’objectif est d’harmoniser les
législations nationales sur les sociétés82, notamment sur le fondement du mécanisme
introduit à l’article 50 TFUE (ex-article 44 CE). Et si la Cour de justice semble
donner une conception de plus en plus extensive à la liberté d’établissement, cela
ne semble pas être le cas de la Commission qui, après avoir lancé une consultation
publique83 sur le projet de proposition de directive sur le transfert transfrontalier
du siège statutaire, a abandonné le projet. Si le contexte communautaire ne semble
pas favorable à une déréglementation de la part des États, la conclusion d’accords
entre les États et les groupes multinationaux permettrait de créer des conditions
d’établissement plus favorables et pallier ainsi le manque d’harmonisation du droit
européen des sociétés en la matière.
77. J.-P. Dom, note sous Centros, Bull. Joly Sociétés, 1999, n° 6, pp. 705-712, § 157, n° 6 et s.
78. K. Rodriguez, « L’attractivité, nouvelle perspective du droit national des sociétés », Bull. Joly
Sociétés, 2004, n° 2, § 63, pp. 330-356.
79. M. Favero, « La standardisation contractuelle, enjeu de pouvoir entre les parties et de compétition
entre les systèmes juridiques », RTD com., 2003, n° 3, pp. 429-448, spéc. p. 439 et s.
80. L’« effet Delaware » fait référence à une législation relative à l’immatriculation des sociétés élaborée
par l’État du Delaware, législation qui se caractérise par un niveau plus faible de protection assurée
aux associés-investisseurs et aux créanciers et dont le but est d’attirer l’incorporation de nombreuses
sociétés. Cela a pour conséquence de créer une concurrence normative entre les lois nationales des
différents États. Voir D. Bureau et H. Muir Watt, Droit international privé, t. 2, Paris, PUF, 2007,
p. 468, n° 1076.
81. C.D. Ehlermann, « Compétition entre systèmes réglementaires », RMCUE, 1995, pp. 220-227 ; T.
Mastrullo, Le droit international des sociétés dans l’espace régional européen, Aix-en-Provence,
PUAM, 2009, p. 457, n° 1039 et s.
82. V. Magnier, Rapprochement des droits de l’Union européenne et viabilité d’un droit commun des
sociétés, Paris, L.G.D.J., 1999.
83. Impact assessment on the Directive on the cross-border transfer of registered office, 12 déc. 2007,
SEC (2007) 1707.
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C’est dans le cadre de l’arrêt Daily Mail en 1988 que la Cour de justice a eu
l’occasion de se prononcer pour la première fois sur ce droit de sortie des sociétés.
Suite au refus de l’administration du Trésor britannique de permettre à la société de
transférer son siège effectif aux Pays-Bas, la Cour de justice a estimé que l’exigence
d’une telle autorisation ne constituait pas une atteinte à la liberté d’établissement.
Elle a ensuite précisé que le Traité ne conférait « aucun droit à une société constituée
en conformité de la législation d’un État membre et y ayant son siège statutaire, de
transférer son siège de direction dans un autre État membre »85. Soulignons que les
faits de l’espèce n’étaient pas favorables à un tel transfert. La société souhaitait en
effet transférer son administration centrale dans le seul but de bénéficier du régime
d’imposition néerlandais plus favorable en ce qui concerne les plus-values sur
cession d’actif. Une telle affirmation de la Cour semblait restreindre la mobilité du
siège effectif d’une société, ou du moins, la laissait sous la dépendance du droit de
l’État de constitution.
La question du droit de sortie des sociétés se posait en ces termes : une société
constituée selon le droit d’un État membre pouvait-elle transférer son siège social
en dehors de l’État de constitution sans pour autant perdre sa qualité de personne
juridique de cet État ?
La Cour a fourni une réponse dans l’arrêt Cartesio. Elle a d’abord rappelé que
la faculté de définir le lien de rattachement englobe également la possibilité pour
cet État de ne pas permettre à une société relevant de son droit national de conser-
ver cette qualité lorsqu’elle entend se réorganiser dans un autre État membre par
le déplacement de son siège sur le territoire de ce dernier86. Puis, elle a apporté un
éclairage en introduisant une distinction87 entre le transfert du siège sans changement
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les conditions de la “vie” et de la “mort” des sociétés constituées selon leur droit
national, sans égard pour les conséquences que cela pourrait avoir pour la liberté
d’établissement »89. Bien que la Cour de justice n’ait pas suivi les conclusions de
l’avocat général, la solution adoptée par les juges de Luxembourg offre aux sociétés
la possibilité de se libérer du lien de rattachement auquel elles sont soumises avec
l’État de constitution. Celui-ci ne pourra plus imposer de dispositions contraignantes
pour les retenir dès lors qu’elles souhaiteront transférer leur siège statutaire.
À défaut de posséder un pouvoir coercitif leur permettant d’éviter une déser-
tion des sociétés établies sur leur territoire, les États vont devoir développer une
législation attirante, notamment en matière fiscale et sociale. Mais il est légitime de
s’interroger sur la marge de manœuvre qu’ils détiennent au regard de la jurispru-
dence communautaire.
Le droit fiscal semble être un domaine où les États ont conservé une certaine
prédominance, en l’absence d’une véritable harmonisation de la fiscalité directe90
qui n’a pas été facilitée par la règle d’unanimité91 exigée pour l’adoption des textes
communautaires. Mais l’échec de cette harmonisation démontre que les États ne
sont pas favorables à une harmonisation des législations, qu’il s’agisse de ceux
bénéficiant de la concurrence fiscale, mais également de ceux qui la subissent92.
À défaut d’harmonisation, la Commission envisage une coordination fiscale93 et,
dans l’attente de celle-ci, les rapports fiscaux interétatiques sont régis par des conven-
tions bilatérales conclues entre les différents États membres94. Malgré l’existence
de cette concurrence fiscale, la Cour de justice exige une répartition équilibrée du
pouvoir d’imposition entre les États membres95 et encourage la mobilité des sociétés
en supprimant les entraves étatiques, qu’elles émanent des pays d’origine96 ou des
pays d’accueil97. La Cour a cependant admis dans l’arrêt Cadbury Schweppes98 que
des « montages purement artificiels » ayant pour objet de contourner la loi fiscale
pourraient justifier une mesure nationale restreignant la liberté d’établissement. Il
existe donc une véritable mobilité fiscale communautaire99 qui ne semble pas être
remise en cause par des contraintes fiscales nationales.
La question du contournement de la loi applicable peut également se poser en
matière sociale. En effet, est-ce que la jurisprudence Cadbury peut s’appliquer à
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la représentation des salariés et permettre que les règles relatives à la participation
des travailleurs et spécialement celles relatives à la cogestion puissent justifier une
restriction au transfert du siège social d’une société quand il est réalisé dans le but
d’éviter cette contrainte législative ? Aucune disposition légale ne semble pouvoir
justifier une telle restriction. En effet, les règles de cogestion s’appliquent aux seules
sociétés constituées selon le droit de l’État qui impose de telles règles. Et, comme
la Cour l’a jugé dans l’arrêt Überseering à propos de la capacité d’ester en justice,
dès lors qu’une société transfère son siège social, ce sont les dispositions du pays
d’accueil qui s’appliquent. Les États ne peuvent donc imposer leurs règles de repré-
sentation lors d’un transfert de siège, ce qui peut avoir des effets sur la capacité des
travailleurs à intervenir sur les décisions de la société ayant un impact en matière
d’emploi et plus généralement sur les politiques sociales de ces sociétés. Est-ce
92. T. Lambert, « Marché intérieur et évasion fiscale », LPA, 2002, n° 97, pp. 34-40, spéc. p. 37 ; M.
Wathelet, « Refus d’harmonisation fiscale et condamnations de la Cour de justice : cohabitation
diabolique ? », RJF, 2005, n° 7, pp. 469-482, spéc. p. 482.
93. M. Aujean, « La Commission européenne adopte une stratégie globale pour promouvoir la coordina-
tion fiscale dans l’UE », Dr. fisc., 2007, n° 4, pp. 7-8 ; P. de Fréminet, « À défaut d’une harmonisation,
une coordination fiscale est-elle possible ? », LPA, 2002, n° 97, pp. 41-44.
94. B. Gibert, « L’avenir du réseau conventionnel dans l’Union européenne », LPA, 2002, n° 97,
pp. 10-16.
95. CJUE, 25 février 2010, X Holding BV, aff. C-337/08 ; Europe, 2010, n° 4, pp. 17-18, note A.-L.
Mosbrucker.
96. CJCE, 16 juillet 1998, Imperial Chemical Industries, aff. C-264/96, Rec., p. 4695 ; CJCE, 13 avril
2000, Baars, aff. C-251/98, Rec., p. 2787 ; CJCE, 11 mars 2004, Lasteyrie du Saillant, aff. C-9/02,
Rec., p. 2409 ; CJCE, 13 décembre 2005, Marks & Spencer, aff. C-446/03, Rec., p. 10837 ; CJCE,
12 septembre 2006, Cadbury Schweppes, aff. C-196/04, Rec., p. 7995.
97. CJCE, 14 décembre 2006, Denkavit, aff. C-170/05, Rec., p. 11949.
98. CJCE, 12 septembre 2006, Cadbury Schweppes, aff. C-196/04, point 51.
99. M. Calisti, « La mobilité internationale des sociétés : le point de vue du fiscaliste », Cah. dr. ent.,
2006, n° 2, pp. 55-59, spéc. p. 55.
L’évolution du principe de liberté d’établissement en droit communautaire 371
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The principle of the freedom of establishment gives companies established in the
various Member states of the European Union the possibility to develop their
cross-border activities. After the principle was enshrined by the Treaty of Rome,
no secondary law on the recognition of companies was enacted to implement this
freedom. Texts were limited to planning references to national laws and established
a principle of neutrality with regard to the connecting systems of Member states.
The latter boils down to two different connecting factors : the « real seat » theory
and the « incorporation » theory, which generate difficulties for the application of
the freedom of establishment. Problems arise not only within the context of transfers
of the company’s seat, but also in the creation ex nihilo of a secondary establish-
ment. Over the last two decades, it has been left to the community judge to specify
the modalities of application of the freedom of establishment. At first, the judges in
Luxembourg gave Member states a certain amount of flexibility. However, the Court
of Justice then committed to greater liberalism by regularly recalling that national
rules should not create an obstacle to the exercise of the freedom of establishment.
In 2008, the Cartesio ruling went further by asserting the right for a company
changing the applicable law to transfer its seat to another State without the need
for dissolution or preliminary liquidation. This has extended the freedom of estab-
lishment for migrant companies. A balance between the private international law
of Member states and exercise of freedom of establishment was thereby created,
but the absence of uniformity in community rules and the coexistence of divergent
national rules have engendered law shopping within the European Union and dis-
putes around the conditions for implementation of this freedom between countries
of origin and host countries.
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