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Droit 043 0061

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La confection de la loi sous la Ve République : pouvoir

législatif ou fonction partagée ?


Guillaume Drago
Dans Droits 2006/1 (n° 43), pages 61 à 72
Éditions Presses Universitaires de France
ISSN 0766-3838
ISBN 9782130560050
DOI 10.3917/droit.043.0061
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GUILLAUME DRAGO
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LA CONFECTION DE LA LOI
e
SOUS LA V RÉPUBLIQUE :
POUVOIR LÉGISLATIF OU FONCTION PARTAGÉE ?

La Constitution de la Ve République crée-t-elle des institutions libé-


rales ? Ou, plus exactement, a-t-elle créé des institutions libérales ? Il y
a derrière cet intitulé beaucoup de non-dit et de critiques, peut-être de
désillusion ou de dépit. Comme si la presque cinquantenaire avait
déçu, comparée aux espérances qu’elle portait en elle.
La Constitution de 1958 porte-t-elle des institutions libérales ? Cet
objet de recherche nécessite évidemment de définir ce qu’on entend
par institutions libérales. Comme beaucoup de définition, celle-ci ne
viendra qu’à la fin et dans l’esprit de ceux qui auront lu ces travaux.
On dira pour l’instant qu’elle a créé des institutions et un fonction-
nement démocratiques, n’en déplaise à l’auteur du Coup d’État perma-
nent qui, une fois dans la place, s’est servi de tous les ressorts du régime
et n’en a pas moins démontré le caractère démocratique puisqu’il a
prouvé que l’alternance politique était non seulement possible, mais
que le régime et les institutions y survivaient.
Mais évidemment, démocratie et libéralisme ne se confondent pas,
même s’ils se recoupent. Pour nous rapprocher de notre sujet qui
concerne la confection de la loi et la fonction législative sous la
Ve République, on veut d’abord rappeler quelques évidences.
Dans des institutions libérales, la démocratie ne se réduit pas au seul
principe majoritaire. Ce principe est équilibré par une organisation des
pouvoirs qui comporte des limitations intrinsèques, selon une règle de
limitation du pouvoir, destinée à protéger autant les droits de la minorité
(je n’ai pas dit des minorités) politique que les droits des individus. La
Constitution doit ainsi contenir la définition et la délimitation des pou-
voirs, particulièrement pour le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif.
La démocratie libérale ne se réduit certes pas au principe de la
majorité, et la loi n’est pas le seul produit d’une majorité agissant à un
moment donné. La loi est le produit d’un principe de majorité tempéré
Droits — 43, 2006
62 Guillaume Drago

par des procédures, des contrôles, des principes qui l’encadrent, la


dépassent, la justifient, lui confèrent autant que le vote des Assemblées,
sa légitimité.
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On voudrait donc essayer de montrer la contradiction entre les
intentions des rédacteurs de la Constitution de 1958 et la pratique
constitutionnelle qui a déformé les institutions de la Ve République en
faisant une analyse du processus de confection de la loi et montrer en
quoi il a affaibli le parlementarisme libéral.
Dans un régime parlementaire, la relation entre le Gouvernement et
le Parlement est la règle majeure qui permet la conduite des affaires du
pays, selon deux principes essentiels : le Gouvernement est responsable
devant le Parlement, le Parlement exerce le pouvoir législatif et la fonc-
tion de contrôle politique.

Il faut d’abord rappeler que la loi du 3 juin 1958 qui fixe les grands
principes que doit respecter la future Constitution comporte trois
points sur cinq touchant au régime parlementaire : « seul le suffrage
universel est la source du pouvoir ; le pouvoir exécutif et le pouvoir
législatif doivent être effectivement séparés ; le Gouvernement doit être
responsable devant le Parlement ».
La volonté des auteurs de la Constitution est, on le sait, clairement
exprimée par Michel Debré dans cette célèbre allocution devant
l’Assemblée générale du Conseil d’État du 27 août 1958 qui est à la
fois le point d’aboutissement des travaux préparatoires du Cabinet et
le point de départ de la conception initiale des institutions de la
Ve République.
On le sait aussi, Michel Debré rejette et le régime d’Assemblée et le
régime présidentiel et il en vient alors à ce qu’il appelle « la voie étroite,
celle du régime parlementaire ».
« À la confusion des pouvoirs dans une seule Assemblée, dit-il, à la
stricte séparation des pouvoirs avec priorité au chef de l’État, il
convient de préférer la collaboration des pouvoirs – un chef de l’État et
un Parlement séparés, encadrant un Gouvernement issu du premier et
responsable devant le second, entre eux un partage des attributions
donnant à chacun une semblable importance dans la marche de l’État
et assurant les moyens de résoudre les conflits qui sont, dans tout le
système démocratique, la rançon de la liberté. »1

1. M. Debré, allocution devant l’Assemblée générale du Conseil d’État le


27 août 1958, Documents pour servir à l’histoire de l’élaboration de la Constitution du
4 octobre 1958, Paris, La Documentation française, vol. III, 1991, p. 256-257 (ci-après
cités ainsi : Documents...).
Confection de la loi 63

Et on connaît les quatre moyens utilisés pour assurer le bon fonc-


tionnement de ce régime parlementaire : « un strict régime des ses-
sions ; un effort pour définir le domaine de la loi ; une réorganisation
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profonde de la procédure législative et budgétaire ; une mise au point
des mécanismes juridiques indispensables à l’équilibre et à la bonne
marche des fonctions politiques »1.
On peut dire aujourd’hui que sur ces quatre points, la conjonction
de l’appareil politique, de l’appareil administratif et les effets pervers du
constitutionnalisme ont presque réussi à contourner les principes posés
en 1958, à défaut de les abattre.

I . CONSTAT

Dans sa version écrite, la Constitution de 1958 ne déroge pas aux


principes classiques du régime parlementaire mais les modèle à sa
main, selon les éléments suivants.
Les mécanismes de responsabilité existent bien mais ne fonction-
nent pas réellement tant que le fait majoritaire lie intrinsèquement
Gouvernement et majorité parlementaire. Cela n’est pas une règle
constitutionnelle mais le fruit des caractéristiques du régime politique
et de bipolarisation de la vie politique française.
Le Gouvernement tient dans sa main une carte majeure : il a la maî-
trise de l’ordre du jour parlementaire2. C’est véritablement lui qui
conduit l’action parlementaire, et l’aménagement de l’ordre du jour par
les « niches parlementaires » est l’exception qui confirme la règle, en
utilisant d’ailleurs une expression malheureuse qui rappelle plus la ser-
vilité que la liberté.
Surtout, l’exercice de la fonction législative est diminué, à raison de
plusieurs facteurs particulièrement décisifs.
Il existe d’abord dans les faits un déséquilibre profond, en volume et
en densité, entre les projets et les propositions de loi, au profit de la
première catégorie3. Le recours même aux propositions de loi masque
souvent bien mal les intentions gouvernementales.
On observe ensuite une mainmise quasi absolue de l’appareil admi-
nistratif et technocratique sur la préparation et la rédaction des projets
de loi. Les méthodes de confection font appel aux seules administra-
1. M. Debré, allocution précitée, Documents..., p. 257.
2. Article 48 de la Constitution.
3. Contra : la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001, dont
l’origine est parlementaire.
64 Guillaume Drago

tions de l’État, les méthodes d’élaboration et les procédés rédactionnels


font des administrateurs les concepteurs et les rédactions des projets de
loi1. Dans le même temps, cet appareil administratif souligne périodi-
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quement (cf. les rapports du Conseil d’État, 1991 en particulier) la
médiocre qualité des textes soumis au Parlement.
L’accélération des alternances politiques produit enfin un effet de
« détricotage » de ce qu’a pu faire la majorité précédente et un effet de
précipitation dans la rédaction de textes dont on sait qu’il faut les adop-
ter rapidement si on veut un tant soit peu en mesurer les effets, textes
dont la durée de vie est brève, au gré des alternances. Le contenu de la
loi s’en ressent nécessairement : loi par « à coup », loi proclamatoire, loi
non normative ou pointilliste.

II . FACTEURS D’AGGRAVATION

Plusieurs facteurs d’aggravation viennent s’ajouter à cet état de cho-


ses. Chacun connaît le mot de Jean Foyer : « Il y a en France deux
assemblées chargés de faire la loi : le Conseil d’État et le Conseil consti-
tutionnel. »2 La conjonction d’acteurs extraparlementaires dans la
confection de la loi doit faire l’objet d’une étude critique, qui n’est pas
nécessairement négative. En effet, l’action préventive du Conseil d’État,
dans la préparation des projets de loi, est salutaire lorsqu’elle permet de
déceler et de corriger les défauts techniques et les inconstitutionnalités
du projet. L’action curative du Conseil constitutionnel intervient en fin
de processus pour vider la querelle constitutionnelle, même si l’autorité
de ses décisions n’est pas parfaite. Mais il ne s’agit pas ici de questions
purement juridiques, mais d’équilibre constitutionnel.
Qui fait la loi, réellement, et qui devrait la faire, légitimement ?
Voici la vraie question. Le fait est que la perte de substance de la loi,
par perte d’influence du Parlement, profite aux autres acteurs de la
confection de la loi, administratifs et juridictionnels, selon une sorte de
logique des vases communicants, mais aussi parce que l’abandon de ses

1. Ce qu’Yves Gaudemet appelle la « loi administrative », RDP, 2006. Sur ce point :


R. Drago (dir.), La confection de la loi, Cahiers des sciences morales et politiques, Paris,
PUF, 2005 ; C. Puigelier (dir.), La loi. Bilan et perspectives, Paris, Economica, coll. « Étu-
des juridiques », 2005.
2. Cité par Y. Gaudemet, Le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État dans le
processus législatif, Conseil constitutionnel et Conseil d’État, colloque des 21 et 22 jan-
vier 1988 organisé par l’Université Paris II, LGDJ et Montchrestien, 1988, p. 87.
Confection de la loi 65

prérogatives par le pouvoir législatif profite aux autres pouvoirs, admi-


nistratifs et juridictionnels toujours. Le pouvoir, comme la nature, a
horreur du vide. On veut en donner quelques illustrations, renvoyant
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d’ailleurs largement à des démonstrations déjà faites.

Le premier facteur d’aggravation est donc la multiplication des


auteurs de la loi. Elle n’est plus l’expression de la volonté générale, la
volonté d’un pouvoir législatif mais d’une fonction normative partagée,
parcellisée, dont le Parlement n’est plus qu’un organe sanctionnateur,
qui lui donne sa valeur juridique dans la hiérarchie des normes, qui
apporte une touche de parlementarisme dans un halo de décideurs,
mais dont il est de moins en moins l’auteur réel. Le législateur est
devenu un scribe et n’est plus un acteur, un auteur, une volonté.
Cela se traduit par la place déterminante des autres auteurs de la loi.
Ainsi, l’interprétation faite par le Conseil constitutionnel de l’obligation
de consultation du Conseil d’État pour les projets de loi1, dans une déci-
sion du 3 avril 20032, renforce le poids du contrôle préalable de la loi,
faisant de celui-ci un point de passage obligé qui réduit la marge de
liberté gouvernementale dans la modification du texte initial de la loi3.
Le Gouvernement n’est pas moins responsable de la dévalorisation
de la loi et du déséquilibre des institutions à son profit, dont l’une des
conséquences est le déséquilibre normatif au détriment de la loi. Le
recours aux ordonnances de l’article 38 de la Constitution pour le pro-
cessus de codification d’abord puis pour toute réforme « urgente »,
l’utilisation de l’article 38 étant devenue une pratique habituelle, avec

1. Article 39 de la Constitution : « L’initiative des lois appartient concurremment au


Premier ministre et aux membres du Parlement ». Article L. 112-1 du Code de justice
administrative : « Le Conseil d’État participe à la confection des lois et ordonnances. Il
est saisi par le Premier ministre des projets établis par le Gouvernement. »
2. C. const., no 2003-468 DC, 3 avril 2003, Loi relative à l’élection des conseillers régio-
naux et des représentants au Parlement européen ainsi qu’à l’aide publique aux partis politiques,
Rec., 325 et notre commentaire : AJDA, 2003, p. 948. Le Conseil constitutionnel énonce
ainsi, dans la décision du 3 avril 2003, que « si le Conseil des ministres délibère sur les
projets de loi et s’il lui est possible d’en modifier le contenu, c’est, comme l’a voulu le
constituant, à la condition d’être éclairé par l’avis du Conseil d’État ; que, par suite,
l’ensemble des questions posées par le texte adopté par le Conseil des ministres doivent
(sic) avoir été soumises au Conseil d’État lors de sa consultation », § 7, Rec., 328.
3. V. sur ce point : G. Drago, Fonctions du Conseil constitutionnel et du Conseil
d’État dans la confection de la loi, in R. Drago (dir.), La confection de la loi, précité, p. 63.
V. aussi Y. Gaudemet, « La Constitution et la fonction législative du Conseil d’État »,
Mélanges Jean Foyer, Paris, PUF, 1997, p. 61, ainsi que les réflexions prospectives du
même auteur sur ce que pourrait être l’exercice de la fonction consultative par le Conseil
d’État dans une hypothétique « VIe République », « La VIe République ? Quel Conseil
d’État ? », in La VIe République, Revue du droit public, numéro spécial 1-2, 2002, p. 376.
66 Guillaume Drago

l’accord du Conseil constitutionnel et la démission des parlementaires.


Ainsi, depuis 19991, le Conseil consacre le recours au procédé des
ordonnances de l’article 38 en matière de codification, en fixant un
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cadre constitutionnel à celle-ci : une finalité d’intérêt général qui
répond à « l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et
d’intelligibilité de la loi », l’interdiction pour le Gouvernement d’ap-
porter des modifications de fond aux dispositions codifiées, ce qui
revient à consacrer le principe de la codification « à droit constant »,
l’interdiction de codifier par ordonnance ce qui relève de la loi orga-
nique selon la Constitution, le respect des principes constitutionnels
sous le contrôle du Conseil d’État. Le recours à la codification législa-
tive à droit constant a été d’ailleurs officiellement inscrit dans la loi du
12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec
les administrations2.
Le Conseil constitutionnel a confirmé sa jurisprudence à plusieurs
reprises3. Cette jurisprudence, relative à la codification et au recours
légitimé aux ordonnances de l’article 38 de la Constitution, consacre le
dessaisissement et du Parlement et du Conseil constitutionnel dans des
prérogatives essentielles. Autant on peut comprendre que le Parlement
abroge de lui-même des dispositions de nature réglementaire contenues
dans une loi à l’occasion d’une codification, exerçant là un pouvoir
d’appréciation souverain ne cherchant qu’à maintenir une distinction
matérielle des domaines de la loi et du règlement, autant on doit
s’interroger sur le recours au procédé des ordonnances, devenu presque
habituel en matière de codification ou de recomposition de textes, avec
l’accord du Conseil constitutionnel. On est en présence d’un réel aban-
don de la compétence du Parlement, dont l’accord est obtenu pour de
bonnes raisons techniques (urgence, calendrier parlementaire chargé,
technicité des mesures à codifier), mais qui détourne de la légitimité
démocratique des pans entiers de législation, pour des raisons autant
technocratiques que politiques. Ces procédés ne relèvent pas d’une
idéologie libérale mais d’une utilisation de techniques constitutionnel-
les au profit d’une efficacité administrative.

1. C. const., no 99-421 DC, 16 décembre 1999 Codification par ordonnances,


Rec., 136.
2. Loi no 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs rela-
tions avec les administrations, art. 3, JO, 13 avril.
3. C. const., no 2001-454 DC, 17 janvier 2002, Rec., 70, § 27 ; no 2003-473 DC,
26 juin 2003, Loi de simplification du droit, Rec., 382 ; no 2004-500 DC, 29 juillet 2004,
Rec., 116, § 11 à 18. La synthèse de cette jurisprudence se retrouve dans la décision
no 2004-506 DC du 2 décembre 2004, Loi de simplification du droit, Rec., 211 ; no 2005-
521 DC, 22 juillet 2005, Rec., 121.
Confection de la loi 67

Le processus de codification lui-même n’est pas sans soulever de


nombreuses critiques, opposant frontalement la doctrine et le Conseil
d’État, l’une fortement réservée à l’égard de ce processus de recompo-
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sition du droit par la codification, l’autre largement favorable parce
qu’il y tient un rôle majeur. Plus largement, les codifications subissent
la pression due à l’accélération des modifications normatives de cer-
tains secteurs d’activités publiques, sous l’influence du droit commu-
nautaire, ce dont témoignent les successions aussi chaotiques que
rapides de plusieurs Codes des marchés publics.
Le Conseil constitutionnel lui-même contribue pour une part à
cette dévalorisation selon une jurisprudence bien connue qui conduit à
une grande incertitude sur le périmètre de la loi. La jurisprudence Blo-
cage des prix et des revenus de 19821, dans le sens de l’élargissement ; la
jurisprudence de 2002, Loi d’orientation et de programmation pour la jus-
tice ; loi d’orientation et de programmation sur la sécurité intérieure2, et
de 2005, Loi d’orientation et de programmation sur l’avenir de l’école3, à
propos des rapports annexés à la loi dont on apprend qu’ils n’en font
plus partie et qu’ils n’ont pas de valeur normative, alors qu’ils font
l’objet d’une véritable discussion parlementaire, d’amendements et de
vote. À ces jurisprudences, il faut ajouter le détournement de procé-
dure fait par le Conseil constitutionnel lui-même qui opère le déclasse-
ment direct de dispositions législatives sans utiliser la procédure
prévue, à savoir l’article 37, alinéa 2 de la Constitution4. Enfin, la
déclaration par le Conseil constitutionnel du normatif et du non nor-
matif dans la loi, dans la même décision Avenir de l’école de 2005, à tel
point qu’on ne sait plus vraiment s’il faut utiliser une définition for-
melle ou matérielle de la loi. Pourtant, les efforts du Conseil constitu-
tionnel doivent aussi être soulignés lorsqu’il lutte contre l’absence de
contenu, c’est-à-dire de normativité, de la loi et en vient à déclarer
inconstitutionnelles les dispositions non normatives5.

1. C. const., no 82-143 DC, 30 juillet 1982, Rec., 57 ; Grandes décisions du Conseil


constitutionnel, Dalloz, 13e éd., 2005, no 33.
2. C. const., no 2002-460 DC du 22 août 2002, Loi d’orientation et de programmation
sur la sécurité intérieure, Rec., 198, § 20 et 21 ; no 2002-461 DC du 29 août 2002, Loi
d’orientation et de programmation pour la justice, Rec., 204, § 89 et 90.
3. C. const., no 2005-512 DC, 21 avril 2005, Rec., 72.
4. C. const., no 2005-512 DC, 21 avril 2005, précitée, § 22 à 24, à propos de disposi-
tions de la loi créant une commission sur l’enseignement des langues vivantes étrangères
dans chaque académie, créant des « labels » pour des établissements d’enseignement,
énonce que « ces dispositions ont, à l’évidence, le caractère réglementaire ».
5. C. const., no 2004-500 DC, 29 juillet 2004, Loi organique relative à l’autonomie
financière des collectivités territoriales, Rec., 116, § 12 ; no 2005-512 DC, 21 avril 2005, Ave-
nir de l’école, préc., § 8, 12, 16 et 17.
68 Guillaume Drago

Le Conseil rappelle enfin que « le législateur ne saurait déléguer sa


compétence dans un cas non prévu par la Constitution » et que « en
dehors des cas prévus par la Constitution, il n’appartient qu’au Parle-
ment de prendre des mesures relevant du domaine de la loi »1. En der-
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nier lieu, la jurisprudence de l’incompétence négative protège le législa-
teur contre lui-même, lorsqu’il délègue abusivement sa compétence
aux autorités réglementaires, soit nationales, soit spécialisées telles les
autorités de régulation2.
Ces jurisprudences « balancées », sinon contradictoires, révèlent le
même abaissement du Parlement et de l’outil législatif. Tantôt pour
consacrer le dessaisissement parlementaire, tantôt pour protéger un
Parlement affaibli par la pratique constitutionnelle. Mais le constat est
bien le même finalement : le régime parlementaire est en voie de réduc-
tion à sa plus simple expression, celle d’un Parlement devant lequel le
Gouvernement se présente toujours, mais sans courir aucun risque de
désaveu.
Un dernier phénomène de contournement du pouvoir normatif se
manifeste par le développement et la puissance des autorités de régula-
tion. Elles exercent un pouvoir normatif sans contrôle démocratique, en
particulier parlementaire, alors que dans d’autres États qui connaissent
ce type d’autorité, les contrôles existent depuis longtemps, même s’ils ne
sont pas sans défauts. De ce point de vue, il est indispensable que le Par-
lement exerce un contrôle d’une autorité démocratique sur des instan-
ces dont les pouvoirs s’exercent sans véritable contrôle démocratique.

III . EN QUOI CES DÉRIVES PORTENT ATTEINTE


III . À LA CONCEPTION LIBÉRALE INITIALE DES INSTITUTIONS
III . DE LA V e RÉPUBLIQUE

Avec Benjamin Constant, se développe une critique de la démo-


cratie majoritaire ou plutôt des dérives de la pratique démocratique. Le
principe de majorité peut conduire à la mise en avant de choix publics
décidés par une majorité parlementaire liée à un appareil d’État. C’est

1. C. const., no 2001-454 DC, 17 janvier 2002, Loi relative à la Corse, Rec., 70, § 20.
2. Depuis la première décision du 26 janvier 1967 (no 67-31 DC, Rec., 19), la juris-
prudence de l’incompétence négative s’est développée dans tous les domaines, jusqu’à
fonder sur ce motif une déclaration d’inconstitutionnalité d’une loi : no 93-322 DC,
28 juillet 1993, Universités expérimentales, Rec., 204.
Confection de la loi 69

ce que souligne par exemple Alain Laurent qui se demande « si la délé-


gation de pouvoir consentie par les individus-citoyens dans une logique
de démocratie représentative n’a pas toute (mal)chance de faire appa-
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raître une nouvelle caste oligarchique surtout soucieuse d’interpréter
l’ “intérêt général” à sa manière et à son propre avantage. Tentée de
subrepticement confisquer le pouvoir, ne risque-t-elle pas d’inventer
une “volonté générale” dont elle serait la dépositaire exclusive, en pré-
tendant mieux savoir que les électeurs ce qui est bon pour eux (car bon
pour elle) et en allant même contre leurs vœux explicites ? »1.
N’est-ce pas la description exacte de ce à quoi nous assistons depuis
tant d’années dans le système de gouvernement français ? L’expression
de la volonté générale est devenue le masque des volontés de la mino-
rité dirigeante, s’appuyant sur les ordres (j’allais dire les hordes) de
hauts fonctionnaires, les Grands Corps sans âmes et le système admi-
nistratif, relayés par le système des partis. Dans ces déviations du
régime constitutionnel de la Ve République, on s’éloigne des règles libé-
rales du consentement des citoyens aux règles communes d’exercice du
pouvoir, de cette participation délibérative de tous à la désignation des
dirigeants et à leurs décisions.
Ce que voulaient justement éviter les initiateurs de la Ve République
était cette collusion d’intérêts et de corps destinés à la continuation
d’un système. Par exemple, l’interdiction du cumul de fonctions minis-
térielles et parlementaires instituée en 1958 était une règle saine com-
parée aux excès immédiatement antérieurs de la IVe République2. Elle
est bien maintenue encore aujourd’hui dans son principe mais telle-
ment diluée dans l’appareil politico-administratif que l’on ne sait plus
toujours comment sont composés les Gouvernements et si untel est
encore ministre ou déjà redevenu parlementaire.
Une autre illustration concerne la conception de la souveraineté
dans la Constitution de 1958. « La souveraineté nationale appartient au

1. A. Laurent, La philosophie libérale. Histoire et actualité d’une tradition intellectuelle,


Paris, Les Belles Lettres, 2002, p. 119.
2. Article 23 de la Constitution de 1958, al. 1er : « Les fonctions de membre du gou-
vernement sont incompatibles avec l’exercice de tout mandat parlementaire, de toute
fonction de représentation professionnelle à caractère national et de tout emploi public
ou de toute activité professionnelle. » Michel Debré en rappelle la raison, dans son allo-
cution devant le Conseil d’État le 27 août 1958 : « La pratique française qui ne connaît
quasiment aucune incompatibilité a favorisé l’instabilité d’une manière telle qu’il serait
coupable de ne pas réagir ! La fonction ministérielle est devenue un galon, une étoile, ou
plutôt une brisque comme les militaires en connaissent, et qui rappelle une cam-
pagne. [...] La règle de l’incompatibilité est devenue une sorte de nécessité pour briser ce
qu’il était convenu d’appeler la “course aux portefeuilles”, jeu mortel pour l’État » (Docu-
ments..., vol. III, 1991, p. 260).
70 Guillaume Drago

peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum »,


dit l’article 3 de la Constitution. Il faut y ajouter les dispositions de
l’article 11 sur la possibilité de recourir au référendum et de l’article 89
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concernant le recours normal au référendum en matière de révision de
la Constitution. Ce n’est pas seulement pour des raisons plébiscitaires
que ces dispositions sont inscrites dans la Constitution, la pratique
contemporaine le souligne suffisamment concernant les dernières
consultations organisées. Mais c’est le moyen de recréer, périodique-
ment, le lien entre le citoyen et les gouvernants, de retisser ce lien con-
tractuel que défend la conception libérale des institutions. Et la désaf-
fection des électeurs pour ce mode de consultation souligne justement
la distance créée par la pratique, et non par les institutions elles-
mêmes, entre les gouvernants et le citoyens.
Enfin, la conception même du chef de l’État, au moins dans la
conception initiale de la Ve République, relève de ce « pouvoir neutre »
cher à Benjamin Constant, qui doit exister à côté des pouvoirs classi-
ques, exécutif, législatif, judiciaire1. L’idée générale étant celle d’un pou-
voir qui a intérêt à ce que les autres pouvoirs agissent de concert et ne se
détruisent pas les uns les autres2. C’est bien la conception initiale de la
fonction du président de la République. Le déséquilibre à son profit pro-
vient essentiellement de deux causes. La réforme de 1962 introduisant
l’élection du chef de l’État au suffrage universel a déstabilisé l’équilibre
libéral des institutions au profit du président de la République. Cette
modification des équilibres et des forces est peut-être l’erreur majeure de
l’évolution du régime, contre laquelle il sera bien difficile de revenir. La
pratique successive des différents présidents, seconde cause, n’a fait
qu’augmenter la dérive commencée à partir de 1962.

1. Encore que justement, et sagement, sous la Ve République, la Justice ne soit pas


un « pouvoir » au sens où l’entend aujourd’hui le droit constitutionnel commun.
2. Ce que B. Constant explique dans ses Principes de politique, chap. II, De la nature
du pouvoir royal dans une monarchie constitutionnelle : « Le pouvoir royal (j’entends
celui du chef de l’État, quelque titre qu’il porte), est un pouvoir neutre. Celui des minis-
tres est un pouvoir actif. Pour expliquer cette différence, définissons les pouvoirs poli-
tiques tels qu’on les a connus jusqu’ici. Le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif, et le
pouvoir judiciaire sont trois ressorts qui doivent coopérer, chacun dans sa partie, au mou-
vement général : mais quand ces ressorts dérangés se croisent, s’entrechoquent et
s’entravent, il faut une force qui les remette à leur place. Cette force ne peut pas être dans
l’un des ressorts, car elle lui servirait à détruire les autres. Il faut qu’elle soit en dehors,
qu’elle soit neutre, en quelque sorte, pour que son action s’applique nécessairement par-
tout où il est nécessaire qu’elle soit appliquée, et pour qu’elle soit préservatrice, répara-
trice, sans être hostile. La monarchie constitutionnelle crée ce pouvoir neutre, dans la
personne du chef de l’État. L’intérêt véritable de ce chef n’est aucunement que l’un des
pouvoirs renverse l’autre, mais que tous s’appuient, s’entendent et agissent de concert »
(Écrits politiques, Paris, Gallimard, « Folio Essais », 1997, p. 324).
Confection de la loi 71

À ces phénomènes politico-administratifs s’ajoute celui de la véri-


table déviation normative que forme une véritable législation jurispru-
dentielle, jurisprudence législative, appelée encore « légisprudence »1.
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La question qui demeure est celle de l’attitude à adopter face aux
dérives de la Ve République, beaucoup plus que celle d’une critique
frontale. Doit-on adopter l’attitude du « libéralisme d’opposition »,
celle d’un Benjamin Constant décrit par Pierre Manent qui pose une
« troublante question : le libéralisme, pour rester fidèle à son inspiration
originelle, est-il condamné à adopter toujours à nouveau sa première
attitude, celle de l’opposition, à invoquer l’individu, naturel ou histo-
rique, contre tous les pouvoirs, même contre les institutions ou concep-
tions politiques originellement fondées sur cet individu, c’est-à-dire sur
le libéralisme ? »2.

1. Selon le terme employé par Luc J. Wintgens, La justification de la législation. Les


principes de la légisprudence, Archives de philosophie du droit, 2006 ; Id., « Legisprudence
as a new theory of legislation », China Legislation Review, 2005, p. 319. V. aussi
Th. Revet, La légisprudence, Mélanges en l’honneur de Philippe Malaurie. Liber amicorum,
Paris, Defrénois, 2005, p. 377.
2. Pierre Manent, Histoire intellectuelle du libéralisme. Dix leçons, Paris, Calmann-
Lévy, coll. « Pluriel », 1987, p. 199.
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page 72 bl
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