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Article 3 - CADHD-DD - N°79 Vol 3 - Robin BEYA KESHI

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CAHIERS AFRICAINS DES DROITS DE L’HOMME ET DE LA DEMOCRATIE ISSN : 2791-1063 (Imprimé)

AINSI QUE DU DEVELOPPEMENT DURABLE ISSN : 2791-1071 (En ligne)


REVUE AFRICAINE INTERDISCIPLINAIRE

27ème année - Numéro 79 – Volume 3 - Avril-Juin 2023

REGARD PROSPECTIF SUR L’AVENIR DE LA COMMISSION ET


COUR AFRICAINES DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES
APRES L’ENTREE EN VIGUEUR DU PROTOCOLE DE SHARM
EL-CHEIKH

Par

Robin BEYA KESHI


Assistant à la Faculté de Droit et Apprenant au Diplôme d’Etudes Supérieures à l’Université
de Kinshasa

RESUME
Par son Protocole portant statut de la Cour Africaine de Justice et des droits de
l’homme adopté à Charm el-Cheikh en Égypte en date du 1er juillet 2008, l’Union
Africaine a levé l’option d’unifier sa Cour de justice et la Cour africaine des droits de
l’homme et des peuples en unique juridiction dénommée « la Cour africaine de
justice et des droits de l’homme ». Cette juridiction sera, dès son entrée en vigueur,
compétente de connaitre des différends relatifs au droit international général et aux
violations des droits de l’homme. Ce papier questionne l’avenir de la Commission et
Cour africaines des droits de l’homme et des peuples dans le système africain de
protection des droits de l’homme. Autrement, l’entrée en vigueur du Protocole Charm
el-Cheikh va-t-il conduire à la suppression de ces deux mécanismes ? Dans
l’affirmative, quel sera le sort du statut juridique des commissaires et juges en
fonction ? Dans la négative, quel est sera le rôle de ces deux mécanismes ?
Mots-clés : Commissaire, différends, système africain, mécanisme, statut juridique

ABSTRACT
In its Protocol on the Statute of the African Court of Justice and Human Rights,
adopted in Sharm el-Sheikh, Egypt, on July 1, 2008, the African Union decided to unify
its Court of Justice and the African Court on Human and Peoples' Rights into a single
jurisdiction known as the "African Court of Justice and Human Rights". When it
comes into force, this court will be competent to hear disputes relating to general
international law and human rights violations. This paper questions the future of the
African Commission and Court on Human and Peoples' Rights within the African
human rights protection system. Otherwise, will the entry into force of the Sharm el-
Sheikh Protocol lead to the abolition of these two mechanisms? If so, what will happen
to the legal status of the commissioners and judges in office? If not, what will be the
role of these two mechanisms?
Keywords: Commissioner, disputes, African system, mechanism, legal status

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72 Regard prospectif sur l’avenir de la Commission et Cour africaines des droits de l’homme et des
peuples après l’entrée en vigueur du Protocole de Sharm el-Cheikh

INTRODUCTION

L’idée de la mise en place d’un organe de gestion du contentieux des droits


de l’homme sur le continent africain a froidement intéressé les pairs de
l’Organisation de l’Union Africaine. Dans son discours introductif du 22 mai
1963 lors de la conférence d’Addis-Abeba, l’empereur HAILLE SELASSIE fixait
ce qui allait être les véritables préoccupations africaines : « unité, non-ingérence,
libération »1.
C’est ce qu’exprime avec netteté Biram Ndiaye qui écrit : « Pour l’OUA et mis
à part le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ou la non-discrimination raciale, il
n’y a pas lieu de manifester une surveillance singulière à l’endroit des droits de
l’homme2». En effet, c’est l’indépendance politique et économique, la non-
discrimination et la libération de l’Afrique qui ont constitué pour l’organisation
les buts immédiats à atteindre.
Après plusieurs tentatives testées d’échec, la Commission et la Cour
africaines des droits de l’homme et des peuples ont fini par neutre. D’abord, la
Commission par l’adoption de la Charte africaine des droits de l’homme et des
peuples du 27 Juin 1981 et entrée en vigueur le 21 octobre 1986, et plus tard,
soit 17 ans après, la Cour par l’adoption de son Protocole du 10 juin 1998, et
entré en vigueur le 25 janvier 2004.
Le bilan jurisprudentiel de ces deux mécanismes démontre leur rôle
salutaire sur un continent fortement contesté et critiqué en matière de
promotion et protection des droits de l’homme. Cependant, leur avenir semble
être hypothéqué par l’adoption, en date du 1er juillet 2008, du Protocole Sharm
el-Cheikh.
Ce papier interroge l’avenir de ces deux mécanismes et soulèvent les
questions suivantes : l’entrée en vigueur du Protocole Sharm El-Cheikh va-t-il
conduire à la suppression de ces deux mécanismes ? Dans l’affirmative, quel
sera le sort du statut juridique des commissaires et juges en fonction ? Dans la
négative, quel est sera le rôle de ces deux mécanismes ?

1 Kéba Mbaye, « Les droits de l’homme en Afrique », dans Les dimensions internationales des droits
de l’homme, Paris, Ed. A. Pedone, 1992, p.655.
2 Voir Biram Ndiaye, « La place des droits de l’homme dans la charte de l’OUA », in Karel Vasak,

1992, p.14.

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CAHIERS AFRICAINS DES DROITS DE L’HOMME ET DE LA DEMOCRATIE 73
AINSI QUE DU DEVELOPPEMENT DURABLE

I. L’ARRIVEE DE LA COUR AFRICAINE DE JUSTICE ET DES DROITS


DE L’HOMME DANS LE SYSTEME AFRICAIN EQUIPE PAR LA
COMMISSION ET COUR AFRICAINES : UN EMBOUTEILLAGE
INSTITUTIONNEL SUPPLEMENTAIRE ?
Le présent point dénonce l’embouteillage institutionnel occasionné par les
Etats africains de suite de l’adoption du Protocole de Sharm El-Cheik portant
création de la Cour africaine de justice et des droits de l’homme dans le sillage
du système africain de protection des droits de l’homme. Cette dénonciation
trouve son intérêt sur double ligne : D’abord, l’Afrique s’en presse toujours à
créer des institutions dont la mise en vigueur est incertaine. Pour preuve, le
Protocole créant la nouvelle Cour exige seulement 15 ratifications pour son
entrée en vigueur. Mais depuis 2008, la Commission de l’Union Africaine,
organe dépositaire n’a enregistré que 8 ratifications.
Ensuite, la Commission et la Cour africaines ont suffisamment construit une
jurisprudence exemplaire en matière de protection des droits des citoyens.
Ajouter un autre organe avec effet abrogatoire ou non de ces deux mécanismes
serait un élément de trop dans le système. Pour s’en convaincre de notre
affirmation, un examen approfondi, minutieux et sérieux des compétences
traditionnelles en matière des droits de l’homme assignées à ces trois organes
est projeté dans le présent point.
I.1 Compétences de la Commission africaine des droits de l’homme et des
peuples
La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples « CADHP »,
fondement légal de la Commission, attribue à celle-ci les compétences
contentieuse et consultative. Du point de vue contentieux, la Commission
africaine est « chargée de promouvoir les droits de l’homme et des peuples et d’assurer
leur protection en Afrique »3. C’est le mécanisme initial de sauvegarde de la
Charte africaine des droits de l’homme et des peuples qui a trois fonctions
principales à savoir la promotion, la protection et l’interprétation des
dispositions de la Charte africaine4.
En application de cette compétence5, la Commission peut : rassembler de la
documentation, faire des études et des recherches sur les problèmes africains
dans le domaine des droits de l’homme et des peuples, organiser des
séminaires, des colloques et des conférences, diffuser des informations,
encourager les organismes nationaux et locaux s’occupant des droits de
l’homme et des peuples et, le cas échéant, donner des avis ou faire des

3 Telle est la teneur de l’article 30 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples du
27 juin 1981, entrée en vigueur le 21 octobre 1986.
4 Lire utilement l’article 45 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, op.cit.
5 Art. 45 §1 de la Charte Africaine des droits de l’homme et des peuples, op.cit.

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74 Regard prospectif sur l’avenir de la Commission et Cour africaines des droits de l’homme et des
peuples après l’entrée en vigueur du Protocole de Sharm el-Cheikh

recommandations aux gouvernements, formuler et élaborer, en vue de servir


de base à l’adoption de textes législatifs par les gouvernements africains, des
principes et règles qui permettent de résoudre les problèmes juridiques relatifs
à la jouissance des droits de l’homme, des libertés publiques et des libertés
fondamentales et coopérer avec les autres institutions africaines ou
internationales qui s’intéressent à la promotion et à la protection des droits de
l’homme et des peuples.
Du point de vue consultatif, la Commission est habilitée à émettre des avis
et des recommandations afin d’aider les Etats dans l’harmonisation de leurs
législations nationales avec la Charte africaine. Ce rôle est fondamental.
L’effectivité de la Charte africaine nécessite que les législations nationales lui
soient conformes.
Pour sa saisine, la Commission peut être saisie par les Etats6 ou les
individus7. Pour le cas des Etats, cette saisine peut se faire soit en «
communications négociations » ou « communications plaintes »8. A en croire l’article
47 de la Charte africaine, « si un Etat partie à la présente Charte a de bonnes raisons
de croire qu’un autre Etat également partie à cette Charte a violé les dispositions de
celle-ci, il peut appeler, par communication écrite, l’attention de cet Etat sur la
question ».
Par ailleurs, la saisine de la Commission par les individus et organisations
non gouvernementales des droits de l’homme est organisée, d’une part, par
l’article 55 qui évoque expressément l’hypothèse des communications autres
que celles des Etats parties, et d’autre part, par le Règlement intérieur de la
Commission qui aménage les modalités de traitement de ces communications9.
I.2. Compétences de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples
Aux termes de l’article 3 du Protocole de Ouagadougou, « La Cour a
compétence pour connaître de toutes les affaires et de tous les différends dont
elle est saisie concernant l’interprétation et l’application de la Charte, du présent
Protocole et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l’homme et
ratifié par les Etats concernés ».
En ajout, l’article 4 du même Protocole ajoute que « la Cour peut donner
un avis sur toute question juridique concernant la Charte ou tout autre

6 Art. 45, idem.


7 Art. 55, ibidem.
8 La communication-négociation, un préalable à la communication-plainte, consiste, pour la

Commission, d’engager des négociations entre l’Etat accusateur et accusé au sujet des
prétendues violations des droits de l’homme. En cas d’échec, la procédure de communication-
plainte peut être entamée. Signalons que la Commission n’a pas vraiment connu les cas de ces
deux procédures, hormis l’affaire Lybie-Etats-Unis d’Amérique et l’affaire RDC-Rwanda,
Burundi et Ouganda.
9 Voir les articles 93 à 113 du Règlement intérieur de la Commission du 18 Août 2010.

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CAHIERS AFRICAINS DES DROITS DE L’HOMME ET DE LA DEMOCRATIE 75
AINSI QUE DU DEVELOPPEMENT DURABLE

instrument pertinent relatif aux droits de l’homme, à condition que l’objet de


l’avis consultatif ne se rapporte pas à une requête pendante devant la Cour ».
Selon les vœux des rédacteurs de la Charte africaine, cette compétence est
partagée avec la Commission. En effet, d’après l’article 45. 3 et 1 a) in fine de
la Charte de 1981, la Commission africaine a également pour mission d’ «
interpréter toute disposition de la …Charte à la demande d’un Etat partie, d’une
Institution de l’OUA ou d’une Organisation africaine reconnue par l’OUA »10.
Cette compétence de la Cour la rend une juridiction consultative sur la
Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et tout instrument
juridique pertinent des droits de l’homme. Bien que la Charte ne détermine pas
les textes juridiques des droits de l’homme sur lesquels la Cour peut se
prononcer d’un avis consultatif sollicité, il reste à retenir que l’expression « tout
instrument juridique » employée par cette Charte renvoi à tout traité
garantissant et protégeant les droits de l’homme ratifié par un Etat africain11.
La question de la saisine de la Cour est totalement réglée par l’article 5 du
Protocole de 1998. Cette disposition dispose : « Ont qualité pour saisir la Cour :
a) la Commission ; b) l’Etat partie qui a saisi la Commission ; c) l’Etat partie
contre lequel une plainte a été introduite ; d) l’Etat partie dont le ressortissant
est victime d’une violation des droits de l’homme ; e) les Organisations inter-
gouvernementales africaines (…) »12.
Qu’elle soit étatique ou individuelle, la requête introductive d’instance doit
respecter la première phase de recevabilité des requêtes et ce, conformément à
l’article 56 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples13. La

10 Lire aussi l’article 117 du Règlement intérieur de la Commission africaine des droits de
l’homme et des peuples, op.cit.
11 Nous soulignons.
12 Arts 5.1 du Protocole créant la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples du 10 juin

1998 et 33 du Règlement intérieur de la même Cour du 02 juin 2010.


13 Aux termes des articles 40 du Règlement intérieur de la Cour et 56 du Protocole sur la Cour,

ces conditions cumulatives sont :


- Indiquer l’identité de leur auteur même si celui-ci demande à la Cour de garder l’anonymat ;
- Etre compatible avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la Charte ;
- Ne pas contenir des termes outrageants ou insultants ;
- Ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles diffusées par les moyens de
communication de masse ;
- Etre postérieures à l’épuisement des recours internes s’ils existent, à moins qu’il ne soit
manifeste à la Cour que la procédure de ces recours se prolonge de façon anormale ;
- Etre introduites dans un délai raisonnable courant depuis l’épuisement des recours internes
ou depuis la date retenue par la Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa propre
saisine ;
- Ne pas concerner des cas qui ont été réglés conformément soit aux principes de la Charte des
Nations unies, soit de l’Acte constitutif de l’Union africaine et soit des dispositions de la
Charte ou de tout autre instrument juridique de l’Union africaine.

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76 Regard prospectif sur l’avenir de la Commission et Cour africaines des droits de l’homme et des
peuples après l’entrée en vigueur du Protocole de Sharm el-Cheikh

Cour, avant de statuer sur cette recevabilité, « peut solliciter l’avis de la


Commission qui doit le donner dans les meilleurs délais au sujet de la recevabilité
des requêtes introduites en application de l’article 5 (3) »14.
Concrètement, les requêtes visées au point 3 de l’article 5 du Protocole sur
la Cour sont de nature individuelle, y compris celles des Organisations Non
Gouvernementales des droits de l’homme ayant statut d’observateur auprès de
la Commission africaine.
I.2. Compétences de la Cour africaine de justice et des droits de l’homme
La Cour africaine de justice et des droits de l’homme semble présenter une
originalité sur la question de compétences. Les rédacteurs de son texte
fondateur lui attribuent non seulement la compétence pour connaître des
affaires ou différends en rapport avec le droit international général15 mais aussi
celle de statuer sur les différends touchant « spécifiquement le droit
international des droits de l’homme »16.
Sur la saisine de la Cour, relevons encore une spécificité. Le Statut portant
sa création reconnait la qualité de sa saisine aux entités selon la nature du
différend. Pour le différend impliquant l’application l’article 28 du Protocole,
c’est-à-dire le droit international général, les entités ci-après ont qualité : a) les
Etats parties au Statut, b) la Conférence, le Parlement et les autres organes de
l’Union autorisés par la Conférence; c) un membre du personnel de l’Union,
sur recours, dans un litige et dans les limites et conditions définies dans les
Statuts et Règlement du Personnel de l’Union.
Par ailleurs, s’agissant du différend intéressant les violations des droits de
l’homme, les entités autorisées à saisir la Cour sont : a) les Etats parties au
présent Protocole ; b) la Commission africaine des droits de l'homme et des

14 Art. 6.1 du Protocole créant la Cour africaine, op.cit.


15 Lire tranquillement l’article 28 du statut de la Cour africaine de justice et des droits de
l’homme. Cet article dispose : « La compétence de la Cour s'étend à toutes les affaires et à tous
les différends d'ordre juridique qui lui seront soumis conformément à son Statut et ayant pour
objet: a) l’interprétation et l’application de l’Acte Constitutif ; b) l’interprétation, l’application
ou la validité des autres traités de l’Union et de tous les instruments juridiques dérivés adoptés
dans le cadre de l’Union ou de l'Organisation de l'unité africaine; c) l'interprétation et
l'application de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, de la Charte africaine
des droits et du bien-être de l'enfant, du Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme
et des peuples relatif aux droits de la femme ou de tout autre instrument juridique relatif aux
droits de l'homme, auxquels sont parties les Etats concernés ; d) toute question de droit
international; e) tous actes, décisions, règlements et directives des organes de l’Union; f) toutes
questions prévues dans tout autre accord que les Etats parties pourraient conclure entre eux,
ou avec l’Union et qui donne compétence à la Cour; g) l’existence de tout fait qui, s’il est établi,
constituerait la violation d’une obligation envers un Etat partie ou l’Union; h) la nature ou
l’étendue de la réparation due pour la rupture d’un engagement international.
16 Idem.

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CAHIERS AFRICAINS DES DROITS DE L’HOMME ET DE LA DEMOCRATIE 77
AINSI QUE DU DEVELOPPEMENT DURABLE

peuples; c) le Comité africain d'experts sur les droits et le bien-être de l'enfant;


d) les organisations intergouvernementales africaines accréditées auprès de
l’Union ou de ses organes; e) les institutions nationales des droits de l’homme ;
f) les personnes physiques et les organisations non-gouvernementales
accréditées auprès de l’Union ou de ses organes ou institutions, sous réserve
des dispositions de l’article 8 du protocole17 .
Signalons déjà que le point f évoqué dans l’article 30 du statut de la Cour de
justice et des droits de l’homme (c’est-à-dire la saisine de la Cour par les
personnes physiques et organisations non-gouvernementales), est une
photocopie pure et simple de l’article 5 du Protocole créant la Cour africaine
des droits de l’homme et des peuples18. De plus, l’article 8 du Protocole évoqué
par la disposition de l’article 30 du Statut de la Cour concerne la signature, la
ratification et l’adhésion des Etats au Protocole. Mais c’est le point 319 qui
intéresse notre attention car il réveille le « chat qui dort ». Il s’agit d’un éternel
débat et/ou obstacle sur l’accès direct des individus et organisations non
gouvernementales des droits de l’homme aux instances régionales des droits
de l’homme.
En effet, les Etats africains conditionnent cet accès par l’acceptation de la
compétence de la juridiction par les Etats au moment de leur ratification ou
adhésion20. Cet obstacle est pérennisé par l’article 34.6 du Protocole créant la
Cour africaine des droits de l’homme et des peuples21. Pour notre part, le droit
de recours (droit à la justice) est un droit de l’homme fondamental et sa
privation à une catégorie juridique, notamment les personnes physiques,
principales destinataires de la charte africaine des droits de l’homme et des
peuples, est une forme d’injustice voilée et entretenue dans le système africain
des droits de l’homme.
Du point de vue compétences, la Cour africaine de justice et des droits de
l’homme est attitrée à exercer les mêmes compétences de la Commission et
Cour, malgré quelques innovations fondamentales. Parmi ces innovations, l’on

17 Art. 30 du Statut de la Cour, op.cit.


18 L’article 5 dispose : « Ont qualité pour saisir la Cour : a) la Commission, b) l’Etat partie qui
a saisi la Commission ; c) l’Etat partie contre lequel une plainte a été introduite ; d) l’Etat
partie dont le ressortissant est victime d’une violation des droits de l’homme ; e) les
Organisations inter-gouvernementales africaines
19 Ce point dispose : « Tout Etat partie, au moment de la signature ou du dépôt de son instrument de

ratification ou d’adhésion, ou à toute autre période après l’entrée en vigueur du Protocole peut faire une
déclaration acceptant la compétence de la Cour pour recevoir les requêtes énoncées à l’article 30 (f) et
concernant un Etat partie qui n’a pas fait cette déclaration »
20 Les raisons de cette condition restent parfois floues. Pour certains, les régimes au pouvoir ont

peur de la saisine continue de la Cour par les opposants pour déstabiliser leurs pouvoirs.
21 Lire utilement l’article 34.6 du Protocole sur la Cour africaine des droits de l’homme et des

peuples, op.cit.

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78 Regard prospectif sur l’avenir de la Commission et Cour africaines des droits de l’homme et des
peuples après l’entrée en vigueur du Protocole de Sharm el-Cheikh

peut signaler ’élargissement de sa compétence en matière des crimes


internationaux.
Mais en réalité, la Cour est un organe de trop. Un embouteillage
institutionnel supplémentaire versé dans le système africain de protection des
droits de l’homme pour des raisons suivantes :
Premièrement, l’exercice concomitant des compétences contentieuse et
consultative (susceptible d’aboutir à une contraction ou un conflit
jurisprudentiel) entre la nouvelle Cour et la Commission africaine des droits
de l’homme et des peuples en matière de contentieux ou d’avis juridique relatif
aux droits de l’homme. En effet, les deux organes conservent et exerceront les
mêmes compétences au motif que la Commission a, contrairement à son
homologue la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, survécu au
vent abrogatoire de l’adoption du Protocole créant la nouvelle Cour.
Deuxièmement, le coût financier sur l’Union africaine. En effet, la prise en
charge du personnel dirigeant, administratif et ouvrier de ces deux institutions
peut connaître un dysfonctionnement réel. Les contributions annuelles des
Etats membres à l’Union pèsent déjà sur ces derniers. Ajouter encore la Cour
de justice et des droits de l’homme à côté de la Commission augmentera
normalement les charges contributives des Etats membres qui sont parfois
incapables de s’acquitter de leur contribution à cause des problèmes sociaux
internes.
Troisièmement : l’adoption du Protocole sur la Cour de justice et des droits
de l’homme est venue renforcer ou pérenniser encore l’obstacle lié à l’accès
direct des individus au contentieux des droits de l’homme en Afrique. En effet,
le Protocole ainsi que le Statut sur la nouvelle réveillent encore le « chat qui
dort » c’est-à-dire la condition de l’acceptation de la compétence de la Cour par
les Etats pour la recevabilité des affaires émanant des individus et des
Organisations Non Gouvernementales des droits de l’homme.
De notre lecture, cette condition est un véritable problème dans le système
africain car dans la pratique les Etats ne souscrivent pas à cette déclaration. En
sus, cette condition coutera très cher à la nouvelle Cour car les individus ainsi
que les Organisations continueront à saisir la Commission au lieu de la Cour.
En conséquence, la nouvelle Cour n’aura pas l’opportunité de construire sa
jurisprudence sur les communications individuelles, comme l’a fait par la
Commission africaine des droits de l’homme et la Cour africaine des droits de
l’homme dans les Etats ayant souscrit à la déclaration.
En tout état de cause, quel sera l’avenir de la Cour et Commission une fois
que la nouvelle Cour est opérationnelle ?

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CAHIERS AFRICAINS DES DROITS DE L’HOMME ET DE LA DEMOCRATIE 79
AINSI QUE DU DEVELOPPEMENT DURABLE

II. OU SERONT LOGEES LA COMMISSION ET LA COUR AFRICAINES


DES DROITS DE L’HOMME APRES L’ENTREE EN VIGUEUR DU
PROTOCOLE SHARM EL-CHEIKH ?
Le vent fort et abrogatoire de l’adoption du Protocole Sharm El-Cheik se
sentira effectivement dès qu’il entrera en vigueur. En réalité, la Cour africaine
de justice et des droits de l’homme est le fruit de la fusion de la Cour de justice
de l’Union africaine et la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples22.
Cependant, malgré son adoption, ce Protocole n’est pas encore en vigueur du
fait que son article 9 exige 15 ratifications. Pour l’instant, le Protocole est ratifié
par 8 Etats, entre autres l’Angola, le Bénin, le Burkina Faso, le Congo, la
Gambie, la Lybie, le Libéria et le Mali.
Déjà à ce nouveau, plaçons un mot. Pour un organe si important sur le
continent, comment les Etats africains demeurent moins confiants pour
ratifier ? De notre lecture, la peur au ventre se situe au sujet de la compétence
pénale de cette juridiction. Pour rappel, la Cour sera compétente de statuer sur
le cas des crimes internationaux commis sur le continent africain. A cet effet,
l’Afrique semble être le berceau des crimes internationaux avec implication des
leaders politiques au pouvoir. Tel n’est pas l’objet du présent papier.
Pour revenir à l’objet du présent papier, nous affirmons que le Protocole de
Sharm El-Cheik évacue d’urgence la Cour africaine des droits de l’homme et
des peuples dans le système africain des droits de l’homme, mais maintien
quand même la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples.
Le maintien de cet organe quasi-juridictionnel se justifie, d’une part, par le fait
que la Commission africaine des droits et des peuples fait partie des entités
juridiques autorisées à saisir la nouvelle Cour en contentieux relatif aux droits
de l’homme, et d’autre part, par le fait que la Commission africaine, en
application de l’article 53 alinéa 3 du Statut de la nouvelle Cour, est autorisée
à saisir la Cour en procédure non contentieuse, c’est-à-dire en matière d’avis
juridique sur toute question juridique relative à la Charte africaine des droits
de l’homme et des peuples ou tout autre instrument juridique relatif aux droits
de l’homme ratifié par les Etats africains.
Autres questions à clarifier. Comme la Cour est évacuée de toute urgence
dans le système africain de protection des droits de l’homme, quoi retenir du
sort des juges de l’ancienne Cour en fonction ainsi que des affaires pendantes ?

22 L’article 1er du Protocole de la nouvelle Cour prononce l’effet abrogatoire des protocoles de
1998 et 2003 et dispose : « Le Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l’homme et des
peuples portant création d'une Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, adopté le
10 juin 1998 à Ouagadougou (Burkina Faso) et entré en vigueur le 25 janvier 2004, et le
Protocole de la Cour de justice de l'Union africaine, adopté le 11 juillet 2003 à Maputo
(Mozambique), sont remplacés par le présent Protocole et le Statut y annexé qui en fait partie
intégrante, sous réserve des dispositions des articles 5, 7 et 9 du présent Protocole ».

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80 Regard prospectif sur l’avenir de la Commission et Cour africaines des droits de l’homme et des
peuples après l’entrée en vigueur du Protocole de Sharm el-Cheikh

Les dispositions transitoires du Protocole de la nouvelle Cour sauvent de


justesse le mandat des juges de l’ancienne Cour bien qu’il prendra fin à la date
de l’élection et de la prestation de serment des nouveaux juges de la nouvelle
Cour23. Les affaires en cours d’examen sont transmises d’urgence à la section
des droits de l’homme et des peuples de la nouvelle Cour, à dater de l’entrée
effective en fonction des nouveaux juges bien qu’elles seront traitées selon le
régime de l’ancienne Cour24. De plus, malgré l’entrée en vigueur du Protocole
de la nouvelle Cour, l’article 7 du Protocole de la nouvelle Cour indique que
l’ancienne Cour reste, de manière transitoire, en fonction pour une durée
n’excédant pas une durée d’une année ou pour toute autre durée que la
Conférence des d’Etats et de Gouvernements jugera nécessaire25.
En résumé, telles sont les lignes essentielles de notre papier.

23 Art. 4 du Protocole de la nouvelle Cour, op.cit.


24 Art. 5, idem.
25 Selon le vœu du législateur international, le délai annuel ou tout autre pour permettra à la

Cour africaine des droits de l'homme et des peuples de prendre les mesures appropriées pour
le transfert de ses prérogatives, de ses biens, et de ses droits et obligations à la Cour africaine
de justice et des droits de l'homme.

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CAHIERS AFRICAINS DES DROITS DE L’HOMME ET DE LA DEMOCRATIE 81
AINSI QUE DU DEVELOPPEMENT DURABLE

CONCLUSION

Le papier qui vient d’être achevé a discuté en long et large les effets
abrogatoires du Protocole Sharm El-Cheik. De manière succincte, la
Commission africaine des droits de l’homme et des peuples a survécu au vent
abrogatoire de ce Protocole et seulement la Cour africaine des droits de
l’homme et des peuples est victime. Cependant, malgré cette mauvaise
nouvelle, pour certains, comme nous, la nouvelle Cour est dotée des larges
compétences bien qu’elle disputera certaines, notamment en matière des droits
de l’homme, avec la Commission africaine des droits de l’homme, vainqueur
du vent abrogatoire du Protocole Sharm El-Cheik. C’est par là que nous
affirmons que la Cour est un organe de trop. Un embouteillage institutionnel
versé dans le système africain de protection des droits de l’homme.

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82 Regard prospectif sur l’avenir de la Commission et Cour africaines des droits de l’homme et des
peuples après l’entrée en vigueur du Protocole de Sharm el-Cheikh

BIBLIOGRAPHIE

A. TEXTES JURIDIQUES
1. Charte africaine des droits de l’homme et des peuples du 27 juin 1981 entrée
en vigueur le 21 octobre 1986.
2. Protocole créant la Cour africaine de justice et des droits de l’homme du 1er
juillet 2008.
3. Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples
portant création d’une Cour africaine des droits de l’homme et des peuples
adoptés du 8 au 10 juin 1998.
4. Règlement intérieur de la Commission africaine des droits de l’homme et
des peuples du 18 août 2010.
5. Statut de la Cour africaine de justice et des droits de l’homme du 1er juillet
2008.
B. DOCTRINE
1. Kéba Mbaye, « Les droits de l’homme en Afrique », dans Les dimensions
internationales des droits de l’homme, Paris, Ed. A. Pedone, 1992.
2. Biram Ndiaye, « La place des droits de l’homme dans la charte de l’OUA »,
in Karel Vasak, 1992.

www.cadhd-dr.org

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