Le Pouvoir de La Pensee Flexible Pourquoi Garder Lesprit Ouvert Est Notre Meill
Le Pouvoir de La Pensee Flexible Pourquoi Garder Lesprit Ouvert Est Notre Meill
Le Pouvoir de La Pensee Flexible Pourquoi Garder Lesprit Ouvert Est Notre Meill
Prologue
PARTIE 4. CONCLUSION
Chapitre Enlever nos œillères
11
Épilogue
Les bons réflexes pour penser autrement
Notes
Remerciements
PROLOGUE
Après un vol mouvementé, quinze hommes avaient été largués dans le ciel
du Montana. Ce n’étaient pas des adeptes de la chute libre. C’étaient des
pompiers parachutistes: des combattants du feu appartenant à un corps
d’élite du service des Eaux et Forêts américain, qu’on avait envoyés
éteindre un incendie allumé par la foudre la veille. Dans quelques minutes,
ils tenteraient désespérément d’échapper au brasier.
Ces hommes se posèrent à proximité de Mann Gulch, par une fin d’après-
midi torride, en août 1949. L’incendie faisait rage de l’autre côté du ravin
dans lequel coulait la rivière Missouri, et ils commencèrent à descendre la
pente qui y menait. Leur plan consistait à creuser une tranchée pour
contenir le feu et le rediriger vers une zone où il ne trouverait guère à
s’alimenter.
Après avoir marché environ sept cents mètres, Wagner Dodge, qui
commandait le détachement, constata que les flammes avaient franchi le
ravin et se dirigeaient droit vers eux. Elles étaient hautes de près d’un
mètre. Bientôt, le feu aurait pris assez de vitesse pour parcourir la longueur
de deux terrains de football en moins d’une minute.
Ils seraient bientôt en sécurité, mais le feu avançait rapidement. Dodge fit
alors quelque chose qui stupéfia son équipe. Plutôt que d’essayer de prendre
l’incendie de vitesse, il s’arrêta net et se pencha en avant. Il sortit une boîte
d’allumettes, en craqua quelques-unes et les jeta dans l’herbe. «Nous avons
pensé qu’il était devenu dingue, a raconté plus tard l’un des pompiers
parachutistes. On avait l’incendie presque dans le dos et le chef en allumait
un autre devant nous? Qu’est-ce qu’il foutait!» Il s’est surpris à penser:
«Cet idiot de Dodge veut ma mort.» Sans surprise, le détachement ne suivit
pas Dodge lorsqu’il fit signe en direction du foyer qu’il avait allumé, et
hurla: «Par ici! Venez par ici!»
Ce que ses hommes ne comprirent pas, c’est que Dodge avait mis au point
une stratégie de survie: il avait allumé ce qu’on a ensuite appelé un feu de
secours pour leur ménager une échappatoire. En brûlant l’herbe devant eux,
il nettoyait la zone environnante du combustible dont l’incendie aurait pu se
nourrir. Il mouilla ensuite son mouchoir avec de l’eau tirée de sa gourde,
s’en couvrit la bouche et pendant les quinze minutes suivantes, il demeura
allongé sur la terre calcinée. Alors que le brasier grondait au-dessus de lui,
il survécut grâce à l’oxygène présent au ras du sol.
***
Lorsqu’on veut définir l’agilité mentale, on pense aussitôt, en général, à
l’intelligence: plus on est intelligent, plus on peut résoudre des problèmes
complexes, plus rapidement. L’intelligence se conçoit traditionnellement
comme la faculté de penser et d’apprendre. Pourtant, dans un monde
turbulent, d’autres compétences cognitives pourraient bien importer
davantage: la capacité à repenser les choses et à désapprendre.
Les trois quarts environ des étudiants sont convaincus que corriger leur
réponse diminuera leur note. Kaplan, entreprise réputée, spécialisée dans la
préparation aux tests de compétences, conseillait jadis «de faire preuve de
la plus grande prudence avant de modifier une réponse. L’expérience
indique que beaucoup d’étudiants qui modifient une réponse optent pour la
mauvaise.»
Bien sûr, on peut penser que les secondes réponses ne sont pas par nature
meilleures: si elles le sont, c’est parce que les étudiants sont habituellement
si réticents à se corriger qu’ils ne modifient leurs réponses que s’ils se
sentent assez sûrs d’eux. Toutefois, de récentes études avancent une autre
explication: ce n’est pas tant le fait de modifier votre réponse qui améliore
votre note que le fait de vous demander si vous devriez la modifier.
Réviser nos jugements ne nous coûte pourtant pas toujours autant. Nous
actualisons avec enthousiasme nos biens. Nous renouvelons notre garde-
robe dès qu’elle passe de mode et rénovons notre cuisine dès que son style
n’est plus en vogue. En revanche, pour ce qui concerne nos connaissances
et nos opinions, nous avons tendance à ne pas vouloir en démordre. Les
psychologues parlent de «saisie» et de «gel» des avoirs. Nous préférons le
confort des convictions à l’inconfort du doute, et nous laissons nos
croyances se dessécher bien avant nos ossements. Nous nous moquons de
ceux qui utilisent encore Windows 95, tout en nous accrochant à des
opinions que nous avons forgées en 1995. Nous recherchons les points de
vue qui nous réconfortent, plutôt que les idées qui nous obligent à réfléchir
vraiment.
Vous avez sans doute entendu dire que si l’on jette une grenouille dans de
l’eau bouillante, elle s’échappe immédiatement. Mais si on la plonge dans
de l’eau tiède et si on augmente progressivement la température, la
grenouille meurt. La capacité de réévaluer la situation lui fait défaut et
quand, enfin, elle perçoit la menace, il est déjà trop tard.
J’ai récemment effectué des recherches sur cette histoire souvent reprise et
j’ai découvert la faille: elle est fausse.
***
Dodge ne survécut pas parce qu’il avait réfléchi longuement. Il s’en sortit
sain et sauf grâce à sa capacité à reconsidérer la situation rapidement.
Douze pompiers perdirent la vie parce que le comportement de Dodge leur
apparut insensé. Ils ne parvinrent pas à remettre en question à temps leurs
préconceptions.
Un peu plus tôt, à Mann Gulch, les pompiers avaient raté une autre occasion
de reconsidérer la situation – et cette possibilité-là était à leur portée. Peu
avant que Dodge ne jette ses allumettes dans l’herbe, il avait ordonné à ses
hommes de se défaire de leur lourd équipement. Ils avaient couru pendant
huit minutes, chargés de haches, de scies, de pelles et de sacs de dix kilos.
Vous pourriez penser que, face à un péril imminent, votre premier geste
serait de vous débarrasser de tout ce qui pourrait vous ralentir. Mais ce
matériel est essentiel pour des pompiers: il leur permet d’accomplir leur
mission. Leur formation et leur expérience ont ancré profondément en eux
la nécessité de toujours garder avec eux leur équipement et d’en prendre
soin. C’est seulement quand leur chef le leur ordonna que la plupart des
hommes laissèrent tomber au sol leurs outils – et même alors, l’un d’eux
garda sa pelle, qu’un collègue dut lui enlever des mains. Si le détachement
avait abandonné son barda plus tôt, cela aurait-il suffi à tous les sauver?
Nous n’en serons jamais sûrs, mais Mann Gulch n’est pas un incident isolé.
Entre 1990 et 1995 seulement, aux États-Unis, vingt-trois pompiers ont péri
en tentant de prendre de vitesse un feu de forêt pour se mettre en sécurité
sur une crête, alors qu’en s’allégeant de leur équipement, ils auraient pu en
réchapper. En 1994, à Storm King Mountain, dans le Colorado, des vents
forts poussèrent un incendie de l’autre côté d’un ravin. Quatorze pompiers
parachutistes et pompiers au sol du Service des Forêts – quatre femmes et
dix hommes – perdirent la vie en remontant un versant rocheux: une
cinquantaine de mètres plus haut, ils auraient été en sécurité.
Les enquêteurs ont ensuite calculé que sans leurs outils et leurs sacs à dos,
les victimes auraient couru à une vitesse de 15 à 20% supérieure. «La
plupart auraient survécu s’ils s’étaient délestés de leur matériel», a écrit un
expert. S’ils «avaient abandonné leurs sacs et leurs outils», a convenu le
service des Eaux et Forêts américain, «les pompiers auraient atteint la crête
avant le feu.»
Les feux de forêt sont relativement rares. La vie de la plupart d’entre nous
ne dépend pas de décisions prises en une fraction de seconde, qui nous
obligent à reconsidérer nos outils pour y voir une source de danger, et le feu
pour l’envisager comme une échappatoire. Pourtant, réexaminer ses
postulats est un défi étonnamment courant – commun peut-être à tous les
êtres humains.
Nous commettons tous le même genre d’erreur que les pompiers, mais les
conséquences en sont moins dramatiques et passent donc souvent
inaperçues. Nos modes de pensée se muent en habitudes susceptibles de
nous encombrer, mais nous ne prenons pas la peine de les remettre en
question avant qu’il soit trop tard. On espère que les freins qui couinent
continueront de freiner, jusqu’à ce qu’ils lâchent sur l’autoroute. On croit
que le prix des actions continuera de grimper, même après que les analystes
ont prévenu que la bulle immobilière était sur le point d’éclater. On pense
que son mariage se porte bien en dépit du comportement distant de son
conjoint. On se sent en sécurité à son poste, même quand des collègues ont
déjà été licenciés.
Ce livre porte sur l’intérêt de repenser les choses. Il invite à adopter cette
même souplesse d’esprit qui a sauvé la vie de Wagner Dodge. Il s’agit
également de réussir là où il a échoué: encourager la même agilité mentale
chez les autres.
Tandis que des vagues de protestation balayaient les États-Unis, d’un bout à
l’autre du spectre politique, le soutien accordé au mouvement Black Lives
Matter [«Les vies des Noirs comptent»] a presque autant augmenté en
l’espace de deux semaines qu’au cours des deux années précédentes.
Beaucoup de ceux qui n’étaient pas disposés jusqu’alors à reconnaître
l’affreuse réalité du racisme systémique qui prévaut toujours aux États-Unis
– ou en étaient incapables – ont eu à s’y confronter en un laps de temps
réduit. Beaucoup de ceux qui étaient longtemps restés silencieux en sont
venus à assumer leur responsabilité et à agir contre les préjugés racistes.
Malgré cette expérience commune, nous vivons des temps où les divisions
s’exacerbent. Pour certains, évoquer le seul fait de mettre un genou à terre
pendant qu’est joué l’hymne national suffit à anéantir une amitié. Pour
d’autres, un vote dans le secret d’un isoloir suffit à briser un mariage. Des
idéologies pétrifiées déchirent la culture américaine. Même ce formidable
guide qu’est la Constitution américaine peut être amendé. Et si nous étions
plus prompts à amender notre propre constitution mentale?
Les pompiers ont appris la leçon à leurs dépens. Dans le feu de l’action,
l’impulsion qu’eut Wagner Dodge d’abandonner ses lourds outils et de
trouver refuge dans un incendie qu’il avait lui-même allumé lui sauva la
vie. Mais il n’aurait pas eu à faire preuve d’inventivité s’il n’y avait eu une
incapacité plus profonde, systémique, à repenser les choses. Le plus
tragique, dans le drame de Mann Gulch, est qu’une dizaine de pompiers
périrent en combattant un feu qui n’avait pas besoin d’être combattu.
Pourtant, il a fallu attendre 1978 pour que le service des Eaux et Forêts
américain mette fin à la politique imposant que tout feu détecté soit éteint
avant 10 h le lendemain. L’incendie de Mann Gulch s’était déclenché dans
une zone reculée, où aucune vie humaine n’était menacée. Les pompiers ne
furent pas moins dépêchés sur place parce que nul, dans leur communauté,
leur organisation ou leur profession, n’avait suffisamment questionné le
postulat voulant qu’on ne devait pas laisser libre cours aux feux spontanés.
Ce livre est une invitation à vous défaire des connaissances et des opinions
qui ne vous sont plus utiles et à vous définir par la souplesse, plutôt que par
la constance. Si vous parvenez à maîtriser l’art de renouveler votre pensée,
je crois que vous serez en meilleure position pour réussir votre vie
professionnelle et connaître le bonheur. Revoir votre façon de penser peut
vous aider à trouver des solutions nouvelles à de vieux problèmes et à
revisiter les solutions anciennes appliquées à des problèmes inédits. Cette
voie vous conduira à apprendre davantage de ceux qui vous entourent et à
vivre avec moins de regrets. Une des marques de la sagesse est de savoir
quand il est temps d’abandonner certains de vos outils les plus précieux – et
certaines parts de vous-même qui vous sont les plus chères.
1. La part du Feu, Norman Mclean, traduit de l’anglais par Jean Guiloineau, Rivages, 1994. [NdT]
CHAPITRE 1
UN PRÉDICATEUR, UN
PROCUREUR, UN POLITICIEN ET
UN SCIENTIFIQUE COHABITENT
DANS NOTRE TÊTE
Son nom ne vous dit probablement rien; pourtant, Mike Lazaridis a eu une
influence considérable sur votre vie. Dès son plus jeune âge, Mike se révéla
être un magicien de l’électronique. À quatre ans, il fabriquait son propre
tourne-disque avec des briques Lego® et des élastiques. Au lycée, ses
professeurs lui demandaient de réparer les téléviseurs en panne. Il assembla
un ordinateur pendant ses heures de loisir et conçut, pour les équipes qui
concouraient aux tests de culture générale, un buzzer plus performant, grâce
auquel il finança sa première année d’université. Quelques mois avant de
passer son diplôme d’ingénieur en électrotechnique, Mike fit comme
beaucoup de grands entrepreneurs de l’époque: il abandonna ses études. Il
était temps pour ce fils d’immigrés de laisser sa marque ici-bas.
Savoir renouveler sa pensée est une compétence; c’est aussi un état d’esprit.
Nous disposons déjà d’une grande partie des outils mentaux nécessaires à
cette fin. Il faut juste se souvenir de les sortir de la remise et de les
dérouiller.
Réflexion faite
Avec les avancées en matière d’accès à l’information et aux technologies, le
savoir ne se contente pas d’augmenter, il se développe à un rythme toujours
plus rapide. En 2011, vous avez absorbé quotidiennement environ cinq fois
plus d’informations que vous ne l’auriez fait à peine vingt-cinq ans plus tôt.
En 1950, il fallait cinquante ans pour que les connaissances en médecine
soient multipliées par deux. En 1980, elles doublaient tous les sept ans; en
2010, le doublement s’effectuait en seulement un quart de cette durée.
L’accélération du changement signifie que nous devons remettre en
question nos convictions bien plus souvent qu’auparavant.
La tâche n’est pas facile, car les convictions que nous entretenons tendent à
devenir plus extrêmes avec le temps et à s’enraciner plus profondément.
J’ai encore du mal à accepter l’idée que Pluton pourrait ne pas être une
planète. Dans le système éducatif, cela prend souvent des années pour que
les programmes soient actualisés et les manuels révisés à la suite des
découvertes historiques et des révolutions scientifiques. Les chercheurs ont
récemment établi que nous devons reconsidérer ce qui était tenu pour acquis
sur des sujets tels que les origines de Cléopâtre (son père était Grec et non
Égyptien, l’identité de sa mère demeurant inconnue); l’émergence des
dinosaures (les paléontologues pensent aujourd’hui que certains
tyrannosaures arboraient des plumes colorées sur le dos) ou encore les
mécanismes de la vision (des personnes aveugles se sont de fait entraînées à
«voir» les ondes sonores pouvant activer le cortex visuel et engendrer des
représentations mentales, un phénomène semblable à l’écholocation qui
permet aux chauves-souris de s’orienter dans l’obscurité)2. Les horloges,
voitures et disques anciens valent peut-être d’être collectionnés, mais les
données dépassées sont des fossiles mentaux dont il est préférable de se
débarrasser.
Tous, autant que nous sommes, aurions pu tomber dans ces mêmes pièges.
Greenspan affirme qu’il aurait dû le savoir, car il se trouve que la crédulité
est son domaine d’expertise. Au moment où il décida de réaliser cet
investissement, il finissait d’écrire un livre traitant de ce qui nous amène à
nous laisser duper. Rétrospectivement, il souhaiterait avoir abordé cette
décision avec d’autres outils. Il aurait pu analyser plus systématiquement la
stratégie du fonds, au lieu de se fier aux chiffres des retours sur
investissement. Il aurait alors cherché à élargir la perspective en consultant
des sources crédibles. Il aurait mené son propre test, en investissant des
montants plus modestes sur une longue durée, avant de miser une si grande
part des économies d’une vie.
Mon biais favori est le biais «je n’ai pas de parti pris», qui veut qu’on croie
être plus objectif que les autres. Il se trouve que les gens brillants sont plus
susceptibles de tomber dans ce piège. Plus vous êtes intelligent, plus il vous
est difficile de voir vos propres limites. Parce que vous savez bien penser,
vous risquez de savoir moins bien repenser les choses.
J’ai fait de mon mieux pour écrire ce livre en mode scientifique3. Je suis un
enseignant, pas un prédicateur. Je ne supporte pas la politique, et j’espère
que dix années d’exercice en tant que professeur titulaire m’ont guéri de la
tentation que j’ai pu autrefois éprouver d’amadouer mon public. Bien que,
au cours de mon existence, j’aie passé un certain temps dans l’état d’esprit
du procureur, j’ai finalement décidé que, dans un tribunal, je serais plutôt le
juge. Je ne m’attends pas à ce que vous acquiesciez à tout ce que je pense.
Mon souhait est que vous soyez intrigué par ma manière de penser - et que
les études, les histoires et les idées présentées dans ces pages vous amènent
à reconsidérer par vous-même certaines choses. Après tout, l’apprentissage
ne vise pas à nous confirmer dans nos croyances; il a pour but de les faire
évoluer.
Ce en quoi je crois
L’une de mes croyances est que nous devrions garder l’esprit ouvert en
toutes circonstances. Il y a des situations dans lesquelles cela peut avoir du
sens de prêcher, d’accuser ou d’agir en politique. Cela dit, je pense que la
plupart d’entre nous tirerions profit d’être plus ouverts, plus souvent, car
c’est en mode scientifique que nous gagnons en agilité mentale.
Dans le cas du BlackBerry, Mike Lazaridis s’est trouvé piégé dans un cycle
d’excès de confiance. L’orgueil qu’il tirait du succès de son invention l’a
trop renforcé dans ses convictions. Cela apparaît le plus manifestement dans
la préférence donnée au clavier par rapport à l’écran tactile. C’était là une
des vertus du BlackBerry qu’il adorait prêcher – et un vice d’Apple qu’il
était prompt à dénoncer. Alors que le cours des actions de son entreprise
chutait, Mike a succombé aux biais de confirmation et de désirabilité et a
été victime de la validation de son produit par ses fans. «C’est un produit
iconique, disait-il du BlackBerry en 2011, le monde des affaires s’en sert,
les dirigeants s’en servent, les célébrités s’en servent.» En 2012, l’iPhone
avait capté un quart du marché mondial des Smartphones, mais Mike
résistait encore à l’idée de tapoter sur un écran en verre. «Je ne comprends
pas, dit-il lors d’un conseil d’administration. C’est, entre autres, pour le
clavier qu’on achète des BlackBerry.» Comme un homme politique qui ne
fait campagne qu’à destination de sa base, il se focalisait sur l’attachement
au clavier manifesté par des millions d’utilisateurs existants, négligeant
l’attractivité que l’écran tactile pouvait exercer sur des milliards
d’utilisateurs potentiels. Soit dit en passant, le clavier me manque et j’ai
appris avec un grand enthousiasme qu’une licence a été accordée en vue de
son retour sur le marché.
Les choses les plus agaçantes qu’on dit au lieu de réviser son point de vue
Pourtant, des ingénieurs d’Apple menaient déjà des recherches dans cette
direction. Ils conjuguèrent leurs efforts pour persuader Jobs qu’il ne savait
pas ce qu’il ne savait pas, et le pressèrent de remettre en cause ses
convictions. Il devait être possible, arguèrent-ils, de concevoir un
Smartphone que tout le monde adorerait utiliser – et d’obtenir des
opérateurs que cela se fasse à la manière d’Apple.
Les études montrent que lorsque les gens résistent au changement, il est
utile d’insister sur ce qui va rester identique. Les visions de changement
sont plus attrayantes lorsqu’elles englobent des visions de continuité. La
stratégie peut bien évoluer, notre identité persistera.
Si Mike Lazaridis avait été plus ouvert à l’idée de repenser son produit
fétiche, BlackBerry et Apple se seraient-ils incités mutuellement à ré-
imaginer le Smartphone à de multiples reprises?
La malédiction du savoir est qu’il ferme nos esprits à ce que nous ne savons
pas. Un bon jugement dépend de la capacité – et de la volonté – de garder
l’esprit ouvert. Je pense, avec un certain degré de confiance, qu’acquérir
l’habitude de renouveler sa pensée importe de plus en plus. Bien sûr, je
pourrais me tromper. S’il s’avère que j’ai tort, je m’empresserai de
reconsidérer mon point de vue.
2. Pour ma part, je croyais que l’expression «enfumer quelqu’un» [en anglais, blowing smoke up
one’s arse: littéralement, «souffler de la fumer dans le cul de quelqu’un»] venait de ce qu’on
avait autrefois coutume d’offrir des cigares à celui qu’on voulait impressionner. Imaginez ma
surprise lorsque mon épouse m’a expliqué la véritable origine de cette expression: au XVIIIe
siècle, il était courant de ramener à la vie les victimes de noyade avec des lavements à base de
tabac. On s’aperçut plus tard que ce procédé était néfaste pour le cœur.
3. J’ai commencé en m’interrogeant sur cette idée de reconsidérer les choses, et non avec des
réponses toutes faites. Puis, je me suis mis en quête des preuves les plus solides, fournies par des
expériences randomisées et contrôlées et des études de terrain systématiques. Lorsqu’il n’y avait
aucune donnée scientifiquement validée, j’ai lancé mes propres projets de recherche. Et ce n’est
qu’après être parvenu à une certaine compréhension, fondée sur les données, que j’ai recherché
des histoires à même d’illustrer et d’éclairer les études. Dans un monde idéal, toute
compréhension devrait découler d’une méta-analyse – une étude des études disponibles, grâce à
laquelle les chercheurs distinguent des schémas récurrents dans un ensemble de données
permettant d’ajuster la qualité de chacune d’entre elles. Lorsqu’il n’en existait pas, j’ai
sélectionné des études que je trouve rigoureuses, représentatives et qui offrent matière à
réflexion. Je donnerai parfois des détails sur la méthode utilisée – afin que vous puissiez
comprendre comment les chercheurs en sont arrivés à de telles conclusions, mais également pour
vous donner un aperçu du mode de pensée scientifique. Le plus souvent, je résumerai les
résultats sans entrer plus avant dans les études elles-mêmes, en présumant que vous lirez ce livre
pour apprendre à penser et repenser comme un scientifique – et non pour en devenir un. Cela dit,
si vous éprouvez une bouffée d’excitation à la mention d’une méta-analyse, il est peut-être temps
de (ré)envisager une carrière en sciences sociales.
CHAPITRE 2
L’histoire se passait dans les années 1800 et le cas d’Ursula n’était pas
unique. Dix ans plus tôt, un neuropathologiste de Zurich avait rapporté celui
d’un homme victime d’un accident qui l’avait laissé aveugle, sans qu’il en
soit conscient, en dépit du fait qu’il n’était «en rien diminué
intellectuellement». Alors qu’il ne cillait même pas lorsqu’on fermait le
poing devant son visage et ne voyait pas ce qu’il y avait dans son assiette,
«il croyait être dans un trou ou une cellule humide et sombre».
La première pensée de Halla fut: «Qui suis-je pour être présidente?» Elle
avait participé à la création d’une université puis cofondé une société
d’investissement en 2007. Lorsque la crise financière de 2008 ébranla le
monde, l’Islande fut durement affectée: ses trois principales banques
commerciales privées firent faillite et sa monnaie s’effondra. Relativement
à la taille de son économie, le pays connut la pire débâcle financière jamais
enregistrée dans l’Histoire, mais Halla fit la preuve de ses talents en matière
de leadership, en dirigeant habilement sa société, qui surmonta la crise.
Même en tenant compte de cette prouesse, elle ne se sentait pas prête pour
la présidence. Elle n’avait aucune expérience politique; elle n’avait jamais
occupé de poste au gouvernement, ni même dans le secteur public.
Bien qu’ils aient eu des angles morts inversés, leur positionnement aux
deux extrêmes sur l’échelle de la confiance en soi expliquait que ces deux
candidats étaient réticents à revoir leurs plans. Le niveau de confiance en
soi idéal réside quelque part entre celui du quart-arrière dans son fauteuil et
celui de l’imposteur. Comment le localiser?
L’ignorance de l’arrogance
Une de mes récompenses favorites est un prix satirique décerné à des
chercheurs, aussi divertissant qu’éclairant. Baptisé Ig Nobel, il est remis par
d’authentiques détenteurs du prix Nobel. Un jour d’automne, quand j’étais à
l’université, j’avais couru jusqu’au cinéma du campus pour regarder la
cérémonie en compagnie de plus d’une centaine de camarades passionnés
de sciences et de techniques. Parmi les lauréats de l’année figuraient deux
physiciens ayant créé un champ magnétique pour faire léviter une
grenouille vivante, un trio de chimistes qui avaient découvert que la
biochimie de l’amour romantique a quelque chose en commun avec les
troubles obsessionnels compulsifs, et un informaticien, inventeur de
PawSense, un logiciel détectant les pattes de chat sur un clavier et émettant
un bruit désagréable pour les en éloigner. Est-ce que cela fonctionnait avec
les chiens? Ce n’était pas très clair.
Plusieurs des prix attribués m’ont fait rire, mais les lauréats qui m’ont fait le
plus réfléchir furent deux psychologues, David Dunning et Justin Kruger.
Ils venaient de publier un «modeste rapport» traitant des compétences et de
la confiance en soi qui allait bientôt les rendre célèbres. Ils avaient mis en
évidence que dans bien des situations, ceux qui n’ont pas les
compétences… ne le savent pas. Ce qu’on appelle aujourd’hui l’effet
Dunning-Kruger veut que nous soyons plus susceptibles de déborder de
confiance lorsque nous manquons de compétences.
Dans les premières études de Dunning et Kruger, les sujets qui avaient
enregistré les scores les plus faibles lors de tests évaluant leurs capacités de
raisonnement logique, leur niveau en grammaire et leur sens de l’humour
avaient les opinions les plus démesurées concernant leurs compétences. En
moyenne, ils croyaient avoir fait mieux que 63% de leurs pairs, quand, en
réalité, ils avaient mieux réussi que 12% seulement d’entre eux. Moins nous
sommes intelligents dans un domaine particulier, plus nous semblons
surestimer notre intelligence dans ce domaine. Dans un groupe de partisans
de soccer, celui qui en sait le moins est le plus susceptible d’être le quart-
arrière dans son fauteuil, de reprocher à l’entraîneur d’avoir fait entrer le
mauvais joueur et de prôner une «meilleure» stratégie.
Cette tendance n’est pas anodine, car elle obscurcit notre conscience et nous
fait trébucher dans toutes sortes de situations. Voyez ce qu’il s’est produit
lorsque des économistes ont évalué les opérations et les pratiques de gestion
de milliers d’entreprises, dans des industries et des pays variés, et ont
comparé leurs évaluations avec celles des gestionnaires.
Les gestionnaires tendent à surestimer leurs capacités (Mesures indépendantes versus Score
d’autoévaluation des pratiques de gestion)
Source: World Management Survey [«Étude mondiale sur les pratiques de gestion»], Bloom et Van
Reenen, 2007; et Maloney, 2017 b.
J’ai en horreur le savoir feint, le fait que l’on prétende savoir des choses
qu’on ne sait pas. Cela me dérange tellement que, en ce moment même,
j’écris un livre entier sur ce sujet. À l’occasion d’une série d’études, on a
demandé à des personnes d’évaluer si elles en savaient plus ou moins que la
plupart des gens sur divers sujets comme ceux cités ci-dessus, puis on les a
soumises à un test de connaissances. Plus les participants pensaient avoir un
niveau de connaissance élevé, plus ils se surestimaient – et moins ils étaient
intéressés par le fait d’apprendre et d’actualiser leurs connaissances. Si vous
croyez en savoir plus sur l’histoire et la science que la plupart des gens, il y
a des chances que vous en sachiez moins que vous ne le pensez. Comme le
dit Dunning avec malice: «La première règle du club Dunning-Kruger, c’est
que vous ne savez pas que vous en faites partie6.»
Pour ce qui est des questions proposées plus haut, si vous avez le sentiment
que vous savez tout sur tout, réfléchissez à nouveau. Il n’y a pas de langue
officielle aux États-Unis; à Salem, les femmes soupçonnées de sorcellerie
n’étaient pas brûlées, mais pendues; Walt Disney n’a pas dessiné Mickey
(œuvre d’un animateur nommé Ub Iwerks); en réalité, on ne peut pas voir la
Grande Muraille de Chine depuis l’espace; et l’effet moyen du sucre sur le
comportement des enfants est de zéro.
Ce que je sais
Oui, une partie du problème est due à nos fragiles ego. Nous sommes
enclins à nier nos faiblesses, dès lors que nous voulons nous voir sous un
éclairage favorable, ou à peindre aux autres un portrait flatteur de nous-
mêmes. Le cas classique est celui du politicien véreux qui se proclame en
croisade contre la corruption, mais est, en réalité, affecté par une cécité
volontaire ou cherche à passer pour ce qu’il n’est pas. Toutefois, l’histoire
ne se résume pas à ce qui nous motive7.
Une force moins manifeste obscurcit également la vision que nous avons de
nos aptitudes: un déficit de capacité métacognitive, soit la capacité à
réfléchir sur notre réflexion. Le manque de compétences peut nous rendre
aveugles à notre incompétence. Un entrepreneur de la tech peu informé sur
les systèmes éducatifs peut ainsi avoir la certitude que son plan directeur va
en résoudre toutes les défaillances. Si vous êtes socialement malhabile et
guère au fait des bonnes manières, vous pouvez tout à fait parader en vous
prenant pour James Bond. Au lycée, une amie m’a dit que je manquais
d’humour. Qu’est-ce qui lui faisait penser cela? «Tu ne ris pas à mes
blagues», m’a-t-elle répondu. «Je suis hilarante…» disait celle qui n’était
vraiment pas drôle. Je vous laisse juger qui manque d’humour.
Nous sommes tous novices en bien des matières, et nous ne l’ignorons pas
toujours. Nous tendons en fait à surestimer les aptitudes que nous
désirerions avoir, par exemple celle de mener de fascinantes conversations.
Nous sommes également enclins à l’excès de confiance dans les situations
où il est aisé de confondre expérience et expertise, comme lorsqu’il s’agit
de conduire une voiture, taper à la machine, répondre à un quiz ou réguler
nos émotions. À l’inverse, nous nous sous-estimons dans les domaines où
nous pouvons facilement reconnaître que nous manquons d’expérience:
peindre, conduire une voiture de course ou réciter rapidement l’alphabet à
l’envers. Les néophytes absolus tombent rarement dans le piège de l’effet
Dunning-Kruger. Si vous ignorez tout du football, il est peu probable que
vous vous croyiez plus compétent que l’entraîneur.
Nous devenons confiants à l’excès quand nous progressons et passons du
statut de novice à celui d’amateur. Avoir des bribes de connaissances peut
être dangereux. Dans de trop nombreux domaines de notre vie, nous
n’acquérons jamais un niveau d’expertise suffisant pour remettre en
question nos opinions ou découvrir ce que nous ne savons pas. Nous
disposons de juste assez d’informations pour nous prononcer avec
assurance sur le sujet et émettre des jugements, sans réaliser que nous avons
atteint le sommet du mont Stupidité sans parvenir à le franchir.
C’est ce qui est arrivé en Islande à Davíd Oddsson, dont l’arrogance fut
renforcée par ses acolytes, sans que les critiques parviennent à la contenir. Il
était connu pour s’entourer de «sbires farouchement loyaux», recrutés
durant ses études et dans les tournois de bridge, et pour tenir à jour une liste
de ses amis et de ses ennemis. Plusieurs mois avant l’effondrement,
Oddsson refusa l’aide de la Banque centrale d’Angleterre. Puis, au pic de la
crise, il se vanta en public de ne pas avoir l’intention de couvrir les dettes
des banques islandaises. Deux ans plus tard, une commission indépendante
chargée par le Parlement de faire la lumière sur les événements l’accusa de
négligence grossière. Selon un journaliste qui tint la chronique de
l’effondrement financier de l’Islande, son «arrogance, sa conviction absolue
qu’il savait ce qui était le mieux pour l’île» causèrent la perte d’Oddsson.
On se méprend souvent sur l’humilité. Cela n’a rien à voir avec un manque
de confiance en soi. Une des racines latines du mot signifie «ce qui vient de
la terre». Il s’agit de garder les pieds sur terre: de reconnaître que nous
sommes imparfaits et faillibles.
Nous sommes aveuglés par l’arrogance quand nous avons une foi
inébranlable en nos forces et en nos stratégies. Nous sommes paralysés par
le doute quand nous n’avons confiance ni en les unes, ni en les autres. Nous
pouvons être dévorés par un complexe d’infériorité lorsque nous
connaissons la bonne méthode, mais doutons de notre capacité de la mettre
en œuvre. Nous avons besoin de parvenir à une humilité confiante: avoir foi
en nos aptitudes, tout en appréciant le fait que nous n’avons peut-être pas la
bonne solution ou même que nous ne traitons peut-être pas le bon problème.
Cela nous fait suffisamment douter pour réexaminer nos connaissances
anciennes et nous donne assez confiance pour chercher de nouveaux
éclairages.
Quand les adultes sont assez confiants pour reconnaître ce qu’ils ne savent
pas, ils prêtent davantage attention à la solidité des données et consacrent
plus de temps à des lectures contredisant leurs opinions. Des études
rigoureuses sur l’efficacité du leadership aux États-Unis et en Chine
indiquent que les équipes les plus productives et les plus novatrices ne sont
pas dirigées par des individus confiants ou humbles. Les leaders les plus
efficaces obtiennent des scores élevés à la fois en matière de confiance et
d’humilité. Bien qu’ils aient foi en leurs forces, ils ont également une
conscience aigüe de leurs faiblesses. Ils savent devoir reconnaître et
dépasser leurs limites pour aller plus loin.
Confiance vs compétence
Les bénéfices du doute
Un mois et demi avant l’élection présidentielle en Islande, Halla
Tómasdóttir était créditée de seulement 1% des intentions de vote dans les
sondages. Désireuse de se concentrer sur les candidats les plus prometteurs,
la chaîne de télévision qui organisait le premier débat télévisé annonça que
ceux qui n’atteignaient pas 2,5% des intentions n’y participeraient pas.
Halla parvint à s’y faire une place in extremis. Dans le mois qui suivit, sa
popularité s’envola. Elle n’était pas seulement une candidate viable: elle se
retrouva dans l’ultime carré.
J’ai enseigné à des étudiants qui avaient déposé des brevets avant d’avoir
atteint l’âge légal de boire de l’alcool et étaient devenus des maîtres des
échecs avant de pouvoir conduire. Or, ces mêmes individus n’en étaient pas
moins aux prises avec un sentiment d’insécurité et doutaient sans cesse de
leurs aptitudes. L’explication habituelle veut qu’ils aient réussi malgré leurs
doutes, mais si leur réussite était en fait due en partie à leurs doutes?
* Personnage de la série télévisée Seinfeld, qui se qualifie de «lent d’esprit» et de «roi des idiots».
[NdT]
Cette dynamique est corroborée par les données qui ressortent d’une étude
menée par une ancienne doctorante de Wharton, Danielle Tussing –
aujourd’hui professeur à SUNY Buffalo. Danielle a recueilli ses données
dans un hôpital où les infirmières assument tour à tour la responsabilité
d’infirmière en chef – ce qui signifie que toutes les infirmières se retrouvent
aux commandes, même si elles doutent de leurs capacités. De fait, celles qui
hésitaient le plus à endosser ce rôle se sont avérées être des responsables
plus efficaces, en partie parce qu’elles étaient plus enclines à solliciter un
second avis auprès de leurs collègues. Elles se considéraient à égalité avec
ces dernières et savaient qu’elles pouvaient compenser leur manque
d’expérience et d’expertise par l’écoute. Halla Tómasdóttir illustre
parfaitement ce phénomène.
La ligue de l’extraordinaire humilité
Quand je me suis entretenu avec Halla, elle m’a confié que dans le passé,
ses doutes l’avaient lourdement handicapée. Elle les considérait comme le
signe qu’elle n’avait pas les capacités pour réussir. Maintenant qu’elle était
parvenue à une humilité confiante, elle les interprétait différemment: ils lui
indiquaient qu’elle devait mieux s’équiper.
Elle n’accéda pas à la présidence: elle arriva en deuxième position. Ses 28%
paraissent bien dérisoires en regard des 39% du vainqueur. Mais Halla
étrilla David Oddsson, qui finit quatrième, avec moins de 14%. Compte
tenu de sa trajectoire et de son élan, il n’est pas totalement fou d’imaginer
que quelques semaines supplémentaires lui auraient permis de gagner.
Les grands penseurs ne nourrissent pas des doutes parce qu’ils sont des
imposteurs. Ils entretiennent le doute parce qu’ils savent que nous sommes
tous partiellement aveugles et qu’ils ont fait le vœu d’améliorer leur vision.
Ils ne se vantent pas de l’étendue de leur savoir; ils s’émerveillent de
comprendre si peu de choses. Ils sont conscients que chaque réponse
soulève de nouvelles questions, et que la quête de la connaissance ne finit
jamais. Une caractéristique des apprenants au long cours est qu’ils
reconnaissent pouvoir apprendre quelque chose de tous ceux qu’ils
rencontrent.
L’arrogance nous rend aveugles à nos faiblesses. L’humilité agit comme une
lentille réfléchissante: elle nous aide à les voir plus clairement. L’humilité
confiante agit comme une lentille correctrice: elle nous permet de
surmonter ces faiblesses.
4. Le quart-arrière, ou quaterback, a un rôle décisif dans le football américain. Occupant un poste
offensif, il dirige l’attaque, distribue le jeu, et il est responsable des modifications tactiques sur le
terrain. [NdT]
5. Les États-Unis, un des pays où les autoévaluations étaient les plus proches de la réalité, semblent
bien s’en sortir, mais cela ne vaut pas dans tous les domaines. Des chercheurs ont récemment
demandé à des adolescents parlant l’anglais et vivant partout dans le monde d’évaluer leurs
connaissances en mathématiques, sur seize sujets différents. Trois étaient totalement inventés –
les fractions déclaratives, les nombres propres et la mise à l’échelle subjonctive –, ce qui
permettait de démasquer ceux qui prétendaient avoir des connaissances sur des sujets fictifs. En
moyenne, les pires fanfarons étaient des garçons nord-américains issus de milieux aisés.
6. Je dois mon exemple favori à ce propos à Nina Strohminger, qui s’est ainsi plainte un jour: «Mon
père m’a appelée ce matin pour me parler de l’effet Dunning-Kruger, sans réaliser que sa fille,
docteure en psychologie, connaissait certainement cet effet. Il m’en a fait une démonstration
parfaite!»
7. Le débat se poursuit autour des questions de mesure statistique de l’effet Dunning-Kruger, mais
la controverse porte principalement sur l’intensité de cet effet et les conditions dans lesquelles il
se produit – et non sur sa réalité. Il est intéressant de remarquer que, même quand les gens sont
motivés pour juger avec précision leur savoir, les moins savants sont souvent ceux qui
rencontrent le plus de difficultés. Lorsqu’on propose aux sujets une récompense de 100$ s’ils
parviennent à deviner correctement (donc humblement) le nombre de bonnes réponses qu’ils ont
fourni à un test évaluant leur raisonnement logique, ils ne s’avèrent pas moins excessivement
confiants en leurs capacités. Sur un test comprenant vingt questions, ils pensent, en moyenne,
avoir donné 1,42 réponse correcte de plus que le nombre de réponses effectivement justes – et
ceux qui ont obtenu les moins bons scores sont ceux qui se montrent le plus confiants.
8. Une telle réaction diffère selon le genre. Dans l’étude de Basima sur les professionnels de
l’investissement, les pensées associées à un sentiment d’imposture contribuaient à améliorer la
performance des femmes comme des hommes, mais étaient plus susceptibles de renforcer le
travail d’équipe chez les hommes. La peur de ces derniers de ne pas se montrer à la hauteur des
attentes concernant leurs tâches essentielles les poussait à s’investir davantage dans des tâches
collaboratives. Les performances des femmes se révélaient être plus dépendantes de leur
confiance en elles et elles étaient plus susceptibles d’être handicapées par leurs doutes.
CHAPITRE 3
Murray avait calqué son étude sur les évaluations psychologiques qu’il
avait conçues à l’intention des espions durant la Seconde Guerre mondiale.
Alors lieutenant-colonel, il avait été recruté pour sélectionner les agents
potentiels de l’Office des Services Stratégiques, précurseur de la CIA. Afin
de juger de la capacité des candidats à gérer la pression, il les faisait
descendre dans une cave, où ils étaient interrogés, une lumière vive braquée
sur le visage. Dès qu’une incohérence apparaissait dans leur récit, celui qui
les interrogeait se dressait en hurlant: «Vous êtes un menteur!» Certains
renonçaient sur-le-champ; d’autres s’effondraient en larmes. Ceux qui
résistaient à l’assaut étaient embauchés.
Cette fois, Murray entendait mener une étude plus systématique des
réactions au stress. Il avait soigneusement passé en revue les étudiants afin
de disposer d’un échantillon comprenant une grande diversité de
personnalités et de profils de santé mentale. Il leur avait attribué des noms
de code, en fonction de leurs traits de caractère: il y avait ainsi Drill («la
perceuse»), Quartz, Locust («la sauterelle»), Hinge («la charnière») et
Lawful («le légaliste») – je reviendrai à lui plus tard.
Quand les étudiants arrivèrent pour débattre, ils découvrirent que leur
partenaire n’était pas l’un d’entre eux, mais un étudiant en droit. Ce qu’ils
ignoraient, c’était que ce dernier était de mèche avec l’équipe de
chercheurs: sa tâche consistait à attaquer, pendant dix-huit minutes et
agressivement, la vision du monde des sujets de l’expérience. Murray
qualifiait l’exercice de «discussion interpersonnelle stressante». Il avait
donné à l’étudiant en droit l’instruction de provoquer la colère et l’anxiété
chez ses interlocuteurs, à travers un «mode d’attaque […] véhément, radical
et abusif». Les pauvres étudiants, s’efforçant de défendre leurs idéaux,
suèrent et crièrent beaucoup.
Ils n’étaient pas au bout de leurs peines. Au cours des semaines suivantes,
ils furent invités à revenir au labo pour discuter des enregistrements filmés
de leur interaction avec l’étudiant en droit. Ils se regardèrent grimacer et
enchaîner des phrases incohérentes. Au total, ils passèrent environ huit
heures à revivre ces dix-huit minutes humiliantes. Lorsqu’ils furent invités à
revenir sur cette expérience, vingt-cinq ans plus tard, il apparut évident
qu’elle avait été insupportable pour beaucoup d’entre eux. Drill dit avoir
ressenti une «rage durable». Locust se souvenait de sa confusion, de sa
colère, de son chagrin et de son malaise. «Ils m’avaient dupé en me disant
que ce serait une discussion, quand, en fait, il s’agissait d’une attaque en
règle, relata-t-il. Comment ont-ils pu me faire ça? À quoi tout cela rimait-
il?»
Puisque les détails de l’étude sont encore sous scellés, et qu’une grande
majorité des participants n’ont pas révélé leur identité, à défaut de pouvoir
m’entretenir avec eux, je me suis mis en quête de gens semblables. J’ai
trouvé un scientifique lauréat du prix Nobel et deux des meilleurs
prévisionnistes électoraux du monde. Ils ne sont pas seulement à l’aise avec
le fait de se tromper; cela semble les réjouir. Je pense qu’ils peuvent nous
aider à apprendre comment mieux accueillir, avec une certaine grâce, ces
moments où nous découvrons que ce que nous croyons n’est peut-être pas
vrai. Le but n’est pas d’avoir tort plus souvent. Il s’agit de reconnaître que
nous nous sommes trompés plus souvent que nous ne voudrions l’admettre
et que, plus nous le nions, plus le trou où nous nous enterrons nous-mêmes
est profond.
Le dictateur qui régit vos pensées
Notre fils avait cinq ans quand il a appris que son oncle allait avoir un
enfant; il en était tout excité. Mon épouse et moi, de même que lui,
prédisions que ce serait un garçon. Quelques semaines plus tard, il s’est
avéré que le bébé à naître était une fille. Lorsque nous l’avons annoncé à
notre fils, il a fondu en larmes. «Pourquoi pleures-tu? lui ai-je demandé.
Est-ce parce que tu espérais avoir un cousin?»
«Non, a-t-il crié, martelant le sol de ses poings. C’est parce que nous avions
tort!»
Je lui ai expliqué que se tromper n’est pas toujours un mal. Cela peut
signifier que nous avons appris quelque chose de nouveau – et cette
découverte peut être délicieuse.
En prendre conscience n’a pas été facile pour moi. Enfant, je voulais avoir
raison à tout prix. En 2e année, j’avais ainsi corrigé mon instituteur qui
avait fait une faute d’orthographe en écrivant «éclaire» au lieu d’«éclair».
Lorsque nous échangions des cartes de baseball, je débitais les statistiques
concernant les derniers matchs afin de démontrer que la valeur attribuée aux
différents joueurs était incorrecte. Mes amis, agacés, se sont mis à
m’appeler Monsieur Faits. Cela a empiré jusqu’à ce jour où mon meilleur
ami m’a annoncé qu’il ne me parlerait plus tant que je n’aurais pas admis
avoir tort. Cet événement a marqué le début d’un long chemin pour accepter
que j’étais faillible.
On peut aisément voir comment notre dictateur intérieur s’en mêle lorsque
quelqu’un attaque un de nos traits de caractère ou met en cause notre
intelligence. Ce genre d’affront personnel menace d’ébranler des aspects de
notre identité qui sont importants pour nous et qu’il pourrait être difficile de
changer. L’ego totalitaire intervient, pareil à un garde du corps, pour
protéger l’image que nous avons de nous-mêmes, en nous servant des
mensonges réconfortants. «Ils sont tout simplement jaloux. Tu as vraiment
une merveilleuse, une incroyable allure. Tu es sur le point d’inventer le
prochain Pet Rock.» Comme l’a fait remarquer malicieusement le physicien
Richard Feynman: «Il ne faut pas se mentir – et on est la personne la plus
facile à duper.»
Je trouve cela étrange, car nous ne naissons pas avec des opinions toutes
faites. Nous avons un contrôle total sur ce que nous croyons être vrai, ce qui
n’est pas le cas concernant notre taille ou notre intelligence de base. Nous
choisissons nos points de vue, et nous pouvons également choisir de les
reconsidérer quand nous le voulons. Cette tâche devrait nous être familière,
car au fil de notre vie, nous accumulons les preuves que nous avons
régulièrement tort. «J’étais sûr de terminer le premier jet de ce chapitre d’ici
vendredi.» «J’étais certain que les céréales avec un toucan sur la boîte
étaient des Fruit Loops, mais je viens de remarquer qu’il est écrit Froot
Loops.» «J’étais persuadé d’avoir remis le lait au réfrigérateur hier soir, et
bizarrement, il trône sur le comptoir ce matin.»
Comment réagissez-vous lorsque vous lisez une étude qui vous surprend?
Nombreux sont ceux qui adoptent une attitude défensive, cherchent des
erreurs dans la conception de l’étude ou l’analyse des statistiques. Danny a
fait le contraire. Son regard s’est éclairé et un large sourire a fendu son
visage. «C’était formidable, m’a-t-il dit. J’avais tort.»
J’ai ensuite déjeuné avec lui et je l’ai interrogé sur sa réaction. Cela
ressemblait beaucoup pour moi à la joie de se tromper – ses yeux pétillaient
comme s’il s’amusait follement. Il m’a dit qu’en quatre-vingt-cinq ans,
personne ne lui en avait jamais fait la remarque, mais oui, il appréciait
sincèrement de découvrir qu’il s’était trompé, parce que cela signifiait que,
maintenant, il avait un peu moins tort qu’auparavant.
L’attachement: c’est que qui nous empêche de reconnaître que nos opinions
sont à côté de la plaque et de les reconsidérer. Pour que jaillisse la joie
d’avoir tort, nous avons besoin de nous détacher. J’ai appris que deux sortes
de détachement sont particulièrement utiles: détacher le présent du passé, et
détacher ses opinions de son identité.
Sur le moment, séparer son soi passé de son soi actuel peut être
déstabilisant. Même les changements positifs peuvent susciter des émotions
négatives; l’évolution de votre identité peut nourrir un sentiment d’échec et
d’incohérence. Avec le temps, cependant, repenser qui vous êtes se révèle
sain – tant que vous êtes à même d’avoir un récit cohérent sur la façon dont
vous avez cheminé de votre identité passée à votre identité présente. Une
étude fait apparaître qu’une fois détachés de leur moi passé, les sujets sont
de moins en moins déprimés à mesure que l’année s’écoule. Dès lors que
vous avez l’impression que votre vie prend une nouvelle direction, et que
vous avez engagé le processus d’évolution de votre identité, il devient plus
facile de vous éloigner des croyances insensées que vous mainteniez
auparavant.
Mon moi passé s’appelait M. Faits: j’étais trop focalisé sur le fait de savoir.
Aujourd’hui, découvrir ce que je ne sais pas m’intéresse davantage. Comme
me le faisait remarquer le fondateur de Bridgewater, Ray Dalio: «Si, en
vous retournant sur vous-même, vous ne vous dites pas “Waouh, qu’est-ce
que j’étais stupide il y a un an!”, alors vous n’avez probablement pas appris
grand-chose au cours de l’année écoulée.»
L’effet Yoda:
«Tu dois désapprendre ce que tu as appris»
Alors que j’étais en quête de personnes appréciant de découvrir qu’elles
avaient tort, un collègue en qui j’ai confiance m’a suggéré de rencontrer
Jean-Pierre Beugoms. Approchant de la cinquantaine, il est le genre de
personne honnête à l’excès: il dit la vérité même quand elle fait mal. Un
jour qu’il regardait un documentaire sur l’espace avec son fils, encore tout
petit, Jean-Pierre mentionna l’air de rien que le Soleil allait un jour se muer
en géante rouge et engloutir la Terre. Cela n’a pas du tout amusé son fils.
Entre deux sanglots, il s’est écrié: «Mais j’aime cette planète!» Jean-Pierre
était tellement embêté qu’il s’est retenu d’évoquer les menaces susceptibles
de provoquer bien plus tôt la mort de notre planète.
Dans les années 1990, Jean-Pierre avait pour passe-temps de collecter les
prédictions sur l’évolution des événements mondiaux et d’évaluer ses
propres prévisions à l’aune de celles-ci. Puis il a commencé à participer à
des concours de prévisions – des compétitions internationales organisées
par Good Judgment, dans lesquelles les participants tentent de prédire
l’avenir. La tâche est intimidante; un vieux proverbe dit que les historiens
ne peuvent même pas prédire le passé. Ce type de concours attire des
milliers de candidats venus du monde entier, auxquels il est demandé
d’anticiper les grands événements politiques, économiques et
technologiques. Les questions portent sur des résultats précis et mesurables,
dans un temps défini. L’actuel président de l’Iran sera-t-il encore en
fonction dans six mois? Quelle équipe va gagner la prochaine Coupe du
monde de football? Dans l’année à venir, verra-t-on un individu ou une
entreprise poursuivie devant la justice criminelle pour un accident
impliquant un véhicule autonome? Les participants ne se contentent pas de
répondre par oui ou par non; ils doivent donner des probabilités. C’est une
manière de tester systématiquement s’ils savent ce qu’ils ne savent pas. Ils
sont notés des mois plus tard sur la justesse et la calibration de leurs
prévisions: ils gagnent des points non seulement quand ils ont donné la
bonne réponse, mais aussi quand leur degré de certitude était correct. Les
meilleurs prévisionnistes ont confiance dans leurs prédictions qui s’avèrent
justes et doutent de leurs prévisions qui se révèlent fausses.
La question clé, ici, est de savoir à quel point il est nécessaire de réviser ses
opinions. Si le niveau idéal varie toujours d’une personne et d’une situation
à l’autre, les moyennes statistiques livrent un indice: quelques années après
s’être engagés dans la compétition, les concurrents moyens avaient
actualisé leurs prédictions environ deux fois pour chaque question. Les
super-prévisionnistes avaient actualisé les leurs plus de quatre fois pour
chaque question.
Voyez comme cela est tout à fait gérable. Parvenir à un meilleur jugement
ne nécessite pas des centaines, ni même des dizaines de mises à jour.
Consacrer ne serait-ce qu’un peu plus d’efforts à reconsidérer son point de
vue peut faire la différence. Néanmoins, on remarquera aussi combien un
tel renouvellement de sa pensée est inhabituel. Combien, parmi nous, se
souviennent seulement de la dernière fois où ils ont admis avoir tort et
révisé leur jugement en conséquence? Comme l’observe la journaliste
Kathryn Schulz: «Si quelques données nous suffisent pour tirer des
conclusions, la même quantité de données se révèle rarement suffisante
pour nous amener à revenir sur ces conclusions.»
Dans Seinfeld, George Constanza a cette fameuse réplique: «Ce n’est pas un
mensonge si vous y croyez.» Je me permettrai d’ajouter que ce n’est pas
parce que vous y croyez que cela devient la vérité. Éviter de croire toutes
les pensées qui vous viennent à l’esprit est signe de sagesse. Éviter
d’intégrer tous les sentiments qui se manifestent dans votre cœur est une
marque d’intelligence émotionnelle.
Kjirste Morrell est également une des meilleures prévisionnistes au monde.
Elle est indubitablement brillante – elle est titulaire d’un doctorat en
ingénierie mécanique du MIT –, mais son parcours universitaire et
professionnel ne la préparait pas vraiment à prévoir les événements
mondiaux. Elle avait auparavant travaillé sur la mécanique de la hanche
chez l’être humain, œuvré à la conception de meilleures chaussures et à la
fabrication de fauteuils roulants robotisés. Quand je lui ai demandé ce qui
lui permettait d’exceller dans la prévision, elle a répondu: «Je n’ai aucun
intérêt à avoir tort plus longtemps. Il vaut mieux pour moi que je change
d’opinion plus tôt, et j’aime bien ce sentiment de découverte, cette surprise:
j’aurais cru que tout le monde y prenait plaisir.»
Cela ne veut pas dire qu’on appréciera toutes les étapes sur ce chemin. Un
des plus grands échecs de Kjirste fut sa prévision pour l’élection
présidentielle américaine de 2016, quand elle misa sur la victoire de Hillary
Clinton face à Donald Trump. Comme elle n’était pas partisane de Trump,
la perspective de se tromper était pour elle douloureuse: la question touchait
au cœur de son identité. Elle savait qu’une présidence Trump était possible,
elle ne voulait pas croire à sa probabilité, aussi ne put-elle se résoudre à la
prédire.
Détacher ses opinions de son identité fut plus ardu. Jean-Pierre ne voulait
pas d’une victoire de Trump et il aurait pu aisément tomber dans le piège du
biais de désirabilité. Il surmonta cet obstacle en se focalisant sur un autre
objectif. «Je n’étais pas tellement attaché à ma prévision initiale», explique-
t-il, du fait «du désir de gagner, du désir d’être le meilleur prévisionniste».
Il conservait une préférence pour un certain résultat dans cette élection,
mais il y avait pour lui un enjeu plus important: ne pas commettre d’erreur.
Dans la hiérarchie de ses valeurs, la vérité prévaut sur le clan: «Si les
données suggèrent fortement que mon clan a tort sur une question, qu’il en
soit ainsi. Je considère toutes mes opinions comme provisoires. Quand les
faits changent, je révise mes opinions.»
Lorsque nous sommes peu sûrs de nous, nous nous moquons des autres.
Quand avoir tort ne nous pose pas problème, nous n’avons pas peur de nous
moquer de nous-mêmes. Cela nous rappelle que même si nous avons pris
nos décisions avec sérieux, nous ne devons pas nous prendre trop au
sérieux. Les recherches indiquent que plus nous nous tournons en dérision,
plus nous tendons à être heureux11. Au lieu de nous flageller pour nos
erreurs, nous pouvons transformer certaines de nos anciennes idées fausses
en sources actuelles d’amusement.
Les bonnes pratiques des prévisionnistes lors des compétitions valent pour
la vie quotidienne. Au moment de vous forger une opinion, demandez-vous
ce qu’il devrait se produire pour que cette opinion soit invalidée. Ensuite,
conservez une trace de vos différents jugements: vous verrez ainsi en
quelles occasions vous avez eu raison et en quelles autres occasions vous
vous êtes trompé, et comment votre réflexion a évolué. «Au début, je
voulais juste faire la preuve de mes capacités, dit Jean-Pierre. Désormais, je
cherche à m’améliorer – je veux savoir à quel point je peux être bon.»
C’est une chose d’admettre en notre for intérieur que nous nous sommes
trompés. C’en est une autre de l’avouer à autrui. Même si nous réussissons
à déboulonner notre dictateur intérieur, le risque demeure de nous
ridiculiser. Nous craignons parfois que la mise en lumière de nos erreurs ne
détruise notre réputation. Comment ceux qui acceptent d’avoir tort
composent-ils avec cela?
Andrew monta sur scène et, devant des centaines de collègues, admit son
erreur. Lorsque sa confession s’acheva, la salle lui offrit une «standing
ovation». Un astrophysicien dit avoir assisté «à la chose la plus honorable
qu’il lui ait été donné de voir».
Andrew Lyne n’est pas un cas isolé. Les psychologues ont mis en évidence
le fait qu’admettre nous être trompés ne nous fait pas paraître moins
compétents. Cela démontre notre honnêteté et notre volonté d’apprendre.
Bien que les scientifiques croient généralement qu’admettre qu’il a été
impossible de répliquer leurs études nuirait à leur réputation, le contraire est
avéré: ils seront jugés plus favorablement s’ils prennent acte des nouvelles
données, plutôt que de les ignorer. Après tout, cela n’importe guère de
savoir «qui a cassé un objet, s’il vous incombe de le réparer», comme le dit
l’acteur Will Smith. «Assumer ses responsabilités, c’est recouvrer son
pouvoir.»
Chronologie de l’apprentissage
Lorsque nous découvrons que nous pourrions avoir tort, notre mode de
défense habituel consiste à affirmer que nous avons le droit d’avoir nos
propres opinions. J’aimerais apporter une correction: oui, nous avons le
droit d’avoir nos propres opinions, pourvu que nous les gardions pour nous.
Dès lors que nous choisissons de les exprimer, je pense qu’il est de notre
responsabilité de les étayer par des faits et un raisonnement logique, de
partager celui-ci avec les autres, et de changer d’opinion quand des données
plus solides se font jour.
J’en veux pour preuve l’étudiant appelé Lawful. Il eut le sentiment que cette
expérience l’avait profondément atteint. «Lors du débat, notre adversaire
nous a adressé toutes sortes d’insultes, se rappelait-il quarante ans plus tard.
C’était extrêmement déplaisant.»
L’extrait que j’ai cité plus haut est tiré du manifeste de Kaczynski. Si vous
lisez le document entier, vous ne serez probablement pas perturbé par son
contenu ou sa structure. Ce qui est troublant, c’est le degré de conviction de
son auteur. Kaczynski n’envisage guère de possibles points de vue
alternatifs, ni même qu’il puisse avoir tort. Il suffit d’en lire le début: «La
Révolution industrielle et ses conséquences se sont révélées catastrophiques
pour l’espèce humaine. […] Elles ont déstabilisé la société, ont vidé la vie
de son sens. […] Le développement continuel de la technologie ne fera
qu’empirer la situation. Les êtres humains seront certainement soumis à de
plus grandes ignominies, de plus graves dommages seront infligés au
monde naturel. […] Si le système survit, les conséquences seront
inévitables: il n’existe aucun moyen de réformer ou de modifier le
système.»
9. J’étudiais les facteurs expliquant pourquoi certains auteurs et éditeurs étaient plus performants
que d’autres, au sein de la maison d’édition publiant des guides de voyage où je travaillais alors.
Leur performance n’était pas corrélée aux sentiments qu’ils pouvaient éprouver en matière
d’autonomie, de contrôle, de confiance, de défi, de lien, de collaboration, de conflits, de soutien,
d’estime de soi, de feedback, de clarté des rôles, ou de plaisir à travailler. Ceux qui réussissaient
le mieux étaient ceux qui s’étaient lancés dans le métier avec la conviction que leur travail aurait
un effet positif sur autrui. Cela me conduisit à prédire que les généreux devaient mieux réussir
que les égoïstes, parce qu’ils tiraient de l’énergie de la conviction que leur action influençait
positivement la vie d’autrui. J’ai entrepris de tester et étayer cette hypothèse à la faveur de
plusieurs études, jusqu’à ce que je prenne connaissance d’autres études indiquant que la
générosité prédisait une productivité plus faible et un taux de burn-out plus élevé. Au lieu de
m’efforcer de démontrer que ces résultats étaient erronés, j’ai pris conscience que je m’étais
trompé: ma compréhension était insuffisante. J’ai alors exploré les conditions dans lesquelles les
généreux réussissent et celles dans lesquelles ils échouent, et cela est devenu le sujet de mon
premier livre, Donnant, donnant.
10. Il est possible de changer même ses croyances les plus profondément ancrées tout en conservant
intactes ses valeurs. Des psychologues ont récemment comparé des personnes qui s’étaient
éloignées de la religion avec celles qui étaient toujours religieuses et celles qui ne l’avaient
jamais été. Que ce soit à Hong-Kong, aux Pays-Bas, en Nouvelle-Zélande ou aux États-Unis, ils
ont mis en évidence un effet religieux résiduel: ceux qui s’étaient désidentifiés de la religion
étaient tout aussi susceptibles de continuer leurs activités bénévoles que ceux qui n’avaient
jamais été religieux, et donnaient plus d’argent aux organismes caritatifs que ces derniers.
11. Si vous choisissez de vous moquer de vous-même à haute voix, sachez que les réactions des
autres varieront selon votre genre. Lorsque les hommes plaisantent à leurs propres dépens, ils
sont vus comme des leaders plus compétents; mais, quand les femmes font de même, elles sont
jugées moins compétentes. Il semble que beaucoup aient raté la note de synthèse stipulant que,
lorsqu’une femme rit d’elle-même, cela ne reflète pas une quelconque inaptitude. C’est une
marque d’humilité confiante et d’esprit.
CHAPITRE 4
Étant les plus jeunes garçons au sein d’une grande famille, les fils de
l’évêque ne faisaient rien l’un sans l’autre. Ils lancèrent un journal et
construisirent ensemble leur propre presse à imprimer. Ils ouvrirent un
magasin de bicyclettes, puis entreprirent de fabriquer ensemble leurs
propres bicyclettes. Et après des années d’efforts pour résoudre un
problème apparemment insoluble, ils inventèrent ensemble le premier
aéroplane réellement capable de voler.
Wilbur et Orville Wright avaient attrapé le virus du vol quand leur père
avait apporté à la maison un hélicoptère miniature. Lorsque le jouet fut
cassé, ils en construisirent un eux-mêmes. Tandis qu’ils passaient des jeux
communs au travail en collaboration, cherchant à repenser la question du
vol humain, il n’y eut jamais entre eux aucune trace de rivalité fraternelle.
Wilbur disait même qu’ils «pensaient ensemble». Même si ce fut Wilbur qui
initia le projet, les deux frères partagèrent la gloire de l’avoir mené à bien.
Quand vint le moment de décider qui piloterait, lors du vol historique, à
Kitty Hawk, ils tirèrent à pile ou face.
Karen «Etty» Jehn compte parmi les plus grands experts mondiaux en
matière de conflit; elle étudie et enseigne la psychologie des organisations
en Australie. Lorsque vous lisez le mot «conflit», vous visualisez
probablement ce qu’Etty nomme un conflit relationnel: une confrontation
entre des personnes, chargée d’émotion, qui ne se résume pas à une friction
mais est remplie d’animosité. Je hais tes tripes puantes. Je vais le dire
simplement pour être bien sûr que tu comprennes, espèce de bouffon à face
de phacochère. Tu es du genre à repêcher les pommes dans les toilettes… et
à aimer ça.
Les équipes ayant réalisé la plus piètre performance avaient d’abord connu
plus de conflits relationnels que de conflits opérationnels. Les querelles
personnelles avaient démarré très tôt et les membres de ces équipes étaient
si occupés à se détester mutuellement qu’ils n’étaient pas à l’aise pour se
mettre au défi les uns les autres. Beaucoup de ces équipes avaient mis des
mois pour faire de réels progrès en matière de relations, et lorsque, enfin,
elles purent débattre des décisions essentielles, il était souvent trop tard
pour qu’elles reconsidèrent leurs orientations.
Qu’en était-il des groupes très performants? Comme vous pouvez vous y
attendre, ils connurent peu de conflits relationnels au démarrage et tout au
long de leur collaboration. Cela ne les empêcha pas de connaître des
conflits opérationnels d’entrée de jeu: ils n’hésitaient pas à laisser émerger
des optiques concurrentes. En résolvant certaines de leurs différences
d’opinions, leurs membres parvenaient cependant à s’entendre sur une
direction et poursuivaient leur travail, jusqu’à ce que de nouveaux motifs de
débats apparaissent.
Savoir se disputer sainement ne nous rend pas seulement plus polis; cela
développe également nos muscles créatifs. Une étude devenue classique a
montré que les architectes très créatifs étaient plus susceptibles que leurs
pairs techniquement compétents, mais moins originaux, d’être issus de
familles où les frictions étaient monnaie courante. Ils avaient souvent grandi
dans des foyers où «il y avait des tensions, mais de la sécurité affective». Le
psychologue Robert Albert constate: «Le futur créatif vient d’une famille
qui est tout sauf harmonieuse, où “ça tangue”.» Il n’y avait pas d’abus
verbaux ni de maltraitance physique de la part des parents, mais ils
n’évitaient pas non plus le conflit. Plutôt que d’exiger de leurs enfants
qu’ils ne se cachent pas mais se taisent, ils les encourageaient à s’exprimer.
Les gamins apprenaient ainsi à vocaliser leurs désaccords – et à accepter
ceux des autres. C’est exactement ce qu’il s’est passé pour Wilbur et Orville
Wright.
Quand les frères Wright disaient penser ensemble, ce qu’ils voulaient dire,
en réalité, c’est qu’ils se disputaient. La confrontation était une tradition
familiale. Leur père avait beau être évêque, sa bibliothèque abritait des
livres écrits par des athées et il encourageait ses enfants à les lire et à en
débattre. Ceux-ci développèrent ainsi le courage de se battre pour leurs
idées, et la capacité à sortir perdant d’un différend, sans perdre leur
détermination. Lorsqu’ils cherchaient à résoudre un problème, leurs
disputes ne duraient pas seulement quelques heures, mais des semaines,
voire des mois. Leurs constantes prises de bec ne devaient rien à la colère.
Ils se querellaient sans cesse parce qu’ils y prenaient plaisir et en tiraient
des leçons. «J’aime me bagarrer avec Orv», observait Wilbur. Comme nous
le verrons, c’est leur dispute la plus passionnée et la plus longue qui les
conduisit à mettre en question un présupposé essentiel, qui avait jusqu’alors
empêché les êtres humains de s’élever dans les cieux.
Mon premier réflexe est d’éviter les conflits les plus triviaux. Lorsque je
prends un Uber dans lequel l’air conditionné est réglé au maximum, je me
retiens de demander au chauffeur de le baisser: je reste là à frissonner en
silence, jusqu’à claquer des dents. Il m’est arrivé, alors qu’on m’avait
marché sur le pied, de m’excuser d’avoir laissé celui-ci sur le chemin de la
personne.
Lorsqu’ils évaluent mes cours, l’un des reproches que les étudiants
m’adressent le plus souvent est que je me montre «trop complaisant à
l’égard des commentaires stupides».
Brad n’entendait pas renoncer. Il se tourna vers les asociaux de Pixar: des
gens désagréables, mécontents, jamais satisfaits. Pour certains, c’étaient des
moutons noirs; pour d’autres, des pirates. Quand Brad les rassembla, il les
avertit que personne ne les croyait capables de donner jour à son projet.
Quatre ans plus tard, son équipe n’avait pas seulement sorti le film le plus
complexe qu’ait produit Pixar; elle avait réussi à en réduire le coût de
production par minute. Les Indestructibles allaient rapporter un revenu brut
de 631 millions de dollars à l’échelle mondiale, et gagner l’Oscar du
meilleur film d’animation.
Remarquez ce que n’a pas fait Brad. Il n’a pas constitué une équipe de gens
agréables. Ces derniers forment un formidable réseau de soutien: ils sont
ravis de nous encourager et de déclencher des applaudissements. Pour
renouveler notre pensée, nous avons besoin d’un type différent de réseau:
un réseau qui nous mette au défi, un groupe de gens dont nous pouvons être
certains qu’ils pointeront nos points faibles et nous aideront à surmonter nos
faiblesses. Le rôle d’un tel réseau est de déclencher des cycles de
renouvellement de la pensée, de nous inciter à rester humbles vis-à-vis de
notre expertise, à douter de ce que nous savons et à manifester de la
curiosité pour de nouvelles perspectives.
Les membres idéaux d’un réseau de mise au défi sont désagréables, parce
qu’ils n’ont pas peur de remettre en cause la manière dont on a toujours fait
les choses, ni de nous obliger à les reconsidérer. Il est avéré que les
personnes désagréables disent plus fréquemment ce qu’elles pensent – en
particulier, quand les leaders ne sont pas réceptifs – et provoquent
davantage de conflits opérationnels. Ils sont pareils au Dr House de la série,
ou à la patronne du film Le Diable s’habille en Prada. Ils nous donnent des
feedbacks critiques que nous préférerions peut-être ne pas entendre, mais
qui sont nécessaires.
Utiliser à bon escient les individus désagréables n’est pas toujours facile.
Certaines conditions doivent être réunies. Des études conduites au sein
d’entreprises pétrolières et technologiques indiquent que l’insatisfaction ne
favorise la créativité que lorsque les personnes se sentent impliquées et
soutenues – et que les inadaptés sociaux sont plus susceptibles d’avoir une
valeur ajoutée quand ils ont noué des liens forts avec leurs collègues13.
Avant l’arrivée de Brad, on encourageait déjà chez Pixar les gens talentueux
à repousser les limites. Mais les précédents films du studio mettaient en
scène des jouets, des insectes et des monstres, relativement simples à
animer. Construire tout un film autour de superhéros très humains était alors
au-delà des possibilités de l’animation numérique; c’est pourquoi les
équipes techniques accueillirent l’idée des Indestructibles avec réticence. Il
monta alors son propre réseau de mise au défi. Il enrôla une bande de
pirates pour favoriser les conflits opérationnels et repenser le processus de
création.
Nous apprenons plus de ceux qui bousculent notre processus de pensée que
de ceux qui valident nos conclusions. Les leaders forts dialoguent avec
leurs critiques et en sortent renforcés. Les leaders faibles les font taire et,
ainsi, s’affaiblissent. Une telle réaction n’est pas réservée aux gens de
pouvoir. Même si nous sommes d’accord avec ce principe, en pratique,
nous négligeons souvent la valeur du réseau de mise au défi.
Une expérience a montré que les personnes que leur partenaire au travail
critiquait plutôt que de les complimenter demandaient quatre fois plus
souvent à en changer. Dans divers milieux professionnels, lorsque les
employés recevaient des feedbacks un peu abrupts de leurs collègues, leur
réaction habituelle était d’éviter ces derniers ou de les écarter complètement
de leur réseau – et leurs performances en souffraient au cours de l’année
suivante.
Quand j’écris un livre, j’aime recruter mon propre réseau de mise au défi. Je
me tourne vers mes critiques les plus attentifs et les invite à réduire en
pièces les chapitres les uns après les autres. J’ai appris combien il est
important de prendre en considération leurs valeurs, en plus de leurs
personnalités: je cherche des gens désagréables, de type généreux, et non
égoïste. Les généreux désagréables émettent souvent les meilleures
critiques: ils ont pour intention d’améliorer le travail qu’ils critiquent, et
non de renforcer leur ego. Ils ne critiquent pas par sentiment d’insécurité;
ils mettent au défi parce que cela leur tient à cœur. Ils font preuve d’un
amour sans concession14.
Ernest Hemingway a dit un jour: «Le don le plus essentiel chez un bon
écrivain, c’est de disposer d’un détecteur intégré de m**** à toute
épreuve.» Mon réseau de mise au défi est mon détecteur de m****. Je
l’envisage comme un bon club de combat. Voici la première règle qu’on y
respecte: éviter une dispute, c’est avoir de mauvaises manières; rester
silencieux revient à ne pas respecter la valeur de votre point de vue, ni notre
capacité à tous d’aborder courtoisement les différends.
Ces disputes ont permis à Brad de gagner deux Oscars – et cela l’a aidé à
apprendre et à renforcer son leadership. Pour ce qui est de John, il n’a pas
refusé tout net d’animer un bébé gélifié. Il a seulement dit à Brad qu’il
devrait patienter. Et de fait, dans la suite des Indestructibles, sortie quatorze
ans plus tard, on peut voir le bébé se battre avec un raton laveur et se
transformer en gelée. Je n’ai jamais entendu mes enfants rire autant!
Après avoir observé de près ces interactions, j’en suis arrivé à comprendre
ce que j’avais longtemps perçu comme une contradiction chez moi: à savoir
comment je pouvais être tout à la fois une personnalité très agréable et
apprécier un bon débat. L’agréabilité a trait à la recherche d’harmonie
sociale, et non d’un consensus cognitif. Il est possible d’être en désaccord
sans être désagréable. Bien que je sois terrifié à l’idée de blesser les autres,
questionner leurs opinions ne me fait pas peur. En fait, quand je me dispute
avec quelqu’un, ce n’est pas une marque d’irrespect – c’est, au contraire, un
signe de respect. Cela signifie que j’accorde suffisamment de valeur à son
point de vue pour le contester. Si ses opinions ne m’importaient pas, je ne
m’en soucierai pas. Je sais que j’ai des atomes crochus avec quelqu’un
quand j’apprécie de lui prouver qu’il a tort et inversement.
Si les frères Wright ont eu toute une vie pour découvrir leurs points
sensibles, cela ne veut pas dire qu’ils gardaient toujours leur calme. Le
dernier grand défi qu’ils eurent à relever avant le décollage était le plus
compliqué: la conception de l’hélice. Ils savaient que leur aéroplane ne
s’envolerait pas sans une hélice, mais il n’en existait aucune qui convienne.
Ils essayèrent diverses approches, se disputant pendant des heures, et
élevant souvent la voix. La querelle dura des mois, chacun prêchant à son
tour les mérites de ses propres solutions et attaquant les propositions de
l’autre. Leur plus jeune sœur, Katharine, menaça de quitter la maison s’ils
n’arrêtaient pas de se bagarrer. Ils n’en continuèrent pas moins, jusqu’à
cette soirée où leurs cris atteignirent un paroxysme: ce fut leur pire dispute.
Les frères Wright étaient passés maîtres dans l’art de vivre des conflits
opérationnels intenses sans que cela dégénère en conflit relationnel. Quand
ils élevaient la voix, cela dénotait l’intensité plutôt que l’hostilité. Comme
s’en émerveillait leur mécanicien: «Je ne pense pas qu’ils se fâchaient
vraiment, mais assurément, ils s’échauffaient beaucoup.»
Les expériences montrent que parler d’une dispute comme d’un débat plutôt
que comme d’un désaccord indique que vous êtes disposé à prendre en
considération les opinions divergentes et à changer d’avis, ce qui, en retour,
motive l’autre à partager davantage d’informations avec vous. Le désaccord
est perçu comme potentiellement hostile et vécu comme un conflit entre des
personnes; on s’attend en revanche à ce qu’un débat porte sur des idées, et
ne soit pas d’ordre affectif. Aborder un différend en demandant à l’autre:
«Pouvons-nous en débattre?» envoie le message que vous voulez penser en
scientifique et non en prédicateur ou en procureur – et cela encourage votre
interlocuteur à adopter également ce mode de pensée.
Les frères Wright avaient l’avantage d’avoir grandi dans une famille où les
désaccords étaient considérés comme productifs et appréciables. Toutefois,
lorsqu’ils se disputaient avec des personnes extérieures, ils devaient souvent
oublier leurs habitudes et modifier leur attitude. «Une dispute honnête
consiste tout simplement à s’enlever mutuellement les poutres que chacun a
dans l’œil, afin que tous puissent voir clairement», écrivit un jour Wilbur à
un collègue dont l’ego avait été blessé par un vif échange sur des questions
d’aéronautique. Wilbur soulignait que cela n’avait rien de personnel; pour
lui, les disputes étaient des occasions d’éprouver et de raffiner sa pensée:
«Je constate que vous en revenez à cette vieille habitude de renoncer avant
même d’avoir perdu la dispute. Je me sens assez assuré de mes positions,
mais j’anticipais le plaisir d’une bonne bagarre avant de parvenir à une
conclusion définitive. La discussion révèle de nouvelles façons de voir les
choses.»
Des sociologues ont demandé aux gens pourquoi ils étaient partisans de
telle politique en matière d’imposition, de santé ou de sanctions nucléaires.
Les personnes ainsi interrogées réaffirmaient leurs convictions. Quand on
leur demandait d’expliquer comment cette politique fonctionnerait en
pratique – ou comment ils l’expliqueraient à un spécialiste –, cela
déclenchait un cycle de renouvellement de la pensée. Les personnes
remarquaient alors qu’elles avaient certaines lacunes, mettaient en doute les
conclusions qu’elles avaient tirées et avaient des vues plus modérées; elles
se montraient plus curieuses des alternatives.
Les psychologues ont établi que nous sommes, pour beaucoup, sujets à une
illusion de profondeur explicative. Prenez des objets de la vie quotidienne
comme un vélo, un piano ou des écouteurs: à quel point comprenez-vous
comment ils fonctionnent? La plupart des gens ont tendance à avoir une
confiance excessive dans leur savoir: ils croient en savoir bien plus sur le
fonctionnement de ces objets qu’ils n’en savent en réalité. Nous pouvons
les aider à voir les limites de leur compréhension en les interrogeant sur les
différents mécanismes. Comment fonctionnent les vitesses sur un vélo?
Comment une touche de piano produit-elle de la musique? Comment les
écouteurs transmettent-ils le son de votre téléphone à vos oreilles? Les gens
sont surpris de constater combien ils peinent à répondre à ces questions et
prennent rapidement conscience du peu qu’ils savent. C’est ce qui est arrivé
aux frères Wright après leur pire dispute.
Une fois passés en mode scientifique, ils se concentrèrent moins sur les
raisons pour lesquelles les différentes solutions pourraient fonctionner ou
échouer, et se préoccupèrent plus de savoir comment elles pourraient
marcher. En définitive, ils identifièrent les problèmes inhérents à leurs deux
approches et comprirent qu’ils avaient tous deux tort. «Nous avons élaboré
notre propre théorie sur le sujet et n’avons pas tardé à découvrir que toutes
les hélices fabriquées jusqu’alors étaient inadaptées», a relaté Orville. Leur
nouveau modèle, s’exclamait-il, semblait «très bien (du moins, jusqu’à ce
qu’[ils aient] l’occasion de le tester à Kitty Hawk et [qu’ils changent
éventuellement] d’avis).»
Même après avoir trouvé une meilleure solution, les frères Wright restaient
donc ouverts à la possibilité de réviser leur jugement. À Kitty Hawk, ils
constatèrent qu’ils avaient bien trouvé la bonne solution. Ils en étaient
arrivés à penser que leur aéroplane n’avait pas besoin d’une hélice: il lui en
fallait deux, tournant en sens contraire, afin de reproduire la rotation d’une
aile.
12. L’analyse de plus de 40 millions de tweets a montré que les Américains sont plus susceptibles
que les Canadiens d’utiliser des mots comme «m****», «p*t*», «enf****» et «détester», quand
les Canadiens préfèrent des mots plus agréables comme «merci», «formidable», «bon» et
«certainement».
13. Lorsqu’il s’agit de bâtir une équipe, il y a des dimensions pour lesquelles les individus adaptés
jouent un rôle important et d’autres pour lesquelles les inadaptés apportent une valeur ajoutée.
Les études suggèrent qu’il est bon de réunir des personnes ayant des traits de personnalité et des
parcours différents, mais qui se reconnaissent dans les mêmes principes. La diversité de
personnalités et d’expériences est source d’idées neuves et de compétences complémentaires;
elle est nécessaire au renouvellement de la pensée comme des manières de faire. Le partage de
valeurs favorise l’implication et la collaboration.
14. L’accueil que nous réservons aux critiques dépend tout autant de notre relation avec le messager
que du message. Lors d’une expérience, les gens étaient à 40% plus réceptifs aux critiques après
qu’on leur avait dit: «Je fais ces commentaires parce que j’ai de grandes attentes et je sais que tu
peux y répondre.» Il est étonnamment facile d’entendre une vérité difficile de la part de
quelqu’un qui croit en votre potentiel et se soucie de votre réussite.
CHAPITRE 5
Debra Jo Prectet est un prodige originaire de Haïfa, en Israël. Elle n’a que
huit ans, et si sa première apparition dans un débat en public date seulement
de l’été précédent, elle se prépare depuis des années à ce moment. Debra a
absorbé d’innombrables articles afin d’accumuler des connaissances; elle a
étudié l’art oratoire pour s’exprimer avec le plus de clarté possible, et s’est
entraînée à glisser de l’humour dans ses interventions. Elle est maintenant
prête à défier le champion. Ses parents espèrent qu’elle entrera dans
l’histoire.
Harish reconnaît la validité des données présentées par Debra, puis défend
sa thèse selon laquelle subventionner les écoles maternelles n’est pas le
remède approprié contre les ravages de la pauvreté. Il suggère d’évaluer la
question à partir de deux critères: d’une part, la scolarisation en maternelle
est-elle aujourd’hui insuffisante et les écoles maternelles sont-elles trop peu
nombreuses; d’autre part, la scolarisation précoce aide-t-elle les moins
fortunés? Il défend que, dans un monde d’arbitrages nécessaires,
subventionner ces écoles n’est pas le meilleur usage qu’on puisse faire de
l’argent des contribuables.
Quand commence le débat, 92% des spectateurs ont déjà un avis sur le
sujet. Je suis l’un d’entre eux: il ne m’a pas fallu beaucoup de temps pour
déterminer quelle était mon opinion concernant de telles subventions. Aux
États-Unis, l’école publique est gratuite du jardin d’enfants au lycée. Je
connais bien les données établissant que permettre aux enfants d’accéder à
l’éducation dès leur plus jeune âge compte plus, pour les aider à échapper à
la pauvreté, que tout ce qu’ils apprendront ensuite. Je suis convaincu que le
droit à l’éducation est un droit fondamental, tout comme l’accès à l’eau
potable, à l’alimentation, au logement et aux soins. Cela me range dans
l’équipe de Debra. Tandis que j’assiste au débat, ses premiers arguments
trouvent un écho en moi. Voici les principaux:
Harish a un talon d’Achille, m’a confié mon ancien étudiant: ses brillants
arguments ne sont pas toujours fondés sur des faits.
Debra a manifestement fait ses devoirs. Elle n’a pas seulement cloué le bec
à Harish avec des données, elle a également anticipé son contre-argument.
Oui! C’est bien plus qu’une question économique ou politique. C’est une
question morale.
Harish: Je voudrais d’abord souligner ce sur quoi
[nous] nous accordons. Nous sommes d’accord pour
dire que la pauvreté est une chose terrible. C’est terrible
que des individus n’aient pas l’eau potable. C’est
terrible… qu’ils se débattent pour nourrir leur famille.
C’est terrible qu’ils ne puissent pas recevoir les soins
dont ils ont besoin… Tout cela est terrible, et nous
devons nous occuper de toutes ces choses, mais aucune
d’entre elles ne sera réglée seulement en subventionnant
les écoles maternelles. Pourquoi?
Oh, oh. Harish a raison: le risque existe que les enfants des familles les plus
pauvres se retrouvent dans les pires écoles maternelles. Je commence à
réviser ma position.
Harish: Même si vous subventionnez les écoles
maternelles, cela ne signifie pas que tous les individus
les fréquenteront. […] La question est: qui aidez-vous?
Et ceux que vous n’aidez pas, ce sont les individus les
plus pauvres. Vous donnez ainsi un avantage injuste et
exagéré aux individus de la classe moyenne.
Point gagné. Tant que les écoles maternelles ne seront pas entièrement
gratuites, les moins privilégiés ne pourront toujours pas y aller. Je suis
maintenant très partagé.
Vous avez lu les arguments des deux parties. Avant que je vous dise qui l’a
emporté, examinez votre position: quelle était votre opinion sur les
subventions aux écoles maternelles avant le débat, et combien de fois
l’avez-vous révisée?
Si vous êtes comme moi, vous avez reconsidéré votre point de vue à de
multiples reprises. Changer d’avis ne fait pas de vous une girouette ou un
hypocrite. Cela indique que vous êtes ouvert à l’apprentissage.
A posteriori, cela me déçoit que j’aie pu me forger une opinion avant même
que le débat ait commencé. Bien sûr, j’avais lu des études sur le
développement des enfants, mais je ne savais rien de l’économie des
subventions et des possibilités alternatives d’investissement de ces fonds
publics. Note personnelle: lors de ton prochain périple au sommet du mont
Stupide, n’oublie pas de prendre un selfie.
La science de l’accord
Il y a quelques années, une de mes anciennes étudiantes, Jamie, m’a appelé
afin que je la conseille sur le choix d’une école de commerce. Comme elle
était déjà bien engagée sur la voie d’une carrière réussie, je lui ai dit que ce
serait une perte de temps et d’argent. Je lui ai fait prendre conscience que
rien ne prouvait qu’obtenir un diplôme de troisième cycle aurait une grande
incidence sur son avenir, et qu’elle risquait de se retrouver surdiplômée,
mais sans une expérience suffisante. Comme elle insistait sur le fait que son
employeur liait les promotions à l’obtention d’un MBA, je lui ai répondu
que je connaissais des exceptions à cette règle et lui ai fait remarquer que,
de toute façon, elle n’allait probablement pas faire toute sa carrière dans
cette entreprise. Elle a fini par s’exclamer: «Vous êtes un monstre de
logique!»
Un quoi?
Quand j’étais jeune, mon maître de karaté m’a appris à ne jamais démarrer
un combat sans m’être préparé à être le dernier debout à la fin. C’est de
cette façon que j’ai ensuite abordé les débats, au travail et entre amis: je
croyais que la clé de la victoire résidait dans le fait de s’armer d’une
logique imparable et de données rigoureuses. Plus j’attaquais fort, plus mes
adversaires contre-attaquaient vigoureusement. J’avais pour seul objectif de
les convaincre d’accepter ma vision des choses et de reconsidérer la leur,
mais j’en arrivais à me comporter en prédicateur et en procureur. Bien que
ces états d’esprit m’aient parfois motivé à persévérer pour faire valoir mon
point de vue, cela m’a souvent aliéné mes interlocuteurs. Je ne gagnais pas.
Pendant des siècles, le débat a été considéré comme une forme d’art.
Aujourd’hui, la science nous indique comment bien le mener. Lors d’un
débat formel, le but consiste à faire changer d’avis le public. Lors d’un
débat informel, il s’agit de faire changer d’avis votre interlocuteur. C’est
une sorte de négociation, dans laquelle vous essayez de parvenir à un
accord sur la vérité. Pour améliorer mes connaissances et mon savoir-faire
en matière de débat, j’ai étudié la psychologie des négociations, avant
d’utiliser ce que j’avais appris pour enseigner ces compétences à des
dirigeants, dans le monde des affaires et les milieux gouvernementaux. J’en
suis ressorti convaincu que ce que mon instinct me dictait et ce que j’avais
appris au karaté n’était pas juste.
Un bon débat n’a rien à voir avec une guerre. Ce n’est même pas du tir à la
corde, où vous parviendrez à attirer l’adversaire de votre côté en tirant
suffisamment fort. Il s’agit plus d’une danse sans chorégraphie, négociée
avec un partenaire qui a en tête des pas différents. Si vous essayez à tout
prix de conduire la danse, votre partenaire résistera. Si vous pouvez vous
adapter à ses mouvements, et l’amener à faire de même, vous avez plus de
chances de parvenir à danser en rythme.
Lors d’une étude devenue classique, une équipe de chercheurs dirigée par
Neil Rackham a examiné ce que les experts en négociation faisaient
différemment. Ils ont recruté un groupe de négociateurs moyens et un autre
de négociateurs talentueux, qui avaient enregistré une série significative de
succès et étaient jugés efficaces par leurs homologues. Afin de comparer les
techniques des participants à l’étude, les chercheurs ont enregistré les
négociations des deux groupes, portant sur la validation d’un travail
effectué et d’un contrat.
Dans une guerre, le but est de gagner du terrain, de sorte que nous avons
souvent peur de perdre quelques batailles. Dans une négociation, exprimer
son accord avec l’argument d’un autre se révèle désarmant. Les experts
reconnaissaient qu’ils ne pouvaient pas rester immobiles et attendre que
l’autre fasse tous les pas de danse. Pour s’harmoniser, ils devaient faire un
pas en arrière de temps à autre.
Une différence est apparue avant même que quiconque prenne place à la
table des négociations. Avant que celles-ci ne commencent, les chercheurs
ont interrogé les deux groupes concernant leurs plans. Les négociateurs
moyens arrivaient armés à la bataille, sans prendre vraiment en compte les
possibles sujets de désaccord. Les experts, en revanche, avaient envisagé
une série de pas qu’ils pouvaient faire en direction de la partie adverse; plus
d’un tiers de leurs commentaires livrés aux chercheurs était consacré au fait
de trouver un terrain commun.
Plus on met d’éléments sur la table, plus il est facile pour les interlocuteurs
de balayer le moins pertinent. Dès lors qu’ils en ont rejeté un, ils peuvent
aisément rejeter notre raisonnement dans son ensemble. Cela se produisait
régulièrement avec les négociateurs moyens: ils menaient bataille avec trop
d’armes différentes. Ils cédaient du terrain non pas en raison de la force de
leur argument le plus convaincant, mais de la faiblesse de leur argument le
moins convaincant.
La quatrième différence entre les deux groupes résidait dans les questions
posées. Des cinq commentaires formulés par les experts, au moins un
s’achevait par un point d’interrogation. Ils apparaissaient moins affirmatifs,
mais tout comme dans une danse, ils conduisaient en laissant leurs
partenaires faire un pas en avant.
Harish a commencé par mettre en avant les positions communes avec son
adversaire. Lorsqu’il a pris la parole pour réfuter l’argumentation de Debra,
il a d’abord souligné leurs points d’accord. «Donc, a-t-il constaté d’emblée,
je crois que nos désaccords sont bien moins grands qu’il ne le paraît.» Il a
souligné que tous deux étaient en phase sur le problème de la pauvreté – et
sur la validité de certaines études mentionnées –, avant de réfuter la thèse
selon laquelle les subventions seraient une solution.
Nous n’aurons guère de chance de faire changer les autres d’avis, si nous
refusons nous-même d’en changer. Nous pouvons faire preuve d’ouverture
en reconnaissant les points d’accord avec nos critiques, et même en prenant
acte de ce qu’ils nous ont appris. Ensuite, quand nous leur demandons
quelles opinions ils sont prêts à réviser, nous ne sommes en rien hypocrites.
Ce n’est pas parce que Debra n’a que huit ans. C’est parce qu’elle n’est pas
humaine. J’ai inventé l’anagramme Debra Jo Prectet. Son nom officiel est
Project Debater, et c’est une machine. Plus spécifiquement, une intelligence
artificielle développée par IBM pour le débat, comme Watson l’avait été
pour les échecs.
Bien sûr, il est possible que Harish l’ait emporté parce que l’assistance avait
un préjugé contre l’ordinateur et en faveur de l’être humain. Il vaut la peine
de souligner, cependant, que Harish a utilisé la même approche pour ce
débat que celle qui lui a permis de défaire d’innombrables autres êtres
humains lors de compétitions internationales. Ce qui me stupéfie, c’est que
l’ordinateur est parvenu à maîtriser des compétences multiples et complexes
tout en passant à côté d’une aptitude cruciale.
Après avoir étudié dix milliards de phrases, cet ordinateur est à même de
dire quelque chose de drôle – une faculté habituellement considérée comme
l’apanage des êtres sensibles, doués d’un haut degré d’intelligence
émotionnelle et sociale. L’ordinateur a également appris à bâtir une
argumentation logique et même à anticiper les contre-arguments de l’autre
partie. Pourtant, il n’a pas appris à manifester son accord avec certains
éléments de l’argumentation adverse, parce que, apparemment, un tel
comportement ne transparaît que trop rarement dans les 400 millions
d’articles écrits par des êtres humains. Ces derniers sont trop occupés à
défendre leurs arguments, attaquer leurs ennemis ou gagner la faveur du
public en bons politiciens, pour reconnaître un argument valide chez la
partie adverse.
L’ordinateur a cité une étude après l’autre, à l’appui d’une longue liste de
raisons justifiant les subventions aux écoles maternelles. Pareil à un
négociateur habile, Harish s’est concentré sur deux arguments seulement en
défaveur de ces subventions. Il savait qu’en avancer de trop nombreux
l’empêcherait de développer les plus pertinents, de les expliciter et de les
étayer. «Si on avance trop d’arguments, chacun d’entre eux perd en
puissance, et l’ensemble est dilué, m’a-t-il expliqué. On les explique moins
bien et je ne suis pas certain qu’un seul d’entre eux puisse avoir un poids: je
ne crois pas que l’auditoire les juge assez important. La plupart des
meilleurs débatteurs ne mentionnent pas énormément d’informations.»
Parfois, prêcher et attaquer peut nous rendre plus persuasifs. Les recherches
suggèrent que l’efficacité de ces approches repose sur trois facteurs:
combien de gens se soucient de la question; à quel point ils sont réceptifs à
nos arguments; et dans quelle mesure ce sont, en général, des fortes têtes. Si
les individus ne se sentent pas concernés par le sujet ou s’ils sont réceptifs à
notre point de vue, avancer davantage de raisons le justifiant peut aider: les
gens tendent à confondre quantité et qualité. Mais plus le sujet leur importe,
plus la qualité des arguments compte. Et c’est lorsque le public est
sceptique, que le sujet présente un enjeu pour lui et qu’il est du genre
entêté, qu’accumuler les justifications de notre thèse est le plus susceptible
d’être contre-productif. Si les gens résistent à l’idée de reconsidérer les
choses, présenter davantage d’arguments ne fera que leur donner plus de
munitions pour nous abattre.
Les deux messages se sont révélés aussi efficaces l’un que l’autre: dans les
deux cas, 6,5% des diplômés pingres ont fait un don. Puis, nous les avons
combinés, parce que deux bonnes raisons valent mieux qu’une.
Sauf que cela n’a pas été le cas. Le pourcentage de dons effectués est tombé
au-dessous de 3%. Une seule des deux raisons avancées était deux fois plus
efficace que les deux conjuguées.
Une de mes étudiantes, Rachel Breuhaus, avait remarqué que, même si les
meilleures équipes universitaires de basket ont des fans enragés, il reste en
général des sièges vides dans les gradins. Afin d’étudier diverses stratégies
pour motiver plus de fans à venir soutenir leur équipe, nous avons lancé une
expérience la semaine précédant un match, ciblant des centaines d’abonnés
pour la saison. Dans le groupe témoin, 77% des partisans identifiés comme
acharnés se sont rendus d’eux-mêmes au match. Pour ce qui est du
deuxième groupe, nous avions déterminé que le message le plus
convaincant serait celui adressé par l’équipe elle-même et avons donc
envoyé à ce groupe un courriel dans lequel les joueurs et les entraîneurs
disaient combien l’énergie d’une salle remplie de partisans enthousiastes
contribuait à donner un avantage à l’équipe jouant à domicile. Cela n’a eu
aucun effet: 76% des sujets de ce groupe ont assisté au match.
Ce qui a pesé dans la balance a été un courriel adoptant une tout autre
approche. Nous y posions aux partisans d’un troisième groupe une seule
question: prévoyez-vous d’assister au match? Le taux de présence a grimpé
à 85%. Cette question leur laissait la liberté de trouver leurs propres raisons
d’assister au match.
Les psychologues ont constaté depuis longtemps que vous êtes la personne
la plus susceptible de vous convaincre de changer d’avis. Vous sélectionnez
les arguments que vous jugez les plus convaincants, et cela vous amène à
vous les approprier.
C’est sur ce terrain que Harish a porté le coup décisif. À chacune de ses
interventions, il proposait à l’auditoire de nouvelles questions à examiner.
L’ordinateur s’exprimait sur le mode déclaratif; il n’a posé qu’une seule
question, dans sa déclaration préliminaire – et celle-ci était destinée à
Harish, plutôt qu’au public. Dans sa seule déclaration préliminaire, Harish a
soumis six questions à la réflexion de l’auditoire. Au cours de la première
minute, il a affirmé que les seuls bienfaits de la scolarisation en maternelle
ne justifiaient pas que ces écoles soient subventionnées par l’État, puis il a
demandé: «Et pourquoi donc?» Il a également demandé si le nombre
d’écoles maternelles était insuffisant, si celles-ci aidaient les plus
désavantagés – et pourquoi ce n’était pas le cas, pourquoi elles étaient si
coûteuses et qui elles aidaient réellement.
Cela dit, ces pas de danse ne suffisent pas toujours. Peu importe que nous le
demandions gentiment, les autres ne veulent pas toujours danser. Parfois, ils
sont tellement attachés à leurs croyances que le simple fait de leur suggérer
de s’accorder leur apparaît comme un piège. Que faire dans ce cas?
Dr Jekyll et M. Hostile
Il y a quelques années, une entreprise de Wall Street m’a sollicité comme
consultant sur un projet visant à attirer et à garder dans ses rangs des
analystes et des associés juniors. Après deux mois d’étude, j’ai présenté un
rapport comportant vingt-six recommandations étayées par des données. Au
beau milieu de mon exposé devant l’équipe de direction, un de ses membres
m’a interrompu pour demander: «Pourquoi ne pas les payer plus, tout
simplement?»
Le cadre a fait machine arrière, insistant sur le fait que son entreprise était
différente, et j’ai donc débité des statistiques concernant ses employés.
Dans les questionnaires et lors des entretiens, absolument aucun n’avait
mentionné la rémunération. Ils étaient déjà très bien payés (comprenez,
surpayés) et si cela avait pu résoudre le problème, celui-ci l’aurait déjà
été16. Le cadre ne changeait toujours pas d’avis. Cela m’a tellement
exaspéré que j’ai fait quelque chose qui ne me ressemble pas. J’ai riposté:
«Je n’ai jamais vu des gens aussi intelligents se comporter de façon aussi
stupide.»
Quand j’ai demandé à un des cadres de Wall Street comment, à son avis, je
pourrais à l’avenir aborder les débats différemment, il m’a suggéré de
moins chercher à convaincre. J’aurais pu, par exemple, répondre que je
n’étais pas certain de savoir laquelle de mes vingt-six recommandations
était la plus adaptée. J’aurais pu également concéder que si l’argent ne
réglait en général pas le problème, personne n’avait à ma connaissance
mesuré l’effet d’une prime de fidélisation d’un million de dollars. Ce serait
une expérience amusante, n’est-ce pas?
Il y a quelques années, j’ai défendu dans mon livre Osez sortir du rang!
l’argument selon lequel, contre la pensée de groupe, il pouvait être utile
d’affirmer «avec force des opinions faibles». Depuis j’ai changé d’avis: je
pense maintenant que c’est une erreur. Si nous ne tenons que faiblement à
une opinion, l’exprimer avec force peut être contre-productif. En revanche,
communiquer son opinion en manifestant des signes d’incertitude indique
une humilité confiante17, invite à la curiosité et amène une discussion plus
nuancée. Les études montrent que dans les tribunaux, les experts et les jurés
sont plus crédibles et convaincants lorsqu’ils font preuve d’une confiance
modérée, plutôt que d’une confiance élevée ou faible. Et ce principe ne se
limite pas aux débats: il s’applique à toutes sortes de situations où nous
sommes amenés à défendre nos croyances ou à nous défendre nous-mêmes.
En 2014, une jeune femme nommée Michele Hansen est tombée sur une
offre d’emploi pour un poste de chef de produit dans une société
d’investissement. Le poste l’enthousiasmait, mais elle n’était pas qualifiée
pour celui-ci: elle n’avait aucune formation dans le domaine de la finance et
n’avait pas non plus le nombre d’années d’expérience demandé. Si vous
étiez à sa place et que vous décidiez de tenter le coup, que diriez-vous dans
votre lettre de motivation?
Un entretien honnête
Le point de départ naturel consisterait à mettre en avant vos points forts et à
minimiser vos points faibles. Comme le dit avec humour Michael Scott
dans la série The Office: «Je travaille trop, je prends les choses trop à cœur
et il m’arrive de trop m’investir dans mon travail.» Michele Hansen a fait le
contraire, en s’inspirant de George Constanza, dans Seinfeld: «Mon nom est
George. Je suis au chômage et je vis chez mes parents.» Plutôt que de
chercher à dissimuler ses lacunes, Michele a commencé par celles-ci: «Je ne
suis probablement pas la candidate que vous imaginez, écrit-elle d’emblée.
Je n’ai pas dix ans d’expérience comme cheffe de produit, et je ne suis pas
non plus une planificatrice financière qualifiée.» Après avoir mentionné ces
inconvénients, elle met en avant quelques raisons de l’engager néanmoins:
J’ai, en revanche, des compétences qui ne s’enseignent
pas. J’assume la responsabilité des projets bien au-delà
de ce que justifierait ma rémunération et de ce qui
m’incombe officiellement. Je n’attends pas qu’on me
dise quoi faire, je m’emploie à identifier de moi-même
ce qu’il y a à faire. Je m’investis entièrement dans mes
projets et cela se voit dans tout ce que j’entreprends,
que ce soit au travail ou durant mon temps libre, le soir.
J’ai l’esprit d’entreprise, je termine ce que je commence
et je sais que je serai un excellent bras droit pour le
cofondateur dirigeant ce projet. J’adore les pages
blanches et les terres inconnues (et tous mes
employeurs précédents pourront témoigner de ces
qualités).
Une semaine plus tard, un recruteur l’a contactée pour une visioconférence,
à la suite de quoi elle en a eu une autre avec l’équipe. Chaque fois, elle s’est
enquise de ce qui avait récemment surpris ses interlocuteurs, dans leur
travail. La question elle-même a étonné l’équipe; Michele et ses
interlocuteurs en sont arrivés à discuter de ces occasions où ils étaient
certains d’avoir raison, avant de découvrir ensuite qu’ils s’étaient trompés.
Michele a obtenu le poste, a donné toute satisfaction et a ensuite été chargée
du développement du produit. Cette réussite n’est pas unique: les données
indiquent que les gens préfèrent recruter des candidats capables de
reconnaître leurs légitimes points faibles, plutôt que ceux qui se vantent ou
se montrent faussement humbles.
En posant des questions plutôt qu’en pensant à la place des autres, nous les
invitons à se joindre à nous, en tant que partenaires, et à penser par eux-
mêmes. Si nous abordons une dispute comme si c’était une guerre, il y aura
des gagnants et des perdants. Si nous la voyons davantage comme une
danse, nous pouvons concevoir une chorégraphie qui nous fasse progresser.
En prenant en considération les arguments les mieux étayés de
l’argumentation de notre adversaire et en nous limitant à nos meilleurs pas,
nous aurons plus de chances de trouver le bon rythme.
15. Référence au mannequin de paille (straw man) figurant l’ennemi que l’on utilisait autrefois pour
s’entraîner au combat. Vaincre ce mannequin était plus aisé que battre l’ennemi en armure (steel
man). [NdT]
16. La rémunération n’est pas une carotte à agiter pour motiver les gens: elle représente la valeur que
nous leur accordons. Les managers peuvent motiver les individus en définissant des postes riches
de sens, qui leur procurent un sentiment de liberté, de maîtrise et d’appartenance, et leur
permettent d’avoir de l’influence. Ils témoignent de leur appréciation en les payant bien.
17. Une méta-analyse des tentatives de persuasion a établi que les messages présentant le pour et le
contre étaient plus convaincants, à condition que la personne réfute l’argument de la partie
adverse. Lorsqu’elle se contentait de présenter le pour et le contre sans prendre parti, elle était
moins convaincante que si elle défendait seulement sa thèse.
CHAPITRE 6
Après le spectacle, un vieil homme blanc se dirigea vers Daryl et lui dit
qu’il avait été étonné de voir un musicien noir jouer comme Jerry Lee
Lewis. Daryl répondit qu’en fait, il était ami avec Lewis, lequel avait, pour
sa part, reconnu que son style était influencé par celui de musiciens noirs.
Bien que l’homme fût sceptique, il invita Daryl à prendre un verre.
Au fil du temps, leur amitié grandit et l’homme finit par quitter le KKK. Ce
fut également un tournant dans la vie de Daryl. Peu de temps après, il
rencontrait les Sorciers impériaux et les Grands Dragons – les «officiers»
les plus gradés du Klan –, et leur posait sa question. Depuis, Daryl a
convaincu de nombreux suprémacistes blancs de quitter le Klan et de
renoncer à leur haine.
Jeux de haine
«Les Yankees sont nuls! Les Yankees sont nuls!» Un soir d’été à Fenway
Park, j’assistais pour la première et la dernière fois à un match de baseball
des Red Sox de Boston. Au septième tour de batte, 37 000 personnes se
mirent soudain à chanter. Le stade tout entier dénigrait à l’unisson les
Yankees de New York.
Je savais que les deux équipes avaient à leur compteur un siècle de rivalité,
considérée comme la plus féroce dans l’univers du sport professionnel
américain. Il allait de soi que les partisans de Boston se dressent contre les
Yankees. Je ne m’y attendais néanmoins pas ce jour-là, car les Yankees ne
jouaient pas.
Les Red Sox affrontaient les Athletics d’Oakland. Les partisans de Boston
huaient une équipe qui, à ce moment-là, était à des centaines de kilomètres
de là. C’était comme si les adeptes de Burger King disputaient une
compétition gustative contre ceux de Wendy’s et se mettaient à chanter:
«MacDonald’s, c’est nul!»
J’ai récemment appelé un ami, partisan acharné des Red Sox, pour lui poser
cette question simple: que faudrait-il pour qu’il soutienne les Yankees? Sans
même prendre le temps de réfléchir, il a répondu: «Qu’ils jouent contre Al-
Qaïda… peut-être.»
C’est une chose d’aimer son équipe. C’en est une autre de haïr tellement
vos rivaux que vous pourriez envisager de soutenir des terroristes contre
eux. Si vous méprisez une équipe de sport donnée – et ses partisans –, vous
avez de fortes opinions sur un groupe humain. Ces croyances sont des
stéréotypes et elles se muent souvent en préjugés. Plus ces sentiments sont
forts, moins il est probable que vous les remettiez en cause.
Pourquoi les gens forment-ils des stéréotypes sur les groupes rivaux et quels
sont les moyens de les amener à les reconsidérer?
Dedans et dehors
Au fil des décennies, les psychologues ont observé que les gens éprouvent
de l’animosité envers d’autres groupes même lorsque ce qui les sépare
paraît trivial. Prenez cette question apparemment anodine: un hot dog est-il
un sandwich? Lorsqu’on l’a soumise à des étudiants, la plupart étaient assez
attachés à leur réponse pour accepter de donner un dollar à tous ceux qui
étaient d’accord avec eux, si cela garantissait que ceux qui n’étaient pas
d’accord recevraient moins d’argent.
Tous les êtres humains, quelle que soit la société dans laquelle ils vivent,
sont mus par la quête d’appartenance et de statut. En s’identifiant à un
groupe, nous cochons les deux cases en même temps: nous devenons
membres d’une tribu et nous tirons fierté de la victoire de celle-ci. Des
études devenues classiques, menées sur des campus universitaires, ont
montré qu’après la victoire de leur équipe de football américain, les
étudiants étaient plus susceptibles de porter les attributs vestimentaires de
leur université. De l’université d’État de l’Arizona à celle de Californie, en
passant par Notre-Dame, le dimanche, les étudiants, auréolés de la gloire
des victoires du samedi, portaient chemises, vestes et couvre-chefs aux
couleurs de leur équipe. Si celle-ci perdait, ils laissaient au vestiaire leur
uniforme et prenaient leurs distances, disant «ils ont perdu», plutôt que
«nous avons perdu». Des économistes et des experts de la finance ont
également constaté que les cours de la Bourse nationale montent quand
l’équipe de foot du pays concerné remporte un match de la Coupe du
monde et baissent quand cette dernière perd19.
J’ai décidé de tester ce qu’il faudrait pour que ces derniers reconsidèrent
leurs croyances sur leurs rivaux de toujours. En partenariat avec un
doctorant, Tim Kundro, j’ai mené une série d’expériences impliquant des
partisans passionnés des Yankees et des Red Sox. Pour nous faire une idée
de leurs stéréotypes, nous avons demandé à plus d’un millier d’entre eux de
citer trois aspects négatifs chez leurs rivaux. Ils ont, pour la plupart, utilisé
les mêmes mots pour se décrire les uns les autres, se moquant de leurs
accents respectifs, de leurs barbes et de leur tendance à «sentir la vieille
chips de maïs».
Une fois que nous avons formé certains stéréotypes, il est difficile de les
déconstruire pour des raisons à la fois mentales et sociales. Le psychologue
George Kelly observe que nos croyances font office de lunettes. Nous nous
en servons pour donner du sens au monde et nous orienter. Lorsque nos
opinions sont menacées, nos lunettes se fissurent et nous voyons flou. Il est
donc naturel que nous soyons alors sur nos gardes – et Kelly a remarqué
que nous nous montrons particulièrement hostiles quand nous cherchons à
défendre des opinions que nous savons, tout au fond de nous, erronées.
Plutôt que d’essayer une autre paire de lunettes, nous nous contorsionnons
mentalement, nous tortillant et nous retournant jusqu’à retrouver un angle
de vision sous lequel nous pouvons continuer à voir la réalité de la même
façon.
Il est une autre raison, socialement, pour laquelle nos stéréotypes résistent si
bien. Nous avons tendance à interagir avec des personnes qui les partagent,
ce qui les rend plus extrêmes. Des centaines d’expériences ont fait la
démonstration de ce phénomène, appelé polarisation de groupe. Les jurés
ayant des convictions autoritaires recommandent des punitions plus dures
après avoir délibéré ensemble. Les membres des conseils d’administration
sont plus susceptibles d’accepter de payer des prix extravagants pour le
rachat d’une entreprise après en avoir discuté. Les citoyens qui ont, au
départ, une conception claire de la discrimination positive et du mariage
gay, en arrivent à avoir des positions plus extrêmes sur ces questions après
en avoir parlé avec un petit nombre de personnes partageant leurs
convictions. D’abord prédicateurs et procureurs, ils se font ensuite
politiciens. La polarisation est renforcée par le conformisme: les individus à
la périphérie du groupe s’adaptent et gagnent en statut en suivant la
direction donnée par le membre le plus prototypique du groupe qui, le plus
souvent, défend la position la plus radicale.
Quand vous grandissez dans une famille de partisans des Red Sox, vous
êtes voué à entendre des choses déplaisantes sur les partisans des Yankees.
Si vous vous mettez à fréquenter régulièrement un stade rempli de gens qui
partagent votre détestation, il ne vous faudra pas longtemps pour que votre
mépris s’intensifie et se fige. Dès lors, vous êtes poussé à voir le meilleur
dans votre équipe et le pire chez l’adversaire. Les données indiquent que
lorsque des équipes tentent d’apaiser les rivalités en rappelant à leurs
partisans qu’il ne s’agit que d’un jeu, cela produit l’effet inverse. Ils ont le
sentiment de voir leur identité dévaluée et deviennent en réalité plus
agressifs. La première idée qui m’est venue pour rompre ce schéma a
littéralement surgi de l’espace.
Cette réaction est connue sous le nom d’overview effect [«effet de vision
surplombante»]. Jeff Ashby, qui fut commandant de la navette spatiale, me
l’a décrit de la façon la plus évocatrice. Il m’a raconté comment la toute
première fois qu’il a regardé la Terre depuis l’espace l’a changé à jamais:
Lorsque vous avez une vue surplombante de la Terre depuis l’espace, vous
comprenez que vous partagez une identité commune avec tous les êtres
humains. J’ai voulu recréer une version de l’overview effect pour des
partisans de baseball.
Des données montrent que la notion d’identité commune peut jeter des
ponts entre rivaux. À l’occasion d’une expérience, des psychologues ont
distribué aléatoirement deux sujets de rédaction différents à des
sympathisants du club de football Manchester United. Puis, ils ont mis en
scène une situation d’urgence dans laquelle un coureur, qui passait par là,
glissait et chutait, puis hurlait de douleur en se tenant la cheville. Il portait
le tee-shirt du grand rival de Manchester United. Parmi les partisans qui
venaient d’expliquer par écrit pourquoi ils adoraient leur équipe, seuls 30%
lui ont apporté de l’aide. Parmi ceux qui avaient écrit sur ce qu’ils avaient
en commun avec d’autres partisans de foot, ils ont été 70%.
Quand Tim et moi avons essayé d’amener les partisans des Red Sox et des
Yankees à réfléchir à leur identité commune de partisans de baseball, cela
n’a pas fonctionné. En définitive, ils n’ont pas développé une vision plus
positive les uns des autres, ni ne sont devenus plus disposés à se venir en
aide en cas d’urgence. L’identité partagée ne joue pas en toutes
circonstances. Lorsqu’un rival vient tout juste d’avoir un accident, penser à
ce qu’on a en commun avec lui peut nous motiver à le secourir. S’il n’est
pas en danger ou dans un grand besoin, il n’est que trop facile de l’ignorer
en le traitant de crétin – ou en jugeant que nous ne sommes pas
responsables de ce qui lui arrive. «Nous adorons tous le baseball,
commentait ainsi un partisan des Red Sox. Seulement, les partisans des
Yankees aiment la mauvaise équipe.» Un autre constatait que leur amour
commun du baseball n’avait aucune influence sur ses opinions: «Les
Yankees sont nuls et leurs partisans sont agaçants.»
Hypothèse 2:
avoir de la compassion pour nos ennemis
Je me suis ensuite tourné vers la psychologie de la paix. Il y a des années,
Herb Kelman, un pionnier de la psychologie sociale et un survivant de la
Shoah, entreprit de remettre en question certains des stéréotypes à l’œuvre
dans le conflit entre Israël et la Palestine, en apprenant aux deux parties à se
comprendre mutuellement et à faire preuve d’empathie à l’égard de l’autre.
Il conçut des ateliers interactifs de résolution de problèmes, au sein
desquels d’influents leaders israéliens et palestiniens pouvaient parler, loin
des micros, des voies susceptibles de mener à la paix. Pendant des années,
ils se réunirent pour partager leurs expériences et leurs points de vue,
aborder leurs besoins et leurs peurs respectifs, et explorer des solutions
inédites au conflit. Au fil du temps, ces ateliers ne bousculèrent pas
seulement les stéréotypes, certains participants en vinrent à nouer des
amitiés durables.
Humaniser l’autre camp devrait être plus facile dans le domaine sportif,
dans la mesure où les enjeux sont moins élevés et le terrain plus égal. J’ai
commencé par une autre rivalité sportive: celle opposant l’équipe de basket-
ball de l’Université Duke et l’équipe de l’Université de Caroline du Nord
(UNC). J’ai demandé à Shane Battier, qui, en 2001, avait mené Duke
jusqu’au titre de champion de la NCAA, le championnat universitaire, ce
qu’il faudrait pour qu’il soutienne l’UNC. Il a immédiatement répondu:
«Qu’ils jouent contre les Talibans.» Je n’imaginais pas qu’écraser les
Talibans lors d’un match de leur sport favori était le fantasme de tant de
gens. Je me suis demandé si rendre plus humain un étudiant de Duke
changerait les stéréotypes qu’avaient les étudiants de l’UNC sur le groupe
rival.
Lors d’une expérience menée avec mes collègues Alison Fragale et Karren
Knowlton, nous avons demandé à des étudiants de l’UNC d’aider un pair à
améliorer son dossier de candidature à un emploi. Lorsque nous
mentionnions que ce dernier venait de Duke plutôt que de l’UNC, s’il était
confronté à une situation financière significativement difficile, les
participants consacraient plus de temps à l’aider. Dès lors qu’ils éprouvaient
de l’empathie pour lui, ils le voyaient comme un individu singulier,
méritant assistance, et l’appréciaient davantage. Pourtant, quand nous avons
évalué leur vision globale des étudiants de Duke, ces étudiants de l’UNC
étaient toujours aussi enclins à les voir comme des rivaux, à dire qu’ils
recevaient comme des compliments les critiques adressées à Duke, et
prenaient comme des insultes personnelles les louanges destinées à Duke.
Nous étions parvenus à modifier leur attitude à l’égard d’un étudiant, mais
avions échoué à changer leurs stéréotypes sur le groupe.
Il s’est produit quelque chose de similaire lorsque Tim et moi avons essayé
d’humaniser un sympathisant des Yankees. Nous avons demandé à des
partisans des Red Sox de lire une histoire écrite par un mordu de baseball, à
qui son grand-père avait appris à jouer dans son enfance, et qui se souvenait
avec émotion des moments où il s’entraînait à attraper la balle avec sa mère.
Il mentionnait, à la toute fin de l’histoire, qu’il était un farouche défenseur
des Yankees. «Je pense que cette personne est très sincère et qu’elle est un
cas rare parmi les partisans des Yankees», a commenté un sympathisant des
Red Sox. «Ce type a tout compris et n’a rien du partisan des Yankees
typique», a observé un deuxième. «Ouais, j’ai vraiment apprécié ce texte
jusqu’à ce que j’en arrive au moment où il dit qu’il est un partisan des
Yankees, s’est plaint un troisième. Je pense quand même que j’ai plus en
commun avec cette personne-là qu’avec le type habituel du partisan des
Yankees. Cette personne est OK.»
Dans un monde idéal, en savoir plus sur les individus composant un groupe
humaniserait celui-ci, mais le plus souvent, mieux connaître une personne
ne fait que la rendre distincte du reste du groupe. Quand nous rencontrons
des membres d’un groupe qui remettent en cause un stéréotype, notre
instinct premier n’est pas de les considérer comme exemplaires et de
reconsidérer la vision que nous avons du groupe auquel ils appartiennent.
Nous les voyons plutôt comme des exceptions et nous accrochons à nos
croyances établies. Cette nouvelle tentative avait donc également échoué.
Retour au tableau.
Hypothèse 3: des bêtes d’habitudes
Ma pub favorite entre toutes commence par un gros plan sur un homme et
une femme qui s’embrassent. Puis, la caméra s’éloigne et on voit qu’il porte
un chandail aux couleurs des Buckeyes de l’Ohio et qu’elle est vêtue d’un
tee-shirt aux couleurs des Wolverines du Michigan. Le slogan apparaît à
l’écran: «Sans le sport, cette scène ne serait pas répugnante.»
Je pense qu’il s’agit d’un rituel. Un rituel amusant mais arbitraire: une
cérémonie que l’on célèbre par habitude. Nous l’avons intégrée lorsque
nous étions jeunes et influençables, ou tout juste arrivés dans une ville et en
quête d’appartenance. Bien sûr, il y a des moments où la loyauté envers
l’équipe compte dans notre vie: elle nous permet de nous faire des potes
dans les bars et d’étreindre des étrangers lors des victoires. Elle insuffle un
sentiment de solidarité. Si vous y réfléchissez, pourtant, haïr l’équipe
adverse relève du hasard de la naissance. Si vous étiez né à New York, et
non à Boston, détesteriez-vous vraiment les Yankees?
Pour notre troisième tentative, Tim et moi avons recruté de nouveau des
partisans des Red Sox et des Yankees. Cette fois, pour prouver leur
allégeance, ils devaient nommer correctement un des joueurs de leur équipe
figurant sur une photo, et dire en quelle année celle-ci avait remporté la
Série finale pour la dernière fois. Puis, nous avons procédé en plusieurs
étapes pour leur ouvrir l’esprit. D’abord, afin de les aider à prendre
conscience de la complexité de leurs croyances, nous leur avons demandé
de citer trois choses positives et trois choses négatives à propos des
partisans de l’équipe adverse. Vous avez vu plus haut les qualificatifs
négatifs les plus courants, mais ils ont également été capables d’en
mentionner des positifs…
Pour mesurer leur animosité envers leurs adversaires, nous leur avons
ensuite donné la possibilité de décider à quel point la sauce piquante
proposée dans le stade de l’équipe rivale devait être épicée. Nous leur avons
raconté que des chercheurs en marketing prévoyaient d’effectuer des
dégustations de sauce piquante dans les stades de baseball. Ceux à qui il
avait été demandé de réfléchir au caractère arbitraire de leurs stéréotypes
ont sélectionné une sauce moins forte pour la dégustation dans le stade de
l’équipe rivale. Nous leur avons aussi donné l’occasion de saboter les
performances d’un rival lors d’un test de mathématiques rémunéré, en lui
soumettant des problèmes plus difficiles. Ceux qui avaient examiné
combien leurs stéréotypes étaient arbitraires ont choisi des questions plus
faciles pour leur rival.
Vous avez déjà appris des champions de débat et des experts en négociation
que poser des questions aux gens peut les motiver à revoir leurs
conclusions. Ce qui distingue les questions contrefactuelles, c’est qu’elles
invitent les personnes à explorer les origines de leurs croyances – et à
réexaminer leur position à l’égard d’autres groupes.
Les gens gagnent en humilité quand ils comprennent que naître dans des
circonstances différentes les aurait peut-être conduits à endosser d’autres
croyances. Ils peuvent en conclure que certaines de leurs convictions sont
trop simplistes et commencer à remettre en question des visions négatives.
Le doute qui s’insinue en eux pourrait les amener à être plus curieux par
rapport aux groupes stéréotypés et ils pourraient finir par se découvrir
d’inattendus points communs avec eux.
Bien qu’elle ait d’abord résisté à mes arguments, après avoir considéré le
fait qu’elle aurait pu entretenir des stéréotypes différents si elle avait vécu
en Chine, mon interlocutrice a identifié un schéma familier. Elle a reconnu
que tout un groupe d’individus était maltraité en fonction de la position du
Soleil et de la Lune le jour de leur venue au monde.
Réalisant à quel point cette discrimination fondée sur les signes du zodiaque
était injuste, elle en est arrivée à me fournir d’autres arguments. Alors que
notre conversation s’achevait, je lui ai proposé de poursuivre la discussion
sur la science de la personnalité dans le cadre de l’entreprise. Plus d’un
quart du personnel s’est inscrit à ma conférence virtuelle. Un participant a
ensuite écrit qu’il «avait surtout retenu l’importance de “désapprendre”
pour éviter d’être un ignare». Ayant perçu combien leurs stéréotypes étaient
arbitraires, les gens étaient désormais plus ouverts à l’idée de reconsidérer
leurs positions.
Les psychologues mettent en évidence que nombre de nos croyances
culturelles sont des truismes: elles sont largement partagées, mais rarement
questionnées. Quand nous les examinons de plus près, nous découvrons
souvent qu’elles reposent sur des fondations branlantes. Les stéréotypes
n’ont pas l’intégrité structurelle d’un navire construit avec soin. Ils
ressemblent davantage à la tour du jeu Jenga, vacillant sur des bases dont
ont été retirées des pièces essentielles. Une pichenette suffit parfois à la
renverser. On peut espérer qu’une fois leurs stéréotypes mis à bas, les
personnes saisissent l’occasion d’établir de nouvelles croyances sur des
fondations plus solides.
Si vous incitez les gens à faire une pause pour réfléchir, il se pourrait qu’ils
décident que l’idée même d’appliquer des stéréotypes de groupe à des
individus est absurde. La science montre qu’il y a bien plus de similitudes
entre les différents groupes humains que nous n’en identifions. Et la
diversité est en général plus grande au sein d’un même groupe qu’entre les
groupes.
Daryl a décidé de battre le Cyclope à son propre jeu. Il l’a mis au défi de
nommer trois tueurs en série noirs. Son interlocuteur en a été incapable.
Daryl a alors dressé une longue liste de célèbres tueurs en série blancs et dit
au Cyclope qu’il devait donc en être un. Le Cyclope a protesté qu’il n’avait
jamais tué personne. Daryl lui a alors renvoyé son argument, selon lequel
son gène de tueur en série devait être latent.
18. Je connais au moins un partisan de Steffi Graf qui a fêté l’attaque au couteau contre Monica
Seles, sur un court de tennis, en 1993. Lors de la finale de la NBA en 2019, lorsque le basketteur
Kevin Durant est resté cloué au sol à la suite d’une blessure, des partisans des Raptors de
Toronto ont applaudi, prouvant que même les Canadiens sont capables de cruauté. Un
commentateur sportif à la radio a justifié leur comportement en constatant: «Il n’est pas un seul
partisan, dans le monde du sport professionnel, qui ne se réjouisse pas lorsqu’un joueur essentiel
est blessé, ce qui en théorie rend la victoire de son équipe plus facile.» Avec tout le respect que je
vous dois, si, dans la vraie vie, vous vous souciez plus de la victoire de votre équipe que de la
santé d’un être humain, il se pourrait bien que vous soyez un sociopathe.
19. L’impact des défaites au football sur les cours boursiers continue de faire l’objet de débats: si de
nombreuses études ont démontré l’existence d’un effet, d’autres ne l’ont pas constaté. Mon
intuition est que cet effet est plus susceptible de se produire dans les pays où ce sport est très
populaire, lorsque la victoire de l’équipe nationale était attendue, que l’enjeu du match était
important et que la défaite s’est jouée à presque rien. Indépendamment du fait que les résultats
sportifs influencent ou non les marchés, nous savons qu’ils affectent l’humeur. Une étude portant
sur des officiers des armées européennes a établi que lorsque leur équipe de foot préférée perdait
le dimanche, ils étaient moins impliqués dans leur travail le lundi – et leur performance pouvait
en souffrir.
20. Cela ne veut pas dire que les stéréotypes n’ont jamais de fondement réel. Des psychologues ont
mis en évidence que de nombreux stéréotypes correspondent aux caractéristiques moyennes d’un
groupe donné, comparé à un autre. Ils ne permettent pas pour autant de comprendre les individus
composant le groupe. Il y a des milliers d’années, lorsque les interactions entre groupes étaient
rares, les croyances concernant les tendances d’autres tribus ont peut-être aidé nos ancêtres à
protéger leur propre tribu. Aujourd’hui, alors que les interactions entre groupes sont devenues
très fréquentes, les présupposés concernant un groupe n’ont plus la même utilité: il est bien plus
utile d’en apprendre davantage sur les individus. Les mêmes psychologues ont montré que nos
stéréotypes sur un groupe sont d’autant plus erronés que nous sommes en conflit avec ce dernier
– ils sont également significativement plus éloignés de la réalité quand ils ont trait à une
idéologie très différente de la nôtre. Lorsqu’un stéréotype se transforme en préjugé, c’est un
signe qu’il est temps de reconsidérer les choses.
21. Des psychologues ont, de fait, étudié le sujet récemment, et établi que les dénominations
arbitraires des signes du zodiaque peuvent engendrer des stéréotypes et des discriminations. Le
mot «vierge» réveille les préjugés contre les «vieilles filles», vues comme critiques, tatillonnes,
chicaneuses et obsédées par la propreté.
CHAPITRE 7
Quand le petit Tobie fut enfin autorisé à rentrer chez lui après cinq mois
d’hospitalisation, il était encore très vulnérable. Les infirmières, qui
savaient que c’était leur dernière chance de le faire vacciner, firent appel à
un conseiller en vaccination. Ce médecin de la région prônait une approche
radicale pour inciter les jeunes parents à repenser leur réticence à
l’immunisation. Pas de morale, pas de jugement, rien de politique dans son
discours, mais il mettait sa casquette de scientifique et interrogeait les
parents.
L’entretien motivationnel
Au début des années 1980, Bill Miller, psychologue clinicien, était troublé
par l’attitude de ses confrères vis-à-vis des personnes souffrant de
dépendances. Thérapeutes et conseillers accusaient souvent leurs patients
toxicomanes d’être des menteurs pathologiques dans le déni; mais Miller
voyait bien qu’avec ses patients alcooliques, la morale et le jugement
avaient un effet boomerang. «En général, ceux qui boivent trop le savent,
me confia-t-il. Si vous tentez de les convaincre qu’en effet ils boivent trop
ou qu’ils doivent changer, vous déclenchez une résistance et ils changeront
encore moins.»
Imaginons que vous êtes élève à Poudlard; vous êtes inquiet car votre oncle
idolâtre Voldemort. Voici ce que pourrait donner un entretien motivationnel:
Marie-Hélène ne s’arrêta pas là: elle a fait vacciner ses aînés à la maison
par une infirmière et demanda même à Arnaud s’il accepterait de parler
vaccination avec sa belle-sœur. Au sein de sa communauté «antivax», sa
décision était si singulière qu’elle avait l’impression d’avoir «lâché une
bombe».
Bingo de l’anti-motivation
Poser des questions favoriserait donc l’auto-persuasion. L’entretien
motivationnel va plus loin en accompagnant vers la découverte de soi. Vous
en avez eu un aperçu lorsque Daryl Davis a demandé aux membres du KKK
comment ils pouvaient le haïr alors qu’ils ne le connaissaient même pas. Je
veux maintenant analyser en profondeur les techniques pertinentes. Lorsque
nous tentons de convaincre autrui de reconsidérer sa position, nous avons
tendance à parler. Pourtant, le moyen le plus efficace est souvent d’écouter.
Au-delà de l’entretien
Il y a quelques années, j’ai reçu l’appel d’une start-up en biotechnologie.
Jeff, le P.-D.G., scientifique de formation, aimait disposer de toutes les
informations avant de prendre une décision. Après plus d’un an et demi, il
n’avait toujours pas défini de vision pour son entreprise et se retrouvait face
à un possible échec. Un trio de consultants avait voulu le convaincre de
prendre une certaine orientation – il les avait licenciés. Avant de jeter
l’éponge, la DRH tenta le tout pour le tout: contacter un universitaire.
C’était le moment idéal pour un entretien motivationnel: Jeff paraissait rétif
au changement et j’ignorais pourquoi. Je voulais voir si je pouvais l’aider à
le motiver pour changer. Voici quelques moments clés de notre
conversation:
Imaginons qu’une amie vous confie son désir d’arrêter de fumer. Vous
pourriez lui demander pourquoi elle y songe. Si elle répond qu’un médecin
lui a conseillé, enchaînez en l’interrogeant sur ses propres motivations. Si
elle vous donne une raison, demandez-lui quelle serait sa première
démarche. «Le discours changement est le fil d’Ariane, explique Theresa
Moyers, psychologue clinicienne, vous devez le saisir et le tirer.» C’est
donc ce que j’ai fait avec Jeff.
Jeff: Ils avaient tous une vision très claire. Ils ont
inspiré les autres pour qu’ils fassent des choses
extraordinaires.
Quelques semaines plus tard, Jeff prononça devant ses cadres son tout
premier discours sur sa vision. Lorsque je l’ai appris, je me suis senti très
fier: j’avais maté le forcené de logique qui sommeille en moi pour l’amener
à trouver sa propre motivation.
Pour les consultants, les médecins, les thérapeutes, les enseignants ou les
entraîneurs, l’efficacité de l’entretien motivationnel est évidente. Lorsque
quelqu’un sollicite notre aide – ou accepte que notre job soit de l’aider –,
nous sommes en mesure de gagner sa confiance. Pourtant, nous faisons tous
face à des situations où nous sommes tentés de l’orienter dans la direction
qui a notre préférence. Parents et mentors croient souvent savoir ce qu’il y a
de mieux pour leurs enfants et leurs protégés.
Me ferez-vous changer d’avis?
Après des mois d’effort, Betty avait fini par établir le contact avec les
rebelles, qui s’étaient sentis insultés à l’idée de négocier avec une femme.
Pourtant, Betty parvint à rencontrer Kony en personne. Très vite, il allait
l’appeler «Maman» et accepter de quitter la jungle pour entamer des
pourparlers. La paix ne serait pas conclue, mais le fait d’avoir incité Kony à
échanger était en soi un accomplissement remarquable24. Pour cette raison,
Betty fut nommée «Femme de l’année» en Ouganda. Récemment, je lui ai
demandé comment elle avait réussi à établir le contact avec Kony et ses
hommes. La clé, m’a-t-elle expliqué, n’avait pas été de convaincre, ni
même de flatter, mais d’écouter.
Cela n’a rien d’évident. Même avec les meilleures intentions du monde,
nous pouvons vite nous glisser dans la peau du prédicateur, du procureur ou
du politique en campagne électorale. Nous sommes tous enclins au «réflexe
correcteur» décrit par Miller et Rollnick – ce désir de régler les problèmes
et d’apporter des réponses. L’intervieweur motivationnel compétent résiste
au réflexe correcteur: si nous comptons sur le médecin pour réparer nos os
cassés, pour résoudre les problèmes qui se trouvent dans nos têtes, nous
recherchons la sympathie plutôt que des solutions.
Sa curiosité et son humilité confiante ont pris les Ougandais de court. Des
médiateurs étaient venus leur ordonner d’arrêter les combats, ils avaient
vanté leurs plans de résolution de conflits et critiqué les échecs passés.
Betty, politicienne de métier, n’était pas venue leur dire quoi faire. Assise
des heures autour d’un feu de camp, elle prenait des notes, intervenant de
temps en temps pour poser des questions. «Si vous voulez me traiter de tous
les noms, n’hésitez pas, leur a-t-elle dit. Si vous voulez que je parte, je
partirai.»
Pour faire la preuve de son implication, Betty séjourna dans les camps
insalubres où la nourriture manquait. Elle invita les gens à exprimer leurs
griefs et à suggérer des mesures pour y remédier. Ils confièrent qu’il était
rare et réconfortant qu’un étranger leur offre l’occasion de partager leurs
points de vue. Elle leur donna un sentiment d’appartenance en leur
permettant de trouver leurs propres solutions. Ils finirent par l’appeler
Megu, «mère», un terme affectueux pour les aînés: surprenant, puisque
Betty représentait le gouvernement, que beaucoup considéraient comme
l’oppresseur. Très vite, on lui proposa de la présenter aux coordinateurs et
aux commandants de l’armée de guérilla de Joseph Kony. Selon elle,
«même le diable apprécie d’être écouté».
Les communicants veulent passer pour des gens intelligents, les personnes
qui ont une bonne écoute veulent que leurs interlocuteurs se sentent
intelligents. Elles aident les autres à aborder leurs propres opinions avec
plus d’humilité, de doute et de curiosité. Car lorsque nous nous exprimons à
voix haute, nous découvrons de nouvelles pensées. Comme le dit l’écrivain
E. M. Forster: «Comment puis-je dire ce que je pense avant de voir ce que
je dis?» Voilà qui fait de lui un homme capable d’une formidable écoute.
«Parler avec lui, c’était être séduit par un charisme inversé, la sensation
d’être écouté avec une telle intensité qu’il fallait être le plus honnête, le plus
vif, le meilleur de soi-même», a dit un biographe.
Une fois qu’il eût compris les croyances de Marie-Hélène, Arnaud lui
demanda s’il pouvait partager avec elle des informations sur les vaccins,
basées sur sa propre expertise. «J’ai entamé un dialogue, dit-il. Le but était
de bâtir une relation de confiance. Si vous présentez l’information sans
autorisation préalable, personne ne vous écoutera.» Arnaud est venu à bout
des craintes et des idées fausses de Marie-Hélène en expliquant que le
vaccin contre la rougeole était un virus vivant affaibli, que les symptômes
étaient donc minimes et que le lien avec l’autisme ou d’autres syndromes
n’était pas prouvé. Il ne fit pas un exposé: il commença une discussion.
Arnaud a répondu aux questions de Marie-Hélène par des données validées
et, ensemble, ils ont «reconstruit» ses connaissances. À chaque étape,
Arnaud a évité de lui mettre la pression. Après avoir parlé sciences, il a
conclu en proposant à Marie-Hélène de lui laisser le temps d’y réfléchir,
affirmant ainsi sa liberté de se forger sa propre opinion.
Betty Bigombe a séjourné dans les camps pour demander aux déplacés
d’exprimer leurs griefs, elle a montré que ce qu’ils avaient à lui dire lui
importait. Écouter, c’est offrir le cadeau le plus rare et le plus précieux:
l’attention. Une fois que nous avons montré à autrui que nous nous soucions
de lui et de ses objectifs, il est plus enclin à nous écouter.
CONVERSATIONS POLÉMIQUES
DÉPOLARISER NOS DÉBATS
Si vous avez le courage d’en pousser la porte, vous serez placé face à un
inconnu en total désaccord avec vous sur un sujet polémique. Vous
disposerez de 20 minutes pour discuter, puis chacun de vous devra décider
s’il est en mesure de signer une déclaration conjointe sur les points de vue
que vous partagez sur l’avortement. Si c’est le cas – ce n’est pas gagné –,
cette déclaration sera publiée sur un forum de discussion.
Pour vous mettre dans le bon état d’esprit avant votre échange sur
l’avortement, Peter vous donne, ainsi qu’à votre interlocuteur, un article de
presse sur un autre sujet de discorde: le contrôle des armes à feu. Vous
ignorez qu’il existe plusieurs versions de cet article et que la vôtre aura une
influence majeure sur le fait de vous retrouver – ou non – sur la même
longueur d’onde à propos de l’avortement.
Si l’article sur les armes couvre les deux aspects de la question – le droit
aux armes et leur législation –, vous et votre adversaire aurez de bonnes
chances d’atteindre un consensus sur l’avortement. Lors de l’une des
expériences de Peter, après lecture de ce type article, 44% des binômes ont
trouvé un terrain d’entente suffisant pour rédiger et signer une déclaration
commune sur l’avortement. C’est un résultat remarquable.
Peter a fait encore plus fort. Il a assemblé des binômes au hasard et leur a
fait lire une autre version de l’article: 100% des participants ont alors rédigé
et signé une déclaration commune sur l’avortement.
Cet article n’a pas simplement conduit certains à reconsidérer leur opinion
sur l’avortement; mais aussi sur d’autres questions clivantes telles que la
discrimination positive et la peine de mort26. Ceux qui ont lu la version
binaire de l’article ont défendu leur point de vue plus souvent qu’ils ne se
sont intéressés à l’opinion adverse. Ceux qui ont lu la version complexifiée
ont commenté deux fois plus leurs points communs que leur avis personnel.
Ils ont asséné moins d’opinions tranchées et posé plus de questions, pour
finir par produire des déclarations plus complexes et de meilleure qualité.
Les deux parties se sont déclarées plus satisfaites.
Aux repas de famille, vous ne serez peut-être pas sur la même longueur
d’onde que l’oncle que vous appréciez peu, mais elle pourrait éviter qu’une
conversation apparemment innocente ne dégénère en chaos émotionnel. Et
lors des discussions sur les décisions qui nous affectent tous, elle pourrait
nous conduire plus rapidement à des solutions plus pratiques. Voilà tout le
sujet de ce chapitre: appliquer la remise en question à différents domaines
de nos vies, afin de continuer à apprendre à chaque étape de notre existence.
Aux plus hauts niveaux éducatifs, l’inquiétude sur le sujet est croissante
parmi les Démocrates, mais diminue chez les Républicains. Sur le plan
économique, nous restons convaincus que, face au dérèglement climatique,
l’Amérique saura être plus résiliente que la plupart des autres nations; nous
sommes réticents à sacrifier les méthodes qui assurent notre prospérité
actuelle. Ces convictions profondes sont difficiles à ébranler.
En tant que psychologue, je veux insister sur un autre facteur, que nous
pouvons tous maîtriser: notre façon de communiquer. Beaucoup pensent
que pour convaincre, il faut prêcher avec passion et conviction. Al Gore en
est un parfait exemple. En 2000, quand il perd de justesse l’élection
présidentielle, on lui reproche son manque d’énergie. On le dit sec. Rasoir.
Robotique. Quelques années plus tard, son film fascine et ses compétences
en matière de communication ont prodigieusement évolué. J’ai regardé sa
conférence TED de 2016: langage vif, voix vibrante d’émotion – il transpire
littéralement la passion. Si un robot contrôlait vraiment son cerveau, alors
il y a eu court-circuit et l’humain a pris les commandes. «Certains doutent
encore que nous ayons la volonté d’agir, lance-t-il, mais la volonté d’agir
est une ressource renouvelable!»: Standing ovation et Gore est surnommé le
«Elvis de TED». Si ce n’est pas son style de communication qui ne parvient
pas à toucher les gens, alors qu’est-ce que c’est?
Voici un exemple parfait de biais binaire, supposant que le monde est divisé
en deux: croyants et non-croyants. Un seul camp a raison, car il n’y a
qu’une vérité. Je ne blâme pas Gore: ses données étaient exactes et il
représentait le consensus de la communauté scientifique. En tant qu’ancien
politique, ne voir que les deux côtés de la médaille est sans doute une
seconde nature. Mais quand les deux seules options disponibles sont «blanc
ou noir», il est naturel de tomber dans un schéma «nous contre eux». Si l’on
force les indécis à choisir leur camp, la pression émotionnelle, politique et
économique les fait pencher en faveur d’un désengagement ou d’un rejet de
la question.
Pour dépasser le biais binaire, un bon point de départ est d’avoir conscience
des différentes opinions au sein d’un spectre donné. Selon les sondages, il
existerait au moins six écoles de pensée sur le changement climatique. Ceux
qui y croient représentent plus de la moitié des Américains, mais certains
sont inquiets tandis que d’autres sont alarmés. Les «non-croyants» vont de
la circonspection à l’indifférence, puis du scepticisme au négationnisme.
Il y a quelques années, les médias ont repris une étude sur les conséquences
cognitives de la consommation de café. Les titres étaient issus des mêmes
données, mais certains louaient les bienfaits du café, d’autres insistaient sur
ses coûts…
D’après l’étude, les personnes âgées buvant une tasse ou deux de café par
jour présentaient un risque plus faible de troubles cognitifs légers que les
non-buveurs de café, les consommateurs occasionnels ou les gros
consommateurs. En augmentant leur consommation d’une ou plusieurs
tasses par jour, ils augmentaient leur risque par rapport à ceux buvant une
tasse ou moins par jour. En quelques mots, tous ces gros titres induisaient le
lecteur en erreur. Une autre tournure, tout aussi brève, apportait une dose
instantanée de complexité:
Avertissements et contingences
Pour mieux exprimer la complexité, il est utile d’étudier la façon dont les
scientifiques communiquent. La clé? Les avertissements. Il est rare qu’une
seule étude ou qu’une série d’études soit concluante. Souvent, dans leurs
articles, les chercheurs multiplient les mises en garde sur les limites de
chaque étude. Celles-ci sont moins perçues comme des failles dans leur
travail que des fenêtres sur leurs découvertes futures. Pourtant, quand ils
partagent leurs conclusions avec des non-scientifiques, ils zappent souvent
ces avertissements.
Selon une étude récente, ce serait une erreur. Lors d’une série
d’expériences, des psychologues ont démontré que les articles de presse
scientifiques comportant des avertissements retenaient l’attention des
lecteurs, lesquels conservaient leur ouverture d’esprit. Prenez une étude
affirmant qu’une mauvaise hygiène de vie accélère le vieillissement: les
lecteurs étaient tout aussi intéressés par l’article – mais plus flexibles dans
leurs croyances – en lisant que les scientifiques hésitaient encore à établir
un lien de cause à effet compte tenu du nombre de facteurs affectant le
vieillissement. Il était même utile de préciser que les scientifiques
estimaient que des recherches plus poussées étaient nécessaires dans ce
domaine.
La complexité se transmet également par les contingences. Chaque
découverte empirique soulève des questions sans réponses: où et quand les
résultats seront-ils reproduits, invalidés, inversés? Les contingences, ce sont
tous les lieux et toutes les populations où les résultats pourraient changer.
Prenez la diversité: si on lit souvent «la diversité, c’est bien», la réalité n’est
que contingences. La diversité d’origine et de pensée aiderait certains à
penser plus largement et à traiter l’information plus en profondeur: cela est
vrai dans certaines situations, mais pas dans d’autres. L’individu serait plus
à même de promouvoir la diversité et l’intégration quand le message est
plus nuancé (et plus exact): «La diversité, c’est bien, mais ce n’est pas
facile30. La reconnaissance de la complexité ne rend pas militants et
auteurs moins convaincants, mais plus crédibles. Elle ne fait perdre ni
spectateurs, ni lecteurs; elle préserve leur engagement tout en attisant leur
curiosité.
D’après moi, ils sont tous les deux à côté de la plaque. Au lieu de débattre
du bien-fondé de l’intelligence émotionnelle, il faut se pencher sur les
contingences expliquant quand elle est plus ou moins importante. Il s’avère
que cette intelligence est bénéfique dans les emplois impliquant de gérer
des émotions, mais moins pertinente – et même pernicieuse – dans un job
où les émotions sont moins essentielles. Pour un agent immobilier, un
membre du service clientèle ou un consultant, savoir percevoir, comprendre
et gérer les émotions permet d’aider le client et de résoudre ses problèmes.
Le génie émotionnel est moins utile à un mécanicien ou à un comptable, et
peut même les déconcentrer. Si tu répares ma voiture ou que tu calcules mes
impôts, je préfère que tu ne t’intéresses pas trop à mes émotions.
Pour remettre les pendules à l’heure, j’ai posté un petit texte sur LinkedIn
expliquant combien l’intelligence émotionnelle est surfaite. J’ai fait de mon
mieux pour appliquer ce que je prêche en matière de complexité:
J’ai reçu plus de 1000 commentaires et j’ai été heureusement surpris de ces
réactions enthousiastes à un message complexifié. Les uns affirmaient que
rien n’est blanc ou noir et que ces données pouvaient nous aider à réévaluer
nos croyances les plus tenaces. D’autres étaient résolument hostiles,
ignorant les preuves et insistant sur le fait que l’intelligence émotionnelle
était la condition sine qua none de la réussite – comme s’ils étaient membre
d’un culte de l’intelligence émotionnelle.
Il m’est arrivé de tomber sur des cultes d’idées: des groupes brassant de
l’eau tiède et recrutant des followers à tour de bras, prêchant les mérites de
leur concept-joujou et persécutant quiconque exigerait nuance ou
complexité. Dans le secteur de la santé, ces cultes défendent des détox et
des lavements déclarés nocifs depuis des années. Dans le domaine de
l’éducation, certains cultes prônent un enseignement adapté aux préférences
d’apprentissage de chaque élève – mode auditif, visuel ou kines-thésique.
Des profs sont déterminés à ajuster leurs cours en conséquence, même s’il
est prouvé depuis des décennies que même si les élèves aiment écouter, lire
ou faire, ce n’est pas ainsi qu’ils apprennent le mieux. En psychologie, j’ai
malgré moi offensé des membres de cultes d’idées en diffusant les preuves
que la méditation n’est pas le seul moyen d’éviter le stress ou de
promouvoir la pleine conscience; qu’en termes de fiabilité et de validité,
l’outil d’évaluation Myers-Briggs se classe entre l’horoscope et
l’électrocardiogramme; qu’être plus sincère peut vous faire perdre en
réussite. Si vous vous surprenez à dire que ______ est toujours bon et
______ n’est jamais mauvais, vous êtes peut-être membre d’un culte
d’idées. Apprécier la complexité nous rappelle qu’aucun comportement
n’est systématiquement efficace et que tous les remèdes ont des
conséquences imprévues.
J’ai longtemps cru que laisser les émotions de côté était le meilleur moyen
pour dépolariser. Sans sentiments, nous serions plus enclins à revoir nos
points de vue. Mais certains éléments sont venus compliquer ma réflexion.
Que ce respect soit explicite dès le départ peut aider. Lors d’une expérience,
si un opposant idéologique entamait la discussion par «j’ai beaucoup de
respect pour les personnes qui, comme vous, défendent leurs principes»,
son interlocuteur était moins susceptible de le considérer comme un
adversaire – et se montrait plus généreux à son égard.
Il est bon de se rappeler que nous pouvons être victimes de biais binaires
émotionnels – et pas seulement sur des questions problématiques. Tout
comme le spectre des croyances sur les sujets polémiques est bien plus
complexe que ses deux extrêmes, nos émotions sont plus variées que nous
le pensons33. Si vous avez la preuve que vous pourriez avoir tort sur la
question des armes à feu, vous pouvez vous sentir à la fois bouleversé et
intrigué. Si vous vous êtes trompé à propos de quelqu’un qui n’a pas les
mêmes opinions que vous, vous pouvez être en colère contre vos
interactions passées, tout en espérant une relation future. Si l’on vous dit
que vos actions n’ont pas été à la hauteur de votre rhétorique antiraciste,
vous pouvez être sur la défensive (je suis quelqu’un de bien!) tout en
éprouvant des remords (j’aurais pu faire beaucoup plus).
La vidéo devint virale sur les réseaux sociaux, avec des réactions allant de
l’indignation à la rage pure. L’incident rappelait le passé douloureux des
fausses accusations criminelles aux conséquences dévastatrices portées
contre des hommes noirs par des femmes blanches. Cette femme n’a tenu
en laisse ni son chien… ni ses préjugés. Affligeant.
Son déni ne tient pas compte d’une réalité complexe faisant du racisme une
fonction de nos actions, et pas seulement de nos intentions. Selon l’historien
Ibram X. Kendi, «raciste et antiraciste ne sont pas des identités fixes. Nous
pouvons être racistes à un moment donné et antiracistes l’instant d’après.»
Les humains, comme les sujets polémiques, sont rarement binaires.
Christian Cooper a refusé ses excuses, mais a opté pour des propos nuancés:
Depuis huit ans, Erin enseigne les sciences sociales dans les environs de
Milwaukee. Sa mission? Cultiver la curiosité pour le passé, et encourager
les élèves à actualiser leurs connaissances du présent. En 2020, Erin a été
nommée Professeure de l’Année du Wisconsin.
Après leur avoir ouvert les yeux sur le fait que le savoir pouvait évoluer,
Erin a montré à ses élèves qu’il évolue constamment. Pour préparer son
cours sur le développement de l’Ouest américain, elle rédigea un chapitre
de manuel scolaire décrivant le quotidien de collégiens d’aujourd’hui. Tous
les protagonistes étaient des femmes et des filles, et tous les pronoms
utilisés étaient féminins. Quand elle présenta son texte, un élève fit
remarquer l’absence de garçons. «Mais il y en avait, répliqua Erin. Il y avait
des garçons, mais ils ne faisaient rien d’important.» L’élève eut alors un
déclic, réalisant ce que c’était que de marginaliser un groupe des siècles
durant.
Le fait d’armes le plus récent d’Erin est mon préféré. Passionnée par
l’apprentissage par l’enquête, elle a envoyé ses 4e effectuer une recherche
autonome où il fallait inspecter, investiguer, interroger et interpréter, puis
les élèves terminaient par un projet de groupe: ils devaient choisir un
chapitre de leur manuel, une époque qui les intéressait et un thème
historique qu’ils estimaient sous-représenté, et réécrire le chapitre.
Apprendre à désapprendre
Concernant ma propre éducation, l’un de mes plus gros regrets est de ne pas
avoir vécu pleinement les grands bouleversements scientifiques – comme le
cosmos, que mes profs ont démystifié dès la maternelle. Je m’imagine
parfois adolescent, découvrant que nous ne vivons pas sur un disque plat et
statique, mais sur une sphère en rotation.
J’espère que j’aurais été sidéré, que mon incrédulité aurait vite cédé la place
à la curiosité, peut-être à l’émerveillement de la découverte et à la joie
d’avoir tort. Je crois aussi que cela aurait été une bonne leçon d’humilité. Si
j’ai pu avoir tort à ce point à propos de ma planète, combien de prétendues
vérités sont des points d’interrogation? Bien sûr, je savais que des
générations d’êtres humains avaient eu tort avant moi sur ce sujet, mais il y
a une différence énorme entre découvrir les fausses croyances des autres et
apprendre soi-même à ne plus croire certaines choses.
Il est prouvé que si les fausses croyances scientifiques ne sont pas abordées
dès l’école primaire, il est difficile de les désamorcer plus tard.
«L’apprentissage d’idées scientifiques défiant toute logique s’apparente à
l’apprentissage d’une seconde langue vivante», explique la psychologue
Deborah Kelemen. C’est «une tâche de plus en plus ardue à mesure qu’elle
est tardive, une compétence qui ne peut s’acquérir par un enseignement
fragmentaire et irrégulier». Les enfants ont donc besoin qu’on leur apprenne
régulièrement à désapprendre, surtout ce qui concerne les mécanismes de
cause à effet. Dans l’enseignement de l’histoire, la tendance est de poser des
questions qui présentent plusieurs bonnes réponses. Un programme
développé à Stanford pousse des étudiants à reconsidérer les causes
véritables de la guerre hispano-américaine; à se demander si le New Deal
fut un succès; et pourquoi le boycott des bus à Montgomery fut un moment
décisif. Des professeurs envoient même des élèves interviewer des
personnes avec lesquelles ils ne sont pas d’accord. Ici, il s’agit moins
d’avoir raison que d’acquérir les compétences nécessaires pour évaluer des
points de vue différents et en débattre de façon productive.
Fascination et sidération
Cours de physique de milieu de semestre: deux séances sont prévues avec
un professeur de haut vol. La première, consacrée à l’équilibre statique, est
un cours magistral. La deuxième, sur les fluides, est dispensée en travaux
pratiques. Le prof de votre colocataire, très populaire lui aussi, fait
l’inverse: TP (travaux pratiques) pour la statique, cours magistral pour les
fluides.
Dans les deux cas, contenus et polycopiés sont identiques; seule la méthode
diffère. Durant le cours magistral, le professeur passe des diapos, explique,
démontre, résout des problèmes types; les élèves annotent les polycopiés.
En TP, le prof ne résout pas lui-même les problèmes, mais fait travailler les
élèves par petits groupes; il répond aux questions, suggère quelques astuces,
puis donne la solution à toute la classe. À l’issue des séances, il faut
répondre à un sondage.
Ici, le sujet n’a aucune importance, seule la méthode compte. Je pensais que
le TP serait mieux noté, mais il s’avère que vous et votre colocataire avez
davantage apprécié le sujet traité en cours magistral. Vous avez également
jugé le prof plus efficace en cours magistral – et vous aimeriez que tous vos
cours de physique soient dispensés de cette façon.
J’ai longtemps cru que nous apprenions plus en nous amusant. Cette
expérience m’a convaincu du contraire. Elle m’a également rappelé mon
prof de physique préféré: on l’adorait car il nous laissait jouer au ping-
pong en classe, mais nous n’avons jamais vraiment compris le coefficient
de friction.
Pour être parfaitement clair, loin de moi l’idée de supprimer les cours
magistraux. J’adore visionner les conférences TED et j’ai plaisir à en
donner moi-même. J’ai assisté à des interventions brillantes qui ont piqué
ma curiosité et donné envie d’enseigner, et il m’arrive de faire des cours
magistraux à mes élèves. Je pense toutefois qu’il est problématique qu’ils
soient la méthode prépondérante dans le secondaire et l’enseignement
supérieur. Bientôt un cours magistral sur le sujet!
C’est ce que j’ai constaté: mes têtes de classe étaient terrifiées à l’idée de se
tromper. Pour les pousser à prendre des risques, j’ai décidé que le projet
compterait pour 20% de leur note finale. J’avais changé les règles: ils
étaient maintenant récompensés pour réfléchir au lieu de régurgiter. Je
n’étais pas certain du résultat jusqu’à ce que je corrige le travail d’un trio
d’excellents élèves qui avait concocté une mini-conférence TED sur les
inconvénients… des conférences TED, favorisant des périodes d’attention
de plus en plus courtes et privilégiant la superficialité au détriment de
l’approfondissement. Leur présentation était si réfléchie et captivante que je
l’ai fait écouter à toute la classe. «Si vous avez le courage de vous opposer
à la pensée uniforme et évaporée, alors arrêtez immédiatement de regarder
cette vidéo et faites de vraies recherches, comme nous», déclaraient-ils, très
pince-sans-rire, tandis que toute la classe s’esclaffait.
Cet exercice est devenu l’un des piliers de mon cours. L’année suivante, je
suis allé plus loin en redéfinissant son contenu et son format. D’ordinaire,
sur une séance de trois heures, je ne consacre pas plus de 20 à 30 minutes
au cours magistral. Le reste est un TP – les élèves simulent prises de
décision et négociations, ensuite il y a débrief, discussion, débat et
résolution de problèmes. Mon erreur avait été de considérer mon
programme comme un contrat formel: une fois conçu en septembre, il était
gravé dans le marbre. Il était temps de changer! J’ai invité mes élèves à
revoir une partie de la structure du cours.
Elle demanda à ses camarades d’écrire une lettre à leur «moi» de première
année afin de lui dire ce qu’il aurait aimé savoir à l’époque. Leurs conseils?
Considérer différentes filières avant de s’embarquer résolument dans une
voie; être moins obsédé par les notes; se concentrer davantage sur les
amitiés; envisager différentes perspectives de carrière au lieu de s’engager
trop tôt, alléché par le salaire ou le prestige.
Ron ne voulait pas éliminer cette confusion, mais qu’au contraire ses élèves
l’embrassent, afin de devenir les maîtres de leur propre apprentissage, un
peu comme un do it yourself (DIY). Il les encourageait à penser comme de
jeunes scientifiques: identifier le problème, développer des hypothèses,
mettre au point des expériences pour vérifier ces hypothèses. Ses 6e année
ont fait le tour du village pour effectuer des relevés de gaz radon dans les
maisons; ses 3e année ont cartographié les habitats amphibiens; ses 1re
année ont testé plus de 140 aliments sur des escargots et établi leurs
préférences d’environnement (chaud/froid, obscur/clair, sec/humide).
Pour ses leçons d’architecture et d’ingénierie, Ron leur a fait concevoir les
plans d’une maison. Lorsqu’il a exigé au moins quatre projets différents par
élève, ses collègues l’ont alerté sur le risque de découragement des plus
jeunes. Ron n’était pas d’accord – il avait déjà testé le concept en arts
plastiques avec les maternelles et les 1re année. Au lieu de demander
simplement de dessiner une maison, il avait expliqué: «Nous allons faire
quatre versions différentes du dessin d’une maison.»
Ron désirait leur apprendre à revoir leurs points de vue en fonction de l’avis
des autres: chaque semaine – parfois chaque jour – toute la classe se livrait
à une séance de critique, selon deux formats. Pour le premier, Ron exposait
tous les travaux, les enfants faisaient le tour de la classe pour les observer,
puis Ron encourageait une discussion à propos de ceux qu’ils considéraient
comme excellents, et pourquoi. Cette méthode n’était pas limitée aux arts et
aux sciences – les écoliers pouvaient aussi juger une phrase ou un
paragraphe d’une rédaction. La critique était plus approfondie avec le
second format, où la classe se concentrait sur le travail d’un élève ou d’un
groupe. Les auteurs expliquaient leurs objectifs, montraient où ils avaient
besoin d’aide et Ron guidait la classe vers une discussion sur les points forts
et les points les moins aboutis. Il encourageait ses élèves à être précis et
bienveillants, à critiquer le travail et non l’auteur, sans prêcher ou
condamner: comme ils partageaient des opinions subjectives et non des
évaluations objectives, ils devaient dire «je pense» plutôt que «ce n’est pas
bon». Ron les invitait à faire preuve d’humilité et de curiosité, et à présenter
leurs suggestions sous forme de questions du type «j’aimerais savoir
pourquoi…» et «as-tu envisagé de…».
Dès que j’ai rencontré Ron Berger, j’ai regretté de ne pas avoir été son
élève. Non pas que j’aie manqué d’enseignants exceptionnels, mais je n’ai
jamais eu le privilège d’évoluer dans une classe où régnait une culture
comme la sienne, en compagnie d’élèves se consacrant à se remettre en
question, eux-mêmes et les uns les autres.
Austin était désormais prêt pour une version définitive en couleurs. Lorsque
Ron a montré son dessin à une classe de primaire du Maine, tous ont été
sidérés par ses progrès et sa version définitive.
J’étais stupéfait moi aussi. Parce qu’Austin était en 1re année.
Voir un enfant de six ans progresser à ce point m’a fait réfléchir à la vitesse
à laquelle les enfants s’adaptent à la remise en question et à la révision. Dès
lors, j’ai encouragé mes propres enfants à multiplier les brouillons: ravis de
voir leur premier essai affiché au mur, ils étaient encore plus fiers du
quatrième.
Je crois que les bons enseignants proposent de nouvelles pensées, mais que
les grands enseignants proposent une nouvelle façon de penser. Engranger
les connaissances d’un professeur peut aider à relever les défis du
quotidien, mais comprendre comment pense un prof aide à relever les défis
de toute une vie. En fin de compte, l’éducation n’est pas seulement de
l’information que nous thésaurisons dans notre tête. Ce sont ces habitudes
que nous développons en remaniant sans cesse nos brouillons et ces
compétences que nous accumulons pour continuer à apprendre.
REFUSER LA ROUTINE
CRÉER UNE CULTURE DE L’APPRENTISSAGE AU
TRAVAIL
«Ce n’est pas normal», pensa Karina Eversley, officier responsable des
sorties dans l’espace. Elle réunit à la hâte des experts qui interrogèrent
Luca. La quantité de liquide augmentait-elle? Luca n’en savait rien. Était-il
certain qu’il s’agissait d’eau? En tirant la langue, il recueillit des
gouttelettes qui flottaient dans son casque: elles avaient un goût métallique.
La sortie fut écourtée. Luca et Chris se séparèrent pour suivre leur câble
d’attache respectif. Pour contourner une antenne, Luca se retourna.
Soudain, il voyait flou et ne pouvait plus respirer par le nez: il avait de l’eau
dans les yeux et les narines. Si le problème persistait, l’eau atteindrait sa
bouche et il risquait de se noyer. Il devait rejoindre le sas au plus vite. Le
soleil étant couché, l’obscurité était totale et Luca ne disposait que d’une
petite lampe frontale. Quand il perdit toute communication, il ne pouvait
plus s’entendre ni entendre personne.
Très vite, Edmondson reconnut que les erreurs étaient toujours signalées par
ceux qui les avaient commises. Pour plus d’impartialité, elle infiltra des
observateurs dans les unités, et à la lecture de leurs données… les résultats
s’inversèrent: les équipes psychologiquement en sécurité signalaient plus
d’erreurs mais en commettaient moins. En admettant sans détour leurs
erreurs, elles étaient en mesure d’apprendre ce qui les avait causées pour ne
plus les reproduire. Les équipes qui ne se sentaient pas psychologiquement
en sécurité cachaient leurs bévues pour éviter les sanctions, ce qui rendait
difficile un diagnostic des causes du problème et la prévention d’incidents
futurs. Les fautes se répétaient sans cesse.
La frousse de défier le big boss? La pression est forte qui pousse à se plier à
l’autorité, par peur d’un retour de bâton. Dans une culture de la
performance, nous nous autocensurons face aux experts qui semblent
détenir toutes les réponses – surtout si nous manquons de confiance en
notre propre expertise.
Sécurité psychologique
Environ un mois avant le décollage de Columbia, Ellen Ochoa – en 1993,
première femme d’Amérique latine dans l’espace – fut nommée directrice
adjointe des opérations des équipages en vol: le premier vol dont elle
assurait la gestion s’acheva donc en tragédie. Après avoir annoncé la
nouvelle à l’équipage de la station spatiale et consolé les familles des
astronautes décédés, elle était déterminée à contribuer personnellement à
empêcher que ce genre de drame ne se reproduise.
À la Fondation Gates, j’ai voulu aller plus loin. Au lieu d’échanger sur les
critiques de leur équipe, je me suis demandé ce qu’il se passerait si les hauts
dirigeants partageaient leurs expériences avec l’ensemble des employés. Et
je savais comment procéder…
Le pire du meilleur
Dans une culture de performance, il est fréquent de s’attacher à un certain
savoir-faire. Le risque? Si une routine n’est jamais remise en question, elle
se fige: nous prêchons ses vertus et ne questionnons plus ses vices, nous ne
nous intéressons plus à ses imperfections ni ne cherchons à l’améliorer. En
entreprise, l’apprentissage devrait être continu, pourtant, quand les «bonnes
pratiques» sont atteintes, l’apprentissage cesse. Alors qu’il vaudrait mieux
continuer à en chercher de meilleures.
Se focaliser sur les résultats peut être bon pour les performances à court
terme. Pour l’apprentissage à long terme, ce peut être un obstacle. Les
spécialistes en sciences sociales estiment qu’en étant uniquement tenus
responsables du résultat (réussite ou échec), nous sommes plus enclins à
conserver une routine potentiellement problématique. Louer et récompenser
exclusivement le résultat est dangereux: cela conduit à placer une confiance
excessive dans des stratégies médiocres, et encourage à continuer à faire ce
que l’on a toujours fait. Jusqu’à ce qu’une décision cruciale tourne mal…
alors seulement on appuie sur «pause» pour reconsidérer les pratiques.
J’ai observé chez Amazon une mesure très efficace dans le processus de
responsabilisation. Là-bas, les décisions importantes ne sont pas présentées
par un simple PowerPoint: un mémo de six pages détaille le problème, les
différentes approches envisagées dans le passé, comment les solutions
proposées profiteraient au client. Au début de la réunion, pour éviter l’esprit
grégaire, chacun lit le mémo en silence – ce n’est pas toujours faisable,
mais c’est essentiel lorsque les choix sont à la fois conséquents et
irréversibles. Avant même d’obtenir des résultats, la qualité du processus
peut ainsi être évaluée en fonction de la rigueur et de la créativité de
l’auteur du mémo et de l’exhaustivité des échanges lors de la réunion.
Feuille de match
39. S’il y a un manque de compétences, évoquer nos imperfections peut être risqué. Selon des études
auprès d’avocats et d’enseignants en recherche d’emploi, s’exprimer avec sincérité augmente les
chances de décrocher le job si le candidat se classe dans le 90e percentile ou plus de ses
compétences, mais diminue s’il est moins compétent. Un avocat dans le 50e percentile ou moins
– et un enseignant dans le 25e ou moins – obtient de moins bons résultats en étant franc. Si la
compétence n’est pas encore reconnue, le candidat est moins respecté s’il reconnaît ses points
faibles. Il n’est pas seulement incompétent, il semble également peu sûr de lui.
CHAPITRE 11
«Le malaise s’est installé quelques heures après mon arrivée. J’ai pensé
qu’un job pourrait m’aider. Il se trouve que j’avais beaucoup de relations
en Enfer et, grâce à elles, je suis devenu l’assistant d’un démon arracheur
de dents. Ce n’était pas vraiment un job, plutôt un stage. Mais j’étais
enthousiaste. Au début, c’était assez intéressant, mais au bout d’un moment,
on commence à se demander: c’est pour ça que je suis venu en Enfer? Pour
passer des pinces à un démon?»
Jack Handey
Qu’est-ce que tu veux faire plus tard? Quand j’étais petit, je détestais cette
question: quoi que je dise, les adultes n’aimaient pas ma réponse. Si je
déclarais «super-héros», ils éclataient de rire. Je me suis alors mis à rêver de
NBA, mais malgré les heures passées à marquer des paniers dans mon
jardin, l’équipe du collège n’a pas voulu de moi trois années de suite.
Clairement, je visais trop haut.
Ryan cochait toutes les cases: précoce, une belle éthique de travail… Il
voulait devenir neurochirurgien. Aider les autres était sa passion, et il était
prêt à surmonter tous les obstacles qui se dresseraient sur son chemin.
Ryan décida qu’il ne pouvait pas abandonner. Qu’il était allé trop loin pour
se réorienter. Il termina ses sept années de clinicat de neurochirurgie. Quand
il demanda son certificat, l’hôpital le lui refusa, car sur son CV, les dates
figuraient à droite et non à gauche… Exaspéré par le système, il refusa, par
principe, de modifier son CV. Après avoir remporté une petite victoire sur la
bureaucratie, il ajouta une nouvelle corde à son arc en effectuant une
huitième année de recherche sur une chirurgie spinale complexe moins
invasive.
Nous avons tous une idée de ce que nous voulons être et de la façon dont
nous espérons mener notre vie. Et cela ne se limite pas à notre carrière
professionnelle. Dès l’enfance, nous pensons à l’endroit où nous vivrons, à
l’école que nous fréquenterons, à la personne que nous épouserons, au
nombre d’enfants que nous aurons… Ce qui peut nous inciter à nous fixer
des objectifs plus audacieux et à nous donner les moyens de les atteindre…
mais aussi nous mettre des œillères qui occultent les autres possibilités.
Nous ignorons comment le temps et les circonstances modifieront nos
attentes: se fixer une seule voie peut en fin de compte nous emmener vers la
mauvaise destination.
Ryan a consacré seize années à sa formation médicale. S’il avait été moins
tenace, il aurait pu se réorienter, mais il a été victime de ce que les
psychologues appellent la forclusion identitaire: une installation prématurée
dans un sens de soi qui ferme la porte à toute alternative.
Certains enfants ont des rêves étriqués. Ils sont concentrés sur le fait de
suivre un schéma familial, sans jamais considérer d’autres choix. Vous
connaissez probablement des gens confrontés au problème inverse: ils
rêvent en XXL, s’accrochent à une vision irréaliste. Parfois, le talent
nécessaire à une vocation nous fait défaut; ou il est sans espoir que notre
passion paye un jour les factures. Comme le dit le comédien Chris Rock:
«On peut faire tout ce que l’on veut? Dites la vérité aux enfants! On peut
faire tout ce que l’on sait faire… à condition que le secteur embauche.»
Le temps du bilan
Nous nous interdisons une foule de projets de vie. Une fois engagé dans
l’un d’eux, il fait partie de notre identité et la «désescalade» semble
impossible: on s’est spécialisé en lettres modernes par amour de la
lecture… pour s’apercevoir que l’on n’aime pas le processus d’écriture; on
a décidé d’entrer à l’université en pleine pandémie… pour comprendre un
an plus tard qu’on aurait dû prendre une année sabbatique. L’essentiel?
Garder le cap. On a mis fin à une belle relation parce qu’on ne voulait pas
d’enfants… pour réaliser des années plus tard que, finalement…
Personnellement, je pense qu’il vaut mieux perdre les deux années qui
viennent de s’écouler que gâcher les vingt suivantes. Avec le recul, je dirais
que la forclusion identitaire est un pansement: elle masque une crise
d’identité, sans la soigner.
Il est souvent plus facile de décider de quitter une profession que d’en
choisir une autre. Pour relever ce défi, je pense que le mieux est de suivre le
schéma proposé par Herminia Ibarra, professeure de management. Selon
elle, qui fait face à des choix de carrière et de réorientation devrait penser
comme un scientifique. Première étape: identifier des modèles – des
individus que vous admirez, dans votre domaine ou ailleurs – et les
observer dans leur travail au quotidien. Deuxième étape: développer des
hypothèses sur la façon dont leurs parcours pourraient correspondre à vos
centres d’intérêt, vos compétences et vos valeurs. Troisième étape: tester
différentes identités par le biais d’expériences pratiques – entretiens
d’information, stages d’observation, projets type pour avoir un aperçu du
travail. L’objectif n’est pas de se convaincre d’un parcours spécifique, mais
d’élargir le répertoire de ses identités potentielles – ce qui permet de rester
ouvert à la réflexion.
Il était donc temps de faire un bilan. Je lui ai demandé à quel âge il s’était
forgé l’image de sa future partenaire et s’il avait beaucoup changé depuis.
Deux ans et demi plus tard, il me donna des nouvelles. Il avait abandonné
l’image préconçue d’une partenaire:
Que ce soit avec notre partenaire, nos parents ou nos mentors, faire le bilan
deux fois par an vaut vraiment la peine pour analyser si nos aspirations ont
évolué. Si nous constatons que certaines images de notre passé ne sont plus
pertinentes pour notre avenir, il est temps de repenser nos plans. Cela peut
permettre d’accéder au bonheur… à condition de ne pas être trop résolu à le
trouver.
(Ne pas trop) poursuivre le bonheur
Lorsque nous réfléchissons à notre avenir, le bonheur semble passer avant
tout. Le royaume du Bhoutan a créé l’indice du Bonheur National Brut.
Aux États-Unis, la recherche du bonheur est l’un des trois droits
inaliénables de la Déclaration d’Indépendance43. Cependant, cette chasse
au bonheur peut se transformer en recette pour le malheur.
Les psychologues estiment que plus nous valorisons le bonheur, moins nous
sommes heureux. C’est vrai pour les personnes qui se préoccupent
naturellement du bonheur et pour celles qui ont été invitées, au hasard, à
réfléchir à l’importance du bonheur. Il est également prouvé que miser gros
sur le bonheur est un facteur de risque de dépression. Pourquoi?
Une explication pourrait être que, lorsque nous cherchons le bonheur, nous
sommes trop occupés à évaluer la vie pour la vivre pleinement. Au lieu de
savourer nos moments de joie, nous ruminons en nous demandant pourquoi
notre vie n’est pas plus joyeuse. Autre possibilité: nous passons trop de
temps à quêter le bonheur absolu, alors que le bonheur dépend plus de la
fréquence des émotions positives que de leur intensité. Il se pourrait aussi
qu’en pourchassant le bonheur, nous accordions trop d’importance au
plaisir au détriment de l’objectif. Cette théorie est en accord avec les
données suggérant que le sens est plus sain que le bonheur, et que ceux qui
cherchent du sens dans leur travail vivent mieux leurs passions – et sont
moins susceptibles de quitter leur emploi – que ceux qui recherchent la joie.
La joie passe, tandis que le sens a tendance à durer. Dernière possibilité: la
conception occidentale du bonheur en tant qu’état individuel nous fait nous
sentir seuls. C’est l’inverse dans les cultures orientales, plus collectivistes:
la poursuite du bonheur promet un bien-être accru, car l’individu privilégie
l’engagement social plutôt que les activités individuelles.
Quelques semaines plus tard, elle me raconta qu’un moment vécu dans ma
classe l’avait aidée à réfléchir. Il ne s’agissait ni de la poursuite du bonheur
dont nous avions discuté, ni de ses valeurs, ni du TP sur la décision… mais
d’un sketch du Saturday Night Live que j’avais montré à mes élèves.
J’ai remarqué que plus vite ils atteignent la phase 3, plus leur influence est
grande et plus ils sont heureux. C’est pourquoi j’envisage désormais le
bonheur moins comme un objectif que comme un corollaire de la maîtrise
et du sens. Pour le philosophe John Stuart Mill: «Ceux-là seulement sont
heureux qui ont l’esprit tendu vers quelque objet autre que leur propre
bonheur; par exemple vers le bonheur d’autrui, vers l’amélioration de la
condition de l’humanité, même vers quelque acte, quelque recherche qu’ils
poursuivent non comme un moyen, mais comme une fin idéale. Aspirant
ainsi à autre chose, ils trouvent le bonheur chemin faisant.»
Mon cousin Ryan a fini par repenser son parcours. En cinquième année de
clinicat, il a fait son bilan et s’est lancé dans l’entrepreneuriat. Il a cofondé
Nomad Health, une start-up de mise en relation de cliniciens et
d’établissements médicaux, financée par le capital-risque et qui s’est
développée très vite. Il conseille également des start-up médicales et a
déposé des brevets médicaux. Aujourd’hui, il travaille sur plusieurs start-up
consacrées à l’amélioration des services de santé. Il regrette de s’être forgé
si tôt une identité de neurochirurgien et de s’être trouvé prisonnier de
l’escalade de l’engagement.
***
Nos identités, nos vies, sont des systèmes ouverts. Ne restons pas attachés à
de vieilles images – où nous voulons aller, qui nous voulons être – et
commençons à revoir nos options en nous interrogeant simplement sur ce
que nous faisons chaque jour.
Il faut de l’humilité pour modifier nos engagements passés, du doute pour
interpeller nos décisions présentes et de la curiosité pour réinventer nos
plans futurs. Ce que nous découvrons en chemin peut nous libérer des
entraves de notre environnement familier et de nos anciennes identités.
Cette remise en question va au-delà d’une simple mise à jour de nos
connaissances et de nos opinions: elle est un outil pour mener une vie plus
épanouie.
40. Cette question me dérange également, car elle encourage les enfants à considérer le travail
comme l’élément majeur de leur identité. La seule réponse socialement acceptable est une
profession. Les adultes attendent un choix poétique (astronaute), héroïque (pompier) ou
artistique (réalisateur). Impensable de répondre «avoir la sécurité de l’emploi», «être une bonne
mère/un bon père», «devenir un adulte attentionné et curieux». Et moi qui gagne ma vie en
étudiant le travail, je ne pense pas qu’il doive nous définir.
41. Il est prouvé que les diplômés des universités d’Angleterre et du pays de Galles sont plus
susceptibles de changer de carrière que ceux d’Écosse. C’est une question de calendrier, non de
culture. En Angleterre et au pays de Galles, les élèves doivent se spécialiser dès le secondaire, ce
qui limite leurs options en termes d’exploration une fois à l’université. En Écosse, les étudiants
ne sont pas autorisés à se spécialiser avant leur troisième année d’université, ce qui multiplie les
occasions de revoir leurs desseins et de développer de nouveaux centres d’intérêt: ils sont alors
plus susceptibles de se spécialiser dans des matières non étudiées au secondaire, et ainsi de
trouver leur voie.
42. Au début, je recommandais ces bilans aux élèves bridés par leurs œillères, puis j’ai compris
qu’ils seraient également utiles, à l’autre extrémité du spectre de la remise en question, à ceux
qui réfléchissent trop. Ces derniers – peu satisfaits de leur travail – me confient souvent que ce
rendez-vous biannuel leur permet de résister à la tentation d’envisager tous les jours de
démissionner.
43. «Nous tenons pour évidentes pour elles-mêmes les vérités suivantes: tous les hommes sont créés
égaux; ils sont doués par le Créateur de certains droits inaliénables; parmi ces droits se trouvent
la vie, la liberté et la recherche du bonheur.» (Traduction Thomas Jefferson, 1776) [NdT]
44. Le Soleil se lève aussi, Gallimard, traduction Maurice Edgar Coindreau. [NdT]
ÉPILOGUE
En revanche, lorsque j’écris sur des idées, je n’aime pas les conclusions. Le
dernier chapitre ne peut-il pas suffire à servir de fin? C’est un livre, pas une
fiche de lecture. Si j’avais eu autre chose à dire, je l’aurais déjà dit.
C’est le défi de ce livre. Je ne veux pas que la conclusion soit une fin. Je
veux que ma pensée continue à évoluer. Pour symboliser cette ouverture, je
voulais que l’épilogue soit une page blanche. Littéralement.
Cette idée a été rejetée à l’unanimité. Deux de mes élèves les plus sagaces
m’ont convaincu que, si l’épilogue constitue un point final pour moi, auteur,
il est un point de départ pour vous, lecteur – un tremplin vers de nouvelles
réflexions et un pont vers de nouvelles discussions. Ils m’ont alors proposé
un moyen de rester fidèle à l’esprit du livre: m’inspirer de Ron Berger et
montrer comment j’ai peaufiné ma conclusion au fil de mes brouillons.
La première chose qui m’est venue à l’esprit, c’est le moment précis où,
alors en plein processus de fact-checking, j’ai appris que des scientifiques
avaient changé d’avis à propos du prétendu plumage des tyrannosaures. Au
chapitre 1, vous imaginiez un T. rex à plumes – moi aussi. Mais le
consensus actuel est que le T. rex typique était couvert d’écailles. Si vous
êtes dévasté par cette information, relisez les passages sur la joie d’avoir
tort. Mais j’ai une bonne nouvelle: un autre tyrannosaure, le yutyrannus,
était, selon les scientifiques, couvert de plumes colorées qui le maintenaient
au frais.
Ceux qui me relisent me disent que corriger un fun fact est vraiment sans
intérêt.
Beaucoup de grands penseurs ont affirmé que penser autrement est une
tâche qui incombe à chaque génération et non à chaque personne – même
dans le domaine scientifique. Comme l’a dit Max Planck, éminent
physicien, «une nouvelle vérité scientifique ne triomphe pas en
convainquant ses opposants et en leur faisant voir la lumière, mais plutôt
parce que ses opposants finissent par mourir». De ce point de vue, les
générations sont remplacées plus vite que les gens ne changent d’avis.
La réponse est moins évidente lorsqu’il s’agit d’ouvrir l’esprit des autres.
J’ai essayé de saisir les nuances de chaque approche: le prêche peut être
efficace lors de discussions avec des personnes réceptives à votre point de
vue ou qui ne sont pas impliquées dans le problème; le jugement peut
toucher des publics ne cherchant pas à prendre le contrôle; enfin, la
simplicité peut convaincre votre tribu politique. Mais je n’étais pas certain
d’avoir toujours suffisamment argumenté.
Pour moi, l’exemple le plus instructif est celui du gouverneur de New York.
Dans un premier discours, au printemps, tandis que son État et la nation
affrontaient une crise sans précédent, il déclara: «Le bon sens veut que l’on
essaie quelque chose; si ça ne fonctionne pas, il faut l’admettre et essayer
autre chose. L’essentiel, c’est d’essayer.»
Le New York Times a étrillé son discours, notant que «quelque chose de
vague ne vaut pas mieux que rien», les autres étaient «précis, concrets,
positifs», lui était «imprécis, abstrait, indécis». Les médias n’ont pas été les
seuls à l’éreinter, l’un des propres conseillers du gouverneur aurait même
évoqué un acte de stupidité politique.
Il est facile de comprendre l’attrait d’un leader confiant, à la vision claire,
au projet solide et aux prévisions intangibles. Mais en temps de crise
comme en temps de prospérité, nous avons surtout besoin de dirigeants qui
acceptent l’incertitude, reconnaissent leurs erreurs, apprennent des autres et
réévaluent leurs stratégies. C’est ce que proposait ce gouverneur, et les
critiques ont eu tort de juger ainsi son approche.
Dans son discours, FDR n’a pas prêché, ni jugé, ni fait de la politique. Il
s’est exprimé avec la même humilité confiante que l’on attend d’un
scientifique. Nous ignorons beaucoup sur la façon de communiquer une
humilité confiante. Lorsque nous manquons de connaissances sur un sujet
complexe – vaincre une pandémie, requinquer une économie – nous
préférons des dirigeants qui admettent leurs ignorances actuelles et doutent
de leurs déclarations passées. Quand nous nous sentons mieux informés et
que le problème est plus simple, nous pouvons rejeter ces leaders qui
reconnaissent l’incertitude et changent d’avis comme de chemise.
Je suis toujours curieux de savoir quel mode est le plus efficace en matière
de persuasion, mais tout compte fait, j’adorerais voir les gens réfléchir à
voix haute, comme FDR. La remise en question est précieuse, mais nous ne
la pratiquons pas suffisamment – qu’il s’agisse des décisions cruciales de
notre vie ou des grands dilemmes de notre époque. Les problèmes
complexes (pandémies, changement climatique, polarisation politique…)
nous imposent de rester mentalement flexibles. Face à toute sorte de
menaces inconnues et évolutives, l’humilité, le doute et la curiosité sont
essentiels à la découverte. L’audace et la constance dans l’expérimentation
pourraient être nos meilleurs outils de remise en question.
B. Échelonner sa confiance
6. Accepter la joie d’avoir tort. Vous avez fait une erreur? Vous venez de
découvrir quelque chose de nouveau! N’hésitez pas à en rire, cela vous
aidera à vous focaliser moins sur votre capacité à vous démarquer, et plus
sur votre capacité à vous améliorer.
7. Apprendre de tous. Chacun en sait plus que vous sur un sujet donné.
Demandez à quelqu’un s’il s’est récemment remis en question ou lancez
une conversation sur les moments où vous avez changé d’avis au cours de
l’année écoulée.
8. Avoir un réseau de stimulation, pas seulement un réseau de soutien.
Pour penser autrement, s’il est utile de se sentir encouragé, il faut aussi
recevoir des critiques. Qui sont vos censeurs les plus vigilants? Une fois
identifiés, invitez-les à remettre en question votre réflexion. Pour qu’ils
sachent bien que vous êtes ouvert aux opinions divergentes, expliquez-leur
pourquoi vous appréciez leurs réticences et combien elles vous sont
précieuses.
14. Reconnaître les points communs. Le débat est une danse, pas une
guerre. Admettre des points de convergence ne vous affaiblit pas, mais
montre que vous être prêt à négocier sur ce qui est vrai, poussant ainsi la
partie adverse à considérer votre point de vue.
15. Se rappeler que moins, c’est souvent plus. Si votre raisonnement est
trop détaillé, cela peut mettre votre interlocuteur sur la défensive et
l’encourager à rejeter l’ensemble de votre argumentation en s’appuyant sur
vos points les moins convaincants. Au lieu de diluer vos arguments,
appuyez-vous sur quelquesuns de vos points les plus solides.
16. Affermir la liberté de choix. Les individus peuvent résister parce qu’ils
rejettent non pas l’argument, mais l’idée que leur comportement est sous
contrôle. Respectez leur indépendance en leur rappelant que c’est à eux de
choisir ce qu’ils croient.
21. Instaurer une discussion hebdomadaire sur les idées reçues. Il est plus
facile de démystifier les fausses croyances auprès des jeunes enfants, et
c’est un excellent moyen de les familiariser avec la remise en question.
Chacun, à tour de rôle, choisira le thème de la discussion de la semaine: les
dinosaures, l’espace, etc.
22. Inviter les enfants à multiplier les brouillons et à solliciter l’avis des
autres. Travailler sur plusieurs versions d’un dessin ou d’une histoire les
encourage à apprendre qu’il est précieux de revoir ses idées. Demander
l’avis des autres peut aussi les aider à faire évoluer leurs modèles, à
accepter la confusion et à ne pas obtenir la perfection au premier essai.
23. Arrêter de leur demander ce qu’ils veulent faire plus tard. Les enfants
n’ont pas à se définir par un statut professionnel. Une identité ferme des
portes. Au lieu de réduire ainsi leurs options, aidez-les à élargir leur champ
des possibles. Ils ne doivent pas être une seule chose – ils peuvent faire
beaucoup de choses.
C. Créer des organisations apprenantes
24. En finir avec les «bonnes» pratiques. Une «bonne» pratique laisse
entendre qu’une routine idéale est déjà en place. Pour que des employés
réfléchissent régulièrement à leurs méthodes de travail, mieux vaut adopter
la responsabilisation des processus et rechercher constamment les
«meilleures» pratiques.
26. Penser autrement et compter les points. Ne notez pas uniquement vos
décisions sur les résultats, mais regardez comment les différentes options
ont été prises en compte au cours du processus. Mauvais processus et bon
résultat? C’est de la chance. Bon processus et mauvais résultat? C’est une
bonne expérience.
27. Ne pas penser sur dix ans. Ce qui vous intéressait l’an dernier peut
vous ennuyer cette année. Ce qui vous déroutait hier peut vous
enthousiasmer aujourd’hui. Les passions se développent, elles ne se
découvrent pas. Planifier une étape à la fois aide à rester ouvert aux remises
en question.
29. Faire un bilan de vie. Il est facile de se laisser piéger par l’escalade de
l’engagement. Tout comme vous faites un bilan de santé chez le médecin, il
est bon de faire un bilan professionnel et personnel une à deux fois par an,
afin d’évaluer ce que vous apprenez et si vos prochaines étapes méritent
d’être repensées.
Prologue
Plus on est intelligent: Frank L. Schmidt, John Hunter, «General Mental Ability in the World of
Work: Occupational Attainment and Job Performance», Journal of Personality and Social
Psychology, n° 86, 2004, p. 162-163.
Plus on les résout rapidement: David C. Geary, «Efficiency of Mitochondrial Functioning as the
Fundamental Biological Mechanism of General Intelligence (G), Psychological Review, n° 15,
2018, p. 1028-1030.
La capacité à repenser les choses et à désapprendre: Neel Burton, «What Is Intelligence?»,
Psychology Today, 28 novembre 2018, www.psychologytoday.com/us/blog/hide-and-
seek/201811/what is intelligence; Charles Stangor, Jennifer Walinga, Introduction to Psychology,
2014; Frank L. Schmidt, «The Role of Cognitive Ability and Job Performance: Why There
Cannot Be a Debate», Human Performance, n° 15, 2002, p. 187-210.
Faire preuve de la plus grande prudence avant de modifier une réponse: A Systematic Approach
to the GRE, Kaplan, New York, 1999.
Dans la majorité des cas: Ludy T. Benjamin Jr., Timothy A. Cavell, William R. Shallenberger III,
«Staying with Initial Answers on Objective Tests: Is It a Myth?», Teaching of Psychology, n° 11,
1984, p 133-141.
Les psychologues ont compté les traces de gomme: Justin Kruger, Derrick Wirtz, Dale T. Miller,
«Counterfactual Thinking and the First Instinct Fallacy», Journal of Personality and Social
Psychology, n° 88, 2005, p. 725-735.
Ceux qui reconsidèrent leurs premières réponses: Yongnam Kim, «Apples to Oranges: Causal
Effects of Answer Changing in Multiple-Choice Exams», arXiv:1808.10577v4, dernière révision
le 14 octobre 2019, arxiv.org/abs/1808.10577.
Le fait de vous demander si vous devriez la modifier: Justin J. Couchman et al., «The Instinct
Fallacy: The Metacognition of Answering and Revising during College Exams», Metacognition
and Learning, n° 11, 2016, p. 171-175.
L’enseignant leur a expliqué: Charles M. Slem, «The Effects of an Educational Intervention on
Answer Changing Behavior», Annual Convention of the American Psychological Association,
août 1985, eric.ed.gov/? id= ED266395.
Nous sommes affligés d’indolence mentale: Susan T. Fiske, Shelley E. Taylor, Social Cognition:
From Brains to Culture, Sage, Los Angeles, 2013.
Saisie et gel des avoirs: Arie W. Kruglanski, Donna M. Webster, «Motivated Closing of the Mind:
“Seizing” and “Freezing”», Psychological Review, n° 103, 1996, p. 263-283.
Elle s’en sort mieux lorsqu’on veut la cuire à petit feu: James Fallows, «The Boiled-Frog Myth:
Stop the Lying Now!», The Atlantic, 16 septembre 2006,
www.theatlantic.com/technology/archive/2006/09/the-boiled-frog-mythstop-the-lying-now/7446/.
«Devant un grand incendie»: Norman Maclean, La Part du feu, Rivages, 1994; voir aussi
www.nifc.gov/safety/mann_gulch/event_timeline/event6.htm.
Soumis à un stress intense, les êtres humains mobilisent habituellement des réactions
automatiques: Barry M. Staw, Lance E. Sandelands, Jane E. Dutton, «Threat Rigidity Effects in
Organizational Behavior: A Multilevel Analysis», Administrative Science Quarterly, n° 26, 1981,
p. 501-524; Karl E. Weick, «The Collapse of Sense-Making in Organizations: The Mann Gulch
Disaster» [«Effondrement du sens dans les organisations: la catastrophe de Mann Gulch»],
Administrative Science Quarterly, n° 38, 1993, p. 628-652.
Vingt-trois pompiers ont péri: Ted Putnam, «Findings from the Wildland Firefighters Human
Factors Workshop», Département américain de l’Agriculture, Service des Eaux et Forêts,
Programme de développement technologique, novembre 1995.
À Storm King Mountain: John N. Maclean, Fire on the Mountain: The True Story of the South
Canyon Fire, HarperPerennial, New York, 2009.
«À une vitesse supérieure de 15 à 20%»: Ted Putnam, «Analysis of Escape Efforts and Personal
Protective Equipment on the South Canyon Fire», Wildfire, n° 4, 1995, p. 34-39.
«La plupart auraient survécu»: Ted Putnam, «The Collapse of Decision Making and
Organizational Structure on Storm King Mountain», Wildfire, n° 4, 1995, p. 40-45.
«S’ils avaient abandonné leurs sacs»: Report of the South Canyon Fire Accident Investigation
Team, 17 août 1994.
«Qui suis-je sans eux?»: Karl E. Weick, «Drop Your Tools: An Allegory for Organizational
Studies», Administrative Science Quarterly, n° 41, 1996, p. 301-313.
Au sein d’un groupe en ligne: Elizabeth Widdicombe, «Prefrosh Egroup Connected Class of ’03»,
Harvard Crimson, 5 juin 2003, www.thecrimson.com/article/2003/6/5/prefrosh-e-group-
connected-class-of-03; Scott A. Golder, «Re: “Alone in Annenberg? First-Years Take Heart”»,
Harvard Crimson, 17 septembre 1999, www.thecrimson.com/article/1999/9/17/letters-begroup-
an-important-link-connecting.
Le soutien accordé au mouvement Black Lives Matter: Nate Cohn, Kevin Quealy, «How Public
Opinion Has Moved on Black Lives Matter», New York Times, 10 juin 2020,
www.nytimes.com/interactive/2020/06/10/upshot/black-lives-matter-attitudes.html.
Le rôle essentiel que les feux spontanés jouent dans le cycle de vie des forêts: Kathryn Schulz,
«The Story That Tore Through the Trees», New York Magazine, 9 septembre 2014,
nymag.com/arts/books/features/manngulch-norman-maclean-2014-9/index.html.
Chapitre 1. Un prédicateur, un procureur, un politicien et un
scientifique cohabitent dans notre tête
«Il n’y a pas de progrès possible sans changement»: George Bernard Shaw, Everybody’s Political
What’s What?, Constable, Londres, 1944.
Mike Lazaridis a eu un impact considérable: Jacquie McNish, Sean Silcoff, Losing the Signal:
The Untold Story behind the Extraordinary Rise and Spectacular Fall of BlackBerry, Flatiron
Books, New York, 2015.
La société enregistrant la croissance la plus rapide: «100 Fastest-Growing Companies», CNN
Money, 31 août 2009,
money.cnn.com/magazines/fortune/fortunefastestgrowing/2009/snapshots/1.html.
Cinq fois plus d’informations: Richard Alleyne, «Welcome to the Information Age – 174
Newspapers a Day», Daily Telegraph, 11 février 2011,
www.telegraph.co.uk/news/science/science-news/8316534/Welcome-to-the-information-age-174-
newspapers-a-day.html.
Elles doublaient tous les sept ans: Peter Densen, «Challenges and Opportunities Facing Medical
Education», Transactions of the American Clinical and Climatological Association, n° 122, 2011,
p. 48-58.
Plus extrêmes avec le temps: Joshua J. Clarkson, Zakary L. Tormala, Christopher Leone, «A Self-
Validation Perspective on the Mere Thought Effect», Journal of Experimental Social Psychology,
n° 47, 201, p. 449-454.
Tendent à s’enraciner plus profondément: Jamie Barden, Richard E. Petty, «The Mere Perception
of Elaboration Creates Attitude Certainty: Exploring the Thoughtfulness Heuristic», Journal of
Personality and Social Psychology, n° 95, 2008, p. 489-509.
Des sujets tels que les origines de Cléopâtre: W. Ralph Eubanks, «How History and Hollywood
Got “Cleopatra” Wrong», NPR, 1er novembre 2010, www.npr.org/templates/story/story.php?
storyId=130976125.
Certains tyrannosaures arboraient des plumes: Jason Farago, «T. Rex Like You Haven’t Seen
Him: With Feathers,», New York Times, 7 mars 2019, www.nytimes.com/2019/03/07/arts/design/-
rex-exhibition-american-museum-of-natural-history.html; Brigit Katz, «T. Rex Was Likely
Covered in Scales, Not Feathers», Smithsonian, 8 juin 2017, www.smithsonianmag.comsmart-
news/t-rex-skin-was-not-covered-feathers-study-says-180963603.
Les ondes sonores peuvent activer le cortex visuel: Alix Spiegel, Lulu Miller, «How to Become
Batman», Invisibilia, NPR, 23 juin 2015, www.npr.org/programs/invisibilia/378577902/how-to-
become-batman.
«Enfumer quelqu’un»: Sterling Haynes, «Special Feature: Tobacco Smoke Enemas», BC Medical
Journal, n° 54, 2012, p. 496-497.
La pyramide de Ponzi: Stephen Greenspan, «Why We Keep Falling for Financial Scams», Wall
Street Journal, 3 janvier 2009, www.wsj.com/articles/SB123093987596650197.
L’état d’esprit de l’une de ces trois professions: Philip E. Tetlock, «Social Functionalist
Frameworks for Judgment and Choice: Intuitive Politicians, Theologians, and Prosecutors»,
Psychological Review, n° 109, 2002, p. 451-471.
Nous présentons des arguments: Hugo Mercier, Dan Sperber, «Why Do Humans Reason?
Arguments from an Argumentative Theory», Behavioral and Brain Sciences, n° 34, 2011, p. 57-
74.
Coupable de «cynisme épidermique»: Stephen Greenspan, «Fooled by Ponzi (and Madoff): How
Bernard Madoff Made Off with My Money», eSkeptic, 23 décembre 2008,
www.skeptic.com/eskeptic/08-12-23/#feature.
Ce qui nous amène à nous laisser duper: Greg Griffin, «Scam Expert from CU Expertly
Scammed», Denver Post, 2 mars 2009, www.denverpost.com/2009/03/02/scam-expert-from-cu-
expertly-scammed.
Être scientifique ne se résume pas à exercer une profession dans le domaine des sciences:
George A. Kelly, The Psychology of Personal Constructs, vol. 1, A Theory of Personality,
Norton, New York, 1955; Brian R. Little, Who Are You, Really? The Surprising Puzzle of
Personality, Simon & Schuster, New York, 2017.
Envisager le lancement d’une start-up avec des lunettes de scientifique: Arnaldo Camuffo et al.,
«A Scientific Approach to Entrepreneurial Decision Making: Evidence from a Randomized
Control Trial», Management Science, n° 66, 2020, p. 564-586.
Lorsque des cadres commerciaux s’affrontent: Mark Chussil, «Slow Deciders Make Better
Strategists», Harvard Business Review, 8 juillet 2016, hbr.org/2016/07/slow-deciders-make-
better-strategists.
«Afin de me punir»: Walter Isaacson, Einstein: His Life and Universe, Simon & Schuster, New
York, 2007.
On repère plus rapidement les schémas: David J. Lick, Adam L. Alter, Jonathan B. Freeman,
«Superior Pattern Detectors Efficiently Learn, Activate, Apply, and Update Social Stereotypes»,
Journal of Experimental Psychology: General, n° 147, 2018, p. 209-227.
Plus une personne est intelligente: Dan M. Kahan, Ellen Peters, Erica C. Dawson, Paul Slovic,
«Motivated Numeracy and Enlightened Self-Government», Behavioural Public Policy, n° 1,
2017, p. 54-86.
L’un est le biais de confirmation: Raymond S. Nickerson, «Confirmation Bias: A Ubiquitous
Phenomenon in Many Guises», Review of General Psychology, n° 2, 1998, p. 175-220.
L’autre est le biais de désirabilité: Ben M. Tappin, Leslie van der Leer, Ryan T. McKay, «The Heart
Trumps the Head: Desirability Bias in Political Belief Revision», Journal of Experimental
Psychology: General, n° 146, 2017, p. 1143-1149; Ziva Kunda, «The Case for Motivated
Reasoning», Psychological Bulletin, n° 108, 1990, p. 480-498.
Le biais «je n’ai pas de parti pris»: Emily Pronin, Daniel Y. Lin, Lee Ross, «The Bias Blind Spot:
Perceptions of Bias in Self versus Others», Personality and Social Psychology Bulletin, n° 28,
2002, p. 369-381.
Les gens brillants sont plus susceptibles de tomber dans ce piège: Richard F. West, Russell J.
Meserve, Keith E. Stanovich, «Cognitive Sophistication Does Not Attenuate the Bias Blind
Spot», Journal of Personality and Social Psychology, n° 103, 2012, p. 506-519.
Cultiver activement l’ouverture d’esprit: Keith E. Stanovich, Maggie E. Toplak, «The Need for
Intellectual Diversity in Psychological Science: Our Own Studies of Actively Open-Minded
Thinking as a Case Study», Cognition, n° 187, 2019, p. 156-166; Jonathan Baron et al., «Why
Does the Cognitive Reflection Test (Sometimes) Predict Utilitarian Moral Judgment (and Other
Things)?», Journal of Applied Research in Memory and Cognition, n° 4, 2015, p. 265-284.
La logique la plus rigoureuse et les données les plus solides: Neil Stenhouse et al., «The Potential
Role of Actively Open-Minded Thinking in Preventing Motivated Reasoning about Controversial
Science», Journal of Environmental Psychology, n° 57, 2018, p. 17-24.
«Basculer d’un extrême à l’autre»: Mihaly Csikszentmihalyi, La Créativité: psychologie de la
découverte et de l’invention, Robert Laffont, Paris, 2006.
Une étude indépendante consacrée aux architectes les plus créatifs: Donald W. Mackinnon, «The
Nature and Nurture of Creative Talent», American Psychologist, n° 17, 1962, p. 484-495.
Des experts ont évalué les présidents américains: Dean Keith Simonton, «Presidential IQ,
Openness, Intellectual Brilliance, and Leadership: Estimates and Correlations for 42 U.S. Chief
Executives», Political Psychology, n° 27, 2006, p. 511-526.
Pareils à un gros chat: Jane E. Dutton, Robert B. Duncan, «The Creation of Momentum for Change
through the Process of Strategic Issue Diagnosis», Strategic Management Journal, mai-juin 1987,
p. 279-295.
«C’est un produit iconique»: Jacquie McNish, «RIM’s Mike Lazaridis Walks Out of BBC
Interview», Globe and Mail, 13 avril 2011, www.theglobeand-mail.com/globe-investor/rims-
mike-lazaridis-walks-out-of-bbc-interview/article1322202.
«C’est pour le clavier qu’on achète des BlackBerry»: Sean Silcoff, Jacquie McNish, Steve
Laurantaye, «How BlackBerry Blew It», Globe and Mail, 27 septembre 2013,
www.theglobeandmail.com/report-on-business/the-inside-story-of-why-blackberry-is-
failing/article14563602/.
«Nous nous sommes moqués»: Jonathan S. Geller, «Open Letter to BlackBerry Bosses: Senior RIM
Exec Tells All as Company Crumbles Around Him», BGR, 30 juin 2011, bgr.com/2011
06/30/open-letter-to-blackberry-bosses-senior-rim-exec-tells-all-as-company-crumbles-around-
him.
Ce qui a ressuscité Apple: entretiens de l’auteur avec Tony Fadell, le 1er juin 2020, et Mike Bell, le
14 novembre 2019; Brian Merchant, The One Device: The Secret History of the iPhone, Little,
Brown, New York, 2017.
Épilogue
«“Ce que je crois”»: Candace Falk, Barry Pateman et Jessica Moran, eds., Emma Goldman, vol. 2, A
Documentary History of the American Years, Champaign, University of Illinois Press, 2008.
«Écrire un livre qui s’achèverait sur le mot “mayonnaise”»: Richard Brautigan, La Pêche à la
truite en Amérique, Bourgois, 2018.
«Une nouvelle vérité scientifique»: Max K. Planck, Autobiographie scientifique et derniers écrits,
Flammarion, 1991.
Les générations sont remplacées: «Societies Change Their Minds Faster Than People Do»,
Economist, 31 octobre 2019, www.economist.com/graphic-detail/2019/10/31/societies-change-
their-minds-faster-than-people-do.
Le mot «scientifique» est relativement récent: William Whewell, The Philosophy of the Inductive
Sciences, New York, Johnson, 1840/1967; «William Whewell», Stanford Encyclopedia of
Philosophy, 23 décembre, 2000, dernière mise à jour 22 septembre 2017,
plato.stanford.edu/entries/whewell.
«L’essentiel, c’est d’essayer»: Franklin D. Roosevelt, «Address at Oglethorpe University», 22 mai
1932, www.presidency.ucsb.edu/documents/address-oglethorpe-university-atlanta-georgia.
«Quelque chose de vague n’est pas mieux que rien»: «Hoover and Roosevelt», New York Times,
24 mai 1932, www.nytimes.com/1932/05/24/archives/hoover-and-roosevelt.html.
Acte de stupidité politique: Paul Stephen Hudson, «A Call for “Bold Persistent Experimentation”:
FDR’s Oglethorpe University Commencement Address, 1932», Georgia Historical Quarterly
(Été 1994), https://georgiainfo.galileo.usg.edu/topics/history/related_article/progressive-era-
world-war-ii-1901-1945/background-to-fdrs-ties-to-georgia/a-call-for-bold-persistent-
experimentation-fdrs-oglethorpe-university-comme.
REMERCIEMENTS
Pour exprimer sa gratitude, il faut plus agir que réfléchir! Je veux donc
commencer par faire l’éloge de Richard Pine, mon extraordinaire agent, qui
m’a incité à repenser mon lectorat et à élargir ma vision au-delà du domaine
professionnel, ainsi que Rick Kot, éditeur par excellence, qui a cru en ces
idées et en a développé le potentiel. Ce fut comme toujours un bonheur de
travailler avec eux, qui m’apportent l’équilibre parfait entre défi et soutien.
Marissa s’est surpassée pour donner vie à des concepts et pour synthétiser
les techniques pratiques. Karen est allée toujours plus loin pour
complexifier et diversifier la réflexion.
Reb Rebele, dont le goût pour les idées et la prose sont sans égal, est allé
chercher ce qui manquait aux premiers chapitres et a pimenté les derniers.
Grace Rubenstein, la reine du fléchage, a offert ses conseils avisés pour
aider les lecteurs à voir l’arbre qui cache la forêt et à reconnaître que la
remise en question est une habitude à la fois opportune et intemporelle. Dan
O’Donnell m’a aidé à désescalader mon engagement dans une succession
d’impasses et a composé une mélodie joyeuse en version écrite pour animer
plusieurs études et anecdotes clés.
Impact Lab m’a rappelé une fois encore que les professeurs apprenaient de
leurs élèves. Vanessa Wanyandeh m’a mis au défi de réfléchir à combien les
déséquilibres de pouvoir affectaient les groupes les plus concernés par la
remise en question, et a mis en évidence la responsabilité de chacun en
matière de lutte contre les préjudices. Akash Pulluru a éliminé sans pitié les
arguments faiblards et a débattu des principes d’un bon débat. Graelin
Mandel a exigé des informations supplémentaires sur quand et pourquoi le
conflit opérationnel provoquait le conflit relationnel, et Zach Sweeney a
plaidé passionnément pour l’élargissement du rôle du cycle de remise en
question. Jordan Lei m’a poussé à creuser le biais de première impression,
et Shane Goldstein m’a convaincu de renoncer à l’épilogue de la page
blanche pour montrer mes notes et mes modifications dans la marge.
Nicholas Strauch a demandé plus de contexte sur comment poser les bonnes
questions (et a défendu la grenouille), et Madeline Fagen m’a suggéré plus
de clarté sur la différence entre croyances et valeurs. Wendy Lee m’a
conseillé de détailler davantage l’humilité confiante, Kenny Hoang m’a
soufflé d’introduire quelques principes de remise en question
interpersonnelle dans mon écriture, et Lizzie Youshaei a souhaité une
analyse plus approfondie de quand et pourquoi les gens acceptent d’avoir
tort. Meg Sreenivas a pointé quelques détails bizarres, Aaron Kahane a
clarifié des arguments confus, et Shaheel Mitra a suggéré la citation
d’Edgar Mitchell.
Ma plus profonde gratitude va à Allison Sweet Grant pour son amour, ses
conseils et son humour. Comme toujours, elle m’a aidé à repenser beaucoup
de mes principes et a supporté nombre de mes questions sans intérêt, de
mes demandes hasardeuses et de mes débats inutiles. Je prononce toujours
«man-aize» au lieu de «mayonnaise», et elle ne manque jamais de souligner
que personne ne dit «passe-moi la man», mais bien «passe-moi la mayo»…
Pour info, je n’aime pas la mayonnaise.
TABLE
DES MATIÈRES
Sommaire
Prologue
PARTIE 1
RENOUVELER NOTRE PENSÉE, ACTUALISER NOS
POINTS DE VUE
CHAPITRE 1
Un prédicateur, un procureur, un politicien et un scientifique
cohabitent dans notre tête
Réflexion faite
Une autre paire de lunettes
Les plus brillants échouent plus spectaculairement
Ne cessez pas de déconstruire vos croyances
CHAPITRE 2
Le quart-arrière dans son fauteuil et l’imposteur
Conte des deux syndromes
L’ignorance de l’arrogance
Échoué au sommet du mont Stupidité
L’erreur de Boucles d’or
Les bénéfices du doute
La ligue de l’extraordinaire humilité
CHAPITRE 3
La joie d’avoir tort
Le dictateur qui régit vos pensées
Des problèmes d’attachement
L’effet Yoda: «Tu dois désapprendre ce que tu as appris»
Il y a eu des erreurs… sans doute de mon fait
CHAPITRE 4
Les bonnes bagarres
Le sort peu enviable de ceux qui veulent plaire
Désaccords sur les accords
S’échauffer sans se fâcher
PARTIE 2
AIDER LES AUTRES À RENOUVELER LEUR PENSÉE,
OUVRIR L’ESPRIT D’AUTRUI
CHAPITRE 5
Danser avec l’ennemi
La science de l’accord
Danser au même rythme
Ne leur marchez pas sur les pieds
Dr Jekyll et M. Hostile
La force des opinions faibles
CHAPITRE 6
Du sang sur les diamants
Jeux de haine
Dedans et dehors
Hypothèse 1: nous ne vivons pas dans un monde à part
Hypothèse 2: avoir de la compassion pour nos ennemis
Hypothèse 3: des bêtes d’habitudes
Bienvenue dans un monde parallèle
Quand un musicien noir se confronte à des suprémacistes blancs
CHAPITRE 7
Celui qui murmurait à l’oreille des antivax
L’entretien motivationnel
Au-delà de l’entretien
L’art de l’écoute influente
PARTIE 3
PENSER AUTREMENT ENSEMBLE, CRÉER DES
COMMUNAUTÉS D’APPRENANTS AU LONG COURS
CHAPITRE 8
Conversations polémiques
Des vérités qui dérangent
Avertissements et contingences
Des sentiments contradictoires
CHAPITRE 9
Revoir nos principes
Apprendre à désapprendre
Fascination et sidération
L’insupportable légèreté de la répétition
100 fois sur le métier
CHAPITRE 10
Refuser la routine
Je me trompe, donc j’apprends
En sécurité chez les Gates
Le pire du meilleur
PARTIE 4
CONCLUSION
CHAPITRE 11
Enlever nos œillères
L’obstination ou le côté obscur de la ténacité
Le temps du bilan
(Ne pas trop) poursuivre le bonheur
La vie, la liberté et la quête du sens
Épilogue
Notes
Remerciements
Le pouvoir de la pensée flexible: pourquoi garder l’esprit ouvert est notre meilleur atout
ISBN EPUB 978-2-7619-5965-0
02-22
Imprimé au Canada
Traduction française:
© 2021 Alisio, une marque des éditions Leduc
Pour le Québec:
© 2022, Les Éditions de l’Homme,
division du Groupe Sogides inc.,
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(Montréal, Québec)
L’ouvrage original a été publié par Viking, une division de Penguin Random House LLC, sous le titre
Think Again.
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L’Éditeur bénéficie du soutien de la Société de développement des entreprises culturelles du Québec
pour son programme d’édition.
Nous remercions le Conseil des arts du Canada de l’aide accordée à notre programme de publication.
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du Canada pour nos activités d’édition.
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