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Les Enfants Dans Les Violences Conjugales
Les Enfants Dans Les Violences Conjugales
Les Enfants Dans Les Violences Conjugales
JIDV
53 pages
Sous la direction de
Christophe Herbert,
Directeur de publication, Journal International de Victimologie
1/ ‘Ma mère était à lui, comme une possession un peu’: Le point de vue d’enfants
et d’adolescents vivant dans un contexte de violence familiale
Lapierre, S. [Royaume-Uni]
Université de Warwick
Auteur
Doctorant en travail social,
Centre for the study of safety and well-being,
School of health and Social Studies, University of Warwick
Résumé
Cet article présente les résultats d’une étude exploratoire portant sur le point de vue d’enfants et
d’adolescents vivant dans un contexte de violence familiale et examine les liens entre la violence
conjugale et la violence à l’endroit des enfants. La première partie de l’article porte sur les aspects
méthodologiques de la recherche et présente pourquoi il est important d’explorer le point de vue des
enfants et des adolescents sur la violence familiale, la stratégie de recherche adoptée et les défis
soulevés lors de la collecte des données. La deuxième partie de l’article présente les résultats de
l’étude et, parmi les thèmes émergeants, figurent la violence familiale, la séparation et la violence
post-séparation, la relation mère-enfant et la relation père-enfant. Les résultats de cette étude
confirment qu’il est possible et souhaitable de tenir compte du point de vue d’enfants et d’adolescents
vivant dans un contexte de violence familiale puisque le point de vue des jeunes permet de
développer une perspective nouvelle et complémentaire. À la lumière des résultats obtenus, il est
possible d’identifier différentes implications pour la recherche et pou l’intervention auprès des enfants
et des adolescents vivant dans un contexte de violence familiale.
Mots-clés
Violence conjugale, violence familiale, mauvais traitements, enfants, adolescents
codage du matériel, l’analyse et l’interprétation souligne qu’il est souvent difficile de savoir si
des résultats (Mayer & Deslauriers, 2000). Les les jeunes parlent de conflits ou de violence
analyses ont été conduites à partir d’une grille conjugale. Dans notre étude, cela se traduit
mixte avec des catégories correspondant aux par une importante utilisation par les
thèmes abordés dans le protocole d’entrevue participants du terme « chicane » :
et ont été effectuées à l’aide du logiciel
Microsoft Word 2002 pour Windows. « Peut-être qu’ils [mes parents] se sont pas
Les défis soulevés lors de la collecte des chicanés aussi, peut-être que mon père y’a
données pogné les nerfs. »
de la conjointe du père]. T’sé il voulait que je 1998 ; McGee, 2000 ; Mullender et al., 2002),
reste assis sur le divan à l’écouter. » mais est particulièrement intéressant compte
tenu que les participants dans notre étude ont
Ces résultats sont cohérents avec été recrutés dans différentes organisations,
ceux obtenus dans les études sur le point de non seulement dans les maisons
vue d’enfants et d’adolescents exposés à la d’hébergements pour femmes victimes de
violence conjugale, qui rapportent violence.
principalement des incidents de violence
physique et psychologique (Abrahams, 1994 ; Les résultats confirment également
Boutin, 1996 ; Bourassa & Turcotte, 1998 ; que la présence de violence conjugale place
McGee, 2000 ; Mullender et al., 2002). Même les enfants et les adolescents à risque d’être
si la violence sexuelle est reconnue comme victimes de violence « directe » (Bowker,
étant une importante manifestation de la Arbitell & McFerron, 1988 ; Kelly, 1994 ; Stark
violence familiale (Kelly, 1988 ; Hanmer, & Flitcraft, 2005), notamment parce qu’ils sont
1996), d’autres chercheurs ont soulevé la souvent présents dans la maison ou dans la
difficulté de recueillir des informations relatives pièce quand la violence conjugale se produit
à cette forme de violence, notamment parce ou parce qu’ils tentent d’intervenir dans une
qu’il s’agit d’un sujet plus tabou que la violence situation de violence conjugale pour faire
physique ou psychologique (Boutin, 1996 ; cesser la violence ou pour protéger leur mère :
McGee, 2000).
« Je m’en suis mêlé. On criait après papa pour
Les participants démontrent également qu’il arrête. Y’a jamais arrêté. J’ai presque
que la violence au sein de la famille est arrêté papa de donner des claques pis… il l’a
rarement le fait d’incidents isolés. Ils rapportent redonné à maman pis à moi. »
que la violence est plutôt un problème fréquent
et sévère : Finalement, les participants rapportent
des conséquences importantes à court, moyen
« Mon père il la frappait tellement souvent que et long terme pour les femmes et pour les
les voisins d’en haut pis les voisins d’à côté enfants et les adolescents vivant dans un
y’appelaient la police. La police était quasiment contexte de violence familiale. C’est
là à chaque semaine, pis elle venait pour généralement la combinaison des différentes
chercher mon père. » formes de violence et le climat général de
violence au sein de la famille qui engendre des
La violence dont il est question dans conséquences à moyen et à long terme :
les entrevues avec les participants est
largement une violence masculine, puisque « Depuis c’temps là j’suis jamais capable
c’est généralement le père ou le conjoint de la d’être tout seul en quelque part. »
mère qui adopte des comportements violents.
Pour certains participants, il semble clair que Un problème plus large….
cette violence s’inscrit dans un patron de Les résultats révèlent que cette
domination dans les relations hommes- violence masculine constitue un problème plus
femmes : large que ce qui se produit entre les
« Mon père il avait dit que y’était… que ma participants, leur mère et leur père. En effet,
mère était à lui, comme une possession un les participants rapportent que les hommes qui
peu là. » adoptent des comportements violents le font
généralement à l’endroit de plusieurs femmes
Les participants qui rapportent des et de plusieurs enfants et adolescents :
comportements violents de la part de leur mère
en parlent comme d’un incident mineur et « Mon père y’a fait ça avec pas mal toutes ces
isolé : blondes. Quand il pogne les nerfs, c’est
n’importe qui qui arrive sur son chemin, ben là
« Ma mère elle a pris les lunettes, elle était il part… Il part à crier dessus, chialer, ça
tellement en colère après mon père, elle a pris dépend. Ça dépend c’est qui surtout là. Le pire
ses lunettes, elle les a cassées en deux… ça c’est quand c’est mon grand frère. »
c’est fini comme ça. Ma mère elle m’a donné
une claque dans la face… une claque derrière Séparation et violence post-séparation.
la tête. » Lors de la tenue des entrevues, la
Ces résultats sont aussi cohérents majorité des participants ne vivent plus avec
avec les résultats obtenus dans les études sur l’homme qui a des comportements violents et,
le point de vue d’enfants et d’adolescents dans certains cas, cela a fait diminuer ou
exposés à la violence conjugale (Abrahams, cesser la violence. Néanmoins, les participants
1994 ; Boutin, 1996 ; Bourassa & Turcotte, identifient différentes raisons pour lesquelles
leur mère peut être demeurée avec un homme d’habitude… Elle avait trop de choses dans la
ayant des comportements violents : tête sûrement là. »
« Parce que ma mère t’sé elle l’aimait quand Ces résultats confirment les résultats
même mon père. d’autres études sur le point de vue d’enfants et
C’est parce que ils voulaient que j’aille une d’adolescents exposés à la violence conjugale
mère et un père. Ils voulaient rester ensemble (McGee, 2000 ; Mullender et al., 2002 ;
pour moi. Mullender, 2006). Selon Mullender et ses
Peut-être parce que ma mère elle avait peur collègues, cela n’est pas le fait du hasard,
de lui. » mais plutôt le résultat de stratégies adoptées
par les hommes violents dans le but de
De plus, les participants rapportent s’attaquer à un aspect important dans la vie
diverses stratégies adoptées par les femmes des femmes, des enfants et des adolescents
avant la séparation dans le but de modifier la (Mullender et al., 2002).
situation, de faire cesser la violence et
d’assurer leur protection ainsi que celle de Tel que démontré dans les extraits
leurs enfants : cités précédemment, les participants
rapportent que leur mère était parfois moins
« Elle [ma mère] persévérait. Elle essayait présente, moins disponible ou moins patiente
toujours de le modifier, pis le modifier, pis ça lors des situations de violence. Néanmoins,
marchait pas. » contrairement aux résultats obtenus dans
Cependant, les participants rapportent d’autres études (Bourassa & Turcotte, 1998 ;
de multiples incidents de violence qui se sont Mullender et al., 2002), ces extraits démontrent
produits suite à la séparation et identifient le également que les participants refusent de
harcèlement comme étant une importante blâmer leur mère. Pour les participants, leur
forme de violence post-séparation : mère demeure une importante (souvent la plus
importante) source de protection et de
« Il [mon père] venait… j’pense que ma mère support :
avait fait changé toutes les serrures parce qu’il
venait pis il cognait. Il cognait partout dans la « Ben, j’y ai dit [à ma mère] que ça me faisait
maison… dans les fenêtres pis dans la fenêtre mal, qu’il [mon père] m’avait lancé le vélo. J’ai
de ma chambre. appelé ma mère, pis là j’y ai dit qu’est-ce qui
Il [mon père] est venu chez nous… Il a pas le s’était passé... ça fait que j’me suis en allé
droit de venir… il était sur trois approbations chez elle. Pis là c’est là que j’ai dit ouin j’va
là. Pis là il est venu cogner chez nous, pis là réfléchir un peu, j’va peut-être passer une
ma mère a appelé la police tout de suite. » semaine chez toi. »
perçoivent pas leur père comme étant une No longer can researchers assume that those
personne sur qui ils peuvent compter ou en qui social science methods that are used to study
ils peuvent avoir confiance : adults can be used in the same way with
children. Instead, researchers need to give
« Dans ma tête, j’penserais que papa avait some thought to ways in which innovatory
arrêté, mais il continue. C’est ça la vie ! Il [mon methods of social investigation can be
père] veut pas venir me voir. T’sé des fois developed and used with children so as to gain
y’appelle, mais t’sé des fois il dit qu’il va être là access to children’s perspectives of the world
vers j’sais pas 8h00… Il est jamais là ! » in which they live and work. (Burgess, 2000,
cité dans Kirby, 2002)
Des ouvrages récents soulignent
Les participants perçoivent cette l’importance d’explorer le point de vue des
situation comme étant une conséquence de la jeunes sur les différents aspects de leur vie
violence familiale et identifient leur père (Lewis & Lindsay, 2000 ; Fraser et al., 2004 ;
comme étant responsable pour cette situation : Greene & Hogan, 2004) et les chercheurs qui
« C’est sûr que c’est dur, mais… j’attends, je désirent explorer le point de vue d’enfants et
laisse faire parce que là j’peux rien faire, là il d’adolescents devraient s’inspirer de ces
[mon père] veut rien savoir. » nouveaux développements et faire preuve de
créativité. Est-ce que les jeunes devraient
Finalement, malgré la tristesse et la participer à l’élaboration des objectifs et des
déception, les participants sont en mesure de questions de recherche ? Est-il souhaitable
percevoir les aspects positifs de l’absence du d’impliquer les jeunes dans les différentes
père : étapes du processus de recherche ? Est-il
« Regarde… Quand il [mon père] est en possible d’impliquer les jeunes en tant que co-
prison, ben ça nous fait du bien parce que on chercheurs ? Comment est-il possible de tenir
entend pu crier… On entend pu des mots compte et de minimiser les rapports de pouvoir
méchants. » entre les chercheurs/adultes et
participants/jeunes ?
De plus, malgré les difficultés reliées
Conclusion au recrutement des participants, il est
nécessaire que les études dans le domaine
Les résultats présentés dans cet article
accordent une plus grande attention à la
proviennent d’une étude exploratoire que nous
diversité parmi les enfants et les adolescents,
avons menée auprès d’enfants et
incluant la langue, l’origine ethnique, la classe
d’adolescents sur la concomitance de la
sociale et les caractéristiques physiques et
violence conjugale et des mauvais traitements.
mentales. En effet, des études sur la situation
Bien que, dû à la taille et à la nature de
des enfants et des adolescents vivant dans un
l’échantillon, il serait inapproprié de généraliser
contexte de violence ont démontré que des
les résultats obtenus, il est possible d’identifier
jeunes de groupes différents peuvent avoir des
des implications pour la recherche et pour
expériences différentes de la violence (Imam,
l’intervention auprès d’enfants et d’adolescents
1994 ; Mullender et al., 2002).
vivant dans un contexte de violence familiale.
Finalement, les résultats confirment
D’abord, les résultats confirment qu’il
l’importance de tenir compte du point de vue
est possible et souhaitable d’explorer le point
des enfants et des adolescents dans
de vue des enfants et des adolescents vivant
l’intervention (Bannister, 2001) et dans la mise
dans un contexte de violence familiale,
sur pied et l’évaluation des programmes
puisque le point de vue de ces jeunes permet
d’intervention et de politiques publiques
de développer une perspective nouvelle et
(Hendessi, 1997 ; McGee, 2000). Le point de
complémentaire. Néanmoins, à la lumière des
vue des enfants et des adolescents
défis soulevés par ce projet, il semble
participants dans cette étude supportent l’idée
nécessaire de porter une plus grande attention
que, de façon générale, la meilleure façon
aux aspects méthodologiques et éthiques de la
d’assurer la protection et le bien-être des
recherche auprès des enfants et des
jeunes vivant dans un contexte de violence
adolescents si nous désirons vraiment
familiale est de travailler avec leur mère afin
développer une compréhension partagée des
d’assurer la sécurité et le bien-être de cette
problèmes et« donner une voix » aux
dernière et de faciliter la communication dans
participants (Lloyd-Smith & Tarr, 2000).
la relation mère-enfant (Kelly, 1994 ; Mullender
Tel que soulevé par Burgess : & Morley, 1994 ; Humphreys et al., 2006).
Auteur
(1) Ph.D., Institut de recherche pour le développement social des jeunes,
Professeur associée, Ecole de service social, Université de Montréal
Mots-clés
Violence conjugale ; enfants ; victime ; famille
comprendre les réalités et les besoins des (services de première ligne) ont aussi été mis
différents membres de la famille aux prises à contribution. Par ailleurs, depuis l’émergence
avec cette concomitance, ainsi qu’à dégager de la Loi sur la protection de la jeunesse en
des enjeux soulevés au plan de l’intervention 1979, les services aux enfants victimes de
et de l’organisation des services offerts aux mauvais traitements relèvent de l’État.
familles confrontées à cette double L’intervention dans ce domaine se fait par les
problématique. Les articles de Simon Lapierre Centres jeunesse qui ont le mandat légal
et de Chantal Bourassa abordent le d’intervenir lorsqu’une situation compromet la
phénomène de la concomitance à partir du sécurité ou le développement des jeunes.
point de vue des enfants et des adolescents- Cette séparation des deux univers
es. Leur démarche permet de faire entendre la d’intervention nuit au développement d’une
voix des jeunes sur leur expérience de aide efficace auprès des familles qui vivent
victimisation, ce qui constitue en soi une rareté une concomitance de problèmes. Il existe
dans le domaine de la recherche en violence portant un consensus à l’effet que la
familiale. En effet, les chercheurs se limitent collaboration entre les différents organismes
trop souvent au point de vue des adultes pour concernés apparaît incontournable pour l’offre
appréhender les réalités vécues par les d’un soutien intégré et cohérent (Beeman &
enfants (Chamberland, 2003; Graham- Edleson, 2000 ; Findlater & Kelly, 1999 ;
Bermann, 2002). Pourtant, une étude de Fortin Hartley, 2002; Lessard, et al., 2006). Mais
(2004) démontre que le point de vue de comme le souligne Geneviève Lessard, cette
l’enfant exposé à la violence conjugale, plus collaboration peut s’avérer difficile en raison
particulièrement le fait qu’il se sente menacé, des chocs culturels entre des groupes
qu’il s’attribue le blâme ou qu’il se sente d’acteurs qui possèdent des représentations
coupable, prédit les symptômes de dépression diversifiées du problème et des solutions, et ce
et d’anxiété qu’il manifeste. C’est dans cette bien souvent à l'intérieur d'un même domaine
perspective que Bourassa fait appel aux d'intervention. Ainsi, en violence conjugale,
jeunes eux-mêmes pour documenter les effets des organismes viennent en aide aux conjoints
spécifiques et combinés de l’exposition à la violents alors que d'autres, comme les
violence conjugale et des mauvais traitements maisons d'hébergement, offrent des services
physiques et psychologiques directs sur le aux femmes violentées et à leurs enfants.
développement des troubles de comportement Dans un tel contexte organisationnel de
chez les garçons et les filles. L’étude de pratique, s'interroge Lessard, quelles sont les
Lapierre, de son côté, éclaire de manière divergences et les convergences dans les
intéressante comment l’expérience que font les représentations du problème et de ses
enfants et les adolescents de la violence et de solutions chez les différents groupes
la négligence affecte leurs représentations des d’intervenants? L’importance d’aborder
dynamiques conjugales et parentales simultanément la violence conjugale et la
violentes. Malgré les défis méthodologiques et maltraitance a particulièrement été soulevée
éthiques soulevés par la participation des dans le cas des intervenants en centre
enfants au processus de recherche, les jeunesse. Leur aide peut s’avérer déterminante
connaissances générées par ces deux études pour la sécurité et le bien-être des enfants et
permettent d’améliorer notre compréhension de leur mère. Dans le but de mieux
du phénomène et sont susceptibles d’avoir des comprendre comment les liens de
retombées importantes pour l’intervention et le concomitance sont abordés dans la pratique
développement de programmes et de en centre jeunesse, Chantal Lavergne analyse
politiques publiques dans le domaine de la le discours des intervenants-es de la protection
violence. de la jeunesse entourant le phénomène et
l’intervention auprès des familles. L’étude
Sur le plan des pratiques, la violence est permet également de documenter les défis que
encore abordée de manière morcelée et les la concomitance de ces problèmes soulève
ressources ont tendance à accorder la priorité pour l’aide aux familles en contexte d’autorité.
à l’une ou l’autre des deux problématiques L’article de Julia Krane et Linda Davies jette,
sans que les liens les unissant ne soient pris pour sa part, un regard éclairant sur
en considération ni même reconnus. Il faut dire l’intervention féministe en maison
qu’au Québec, les réponses sociales à ces d’hébergement et soulève un questionnement
deux formes de violence familiale ont connu fondamental pour l’aide aux femmes violentées
une évolution distincte; les services en et à leurs enfants : la pratique féministe en
violence conjugale se sont d’abord développés maison d’hébergement permet-elle de tenir
dans le réseau des organismes compte de la maternité des femmes
communautaires, puis dans les années 1980, hébergées? Poser la question c’est un peu y
les centres de santé et de services sociaux
répondre. Aussi, les auteures recommandent- Findlater, J.E. & S. Kelly. 1999. Reframing
elles de repenser la pratique féministe en child safety in Michigan: Building
maison d’hébergement afin qu’elle réponde collaboration among domestic
davantage aux besoins des femmes victimes violence, family preservation, and child
dans leur rôle de mère. Il s’avère essentiel de protection services. Child
relever ce défi pour « arriver à comprendre les Maltreatment, 4, 167-174.
mères et leurs considérations à l’égard de
leurs enfants ». Fortin, A. (2004). Le point de vue de l'enfant
sur la violence à laquelle il est exposé.
Les articles de ce numéro montrent donc Rapport final. Montréal, QC:
que les liens entre la violence conjugale et les Département de Psychologie et CRI-
mauvais traitements sont bien plus que VIFF. Recherche subventionnée par le
théoriques; en effet ces problématiques sont FQRSC.
souvent intimement enchevêtrées dans
l'histoire des familles maltraitantes. Ils Graham-Bermann, P. (2002). The relationship
permettent aussi de constater l'importance et between domestic violence and child
la pertinence d'analyser les expériences de abuse. In J.B. Myers, L. Berliner, J.
violence au sein de la sphère domestique de Briere, C.T. Hendrix, C. Jenny & T.A.
manière plus globale ainsi que d'intégrer le Reid (Eds.), The APSAC Handbook on
point de vue des différents acteurs tant child maltreatment, second edition.
familiaux que sociaux pour la construction Thousand Oaks, Sage Publications.
d'une représentation plus complexe et mieux McGuigan, W.M., Vuchinich, S. & Pratt, C.C.
nuancée du problème. En somme, les (2000). Domestic violence, parents'
différents auteurs-es qui ont participé à ce view of their infant, and risk for child
numéro spécial sur la concomitance nous abuse. Journal of Family Psychology,
convient donc à réfléchir autrement ces deux 14(4), 613-624.
formes de violence et à mettre nos efforts en
commun pour développer des pratiques Hartley, C.C. (2002). Severe violence and child
novatrices pour contrer les effets néfastes de maltreatment: considering child
cette violence et en freiner la reproduction physical abuse, neglect and failure to
d'une génération à l'autre. protect. Children and Youth Services
Review, 26, 373-392
Lavergne, C., Chamberland, C., Laporte, L.,
Références Tourigny, M., Mayer, M., Wright, J.,
Appel, A.E., & Holden, G.W. (1998). The co- Hélie, S. (2001, mai). Cooccurrence
occurence of spouse and physical entre mauvais traitements envers les
child abuse: A review and appraisal. enfants et violence conjugale dans les
Journal of Family Psychology, 12(4), familles signalées aux services de
578-599. protection de l’enfance au Québec.
Dans le cadre du 69e Congrès de
Beeman, S.K., & Edleson, J.L. (2000). l’Acfas Le savoir critique?, l’Université
Collaborating on family safety: de Sherbrooke, Québec.
challenges for children's and women's
advocates. Journal of Aggression. Lessard, G., Lavergne, C., Chamberland, C.,
Maltreatment et Trauma, 3, 345-358. Damant, D. & Turcotte, D.
(2006). Conditions for resolving
Bourassa, C. (2003). La relation entre la controversies between social actors in
violence conjugale et les troubles de domestic violence and youth protection
comportements à l’adolescence. Les services : Toward innovative
effets médiateurs des relations avec collaborative practices. Children and
les parents. Service social, 30, 30-56. Youth Services review, 28, 511-534.
Chamberland, C. (2003). Violence parentale et O’Keefe, M. (1995). Predictors of child abuse
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plurielles, multidimensionnelles et Interpersonal Violence, 10 (1), 3-25.
interreliées. Sainte-Foy : Presses de
l’Université du Québec. Onyski, J.E. (2003). Domestic violence and
children’s adjustment: A review of
Edleson, J.L. (1999). The overlap between research. Journal of Emotional Abuse,
child maltreatment and woman 3, 1, 11-45.
battering. Violence Against Women, 5,
134-154.
Auteurs
(1)
Infirmièr(e) de secteur psychiatrique
(2)
Psychologue clinicienne
(3)
Pédopsychiatre Praticien hospitalier CMP de Thonon les Bains, Equipe de Pédopsychiatrie de
Liaison., Centre hospitalier G Pianta BP 526, 3 av de la Dame Thonon les Bains 74200 France
Mots-clés
repérés par des professionnels du secteur trouve de l’anxiété dans 14% des situations
sanitaire, social et éducatif du Chablais. suite à une exposition à des violences
conjugales, alors que pour les filles qui n’ont
Sur cette période nous avons reçu 91 pas subi cette exposition, le taux de personnes
enfants, trois cas ne sont pas documentés anxieuses est de 5%. Selon une enquête,
(N=88). Il n’y a pas de différence significative après exposition à des scènes de violence
dans la répartition selon le sexe conjugale un taux élevé d’anxiété est retrouvé
(Filles/Garçons (Nf=45 et Ng=43)). Seule la durant deux ans chez les garçons et pendant
violence physique a été retenue comme quatre ans chez les filles . Tant chez les
critère, la violence psychologique étant bien garçons que chez les filles, il y a une forte
plus difficile à objectiver, à définir de façon association entre exposition à la violence
consensuelle . Pour d’autres raisons nous conjugale et les comportements agressifs :
n’avons retenu ni la violence sexuelle, ni la chez 43 % des garçons et chez 27% des filles.
violence économique. Nous avons constaté Avec les enfants non exposés l’agressivité
que 40,9% (Ne=36) des enfants reçus par manifeste est de 25% chez les garçons et de
cette équipe de première ligne ont été exposés 17% chez les filles. L’agressivité comme
à de la violence conjugale (agression physique l’anxiété ont des répercussions à court, moyen
entre les parents). Ce chiffre qui peut paraître et long terme non négligeables. Pour
élevé s’explique par le fait que nous n’avons l’agressivité, les processus d’identification à
pas retenue l’exposition durant les douze l’agresseur ne peuvent être écartés ; ainsi, les
derniers mois, comme dans de nombreuses enfants exposés à la violence conjugale
études sur la violence envers les femmes, auraient plus tendance à avoir recours à la
mais depuis la naissance de l’enfant. violence et à approuver le recours à la violence
pour régler les conflits . De la même façon,
Des études canadiennes donnent un plusieurs études ont montré que les hommes
taux de 11% à 23% d’exposition à la violence exposés à la violence conjugale dans leur
conjugale dans la population générale, de 17% enfance ont une probabilité plus importante de
pour les enfants de 6ans à 11ans et de un recourir à la violence dans les relations avec
enfant sur douze soit 8% entre 4 et 7 ans leur partenaire .
(Toutes formes de violences confondues). Des
travaux menés à Los Angeles indique que 57% Des symptômes généraux et des signes
des garçons et 56% des filles parmi les 935 spécifiques
adolescents interrogés ont été exposé à de la
violence conjugale au cours de leur Les symptômes qui ont motivé la
existence (toutes formes de violences consultation auprès de l’équipe de
confondues). pédopsychiatrie de liaison sont : l’agressivité,
l’anxiété, les troubles de conduites avec
D’autres travaux montrent que les opposition, l’encoprésie, des troubles de
enfants exposés à la violence domestique et l’attentions avec hyperactivité, des troubles
conjugale souffrent dans 63% des cas d’un anxieux majeurs, phobie scolaire etc…. Chez
problème de santé et la fréquence des troubles les adolescents, il faut ajouter aux symptômes
mentaux est de 21% contre 4% dans la précédemment énumérés, des troubles des
population générale du Québec. 16% de ces conduites alimentaires, les tentatives de
enfants présentent des troubles suicides et diverses intoxications (coma
psychologiques sévères alors que l’enquête éthylique…) ou mises en danger ainsi que les
Santé Québec trouve moins de 2% d’enfants gestes para suicidaires (scarifications).
souffrant de tels troubles dans la population Seulement pour 4 enfants sur les 36 exposés,
générale. La proportion d’accidents de tous la violence conjugale motivait la consultation.
types chez ces enfants est deux fois plus
importante que dans l’enquête Santé Québec . Les états de stress post
Ces quelques chiffres montrent l’ampleur du traumatique peuvent aussi découler de
phénomène et si l’esprit était à la collection, l’exposition à la violence conjugale bien que
d’autres statistiques tout aussi éloquentes ces derniers ne soient ni en lien avec le sexe
pourraient être données. de l’enfant ni avec l’intensité ou la distance de
l’événement . D’autres études soulignent le
La spécificité de cette exposition et de lien entre la gravité, la fréquence, la duré de
ces conséquences pour les troubles anxieux l’exposition à la violence conjugale et l’intensité
semble bien établie : 12% des garçons des symptômes présentés par ces enfants .
exposés présentent des troubles anxieux alors
que pour la population de garçons non Olga est une adolescente, originaire
exposés elle est de 6% . Chez les filles, on d’Afrique admise durant la nuit. Les urgentistes
Tant les éléments recueillis au dessin rencontrée chez un certain nombre d’hommes
de la dame de Fay , (ces enfants entre huit et auteurs de violence conjugale. Il n’est bien sûr
douze ans ne dessinent que rarement un pas question ici de dénier la part de
parapluie), que ceux de leurs jeux ou de leurs responsabilité de celui qui donne les coups
discours, incitent à penser que ces enfants se mais de rendre compte, de ne pas passer sous
sentent pas ou mal protégés par leurs parents. silence la part de transmission
Bien au contraire c’est l’enfant qui se doit de intergénérationnelle, tant dans la modalité de
protéger les parents : la victime de la violence type identification à l’agresseur que comme
qu’elle subit, l’auteur de la violence qu’il modèles relationnels appris pendant
impose. Les plus grands parfois font « le coup l’enfance . Dans d’autres situations, il semble
de poing » avec leur père. Il n’est pas rare de que les enfants soient devenus les
voir ces enfants développer des habilités dans destinataires d’une violence précédemment
le désamorçage de la colère de l’agresseur et adressée à la mère.
des conflits naissant entre leurs parents quitte
à se mettre parfois en danger. Cependant Lors des consultations nous percevons
cette façon de faire face, cette stratégie de un lien important entre conflit de loyauté, la
coping ne semble pas réduire les troubles culpabilité de l’enfant, l’exposition à la violence
présentés par les enfants. Certaines études conjugale, l’ambivalence des sentiments et les
montrent un taux supérieur des troubles internalisés (dépression, anxiété,
troubles dépressifs chez les enfants qui faible estime de soi) où externalisés (trouble
interviennent par rapport à ceux qui de conduites, agressivité, violence, fugues,
n’interviennent pas. Ce type de situation pose conduites suicidaires, gestes para suicidaires,
le problème de la parentification des enfants usage de toxiques) présentés par ces enfants.
qui sont témoins-victimes de telles scènes et Ces enfants pensent trahir la victime quand ils
qui peuvent aussi en devenir un des acteurs. éprouvent ou expriment des sentiments positifs
Cette situation n’est que la première étape des pour l’agresseur. Ils ne peuvent pas plus
figures d’oxymore qui se rencontre dans la évoquer leurs besoins de relation avec
violence conjugale ; témoin/ victime – l’agresseur que composer avec les éprouvés
victime/acteur – acteur/auteur ; trajectoire de terreur ressentis durant l’exposition à des
scènes de violences conjugales . Mais bien au La sécurité des enfants reste l’un des
delà d’un conflit de loyauté, c’est une éléments déterminants des interventions en
réactualisation de la problématique oedipienne pédopsychiatrie. Susciter un dévoilement dont
dans la façon dont le sujet, dans une position les conséquences immédiates pourraient être
active ou passive réorganise cette dimension délétères pose question. Il faut être prêt à
fantasmatique. Le télescopage du fantasme et assumer toutes les implications qui en
de la réalité devenant des plus anxiogène découlent et avoir les moyens de mettre en
quand par exemple madame pour se protéger, œuvre les mesures nécessaires. Connaître et
se réfugie dans la chambre de l’enfant. C’est tenir compte de la pratique des autorités tant
alors un tableau de peurs et de terreurs policières que juridiques en la matière est
infantiles qui occupent le devant de la scène. primordiale dans ce choix. Les intervenants
peuvent s’adosser et se référer à la loi si elle
Le dévoilement est réellement appliquée. Dans tout autre cas
de figure, la prudence et l’évaluation
L’exposition à la violence conjugale est pluridisciplinaire doivent rester la règle et la
rarement rapportée spontanément. Cependant sécurité de la mère une préoccupation
des questions simples permettent de faire le primordiale.
point à ce sujet. Quand un climat de confiance
s’est installé, les adolescents indiquent parfois, Références
sans avoir été questionnés sur ce sujet, les
évènements violents qui ont eu lieu dans le Lors de recherches documentaires l’essentiel
couple parental. Pour les enfants plus jeunes, des ressources trouvées sur ce sujet sont
il faut interroger le parent qui accompagne nord américaines.
l’enfant : presque toujours la mère. Une seule
fois, un couple nous a informés spontanément Anzieu, D. & Chabert C. (2003). Les méthodes
d’une situation de violence conjugale projectives. Paris: P.U.F.
ancienne. La présence de l’enfant n’est pas Balier, C. (2003). Psychanalyse des
souhaitable lors de ce recueil d’informations comportements violents. Paris: Presse
surtout en cas d’exposition récente. Universitaires de France.
Berger, M. (2005). Les enfants qu’on sacrifie
Demander comment se résolvent les au nom de la protection de l’enfance.
tensions, les conflits, comment se déroulent Paris: Dunod.
les querelles dans le couple permet le Fortin, A. (2005). Le point de vue de l’enfant
dévoilement de cette problématique bien plus sur la violence conjugale. In collection
facilement que les questions directes. Puis l’on étude et analyse (N° 32, ISBN 2-
peut resserrer le focus, y a-t-il des cris, cela 921768-53-4, p. 22). Montreal : Centre
va-t-il jusqu’aux insultes, vous sentez vous de recherche interdisciplinaire sur la
dénigré, parfois avez-vous eu peur, vous violence familiale et la violence faite
sentez vous menacé, avez-vous été bousculé, aux femmes.
avez-vous reçu une claque. L’intervenant, par
Fortin, A., Trabelsi, M., & Dupuis, F.
des questions trop intrusives risque de
(2002). Les enfants témoins de
reproduire à son insu la violence, l’emprise et
violence conjugale :analyse des
les relations asymétriques de pouvoir qu’il
facteurs de protection. Montréal, QC :
tente de mettre en lumière. Il faut respecter le
Centre de liaison sur l’intervention et la
processus d’empowerment des femmes
prévention sociale (CLIPP).
victimes et respecter le rythme de chacune .
Ne pas respecter le tempo des mères amène à Hirigoyen, M.F. (2005). Femmes sous emprise.
des ruptures dont nous avons fait l’expérience. Paris: Oh! Édition.
Il est important de comprendre que le Kilpatrick, K.L. & Williams, L.M. (1998).
processus de dévoilement participe à la mise Potential Mediators of Post-Traumatic
en lumière du déni de la victime, et du pacte Stress Disorder in Child Witnesses to
dénégatif qui maintient le système familial Domestic Violence. Child Abuse and
(secret autour de la violence), là où la Neglect, 22(4), 319-330.
dynamique de la cohésion prime et se paye du Kuenzli-Monard, F. (2001). Déconstruction des
prix de la cohérence du système qui fait fi de la idées reçues Thérapie familiale.
souffrance des victimes et des enfants en Médecine et hygiène, 22(4), 400, 401,
particulier. 402, 403, 405.
Lessard, G. & Paradis, F. (2003). La
Conclusion problématique des enfants exposés à
la violence conjugale et facteurs de
Auteur
1 2 3
Infirmier(e) de secteur psychiatrique - Psychologue clinicienne - Pédopsychiatre praticien
hospitalier
CMP de Thonon les Bains. Centre hospitalier
G Pianta BP 526 3 av de la Dame Thonon les Bains 74200 France
Résumé
Les neurosciences apportent des connaissances qui permettent une meilleure compréhension des
phénomènes en jeu chez l’enfant témoin de violence conjugale. La découverte, déjà ancienne, des
neurones miroirs montrent en quoi le terme enfant exposé aux violences conjugale est des plus
approprié pour qualifier ce type de situation. De plus, ces observations faites par l’équipe de
neurobiologiste de l’université de Parme alimentent et restent congruentes avec les observations et la
clinique développée par notre équipe de pédopsychiatrie sur ce sujet.
Mots clés
pédopsychiatrie, violence conjugale, exposés à la violence conjugale, neurone miroir.
« Les querelles des parents entre parents, les traces de coups en moins. Ce
eux,……. entraînent comme suite à de terme exposé évoque bien l’effet de cette
lourdes prédispositions à des troubles du situation sur les enfants et ce mécanisme a
développement sexuel ou à des névroses été retenu par les cliniciens pour la
chez leurs enfants » qualifier ; ces enfants sont des victimes.
(Sigmund Freud, 1905.) Daniel Stern (2006) lors d’une conférence
tenue sur cette question à Genève disait :
La littérature dans le domaine des « L’enfant est bien plus que témoin, il le
enfants qui assistent aux violences du sent, il l’éprouve, cela s’imprime dans son
couple parental a depuis un certain temps système nerveux » en se référant aux
abandonné le terme « d’enfant témoin de travaux de l’équipe de neurobiologiste de
violence conjugale » pour celui : « d’enfant Parme Gallese, Rizzolatti et collaborateurs.
exposé à la violence conjugale ». M Berger La découverte de neurones miroirs
(2007) qui s’intéresse à cette question, de l’aire prémotrice ventrale F5 chez le
pense que ces enfants présentent les mêmes singe macaque par Rizzolatti (1996) et
problèmes que les enfants battus par leurs Gallese (1996) a permis d’émettre
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VOINDROT, F. ET AL.
JOURNAL(INTERNATIONAL(DE(VICTIMOLOGIE(!2012;!10(1)!:!! 66
DE L’ENFANT TEMOIN A L’ENFANT EXPOSE
JOURNAL(INTERNATIONAL(DE(VICTIMOLOGIE(!2012;!10(1)!:! 67
VOINDROT, F. ET AL.
un espace psychique et corporel partagé à ce qui vient d’être blessé. Il est en phase
jusqu’au stade du miroir que ce déroule (Gallese V.2007) avec les émotions et les
cette scène de violence conjugale. Il sentiments qui vont autoriser son père à
s’identifie alternativement à l’auteur et à la user de violence. À chaque nouvelle
victime au rythme de ce combat entre ses intervention vocale ou motrice les neurones
figures d’attachement. Les émotions sont miroirs sont activés et mettent virtuellement
alors comprises par l’enfant au moyen de la l’enfant dans la position de l’un où de
simulation produisant un état somatique l’autre de ses parents. Dans la position
partagé entre lui et les protagonistes de ce d’anticiper l’intention de celui qui va faire
combat, l’auteur et la victime. Pour le coup de poing. Il est en contact avec les
l’enfant peut s’installer une certaine intentions qui motivent l’auteur et la
confusion entre ce qu’il vit en première victime. Quand la violence se répète, il
personne ou en troisième personne entre ce anticipe la scène de violence et peut
qui se passe pour son père, ce qui se passe produire des comportements pour y mettre
pour sa mère et ce qui se passe pour lui. Il fin avant que toute violence physique
a peur pour lui en voyant cette violence et a advienne :
peur comme sa mère en ce qu’il est Pierre est orienté vers notre unité
impliqué dans cette scène de violence par pour des violences répétitives contre des
ses neurones miroirs. objets à son domicile, vitres, bibliothèque,
Lors de cette scène de violence, table basse, objets décoratifs et divers
l’enfant partage avec ses parents bibelots ont été victimes de ses colères.
cospécifiquement une multiplicité d’états Après quelque temps de prise en charge il
(Stern 2006). Il éprouve de façon devient évidement que ce jeune adolescent
inconsciente et automatique par ce même a trouvé là une arme imparable pour
système les sentiments de toute puissance désamorcer les scènes de violence entre ses
de son père et le plaisir que l’emprise sur parents, bien avant que le premier coup ne
l’autre et sa domination fait ressentir. Il va soit porté.
sentir chez lui une expérience virtuelle Un an plus tôt, Pierre a vu sa mère
inconsciente d’avoir fait les mêmes gestes, être évacuée sur une civière du SAMU suite
d’avoir eu les mêmes sentiments et les aux violences exercées par son père à
mêmes intentions (D Stern 2006). l’encontre de celle-ci.
L’expérience de l’enfant, dans de telles Mais quand Pierre brise des
circonstances, est centrée sur l’autre, sur objets, sa réaction à cette situation n’a rien
son père et sa mère, par la nature même du de totalement volontaire ni de totalement
SNM qui le met virtuellement dans la conscient. Il comprend implicitement
position de l’autre. l’intention belliqueuse de ses parents et y
réagit en usant de violences contre les
De la pratique. objets.
C’est dès le début de la scène Il s’agit en dernière analyse d’un
avant que la violence advienne que l’enfant comportement d’évitement appartenant à
comprend aussi en appui sur cette base un symptôme de stress post-traumatique qui
neurale les intentions de son père et de sa lui permet de mettre fin à un vécu de
mère. Il sait en quelque sorte qu’elle est terreur naissant. Ce comportement
l’émotion qui chez son père induit la participe également, par effet de bord, à
réponse violente et là, il apprend comment l’absence de violence physique entre ses
faire face à ce type de situation parents, ce qui empêche ces derniers de
émotionnelle. Il comprend l’escalade entre comprendre le comportement de leur fils
son père et sa mère en termes émotionnels : comme un processus dysfonctionnel de
quand la domination de l’autre par la régulation de leur relation conjugale.
violence devient la seule façon de faire face
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DE L’ENFANT TEMOIN A L’ENFANT EXPOSE
Dans notre pratique, cet éclairage simple témoignage, mais quelque chose que
apporté par la neurobiologie nous a permis l’on vit, que l’on intègre dans son
de mieux comprendre les diverses faces que développement Il y a une intériorisation des
ces enfants présentent dans leurs relations. patterns d’action, des sentiments et des
Ils ont parfois des traits marqués de toute affects du fait qu’ils deviennent une partie
puissance, mais il ne s’agit que rarement non verbale du système nerveux» (D. Stern,
d’un enfant tout puissant. Ils peuvent ainsi 2006).
apparaître comme des auteurs de violence,
mais à un autre moment ils peuvent en être Références.
les victimes sans ressource. Enfin, ils Adolphs (2000).
peuvent, soit être indifférents aux R., Damasio, H., Tranel, D., Cooper, G.,
maltraitances, soit en être le justicier and Damasio, A.R. (2000) A role for
impulsif. Dans certains types de situation, somatosensory cortices in the visual
l’enfant ne semble avoir que peu de liberté recognition of emotion as revealed by
(M. Berger, 2007(1)) par rapport à ces three-dimensional lesion mapping. J.
figures qui s’imposent à lui. La réponse de Neurosci, 20, 2683-2690.
l’enfant dans de telles circonstances ne Adolphs R. (2002).
semble pas conditionnée par l’évènement Neural systems for recognizing emotion;
présent, mais par des scènes du passé Curr Opin Neurobiol.,12 (2): 169-
implicitement mémorisées lors de ces 177.
situations de stress. Adolphs R. (2003).
Julien 13 ans, exposé à des Cognitive neuroscience of human social
violences conjugales extrêmes dès le début behaviour. Nat Rev Neurosci,
de sa vie et jusqu’à l’âge de huit ans est 4(3):165-178.
adressé à notre consultation suite aux Berger M. (2007(1))
importantes violences produites à Conférence Vires : Exposition de l’enfant à
l’encontre de camarades de classe. Il la violence conjugale ; Genève 2007.
s’amende rapidement de ses comportements Berger M (2007(2))
violents à l’école. Quelque temps plus tard, Bonneville. E., André.P., Rigaud.C.
sa thérapeute apercevant des bleus sur ses « L’enfant très violent, devenir et
poignets lui demande comment il s’est fait prise en charge » .Neuropsychiatrie
cela. Julien lui explique que depuis de l’enfance et de l’adolescence, 55,
plusieurs semaines il est frappé à l’école et 353-361.
il est menacé de mort. D’auteur de violence Buccino G. (2001).
il en est devenu une victime passive qui ne G., Binkofski, F., Fink, G.R., Fadiga, L.,
sollicite d’aide ni de ses parents ni des Fogassi, L., Gallese, V., Seitz, R.J.,
intervenants scolaires ou de sa thérapeute. Zilles, K., Rizzolatti, G., & Freund,
H.-J. (2001). Action observation
Conclusion. activates premotor and parietal areas
Pour M. Berger (2007(2)), le jeune in a somatotopic manner: an fMRI
enfant exposé aux violences conjugales study. European Journal of
incorporerait l’image de l’agresseur par un Neuroscience, 13, 400-404.
processus au-delà de l’identification Buccino (2004).
introjective, M Berger parle d’un G., Lui, F., Canessa, N., Patteri, I.,
mécanisme « introjection incorporative Lagravinese, G., Benuzzi, F., Porro,
pathologique ». Ce processus introjectif va C.A., and Rizzolatti, G. (2004)
produire des reviviscences perceptives qui Neural circuits involved in the
induiront des comportements violents. recognition of actions performed by
Partager la situation d’être témoin d’une nonconspecifics: An fMRI study. J
violence dans la famille n’est donc pas un Cogn. Neurosci. 16: 114-126
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VOINDROT, F. ET AL.
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Journal International De Victimologie
International Journal Of Victimology
Tome 5, numéro 1 (Octobre 2006)
Auteur(s)
(1) Ph.D., Institut de recherche pour le développement social des jeunes.
Professeur associée, Ecole de service social, Université de Montréal
(2) Professeur, Ecole de service social, Université Laval
(3) Ecole de service social, Université Laval
Résumé
Plusieurs études montrent que les mauvais traitements envers les enfants et la violence conjugale
coexistent fréquemment au sein des familles. Pourtant, ces deux problématiques continuent d’être
abordée dans des contextes organisationnels et institutionnels différents. Parmi tous les acteurs
susceptibles d’être interpellés par la concomitance de ces problématiques, les services de protection de
l’enfance constituent un acteur de première importance. De fait, les intervenants œuvrant en protection de
la jeunesse sont susceptibles d’être appelés à intervenir auprès des enfants maltraités qui vivent en
contexte de violence conjugale et leur intervention peut s’avérer déterminante pour le bien-être et la
sécurité des enfants et des mères. Cet article présente les résultats d’une étude qualitative auprès
d’intervenants et intervenantes de la protection de la jeunesse sur la manière dont ils abordent les liens de
concomitance dans leur évaluation et leurs stratégies d’intervention. Il ressort de l’étude que la
reconnaissance du fait que les mauvais traitements envers les enfants et la violence conjugale sont
souvent enchevêtrés dans les situations familiales des enfants signalés aux services de protection est
présente dans le discours des intervenants sur leurs pratiques d’intervention. L’étude permet de montrer
que la prise en compte de ces liens soulève toutefois des défis importants pour l’aide aux familles en
contexte de protection. Ceux-ci portent sur l’établissement d'un lien de confiance lorsque l'aide n'est pas
sollicitée, la conciliation entre les droits des enfants et les intérêts des mères victimes, la
responsabilisation et l’implication des pères/conjoints ainsi que la réponse aux besoins des différents
membres de la famille dans un contexte où les contraintes organisationnelles sont importantes. Les
résultats militent en faveur d’un soutien aux intervenants mieux adapté à la problématique de la
concomitance et d’une plus grande concertation avec les organismes spécialisés en violence conjugale.
Mots-clés
Violence conjugale, mauvais traitements envers les enfants, intervention en contexte de protection.
Auteur
Université de Moncton
Résumé
Le but de la présente étude était de déterminer si l’exposition à la violence conjugale
psychologique et verbale continue de prédire les troubles de comportement chez les adolescents
lorsque l’effet de la violence parentale ainsi que l’effet de la violence conjugale physique sont
contrôlés. Les résultats ont révélé que, pour les garçons, la violence parentale est un prédicteur
plus important des troubles de comportement que l’exposition à la violence conjugale, qu’elle soit
physique ou psychologique. Pour les filles, la violence parentale et l’exposition à la violence
conjugale psychologique sont des variables importantes pour prédire les troubles de
comportement. Par ailleurs, chez l’ensemble des adolescents, l’exposition à la violence conjugale
physique n’était pas un prédicteur significatif des troubles de comportement lorsque l’effet de la
violence parentale et l’effet de la violence conjugale psychologique étaient contrôlés.
Mots-clés
Adolescents; comportement; effet de l’exposition à la violence conjugale psychologique
presse; Onyskiw, 2003; Wolfe et al., (1996) ont élaboré deux hypothèses.
2003). La première avance que, dans un
climat familial marqué par la violence
La plupart des études se sont
conjugale physique, l’enfant peut se
attardées à la violence physique de
désensibiliser aux autres formes de
telle sorte que l’on en connaît peu sur
violence. Ainsi, l’exposition à la
les effets de l’exposition à la violence
violence physique va produire des
conjugale psychologique et verbale sur
effets plus dévastateurs que les formes
le comportement des enfants et surtout
moins intenses de violence (par
des adolescents (Onyskiw, 2003).
exemple, violence verbale et
Quelques recherches effectuées
psychologique). Une hypothèse
auprès des enfants ont exploré les
opposée est que l’exposition à la
effets différenciés de l’exposition à la
violence physique provoque une
violence conjugale selon les formes de
hypervigilance chez les enfants de telle
violences auxquelles les enfants sont
sorte qu’ils deviennent sensibles aux
exposés. Jouriles, Norwood,
diverses manifestations de conflits
McDonald, Vicent et Mahoney (1996)
entre les parents. Ils sont ainsi affectés
ont trouvé que, après avoir contrôlé
négativement par toutes les formes de
pour la fréquence de la violence
violence.
physique, l’âge, le genre et l’ethnie, la
violence verbale et psychologique En plus de la fréquence et
prédisait de façon significative les l’intensité de la violence conjugale, la
troubles de comportement chez les présence de la violence parentale doit
enfants. Par contre, la violence aussi être considérée puisqu’elle se
conjugale physique ne constituait pas produit souvent dans les familles aux
un prédicteur significatif des troubles prises avec la violence conjugale.
de comportement lorsque l’effet de la Appel et Holden (1998) ont recensé 20
violence psychologique et verbale et études menées auprès de populations
l’effet des autres variables étaient cliniques (surtout de femmes
contrôlés. De même, dans la violentées) et ils ont trouvé que le taux
recherche de Fantuzzo, DePaola, de concomitance médian se situe à 40
Lambert, Martion, Anderson et Sutton p. 100 Edleson (1999) a examiné 25
(1991), la violence psychologique et recherches sur le sujet et il a observé
verbale demeurait un prédicteur un taux de concomitance variant de
significatif des troubles de 30p. 100 à 60 p. 100. Des recherches
comportement chez les enfants indiquent que le fait d’être à la fois
lorsque l’effet de la violence conjugale exposé à la violence conjugale tout en
physique était contrôlé. étant victime de violence parentale
compromet plus sévèrement le
Selon la théorie de
développement psychosocial de
l’apprentissage social, l’exposition à
l’enfant et de l’adolescent que le fait
des modèles parentaux violents
d’être uniquement exposé (Carlson,
contribue à la présence de problèmes
1991; Fortin, Cyr & Lachance, 2000;
de comportement chez les enfants, ce
Hughes, 1988; Hughes, Parkinson &
sont la fréquence et l’intensité de la
Vargo, 1989; O’Keefe, 1996; Margolin,
violence qui contribuent davantage aux
Gordis, Medina & Oliver, 2003).
troubles de comportement chez les
enfants (Bandura, 1973; Cummings & Le but du présent article est de
Davies, 1994; Grych & Fincham, présenter les résultats d’une recherche
1990). En s’inspirant de la théorie de portant sur les conséquences de
l’apprentissage social, Jouriles et al. l’exposition à la violence conjugale
ajoutées à chaque étape et, lorsque chez les garçons, la violence parentale
les autres variables entrées de façon est un prédicteur des troubles
concomitante se révèlent significatives, intériorisés et extériorisés. Elle
elles sont également illustrées. Les continue d’être un prédicteur significatif
variables de contrôle, entrées à la lorsque les autres variables entrent
première étape de l’équation, ne sont dans l’équation, sauf lorsqu’elle est
pas représentées puisqu’elles ne entrée de façon concomitante à la
prédisaient pas les troubles de violence psychologique pour prédire
comportement de façon significative. les troubles intériorisés. Tout comme
chez les garçons, l’exposition à la
Une première régression multiple
violence physique n’est pas un
hiérarchique a été effectuée pour le
prédicteur significatif des troubles de
groupe des garçons avec les
comportement lorsque les variables de
comportements intériorisés comme
contrôle et la violence parentale sont
variable critère et les autres variables
considérées. Par ailleurs, chez les
comme prédicteurs. Les résultats de
filles, l’exposition à la violence
cette régression sont illustrés au
psychologique continue d’être un
tableau 3. On constate que seulement
prédicteur significatif des troubles de
la violence parentale s’est révélée
comportement intériorisés et
significative pour prédire la présence
extériorisés lorsque l’ensemble des
des troubles intériorisés chez les
autres prédicteurs est entré.
garçons. En effet, lorsque les variables
de contrôle et la violence parentale
sont entrées dans l’équation,
l’exposition à la violence Discussion
psychologique et l’exposition à la Les résultats de cette recherche
violence physique ne prédisent pas de ont démontré que la violence parentale
façon significative les troubles de est un prédicteur important des
comportement intériorisés. troubles de comportement extériorisés
Une deuxième régression et intériorisés chez les filles et les
multiple, toujours pour le groupe des garçons. En fait, chez les garçons,
garçons, mais cette fois avec les seulement la violence parentale s’est
troubles extériorisés comme variable révélée significative pour prédire les
critère, indique des résultats similaires troubles intériorisés et extériorisés. De
(voir tableau 4). On constate que la plus, la violence parentale est
violence parentale prédit la présence demeurée une variable considérable
des troubles extériorisés et elle de prédiction des troubles extériorisés
continue d’être un prédicteur important lorsque les variables liées à
lorsqu’elle est entrée de façon l’exposition à violence conjugale ont
concomitante aux autres variables de été ajoutées à l’équation. Pour les
l’étude. Par contre, l’exposition à la filles, la violence parentale est
violence conjugale, qu’elle soit également demeurée un prédicteur
physique ou psychologique, n’a pas important, sauf lorsque la violence
d’effet significatif sur la présence des parentale est entrée de façon
troubles extériorisés une fois que la concomitante avec à l’exposition à la
violence parentale et les variables de violence psychologique et verbale pour
contrôle sont entrées dans l’équation. prédire les troubles intériorisés. Ce
résultat indique que la violence
Les mêmes équations ont été parentale est un facteur important pour
effectuées pour le groupe des filles prédire les troubles de comportement,
(voir tableaux 5 et 6). Ainsi, comme surtout extériorisés. Ceci rejoint les
Tableau 1
Variables 1 2 3 4 5
1. Violence parentale ___ ,82* ,47* ,12* ,41*
2. Violence conjugale physique ___ ,62* ,16* ,31*
3. Violence conjugale ,12 ,40*
psychologique ___
4. Troubles de comportements ,49*
intériorisés
5. Troubles de comportements ___
extériorisés
* p < ,01
Tableau 2
Variables 1 2 3 4 5
1. Violence parentale ___ ,57* ,53* ,31* ,50*
2. Violence conjugale physique ___ ,57* ,29* ,37*
3. Violence conjugale ,45* ,48*
psychologique ___
4. Troubles de comportements ,64*
intériorisés
5. Troubles de comportements ___
extériorisés
* p < ,01
Tableau 3
Régression multiple hiérarchique pour les variables qui prédisent les troubles de
comportement intériorisés chez les garçons
Variable B SE B b T R2 ∆R2 ∆F df
Étape 2 ,057 ,020 ,188 2,812* ,065 ,034 7,908* 1,
Violence 216
parentale
Étape 3 ,022 ,043 ,060 ,513 ,066 ,001 ,263 1,
Violence 215
conjugale
physique
Étape 4 ,008 ,016 ,045 ,528 ,067 ,001 ,279 1,
Violence 214
conjugale
psychologique
* p < ,01
Tableau 4
Régression multiple hiérarchique pour les variables qui prédisent les troubles de
comportement extériorisés chez les garçons
Variable B SE B b T R2 ∆R2 ∆F df
Étape 2 ,112 ,017 ,412 6,582* ,179 ,165 43,326* 1,
Victime directe 216
Étape 3 ,128 ,030 ,471 4,319* ,180 ,002 ,434 1,
Victime directe ,024 ,036 ,072 ,659 215
Violence conjugale
physique
Étape 4 ,139 ,028 ,509 4,897* ,262 ,081 23,550* 1,
Victime directe ,008 ,016 ,045 ,528 214
Violence conjugale
psychologique
* p < ,01
Tableau 5
Régression multiple hiérarchique pour les variables qui prédisent les troubles de
comportement intériorisés chez les filles
Variable B SE B b T R2 ∆R2 ∆F df
Étape 2Victime ,079 ,015 ,305 5,184* ,100 ,092 26,876* 1,
directe 264
Étape 3Victime ,056 ,018 ,217 3,066* ,116 ,017 4,989 1,
directeViolence ,022 ,043 ,060 ,513 263
conjugale
physique
Étape 4Violence ,085 ,015 ,399 5,700* ,214 ,097 32,493* 1,
conjugale 262
psychologique
* p < ,01
Tableau 6
Régression multiple hiérarchique pour les variables qui prédisent les troubles de
comportement extériorisés chez les filles
Variable B SE B b T R2 ∆R2 ∆F df
Étape 2 ,095 ,010 ,490 9,139* ,252 ,237 83,527* 1,
Victime directe 264
Étape 3 ,082 ,012 ,423 6,553* ,262 ,010 3,449 1,
Victime directe ,031 ,017 ,120 1,857 263
Violence
conjugale
physique
Étape 4 ,063 ,013 ,324 4,948* ,319 ,057 21,913* 1,
Victime directe ,048 ,010 ,305 4,681* 262
Violence
conjugale
psychologique
* p < ,01
GAILLARD, B. [FRANCE]
Auteur
Résumé
Mots clés
Abstract
Key words
170
ADOLESCENTS VICTIMES VICARIANTS EN FAMILLE
Journal%International%De%Victimologie%!2011;!8(3)!!! 171
GAILLARD, B.
risque que lui fait encourir la parole dimension désirante. L’adolescent, avec
dénonciatrice de la victime (Roman, ses capacités nouvelles, convoite bien
2010). L’intérêt méthodologique d’analyser légitimement un être supérieur, autonome.
ce rapport auteur-victime consiste dans Il envie l'autre-satisfait-avec-son-objet,
les données apportées par une semblant ne plus avoir de rien d'autre. Il
focalisation du regard clinique sur les veut s'approprier cet être, mais il faut bien
auteurs et leur jouissance à être avouer que cela est difficile pour certains,
agresseur. Il est aussi d’éviter d’être et surtout ceux qui sont confrontés aux
fasciné par la position de victime. La violences des adultes, aux violences de
question de la victime peut alors être leurs parents. C'est sous la forme de
traitée selon diverses approches : celle de l'autre, du parent tout-puissant jouissant
la nature des actes permettant une de l'objet de ses désirs que la satisfaction
typologie éventuelle mais avec le risque lui est donnée en spectacle permanent.
d’associer la singularité d’un type d’actes L’adolescent apprend que ce n’est pas
avec la spécificité des processus l’objet lui-même qui attise son désir mais
psychologiques; celle criminologique d’un le fait que cet objet est désiré par d’autres.
classement juridique des actes ; celle L’objet de désir crée un contexte
portant sur les auteurs et de leur profil ; nécessairement conflictuel dans lequel il
celle portant sur la spécificité des faut se battre contre les autres pour se
situations ; celle portant sur les processus l’approprier.
dynamiques construisant une position
victimaire. L’expression maltraitance, surtout
utilisée en clinique d’enfants, correspond à
une figure de vulnérabilité exemplaire de
2- Les maltraitances à adolescents l’évocation d’adolescents victimes en
famille. Cependant la diversité de cette
La vulnérabilité sociale, familiale et figure rend compte de la complexité des
psychique est souvent associée au profil positions de victimes en famille, à savoir
des victimes. Cette vulnérabilité ne peut d’un polymorphisme des objets d’attaque
se penser sans celle de risque, de fragilité, du sujet adolescent et du lien d’altérité.
de culpabilité, d’écho chez le sujet, de Deux problèmes y sont associés: celui du
dangerosité dans un parcours singulier. La risque de réitération du lien maltraitant
vulnérabilité est tension psychologique compte tenu de la vulnérabilité de
d’une probabilité à être atteint d’un l’adolescent, et celui du traumatisme en
dommage, d’une blessure. Elle s’articule contre-dépendance d’une dangerosité de
avec la dangerosité comme tension dans l’autre de la relation familiale. Les effets
une capacité à passer à l’acte dangereux, désorganisateurs des maltraitances sont
à l’acte violent. La tension opérée par la bien repérés. Ackermann (1998) montre
vulnérabilité porte en elle-même le risque dans une étude sur des mineurs ayant
d’une dangerosité. Cette vulnérabilité subi une agression physique en famille
psychologique est inscrite intrinsèquement que la prévalence du PTSD est de 26% ;
dans le destin du petit d’homme saisi par celle-ci passe à 55 % si une agression
le désir mimétique (Girard, 1961), désir sexuelle y est associée. La relation
d’être tout simplement, prenant l’adulte maltraitante est un mode d’emprise exercé
comme support identificatoire, comme par la personne à l’égard de ses objets, de
support modèle. Ceci parce qu’il le voit ses imaginaires et de ses partenaires. Elle
désirer et obtenir ; l’adulte lui paraît à la porte aussi sur son corps. La possession
fois satisfait, libre, réussissant dans sa du corps de l’autre, transformant l’autre en
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ressentie est plutôt dirigée envers le père • Parent brisé avec des parents
ou le concubin homme, l’adolescent incompétents, immatures,
humilié entretient des relations plus fortes incohérents, instables.
avec sa mère. Il accepte moins la critique,
dit avoir ressenti du mépris, a plus le D’autres études, s’appuyant
sentiment d’un vécu dépassé. Le rapport à notamment sur la théorie systémique
l’humiliation des parents oppose les deux (Elkaïm M., 1995), ont révélé des types
groupes d’adolescents de Foyers différents selon la gestion des canaux de
éducatifs et ceux de Centres Educatifs communication, avec l’importance des
Renforcés. Pour les premiers, nous frontières entre les espaces de vie.
retrouvons proches les caractéristiques
comme l’absence de ressenti de mépris
avant et dans le centre, un très fort ennui 4- Adolescents victimes d’être témoins
à l’école, de mauvais souvenir des
parents, des hospitalisations, un suivi Les recherches réalisées auprès des
psychologique et social, l’absence enfants exposés à la violence conjugale
d’impression d’être dépassé, et n’a pas fait révèlent les effets négatifs de cette
de racket. Les adolescents de Centres violence mais montrent également que
Educatifs Renforcés se disent sensibles tous les enfants ne sont pas affectés de la
au mépris qu’ils ont eu l’impression de même manière ni avec la même intensité.
recevoir avant le centre, sensible à la Les analyses sont souvent confrontées à
séparation, ont un bon souvenir des des enfants issus de familles aux prises
parents et des hospitalisations. Mettant en avec des problèmes multiples (présence
difficulté l’assise narcissique secondaire de mauvais traitements dont l’enfant est
fragilisée, l’adolescent est amené à directement la cible, toxicomanie des
répondre comme alternative au choix par parents, pauvreté des familles, etc.)
étayage, selon la logique : aimer ce que rendant difficile la distinction entre la
l’on est soi-même aujourd’hui ou aimer ce contribution de l’exposition à la violence
qu’il a été dans une idéalisation forcée, conjugale de celle d’autres variables
avec le risque de l’impossible à penser la potentiellement influentes.
figure de ce qu’il voudrait être lui-même et
de ses idoles. Plusieurs types de La notion d’exposition à la violence
systèmes familiaux ont été repérés dans la conjugale recouvre plusieurs réalités. Si
littérature en lien avec les violences à l’enfant peut être témoin oculaire d’une
enfants et adolescents. Gagné (2000) en a violence physique exercée envers l’un des
repéré quatre favorables à la violence parents, souvent sa mère, il peut aussi
psychologique. Il s’agit du : entendre des paroles ou des gestes
• Vilain petit canard avec violents, destructeurs. Autre situation, il
l’adolescent victime bouc peut devoir vivre dans une situation post-
émissaire ; violente avec les conséquences de la
• Roi et son royaume avec une violence sans qu’il ait vu ni entendu la
figure paternelle dominatrice, scène de violence, par exemple lorsqu’il
intolérable et intimidante ; constate que sa mère est blessée, qu’elle
• De la Mère supérieure, figure pleure, qu’elle lui raconte ce qui est arrivé
maternelle rigide, autoritaire, et dit vouloir quitter la maison, ou encore
abusive ; par une visite des policiers (Bourassa &
Turcotte, 1998; Jaffe et al., 1990; Maillé,
1996; McGee, 1997; Wolfe, 1999). Selon
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le caractère plus ou moins public dans le Décentralisée), ces jeunes témoins sont
voisinage, le jeune doit gérer les des enfants et adolescents en risque car
informations, les questions des autres ils connaissent des conditions d’existence
jeunes, les rumeurs. risquant de compromettre leur santé, leur
moralité, leur sécurité, leur éducation, ou
Confronté aux difficultés de la relation leur entretien, sans pour autant être
du couple parental ou de la relation maltraité. Parmi les 23 000 enfants en
familiale, le sujet enfant ou adolescent danger selon le rapport sur les
aménage un rapport activité-passivité signalements en 2003, ces actes de
dans lequel il se montre plus ou moins violence se déroulent devant les enfants et
acteur. Dans ce rapport passif/actif, la adolescents dans près de 70 % des cas.
proximité de l’autre ou son rapprochement Assister à des scènes de violences en
prend sens d’une fusion intruse ou famille produit des manifestations
protectrice. Etre proche du sujet engendre symptomatiques. Selon Becker (2008), les
alors la peur de celui-ci d’être l’objet d’une enfants et adolescents connaissent, tout
intrusion de la part de l’autre, avec la comme l’adulte, la dépression
crainte de l’attaque de l’autre. réactionnelle face à des contextes de
Contradictoirement à cette angoisse violence conjugale et le mineur d’âge
d’intrusion et d’envahissement de l’autre, confronté aux violences conjugales
une angoisse d’abandon peut émerger. privilégie l’expression de son malaise dans
Ainsi, toute autonomie ou tentative la motricité, sa manière d’être quand il ne
d’autonomie de l’autre est perçue comme s’autorise pas à s’exprimer par le langage
abandon ou rejet, amenant le sujet à oral. Le contexte de violence entre parents
tenter de s’approprier l’autre par emprise coexiste souvent avec une situation de
perverse ou obsessionnelle ou par maltraitance à enfant. Chénard (1996)
contrainte violente. Ce mouvement montre que 70% des enfants vivant dans
psychique apparaît manifestement dans un contexte de violence conjugale était
les problématiques adolescentes. L’acte maltraités : 50% sont victimes de violence
violent en famille est une figure verbale ou psychologique ; un quart battu ;
symptomatique d’une subjectivation du 1/20 étant agressé sexuellement. Des
rapport conflictuel distance-proximité à études montrent que la violence conjugale
propos duquel le sujet ne peut aménager a un impact négatif sur le développement
une position sécurisante pour lui-même. des enfants. Les problèmes affectifs et
Les enfants témoins d'actes de violence comportementaux sont 10 à 17 fois plus
en famille, bien qu'ils n'en fassent toujours fréquents chez les enfants issus d'un foyer
l'objet, n'en sont pas moins des victimes, violent. (Jaffe, Wolfe, Wilson, 1990). Les
d’où la notion d’enfants exposés à la enfants exposés à la violence envers les
violence conjugale ou familiale. En femmes, manifestent souvent des
France, Jaspard et Brown (2004) ont symptômes de stress post-traumatique :
évoqué l’impuissance dans laquelle ils peur, anxiété, irritabilité, difficulté à se
assistent aux exactions parentales, et le concentrer, souvenirs importuns des actes
risque d’instrumentalisation par les de violences, explosions de colère et
parents notamment plus fortement lors de hyperactivité (Lehmann, 1997; Graham-
séparations où les enfants deviennent Berman, 1998). Le jeune confronté à la
« des pions dans une relation où l’on veut violence de ses parents a des difficultés
assurer son pouvoir sur l’autre » (Brown & dans le lien d’attachement et dans son
Jaspard, 2004). Selon l’ODAS développement psycho-affectif. Le rapport
(Observatoire National de l’Action Sociale Henrion (2001) décrit les nombreux
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l’attention de tout autre dans la famille. ses deux parents. A d’autres moments, il a
Elle recherche la complicité de l’autre, entendu sa mère frapper son père dans le
surtout de sa mère et une relation lit. Pendant cinq ans, Thomas s’est montré
privilégiée avec chacun. L’annulation très complice de sa mère ; il lui a caché de
fantasmatiquement des conflits est un nombreuses bouteilles d’apéritif qu’elle
mécanisme défensif majeur. consommait quotidiennement pour que
son père ne les trouve pas. Il exprime sa
Le garçon Thomas exprime un honte de cette relation complice, honte
sentiment de trahison et de perte de coupable de bénéficier et jouir des
confiance envers sa mère. Il a vécu le confidences de sa mère sur sa vie
conflit parental à une place qui n'est pas sexuelle. Il a découvert ce qu’il nomme le
celle d'un enfant, ayant dû recevoir les « désert de la vie affective et sexuelle » de
confidences de sa mère. Sa souffrance est sa mère. Contradictoirement, elle était
importante: il évoque de nombreux aussi humiliante au quotidien envers son
souvenirs pénibles avec sa mère. fils: quand il arrivait à Thomas d’être en
Thomas décrit une mère mythomane et pleurs devant son père, sa mère en riait. Il
alcoolique qui exerçait une très forte raconte plusieurs moments d’humiliation
pression sur lui, une mère dévalorisant en devant ses propres amis, ou en public.
permanence le père. Il parle d’une mère A l’époque de ses 16 ans, Thomas a eu
qui ne cesse de créer des histoires qu’elle aussi des tendances suicidaires en les
voulait ensuite faire partager aux enfants. justifiant par le contexte affectif et
Il a découvert les mensonges de sa mère relationnel. Il s’enfermait longuement dans
et ses idées délirantes. Elle se construit de sa chambre. Il n’avait pas de relations
beaux ancêtres avec des amoureuses, pas de bons résultats
morts magnifiées; un de ses ancêtres scolaires, pas d’amis. Il était terrorisé à
serait mort avec les honneurs militaires. chaque fois qu’il lui fallait se déplacer dans
Sa mère lui a parlé de sa naissance ; la voiture de sa mère compte tenu de ses
quand Thomas est né, elle aurait vu alcoolisations et de la dangerosité de sa
apparaître son propre père lui dire « tu conduite. Il a fugué une fois chez un ami,
n’as plus besoin de moi maintenant car tu fugue préparée depuis longtemps, et est
as un fils ». Pour lui, elle s’est enfermée revenu de lui-même chez ses parents.
dans un délire ésotérique. Thomas Pour lui, ce moment de fugue a été un
souligne le chantage au suicide, les moment de liberté totale, sans
scènes de scarifications de sa mère, ses culpabilisation. Il s’inquiète pour lui-même
comportements paroxystiques avec jeux sur ses capacités d’auto-contrôle ; il craint
de couteaux. Il dit avoir souffert d’une trop sa propre violence tous les jours. Il souffre
forte pression psychologique. Pendant la de rester seul, de ne pas avoir de relations
période de sa préparation au bac, elle a amoureuses, d’être seul à côté des autres
fait ses d’oncles, de tantes, de son jeunes qui tous sont en couple.
ancienne nourrice amies lui téléphoner
pour parler des difficultés de leurs Thomas a maintenant conscience
relations familiales. Thomas se plaint d’avoir été l’objet d’une emprise
d’une absence d’espace de sérénité, de destructrice de sa mère. Il doit assumer
calme. Une scène lui revient régulièrement ses désillusions d’une impossible mère
à la conscience, celle d’une bagarre entre idéale. L’envahissement par le discours de
ses deux parents, sa mère frappant très la mère, ses confidences sur sa vie
fort son père, ce dernier au sol, en sang, sexuelle et sentimentale, et le
criant. Thomas se serait interposé entre comportement alcoolique de sa mère, le
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