M. Baba Berthe
M. Baba Berthe
M. Baba Berthe
Baba BERTHE,
Professeur à la Faculté de droit public de Bamako
La justice ne serait-elle pas devenue une de ces merveilles du monde ? Même si l’UNESCO,
ne l’a pas encore consacré formellement, l’on est tenté de répondre par l’affirmative au regard
de la fascination discrète qu’elle exerce individuellement et collectivement sur les hommes.
La réflexion à laquelle nous sommes conviés à travers le présent thème, nous place au cœur
de la relation complexe entre la justice et l’Etat .
La justice, faut-il le rappeler, est une notion à la fois très ancienne et équivoque. Ancienne
parce que, d’une part, elle est présente dans les écrits de certains philosophes de l’antiquité
comme Héraclite et Socrate et d’autre part, elle est sous-jacente à la Loi romaine des « Douze
tables » rédigée entre – 451 et -449. Equivoque aussi parce qu’elle est susceptible de plusieurs
acceptions complémentaires.
D’une part, elle est perçue comme « un principe philosophique, juridique et morale en vertu
duquel les actions humaines doivent être sanctionnées ou récompensées en fonction de leur
mérite au regard du droit, de la morale, de la vertu ou autres sources prescriptives de
comportements ».
D’autre part, elle renvoie à une structure ou une institution. Il en est ainsi lorsqu’on parle de
l’institution judiciaire c’est-à-dire à l’ensemble des cours et tribunaux.
Quant à l’Etat, la doctrine publiciste a pris l’habitude d’y voir une personne morale de droit
public, constituée de trois éléments : un territoire, une population soumis à un pouvoir
politique.
Cette idée est présente chez Charles Debbasch, Jacques Bourdon, Jean-Marie Pontier et Jean
Claude Ricci lorsqu’ils soutiennent : « Quel que soit l’Etat, la doctrine est unanime pour
reconnaître qu’un Etat ne peut exister que si trois éléments sont réunis : une population, un
territoire, un pouvoir organisé »
Il en est de même dans la pensée de Hans Kelsen pour lequel, « l’Etat dont les éléments
essentiels sont le peuple, le territoire et le pouvoir se définit comme un ordre juridique
relativement centralisé limité dans son domaine de validité spatial et temporel, soumis
immédiatement au droit international et efficace dans l’ensemble et généralement »
Comme on peut le constater, le thème de « la justice dans l’Etat » traduit une relation de
nature métonymique ; la préposition « dans » servant à mettre en évidence la situation d’une
chose par rapport à ce qui la contient. Dans le cas d’espèce, l’Etat apparaît comme le
contenant, la réalité englobante et la justice, la réalité englobée.
Analysée à travers la pratique institutionnelle du Mali, la relation entre l’Etat et la justice, se
présente sous une forme dynamique qui est allée de la soumission (I) à l’insubordination (II).
I – DE 1960 A 1979 : LE TEMPS DE LA JUSTICE SOUMISE
Ici, nous voudrions passer en revue l’organisation juridictionnelle du Mali (A,) d’une part, et
d’autre part, constater l’absence d’outils susceptibles de garantir l’indépendance de la justice
(B)
A- L’APPLICATION DU MONISME JURIDICTIONNELATTENUE
Au lendemain de son accession à l’indépendance, le Mali avait adopté une organisation
juridictionnelle caractérisée par la double domination de la Cour d’Etat et de la Cour
Suprême.
La Cour d’Etat était une institution politique qui servait à la fois de juridiction
constitutionnelle, administrative et financière. Aux termes de la loi n°61-56/ANRM du 15 mai
1961, elle comptait trois sections : une section constitutionnelle, une section du contentieux et
une section des comptes.
La section du contentieux était le tribunal administratif de droit commun qui connaissait en
« premier ressort des litiges d’ordre administratif élevés à l’occasion d’un acte passé au nom
du Gouvernement ou des litiges nés de l’exécution d’un service public dépendant du
Gouvernement ou des Collectivités publiques, des élections aux assemblées des collectivités
locales ou autres assemblées de gestion, d’organismes dépendant de l’Etat, d’une manière
générale sauf exceptions prévues par les textes, de tout litige qui entre dans le contentieux
administratif notamment des recours dirigés contre les décisions des diverses autorités
administratives, des recours en interprétation et des recours en interprétation de la légalité de
ces actes ».
Parallèlement, la loi n°61-55/ANRM du 15 mai 1961 fixant l’organisation judiciaire en
République du Mali avait institué une Cour Suprême structurée en une section judiciaire et
une section administrative.
La section judiciaire chapeautait toutes les juridictions de l’ordre judiciaire : justice de paix à
compétence étendue, tribunaux de première instance, tribunaux de commerce, tribunaux pour
enfants, tribunaux du travail, cour d’appel. Elle connaissait en cassation des décisions rendues
par la cour d’appel.
Quant à la section administrative, elle cumulait tous les degrés de juridiction : juge des 1er et
second degrés et juge de cassation. En particulier, elle connaissait en appel des décisions
rendues par la section du contentieux en certaines matières.
Après quelques années de coexistence difficile entre la Cour d’Etat et la Cour suprême, la
première fut supprimée par la loi constitutionnelle n°65-1/ AN RM du 13 mars 1965 et
remplacée par la seconde au rang des institutions de l’Etat. Restructurée à la faveur de la loi
n°65-2/ ANRM du 13 mars 1965, elle comptera jusqu’en 1992 quatre sections :
la section constitutionnelle ;
la section judiciaire ;
la section administrative ;
la section des comptes.