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Cours de Droit Constitutionnel1 2024

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COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL 1

THEORIE GENERALE
Pr Télesphore ONDO

1
INTRODUCTION GENERALE
L’expression « droit constitutionnel » renferme deux mots, droit et constitution, qu’il convient
de définir préalablement. Le droit est l’ensemble des règles juridiques qui régissent l’activité des
personnes physiques ou morales dans une société donnée, à une période donnée et dont la violation est
sanctionnée par les autorités publiques habilitées. Sans vouloir approfondir, la Constitution désigne
l’acte juridique qui fixe le statut de l’Etat et régit les rapports entre les institutions constitutionnelles
entre elles ou entre celles-ci et les citoyens. Le droit constitutionnel peut être défini comme l’ensemble
des règles juridiques qui encadrent l’exercice du pouvoir politique et la compétition pour sa conquête
dans l’Etat. En d’autres termes, ces deux phénomènes ne relèvent pas du bon plaisir ; ils sont soumis ou
saisis par la règle de droit. Le droit constitutionnel est considéré comme une discipline juridique vivante
qui s’applique dans la vie quotidienne des citoyens. Dans les Etats démocratiques modernes, où le droit
réglemente l’ensemble des activités des citoyens, de leurs représentants et des dirigeants, le droit
constitutionnel a pris une importance capitale.
En tant qu’une branche fondamentale du droit public, le droit constitutionnel se distingue du
droit administratif qui régit les rapports entre les agents publics et l’administration et entre cette dernière
et les citoyens. Mais, il se distingue également du droit international qui régit les rapports entre l’Etat et
les sujets de droit international. Initialement, le droit constitutionnel, tel qu’il est apparu au 18e siècle et
s’est développé dans la première moitié du 20e siècle, est un droit essentiellement politique qui a pour
objet unique, les institutions politiques. C’est d’ailleurs pour cette raison que le droit constitutionnel va
être investi par la science politique au lendemain de la seconde guerre mondiale. Il s’agit d’étudier non
seulement la Constitution dont la violation n’est d’ailleurs pas sanctionnée, mais aussi, à travers le droit
parlementaire, la vie et l’activité des Assemblées parlementaires et, par l’intermédiaire du droit électoral,
les règles de jeu pour la désignation des représentants. Le droit constitutionnel concerne également les
règles relatives à l’activité des partis politiques, le financement de la vie politique et le statut des élus.
C’est ce droit politique qui s’est appliqué au Gabon et dans les pays africains francophones pendant la
période du parti unique.
Depuis quelques décennies, on assiste toutefois à une évolution spectaculaire du droit
constitutionnel. En effet, l’effondrement du bloc de l’Est, la restauration de la démocratie en Afrique en
1990, la promotion de l’Etat de droit garantie par une juridiction constitutionnelle et la mondialisation
concomitante de ces principes ont profondément transformé le droit constitutionnel. Ainsi, le droit
constitutionnel est devenu un droit normatif, un droit de la Constitution dont la violation est sanctionnée
par la juridiction constitutionnelle. Il comprend donc l’étude de l’Etat de droit formel, c’est-à-dire de
l’autorité de la Constitution et de la hiérarchie des textes. Mieux, avec la promotion et la
constitutionnalisation des droits de l’homme, le droit constitutionnel est devenu un droit des libertés
sous la garantie du juge constitutionnel.
Enfin, la place centrale et l’activisme de la juridiction constitutionnelle dans la consolidation de
la démocratie et la garantie de l’Etat de droit ont favorisé le développement sans précédent des normes
constitutionnelles d’origine jurisprudentielle. Dès lors, le droit constitutionnel est devenu aussi un droit
jurisprudentiel ou prétorien. Le champ d’application du droit constitutionnel apparaît ainsi
manifestement très large.
Toutefois, une analyse purement juridique des textes et de la jurisprudence ne peut que donner une
vision largement aérienne de la réalité, en raison du fossé souvent constaté entre le droit positif (textes
et décisions de justice) et la pratique. C’est pourquoi, l’emprunt de la science politique apparaît
nécessaire. En effet, « le droit constitutionnel souffre d’hémiplégie s’il s’isole de la science politique et
réciproquement » (Pierre Avril).
Par ailleurs, l’influence des textes constitutionnels et de la jurisprudence étrangers due en grande
partie au mimétisme et au dialogue entre les différentes Cours constitutionnelles militent en faveur d’une
approche comparée. C’est donc cette méthode juridico-politique dans une perspective comparée qui sera
usitée dans ce cours qui s’article autour de deux titres :
-l’Etat (Titre I) ;
-la Constitution (Titre II).

2
TITRE 1 : L’ETAT

La notion d’Etat vient du terme latin « statut » qui signifie être debout ; ce qui implique la
permanence. Dans sa version moderne, l’Etat est né en Europe au 16e siècle.
De manière réaliste, on peut dire avec Nietzsche dans son œuvre Ainsi parlait Zarathoustra que
« l’Etat est le plus froid de tous les monstres froids. Il ment dans tous ses actes, dans chacun de ses
propos »1.
Sans négliger cette définition, il convient néanmoins de se rattacher à une définition
géographique et surtout juridique de l’Etat.
Du point de vue géographique, l’Etat désigne la localisation d’une population déterminée. Il est
considéré comme une entité artificielle qui se superpose aux régions naturelles.
C’est sur cette définition que prendra appui la conception juridique en la surpassant. Ainsi,
juridiquement, pour reprendre la formule de Carré de Malberg, « l’Etat est un être de droit en ce qui se
résume abstraitement la collectivité nationale ou la personnification de cette dernière. Cet être de droit
et non de chair et de sang, porte le nom de personne morale ».
L’Etat est donc une personne morale de droit public qui renvoie, comme on le verra, à l’idée de
permanence, d’institutions, se dissociant des personnes physiques qui agissent en son nom. C’est dans
ce sens que le doyen Duguit opinait que « je n’ai jamais déjeuné avec une personne morale ».
Pour mieux comprendre cette notion, nous verrons successivement :
-les conditions d’existence de l’Etat (Chapitre 1) ;
-les formes juridiques de l’Etat (Chapitre 2).

CHAPITRE I : Les conditions d’existence de l’Etat

Comme nous l’avons montré, le droit constitutionnel concerne l’organisation qui touche à l’Etat,
à l’exercice et à la transmission du pouvoir dans l’Etat.
Si le phénomène étatique s’est mondialisé, c’est sans doute parce qu’il repose sur des conditions
universelles déterminées. Celles-ci sont à la fois sociologiques (Section 1) et juridiques (Section 2).

Section 1 : Les conditions sociologiques


Du point de vue sociologique, l’Etat sert à indiquer la localisation d’une population au sein de
laquelle s’exerce un pouvoir doté de l’exclusivité. Pour reprendre Carré de Malberg, in concreto, « l’Etat
est une communauté d’hommes, fixée sur un territoire propre et possédant une organisation d’où résulte
pour le groupe envisagé dans ses rapports avec ses membres une puissance supérieure d’action, de
commandement et de coercition ». C’est dans ce sens que la Commission d'arbitrage pour la Yougoslavie
a relevé que « l'État est communément défini comme une collectivité qui se compose d'un territoire et
d'une population soumis à un pouvoir politique organisé». Ainsi, l’Etat se présente sous la forme de trois
éléments : c’est un groupement humain, la population (§ 1), un cadre spatial, le territoire (§ 2) et une
structure de domination, le pouvoir politique (§ 3).

§ 1 : La population ou la nation

L’Etat est avant tout une communauté humaine, un groupement social, « une population unifiée
ou organisée ».
Le phénomène historique capital, qui est à l’origine de l’Etat tel qu’il est né dans les empires
égyptien et chaldéen, dans les cités antiques grecques et romaines et dont le type s’est reproduit dans les
royaumes et répandus dans les Républiques modernes, est la formation ethnique d’une communauté
nationale. La communauté étatique apparaît donc comme une corporation unique qui englobe les
individus habitant un territoire donné, fondée sur la base de l’intérêt général, l’intérêt national.

1 Friedrich Wilhelm Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, 1885, p. 25, in http//www.ebooksgratuits.com

3
A-La définition
La nation est définie comme « la réunion d’hommes (et de femmes) ayant les mêmes mœurs,
les mêmes coutumes et les mêmes traditions historiques »2. Plus concrètement, selon Maurice Hauriou,
la nation « comme un groupement de formations ethniques primaires chez lesquelles la cohabitation
prolongée dans un même pays, jointe à de certaines communautés de race, de langue, de religion et de
souvenirs historiques, a dégagé une communauté spirituelle, base d’une formation ethnique
supérieure »3. C’est « la substance humaine de l’Etat »4. Mais, c’est à Ernest Renan que l’on doit l’une
des définitions les plus abouties de la nation. Selon l’universitaire français, « une nation est une âme, un
principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n’en font qu’une, constituent cette âme, ce principe
spirituel. L’une est dans le passé, l’autre dans le présent. L’une est la possession en commun d’un riche
legs de souvenirs ; l’autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer
à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis ». . Le passé perçu comme commun à travers « les souvenirs
nationaux » fonde la solidarité. Le consentement la perpétue. C’est ici qu’il explique que « L’existence
d’une nation est un plébiscite de tous les jours, comme l’existence de l’individu est une affirmation
perpétuelle de vie ».

B-Les rapports entre l’Etat et la nation


Dans le droit constitutionnel classique, toute nation à vocation à s’ériger en Etat, c’est l’idée
d’Etat- nation. Aujourd’hui, Etat et nation ne coïncident plus. On assiste en effet à une crise de l’Etat-
nation qui apparaît de plus en plus contesté et dépassé.
1/- L’association de l’Etat et de la nation
Cette thèse a contribué à la création de l’Etat-nation en Europe, c’est-à-dire, dans une
perspective sociologique, « un Etat unifié contre les régions et les provinces, mais aussi contre les
divisions en classes », et donc reposant sur un travail « d’unification trans-sociale »5.
Dans cette perspective où la nation est antérieure à l’Etat, la question qui se pose est celle de
savoir si toute nation a-t-elle droit à un Etat ? Le droit international public a répondu positivement à
cette question d’abord à travers le principe des nationalités, puis au lendemain de la seconde guerre
mondiale, à travers le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
D’abord, le principe des nationalités a été consacré par la révolution française de 1789. Ce
principe signifie sur le plan interne que le fondement du pouvoir c’est la nation. C’est la théorie de la
souveraineté nationale inscrite à l’article 3 de la DDHC de 1789 qui dispose que « le principe de toute
souveraineté réside essentiellement dans la nation. Sur le plan international, ce principe implique pour
chaque nation le droit de se constituer en Etat. Les révolutionnaires de 1789 au nom de ce principe vont
aider les nations à travers le monde à se réaliser politiquement et juridiquement.
Ensuite, au moment de la décolonisation, le principe du droit des peuples à disposer d’eux sera
inscrit dans la charte des nations unies puis dans la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays
et peuples coloniaux en 1960. Les nations en mal d’Etat, comme la Palestine sont fondées à revendiquer
ce droit.

2 /- La dissociation de l’Etat et de la nation


Cette dissociation est illustrée aujourd’hui par plusieurs situations : les nations regroupées, la
nation écartelée et la nation en construction.
a)-Les nations regroupées
Toutefois, la formation ethnique peut manquer à une communauté nationale. Par exemple,
l’immense territoire des Etats-Unis voit se juxtaposer des populations d’une diversité ethnique et
culturelle affirmée. De même, le Royaume-Uni est constitué de populations diverses dont les traits
ethniques, notamment celtes, pour le Pays de Galle et de l’Ecosse, restent très marqués. Il en est de

2 Théophile Funck-Brentano et Albert Sorel, Précis de droit des gens, Paris, Plon, 1900, p. 12.
3 Maurice Hauriou, ibid.
4 Raymond Carré de Malberg, Contribution à la théorie générale de l’Etat, tome 1, Paris, Editions du CNRS, 1962, p. 2.
5 Pierre Bourdieu, Sur l’Etat, op. cit., p. 546.

4
même de l’Afrique du Sud. Ainsi, la population d’un Etat peut être composée de communautés ethniques
diverses soit au moment de son premier rassemblement, soit au cours de son agrandissement, la
cohabitation entre les différents éléments donnant progressivement naissance à un ensemble de races
mélangées, soit par l’action d’un premier royaume, soit par la fonte des éléments divers les uns dans les
autres.
b)-La nation écartelée
Ainsi, le mouvement de décolonisation s’est appuyé sur le principe des nationalités et le droit
des peuples à disposer d’eux-mêmes sans que pour autant les différences entre les formations ethniques
aient disparu par le fait de l’absence de communautés de race, de langue ou de religion. Ainsi,
contrairement à l’Europe, dans de nombreux pays, on assiste à la dissociation entre la nation et l’Etat.
Dans ce cas, l’Etat précède la nation et charge donc ses principaux organes de la construire ou de
l’inventer pour en faire « un corps organisé, vivant et puissant »6. Il en est ainsi des Etats africains dont
les ethnies se retrouvent dans plusieurs pays. De même, pendant longtemps de la nation allemande
jusqu’en 1989 qui se trouvait écartelée entre la rive Ouest et la rive Est ; c’est encore le cas aujourd’hui
de la nation kurde que l’on retrouve dans plusieurs Etats (Irak, Iran, Turquie, ex-Urss).
c)-La nation non constituée
C’est le cas de beaucoup d’Etats africains issus de la décolonisation. En effet, l’Etat y a précédé
la nation. Le colonisateur a plaqué l’Etat sur une réalité sociologique composite, avec une mosaïque
d’ethnies. Le rôle assigné à l’Etat dans la plupart de ces pays était d’achever la construction de la nation.
La notion moderne d’Etat prend donc en compte l’ensemble du mouvement humain. Autrement dit, ce
mouvement est localisé et déterminé par l’Etat, l’effectivité de ce dernier créant celle de la nation. Au
final, l’élément personnel de l’Etat est une entité artificielle, c’est-à-dire non-construite ou plus
exactement en perpétuelle construction. C’est là certainement, le point commun avec le territoire.

§ 2 : Le territoire

Il n’est pas possible de concevoir un Etat sans emprise géographique, en tant que celle-ci est le
seul élément matériel de la construction étatique. La construction de « l’Etat-territoire »7 s’appuie sur
les fonctions (A) et les dimensions (B) de cet élément physique.

A-Les fonctions du territoire

L’élément de territorialité est indispensable à l’Etat parce que le sol joue le double rôle de fixer
les populations jusque-là flottantes et de donner à l’autorité publique les moyens de réaliser l’intégration,
c’est-à-dire l’unification de populations jusque-là imprécise et flottante. Le territoire permet donc à la
nation « de réaliser son unité »8. Comme l’a écrit Michelet, « sans une base géographique, le peuple,
l’acteur historique, semble marché en l’air »9.
Le territoire est donc l’élément qui précise l’identité de la population d’un Etat et qui indique le cadre
spatial de l’exercice de la puissance étatique, l’imperium (souveraineté territoriale), la maîtrise d’un
territoire assurant l’effectivité de la situation étatique.

B-Les dimensions du territoire

Le territoire est triple :


D’abord, le territoire terrestre, c’est-à-dire la surface ou le tréfonds du sol national, à l’intérieur
des frontières qui datent généralement depuis les Conférences de Berlin à la fin du 19e siècle ; Les
frontières terrestres sont conçues sous forme linéaire et présentent des particularités : être fractionnées
(comme les E-U avec l’Alaska, la France avec les DOM TOM), enclavées entièrement (Lesotho, Saint-

6 Maurice Hauriou, Précis de droit constitutionnel, op. cit., p. 84.


7 Pierre Bourdieu, Sur l’Etat, op. cit., p. 196.
8 Raymond Carré de Malberg, Contribution à la théorie générale de l’Etat, tome 1, op. cit., p. 3.
9 Jules Michelet, Histoire de France, tome I, Paris, A. Lacroix et compagnie, 1880, p. VI

5
siège) ou partiellement (cas de Berlin ouest avant réunification de l’Allemagne), étriqués (Monaco a 2,5
m2).
Les frontières terrestres sont naturelles ou artificielles fixées par des techniciens en application
d’accords internationaux.
Le territoire terrestre du Gabon comprend neuf provinces : Estuaire, Haut-Ogoué, Moyen-
Ogoué, Ngounié, Nyanga, Ogoué-Ivindo, Ogoué-Lolo, Ogoué-Maritime, Woleu-Ntem.
Au point de vue administratif, la Constitution du 26 mars 1991 prévoit les divisions territoriales
constituées des collectivités locales et provinces, administrées par le représentant de l’Etat (article 105).
Ensuite, le territoire maritime qui concerne les eaux intérieures et la mer territoriale qui s’étend
jusqu’à 12 mille marins ; au-delà, c’est la haute mer, ouverte à tous les Etats ; Les frontières maritimes
s’étendent à partir des eaux intérieures non seulement sur la mer territoriale (douze milles marins ou
nautiques à partir des eaux intérieures ; un mille marin =1852 m) mais aussi sur la zone économiques
exclusive (188 milles marins au-delà de la mer territoriale ; soit 200 milles marins). Au-delà, c’est la
haute mer ouverte à tous les Etats. (Alexis). En fait, il s’agit des portions de mer sur lesquelles l’Etat
peut exercer son action de domination ;
Enfin le territoire aérien qui surplombe le territoire terrestre et maritime, en dehors de l’espace
extra-atmosphérique qui relève de la souveraineté de tous les Etats10 telle que consacrée par la
Convention de Chicago du 7 décembre 1944 sur l’aviation civile. En effet, l’article 1er de ce traité pose
le principe d’une « souveraineté complète et exclusive de l’État sur l’espace aérien au-dessus de son
territoire ». En pratique, seuls les Etats techniquement les plus puissants exercent une souveraineté
plénière sur leur espace aérien civil et militaire.

§ 3 : L’autorité exclusive
Pour qu’il y ait un Etat, il ne suffit pas qu’existent une population et un territoire ; il faut que
s’exerce sur cette population et ce territoire une autorité exclusive encore appelée puissance publique.
Ce qui fait la spécificité de cette autorité, c’est qu’elle s’exerce au moyen de normes juridiques. L’Etat
dispose de la force pour faire respecter les normes qu’il édicte. Il a « le monopole de la violence physique
légitime »11 ou pour compléter avec Pierre Bourdieu, « le monopole de la violence physique et
symbolique légitime »12.
L’Etat moderne est né à partir du moment où l’Etat a revendiqué avec le succès le monopole de
la violence physique.
Cette autorité pour s’exercer durablement et efficacement a besoin d’être légitime c’est-à-dire
accepté par ses destinataires.
En effet, s’il n’y a pas dans les relations entre gouvernants et gouvernés une confiance, l’autorité court
le risque d’être contestée.
Max Weber13 a distingué trois formes de légitimité du pouvoir : la légitimité traditionnelle
fondée sur les coutumes immémoriales ; la légitimité charismatique qui s’appuie sur les charismes, les
qualités personnelles de celui qui exerce le pouvoir et enfin la légitimité légale- rationnelle,
caractéristique de l’Etat moderne dont les organes sont investis par la loi.
A la suite de cette classification Wébérienne, d’autres auteurs14 ont opté pour une approche plus
dynamique en distinguant quatre types de légitimités :
-la légitimité par les procédures (input) qui est liée à des règles auxquelles les citoyens
souscrivent et par lesquelles l’Etat à la fois l’Etat prend des décisions contraignantes et organise la
participation des personnes ;

10 Béatrice Trigeaud, « Souveraineté et liberté dans un espace aérien civil et militaire », Stratégie, n°123, vol. 3, 2019, pp. 179-
198, disponible sur https://www.cairn.info/revue-strategique-2019-3-page-179.htm
11 Max Weber, Le Savant et le Politique, Paris, UGE, « 10/18 », 1963, p. 29 ; du même auteur, Economie et société, Paris, Plon,

1971, pp. 57-59.


12 Pierre Bourdieu, Sur l’Etat. Cours au Collège de France. 1989-1992, Paris, Raisons d’Agir/Seuil, 2012, p. 14.
13 Max Weber, Le savant et le politique, Paris, Editions 10/18/Département d’Univers Poche, 1963, pp. 126-129.
14 Séverine Bellina, Dominique Darbon, Stein Sundstøl et Ole Jacob Sending, L’État en quête de légitimité. Sortir

collectivement des situations de fragilité, Paris, Éditions Charles Léopold Mayer, 2010, pp. 40 et suiv. Voir aussi, Séverine
Bellina (sous la direction de), avec la collaboration de Marion Muller, Refonder la légitimité de l’Etat. Quand les expériences
et les pratiques parlent, vol. 1, Paris, Karthala, 2015

6
-la légitimité par les résultats ou fonctionnelle (output) qui concerne les réalisations de l’Etat,
l’efficacité et la qualité des services et des biens que l’Etat fournit ;
-la légitimité par les croyances partagées qui concerne les représentations collectives permettant
au peuple de considérer l’Etat comme la seule et ultime autorité légitime qui donne sens à la communauté
et à l’identité collective ;
- la légitimité internationale qui octroie une reconnaissance à l’Etat, au régime politique et aux
gouvernants en place en soutenant des politiques publiques mises en place.
Cette conception sociologique, quoique que conforme à la réalité, n’apparaît pas satisfaisante
pour la science juridique, car elle conduit à confondre l’Etat avec ses éléments constitutifs. Dès lors, une
définition juridique de l’Etat tirée des éléments de droit s’impose.

Section 2 : Les conditions juridiques

Si du point de vue de la réalité, les conditions d’existence de l’Etat sont perceptibles, en


revanche, sur le plan de la théorie juridique, l’Etat est une idée abstraite, une fictio juris qui ne peut
néanmoins être perçue ou saisie que par les organes qui expriment sa volonté suprême. C’est ce qui a
fait dire à Bossuet que « tout l’Etat est dans la personne du prince »15 ou encore à Jellinek que « l’Etat
ne peut exister que moyennant ses organes ; si par la pensée on supprime les organes, il ne reste plus
juridiquement que le néant »16. En d’autres termes, l’Etat n’existe juridiquement que s’il détient une
personnalité juridique ou morale (§ 1) et souveraine (§ 2). A ces conditions désormais classiques, il
convient d’ajouter le critère de l’Etat de droit (§ 3).

§ 1 : La personnalité juridique de l’Etat

A-Eléments de définition

Pour reprendre Eismein, « l’Etat est la personnification juridique de la nation », c’est-à-dire le


« sujet et le support de l’autorité publique »17 ; plus concrètement, selon Carré de Malberg, ce qui est
personnifié dans l’Etat, ce n’est pas la communauté humaine qu’il renferme, mais « l’établissement
étatique lui-même »18.
Dire que l’Etat est un être de droit ou une personne morale ou juridique, c’est affirmer que, à
l’exemple des personnes physiques, il est titulaire de droits et d’obligations distincts de ceux des
gouvernés et des gouvernants19. Une telle appréhension peut difficilement susciter le consensus. D’où
l’intérêt de revenir sur les débats qu’elle a suscités entre les auteurs classiques.
Pour Léon Duguit et Gaston Jèze qui ont vivement critiqué cette notion, la personne morale est une
invention, une idée, un artifice intellectuel, un fantôme, qui masque la soumission des gouvernés, non à
une prétendue volonté de la personne morale étatique inexistante, mais à celle des gouvernants, les
hommes réels qui détiennent la force20.
Pour d’autres comme Maurice Hauriou21, la personnalité morale de l’Etat est un phénomène
naturel qui procède du besoin des hommes à structurer une organisation sociale qui leur survit. La
personnalité juridique permet alors de regarder l’Etat comme une collectivité unifiée en vue de la
réalisation d’un ordre social et politique dont les individus seront les bénéficiaires. Par conséquent, l’Etat
émerge en tant que personne juridique indépendante de ses fondateurs et de chacun de ses membres,
gouvernés et gouvernés, et supérieurs à eux.
Au-delà des débats, la personnalité juridique de l’Etat est bien une fiction juridique qui constitue
la base de toute conception de l’Etat moderne. En effet, l’Etat est un pouvoir institutionnalisé ; ce qui
signifie « qu’il s’est dissocié de la personne des gouvernants pour se reporter sur une entité qui lui sert

15 Politique tirée des propres paroles de l’Ecriture sainte, Livre VI, au début.
16 Jellinek, L’Etat moderne, trad. Française, tome 2, p. 248.
17 Adhémar Eismein, Eléments de Droit constitutionnel français et comparé, 6 e édition, Paris, Sirey, 1914, p. 1.
18 Carré de Malberg, Contribution à la théorie générale de l’Etat, op. cit., p. 11.
19 Michou, Théorie de la personnalité morale, 1 ère Partie, 1906, 2ème Partie, 1909 ;
20 Léon Duguit, Manuel de droit constitutionnel, 4 e édition, Paris, Ed. de Boccard, 1923, pp. 29-31.
21 Maurice Hauriou, Précis de droit constitutionnel, 1 e édition, Paris, Sirey, 1923, pp. 712 et suiv.

7
de support »22. En d’autres termes, l’institutionnalisation du pouvoir est l’opération juridique par laquelle
le pouvoir est dissocié de son titulaire provisoire, le roi, le Chef, pour se rattacher à une entité
permanente, l’Etat, qui lui sert de support et qui absorbe toutes les institutions préexistantes. L’Etat est
« l’institution des institutions »23. Cette conception de l’Etat est la marque d’un pouvoir démocratique
moderne, qui se traduit sous la forme d’un acte juridique spécifique : la Constitution24. Elle présente des
effets certains dans la conception du pouvoir.

B-Les conséquences

Le premier effet est la dissociation entre l’Etat et les gouvernants. Ici, le pouvoir cesse d’être
individualisé, c’est-à-dire confondu dans la ou les personnes qui l’exercent, pour devenir celui de l’Etat.
Autrement dit, le pouvoir ne fait pas ou plus l’objet d’une appropriation personnelle, il n’est pas une
propriété privée, un bien patrimonial ou familial. Dès lors, les gouvernants ne sont que de simples
serviteurs de l’Etat, des dépositaires provisoires, des organes qui agissent en son nom et pour son
compte ; les actes qu’ils accomplissent lui sont imputables. Cette distinction garantit la reconnaissance
et la jouissance des droits et libertés des gouvernés. Elle implique aussi que la légitimité des gouvernants
dérive de l’État et, notamment, des règles fixées par lui et prévues dans son statut.
Le deuxième effet est la permanence de l’Etat. Elle implique que la continuité du pouvoir
n’existe pas en la personne des gouvernants ou même en la forme de l’Etat qui peut changer25, elle a son
siège dans l’institution, l’Etat, qui est permanente, perpétuelle et qui demeure de génération en
génération ; ce qui rend possible les changements de gouvernants et l’organisation d’un mode régulier
de transmission des compétences. C’est dans ce sens que Bossuet a pu dire : « O Princes vous mourrez,
mais votre Etat doit être immortel », mais encore « le roi est mort, vive le roi ».
La permanence implique aussi que les gouvernants actuels soient liés par les actes de leurs
prédécesseurs, aussi bien sur le plan national que sur la scène internationale et que les gouvernés soient
tenus de respecter les normes initiées et adoptées par « des gouvernants qu’ils n’ont ni vus, ni élus »26.
Il s’agit d’une permanence du droit.
La particularité de l’Etat moderne réside dans le fait qu’il est à la fois une personne morale et
souveraine.
§ 2 : La souveraineté

La capacité que possède le pouvoir politique, l’Etat, de construire la communauté étatique,


d’assurer sa cohésion et de lui donner une identité s’exprime en un mot : la souveraineté. Cette dernière
se présente sous deux faces : le principe et l’exercice. Ce dernier se trouve néanmoins limité aujourd’hui

A-Le principe et l’exercice


1/-Le principe
La découverte de la notion de souveraineté est souvent attribuée à Jean Bodin auteur des six
livres de la Républiques (1576). Pour cet auteur : « La première marque du principe souverain, c’est la
puissance de donner loi à tous en général, et à chacun en particulier (…) sans le consentement du plus
grand, ni de pareil, ni de moindre que soi » (Chapitre X).
Sans nuire à la réputation de l’illustre penseur, on peut néanmoins remarquer que dans la Cité
primitive, le droit public romain maîtrise la notion de souveraineté27 que Salluste appellera le pouvoir
royal. Construisant l’Etat à partir de la communauté issue de l’association entre les Gentes, les romains
ont pensé que l’autorité qui devait gérer cette communauté nouvelle et plus large – c’est-à-dire la diriger,

22 Pierre Pactet et Ferdinand Mélin-Soucramanien, Droit constitutionnel, 32e éd., Paris, Sirey, 2013, p. 11.
23 Maurice Hauriou, Droit public, 1906, p. VII.
24 Georges Burdeau, Traité de Science politique, tome I, Le Pouvoir politique, Paris, LGDJ, 1985, pp. 188-195.
25 Eismein, Eléments de droit constitutionnel français, op. cit., p. 4.
26 Jean Zeh Ondoua, Institutions politiques et administratives gabonaises, Cours, Fascicule, Licence 1 Economie, Université

Omar Bongo, Faculté de droit et des sciences économiques, 2016-2017, p. 6.


27 Mommsen, Le droit public romain, tome VI, 1ère partie, Paris, Girard, pp. 341 et suiv. ; Jacques Ellul, « Recherche sur la

conception de la souveraineté dans la Rome primitive », Mélanges offerts à Georges Burdeau, Paris, LGDJ, 1977, pp. 265 et
suiv. ; Albert Rigaudière, « L’invention de la souveraineté », Pouvoirs, n°67, 1993, pp. 5 et suiv.

8
d’où le terme Rex – lui dicter les ordres, d’où le terme dictator et être le maître du peuple – devait être
sans limite légale, c’est-à-dire summa potestats. Elle s’exprime par exemple par le fait que, du temps de
la royauté, les ordres du roi étaient immédiatement exécutés et il ne pouvait y avoir pour lui aucun juge
à l’intérieur de la cité.
Sous la République, cette toute puissance du roi s’exprimera dans la toute-puissance de l’Etat
en ce qui concerne les choses d’intérêt public. Deux éléments permettent de mieux éclairer cette notion.
A l’intérieur du Gabon, par exemple, il subsiste des autorités diverses soit traditionnelles,
religieuses ou administratives qui produisent diverses normes de conduite. Mais, dans le cadre étatique,
ces autorités sont subordonnées ainsi que les règles qu’elles édictent. Elles ne peuvent s’opposer à l’Etat
et à ses normes. Par contre, le pouvoir de l’Etat se caractérise par le fait qu’il est le seul à être souverain,
c’est-à-dire suprême, ce qui veut dire qu’il n’admet « aucun autre ni au-dessus de lui, ni en concurrence
avec lui ». Dès lors, l’Etat détient la puissance de domination la plus haute « qui ne relève d’aucun autre
pouvoir et qui ne peut être égalé par aucun autre pouvoir »28.
Cette puissance suprême présente deux aspects : interne et externe.

a)-Sur le plan interne,


Le pouvoir de l’Etat est non subordonné par le fait qu’il s’organise comme il l’entend, sans être
lié par une règle antérieure, ni être soumis à une volonté extérieure à lui-même. Par nature, l’autorité qui
appartient au pouvoir étatique est donc originaire, c’est-à-dire qu’elle ne tient qu’à lui-même, n’ayant
été fondé juridiquement par personne qui lui soit extérieure. En effet, même si historiquement, on peut
situer la naissance d’un Etat, par exemple Israël, Gabon, etc., dès lors que cet Etat existe, il n’a pas
d’autres titres de fondement que lui-même.
Par ailleurs, si l’Etat renferme, dans son territoire et à l’intérieur de ses populations les entités
les plus anciennes, ces dernières, du moment où le pouvoir de l’Etat existe, ne possèdent plus qu’une
autorité dérivée de lui, alors que l’autorité de l’Etat n’est pas formée par l’addition de ces autorités
antérieures.
D’autre part, l’autorité qui appartient à l’Etat est illimitée, en ce sens que lorsque l’Etat pose
des normes, il n’a pas à se soucier d’autres règles extérieures ou antérieures à lui parce que, comme l’a
écrit Jellinek, l’Etat possède la compétence de sa propre compétence. Ce qui signifie que c’est lui-même
qui fixe le cadre de son action, qui détermine les moyens de ses interventions et qui délimite sa propre
capacité. Il possède donc la summa potestas.
Ainsi, au niveau interne, le pouvoir de l’Etat est initial, inconditionné et suprême. Ce sont ces
trois éléments qui s’expriment dans l’exercice des droits régaliens parmi lesquels la législation, la justice
et la contrainte dont l’ensemble constitue la puissance publique. Cependant, l’élément le plus fort est la
contrainte parce qu’elle doit être, selon Léon Duguit, irrésistible, c’est-à-dire ne pas rencontrer une
puissance rivale capable de s’opposer à elle.

b)-Sur le plan externe,


Le pouvoir de l’Etat est également indépendant, conformément à la célèbre formule de Max
Huber dans l’affaire de l’île de Palmas, « la souveraineté dans les relations entre États signifie
l'indépendance. L'indépendance, relativement à une partie du globe, est le droit d'y exercer, à l'exclusion
de tout autre Etat, les fonctions étatiques »29. Autrement dit, il s’agit ici non pas d’une liberté d'action
illimitée mais le droit pour chaque État de déterminer sa propre politique comme il l'entend dans le
respect des droits, identiques, de tous les autres États.
Plus concrètement, ce principe signifie que, dans les rapports que les Etats entretiennent entre
eux, le principe est, d’une part, qu’aucun Etat n’est soumis à l’autorité d’un autre et, d’autre part,
qu’aucune obligation ne s’impose à l’Etat qu’il n’y ait expressément souscrit lui-même au préalable.
Autrement dit, au niveau international, la souveraineté signifie l’absence de toute subordination et de
dépendance politique, lesquelles permettent à l’Etat d’être maître sur son territoire et au peuple de garder
la maîtrise de son destin. Elle entraîne deux conséquences : l’égalité souveraine ou juridique des Etats
et la non-ingérence des Etats dans les affaires intérieures d’un autre.

28 Carré de Malberg, Contribution à la théorie générale de l’Etat, tome 1, op. cit., p. 70.
29 C.P.A., sentence arbitrale du 4 avril 1928, affaire de l'Île des Palmes, R.S.A., vol. II, p. 838.

9
2/- L’exercice
La notion de droit régalien permet de passer de l’aspect doctrinal de la souveraineté à l’aspect
quotidien de l’existence de l’Etat, c’est-à-dire à l’exercice de son pouvoir et aux actes ordinaires de la
puissance publique. Ces actes présentent du pouvoir d’Etat quatre caractères spécifiques :

a)-Un pouvoir de centralisation et d’arbitrage


-un pouvoir de centralisation : Cela signifie que dans l’organisation générale de la société
étatique, la classe centrale est occupée par le pouvoir politique et plus précisément le pouvoir exécutif
chapeauté par le Président de la République ; tous les autres centres d’autorité n’étant que des pouvoirs
intermédiaires, sinon subalternes ;
-un pouvoir d’arbitrage : c’est-à-dire que c’est au niveau de la puissance étatique que
s’expriment les règles générales du jeu social, règles qui doivent l’emporter sur les règles spécifiques
des différents domaines d’activité ;

b)-Un pouvoir extra-patrimonial, de caractère civil et temporel


-un pouvoir extra-patrimonial : Dans la société traditionnelle, existait une liaison entre, d’une
part, la détention et l’administration des biens de l’ensemble social et, d’autre part, les gouvernants.
Dans l’Etat moderne, le pouvoir politique et le pouvoir économique sont séparés ; ce qui signifie que le
pouvoir d’Etat n’est pas objet de propriété ;
-un pouvoir de caractère civil et temporel : Si dans les sociétés traditionnelles et royaumes, le
chef était d’abord et avant tout un guerrier, la situation a changé dans l’Etat moderne. En effet, si la
mission de défense demeure essentielle, elle ne nécessite plus que le gouvernant soit d’abord un chef
militaire. Ainsi, le pouvoir militaire se trouve circonscrit, c’est-à-dire cantonné à la fois sur le plan
juridique et territorial. De ce fait, l’autorité militaire est subordonnée à l’autorité gouvernementale. Cette
dernière ayant un caractère civil et l’armée étant un simple moyen d’action du pouvoir politique. Le
caractère temporel du pouvoir s’appuie sur l’idée de laïcité de l’Etat ou plutôt d’a-religiosité de l’Etat.
Autrement dit, l’Etat moderne est fondé sur le non-engagement religieux de l’Etat. C’est par ce principe
que sont garanties les libertés de conscience et de culte.

B-Les limites de la souveraineté

La souveraineté, dans sa mise en œuvre, est largement remise en cause aujourd’hui, tant dans
l’ordre interne que dans l’ordre externe.

1/-Dans l’ordre interne


Si la souveraineté reste affirmée dans son principe, elle se trouve largement limitée :
-La souveraineté se heurte à l’affirmation des droits de l’homme et donc à la primauté de
l’individu sur l’Etat. Dans une société démocratique, l’Etat ne peut porter atteinte à ses droits
fondamentaux sans s’exposer à de vives contestations des acteurs politiques et de la société civile et à
la censure de la juridiction constitutionnelle ;
-la restauration de la démocratie entraine le développement de la décentralisation qui constitue
une forme de séparation verticale des pouvoirs entre l’Etat et les collectivités locales. Ces dernières
bénéficient de l'autonomie administrative et financière. L'article 103 alinéa 2 de la Loi fondamentale
dispose que les collectivités locales « s'administrent librement par les conseils élus dans les conditions
prévues par la loi, notamment en ce qui concerne les compétences et leurs ressources ». Il ne s'agit pas
d'une véritable division du pouvoir, dès lors que les collectivités locales ne disposent pas d'un pouvoir
normatif propre, mais plutôt d'un transfert de compétences qui constitue une technique de
désengagement ou d'autolimitation par l'Etat de son pouvoir. La décentralisation participe néanmoins de
la logique d'un gouvernement modéré.
-L’influence et la présence permanentes de l’ancienne puissance coloniale réduit drastiquement
la souveraineté de l’Etat africain francophone, surtout ;
-La mondialisation et la globalisation de l’économie et des communications ont enlevé à l’Etat
une part importante de son pouvoir au profit des puissances étrangères, des organisations internationales,
des firmes multinationales et des ONG internationales ;

10
-L’accroissement des conflits internes, l’irruption du phénomène du terrorisme aboutissent à la
remise en cause de la souveraineté territoriale de l’Etat à tel point que, dans un pays comme la
République centrafricaine, 80% du territoire est contrôlé par les groupes rebelles et non par l’Etat.

2/-Dans l’ordre externe


Les limitations de souveraineté sont encore plus spectaculaires :
-le développement des relations internationales et la multiplication des accords internationaux,
souvent adoptés avant l’indépendance de nombreux pays, ou parfois sans leur véritable volonté,
réduisent considérablement la souveraineté des Etats faibles ;
-depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, le pouvoir de certains Etats d’assurer leur sécurité,
un des piliers de l’indépendance et de sa survie, est réduit et assumé par les Etats les plus puissants
(OTAN ; Pacte de Varsovie), l’ancienne puissance coloniale, etc. ;
-durant la guerre froide, la théorie de la « souveraineté limitée » invoquée par les soviétiques
leur a permis d’intervenir militairement dans leurs satellites (Hongrie en 1956 et Tchécoslovaquie en
1968) ; le même mécanisme a été usité par la France dans plusieurs de ses anciennes colonies ;
-dans les pays en développement en manque de capitaux, les bailleurs de fonds leur imposent
des conditionnalités diverses qui réduisent largement leur souveraineté ;
-le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats est manifestement remis en
cause depuis l’affirmation en 1991, à l’issue de la première guerre du Golfe, d’un devoir d’ingérence
humanitaire et depuis l’intervention de l’OTAN en Lybie en 2011, du principe de responsabilité de
protéger les populations, lorsque sont en jeu des valeurs communes de l’humanité ou lorsque l’Etat n’est
plus en mesure de protéger sa propre population ;
-la création de juridictions pénales internationales ad hoc et de la Cour pénale internationale
remettent largement en cause la souveraineté pénale des Etats ;
-la création de juridictions régionales des droits de l’homme dont les décisions s’imposent aux
Etats constituent également une limitation importante de la souveraineté des Etats ;
-la construction des espaces communautaires dont les conséquences imprévisibles dépassent
largement les Etats membres mettent à mal leur souveraineté.

Chapitre 2 : Les formes juridiques de l’Etat

Les formes ou genres d’Etat renvoient à ce que Georges Burdeau présente comme la nature
interne du pouvoir dont l’institution étatique est le support.
La théorie classique du droit constitutionnel fait une distinction entre Etat unitaire (Section 1)
et Etat composé (Section 2).

Section 1 : L’Etat unitaire

L’Etat unitaire ou simple est le type d’Etat le plus répandu dans le monde.
On appelle Etat unitaire la collectivité étatique qui n’est pas divisible en partie interne méritant
elle-même le nom d’Etat30 parce que, comme le dit Georges Burdeau, elle ne possède qu’un seul centre
d’impulsion politique et gouvernementale. Ce qui signifie que le pouvoir politique y relève dans la
totalité de ses attributs et de ses fonctions d’un titulaire unique qui est la personne juridique de l’Etat.
En d’autres termes, dans ce type d’Etat, « la souveraineté n’est ni divisée ni partagée ; elle conserve sa
pleine unité »31. C’est cette situation que souligne l’article 2 de la Constitution du 26 mars 1991 à savoir
que « le Gabon est une République indivisible » et que réaffirme le 4e considérant de la décision n°11/CC
du 21 janvier 1994 de la Cour constitutionnelle.
Toutefois, l’Etat unitaire, en fonction de son degré de démocratisation, renferme trois modalités :
l’Etat centralisé et l’Etat décentralisé, d’une part (§ 1), l’Etat régional, d’autre part (§ 2).

30 Maurice Hauriou, Précis de droit constitutionnel, op. cit., p. 122.


31 Adhémar Eismein, Eléments de droit constitutionnel français et comparé, op. cit., p. 4.

11
§ 1 : L’Etat unitaire centralisé et décentralisé

A-L’Etat unitaire centralisé

L’Etat unitaire centralisé est celui au sein duquel la centralisation administrative s’ajoute à la
centralisation politique. Autrement dit, il se caractérise par une unité de décision dans le domaine
politique et administratif. Juridiquement, cela se traduit par le fait que l’Etat est la seule personne morale
de droit public.
En pratique, une centralisation absolue est purement une fiction. En effet, il est impossible que
les autorités centrales qui prennent des décisions au niveau national puissent les faire exécuter sur le
plan local. C’est pourquoi, l’Etat centralisé est généralement organisé selon le modèle de la
déconcentration. Ici, l’administration centrale se prolonge au niveau local par des services extérieurs
situés en provinces et soumis à son autorité hiérarchique. Comme dit Odilon Barrot : « C’est le même
marteau qui frappe, mais on en a raccourci le manche ». La déconcentration est symbolisée sur place
par le gouverneur, le préfet et, le cas échéant, le sous-préfet.

B-L’Etat unitaire décentralisé

Il se caractérise par le transfert, par l’Etat, d’une partie de ses compétences vers d’autres
structures administratives qui peuvent être des autorités locales élues par les citoyens ou des
établissements.
De cette définition, il apparaît qu’à côté de l’Etat, personne morale par excellence de droit
public, subsistent d’autres personnes morales de droit public qui procèdent soit de la décentralisation
territoriale ou géographique, soit de la décentralisation fonctionnelle ou technique ou encore par service.
En vertu de l’article 103 alinéa 2 de la Constitution, complété par la loi organique n°1/2014 du
15 juin 2015 relative à la décentralisation, les collectivités territoriales s’administrent librement, mais
elles sont soumises à la tutelle de l’Etat représentée par le gouverneur ou le préfet.
Ces deux éléments renvoient à deux principes fondamentaux de l’Etat unitaire décentralisé :
d’une part, le principe de libre administration et, d’autre part, le principe d’indivisibilité de la
République.

1/-Le principe de libre administration


Selon l’article 103 alinéa 2 de la Constitution, les collectivités locales « s’administrent librement
par des conseils élus dans les conditions prévues par la loi, notamment en ce qui concerne les
compétences et leurs ressources ». L’article 3 de la loi organique sur la décentralisation précise que la
libre administration des collectivités locales comme « le principe constitutionnel selon lequel, dans les
conditions prévues par les lois, les collectivités locales s’administrent librement par des conseils élus,
dispose d’un pouvoir réglementaire pour l’exercice de leurs compétences, gèrent librement leurs
personnels et bénéficient de ressources nécessaires à l’exercice de leurs missions ».
Au regard de ces dispositions, il apparaît que la libre administration repose sur des critères précis
et s’appuie sur des moyens garantis par l’Etat.
Le critère premier et fondamental de la libre administration tient dans l’élection des conseils
locaux. C’est une exigence constitutionnelle. Selon les dispositions de l’article 4 alinéa 2 de la
Constitution, il s’agit d’une élection au suffrage universel direct à un tour, pour un mandat de cinq ans,
renouvelable. Aux termes de la Constitution et de la loi élecotorale, les élections locales (municipales et
départementales) sont des élections politiques au même titre que les élections présidentielles et
parlementaires mais dont le contentieux relève désormais de la compétence des tribunaux
administratifs32.
La libre administration des collectivités locales est également garantie par la représentation par
le Sénat des collectivités territoriales consacrée par l’article 35 alinéa 3 de la Constitution. Revêtue de
cette mission, le Sénat, par son mode d’élection au suffrage universel indirect et son caractère d’organe
permanent, se considère comme le défenseur des intérêts des collectivités locales. C’est dans cette

32Article 121, alinéa 3, de l’ordonnance n° 00004/2018/PR/2018 modifiant, complétant et supprimant certaines dispositions
de la loi n° 07/96.

12
optique que « les projets de loi afférents aux collectivités locales sont présentés en premier lieu devant
le Sénat »33.
Toujours du point de vue démocratique, la libre administration implique aussi la possibilité pour
les organes décentralisés d’initier des référendums d’initiative locale prévus par l’article 103a de la
Constitution gabonaise et par l’article 36 de la loi organique n°1/2014 du 15 juin 2015 relative à la
décentralisation.
Pour être effective, la libre administration implique que les collectivités locales puissent
disposer de moyens juridiques et financiers conséquents pour leur assurer une certaine autonomie de
décision. Les premiers renvoient au pouvoir normatif local et les seconds au pouvoir financier local.
Le pouvoir normatif est double : d’une part, le pouvoir réglementaire et, d’autre part, la liberté
contractuelle.
Le pouvoir réglementaire des collectivités locales leur est conféré de manière explicite par le
législateur organique. Il s’agit pour elles, soit de mettre en œuvre une loi dans un domaine déterminé,
soit d’exercer une compétence propre ou autonome attribuée à elles par le législateur. Ce pouvoir
réglementaire n’est qu’un moyen indispensable à l’exercice de la libre administration. Il ne peut
nullement faire concurrence avec le pouvoir réglementaire que la Constitution attribue au Président de
la République et au Premier ministre (articles 27 et 29).
La liberté contractuelle est également une conséquence de la libre administration des
collectivités locales. En effet, à l’heure de la mondialisation, de la libéralisation des services publics et
de la contractualisation, la mise en œuvre de leurs compétences peut nécessiter la signature de contrats
avec les prestataires publics ou privés. Ce principe est consacré à l’article 36 tiret 19 de la loi organique
sur la décentralisation.
Les collectivités locales bénéficient en outre de l’autonomie financière ou d’un pouvoir
financier, corollaire de leur libre administration.
La notion d’autonomie financière, qui est au cœur de la démocratie et de la bonne gouvernance,
n’est nullement aisée à définir. D’ailleurs, ni la Constitution, ni la loi organique sur la décentralisation
ne définit la notion.
Toutefois, elle peut néanmoins s’entendre, en première approximation, comme étant la situation
d’une collectivité locale disposant d’un pouvoir propre de décision et de gestion de ses recettes et de ses
dépenses, regroupées en un budget, et nécessaire pour l’exercice de ses compétences. Dans sa décision
n°1/CC du 28 février 1992, la Cour constitutionnelle semble aller dans le même sens : « Considérant
que la possibilité pour une institution d’avoir des ressources autres que les crédits inscrits pour elle au
budget de l’Etat implique nécessairement que cette institution bénéficie de l’autonomie financière ».
En pratique, ce principe est limité car les collectivités locales du Gabon bénéficient d’une
autonomie financière réduite dès lors qu’elles ne peuvent pas créer leurs propres recettes et leurs
assiettes d’impôts qui relèvent de la compétence du législateur (article 47 de la Constitution). De plus,
elles se voient imposer des choix en matière de dépense et enfin elles sont soumises à des contrôles
extérieurs stricts.
La libre administration n’implique néanmoins pas autonomie totale car elle est contenue par le
principe d’indivisibilité de la République.

2/-Le principe d’indivisibilité de la République


L’indivisibilité de la République est un principe qui s’inscrit dans la tradition constitutionnelle
gabonaise. Il est actuellement consacré à l’article 2 de la Constitution. Il constitue une limite au principe
d’autonomie des collectivités locales.
Au regard des dispositions constitutionnelles et de la jurisprudence constitutionnelle, le principe
d’indivisibilité de la République repose sur trois piliers : l’indivisibilité de la souveraineté,
l’indivisibilité du territoire et l’indivisibilité du peuple.
-L’indivisibilité de la souveraineté : Ce principe signifie qu’il n’existe, à l’intérieur du territoire
d’un Etat, qu’une seule source de souveraineté s’imposant à tous dans toute sa plénitude. Il implique,
d’une part, l’unité du pouvoir normatif de l’Etat, c’est-à-dire l’inexistence d’un pouvoir normatif
autonome local, existant par lui-même. Autrement dit, le pouvoir normal local ne peut être qu’un pouvoir
délégué par le législateur. La puissance normative locale dérive donc d’une seule source, celle des

33 Article 54 alinéa 4 de la Constitution.

13
organes nationaux. La seule exception est celle autorisée ou voulue par exemple par le constituant
français pour les régions et départements d’outre-mer (articles 73 al. 2 et 74 C). D’autre part, le respect
par les collectivités locales des prérogatives de l’Etat. Celles-ci sont mises en œuvre sur le plan local par
le représentant de l’Etat qui « veille au respect des intérêts nationaux » par l’exercice d’un contrôle a
priori ou a posteriori sur les actes des organes locaux. La conséquence de ce contrôle est l’exclusion des
compétences de souveraineté au profit des collectivités locales, en l’occurrence les compétences
législatives, internationales et juridictionnelles.
-L’indivisibilité du territoire : Elle renvoie à l’intangibilité ou l’intégrité du territoire national et
à l’uniformité des droits applicables.
L’intégrité du territoire national est prévue par l’article 8 alinéa 2 de la Constitution. Elle est garantie
par le Président de la République et ne peut être remise en cause que par le peuple souverain, par la voie
du référendum34.
Dans certains Etats comme la France, ce principe n’est pas absolu. En effet, l’alinéa 2 du
Préambule de la Constitution de 1958 avait laissé aux territoires d’outre-mer une possibilité initiale de
choix entre l’indépendance et l’acceptation de la Loi fondamentale, de même que la faculté de changer
de statut dans un délai de quatre mois après la promulgation de la Constitution, pour devenir soit des
départements d’outre-mer, soit des Etats membres de la nouvelle Communauté, avec, dans ce dernier
cas, la possibilité d’accéder à l’indépendance (article 76 C).
Par ailleurs, le Conseil constitutionnel a admis qu’un territoire, en l’occurrence les Îles Comores,
puisse cesser d’appartenir à la République « pour constituer un Etat indépendant ou y être attaché »35.
Enfin, la diversité territoriale des régimes juridiques est acceptée en France à travers les
principes de spécialité36, d’adaptabilité37 et d’expérimentation38 législative faisant de ce pays un « Etat
pluri-législatif »39.
En revanche, au Gabon, la faible décentralisation et la non prise en compte des spécificités des
collectivités territoriales justifient le caractère absolu du principe d’uniformité des droits applicables et
ce, malgré l’influence permanente des droits coutumiers qui ne s’imposent néanmoins que dans les
relations individuelles.
-L’indivisibilité du peuple : « Le peuple gabonais » est le premier groupe de mot de la
Constitution gabonaise. Il marque le principe du seul peuple gabonais, « animé de la volonté d’assurer
(…) son unité nationale, d’organiser la vie commune (…) » (alinéa 1er du Préambule de la Constitution).
Ce principe implique la non-reconnaissance constitutionnelle des minorités. C’est ainsi qu’au Gabon,
les peuples autochtones, les Pygmées et autres, n’ont pu bénéficier d’une reconnaissance spécifique, à
l’exception de la jouissance des droits particuliers en matière de gestion de la diversité biologique.
Sur le plan politique, le principe entraîne le refus de toute division entre citoyens, c’est-à-dire
l’interdiction de toute discrimination fondée sur les attaches territoriales ou ethniques et enfin l’unité de
la représentation du peuple. Sur ce dernier point, Carré de Malberg a souligné que « le droit à la
représentation réside, non pas individuellement ou divisément dans chacun des citoyens qui composent
la nation mais indivisiblement dans leur collectivité totale »40.

§ 2 : L’Etat régional
C’est un Etat autonomique ou des autonomies qui se situe dans une position intermédiaire entre
l’Etat unitaire classique et l’Etat fédéral. On peut légitimement se demander s’il s’agit là d’une forme

34 Article 114 in fine de la Constitution.


35 Décision 75-59 DC du 30 décembre 1975.
36 La spécialité législative est un vieux principe colonial en vertu duquel une loi n’est applicable dans les territoires d’outre-

mer que sil elle en fait la mention expresse et après avoir été promulguée localement. Ce principe est posé à l’article 74 de la
Constitution.
37 Sur la base de l’article 73 de la Constitution, les départements et les régions d’outre-mer peuvent bénéficier de dérogations

ou de mesures d’adaptation du droit commun métropolitain justifiées « par les caractéristiques et les contraintes particulières
de ces collectivités ».
38 L’article 72 alinéa 4 de la Constitution reconnaît à toutes les collectivités territoriales, depuis la révision constitutionnelle de

2003, le droit « de déroger, à titre expérimental et pour un objet et une durée limités, aux dispositions législatives et
réglementaires qui régissent l’exercice de leurs compétences ».
39 Louis Favoreu et alii, Droit constitutionnel, 12e édition, Paris, Dalloz, 2009, p. 514.
40 Raymond Carré de Malberg, Contribution à la théorie générale de l’Etat, Tome 1, op. cit., p. 242.

14
nouvelle d’Etat ou plutôt d’une forme transitoire, une étape dans un processus d’évolution vers le
fédéralisme.
L’Etat régional constitue une forme d’Etat évolutive où le cadre constitutionnel reste celui d’un
Etat unitaire mais où l’autonomie des collectivités territoriales n’est plus seulement administrative, mais
aussi politique et institutionnelle ; ce qui se traduit par des compétences propres constitutionnelles
garanties et de nature législative.
Il apparaît donc que l’Etat régional se caractérise par la reconnaissance d’une autonomie large
au profit des régions et par le maintien de l’unicité de l’Etat.

A-La consécration d’une autonomie large

Si dans l’Etat unitaire classique l’autonomie des collectivités territoriales est définie et mise en
œuvre par le législateur, dans l’Etat régional, elle est consacrée directement par la Constitution.

1/-Le principe de l’autonomie locale


Ainsi, dans son article 2, la Constitution espagnole de 1978 « reconnaît et garantit le droit à
l’autonomie des nationalités et des régions ». Autrement dit, elle érige certaines communautés
territoriales en communautés autonomes (comunidades autonomas), en raison de leurs particularités.
Il s’agit de la Catalogne, du Pays-Basque et de la Galice.
En Italie, la Constitution de 1947 a également instauré un double régionalisme : d’une part, celui
des régions autonomes qui jouissaient déjà de cette qualité avant 1947 et, d’autre part, celui des régions
à statut ordinaire. L’article 116 de la Constitution dispose, à propos des premières catégories, que la
Sicile, la Sardaigne, le Trentin-Haut Adige, le Frioul Vénétie Julienne et le Val d’Aoste bénéficient de
formes et de conditions particulières d’autonomies définies par des statuts qui ont valeur de lois
constitutionnelles. Les révisons constitutionnelles du 22 novembre 1999 et du 18 octobre 2001 ont
transformé ce régionalisme en système quasi-fédéral sur le modèle espagnol.
Les réformes introduites en 1998 au Royaume-Uni s’inspirent des mêmes tendances et
concernent l’Ecosse et le Pays de Galle désormais dotés d’un pouvoir législatif ordinaire pour le premier
dans une série de matières et d’un pouvoir législatif délégué pour le second.
La Constitution d’Afrique de 1996 et la Loi fondamentale de 2006 de la RDC ont également conférée
aux différentes régions une large autonomie faisant d’eux des Etats régionaux.
Ce droit à l’autonomie reconnue aux collectivités territoriales est garantie par la juridiction
constitutionnelle, compétente pour statuer sur les litiges pouvant opposer l’Etat et les communautés
autonomies, par le biais du recours d’inconstitutionnalité, des recours découlant de conflits positifs ou
négatifs de compétence ou encore par celui des questions d’inconstitutionnalité posées par des organes
juridictionnels.

2/-L’étendue de l’autonomie ou la mise en œuvre


Globalement, les collectivités locales se distinguent des communautés ordinaires par la création
d’institutions quasi politiques dotées de pouvoirs étendus.
Concrètement, par un effet de mimétisme institutionnel étatique, les communautés autonomes
disposent d’un gouvernement (conseil de gouvernement en Espagne, conseil régional en Italie), d’un
parlement et d’autres institutions autonomes. Démocratie régionale oblige, les exécutifs et les
assemblées locales sont tous élus au suffrage universel direct par les populations.
L’exécutif régional est doté de fonctions exécutives et administratives. De plus, il est
responsable devant l’assemblée. Il est sous la coordination d’un président, généralement élu par
l’assemblée parmi ses membres et nommé par le Roi ou le Président de la République. Il est chargé de
diriger le gouvernement, d’assurer la représentation suprême de la communauté. Il est aussi responsable
devant l’assemblée.
Contrairement à l’Etat unitaire classique et à l’instar de l’Etat fédéral, l’Etat régional se
caractérise par un dualisme du pouvoir législatif et, partant, d’ordres juridiques.
Chaque région autonome dispose d’un pouvoir législatif dans divers domaines prévus par la
Constitution et garantis par elle. C’est donc, comme dans un Etat fédéral, la Loi fondamentale qui
procède à la répartition des compétences entre l’Etat et les régions. Ainsi, si les articles 149-1 et 117 des

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Constitutions d’Espagne et d’Italie dressent une liste des matières relevant de la compétence exclusive
de l’Etat, les articles 148-1 et 117 alinéa 3 fixe les matières dévolues aux communautés autonomes.
Dans un Etat unitaire classique comme le Gabon, cette répartition des compétences relève de la
loi qui peut la réduire à sa guise ou en modifier le contenu.
On peut le constater, l’Etat régional présente plusieurs similitudes avec l’Etat fédéral.
Néanmoins, il s’en distingue sur plusieurs points liés notamment à l’unicité de l’Etat.

B-Le maintien de l’unicité de l’Etat

L’Etat régional est avant tout une forme d’Etat unitaire. Pour cela, il reste indivisible. Ce
principe est posé à l’article 5 de la Constitution italienne selon lequel « la République, une et indivisible,
reconnaît et favorise les autonomies locales » ou à l’article 2 de la Constitution espagnole qui dispose
que « la Constitution est fondée sur l’unité indissoluble de la nation espagnole, patrie commune et
indivisible de tous les Espagnols… ». Toutefois, l’Etat régional se trouve également limité dans son
application.

1/-Une autonomie limitée


Malgré l’étendue de leur autonomie, les collectivités locales d’un Etat régional ne sont pas pour
autant des entités fédérées. En effet, elle est doublement limitée : par l’encadrement du pouvoir d’auto-
organisation et par la restriction de leur participation au pouvoir étatique.
Le statut des collectivités locales, contrairement aux Etats fédérés, est de valeur législative et non
constitutionnelle. Autrement dit, il n’existe, dans l’Etat régional, qu’une seule Constitution qui répartit
les compétences entre l’Etat et les collectivités locales et qui s’impose à tous les actes législatifs et
réglementaires locaux.
Par ailleurs, alors qu’il est l’un des piliers de l’Etat fédéral, le principe de participation est
manifestement réduit dans l’Etat régional. En effet, si les collectivités locales sont représentées par le
Sénat, deuxième chambre du Parlement, sa faible représentativité et légitimité constitue un facteur
diriment d’affaiblissement. Mieux, dans la pratique, le Sénat ne dispose que de pouvoirs, soit bien
limités (droit de veto suspensif en Espagne), soit difficilement mis en œuvre (Espagne, RDC, Afrique
du Sud).

2/-Une autonomie contrôlée


Pour éviter des situations de blocages voire de dérapages, le constituant a érigé des barrières à
l’autonomie en consacrant un double contrôle juridictionnel et administratif.
Le contrôle juridictionnel est confié, comme dans l’Etat fédéral, au juge constitutionnel et
accessoirement au juge administratif.
En Afrique du sud et en RDC, le contrôle juridictionnel est soit a priori, soit a posteriori. Il est
a priori lorsqu’il est effectué avant la promulgation de la loi et dans le mois de la publication de l’acte
réglementaire. Il est a posteriori lorsqu’il intervient sur saisine soit, dans le cadre d’un procès ordinaire,
par le juge ordinaire, soit par certaines autorités publiques (le président du gouvernement, le défenseur
du peuple ou médiateur, cinquante députés ou sénateurs.
En Espagne, le contrôle des actes administratifs relèvent également du juge constitutionnel dans
trois hypothèses : si une communauté empiète sur les compétences du Gouvernement central ou sur une
autre communauté ; si l’Etat et les communautés refusent de prendre une mesure au motif qu’elle relève
de la compétence de l’autre ; si un acte administratif porte atteinte aux droits fondamentaux
constitutionnels.
Néanmoins, le juge administratif est juge de la légalité des autres actes administratifs, par le
biais du recours pour excès de pouvoir.
Enfin, l’exécutif étatique dispose du droit de dissolution les assemblées locales. En effet, en
Italie, notamment, la dissolution des conseils régionaux par décret motivé du président de la République
peut intervenir dans quatre cas prévus par l’article 126 de la Constitution : si le conseil régional a pris
des actes contraires à la Constitution ou gravement illégaux ; s’il refuse de remplacer l’exécutif local
accusé d’avoir pris des actes contraires à la Constitution ou gravement illégaux ; en cas de paralysie du
conseil régional par suite de démissions ou d’absence de majorité ; et pour des raisons de sécurité

16
nationale, ou en Espagne en cas de proclamation de l'état d'alerte, d'urgence ou de siège (declaración de
los estados de alarma, de excepción o de sitio).
Par ailleurs, en Espagne, l’article 155 de la Constitution permet au gouvernement de donner des
instructions directes aux autorités de la communauté autonome, de suspendre des accords ou des
résolutions, d'appliquer des mesures économiques de blocage ou de pression, ou de suspendre des
conventions entre l'État et la communauté autonome, d’interdire aux dirigeants indépendantistes de
continuer d'agir et de prendre contrôle des institutions locales.

Au total, l’Etat simple ou unitaire comprend des variétés diverses, en fonction du degré
d’autonomie conférée aux collectivités locales. Il se distingue ainsi substantiellement de l’Etat composé.

Section 2 : L’Etat composé


L’Etat composé ou société d’Etats ou encore l’union d’Etats est un type d’Etat qui regroupe
plusieurs structures étatiques autonomes ou souveraines qui décident de mettre en commun en d’aliéner
certaines de leurs compétences au profit d’un organisme ou d’une nouvelle entité politique. Plus
concrètement, la population et le territoire sont divisibles en parties internes qui sont chacune un Etat et
les relations entre les différentes parties présentent des formes diverses qui peuvent être regroupées en
deux : la forme dissociative et la forme associative.
La première est encore appelée la confédération ou l’Etat confédéral qui est une « société
internationale d’Etats »41, parce que ce type d’association n’a pas un caractère de droit interne, le texte
de base en étant un traité, le pacte confédéral, et non une Constitution. Ce qui veut dire que chaque Etat
garde sa souveraineté. Ce type d’Etat est symbolisé aujourd’hui par les Organisations
Intergouvernementales (ONU, UE, UA, CEEAC, CEMAC, etc.).
Dans le cadre de ce cours, seule la forme associative, la fédération ou l’Etat fédéral, la plus
courante et la plus dynamique du point de vue du droit constitutionnel retiendra notre attention.
Pour reprendre la formule de Maurice Hauriou, la fédération est « une société nationale
d’Etat »42 ou un « Etat d’Etats »43 ou encore « une société de sociétés »44. Ce qui signifie que les
différentes composantes d’une fédération voient leurs rapports régis par le droit public interne de
l’ensemble constitué, c’est-à-dire par le droit constitutionnel. Selon l’expression de Karl Strupp, il s’agit
donc « d’une union constitutionnelle perpétuelle »45. Plus concrètement, l’Etat fédéral superpose des
collectivités étatiques distinctes et réalise ainsi, plus que dans l’Etat unitaire décentralisé, une véritable
division verticale du pouvoir : l’étage supérieur est occupé par l’Etat fédéral ou « super-Etat » et l’étage
inférieur regroupe les Etats fédérés appelés, selon les cas, Provinces au Canada, Cantons en Suisse,
Länder en Allemagne ou en Autriche ou encore Etats au Brésil, aux USA, au Nigéria, etc. D’origine
allemande, le politologue Carl Friedrich a reconnu dans le fédéralisme « la forme territoriale de la
séparation des pouvoirs politiques sous un régime constitutionnel »46
Historiquement, c’est Althusius (1562-1638) qui a été le premier à développer une théorie du
fédéralisme comme mode d’organisation de l’Etat devant se substituer à l’Etat féodal47. Ensuite, suivront
A. Hamilton, J. Jay et G. Madison qui ont défini les principes de la fédération américaine dans leur
ouvrage « The Federalist »48. D’autres auteurs ont également consacré leurs recherches dans le champ
du fédéralisme, à l’exemple des publicistes allemands Laband, Jellinek et Geber, autrichien Kelsen et
français Duguit, Scelle, etc.

41 Carré de Malberg, Contribution à la théorie générale de l’Etat, tome 1, op. cit., p. 93 ; Maurice Hauriou, Précis de droit
constitutionnel, op. cit., p. 128.
42 Maurice Hauriou, Précis de droit constitutionnel, op. cit., p. 124.
43 Carré de Malberg, Contribution à la théorie générale de l’Etat, tome 1, op. cit., pp. 97-98.
44
Hamilton, Madison et Gay, Le fédéraliste, tome 1, Paris,Buisson, 1792, p. 78.
45 Karl Strupp, Eléments de droit international universel, européen et américain, Paris, Ed. Rousseau & C, 1927, p. 32.
46
8 Carl J. Friedrich. La démocratie constitutionnelle, Paris, Presses universitaires de France, 1958, p. 163. Voir
aussi, s’agissant de la séparation verticale des pouvoirs garantie par le fédéralisme, Roland Strum et Petra
Zimmermann-Steinhart, Föderalismus, Baden-Baden, Nomos, 2005, p. 18 ; « Separazione dei poteri », dans
Tania Groppi, Il federalismo, Rome/Bari, Editori Laterza, 2004, p. 126-128.
47 M. Croisat, Le fédéralisme dans les démocraties contemporaines, 3e éd., Paris, Montchrestien, coll. « Clefs Politique », 1999,
p. 13.
48 Le fédéraliste, deux tomes, Paris, Buisson, 1792.

17
La fédération est le modèle d’Etat le plus répandu parmi les grands Etats et souvent les plus
peuplés, à l’exception de la Chine. Il en est ainsi, outre de ceux cités ci-dessus, du Mexique, de
l’Argentine, de l’Inde, de l’Australie, de la Russie, de l’Ethiopie. Parfois, des Etats moins étendus ont
opté pour ce modèle : Autriche, Belgique, Malaisie, Venezuela, Emirats Arabes Unis, etc.
Toutefois, il existe aussi de nombreux exemples de dislocation de l’Etat fédéral. Il en est ainsi
de la Fédération de la Grande Colombie créée en 1821 et dissoute en 1830, de la République Arabe Unie
regroupant en 1958 l’Egypte, la Syrie et le Yémen et disparue en 1961 ou encore de la Fédération du
Mali regroupant le Sénégal et le Soudan disparue en 1959, de l’URSS qui s’est désagrégée par étapes
de 1989 à 1997, de la Yougoslavie qui a disparu en 1992.
Dans d’autres Etats fédéraux, le modèle résiste. Ainsi, après la défaite des Etats du sud lors de
la guerre de sécession (1860-1865) qui voulaient sortir de la fédération, les USA apparaissent, ainsi que
l’a qualifié la Cour suprême, comme « une union indestructible d’Etats indestructibles »49. Néanmoins,
au Canada, le droit de sécession reste d’actualité en raison de l’opposition quasi permanente entre les
partisans de l’indépendance du Québec et les tenants d’un fédéralisme centralisé et égalitaire.
Il importe de préciser que ces différents Etats fédéraux formés ne constituent nullement des
catégories homogènes (§ 1), bien qu’ils reposent sur des principes communs (§ 2).

§ : Les catégories de fédération


La fédération est un modèle d’Etat qui peut être regroupé en deux catégories : la première est
liée au processus historique de formation ; on distingue alors fédération par association et fédération par
dissociation et la seconde est relative à l’aménagement constitutionnel qui oppose la fédération de
subordination et la fédération de juxtaposition.
A-La fédération par association et la fédération par dissociation
1/-La fédération par association
L’Etat fédéral peut se constituer par association d’Etats unitaires qui décident souverainement
de se regrouper pour déléguer une partie de leurs compétences, de leur souveraineté, à un super-Etat, à
une superstructure, l’Etat fédéral. Ce dernier est donc le résultat d’un processus, lent, progressif ou
rapide, d’intégration.
C’est le schéma classique suivi par les Etats-Unis, par la Suisse ou l’Allemagne.
Aux USA, ce sont d’abord les 13 colonies anglaises, devenues indépendantes, qui ont d’abord
décidé de créer une confédération en 1776, puis, avec l’adoption de la Constitution du 17 septembre
1787, sont devenues la fédération des Etats-Unis d’Amérique du Nord50.
La Confédération helvétique a été fondée en 1291 par trois Cantons (Uri, Schwyz et Nydwad),
puis renforcée en 1315 par le Pacte de Brunnen, auxquels 13, puis 26 Cantons se sont associés aux trois
premiers, avant d’être transformée en Etat fédéral en 1848, tout en maintenant jusqu’à ce jour la
confusion sur le nom.
La confédération de l’Allemagne du Nord créée en 1866 a donné naissance en 1871 à l’empire
allemand (Reich), constitué sous forme d’Etat fédéral, à la suite de l’association d’autres royaumes et
principautés à l’initiative de la Prusse.

2/-La fédération par dissociation


L’Etat fédéral peut également est constitué par dissociation d’un Etat unitaire qui accepte de
transformer radicalement son organisation, souvent sous la pression des minorités ethniques ou
linguistiques qui revendiquent soit davantage d’autonomie, soit l’indépendance de leurs provinces ou
régions. C’est le cas de l’ex-URSS, Etat fédéral, qui avait succédé à un vaste empire unitaire.
On peut également citer le cas de l’Autriche, devenue un Etat fédéral en 1918 après la dislocation
de l’Empire austro-hongrois.

49 Arrêt de 1869, Texas v. White.


50
Marc Chevrier, « La genèse de l’idée fédérale chez les pères fondateurs américains et canadiens », dans
Alain-G. Gagnon, dir., Le fédéralisme contemporain, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 2006, p.
45-48.

18
Enfin, il y a l’exemple belge qui était un Etat unitaire né en 1830 mais qui, en raison de
l’antagonisme permanent entre les Flamands et les Wallons, a été transformé en Etat fédéral par
l’adoption de la loi constitutionnelle du 14 juillet 1993.
Si les revendications des anglophones au Cameroun aboutissent, elles pourraient également, à
la longue, contribuer à la transformation de cet Etat unitaire en une fédération.
Hormis ce premier modèle de fédération, la doctrine distingue la fédération subordination de la
fédération de juxtaposition.

B-La fédération de subordination et la fédération de juxtaposition


La fédération réalise une division verticale entre l’Etat fédéral et les Etats fédérés. Les relations
entre les deux niveaux d’organisation étatique dépendent du niveau de démocratisation de l’Etat. Ainsi,
sans nécessairement généraliser, la fédération de subordination, schéma classique, a tendance à
prospérer aujourd’hui dans les nouvelles démocraties ou en construction, alors que la fédération de
juxtaposition s’implante et s’enracine plus aisément dans les vieilles démocraties.

1/-La fédération de subordination


Dans la fédération de subordination, le pouvoir fédéral, l’emporte sur le pouvoir ces différentes
composantes, c’est-à-dire les Etats fédérés. Autrement dit, parce qu’il exprime et donne l’impulsion de
l’agglomération née de l’association et enveloppe donc l’ensemble des Etats associés, il bénéficie de la
prévalence et de l’autorité nécessaires sur les Etats fédérés ; ce qui lui permet d’assurer un contrôle
continu de leur fonctionnement, avec la capacité de se substituer à leurs institutions. Ainsi, par exemple,
en 1988, le gouvernement fédéral de l’Inde avait décidé de placer l’Etat du Tamil Nadu sous son
administration directe ce, conformément à la Constitution de l’Union indienne. Le même gouvernement
a décidé, en août 2019, de révoquer l’autonomie constitutionnelle du Cachemire pourtant garantie par
la Constitution indienne51. On trouve un tel pouvoir dans de nombreux Etats fédéraux tels la Russie52,
le Nigeria, l’Ethiopie, etc.
Les USA relèvent d’un tout autre schéma, celui de la fédération de juxtaposition, qu’il est
nécessaire de suivre pas à pas.

2/-La fédération par juxtaposition


Après la mise en place de la Confédération entre les 13 colonies, les chefs politiques s’étaient
rendu compte, à la fin de la guerre d’indépendance, des faiblesses de l’organisation générale de type
confédéral. En effet, au sein de la confédération, le Congrès des USA est un organisme composé
d’ambassadeurs d’Etats, chaque Etats disposant d’une voix et n’étant contraint que par sa propre volonté.
Or, ce manque d’organisation centralisée fait que devant les problèmes se posant à l’ensemble des Etats
dans l’ordre interne et externe, ceux-ci réagissent de façon dispersée. L’idée d’un gouvernement
national, c’est-à-dire commun aux 13 colonies découle de ce constat de faiblesse d’une action de la
formule confédérale. Les dirigeants politiques ont donc considéré qu’il fallait, d’une part, affirmer
l’indépendance de chaque Etat parce que celle-ci est la garantie des libertés de chacun, d’autre, de donner
à l’union perpétuelle des moyens d’action, c’est-à-dire un domaine général d’activité et des institutions
nationales. Ainsi, il n’a pas été créé un Etat fédéral parce que le principe retenu fut celui de l’agrégation
de 13 colonies indépendantes, souveraines qui, pour des raisons d’efficacité, délèguent à un
gouvernement un certain nombre de compétences. C’est ce qui explique le caractère mixte des
institutions de ce gouvernement.
Le fait que la fédération ne soit pas clairement le modèle d’Etat est marqué par l’avant dernier
alinéa de la section 8 de l’article 1er de la Constitution selon lequel : « Le Congrès aura le pouvoir
d’exercer une législation exclusive dans tous les cas quelconque sur tel district ne dépassant pas 10 000
m² qui pourra devenir, en vertu de la cession de certains Etats et l’acceptation du Congrès, le siège du
gouvernement des Etats-Unis et d’exercer pareille autorité sur tout lieu acheté avec le consentement de
la législature de l’Etat où il est situé pour la construction de fort-poudrière, arsenaux, chantiers et autres
établissements nécessaires ». Cela signifie que le territoire des USA relève bout à bout de chaque Etat

51
AFP, 5 août 2019.
52Jean-PierreMassias, Droit constitutionnel des États d’Europe de l’Est, 2 e édition, Paris, PUF, 2008, pp. 459 et suiv. ; Anne
Gazier, « Fédéralisme et démocratie dans la Russie post-soviétique », RFDC, n°118, 2019, pp. 315-332.

19
membre et non de la fédération dans son ensemble. Le gouvernement de la fédération peut seulement se
faire concéder ou vendre telle ou telle portion du territoire d’un Etat, lorsque s’imposent les nécessités
d’action commune. C’est pourquoi ce fédéralisme est qualifié de juxtaposition.
Au-delà des divergences du modèle fédéral, toute fédération repose sur des principes
d’organisation communs.

§ 2 : Les principes de l’Etat fédéral


Conformément à la systématisation opérée par Georges Scelle53, le modèle fédératif repose sur
trois principes organisateurs : le principe de superposition, le principe d’autonomie et le principe de
participation.
A-Le principe de superposition
Selon Georges Scelle, dans le cadre de la fédération, l’acte d’association entre Etats donne
naissance à un super-Etat qui est à la base d’un ordre juridique et politique nouveau, ordre qui marque
la souveraineté plénière de l’Etat et qui bénéficie de la primauté et donc de la supériorité dans le cadre
général de la fédération. L’Etat fédéral comporte donc toujours une superposition de deux niveaux
étatiques et une superposition de deux ordres juridiques.
La souveraineté plénière est démontrée par le fait que seul l’Etat fédéral apparaît sur la scène
internationale et la loi supérieure par le fait que les actes et les normes issus des institutions fédérales
n’ont pas besoin d’une réception au niveau des Etats fédérés. Ils bénéficient donc de l’applicabilité
immédiate et lient directement les individus.
Néanmoins, selon une opinion unanime, les collectivités régionales d’un Etat fédéral ont la
qualité d’Etat. C’est dans ce sens que la Cour constitutionnelle allemande a indiqué que « le propre de
l’Etat fédéral est que la fédération et les Etats fédérés possèdent la qualité étatique. Cela signifie en toute
hypothèse que tant la fédération que les Etats fédérés possèdent chacun sa propre Constitution
déterminée par eux-mêmes »54. Cependant, comme dit plus haut, il manque à ces entités fédérées un
élément substantiel, la souveraineté pleine et entière qui ne conférée qu’à l’Etat fédéral. Ce statut
n’empêche pas les Etats fédérés de coopérer avec d’autres entités extérieures de même nature. La
superposition concerne donc également les ordres juridictions puisque, à l’exception de la Belgique, la
fédération et les entités fédérées sont dotées chacune d’une Constitution propre. Tous les Etats fédéraux
sont cependant caractérisés par la dualité d’ordres législatifs : l’ordre législatif fédéral et les ordres
législatifs fédérés. Dans les rapports entre les ordres, le droit fédéral bénéficie en principe de la primauté
sur le droit des Etats fédérés. C’est ce que traduit l’article 31 de la Loi fondamentale allemande : « Le
droit fédéral prime sur le droit de land ».
Le droit fédéral jouit également de l’applicabilité immédiate dans l’ordre juridique des entités
fédérées. Ce qui veut dire qu’il n’existe aucune procédure d’intégration ou de réception pour garantir
leur effectivité dans les Etats fédérés.
Ces différentes règles s’appliquent de manière plus ou moins particulière aux USA. En
effet, aux Etats-Unis, le 10e amendement pose un principe fondamental : « Les pouvoirs qui ne sont pas
délégués aux Etats-Unis par la Constitution ou refusés par elle aux Etats sont réservés aux Etats
respectivement et au peuple ». Il y a donc, dans la distribution des fonctions entre la fédération et les
Etats fédérés, un principe de base à savoir que la compétence générale relève des Etats, la fédération ne
recevant que les compétences d’attribution.
Ensuite, un arrêt de la Cour suprême des USA daté de 1819 indique que « le gouvernement de
l’Union, bien que limité dans ses pouvoirs, est suprême dans sa propre sphère d’action ». Ce qui rejoint
l’idée de Georges Washington, dans une lettre du 17 septembre 1787 adressée au Président du Congrès,
que « le pouvoir de faire la guerre, la paix et les traités, celui de percevoir les taxes et de régler le
commerce ainsi que les autorités correspondantes exécutives et judiciaires fussent conférer pleinement
et effectivement au gouvernement général de l’Union ». Ainsi, au moment de la rédaction du texte
constitutionnel et des débats pour son adoption, il n’est pas présenté de principe de souveraineté plénière
au profit d’un Etat fédéral mais il est posé la nécessité d’organiser la gestion en commun d’un certain

53 Georges Scelle, Précis du droit des gens, 1932.


54 BVerfGE, 342, 361.

20
nombre d’affaires d’intérêt général ; ce qui exigeait une structure gouvernementale autonome dotée de
pouvoirs suffisants pour que ses actes bénéficient de la clause de la suprématie prévue par l’article 6 de
la Constitution.

B-Les principes d’autonomie et de participation


1/-Le principe d’autonomie
Il exprime l’idée que les Etats membres d’une fédération conservent ou se voient reconnaître
des compétences propres qui s’organisent et qui sont mises en œuvre sans confusion avec la puissance
publique fédérale.
Dans un système fédéral de subordination, les entités fédérées subissent un partage des
compétences qui fait la part belle à la fédération. C’est généralement cette dernière qui bénéficie de la
compétence de droit commun et lorsqu’il est prévu un cadre d’exercice concurrent, c’est encore la
fédération qui bénéficie du pouvoir du dernier mot.
Sur la base du partage ainsi opéré, les Etats fédérés exercent leur pouvoir d’auto-organisation
constitutionnelle et législative.
L’auto-organisation ou l’autonomie constitutionnelle implique que les Etats fédérés disposent
leur propre Constitution qui doit s’inscrire dans le cadre défini par la Constitution fédérale. Globalement,
c’est le mimétisme politico-institutionnel qui est la règle : régime présidentiel et bicaméralisme pour les
entités fédérées aux USA, avec néanmoins des spécificités relatives à la démocratie directe largement
pratiquées par les Etats fédérés ; parlementarisme anglais, avec un Premier ministre chef du parti
majoritaire au Parlement (monocaméral) et un Lieutenant-gouverneur qui représente la Reine au
Canada ; régime parlementaire avec un Parlement monocaméral et un gouvernement dirigé par un
ministre-président en Allemagne. Au Nigeria, les Etats fédérés ont installé un régime présidentialiste
sous la domination du gouverneur et un Parlement monocaméral affaibli.
L’autonomie législative est garantie par la Constitution. Ce qui revient à dire qu’elle la
fédération ne peut y porter atteinte.
Le Parlement dispose d’un pouvoir législatif placé sous la protection du juge constitutionnel,
qu’il s’agisse des compétences exclusives ou de celles que les entités fédérées partagent avec l’Etat
fédéral.
Plusieurs techniques sont usitées par le constituant.
Aux USA, l’article 1er, section 8, de la Constitution confère à la fédération une compétence
d’attribution, alors que le 10e amendement attribue une compétence de droit commun aux entités
fédérées.
En Allemagne, c’est l’article 73 de la Loi fondamentale qui fixe la compétence exclusive de la
fédération (politique étrangère, défense nationale, impôt fédéraux, monnaie, nationalité, justice fédérale,
libre circulation, terrorisme, etc.), les Länder ne peuvent légiférer dans ces matières que si « une loi
fédérale les y autorise expressément et dans la mesure prévue par cette loi » (article 71 de la Loi
fondamentale).
De même, au Canada, si les provinces disposent d’une compétence d’attribution dans dix-sept
matières énumérées par les articles 92 et 93 de la Constitution, sous réserve de respecter le droit des
minorités religieuses, la fédération bénéficie d’une compétence de droit commun dans les autres
matières (article 91 de la Constitution).

2/-Le principe de participation


Il signifie que la fédération étant une association d’Etats, le fonctionnement de cette association
exige constamment le concours des Etats membres, c’est-à-dire la participation des Etats fédérés au
pouvoir fédéral. Celle-ci se fait à trois niveaux :
D’abord, les Etats fédérés participent à l’exercice du pouvoir constituant fédéral. En effet,
contrairement à la confédération où les décisions se prennent à l’unanimité, dans la fédération, la
modification de la Constitution requiert l’intervention des Etats fédérés.
Aux USA par exemple, la Constitution elle-même prévoit que, pour sa révision, non seulement
l’initiative est partagée entre le Parlement fédéral (2/3 des deux Chambres) et les Parlements des Etats
fédérés (2/3), mais encore la ratification relève de la compétence de ces derniers (3/4).

21
En Allemagne, en revanche, la révision est approuvée par les 2/3 des membres de chaque
assemblée parlementaire, c’est-à-dire le Bundestag et le Bundesrat, qui représente les Länder. Les
Parlements des Länder n’interviennent donc pas directement dans la procédure de révision.
Ensuite, les Etats fédérés participent au pouvoir législatif fédéral par l’intermédiaire de la
deuxième chambre du Parlement, chargée de les représenter (Sénat aux USA, Brésil, Canada, Australie,
Belgique, Nigeria, Bundesrat en Allemagne et Autriche, Conseil des Etats suisse, etc.).
Inhérent au fédéralisme, le bicaméralisme peut être égalitaire comme aux USA où, à la suite
d’un compromis les grands Etats partisans d’une représentation proportionnelle à la population
(Chambre des représentants) et les petits Etats qui voulaient conserver leur égalité issue de la Déclaration
d’indépendance, chaque Etat, quelle que soit sa population dispose du même nombre de représentants
(2). Le même principe est consacré en Suisse avec, à côté du Conseil National qui représente la
population, le Conseil des Etats qui comprend deux députés par canton et un par demi-canton, en
Australie où le Sénat comprend dix représentants par Etat, au Brésil, trois représentants par Etat, etc.
Le bicaméralisme peut être aussi inégalitaire. Ainsi, au Canada, les cinq régions sont
inégalement représentées au Sénat. Deux d’entre elles (Ontario et Québec) ont droit à 24 sénateurs
chacune ; les provinces maritimes (3) disposent de 24 sénateurs, de même que les 6 Provinces de l’Ouest,
alors que Terre-Neuve a droit à 6 sénateurs.
Dans l’exercice du pouvoir législatif, les pouvoirs de la Chambre des Etats fédérés diffèrent
d’une fédération à une autre.
Aux USA, le bicaméralisme est égalitaire car le Sénat dispose des mêmes pouvoirs que la
Chambre des représentants et bénéficie même d’une exclusivité dans certains domaines, notamment la
ratification des traités internationaux à la majorité des deux tiers, approbation de la nomination des juges
et des ambassadeurs, etc.
En revanche, le bicaméralisme allemand est inégalitaire. En effet, le Bundesrat ne dispose d’un
droit de veto législatif qu’en matière fédérale, notamment sur les textes relatifs aux relations
administratives et financières entre la Fédération et les Länder.
Enfin, les Etats fédérés participent au pouvoir exécutif. En effet, les Etats fédérés participent à
la désignation des titulaires du pouvoir exécutif. Aux USA par exemple, la différence qui apparaît entre
la nationalité américaine et la citoyenneté de l’Etat s’exprime dans le cadre de l’exercice des droits
politiques. Cela signifie que le corps électoral se marque non pas par rapport à la fédération, mais par
rapport à chaque Etat. La conséquence obligée de cette situation est que l’ensemble des élections se
déroule dans le cadre des Etats fédérés, selon la loi électorale de chaque Etat. Autrement dit, l’élection
du Président américain se déroule dans le cadre de chaque Etat fédéré et ce sont les grands électeurs de
chaque Etat, en fonction des résultats obtenus par chaque candidat, qui déterminent le choix final.
En Allemagne, le Président fédéral, magistrature morale, est élu par une assemblée composée
des membres du Bundestag et d’un nombre égal de membres élus à la représentation proportionnelle par
les assemblées des Länder.
De façon plus directe, les Etats fédérés peuvent être représentés au niveau du gouvernement
fédéral. Ainsi, au Canada, en vertu d’une convention constitutionnelle, chaque province est représentée
par au moins un ministre fédéral dont l’attribution du portefeuille dépend du poids de son Etat d’origine.
De même, en Suisse ou en Belgique, la composition du gouvernement fédéral tient compte de la diversité
des cantons et communautés linguistiques et de leurs poids démographique et économique.

22
TITRE II : LA CONSTITUTION

La notion de Constitution en tant que celle-ci détermine les formes d’exercice du pouvoir dans
l’Etat est aisée à comprendre. Pour reprendre la vieille tradition du droit public romain, l’exercice du
pouvoir suprême de l’Etat par un chef unique, nommé à vie, ne peut que conduire à l’abus et à
l’oppression. Dès lors, pour les romains, il fallait le limiter non dans le principe qui exprimait la toute
puissance de l’Etat, mais dans la capacité d’action de ses agents.
La pensée politique et institutionnelle occidentale n’a pas raisonné différemment. Elle est partie
d’un constat que l’histoire des peuples européens avait concrétisé et expérimenté : lorsqu’une autorité
s’exerce à l’intérieur d’un cadre juridique mal fixé, le mouvement naturel de son exercice le poussant
vers l’extrême, cette autorité est ou devient inéluctablement arbitraire, c’est-à-dire sans limite de droit,
parce que son titulaire finit par considérer que celle-ci lui appartient en propre, à titre de qualité
personnelle.
En Europe occidentale, l’absolutisme des rois est né de cette situation de flou juridique. Ce qui
a permis aux monarques de considérer que leur pouvoir était de droit divin oubliant ainsi les différentes
règles coutumières qui établissaient et garantissaient les libertés de certaines catégories de sujets. Le
mouvement constitutionnaliste est né de la mise en cause de cette situation et l’initiateur de la pensée
qui a donné naissance à la nouvelle ligne institutionnelle se nomme John Locke.
En Angleterre, en effet, était déjà né un système de limitation du pouvoir. Par exemple le
consentement des sujets à l’impôt, le droit d’aller et venir, l’autonomie de fonctionnement des cours de
justice, se trouvaient déjà inscrits dans la Grande Charte de 1215. De la proclamation des droits et
libertés, les anglais sont passés à la participation à l’exercice du pouvoir par le biais d’un Parlement qui,
au 17e siècle, fonctionne de manière indépendante. Puis, ce fut la révolution de 1689 qui permit
l’installation d’une monarchie contractuelle théorisée par John Locke. Selon cet auteur, s’il est vrai que
le pouvoir d’un homme sur un autre peut aisément se constater de même que dans la société on peut
observer la séparation entre gouvernants et gouvernés, ni la raison humaine, ni la foi ne peuvent justifier
ce fait. Celui-ci a donc un caractère historique ; ce qui signifie que la condition naturelle des hommes
est la liberté et l’égalité. La société, selon Locke, est née de la volonté des hommes eux-mêmes d’avoir
une loi établie, admise par tous, d’avoir un juge compétent et indépendant pour appliquer cette loi,
d’avoir enfin une force coercitive capable de s’imposer à tous en vue des actions collectives nécessaires.
Ainsi, la société est limitée dans son empire de même que le pouvoir qui s’exerce à l’intérieur de cette
société. Cela veut dire que son domaine est nécessairement fixé. C’est le principe du contrat social.
Le mouvement constitutionnaliste né avec le siècle des Lumières va s’emparer de ce schéma. Il
a pour objet de substituer aux coutumes et traditions, des Constitutions écrites afin de limiter
l’absolutisme des pouvoirs monarchiques. Selon ce mouvement, la société civile n’a pas conclu de
contrat avec le système de gouvernement, mais a envisagé, pour le fonctionnement de ce système, une
structure de dépôt d’autorité. Ce dépôt s’exprime par :
-l’affirmation et la garantie des libertés ;
-la limitation du pouvoir impliquant une différenciation entre le principe du pouvoir exclusif de l’Etat
et les autorités qui l’exercent ;
-l’établissement d’un cadre juridique net pour l’action de chaque institution de l’Etat.
C’est cet ensemble d’éléments qui constitue ce qu’il convient d’appeler la Constitution de l’Etat.
Le constitutionnalisme s’est progressivement généralisé et mondialisé à tel point
qu’aujourd’hui, presque tous les Etats se sont dotés d’une Constitution écrite.
Pour une meilleure appréhension de cette notion, il convient d’abord de la définir et de proposer
sa classification (Chapitre 1). Ensuite, il sera intéressant d’étudier l’opération constituante qui consiste
à élaborer et réviser la Constitution (Chapitre 2). Enfin, il sera procédé à l’analyse de l’autorité de la
Constitution (Chapitre 3).

23
Chapitre 1 : Définition et classification de la Constitution
Section 1: La définition de la Constitution
La doctrine distingue généralement une double définition : une définition juridique (§ 1) et une
définition sociologique (§ 2).
§ 1 : La définition juridique
Le mot « Constitution » peut revêtir plusieurs sens. Toutefois, la définition juridique renvoie à
une double définition de la Constitution : au sens matériel et au sens formel.

A-La définition matérielle

On peut la définir à partir de son objet, de sa matière, sa substance ou son contenu. On parle
alors de Constitution matérielle. Plus concrètement, à partir du raisonnement théorique du mouvement
constitutionnaliste, la Constitution est considérée ici comme l’acte fondateur d’une société politique
donnée. Mieux, elle est l’acte juridique qui définit le statut de l’Etat, c’est-à-dire qui soumet l’exercice
du pouvoir à un cadre juridique précis pour le choix des gouvernants, pour l’organisation et le
fonctionnement des différentes institutions, pour les rapports entre ces institutions, enfin pour les
rapports entre les citoyens et l’Etat55. Font donc partie de la Constitution matérielle, non seulement les
droits et libertés fondamentaux des citoyens, mais aussi le droit électoral, le droit parlement et le droit
des partis politiques56. Tous les Etats ont une Constitution matérielle, quel que soient leurs régimes
politiques.

B-La définition formelle

On peut également la définir à partir de sa force, de sa forme ou de sa procédure. La Constitution


est dite formelle. Dans ce sens, la Constitution est l’ensemble des règles écrites ayant une valeur
supérieure à celles des autres règles et qui ne peuvent être modifiées que par un organe spécial et selon
une procédure spécifique prévue par la Loi fondamentale, différente et supérieure à celle utilisée par la
loi ordinaire57. Vue sous cet angle, la Constitution est dite rigide. Cette distinction ne doit pas faire
oublier la combinaison souvent observée entre la Constitution matérielle et la Constitution formelle. En
effet, les deux types renferment généralement des dispositions relatives à la dévolution, à l’exercice du
pouvoir et aux droits fondamentaux.
Toutefois, les deux critères peuvent aussi être séparés. Ainsi par exemple, le Royaume-Uni
dispose bien d’une Constitution matérielle et non d’une Constitution purement formelle.
Au Gabon, certaines matières constitutionnelles par nature comme les modes de scrutin, le financement
des partis politiques, l’organisation de la démocratie, ne figurent pas expressis verbis dans le corpus de
la Loi fondamentale.
A l’inverse, on observe aussi que la Constitution gabonaise renferme des dispositions qui ne
devraient pas être consacrées par la Charte fondamentale. Il en est ainsi de la définition du mariage à
l’article 1er § 14, au rôle de l’armée en temps de paix (article 1er § 22), de l’âge requis pour les électeurs
et les candidats aux élections politiques (article 4 alinéa 3), etc. La situation est particulièrement
préoccupante dans les Constitutions des Etats conférant un droit d’initiative constitutionnelle aux
citoyens. Ainsi, en Suisse, l’article 80 de la Constitution du 18 avril 1999 charge la Confédération de
régler « l’abattage des animaux ». De même aux USA, les 18e et 21e amendements à la Constitution de
1787 réglementent les boissons alcoolisées.
L’insertion de ces dispositions dans la Constitution a forcément pour objet de leur conférer une
valeur constitutionnelle et donc une force juridique et symbolique fondamentale.

55 Michel Verpeaux, La Constitution, Paris, Dalloz, coll. « Connaissance du droit », 2008, pp. 103-104.
56 Pierre Pactet, Ferdinand Mélin-Soucramanien, Droit constitutionnel, 32e édition, Paris, Sirey, 2013, p. 59.
57 Michel Verpeaux, La Constitution, op. cit., p. 104.

24
§ 2 : La définition sociopolitique
La crise de la légitimité de la Constitution en Afrique est due en grande partie au fait que les
Constitutions nouvelles ou révisées ne sont généralement considérées que comme des instruments
normatifs permettant d’encadrer le pouvoir. En effet, de nombreuses Constitutions africaines, élaborées
par les élites politiques ou sociales, n’ont que très rarement pris en compte les aspects sociologiques et
culturels de leurs sociétés. La prédominance de cette approche juridique et positiviste de la Constitution,
qui est source de décalage entre les textes et la réalité sociale, est au cœur de la crise de confiance entre
les gouvernés et les gouvernants, mais aussi de la délégitimation des Constitutions. Dès lors, le
renouveau constitutionnel en Afrique ou alors la réhabilitation de la légitimité des Lois fondamentales
ne peut passer que par la prise en compte de ces réalités sociales. Autrement dit, il s’agit de privilégier
ici une approche politique et symbolique des Constitutions, sans négliger sa dimension formelle. La
Constitution doit être considérée comme un instrument qui institutionnalise la négociation, le consensus.
Mieux, elle doit incarner un pacte social fondateur, assis sur des valeurs et principes communs. La
Constitution doit être ainsi le garant d’un équilibre juste et harmonieux des partenaires politiques et
sociaux.
En outre, elle doit être spécifique à chaque société, en prenant en compte ses mythes, son génie,
ses évolutions particulières et refléter sa culture politique58 et ses symboles. Pour Bernard Lacroix, « une
Constitution est toujours d’une certaine façon l’enregistrement des valeurs collectives d’une époque ou
de plusieurs époques successives, en même temps que la référence de tel acte, de tel geste ou de telle
pratique à ces valeurs, toute Constitution est un produit symbolique »59. La Constitution permet ainsi un
renouvellement des récits mythiques de la société, l’organisation de la coexistence entre les pratiques
hétérogènes des groupes tout en réconciliant ainsi les populations avec leur propre histoire.
Enfin, dans cette perspective de légitimation, la Constitution doit être rédigée dans un style
concis et simple. Selon Montesquieu, « les lois (y compris constitutionnelles) ne doivent point être
subtiles ; elles sont faites pour des gens de médiocre entendement : elles ne sont point art de logique,
mais la simple raison d'un père de famille »60. L’élaboration des Constitutions doit donc avoir pour objet
principal d'atteindre à la notoriété afin que les individus ordinaires sachent qu'une règle s'impose à leur
comportement. Pour ce faire, la langue utilisée doit être simple, claire, intelligible et accessible au plus
grand nombre. Cette exigence milite en faveur de la traduction des Lois fondamentales en langues
vernaculaires. En effet, les constituants doivent prendre en compte les destinataires effectifs de leur
œuvre et non pas seulement les institutions politiques. Il s’agit là des caractéristiques de la « meilleure
lisibilité d’un texte » ou de « bonne compréhension d’une loi », ou encore de « bonne lisibilité d’une
norme ». Selon la jurisprudence constitutionnelle, il s’agit d’un « objectif de valeur constitutionnelle61
dont le juge doit vérifier qu’il est atteint à l’occasion d’un contrôle de constitutionnalité »62.
En définitive, la Constitution serait ainsi un produit propre à chaque société, à chaque peuple,
qui tiendrait compte de ses aspirations, de ses valeurs. La règle est d’autant plus vraie qu’il n’existe pas
d’institutions ou de Constitutions d’application universelle. Selon Jean-Jacques Rousseau : « Avant de
mettre en place le moindre système ou la moindre institution, il faut tenir compte de l’histoire, du
caractère, des coutumes, des croyances religieuses, du niveau économique et de l’éducation de chaque
peuple. Aucune règle, aucune méthode, n’a d’application universelle »63.

Section 2 : La classification des Constitutions

58 « Des fonctions politiques des Constitutions. Pour une théorie politique des Constitutions », in Jean-Louis Seurin (textes
présentés par), Le constitutionnalisme aujourd’hui, op. cit., pp. 35-50, p. 35.
59 « Les fonctions symboliques des Constitutions », in J.-L. Seurin (textes présentés par), Le constitutionnalisme aujourd’hui,

op. cit., pp. 186-199, p. 189.


60 De l'Esprit des lois, présentation de J. Brethe de la Gressaye t. 4, Les belles lettres, 1964, p. 139 et s.
61 P. de Montalivet, Les objectifs de valeur constitutionnelle, thèse Droit, Paris II, 2004.
62 Décision n°3/CC du 27 février 2004, Hebdo informations, n°484, 17 avril 2004, pp. 62-65. Voir, T. Ondo, Les bases

constitutionnelles du droit processuel, Libreville, Ed. Raponda-Walker, 2010, p. 14 ; du même auteur, « Le bloc de
constitutionnalité », Hebdo informations, n°562, 14 mars 2009, pp. 25-27.
63 Cité par J. Barzun, « Le théorème démocratique », Dialogue, n°88-2/1990, pp. 2-7, p. 5. Il s’agit notamment d’une réponse

de Jean-Jacques Rousseau adressée dans une brochure aux émissaires polonais et corses qui lui posaient la question suivante :
« La souveraineté populaire, le suffrage universel, pour quoi faire ? ». La réponse de Rousseau illustre sa conception du
législateur et du rédacteur d’une Constitution.

25
Les Constitutions peuvent être classées soit par rapport à leur forme, soit par rapport à leur
procédure de révision. Dans le premier cas, il convient de distinguer les Constitutions non écrite et écrite
(§ 1). La seconde hypothèse met en parallèle les Constitutions souple et rigide (§ 2).

§ 1 : Les Constitutions non écrite et écrite


Les Lois fondamentales sont classiquement classées en Constitution non écrite (A) et
Constitution écrite (B).

A- La Constitution non écrite


La Constitution non écrite comprend d’une part, la Constitution coutumière qu’il faudrait mettre
en parallèle avec les coutumes constitutionnelles et, d’autre part, la Constitution jurisprudentielle.
1/-La Constitution coutumière et les coutumes constitutionnelles
La Constitution coutumière est l’ensemble des règles coutumières relatives à la dévolution et à
l’exercice du pouvoir dans une société politique donnée. Ces règles coutumières reposent sur la pratique
répétitive, sans discontinuité et pendant une certaine durée, de précédents recueillant un large consensus
de l’ensemble des forces vives de la nation. On peut le constater, la Constitution coutumière ne peut être
entendue qu’au sens matériel, même si elle peut comporter également, comme on le verra, des règles
écrites.
Même si elles sont peu nombreuses aujourd’hui, il faut reconnaître que, jusqu’au 18 e siècle,
l’organisation des Etats européens fait une large place aux règles coutumières. Ainsi, les lois
fondamentales du royaume, sous l’Ancien Régime en France, étaient des règles coutumières, à
l’exemple de la loi salique interdisant la succession des femmes sur le trône royal.
Parmi les grands Etats modernes, la Grande-Bretagne reste l’exemple typique où la Constitution
coutumière a encore de beaux jours. En effet, ce pays reste largement régi par des usages, des précédents,
des conventions de la Constitution64 qui assurent la base de l’organisation et du fonctionnement de l’Etat.
Il en est ainsi du droit de dissolution de la Chambre des communes, de l’obligation de nommer Premier
ministre le chef du parti majoritaire, de l’interdiction pour le roi de présider le Cabinet qui sont des
règles coutumières ayant une force obligatoire très marquée. Néanmoins, la prégnance de la Constitution
coutumière doit être nuancée.
En effet, le régime constitutionnel britannique contient un certain nombre de grands textes tels
que la Grande Charte (Magna Carta) de 1215, la Pétition des droits de 1628, l’Act d’Habeas Corpus de
1679, qui protège les citoyens contre l’arbitraire monarchique, le Bill of rights de 1689, l’Act
d’établissement de 1701 qui règle les problèmes de succession au trône et les Parliament Acts de 1911
et 1949. Plus récemment, ont été ajoutés à ces textes anciens, l’European Community Act de 1972 et
l’Human Rights Act de 1998 qui ont intégré les principaux acquis de la construction communautaire et
du droit de la Convention européenne des droits de l’homme. Enfin, il convient de citer le Constitutional
Reform Acte de 2005 qui a créé la Cour suprême, laquelle fonctionne officiellement le 1er octobre 2009.
Si les Constitutions coutumières sont plutôt rares aujourd’hui, leur rôle est néanmoins beaucoup
plus important dans le cadre des Constitutions écrites. En effet, pour reprendre la formule de Benjamin
Constant « la Constitution ne s’explique pas, la Constitution se tait, la Constitution a des parties
ténébreuses »65 . Autrement dit, elle est vague, imprécise et comporte nécessairement des lacunes.
Celles-ci seront alors comblées par des règles coutumières qui sont obligatoires et contraignantes pour
les acteurs politico-institutionnels. On peut citer, par exemple, en France, le gouvernement en place au
moment du déroulement d’une élection nationale présente sa démission après celle-ci, afin de permettre
au suffrage universel d’avoir les conséquences attendues au niveau de la formation gouvernementale.
De même au Gabon, le Président de la République, quoique convalescent au Maroc, a été contraint de
prononcer un discours le 31 décembre 2018 pour respecter cette coutume constitutionnelle jamais remise
en cause par un Chef d’Etat. D’autres règles coutumières peuvent être énoncées : le vice-président de la
République a toujours été de l’ethnie Punu depuis 1967.

64 Meny Y., « Les conventions de la Constitution », Pouvoirs sept. 1989, n° 50, p. 53 à 68.
65Benjamin Constant, Principes de politique, Paris, Hachette Littératures, 1997, p. 110.

26
2/-La Constitution jurisprudentielle
Le rôle des juridictions constitutionnelles dans la sécrétion des normes constitutionnelles est
acquis aujourd’hui dans la plupart des régimes constitutionnels. En effet, par ses missions de contrôle
de constitutionnalité des normes juridiques, d’interprète de la Constitution et de régulateur du
fonctionnement régulier des institutions et de l’activité des pouvoirs publics, le juge constitutionnel est
devenu créateur des règles constitutionnelles66 dégagées soit des textes fondamentaux, soit proprio
mutu. Il s’agit notamment des objectifs de valeur constitutionnelle67, à l’exemple de l’applicabilité d’une
loi ou de la bonne lisibilité d’un texte68. Ensuite, il y a les exigences de valeur constitutionnelle comme
la protection de la vie privée et de l’intimité de la personne humaine69 ou encore la protection par l’Etat
de la santé des populations70. Enfin, s’ajoutent les principes constitutionnels. Il en est ainsi, entre autres,
de la légalité républicaine71, de la hiérarchie des normes ; du droit de grève ; du principe de la séparation
des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire72 ; du principe d’irrévocabilité des décisions de la Cour
constitutionnelle73 ; du principe de la liberté d’opinion74 ; du principe du procès équitable75 ; de la liberté
d’aller et venir ; du droit à la propriété ; de la présomption d’innocence76 (12e et 13e considérants) ; du
principe de l’égalité de tous devant la loi77 ; de l’intérêt pour agir (32e considérant) ; du principe de
proportionnalité, etc.
On le voit, le droit constitutionnel jurisprudentiel est donc devenu une réalité78.

B-La Constitution écrite


La Constitution écrite est le modèle de Constitution le plus répandu. Il convient d’examiner
d’abord sa signification et ses implications, avant d’étudier les types de Constitution écrite.

1/-La signification et implications


Une Constitution est généralement un document écrit, situation liée au mouvement
constitutionnaliste. En effet, les philosophes du siècle des Lumières ont prétendu faire sortir le statut de
l’Etat de la complexité des règles coutumières qui faisait que les Lois fondamentales en France, par
exemple, n’étaient pas à la portée de l’entendement commun. La conséquence en étant que les idées de
souveraineté et de majesté de l’Etat paraissaient attachées à la personne du monarque. Par le moyen du
document écrit, il était entendu qu’on obtiendra d’une part, la simplification, d’autre part, l’unification
des différentes règles concernant le fonctionnement de l’Etat et la gestion de ses compétences. Et puis,
le document écrit bénéficierait d’une certitude et d’une honnêteté que la coutume ne pouvait procurer.
L’avantage peut s’exprimer en deux temps :
-une affirmation plus nette des droits et devoirs des citoyens comme des pouvoirs publics ; ce qui
permettrait de relier la Constitution à l’idée de Pacte social ;
-une meilleure connaissance par chacun des affaires publiques parce que, selon Thomas Payne, « la
Constitution est un moyen d’éducation » politique et morale, la finalité étant l’établissement d’un
gouvernement démocratique à base de souveraineté nationale.

66 Séverin Andzoka Atsimou, « La participation des juridictions constitutionnelles au pouvoir constituant en Afrique », RFDC,
n°110, 2017, pp. 279-316.
67 P. de Montalivet, Les objectifs de valeur constitutionnelle, thèse, Paris II, 2004, p. 614.
68 La loi doit être entendue au sens général ici puisque est concernée également la Constitution. Cf. Décision n°5/CC du 18

mars 2008, 9e considérant, Hebdo informations, n°554, 28 juin-12 juillet 2008, p. 117.
69 Décision n°6/CC du 4 mai 2004, ibid., 11 e considérant.
70
Décision n°053/CC du 28 janvier 2022, 29e considérant.
71 Décision n°2/CC du 28 janvier 1993, 21e considérant, Hebdo informations, n°268, 30 janvier 1993, pp. 20-21.
72 Décisions n° 2/CC du 17 mars 1999, Hebdo informations, n°398, 10 avril 1999, p. 66.
73 Décision n°15/CC du 4 septembre 2001, 4 e considérant, Hebdo informations n°445, 29 septembre 2001, p. 146.
74 Décision n°1/CC du 8 janvier 2004, 3 e considérant, Hebdo informations, n°466, 8-22 février 2004 ? PP ; 27-28.
75 Décision n°3/CC du 13 mars 2017 relative à l’interprétation des dispositions de l’article 78 de la Constitution, 8 e considérant,

Hebdo informations, n°660, 14-31 octobre 2017, pp. 219-220.


76 Voir aussi, décision n°6/CC du 4 mai 2004, 5 e et 6e considérants, op. cit.
77 Cf. décisions n°3/CC du 27 février 2004, 10 e considérant, op. cit. ; n°4/CC du 29 janvier 2008, 5e considérant, Hebdo

informations, n°549, 8 mars 2008, pp. 37-39.


78 Luc Sindjoun, Les grandes décisions de la justice constitutionnelle africaine. Droit constitutionnel jurisprudentiel et

politiques constitutionnelles au prisme des systèmes politiques africains, Bruxelles, Bruylant, 2009, p. 579.

27
A l’époque moderne, l’ensemble des Constitutions présente ces exigences : une déclaration des
droits afin de fixer, de préparer des libertés fondamentales inaliénables et sacrées que l’on dit tenir à la
nature et qui restreignent la liberté d’action des gouvernants. Ainsi, aux USA par exemple, une fois la
Constitution achevée d’être rédigée le 17 septembre 1787, il fallut permettre l’adoption rapide d’une
déclaration des droits qui constitue à l’heure actuelle les dix premiers amendements. Ensuite,
l’application du principe de la séparation des pouvoirs telle que le présente l’article 16 de la Déclaration
française des droits de l’homme et du citoyen.
Enfin, l’idée d’Etat de droit, c’est-à-dire un Etat dont l’action n’est légitime que lorsqu’elle se
situe à l’intérieur d’une aire limitée et fixée par un ordonnancement juridique préétabli et contraignant.
Comme nous l’avons vu plus haut, la Constitution écrite peut faire l’objet d’applications
coutumières, soit pour combler les lacunes, soit pour modifier le sens de certaines dispositions.
Au Gabon, si le Premier ministre est le chef du gouvernement (article 31 alinéa 2) et que le Chef
de l’Etat nomme les autres membres du gouvernement et met fin à leurs fonctions sur proposition du
Premier ministre (article 15), il est évident que dans un régime présidentialiste, le Président de la
République, détenteur suprême du pouvoir exécutif (article 8 in fine), assume, dans la pratique,
l’essentiel de ces attributions. De même, le Premier ministre, selon une règle coutumière a toujours été
choisi parmi les citoyens de l’ethnie fang, d’abord de l’Estuaire, puis du Woleu-Ntem, ou d’une ethnie
Kota dans l’Ogoué-Ivindo, proche de la première, avant de revenir à une ressortissante de l’Estuaire.

2/-Les types de Constitution écrite


Les Constitutions écrites sont les plus répandues dans le monde. On distingue ici la Loi
fondamentale et les textes à valeur constitutionnelle. L’ensemble de ces textes constituent ce que le
doyen Louis Favoreu a appelé le « bloc de constitutionnalité »79, consacré par la Cour constitutionnelle
gabonaise dans sa décision n°1/CC du 28 février 199280.
Le Gabon a adopté quatre textes constitutionnels, notamment le 19 février 1959, le 14 novembre
1960 et du 21 février 1961. Ces textes ne bénéficiaient pas d’une prévalence réelle sur les autres normes
en l’absence d’un véritable contrôle de constitutionnalité. La mise en place d’un tel contrôle assuré par
une juridiction spécialisée par le constituant le 26 mars 1991 a eu pour effet de propulser la Constitution
gabonaise au sommet de la hiérarchie des textes.
Dans sa première décision n°1/CC du 28 février 199281, la Cour constitutionnelle gabonaise a
élargi le bloc de constitutionnalité aux textes de renvoi du préambule de la Constitution : « la conformité
d’un texte de loi à la Constitution doit s’apprécier non seulement par rapport aux dispositions de celle-
ci, mais aussi par rapport au contenu des textes et normes de valeur constitutionnelle énumérés dans le
préambule de la Constitution, auxquels le peuple gabonais a solennellement affirmé son attachement et
qui constituent, avec la Constitution, ce qu’il est convenu d’appeler le bloc de constitutionnalité ».
En effet, proclamant solennellement « son attachement aux droits de l’homme et aux libertés
fondamentales », le constituant de 1991 établit ainsi sa filiation avec les instruments universels,
régionaux et nationaux des droits et libertés des citoyens. Il s’agit notamment, selon le préambule de la
Constitution, de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, de la Déclaration
universelle des droits de l’homme de 1948, de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples
de 1981 et de la Charte nationale des libertés de 1990. Ces textes constituent donc, avec la Constitution,
les sources primaires du contrôle de constitutionnalité des lois.
Le contenu du bloc de constitutionnalité ne se limite pas pour autant à ces textes fondamentaux.
La Haute instance gabonaise a élargi ce contenu à d’autres normes secondaires de valeur
constitutionnelle. Il s’agit d’abord des lois organiques et des règlements des Assemblées.
Selon la Cour constitutionnelle, « la loi organique (…) a pour objet de préciser ou de compléter
les dispositions du texte constitutionnel qui la prévoit »82.

79 « Le principe de constitutionnalité. Essai de définition d’après la jurisprudence du Conseil constitutionnel », in Mélanges


Ch. Eisenman, Paris, Cujas, 1975, pp. 33 et suiv. Sur le cas gabonais, voir Télesphore Ondo, « Le bloc de constitutionnalité »,
in Hebdo Informations, n°562, 14 mars 2009, pp. 25 -28.
80 Hebdo informations, n°250, 28 mars 1992, pp. 37-38.
81 Hebdo informations, n°250, 28 mars 1992, pp. 37-38.
82 Décision n°4/CC du 19 février 1997, 3e considérant, Hebdo informations, n°353, 1er mars 1997, p. 25 ; décision n°71/CC du

4 avril 1997, 5e considérant, Hebdo informations, n°355, 12 avril 1997, p. 41.

28
L’article 88 de la Constitution permet également d’élargir le bloc de constitutionnalité aux
règlements des Assemblées.
Les règlements des Assemblées parlementaires qui se présentent sous forme de résolution
adoptée par chaque Chambre du Parlement selon la procédure ordinaire relèvent de ce que le droit
administratif appelle les mesures d’ordre intérieur83. Leur objet est non seulement d’organiser le
fonctionnement interne des Chambres, les procédures suivies dans leurs délibérations et les mécanismes
de contrôle, mais également d’assurer la discipline de leurs membres. Il en résulte que les règlements
des Assemblées sont le complément indispensable de la Constitution de 1991. C’est d’abord pour cette
raison que la Cour constitutionnelle gabonaise, à la différence du Conseil constitutionnel français, a
reconnu à ces textes une valeur constitutionnelle.
Enfin, la Cour a élargi le bloc de constitutionnalité aux règlements des autorités administratives
et indépendantes déterminées par la loi84 et aux lois organisant un des droits fondamentaux protégés par
la Constitution85.
Il en résulte donc une extension exagérée et, à terme, pernicieuse du bloc de constitutionnalité
et plus précisément des normes constitutionnelles écrites.

§ 2 : Les Constitutions souple et rigide


Dans la mise en œuvre la de révision de la Constitution, la doctrine distingue deux types de
Constitutions : les Constitutions souples (A) et les Constitutions rigides (B).

A-Les Constitutions souples


Une Constitution est considérée comme souple lorsqu’aucune condition spéciale n’est requise
pour sa révision et que cette dernière peut donc être opérée par une procédure similaire à celle de la loi
et par les mêmes organes. En principe, les Constitutions coutumières ou à dominante coutumière sont
souples. Ainsi, la Constitution coutumière de Grande-Bretagne peut être modifiée par une simple loi
ordinaire adoptée par le Parlement. Elle est donc souple.
Toutefois, une Constitution écrite peut également être souple dès lors que le constituant n’a pas
opéré une différenciation entre la procédure relative à l’adoption de la loi et celle portant révision de la
Constitution. Il en fut ainsi, en France, de la Charte de 1830.
Mais, une Constitution écrite prévoyant une procédure spéciale de révision peut également être
souple lorsque les gouvernants bénéficient d’une prise aisée sur la procédure de révision. Au Gabon par
exemple, l’article 69 de la Constitution du 21 février 1961, dans sa rédaction originelle, prévoyait soit
l’approbation du projet ou de la proposition de révision par les 2/3 des députés, soit par le référendum
dans les termes prévus par l’article 16. Cependant, la rigidité de ces dispositions constitutionnelles a été
balayée par le Chef de l’Etat, initiateur unique des projets de révision et qui s’appuie sur le Bloc
démocratique gabonais, parti ultra majoritaire à l’Assemblée nationale, entièrement acquis à sa cause.
En conséquence, de 1961 à 1967, année de son décès, la Constitution a été modifiée à 5 reprises.
Sous le parti unique, plusieurs organes étaient associés à la procédure de révision : d’abord le
bureau politique, ensuite le Comité central, cette dernière instance devant faire corps avec l’Assemblée
nationale pour adopter les textes, sauf si le Président de la République, président fondateur du parti-Etat,
décider d’organiser un référendum. Néanmoins, le type de rapport existant entre l’exécutif et le législatif,
et qui faisait du cadre institutionnel un système de monarchie présidentielle ou de présidentialisme
autoritaire, était cause que, de 1961 à 1990, l’initiative des révisions était monopolisée par le Président
de la République et les textes adoptés sans débat, à l’unanimité et par acclamation. La Constitution était
donc souple.

83 Télesphore Ondo, Le droit parlementaire gabonais, Paris, L’Harmattan, 2008, pp. 11-12 et 104-105.
84 Avis n°045/CC du 10 janvier 2018, 18e considérant. La Cour indique « lesdites autorités interviennent dans des domaines
touchant aux droits fondamentaux de la personne humaine et aux libertés publiques ; il est nécessaire que les textes qui
organisent leur fonctionnement fassent l’objet d’un contrôle préalable de conformité à la Constitution… ».
85 Décision n°14/CC du 22 juin 2017 relative à la demande du Premier ministre tendant à l’interprétation de certaines

dispositions de la loi n°002/2008 du 8 mai 2008 fixant le régime particulier des pensions de retraite des membres du
Gouvernement, des députés et des sénateurs, modifiée par la loi n°42/2010 du 2 février 2011, 5 e considérant.

29
Les nouvelles Constitutions africaines issues du processus de démocratisation entamée depuis
1990 le sont un peu moins du fait de la nouvelle donne qui assure l’autonomie de fonctionnement de
l’institution de décision, qu’il s’agisse du Parlement ou du corps électoral.
Toutefois, la pratique observée en Afrique depuis 1990 montre que la procédure de révision
constitutionnelle reste monopolisée et est instrumentalisée par plusieurs Chefs d’Etat africains et les
textes sont adoptés par des Assemblées parlementaires aux ordres ou par des citoyens corrompus et
inconscients. En conséquence, par ce biais, on a assisté à des restaurations autoritaires sur le continent.

B-Les Constitutions rigides


Une Constitution est dite rigide lorsqu’elle ne peut être révisée que par un organe distinct (le
Congrès) et selon une procédure spécifique, différente de celle concernant l’adoption de la loi ordinaire.
Cette différenciation organique et procédurale marque la suprématie des lois constitutionnelles sur les
lois ordinaires, les premières occupant le sommet de la pyramide et les secondes devant leur être
obligatoirement conformes, sous peine d’invalidité.
Généralement, les Constitutions écrites, les plus nombreuses, sont rigides. Ici, le constituant
veut assurer la pérennité de son œuvre et il subordonne la possibilité nécessaire d’une révision à des
conditions ou exigences organiques et procédurales spéciales. En effet, si l’on considère que la
Constitution est l’acte fondateur de l’Etat, il est nécessaire que cette œuvre consensuelle ne soit modifiée
que des mains tremblantes et avec l’ensemble des forces vives de la nation représentée au Parlement.
Dans les Etats fédéraux ou unitaires décentralisés ou encore régionaux, par exemple, il convient de
s’assurer de l’adhésion des entités fédérées ou décentralisées ou régionales représentées par la Chambre
haute, le Sénat. Ce qui a pour effet de rendre complexe la procédure de révision.
La Constitution américaine de 1787 est réputée la plus rigide du monde. Cela se marque d’abord
par la différence nette établie entre la procédure législative ordinaire et la procédure de révision de la
Constitution. Ainsi pour cette dernière, il existe deux voies pour l’initiative : soit il est décidé la
convocation d’une convention à l’exemple de celle de Philadelphie en 1787, soit c’est le Congrès fédéral
qui entreprend d’écrire la proposition laquelle est soumise à l’examen des législatures d’Etat. La
ratification apporte une deuxième différence puisqu’elle est de la compétence, tantôt des conventions
d’Etats, tantôt des législatures, la décision étant prise à la majorité des 3/4. Ainsi, la Constitution
américaine échappe au risque de changement brusque ; ce qui permet de confirmer le principe des
pouvoirs d’attribution, c’est-à-dire des compétences qu’exercent les différents organes de l’Etat.
Pour éviter les ruptures brutales avec le recours à des voies extraconstitutionnelles et une rigidité
fragile, insuffisante qui pourraient mettre à mal la stabilité constitutionnelle et la paix sociale, il est
indispensable qu’un compromis soit trouvé entre les forces vives de la nation.
Il est à noter, ainsi que nous l’avons vu, que les Constitutions de nombreux Etats d’Afrique noire
francophone adoptées depuis 1990 sont formellement rigides. Mais, dans la pratique, les gouvernants
ont une telle emprise sur les organes et les procédures de révision qu’elles sont devenues
particulièrement souples.
Exceptionnellement, une Constitution coutumière peut être rigide. A titre de curiosité juridique,
on peut citer le cas des lois fondamentales de la monarchie sous l’Ancien Régime que le Roi, titulaire
du pouvoir législatif, ne pouvait modifier sans le consentement des Etats généraux.

Chapitre 2 : L’opération constituante

L’opération constituante est celle qui consiste à l’élaboration (Section 1) et à la révision (Section
2) de la Constitution.

Section 1 : L’élaboration de la Constitution


L’élaboration ou l’établissement d’une Constitution est l’œuvre du pouvoir constituant
originaire (§ 1). Celle-ci s’opère suivant plusieurs modes (§ 2).

30
§ 1 : Le pouvoir constituant originaire

A-Signification et implications
Le pouvoir constituant originaire est le pouvoir exercé par un ou des organes pour élaborer une
Constitution alors qu’aucune Constitution n’est en vigueur. Par exemple, lors de l’établissement de la
Constitution de la IVe République française, le corps social convoqué par référendum exerçait un
pouvoir constituant originaire.
Toutefois, ce pouvoir peut aussi intervenir alors même qu’existe un texte constitutionnel,
notamment lors que la nécessité se présente de passer d’un ordonnancement ancien à un ordonnancement
nouveau. Dans l’histoire politique et constitutionnelle gabonaise par exemple, l’Assemblée nationale a
exercé un pouvoir constituant originaire le 26 mars 1991 afin que l’ordonnancement juridique né de la
Constitution du 21 février 1961 cède le pas à un ordonnancement nouveau.
Plus concrètement, l’établissement de la Constitution peut se produire soit lors de la création
d’un Etat nouveau, soit à la suite d’une révolution pacifique ou violente ayant mis fin à la Constitution
ancienne ou même à la suite du changement de la forme juridique d’un Etat ou d’un régime politique.
L’exercice du pouvoir constituant originaire pose deux problèmes importants : celui de l’autorité
compétente pour l’établissement de la Constitution et celui de la juridicité de son œuvre.
Les auteurs classiques posent en prémices que le pouvoir qui est à l’origine de la Constitution
est nécessairement particulier comme bénéficiant d’une autorité politique et juridique spéciale sans
laquelle il ne lui sera pas possible de définir la composition et le fonctionnement des différents pouvoirs
de l’Etat. Ainsi, le pouvoir constituant est par définition suprême, c’est-à-dire placé au-dessus de tous
les pouvoirs établis par la Constitution, non par le fait de son aspect extérieur, mais par son rôle.
Pour Georges Burdeau, le pouvoir constituant originaire étant le pouvoir créateur de l’Etat. Il
s’agit donc, par rapport à l’Etat, d’un pouvoir primaire, inconditionné et qui se fixe à lui-même les
formes dans lesquelles il entend s’exercer. Les institutions qui assument cette responsabilité disposent
du pouvoir d’auto-organisation propre à la puissance étatique. Dans le cas où il s’agirait de réorganiser
un Etat ancien ou de transformer sa forme juridique, l’ordre juridique précédent peut parfois être ignoré.
Il demeure cependant que dans cette hypothèse, le titulaire du pouvoir constituant originaire est placé à
l’intérieur de l’Etat. Il en a été ainsi en septembre 1958 pour le corps électoral français comme en mars
1991 pour l’Assemblée nationale gabonaise.
Le deuxième problème posé est celui de l’œuvre de droit. Selon Georges Burdeau, la validité
juridique de l’activité du pouvoir constituant originaire ne peut être contestée parce que même lorsqu’il
s’agit d’une œuvre révolutionnaire, celle-ci n’est pas une rupture totale du droit, mais une transformation
de sa structure. Autrement dit, l’exercice du pouvoir constituant originaire s’apparente à l’intervention
directe de l’autorité politique exclusive qui est propre à l’Etat et qui bénéficie, pour reprendre Jellinek,
de la compétence de sa compétence.
Toutefois, il est de plus en plus difficile d’affirmer aujourd’hui que le pouvoir constituant
originaire est encore suprême tant de nombreuses contraintes s’imposent désormais à lui.

B- Les limites du pouvoir constituant originaire

Le pouvoir constituant originaire peut être limité par l’ordonnancement juridique ancien. Ainsi,
en France, par exemple, la loi constitutionnelle du 3 juin 1958 habilite le nouveau gouvernement formé
par le Général De Gaulle à mettre en place de nouvelles institutions, sous certaines conditions. Celles-
ci sont plus précisément constituées de cinq principes constitutionnels qui s’imposent au gouvernement
et qui apparaissent comme autant de limitations à sa liberté de rédaction de la future Constitution de la
Ve République. Ils sont énoncés ainsi qu’il suit : « 1° Seul le suffrage universel est la source du pouvoir.
C’est du suffrage universel ou des instances élues par lui que dérivent le pouvoir législatif et le pouvoir
exécutif ; 2° le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif doivent être effectivement séparés de façon que
le gouvernement et le Parlement assument chacun pour sa part et sous sa responsabilité la plénitude de
leurs attributions ; 3° le gouvernement doit être responsable devant le Parlement ; 4° l’autorité judiciaire
doit demeurer indépendante pour être à même d’assurer le respect des libertés essentielles telles qu’elles
sont définies par le Préambule de la Constitution de 1946 et par la Déclaration des droits de l’homme à
laquelle il se réfère ; 5° la Constitution doit permettre d’organiser les rapports de la République avec les
peuples qui lui sont associés ».

31
Bien que non assorties de sanctions, ces obligations n’en ont pas moins exercé une influence
certaine sur le pouvoir constituant originaire de 1958.
De la même manière, les pères constituants africains francophones des années quatre-vingt dix
ont semblé être plus ou moins liés, du moins politiquement et surtout moralement, par les actes des
Conférences nationales dans leur œuvre d’élaboration des nouvelles Constitutions. En effet, ils devaient
en quelque sorte reproduire ou traduire ces actes en textes constitutionnels. Cependant, la neutralisation
de ces assises par les dirigeants dans de nombreux cas86 et l’inexistence d’une garantie juridictionnelle
de cette obligation politico-morale ont favorisé le verrouillage, puis l’instrumentalisation du pouvoir
constituant originaire par les gouvernants en vue de leur pérennisation. En conséquence, les
Constitutions ainsi élaborées n’ont, dans l’ensemble, reproduit que de moitié les principes érigés en
vertu cardinale lors des Conférences nationales. Dans d’autres cas, ces principes ont simplement été
pervertis.
En revanche, l’exemple sud-africain montre que le pouvoir constituant originaire peut être aussi
soumis à un contrôle juridictionnel dans une optique de préservation des acquis démocratiques. En effet,
la Constitution intérimaire87négociée et adoptée en 1993 par l’ensemble des forces vives sud-africaines
contenait, dans son annexe IV, trente-quatre principes qui constituent en quelque sorte des garde-fous
permettant d’éviter tout retour en arrière. Ces barrières suprêmes devaient lier le pouvoir constituant
originaire dans son œuvre créatrice en 1996 sous la garantie de la Cour constitutionnelle. Dans une
première décision du 6 septembre 199688, la Cour déclare non conformes à ces principes certaines
dispositions de la nouvelle Constitution. L’Assemblée constituante amende alors son texte le 11 octobre
1996 et la Cour rend, après un nouvel examen, une décision de conformité ou de certification de la
Constitution avec l’ensemble des principes fondateurs le 4 décembre 199689.

§ 2 : Les modes d’élaboration des Constitutions


Etablir une Constitution soit à la naissance d’un Etat, soit pour marquer une étape historique
nouvelle exige un ensemble de procédures qui relèvent à la fois d’un certain nombre d’aspects
techniques et de préoccupations politiques. Les procédés d’élaboration varient également selon les
époques et les régimes politiques. Pour synthétiser, il convient de distinguer les modes autoritaire et
révolutionnaire d’une part, des modes démocratique et pluraliste, d’autre part.

A- Les modes autoritaires


Leur point commun est que le titulaire du pouvoir constituant originaire est un seul individu, le
roi, le Chef d’Etat, même si le texte élaboré peut parfois être adopté par la voie référendaire. Il en est
ainsi de la Charte octroyée et du plébiscite constituant.

1/- La Charte octroyée :


C’est le procédé employé en France le roi Louis 18 lors de la Restauration monarchique en 1814.
Le principe en est que l’autorité jusque-là absolue aménage elle-même sa limitation par une décision
personnelle d’octroi d’une Constitution aux sujets. La réalité est que le titulaire du pouvoir se trouve
politiquement obligé de concéder une Constitution.
Louis 18 a octroyé la Charte du 4 juin 1814 en ces termes : « Une charte constitutionnelle était
sollicitée par l’état actuel du royaume, nous l’avons promise et nous la publions.
…Nous avons volontairement, et par le libre exercice de notre autorité royale, accordé et accordons, fait
concession et octroi à nos sujets…de la charte constitutionnelle qui suit… ».
Ce fut aussi le cas de la Constitution de 1905 octroyée par Nicolas II en Russie après la première
révolution russe.

86 Télesphore Ondo, La responsabilité introuvable du Chef d’Etat africain. Analyse comparée de la contestation du pouvoir
présidentiel en Afrique noire francophone (Les exemples camerounais, gabonais, tchadien et togolais), thèse, Université de
Reims, 2005, pp. 444-451.
87 F. DREYFUS, « La Constitution intérimaire d’Afrique du Sud », RFDC, n°19, 1994, pp. 465-495.
88 CCT 23/96, certification of the Constitution of the Republic of South Africa, 1996 (10), BCLR 1253 (CC).
89 CCT 37/96, certification of the Amended text of the Final Constitution, 1997, BCLR (CC). Voir, X. PHILIPPE,

« Présentation de la Cour constitutionnelle sud-africaine », Les Cahiers du Conseil constitutionnel, n°9, 2000, pp. 41-52, p. 52.

32
Le principe est le même lorsqu’un pouvoir de fait, une révolution populaire ou un coup d’Etat
militaire par exemple, abroge la Constitution en vigueur et décide d’établir une autre qu’il octroie au
peuple. Des exemples de Constitutions adoptées selon ce procédé sont nombreux dans l’histoire
contemporaine africaine.
L’octroi peut néanmoins faire l’objet d’une négociation entre les forces politiques en présence
et prendre ainsi la forme d’un contrat. C’est le cas de la Charte du 14 août 1830 en France négociée par
les parlementaires et le roi Louis Philippe. Il en fut de même de la Constitution belge de 1831.

2/- Le plébiscite constituant :


Comme dans le cas précédent, la Constitution est l’œuvre d’un seul individu, mais le peuple est
invité à l’approuver.
Le Parlement ne participe pas à l’œuvre constituante ici et le peuple ne peut qu’approuver en
bloc, sans débat et sans véritablement en comprendre les enjeux. Le vote favorable équivaut à la
ratification de la Constitution. La démocratie peut n’être ici qu’illusoire car le choix du peuple peut être
contraint dès lors qu’il n’intervient pas dans la rédaction du projet. C’est par ce procédé qu’ont été établis
les Constitutions des Premier (13 décembre 1799) et Second (4 janvier 1852) Empire en France
respectivement par Napoléon Bonaparte et Louis-Napoléon Bonaparte. De même, la Constitution de
1958 a été élaborée par l’exécutif, soumis néanmoins à certaines conditions, et adoptée par voie
référendaire.
En Afrique, la deuxième génération des Constitutions adoptées depuis le processus de
démocratisation a été l’œuvre des Chefs d’Etats et adoptée par référendum, sans que ces scrutins
constituent des mécanismes de sanction populaire. Ainsi, les Constitutions du Congo Brazzaville de
2016, de Côte d’Ivoire de 2016 et du Tchad de 2017 ont été l’œuvre des dirigeants au pouvoir et adoptées
par une population majoritairement analphabète et ignorante de la chose publique.
En réalité, « sont souvent adoptées de cette manière les constitutions qui établissent des régimes
autoritaires mais présentées sous l’apparence de la démocratie »90. L’objectif est, dans tous les cas, la
pérennisation des gouvernants au pouvoir.

B- Les modes démocratiques


Il convient de distinguer les modes démocratiques classiques des modes pluralistes apparus
surtout depuis la fin de la guerre froide.
1/-Les modes classiques
Ici, le pouvoir constituant appartient au peuple qui l’exercice, soit par l’intermédiaire de ses
représentants, soit directement par le référendum.

a)-Une assemblée constituante d’origine populaire


Une assemblée est donc élue avec pour mission d’élaborer une Constitution. Le peuple est donc
associé à l’œuvre constituante par le choix des représentants. En France par exemple, en 1789, la
convocation des Etats généraux avait pour objet non seulement l’examen de la situation générale des
Royaumes, mais aussi la réforme de l’Etat dans son cadre institutionnel. Aussi, le Roi Louis 16 écrit-il
le 24 janvier 1789 que les Etats généraux doivent donner « les moyens et avis pour arriver à un ordre
constant et invariable de toutes les parties de gouvernement ». Mais, en se proclamant Assemblées
générales, les Etats généraux rompent avec la mission de conseil et d’étude prévue par le monarque et
s’attribuent le pouvoir constituant adoptant ainsi la position du député Thouret selon qui : « la nation
peut exercer le pouvoir constituant soit par ses représentants, soit par elle-même. Les représentants
actuels ont reçu compétemment le pouvoir de leur commettant ». C’est ainsi que la Constituante issue
des Etats généraux a élaboré la Constitution de 1791.
Au Gabon, depuis la proclamation de la République le 28 novembre 1958, les textes
constitutionnels sont établis par le Parlement ; qu’il s’agisse des Constitutions du 19 février 1959, du 14
novembre 1960, du 21 février 1961 que de la Loi fondamentale du 26 mars 1991.

90 Michel Verpeaux, La Constitution, op. cit., p. 10.

33
b)-l’association de l’assemblée et du référendum :
Le principe consiste à soumettre le texte élaboré par la convention à l’approbation des électeurs
par la voie du référendum constituant. Le peuple exerce donc ici lui-même le pouvoir constituant. C’est
le mode le plus démocratique. Aux USA, il y eut d’abord la mise en place d’une commission
constitutionnelle chargée d’élaborer le texte. Puis, une fois ce texte présenté au Congrès, il fut adopté
par les parlements des Etats ou par les différents corps électoraux. Néanmoins, l’exemple le plus
emblématique de ce procédé est sans doute l’adoption de la Constitution française de 1946. En effet, le
peuple ayant refusé, le 5 mai 1946, d’approuver le projet que lui soumettait l’Assemblée, il a fallu élire
une nouvelle Assemblée constituante chargée d’élaborer le texte constitutionnel lequel devait être
soumis ensuite à la votation populaire par le biais du référendum le 13 octobre 1946.

b)- la souveraineté plénière du peuple :


Dans ce cas de figure, le peuple constituant rédige lui-même la Constitution et l’adopte
directement par référendum. Cette technique ne peut être mise en œuvre que dans les Etats reconnaissant
aux citoyens un référendum d’initiative populaire, notamment en Suisse ou au Burkina Faso ou encore
dans certains Etats fédérés aux USA.

2/-Les modes pluralistes


Il s’agit de processus participatifs, inclusifs et ouverts d’établissement de la Constitution. Ils ont
pour objet d’associer l’ensemble des forces vives de la nation dans l’élaboration de la Constitution. Ils
prennent des formes diverses. C’est en Afrique noire francophone que le mécanisme de la Conférence
nationale est mis en œuvre à partir de l’exemple béninois. Quelle soit souveraine (Bénin, Tchad, Congo)
ou non (Gabon, Zaïre), la Conférence nationale a été considérée comme un pouvoir constituant original,
d’une part par son caractère inclusif et participatif puisqu’elle regroupe l’ensemble des forces vives de
la nation ; d’autre part par son objectif : disqualifier le gouvernement de type présidentialiste autoritaire
en restaurant la démocratie pluraliste et en posant les bases d’un véritable Etat de droit.
Dans les pays d’Afrique de l’Est, les refontes des Constitutions en vigueur sont l’œuvre des
Commissions spéciales regroupant toutes les forces vives de la nation (Tanzanie). Alors qu’en Afrique
du Sud, le processus de négociation sur le texte constitutionnel est engagé au début des années 90 entre
la minorité blanche et la majorité noire. Ces négociations aboutissent à la Constitution intérimaire du 22
décembre 1993, laquelle institutionnalise le principe du consensus et de la négociation. Cette
Constitution était en outre chargée de définir les modalités d’élaboration de la Constitution définitive.
C’est l’Assemblée constituante, composée de l’Assemblée nationale et du Sénat, issus des élections
d’avril 1994, représentant toutes les couches de la nation sud-africaine, qui était chargée de recueillir
toutes les propositions de Constitution et d’élaborer en définitive le texte constitutionnel, sous le contrôle
de la Cour constitutionnelle.
Les exemples récents d’élaboration en Tunisie et en Egypte illustrent parfaitement cette
tendance à la démocratisation des processus constituants en Afrique.
En Tunisie, le processus constituant a été beaucoup ouvert et inclusif. D’abord, une Commission
pour la réalisation des objectifs de la révolution, la réforme politique et la transition démocratique a été
mise en place composée de représentants de la société civile et des principaux partis politiques. Sa
mission principale était de fonctionner comme un Parlement et d’adopter les textes juridiques
nécessaires à l’organisation de l’élection des membres de l’assemblée constituante et de la transition
démocratique. Après les élections du 23 octobre 2011 remportées par le parti islamiste modéré Ennahda,
lequel a formé une coalition avec deux partis laïcs (le Congrès pour la République et le Forum
démocratique pour le travail et les libertés), l’assemblée constituante, mise en place avec des difficultés,
a procédé à l’élaboration de la nouvelle Constitution tunisienne promulguée le 26 janvier 2014, précédée
d’une démarche d’inclusion de la société civile.
Enfin, en Egypte, si le processus d’élaboration de la nouvelle Constitution a été long, difficile
et explosif et a échoué, c’est simplement parce que les partis laïcs et la société civile souhaitaient que le
comité de rédaction de la Loi fondamentale soit consensuel et qu’il représente les intérêts de l’ensemble
des Egyptiens, y compris les minorités.

34
Section 2 : La révision de la Constitution : le pouvoir constituant dérivé
Le pouvoir constituant dérivé est le pouvoir chargé de réviser la Constitution. L’existence de ce
pouvoir part d’un constat logique. La Constitution, parce qu’elle fixe le statut organique de l’Etat doit
bénéficier d’une certaine permanence, c’est-à-dire qu’elle doit être conçue comme une œuvre durable.
Toutefois, cette durabilité nécessaire ne saurait signifiée immutabilité. Il faut donc que, sans
bouleverser son schéma général, la Constitution pourra subir un certain nombre de changements
nécessaires, ces changements intervenant évidemment selon une procédure protection préétablie. En
effet, s’il n’existait pas la possibilité de retouche, soit pour apporter des compléments au texte, soit pour
introduire des adaptations, l’on se trouverait devant l’obligation de n’avoir pour procédé d’évolution
institutionnelle que des refondations du système étatique, c’est-à-dire des actions extraordinaires
susceptibles de produire chaque fois un désétablissement social de l’Etat.
Par ailleurs, si les changements prévus n’étaient soumis à un cadre juridique préétabli, l’on
donnerait à l’institution chargée de réviser la Constitution, non plus seulement le pouvoir de la modifier,
mais le pouvoir d’en établir une autre, avec le risque d’une fraude à la Constitution91, parce que l’autorité
constituée s’investira elle-même d’un pouvoir originaire.
Deux données essentielles entrent dans le cadre de la révision de la Constitution : d’une part, la
procédure de révision (§ 1), d’autre part, le contrôle de la révision constitutionnelle (§ 2).

§ 1 : La procédure de révision
Les deux premiers textes constitutionnels à avoir prévu leur propre procédure de révision sont
la Constitution américaine de 1787 entrée en vigueur en janvier 1789 et la Constitution française du 3
septembre 1791. Cette dernière présente, en son article 1er du titre 7, le problème même de la révision
d’une Constitution : « L’Assemblée nationale constituante déclare que la nation a le droit imprescriptible
de changer sa Constitution (…) par les moyens pris dans la Constitution, du droit d’en reformer les
articles dont l’expérience aurait fait sentir les inconvénients (…) ». Ainsi donc, chaque Constitution ne
peut être révisée que par les moyens pris dans son propre texte.
Les différentes Constitutions modernes ne dérogent pas à cette règle. Elle concerne notamment
l’initiative de la révision constitutionnelle et les modalités d’adoption du texte constitutionnel.

A- L’initiative

Qui, dans l’ossature institutionnelle, a compétence pour proposer une révision de la


Constitution ? L’analyse des dispositions des Constitutions modernes laisse apparaître une diversité de
solutions, et plus précisément un partage de compétence entre plusieurs organes constitutionnels,
excluant le plus souvent le peuple92. La Loi fondamentale gabonaise du 26 mars 1991, comme ses
devancières, n’échappe pas au principe l’initiative ouverte, mais élitiste. En effet, les auteurs de la
Constitution de 1991 « attribuent (…) le pouvoir de modifier le statut constitutionnel à l’individu ou au
collège auxquels ils entendent assurer une situation politique privilégiée dans l’Etat »93. Ce privilège est
accordé par l’article 109 de la Constitution de 1991 exclusivement aux institutions politiques plus
précisément au chef de l’Etat qui dispose d’une prédominance en la matière et au Parlement dont le rôle
est formellement revalorisé.

1/-La prédominance du chef de l’Etat


Les Constitutions africaines prévoient des solutions plus ou moins identiques, avec quelques
variantes. Ainsi, par exemple, si au Niger (article 134), en Guinée (article 91 al. 1), en Côte d’Ivoire
(article 124), au Cameroun (article 63 de la Constitution de 1972, version de 1996), au Congo (article
185 al. 1), au Mali (article 118 al. 1), l’initiative présidentielle est discrétionnaire ou souveraine, dans
d’autres Etats, celle-ci est plus ou moins encadrée ou soumise à condition. Les formules varient selon

91 G. Liet-Veaux, « La fraude à la Constitution », RDP, 1943, pp. 140 et suiv.


92 Notons néanmoins que la Constitution française de 1793 conférait aux Assemblées primaires de citoyens pour demander la
convocation d’une Convention (assemblée constituante). De même en Suisse, au Burkina Faso et dans certains Etats fédérés
des USA, l’initiative peut venir des populations sous forme de pétition portant un nombre minimum de signatures soumise aux
Assemblées parlementaires ou directement par référendum.
93 Georges Burdeau, Traité de science politique, t. 4. Le statut du pouvoir dans l’Etat, Paris, LGDJ, 1986, p. 236

35
les textes. Au Bénin (article 154), l’initiative appartient au Président de la République après décision du
Conseil des ministres, tandis qu’au Togo, dans une optique de réhabilitation de la fonction « primo
ministérielle », le Président de la République initie la révision constitutionnelle sur proposition du
Premier ministre (article 144 al. 1).
Au Gabon, le chef de l’Etat occupe une place également prééminente dans l’ordre des
institutions politiques bénéficiant du droit d’initiative de révision constitutionnelle. L’article 109 al. 1
de la Constitution de 1991 dispose que « l’initiative de la révision appartient (…) au président de la
République (…) ». Cet article confirme ainsi la primauté de l’institution présidentielle dans le système
politique gabonais. Toutefois, la Constitution précise que « (…) le Conseil des ministres entendu (…) ».
Ce qui veut dire que tout projet de révision initié par le chef de l’Etat doit être adopté en Conseil des
ministres. Cette condition permet aux ministres de participer ainsi à la procédure de révision
constitutionnelle en donnant leur accord ou leur désapprobation. En pratique, il est inconcevable que les
ministres puissent contester ni même amender le texte de révision en profondeur. Tout au plus, le conseil
des ministres peut essayer de l’améliorer dans le sens voulu par le chef de l’Etat. Mais en général, les
membres du gouvernement, réunis, adoptent sans hésitation et sans amendement le projet initié par le
président de la République.
En pratique, le chef d’Etat gabonais a exercé directement ce pouvoir de révision
constitutionnelle à cinq reprises sur sept, plus précisément en 1994, en 1995, 1997, 2010, 2018 et en
2021. Ce qui montre bien une prédominance du chef de l’Etat en matière d’initiative de la révision
constitutionnelle. Toutefois, cette prévalence présidentielle dans ce domaine n’est plus, en théorie,
absolue comme sous le parti unique puisque le rôle du Parlement y a été formellement revalorisé.

2/ - La revalorisation formelle du rôle du Parlement


L’initiative appartient aux membres du Parlement, c’est-à-dire aux députés dans le cadre d’un
Parlement monocaméral (Mali, Niger, Bénin, Guinée, Côte d’Ivoire, Togo, Tchad, Centrafrique, etc.)
auxquels il faut ajouter les sénateurs dans les Parlements bicaméraux (Gabon, Cameroun, Congo
Brazzaville, etc.).
L’initiative parlementaire peut être personnelle ou individuelle (Congo Brazzaville). Ce qui veut
dire que tout parlementaire, qu’il soit de la majorité ou de l’opposition, peut initier une révision
constitutionnelle. Dans d’autres cas, l’initiative n’est prise en compte que si elle émane de la majorité
simple des députés (Burkina Faso), d’un tiers des parlementaires de chaque Chambre des Parlements
camerounais, d’un cinquième des députés togolais, de deux tiers des députés centrafricains, de trois
quarts des députés béninois.
Aux USA, ce sont les deux Chambres du Congrès d’une part, les législatures d’Etats, d’autre
part, qui bénéficient de l’initiative constitutionnelle.
La Constitution gabonaise de 1991, renforce formellement le droit d’initiative parlementaire en
matière de révision constitutionnelle. L’article 109 al. 1 dispose que, outre le président de la République,
« l’initiative de la révision appartient (…) aux membres du Parlement ».
La procédure relative à la proposition de révision a connu une évolution notable. En effet, dans
sa rédaction initiale, l’article 109 al. 2 indiquait que « toute proposition de révision doit être déposée au
Bureau de l’Assemblée nationale par au moins un tiers des députés ». Cette formulation s’explique par
le fait que le Parlement gabonais établi par la Constitution initiale de 1991 était monocaméral. Mais,
depuis l’instauration du bicaméralisme par la loi n°1/94 du 18 mars 199494, les sénateurs disposent aussi
de l’initiative de la révision constitutionnelle. L’article 109 al. 2 nouveau dispose que « toute proposition
de révision doit être déposée au Bureau de l’Assemblée nationale par au moins un tiers des députés ou
au bureau du Sénat par au moins un tiers des sénateurs ». Cette disposition met en relief le caractère
égalitaire du bicaméralisme gabonais en matière d’initiative de la révision constitutionnelle.
Comme tout projet de révision, toute proposition de révision ainsi que tout amendement y relatif
est aussi soumis pour avis à la Cour constitutionnelle dans les mêmes conditions95.
En pratique, les parlementaires gabonais notamment les députés ont initié deux propositions de
révision constitutionnelle en octobre 2000 et en août 2003. Ce qui montre bien que le Parlement n’est
plus, du moins théoriquement, un simple décor institutionnel. Cet exercice du droit d’initiative de la

94 Cf. Jean-Pierre Kombila, Le Constitutionnalisme au Gabon, op. cit., addendum, pp. 210-215.
95 Avis n°1/CC du 8 octobre 2000, op. cit.

36
révision constitutionnelle par le Parlement met ainsi en exergue le processus et la volonté de
redynamisation d’une institution largement phagocytée sous le parti unique.
Par ailleurs, et contrairement à la première décennie de la restauration de la démocratie, les
parlementaires ont procédé aux amendements des projets de révision constitutionnelle de 2011 et 2018.
Toutefois, cette montée en puissance du Parlement ne doit pas être surestimée. En effet, sur le
plan politique, le chef de l’Etat, juge de l’opportunité de toute initiative parlementaire de révision
constitutionnelle, exerce, un « contrôle de proportionnalité » sur la proposition de révision en décidant
de l’ampleur des réformes et la période choisie. La révision constitutionnelle à l’initiative des
parlementaires est donc autorisée, voulue et parfois même inspirée directement par le chef de l’Etat et
ne constitue en aucun cas, du moins pour le moment, une technique de restauration du Parlement.
Toutefois, son succès est à porter au crédit de ceux qui l’ont engagée et conduite à son terme. Elle
valorise leur image aux yeux du chef de l’Etat et obéit donc à une stratégie de séduction.
L’influence du chef de l’Etat s’observe aussi en matière d’adoption de la révision
constitutionnelle dont les modalités sont fixées par la Loi fondamentale.

B- Les modalités d’adoption du texte de révision constitutionnelle

C’est la Constitution du 26 mars 1991 elle-même qui fixe les modalités d’adoption du texte de
révision constitutionnelle. Selon l’article 116 al. 4 de cette Constitution, « la révision est acquise soit
par voie de référendum, soit par voie parlementaire ». La Constitution établit donc une certaine
hiérarchie entre les deux modalités : la voie du référendum ou l’approbation populaire du texte de
révision et la voie parlementaire ou l’adoption du texte par les représentants du peuple

1/ - La voie du référendum
Généralement, l’adoption du texte de révision constitutionnelle par la voie parlementaire
constitue une option et non une obligation ; le texte pouvant être adopté également par la voie
référendaire. C’est ce que prévoient les Constitutions du Bénin (article 155), du Cameroun (article 63)
et du Gabon (article 116 al. 4).
D’autres textes constitutionnels prévoient que le référendum est la seule voie d’adoption des
lois de révision constitutionnelle. C’est le cas des articles 186 in fine et 118 al. 1 des Constitutions
congolaise et malienne qui disposent, dans une formule identique, que « la révision n’est définitive
qu’une fois approuvée par le référendum » à la majorité des suffrages exprimés.
Le recours au référendum pour l’adoption d’un projet ou d’une proposition de révision
constitutionnelle, contrairement à certaines Constitutions africaines96 ou à la Constitution française de
195897, n’est pas obligatoire dans la Constitution gabonaise de 199198 ni même dans les précédentes. Il
s’agit simplement d’une solution alternative à l’adoption de la réforme constitutionnelle par le
Parlement. Ce qui veut dire que si le Parlement est dans l’impossibilité d’adopter une révision
constitutionnelle, le peuple souverain peut être appelé à adopter la proposition ou le projet de révision.
C’est donc le Parlement qui dispose d’une compétence de principe et le peuple, d’une compétence
d’exception en matière de révision constitutionnelle.
La procédure du référendum est celle établie par l’article 18 de la Constitution gabonaise.
L’initiative appartient au président de la République, sur sa propre initiative ou sur proposition du
Gouvernement ou du Parlement, c’est-à-dire de l’Assemblée nationale, et, depuis la révision constitution
du 11 octobre 2000, du Sénat prise à la majorité absolue.
Ainsi, exclu de l’initiative de la révision constitutionnelle, le peuple souverain est associé à la
phase ultime d’adoption du texte de révision pour exercer son « pouvoir de suffrage constituant »99.

96 L’article 224 al. 1 de la Constitution tchadienne du 14 avril 1996 dispose que « La révision constitutionnelle est approuvée
par référendum ». Mais l’alinéa 2 du même article prévoit une majorité des 3/5 des deux Chambres du Parlement uniquement
pour une révision technique ; l’article 91 al. 2 de la Constitution guinéenne du 23 décembre 1990 et l’article 118 al. 2 de la
Constitution malienne du 25 février 1992 disposent en termes identiques et comme la Constitution française de 1958 que « la
révision n’est définitive qu’après avoir été approuvée par référendum ».
97 L’article 89 al. 2 dispose que « la révision est définitive après avoir été approuvée par référendum ».
98 Samuel Ntoutoume Ndzeng, un des membres influents de la société civile gabonaise, souligne par contre que « les Gabonais

doivent être consultés lorsque les options essentielles de leur Loi fondamentale sont touchées ». Cf., Entretien accordé à
L’Union, 7 septembre, juin 2003.
99 Olivier Beaud, La puissance de l’Etat, Paris, PUF, coll. « Léviathan », 1994, p. 291.

37
Pratiquement, au Gabon, le peuple a été sollicité une fois depuis l’indépendance du pays en
1960, notamment le 23 juillet 1995 pour l’adoption du projet de révision constitutionnelle, en
l’occurrence la ratification des accords de Paris de septembre 1994.
Ce référendum organisé le 23 juillet 1995 a été un véritable plébiscite constituant avec 96,48%
pour le oui et 3,52% pour le non et un taux d’abstention de 36,45%100. Le texte adopté a été promulgué
par la loi n°1/95 du 29 septembre 1995.
Ce recours au référendum pour l’adoption du texte de révision en 1995 apparaît comme un
renforcement de la démocratie directe au Gabon. Mais, en pratique, le chef de l’Etat n’a accepté de
convoquer le peuple pour ratifier les accords de Paris que parce qu’ils ont eu pour effet la garantie de
son mandat par un peuple politiquement analphabète.
Mais, la victoire en matière référendaire n’étant pas acquise par avance en raison de la flexibilité
du comportement électoral, le chef de l’Etat préfère la voie parlementaire pour l’adoption du texte de
révision constitutionnelle.

2/-La voie parlementaire


La voie parlementaire comprend l’examen et l’adoption du texte de révision. Le Parlement
assure ici un contrôle sur la loi de révision comme en matière de lois organiques ou ordinaires.
En général, tout projet de révision de la Constitution est déposé sur le bureau de l’Assemblée
nationale, de façon exclusive dans les Parlements monocaméraux ou même dans les systèmes à deux
Assemblées en vertu du principe du bicaméralisme inégalitaire. Toutefois, dans les Parlements
bicaméraux plus ou moins équilibrés, toute proposition de révision peut être déposée soit au bureau de
l’Assemblée nationale, si elle émane des députés, soit au bureau du Sénat si elle provient des sénateurs.
Le texte soumis est ensuite transmis à la Commission des lois de la Chambre saisie pour examen,
voire amendement, avant de venir en séance plénière. La procédure est rigoureusement réglementée par
les règlements des Assemblées. En séance plénière, le texte peut également faire l’objet d’amendements.
Au Gabon, initialement, l’adoption du texte par la voie parlementaire nécessite la majorité des
deux tiers des membres de l’Assemblée nationale101. Mais depuis la réforme constitutionnelle de 1997,
c’est le Parlement réuni en Congrès qui doit adopter le texte de révision et avant la réunion de ce
Congrès, le projet ou la proposition de révision doit « être voté respectivement par l’Assemblée nationale
et par le Sénat en des termes identiques »102. Toutefois, la Constitution est silencieuse sur la procédure
à suivre si le texte de révision n’est pas adopté en termes identiques. Ce silence de la Constitution
pourrait contribuer à la mise en cause du caractère rigide de la Constitution de 1991. En effet, faute de
disposition constitutionnelle expresse, si les deux Chambres ne parviennent pas à voter un texte
identique, c’est bien la procédure d’adoption des lois ordinaires prévue par l’article 58a qui pourrait
s’appliquer portant ainsi atteinte à la suprématie de la Constitution.
En pratique, jusqu’à la révision de 2011, les deux Chambres ont toujours voté le texte de
révision en termes identiques. Une fois le texte voté par chaque Chambre, le Parlement se réunit en
Congrès. La présidence du Congrès est assurée par le président de l’Assemblée nationale et le Bureau
du congrès est celui de l’Assemblée nationale.
Toutefois, cette procédure linéaire a été remise en cause lors de la révision constitutionnelle de
2018. En effet, les deux Chambres du Parlement ont adopté le texte en total désaccord. L’Assemblée
nationale, par 105 voix pour, 5 contre et une abstention, a adopté le projet de révision constitutionnelle,
avec plusieurs amendements, le 14 décembre 2017. Quant au Sénat, faute de temps à la fin de la session
parlementaire le 29 décembre 2017, il n’a pu examiner le projet qu’après la convocation, par le Président
de la République, du Parlement en session extraordinaire, par décret n°00375/PR du 28 décembre 2017.
C’est dans ce cadre que la Chambre haute a adopté le projet de révision, avec, pour la première fois plusieurs
amendements en termes non identiques, le 4 janvier 2018, soit 74 voix pour, 1 contre et 5 abstentions. Les
désaccords portaient, entre autres, sur le paragraphe 24 du titre préliminaire, les articles 4, 8, 12, 36, 76 et
114.
Conformément à l’article 58 ancien de la Constitution, le Premier ministre a convoqué les Chambres en
vue de la mise en place d’une Commission mixte paritaire en vue de l’adoption du texte en termes

100 Tim Auracher, Le Gabon, une démocratie bloquée ? Reculs et avancées d’une décennie de lutte, op. cit., p. 89.
101 Article 116 al. 4 ancien.
102 Article 116 al. 4 nouveau.

38
identiques. Le projet de texte final a été adopté le 5 janvier 2018. Toutefois, avant son adoption définitive
par le Parlement réuni en congrès, le Premier ministre, conformément à l’article 116 de la Constitution, a
soumis à la Cour constitutionnelle, pour avis, les amendements faits par le Parlement sur certains articles
du projet de révision. Dans son avis du 10 janvier 2018, la Cour constitutionnelle a censuré certains
amendements jugés non conformes à la Constitution et d’autres ont été reformulés. Convoqué le même
jour, le Congrès du Parlement a adopté le projet avec 197 voix pour, 14 contre et 2 abstentions sur 213
parlementaires, soit une présence d’au moins 2/3 des membres du Parlement et une majorité de plus de 2/3
exigés par l’article 116 de la Constitution. Ces conditions mettent en exergue le caractère rigide103 de la
Constitution gabonaise, du moins formellement.
Concrètement, le Parlement gabonais détient le monopole en matière d’adoption du texte de
révision constitutionnelle. C’est ainsi que les révisions constitutionnelles du 18 mars 1994104, du 22 avril
1997105, du 11 octobre 2000106, du 19 août 2003107, du 12 janvier 2011, du 12 janvier 2018 et du 11
janvier 2021 ont été adoptées par la voie parlementaire.

§ 2 : Le contrôle de la loi de révision constitutionnelle


Le contrôle de la loi de révision constitutionnelle pose le problème du caractère du pouvoir
constituant dérivé qui se confond souvent avec celui du pouvoir constituant originaire.. Ce principe a
été clairement posé par le Conseil constitutionnel français, repris par celui du Sénégal108, en termes
clairs : « Le pouvoir constituant est souverain ; il lui est loisible d’abroger, de modifier ou de compléter
des dispositions de valeur constitutionnelle dans la forme qu’il estime appropriée »109. C’est
naturellement dans cette optique que le Conseil constitutionnel, a refusé, le 26 mars 2003110, d’assurer
un contrôle de constitutionnalité sur la loi de révision constitutionnelle.
Pourtant, malgré ce « repli du juge constitutionnel » français, certains constituants africains
francophones ont consacré expressis verbis le contrôle des lois constitutionnelles. C’est le cas des
Constitutions gabonaise du 26 mars 1991, burkinabé du 2 juin 1991111, congolaise du 20 janvier 2002112
et centrafricaine de 2004113.
En suivant le juge constitutionnel malien, nous dirons que le contrôle de constitutionnalité de la
loi constitutionnelle « consiste à l’analyser pour déterminer si l’autorité qui en a pris l’initiative est
habilitée à le faire de par la Constitution ; si le quorum indiqué par la Constitution a été atteint lors de
son vote par l’Assemblée nationale ; si son vote n’a pas eu lieu alors qu’il est porté atteinte à l’intégrité
103 Jean-Louis ATANGANA AMOUGOU, « Les révisions constitutionnelles dans le nouveau constitutionnalisme africain »,
Afrique Juridique et Politique, n°2, juillet-décembre 2006, pp. 44-84, lire pp. 52 et s. ; D. BREILLAT, « Le bicamérisme dans
le monocamérisme », Mélanges P. GELARD, Paris, Montchrestien, 1999, pp. 347-354.
104 Voir L’Union, 19 et du 21 mars 1994.
105 Cf., L’Union, 23 avril 1997.
106 153 voix pour et 40 contre, 2 abstentions et 1 nul. Cf., L’Union du 10 octobre et du 12 octobre 2000.
107 183 voix pour et 5 contre, voir L’Union, 31 décembre 2003.
108 Décision du Conseil constitutionnel du 18 janvier 2005 : « Considérant que le pouvoir constituant est souverain, que sous

réserve, d’une part, des limitations qui résultent des articles 39, 40 et 52 (de la Constitution) (…) et, d’autre part, du respect
des prescriptions de l’alinéa 7 de l’article 103 (…), il peut abroger, modifier ou compléter des dispositions de valeur
constitutionnelle dans la forme qu’il estime appropriée et introduire explicitement ou implicitement dans le texte de la
Constitution des dispositions nouvelles qui, dans le cas qu’elles visent, dérogent à des règles ou principes de valeur
constitutionnelle, que cette dérogation soit transitoire ou définitive » (3e considérant).
109 CC, 2 septembre 1992, 91-312 DC, Traité de Maastricht II sur l’Union européenne, Rec. p. 76. Voir, Olivier Beaud,

« Maastricht et la théorie constitutionnelle », LPA, n°39, 31 mars 1993, pp. 14 et s. et n°40, 2 avril 1993, pp. 7 et s.
110 CC 26 mars 2003, 2003-469 DC, Révision constitutionnelle, Rec. p. 293. Pour commentaire, voir, entre autres, L.

FAVOREU, « L’injusticiabilité des lois constitutionnelles, observation sous CC, décision n°2003-469 DC du 26 mars 2003 »,
RFDA, juillet-août 2003, pp. 793 et s.
111 Article 154 in fine : « Le Conseil constitutionnel veille au respect de la procédure de révision de la Constitution ». Les

articles 34 à 36 de la loi organique n°011-2000/AN du 27 avril 2000 sur le Conseil constitutionnel burkinabé précisent que ce
dernier a le pouvoir d’annuler une loi de révision constitutionnelle.
112 Article 186 al. 1 et 2 : « Lorsqu’il émane du Président de la République, le projet de révision est soumis directement au

référendum, après avis de conformité de la Cour constitutionnelle.


Lorsqu’elle émane du Parlement, la proposition de révision doit être votée par les deux tiers des deux Chambres du Parlement
réuni en Congrès, après avis de conformité de la Cour constitutionnelle ».
113 Article 76 : « Les projets ou propositions de lois constitutionnelles sont déférées pour avis à la Cour constitutionnelle par le

Président de la République ou le président de l’Assemblée nationale avant d’être soumis au référendum ou au vote de
l’Assemblée nationale ».

39
du territoire et enfin si elle n’a pas révisé les normes qui de par la Constitution ne peuvent faire l’objet
d’une révision »114.
Cette soumission du texte de révision et de tout amendement permet à la juridiction
constitutionnelle non seulement d’assurer le contrôle de la régularité de la procédure mais aussi de
vérifier, sur le fond, la compatibilité du texte de révision avec l’ensemble des dispositions
constitutionnelles et notamment le respect des limitations prévues par la Constitution115.

A- Le contrôle procédural

Dans le cadre de ce contrôle, le juge vérifie que le texte soumis à son examen a été adopté
conformément aux prescriptions constitutionnelles relatives à la procédure de révision constitutionnelle.
C’est ce qui ressort de l’avis n°1/CC du 8 octobre 2000 de la Cour constitutionnelle gabonaise déclarant
la conformité à la Constitution de la proposition de loi portant modification de la Constitution de 1991 :
« Il résulte de l’instruction du dossier soumis à l’examen de la Cour (…) que la procédure de révision
prescrite par les dispositions constitutionnelles a été observée (…). Par conséquent, la procédure suivie
en vue de la révision de la Constitution est régulière »116.
Les prescriptions constitutionnelles relatives à la procédure de révision sont variables et diverses. Mais,
globalement, cette procédure s’opère en trois phases sous le contrôle du juge : une phase initiative, c’est-
à-dire d’élaboration et de transmission du texte, une phase parlementaire comprenant l’examen et le vote
et éventuellement une phase populaire.

1/-Le contrôle de la phase initiative


Dans l’ensemble, les constituants africains confèrent le monopole de l’initiative de la révision
constitutionnelle aux institutions politiques117 et plus précisément au Chef de l’Etat et accessoirement
au Parlement. L’office du juge est de vérifier que l’initiative provient effectivement de ces institutions
politiques.
Une fois que le texte présidentiel est adopté et transmis au Parlement, la procédure de révision
est totalement engagée. C’est ce qu’a indiqué le Conseil constitutionnel ivoirien dans son avis du 24
juillet 2004. Saisi par le Président de la République aux fins de savoir s’il pouvait « simplement
transmettre la loi portant révision de l’article 35 de la Constitution sans que cette transmission ne donne
lieu à un examen et ne soit ainsi analysée comme l’engagement de la procédure de révision
constitutionnelle », le juge constitutionnel a répondu que « le Président de la République, en élaborant
et en transmettant à l’Assemblée nationale le projet de loi portant révision constitutionnelle exécute
intégralement la phase de la procédure de révision à lui réservée et engage conséquemment et
nécessairement la procédure de révision et ce, d’autant plus que le Président de la République ne
pouvant légalement enjoindre les membres de l’Assemblée nationale à surseoir à l’examen et au vote
du texte transmis, il leur est loisible de donner à celui-ci la suite qu’ils jugent convenable, peu importe
que ledit texte soit ou non “simplement” transmis, c’est-à-dire sans qu’il soit destiné à recevoir une
suite »118.
L’initiative appartient également aux membres du Parlement, soit de façon individuelle, soit de
manière collective avec néanmoins l’exigence d’une majorité qui varie selon les Constitutions. Le juge

114 Arrêt n°01-128 du 12 décembre 2001, 11e considérant. Les avis et décisions des juridictions constitutionnelles africaines
cités dans cet article sont disponibles sur les sites de l’Association des Cours et Conseils constitutionnels ayant en partage
l’usage du Français (www.accpuf.org) et de l’Organisation internationale de la Francophonie (www.francophonie.org).
115 C’est d’ailleurs ce que prévoit l’article 64 de la loi n°17.004 du 15 février 2017 portant organisation et fonctionnement de

la Cour constitutionnelle de la République centrafricaine : « L’avis porte notamment sur la régularité de la procédure et la
compatibilité de la modification avec l’ensemble des dispositions constitutionnelles ».
116 In Hebdo informations, n°428, 14-28 octobre 2000, p. 179. Cet avis a été confirmé par la Cour. Voy. Décision n°2/CC du

17 février 2004, Hebdo informations, n°483, 27 mars 2004, p. 53. Voy. aussi, dans le même sens, la décision du Conseil
constitutionnel tchadien du 26 février 2001, op. cit.
117 Sur le cas gabonais, voy., T. ONDO, « Essai d’analyse sur la révision de la Constitution gabonaise du 26 mars 1991 », RJP,

n°2, 2005, pp. 155-184, p. 160. Notons que de façon exceptionnelle, le constituant burkinabé a démocratisé le droit d’initiative
de la révision constitutionnelle en le conférant « au peuple lorsqu’une fraction d’au moins trente mille personnes ayant le droit
de vote, introduit devant l’Assemblée nationale une pétition constituant une proposition rédigée et signée » (article 161 in fine).
118 Avis n°006/AC/CC du 24 juillet 2004 (4 e considérant), op. cit.

40
exerce sur cette étape un contrôle strict. Dans sa décision n°06-074 du 8 juillet 2006119, la Cour
constitutionnelle du Bénin a indiqué que cette phase de prise en considération du projet ou de la
proposition « qui engage la procédure ne saurait être escamotée (…) ; qu’il résulte néanmoins des
éléments du dossier (…) que la première étape de la procédure de révision n’a pas été observée par
l’Assemblée nationale ; que dès lors l’Assemblée nationale a violé la Constitution » (25e considérant).
Dans l’ensemble, le juge vérifie que non seulement les auteurs de la révision de la Constitution
sont bien ceux prévus par le texte constitutionnel, mais aussi que l’exigence de majorité qualifiée pour
l’approbation de cette initiative et la preuve de l’adhésion des élus ont été respectées. Ainsi, à un
requérant demandant à la Cour constitutionnelle gabonaise de modifier certaines dispositions
constitutionnelles, la Haute juridiction a répondu qu’« il résulte des prescriptions légales (…) que seules
les autorités publiques limitativement énumérées peuvent prendre l’initiative d’une révision ; qu’il
s’ensuit que la Cour n’est pas compétente pour initier une telle révision » (5e considérant). Par
conséquent, la Cour a rejeté la requête120.
De même, la Cour constitutionnelle centrafricaine, après avoir indiqué que la liste des 101
députés correspond aux deux tiers exigés par la Constitution pour toute initiative parlementaire, a
néanmoins jugé qu’en contactant les députés les uns après les autres pour recueillir leurs signatures,
l’Assemblée nationale a violé la Constitution qui exige que « l’approbation des députés soit donnée en
plénière, tous les députés étant rassemblés afin de pouvoir statuer sur l’initiative de révision de la
Constitution »121. Par conséquent, elle a estimé que la procédure utilisée pour recueillir la signature des
députés et ainsi rapporter la preuve de leur adhésion à l’initiative n’est pas conforme à l’article 151 de
la Constitution.
En dehors de ce contrôle de l’initiative, telle que prévue par la Constitution, le juge
constitutionnel africain a ajouté une autre condition de forme liée à l’initiative, le consensus. C’est la
Cour constitutionnelle du Bénin qui a inauguré ce principe dans sa décision du 8 juillet 2006.
Saisie par le Président de la République et quelques députés aux fins d’un contrôle de
constitutionnalité d’une loi portant révision de la Constitution régulièrement adoptée par l’Assemblée
nationale, mais prorogeant d’un an le mandat des députés, la Cour constitutionnelle béninoise, dans cette
décision, a déclaré inconstitutionnel le texte dans les termes suivants :
« Considérant que ce mandat de quatre ans, qui est une situation constitutionnellement établie,
est le résultat du consensus national dégagé par la Conférence des Forces Vives de la Nation de février
1990 et consacré par la Constitution en son Préambule qui réaffirme l’opposition fondamentale du
peuple béninois à (…) la confiscation du pouvoir ; que même si la Constitution a prévu les modalités de
sa propre révision, la détermination du peuple béninois à créer un Etat de droit et de démocratie
pluraliste, la sauvegarde de la sécurité juridique et de la cohésion nationale commandent que toute
révision tienne compte des idéaux qui ont présidé à l’adoption de la Constitution du 11 décembre 1990,
notamment le consensus national, principe de valeur constitutionnelle ; qu’en conséquence, les article 1
et 2 de la loi constitutionnelle n°2006-13 adoptée par l’Assemblée nationale le 23 juin 2006, sans
respecter le principe à valeur constitutionnelle ainsi rappelé, sont contraires à la Constitution ».
Dans la même veine, la Cour constitutionnelle centrafricaine, dans son avis n°015/CC/20 du 05
juin 2020, a jugé, à propos d’une proposition de révision de la Constitution, qu’une « prolongation du
mandat des députés par eux-mêmes, à l’approche des élections et sans large concertation préalable n’est
pas conforme à l’exigence consensuelle de la Constitution du 30 mars 2016 ». Par conséquent, elle a
rejeté la proposition de révision de la Constitution.
Au regard de cette décision et de cet avis, les juges béninois et centrafricain érigent ainsi le
consensus national soit en « principe de valeur constitutionnelle », soit en exigence constitutionnelle,
qui doit être respecté par le pouvoir constituant dérivé. Ils ajoutent donc une nouvelle limitation
procédurale influant sur le fond qui s’impose au constituant dérivé.
Une fois cette phase bouclée dans le respect des règles constitutionnelles, s’ouvre alors la phase
typiquement parlementaire qui peut être suivie de la phase populaire.

119 B. Coulibaley, « La neutralisation du parlement constituant (à propos de la décision, n° DCC 06-074 du 8 juillet de la Cour
constitutionnelle du Bénin », RDP, n° 5, p. 1494-1515.
120 Décision n°2/CC du 17 février 2004, op. cit.
121 Avis n°015/CC/20 du 05 juin 2020 relatif à la révision de certaines dispositions de la Constitution du 30 mars 2017.

41
2/-Le contrôle des phases d’adoption parlementaire et populaire
La phase parlementaire comprend l’examen et l’adoption du texte de révision.
Une fois le texte adopté, il est transmis au Président de la République dans les quarante-huit heures pour
promulgation122. Le non-respect de cette règle a été sanctionné par la Cour constitutionnelle du Bénin.
Dans sa décision du 8 juillet 2006, la Cour a indiqué que « la loi portant modification de la Constitution
a été votée le 23 juin 2006 mais transmise au Président de la République le 27 juin 2006, soit plus de
quarante-huit heures après ; qu’en agissant ainsi qu’il l’a fait, le président de l’Assemblée nationale a
violé la Constitution plus précisément la procédure de révision de la Constitution » (23e considérant).
De même, selon le juge constitutionnel malien, lorsque le texte de révision constitutionnelle publié
s’avère différent de celui voté par le Parlement, « il est en toute logique inconstitutionnelle car n’ayant
pas été voté dans son entièreté et tel quel par l’Assemblée nationale à la majorité requise conformément
à la Constitution »123.
Généralement, l’adoption définitive du texte de révision constitutionnelle peut être faite soit par
la voie parlementaire, soit par référendum.
Dans d’autres Etats comme le Niger (article 135) et le Togo (article 144), l’organisation du
référendum est la seule option si le Parlement n’a pas pu adopter le texte de révision à la majorité
qualifiée ou en cas d’inexistence pratique d’une seconde Chambre constitutionnellement créée. Cette
dernière hypothèse s’est produite au Gabon. A la suite de la signature des Accords de Paris en septembre
1994, s’est posée, devant la Cour constitutionnelle, la question de savoir si ces Accords sont des actes
juridiques pouvant être ratifiés par le Parlement et si la révision de la Constitution peut être adoptée par
voie parlementaire ou par voie de référendum. Dans sa décision du 20 janvier 1995124, la Cour a répondu
en deux temps.
Sur la ratification des Accords de Paris, elle a décidé qu’ils sont seulement l’expression d’une
volonté des acteurs politiques gabonais et que, par conséquent, ils ne peuvent faire l’objet d’aucune
ratification.
Sur les modalités d’adoption du texte de révision, la Cour a indiqué que « dans l’attente de la
mise en place du Sénat (…), l’examen (ou l’adoption) de tout projet ou de toute proposition de révision
par voie parlementaire apparaît impossible (…) ; qu’en l’état, la révision de la Constitution ne peut être
acquise que par voie de référendum ». Dans une optique de pacification des rapports politiques et
sociaux, cette décision du juge constitutionnel gabonais aurait dû inspirer le constituant dérivé
camerounais lors de la révision de la Constitution de 1972 (version 1996) et son adoption par la seule
Assemblée nationale en avril 2008 en l’absence pratique du Sénat125.
Les lois constitutionnelles adoptées par référendum ne sont pas soumises au même contrôle
strict dès lors qu’elles sont l’expression même de la volonté du peuple souverain126. Toutefois, la loi
organique sur la Cour constitutionnelle du Gabon consacre un contrôle en amont. En effet, ce texte
précise que la Haute juridiction est consultée par le Président de la République ou par le Premier ministre
sur la conformité à la Constitution de la question posée aux citoyens ainsi que sur l’organisation des
opérations de référendum et qu’elle porte toutes observations qu’elle juge utiles, notamment sur la
loyauté et la clarté de la consultation127. Ainsi, dans sa décision n°1/95/CC du 27 avril 1995 relative au
référendum constitutionnel, la Cour, après avoir indiqué que la question posée aux citoyens n’est pas
contraire à la Constitution, l’a toutefois reformulée de façon plus explicite en ces termes : « Etes-vous

122 Article 92 al. 1 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale du Bénin et article 52 al. 2 de la Constitution béninoise de
1990.
123 Cour constitutionnelle du Mali, arrêt du 12 décembre 2001, 24 e considérant, op. cit.
124 Décision n°001/95/CC du 20 janvier 1995, in La Cour constitutionnelle 1992-1995, p. 261.
125 E. KENFACK TEMFACK, « Le Sénat, la limitation du mandat présidentiel et la révision de la Constitution au Cameroun »,

Les Cahiers de développement du droit, n°003, février-mars 2008, pp. 8-10 ; M. E. OWONA NGUINI, « Révision
constitutionnelle : la stratégie du RDPC dévoilée », http://cameroonconstitution.com et http://www.lanouvelleexpression.net.
Il convient de noter toutefois que l’article 67 al. 3 de la Constitution camerounaise attribue bien à l’Assemblée nationale
« l’ensemble des prérogatives reconnues au Parlement jusqu’à la mise en place du Sénat ». De même, l’article 235 de la
Constitution tchadienne de 1996 prévoyait qu’« en attendant la mise en place du Sénat, les attributions de ce dernier sont
dévolues à l’Assemblée nationale ».
126 L’article 110 de la loi organique sur la Cour constitutionnelle gabonaise indique clairement qu’« une loi référendaire ne peut

être déférée à la Cour constitutionnelle en ce qu’elle constitue l’expression directe de la souveraineté nationale ».
127 Article 103 de la loi organique sur la Cour constitutionnelle.

42
pour la modification des articles 39, 84 et 118 de la Constitution, selon le projet de loi ci-joint, en vue
de la ratification des Accords de Paris ? »128.
Le juge constitutionnel assure également un contrôle du respect des limites constitutionnelles.

B- Le contrôle du respect des limitations prévues par la Constitution


Le principe de limitation du pouvoir constituant dérivé est acquis en droit constitutionnel
contemporain. Les limitations sont d’ordre formel et d’ordre matériel. Dans les deux cas, le juge
constitutionnel exerce un contrôle dans l’ensemble limité.
1/-Le contrôle du respect des limites d’ordre formel
La révision constitutionnelle est prohibée au cours de certaines périodes ou circonstances129.
Ainsi, en France par exemple, selon la décision du Conseil constitutionnel du 2 septembre 1992, aucune
procédure de révision constitutionnelle ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu’il est porté atteinte à
l’intégrité du territoire (article 89 de la Constitution), en cas de mise en œuvre des pouvoirs de crise par
le Président de la République (article 16 de la Constitution) et en cas de vacance de la présidence de la
République (article 7 de la Constitution).
Plusieurs Constitutions africaines ont repris, à leur compte, certaines de ces limites
circonstancielles. Il en est ainsi, en ce qui concerne la vacance de la magistrature suprême, des textes
constitutionnels béninois (article 50 al. 1), togolais (article 144) et camerounais (article 6 al. 4b). La
Constitution tchadienne (article 226) prévoit en outre l’interdiction de toute révision lorsque le Chef de
l’Etat exerce les pouvoirs exceptionnels. Cette interdiction s’appuie sur le fait que ces pouvoirs ont en
vue la sauvegarde de l’Etat et des institutions. Dès lors, la dictature ainsi placée dans les mains du
Président de la République est conservatrice, c’est-à-dire, pour reprendre Prelot, « republicae servandae
et restituendae ». Elle ne peut donc être constituante, d’où, si une révision de la Constitution était
envisagée on entamée, le gel de toute activité dans ce domaine.
La Loi fondamentale gabonaise (article 109) reprend ces prohibitions en ajoutant, outre l’intérim
du Président de la République, la période qui sépare la proclamation des résultats de l’élection
présidentielle du début d’un mandat présidentiel.
Enfin, selon une décision de la Cour constitutionnelle gabonaise du 30 avril 2018, la révision de
la Constitution ne peut être engagée par voie parlementaire pendant la période exceptionnelle au cours
de laquelle le juge constitutionnel conférait l’ensemble du pouvoir législatif au seul Sénat.
L’office du juge constitutionnel est de vérifier que la procédure de révision n’est pas engagée
ou poursuivie pendant ces différentes circonstances.
Le juge constitutionnel peut néanmoins contrôler également les limites d’ordre matériel.

2/- Le contrôle des limites d’ordre matériel


En Allemagne, l’article 79 al. 3 de la Constitution de 1949 interdit par exemple toute
modification qui « touche » aux éléments fondamentaux de l’ordre constitutionnel. De même, en Italie
(article 139 de la Constitution) et en France (article 89 in fine de la Constitution), « la forme républicaine
(de gouvernement) ne peut faire l’objet d’une révision constitutionnelle ».
Cette limitation matérielle reproduite dans la plupart des textes constitutionnels africains ne
devrait pas avoir une grande signification : ou bien l’objectif est d’interdire simplement une
hypothétique restauration de la monarchie ; ou bien derrière cette formule se cache le terme de
démocratie qui renvoie selon une liste non exhaustive au suffrage universel, au régime représentatif, à
la séparation des pouvoirs, etc. A l’évidence, l’utilisation du pouvoir de révision pour changer la forme
de l’Etat ou pour changer son principe de gouvernement, serait une tentative d’établissement d’une autre
Constitution, c’est-à-dire une tentative d’exercer le pouvoir constituant originaire. Le caractère flou et
imprécis de la formule usitée par de nombreux constituants fait qu’« il s’agit moins d’une limitation,
inefficace au demeurant (…), que la simple réaffirmation d’un attachement à la République ». C’est
sans doute la raison pour laquelle les constituants africains ont ajouté une pluralité d’autres limites
matérielles.

128 In Hebdo informations, n°315, 6 mai 1995, p. 82.


129 S. KARAGIANNIS, « Les révisions impossibles : l’obstacle temps et les Constitutions », RDP, n°4, 2002, pp. 1085-1125.

43
Ainsi, pour préserver les acquis démocratiques et éviter tout retour en arrière, les ingénieurs
constitutionnels ont consacré, selon des formules variées, les principes de la laïcité, de la séparation des
pouvoirs, de la démocratie pluraliste (Gabon, Cameroun), du système multipartiste (Mali, Niger,
Togo) auxquels il faut adjoindre notamment au Niger et dans une certaine mesure au Congo et au Bénin,
le nombre et la durée des mandats du Président de la République, les conditions d’éligibilité du Chef de
l’Etat , les incompatibilités aux fonctions de Chef de l’Etat, les droits et libertés fondamentaux des
citoyens, etc. La Constitution centrafricaine de 2016 fait la synthèse de ces principes en son article 153
en ajoutant le caractère non-révisable de cet article.
Ces différents principes obéissent tous à une logique démocratique. En tant que principes
suprêmes inviolables, ils ne peuvent faire l’objet d’une révision constitutionnelle.
L’office de la juridiction constitutionnelle consiste à vérifier que la loi de révision
constitutionnelle n’a pas porté atteinte à ces principes éternels inscrits dans la Constitution. Si tel est le
cas, le juge annule la loi de révision pour inconstitutionnalité ou donne un avis non conforme.

Chapitre 3 : L’autorité de la Constitution


Le principe des pouvoirs d’attribution est un élément essentiel de la théorie du statut du pouvoir de
l’Etat. Ce statut repose sur l’idée que l’institution étatique, titulaire du pouvoir étant distincte des
gouvernants, la validité juridique des actes de ceux-ci est subordonnée au respect d’un certain nombre
de règles. Cela signifie d’abord que les gouvernants ne possèdent aucun droit subjectif, c’est-à-dire
personnel à l’exercice du pouvoir. C’est en vertu de leur qualité d’organe institué, c’est-à-dire du titre
dont ils sont investis, qu’ils commandent. Ensuite, que leur volonté n’a de valeur juridique que si elle
est imputée à l’Etat ; ce qui n’est possible que lorsqu’elle s’est manifestée dans les conditions prévues
par la loi de leurs fonctions. Enfin que les attributions qui sont les leurs ne sont pas des droits, mais des
compétences. Pour cette raison, ils ne peuvent pas renoncer à les exercer de même qu’ils ne peuvent
empiéter sur le domaine d’action d’un autre organe ni déléguer à un autre l’exercice d’une fonction que
la Constitution a prévue pour eux. Ainsi, le principe des pouvoirs d’attribution définit le pouvoir des
gouvernants comme étant un pouvoir de droit qui s’impose aux représentants de l’institution étatique.
Ce qui exige que ses commandements doivent être émis selon les formes et procédures consacrées. En
conséquence, si des irrégularités de forme ou de fond sont constatées, des sanctions doivent intervenir
touchant, soit à la légitimité, soit à la validité juridique des actes, c’est-à-dire à leur conformité à la
légalité existante. A la base de cette légalité se situe la Constitution qui bénéficie de la plus haute autorité
et donc de la suprématie (Section 1) qui nécessite néanmoins d’être garantie (Section 2).

Section 1 : La suprématie de la Constitution


La suprématie de la Constitution est une donnée essentielle du droit constitutionnel contemporain et
consacré l’article 10 (1) de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance du
30 juin 2007130. Elle se manifeste par la hiérarchie des normes (§ 1). Toutefois, cette place de la norme
constitutionnelle est largement contestée aujourd’hui (§ 2).

§ 1 : La hiérarchie des normes


L’étude de la hiérarchie des normes renvoie à sa signification (A) et à sa mise en œuvre (B).

A-La signification du principe

Selon ce principe, dans l’Etat, aucune situation juridique ni aucune règle de droit ne peut être en
contradiction avec les dispositions constitutionnelles, la Constitution étant placée au niveau le plus élevé
de l’ordonnancement juridique qui régit l’Etat. Cette position de la Constitution par rapport à
l’ordonnancement juridique général, Kelsen131 l’explique en servant de l’idée d’une hiérarchie des
normes ou plus précisément d’une pyramide, c’est-à-dire d’un édifice à plusieurs étages superposés,

130Selon cet article, « les Etats renforcent le principe de la suprématie de la Constitution dans leur organisation politique ».
131Hans Kelsen, Théorie pure du droit, 2e édition traduite par Charles Eisenmann, Paris, Dalloz, 1962 ; Théorie générale des
normes, traduction de Olivier Beaud, Paris, PUF, 1996.

44
hiérarchisés. Selon le maître autrichien, « l’ordre juridique n’est pas un système de normes juridiques
placées au même rang, mais un édifice à plusieurs étages superposés, une pyramide, ou une hiérarchie,
formée d’un certain nombre d’étages ou couches de normes successives ». Autrement dit, le système
juridique est constitué d’une diversité de normes successives, celle placée au sommet de l’édifice étant
la norme mère qui commande à l’ensemble du système. A partir d’elle, en descendant par degré,
apparaissent des subordinations. Chaque norme ou groupe de normes occupant un degré qui lui permet
de s’imposer aux normes qui occupent le degré inférieur et ces dernières devant être compatibles avec
celles des degrés supérieurs, sous peine d’invalidation juridique.
C’est la Constitution qui, à l’intérieur de la construction de l’Etat, occupe le degré le plus élevé
parce que c’est elle qui rend perceptible l’institution étatique. De ce fait, ses dispositions bénéficient de
la plus grande force juridique. Ce qui fait dire qu’elle est la norme suprême. Cette suprématie de la
Constitution peut être envisagée sous deux anges :
-D’une part, du point de vue du contenu de la Constitution, c’est la suprématie matérielle. Elle se définit
par rapport à l’objet de la Constitution : puisque la Constitution désigne les différents organes de l’Etat
et qu’elle organise leurs compétences, elle est nécessairement supérieure non seulement à ces organes,
mais encore aux différentes formes de l’activité juridique qui est leur œuvre.
-D’autre part, du point de vue de la procédure de son établissement, c’est la suprématie formelle. Elle
s’examine par référence aux procédures particulières qui doivent intervenir lorsqu’il s’agit d’elle ; ce
qui montre l’évidence qu’elle est la règle de droit à laquelle est attachée la plus grande force obligatoire.

B- La mise en œuvre

Dire que la Constitution bénéficie de la suprématie implique qu’elle est la norme fondamentale,
la norme-mère, la Loi des lois, la Grundnorm. Comme nous l’avons montré plus haut, elle comprend le
préambule et le corpus juridique lui-même. Elle est complétée non seulement par les textes de renvoi du
préambule, notamment la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la Déclaration
universelle des droits de l’homme de 1948, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples de
1981 et la Charte nationale des libertés de 1990, mais aussi par les textes de valeur constitutionnelle. Il
s’agit de la loi organique, des règlements des Assemblées parlementaires et des autorités administratives
et indépendantes instituées par la loi et des textes consacrant des droits fondamentaux des citoyens.
Néanmoins, ces textes de valeur constitutionnelle doivent être obligatoirement conformes à la Loi
fondamentale.
Ensuite, viennent les traités et conventions internationaux conclus par le Gabon. Ils ont une
valeur juridique inférieure à la Constitution à laquelle ils doivent être conformes. Cette conformité est
garantie par le contrôle exercé obligatoirement par la Cour constitutionnelle132 sur les engagements
internationaux ratifiés par le Gabon133 dont la liste est prévue par l’article 107 al. 1er de la Constitution.
Après suivent les lois ordinaires : ce sont toutes les autres lois adoptées par le Parlement dont la
plus emblématique ou populaire est sans doute la loi de finances. Ces lois doivent être conformes aux
normes supérieures.
Enfin, les règlements constitués par les ordonnances non encore ratifiées prises en cas d’urgence
et pendant l’intersession parlementaires, les décrets et les arrêtés.
L’existence d’une hiérarchie des normes constitue l’une des plus importantes garanties de l’État
de droit. Dans ce cadre, les compétences des différents organes de l’État sont précisément définies et les
normes qu’ils édictent ne sont valables qu’à condition de respecter l’ensemble des normes juridiques

132 Télesphore Ondo « Le contrôle de constitutionnalité des engagements internationaux par la Cour constitutionnelle du
Gabon », in RDIDC, n°2, 2013, pp. 213-243.
133 Depuis la révision constitutionnelle du 18 mars 1994 créant le Sénat. Sur cette compétence du Parlement, notamment en

France, voir, Luc Saïdj, Le Parlement et les traités. La loi relative à la ratification ou à l’approbation des engagements
internationaux, Paris, LGDJ, 1979 ; L’Assemblée nationale et les relations internationales, Connaissance de l’Assemblée, 11,
1998 ; Jean Dhommeaux, « Le rôle du Parlement dans l’élaboration des engagements internationaux : continuité et
changement », RDP, 1987, pp. 1449 et suiv. ; Didier Maus, « L’Assemblée nationale et les lois autorisant la ratification des
traités », cette Revue, 1978, pp. 1075 et suiv. S’agissant du cas gabonais, voir, Guillaume Pambou-Tchivounda et Jean-Bernard
Moussavou-Moussavou, Eléments de la pratique gabonaise en matière des traités internationaux, Paris, LGDJ, 1986 ; S. P.
Ogoula Raymondo, Le processus d’autorisation parlementaire de ratification des traités au Gabon, Rapport de stage, ENA,
Libreville, 1996 ; Jean-Bernard Moussavou-Moussavou, « Le droit et la pratique gabonaise en matière des traités
internationaux », Hebdo Informations, n°439, 26 mai 2001, pp. 81-82.

45
supérieures. C’est d’ailleurs ce qu’a décidé la Cour constitutionnelle gabonaise : « Le principe de la
hiérarchie des normes établit une classification de celles-ci par ordre d’importance ou de suprématie
des unes sur les autres, de sorte qu’une norme classée inférieure ne peut contenir des dispositions qui
sont contraires à celles de la norme supérieure et encore moins les modifier, sans s’exposer à la
censure »134. Il s’agit d’un principe constitutionnel dégagé par la Cour constitutionnelle135
C’est cette hiérarchisation des normes juridiques qui permet aux juridictions habilitées d’exercer
le contrôle de conformité des normes inférieures aux normes supérieures sur recours des citoyens, des
institutions ou des acteurs politiques. Il apparaît dès lors nécessaire que soit institué un contrôle de
constitutionnalité des normes juridiques qui relève au Gabon essentiellement, mais non exclusivement,
de la compétence de la Cour constitutionnelle. En effet, rien n’interdit au juge judiciaire et au juge
administratif d’assurer le contrôle de constitutionnalité respectivement des actes juridictionnels et des
actes administratifs individuels.
Cette conception de l’Etat de droit entendue comme une hiérarchisation des normes juridiques
entraîne de nombreuses implications.
D’abord, elle implique la soumission du pouvoir exécutif et de son bras séculier,
l’administration, à un régime de droit. Ceci signifie que la puissance publique ne peut agir qu’en vertu
d’une habilitation juridique, d’une compétence instituée et encadrée par le droit. Autrement dit, tout
usage de la force physique et légitime doit être fondé sur le droit. Dès lors, l’administration est tenue
d’obéir aux normes juridiques qui fondent, encadrent et limitent son action. Mais, cette soumission ne
peut être effective que si elle est garantie par l’existence d’un contrôle juridictionnel.
Ensuite, elle postule la subordination de la loi à la Constitution : le législateur exerce ses
attributions dans le cadre fixé par la Loi fondamentale, sous le regard du juge constitutionnel. C’est dans
ce sens que le Conseil constitutionnel français a défini la loi comme « l’expression de la volonté générale
dans le respect de la Constitution »136.
Enfin, elle suppose que les règles de droit hiérarchisées présentent un ensemble d’attributs
substantiels : c’est le principe fondamental de sécurité juridique. Il implique que la norme juridique soit,
pour les destinataires, non seulement claire, précise, stable, mais aussi intelligible, accessible et
d’application aisée.
S’il est nécessaire que les gouvernants soient encadrés par un réseau de normes juridiques
hiérarchisées, sous le contrôle du juge, cette exigence n’est pas suffisante pour la mise en œuvre d’un
véritable Etat de droit. En effet, dans sa conception actuelle, l’Etat de droit implique que le tissu normatif
repose sur un soubassement humaniste et libéral constitué de principes et de valeurs communs.

§ 2 : La suprématie de la Constitution contestée


La place de la Constitution dans l’ordonnancement juridique est contestée non seulement au
niveau interne, mais aussi au niveau international

A- La remise en cause de la suprématie de la Constitution au niveau interne


Deux éléments mettent en exergue la perte d’autorité de la Constitution : la place des accords
politiques et la question de la supra-constitutionnalité.

1/- L’importance des accords politiques et les chartes de la transition


La fin de la guerre froide s’est soldée par un double phénomène : d’une part, le développement
sans précédent du constitutionnalisme démocratique et, d’autre part, la multiplication des conflits.
Depuis 1990, ces derniers ont manifestement explosé. En effet, l’actualité récurrente donne une
illustration de la dégénérescence des antagonismes politiques et en conflits armés dans divers pays

134
Décision n°103/CC du 15 décembre 2011, § 3.
135
Décisions n°2/CC du 4 mars 1996, n°7/CC du 18 novembre 1999, n°10/CC du 29 juin 2001, n°8/CC du 17 avril
2001, etc..

136
Décision du 23 août 1985.

46
africains. Pour sortir de ces crises et foyers de tension, les acteurs politiques locaux adoptent, de leur gré
ou sous la pression internationale ou nationale, des accords politiques qui sont des arrangements
politiques, en marge de la Constitution. Cette situation incite à s’interroger sur les rapports entre droit
constitutionnel et conflits politiques137, en Afrique notamment.
En effet, la floraison des accords politiques au Gabon en 1995, 2006, 2010, 2017, au Niger et
au Burundi en 1996, au Congo-Brazzaville en 1997, en Côte d’Ivoire en 1999 et 2002, en Centrafrique
en 2003 et 2015, etc., entraîne un recul du constitutionnalisme138, un déclassement de la Constitution
dans l’ordonnancement juridique national ou plus précisément une perturbation de la hiérarchie des
normes. Dans cette perspective, on assiste à une véritable crise de la normativité de la Constitution en
Afrique139. Dès lors, la Constitution devient non plus la loi des lois, la Loi fondamentale, mais une norme
soumise à l’accord politique. Selon Dominique Rousseau, « le texte constitutionnel n’a aucun impact
sur la vie politique, c’est-à-dire sur le fait ou sur la pratique, qui prennent le pas sur le droit. Les accords
politiques deviennent, par la même occasion, la véritable source du pouvoir de l’Etat »140. Mieux, ils
vont à l’encontre des textes constitutionnels en vigueur. Ainsi, en Côte d’Ivoire, l’accord de Linas-
Marcoussis du 24 janvier 2003141 fixe les conditions d’éligibilité à la présidence de la République qui
remettent en cause les dispositions de l’article 35 de la Constitution. De même en République
Centrafricaine, la Charte constitutionnelle de la Transition issue de l’accord politique142 suspend la
Constitution du 27 décembre 2004 et devient ainsi la Loi fondamentale de la RCA pendant la période
de transition.
Ailleurs, les accords politiques remettent formellement en cause l’autorité de la Constitution et
se présentent comme supérieurs à elle. Ainsi, l’accord de paix et réconciliation au Burundi revendiquait-
il une nouvelle Constitution en imposant de nouvelles institutions qui contredisaient la Constitution alors
en vigueur143.
On le voit, non seulement « sa majesté la Constitution a perdu sa couronne au profit de la norme
politique »144, mais aussi elle se retrouve privée de protection juridictionnelle par l’effet des accords
politiques qui lui accordent peu de considération à la Constitution et remettent pleinement en cause sa
suprématie.
La question de la supra-constitutionnalité participe de la même logique.

2/- La question de la supra-constitutionnalité


La théorie de la supra-constitutionnalité ou « la supralégalité constitutionnelle »145 « désigne le
fait que certains éléments de la Constitution, placés hors d’atteinte du pouvoir de révision, accèdent,
par-là, à un échelon situé au-dessus de la Constitution, c’est-à-dire à une position supra-
constitutionnelle »146. Autrement dit, elle consiste à considérer qu’il existe un certain nombre de normes
suprêmes auxquelles le constituant ne peut déroger. ,
Pour Maurice Hauriou, la supra-constitutionnalité comprend, outre la Constitution écrite, les
principes fondamentaux du régime, c’est-à-dire tant les principes de l’ordre individualiste qui sont à la
base de l’Etat que les principes politiques qui sont à la base du gouvernement. Ces principes constituent
une sorte de « légitimité constitutionnelle qui prend place au-dessus même de la Constitution écrite » et
par suite « ne peuvent être supprimés », sont « soustraits aux aléas de révisions constitutionnelles »147.
Toutefois, en principe, ces règles ne peuvent s’imposer qu’au pouvoir constituant dérivé ou
institué en tant que simple pouvoir de révision de la Constitution et non au pouvoir constituant originaire
137 Paterne Mambo, « Les rapports entre la Constitution et les accords politiques : réflexion sur la légalité constitutionnelle en
période de crise », Revue de droit de l’Université McGill, 2012, pp. 921-952.
138 Celestin Keutcha Tchapnga, « Droit constitutionnel et conflits politiques dans les Etats francophones d’Afrique noire »,

RFDC, n°63, 2005, p. 451.


139 Frédéric Joël Aïvo, « La crise de normativité de la Constitution en Afrique », RDP, n°1, 2012, pp. 142-173.
140 Dominique Rousseau, « Question de Constitution », in Mélanges en l’honneur de Gérard Conac, Le nouveau

constitutionnalisme, Paris, Economica, 2001, p. 3.


141 Francisco Djedjro Meledje, « Faire, défaire et refaire la Constitution en Côte d’Ivoire : exemple d’une instabilité chronique »,

in Charles Fombard et Christina Murray (sous la direction de), Fostering constitutionalism in Africa, 2010-309, p. 331.
142 Adoptée le 18 juillet 2013 par le Conseil National de Transition (CNT) ou Parlement provisoire.
143 J.-P. Chrétien, « Le Burundi après la signature de l’accord d’Arusha », Politique africaine, n°80, décembre 2000, p. 149.
144 Jean-Horphet Biyand Essima, ibid., p. 30.
145 Précis de droit constitutionnel, 1929, rééd., Paris, CNRS, 2 e éd., 1965, pp. 268 et s.
146 Vlad Constantinesco et Stéphane Pierré-Caps, Droit constitutionnel, op. cit., p. 210.
147 Précis de droit constitutionnel, op. cit., p. 268.

47
ou initial, par nature, souverain, inconditionnel et révolutionnaire148, conformément à la distinction
classique entre la Constitution et les lois constitutionnelles149. Ce qui veut dire que le pouvoir constituant
dérivé ne peut porter ni même modifier ces principes suprêmes et inviolables150. Ces derniers sont tirés
directement de la Constitution ou déduits de celle-ci. C’est le cas, en Allemagne151, du caractère fédéral
(article 79 al. 3), de la démocratie (article 20), de l’Etat de droit et de la protection des droits
fondamentaux en général (article 1er), etc. En Italie, ces principes, notamment les droits fondamentaux
prévus par les articles 2, 13 à 34 de la Constitution de 1947 et ceux relatifs à l’organisation de l’Etat,
ont été dégagés essentiellement par la Cour constitutionnelle152.
Dans ces deux Etats européens, la juridiction constitutionnelle s’est reconnue compétente pour
contrôler les lois de révision de la Constitution sur le fondement du contrôle général de constitutionnalité
des lois153 et au regard des principes suprêmes.
Ces différentes normes ont pour fondement « une certaine conception de la légitimité politique,
et pour objectif la sauvegarde des principes fondamentaux qui justifient l’Etat et son organisation et que
formule la Constitution et l’ordre juridique ».
En Afrique, le débat sur la supraconstitutionnelle dérive de l’interprétation de la décision du 8
juillet 2006 de la Cour constitutionnelle du Bénin.
Saisie par le Président de la République et quelques députés aux fins d’un contrôle de
constitutionnalité d’une loi portant révision de la Constitution régulièrement adoptée par l’Assemblée
nationale, mais prorogeant d’un an le mandat des députés, la Cour constitutionnelle béninoise a déclaré
inconstitutionnel le texte dans les termes suivants :
« Considérant que ce mandat de quatre ans, qui est une situation constitutionnellement établie,
est le résultat du consensus national dégagé par la Conférence des Forces Vives de la Nation de février
1990 et consacré par la Constitution en son Préambule qui réaffirme l’opposition fondamentale du
peuple béninois à (…) la confiscation du pouvoir ; que même si la Constitution a prévu les modalités de
sa propre révision, la détermination du peuple béninois à créer un Etat de droit et de démocratie
pluraliste, la sauvegarde de la sécurité juridique et de la cohésion nationale commandent que toute
révision tienne compte des idéaux qui ont présidé à l’adoption de la Constitution du 11 décembre 1990,
notamment le consensus national, principe de valeur constitutionnelle ; qu’en conséquence, les article 1
et 2 de la loi constitutionnelle n°2006-13 adoptée par l’Assemblée nationale le 23 juin 2006, sans
respecter le principe à valeur constitutionnelle ainsi rappelé, sont contraires à la Constitution ».

B- La limitation de la suprématie de la Constitution au niveau international


La suprématie de la Constitution est battue en brèche au niveau international par le phénomène
d’internationalisation des Constitutions et par le contrôle des Constitutions par les juridictions
internationales.
1/-Le phénomène d’internationalisation des Constitutions
En principe, le pouvoir créateur de l’Etat est une émanation du pouvoir souverain. Autrement
dit, le pouvoir d’établir la Constitution et de garantir sa suprématie est fondamentalement une affaire
interne. Or, la fonction constituante échappe de plus en plus au contrôle du pouvoir souverain et se
retrouve sous l’influence internationale. C’est ce qui caractérise l’internationalisation de la
Constitution154.

148 J. CADART, Institutions politiques et Droit constitutionnel., Paris, Economica, 3e éd., 1990, p. 131 ; G. VEDEL, Cours de
droit constitutionnel et d’institutions politiques, Les Cours de droit, 1960-1961, p. 533.
149 L’expression « lois constitutionnelles » a été élaborée par C. SCHMITT, Théorie de la Constitution, Paris, PUF, 1993. Voy.

aussi, C. ESPOSITO, La validità delle leggi, Milano, Giuffù, 1964 (1934), pp. 196-197 ; O. BEAUD, La puissance de l’Etat,
Paris, PUF, 1993, pp. 329-357.
150 E. BESSON, « Les principes suprêmes inviolables dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle italienne : véritable

limite ou simple précaution démocratique ? », AIJC, XXI-2005, pp. 11-38.


151 M. FROMONT, ibid., pp. 106 et s.
152 R. RICCI, La Cour constitutionnelle italienne et la résolution des conflits de normes, thèse, Toulon, 1997, p. 323 ; E.

BESSON, ibid., p. 29.


153 Articles 134 et 93 des Constitutions italienne de 1947 et allemande de 1949.
154 Hélène Tourard, L’internationalisation des Constitutions nationales, Paris, LGDJ, Bibliothèque constitutionnelle et de

Science politique, t. 96, 2000 ; Vlad Constantinesco et Stéphane Pierre-Caps, Droit constitutionnel, 5e édition., Paris, PUF,
coll. « Thémis droir », 2011, pp. 229 et suiv.

48
Ce mot désigne la soumission au droit international des normes constitutionnelles. Ce concept
se traduit par une emprise des règles internationales sur le processus constituant des Etats. Il en résulte
dès lors une véritable tutelle constitutionnelle des puissances étrangères sur ce processus. Deux
exemples classiques sont souvent cités : la Constitution japonaise du 6 mars 1946 et la Loi fondamentale
de la République fédérale allemande du 23 mai 1949, textes rédigés respectivement par les USA et par
les puissances d’occupation occidentales (USA, Angleterre, France)
L’influence extérieure sur les processus constituants a été également observée dans les Etats
africains nouvellement indépendants et bien après. En effet, ne disposant pas d’une masse critique
importante et autonome, les Etats africains ont vu leurs Constitutions être rédigées par les coopérants et
autres techniciens agissant pour le compte de l’ancienne puissance coloniale. Par mimétisme politico-
institutionnel et juridique, ce processus a été reconduit par les missionnaires et pèlerins constitutionnels,
avec la nouvelle vague constitutionnelle des années 1990. La conséquence de cette immixtion est la
reproduction mimétique des dispositions constitutionnelles de la France, de la Grande-Bretagne et des
USA.
Ces différentes expériences montrent clairement que la fonction constituante relève de moins de
moins du pouvoir souverain et affectent inexorablement la suprématie de la Constitution.
L’autorité de la Constitution est également limitée par le contrôle international des juridictions
constitutionnelles.

2/- Le contrôle international des juridictions constitutionnelles


En tant que garante par excellence de la suprématie de la Constitution, la juridiction
constitutionnelle est généralement considérée comme « la plus haute juridiction de l’Etat en matière
constitutionnelle »155. Par conséquent, ses décisions ne font l’objet d’aucun recours et bénéficient donc
de l’autorité absolue de chose jugée156.
Toutefois, dans le cadre de la protection internationale des droits de l’homme, les décisions des
juridictions constitutionnelles pourront être confrontées aux dispositions de conventions internationales
et être remises en cause par leurs mécanismes juridictionnels157. Après des décennies d’hésitation, les
Cours régionales des droits de l’homme ont mis en œuvre ces principes. Ainsi, dans sa décision
inaugurale du 23 juin 1993, en l’affaire Ruiz Mateos, confirmée à plusieurs reprises158, la Cour
européenne des droits de l’homme a estimé que « (…) le principe de l’égalité des armes, élément de la
notion plus large de procès équitable, qui englobe aussi un droit au caractère contradictoire de l’instance
(…) » doit la guider dans l’appréciation de la procédure suivie devant la Cour constitutionnelle
espagnole, qu’elle estimera finalement contraire à l’article 6, § 1 de la Convention.
Dans la mise en œuvre de la convention interaméricaine des droits de l’homme, la Cour du même nom
a été également amenée à contrôler le système juridique et juridictionnel interne, y compris
constitutionnel et le déclarer, le cas échéant, non conforme avec la convention159.
A l’instar des autres juridictions régionales, la Cour africaine, sous l’influence de la
Commission160, assure également, dans le cadre de l’appréciation de la mise en œuvre de la règle de
l’épuisement des voies de recours internes, un véritable contrôle des systèmes juridiques et
juridictionnels des Etats sur le fondement des critères de disponibilité, d’efficacité et de suffisance.
Enfin, toujours dans son contrôle du système juridique de l’Etat, la Commission et la Cour
africaine vont jusqu’à censurer les dispositions constitutionnelles.
Par exemple, dans son arrêt du 18 novembre 2016, la Cour a procédé à la remise en cause de
l’autorité absolue de chose jugée du Conseil constitutionnel ivoirien. En effet, alors que ce dernier avait
jugé, par une décision du 16 juin 2014, la loi sur la Commission électorale indépendante conforme à la
Constitution, la Cour a indiqué qu’« au regard de sa composition, l’organe électoral ivoirien ne présente

155 Article 83 de la Constitution gabonaise du 26 mars 1991.


156 Télesphore Ondo, « L’autorité des décisions des juridictions constitutionnelles en Afrique noire francophone », RJP, n°4,
octobre-décembre 2012, pp. 453-479.
157 David Szymczak, La Cour européenne des droits de l’homme et le juge constitutionnel national, Bruxelles, Bruylant, 2007.
158 CEDH, Grande Chambre, Refah Partisi (parti de la Prospérité) et autres c Turquie, arrêt du 13 février 2003 ;
159 Entre autres décisions, cf. CIADH, La Ultima Tentacion de Cristo (Olmedo Bustos et autres) c Chili, Fond, arrêt du 5 février

2001, Série C n°73.


160 Commission, Jawara c Gambie (2000) RADH 98 (CADHP 2000), § 31.

49
pas les garanties d’indépendance et d’impartialité requises et qu’il ne peut donc pas être perçu comme
tel ».
Par conséquent, ajoute la Cour, « en adoptant la loi contestée, l’Etat défendeur a violé son
obligation de créer un organe électoral indépendant et impartial, prévu par l’article 17 de la Charte
africaine sur la démocratie et l’article 3 du Protocole de la CEDEAO sur la démocratie ».

Section 2 : La garantie de la suprématie de la Constitution

La suprématie de la Constitution est garantie par le contrôle de constitutionnalité, c’est-à-dire le


contrôle de conformité des actes des organes étatiques à la Constitution. De la diversité des options, se
dégagent néanmoins, en pratique, deux solutions : le contrôle par un organe politique (§ 1) et le contrôle
par un organe juridictionnel (§ 2).

§ 1 : Le contrôle par un organe politique


C’est la Grèce antique qui a joué le rôle de précurseur en matière de contrôle de
constitutionnalité des normes. En effet, la démocratie athénienne avait mis en place un mécanisme
juridique dénommé la graphè paranomôn qui était compétente pour contrôler la conformité des lois aux
normes générales. La composition populaire (experts et citoyens) de ce tribunal du peuple et sa saisine,
a priori ou a posteriori, par tout citoyen ont l’avantage d’assurer de façon indiscutable la légitimité
démocratique du contrôle. Sieyès s’en inspirera justement lorsqu’il proposera en 1795 que son « jury
constitutionnaire » puisse être saisi directement par tout citoyen.
En effet, c’est à Sieyès que l’on doit l’idée de création, à côté d’un pouvoir constituant dit
déterminateur, d’un autre pouvoir constituant qu’il appelait sanctionnateur qui devait être une sorte de
jurie de constitution qu’il appelait lui-même une « jurie constitutionnaire ». Ce nouveau pouvoir devait
se présenter « sous la forme d’un corps de représentant ayant pour mission spéciale de juger les
réclamations contre toute atteinte qui serait portée à la Constitution ». Il s’agissait donc d’un corps
politique, idée qui avait été retenue successivement dans les Constitutions françaises de l’an 3 et de l’an
8. Dans cette dernière (Constitution impériale de 1852), le Sénat conservateur n’a pas de fonction
législative, mais il est chargé de maintenir ou d’annuler les actes qui lui sont déférés comme
inconstitutionnels. Ce système s’est avéré inopérant.
Sous la 3e République, et malgré le développement des Cours constitutionnelles en Europe après
la 1 guerre mondiale, la France n’a pas toujours adopté un tel contrôle en raison notamment de
ère

l’instauration d’un parlementarisme absolu dans lequel la loi est souveraine.


C’est finalement sous la 4e République (Constitution du 27 octobre 1946) qu’est créé un organe
politique, le Comité constitutionnel présidé par le Président de la République et comprenant les
présidents de l’Assemblée nationale et du Conseil de la République (Sénat) plus 7 membres élus de
l’Assemblée nationale en dehors d’elle-même. Mais, régime parlementaire absolu aidant, les
dispositions constitutionnelles ne méconnaissaient en rien le caractère sacré de la loi. En cas de conflit,
c’est la Constitution qui devait être modifiée et non la loi parlementaire souveraine.
Ainsi, toutes les options politiques pour l’organisation du contrôle de constitutionnalité se
heurtent à cette difficulté majeure. Il faut que le contrôle de constitutionnalité soit indépendant et le
même temps inoffensif pour les institutions de gouvernement. C’est pour cette raison que l’on se tourne
de plus en plus vers les juges en prenant les précautions nécessaires pour qu’ils restent enfermés dans le
contentieux qui est sa fonction naturelle.

§ 2 : Le contrôle par un organe juridictionnel

A- L’historique
Le principe de la compétence judiciaire en matière de contrôle de constitutionnalité serait né en
Grande-Bretagne au début du 17e siècle. En effet, dans la célèbre affaire Bonham, le Tribunal de
« Common Pleas » a rendu un arrêt du même nom en 1610 qui invalidait une loi pour non-conformité
avec la loi fondamentale du Royaume, la Common Law. En l’espèce, le juge anglais, Sir Edward Coke,
considère que le « Collège des Médecins » de Londres n’est pas compétent pour sanctionner le sieur
Bonham, poursuivi pour exercice de la médecine sans autorisation légale car la loi invoquée à l’appui

50
de sa sanction lui paraît non seulement déraisonnable, mais aussi contraire au droit de Common Law. Il
apparaît ainsi qu’un texte législatif contraire à une « loi suprême » doit être déclarée nulle. Les prémices
d’un tel contrôle de constitutionnalité ont été également observées dans les colonies anglaises
d’Amérique à travers la pratique du Comité judiciaire du Conseil privé du Roi, lequel pouvait invalider
les lois des Assemblées coloniales contraires au droit de la mère-patrie161.
Par ailleurs, dans leur volonté de défendre la Constitution de 1787, les Pères fondateurs
développent des arguments en faveur du contrôle juridictionnel de constitutionnalité. Dans le Fédéraliste
n°78, Hamilton écrit que s’il existe une contradiction entre la Constitution et une loi, la norme qui
présente « un caractère obligatoire et une valeur supérieure doit être naturellement préférée ; qu’en
d’autres termes, la Constitution doit être préférée à la loi, l’intention du peuple à l’intention de ses
agents ». Et selon lui, il appartient au pouvoir judiciaire d’assurer un tel contrôle car, des trois pouvoirs,
il est le plus faible, le moins redoutable.
Toutefois, le problème du contrôle de constitutionnalité par une juridiction suprême s’est
véritablement présenté que dès 1803 par le Chief Justice John Marshall, dans l’affaire Marbury c
Madison 162: « Si une loi du Parlement contraire à la Constitution est nulle, doit-elle indépendamment
de sa validité, lier les tribunaux et les obliger à lui donner effet ? Ou en d’autres termes, bien qu’elle ne
soit pas une loi, constitue-t-elle une règle aussi opérante qu’une loi ? Admettre cela reviendrait à
renverser dans les faits ce qui a été établi en théorie et pourrait paraître à première vue une absurdité
trop énorme pour qu’il soit besoin d’insister.
C’est dans une très large mesure le domaine et le devoir du pouvoir judiciaire de dire ce qu’est
la loi. Ceux qui ont pour tâche d’appliquer la règle aux cas particuliers doivent nécessairement expliciter
et interpréter la règle. Quand deux lois sont en conflit, les tribunaux doivent trancher sur l’application
de chacune d’elle. En supposant par exemple qu’une loi soit en opposition avec la Constitution, et qu’un
cas particulier relève aussi bien de la loi que de la Constitution en sorte que la Cour ait à décider, soit
d’appliquer la loi en ignorant la Constitution, soit d’appliquer la Constitution en ignorant la loi, elle
devra déterminer qu’elle est celle des deux règles en conflit qui s’applique aux cas particuliers. C’est là
une tâche essentielle du pouvoir judiciaire. Si les tribunaux doivent se référer à la Constitution et si la
Constitution est supérieure à tout acte législatif ordinaire, c’est la Constitution et non la loi ordinaire qui
doit régir le cas auquel toutes deux sont applicables ».
Ainsi, le principe veut que le contrôle de constitutionnalité étant un problème de compatibilité
entre deux règles de droit, il soit abordé du seul point de vue technique, c’est-à-dire que l’on doit
s’adresser à l’institution dont c’est le métier de dire le droit, juris dictio. Le contrôle de constitutionnalité
est donc normalement de la compétence de l’autorité juridictionnelle. Sur ce point, deux modèles sont
constamment cités.

B- Les modèles en présence

La pratique du contrôle juridictionnel laisse apparaître deux options : soit le contentieux de la


constitutionnalité est placé à l’intérieur du contentieux ordinaire, dans ce cas, tous les tribunaux du
système juridictionnel sont compétents pour statuer sur la conformité des actes à la Constitution, c’est
le modèle américain ; soit au contraire, ce contentieux est organisé de manière particulière, ce qui appelle
la création d’une juridiction spécialisée, c’est le modèle européen. L’évolution des deux modèles laisse
néanmoins apparaître une certaine harmonisation au bonheur de la garantie des droits fondamentaux des
citoyens.

A- Le modèle américain
Non inscrit dans la Constitution américaine du 17 septembre 1787, le contrôle de
constitutionnalité, qui dérive du système britannique, est né aux USA de la volonté de la Cour suprême
elle-même, sans doute sous l’inspiration des Pères fondateurs, dans un arrêt célèbre de 1803, Marbury
c Madison.
Nommé in extremis par le Président sortant John Adams, le juge Marbury n’avait pu obtenir la
confirmation de la nouvelle administration de Jefferson. Se fondant sur la loi fédérale de 1789 relative

161 Sur ces lignes, cf., Louis Favoreu et alii, Droit constitutionnel, op. cit., pp. 237-238.
162 Marbury c Madison, 5 US (1 Cranch) 137, 1803.

51
à l’organisation judiciaire, il demanda à la Cour suprême d’enjoindre l’exécutif d’y procéder. Celle-ci,
s’estimant incompétente à délivrer en première instance une telle injonction, indiqua néanmoins que la
loi de 1789 méconnaissait sur ce point la Constitution qui fait d’elle une juridiction d’appel et rejeta la
requête. Cette déclaration d’incompétence allait servir de base au droit qu’elle se reconnaissait de
contrôler la conformité des actes de l’exécutif et des lois à la Constitution.
Ce modèle américain présente quatre caractéristiques :
-un contrôle diffus exercé par tout tribunal, depuis le plus modeste jusqu’à la Cour suprême. Ce caractère
signifie que le contrôle de constitutionnalité peut être exercé par n’importe quel juge étatique qui dispose
de la compétence de droit commun dès lors qu’il est saisi en première instance et se prononce sur
l’ensemble des questions soulevées par le litige, et ce, quel que soit le domaine. La Cour suprême
n’intervient ici qu’en tant qu’autorité de régulation, notamment par la voie de la certification (certiorari)
des décisions rendues par les juridictions inférieures. Le contrôle assuré par la Cour concerne les lois
des Etats et d’autres actes de l’exécutif. Elle assure aussi la fonction de juge de cassation chargée de
garantir l’uniformité du droit dans la fédération. Elle fixe en dernier ressort l’interprétation
constitutionnelle qui peut s’imposer en vertu de la règle du précédent (Stare decisis).
-un contrôle concret car il s’exerce à l’occasion de « cas concrets » et de « litiges » particuliers (Cases
and controversies). C’est dans ce sens qu’il faut comprendre l’article III, section 2 de la Constitution
qui dispose que : « le pouvoir judiciaire s’étendra à tous les cas concrets, en droit et en équité, qui
pourront se produire sous l’empire de la présente Constitution, des lois des Etats-Unis ou des traités
conclus ». Ainsi, la Cour ne se prononce que sur des litiges avérés et concrets et non éventuels ou
abstraits. Ces éléments imposent au requérant l’obligation de justifier un intérêt direct et réel pour agir
car sans intérêt point d’affaire. Ces exigences limitent la compétence de la Cour suprême dans la seule
fonction contentieuse et non consultative, à l’exception toutefois des questions politiques et celles liées
à la politique extérieure et aux pouvoirs de guerre.
-un contrôle a posteriori, par voie d’exception. La Cour ne peut être saisie qu’à l’occasion d’un procès
et non avant l’application d’un acte juridique. Ici, la règle de droit existe déjà mais apparaît comme en
contradiction avec la Constitution. Il s’agit alors d’obtenir, soit sa mise à l’écart, soit sa destruction.
Dans ce dernier cas, le texte est frappé d’inexistence. C’est d’ailleurs la seule forme de contrôle de
constitutionnalité des lois possible : l’exception d’inconstitutionnalité qui peut être invoquée devant
n’importe quel juge ordinaire et soulevé par la Cour suprême, tout citoyen ou toute personne morale. Il
s’agit d’un recours défensif. Le but recherché par le plaideur est simplement que la règle de droit soit
écartée dans le procès qui le concerne pour cause de non-conformité à la Constitution. Le problème de
la constitutionnalité intervient donc de façon indirecte, à titre accessoire, comme un incident d’un litige
actuel qui a pour objet une affaire quelconque et non le conflit possible entre la Constitution et une autre
règle de droit. Un tel recours étant à la portée de n’importe quel juge, les décisions qu’il rend ne sont
revêtues que de l’autorité relative de la chose jugée puisqu’elles n’ont qu’un effet inter partes.
Le modèle américain s’est développé, avec certaines variantes, au Canada, au Japon en 1947,
en Amérique latine (Mexique en 1847, Argentine en 1860, Brésil en 1891 et en Corée du Sud). Par ce
contrôle, la Cour se retrouve souvent mêlée aux grandes questions politiques nationales. Par ses
décisions, elle affecte la vie des citoyens, opère de grands choix de société, oriente les grands principes
de l’Etat et est incontournable dans la gouvernance des USA. L’étendue de « son immense pouvoir
politique »163 relance sans cesse le débat sur sa légitimité au regard de la théorie de la démocratie
représentative. Sur point, elle affecte le modèle européen.

B- Le modèle européen
En Europe, la crainte du « gouvernement des juges » a entraîné l’adoption d’un modèle de
contrôle de constitutionnalité plus radical, puisque « tuant » la loi « dans l’œuf » à l’égard de tous, avant
qu’elle ait produit le moindre effet juridique. Le contrôle présente également quatre traits :
-c’est un contrôle concentré, c’est-à-dire exercé exclusivement par une juridiction constitutionnelle
spécifique qui dispose d’un monopole d’appréciation de la constitutionnalité des actes juridiques et
d’interprétation de la Loi fondamentale. Autrement dit, les juridictions ordinaires ne peuvent connaître
de ce contentieux, à l’exception du Portugal dont la Constitution organise un contrôle de
constitutionnalité assuré par les juges de droit commun. Seule juridiction compétente, la Cour

163 Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique,

52
constitutionnelle a également la particularité d’être située en dehors de l’appareil juridictionnel
ordinaire. C’est pour cette raison qu’elle fait, dans les Constitutions, l’objet d’un titre spécifique, distinct
du titre relatif à l’autorité ou au pouvoir judiciaire, selon les cas. Cette position de la Cour montre qu’elle
n’est pas, contrairement à la Cour suprême américaine, placée au sommet de la hiérarchie
juridictionnelle. C’est donc une juridiction indépendante de l’appareil judiciaire qui exerce sa
compétence à temps plein.
-c’est un contrôle abstrait dans la mesure où les différends soumis aux juridictions constitutionnelles
n’engagent pas deux parties, comme dans le cadre d’un litige ordinaire. En effet, le contrôle de
constitutionnalité implique une confrontation entre une norme suprême, la Constitution et une norme
inférieure, la loi ou tout autre acte juridique. Il s’agit simplement pour le juge de vérifier la conformité
de l’acte inférieur à la Constitution.
-un contrôle par voie d’action, c’est-à-dire avant la promulgation de la loi ou la ratification d’un traité.
Ce contrôle intervient lorsqu’une mesure déjà adoptée n’est pas encore entrée en application et que l’on
veut éviter sa mise en circulation. Il s’agit donc là de prévenir un procès. Mais, c’est un procès intenté
au texte que l’on soupçonne d’être en contradiction avec la Constitution. Ainsi, le texte non conforme à
la Constitution ne pourra être promulgué.
-les décisions rendues par la Cour constitutionnelle, à la suite d’une saisine qui peut être ouverte à tous
les citoyens ou réservée exclusivement à certains organes étatiques, s’imposent à tous et ont donc un
effet erga omnes.
En Europe, la crainte du « gouvernement des juges » a entraîné l’adoption d’un modèle de
contrôle de constitutionnalité plus radical, puisque « tuant » la loi « dans l’œuf » à l’égard de tous, avant
qu’elle ait produit le moindre effet juridique. Le contrôle est donc a priori ou par voie d’action, abstrait,
concentré, exercé par une juridiction spécialisée : la Cour constitutionnelle, et dont les décisions ont un
effet erga omnes. Ce modèle est surtout l’œuvre de de l’autrichien Hans Kelsen qui fut à l’origine de la
création de la Haute Cour constitutionnelle régie par les articles 137 à 148 de la Constitution du 01
octobre 1920. D’autres Etats européens vont suivre cet exemple : l’Italie en 1947, l’Allemagne en 1949,
la France en 1958.
Dans ce dernier pays, le principe rousseauiste selon lequel « la loi est l’expression de la volonté
générale » avait empêché un éventuel contrôle de constitutionnalité sur ses dispositions. La loi était donc
souveraine et ne pouvait par conséquent faire l’objet d’un quelconque contrôle. Malgré les tentatives de
création du « jury constitutionnaire », véritable corps de représentants, proposé par l’abbé Sieyès visant
à assurer un tel contrôle, le rôle du Sénat conservateur dans ce domaine prévu par la Constitution
impériale de 1852, le principe même d’un contrôle de constitutionnalité par un organe politique est resté
sans succès. Sous la 3e République, et malgré le développement des Cours constitutionnelles en Europe
après la 1ère guerre mondiale, la France n’a pas toujours adopté un tel contrôle en raison notamment de
l’instauration d’un parlementarisme absolu dans lequel la loi est souveraine.
C’est finalement sous la 4e République (Constitution du 27 octobre 1946) qu’est créé un organe
politique, le Comité constitutionnel présidé par le Président de la République et comprenant les
présidents de l’Assemblée nationale et du Conseil de la République (Sénat) plus 7 membres élus de
l’Assemblée nationale en dehors d’elle-même. Mais, régime parlementaire absolu aidant, les
dispositions constitutionnelles ne méconnaissaient en rien le caractère sacré de la loi. En cas de conflit,
c’est la Constitution qui devait être modifiée et non la loi parlementaire souveraine. Si cet organe a été
vain dans le contrôle de constitutionnalité, il a néanmoins préparé, dans une certaine mesure,
l’avènement du Conseil constitutionnel sous la 5e République (Constitution du 4 octobre 1958).
Ce modèle français n’est pas celui qui sera réellement suivi par le Gabon dans ces premières
Constitutions. En effet, les Constitutions du 14 novembre 1960 et du 21 février 1961 confèrent à la
Chambre constitutionnelle de la Cour suprême le pouvoir d’assurer le contrôle de constitutionnalité. Ce
modèle est proche, à l’apparence, de celui adopté aux USA. Mais, en réalité, il s’en éloigne nettement
dès lors que tous les juges ordinaires sont complètement incompétents dans ce domaine. Il est donc plus
proche du modèle européen d’une juridiction spécialisée, mais à l’intérieur d’un seul ordre de juridiction,
la Cour suprême.
Créée donc formellement depuis 1960, c’est en réalité la loi n°6/78 du 1 er juin 1978 relative à
l’organisation de la justice au Gabon qui dote la Cour suprême d’une Chambre constitutionnelle. Celle-
ci comprend les membres de droit nommés par décret présidentiel (le président de la Cour suprême et

53
les présidents des chambres judiciaire, administrative et des comptes) et les conseillers (3 titulaires et 2
suppléants) nommés également par décret présidentiel après consultation du bureau politique du PDG.
Globalement, la Chambre est chargée de contrôler la constitutionnalité des lois et la régularité
des opérations électorales et référendaires. Toutefois, le contexte politique réfractaire aux droits
fondamentaux des citoyens, la politisation de la juridiction, la restriction du droit de saisine au Chef de
l’Etat et au président de l’Assemblée nationale, la « servitude volontaire » des juges ont fait de cette
Chambre une institution fantôme, un simple décor institutionnel. Il a fallu attendre l’adoption de la
Constitution du 26 mars 1991 pour que soit créée, comme en Europe, une véritable juridiction
constitutionnelle spécialisée, la Cour constitutionnelle, garante de l’Etat de droit démocratique.

C-Vers une homogénéisation des deux modèles

De plus en plus, de nos jours, on assiste à un amenuisement des frontières entre les deux
systèmes, notamment dans la protection des droits fondamentaux des citoyens. En effet, pour mieux
garantir les droits et libertés des citoyens, les deux systèmes exigent des caractéristiques statutaires
communes : un nombre quasi identique des juges (de 6 à 9), des modalités de désignation faisant une
part belle aux organes politiques (Chef de l’Etat et parlement), les exigences d’indépendance et
d’impartialité renforcées par la durée assez longue du mandat, l’immunité des juges et le système des
incompatibilités.
Hormis cet aspect, on observe également une opposition relative entre les deux systèmes au
niveau des effets, notamment en matière de protection des droits fondamentaux. En effet, les juridictions
mettent en œuvre des techniques de contrôle similaires comme le contrôle de proportionnalité et ont
défini un catalogue de droits fondamentaux en des termes proches, par exemple les libertés d’expression,
de religion, les garanties fondamentales de procédure, etc. Cette évolution a abouti au final à un véritable
patrimoine commun des droits fondamentaux. De plus, les deux systèmes produisent deux effets
comparables : d’une part, sur l’ordre juridique, la constitutionnalisation des différentes branches du
droit, et d’autre part, sur l’ordre politique, la pacification du débat politique, la régulation des alternances
démocratiques et la défense de la minorité politique.
Enfin, le modèle européen a développé depuis quelques décennies le contrôle a posteriori
inhérent au système américain pour mieux garantir les droits fondamentaux. En France, ce mécanisme
baptisé question prioritaire de constitutionnalité (QPC) a été consacré par la révision constitutionnelle
du 23 juillet 2008 et définie dans ses modalités par la loi organique du 10 décembre 2009.
En revanche, dans de nombreux Etats africains, le contrôle a posteriori a été consacré dès la
nouvelle vague constitutionnelle en 1990 qui institue pourtant globalement le modèle européen de
juridiction constitutionnelle spéciale. Ainsi, les articles 86 et 122 des Constitutions respectives du Gabon
de 1991 et du Bénin de 1990 prévoient le mécanisme de l’exception d’inconstitutionnalité. La pratique
jurisprudentielle met en application les principes inhérents à ce procédé, à l’instar de l’intérêt pour agir.
Ainsi, par exemple, dans sa décision n°18/CC du 25 novembre 1992, la Cour constitutionnelle gabonaise
rappelait cette règle élémentaire en expliquant au président de l’Assemblée nationale qui l’avait saisi à
propos de l’irrégularité supposée d’une session extraordinaire du Conseil économique et social que « les
sessions du CES ainsi que les avis émis par celui-ci dans le cadre de ses attributions consultatives sont
des mesures préparatoires nécessaires à l’élaboration d’actes législatifs ou administratifs ; que, par leur
nature, ces mesures préparatoires ne sont susceptibles d’aucun recours, outre que, émis dans ces
circonstances, les avis n’ont aucune valeur normative, ne lèsent en principe aucun intérêt du citoyen et
ne lient nullement leur destinataire dans leur pouvoir de décision ». Autrement dit, qu’ils ne font pas
grief.

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