Cours de Droit Constitutionnel1 2024
Cours de Droit Constitutionnel1 2024
Cours de Droit Constitutionnel1 2024
THEORIE GENERALE
Pr Télesphore ONDO
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INTRODUCTION GENERALE
L’expression « droit constitutionnel » renferme deux mots, droit et constitution, qu’il convient
de définir préalablement. Le droit est l’ensemble des règles juridiques qui régissent l’activité des
personnes physiques ou morales dans une société donnée, à une période donnée et dont la violation est
sanctionnée par les autorités publiques habilitées. Sans vouloir approfondir, la Constitution désigne
l’acte juridique qui fixe le statut de l’Etat et régit les rapports entre les institutions constitutionnelles
entre elles ou entre celles-ci et les citoyens. Le droit constitutionnel peut être défini comme l’ensemble
des règles juridiques qui encadrent l’exercice du pouvoir politique et la compétition pour sa conquête
dans l’Etat. En d’autres termes, ces deux phénomènes ne relèvent pas du bon plaisir ; ils sont soumis ou
saisis par la règle de droit. Le droit constitutionnel est considéré comme une discipline juridique vivante
qui s’applique dans la vie quotidienne des citoyens. Dans les Etats démocratiques modernes, où le droit
réglemente l’ensemble des activités des citoyens, de leurs représentants et des dirigeants, le droit
constitutionnel a pris une importance capitale.
En tant qu’une branche fondamentale du droit public, le droit constitutionnel se distingue du
droit administratif qui régit les rapports entre les agents publics et l’administration et entre cette dernière
et les citoyens. Mais, il se distingue également du droit international qui régit les rapports entre l’Etat et
les sujets de droit international. Initialement, le droit constitutionnel, tel qu’il est apparu au 18e siècle et
s’est développé dans la première moitié du 20e siècle, est un droit essentiellement politique qui a pour
objet unique, les institutions politiques. C’est d’ailleurs pour cette raison que le droit constitutionnel va
être investi par la science politique au lendemain de la seconde guerre mondiale. Il s’agit d’étudier non
seulement la Constitution dont la violation n’est d’ailleurs pas sanctionnée, mais aussi, à travers le droit
parlementaire, la vie et l’activité des Assemblées parlementaires et, par l’intermédiaire du droit électoral,
les règles de jeu pour la désignation des représentants. Le droit constitutionnel concerne également les
règles relatives à l’activité des partis politiques, le financement de la vie politique et le statut des élus.
C’est ce droit politique qui s’est appliqué au Gabon et dans les pays africains francophones pendant la
période du parti unique.
Depuis quelques décennies, on assiste toutefois à une évolution spectaculaire du droit
constitutionnel. En effet, l’effondrement du bloc de l’Est, la restauration de la démocratie en Afrique en
1990, la promotion de l’Etat de droit garantie par une juridiction constitutionnelle et la mondialisation
concomitante de ces principes ont profondément transformé le droit constitutionnel. Ainsi, le droit
constitutionnel est devenu un droit normatif, un droit de la Constitution dont la violation est sanctionnée
par la juridiction constitutionnelle. Il comprend donc l’étude de l’Etat de droit formel, c’est-à-dire de
l’autorité de la Constitution et de la hiérarchie des textes. Mieux, avec la promotion et la
constitutionnalisation des droits de l’homme, le droit constitutionnel est devenu un droit des libertés
sous la garantie du juge constitutionnel.
Enfin, la place centrale et l’activisme de la juridiction constitutionnelle dans la consolidation de
la démocratie et la garantie de l’Etat de droit ont favorisé le développement sans précédent des normes
constitutionnelles d’origine jurisprudentielle. Dès lors, le droit constitutionnel est devenu aussi un droit
jurisprudentiel ou prétorien. Le champ d’application du droit constitutionnel apparaît ainsi
manifestement très large.
Toutefois, une analyse purement juridique des textes et de la jurisprudence ne peut que donner une
vision largement aérienne de la réalité, en raison du fossé souvent constaté entre le droit positif (textes
et décisions de justice) et la pratique. C’est pourquoi, l’emprunt de la science politique apparaît
nécessaire. En effet, « le droit constitutionnel souffre d’hémiplégie s’il s’isole de la science politique et
réciproquement » (Pierre Avril).
Par ailleurs, l’influence des textes constitutionnels et de la jurisprudence étrangers due en grande
partie au mimétisme et au dialogue entre les différentes Cours constitutionnelles militent en faveur d’une
approche comparée. C’est donc cette méthode juridico-politique dans une perspective comparée qui sera
usitée dans ce cours qui s’article autour de deux titres :
-l’Etat (Titre I) ;
-la Constitution (Titre II).
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TITRE 1 : L’ETAT
La notion d’Etat vient du terme latin « statut » qui signifie être debout ; ce qui implique la
permanence. Dans sa version moderne, l’Etat est né en Europe au 16e siècle.
De manière réaliste, on peut dire avec Nietzsche dans son œuvre Ainsi parlait Zarathoustra que
« l’Etat est le plus froid de tous les monstres froids. Il ment dans tous ses actes, dans chacun de ses
propos »1.
Sans négliger cette définition, il convient néanmoins de se rattacher à une définition
géographique et surtout juridique de l’Etat.
Du point de vue géographique, l’Etat désigne la localisation d’une population déterminée. Il est
considéré comme une entité artificielle qui se superpose aux régions naturelles.
C’est sur cette définition que prendra appui la conception juridique en la surpassant. Ainsi,
juridiquement, pour reprendre la formule de Carré de Malberg, « l’Etat est un être de droit en ce qui se
résume abstraitement la collectivité nationale ou la personnification de cette dernière. Cet être de droit
et non de chair et de sang, porte le nom de personne morale ».
L’Etat est donc une personne morale de droit public qui renvoie, comme on le verra, à l’idée de
permanence, d’institutions, se dissociant des personnes physiques qui agissent en son nom. C’est dans
ce sens que le doyen Duguit opinait que « je n’ai jamais déjeuné avec une personne morale ».
Pour mieux comprendre cette notion, nous verrons successivement :
-les conditions d’existence de l’Etat (Chapitre 1) ;
-les formes juridiques de l’Etat (Chapitre 2).
Comme nous l’avons montré, le droit constitutionnel concerne l’organisation qui touche à l’Etat,
à l’exercice et à la transmission du pouvoir dans l’Etat.
Si le phénomène étatique s’est mondialisé, c’est sans doute parce qu’il repose sur des conditions
universelles déterminées. Celles-ci sont à la fois sociologiques (Section 1) et juridiques (Section 2).
§ 1 : La population ou la nation
L’Etat est avant tout une communauté humaine, un groupement social, « une population unifiée
ou organisée ».
Le phénomène historique capital, qui est à l’origine de l’Etat tel qu’il est né dans les empires
égyptien et chaldéen, dans les cités antiques grecques et romaines et dont le type s’est reproduit dans les
royaumes et répandus dans les Républiques modernes, est la formation ethnique d’une communauté
nationale. La communauté étatique apparaît donc comme une corporation unique qui englobe les
individus habitant un territoire donné, fondée sur la base de l’intérêt général, l’intérêt national.
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A-La définition
La nation est définie comme « la réunion d’hommes (et de femmes) ayant les mêmes mœurs,
les mêmes coutumes et les mêmes traditions historiques »2. Plus concrètement, selon Maurice Hauriou,
la nation « comme un groupement de formations ethniques primaires chez lesquelles la cohabitation
prolongée dans un même pays, jointe à de certaines communautés de race, de langue, de religion et de
souvenirs historiques, a dégagé une communauté spirituelle, base d’une formation ethnique
supérieure »3. C’est « la substance humaine de l’Etat »4. Mais, c’est à Ernest Renan que l’on doit l’une
des définitions les plus abouties de la nation. Selon l’universitaire français, « une nation est une âme, un
principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n’en font qu’une, constituent cette âme, ce principe
spirituel. L’une est dans le passé, l’autre dans le présent. L’une est la possession en commun d’un riche
legs de souvenirs ; l’autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer
à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis ». . Le passé perçu comme commun à travers « les souvenirs
nationaux » fonde la solidarité. Le consentement la perpétue. C’est ici qu’il explique que « L’existence
d’une nation est un plébiscite de tous les jours, comme l’existence de l’individu est une affirmation
perpétuelle de vie ».
2 Théophile Funck-Brentano et Albert Sorel, Précis de droit des gens, Paris, Plon, 1900, p. 12.
3 Maurice Hauriou, ibid.
4 Raymond Carré de Malberg, Contribution à la théorie générale de l’Etat, tome 1, Paris, Editions du CNRS, 1962, p. 2.
5 Pierre Bourdieu, Sur l’Etat, op. cit., p. 546.
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même de l’Afrique du Sud. Ainsi, la population d’un Etat peut être composée de communautés ethniques
diverses soit au moment de son premier rassemblement, soit au cours de son agrandissement, la
cohabitation entre les différents éléments donnant progressivement naissance à un ensemble de races
mélangées, soit par l’action d’un premier royaume, soit par la fonte des éléments divers les uns dans les
autres.
b)-La nation écartelée
Ainsi, le mouvement de décolonisation s’est appuyé sur le principe des nationalités et le droit
des peuples à disposer d’eux-mêmes sans que pour autant les différences entre les formations ethniques
aient disparu par le fait de l’absence de communautés de race, de langue ou de religion. Ainsi,
contrairement à l’Europe, dans de nombreux pays, on assiste à la dissociation entre la nation et l’Etat.
Dans ce cas, l’Etat précède la nation et charge donc ses principaux organes de la construire ou de
l’inventer pour en faire « un corps organisé, vivant et puissant »6. Il en est ainsi des Etats africains dont
les ethnies se retrouvent dans plusieurs pays. De même, pendant longtemps de la nation allemande
jusqu’en 1989 qui se trouvait écartelée entre la rive Ouest et la rive Est ; c’est encore le cas aujourd’hui
de la nation kurde que l’on retrouve dans plusieurs Etats (Irak, Iran, Turquie, ex-Urss).
c)-La nation non constituée
C’est le cas de beaucoup d’Etats africains issus de la décolonisation. En effet, l’Etat y a précédé
la nation. Le colonisateur a plaqué l’Etat sur une réalité sociologique composite, avec une mosaïque
d’ethnies. Le rôle assigné à l’Etat dans la plupart de ces pays était d’achever la construction de la nation.
La notion moderne d’Etat prend donc en compte l’ensemble du mouvement humain. Autrement dit, ce
mouvement est localisé et déterminé par l’Etat, l’effectivité de ce dernier créant celle de la nation. Au
final, l’élément personnel de l’Etat est une entité artificielle, c’est-à-dire non-construite ou plus
exactement en perpétuelle construction. C’est là certainement, le point commun avec le territoire.
§ 2 : Le territoire
Il n’est pas possible de concevoir un Etat sans emprise géographique, en tant que celle-ci est le
seul élément matériel de la construction étatique. La construction de « l’Etat-territoire »7 s’appuie sur
les fonctions (A) et les dimensions (B) de cet élément physique.
L’élément de territorialité est indispensable à l’Etat parce que le sol joue le double rôle de fixer
les populations jusque-là flottantes et de donner à l’autorité publique les moyens de réaliser l’intégration,
c’est-à-dire l’unification de populations jusque-là imprécise et flottante. Le territoire permet donc à la
nation « de réaliser son unité »8. Comme l’a écrit Michelet, « sans une base géographique, le peuple,
l’acteur historique, semble marché en l’air »9.
Le territoire est donc l’élément qui précise l’identité de la population d’un Etat et qui indique le cadre
spatial de l’exercice de la puissance étatique, l’imperium (souveraineté territoriale), la maîtrise d’un
territoire assurant l’effectivité de la situation étatique.
5
siège) ou partiellement (cas de Berlin ouest avant réunification de l’Allemagne), étriqués (Monaco a 2,5
m2).
Les frontières terrestres sont naturelles ou artificielles fixées par des techniciens en application
d’accords internationaux.
Le territoire terrestre du Gabon comprend neuf provinces : Estuaire, Haut-Ogoué, Moyen-
Ogoué, Ngounié, Nyanga, Ogoué-Ivindo, Ogoué-Lolo, Ogoué-Maritime, Woleu-Ntem.
Au point de vue administratif, la Constitution du 26 mars 1991 prévoit les divisions territoriales
constituées des collectivités locales et provinces, administrées par le représentant de l’Etat (article 105).
Ensuite, le territoire maritime qui concerne les eaux intérieures et la mer territoriale qui s’étend
jusqu’à 12 mille marins ; au-delà, c’est la haute mer, ouverte à tous les Etats ; Les frontières maritimes
s’étendent à partir des eaux intérieures non seulement sur la mer territoriale (douze milles marins ou
nautiques à partir des eaux intérieures ; un mille marin =1852 m) mais aussi sur la zone économiques
exclusive (188 milles marins au-delà de la mer territoriale ; soit 200 milles marins). Au-delà, c’est la
haute mer ouverte à tous les Etats. (Alexis). En fait, il s’agit des portions de mer sur lesquelles l’Etat
peut exercer son action de domination ;
Enfin le territoire aérien qui surplombe le territoire terrestre et maritime, en dehors de l’espace
extra-atmosphérique qui relève de la souveraineté de tous les Etats10 telle que consacrée par la
Convention de Chicago du 7 décembre 1944 sur l’aviation civile. En effet, l’article 1er de ce traité pose
le principe d’une « souveraineté complète et exclusive de l’État sur l’espace aérien au-dessus de son
territoire ». En pratique, seuls les Etats techniquement les plus puissants exercent une souveraineté
plénière sur leur espace aérien civil et militaire.
§ 3 : L’autorité exclusive
Pour qu’il y ait un Etat, il ne suffit pas qu’existent une population et un territoire ; il faut que
s’exerce sur cette population et ce territoire une autorité exclusive encore appelée puissance publique.
Ce qui fait la spécificité de cette autorité, c’est qu’elle s’exerce au moyen de normes juridiques. L’Etat
dispose de la force pour faire respecter les normes qu’il édicte. Il a « le monopole de la violence physique
légitime »11 ou pour compléter avec Pierre Bourdieu, « le monopole de la violence physique et
symbolique légitime »12.
L’Etat moderne est né à partir du moment où l’Etat a revendiqué avec le succès le monopole de
la violence physique.
Cette autorité pour s’exercer durablement et efficacement a besoin d’être légitime c’est-à-dire
accepté par ses destinataires.
En effet, s’il n’y a pas dans les relations entre gouvernants et gouvernés une confiance, l’autorité court
le risque d’être contestée.
Max Weber13 a distingué trois formes de légitimité du pouvoir : la légitimité traditionnelle
fondée sur les coutumes immémoriales ; la légitimité charismatique qui s’appuie sur les charismes, les
qualités personnelles de celui qui exerce le pouvoir et enfin la légitimité légale- rationnelle,
caractéristique de l’Etat moderne dont les organes sont investis par la loi.
A la suite de cette classification Wébérienne, d’autres auteurs14 ont opté pour une approche plus
dynamique en distinguant quatre types de légitimités :
-la légitimité par les procédures (input) qui est liée à des règles auxquelles les citoyens
souscrivent et par lesquelles l’Etat à la fois l’Etat prend des décisions contraignantes et organise la
participation des personnes ;
10 Béatrice Trigeaud, « Souveraineté et liberté dans un espace aérien civil et militaire », Stratégie, n°123, vol. 3, 2019, pp. 179-
198, disponible sur https://www.cairn.info/revue-strategique-2019-3-page-179.htm
11 Max Weber, Le Savant et le Politique, Paris, UGE, « 10/18 », 1963, p. 29 ; du même auteur, Economie et société, Paris, Plon,
collectivement des situations de fragilité, Paris, Éditions Charles Léopold Mayer, 2010, pp. 40 et suiv. Voir aussi, Séverine
Bellina (sous la direction de), avec la collaboration de Marion Muller, Refonder la légitimité de l’Etat. Quand les expériences
et les pratiques parlent, vol. 1, Paris, Karthala, 2015
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-la légitimité par les résultats ou fonctionnelle (output) qui concerne les réalisations de l’Etat,
l’efficacité et la qualité des services et des biens que l’Etat fournit ;
-la légitimité par les croyances partagées qui concerne les représentations collectives permettant
au peuple de considérer l’Etat comme la seule et ultime autorité légitime qui donne sens à la communauté
et à l’identité collective ;
- la légitimité internationale qui octroie une reconnaissance à l’Etat, au régime politique et aux
gouvernants en place en soutenant des politiques publiques mises en place.
Cette conception sociologique, quoique que conforme à la réalité, n’apparaît pas satisfaisante
pour la science juridique, car elle conduit à confondre l’Etat avec ses éléments constitutifs. Dès lors, une
définition juridique de l’Etat tirée des éléments de droit s’impose.
A-Eléments de définition
15 Politique tirée des propres paroles de l’Ecriture sainte, Livre VI, au début.
16 Jellinek, L’Etat moderne, trad. Française, tome 2, p. 248.
17 Adhémar Eismein, Eléments de Droit constitutionnel français et comparé, 6 e édition, Paris, Sirey, 1914, p. 1.
18 Carré de Malberg, Contribution à la théorie générale de l’Etat, op. cit., p. 11.
19 Michou, Théorie de la personnalité morale, 1 ère Partie, 1906, 2ème Partie, 1909 ;
20 Léon Duguit, Manuel de droit constitutionnel, 4 e édition, Paris, Ed. de Boccard, 1923, pp. 29-31.
21 Maurice Hauriou, Précis de droit constitutionnel, 1 e édition, Paris, Sirey, 1923, pp. 712 et suiv.
7
de support »22. En d’autres termes, l’institutionnalisation du pouvoir est l’opération juridique par laquelle
le pouvoir est dissocié de son titulaire provisoire, le roi, le Chef, pour se rattacher à une entité
permanente, l’Etat, qui lui sert de support et qui absorbe toutes les institutions préexistantes. L’Etat est
« l’institution des institutions »23. Cette conception de l’Etat est la marque d’un pouvoir démocratique
moderne, qui se traduit sous la forme d’un acte juridique spécifique : la Constitution24. Elle présente des
effets certains dans la conception du pouvoir.
B-Les conséquences
Le premier effet est la dissociation entre l’Etat et les gouvernants. Ici, le pouvoir cesse d’être
individualisé, c’est-à-dire confondu dans la ou les personnes qui l’exercent, pour devenir celui de l’Etat.
Autrement dit, le pouvoir ne fait pas ou plus l’objet d’une appropriation personnelle, il n’est pas une
propriété privée, un bien patrimonial ou familial. Dès lors, les gouvernants ne sont que de simples
serviteurs de l’Etat, des dépositaires provisoires, des organes qui agissent en son nom et pour son
compte ; les actes qu’ils accomplissent lui sont imputables. Cette distinction garantit la reconnaissance
et la jouissance des droits et libertés des gouvernés. Elle implique aussi que la légitimité des gouvernants
dérive de l’État et, notamment, des règles fixées par lui et prévues dans son statut.
Le deuxième effet est la permanence de l’Etat. Elle implique que la continuité du pouvoir
n’existe pas en la personne des gouvernants ou même en la forme de l’Etat qui peut changer25, elle a son
siège dans l’institution, l’Etat, qui est permanente, perpétuelle et qui demeure de génération en
génération ; ce qui rend possible les changements de gouvernants et l’organisation d’un mode régulier
de transmission des compétences. C’est dans ce sens que Bossuet a pu dire : « O Princes vous mourrez,
mais votre Etat doit être immortel », mais encore « le roi est mort, vive le roi ».
La permanence implique aussi que les gouvernants actuels soient liés par les actes de leurs
prédécesseurs, aussi bien sur le plan national que sur la scène internationale et que les gouvernés soient
tenus de respecter les normes initiées et adoptées par « des gouvernants qu’ils n’ont ni vus, ni élus »26.
Il s’agit d’une permanence du droit.
La particularité de l’Etat moderne réside dans le fait qu’il est à la fois une personne morale et
souveraine.
§ 2 : La souveraineté
22 Pierre Pactet et Ferdinand Mélin-Soucramanien, Droit constitutionnel, 32e éd., Paris, Sirey, 2013, p. 11.
23 Maurice Hauriou, Droit public, 1906, p. VII.
24 Georges Burdeau, Traité de Science politique, tome I, Le Pouvoir politique, Paris, LGDJ, 1985, pp. 188-195.
25 Eismein, Eléments de droit constitutionnel français, op. cit., p. 4.
26 Jean Zeh Ondoua, Institutions politiques et administratives gabonaises, Cours, Fascicule, Licence 1 Economie, Université
conception de la souveraineté dans la Rome primitive », Mélanges offerts à Georges Burdeau, Paris, LGDJ, 1977, pp. 265 et
suiv. ; Albert Rigaudière, « L’invention de la souveraineté », Pouvoirs, n°67, 1993, pp. 5 et suiv.
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d’où le terme Rex – lui dicter les ordres, d’où le terme dictator et être le maître du peuple – devait être
sans limite légale, c’est-à-dire summa potestats. Elle s’exprime par exemple par le fait que, du temps de
la royauté, les ordres du roi étaient immédiatement exécutés et il ne pouvait y avoir pour lui aucun juge
à l’intérieur de la cité.
Sous la République, cette toute puissance du roi s’exprimera dans la toute-puissance de l’Etat
en ce qui concerne les choses d’intérêt public. Deux éléments permettent de mieux éclairer cette notion.
A l’intérieur du Gabon, par exemple, il subsiste des autorités diverses soit traditionnelles,
religieuses ou administratives qui produisent diverses normes de conduite. Mais, dans le cadre étatique,
ces autorités sont subordonnées ainsi que les règles qu’elles édictent. Elles ne peuvent s’opposer à l’Etat
et à ses normes. Par contre, le pouvoir de l’Etat se caractérise par le fait qu’il est le seul à être souverain,
c’est-à-dire suprême, ce qui veut dire qu’il n’admet « aucun autre ni au-dessus de lui, ni en concurrence
avec lui ». Dès lors, l’Etat détient la puissance de domination la plus haute « qui ne relève d’aucun autre
pouvoir et qui ne peut être égalé par aucun autre pouvoir »28.
Cette puissance suprême présente deux aspects : interne et externe.
28 Carré de Malberg, Contribution à la théorie générale de l’Etat, tome 1, op. cit., p. 70.
29 C.P.A., sentence arbitrale du 4 avril 1928, affaire de l'Île des Palmes, R.S.A., vol. II, p. 838.
9
2/- L’exercice
La notion de droit régalien permet de passer de l’aspect doctrinal de la souveraineté à l’aspect
quotidien de l’existence de l’Etat, c’est-à-dire à l’exercice de son pouvoir et aux actes ordinaires de la
puissance publique. Ces actes présentent du pouvoir d’Etat quatre caractères spécifiques :
La souveraineté, dans sa mise en œuvre, est largement remise en cause aujourd’hui, tant dans
l’ordre interne que dans l’ordre externe.
10
-L’accroissement des conflits internes, l’irruption du phénomène du terrorisme aboutissent à la
remise en cause de la souveraineté territoriale de l’Etat à tel point que, dans un pays comme la
République centrafricaine, 80% du territoire est contrôlé par les groupes rebelles et non par l’Etat.
Les formes ou genres d’Etat renvoient à ce que Georges Burdeau présente comme la nature
interne du pouvoir dont l’institution étatique est le support.
La théorie classique du droit constitutionnel fait une distinction entre Etat unitaire (Section 1)
et Etat composé (Section 2).
L’Etat unitaire ou simple est le type d’Etat le plus répandu dans le monde.
On appelle Etat unitaire la collectivité étatique qui n’est pas divisible en partie interne méritant
elle-même le nom d’Etat30 parce que, comme le dit Georges Burdeau, elle ne possède qu’un seul centre
d’impulsion politique et gouvernementale. Ce qui signifie que le pouvoir politique y relève dans la
totalité de ses attributs et de ses fonctions d’un titulaire unique qui est la personne juridique de l’Etat.
En d’autres termes, dans ce type d’Etat, « la souveraineté n’est ni divisée ni partagée ; elle conserve sa
pleine unité »31. C’est cette situation que souligne l’article 2 de la Constitution du 26 mars 1991 à savoir
que « le Gabon est une République indivisible » et que réaffirme le 4e considérant de la décision n°11/CC
du 21 janvier 1994 de la Cour constitutionnelle.
Toutefois, l’Etat unitaire, en fonction de son degré de démocratisation, renferme trois modalités :
l’Etat centralisé et l’Etat décentralisé, d’une part (§ 1), l’Etat régional, d’autre part (§ 2).
11
§ 1 : L’Etat unitaire centralisé et décentralisé
L’Etat unitaire centralisé est celui au sein duquel la centralisation administrative s’ajoute à la
centralisation politique. Autrement dit, il se caractérise par une unité de décision dans le domaine
politique et administratif. Juridiquement, cela se traduit par le fait que l’Etat est la seule personne morale
de droit public.
En pratique, une centralisation absolue est purement une fiction. En effet, il est impossible que
les autorités centrales qui prennent des décisions au niveau national puissent les faire exécuter sur le
plan local. C’est pourquoi, l’Etat centralisé est généralement organisé selon le modèle de la
déconcentration. Ici, l’administration centrale se prolonge au niveau local par des services extérieurs
situés en provinces et soumis à son autorité hiérarchique. Comme dit Odilon Barrot : « C’est le même
marteau qui frappe, mais on en a raccourci le manche ». La déconcentration est symbolisée sur place
par le gouverneur, le préfet et, le cas échéant, le sous-préfet.
Il se caractérise par le transfert, par l’Etat, d’une partie de ses compétences vers d’autres
structures administratives qui peuvent être des autorités locales élues par les citoyens ou des
établissements.
De cette définition, il apparaît qu’à côté de l’Etat, personne morale par excellence de droit
public, subsistent d’autres personnes morales de droit public qui procèdent soit de la décentralisation
territoriale ou géographique, soit de la décentralisation fonctionnelle ou technique ou encore par service.
En vertu de l’article 103 alinéa 2 de la Constitution, complété par la loi organique n°1/2014 du
15 juin 2015 relative à la décentralisation, les collectivités territoriales s’administrent librement, mais
elles sont soumises à la tutelle de l’Etat représentée par le gouverneur ou le préfet.
Ces deux éléments renvoient à deux principes fondamentaux de l’Etat unitaire décentralisé :
d’une part, le principe de libre administration et, d’autre part, le principe d’indivisibilité de la
République.
32Article 121, alinéa 3, de l’ordonnance n° 00004/2018/PR/2018 modifiant, complétant et supprimant certaines dispositions
de la loi n° 07/96.
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optique que « les projets de loi afférents aux collectivités locales sont présentés en premier lieu devant
le Sénat »33.
Toujours du point de vue démocratique, la libre administration implique aussi la possibilité pour
les organes décentralisés d’initier des référendums d’initiative locale prévus par l’article 103a de la
Constitution gabonaise et par l’article 36 de la loi organique n°1/2014 du 15 juin 2015 relative à la
décentralisation.
Pour être effective, la libre administration implique que les collectivités locales puissent
disposer de moyens juridiques et financiers conséquents pour leur assurer une certaine autonomie de
décision. Les premiers renvoient au pouvoir normatif local et les seconds au pouvoir financier local.
Le pouvoir normatif est double : d’une part, le pouvoir réglementaire et, d’autre part, la liberté
contractuelle.
Le pouvoir réglementaire des collectivités locales leur est conféré de manière explicite par le
législateur organique. Il s’agit pour elles, soit de mettre en œuvre une loi dans un domaine déterminé,
soit d’exercer une compétence propre ou autonome attribuée à elles par le législateur. Ce pouvoir
réglementaire n’est qu’un moyen indispensable à l’exercice de la libre administration. Il ne peut
nullement faire concurrence avec le pouvoir réglementaire que la Constitution attribue au Président de
la République et au Premier ministre (articles 27 et 29).
La liberté contractuelle est également une conséquence de la libre administration des
collectivités locales. En effet, à l’heure de la mondialisation, de la libéralisation des services publics et
de la contractualisation, la mise en œuvre de leurs compétences peut nécessiter la signature de contrats
avec les prestataires publics ou privés. Ce principe est consacré à l’article 36 tiret 19 de la loi organique
sur la décentralisation.
Les collectivités locales bénéficient en outre de l’autonomie financière ou d’un pouvoir
financier, corollaire de leur libre administration.
La notion d’autonomie financière, qui est au cœur de la démocratie et de la bonne gouvernance,
n’est nullement aisée à définir. D’ailleurs, ni la Constitution, ni la loi organique sur la décentralisation
ne définit la notion.
Toutefois, elle peut néanmoins s’entendre, en première approximation, comme étant la situation
d’une collectivité locale disposant d’un pouvoir propre de décision et de gestion de ses recettes et de ses
dépenses, regroupées en un budget, et nécessaire pour l’exercice de ses compétences. Dans sa décision
n°1/CC du 28 février 1992, la Cour constitutionnelle semble aller dans le même sens : « Considérant
que la possibilité pour une institution d’avoir des ressources autres que les crédits inscrits pour elle au
budget de l’Etat implique nécessairement que cette institution bénéficie de l’autonomie financière ».
En pratique, ce principe est limité car les collectivités locales du Gabon bénéficient d’une
autonomie financière réduite dès lors qu’elles ne peuvent pas créer leurs propres recettes et leurs
assiettes d’impôts qui relèvent de la compétence du législateur (article 47 de la Constitution). De plus,
elles se voient imposer des choix en matière de dépense et enfin elles sont soumises à des contrôles
extérieurs stricts.
La libre administration n’implique néanmoins pas autonomie totale car elle est contenue par le
principe d’indivisibilité de la République.
13
organes nationaux. La seule exception est celle autorisée ou voulue par exemple par le constituant
français pour les régions et départements d’outre-mer (articles 73 al. 2 et 74 C). D’autre part, le respect
par les collectivités locales des prérogatives de l’Etat. Celles-ci sont mises en œuvre sur le plan local par
le représentant de l’Etat qui « veille au respect des intérêts nationaux » par l’exercice d’un contrôle a
priori ou a posteriori sur les actes des organes locaux. La conséquence de ce contrôle est l’exclusion des
compétences de souveraineté au profit des collectivités locales, en l’occurrence les compétences
législatives, internationales et juridictionnelles.
-L’indivisibilité du territoire : Elle renvoie à l’intangibilité ou l’intégrité du territoire national et
à l’uniformité des droits applicables.
L’intégrité du territoire national est prévue par l’article 8 alinéa 2 de la Constitution. Elle est garantie
par le Président de la République et ne peut être remise en cause que par le peuple souverain, par la voie
du référendum34.
Dans certains Etats comme la France, ce principe n’est pas absolu. En effet, l’alinéa 2 du
Préambule de la Constitution de 1958 avait laissé aux territoires d’outre-mer une possibilité initiale de
choix entre l’indépendance et l’acceptation de la Loi fondamentale, de même que la faculté de changer
de statut dans un délai de quatre mois après la promulgation de la Constitution, pour devenir soit des
départements d’outre-mer, soit des Etats membres de la nouvelle Communauté, avec, dans ce dernier
cas, la possibilité d’accéder à l’indépendance (article 76 C).
Par ailleurs, le Conseil constitutionnel a admis qu’un territoire, en l’occurrence les Îles Comores,
puisse cesser d’appartenir à la République « pour constituer un Etat indépendant ou y être attaché »35.
Enfin, la diversité territoriale des régimes juridiques est acceptée en France à travers les
principes de spécialité36, d’adaptabilité37 et d’expérimentation38 législative faisant de ce pays un « Etat
pluri-législatif »39.
En revanche, au Gabon, la faible décentralisation et la non prise en compte des spécificités des
collectivités territoriales justifient le caractère absolu du principe d’uniformité des droits applicables et
ce, malgré l’influence permanente des droits coutumiers qui ne s’imposent néanmoins que dans les
relations individuelles.
-L’indivisibilité du peuple : « Le peuple gabonais » est le premier groupe de mot de la
Constitution gabonaise. Il marque le principe du seul peuple gabonais, « animé de la volonté d’assurer
(…) son unité nationale, d’organiser la vie commune (…) » (alinéa 1er du Préambule de la Constitution).
Ce principe implique la non-reconnaissance constitutionnelle des minorités. C’est ainsi qu’au Gabon,
les peuples autochtones, les Pygmées et autres, n’ont pu bénéficier d’une reconnaissance spécifique, à
l’exception de la jouissance des droits particuliers en matière de gestion de la diversité biologique.
Sur le plan politique, le principe entraîne le refus de toute division entre citoyens, c’est-à-dire
l’interdiction de toute discrimination fondée sur les attaches territoriales ou ethniques et enfin l’unité de
la représentation du peuple. Sur ce dernier point, Carré de Malberg a souligné que « le droit à la
représentation réside, non pas individuellement ou divisément dans chacun des citoyens qui composent
la nation mais indivisiblement dans leur collectivité totale »40.
§ 2 : L’Etat régional
C’est un Etat autonomique ou des autonomies qui se situe dans une position intermédiaire entre
l’Etat unitaire classique et l’Etat fédéral. On peut légitimement se demander s’il s’agit là d’une forme
mer que sil elle en fait la mention expresse et après avoir été promulguée localement. Ce principe est posé à l’article 74 de la
Constitution.
37 Sur la base de l’article 73 de la Constitution, les départements et les régions d’outre-mer peuvent bénéficier de dérogations
ou de mesures d’adaptation du droit commun métropolitain justifiées « par les caractéristiques et les contraintes particulières
de ces collectivités ».
38 L’article 72 alinéa 4 de la Constitution reconnaît à toutes les collectivités territoriales, depuis la révision constitutionnelle de
2003, le droit « de déroger, à titre expérimental et pour un objet et une durée limités, aux dispositions législatives et
réglementaires qui régissent l’exercice de leurs compétences ».
39 Louis Favoreu et alii, Droit constitutionnel, 12e édition, Paris, Dalloz, 2009, p. 514.
40 Raymond Carré de Malberg, Contribution à la théorie générale de l’Etat, Tome 1, op. cit., p. 242.
14
nouvelle d’Etat ou plutôt d’une forme transitoire, une étape dans un processus d’évolution vers le
fédéralisme.
L’Etat régional constitue une forme d’Etat évolutive où le cadre constitutionnel reste celui d’un
Etat unitaire mais où l’autonomie des collectivités territoriales n’est plus seulement administrative, mais
aussi politique et institutionnelle ; ce qui se traduit par des compétences propres constitutionnelles
garanties et de nature législative.
Il apparaît donc que l’Etat régional se caractérise par la reconnaissance d’une autonomie large
au profit des régions et par le maintien de l’unicité de l’Etat.
Si dans l’Etat unitaire classique l’autonomie des collectivités territoriales est définie et mise en
œuvre par le législateur, dans l’Etat régional, elle est consacrée directement par la Constitution.
15
Constitutions d’Espagne et d’Italie dressent une liste des matières relevant de la compétence exclusive
de l’Etat, les articles 148-1 et 117 alinéa 3 fixe les matières dévolues aux communautés autonomes.
Dans un Etat unitaire classique comme le Gabon, cette répartition des compétences relève de la
loi qui peut la réduire à sa guise ou en modifier le contenu.
On peut le constater, l’Etat régional présente plusieurs similitudes avec l’Etat fédéral.
Néanmoins, il s’en distingue sur plusieurs points liés notamment à l’unicité de l’Etat.
L’Etat régional est avant tout une forme d’Etat unitaire. Pour cela, il reste indivisible. Ce
principe est posé à l’article 5 de la Constitution italienne selon lequel « la République, une et indivisible,
reconnaît et favorise les autonomies locales » ou à l’article 2 de la Constitution espagnole qui dispose
que « la Constitution est fondée sur l’unité indissoluble de la nation espagnole, patrie commune et
indivisible de tous les Espagnols… ». Toutefois, l’Etat régional se trouve également limité dans son
application.
16
nationale, ou en Espagne en cas de proclamation de l'état d'alerte, d'urgence ou de siège (declaración de
los estados de alarma, de excepción o de sitio).
Par ailleurs, en Espagne, l’article 155 de la Constitution permet au gouvernement de donner des
instructions directes aux autorités de la communauté autonome, de suspendre des accords ou des
résolutions, d'appliquer des mesures économiques de blocage ou de pression, ou de suspendre des
conventions entre l'État et la communauté autonome, d’interdire aux dirigeants indépendantistes de
continuer d'agir et de prendre contrôle des institutions locales.
Au total, l’Etat simple ou unitaire comprend des variétés diverses, en fonction du degré
d’autonomie conférée aux collectivités locales. Il se distingue ainsi substantiellement de l’Etat composé.
41 Carré de Malberg, Contribution à la théorie générale de l’Etat, tome 1, op. cit., p. 93 ; Maurice Hauriou, Précis de droit
constitutionnel, op. cit., p. 128.
42 Maurice Hauriou, Précis de droit constitutionnel, op. cit., p. 124.
43 Carré de Malberg, Contribution à la théorie générale de l’Etat, tome 1, op. cit., pp. 97-98.
44
Hamilton, Madison et Gay, Le fédéraliste, tome 1, Paris,Buisson, 1792, p. 78.
45 Karl Strupp, Eléments de droit international universel, européen et américain, Paris, Ed. Rousseau & C, 1927, p. 32.
46
8 Carl J. Friedrich. La démocratie constitutionnelle, Paris, Presses universitaires de France, 1958, p. 163. Voir
aussi, s’agissant de la séparation verticale des pouvoirs garantie par le fédéralisme, Roland Strum et Petra
Zimmermann-Steinhart, Föderalismus, Baden-Baden, Nomos, 2005, p. 18 ; « Separazione dei poteri », dans
Tania Groppi, Il federalismo, Rome/Bari, Editori Laterza, 2004, p. 126-128.
47 M. Croisat, Le fédéralisme dans les démocraties contemporaines, 3e éd., Paris, Montchrestien, coll. « Clefs Politique », 1999,
p. 13.
48 Le fédéraliste, deux tomes, Paris, Buisson, 1792.
17
La fédération est le modèle d’Etat le plus répandu parmi les grands Etats et souvent les plus
peuplés, à l’exception de la Chine. Il en est ainsi, outre de ceux cités ci-dessus, du Mexique, de
l’Argentine, de l’Inde, de l’Australie, de la Russie, de l’Ethiopie. Parfois, des Etats moins étendus ont
opté pour ce modèle : Autriche, Belgique, Malaisie, Venezuela, Emirats Arabes Unis, etc.
Toutefois, il existe aussi de nombreux exemples de dislocation de l’Etat fédéral. Il en est ainsi
de la Fédération de la Grande Colombie créée en 1821 et dissoute en 1830, de la République Arabe Unie
regroupant en 1958 l’Egypte, la Syrie et le Yémen et disparue en 1961 ou encore de la Fédération du
Mali regroupant le Sénégal et le Soudan disparue en 1959, de l’URSS qui s’est désagrégée par étapes
de 1989 à 1997, de la Yougoslavie qui a disparu en 1992.
Dans d’autres Etats fédéraux, le modèle résiste. Ainsi, après la défaite des Etats du sud lors de
la guerre de sécession (1860-1865) qui voulaient sortir de la fédération, les USA apparaissent, ainsi que
l’a qualifié la Cour suprême, comme « une union indestructible d’Etats indestructibles »49. Néanmoins,
au Canada, le droit de sécession reste d’actualité en raison de l’opposition quasi permanente entre les
partisans de l’indépendance du Québec et les tenants d’un fédéralisme centralisé et égalitaire.
Il importe de préciser que ces différents Etats fédéraux formés ne constituent nullement des
catégories homogènes (§ 1), bien qu’ils reposent sur des principes communs (§ 2).
18
Enfin, il y a l’exemple belge qui était un Etat unitaire né en 1830 mais qui, en raison de
l’antagonisme permanent entre les Flamands et les Wallons, a été transformé en Etat fédéral par
l’adoption de la loi constitutionnelle du 14 juillet 1993.
Si les revendications des anglophones au Cameroun aboutissent, elles pourraient également, à
la longue, contribuer à la transformation de cet Etat unitaire en une fédération.
Hormis ce premier modèle de fédération, la doctrine distingue la fédération subordination de la
fédération de juxtaposition.
51
AFP, 5 août 2019.
52Jean-PierreMassias, Droit constitutionnel des États d’Europe de l’Est, 2 e édition, Paris, PUF, 2008, pp. 459 et suiv. ; Anne
Gazier, « Fédéralisme et démocratie dans la Russie post-soviétique », RFDC, n°118, 2019, pp. 315-332.
19
membre et non de la fédération dans son ensemble. Le gouvernement de la fédération peut seulement se
faire concéder ou vendre telle ou telle portion du territoire d’un Etat, lorsque s’imposent les nécessités
d’action commune. C’est pourquoi ce fédéralisme est qualifié de juxtaposition.
Au-delà des divergences du modèle fédéral, toute fédération repose sur des principes
d’organisation communs.
20
nombre d’affaires d’intérêt général ; ce qui exigeait une structure gouvernementale autonome dotée de
pouvoirs suffisants pour que ses actes bénéficient de la clause de la suprématie prévue par l’article 6 de
la Constitution.
21
En Allemagne, en revanche, la révision est approuvée par les 2/3 des membres de chaque
assemblée parlementaire, c’est-à-dire le Bundestag et le Bundesrat, qui représente les Länder. Les
Parlements des Länder n’interviennent donc pas directement dans la procédure de révision.
Ensuite, les Etats fédérés participent au pouvoir législatif fédéral par l’intermédiaire de la
deuxième chambre du Parlement, chargée de les représenter (Sénat aux USA, Brésil, Canada, Australie,
Belgique, Nigeria, Bundesrat en Allemagne et Autriche, Conseil des Etats suisse, etc.).
Inhérent au fédéralisme, le bicaméralisme peut être égalitaire comme aux USA où, à la suite
d’un compromis les grands Etats partisans d’une représentation proportionnelle à la population
(Chambre des représentants) et les petits Etats qui voulaient conserver leur égalité issue de la Déclaration
d’indépendance, chaque Etat, quelle que soit sa population dispose du même nombre de représentants
(2). Le même principe est consacré en Suisse avec, à côté du Conseil National qui représente la
population, le Conseil des Etats qui comprend deux députés par canton et un par demi-canton, en
Australie où le Sénat comprend dix représentants par Etat, au Brésil, trois représentants par Etat, etc.
Le bicaméralisme peut être aussi inégalitaire. Ainsi, au Canada, les cinq régions sont
inégalement représentées au Sénat. Deux d’entre elles (Ontario et Québec) ont droit à 24 sénateurs
chacune ; les provinces maritimes (3) disposent de 24 sénateurs, de même que les 6 Provinces de l’Ouest,
alors que Terre-Neuve a droit à 6 sénateurs.
Dans l’exercice du pouvoir législatif, les pouvoirs de la Chambre des Etats fédérés diffèrent
d’une fédération à une autre.
Aux USA, le bicaméralisme est égalitaire car le Sénat dispose des mêmes pouvoirs que la
Chambre des représentants et bénéficie même d’une exclusivité dans certains domaines, notamment la
ratification des traités internationaux à la majorité des deux tiers, approbation de la nomination des juges
et des ambassadeurs, etc.
En revanche, le bicaméralisme allemand est inégalitaire. En effet, le Bundesrat ne dispose d’un
droit de veto législatif qu’en matière fédérale, notamment sur les textes relatifs aux relations
administratives et financières entre la Fédération et les Länder.
Enfin, les Etats fédérés participent au pouvoir exécutif. En effet, les Etats fédérés participent à
la désignation des titulaires du pouvoir exécutif. Aux USA par exemple, la différence qui apparaît entre
la nationalité américaine et la citoyenneté de l’Etat s’exprime dans le cadre de l’exercice des droits
politiques. Cela signifie que le corps électoral se marque non pas par rapport à la fédération, mais par
rapport à chaque Etat. La conséquence obligée de cette situation est que l’ensemble des élections se
déroule dans le cadre des Etats fédérés, selon la loi électorale de chaque Etat. Autrement dit, l’élection
du Président américain se déroule dans le cadre de chaque Etat fédéré et ce sont les grands électeurs de
chaque Etat, en fonction des résultats obtenus par chaque candidat, qui déterminent le choix final.
En Allemagne, le Président fédéral, magistrature morale, est élu par une assemblée composée
des membres du Bundestag et d’un nombre égal de membres élus à la représentation proportionnelle par
les assemblées des Länder.
De façon plus directe, les Etats fédérés peuvent être représentés au niveau du gouvernement
fédéral. Ainsi, au Canada, en vertu d’une convention constitutionnelle, chaque province est représentée
par au moins un ministre fédéral dont l’attribution du portefeuille dépend du poids de son Etat d’origine.
De même, en Suisse ou en Belgique, la composition du gouvernement fédéral tient compte de la diversité
des cantons et communautés linguistiques et de leurs poids démographique et économique.
22
TITRE II : LA CONSTITUTION
La notion de Constitution en tant que celle-ci détermine les formes d’exercice du pouvoir dans
l’Etat est aisée à comprendre. Pour reprendre la vieille tradition du droit public romain, l’exercice du
pouvoir suprême de l’Etat par un chef unique, nommé à vie, ne peut que conduire à l’abus et à
l’oppression. Dès lors, pour les romains, il fallait le limiter non dans le principe qui exprimait la toute
puissance de l’Etat, mais dans la capacité d’action de ses agents.
La pensée politique et institutionnelle occidentale n’a pas raisonné différemment. Elle est partie
d’un constat que l’histoire des peuples européens avait concrétisé et expérimenté : lorsqu’une autorité
s’exerce à l’intérieur d’un cadre juridique mal fixé, le mouvement naturel de son exercice le poussant
vers l’extrême, cette autorité est ou devient inéluctablement arbitraire, c’est-à-dire sans limite de droit,
parce que son titulaire finit par considérer que celle-ci lui appartient en propre, à titre de qualité
personnelle.
En Europe occidentale, l’absolutisme des rois est né de cette situation de flou juridique. Ce qui
a permis aux monarques de considérer que leur pouvoir était de droit divin oubliant ainsi les différentes
règles coutumières qui établissaient et garantissaient les libertés de certaines catégories de sujets. Le
mouvement constitutionnaliste est né de la mise en cause de cette situation et l’initiateur de la pensée
qui a donné naissance à la nouvelle ligne institutionnelle se nomme John Locke.
En Angleterre, en effet, était déjà né un système de limitation du pouvoir. Par exemple le
consentement des sujets à l’impôt, le droit d’aller et venir, l’autonomie de fonctionnement des cours de
justice, se trouvaient déjà inscrits dans la Grande Charte de 1215. De la proclamation des droits et
libertés, les anglais sont passés à la participation à l’exercice du pouvoir par le biais d’un Parlement qui,
au 17e siècle, fonctionne de manière indépendante. Puis, ce fut la révolution de 1689 qui permit
l’installation d’une monarchie contractuelle théorisée par John Locke. Selon cet auteur, s’il est vrai que
le pouvoir d’un homme sur un autre peut aisément se constater de même que dans la société on peut
observer la séparation entre gouvernants et gouvernés, ni la raison humaine, ni la foi ne peuvent justifier
ce fait. Celui-ci a donc un caractère historique ; ce qui signifie que la condition naturelle des hommes
est la liberté et l’égalité. La société, selon Locke, est née de la volonté des hommes eux-mêmes d’avoir
une loi établie, admise par tous, d’avoir un juge compétent et indépendant pour appliquer cette loi,
d’avoir enfin une force coercitive capable de s’imposer à tous en vue des actions collectives nécessaires.
Ainsi, la société est limitée dans son empire de même que le pouvoir qui s’exerce à l’intérieur de cette
société. Cela veut dire que son domaine est nécessairement fixé. C’est le principe du contrat social.
Le mouvement constitutionnaliste né avec le siècle des Lumières va s’emparer de ce schéma. Il
a pour objet de substituer aux coutumes et traditions, des Constitutions écrites afin de limiter
l’absolutisme des pouvoirs monarchiques. Selon ce mouvement, la société civile n’a pas conclu de
contrat avec le système de gouvernement, mais a envisagé, pour le fonctionnement de ce système, une
structure de dépôt d’autorité. Ce dépôt s’exprime par :
-l’affirmation et la garantie des libertés ;
-la limitation du pouvoir impliquant une différenciation entre le principe du pouvoir exclusif de l’Etat
et les autorités qui l’exercent ;
-l’établissement d’un cadre juridique net pour l’action de chaque institution de l’Etat.
C’est cet ensemble d’éléments qui constitue ce qu’il convient d’appeler la Constitution de l’Etat.
Le constitutionnalisme s’est progressivement généralisé et mondialisé à tel point
qu’aujourd’hui, presque tous les Etats se sont dotés d’une Constitution écrite.
Pour une meilleure appréhension de cette notion, il convient d’abord de la définir et de proposer
sa classification (Chapitre 1). Ensuite, il sera intéressant d’étudier l’opération constituante qui consiste
à élaborer et réviser la Constitution (Chapitre 2). Enfin, il sera procédé à l’analyse de l’autorité de la
Constitution (Chapitre 3).
23
Chapitre 1 : Définition et classification de la Constitution
Section 1: La définition de la Constitution
La doctrine distingue généralement une double définition : une définition juridique (§ 1) et une
définition sociologique (§ 2).
§ 1 : La définition juridique
Le mot « Constitution » peut revêtir plusieurs sens. Toutefois, la définition juridique renvoie à
une double définition de la Constitution : au sens matériel et au sens formel.
On peut la définir à partir de son objet, de sa matière, sa substance ou son contenu. On parle
alors de Constitution matérielle. Plus concrètement, à partir du raisonnement théorique du mouvement
constitutionnaliste, la Constitution est considérée ici comme l’acte fondateur d’une société politique
donnée. Mieux, elle est l’acte juridique qui définit le statut de l’Etat, c’est-à-dire qui soumet l’exercice
du pouvoir à un cadre juridique précis pour le choix des gouvernants, pour l’organisation et le
fonctionnement des différentes institutions, pour les rapports entre ces institutions, enfin pour les
rapports entre les citoyens et l’Etat55. Font donc partie de la Constitution matérielle, non seulement les
droits et libertés fondamentaux des citoyens, mais aussi le droit électoral, le droit parlement et le droit
des partis politiques56. Tous les Etats ont une Constitution matérielle, quel que soient leurs régimes
politiques.
55 Michel Verpeaux, La Constitution, Paris, Dalloz, coll. « Connaissance du droit », 2008, pp. 103-104.
56 Pierre Pactet, Ferdinand Mélin-Soucramanien, Droit constitutionnel, 32e édition, Paris, Sirey, 2013, p. 59.
57 Michel Verpeaux, La Constitution, op. cit., p. 104.
24
§ 2 : La définition sociopolitique
La crise de la légitimité de la Constitution en Afrique est due en grande partie au fait que les
Constitutions nouvelles ou révisées ne sont généralement considérées que comme des instruments
normatifs permettant d’encadrer le pouvoir. En effet, de nombreuses Constitutions africaines, élaborées
par les élites politiques ou sociales, n’ont que très rarement pris en compte les aspects sociologiques et
culturels de leurs sociétés. La prédominance de cette approche juridique et positiviste de la Constitution,
qui est source de décalage entre les textes et la réalité sociale, est au cœur de la crise de confiance entre
les gouvernés et les gouvernants, mais aussi de la délégitimation des Constitutions. Dès lors, le
renouveau constitutionnel en Afrique ou alors la réhabilitation de la légitimité des Lois fondamentales
ne peut passer que par la prise en compte de ces réalités sociales. Autrement dit, il s’agit de privilégier
ici une approche politique et symbolique des Constitutions, sans négliger sa dimension formelle. La
Constitution doit être considérée comme un instrument qui institutionnalise la négociation, le consensus.
Mieux, elle doit incarner un pacte social fondateur, assis sur des valeurs et principes communs. La
Constitution doit être ainsi le garant d’un équilibre juste et harmonieux des partenaires politiques et
sociaux.
En outre, elle doit être spécifique à chaque société, en prenant en compte ses mythes, son génie,
ses évolutions particulières et refléter sa culture politique58 et ses symboles. Pour Bernard Lacroix, « une
Constitution est toujours d’une certaine façon l’enregistrement des valeurs collectives d’une époque ou
de plusieurs époques successives, en même temps que la référence de tel acte, de tel geste ou de telle
pratique à ces valeurs, toute Constitution est un produit symbolique »59. La Constitution permet ainsi un
renouvellement des récits mythiques de la société, l’organisation de la coexistence entre les pratiques
hétérogènes des groupes tout en réconciliant ainsi les populations avec leur propre histoire.
Enfin, dans cette perspective de légitimation, la Constitution doit être rédigée dans un style
concis et simple. Selon Montesquieu, « les lois (y compris constitutionnelles) ne doivent point être
subtiles ; elles sont faites pour des gens de médiocre entendement : elles ne sont point art de logique,
mais la simple raison d'un père de famille »60. L’élaboration des Constitutions doit donc avoir pour objet
principal d'atteindre à la notoriété afin que les individus ordinaires sachent qu'une règle s'impose à leur
comportement. Pour ce faire, la langue utilisée doit être simple, claire, intelligible et accessible au plus
grand nombre. Cette exigence milite en faveur de la traduction des Lois fondamentales en langues
vernaculaires. En effet, les constituants doivent prendre en compte les destinataires effectifs de leur
œuvre et non pas seulement les institutions politiques. Il s’agit là des caractéristiques de la « meilleure
lisibilité d’un texte » ou de « bonne compréhension d’une loi », ou encore de « bonne lisibilité d’une
norme ». Selon la jurisprudence constitutionnelle, il s’agit d’un « objectif de valeur constitutionnelle61
dont le juge doit vérifier qu’il est atteint à l’occasion d’un contrôle de constitutionnalité »62.
En définitive, la Constitution serait ainsi un produit propre à chaque société, à chaque peuple,
qui tiendrait compte de ses aspirations, de ses valeurs. La règle est d’autant plus vraie qu’il n’existe pas
d’institutions ou de Constitutions d’application universelle. Selon Jean-Jacques Rousseau : « Avant de
mettre en place le moindre système ou la moindre institution, il faut tenir compte de l’histoire, du
caractère, des coutumes, des croyances religieuses, du niveau économique et de l’éducation de chaque
peuple. Aucune règle, aucune méthode, n’a d’application universelle »63.
58 « Des fonctions politiques des Constitutions. Pour une théorie politique des Constitutions », in Jean-Louis Seurin (textes
présentés par), Le constitutionnalisme aujourd’hui, op. cit., pp. 35-50, p. 35.
59 « Les fonctions symboliques des Constitutions », in J.-L. Seurin (textes présentés par), Le constitutionnalisme aujourd’hui,
constitutionnelles du droit processuel, Libreville, Ed. Raponda-Walker, 2010, p. 14 ; du même auteur, « Le bloc de
constitutionnalité », Hebdo informations, n°562, 14 mars 2009, pp. 25-27.
63 Cité par J. Barzun, « Le théorème démocratique », Dialogue, n°88-2/1990, pp. 2-7, p. 5. Il s’agit notamment d’une réponse
de Jean-Jacques Rousseau adressée dans une brochure aux émissaires polonais et corses qui lui posaient la question suivante :
« La souveraineté populaire, le suffrage universel, pour quoi faire ? ». La réponse de Rousseau illustre sa conception du
législateur et du rédacteur d’une Constitution.
25
Les Constitutions peuvent être classées soit par rapport à leur forme, soit par rapport à leur
procédure de révision. Dans le premier cas, il convient de distinguer les Constitutions non écrite et écrite
(§ 1). La seconde hypothèse met en parallèle les Constitutions souple et rigide (§ 2).
64 Meny Y., « Les conventions de la Constitution », Pouvoirs sept. 1989, n° 50, p. 53 à 68.
65Benjamin Constant, Principes de politique, Paris, Hachette Littératures, 1997, p. 110.
26
2/-La Constitution jurisprudentielle
Le rôle des juridictions constitutionnelles dans la sécrétion des normes constitutionnelles est
acquis aujourd’hui dans la plupart des régimes constitutionnels. En effet, par ses missions de contrôle
de constitutionnalité des normes juridiques, d’interprète de la Constitution et de régulateur du
fonctionnement régulier des institutions et de l’activité des pouvoirs publics, le juge constitutionnel est
devenu créateur des règles constitutionnelles66 dégagées soit des textes fondamentaux, soit proprio
mutu. Il s’agit notamment des objectifs de valeur constitutionnelle67, à l’exemple de l’applicabilité d’une
loi ou de la bonne lisibilité d’un texte68. Ensuite, il y a les exigences de valeur constitutionnelle comme
la protection de la vie privée et de l’intimité de la personne humaine69 ou encore la protection par l’Etat
de la santé des populations70. Enfin, s’ajoutent les principes constitutionnels. Il en est ainsi, entre autres,
de la légalité républicaine71, de la hiérarchie des normes ; du droit de grève ; du principe de la séparation
des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire72 ; du principe d’irrévocabilité des décisions de la Cour
constitutionnelle73 ; du principe de la liberté d’opinion74 ; du principe du procès équitable75 ; de la liberté
d’aller et venir ; du droit à la propriété ; de la présomption d’innocence76 (12e et 13e considérants) ; du
principe de l’égalité de tous devant la loi77 ; de l’intérêt pour agir (32e considérant) ; du principe de
proportionnalité, etc.
On le voit, le droit constitutionnel jurisprudentiel est donc devenu une réalité78.
66 Séverin Andzoka Atsimou, « La participation des juridictions constitutionnelles au pouvoir constituant en Afrique », RFDC,
n°110, 2017, pp. 279-316.
67 P. de Montalivet, Les objectifs de valeur constitutionnelle, thèse, Paris II, 2004, p. 614.
68 La loi doit être entendue au sens général ici puisque est concernée également la Constitution. Cf. Décision n°5/CC du 18
mars 2008, 9e considérant, Hebdo informations, n°554, 28 juin-12 juillet 2008, p. 117.
69 Décision n°6/CC du 4 mai 2004, ibid., 11 e considérant.
70
Décision n°053/CC du 28 janvier 2022, 29e considérant.
71 Décision n°2/CC du 28 janvier 1993, 21e considérant, Hebdo informations, n°268, 30 janvier 1993, pp. 20-21.
72 Décisions n° 2/CC du 17 mars 1999, Hebdo informations, n°398, 10 avril 1999, p. 66.
73 Décision n°15/CC du 4 septembre 2001, 4 e considérant, Hebdo informations n°445, 29 septembre 2001, p. 146.
74 Décision n°1/CC du 8 janvier 2004, 3 e considérant, Hebdo informations, n°466, 8-22 février 2004 ? PP ; 27-28.
75 Décision n°3/CC du 13 mars 2017 relative à l’interprétation des dispositions de l’article 78 de la Constitution, 8 e considérant,
politiques constitutionnelles au prisme des systèmes politiques africains, Bruxelles, Bruylant, 2009, p. 579.
27
A l’époque moderne, l’ensemble des Constitutions présente ces exigences : une déclaration des
droits afin de fixer, de préparer des libertés fondamentales inaliénables et sacrées que l’on dit tenir à la
nature et qui restreignent la liberté d’action des gouvernants. Ainsi, aux USA par exemple, une fois la
Constitution achevée d’être rédigée le 17 septembre 1787, il fallut permettre l’adoption rapide d’une
déclaration des droits qui constitue à l’heure actuelle les dix premiers amendements. Ensuite,
l’application du principe de la séparation des pouvoirs telle que le présente l’article 16 de la Déclaration
française des droits de l’homme et du citoyen.
Enfin, l’idée d’Etat de droit, c’est-à-dire un Etat dont l’action n’est légitime que lorsqu’elle se
situe à l’intérieur d’une aire limitée et fixée par un ordonnancement juridique préétabli et contraignant.
Comme nous l’avons vu plus haut, la Constitution écrite peut faire l’objet d’applications
coutumières, soit pour combler les lacunes, soit pour modifier le sens de certaines dispositions.
Au Gabon, si le Premier ministre est le chef du gouvernement (article 31 alinéa 2) et que le Chef
de l’Etat nomme les autres membres du gouvernement et met fin à leurs fonctions sur proposition du
Premier ministre (article 15), il est évident que dans un régime présidentialiste, le Président de la
République, détenteur suprême du pouvoir exécutif (article 8 in fine), assume, dans la pratique,
l’essentiel de ces attributions. De même, le Premier ministre, selon une règle coutumière a toujours été
choisi parmi les citoyens de l’ethnie fang, d’abord de l’Estuaire, puis du Woleu-Ntem, ou d’une ethnie
Kota dans l’Ogoué-Ivindo, proche de la première, avant de revenir à une ressortissante de l’Estuaire.
28
L’article 88 de la Constitution permet également d’élargir le bloc de constitutionnalité aux
règlements des Assemblées.
Les règlements des Assemblées parlementaires qui se présentent sous forme de résolution
adoptée par chaque Chambre du Parlement selon la procédure ordinaire relèvent de ce que le droit
administratif appelle les mesures d’ordre intérieur83. Leur objet est non seulement d’organiser le
fonctionnement interne des Chambres, les procédures suivies dans leurs délibérations et les mécanismes
de contrôle, mais également d’assurer la discipline de leurs membres. Il en résulte que les règlements
des Assemblées sont le complément indispensable de la Constitution de 1991. C’est d’abord pour cette
raison que la Cour constitutionnelle gabonaise, à la différence du Conseil constitutionnel français, a
reconnu à ces textes une valeur constitutionnelle.
Enfin, la Cour a élargi le bloc de constitutionnalité aux règlements des autorités administratives
et indépendantes déterminées par la loi84 et aux lois organisant un des droits fondamentaux protégés par
la Constitution85.
Il en résulte donc une extension exagérée et, à terme, pernicieuse du bloc de constitutionnalité
et plus précisément des normes constitutionnelles écrites.
83 Télesphore Ondo, Le droit parlementaire gabonais, Paris, L’Harmattan, 2008, pp. 11-12 et 104-105.
84 Avis n°045/CC du 10 janvier 2018, 18e considérant. La Cour indique « lesdites autorités interviennent dans des domaines
touchant aux droits fondamentaux de la personne humaine et aux libertés publiques ; il est nécessaire que les textes qui
organisent leur fonctionnement fassent l’objet d’un contrôle préalable de conformité à la Constitution… ».
85 Décision n°14/CC du 22 juin 2017 relative à la demande du Premier ministre tendant à l’interprétation de certaines
dispositions de la loi n°002/2008 du 8 mai 2008 fixant le régime particulier des pensions de retraite des membres du
Gouvernement, des députés et des sénateurs, modifiée par la loi n°42/2010 du 2 février 2011, 5 e considérant.
29
Les nouvelles Constitutions africaines issues du processus de démocratisation entamée depuis
1990 le sont un peu moins du fait de la nouvelle donne qui assure l’autonomie de fonctionnement de
l’institution de décision, qu’il s’agisse du Parlement ou du corps électoral.
Toutefois, la pratique observée en Afrique depuis 1990 montre que la procédure de révision
constitutionnelle reste monopolisée et est instrumentalisée par plusieurs Chefs d’Etat africains et les
textes sont adoptés par des Assemblées parlementaires aux ordres ou par des citoyens corrompus et
inconscients. En conséquence, par ce biais, on a assisté à des restaurations autoritaires sur le continent.
L’opération constituante est celle qui consiste à l’élaboration (Section 1) et à la révision (Section
2) de la Constitution.
30
§ 1 : Le pouvoir constituant originaire
A-Signification et implications
Le pouvoir constituant originaire est le pouvoir exercé par un ou des organes pour élaborer une
Constitution alors qu’aucune Constitution n’est en vigueur. Par exemple, lors de l’établissement de la
Constitution de la IVe République française, le corps social convoqué par référendum exerçait un
pouvoir constituant originaire.
Toutefois, ce pouvoir peut aussi intervenir alors même qu’existe un texte constitutionnel,
notamment lors que la nécessité se présente de passer d’un ordonnancement ancien à un ordonnancement
nouveau. Dans l’histoire politique et constitutionnelle gabonaise par exemple, l’Assemblée nationale a
exercé un pouvoir constituant originaire le 26 mars 1991 afin que l’ordonnancement juridique né de la
Constitution du 21 février 1961 cède le pas à un ordonnancement nouveau.
Plus concrètement, l’établissement de la Constitution peut se produire soit lors de la création
d’un Etat nouveau, soit à la suite d’une révolution pacifique ou violente ayant mis fin à la Constitution
ancienne ou même à la suite du changement de la forme juridique d’un Etat ou d’un régime politique.
L’exercice du pouvoir constituant originaire pose deux problèmes importants : celui de l’autorité
compétente pour l’établissement de la Constitution et celui de la juridicité de son œuvre.
Les auteurs classiques posent en prémices que le pouvoir qui est à l’origine de la Constitution
est nécessairement particulier comme bénéficiant d’une autorité politique et juridique spéciale sans
laquelle il ne lui sera pas possible de définir la composition et le fonctionnement des différents pouvoirs
de l’Etat. Ainsi, le pouvoir constituant est par définition suprême, c’est-à-dire placé au-dessus de tous
les pouvoirs établis par la Constitution, non par le fait de son aspect extérieur, mais par son rôle.
Pour Georges Burdeau, le pouvoir constituant originaire étant le pouvoir créateur de l’Etat. Il
s’agit donc, par rapport à l’Etat, d’un pouvoir primaire, inconditionné et qui se fixe à lui-même les
formes dans lesquelles il entend s’exercer. Les institutions qui assument cette responsabilité disposent
du pouvoir d’auto-organisation propre à la puissance étatique. Dans le cas où il s’agirait de réorganiser
un Etat ancien ou de transformer sa forme juridique, l’ordre juridique précédent peut parfois être ignoré.
Il demeure cependant que dans cette hypothèse, le titulaire du pouvoir constituant originaire est placé à
l’intérieur de l’Etat. Il en a été ainsi en septembre 1958 pour le corps électoral français comme en mars
1991 pour l’Assemblée nationale gabonaise.
Le deuxième problème posé est celui de l’œuvre de droit. Selon Georges Burdeau, la validité
juridique de l’activité du pouvoir constituant originaire ne peut être contestée parce que même lorsqu’il
s’agit d’une œuvre révolutionnaire, celle-ci n’est pas une rupture totale du droit, mais une transformation
de sa structure. Autrement dit, l’exercice du pouvoir constituant originaire s’apparente à l’intervention
directe de l’autorité politique exclusive qui est propre à l’Etat et qui bénéficie, pour reprendre Jellinek,
de la compétence de sa compétence.
Toutefois, il est de plus en plus difficile d’affirmer aujourd’hui que le pouvoir constituant
originaire est encore suprême tant de nombreuses contraintes s’imposent désormais à lui.
Le pouvoir constituant originaire peut être limité par l’ordonnancement juridique ancien. Ainsi,
en France, par exemple, la loi constitutionnelle du 3 juin 1958 habilite le nouveau gouvernement formé
par le Général De Gaulle à mettre en place de nouvelles institutions, sous certaines conditions. Celles-
ci sont plus précisément constituées de cinq principes constitutionnels qui s’imposent au gouvernement
et qui apparaissent comme autant de limitations à sa liberté de rédaction de la future Constitution de la
Ve République. Ils sont énoncés ainsi qu’il suit : « 1° Seul le suffrage universel est la source du pouvoir.
C’est du suffrage universel ou des instances élues par lui que dérivent le pouvoir législatif et le pouvoir
exécutif ; 2° le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif doivent être effectivement séparés de façon que
le gouvernement et le Parlement assument chacun pour sa part et sous sa responsabilité la plénitude de
leurs attributions ; 3° le gouvernement doit être responsable devant le Parlement ; 4° l’autorité judiciaire
doit demeurer indépendante pour être à même d’assurer le respect des libertés essentielles telles qu’elles
sont définies par le Préambule de la Constitution de 1946 et par la Déclaration des droits de l’homme à
laquelle il se réfère ; 5° la Constitution doit permettre d’organiser les rapports de la République avec les
peuples qui lui sont associés ».
31
Bien que non assorties de sanctions, ces obligations n’en ont pas moins exercé une influence
certaine sur le pouvoir constituant originaire de 1958.
De la même manière, les pères constituants africains francophones des années quatre-vingt dix
ont semblé être plus ou moins liés, du moins politiquement et surtout moralement, par les actes des
Conférences nationales dans leur œuvre d’élaboration des nouvelles Constitutions. En effet, ils devaient
en quelque sorte reproduire ou traduire ces actes en textes constitutionnels. Cependant, la neutralisation
de ces assises par les dirigeants dans de nombreux cas86 et l’inexistence d’une garantie juridictionnelle
de cette obligation politico-morale ont favorisé le verrouillage, puis l’instrumentalisation du pouvoir
constituant originaire par les gouvernants en vue de leur pérennisation. En conséquence, les
Constitutions ainsi élaborées n’ont, dans l’ensemble, reproduit que de moitié les principes érigés en
vertu cardinale lors des Conférences nationales. Dans d’autres cas, ces principes ont simplement été
pervertis.
En revanche, l’exemple sud-africain montre que le pouvoir constituant originaire peut être aussi
soumis à un contrôle juridictionnel dans une optique de préservation des acquis démocratiques. En effet,
la Constitution intérimaire87négociée et adoptée en 1993 par l’ensemble des forces vives sud-africaines
contenait, dans son annexe IV, trente-quatre principes qui constituent en quelque sorte des garde-fous
permettant d’éviter tout retour en arrière. Ces barrières suprêmes devaient lier le pouvoir constituant
originaire dans son œuvre créatrice en 1996 sous la garantie de la Cour constitutionnelle. Dans une
première décision du 6 septembre 199688, la Cour déclare non conformes à ces principes certaines
dispositions de la nouvelle Constitution. L’Assemblée constituante amende alors son texte le 11 octobre
1996 et la Cour rend, après un nouvel examen, une décision de conformité ou de certification de la
Constitution avec l’ensemble des principes fondateurs le 4 décembre 199689.
86 Télesphore Ondo, La responsabilité introuvable du Chef d’Etat africain. Analyse comparée de la contestation du pouvoir
présidentiel en Afrique noire francophone (Les exemples camerounais, gabonais, tchadien et togolais), thèse, Université de
Reims, 2005, pp. 444-451.
87 F. DREYFUS, « La Constitution intérimaire d’Afrique du Sud », RFDC, n°19, 1994, pp. 465-495.
88 CCT 23/96, certification of the Constitution of the Republic of South Africa, 1996 (10), BCLR 1253 (CC).
89 CCT 37/96, certification of the Amended text of the Final Constitution, 1997, BCLR (CC). Voir, X. PHILIPPE,
« Présentation de la Cour constitutionnelle sud-africaine », Les Cahiers du Conseil constitutionnel, n°9, 2000, pp. 41-52, p. 52.
32
Le principe est le même lorsqu’un pouvoir de fait, une révolution populaire ou un coup d’Etat
militaire par exemple, abroge la Constitution en vigueur et décide d’établir une autre qu’il octroie au
peuple. Des exemples de Constitutions adoptées selon ce procédé sont nombreux dans l’histoire
contemporaine africaine.
L’octroi peut néanmoins faire l’objet d’une négociation entre les forces politiques en présence
et prendre ainsi la forme d’un contrat. C’est le cas de la Charte du 14 août 1830 en France négociée par
les parlementaires et le roi Louis Philippe. Il en fut de même de la Constitution belge de 1831.
33
b)-l’association de l’assemblée et du référendum :
Le principe consiste à soumettre le texte élaboré par la convention à l’approbation des électeurs
par la voie du référendum constituant. Le peuple exerce donc ici lui-même le pouvoir constituant. C’est
le mode le plus démocratique. Aux USA, il y eut d’abord la mise en place d’une commission
constitutionnelle chargée d’élaborer le texte. Puis, une fois ce texte présenté au Congrès, il fut adopté
par les parlements des Etats ou par les différents corps électoraux. Néanmoins, l’exemple le plus
emblématique de ce procédé est sans doute l’adoption de la Constitution française de 1946. En effet, le
peuple ayant refusé, le 5 mai 1946, d’approuver le projet que lui soumettait l’Assemblée, il a fallu élire
une nouvelle Assemblée constituante chargée d’élaborer le texte constitutionnel lequel devait être
soumis ensuite à la votation populaire par le biais du référendum le 13 octobre 1946.
34
Section 2 : La révision de la Constitution : le pouvoir constituant dérivé
Le pouvoir constituant dérivé est le pouvoir chargé de réviser la Constitution. L’existence de ce
pouvoir part d’un constat logique. La Constitution, parce qu’elle fixe le statut organique de l’Etat doit
bénéficier d’une certaine permanence, c’est-à-dire qu’elle doit être conçue comme une œuvre durable.
Toutefois, cette durabilité nécessaire ne saurait signifiée immutabilité. Il faut donc que, sans
bouleverser son schéma général, la Constitution pourra subir un certain nombre de changements
nécessaires, ces changements intervenant évidemment selon une procédure protection préétablie. En
effet, s’il n’existait pas la possibilité de retouche, soit pour apporter des compléments au texte, soit pour
introduire des adaptations, l’on se trouverait devant l’obligation de n’avoir pour procédé d’évolution
institutionnelle que des refondations du système étatique, c’est-à-dire des actions extraordinaires
susceptibles de produire chaque fois un désétablissement social de l’Etat.
Par ailleurs, si les changements prévus n’étaient soumis à un cadre juridique préétabli, l’on
donnerait à l’institution chargée de réviser la Constitution, non plus seulement le pouvoir de la modifier,
mais le pouvoir d’en établir une autre, avec le risque d’une fraude à la Constitution91, parce que l’autorité
constituée s’investira elle-même d’un pouvoir originaire.
Deux données essentielles entrent dans le cadre de la révision de la Constitution : d’une part, la
procédure de révision (§ 1), d’autre part, le contrôle de la révision constitutionnelle (§ 2).
§ 1 : La procédure de révision
Les deux premiers textes constitutionnels à avoir prévu leur propre procédure de révision sont
la Constitution américaine de 1787 entrée en vigueur en janvier 1789 et la Constitution française du 3
septembre 1791. Cette dernière présente, en son article 1er du titre 7, le problème même de la révision
d’une Constitution : « L’Assemblée nationale constituante déclare que la nation a le droit imprescriptible
de changer sa Constitution (…) par les moyens pris dans la Constitution, du droit d’en reformer les
articles dont l’expérience aurait fait sentir les inconvénients (…) ». Ainsi donc, chaque Constitution ne
peut être révisée que par les moyens pris dans son propre texte.
Les différentes Constitutions modernes ne dérogent pas à cette règle. Elle concerne notamment
l’initiative de la révision constitutionnelle et les modalités d’adoption du texte constitutionnel.
A- L’initiative
35
les textes. Au Bénin (article 154), l’initiative appartient au Président de la République après décision du
Conseil des ministres, tandis qu’au Togo, dans une optique de réhabilitation de la fonction « primo
ministérielle », le Président de la République initie la révision constitutionnelle sur proposition du
Premier ministre (article 144 al. 1).
Au Gabon, le chef de l’Etat occupe une place également prééminente dans l’ordre des
institutions politiques bénéficiant du droit d’initiative de révision constitutionnelle. L’article 109 al. 1
de la Constitution de 1991 dispose que « l’initiative de la révision appartient (…) au président de la
République (…) ». Cet article confirme ainsi la primauté de l’institution présidentielle dans le système
politique gabonais. Toutefois, la Constitution précise que « (…) le Conseil des ministres entendu (…) ».
Ce qui veut dire que tout projet de révision initié par le chef de l’Etat doit être adopté en Conseil des
ministres. Cette condition permet aux ministres de participer ainsi à la procédure de révision
constitutionnelle en donnant leur accord ou leur désapprobation. En pratique, il est inconcevable que les
ministres puissent contester ni même amender le texte de révision en profondeur. Tout au plus, le conseil
des ministres peut essayer de l’améliorer dans le sens voulu par le chef de l’Etat. Mais en général, les
membres du gouvernement, réunis, adoptent sans hésitation et sans amendement le projet initié par le
président de la République.
En pratique, le chef d’Etat gabonais a exercé directement ce pouvoir de révision
constitutionnelle à cinq reprises sur sept, plus précisément en 1994, en 1995, 1997, 2010, 2018 et en
2021. Ce qui montre bien une prédominance du chef de l’Etat en matière d’initiative de la révision
constitutionnelle. Toutefois, cette prévalence présidentielle dans ce domaine n’est plus, en théorie,
absolue comme sous le parti unique puisque le rôle du Parlement y a été formellement revalorisé.
94 Cf. Jean-Pierre Kombila, Le Constitutionnalisme au Gabon, op. cit., addendum, pp. 210-215.
95 Avis n°1/CC du 8 octobre 2000, op. cit.
36
révision constitutionnelle par le Parlement met ainsi en exergue le processus et la volonté de
redynamisation d’une institution largement phagocytée sous le parti unique.
Par ailleurs, et contrairement à la première décennie de la restauration de la démocratie, les
parlementaires ont procédé aux amendements des projets de révision constitutionnelle de 2011 et 2018.
Toutefois, cette montée en puissance du Parlement ne doit pas être surestimée. En effet, sur le
plan politique, le chef de l’Etat, juge de l’opportunité de toute initiative parlementaire de révision
constitutionnelle, exerce, un « contrôle de proportionnalité » sur la proposition de révision en décidant
de l’ampleur des réformes et la période choisie. La révision constitutionnelle à l’initiative des
parlementaires est donc autorisée, voulue et parfois même inspirée directement par le chef de l’Etat et
ne constitue en aucun cas, du moins pour le moment, une technique de restauration du Parlement.
Toutefois, son succès est à porter au crédit de ceux qui l’ont engagée et conduite à son terme. Elle
valorise leur image aux yeux du chef de l’Etat et obéit donc à une stratégie de séduction.
L’influence du chef de l’Etat s’observe aussi en matière d’adoption de la révision
constitutionnelle dont les modalités sont fixées par la Loi fondamentale.
C’est la Constitution du 26 mars 1991 elle-même qui fixe les modalités d’adoption du texte de
révision constitutionnelle. Selon l’article 116 al. 4 de cette Constitution, « la révision est acquise soit
par voie de référendum, soit par voie parlementaire ». La Constitution établit donc une certaine
hiérarchie entre les deux modalités : la voie du référendum ou l’approbation populaire du texte de
révision et la voie parlementaire ou l’adoption du texte par les représentants du peuple
1/ - La voie du référendum
Généralement, l’adoption du texte de révision constitutionnelle par la voie parlementaire
constitue une option et non une obligation ; le texte pouvant être adopté également par la voie
référendaire. C’est ce que prévoient les Constitutions du Bénin (article 155), du Cameroun (article 63)
et du Gabon (article 116 al. 4).
D’autres textes constitutionnels prévoient que le référendum est la seule voie d’adoption des
lois de révision constitutionnelle. C’est le cas des articles 186 in fine et 118 al. 1 des Constitutions
congolaise et malienne qui disposent, dans une formule identique, que « la révision n’est définitive
qu’une fois approuvée par le référendum » à la majorité des suffrages exprimés.
Le recours au référendum pour l’adoption d’un projet ou d’une proposition de révision
constitutionnelle, contrairement à certaines Constitutions africaines96 ou à la Constitution française de
195897, n’est pas obligatoire dans la Constitution gabonaise de 199198 ni même dans les précédentes. Il
s’agit simplement d’une solution alternative à l’adoption de la réforme constitutionnelle par le
Parlement. Ce qui veut dire que si le Parlement est dans l’impossibilité d’adopter une révision
constitutionnelle, le peuple souverain peut être appelé à adopter la proposition ou le projet de révision.
C’est donc le Parlement qui dispose d’une compétence de principe et le peuple, d’une compétence
d’exception en matière de révision constitutionnelle.
La procédure du référendum est celle établie par l’article 18 de la Constitution gabonaise.
L’initiative appartient au président de la République, sur sa propre initiative ou sur proposition du
Gouvernement ou du Parlement, c’est-à-dire de l’Assemblée nationale, et, depuis la révision constitution
du 11 octobre 2000, du Sénat prise à la majorité absolue.
Ainsi, exclu de l’initiative de la révision constitutionnelle, le peuple souverain est associé à la
phase ultime d’adoption du texte de révision pour exercer son « pouvoir de suffrage constituant »99.
96 L’article 224 al. 1 de la Constitution tchadienne du 14 avril 1996 dispose que « La révision constitutionnelle est approuvée
par référendum ». Mais l’alinéa 2 du même article prévoit une majorité des 3/5 des deux Chambres du Parlement uniquement
pour une révision technique ; l’article 91 al. 2 de la Constitution guinéenne du 23 décembre 1990 et l’article 118 al. 2 de la
Constitution malienne du 25 février 1992 disposent en termes identiques et comme la Constitution française de 1958 que « la
révision n’est définitive qu’après avoir été approuvée par référendum ».
97 L’article 89 al. 2 dispose que « la révision est définitive après avoir été approuvée par référendum ».
98 Samuel Ntoutoume Ndzeng, un des membres influents de la société civile gabonaise, souligne par contre que « les Gabonais
doivent être consultés lorsque les options essentielles de leur Loi fondamentale sont touchées ». Cf., Entretien accordé à
L’Union, 7 septembre, juin 2003.
99 Olivier Beaud, La puissance de l’Etat, Paris, PUF, coll. « Léviathan », 1994, p. 291.
37
Pratiquement, au Gabon, le peuple a été sollicité une fois depuis l’indépendance du pays en
1960, notamment le 23 juillet 1995 pour l’adoption du projet de révision constitutionnelle, en
l’occurrence la ratification des accords de Paris de septembre 1994.
Ce référendum organisé le 23 juillet 1995 a été un véritable plébiscite constituant avec 96,48%
pour le oui et 3,52% pour le non et un taux d’abstention de 36,45%100. Le texte adopté a été promulgué
par la loi n°1/95 du 29 septembre 1995.
Ce recours au référendum pour l’adoption du texte de révision en 1995 apparaît comme un
renforcement de la démocratie directe au Gabon. Mais, en pratique, le chef de l’Etat n’a accepté de
convoquer le peuple pour ratifier les accords de Paris que parce qu’ils ont eu pour effet la garantie de
son mandat par un peuple politiquement analphabète.
Mais, la victoire en matière référendaire n’étant pas acquise par avance en raison de la flexibilité
du comportement électoral, le chef de l’Etat préfère la voie parlementaire pour l’adoption du texte de
révision constitutionnelle.
100 Tim Auracher, Le Gabon, une démocratie bloquée ? Reculs et avancées d’une décennie de lutte, op. cit., p. 89.
101 Article 116 al. 4 ancien.
102 Article 116 al. 4 nouveau.
38
identiques. Le projet de texte final a été adopté le 5 janvier 2018. Toutefois, avant son adoption définitive
par le Parlement réuni en congrès, le Premier ministre, conformément à l’article 116 de la Constitution, a
soumis à la Cour constitutionnelle, pour avis, les amendements faits par le Parlement sur certains articles
du projet de révision. Dans son avis du 10 janvier 2018, la Cour constitutionnelle a censuré certains
amendements jugés non conformes à la Constitution et d’autres ont été reformulés. Convoqué le même
jour, le Congrès du Parlement a adopté le projet avec 197 voix pour, 14 contre et 2 abstentions sur 213
parlementaires, soit une présence d’au moins 2/3 des membres du Parlement et une majorité de plus de 2/3
exigés par l’article 116 de la Constitution. Ces conditions mettent en exergue le caractère rigide103 de la
Constitution gabonaise, du moins formellement.
Concrètement, le Parlement gabonais détient le monopole en matière d’adoption du texte de
révision constitutionnelle. C’est ainsi que les révisions constitutionnelles du 18 mars 1994104, du 22 avril
1997105, du 11 octobre 2000106, du 19 août 2003107, du 12 janvier 2011, du 12 janvier 2018 et du 11
janvier 2021 ont été adoptées par la voie parlementaire.
réserve, d’une part, des limitations qui résultent des articles 39, 40 et 52 (de la Constitution) (…) et, d’autre part, du respect
des prescriptions de l’alinéa 7 de l’article 103 (…), il peut abroger, modifier ou compléter des dispositions de valeur
constitutionnelle dans la forme qu’il estime appropriée et introduire explicitement ou implicitement dans le texte de la
Constitution des dispositions nouvelles qui, dans le cas qu’elles visent, dérogent à des règles ou principes de valeur
constitutionnelle, que cette dérogation soit transitoire ou définitive » (3e considérant).
109 CC, 2 septembre 1992, 91-312 DC, Traité de Maastricht II sur l’Union européenne, Rec. p. 76. Voir, Olivier Beaud,
« Maastricht et la théorie constitutionnelle », LPA, n°39, 31 mars 1993, pp. 14 et s. et n°40, 2 avril 1993, pp. 7 et s.
110 CC 26 mars 2003, 2003-469 DC, Révision constitutionnelle, Rec. p. 293. Pour commentaire, voir, entre autres, L.
FAVOREU, « L’injusticiabilité des lois constitutionnelles, observation sous CC, décision n°2003-469 DC du 26 mars 2003 »,
RFDA, juillet-août 2003, pp. 793 et s.
111 Article 154 in fine : « Le Conseil constitutionnel veille au respect de la procédure de révision de la Constitution ». Les
articles 34 à 36 de la loi organique n°011-2000/AN du 27 avril 2000 sur le Conseil constitutionnel burkinabé précisent que ce
dernier a le pouvoir d’annuler une loi de révision constitutionnelle.
112 Article 186 al. 1 et 2 : « Lorsqu’il émane du Président de la République, le projet de révision est soumis directement au
Président de la République ou le président de l’Assemblée nationale avant d’être soumis au référendum ou au vote de
l’Assemblée nationale ».
39
du territoire et enfin si elle n’a pas révisé les normes qui de par la Constitution ne peuvent faire l’objet
d’une révision »114.
Cette soumission du texte de révision et de tout amendement permet à la juridiction
constitutionnelle non seulement d’assurer le contrôle de la régularité de la procédure mais aussi de
vérifier, sur le fond, la compatibilité du texte de révision avec l’ensemble des dispositions
constitutionnelles et notamment le respect des limitations prévues par la Constitution115.
A- Le contrôle procédural
Dans le cadre de ce contrôle, le juge vérifie que le texte soumis à son examen a été adopté
conformément aux prescriptions constitutionnelles relatives à la procédure de révision constitutionnelle.
C’est ce qui ressort de l’avis n°1/CC du 8 octobre 2000 de la Cour constitutionnelle gabonaise déclarant
la conformité à la Constitution de la proposition de loi portant modification de la Constitution de 1991 :
« Il résulte de l’instruction du dossier soumis à l’examen de la Cour (…) que la procédure de révision
prescrite par les dispositions constitutionnelles a été observée (…). Par conséquent, la procédure suivie
en vue de la révision de la Constitution est régulière »116.
Les prescriptions constitutionnelles relatives à la procédure de révision sont variables et diverses. Mais,
globalement, cette procédure s’opère en trois phases sous le contrôle du juge : une phase initiative, c’est-
à-dire d’élaboration et de transmission du texte, une phase parlementaire comprenant l’examen et le vote
et éventuellement une phase populaire.
114 Arrêt n°01-128 du 12 décembre 2001, 11e considérant. Les avis et décisions des juridictions constitutionnelles africaines
cités dans cet article sont disponibles sur les sites de l’Association des Cours et Conseils constitutionnels ayant en partage
l’usage du Français (www.accpuf.org) et de l’Organisation internationale de la Francophonie (www.francophonie.org).
115 C’est d’ailleurs ce que prévoit l’article 64 de la loi n°17.004 du 15 février 2017 portant organisation et fonctionnement de
la Cour constitutionnelle de la République centrafricaine : « L’avis porte notamment sur la régularité de la procédure et la
compatibilité de la modification avec l’ensemble des dispositions constitutionnelles ».
116 In Hebdo informations, n°428, 14-28 octobre 2000, p. 179. Cet avis a été confirmé par la Cour. Voy. Décision n°2/CC du
17 février 2004, Hebdo informations, n°483, 27 mars 2004, p. 53. Voy. aussi, dans le même sens, la décision du Conseil
constitutionnel tchadien du 26 février 2001, op. cit.
117 Sur le cas gabonais, voy., T. ONDO, « Essai d’analyse sur la révision de la Constitution gabonaise du 26 mars 1991 », RJP,
n°2, 2005, pp. 155-184, p. 160. Notons que de façon exceptionnelle, le constituant burkinabé a démocratisé le droit d’initiative
de la révision constitutionnelle en le conférant « au peuple lorsqu’une fraction d’au moins trente mille personnes ayant le droit
de vote, introduit devant l’Assemblée nationale une pétition constituant une proposition rédigée et signée » (article 161 in fine).
118 Avis n°006/AC/CC du 24 juillet 2004 (4 e considérant), op. cit.
40
exerce sur cette étape un contrôle strict. Dans sa décision n°06-074 du 8 juillet 2006119, la Cour
constitutionnelle du Bénin a indiqué que cette phase de prise en considération du projet ou de la
proposition « qui engage la procédure ne saurait être escamotée (…) ; qu’il résulte néanmoins des
éléments du dossier (…) que la première étape de la procédure de révision n’a pas été observée par
l’Assemblée nationale ; que dès lors l’Assemblée nationale a violé la Constitution » (25e considérant).
Dans l’ensemble, le juge vérifie que non seulement les auteurs de la révision de la Constitution
sont bien ceux prévus par le texte constitutionnel, mais aussi que l’exigence de majorité qualifiée pour
l’approbation de cette initiative et la preuve de l’adhésion des élus ont été respectées. Ainsi, à un
requérant demandant à la Cour constitutionnelle gabonaise de modifier certaines dispositions
constitutionnelles, la Haute juridiction a répondu qu’« il résulte des prescriptions légales (…) que seules
les autorités publiques limitativement énumérées peuvent prendre l’initiative d’une révision ; qu’il
s’ensuit que la Cour n’est pas compétente pour initier une telle révision » (5e considérant). Par
conséquent, la Cour a rejeté la requête120.
De même, la Cour constitutionnelle centrafricaine, après avoir indiqué que la liste des 101
députés correspond aux deux tiers exigés par la Constitution pour toute initiative parlementaire, a
néanmoins jugé qu’en contactant les députés les uns après les autres pour recueillir leurs signatures,
l’Assemblée nationale a violé la Constitution qui exige que « l’approbation des députés soit donnée en
plénière, tous les députés étant rassemblés afin de pouvoir statuer sur l’initiative de révision de la
Constitution »121. Par conséquent, elle a estimé que la procédure utilisée pour recueillir la signature des
députés et ainsi rapporter la preuve de leur adhésion à l’initiative n’est pas conforme à l’article 151 de
la Constitution.
En dehors de ce contrôle de l’initiative, telle que prévue par la Constitution, le juge
constitutionnel africain a ajouté une autre condition de forme liée à l’initiative, le consensus. C’est la
Cour constitutionnelle du Bénin qui a inauguré ce principe dans sa décision du 8 juillet 2006.
Saisie par le Président de la République et quelques députés aux fins d’un contrôle de
constitutionnalité d’une loi portant révision de la Constitution régulièrement adoptée par l’Assemblée
nationale, mais prorogeant d’un an le mandat des députés, la Cour constitutionnelle béninoise, dans cette
décision, a déclaré inconstitutionnel le texte dans les termes suivants :
« Considérant que ce mandat de quatre ans, qui est une situation constitutionnellement établie,
est le résultat du consensus national dégagé par la Conférence des Forces Vives de la Nation de février
1990 et consacré par la Constitution en son Préambule qui réaffirme l’opposition fondamentale du
peuple béninois à (…) la confiscation du pouvoir ; que même si la Constitution a prévu les modalités de
sa propre révision, la détermination du peuple béninois à créer un Etat de droit et de démocratie
pluraliste, la sauvegarde de la sécurité juridique et de la cohésion nationale commandent que toute
révision tienne compte des idéaux qui ont présidé à l’adoption de la Constitution du 11 décembre 1990,
notamment le consensus national, principe de valeur constitutionnelle ; qu’en conséquence, les article 1
et 2 de la loi constitutionnelle n°2006-13 adoptée par l’Assemblée nationale le 23 juin 2006, sans
respecter le principe à valeur constitutionnelle ainsi rappelé, sont contraires à la Constitution ».
Dans la même veine, la Cour constitutionnelle centrafricaine, dans son avis n°015/CC/20 du 05
juin 2020, a jugé, à propos d’une proposition de révision de la Constitution, qu’une « prolongation du
mandat des députés par eux-mêmes, à l’approche des élections et sans large concertation préalable n’est
pas conforme à l’exigence consensuelle de la Constitution du 30 mars 2016 ». Par conséquent, elle a
rejeté la proposition de révision de la Constitution.
Au regard de cette décision et de cet avis, les juges béninois et centrafricain érigent ainsi le
consensus national soit en « principe de valeur constitutionnelle », soit en exigence constitutionnelle,
qui doit être respecté par le pouvoir constituant dérivé. Ils ajoutent donc une nouvelle limitation
procédurale influant sur le fond qui s’impose au constituant dérivé.
Une fois cette phase bouclée dans le respect des règles constitutionnelles, s’ouvre alors la phase
typiquement parlementaire qui peut être suivie de la phase populaire.
119 B. Coulibaley, « La neutralisation du parlement constituant (à propos de la décision, n° DCC 06-074 du 8 juillet de la Cour
constitutionnelle du Bénin », RDP, n° 5, p. 1494-1515.
120 Décision n°2/CC du 17 février 2004, op. cit.
121 Avis n°015/CC/20 du 05 juin 2020 relatif à la révision de certaines dispositions de la Constitution du 30 mars 2017.
41
2/-Le contrôle des phases d’adoption parlementaire et populaire
La phase parlementaire comprend l’examen et l’adoption du texte de révision.
Une fois le texte adopté, il est transmis au Président de la République dans les quarante-huit heures pour
promulgation122. Le non-respect de cette règle a été sanctionné par la Cour constitutionnelle du Bénin.
Dans sa décision du 8 juillet 2006, la Cour a indiqué que « la loi portant modification de la Constitution
a été votée le 23 juin 2006 mais transmise au Président de la République le 27 juin 2006, soit plus de
quarante-huit heures après ; qu’en agissant ainsi qu’il l’a fait, le président de l’Assemblée nationale a
violé la Constitution plus précisément la procédure de révision de la Constitution » (23e considérant).
De même, selon le juge constitutionnel malien, lorsque le texte de révision constitutionnelle publié
s’avère différent de celui voté par le Parlement, « il est en toute logique inconstitutionnelle car n’ayant
pas été voté dans son entièreté et tel quel par l’Assemblée nationale à la majorité requise conformément
à la Constitution »123.
Généralement, l’adoption définitive du texte de révision constitutionnelle peut être faite soit par
la voie parlementaire, soit par référendum.
Dans d’autres Etats comme le Niger (article 135) et le Togo (article 144), l’organisation du
référendum est la seule option si le Parlement n’a pas pu adopter le texte de révision à la majorité
qualifiée ou en cas d’inexistence pratique d’une seconde Chambre constitutionnellement créée. Cette
dernière hypothèse s’est produite au Gabon. A la suite de la signature des Accords de Paris en septembre
1994, s’est posée, devant la Cour constitutionnelle, la question de savoir si ces Accords sont des actes
juridiques pouvant être ratifiés par le Parlement et si la révision de la Constitution peut être adoptée par
voie parlementaire ou par voie de référendum. Dans sa décision du 20 janvier 1995124, la Cour a répondu
en deux temps.
Sur la ratification des Accords de Paris, elle a décidé qu’ils sont seulement l’expression d’une
volonté des acteurs politiques gabonais et que, par conséquent, ils ne peuvent faire l’objet d’aucune
ratification.
Sur les modalités d’adoption du texte de révision, la Cour a indiqué que « dans l’attente de la
mise en place du Sénat (…), l’examen (ou l’adoption) de tout projet ou de toute proposition de révision
par voie parlementaire apparaît impossible (…) ; qu’en l’état, la révision de la Constitution ne peut être
acquise que par voie de référendum ». Dans une optique de pacification des rapports politiques et
sociaux, cette décision du juge constitutionnel gabonais aurait dû inspirer le constituant dérivé
camerounais lors de la révision de la Constitution de 1972 (version 1996) et son adoption par la seule
Assemblée nationale en avril 2008 en l’absence pratique du Sénat125.
Les lois constitutionnelles adoptées par référendum ne sont pas soumises au même contrôle
strict dès lors qu’elles sont l’expression même de la volonté du peuple souverain126. Toutefois, la loi
organique sur la Cour constitutionnelle du Gabon consacre un contrôle en amont. En effet, ce texte
précise que la Haute juridiction est consultée par le Président de la République ou par le Premier ministre
sur la conformité à la Constitution de la question posée aux citoyens ainsi que sur l’organisation des
opérations de référendum et qu’elle porte toutes observations qu’elle juge utiles, notamment sur la
loyauté et la clarté de la consultation127. Ainsi, dans sa décision n°1/95/CC du 27 avril 1995 relative au
référendum constitutionnel, la Cour, après avoir indiqué que la question posée aux citoyens n’est pas
contraire à la Constitution, l’a toutefois reformulée de façon plus explicite en ces termes : « Etes-vous
122 Article 92 al. 1 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale du Bénin et article 52 al. 2 de la Constitution béninoise de
1990.
123 Cour constitutionnelle du Mali, arrêt du 12 décembre 2001, 24 e considérant, op. cit.
124 Décision n°001/95/CC du 20 janvier 1995, in La Cour constitutionnelle 1992-1995, p. 261.
125 E. KENFACK TEMFACK, « Le Sénat, la limitation du mandat présidentiel et la révision de la Constitution au Cameroun »,
Les Cahiers de développement du droit, n°003, février-mars 2008, pp. 8-10 ; M. E. OWONA NGUINI, « Révision
constitutionnelle : la stratégie du RDPC dévoilée », http://cameroonconstitution.com et http://www.lanouvelleexpression.net.
Il convient de noter toutefois que l’article 67 al. 3 de la Constitution camerounaise attribue bien à l’Assemblée nationale
« l’ensemble des prérogatives reconnues au Parlement jusqu’à la mise en place du Sénat ». De même, l’article 235 de la
Constitution tchadienne de 1996 prévoyait qu’« en attendant la mise en place du Sénat, les attributions de ce dernier sont
dévolues à l’Assemblée nationale ».
126 L’article 110 de la loi organique sur la Cour constitutionnelle gabonaise indique clairement qu’« une loi référendaire ne peut
être déférée à la Cour constitutionnelle en ce qu’elle constitue l’expression directe de la souveraineté nationale ».
127 Article 103 de la loi organique sur la Cour constitutionnelle.
42
pour la modification des articles 39, 84 et 118 de la Constitution, selon le projet de loi ci-joint, en vue
de la ratification des Accords de Paris ? »128.
Le juge constitutionnel assure également un contrôle du respect des limites constitutionnelles.
43
Ainsi, pour préserver les acquis démocratiques et éviter tout retour en arrière, les ingénieurs
constitutionnels ont consacré, selon des formules variées, les principes de la laïcité, de la séparation des
pouvoirs, de la démocratie pluraliste (Gabon, Cameroun), du système multipartiste (Mali, Niger,
Togo) auxquels il faut adjoindre notamment au Niger et dans une certaine mesure au Congo et au Bénin,
le nombre et la durée des mandats du Président de la République, les conditions d’éligibilité du Chef de
l’Etat , les incompatibilités aux fonctions de Chef de l’Etat, les droits et libertés fondamentaux des
citoyens, etc. La Constitution centrafricaine de 2016 fait la synthèse de ces principes en son article 153
en ajoutant le caractère non-révisable de cet article.
Ces différents principes obéissent tous à une logique démocratique. En tant que principes
suprêmes inviolables, ils ne peuvent faire l’objet d’une révision constitutionnelle.
L’office de la juridiction constitutionnelle consiste à vérifier que la loi de révision
constitutionnelle n’a pas porté atteinte à ces principes éternels inscrits dans la Constitution. Si tel est le
cas, le juge annule la loi de révision pour inconstitutionnalité ou donne un avis non conforme.
Selon ce principe, dans l’Etat, aucune situation juridique ni aucune règle de droit ne peut être en
contradiction avec les dispositions constitutionnelles, la Constitution étant placée au niveau le plus élevé
de l’ordonnancement juridique qui régit l’Etat. Cette position de la Constitution par rapport à
l’ordonnancement juridique général, Kelsen131 l’explique en servant de l’idée d’une hiérarchie des
normes ou plus précisément d’une pyramide, c’est-à-dire d’un édifice à plusieurs étages superposés,
130Selon cet article, « les Etats renforcent le principe de la suprématie de la Constitution dans leur organisation politique ».
131Hans Kelsen, Théorie pure du droit, 2e édition traduite par Charles Eisenmann, Paris, Dalloz, 1962 ; Théorie générale des
normes, traduction de Olivier Beaud, Paris, PUF, 1996.
44
hiérarchisés. Selon le maître autrichien, « l’ordre juridique n’est pas un système de normes juridiques
placées au même rang, mais un édifice à plusieurs étages superposés, une pyramide, ou une hiérarchie,
formée d’un certain nombre d’étages ou couches de normes successives ». Autrement dit, le système
juridique est constitué d’une diversité de normes successives, celle placée au sommet de l’édifice étant
la norme mère qui commande à l’ensemble du système. A partir d’elle, en descendant par degré,
apparaissent des subordinations. Chaque norme ou groupe de normes occupant un degré qui lui permet
de s’imposer aux normes qui occupent le degré inférieur et ces dernières devant être compatibles avec
celles des degrés supérieurs, sous peine d’invalidation juridique.
C’est la Constitution qui, à l’intérieur de la construction de l’Etat, occupe le degré le plus élevé
parce que c’est elle qui rend perceptible l’institution étatique. De ce fait, ses dispositions bénéficient de
la plus grande force juridique. Ce qui fait dire qu’elle est la norme suprême. Cette suprématie de la
Constitution peut être envisagée sous deux anges :
-D’une part, du point de vue du contenu de la Constitution, c’est la suprématie matérielle. Elle se définit
par rapport à l’objet de la Constitution : puisque la Constitution désigne les différents organes de l’Etat
et qu’elle organise leurs compétences, elle est nécessairement supérieure non seulement à ces organes,
mais encore aux différentes formes de l’activité juridique qui est leur œuvre.
-D’autre part, du point de vue de la procédure de son établissement, c’est la suprématie formelle. Elle
s’examine par référence aux procédures particulières qui doivent intervenir lorsqu’il s’agit d’elle ; ce
qui montre l’évidence qu’elle est la règle de droit à laquelle est attachée la plus grande force obligatoire.
B- La mise en œuvre
Dire que la Constitution bénéficie de la suprématie implique qu’elle est la norme fondamentale,
la norme-mère, la Loi des lois, la Grundnorm. Comme nous l’avons montré plus haut, elle comprend le
préambule et le corpus juridique lui-même. Elle est complétée non seulement par les textes de renvoi du
préambule, notamment la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la Déclaration
universelle des droits de l’homme de 1948, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples de
1981 et la Charte nationale des libertés de 1990, mais aussi par les textes de valeur constitutionnelle. Il
s’agit de la loi organique, des règlements des Assemblées parlementaires et des autorités administratives
et indépendantes instituées par la loi et des textes consacrant des droits fondamentaux des citoyens.
Néanmoins, ces textes de valeur constitutionnelle doivent être obligatoirement conformes à la Loi
fondamentale.
Ensuite, viennent les traités et conventions internationaux conclus par le Gabon. Ils ont une
valeur juridique inférieure à la Constitution à laquelle ils doivent être conformes. Cette conformité est
garantie par le contrôle exercé obligatoirement par la Cour constitutionnelle132 sur les engagements
internationaux ratifiés par le Gabon133 dont la liste est prévue par l’article 107 al. 1er de la Constitution.
Après suivent les lois ordinaires : ce sont toutes les autres lois adoptées par le Parlement dont la
plus emblématique ou populaire est sans doute la loi de finances. Ces lois doivent être conformes aux
normes supérieures.
Enfin, les règlements constitués par les ordonnances non encore ratifiées prises en cas d’urgence
et pendant l’intersession parlementaires, les décrets et les arrêtés.
L’existence d’une hiérarchie des normes constitue l’une des plus importantes garanties de l’État
de droit. Dans ce cadre, les compétences des différents organes de l’État sont précisément définies et les
normes qu’ils édictent ne sont valables qu’à condition de respecter l’ensemble des normes juridiques
132 Télesphore Ondo « Le contrôle de constitutionnalité des engagements internationaux par la Cour constitutionnelle du
Gabon », in RDIDC, n°2, 2013, pp. 213-243.
133 Depuis la révision constitutionnelle du 18 mars 1994 créant le Sénat. Sur cette compétence du Parlement, notamment en
France, voir, Luc Saïdj, Le Parlement et les traités. La loi relative à la ratification ou à l’approbation des engagements
internationaux, Paris, LGDJ, 1979 ; L’Assemblée nationale et les relations internationales, Connaissance de l’Assemblée, 11,
1998 ; Jean Dhommeaux, « Le rôle du Parlement dans l’élaboration des engagements internationaux : continuité et
changement », RDP, 1987, pp. 1449 et suiv. ; Didier Maus, « L’Assemblée nationale et les lois autorisant la ratification des
traités », cette Revue, 1978, pp. 1075 et suiv. S’agissant du cas gabonais, voir, Guillaume Pambou-Tchivounda et Jean-Bernard
Moussavou-Moussavou, Eléments de la pratique gabonaise en matière des traités internationaux, Paris, LGDJ, 1986 ; S. P.
Ogoula Raymondo, Le processus d’autorisation parlementaire de ratification des traités au Gabon, Rapport de stage, ENA,
Libreville, 1996 ; Jean-Bernard Moussavou-Moussavou, « Le droit et la pratique gabonaise en matière des traités
internationaux », Hebdo Informations, n°439, 26 mai 2001, pp. 81-82.
45
supérieures. C’est d’ailleurs ce qu’a décidé la Cour constitutionnelle gabonaise : « Le principe de la
hiérarchie des normes établit une classification de celles-ci par ordre d’importance ou de suprématie
des unes sur les autres, de sorte qu’une norme classée inférieure ne peut contenir des dispositions qui
sont contraires à celles de la norme supérieure et encore moins les modifier, sans s’exposer à la
censure »134. Il s’agit d’un principe constitutionnel dégagé par la Cour constitutionnelle135
C’est cette hiérarchisation des normes juridiques qui permet aux juridictions habilitées d’exercer
le contrôle de conformité des normes inférieures aux normes supérieures sur recours des citoyens, des
institutions ou des acteurs politiques. Il apparaît dès lors nécessaire que soit institué un contrôle de
constitutionnalité des normes juridiques qui relève au Gabon essentiellement, mais non exclusivement,
de la compétence de la Cour constitutionnelle. En effet, rien n’interdit au juge judiciaire et au juge
administratif d’assurer le contrôle de constitutionnalité respectivement des actes juridictionnels et des
actes administratifs individuels.
Cette conception de l’Etat de droit entendue comme une hiérarchisation des normes juridiques
entraîne de nombreuses implications.
D’abord, elle implique la soumission du pouvoir exécutif et de son bras séculier,
l’administration, à un régime de droit. Ceci signifie que la puissance publique ne peut agir qu’en vertu
d’une habilitation juridique, d’une compétence instituée et encadrée par le droit. Autrement dit, tout
usage de la force physique et légitime doit être fondé sur le droit. Dès lors, l’administration est tenue
d’obéir aux normes juridiques qui fondent, encadrent et limitent son action. Mais, cette soumission ne
peut être effective que si elle est garantie par l’existence d’un contrôle juridictionnel.
Ensuite, elle postule la subordination de la loi à la Constitution : le législateur exerce ses
attributions dans le cadre fixé par la Loi fondamentale, sous le regard du juge constitutionnel. C’est dans
ce sens que le Conseil constitutionnel français a défini la loi comme « l’expression de la volonté générale
dans le respect de la Constitution »136.
Enfin, elle suppose que les règles de droit hiérarchisées présentent un ensemble d’attributs
substantiels : c’est le principe fondamental de sécurité juridique. Il implique que la norme juridique soit,
pour les destinataires, non seulement claire, précise, stable, mais aussi intelligible, accessible et
d’application aisée.
S’il est nécessaire que les gouvernants soient encadrés par un réseau de normes juridiques
hiérarchisées, sous le contrôle du juge, cette exigence n’est pas suffisante pour la mise en œuvre d’un
véritable Etat de droit. En effet, dans sa conception actuelle, l’Etat de droit implique que le tissu normatif
repose sur un soubassement humaniste et libéral constitué de principes et de valeurs communs.
134
Décision n°103/CC du 15 décembre 2011, § 3.
135
Décisions n°2/CC du 4 mars 1996, n°7/CC du 18 novembre 1999, n°10/CC du 29 juin 2001, n°8/CC du 17 avril
2001, etc..
136
Décision du 23 août 1985.
46
africains. Pour sortir de ces crises et foyers de tension, les acteurs politiques locaux adoptent, de leur gré
ou sous la pression internationale ou nationale, des accords politiques qui sont des arrangements
politiques, en marge de la Constitution. Cette situation incite à s’interroger sur les rapports entre droit
constitutionnel et conflits politiques137, en Afrique notamment.
En effet, la floraison des accords politiques au Gabon en 1995, 2006, 2010, 2017, au Niger et
au Burundi en 1996, au Congo-Brazzaville en 1997, en Côte d’Ivoire en 1999 et 2002, en Centrafrique
en 2003 et 2015, etc., entraîne un recul du constitutionnalisme138, un déclassement de la Constitution
dans l’ordonnancement juridique national ou plus précisément une perturbation de la hiérarchie des
normes. Dans cette perspective, on assiste à une véritable crise de la normativité de la Constitution en
Afrique139. Dès lors, la Constitution devient non plus la loi des lois, la Loi fondamentale, mais une norme
soumise à l’accord politique. Selon Dominique Rousseau, « le texte constitutionnel n’a aucun impact
sur la vie politique, c’est-à-dire sur le fait ou sur la pratique, qui prennent le pas sur le droit. Les accords
politiques deviennent, par la même occasion, la véritable source du pouvoir de l’Etat »140. Mieux, ils
vont à l’encontre des textes constitutionnels en vigueur. Ainsi, en Côte d’Ivoire, l’accord de Linas-
Marcoussis du 24 janvier 2003141 fixe les conditions d’éligibilité à la présidence de la République qui
remettent en cause les dispositions de l’article 35 de la Constitution. De même en République
Centrafricaine, la Charte constitutionnelle de la Transition issue de l’accord politique142 suspend la
Constitution du 27 décembre 2004 et devient ainsi la Loi fondamentale de la RCA pendant la période
de transition.
Ailleurs, les accords politiques remettent formellement en cause l’autorité de la Constitution et
se présentent comme supérieurs à elle. Ainsi, l’accord de paix et réconciliation au Burundi revendiquait-
il une nouvelle Constitution en imposant de nouvelles institutions qui contredisaient la Constitution alors
en vigueur143.
On le voit, non seulement « sa majesté la Constitution a perdu sa couronne au profit de la norme
politique »144, mais aussi elle se retrouve privée de protection juridictionnelle par l’effet des accords
politiques qui lui accordent peu de considération à la Constitution et remettent pleinement en cause sa
suprématie.
La question de la supra-constitutionnalité participe de la même logique.
in Charles Fombard et Christina Murray (sous la direction de), Fostering constitutionalism in Africa, 2010-309, p. 331.
142 Adoptée le 18 juillet 2013 par le Conseil National de Transition (CNT) ou Parlement provisoire.
143 J.-P. Chrétien, « Le Burundi après la signature de l’accord d’Arusha », Politique africaine, n°80, décembre 2000, p. 149.
144 Jean-Horphet Biyand Essima, ibid., p. 30.
145 Précis de droit constitutionnel, 1929, rééd., Paris, CNRS, 2 e éd., 1965, pp. 268 et s.
146 Vlad Constantinesco et Stéphane Pierré-Caps, Droit constitutionnel, op. cit., p. 210.
147 Précis de droit constitutionnel, op. cit., p. 268.
47
ou initial, par nature, souverain, inconditionnel et révolutionnaire148, conformément à la distinction
classique entre la Constitution et les lois constitutionnelles149. Ce qui veut dire que le pouvoir constituant
dérivé ne peut porter ni même modifier ces principes suprêmes et inviolables150. Ces derniers sont tirés
directement de la Constitution ou déduits de celle-ci. C’est le cas, en Allemagne151, du caractère fédéral
(article 79 al. 3), de la démocratie (article 20), de l’Etat de droit et de la protection des droits
fondamentaux en général (article 1er), etc. En Italie, ces principes, notamment les droits fondamentaux
prévus par les articles 2, 13 à 34 de la Constitution de 1947 et ceux relatifs à l’organisation de l’Etat,
ont été dégagés essentiellement par la Cour constitutionnelle152.
Dans ces deux Etats européens, la juridiction constitutionnelle s’est reconnue compétente pour
contrôler les lois de révision de la Constitution sur le fondement du contrôle général de constitutionnalité
des lois153 et au regard des principes suprêmes.
Ces différentes normes ont pour fondement « une certaine conception de la légitimité politique,
et pour objectif la sauvegarde des principes fondamentaux qui justifient l’Etat et son organisation et que
formule la Constitution et l’ordre juridique ».
En Afrique, le débat sur la supraconstitutionnelle dérive de l’interprétation de la décision du 8
juillet 2006 de la Cour constitutionnelle du Bénin.
Saisie par le Président de la République et quelques députés aux fins d’un contrôle de
constitutionnalité d’une loi portant révision de la Constitution régulièrement adoptée par l’Assemblée
nationale, mais prorogeant d’un an le mandat des députés, la Cour constitutionnelle béninoise a déclaré
inconstitutionnel le texte dans les termes suivants :
« Considérant que ce mandat de quatre ans, qui est une situation constitutionnellement établie,
est le résultat du consensus national dégagé par la Conférence des Forces Vives de la Nation de février
1990 et consacré par la Constitution en son Préambule qui réaffirme l’opposition fondamentale du
peuple béninois à (…) la confiscation du pouvoir ; que même si la Constitution a prévu les modalités de
sa propre révision, la détermination du peuple béninois à créer un Etat de droit et de démocratie
pluraliste, la sauvegarde de la sécurité juridique et de la cohésion nationale commandent que toute
révision tienne compte des idéaux qui ont présidé à l’adoption de la Constitution du 11 décembre 1990,
notamment le consensus national, principe de valeur constitutionnelle ; qu’en conséquence, les article 1
et 2 de la loi constitutionnelle n°2006-13 adoptée par l’Assemblée nationale le 23 juin 2006, sans
respecter le principe à valeur constitutionnelle ainsi rappelé, sont contraires à la Constitution ».
148 J. CADART, Institutions politiques et Droit constitutionnel., Paris, Economica, 3e éd., 1990, p. 131 ; G. VEDEL, Cours de
droit constitutionnel et d’institutions politiques, Les Cours de droit, 1960-1961, p. 533.
149 L’expression « lois constitutionnelles » a été élaborée par C. SCHMITT, Théorie de la Constitution, Paris, PUF, 1993. Voy.
aussi, C. ESPOSITO, La validità delle leggi, Milano, Giuffù, 1964 (1934), pp. 196-197 ; O. BEAUD, La puissance de l’Etat,
Paris, PUF, 1993, pp. 329-357.
150 E. BESSON, « Les principes suprêmes inviolables dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle italienne : véritable
Science politique, t. 96, 2000 ; Vlad Constantinesco et Stéphane Pierre-Caps, Droit constitutionnel, 5e édition., Paris, PUF,
coll. « Thémis droir », 2011, pp. 229 et suiv.
48
Ce mot désigne la soumission au droit international des normes constitutionnelles. Ce concept
se traduit par une emprise des règles internationales sur le processus constituant des Etats. Il en résulte
dès lors une véritable tutelle constitutionnelle des puissances étrangères sur ce processus. Deux
exemples classiques sont souvent cités : la Constitution japonaise du 6 mars 1946 et la Loi fondamentale
de la République fédérale allemande du 23 mai 1949, textes rédigés respectivement par les USA et par
les puissances d’occupation occidentales (USA, Angleterre, France)
L’influence extérieure sur les processus constituants a été également observée dans les Etats
africains nouvellement indépendants et bien après. En effet, ne disposant pas d’une masse critique
importante et autonome, les Etats africains ont vu leurs Constitutions être rédigées par les coopérants et
autres techniciens agissant pour le compte de l’ancienne puissance coloniale. Par mimétisme politico-
institutionnel et juridique, ce processus a été reconduit par les missionnaires et pèlerins constitutionnels,
avec la nouvelle vague constitutionnelle des années 1990. La conséquence de cette immixtion est la
reproduction mimétique des dispositions constitutionnelles de la France, de la Grande-Bretagne et des
USA.
Ces différentes expériences montrent clairement que la fonction constituante relève de moins de
moins du pouvoir souverain et affectent inexorablement la suprématie de la Constitution.
L’autorité de la Constitution est également limitée par le contrôle international des juridictions
constitutionnelles.
49
pas les garanties d’indépendance et d’impartialité requises et qu’il ne peut donc pas être perçu comme
tel ».
Par conséquent, ajoute la Cour, « en adoptant la loi contestée, l’Etat défendeur a violé son
obligation de créer un organe électoral indépendant et impartial, prévu par l’article 17 de la Charte
africaine sur la démocratie et l’article 3 du Protocole de la CEDEAO sur la démocratie ».
A- L’historique
Le principe de la compétence judiciaire en matière de contrôle de constitutionnalité serait né en
Grande-Bretagne au début du 17e siècle. En effet, dans la célèbre affaire Bonham, le Tribunal de
« Common Pleas » a rendu un arrêt du même nom en 1610 qui invalidait une loi pour non-conformité
avec la loi fondamentale du Royaume, la Common Law. En l’espèce, le juge anglais, Sir Edward Coke,
considère que le « Collège des Médecins » de Londres n’est pas compétent pour sanctionner le sieur
Bonham, poursuivi pour exercice de la médecine sans autorisation légale car la loi invoquée à l’appui
50
de sa sanction lui paraît non seulement déraisonnable, mais aussi contraire au droit de Common Law. Il
apparaît ainsi qu’un texte législatif contraire à une « loi suprême » doit être déclarée nulle. Les prémices
d’un tel contrôle de constitutionnalité ont été également observées dans les colonies anglaises
d’Amérique à travers la pratique du Comité judiciaire du Conseil privé du Roi, lequel pouvait invalider
les lois des Assemblées coloniales contraires au droit de la mère-patrie161.
Par ailleurs, dans leur volonté de défendre la Constitution de 1787, les Pères fondateurs
développent des arguments en faveur du contrôle juridictionnel de constitutionnalité. Dans le Fédéraliste
n°78, Hamilton écrit que s’il existe une contradiction entre la Constitution et une loi, la norme qui
présente « un caractère obligatoire et une valeur supérieure doit être naturellement préférée ; qu’en
d’autres termes, la Constitution doit être préférée à la loi, l’intention du peuple à l’intention de ses
agents ». Et selon lui, il appartient au pouvoir judiciaire d’assurer un tel contrôle car, des trois pouvoirs,
il est le plus faible, le moins redoutable.
Toutefois, le problème du contrôle de constitutionnalité par une juridiction suprême s’est
véritablement présenté que dès 1803 par le Chief Justice John Marshall, dans l’affaire Marbury c
Madison 162: « Si une loi du Parlement contraire à la Constitution est nulle, doit-elle indépendamment
de sa validité, lier les tribunaux et les obliger à lui donner effet ? Ou en d’autres termes, bien qu’elle ne
soit pas une loi, constitue-t-elle une règle aussi opérante qu’une loi ? Admettre cela reviendrait à
renverser dans les faits ce qui a été établi en théorie et pourrait paraître à première vue une absurdité
trop énorme pour qu’il soit besoin d’insister.
C’est dans une très large mesure le domaine et le devoir du pouvoir judiciaire de dire ce qu’est
la loi. Ceux qui ont pour tâche d’appliquer la règle aux cas particuliers doivent nécessairement expliciter
et interpréter la règle. Quand deux lois sont en conflit, les tribunaux doivent trancher sur l’application
de chacune d’elle. En supposant par exemple qu’une loi soit en opposition avec la Constitution, et qu’un
cas particulier relève aussi bien de la loi que de la Constitution en sorte que la Cour ait à décider, soit
d’appliquer la loi en ignorant la Constitution, soit d’appliquer la Constitution en ignorant la loi, elle
devra déterminer qu’elle est celle des deux règles en conflit qui s’applique aux cas particuliers. C’est là
une tâche essentielle du pouvoir judiciaire. Si les tribunaux doivent se référer à la Constitution et si la
Constitution est supérieure à tout acte législatif ordinaire, c’est la Constitution et non la loi ordinaire qui
doit régir le cas auquel toutes deux sont applicables ».
Ainsi, le principe veut que le contrôle de constitutionnalité étant un problème de compatibilité
entre deux règles de droit, il soit abordé du seul point de vue technique, c’est-à-dire que l’on doit
s’adresser à l’institution dont c’est le métier de dire le droit, juris dictio. Le contrôle de constitutionnalité
est donc normalement de la compétence de l’autorité juridictionnelle. Sur ce point, deux modèles sont
constamment cités.
A- Le modèle américain
Non inscrit dans la Constitution américaine du 17 septembre 1787, le contrôle de
constitutionnalité, qui dérive du système britannique, est né aux USA de la volonté de la Cour suprême
elle-même, sans doute sous l’inspiration des Pères fondateurs, dans un arrêt célèbre de 1803, Marbury
c Madison.
Nommé in extremis par le Président sortant John Adams, le juge Marbury n’avait pu obtenir la
confirmation de la nouvelle administration de Jefferson. Se fondant sur la loi fédérale de 1789 relative
161 Sur ces lignes, cf., Louis Favoreu et alii, Droit constitutionnel, op. cit., pp. 237-238.
162 Marbury c Madison, 5 US (1 Cranch) 137, 1803.
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à l’organisation judiciaire, il demanda à la Cour suprême d’enjoindre l’exécutif d’y procéder. Celle-ci,
s’estimant incompétente à délivrer en première instance une telle injonction, indiqua néanmoins que la
loi de 1789 méconnaissait sur ce point la Constitution qui fait d’elle une juridiction d’appel et rejeta la
requête. Cette déclaration d’incompétence allait servir de base au droit qu’elle se reconnaissait de
contrôler la conformité des actes de l’exécutif et des lois à la Constitution.
Ce modèle américain présente quatre caractéristiques :
-un contrôle diffus exercé par tout tribunal, depuis le plus modeste jusqu’à la Cour suprême. Ce caractère
signifie que le contrôle de constitutionnalité peut être exercé par n’importe quel juge étatique qui dispose
de la compétence de droit commun dès lors qu’il est saisi en première instance et se prononce sur
l’ensemble des questions soulevées par le litige, et ce, quel que soit le domaine. La Cour suprême
n’intervient ici qu’en tant qu’autorité de régulation, notamment par la voie de la certification (certiorari)
des décisions rendues par les juridictions inférieures. Le contrôle assuré par la Cour concerne les lois
des Etats et d’autres actes de l’exécutif. Elle assure aussi la fonction de juge de cassation chargée de
garantir l’uniformité du droit dans la fédération. Elle fixe en dernier ressort l’interprétation
constitutionnelle qui peut s’imposer en vertu de la règle du précédent (Stare decisis).
-un contrôle concret car il s’exerce à l’occasion de « cas concrets » et de « litiges » particuliers (Cases
and controversies). C’est dans ce sens qu’il faut comprendre l’article III, section 2 de la Constitution
qui dispose que : « le pouvoir judiciaire s’étendra à tous les cas concrets, en droit et en équité, qui
pourront se produire sous l’empire de la présente Constitution, des lois des Etats-Unis ou des traités
conclus ». Ainsi, la Cour ne se prononce que sur des litiges avérés et concrets et non éventuels ou
abstraits. Ces éléments imposent au requérant l’obligation de justifier un intérêt direct et réel pour agir
car sans intérêt point d’affaire. Ces exigences limitent la compétence de la Cour suprême dans la seule
fonction contentieuse et non consultative, à l’exception toutefois des questions politiques et celles liées
à la politique extérieure et aux pouvoirs de guerre.
-un contrôle a posteriori, par voie d’exception. La Cour ne peut être saisie qu’à l’occasion d’un procès
et non avant l’application d’un acte juridique. Ici, la règle de droit existe déjà mais apparaît comme en
contradiction avec la Constitution. Il s’agit alors d’obtenir, soit sa mise à l’écart, soit sa destruction.
Dans ce dernier cas, le texte est frappé d’inexistence. C’est d’ailleurs la seule forme de contrôle de
constitutionnalité des lois possible : l’exception d’inconstitutionnalité qui peut être invoquée devant
n’importe quel juge ordinaire et soulevé par la Cour suprême, tout citoyen ou toute personne morale. Il
s’agit d’un recours défensif. Le but recherché par le plaideur est simplement que la règle de droit soit
écartée dans le procès qui le concerne pour cause de non-conformité à la Constitution. Le problème de
la constitutionnalité intervient donc de façon indirecte, à titre accessoire, comme un incident d’un litige
actuel qui a pour objet une affaire quelconque et non le conflit possible entre la Constitution et une autre
règle de droit. Un tel recours étant à la portée de n’importe quel juge, les décisions qu’il rend ne sont
revêtues que de l’autorité relative de la chose jugée puisqu’elles n’ont qu’un effet inter partes.
Le modèle américain s’est développé, avec certaines variantes, au Canada, au Japon en 1947,
en Amérique latine (Mexique en 1847, Argentine en 1860, Brésil en 1891 et en Corée du Sud). Par ce
contrôle, la Cour se retrouve souvent mêlée aux grandes questions politiques nationales. Par ses
décisions, elle affecte la vie des citoyens, opère de grands choix de société, oriente les grands principes
de l’Etat et est incontournable dans la gouvernance des USA. L’étendue de « son immense pouvoir
politique »163 relance sans cesse le débat sur sa légitimité au regard de la théorie de la démocratie
représentative. Sur point, elle affecte le modèle européen.
B- Le modèle européen
En Europe, la crainte du « gouvernement des juges » a entraîné l’adoption d’un modèle de
contrôle de constitutionnalité plus radical, puisque « tuant » la loi « dans l’œuf » à l’égard de tous, avant
qu’elle ait produit le moindre effet juridique. Le contrôle présente également quatre traits :
-c’est un contrôle concentré, c’est-à-dire exercé exclusivement par une juridiction constitutionnelle
spécifique qui dispose d’un monopole d’appréciation de la constitutionnalité des actes juridiques et
d’interprétation de la Loi fondamentale. Autrement dit, les juridictions ordinaires ne peuvent connaître
de ce contentieux, à l’exception du Portugal dont la Constitution organise un contrôle de
constitutionnalité assuré par les juges de droit commun. Seule juridiction compétente, la Cour
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constitutionnelle a également la particularité d’être située en dehors de l’appareil juridictionnel
ordinaire. C’est pour cette raison qu’elle fait, dans les Constitutions, l’objet d’un titre spécifique, distinct
du titre relatif à l’autorité ou au pouvoir judiciaire, selon les cas. Cette position de la Cour montre qu’elle
n’est pas, contrairement à la Cour suprême américaine, placée au sommet de la hiérarchie
juridictionnelle. C’est donc une juridiction indépendante de l’appareil judiciaire qui exerce sa
compétence à temps plein.
-c’est un contrôle abstrait dans la mesure où les différends soumis aux juridictions constitutionnelles
n’engagent pas deux parties, comme dans le cadre d’un litige ordinaire. En effet, le contrôle de
constitutionnalité implique une confrontation entre une norme suprême, la Constitution et une norme
inférieure, la loi ou tout autre acte juridique. Il s’agit simplement pour le juge de vérifier la conformité
de l’acte inférieur à la Constitution.
-un contrôle par voie d’action, c’est-à-dire avant la promulgation de la loi ou la ratification d’un traité.
Ce contrôle intervient lorsqu’une mesure déjà adoptée n’est pas encore entrée en application et que l’on
veut éviter sa mise en circulation. Il s’agit donc là de prévenir un procès. Mais, c’est un procès intenté
au texte que l’on soupçonne d’être en contradiction avec la Constitution. Ainsi, le texte non conforme à
la Constitution ne pourra être promulgué.
-les décisions rendues par la Cour constitutionnelle, à la suite d’une saisine qui peut être ouverte à tous
les citoyens ou réservée exclusivement à certains organes étatiques, s’imposent à tous et ont donc un
effet erga omnes.
En Europe, la crainte du « gouvernement des juges » a entraîné l’adoption d’un modèle de
contrôle de constitutionnalité plus radical, puisque « tuant » la loi « dans l’œuf » à l’égard de tous, avant
qu’elle ait produit le moindre effet juridique. Le contrôle est donc a priori ou par voie d’action, abstrait,
concentré, exercé par une juridiction spécialisée : la Cour constitutionnelle, et dont les décisions ont un
effet erga omnes. Ce modèle est surtout l’œuvre de de l’autrichien Hans Kelsen qui fut à l’origine de la
création de la Haute Cour constitutionnelle régie par les articles 137 à 148 de la Constitution du 01
octobre 1920. D’autres Etats européens vont suivre cet exemple : l’Italie en 1947, l’Allemagne en 1949,
la France en 1958.
Dans ce dernier pays, le principe rousseauiste selon lequel « la loi est l’expression de la volonté
générale » avait empêché un éventuel contrôle de constitutionnalité sur ses dispositions. La loi était donc
souveraine et ne pouvait par conséquent faire l’objet d’un quelconque contrôle. Malgré les tentatives de
création du « jury constitutionnaire », véritable corps de représentants, proposé par l’abbé Sieyès visant
à assurer un tel contrôle, le rôle du Sénat conservateur dans ce domaine prévu par la Constitution
impériale de 1852, le principe même d’un contrôle de constitutionnalité par un organe politique est resté
sans succès. Sous la 3e République, et malgré le développement des Cours constitutionnelles en Europe
après la 1ère guerre mondiale, la France n’a pas toujours adopté un tel contrôle en raison notamment de
l’instauration d’un parlementarisme absolu dans lequel la loi est souveraine.
C’est finalement sous la 4e République (Constitution du 27 octobre 1946) qu’est créé un organe
politique, le Comité constitutionnel présidé par le Président de la République et comprenant les
présidents de l’Assemblée nationale et du Conseil de la République (Sénat) plus 7 membres élus de
l’Assemblée nationale en dehors d’elle-même. Mais, régime parlementaire absolu aidant, les
dispositions constitutionnelles ne méconnaissaient en rien le caractère sacré de la loi. En cas de conflit,
c’est la Constitution qui devait être modifiée et non la loi parlementaire souveraine. Si cet organe a été
vain dans le contrôle de constitutionnalité, il a néanmoins préparé, dans une certaine mesure,
l’avènement du Conseil constitutionnel sous la 5e République (Constitution du 4 octobre 1958).
Ce modèle français n’est pas celui qui sera réellement suivi par le Gabon dans ces premières
Constitutions. En effet, les Constitutions du 14 novembre 1960 et du 21 février 1961 confèrent à la
Chambre constitutionnelle de la Cour suprême le pouvoir d’assurer le contrôle de constitutionnalité. Ce
modèle est proche, à l’apparence, de celui adopté aux USA. Mais, en réalité, il s’en éloigne nettement
dès lors que tous les juges ordinaires sont complètement incompétents dans ce domaine. Il est donc plus
proche du modèle européen d’une juridiction spécialisée, mais à l’intérieur d’un seul ordre de juridiction,
la Cour suprême.
Créée donc formellement depuis 1960, c’est en réalité la loi n°6/78 du 1 er juin 1978 relative à
l’organisation de la justice au Gabon qui dote la Cour suprême d’une Chambre constitutionnelle. Celle-
ci comprend les membres de droit nommés par décret présidentiel (le président de la Cour suprême et
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les présidents des chambres judiciaire, administrative et des comptes) et les conseillers (3 titulaires et 2
suppléants) nommés également par décret présidentiel après consultation du bureau politique du PDG.
Globalement, la Chambre est chargée de contrôler la constitutionnalité des lois et la régularité
des opérations électorales et référendaires. Toutefois, le contexte politique réfractaire aux droits
fondamentaux des citoyens, la politisation de la juridiction, la restriction du droit de saisine au Chef de
l’Etat et au président de l’Assemblée nationale, la « servitude volontaire » des juges ont fait de cette
Chambre une institution fantôme, un simple décor institutionnel. Il a fallu attendre l’adoption de la
Constitution du 26 mars 1991 pour que soit créée, comme en Europe, une véritable juridiction
constitutionnelle spécialisée, la Cour constitutionnelle, garante de l’Etat de droit démocratique.
De plus en plus, de nos jours, on assiste à un amenuisement des frontières entre les deux
systèmes, notamment dans la protection des droits fondamentaux des citoyens. En effet, pour mieux
garantir les droits et libertés des citoyens, les deux systèmes exigent des caractéristiques statutaires
communes : un nombre quasi identique des juges (de 6 à 9), des modalités de désignation faisant une
part belle aux organes politiques (Chef de l’Etat et parlement), les exigences d’indépendance et
d’impartialité renforcées par la durée assez longue du mandat, l’immunité des juges et le système des
incompatibilités.
Hormis cet aspect, on observe également une opposition relative entre les deux systèmes au
niveau des effets, notamment en matière de protection des droits fondamentaux. En effet, les juridictions
mettent en œuvre des techniques de contrôle similaires comme le contrôle de proportionnalité et ont
défini un catalogue de droits fondamentaux en des termes proches, par exemple les libertés d’expression,
de religion, les garanties fondamentales de procédure, etc. Cette évolution a abouti au final à un véritable
patrimoine commun des droits fondamentaux. De plus, les deux systèmes produisent deux effets
comparables : d’une part, sur l’ordre juridique, la constitutionnalisation des différentes branches du
droit, et d’autre part, sur l’ordre politique, la pacification du débat politique, la régulation des alternances
démocratiques et la défense de la minorité politique.
Enfin, le modèle européen a développé depuis quelques décennies le contrôle a posteriori
inhérent au système américain pour mieux garantir les droits fondamentaux. En France, ce mécanisme
baptisé question prioritaire de constitutionnalité (QPC) a été consacré par la révision constitutionnelle
du 23 juillet 2008 et définie dans ses modalités par la loi organique du 10 décembre 2009.
En revanche, dans de nombreux Etats africains, le contrôle a posteriori a été consacré dès la
nouvelle vague constitutionnelle en 1990 qui institue pourtant globalement le modèle européen de
juridiction constitutionnelle spéciale. Ainsi, les articles 86 et 122 des Constitutions respectives du Gabon
de 1991 et du Bénin de 1990 prévoient le mécanisme de l’exception d’inconstitutionnalité. La pratique
jurisprudentielle met en application les principes inhérents à ce procédé, à l’instar de l’intérêt pour agir.
Ainsi, par exemple, dans sa décision n°18/CC du 25 novembre 1992, la Cour constitutionnelle gabonaise
rappelait cette règle élémentaire en expliquant au président de l’Assemblée nationale qui l’avait saisi à
propos de l’irrégularité supposée d’une session extraordinaire du Conseil économique et social que « les
sessions du CES ainsi que les avis émis par celui-ci dans le cadre de ses attributions consultatives sont
des mesures préparatoires nécessaires à l’élaboration d’actes législatifs ou administratifs ; que, par leur
nature, ces mesures préparatoires ne sont susceptibles d’aucun recours, outre que, émis dans ces
circonstances, les avis n’ont aucune valeur normative, ne lèsent en principe aucun intérêt du citoyen et
ne lient nullement leur destinataire dans leur pouvoir de décision ». Autrement dit, qu’ils ne font pas
grief.
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