Margolin - La Methode Des "Mots Et Des Choses" Dans Le "De Pueris Instituendis"
Margolin - La Methode Des "Mots Et Des Choses" Dans Le "De Pueris Instituendis"
Margolin - La Methode Des "Mots Et Des Choses" Dans Le "De Pueris Instituendis"
visuel. Mais l'influence d'un livre qui, malgré le renom de son auteur
et un effort de neutralité idéologique et religieuse assez remarquable,
n'a pratiquement plus été réédité depuis 1561 9 , est certainement plus
profonde par les réactions qu'il a suscitées, les institutions pédagogiques
qu'il a contribué à créer, les transformations dans les moeurs sociales
qu'il a pu provoquer, toute une série d'ouvrages qu'il a engendrés et
qui ont disséminé ses idées à travers l'Europe et jusqu'en Amérique 10,
que par ses commentaires littéraux. En revanche, il faut bien se rendre
compte que les réalités économiques, sociales, culturelles ne se modifient
pas selon un rythme identique, et que le poids de l'histoire comme les
données géographiques, sans compter le destin des individus, contrarient
souvent la transmission directe des idées, même au sein d'une République
des Lettres déjà fortement constituée, et bien davantage encore au sein
d'une République chrétienne oscillant sur sa base et même, dans l'Eu-
rope du XVII e siècle, irrémédiablement divisée. C'est dès lors un fait
notable que, les mêmes causes engendrant parfois les mêmes effets, on
trouve, à trois ou quatre générations de distance et à travers des média-
tions historiques très diverses, des conceptions identiques, des méthodes
analogues, un même regard porté sur l'enfant, sur l'homme et sur les
rapports de ce dernier avec le monde et avec Dieu, dans l'oeuvre péda-
gogique du Hollandais Erasme et dans celle du Tchèque Jan Arnos Co-
m e n i u s n , qui vint d'ailleurs finir ses jours en 1670 dans cette ville
d'Amsterdam, qu'il qualifiait dans la dédicace de sa Grande Didactique,
d'"admirable, orgueil de la Hollande, joie de l'Europe" ou encore de
"fleur des Cités".
Les rapprochements ne manquent pas entre l'humaniste et pédagogue
chrétien du XVI e siècle et le pédagogue et théologien de l'Union des
Frères tchèques du XVII e 12: orphelins de bonne heure l'un et l'autre 13,
abandonnés tous deux par leurs tuteurs, irrésistiblement attirés vers les
sources inépuisables du savoir, et notamment vers les auteurs classiques,
profondément religieux et d'autant plus réfractaires à la scolastique des
9
Ed. de J. Oridryus & Alb. Buysius, Düsseldorf (édition décrite en détail dans
notre article du Gutenberg-Jahrbuch de 1969, Deux éditions inconnues du "De pueris
instituendis", p. 117 sq.).
10
Voir notamment Erasmo y el Nuevo Mundo de M. Bataillon, appendice de
la traduction espagnole de sa thèse, Erasmo y Espana, 2 e éd. 1966.
11
La litérature de Comenius est également très riche, mais très inégalement
répartie selon les époques et les cultures; la bibliographie de langue française est
notamment déficiente. Signalons toutefois une thèse récente — 1974 — et inédite de
Mme M. Denis, Komensky, sa pensée, son système, accompagnée d'une Bibliographie
de l'oeuvre de Komensky (Univ. de Tours).
12
Plusieurs études sur la vie et la pensée de Comenius, [dans:] les Acta
Comeniana I (XXV) et II (XXVI), Prague (Academia Praha) 1969 et 1970.
13
"Admodum enim puer parente utroque orbatus, tutorumque supinitate ita fui
neglectus, ut demum aetatis anno decimo sexto Latina elementa gustare contigerit"
(ODO I, p. 442).
La méthode des "Mots et des Choses" 71
14
Parmi les plus récentes biographies d'Erasme, voir Roland H. Bainton, Eras-
mus of Christendom, Scrïbner's, New York 1969, James D. Tracy, Erasmus: the
growth of a mind, Genève, Droz 1972. Voir aussi la réédition du livre d'Albert
Hyma, The youth of Erasmus, Russell and Russell, New York 1968.
15
Pour Erasme, voir notre Guerre et Paix dans la pensée d'Erasme de Rotter-
dam, Aubier, Paris 1973. Pour Comenius, voir ses oeuvres (passim), ainsi que
P. Bovet, Jean Amos Comenius, un patriote cosmopolite, Genève 1943 et J. Polisen-
sky, Comenius, the Angel of Peace and the Netherlands in 1687 (Acta Come-
niana I, 1969). Voir aussi K. Mampel, Die Interkonfessionellen Friedesideale des
Johan Amos Comenius (Monatshefte der Comenius-Gesellschaft, 1892, pp. 93—
108).
16
Voir A. Gerlo, Erasme, homo Batavus, [in:] Commémoration nationale d'Eras-
me, Bibliothèque Royale, Bruxelles 1970, pp. 61—80.
17
L'un de ses adages favoris (LB II, adage n° 1193): cf. notre étude. Erasme et
ad altaarievasstri ;.
72 Jean-Claude Margolin
(thèse citée), ainsi que dans la liste dressée par J . Muller, Zur Bücherkunde des
Comenius, Monatshefte der Comenius-Gesellschaft, 1892 (mars), pp. 19—53.
19 La Janua linguarum reserata (ou "séminaire de toutes les langues") a même
été traduite en douze langues orientales. Quant à l'Orbis sensualium pictus, qui
fut rédigé en 1653—54 et édité à Nuremberg en 1658, c'est l'ouvrage qui a été, avec
la Janua, le plus souvent édité et traduit (surtout au cours de l'époque contemporai-
ne). Traductions allemande en 1658, anglaise la même année, bohémienne en 1685.
20 Voir notamment Comenius, Opera Didactica Omnia (= ODO), Pars III, P r a -
gue, Academia Scientiarum Bohemoslovenica, 1957, p. 836 sq. ( J a n u a e Linguarum.
Praxeos Theatricae Pars I in qua res mundi majoris, quae naturaliter fiunt, ordine
in scenam producuntur... ainsi que les Partes II à VIII). A ces incitations d'ordre
pédagogique se mêlent le plus souvent des éléments d'ordre religieux, car beaucoup
de ces pièces de théâtre sont tirées d'un passage des Psaumes ou des Proverbes de
Salomon, agrémentées de musique (avec choeur d'élèves, selon une habitude très
répandue, en particulier dans les pays protestants d'Allemagne et d'Europe cen-
trale).
21 On pense à la formule d'Erasme (dans sa lettre-dédicace à J . Carondelet —
28 Luther lui-même, dans ses Propos de table, après avoir fustigé Erasme en
lui reprochant ses perpétuelles moqueries, son impiété, ses mots ambigus et amphi-
boliques, ajoute: "...ut etiam ejus libri a Turcis legi possint": Descartes connaissait-
il ce texte?
29 "Schola materni gremii", comme il dit.
30 Dans son Rationalisme appliqué, Paris.
31 Celui précisément que nous allons étudier (De pueris, p. 67, 1. 19-p. 68, 1.18
deducta"). A l'opposition des res et des verba se surajoute celle des sensualia et
des sensus.
La méthode des "Mots et des Choses" 75
dans le prologue de son ouvrage, pas plus que dans la préface aux lecteurs
(Lectoribus...) de sa Grande Didactique, où il nous dit qu'il a étudié les
théoriciens de la pédagogie les plus importants 36. Nous savons qu'il con-
naissait personnellement et directement certaines des oeuvres pédagogi-
ques d'Erasme, comme on peut s'en rendre facilement compte en ouvrant
le De civilitate morurn pueriliurn de 1530 et en parcourant les Praecepta
morum in usum juventutis collecta anno 16 5 3 37: même inspiration, même
contenu, mêmes expressions (qu'il s'agisse des petits chapitres De vultu
totiusque corporis statu et gestu, De Cultu et Vestitu, De Incessu, Mores
matutini, Ad Mensam ou Mores vespertini)3S. Il aurait même d'après
August Israël et Hermann Tôgel 39 (auquel il a communiqué ces rensei-
gnements), préfacé une édition du De ratione studii de 1652; mais nous
n'avons pas été capable de repérer la trace de cette édition, non plus
que Mme M. Denis dans sa Bibliographie des Oeuvres de Comenius, ou
que le conservateur de la Bibliothèque de Rotterdam, M. Van Gulik, dans
son fichier descriptif de toutes les éditions d'Erasme. Mais qu'importe! Le
véritable érasmisme de Comenius — pour ne pas parler du "coménia-
nisme" d'Erasme! —, c'est à la fois la critique agressive de l'imitation arti-
ficielle et décharnée du style de Cicéron 40 (connue sous le nom de cicéro-
nianisme) et l'application attentive et assidue des rapports naturels —
terme qu'il faudra élucider — entre les mots et les choses.
Les mots et les choses: deux termes qui en représentent effectivement
88
ODO I, pp. 3—4 (avec le récit de sa vie d'exilé). Il se réfère nommément au
pédagogue W. Ratichius, qui a exercé sur sa pensée et ses méthodes de travail une
grande influence. Voir à ce sujet A. Israël, Das Verhältnis der Didactica magna
des Comenius zu der Didaktik Ratkes, Monatshefte der Comenius-Gesellschaft, 1892,
3 e partie (novembre), pp. 173—204 et 242—274.
«38 ODO II, col. 776—783.
Par exemple: "Quoties in conspectu cujuspiam honesti es, ita tegeres" (C)
et "Si quis occurrerit in via, vel senio venerandus... de via decere" (E); "Oculi non
vagi, non limi, non distorti, non procaciter hue illuc jactari, aut rursum nescio quo
defixi" (C) et "non vagi ac volubiles, quod est insaniae... nec immodice didueti,
quod est stolidorum (E); "Comam nutrire prolixam, quae frontem tegat, aut involitet
humectu, Apostolus vetat" (C), et "Coma nec frontem tegat, nec humeris involitet"
(E); "Verbum Dei, cum praelegitur, nunquam aliter quam stando, capiteque nudato,
audiet" (C), et "Dum peraguntur mysteria, toto corpore ad religionem composito
ad altaria versa sit faciès (E); ou encore "Manus ablue, os prolue, dentes defrica,
ut sis purus" (C), et "Dentium mundities curanda est... Os mane pura aqua proluere,
et urbanum est et salubre" (E). On pourrait multiplier les parallèles, mais la
démonstration semble suffisamment convaincante.
39
"Eine Ausgabe von De ratione studii von 1652 hat ein Vorwort von Come-
nius", op. cit., p. 127, ainsi que la note 7. H. Tôgel fait allusion à la "dernière"
édition du De pueris, qu'il date de 1556, confondant le De pueris et le De ratione
studii (à la suite de F. Van der Haeghen) Biblioteca Erasmiana, Gand 1893 et
ignorant celle de 1561.
40
Voir l'édition-traduction italienne du Ciceronianus par A. Gambaro, Brescia
1965 et l'édition critique de P. Mesnard, ASD 1—2, p. 583 sq. La querelle du cicé-
ronianisme a été bien dégagée ces dernières années par P. Mesnard, d'abord dans
La Bataille du Cicéronianisme (Etudes, février 1968), dans l'essai Erasme ou le
christianisme critiqué (Seghers Paris, 1969), pp. 80—83, et dans sa traduction f r a n -
çaise, Le véritable Cicéronien. La Philosophie chrétienne, Vrin, Paris 1969.
76 Jean-Claude Margolin
trois, surtout à une époque où les "leçons de choses" — dont nous par-
lions plus haut à propos de Christophe — ont été remplacées par les
sciences naturelles ou expérimentales, et où les nouveaux pédagogues
ne pratiquent plus guère des cours ou des exercises de vocabulaire.
On parlera plus volontiers — depuis Saussure et surtout depuis la
vogue récente de la linguistique — de "signifiant" (le mot, porteur de
sens) et de "signifié" (la chose, ou plutôt l'idée de la chose, c'est-à-dire
son contenu intellectuel). Entre renonciation ou la parole (le mot exprimé)
ou le vocable — en latin verbum ou vox — et la perception (disons, pour
simplifier, l'expérience visuelle, auditive, tactile, la "rencontre" du sujet
avec le monde sensible — orbis sensualium), il faut bien que prenne
place, en quelque sorte un troisième terme, c'est-à-dire l'idée, le concept
ou l'image, autrement dit la signification ou le sens de la chose, étant
bien entendu que le terme si général et si vague de chose — res en
latin — peut se rapporter à des phénomènes naturels, à des objets fabri-
qués, à des êtres vivants, comme à des entités, des êtres de raison, des
actions, des "réalités" directement branchées sur l'entendement ou à la
rigueur sur l'imagination, mais certainement pas sur les terminaisons ou
sur les zones sensorielles de l'homme (pensons par exemple aux "choses"
que sont la liberté, la vertu, la sagesse, l'esprit, le néant, la contradiction
ou l'identité). Mais pour un pédagogue comme Erasme, préoccupé avant
tout d'efficacité pratique et assez éloigné des spéculations abstraites —
par insuffisance naturelle autant que par une décision de sa volonté —
le problème majeur de l'éducation de la jeunesse, et d'abord de la prime
jeunesse, c'est celui de l'apprentissage simultané des mots et des choses 41 ,
autrement dit, des langues — ou de la langue par excellence, c'est-à-dire
le latin — et du savoir contenu dans les livres des anciens (puisqu'ils ont
traité de tout) comme dispersé à la surface du globe, dans la nature
ambiante, immédiatement perçue, qui n'est elle-même qu'un grand livre
ouvert — le livre du Monde 42 — que le précepteur apprendra à lire ou
à déchiffrer aux enfants. Harmonie préétablie, rencontre heureuse entre le
mot et la chose? Erasme, comme tout usager du langage, s'est vite rendu
compte du caractère utopique de cette adéquation: l'expérience du discours
nous enseigne l'équivocité, l'ambiguïté ou — comme on dit aujourd'hui —
la polysémie des mots, et l'expérience de la vie, des hommes et des
choses, leur nécessaire prolifération. C'est ce que, sous une forme un
peu différente, et plus rhétorique que philosophique, exprime Erasme
quand il parle de la "double abondance des mots et des choses" 43, la
multiplicité des expressions, des tournures ou des "figures" servant à
désigner une seule chose — ou une seule idée — , comparée à la multi-
41 Voir notamment le début du développement majeur du De ratione studii.
42 Métaphore dont la fortune a été extraordinaire à l'époque de la Renaissance.
43 "De duplici copia verborum ac rerum".
La méthode des "Mots et des Choses" 77
plicité des choses — ou des idées — que contient un seul vocable. Mais
à trois ou quatre ans — l'âge des enfants auxquels s'appliquent les pré-
ceptes du De pueris et celui des écoles maternelles auxquelles songe
Comenius — la réalité est plus simple, ou plutôt le maître s'emploie à la
simplifier. C'est ainsi que, sans songer à faire des discours, mais en se
contentant de scènes élémentaires dont les acteurs seront principalement
des animaux, le maître apprendra à ses élèves, tout en les amusant, le
mot et la chose qu'il désigne, en une correspondance parfaitement adé-
quate, transparente et réciproque. Mais il faut citer tout le passage:
"Quant aux fables et aux apologues, l'enfant les apprendra plus volontiers
et s'en souviendra mieux si on lui en présente les sujets sous les yeux, habile-
ment figurés, si tout ce que raconte l'histoire lui est montré sur l'image. La
même méthode sera également valable pour apprendre les noms d'arbres,
d'herbes et d'animaux, en même temps que la nature propre à ces êtres, spécia-
lement ceux qui ne se rencontrent pas partout, tels que rhinocéros, tragélaphe,
pélican, âne des Indes, éléphant. Par exemple une vignette désignera un
éléphant, qu'un dragon étreint dans ses replis en ayant enroulé sa queue autour
de ses pattes de devant. Cette représentation nouvelle (nova picturae species)
fait la joie du petit: que fera alors le maître? Il lui apprendra que le gros
animal se dit en grec èXstpaç et en latin de même, à ceci près que, selon les
formes de la déclinaison latine nous disons parfois elephantus-elephanti. Il lui
montrera ce que les Grecs appellent KpofioaxîSot (trompe) et les Latins manum
(main), parce que c'est avec elle que l'éléphant saisit sa nourriture. Il lui fera
remarquer que cet animal ne respire pas par la bouche, comme nous, mais
par sa trompe; il lui montrera ses défenses, en saillie de part et d'autre, d'où
l'on tire l'ivoire, denrée fort appréciée des riches, et en même temps il lui
présentera un peigne en ivoire. Il lui apprendra ensuite qu'il y a aux Indes
des dragons d'une taille aussi énorme. Que dracon (dragon) est un vocable
commun au grec et au latin, à ceci près que nous le déclinons selon nos habi-
tudes, alors que les Grecs disent Spaxcôvïoç sur le modèle de jiécpv-roç, d'où le
féminin dracaena sur le modèle de leaena. Il lui apprendra qu'entre ces
dragons et les éléphants une guerre inexpiable st déclarée depuis toujours.
Et si l'enfant est encore plus avide de science, le maître pourra rapporter
bien d'autres traits touchant la nature des éléphants et des dragons" 44 .
44 Edition du De pueris (LB, I, 510 D—E; Droz, p. 447; AD 1—2, p. 67, 1.20 —
46
Sorte de bouquetin ou d'antilope (exactement "bouc-cerf") d'Afrique tropi-
cale, décrit par Solinus.
47 "Verborum prior, rerum potior".
48
Sur leur date de composition, voir, outre nos éditions respectives (Genève,
1966 et Amsterdam, 1971), l'article de J. D. Tracy, On the Composition Dates of
Seven of Erasmus" Writings, BHR 1969, XXXI—2, pp. 355—371.
« Voir l'édition de Fritz Schalk, ASD IV—1, pp. 221—370.
La méthode des "Mots et des Choses" 7i>
siècle par l'allemand Bàsedow 50, comme par les pédagogues modernes qui
se sont spécialisés dans l'enseignement des sciences à l'école primaire,
est fondée sur une dramatisation 51 du spectacle proposé, et pas seulement
sur une animation des personnages (en l'occurrence des animaux figu-
rés). On a réalisé de nos jours de grands progrès en matière de dessins
animés, mais le fait de présenter à l'enfant simultanément et en action
(c'est-à-dire dans leur lutte intestine et naturelle) 3 2 deux animaux comme
le dragon (ou serpent) et l'éléphant est une initiative pédagogique heu-
reuse. De même, en faisant jouer par des enfants le rôle de personnages
réels ou imaginaires destinés à illustrer 1'"Encyclopédie vivante" du
"monde en images", Comenius avait trouvé ou retrouvé cette "praxéolo-
gie" théâtrale (praxis scenica) élémentaire. Il s'agit dans tous les cas de
créer des associations d'idées et de favoriser la mémoire grâce aux asso-
ciations réelles ou naturelles, celles du moins qu'a fixées dans l'esprit
l'état actuel des connaissances ou la tradition dont celles-ci s'inspirent.
4. D'une manière plus générale, cette méthode d'enseignement par le
mot et l'image relève d'une conception plus générale, à laquelle Erasme,
comme tous les grands humanistes du Quattrocento et les pédagogues de
son temps, était particulièrement attaché: celle de l'enseignement par
le jeu, de l'enseignement par la joie. Dans de nombreux passages du De
pueris 53, il insiste sur ce point. Il évoque, par exemple, la méthode prati-
quée par les Anciens: "Quelques-uns donnaient la forme des lettres à de
petits gâteaux dont les enfants sont friands, afin que, par ce moyen, ils
dévorassent en quelque sorte les lettres" 5*. Ou encore, la pratique de ce
50
Voir plus haut, Bàsedow recommande d'ailleurs la lecture des Colloques
d'Erasme parmi les ouvrages éducatifs et les "leçons par l'image" à l'usage des
enfants de douze ans (cf. éd. de Leipzig et Francfort de 1775: Encyclopaedia philan-
thropica Colloquiorum Erasmi, demtis illis partibus quae erant adolescentum mo-
ribus nocivae ordini sacro et militari..." et le conseil de Bàsedow: "Oro atque oro
ut Erasmiana quotidiana lectione versetis"). La méthode pédagogique de Basedow
se retrouve dans le livre de Wolke, Méthode naturelle d'instruction (Wolke était
l'inspecteur de l'école de Dessau, fondée par Bàsedow).
51
Ici encore, la méthode Bâsedow-Wolke s'en inspire directement, comme on
le voit par exemple dans la description de la planche 8 (dessins de M. D. Chodo-
wiecki réalisés pour l'ouvrage élémentaire de Bàsedow): "Je vois un animal quadru-
pède qui emporte une oie. Le voyez-vous aussi? C'est sûrement quelque bête car-
nassière qui s'est jetées sur l'oie et l'a tuée pour la dévorer. Serait-ce un loup ou
un lion? Non, c'est un renard, bête adroite et rusée... L'oie, qui est stupide et qui
ne sait pas voler...".
82
A rapprocher du colloque d'Erasme Arnicitia (ASD I—3, pp. 700—709). Ce
colloque, qui date de 1530, et qui reprend certaines formules du De pueris sur les
amitiés ou les inimitiés instinctives des animaux, est en fait inspiré (comme l'autre
texte) de l'Histoire naturelle de Pline, dont Ephorinus — l'un des personnages du
dialogue avec Johannes, alias J. Boner, son élève — avait procuré une édition en
1530, Erasme ayant lui-même édité Pline en 1525 (cf. sa déclaration de la préface
du Ciceronianus, ASD I—2, p. 708: "Mundum docet Plinius").
53
Voir dans notre édition de 1966, les termes ludus et lusus de l'Index rerum,
p. 629.
« Ibid., p. 451 ( A S D 1—2, p. 70, 1.18—20.
80 Jean-Claude Margolin
6 — Organon 12/13
82 Jean-Claude Margolin
74 Faber lignarius.
75 Naufragium.
76 Instrumenta musica.
86 Jean-Claude Margolin
77
P a r i s , G a l l i m a r d 1966.
78Préface, p. 14.
79
Ch. 2, p. 49.
80 Tribut d'un antihumaniste aux études d'Humanisme et Renaissance, Note
sur l'oeuvre de Michel Foucault, BHR 1967, X X I X — 3 , p p . 701—711.