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Responsabilité Civile Du Fait Des Choses

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Responsabilité civile du fait des

choses

Master Sciences juridiques – S2

Droit civil approfondi 2

Réalisé par :

MZOURI Neama
BOUAZIZ Maroua

Encadré par :

Professeur HAMDAI Ilham

Année universitaire : 2020/2021

1
Introduction :
La responsabilité civile a pendant longtemps été considérée comme
l’obligation pour toute personne de réparer les conséquences dommageables de ses
actes. Pourtant, de cette logique de responsabilité, on est passé peu à peu vers une logique
d’indemnisation, voire de « compensation »1, notamment avec l’apparition des hypothèses
de responsabilité objective dont la présence est aussi marquante en droit marocain. Il n’est
pratiquement plus de situation où la victime d’un dommage ne dispose pas d’une action en
réparation2. Ainsi, l’on n’est plus seulement responsable de ses actes, mais encore du fait
des personnes dont on doit répondre ou encore des choses dont on a la garde. Ce dernier
aspect représente certainement une majeure partie du droit de la responsabilité civile en
raison du fait que les grands dommages de nos jours semblent être souvent le fait d’une
chose que d’une personne. Il n’est donc pas sans intérêt de rechercher le raisonnement et
les positions qu’adoptent les tribunaux face à des cas d’espèces mettant en jeu une
chose dommageable.

Le Dahir portant Code des Obligations et Contrats (DOC) envisage deux cas très particuliers
de responsabilité du fait des choses : la responsabilité du fait des animaux (art. 86 et 87) et la
responsabilité du fait des bâtiments (art. 89). En revanche, le principe même de la
responsabilité du fait des choses qui se dégage incontestablement de son article 88, lequel
est, en partie, une reproduction de l’article 1384 al.1 du Code civil français, a été le fruit
d’une évolution particulière. Pour certains d’auteurs3 en effet, l’alinéa 1er de l’article 1384
du Code civil n’était au départ rien d’autre qu’un texte introductif aux dispositions qui lui
sont consécutives. Ce n’est que suite au développement du machinisme avec sa cohorte de
dommages pour lesquels il est bien souvent impossible sinon très difficile de prouver une
faute que la Cour de cassation française a découvert dans le texte susvisé un principe
général de responsabilité du fait des choses4. Tirant profit de cette expérience, le législateur
marocain a établi dans l’article 88 du DOC le principe général selon lequel « chacun doit
répondre du dommage causé par les choses qu'il
a sous sa garde, lorsqu'il est justifié que ces choses sont la cause directe du dommage… ».
Aujourd’hui il existe plusieurs régimes particuliers de responsabilité du fait des choses tel
que la responsabilité du fait des produits défectueux, la responsabilité en cas de dommage

1 Daniel MAINGUY et Jean-Louis RESPAUD, Droit des obligations, éd. ellipses 2008, p.259.

2
François Ewald, Les limites de la réparation du préjudice, ouvrage collectif sous l’égide de la Cour de Cassation, du Conseil d’Etat, de l’IHEJ,
de l’ENSSS, du CHEA, Dalloz 2009, p.5.

3 Cf. Daniel MAINGUY et Jean-Louis RESPAUD, Droit des obligations, éd. ellipses 2008, p. 294.

4 L’arrêt de principe est l’arrêt Tefaine, de la Cham. civ. Du 16 juin 1896, D.1897, 1, 433, note R. Saleilles.

2
nucléaire… Cependant nous nous sommes proposé d’analyser l’évolution de la jurisprudence
marocaine sur le régime général posé par l’article 88 du DOC.

Les difficultés dans la réalisation d’un tel travail n’ont pas manqué. Premièrement, il nous a
été difficile d’entrer en possession des publications récentes de la Cour de cassation en raison
du fait que depuis 1965 au moins5, il n’y a plus eu que très peu de publications
jurisprudentielles en langue française. Ce qui nous a conduits à utiliser plusieurs arrêts
datant des années 1960.De plus, un certain nombre de cas on été tranchés par les tribunaux
avant la création de la Cour suprême qui n’a vu le jour qu’en septembre 1957. C’est pour
cette raison que le lecteur pourra rencontrer des arrêts de la Cour d’appel de Rabat,
notamment, évoqués comme jurisprudence. Mais tous ces arrêts traitent des questions qui
ont été par la suite tranchées par la Cour de cassation, soit en confirmant la position déjà
existante soit en créant des revirements jurisprudentiels. Il sera alors question de savoir
comment les juridictions marocaines ont apprécié les conditions de mise en œuvre (I) et
d’exonération (II) de la responsabilité du fait des choses.

I/ Conditions de mise en œuvre de la responsabilité du fait des


choses :
Pour le législateur tout comme pour la jurisprudence, la victime d’un dommage qui demande
réparation sur la base de l’article 88 du DOC n’est pas tenue de prouver une faute
quelconque commise par le civilement responsable. Il lui suffit de démontrer que
le dommage est causé par une chose (1), ou plus exactement par le fait de la chose (2) dont
celui-là avait la garde (3).

1. La chose :
Quelle est la nature de la chose dont il est question dans l’article 88 du DOC ? S’agit-il d’une
chose mobilière ou immobilière ? Dans un arrêt du 28 novembre 19366 la Cour d’appel de
Rabat avait, en application des articles 88 et 89 du DOC, retenu une notion assez curieuse de
la chose. Elle avait décidé que « le principe de responsabilité du fait des choses (art.88 DOC)
basé sur une présomption de faute de celui qui en a la garde ne concerne que les meubles et
ne saurait être étendu aux immeubles. La responsabilité du fait des immeubles étant régie
par l’art.89 du DOC, en dehors des cas limitativement fixés par cet article, c’est dans les
articles 77 et 78 du DOC que doit être recherchée la responsabilité quasi-délictuelle du
propriétaire ou du gardien d’un immeuble… ». De cette décision, on retient que pour la Cour
d’appel, la responsabilité du fait des immeubles ne peut jamais être présumée, sauf si le
préjudice est dû à l’écroulement ou à la ruine partielle de l’immeuble, tel qu’il ressort de
l’article 89 du DOC, encore faut-il que la victime prouve que cette ruine est due à la vétusté,

5
Effet certain de la loi sur l’arabisation de la justice

6 G.T.M., 1937, n°714, pp.45, Voir François-Paul Blanc, DOC annoté, art.88 note 106

3
à un défaut d’entretien ou à un vice de construction de l’immeuble. En dehors de ces cas la
responsabilité du fait des immeubles ne peut être présumée.

Bien qu’émanant d’une juridiction de fond, cette décision ne pouvait manquer de susciter de
la curiosité. Elle était peu opportune pour les victimes qui, renvoyées aux articles 77 et 78 du
DOC, devraient alors dans la plupart des cas prouver la faute du gardien si elles voulaient
obtenir réparation. Elle était certainement aussi contraire à la volonté du législateur. Il a fallu
une vingtaine d’années pour que la Cour de cassation, au lendemain de sa création, se
prononce sur cette question dans le sens où l’on devrait normalement s’attendre : «Edictant
en termes généraux la règle selon laquelle chacun doit répondre du dommage causé par les
choses qu'il a sous sa garde, l’article 88 du Code des obligations et contrats s'applique aussi
bien aux immeubles qu'aux meubles, quelles que soient les causes du dommage, sous
réserve des cas particuliers prévus à l'article 89 du même Code. Ainsi, le gardien d'un
immeuble dans lequel a pris naissance un incendie dont la cause est demeurée inconnue est
à bon droit déclaré responsable des dommages causés aux tiers par la communication de cet
incendie aux immeubles voisins. » On en retient d’une part qu’à la différence du droit
français (art. 1384 al 2 C.civ), lorsque le dommage est causé par l'incendie, le droit marocain
n'exclut pas l'application de la présomption de responsabilité du fait des choses que l'on a
sous sa garde. D’autre part, l'arrêt rapporté affirme expressément que les dispositions de
l'art 88 DOC sont applicables aux immeubles comme aux meubles, la généralité des termes
de cet article ne permettant aucune distinction entre ces deux types de choses.

Cependant, alors qu’elle retient que l’article 88 doit s’appliquer « quelles que soient les
causes du dommage », la Cour de cassation prend tout de même le soin d’exclure de ce
principe général de présomption les cas particuliers prévus par l'article 89 du DOC, en des
termes analogues à ceux de l'article 1386 du Code civil français. Selon cet article, le
propriétaire ou la personne chargée de l'entretien d'un édifice est responsable de sa ruine
lorsque celle-ci est due à la vétusté, à un défaut d'entretien ou à un vice de construction.
Pour ne pas vider cette disposition de sa substance, la jurisprudence tant marocaine que
française empêche la victime d'invoquer la présomption de responsabilité prévue à l'article
88 du DOC ou 1384 al.1 du Code civil. On est amené à cet effet à se demander si l’article 89
du DOC exclut qu’il soit fait application des dispositions de son article 887. Mais pour ne pas
nous écarter de notre sujet, il convient de retenir que toute chose, et n’importe quelle
chose, mobilière ou immobilière, peut être à l’origine d’un dommage réparable sur la base
de l’article 88 du DOC. Cependant il faut aussi préciser que ledit article n’est pas applicable
lorsque le dommage est dû non au fait de la chose elle-même, mais au fait de l’homme par
qui elle était mue8.

7A notre sens, rien ne justifierait cette exclusion. Dans un arrêt du 23 mars 2000, la 2ème chambre civile de la Cour de cassation française
avait décidé que l’art. 1386 du code civil, qui correspond à l’art.89 du DOC, n’exclut pas que les dispositions de l’article 1384 al 1 (art.88 du
DOC) soient invoquées à l’encontre du gardien non propriétaire de la chose, cause du dommage (cf. Cass. Civ. 2e, 23 mars 2000. Bull. civ. II,
n°54 ; R., pp. 400.)

8 Cela nous rappelle l’importance que la faute continue d’occuper en droit marocain de responsabilité civile.

4
2. Le fait de la chose :
Dans quelle mesure une chose, c’est-à-dire un objet inanimé, peut-elle être cause
d’un dommage ? Les juridictions marocaines entendent par « fait de la chose » la «
participation » de celle-ci à la réalisation du dommage. Dans un arrêt de la Cour d’appel de
Rabat de 1940, il a été décidé que faute pour la victime de « démontrer la participation
matérielle de la chose au dommage dont elle demande réparation, son action ne peut être
admise contre le gardien9 ». Ainsi, ne suffit-il pas que la chose ait été à l’occasion du
dommage10, mais qu’elle « ait joué un rôle actif dans la réalisation du dommage, par un
heurt, un choc reçu ou donné11 » par exemple. Cette exigence comportait également des
difficultés pour les victimes, tel que dans les cas où la chose n’a joué qu’un rôle passif ou
qu’il n’y a pas de contact direct et matériel entre la victime et la chose dommageable.

C’est pourquoi elle a été très vite écartée par la Cour de cassation qui décida que la
participation de la chose à la réalisation du dommage ne nécessite pas forcément un contact
matériel. Il suffit que l’intervention cette chose ait été déterminante dans la cause du
dommage. Ainsi, « justifie légalement la participation d'une voiture automobile à la
réalisation d'un accident, l'arrêt qui constate que cette voiture, dont la présence sur les lieux
résulte des éléments d'un dossier pénal, a, en circulant sur sa gauche, provoqué une collision
entre deux autres véhicules 12». Cette position est généralement approuvée par la doctrine et
elle est admise également par la jurisprudence française qui a à plusieurs reprises retenu la
responsabilité du gardien dans des cas similaires.13 Cependant, même si l’article 88 du DOC n’exige
pas la matérialité du contact, encore faut-il que la chose ait participé réellement au
dommage, c’est-à-dire que le rapport de causalité entre les faits allégués et le dommage
définitif ait joué la condition nécessaire. Il ne suffit pas, pour que la responsabilité du gardien
soit engagée, que la chose ait pu ou ait exerce une influence psychologique sur la victime au
moment de l’accident. (C.A. de Rabat,22/6/1956, R.M.D., 1956, p.364).

3- La garde de la chose :
L’article 88 du DOC évoque de façon laconique la « garde » des choses sans préciser en quoi consiste-
t-elle. Deux conceptions doctrinales ont été avancées à ce propos. L’une consistant à faire de la garde
un élément de fait, considère comme gardien celui qui a l’usage de la chose au moment où le
dommage est survenu. L’autre consiste à faire de la garde un élément de droit et par conséquent
faire du propriétaire le gardien de la chose. La Cour de cassation a adopté une position mixte. «
Le gardien d'une chose est celui qui a sur elle les pouvoirs d'usage, de direction et de

9 C.A. de Rabat, 4/10/1940 in R.A.C.A.R., tome X, p. 533, cité F-P BLANC in DOC annoté, article 88, note 13

10 Ibid

11 TPI de Rabat, 31 mars 1937, R.L.J.M., 1937, p.127, cité par F-P BLANC in DOC annoté sous l’article 88, note 11

12 Cour suprême, Chambre civile, 15 décembre 1964 in www.juricaf.org

13 Voir notamment: Civ. 22 janv. 1940, D.C. 1941.101, note Savatier; Civ. 30 mai 1944, D.A. 1944. 105; Civ. II 12janv. 1966, B. 42

5
contrôle 14». Ainsi, « caractérise suffisamment ces pouvoirs et donne une base légale à sa
décision la Cour d'appel qui, pour condamner sur le fondement de l'article 88 du Code des
obligations et contrats un garagiste à réparer les conséquences d'un accident causé
par un camion poussé à la main, constate que ce garagiste s’était chargé d’amener ce en
remorque dans un dépôt, que cette opération comportait toutes les manœuvres nécessaires
pour le mener à bien, y compris sa phase finale consistant à ranger le camion le long d’un
bâtiment, et que peu importait que ledit garagiste ait estimé préférable de ne pas utiliser le
véhicule remorqueur pour cette ultime manœuvre opérée sous la surveillance de son
chauffeur et alors que son graisseur était au volant du camion manœuvré 15». De même,
« lorsqu'une personne a fait une chute dans la cage de l'ascenseur d'un immeuble en voie
d'achèvement, l’entrepreneur chargé de l’installation de cet appareil est à bon droit déclaré
seul responsable du dommage en qualité de gardien, dès lors que l'accident s'est produit
avant la fin des travaux et avant leur réception par le propriétaire et que, n'étant pas
entrepreneur général, ce dernier n'avait pas la direction et le contrôle de l'ouvrage 16».

Celui qui a reçu une chose à titre de locataire, et en est ainsi devenu le nouveau gardien, en
assume donc, vis-à-vis des tiers, tous les risques dommageables, même ceux qui proviennent
des pièces de cette chose, sauf recours contre celui dont il la tient. C’est ainsi que dans la
location d’une voiture, le locataire ne peut, en cas d’accident causé par ce véhicule, se
dégager de la présomption de responsabilité de l’article 88 du DOC qui pèse sur lui en sa
qualité de gardien, sous le prétexte que seuls les défauts dudit véhicule auraient été la cause
de cet accident17. Ainsi, la présomption légale de responsabilité du fait des choses
inanimées ne s'attache pas à la qualité de propriétaire mais à celle de gardien. Cependant,
les pouvoirs d'usage, de direction et de contrôle sur la chose étant les attributions
habituelles du droit de propriété, le propriétaire d'une chose doit en être présumé le gardien
s'il ne prouve, non pas seulement qu'il en a perdu la maîtrise, mais encore que la chose est
passée sous la garde d'autrui. Un arrêt du 20 février 2002 rendu par la chambre pénale de la
Cour de cassation, bien que ne visant pas expressément l’article 88 du DOC, est
particulièrement intéressant dans ce sens. Il ressort de cet arrêt que le propriétaire d’un
véhicule automobile qui vent ce dernier à un tier n’en demeure pas moins le gardien tant
que l’enregistrement du véhicule au nom du nouveau propriétaire n’est pas achevé. La Cour
de cassation ayant affirmé que « le but de l'enregistrement du véhicule au nom du nouveau
propriétaire vise à mettre fin au transfert de la carte grise en son nom et la simple

14 cour suprême, Chambre civile, 02 novembre 1965, in www.juricaf.org

15 Ibid

16 Cour suprême, Chambre civile, 17 novembre 1964, in www.juricaf.org

17 Cass. Civ. (fr), 11 juin 1953, G.T.M., n°1137, p.167, cité par par F-P BLANC in DOC annoté, art.88, note 131

6
reconnaissance de l’achat de la voiture par son propriétaire d'origine ne dégage pas la
responsabilité de celui-ci en tant que gardien de la chose 18».

Néanmoins, la présomption de l’article 88 du DOC, malgré sa force, n’est qu’une


présomption et peut totalement disparaître19. Pour cela le gardien devra prouver une double
condition.

II/Les conditions d’exonération de la responsabilité du fait des


choses :
Elles se dégagent des dispositions de l’article 88 du DOC selon lequel « chacun doit répondre
du dommage causé par les choses qu'il a sous sa garde, lorsqu'il est justifié que ces choses
sont la cause directe du dommage, s'il ne démontre : 1° Qu'il a fait tout ce qui était
nécessaire afin d'empêcher le dommage ; 2° Et que le dommage dépend, soit d'un cas fortuit,
soit d'une force majeure, soit de la faute de celui qui en est victime. » La jurisprudence
marocaine est unanime sur le sens de cet article. Toutefois des éléments techniques
méritent d’être soulevés. C’est le cas notamment de l’obligation qui pèse sur le gardien de
faire tout ce qui est nécessaire afin d’empêcher le dommage (1). Ensuite on s’interroger a
sur les incidences que peut entraîner la participation de la victime à la réalisation dudit
dommage, soit que celle-ci ait fait usage de la chose dommageable (2), soit que le fait de la
chose soit aussi imputable à sa faute (3).

1. L’obligation d’empêcher le dommage :


Les deux conditions posées par l’article précité ne sont pas alternatives mais cumulatives.
Ainsi, « le gardien d'une chose dommageable doit non seulement démontrer que l'accident
est dû à un cas fortuit ou de force majeure ou à la faute de la victime, mais encore prouver
qu'il a fait tout le nécessaire afin d'éviter le dommage ».

Dans un cas d’espèce, une voiture automobile avait, de nuit, heurté et blessé mortellement un
piéton ayant fait irruption subite sur la chaussée à sept mètres de la voiture. Poursuivi
devant la juridiction correctionnelle, le conducteur de ce véhicule fut condamné pour excès de
vitesse mais relaxé du chef d'homicide involontaire. La veuve de la victime ayant alors assigné le
propriétaire de la voiture et sa compagnie d'assurances sur la base de l'article 88 du dahir des
obligations et contrats en réparation du dommage qu'elle avait subi, fut déboutée par la Cour
d'appel de Rabat dans un arrêt du 13 décembre 1960. Dans cet arrêt la juridiction d’appel avait
relevé que l'irruption subite de la victime sur la chaussée à 7 mètres de la voiture avait rendu vaine
toute manœuvre de sauvetage de la part de l'automobiliste. Mais la décision d’appel fut cassée pour
défaut de base légale, car pour exonérer le propriétaire d’une voiture automobile de la présomption
de responsabilité qui pesait sur lui à la suite d'un accident mortel occasionné par ce véhicule, la Cour

18 Cour suprême, Chambre pénale, 20 février 2002, in www.juricaf.org

19 CA de Rabat, 29 avril 1930, R.L.J.M., 1931, p.122, cité par F-P BLANC in DOC annoté, article 88, note 4.

7
d’appel s’est bornée à constater que l'irruption subite de la victime sur la chaussée à sept
mètres de la voiture avait rendu vaine toute manœuvre de sauvetage de la part du
conducteur. Or la condamnation pénale prononcée contre ce conducteur pour excès de
vitesse interdisait au gardien, c’est-à-dire le propriétaire, de rapporter la preuve qu’il avait
pris toutes les précautions pour éviter le dommage, non seulement au moment de l’accident,
mais dans les instants qu’ils avaient précédé.20

Le fait pour le gardien d’une chose dommageable de n’avoir commis aucune faute ne signifie
pas qu’il a fait tout le nécessaire afin d’éviter le dommage. Ainsi « l'acquittement du
conducteur d'un véhicule par la juridiction répressive devant laquelle il était poursuivi du chef
d'homicide involontaire implique seulement que ce conducteur n'a commis aucune faute
mais n'établit pas qu'il a fait tout ce qui était nécessaire afin d'éviter le dommage. Par suite,
manque de base légale l'arrêt qui se fonde sur ce seul acquittement pour exonérer le gardien
du véhicule de la présomption prévue à l'article 88 du Code des obligations et contrats 21».
Dans quelle mesure peut-on alors considérer que le gardien a fait tout ce qui était nécessaire
afin d’éviter le dommage ?

Il faut déduire des deux arrêts précités que la Cour de cassation (ex-Cour suprême) apprécie
avec sévérité la responsabilité du gardien, certainement dans le but de faciliter
l’indemnisation des victimes. La responsabilité du gardien ne peut être écartée que s’il est
établit par des faits précis et positifs que celui-ci avait véritablement pris toutes les précautions
nécessaires afin d’éviter le dommage.

Ainsi, « lorsqu'un accident de la circulation s'est produit au cours d'un dépassement en


troisième position, déclare à bon droit que le conducteur qui effectuait le premier
dépassement a fait tout le nécessaire pour éviter le dommage, la décision qui constate que ce
conducteur circulait à 75 km à l'heure sur une route rectiligne et qu'avant de commencer sa
manœuvre il a actionné son bras de changement de direction et a fait signe de ralentir au
conducteur qui le suivait. 22» De même, lorsque circulant normalement à leur droite sur leur
scooter, des époux ont été renversés et blessés par un véhicule dont le conducteur fait valoir
pour sa défense que l’apparition en face de lui d'un tiers véhicule qui circulait sur sa gauche
l'avait contraint d'abandonner sa droite, provoquant ainsi l'accident, ce dernier est a bon
droit exonéré de la présomption de responsabilité établi par l’article 88 du DOC. En effet, la
Cour de cassation a considéré que circulant sur sa droite il «ne pouvait prévoir la venue sur
ce côté de la route d'un autre véhicule et que, vu le peu de temps dont il disposait et la
rapidité de manœuvre qui s'imposait, il avait, en obliquant sur sa gauche, pris la seule

20
Cour suprême, cham. Civ. 19 février 1963, in www.juricaf.org
21 Cour suprême, Chambre civile, 15 juillet 1964, in www.juricaf.org
22 Cour suprême, Chambre civile, 28 octobre 1958, in www.juricaf.org

8
mesure que les circonstances lui permettaient ; […] d'où il résulte qu’il avait rapporté la
double preuve exigée par l'article 88 du Code des obligations et contrats pour être exonéré
de la présomption de responsabilité mise à sa charge ».

2. L’usage de la chose par la victime :


Deux situations méritent ici d’être soulevées : il s’agit d’une part des cas où la victime tire
profit de la chose comme dans le cas d’un transport bénévole, et d’autre part, des cas où le
gardien de la chose avait intérêt à ce que celle-ci soit utilisée par la victime.

-Usage de la chose par la victime : La jurisprudence marocaine a évolué en deux étapes


notamment en qui concerne le transport bénévole…

Dans un premier temps, les tribunaux avaient décidé que la présomption de faute édictée
par l’article 88 du DOC à l’encontre du gardien d’une chose inanimée se justifie par la
nécessité de garantir les tiers qui n’ont pas participé à l’usage de cette chose contre les
dangers qu’elle peut faire courir, mais qu’elle ne saurait être invoquée par celui qui a
accepté de participer à l’usage de cette chose connaissant les dangers qu’elle pouvait
présenter. Il s’agit là d’une application du principe général selon lequel le tiers qui participe
gratuitement à l'usage d'une chose inanimée n'est pas protégé par la présomption de
responsabilité pesant sur le gardien. Certains auteurs ont voulu fonder juridiquement cette
règle purement jurisprudentielle sur l'acceptation des risques par la victime ou sur la
renonciation tacite de cette dernière à invoquer la présomption, mais aucune de ces
théories n'est pleinement satisfaisante et la règle ne se justifie que par l'équité23.

Mais il faut bien reconnaître qu’une application satisfaisante d’un tel principe nécessite un
système de réparation prévoyante, au risque pour les victimes de se retrouver sans aucun
dédommagement.

Par exemple, lorsqu'un accident de circulation met en cause deux véhicules et qu'aucune
faute n'a pu être établie contre l'un ou l'autre des conducteurs, dans quelles limites le
passager transporté à titre gratuit pourra-t-il être dédommagé, et qui devra supporter la
réparation de son préjudice ? Par application du principe ci-dessus évoqué, le transporteur
bénévole ne doit rien avoir à payer, ni directement à la victime, ni par l'effet d'une action
récursoire exercée par le gardien de l'autre véhicule, sauf s’il arrive à prouver une faute
contre le transporteur bénévole24. Mais reste à savoir si ce gardien doit réparer l'intégralité
du préjudice subi par le passager ou si ce dernier doit en supporter une partie. Dans un arrêt
rendu le 16 mars 1960, la chambre civile de la Cour de cassation avait adopté la première
solution, celle qui consiste à faire reposer la charge de la réparation entièrement et

23
Sur cette question, voir notamment H. et L.Mazeaud, Traité de la responsabilité civile, n° 607 et s
24 Cour suprême, Chambre civile, 23 février 1965, et cham. civ., 16 mars 1960, arrêts publiés in www.juricaf.org

9
uniquement sur le gardien. Au contraire, par quelques arrêts récents, la Cour de cassation
française a opté pour la seconde en ordonnant un partage de responsabilité. 25

Dans un deuxième temps, il y aura un revirement de jurisprudence au Maroc, d’abord par un


arrêt de la chambre civile de la Cour de cassation en date du 20 décembre 196726 puis par un
autre arrêt de la chambre civile toujours du 11 juin 1969 dans lequel la Cour décide « qu’il
s’agisse de transport bénévole ou à titre onéreux, le propriétaire de la voiture demeure
responsable conformément aux dispositions de l’article 88 du DOC tant qu’il n’a pas
établi l’existence d’une cause d’exonération 27». La jurisprudence française a adopté,
également par un revirement, une position similaire mais avec une petite nuance. La Cour
d’appel de Paris avait, dans un arrêt du 27 juin 1967, confirmé un jugement accordant
réparation à la victime d’un accident de circulation contre le conducteur du véhicule qui la
transportait gratuitement. Ce dernier fit grief à l'arrêt « d'avoir accueilli la demande sur la
base de l'article 1384 alinéa 1 et du Code civil, alors que ce texte, destiné à protéger en
assurant, le cas échéant, leur indemnisation, les victimes du dommage causé par une chose à
l'usage de laquelle elles n'ont point participé, ne saurait bénéficier à ceux qui ont accepté
ou sollicité de participer, à titre gracieux, à l'usage de la chose, en pleine connaissance des
dangers auxquels ils s'exposaient ;». Le pourvoi porté devant une chambre mixte a été rejeté
par cette instance qui a décidé « que la responsabilité résultant de l'article 1384 alinéa
1er du Code civil peut être invoquée contre le gardien de la chose par le passager transporté
dans un véhicule à titre bénévole, hors les cas où la loi en dispose autrement ». On en déduit
alors la conclusion suivante : en droit français, la présomption de responsabilité édictée par
l’article 1384 al.1 du Code civil peut être invoquée contre le gardien de la chose par le
passager transporté à titre bénévole sauf si la loi en dispose autrement. En droit marocain, le
fait pour la victime d’être transporté à titre bénévole ne dispense pas le voiturier de la
présomption de responsabilité édictée par l’article 88 du DOC ; la généralité des termes des
arrêts sus mentionnés laisse croire que la jurisprudence marocaine ne prévoit aucune
exception à ce principe.

-Lorsque que le gardien tire profit de l’usage que la victime fait de la chose dommageable :

Cependant il n’y a aucune hésitation lorsque le gardien tire profit de l’usage que faisait la
victime de la chose cause du dommage. Dans un arrêt du 20 avril 1960, dont l’autorité n’est
pas des moindres, puisque rendu par les chambres réunies de la Cour de cassation, il a été
décidé que «la responsabilité du fait des choses, telle qu’elle est définie par l’article 88
du DOC, peut être invoquée par la victime d’un dommage, bien que celle -ci ait participé à
l’usage de la chose qui en est la cause, lorsqu’il est démontré que le gardien présumé
25(Civ Il, 9 mars 1962, D 1962.625 note Savatier, J.C.P.1962.II 12728 note Esmein 21 déc1965, J.C.P.966.11.14736, note N.Dejean de la Batie
20 janv 1966, B 86 20 oct 1966, J.C.P. 1966.II.14869. Sur cette question,v notamment: René Rodière, Rev trim dr civ 1965, p 129, n 11;
1966, p 303, n 13, et p 541, n 11)

26 C.S. cham. civ. 20 déc. 1967, G.T.M., mars-avril 1968, p. 23

27 C.S. Civ., 11/6/1969, J.C.S.1971, n°22, p.18, cité par F-P BLANC in DOC annoté, art.88, note 161

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responsable a tiré profit de l’activité déployée par la victime, et qu’il existait un intérêt
commun entre le propriétaire de la chose d’une part et la victime d’autre part 28». Il nous
reste maintenant d’examiner la question sous un autre angle, celui où le fait de la chose est
totalement ou partiellement imputable à la faute de la victime.

3. La faute de la victime :
Selon la tendance générale de la jurisprudence et en vertu de l’article 88 du DOC,
la faute de la victime est de nature à exonérer le gardien, totalement ou partiellement, de la
présomption de responsabilité qui pèse sur lui. En effet, pour la Cour de cassation « l'article 88
du Code des obligations et contrats ne met pas obstacle à un partage de responsabilité entre la victime dont
la faute a concouru à la réalisation du dommage et le gardien de la chose qui ne démontre
pas avoir accompli tout le nécessaire pour éviter l'accident. » Pour que le gardien soit entièrement
exonéré, il lui faudra démontrer d’une part que la faute de la victime est la cause exclusive
du dommage et d’autre part qu’il a fait tout ce qui était nécessaire afin d’éviter le dommage.
La faute de la victime présente ce caractère d’exclusivité lorsqu’elle est déterminante dans la
réalisation du dommage, imprévisible et insurmontable parle gardien. « La faute de
la victime, lorsqu'elle ne présente pas les caractères de la force majeure, exonère
partiellement de la présomption mise à sa charge par l'article 88 du Code des obligations et
contrats, le gardien de la chose ayant concouru à la réalisation du dommage, et entraîne par
voie de conséquence un partage de responsabilité entre la victime et le gardien. Par suite,
lorsque deux véhicules sont entrés en collision et que leurs gardiens respectifs se sont
assignés réciproquement en réparation de leur dommage, une Cour d'appel ne peut sans
violer l'article susvisé les condamner chacun à réparer l'intégralité du préjudice subi par
l'autre, dès lors qu'il résulte de ses constatations de fait qu'ils ont tous deux
commis une faute. » Encore ne suffit-il pas au gardien de démontrer « la faute de la victime,
déterminante et imprévisible » mais aussi de « prouver néanmoins qu’il a fait tout ce qui était en son
pouvoir pour éviter le dommage ».

28
Cour suprême, Cham. réunies, 20 avril 1960, cité par F-P BLANC in DOC annoté, article 88, note 29.

11
Conclusion :
Même si ce travail a été réalisé à partir d’une jurisprudence relativement ancienne, il
permet de préciser que la Cour de cassation fait une application très stricte des dispositions
de l’article 88 du DOC, notamment en ce qui concerne la présomption de responsabilité mise
à la charge du gardien, tout en se montrant, jusqu’à la mesure du possible, favorable à la
victime qui demande réparation d’un dommage sur la base de ce texte.

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Bibliographie
Arrêts de la chambre civile , éd. 2007, publication de la Cour de cassation (ex-Cour suprême),

La jurisprudence de la Cour de cassation française concernant les arrêts de la Cour d’appel d


e Rabat, Tomes II et IV, publication de la Cour de cassation (ex-Cour suprême),

BLANC (F.-P.), (F.-P.), Les obligations et les contrats en droit marocain (DOC annoté),
Sochepress, 2001 ;

EWALD (F.), GARAPON (A.), J. MARTIN (G), MUIR WATT (H), MATET (P),MOLFESSIS (N.),
NUSSEMBAUM (M.),Les limites de la réparation du préjudice, Dalloz, 2009, sous l’égide de la
Cour de Cassation (français), du Conseil d’Etat (français), de l’IHEJ, de l’ENSSS et du CHEA,

MAINGUY (D) et RESPAUD (J.-L.),Droit des obligations, ellipses 2008,

www.juricaf.org

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