Nothing Special   »   [go: up one dir, main page]

Christologie - Cours - Théologie de La Croix

Télécharger au format docx, pdf ou txt
Télécharger au format docx, pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 14

M-C de Marliave – ne pas diffuser - réservé aux étudiants inscrits au cours de christologie du 1 er cycle

jour du Theologicum/ ICP 2020-2021.

LA MORT DU CHRIST MYSTERE DE SALUT

Introduction 

La mort de Jésus a une portée de salut : comment peut-on dire que la mort de Jésus
sauve l’homme ? N’y a-t-il pas là un paradoxe ? Comment la mort d’un homme peut-
elle être le lieu d’où jaillit la vie, pour cet homme d’abors mais aussi pour tous les
autres ? Nous allons essayer de comprendre ce que dit la foi de l’Eglise.

D’abord 2 remarques pour introduire le cours :

 1ère remarque : La mort de Jésus doit être envisagée dans le projet de salut de Dieu :
Dieu a tant aimé le monde qu’il a envoyé son Fils bien aimé. Ce qui est premier, c’est
l’initiative de Dieu pour le salut du monde. On doit garder à l’esprit la liberté et la
bonté de cette initiative. La libre initiative de Dieu est mise en œuvre par Jésus qui
rencontre tout au long de sa vie la liberté des hommes. La rencontre de la liberté de
Jésus avec les libertés des hommes devient dramatique à la Passion. Le projet divin de
salut va à la rencontre des libertés humaines. Les événements qui ont conduit à la mort
de Jésus relèvent de ce que les hommes ont fait.
 2ème remarque : chacun de nous comprend la mort de Jésus en étant pour une part
conditionné par la manière avec laquelle avec laquelle nos cultures d’origine prennent
en charge la mort : l’interprétation de la portée de salut de la mort de Jésus dépend
pour une part de nos conditionnements culturels, mais aussi de notre angoisse, de nos
peurs et de nos blessures. Autrement dit la mort du Christ Jésus comme mystère de
salut rejoint chacun là où se pose radicalement la question du salut.

Comment aborder la mort du Christ ?

Je vais mettre l’accent sur quelques éléments concernant la mort de Jésus :

 le scandale de la croix
 les langages théologiques de la rédemption et du sacrifice pour dire le rapport entre la
mort du Christ et le salut, en resituant ces langages dans leur histoire.

1
M-C de Marliave – ne pas diffuser - réservé aux étudiants inscrits au cours de christologie du 1 er cycle
jour du Theologicum/ ICP 2020-2021.

1. Du scandale à la fécondité de la croix : le cheminement des premières


communautés chrétiennes
1.1. Le scandale de la croix

Qu’est-ce qu’un scandale ? Pourquoi parler du scandale de la croix ?

Le scandale a un sens beaucoup plus fort dans la Bible que ce que nous en comprenons
aujourd’hui. Quand nous disons que nous sommes scandalisés, nous disons que nous sommes
indignés ou révoltés. On parle de scandale au sujet par exemple de comportements déviants
ou irréguliers. Mais quand Paul (1 Co 1, 23) parle du scandale au sujet de la croix du Christ, il
renvoie à quelque chose qui engage la vie, à quelque chose de dangereux pour l’homme :
Dans la version grecque de la l’AT (la Septante) le mot grec de skandalon signifie le piège, la
trappe, le filet destiné à capturer une proie. Ainsi dans le psaume 140, 5-6 :

Garde-moi, Seigneur, des mains de l’impie, contre l’homme de violence défends-moi,


ceux qui méditent de me faire trébucher, qui tendent un filet sous mes pieds, insolents
qui m’ont caché une trappe et des lacets, m’ont posé des pièges au passage. (Ps140, 5-
6)

Au sens figuré, le skandalon est l’obstacle ou la difficulté qui fait trébucher, qui interrompt la
marche, le cheminement, un engagement, un choix de vie. Dans l’AT, les dieux étrangers qui
risquent de détourner Israël de l’Alliance avec Dieu sont des scandales.

Quand Jésus annonce l’expérience de rupture qui va frapper les disciples au moment de la
crucifixion, il emploie le verbe dérivé du mot skandalon :

Tous vous allez être scandalisés [skandalisthesesthe], car il est écrit : je frapperai le
berger et les brebis seront dispersées. (Mc 14, 27) (*** traduction BJ modifiée) pour
rendre compte de la force du mot, la BJ traduit : « tous vous allez succomber » ; la
dernière édition de la TOB [2012] traduit : « tous vous allez tomber » (mais indique en
note « littéralement : tous vous serez scandalisés »)

La croix fait plus que choquer les disciples : elle est véritablement la cause d’une épreuve qui
touche à la foi en Dieu et au rapport de Jésus avec Dieu. En un sens profond elle est pour les
disciples, comme elle l’est d’abord pour Jésus, l’épreuve décisive, potentiellement mortelle.

2
M-C de Marliave – ne pas diffuser - réservé aux étudiants inscrits au cours de christologie du 1 er cycle
jour du Theologicum/ ICP 2020-2021.

Nous avons dans l’évangile de saint Luc un témoignage important de l’accablement devant la
croix, du scandale qu’elle est pour la foi naissante en Jésus : ainsi dans le récit d’Emmaüs en
Luc 24 nous renseigne sur le choc et le désarroi des disciples :

Prenant la parole, l’un d’eux nommé Cléophas, lui dit : « tu es bien le seul habitant de
Jérusalem à ignorer ce qui est arrivé ces jours-ci ! » - « Quoi donc » leur dit-il. Ils lui dirent :
« Ce qui concerne Jésus le Nazarénien, qui s’est montré un prophète puissant en œuvres et en
paroles devant Dieu et devant tout le peuple, comment nos grands prêtres et nos chefs l’ont
livré pour être condamné à mort et l’ont crucifié. Nous espérions, nous, que c’était lui qui
allait délivrer Israël ! (Lc 24, 18-21)
Jésus n’a pas été seulement mis à mort, il a été crucifié. La mise à mort de Jésus est déjà pour
les disciples un scandale, au sens où elle fait trébucher leur espérance ; mas la mort de la croix
redouble le scandale. L’aggravation du scandale de la mort du fait qu’elle est la mort sur une
croix se lit dans l’hymne du chapitre 2 de la lettre aux Philippiens : « Il s’est abaissé, devenant
obéissant jusqu’à la mort, à la mort sur une croix ». (Ph 2, 8)

Nous venons après plus de 20 siècles au cours desquels la croix a été d’une certaine manière
« apprivoisée ». Pour comprendre le redoublement du scandale que représente la croix par
rapport à la condamnation à mort de Jésus, il faut revenir à ce qu’est la croix pour les disciples
de Jésus.

L’exégète dominicain Michel Gourgues a analysé les motifs culturels et religieux qui
permettent de comprendre en quoi la croix est le scandale1 qui peut détourner de Dieu, faire
tomber la foi.

1.2. Dans l’Empire romain, la croix est le supplice


infamant réservé aux esclaves

La littérature latine contient un certain nombre de témoignages au sujet du supplice de la croix


et de la répugnance qu’il suscite. Le supplice de la croix est réservé aux esclaves dans
l’empire romain. Il est non seulement cruel mais aussi infamant, honteux. Cicéron, le grand
orateur romain qui a vécu au 1er siècle avant Jésus-Christ rend compte de la crucifixion d’un
citoyen romain, soupçonné de conspiration lors de la révolte des esclaves menée par
Spartacus en 71 av. JC. Il s’en prend à Verrès, dignitaire romain qui a condamné ce citoyen
romain à la crucifixion :

1
Cf. Michel GOURGUES, Le crucifié, du scandale à l’exaltation, Paris, Mame Desclée, coll. Jésus et Jésus-Christ
38, nouvelle édition 2010, p. 13

3
M-C de Marliave – ne pas diffuser - réservé aux étudiants inscrits au cours de christologie du 1 er cycle
jour du Theologicum/ ICP 2020-2021.

« En rappelant sa qualité de citoyen, il croyait fermement qu’il écarterait tous les coups et
détournerait Verrès de le crucifier. Il ne réussit pas à éloigner la flagellation violente des
verges, mais même lorsqu’il multipliait ses instances et se réclamait de son titre de citoyen,
une croix, une croix, dis-je, était préparée pour comble de maux de cet infortuné. […] As-tu
bien osé mettre en croix quelqu’un, bien qu’il se dît citoyen romain ? »

Dans ce même texte, la croix est désignée comme le « supplice le plus cruel et le plus
infamant qu’on inflige à des esclaves. »2 Il est le châtiment pour les esclaves criminels et vise
à réprimer toute tentative d’agitation sociale. Il est le « servile supplicium ».

D’autres témoignages, de Sénèque et de Flavius Josèphe au premier siècle, décrivent le


supplice de la croix, en des termes terribles quant à la cruauté des souffrances et au caractère
honteux de l’exhibition du supplicié.
Le supplice de la croix, dont la pratique semble venir de Perse selon le témoignage de les
historiens grecs Hérodote et Thucydide au 5e siècle av. JC, est courant dans l’empire romain à
l’époque de Jésus. Réservé aux esclaves, les textes non chrétiens en soulignent l’atrocité et le
caractère infamant.

Mais la croix ne posait pas seulement problème pour des raisons culturelles et sociales Pour
les juifs, les résonnances avec l’Ancien Testament conduisaient à interpréter la croix comme
le signe de la malédiction.

1.3. La malédiction de celui qui est pendu sur le bois (Dt 21, 22-23)

La croix reçoit une interprétation théologique négative dans le judaïsme à partir de l’Ecriture.
En Dt 21, 22-23 on peut en effet lire ceci :

Si un homme, coupable d’un crime capital, a été mis à mort et que tu l’aies pendu à un arbre,
son cadavre ne pourra pas être laissé la nuit sur l’arbre ; tu l’enterreras le jour même, car un
pendu est une malédiction de Dieu. (Dt 21, 22-23)
En Dt 21, 22-23, il est question de l’exposition du cadavre du condamné sur un arbre. L’arbre
n’est pas le moyen du supplice. Mais l’exhibition du corps mort du condamné sur un arbre est
le signe de la malédiction divine. A partir de ce verset, la crucifixion qui expose le corps

2
CICÉRON, Seconde action contre Verrès, Livre V, 162-169 in Discours, t. VI, Paris, les Belles lettres, 1929, p.
85-87

4
M-C de Marliave – ne pas diffuser - réservé aux étudiants inscrits au cours de christologie du 1 er cycle
jour du Theologicum/ ICP 2020-2021.

supplicié sur le bois de la croix, comparable à un arbre, devient le signe de la malédiction de


Dieu : celui qui est pendu sur le bois est maudit, rejeté par Dieu.

Cette conjonction d’éléments place la mort de Jésus dans un contexte culturel et religieux qui
nous permet de comprendre pourquoi la croix du Christ est interprétée comme un scandale.
Elle est d’abord un scandale pour les disciples, scandale qui sera surmonté à partir de la
rencontre avec le Ressuscité ; elle est un scandale pour l’annonce du salut par la croix. C’est
dans cette double perspective que prend sens l’affirmation pleine d’assurance de saint Paul :

Nous proclamons nous un Christ crucifié, scandale pour les Juifs et folie pour les
païens, mais pour ceux qui sont appelés, Juifs et Grecs, c’est le Christ, puissance de
Dieu et sagesse de Dieu. (1 Co 1, 23-24)
Saint Paul assume le scandale et la folie de la croix, et atteste dans la foi, lui qui est citoyen
romain et juif pharisien, versé dans les Ecritures, que la croix est le lieu de la manifestation
paradoxale de la puissance et de la sagesse de Dieu.

1.4. La contingence de la croix

Replacer la croix dans le contexte culturel et religieux, où elle est cause de scandale, permet
de saisir le caractère « contingent » de la croix.

La croix n’était pas nécessaire à l’œuvre de salut voulue par Dieu. Il n’était pas nécessaire que
Jésus meure sur la croix. Mais après coup, la mort de la croix apparaît très éloquente pour dire
le salut : l’esclavage, la malédiction que dit la croix, ce qui empêche la vie et le bonheur de
l’homme, qui fait de sa vie un enfer, sont comme retournés par la croix du Christ.

Pourquoi dire que la croix n’est pas nécessaire ? L’action de Dieu dans le monde est libre et
gracieuse : Dieu n’agit pas par contrainte. De plus, la croix appartient à l’histoire : ce qui se
passe dans l’histoire n’est pas le fait d’un enchaînement nécessairement déterminé,
contrairement à ce que pense le matérialisme historique marxiste, selon lequel l’histoire est se
développe selon des lois, au même titre que les lois qui régissent la matière. L’histoire n’obéit
pas non plus à une fatalité, qui déterminerait pas avance ce qui arrive. L’histoire (avec un H
ou notre histoire personnelle) n’est pas écrite d’avance.

La croix est le signe du péché des hommes. Elle montre à quoi mène le refus de Dieu : à la
mort de l’innocent. C’est ce refus qui a mis Jésus sur la croix. La volonté divine s’accomplit à
partir d’événements contingents, accueilli librement par Jésus (ma vie nul ne la prend mais

5
M-C de Marliave – ne pas diffuser - réservé aux étudiants inscrits au cours de christologie du 1 er cycle
jour du Theologicum/ ICP 2020-2021.

c’est moi qui la donne). L’attitude de Jésus consiste à vivre ce que les circonstances lui
apportent, en croyant que dans ces circonstances Dieu accomplira sa promesse de salut.

1.5. Il faut / Il fallait ....

« Pourquoi la répétition des ces « il faut », mis dans la bouche de Jésus, en particulier en Luc
(Lc 9, 22 ; 17, 25 ; 22, 37 ; 24, 7 ; 26, 44). De quelle nécessité s’agit-il ? N’y aurait-il pas là le
signe d’un masochisme morbide, orchestré par le « pathos » chrétien de la croix qui semble
exhorter plus volontiers ses meilleurs disciples à mourir plutôt qu’à vivre ? N’y a-t-il pas une
sacralisation perverse de la mort ? » B. Sesboué, J-C L’unique médiateur, tome 1, p. 44.

Comment comprendre le « il faut »(dei), 18 x chez Luc (mais aussi Marc, 6 x, Matthieu, 8 x,
Jn 10 x, Actes 28 x)  ?

Dans Luc, le verbe est utilisé au présent (il faut) pour indiquer un événement à venir. Il est
également utilisé au passé : il fallait (édei)

 Il faut que le Fils de l’homme souffre beaucoup, qu’il soit rejeté [...] qu’il soit mis à
mort et que le troisième jour il ressuscite (Lc 9, 22)
 Il faut que le Fils de l’homme soit livré au moins de pécheurs, qu’il soit crucifié et que
le troisième jour il ressuscite (Lc 24, 7)
 Ne fallait-il pas que le Christ souffrit pour entrer dans sa gloire ? (Lc 24, 26)

Pourquoi l’Ecriture s’exprime-t-elle ainsi ?

L’expression il faut (dei) est employée pour la première fois dans l’Evangile de Luc lorsqu’au
Temple de Jérusalem, Jésus âgé de 12 ans, dit à ses parents : « ne saviez-vous pas qu’il me
faut être aux affaires de mon Père ». Ce verset n’exprime pas une fatalité, mais l’urgence
qu’il y a pour Jésus de faire la volonté du Père.

Quand Jésus dit en Luc 24 : « il fallait que s’accomplisse tout ce qui est écrit dans la loi de
Moise » (24, 44) il ne dit pas que les événements qui ont conduit à sa passion étaient décidés
par avance, mais que, ces événements sont relus à la lumière de prophéties de l’Ecriture et
prennent sens dans cette relecture. Après coup, on comprend que le plan divin s’accomplit et
que les événements de la passion font partie intégrante du plan divin. L’histoire de Jésus n’est
pas écrite par avance. Pour le spécialiste de Thomas, Jean-François Torrell, quand l’Ecriture
utilise la forme passée « il fallait », il s’agit de rendre compte après coup de ce qui s’est passé

6
M-C de Marliave – ne pas diffuser - réservé aux étudiants inscrits au cours de christologie du 1 er cycle
jour du Theologicum/ ICP 2020-2021.

et de manifester en quoi cela convenait à la réalisation du salut. L’Ecriture dit ainsi que Jésus
est allé jusque là, jusqu’à cette extrémité de l’amour. On explique, après l’événement, la place
qu’il occupe dans le projet de Dieu et sa convenance pour accomplir le salut.

Dans le cas où l’Ecriture utilise la formule il faut que, qui annonce un événement futur, cette
tournure est à mettre en rapport avec les annonces prophétiques et indique une vision du
projet divin. L’événement déjà accompli peut être exprimé dans le style des annonces
prophétiques. Il s’agit là d’une relecture après coup de l’événement, qui rend compte de sa
« convenance » pour accomplir le projet divin de salut.

2. La résurrection révèle, rend manifeste, ce qui s’est passé à la croix

Annoncer simultanément la croix et le salut semblait à première vue poser une difficulté quasi
insurmontable. Les disciples ont pu apprivoiser la croix à partir de la résurrection et surmonter
ce qui les avait scandalisés. Ainsi, au 4ème siècle, Cyrille de Jérusalem écrit :

Oui, le Christ a bel et bien été crucifié. Pourtant, nous n’avons pas à en rougir. Il a été
crucifié, cela nous ne pouvons le nier. C’est même la chose que je puis affirmer avec
fierté. Si je cherchais à le nier, je serais réfuté par le Golgotha lui-même, près duquel
nous nous trouvons tous en ce moment. Il me réfuterait aussi ce bois de la croix dont il
se trouve des vestiges par toute la terre. Si je peux reconnaître la croix, c’est que je
connais la résurrection. Si le crucifié était demeuré dans la mort, sans doute n’aurais-je
jamais reconnu la croix et l’aurais-je cachée avec mon Maître. Mais puisque la croix a
été suivie de la résurrection, je peux en parler sans rougir.3
La résurrection permet de surmonter le scandale de la croix, mais elle n’abolit pas la croix
comme événement de salut. La continuité entre mort de la croix et résurrection est attestée par
les stigmates de la croix visibles sur le corps du ressuscité (Jn 20, 27 : « Puis il dit à Thomas :
Mets ton doigt dans mon côté et regarde mes mains ; avant ta main et mets là dans mon côté.
Cesse d’être incrédule, sois croyant. »). L’annonce de la résurrection ne va pas sans le rappel
de la croix :

La Résurrection manifeste ce qui s’est passé à la Croix : Jésus donne sa vie et la reçoit du
Père. Il remet l’Esprit et ressuscite dans l’Esprit et donne l’Esprit ; le don de la vie est
inséparable de l’œuvre de l’Esprit. Autrement dit, la croix est le lieu où, de manière voilée,
Jésus achève son œuvre de salut, que la résurrection dévoile. Jésus apparait comme celui dont
la vie et la mort sont entièrement remplies par l’Esprit qui donne vie, par l’Esprit vivifiant : il
meurt de telle manière que sa mort donne vie, à lui d’abord et à tous ceux qui lui sont liés.

3
CYRILLE DE JÉRUSALEM [314-386], Catéchèses baptismales, XIII, 1-4.

7
M-C de Marliave – ne pas diffuser - réservé aux étudiants inscrits au cours de christologie du 1 er cycle
jour du Theologicum/ ICP 2020-2021.

 Le salut évoque la libération, à partir de la grande geste libératrice de la sortie


d’Egypte dont l’AT ne cesse de faire mémoire. La sortie d’Egypte met en rapport
étroit la libération et l’alliance avec Dieu. Vivre selon les commandements c’est
prendre acte de la libération que Dieu opère avec puissance et lui faire confiance.
 Le salut évoque également la santé, (salut et santé ont une même étymologie) à partir
d’une expérience de guérison, aussi bien physique que spirituelle. Etre sauvé, c’est
être restauré dans une intégrité physique et spirituelle.
 Le salut renvoie à la justice. Dans l’Ancien Testament, la question de la justice est
particulièrement centrée sur l’accueil de l’étranger, de la veuve et du pauvre. Faire
droit à l’étranger, au pauvre, à la veuve c’est donner de quoi vivre, reconnaitre un droit
fondamental à exister qui se traduit par la mise à disposition des moyens de
subsistance mais aussi par l’insertion dans une communauté de vie. Dieu justifie
l’homme de manière inconditionnelle, pour toujours et indépendamment de ses
mérites (voir Sesboué).
 Le salut est rachat : celui qui était esclave a été sauvé, libéré au prix d’un rachat.
 Mais le salut est davantage encore : il est plénitude de vie, entrée dans la vie divine. Le
salut n’est donc pas seulement restauration mais aussi surabondance et joie, comme
l’exprime par exemple le thème du festin des noces. Nous ne sommes pas seulement
sauvés de ce qui nous entrave et nous blesse mais nous sommes sauvés pour le bien.

3. Les vocabulaires de la rédemption et du sacrifice pour dire la croix comme


événement de salut

Le Nouveau Testament ne se contente pas d’annoncer que le Christ est mort pour nous, mais
il cherche également à préciser comment cet événement a une « efficacité ». Pour cela, les
écrits du NT ont recours à au moins deux ensembles de termes ou d’images qui renvoient l’un
au rachat ou ce qui veut dire la même chose à la rédemption et l’autre au sacrifice :

le vocabulaire de la rédemption : dans ce groupe de vocabulaire, on trouve les mots de rachat,


de libération, de rançon, d’acquisition. Rédemption vient du verbe rédimer, qui est la
transcription directe en français du latin redimere qui signifie « racheter » mais aussi
« libérer » : dans l’usage latin, rédimer s’applique principalement au rachat du captif ou de
l’esclave, et a donc la signification de libérer ou d’affranchir. Il évoque également une

8
M-C de Marliave – ne pas diffuser - réservé aux étudiants inscrits au cours de christologie du 1 er cycle
jour du Theologicum/ ICP 2020-2021.

transaction, dans une perspective judiciaire : racheter une faute, compenser moyennant une
somme d’argent. (Source : Dictionnaire Latin-Français Le Grand Gaffiot, Paris, Hachette).

L’idée de rédemption ou de rachat est directement lié au thème du go’èl dans l’Ancien
Testament, qui désigne le devoir pour un parent de racheter un proche tenu en esclavage :

Lv 25, 48-49 : Si un homme a été conduit à se vende comme esclave, un de ses frères peut le
racheter, un oncle ou un cousin germain peut le racheter, quelqu’un qui est de la même chair
que lui, de son propre clan, peut le racheter.
Dans la même veine, est également prévu le rachat de la propriété d’un parent, qui a du
vendre son bien, mais aussi pour un homme le fait d’épouser la veuve de son frère pour avoir
un fils si son frère est mort sans descendance (loi du lévirat)

Dans le livre de Ruth, Booz est le goèl de Ruth (cf. Ruth, en particulier 3 et 4).

Compris sous cet angle, Jésus est comme le goèl de l’humanité, qu’il rachète de son esclavage
et de sa pauvreté. Le thème de la rédemption et du rachat a des connotations politiques,
juridiques et économiques et renvoie notamment à l’événement historique de la sortie
d’Egypte.

Le mot de rédemption a souvent été employé dans le langage de l’Eglise comme un quasi
synonyme du mot salut. En réalité, nous avons ici affaire à une métonymie, c’est à dire à la
figure de style qui consiste à prendre la partie pour le tout. En rigueur de termes, la
rédemption n’est qu’un aspect du mystère de salut, dont nous avons vu qu’il recouvre
plusieurs représentations.

L’autre ensemble qui interprète la mort de la croix est le vocabulaire du sacrifice, qui
regroupe les termes d’offrande, de victime, d’immolation, d’expiation, et qui intègre la
thématique du sang versé.

Ce deuxième ensemble de vocabulaire est lui aussi très important. Il a un fondement


scripturaire massif.

4. Le sacrifice du Christ

Nous employons le mot de sacrifice pour parler de la mort de Jésus. Mais que disons-nous
quand nous parlons du sacrifice ? Ce terme est particulièrement délicat, parce qu’il est pour
une part contaminé par l’idée que nous avons de pratiques sacrificielles dont l’obscurité n’a
rien à voir avec la révélation chrétienne et aussi en raison d’une lecture morale du sacrifice.

9
M-C de Marliave – ne pas diffuser - réservé aux étudiants inscrits au cours de christologie du 1 er cycle
jour du Theologicum/ ICP 2020-2021.

Les difficultés à recevoir de manière chrétienne et donc convertie, le sacrifice du Christ,


trouvent parfois un chemin dans la liturgie, quand le célébrant n’ose plus utiliser le mot de
sacrifice, de peur de choquer l’assemblée.

Nous pouvons pourtant et nous le devons, parler du sacrifice du Christ, mais que disons-nous
quand nous parlons de sacrifice ?

Quand nous parlons du sacrifice du Christ, nous courons le risque d’interpréter la mort du
Christ comme un acte destiné à obtenir quelque chose de Dieu. Or, il nous faut tenir la priorité
de l’initiative divine. C’est un point capital. Dieu a tant aimé le monde qu’il a envoyé son Fils
nous dit saint Jean. Le symbole de Nicée Constantinople (325-385) interprète la totalité du
mystère de l’incarnation, c'est-à-dire le fait que le Verbe de Dieu soit devenu un homme, en
fonction de sa finalité de salut.

Pour nous les hommes et pour notre salut, il descendit du Ciel, par l’Esprit saint il a
pris chair de la Vierge Marie et s’est fait homme, crucifié pour nous sous Ponce-Pilate,
il souffrit sa passion et fut mis au tombeau. Il ressuscita le 3e jour…

Le symbole de Nicée-Constantinople nous rappelle que le salut est une initiative divine. Dieu,
créé et sauve les hommes gratuitement.

La mort de la croix ne peut donc être comprise comme un acte ayant pour fonction de fléchir
la volonté divine, de donner quelque chose à Dieu pour qu’en retour il nous donne le pardon
ou la vie. Si on la comprend de cette manière, la croix devient une sorte de transaction qui
aurait pour finalité d’amener Dieu à changer d’avis au sujet du pécheur. Mais cette
interprétation n’est pas conforme à ce que la Bible nous dit du sacrifice, et elle contredit
l’affirmation constante au sujet de la volonté de Dieu qui, comme le dit saint Paul « veut que
tous les hommes soient sauvés » (1 Tm 2, 4). La volonté divine se caractérise par sa
constance, sa fidélité. Dieu aime et ne change pas d’avis,  quoiqu’il en soit de l’infidélité et de
l’inconstance des hommes.

Mais alors comment comprendre le sens donné au « sacrifice » du Christ ?

Dans son ouvrage Jésus-Christ, l’unique médiateur, le théologien jésuite Bernard Sesboué
retrace le cheminement qu’a eu à vivre le peuple de l’alliance au sujet des sacrifices,
cheminement dont l’Ancien Testament porte le témoignage. Nous voyons dans la Bible une
prise de distance avec les pratiques sacrificielles des peuples voisins, avec notamment la

10
M-C de Marliave – ne pas diffuser - réservé aux étudiants inscrits au cours de christologie du 1 er cycle
jour du Theologicum/ ICP 2020-2021.

condamnation des sacrifices humains ; mais aussi la critique des pratiques sacrificielles à
l’œuvre dans le culte des israélites. Sesboué parle d’une pédagogie divine qui conduit peu à
peu à approfondir, à intérioriser, à purifier la compréhension du sacrifice. Il remarque que la
pédagogie au sujet du sacrifice va de pair avec une purification progressive de la manière de
comprendre qui est Dieu. Il y aurait donc un rapport étroit entre la compréhension du sacrifice
et ce que nous comprenons de Dieu.

Je vais donc exposer rapidement les éléments constitutifs d’une théologie biblique du
sacrifice, en vue de rendre compte du sacrifice du Christ : je retiendrais tout d’abord le
sacrifice de l’agneau pascal, puis la critique des sacrifices par les prophètes, pour arriver à une
conception christologique du sacrifice.

4.1. Le sacrifice de l’agneau pascal, préfiguration de la Pâque du Christ

Le sacrifice de l’agneau pascal est un élément important pour la compréhension de la mort de


Jésus comme sacrifice, puisqu’il est lui-même identifié à plusieurs reprises à l’agneau pascal.

Le sacrifice de l’agneau pascal est lié à l’événement historique de la sortie d’Egypte, ce qui
lui donne un caractère tout à fait singulier. Le sacrifice de l’agneau se célèbre chaque
année dans chaque famille, à titre de mémorial de l’événement unique et fondateur : la
libération du peuple par l’intervention divine. Le sacrifice de l’agneau de la Pâque juive fait
mémoire de cette libération, mémoire qui donne l’assurance que le salut est encore donné
aujourd’hui et qui annonce le salut à venir. La reprise de la thématique pascale pour la mort
de Jésus conduit à interpréter le sacrifice de l’agneau pascal comme la figure annonciatrice de
la nouveauté du salut accompli en sa Pâque. Comme on peut le remarquer, dans le cas de la
sortie d’Egypte comme de la mort de Jésus, « l’événement donne lieu à l’institution d’un
mémorial » qui est pour les juifs le mémorial de la sortie d’Egypte et pour les chrétiens le
mémorial eucharistique. Le terme de sacrifice passe ainsi de l’un à l’autre, la Pâque juive
annonçant, préfigurant la Pâque du Christ. Les lectures de la messe du jeudi saint rendent
compte de ce rapport figuratif, le récit du sacrifice de l’agneau et du repas dans Exode est lu
avant la lecture de l’institution de l’eucharistie, et l’évangile du lavement des pieds.

4.1. Les prophètes et la critique des sacrifices

Le sacrifice de l’agneau pascal semble avoir été le seul sacrifice animal pratiqué par les
hébreux jusqu’à la sédentarisation du culte, au temple de Jérusalem, lieu où se pratiquaient
des sacrifices, dont l’origine remonte à l’offrande des prémices des récoltes (cf. Dt).

11
M-C de Marliave – ne pas diffuser - réservé aux étudiants inscrits au cours de christologie du 1 er cycle
jour du Theologicum/ ICP 2020-2021.

Particulièrement intéressante et significative pour notre compréhension du sacrifice du Christ


est la critique constante des prophètes à l’encontre des sacrifices. Parlant au nom de Dieu,
Isaïe critique les sacrifices, pratique religieuse extérieure qui n’est pas le culte authentique
que Dieu attend :

Que m’importent vos innombrables sacrifices, dit le Seigneur. Je suis rassasié des holocaustes
de béliers et de la graisse des veaux ; au sang des taureaux, des agneaux et des boucs, je ne
prends pas plaisir. Quand vous venez vous présenter devant moi, qui vous a demandé de
fouler mes parvis ? N’apportez plus d’oblation vaine : c’est pour moi une fumée
insupportable. (Is 1, 11-13)

Ce que le Seigneur attend, c’est la conversion et la pratique de la justice :

Otez de ma vue vos actions perverses ! Cessez de faire le mal, apprenez à faire le bien !
Recherchez le droit, redressez le violent ! Faites droit à l’orphelin, plaidez pour la veuve ! (Is
1, 16-17)

Le prophète Michée s’interroge au nom du peuple sur le culte qui plaît à Dieu :

Avec quoi me présenterai-je devant le Seigneur, me prosternerai-je devant le Dieu de là-haut ?


Me présenterai-je avec des holocaustes, avec des veaux d’un an ? Prendra-t-il plaisir à des
milliers de béliers, à des libations d’huile par torrents ? Faudra-t-il que j’offre mon aîné pour
prix de mon crime, le fruit de mes entrailles pour mon propre péché ? On t’a fait savoir, ô
homme, ce qui est bien, ce que le Seigneur réclame de toi : rien d’autre que d’accomplir la
justice, d’aimer la bonté et de t’appliquer à marcher humblement avec ton Dieu. (Mi 6, 6-8)

Cet enseignement trouve un résumé chez le prophète Osée, que Jésus reprend à deux reprises
dans l’évangile de saint Matthieu :

C’est l’amour qui me plaît et non les sacrifices, la connaissance de Dieu plutôt que les
holocaustes. (Os 6, 6 > Mt 9,13 et 12, 7)

Dans son ouvrage J-C l’unique médiateur, Bernard Sesboué précise :

« L’essentiel n’est pas dans l’assiduité aux sacrifices rituels, mais dans l’obéissance, l’amour
et la justice. […] [Les prophètes] exercent ainsi une pédagogie décisive pour la révélation
plénière de la vérité du sacrifice : celui-ci consiste en définitive dans la totalité de l’existence
ordonnée à Dieu et aux autres. »4

4.2. Le sacrifice du Christ comme attestation de son être filial

Notre petit parcours biblique nous permet d’enregistrer les acquis suivants :

4
Bernard SESBOUÉ, Jésus-Christ l’unique médiateur, essai sur la rédemption et le salut, Paris, Desclée, coll.
Jésus et Jésus-Christ 33, 1988, p. 264-265

12
M-C de Marliave – ne pas diffuser - réservé aux étudiants inscrits au cours de christologie du 1 er cycle
jour du Theologicum/ ICP 2020-2021.

 Dieu n’attend pas que nous lui offrions des sacrifices pour nous sauver, pour
nous faire partager la vie qu’il possède en plénitude.
 Le sacrifice dans l’AT se présente comme action de grâce, mémorial de l’amour
miséricordieux de Dieu envers tout homme.

Un ouvrage récent, écrit par un exégète et un théologien italiens, cherche à comprendre le


sacrifice à partir de la manière avec laquelle Jésus vit sa passion et l’approche de la mort.
L’ouvrage prend appui sur la théologie du sacrifice dans l’Ancien Testament et sur la
réinterprétation qu’en produit la lettre aux Hébreux. En lien avec ce que nous avons indiqué,
les auteurs soulignent l’évolution à l’œuvre dans l’AT et s’accomplissant dans le sacrifice du
Christ, entendu comme don de soi :

Une métamorphose indéniable de l’idée de sacrifice se distingue dans l’Ecriture sainte


par la « spiritualisation » de la réalité du sacrifice. […] Le sacrifice ne trouve pas sa
vérité dans le rituel imposé ni même dans l’offrande de dons provenant du monde
animal ou végétal, mais dans l’implication intégrale de celui qui offre en se donnant
lui-même. Le véritable sacrifice tel qu’il émerge de manière unique et définitive dans
l’histoire de Jésus, est une « auto-donation », un libre « renoncement à soi » afin de se
donner à Dieu et aux autres. Le caractère décisif du sacrifice du Christ vient de
l’intériorisation et de l’intensification d’un acte qui est perçu en premier lieu comme
un don de soi, un renoncement à soi pour Dieu et pour ses frères. Les références
scripturaires à ce propos sont nombreuses ; elles vont depuis les récits de l’institution
eucharistique – entendue comme manifestation de sens de toute la vie de Jésus –
jusqu’à la grande théologie du sacrifice de l’épître aux Hébreux.5

Ce qui donne au sacrifice du Christ sa portée de salut est le fait que celui qui se donne de
manière radicale et inconditionnelle est le Fils. Ici, c’est la personne qui fait don d’elle-même
qui détermine la portée du don. L’attitude de confiance et d’obéissance de Jésus, dont nous
avons vu qu’elle révèle qu’il est le Fils d’une manière unique, est d’abord attestée par la
réception reconnaissante de la vie qui lui est donnée. La bénédiction et l’action de grâce qui
ouvrent les paroles de l’institution de l’eucharistie à la Cène disent qu’avant de se donner lui-
même, Jésus reconnaît et rend grâce pour ce qu’il a reçu du Père. Le Christ donne ainsi une
interprétation de ce qu’il vit, mais aussi de sa mort : la reconnaissance de ce qui est reçu du
Père, à savoir la vie, rend possible l’offrande de soi.

Parce que le Fils reçoit à tout instant sa vie de son Père, il peut l’offrir et s’en remettre au Père
au moment de la passion et de la mort. Le sacrifice du Christ – selon l’intention de Jésus que
5
Franco MANZI, Giovanni Cesare PAGAZZI, Le regard du Fils, Bruxelles, Lessius, coll. Donner raison, 2006, p.
91-92

13
M-C de Marliave – ne pas diffuser - réservé aux étudiants inscrits au cours de christologie du 1 er cycle
jour du Theologicum/ ICP 2020-2021.

transmettent les récits de l’institution eucharistique – est alors et d’abord l’attestation


reconnaissante de la réception de sa vie. 6L’offrande de lui-même prend appui sur la vie reçue
du Père. La reprise du psaume 40, 7-9 dans la lettre aux Hébreux indique la manière avec
laquelle le Christ montre la voie à suivre pour faire la volonté du Père :

Tu n’as voulu ni sacrifice ni oblation ; mais tu m’as façonné un corps. Tu n’as agréé
ni holocaustes ni sacrifices pour les péchés. Alors j’ai dit : voici, je viens, car c’est de
moi qu’il est question dans le rouleau du livre, pour faire, ô Dieu, ta volonté. (He 10,
5-7)

6
Ibid. p. 105

14

Vous aimerez peut-être aussi