Cahgier Pédagogiquex
Cahgier Pédagogiquex
Cahgier Pédagogiquex
FICHIER NUMÉRIQUE AU FORMAT PDF - Exemplaire réservé au titulaire du compte sur le site librairie.cahiers-pedagogiques.com
ISSN 2268-7874
Œuvre mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution Pas d’Utilisation commerciale - Pas de Modification
SOMMAIRE
AVANT-PROPOS
4 Pour commencer Dominique Seghetchian et Yannick Mével
4. S'INFORMER ET SE FORMER
74 NéoPass@ction, un outil pour l’autoformation ? Patrick Picard
77 Tweeter pour débuter ? Catherine Rossignol et Benji
79 SynLab, un collectif au service de l’entrée dans le métier Nathalie Dreyfus et Joyce Weil
82 Numérique éducatif : pour un développement professionnel participatif et réflexif Régis
Forgione et Fabien Hobart
85 Un séminaire sur la mixité sociale dans la classe Françoise Lorcerie
87 La recherche en sciences sociales : quel intérêt pour débuter ? Fanny Gallot et Lila Belkacem
90 La bibliothèque idéale de l’enseignant débutant Philippe Watrelot
94 On débute aussi sur le net
96 Débuter dans un collectif : les Rencontres du CRAP Adelyne Bornat, Elsa Mocquet, Alice
Palluault, Thierry Richard
99 Qui sommes-nous et que proposons-nous ?
Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative. Pour nous permettre de
continuer à la publier, achetez-la, abonnez-vous et adhérez au CRAP.
DOSSIER RESSOURCES POUR DÉBUTER
Avant-propos
Avant-propos
Pour commencer
YANNICK MÉVEL, DOMINIQUE SEGHETCHIAN.
« Pour commencer, il faut commencer ; et on n'apprend pas à commencer. Pour commencer, il
faut simplement du courage […]. Car il n'y a pas de recettes pour créer, pour commencer et
pour donner, mais seulement pour imiter, continuer et conserver. » Vladimir Jankélévitch,
« Avec l’âme tout entière, Hommage à Bergson », Revue philosophique, 1960.
Une certitude : le métier d'enseignant ne pourra vous être livré clés en main ! Mais il serait
vain de s’en tenir à des formules comme « avec l’expérience vous apprendrez » ou « il n’y a
pas de bonnes réponses, seulement de bonnes questions ». Certes, l'enseignant est
généralement seul dans sa classe, responsable des élèves et de leurs apprentissages (lourde
responsabilité, belle responsabilité), mais il gagne en confort, en efficacité et en bonheur
professionnel lorsqu'il se tourne vers des collègues et des partenaires, tant pour rechercher
leur appui que pour partager avec eux pratiques ou projets.
Les principes pédagogiques s’appliquent aussi à l’apprentissage de la pédagogie : on doit
accepter qu’on ne sait pas, faire de l’erreur le tremplin d’une réflexion, entrer dans un
processus actif qui engage notre personne dans le cadre d’une démarche sociale. On apprend
en étant aidé et aidant.
Les auteurs de ce dossier occupent des fonctions variées, ils sont en début ou en fin de
carrière, leurs propositions prennent aussi les formes les plus diverses : fiches conseils,
témoignages, écrits collaboratifs, etc.
La sincérité des témoignages est rassurante : vous n'êtes pas seul à connaitre tel problème, il
n’est pas en vous, c’est une problématique professionnelle à apprivoiser avant de la
maitriser. De nombreuses contributions fournissent une multitude d’outils pour le court et
moyen terme, ainsi que des pistes à creuser, des espaces à explorer dans un deuxième, voire
un troisième temps. Toutes permettront de ne pas se contenter de subir les situations
d’enseignement, en développant notre capacité d’anticipation.
Lorsqu’on débute, la première préoccupation est d’apprivoiser l’environnement, d’aménager
l’espace, d’installer et ancrer la bonne relation, de construire sa posture professionnelle.
Entre fiches conseils et témoignages en forme de retours réflexifs sur une première année,
cette préoccupation est au cœur de la première partie.
La deuxième partie du dossier envisage une préoccupation qui apparait très vite quand on
débute : qu’on la nomme « autorité », « gestion de classe », « climat scolaire » ou plus
simplement « relation avec les élèves », particulièrement ceux qui apparaissent comme
« résistants ». Comment reconnaitre et identifier leurs difficultés, accompagner les Pinocchio
pour qu'eux aussi apprennent ?
Dans une troisième partie, les auteurs proposent des situations d’enseignement susceptibles
de répondre à cette préoccupation fondamentale : faire apprendre tous les élèves sans
renoncer à l’exigence.
Enfin, une dernière partie ouvre des pistes et présente des ressources pour sortir de
l’isolement, dans une démarche volontaire de formation initiale ou continue. Il s’agit ici de
cette « autoformation » qui vient compléter, poursuivre et parfois compenser (pour ceux qui
entrent dans le métier sans formation initiale notamment) le travail entrepris par la formation
professionnelle instituée (dans les ESPE, les circonscriptions, les établissements formateurs ;
l’accompagnement par les tuteurs dont l’ensemble du dossier montre toute l’importance).
Nous présentons quelques choix parmi les ressources multiples dans l’univers numérique
comme dans un monde associatif où le CRAP-Cahiers pédagogiques prend toute sa place.
DOMINIQUE SEGHETCHIAN
Professeure de français en collège
YANNICK MÉVEL
Enseignant d'histoire-géographie, formateur ESPE Lille-Nord de France
Entrée en scène
LUC RIA. Faire ses premiers pas suppose de bien ménager son entrée en
classe, et de prévoir en amont celle des élèves. La ritualisation de ce
moment charnière peut être une solution à la gestion souvent
problématique des débuts de cours.
Cela semble un peu paradoxal qu'un élève donne des conseils à un enseignant pour que le
cours se déroule dans de bonnes conditions. Et tout autant si ce sont des étudiants qui, à la
suite d’une formation, prodiguent des conseils à d’autres débutants potentiellement plus
avancés dans leur cursus universitaire et préprofessionnel. Cependant, par une immersion
vidéo dans l’expérience d’autres enseignants, ces étudiants ont pu se projeter et simuler sans
risque leur futur univers professionnel. Ils formulent dans ce texte les conseils qu’ils se
donneraient bien volontiers en tout début de carrière.
SUR LE SEUIL
Les vidéos du thème 1 de la plateforme NéoPass@ction (1). Accueil et mise au travail des
élèves montrent que l'entrée en classe est un moment crucial qui fait transition entre un
espace de convivialité pour les élèves et l'espace de travail dans la classe. La principale
difficulté des jeunes enseignants est d’installer le groupe classe dans une ambiance propice
au travail. Il n'existe pas de manière de faire idéale, mais plutôt des clés, des astuces qui
peuvent sembler aussi diverses que les jeunes professeurs qui les déploient. Néanmoins, la
recherche met en avant des régularités dans la façon dont des débutants accueillent et
mettent au travail leurs élèves (2). NéoPass@ction propose une progression des situations
des moins maitrisées aux plus maitrisées par les débutants. C’est rassurant d’être prévenu
des impasses dans lesquelles on pourrait se précipiter spontanément !
Les jeunes professeurs mettent tous en avant une idée répétée et héritée de leur cursus selon
laquelle il est nécessaire d'attendre le silence pour commencer les apprentissages.
Or, la situation de Romain, Activité Mise à l’épreuve (3), qui attend le silence, montre bien que
celui-ci ne s'obtient pas aussi facilement, et que cette posture magistrale ne fonctionne pas
avec un public d'adolescents agités. De fait, nombre de jeunes professeurs mettent en place
de multiples stratagèmes.
C'est le cas de Rémy, enseignant les SVT (sciences de la vie et de la Terre), Activité Écrit-
apprentissage, qui dès l'entrée en classe distribue un travail à faire à ses élèves, de manière
à les mettre immédiatement au travail. Pendant que les élèves s’installent progressivement
dans le travail, Rémy passe dans les rangs de manière à réguler les comportements, pour
expliquer les consignes à chacun. La particularité de cette stratégie est d’être à la fois
individualisée, directe, mais aussi de s’effectuer en douceur. Elle permet d'instaurer une
ambiance propice au travail, tout en évitant un rapport frontal avec un groupe pouvant être
excité ou turbulent. Une autre vidéo montre comment Romain use d'un stratagème
quasiment équivalent : dès l'entrée en classe, un polycopié d'exercices est distribué aux
élèves, afin de les plonger immédiatement dans une ambiance de travail et marquer la
cours, il peut être pertinent d’accepter l’élève en retard quand le cours est particulièrement
important ou quand le renvoi perturbera encore plus la séance. On peut adopter une certaine
souplesse, en sachant quand appliquer les règles et quand y déroger.
1 Cette plateforme est accessible grâce à votre adresse électronique académique professionnelle. Pour
plus de détails, voir l'article de Patrick Picard, page 74.
2 Voir encadré zoom 1.
3 http://neo.ens-lyon.fr/neo/themes/theme-1
4 Voir encadré zoom 2.
EN COMPLÉMENT
Zoom
1. L’observation des premiers pas professionnels de nombreux enseignants débutants a permis
d’identifier plusieurs tendances typiques dans leurs façons d’accueillir et de mettre au travail leurs
élèves : une tendance à attendre avant d’enseigner ; une tendance à vouloir contrôler avant
d’enseigner ; une tendance à enseigner pour pouvoir contrôler et finalement faire apprendre les
élèves ; une tendance à organiser le travail et à s’effacer en faisant confiance aux élèves. Cette
stabilisation progressive de leur activité en classe permet aux enjeux d’apprentissage de
(re)prendre le pas sur les enjeux liés à l’ordre et au contrôle.
2. La toute première préoccupation des débutants est régulièrement de vouloir contrôler leurs
élèves. Leur enseigner apparait en second plan. Et c’est une erreur de cible importante. En effet,
une posture d’autorité (d’autoritarisme) peut générer de la défiance à leur égard et des réactions
en chaine d’opposition et d'attitude récalcitrante, alors qu’une posture d’autorité scientifique,
riche d’une culture disciplinaire et d’une curiosité intellectuelle, sera la plus à même d'enrôler
durablement les élèves dans une tâche scolaire. Dans la plupart des cas, les situations d’agitation
en classe ont pour origine l’absence ou la faiblesse des savoirs scolaires enseignés.
Vadémécum de rentrée,
l’établissement
HÉLÈNE EVELEIGH ET L’ÉQUIPE DES FORMATEURS DE LETTRES DE
L'ACADÉMIE DE CRÉTEIL.
C’est votre première rentrée et vous n’avez que vos souvenirs d’élève
pour vous repérer dans un établissement scolaire ? Voici un pense-bête
pour ne rien oublier le jour de la prérentrée et les suivants.
J - 1 : Le conseil d’enseignement
C’est la réunion de tous les professeurs d’une même discipline. En principe, il se réunit en
début et fin d’année et chaque fois qu’il y a des décisions communes à prendre ou des
projets à élaborer. L’équipe se présente et vous allez découvrir la répartition des classes.
C’est le moment de poser les questions relatives à l’organisation de votre enseignement : les
manuels, le matériel demandé aux élèves, le rythme de travail, les évaluations, les devoirs
communs ou progressions communes, les exigences pour le travail à la maison,
l’organisation des dispositifs de soutien et d’accompagnement. Vous pouvez aussi demander
des conseils pour les lectures, les œuvres qui marchent bien, l’utilisation des séries de livres
du CDI (s’il y en a), du matériel vidéo, l’accès aux ordinateurs, etc. Informez-vous sur les
projets auxquels vous pouvez participer, les partenariats, l’organisation de sorties.
Si cela ne vous a pas été indiqué, renseignez-vous précisément sur les possibilités de
reproduction : matériel, nombre de photocopies autorisées, accès libre ou pas.
Si vous voyez avec votre tuteur que les possibilités de visites réciproques seront limitées par
des problèmes d’emploi du temps, demandez si d’autres collègues accepteront de vous
accueillir ponctuellement dans leurs classes.
Profitez au maximum de cette réunion : dans un grand établissement, vous ne reverrez peut-
être pas souvent vos collègues !
HÉLÈNE EVELEIGH
et l’équipe des formateurs de lettres de l'académie de Créteil
Entrer en contact pour la première fois avec sa classe n’est pas un acte anodin. Il s’agira du
premier regard échangé, des premiers mots prononcés pour tisser une relation durable et
susciter l’intérêt et l’enthousiasme des élèves. Pour autant, il est inutile de se mettre trop de
pression. Un premier jour raté est rattrapable, contrairement à ce qui se dit trop souvent, tout
ne se joue pas le premier jour !
Les objectifs de cette première rencontre sont assez simples : briser la glace et réduire le
stress de la rentrée, instaurer son autorité et poser le cadre, exposer aux élèves ses exigences
en termes de travail et de comportement, présenter les projets de l’année pour motiver ses
élèves, et surtout faire savoir à chaque élève que c’est une nouvelle année qui commence,
que tout est possible et surtout que chacun bénéficiera d’un accompagnement lui permettant
de réussir.
PREMIER DEGRÉ
Présentations
Il s’agira de se placer face à vos élèves, de les regarder dans les yeux et de décliner votre
identité, votre parcours brièvement et, pourquoi pas, les raisons qui vous ont amené à
exercer le métier d’enseignant. Les élèves sont très sensibles à ce genre d’informations. Si
vous n’avez pas envie de vous exposer, vous pouvez faire preuve de créativité en apportant
par exemple des photos ou des objets personnels afin de susciter leur intérêt.
Votre façon de vous présenter est le modèle que suivront ensuite les élèves : tour à tour,
vous les invitez à donner leur nom, prénom, âge et à dire quelque chose d’eux-mêmes si
vous l’avez fait pour vous. Il vous faudra mémoriser assez rapidement le prénom de vos
élèves (étiquettes sur la table) pour établir une communication plus personnelle.
Ce moment peut être prolongé par un temps de recueil des attentes et inquiétudes des élèves
à partir de quelques questions comme : « Qu’as-tu envie d’apprendre que tu ne sais pas
encore ? Qu’est-ce qui te semble difficile cette année ? Par rapport à l’année dernière, qu’est-ce
que tu aimerais continuer ? Qu’aimerais-tu arrêter ou changer ? Qu’est-ce que tu aimerais faire
de nouveau ? As-tu des questions ? Un souci ? Une peur ? Des remarques ? » Ce
questionnement (oral ou écrit) pourra être adapté au niveau de la classe, donner lieu à un
temps d’échanges intéressant pour vous permettre d’apprendre à connaitre vos élèves.
Poser le cadre
Il s’agit d’énoncer ou de faire énoncer clairement les règles qui permettront de bien vivre
ensemble tout au long de l’année. Cela commence par la politesse au quotidien. Vous
insistez sur l’obligation de saluer l’enseignant et les adultes en entrant dans la classe et,
évidemment, vous prendrez le temps de saluer chacun de vos élèves dès le lendemain
matin.
Il faudra également insister sur le fait que dans un souci de respect mutuel, chaque élève doit
demander la parole (en levant la main ou le doigt) et que vous seul êtes en mesure de la
donner.
Vous pouvez évoquer brièvement les entrées silencieuses en classe, les déplacements au
sein de l’école, le respect de l’heure et du matériel, la gestion des conflits, etc. Cela peut se
dire en cinq règles simples qui seront aussi celles du débat : « On ne se moque pas, on
demande la parole, on écoute celui qui parle, ceux qui ont le moins parlé seront prioritaires, les
gêneurs trois fois ne pourront plus participer. » (1).
Ces éléments seront repris ultérieurement en EMC (enseignement moral et civique) lors du
travail sur le règlement de classe ou de l’école, mais méritent d’être rappelés lors de ce
premier contact. Il est important d’impliquer les élèves dans la formulation de ces règles
spécifiques pour que celles-ci deviennent contractuelles.
Présentez les responsabilités qui incombent aux élèves (tableau de services : distribution et
ramassage des cahiers, rangement) et celles qui s’ajouteront éventuellement (présider un
débat ou un conseil, gérer un affichage).
C’est aussi le moment de leur dire leurs droits : le droit de travailler dans le calme, le droit à
une écoute attentive et un accompagnement personnalisé, le droit au respect des différences
et à la justice pour tous, et surtout le droit à l’erreur (il s’agira d’expliquer aux élèves qu’ils
ont le droit de se tromper et que l’erreur est une étape nécessaire pour les apprentissages).
SECOND DEGRÉ
Liste (non exhaustive) de conseils avant de rencontrer les élèves pour la première fois :
2de) ?
Combien d’heures de cours ont-ils eues avant moi ? en seront-ils à leur neuvième fiche
de renseignements ?
Ont-ils le même emploi du temps que moi et les mêmes salles ? est-ce que je dois leur
préciser la répartition des heures dans ma discipline (par exemple : modules, ATP, demi-
groupes, aide personnalisée, soutien, etc.) ?
Où vais-je me placer pour leur dire bonjour : à la porte de la classe ? au bureau du
professeur ?
Heure H
Les recommandations pour le premier degré sont bien sûr toutes valables et adaptables
selon l’âge des élèves ; à vous de trouver votre voie.
HÉLÈNE EVELEIGH
Professeure de lettres en lycée et formatrice, retraitée (académie de Créteil)
DALILA MOUSSI
Maitre de conférences en sciences de l’éducation, formatrice à l'ESPÉ Lille-Nord de France
1 Sylvain Connac, Apprendre avec les pédagogies coopératives, ESF éditeur, 2009.
Organiser l’espace
classe
SYLVIE GRAU. L'organisation de l'espace témoigne de notre vision de ce
que doit être l'enseignement, de nos exigences et de nos pratiques
professionnelles. Essentielle pour la sécurité, le confort et le climat de
la classe, elle instaure le contrat didactique et les apprentissages des
élèves.
Il peut souvent être utile de prendre le temps de regarder la configuration de la classe avant
de se lancer dans toute activité ou même toute conception de séance d'activité. Il faut
d'abord repérer les contraintes : ouvertures, meubles indéplaçables, tableau, affichage, point
d'arrivée d’eau, fenêtres, radiateurs, etc., et commencer un plan. Repérer la nature des tables
(doubles, simples, ergonomiques) peut aussi être un plus si on envisage de les déplacer.
Ensuite, il faut hiérarchiser les contraintes que vous vous posez en fonction du niveau de la
classe, de votre pratique pédagogique, et de votre façon d'enseigner.
LE BUREAU DU PROFESSEUR
Pour le professeur, il doit être accessible au moment de l’entrée et de la sortie afin d'y noter
des informations, distribuer ou collecter des documents, poser ce que les élèves apportent,
mettre de côté le mot d’un parent. Si vous n’êtes pas assis au bureau pendant les heures de
classe, il peut être sur un côté, face au mur pour que rien ne tombe. Si vous avez besoin de
l’ordinateur, vous pouvez aménager un espace « accueil » et avoir un autre espace
« informatique », éventuellement utilisable par les élèves.
Pour l’élève, le bureau est un espace protégé, l’élève sait que ce qui y est déposé est
confidentiel, sous la responsabilité du professeur. Personne ne prend ou ne fouille quoi que
ce soit sur le bureau. En revanche, on peut y déposer tout ce qu’on souhaite communiquer
au professeur. On peut prévoir une bannette pour les courriers, une autre pour des travaux à
corriger, un espace pour les trouvailles ou ce que les élèves veulent partager (un livre, un
objet ramassé, une question, une image, un bricolage) ou encore un espace « consigne »
(pour le doudou chez les petits ou le téléphone des plus grands).
L’AFFICHAGE
Pour le professeur, il doit être accessible pour les moments d’institutionnalisation, les mises
Pour le professeur, il doit être accessible pour les moments d’institutionnalisation, les mises
en commun, les travaux collectifs. Si les affiches sont nombreuses, elles peuvent être mises
sur des cintres et organisées par couleur suivant les thématiques. Les affichages qui servent à
l'organisation comme les tableaux de responsabilité, de planification sont près de l’entrée.
Les affiches supports d’apprentissage peuvent être changées régulièrement. Celles qui ont
une fonction décorative peuvent être produites par les élèves ou choisies pour évoquer un
moment de bienêtre. Les affichages institutionnels doivent être près du bureau.
Pour l’élève, il doit clairement identifier les différents types d'affichage et leurs fonctions
(l’affichage pour décorer, celui qui relate ce qui a été fait, celui qui outille pour aider). En
primaire, l’affichage outil doit être organisé par rapport aux disciplines, et certaines affiches
peuvent être accessibles lors de l’ouverture du tableau, au moment où elles seront utiles. Les
affiches instruments doivent être à hauteur des yeux et suffisamment lisibles pour chacun.
L’affichage témoin peut être fait à des endroits moins accessibles, dans d’autres espaces
(couloirs, hall, etc.). Les élèves peuvent aussi choisir des images pour se sentir bien.
LE MATÉRIEL
Pour le professeur, tout ce qui peut être utile doit être à portée de main, prévoir des étagères,
des tables avec le matériel organisé par thème. Tout le matériel mis à disposition des élèves
doit être facilement inventorié. On peut regrouper ce qui est à distribuer par équipes dans la
classe et avoir des responsables de la distribution et d’autres du ramassage. Un espace
bibliothèque peut être un coin récréatif ou de repos où les élèves peuvent faire une pause.
Un pôle informatique face au mur peut permettre de mettre en place un atelier de huit élèves
maximum en autonomie, avec la possibilité pour le professeur de contrôler les écrans de
n’importe où dans la classe.
Pour l’élève, tout ce qui peut être utilisé en autonomie doit être accessible sans déranger les
autres. On peut mettre plusieurs pôles pour avoir quatre espaces ressources dans la classe et
ainsi éviter qu’une moitié de la classe dérange l’autre en allant chercher un dictionnaire ou
qu’on perde un quart d’heure à des distributions. Des responsables par pôle peuvent avoir à
leur charge de vérifier le bon usage du matériel. On peut aussi avoir des barquettes de
matériel sur les tables regroupées en ilots, avec la liste et l’état du matériel dans chacune.
C’est encore vrai au collège et au lycée, lorsqu’il est nécessaire de manipuler du matériel
fragile ou précieux, lorsqu’on veut éviter que l’oubli de matériel n'empêche le travail, ou si
on veut ne pas imposer des outils spécifiques. On peut s’organiser à plusieurs collègues ou
demander une armoire pour ranger ce qui nous est utile. Si on change de salle
régulièrement, on peut avoir une caisse matériel et deux élèves qui en sont responsables.
LES UTILITAIRES
Pour le professeur, mettre la poubelle accessible à tous et près de la sortie pour que les
élèves jettent leurs déchets en partant. Avoir en réserve craies, crayons, ramette de papier
pour ne pas avoir à y penser. Prévoir une boite de mouchoirs en papier (apportées parfois
par les élèves en maternelle ou au primaire). Accrocher une pendule visible par tous, élèves
et professeur. Prévoir un minuteur pour les travaux chronométrés. Placer un « feu
autorisation de sortie » pour que les élèves puissent aller aux toilettes (rouge on attend, vert
on peut, orange, en cas d’urgence seulement).
Pour l’élève, savoir qu’on peut être dépanné d’un mouchoir, qu’on peut sortir sous certaines
conditions en cas d’urgence, qu’on peut boire, sont autant de conditions pour être
physiquement en capacité d’apprendre.
Sur les fiches de préparation de séquence et de séance, les différents éléments matériels et
organisationnels ont leur importance, il faut donc y penser en amont. On peut prévoir des
cases spécifiques ou un codage couleur pour être certain d’y avoir pensé : matériel à prévoir,
à distribuer, organisation des tables, consignes pour récupérer les travaux, symboles pour
rappeler les consignes, affichage à prévoir.
SYLVIE GRAU
Professeure de mathématiques, formatrice dans l'académie de Nantes
En cycle 2
Dans ce continuum des cycles, plus de rupture entre la grande section et le CP,
la classe doit aussi offrir des espaces d’échanges entre les élèves, entre les
élèves et l’enseignant. Installer un espace regroupement pour favoriser le
développement des langages. Concevoir tantôt des travaux en ateliers avec des
tables en ilots, tantôt une disposition en U pour un travail collectif ou individuel.
En cycles 3 et 4
L’espace regroupement peut être prolongé dans les cycles 3 et 4. Propice aux
échanges, il permet d’offrir des lectures, d’engager des débats ou encore d’avoir
un espace détente. Changer de posture est tout aussi important en cycles 3 et 4,
l’idéal étant d’avoir quelques tables hautes où l’on travaille debout, en atelier,
dans l’interaction. Ainsi, passer d’une activité individuelle où les élèves vont être
assis à leur table à un travail de recherche collectif debout va favoriser l’intérêt,
la motivation, l’attention continue.
Quelles étaient vos intuitions en début d’année ? Comment avez-vous essayé de maintenir
un climat propice aux apprentissages ? Avez-vous rencontré des difficultés ? N’est-ce pas
usant ? La formation initiale a-t-elle été une ressource ? Et à la rentrée prochaine ? Que
conseilleriez-vous aux futurs stagiaires ? Propos de stagiaires et réponse d’un formateur.
Emmanuelle : J’avais l’intuition de devoir être juste et de créer une ambiance rassurante. Il
fallait que je sois convaincue que la maitresse c’était moi, l’adulte référent auquel ils
pourraient s’adresser en cas de besoin, quelle pression !
S ylvie : Ne pas jouer un rôle, être comme on est et montrer aux élèves qu’on est là pour
eux, avec eux, faire preuve d’une grande bienveillance, et instaurer le respect mutuel et les
règles élémentaires de politesse.
Anna : Éviter d’être dans le copinage et ne pas chercher la complicité des élèves en
plaisantant d’entrée de jeu. Je pense avoir été un peu trop souple en début d’année. J’ai
recadré sévèrement une fois, puis je suis restée un peu froide pendant quelque temps. Et le
reste de l’année s’est très bien passé.
Christie : J’ai choisi de commencer par leur expliquer que j’étais là pour les aider à tous
progresser, quelles que soient leurs difficultés ou leurs facilités, et instaurer des règles
interdisant la moquerie, avec une forme de bienveillance. J’ai alterné groupes et individuel,
pas toujours les mêmes groupes, pas toujours imposé. Les élèves savaient qu’ils n’avaient
pas tous le même travail et ils savaient pourquoi.
S ylvie : J’ai souvent pris la métaphore du sport : « Je ne mesure pas votre premier lancer de
javelot, d’abord on s’entraine beaucoup à le lancer pour être au point le jour de la
compétition. » Je leur disais aussi que mettre des bonnes notes à toute la classe ne me
dérangeait absolument pas.
Anna : Il faut casser ce fichu statut de l’erreur ! Ils étaient ravis de venir montrer leurs
tentatives au tableau pour « aider tout le monde à comprendre ». Supprimer les moqueries
permet d’instaurer un climat de classe plus serein. Une des phrases interdites en classe était :
« Mais c’est trop facile. » Être exigeant vis-à-vis des élèves leur permet de voir que leur
travail est important, cela les valorise.
Emmanuelle : C’est un vrai combat ! Les élèves sont formatés depuis le CP pour la plupart.
Une croix dans « à renforcer » au lieu de « acquis » et le monde s’écroule. J’ai essayé de
réexpliquer que l’évaluation est un outil pour voir où ils en étaient, connaitre leurs difficultés
et y remédier. Au tableau il y avait deux affiches : « Les erreurs sont la preuve que j’ai
essayé » et « Fais de ton mieux, même si personne ne te regarde ». L’autre chose est de
travailler sur la gestion des conflits : un élève qui rentre en classe en s’étant disputé avec un
nouvelles formes d’évaluation. Mettre en avant leurs compétences à être, pas seulement à
faire.
Anna : J’ai appris que les élèves ont des rythmes différents et que certains ne comprendront
une notion que lorsqu’ils seront prêts. L’enseignement par cycle étant spiralaire, chaque
notion reviendra et un nouveau contexte pourra peut-être permettre aux élèves de mieux
comprendre. Il ne s’agit pas d’abandonner ces élèves ! Seulement de respecter les différents
rythmes.
S ylvie : Une collègue m’a dit plusieurs fois : « Si tu les aimes et qu’ils savent que tu es là pour
eux, alors... » Je garde cette devise à l’esprit et je crois, du haut de ma courte expérience,
qu’elle a raison.
Anna : On peut manquer de confiance, car on est dans l’attente de savoir si, finalement, ce
métier veut bien de nous ! Certaines visites peuvent être mal vécues. Il faut prendre les
remarques de façon constructive et se laisser d’autres chances. Ce n’est qu’à la fin de l’année
que vous aurez les résultats de votre travail. Les élèves vous le rendront.
S ylvie : Très bon exercice pour faire une introspection sur notre première année. Merci de
l’avoir proposé.
ANNA, CHRISTIE, EMMANUELLE
Professeures des écoles stagiaires
SYLVIE
Professeure d’espagnol stagiaire en lycée
1 C’est un dispositif de gestion de classe qui permet à l’élève de communiquer de façon non verbale avec
le professeur, bdemauge.free.fr/tetraaide.pdf
Vous n’êtes toutes les quatre pas représentatives de ce que nous observons au
quotidien. Vous faites preuve de beaucoup de réflexivité, d’une capacité à
accepter la critique, et vous la vivez positivement. Nos collègues qui rencontrent
de grandes difficultés courent souvent après le temps et vivent la formation à
l’ESPÉ (école supérieure du professorat et de l'éducation) comme décalée par
rapport à leurs urgences. Ils cherchent des recettes pour survivre, n’entendant
pas les apports théoriques des formateurs, qui leur permettraient pourtant
d’adapter leurs pratiques. Ils sont centrés sur les contenus, ne distinguant pas
tâche et objectif, rendant difficile la relation enseignant-élèves. De plus, trop de
gens considèrent que l’autorité est naturelle, au lieu de prendre conscience
qu’elle s’apprend ! Vos interrogations sur le fait de devoir sourire ou non sont le
reflet d’une recherche de l’enseignant idéal. Il y a un risque de décalage entre le
soi professionnel et le soi authentique que vous semblez percevoir.
En petite section de maternelle, les disparités sont immenses entre les enfants : certains sont
déjà d’excellents parleurs, quand d’autres ne peuvent s’exprimer autrement que par des
pleurs. Pour tous en revanche, l’école maternelle est un monde nouveau, par certains
aspects inquiétant, qu’il faudra apprivoiser à son rythme, afin de découvrir la joie
d’apprendre et de grandir. Voici le dialogue entre Marylène une enseignante débutante et
Maëliss, sa maitresse de stage, à l’issue d’une année riche d’apprentissages pour tous.
Quand j’ai été recrutée en tant que professeure de musique, je n’avais aucune expérience de
l’enseignement. Je me suis retrouvée, sans trop savoir comment agir, dans des situations qui
dépassaient toute préparation ou planification préalable d’une situation ou d’un contenu
pédagogique.
Mes souvenirs les plus marquants se rapportent à certains comportements d’étudiants que je
trouvais assez curieux et que je ne pensais pas trouver dans l’enseignement supérieur : des
étudiants qui présentent un intérêt incroyable pour les téléphones portables ; une fille qui
frappe les garçons, les insulte et qui fait peur à tout le monde ; des étudiants qui se bagarrent
en classe et qui lèvent le doigt pour me dire « madame, il m’a frappé avec sa gomme », des
comportements plutôt provocateurs, « madame, que vous êtes belle, c’est pour cela que j’ai
choisi de faire musique, rien que pour rencontrer de belles femmes comme vous », « madame,
on n’est pas venus au cours parce qu’on vous a pris pour une étudiante, quel âge avez
vous ? ».
faute dès le premier déchiffrage, n’oublie pas que tu es diplômé de musique arabe. » Petit à
petit, j’ai constaté que l’étudiant agité paniquait et, ne voulant plus se faire ridiculiser devant
ses camarades, il se faisait de plus en plus discret. Avec du recul, je me dis que j’aurais pu
par exemple convoquer cet étudiant en présence de mon collègue et discuter avec lui pour
lui montrer que j’étais consciente de ce qu’il faisait.
Observer : un bon
début pour apprendre
LAURE ETEVEZ. Quand une professeure des écoles débutante et une
formatrice débutante travaillent ensemble, l'observation réciproque
est riche d'apprentissages professionnels. Comment ces regards sur la
pratique de l'autre peuvent-ils être le point de départ d'une entrée
efficiente dans le métier ?
Enseigner, c’est un métier qui s’apprend. À l’ESPE au moins, cette idée est admise par tous.
Mais la question essentielle qui en découle est de savoir comment. La formation initiale telle
qu’elle est conçue actuellement se déroule sur deux années, que l’on pourrait grossièrement
décrire ainsi : en première année, on prépare le concours et on apprend les bases de la
didactique et de la pédagogie, plusieurs stages sont proposés, permettant aux futurs
enseignants de découvrir la réalité du terrain et d’observer des enseignants expérimentés ;
en deuxième année, une alternance entre classe en responsabilité et formation à l’ESPE est
organisée.
Il y a cependant un nombre relativement important de futurs enseignants qui ne passent pas
par ce parcours normal. En effet, il est tout à fait possible d’obtenir le concours sans passer
par l’année de formation à l’ESPE. Cela a des conséquences pour la formation et l’entrée
dans le métier de ces jeunes collègues. L’exemple que je vais décrire pour illustrer mon
propos concerne une stagiaire du premier degré, mais une situation analogue est tout à fait
possible pour le second degré.
PREMIÈRE RENTRÉE
Fraichement arrivée à l’ESPE en tant que formatrice en mathématiques, me voilà chargée du
suivi de plusieurs stagiaires : Florence fait partie de ces collègues dispensés de master, elle
arrive donc directement en responsabilité, sans formation spécifique antérieure. Elle
enseigne à mi-temps à des élèves de petite section, dans une école classée en REP (réseau
d’éducation prioritaire). La première rencontre avant sa prise de fonction laisse présager une
stagiaire sérieuse qui prend son rôle très à cœur, qui écoute les conseils et se documente.
Lorsque ma collègue professeure des écoles maitre formatrice (PEMF) va la visiter en début
d’année, quelques difficultés de gestion de classe apparaissent, mais rien d’anormal pour
une enseignante débutante, à fortiori en petite section.
En revanche, lors de ma visite, début novembre, la situation est beaucoup plus compliquée.
Florence ne parvient pas à obtenir l’attention de ses élèves qui, du coup, ne rentrent pas
dans les apprentissages, notamment au niveau du langage. La classe est agitée et le niveau
de nervosité augmente au fur et à mesure de la matinée. Surtout, Florence me parle de son
inconfort à vivre cette situation. Elle se sent incompétente et n’a pas de plaisir à venir en
classe, remettant même parfois en cause sa capacité à devenir enseignante. De mon côté, je
vois qu’elle cherche à bien faire et qu’elle veut aider ses petits élèves à grandir, mais qu’elle
est dépassée.
Après discussion, je comprends le nœud du problème : elle n’a quasiment jamais vu
d’enseignant devant une classe de maternelle. Elle a bien passé quelques jours avec la
titulaire de la classe en début d’année, mais ce ne sont pas les premières journées de petite
section qui montrent comment on mène un moment de regroupement, comment on gère des
ateliers ou comment on intervient lorsqu’un élève a un comportement inapproprié.
OBSERVATION PRATIQUE
C’est grâce à Florence que j’ai pris conscience d’une différence fondamentale entre les
formations initiales du premier et du second degré : lorsqu’on enseigne au collège et au
lycée, l’organisation des emplois du temps nous permet en général d’aller voir des collègues
en classe si on le souhaite. À l’école primaire en revanche, les contraintes horaires
l’empêchent totalement. Or, les jours où les stagiaires ne sont pas devant leurs élèves, ils
sont en formation à l’ESPE et ne peuvent donc pas aller voir leurs collègues. Et vu que nous
n’avons déjà que peu d’heures pour former nos étudiants, le problème est quasiment
insoluble.
Dans certains cas particuliers, nous faisons le choix de mettre en place un dispositif
d’accompagnement renforcé : quelques heures de formation en moins, contre des visites
dans des classes de collègues PEMF. C’est ce qui a été proposé à Florence. Il lui a fallu un
peu de temps pour accepter : elle craignait d’être étiquetée « en difficulté » et d’avoir ensuite
des ennuis au moment de la titularisation. C’est toujours le problème lorsqu’on a la double
casquette formateur-évaluateur, mais c’est une autre histoire.
Florence a bénéficié de cet accompagnement renforcé durant les mois de janvier et de
février. Lorsque je suis retournée la voir à la fin du mois de mars, elle était transformée. Elle
avait enfin trouvé son costume d’enseignante, elle avait de nombreuses astuces en tête pour
mener sa classe et les enfants adhéraient aux activités qu’elle leur proposait. Surtout, et c’est
ce qui me parait le plus fondamental, elle venait avec plaisir à l’école et appréciait de voir
chaque jour les progrès de ses jeunes élèves.
Enseigner, c’est un métier qui s’apprend, notamment en échangeant et en observant des
collègues. J’aime à dire que c’est à chacun de trouver son enseignant : savoir ce qu’il veut
être et ce qu’il ne veut pas être. Pour cela, il faut voir les autres, constater qu’il y a plusieurs
façons de faire et trouver ce qui nous correspond. C’est une identité professionnelle qui est à
construire progressivement et qui nécessite des modèles, à des moments différents, parce
que les besoins évoluent au fur et à mesure du temps. C’est probablement un des aspects les
plus compliqués à donner à nos stagiaires et sur lequel il nous reste une réflexion à mener.
En tout cas, pour Florence et pour les stagiaires dans son cas, il est de notre responsabilité
de les déculpabiliser : ils ne peuvent pas du jour au lendemain, en n’ayant quasiment jamais
pu observer et prendre du recul sur des pratiques, devenir des enseignants efficaces et
épanouis.
LAURE ETEVEZ
Formatrice à l'ESPE Centre-Val de Loire
Céline : 2016-2017, je suis NT1 (néotitulaire première année) : une ville, trois écoles, quatre
classes, de nombreux collègues, une année passionnante, riche en découvertes et en
rencontres. Mais cela a aussi été le temps de l’incompréhension face à des situations parfois
violentes auxquelles je n’étais pas préparée.
Un matin, une mère d’élève veut me voir, mais le plan Vigipirate ne lui permet pas d’entrer
dans l’école. L’affaire est importante pour cette mère angoissée, qui insulte la maitresse qui
est à la grille. Elles habitent toutes les deux dans la même ville, elles peuvent se rencontrer
en dehors de l’établissement, ce qui est effrayant pour l’enseignante.
Comment dire cela, à qui, dans quel lieu clairement identifié peut-on exprimer la blessure,
l’angoisse, la crainte, et trouver un soutien ? Je suis débutante, je ne suis pas certaine de ce
qu’il faut faire.
Jean-Charles : Le Soutien au soutien (SauS), ça sert à soutenir les souteneurs, autrement dit
à soutenir les enseignants qui soutiennent les élèves. Parfois, les situations sont tellement
complexes, tellement imbriquées qu’elles nous envahissent et nous empêchent de réfléchir.
Le psychiatre Jean Oury, frère de Fernand, le pédagogue, disait que ce genre de situations
embarrasse les gens, les rend embarazeda, « enceinte » d’un cas qu’il faut pouvoir faire
naitre. Et quand le ventre est gros, il empêche de marcher, il empêche d’avancer (1).
C’est cela que le groupe de SauS propose : prendre de la distance par rapport à une situation
qu’on ne maitrise pas, extirper ce qui embarrasse et empêche d’avancer pour l’analyser et se
remettre en mouvement, reprendre le cours des choses en y ayant réfléchi, grâce à un travail
de réflexion groupale. Mais nous rencontrons fort peu d’enseignants débutants dans les
groupes de SauS.
Céline : Être enseignante en REP+ (réseau d’éducation prioritaire renforcé) m’a permis de
suivre une formation spécifique à l’ESPÉ dont des séances d’analyse de pratique. Mais ce
que je considérais comme une chance n’était pas ressenti de la même façon par certains de
mes collègues. Alors que je proposais d’exposer une situation qui me posait problème, l’un
d’entre eux a demandé s’il était possible qu’il quitte la séance si le cas ne l’intéressait pas.
On ne peut pas forcer les gens à réfléchir en groupe.
J’ai très mal vécu cette demande ; je n’ai pas compris le manque d’empathie, le désintérêt
possible pour quelque chose qui m’envahissait et pour lequel j’avais besoin d’aide. Je suis
convaincue que la réflexion groupale est l’une des clés du métier d’enseignant. Je crains la
solitude de la classe, l’impossibilité de partager, de réfléchir collégialement. Le psychisme, ça
m’intéresse, je veux comprendre ce qui se passe dans les relations interpersonnelles, dans
les relations groupales. Un jour, j’ai rencontré l’Agsas (Association des groupes de Soutien
au soutien) (2), et un groupe de Soutien au soutien. (3)
Jean-Charles : Une séance de Soutien au soutien se passe comme cela. Le groupe est
installé dans un espace symbolique hors danger. Assis en cercle, il adhère au contrat, à
l’éthique d’un tel travail : volontariat, non-jugement et respect de la parole de l’autre, non-
conflictualité, solidarité et confidentialité. La solidarité, cela veut dire que chaque participant
groupal, intergénérationnel, effectué par son enseignante lui a permis, un temps, de trouver
un autre chemin, de grandir. L’enseignant aussi doit grandir, professionnellement, ne pas
rester dans sa coquille.
CÉLINE SARAZIN
Professeure des écoles (77)
JEAN-CHARLES LÉON
Professeur de musique, Saint-Germain-sur-Morin (77)
1 Merci à Pierre Delion qui m’a communiqué cette anecdote lors d’une conversation privée.
2 http://agsas-ad.fr/
3 Ce groupe est coanimé par Jean-Charles Léon et Geneviève Chambard.
L'ESPE Lille Nord de France et le rectorat de l’académie de Lille ont décidé, à la rentrée 2015,
de créer un dispositif d’accompagnement renforcé pour les enseignants stagiaires. L’an
dernier, Marie était professeure stagiaire d’anglais, Anaïs était professeure stagiaire
d’espagnol. Bruno, formateur, référent académique de ce dispositif, revient avec elles sur
cette expérience.
Vous aviez donc des problèmes de posture ou une image voilée de la bonne
posture de l’enseignant ?
Marie : Je me suis aperçue que mes élèves recherchaient un cadre et plus d’autorité
intrinsèque, ils avaient l’impression qu’avec moi ils pouvaient tout faire et qu’ils n’avaient
aucune limite ; certains élèves sont venus me voir pour me dire qu’ils en avaient besoin. Le
dispositif m’a permis d’en prendre conscience. Ça a pris du temps et avec une classe, je ne
suis toujours pas parvenue à avoir ce que je voulais obtenir.
C’était autant un changement pour moi que pour mes élèves. Pour eux, s’adapter à une
nouvelle façon de faire cours, ce n’était pas évident. J’ai été très ouverte au dialogue, il n’y a
pas eu de changement drastique, mais je leur ai expliqué comment nous allions fonctionner.
Ce qu’on me demandait était à l’opposé de ce que j’avais mis en place dans mes cours, je
suis quelqu’un de profondément gentil, ouvert, et devoir faire preuve de rigueur, ce n’était
pas ce que je voulais au départ, mais j’ai été obligée de le faire.
Anaïs : Oui, je voulais avoir un regard extérieur, c’est-à-dire hors de la discipline et de la
construction du cours d’espagnol. Celui de quelqu’un qui vienne observer ma manière d’agir
et de réagir avec mes classes. Ça a été possible grâce à la visite dans une de mes classes d’un
formateur du dispositif. J’étais très stressée d’ouvrir ma classe à une personne extérieure :
j’étais en difficulté et elle allait me voir en souffrance.
Où en êtes-vous aujourd’hui ?
Marie : En début d’année j’étais inhibée, je ne prenais aucune décision, je dormais mal,
j’avais parfois des sueurs froides, la boule au ventre, et ces sentiments nous empêchent de
faire correctement notre travail. Certains jours, lorsque les élèves me poussaient à bout, je
rentrais et je pleurais. Mais si on ne lâche pas, on y arrive ; c’est long, mais je me dis
aujourd’hui que ça dépend de moi et pas de mes élèves. Le dispositif m’a permis de prendre
conscience que je n’étais pas seule et je me suis sentie moins isolée, moins démunie. Je n’ai
plus peur de prendre des classes, cette confiance me permettra de prendre des décisions, les
bonnes, et de les prendre de la meilleure manière possible.
Anaïs : Il existe des protocoles de communication qui ne me ressemblaient pas au départ,
mais à force de travail, je les ai intégrés et ils font aujourd’hui partie de mes gestes
professionnels. J’ai été stagiaire en REP (réseau d’éducation prioritaire) cette année, j’ai eu
beaucoup de difficultés en début d’année, mais je pense que mettre rapidement en place ces
protocoles m’a obligée à progresser. Je suis à ce jour une enseignante épanouie, je me suis
demandé à plusieurs reprises si j’étais faite pour ce métier, j’ai eu raison de ne pas
abandonner, car je sais maintenant que oui.
dans un cercle vicieux duquel il peut être difficile de sortir. Il faut demander de l’aide et en
parler autour de soi.
BRUNO DEBEIRE
Formateur à l'ESPE Lille Nord de France, référent académique du dispositif d'enseignement renforcé
ANAÏS
Professeure stagiaire d’espagnol dans l'académie de Lille
MARIE
Professeure stagiaire d’anglais dans l'académie de Lille
Le corps et la voix
JOËLLE RALLET. Organiser l’espace classe, c’est aussi s’y situer soi-
même : l’enseignant est avant tout un corps qui donne à voir et à
entendre. Les premiers cours sont le moment de trouver sa voix pour
trouver sa voie.
Être dans la classe, c’est tenir compte de sa posture physique, « c’est allier deux forces
complémentaires : la verticalité, l’ancrage dans le sol, la tonicité de tout son corps et
l’horizontalité qui prend appui sur la colonne vertébrale, la respiration, le diaphragme pour
projeter la voix avec conviction et intention (1)». Le regard prend toute son importance : soit il
concerne tout le groupe élèves, soit il est ciblé.
Pas de rigidité dans la posture, mais une tonicité, une autorité qui pose un cadre sécurisant
et confiant. La variété des déplacements est tout aussi importante. Ne pas rester devant le
tableau dans un rapport frontal, mais préférer des endroits stratégiques suivant les situations.
Par exemple au centre de la classe, pour que tout le groupe se sente concerné. Derrière le
groupe, pour observer et évaluer, ou encore assis avec un groupe sur un travail en atelier.
Les bras, les mains sont là pour animer, illustrer, impliquer, insister sur un propos, pour
ramener l’attention vers soi, ou, au contraire, donner la parole.
MODULER
La voix, instrument de communication, devient pour l’enseignant instrument de travail
proposé à l’écoute des élèves. Il doit constamment contrôler son expression vocale pour
l’adapter au message à transmettre, solliciter, voire séduire l’écoute par une voix ferme,
sécurisante, dynamique et chaleureuse. Image de notre moi, baromètre de notre sensibilité,
elle est un instrument de médiation entre un message et des destinataires. Il lui faut nourrir
un texte d’expressivité, mettre en relief les mots clés, garder son message intelligible jusqu’à
la fin de la phrase et capter l’attention. Elle est l’expression d’un adulte attentif et
bienveillant dans l’intonation, la sollicitation qui va donner confiance. Enfin, il faut savoir
contrôler sa voix pour aussi exprimer des émotions : le mécontentement, le respect de
chacun.
Des exercices vocaux et théâtraux permettent de prendre conscience de ses capacités
phonatoires. Pratiquer le jeu vocal tel que le propose Guy Reibel (2) entraine l’exploration et
l’expression de sa voix. De la voix de poitrine à la voix de tête, ces jeux permettent de
mesurer l’énergie nécessaire à la production sonore. Associés à un travail de respiration, ils
permettent à chacun de trouver une posture vocale. Chercher une voix grave, posée, permet
de reposer sa voix et produit un effet apaisant sur l’auditoire. Au contraire, une voix de tête
aigüe est souvent signe de tension, fatigante pour tous. Moduler sa voix, changer de rythme,
installer des silences sont autant de gestes capables de calmer le groupe, ou au contraire de
le dynamiser, d’éveiller sa curiosité. Le silence apporte attente d’une nouvelle action, tient
l’auditeur en haleine. La rapidité excite l’imagination, la lenteur appelle le repos.
RELÂCHER
Pratiquer le jeu théâtral avec ses élèves, c’est travailler le lâcher prise. Dans un premier
temps, on joue sans texte, on prend la parole en associant corps, voix et onomatopées,
libéré des problèmes de mémorisation. Quelques exemples concrets pratiqués en ateliers
théâtre.
Échauffement : sur une ronde, pieds parallèles, frotter ses mains, ses bras, ses jambes,
pieds, dos, etc. Au signal « hop ! », se déplacer le plus rapidement possible et reformer la
ronde.
Jeu 1 : Pulsation-couleur : se passer une couleur accompagnée d’un geste frappé. Dans
un sens, dans l’autre, de plus en plus vite, avec une, deux personnes au centre qui passent
aussi une couleur.
Jeu 2 : Déplacement-expression : se déplacer dans tout l’espace, rapidement, comme un
nuage, des algues, une rivière, le vent, ancré dans la terre, etc.
Jeu 3 : Mimétisme : deux par deux, deux lignes face à face, un groupe pose une question
physique, l’autre groupe réceptionne et relance. Même exercice avec du son.
1 Jean Duvillard, Ces gestes qui parlent. L’analyse de la pratique enseignante, ESF, 2016.
2 Guy Reibel, Le jeu vocal, chant spontané, DVD CRDP Nice, MK2, 1984.
Il est tout ce que les enseignants redoutent : il aime faire le pitre en classe, répond
insolemment, ne fait pas ce qu’on lui demande, explose de rage à la moindre remarque. Il
semble être une bombe à retardement, sur le point d’exploser d’un moment à un autre.
Pourtant, Mohamed est très réactif : lorsqu’un sujet lui plait en cours, il participe et
commente haut et fort pour que tout le monde l’entende. Un élève qu’on n’a nul besoin de
secouer. Mohamed, c’est celui qui nous donne du fil à retordre mais envers qui, à la fin,
nous ne pouvons nous empêcher de ressentir de l’affection. Pourquoi ? D’abord parce qu’il
n’est pas facile d’accès, Mohamed. Et toutes les choses faciles, on finit par s’en lasser.
DÉRÈGLEMENTS
La semaine dernière, le professeur principal des 6esB a une fois encore proposé de créer une
fiche de suivi pour Mohamed. Une fiche où chaque professeur, à la fin du cours, émet un
avis sur son comportement en classe. La vie scolaire de Mohamed résumée sur un petit bout
de papier, en gros. Mais Mohamed est bien plus que ça. Plus complexe. Au début de
l’année, il s’est montré dès le départ agressif dans la cour de récré : bagarre, camarade
étranglé, même en plein cours de maths. Pourtant, c’est un élève populaire, aimé des autres
enfants.
Pourquoi de tels écarts de comportement ? J’ai pu remarquer que Mohamed insiste
systématiquement pour me parler de sa vie privée : ses parents divorcent, il est balloté chez
l’un et l’autre, ambiance peu propice au travail assidu. Mohamed n’a jamais ses affaires en
cours et ses camarades lui prêtent gentiment de quoi écrire. Il rate toutes ses interros. Je lui
propose de les recommencer en lui passant une fiche récapitulative pour qu’il puisse réviser.
Je place Mohamed devant, à côté d’un élève brillant avec qui il s’entend très bien. Vers le
second trimestre, il commence à s’en plaindre vivement : « Pourquoi on me met pas derrière,
comme avec les autres professeurs ? — Je ne suis pas les autres professeurs. Et puis, au moins,
vous êtes sur le devant de la scène ! » Mohamed continue de râler, « mais c’est pas juste, moi
j’en ai marre », son refrain favori.
Un cours sur deux environ, Mohamed semble imperméable à la leçon donnée. Lorsqu’il
s’implique plus, par miracle, il me dit : « C’était mieux que d’habitude, le cours ! Je l’ai pas
senti passer ! » Il n’y a pas meilleur compliment que celui d’un élève décrocheur.
À l’issue de sa commission éducative, il a été décidé que Mohamed devait aller dans une
Segpa (sections d’enseignement général et professionnel adapté). La réaction a été
immédiate : la colère. Depuis le deuxième trimestre donc, il est animé d’une nouvelle rage.
RESPONSABILISER
Lors d’une séance pourtant, c’est la surprise. Je décide de créer un nouveau poste de haute
responsabilité, en plus du personal assistant qui se charge d’écrire les points positifs et
négatifs de chacun, et du time keeper qui délimite les activités ; il s’agit du noise keeper ou
gardien du bruit. Ce dernier sera chargé de lever le poing si le niveau sonore est trop élevé
pendant le cours. Mohamed est assez enthousiaste quant à ce nouveau rôle. Il l’accompagne
de remarques à voix haute : « Ho ! Il y a trop de bruit, la maitresse attend le silence ! »
Lorsqu’un de ses camarades rétorque « eh mais c’est pas moi » (réplique favorite des
professeurs !), Mohamed s’insurge : « Ho, tu parles pas comme ça à la professeure, O.K. ? »
Je suis obligée de calmer ses ardeurs pour qu’il ne se dispute pas pour de bon. Cet élève est
incroyable : il réprimande en fait les élèves et prend ma défense, alors que lui-même se
comporte ainsi. En responsabilisant Mohamed et en donnant un sens à ce qu’il fait au sein
de la classe, je pense que nous trouverons un terrain d’entente.
La sentence est tombée lors du troisième trimestre : Mohamed rejoindra bel et bien une
Segpa à la rentrée. Lorsque je regarde l’élève désormais avachi sur son bureau, ne sortant
pas ses affaires (lui faire recopier la leçon est chaque jour un véritable challenge), quelques
flashbacks de l’année me reviennent.
La sortie aux archives du musée, quand il avait réussi à se représenter mentalement, en
parfait petit GPS, le plan du quartier en regardant depuis le toit terrasse ; la fois, ou plutôt les
fois, où il m’avait rendu copie blanche lors des contrôles et que je lui avais fait refaire en le
guidant et où ses yeux s’étaient éclairés, signe qu’il savait qu’il savait ; ou encore la fois où,
contrit, il m’avait expliqué que ses parents divorçaient et qu’il n’avait pas toutes ses affaires.
Qui saura sauver l’élève Mohamed ? Lui-même ?
NATHALIE TRIAY
Professeure d’anglais à Marseille
Le débat comme
antidote
MARIE-DOLORÈS POUPON. Que faire face aux passages à l'acte des
élèves ? Mettre fin à la violence tout d'abord, mais ensuite, lorsque la
punition ne suffit pas, d'autres choix doivent émerger afin d'enrayer un
cercle souvent vicieux. Le débat philo est une piste d'autant plus
intéressante qu'il permet de mettre des mots sur les problèmes et les
préjugés et de socialiser les élèves.
Une classe de CM2 à Marseille, ma première classe : je suis professeure stagiaire, en binôme
avec la directrice de l’école. Le début n’est pas simple. Dès septembre, je dois gérer des
problèmes de violence, bagarres dans la cour, en sport et lors des sorties scolaires,
comportements agressifs en classe. Jimmy hurle en direction d’un élève qui a fait tomber son
stylo involontairement, Illan insulte son camarade qui lui demande de se mettre en rang
correctement. Les punitions, la morale et le coin réflexion n’y changent rien. La directrice
leur donne des fiches réflexion pour qu’ils puissent se remettre en question. Mais c’est très
peu efficace.
LA GOUTTE D’EAU
Un jour d’octobre, en fin de matinée, en sport avec ma classe, une nouvelle bagarre éclate.
Je vois Fethallah allongé par terre, essayant de se protéger le visage, et Yahia sur lui, lui
portant des coups de poing. J’interviens pour les séparer. Yahia est un garçon de 11 ans
aussi grand que moi et assez costaud pour son âge. Je l’attrape par la taille, le tire de toutes
mes forces pour le séparer et je suis soulagée quand je sens qu’il ne se débat plus. C’est
trop.
Je me rappelle alors ce que j’ai appris en master 2 sur les ateliers philosophiques. J’ai pu
observer un véritable débat sur la religion, avec une classe de CE2 dans une salle de la
faculté. Ce fut passionnant. Bien que les enfants soient jeunes, le débat a été riche. Ils
s’écoutent, apprennent à respecter le point de vue de l’autre, ils peuvent changer ou modifier
leurs pensées en se confrontant aux autres ou simplement en écoutant leurs avis. Il ne s’agit
pas pour le professeur de faire la morale, c’est un moment où les élèves doivent pouvoir
dire ce qu’ils pensent, sans crainte d’être jugés. C’est par l’échange entre eux qu’un enfant va
pouvoir évoluer, changer son point de vue et son comportement. Le professeur doit
seulement réguler la séance, c’est-à-dire veiller à ce que les prises de paroles soient
respectées, relancer le débat si nécessaire et effectuer une synthèse de ce qui a été dit. Je vais
voir la directrice pour lui expliquer mon projet, elle est d’accord.
différentes de nous et nous aider à gagner. Et elles sont plus calmes, elles peuvent empêcher
certaines disputes. »
La séance suivante, j’ai redemandé à construire des équipes, et instinctivement, il y a eu
quatre équipes mixtes. Les filles se sentaient utiles et les garçons appréciaient leur présence
dans l’équipe. Lors des séances suivantes, la tendance à construire des équipes de filles et de
garçons est réapparue, mais le simple fait de le leur faire remarquer a suffi à leur faire
construire des équipes mixtes.
Au total, le débat m’a permis de m’économiser physiquement et psychologiquement, il a été
un véritable antidote aux problèmes que j’ai pu rencontrer avec ma classe. De plus, j’ai le
sentiment que j’ai avancé, que je me suis épanouie professionnellement, et les élèves aussi
ont progressé dans leurs capacités sociales. S’il est vrai que le professeur se doit d’ « agir en
éducateur responsable et selon des principes éthiques (1) », alors le débat régulé avec la classe
est sans aucun doute une compétence à acquérir.
MARIE-DOLORÈS POUPON
Professeure des écoles stagiaire à Marseille
1 http://www.education.gouv.fr/cid73215/le-referentiel-de-competences-des-enseignants-au-bo-du-25-
juillet-2013.html.
À chacun son
Pinocchio
CHRISTIAN WATTHEZ. Connaissez-vous l'histoire de Pinocchio ? Le conte
de Collodi peut être lu comme une métaphore de la relation
pédagogique, en ce qu'il met en scène le cœur de toute situation
éducative : la tension inévitable entre le projet éducatif de l'adulte et la
résistance légitime de l'élève.
Tout commence dans l’atelier de maitre Cerise, le menuisier du village. Celui-ci trouve dans
sa réserve une simple buche de bois ordinaire, dont il décide de faire un pied de table. Mais
à sa grande stupeur, la buche se met à crier au premier copeau. Croyant avoir rêvé, maitre
Cerise se remet au travail, mais la buche poursuit ses cris et ne se laisse pas tailler. C’en est
trop pour le menuisier, pris d’épouvante face à cette situation surnaturelle. C’est à ce
moment que l’on frappe à sa porte : c’est Gepetto, un vieux compère et voisin. Trouvant le
temps long, il a eu l’idée de confectionner un pantin et s’est mis à la recherche d’un bout de
bois pour mener à bien son projet. Maitre Cerise a tôt fait de se débarrasser de la gêneuse
récalcitrante, qui ne se laisse pas davantage façonner par Gepetto.
DIFFICILE MÉTAMORPHOSE
Faire face sereinement aux résistances des élèves alors qu’on veut leur bien, et comprendre
cette tension non comme un accident fortuit mais comme une part de l’ADN du métier, voilà
sans doute la phase la plus délicate de la longue métamorphose que constitue la formation
d’un enseignant. C’est en tout cas l’une des difficultés majeures que rencontrent nos
étudiants en formation initiale.
Car lorsqu’on est stagiaire ou débutant, on est d’abord centré sur son propre devenir et sur
sa propre action : souvent en mode survie face à la classe (2), avec l’angoisse de ne pas s’en
sortir, de ne pas être à la hauteur des attentes (des formateurs ou des collègues), d’être
débordé par la tâche et par les élèves, de ne pas avoir assez de ressources pour tenir jusqu’à
la fin de la journée, de la semaine. Dans ces conditions, difficile de vivre avec sérénité et
CHAGRINS D’ÉCOLE
Comment ? En rédigeant un petit texte dans lequel Pinocchio raconte, à la première
personne, le récit d’un fait vécu en classe impliquant aussi le stagiaire. La seule contrainte
d’écriture sera de commencer le récit par les mots : « Bonjour, je m’appelle... et aujourd’hui,
je... »
Le stage terminé, nous nous retrouvons pour un partage en petits groupes : chacun a amené
son Pinocchio et lui donne la parole en lisant aux autres le texte rédigé au préalable.
« Bonjour, je m’appelle Aurélia, j’ai 7 ans. Et aujourd’hui je suis contente de vous parler de
moi. Je recommence mon année, car j’ai du mal à travailler et à me concentrer. J’ai sans cesse
besoin de gigoter, de chipoter et de me lever. J’ai du mal à rester assise. »
« Bonjour, je m’appelle Sacha et aujourd’hui, je vais vous raconter une de mes journées à
l’école. Quand j’arrive à l’école, il n’y a plus personne dans la cour. C’est normal, je suis
encore en retard. »
« Bonjour, je m’appelle Lena et aujourd’hui, je ne suis pas de bonne humeur. Mon frère m’a
encore ennuyée avant d’aller à l’école et maman ne s’est pas occupée de moi. »
« Bonjour, je suis Hugo et aujourd’hui je suis venu avec une boule au ventre, comme chaque
matin depuis que je suis à la grande école. »
« Bonjour, moi, c’est Noah. Aujourd’hui, maman m’a encore réveillé pour aller à l’école. Je ne
comprends pas pourquoi je dois y aller : l’école, c’est nul. Les autres enfants se moquent de
moi parce que je ne sais pas faire les mêmes choses qu’eux. »
Au fil des lectures, apparaissent ainsi des visages d’enfants en marge de l’école ; à la fois
tous différents et très souvent semblables par la souffrance qui se cache derrière la rébellion
ou le découragement.
VOYAGE EN EMPATHIE
Les échanges en petits groupes se clôturent par la recherche d’éléments de réponse aux deux
questions suivantes : « Nos Pinocchio, qu’ont-ils en commun ? Qu’ont-ils de différent ?
Comment les aider à mieux vivre leurs journées d’école, à mieux entrer dans leur métier
d’élève ? »
Nous nous retrouvons pour visionner quelques capsules vidéos relatives à l’enfant
difficile (4), tenter de prendre du recul en mettant des mots sur les ressentis de chacun face à
son Pinocchio et partager aussi les quelques initiatives entreprises au cours du stage, afin
que l’école ne soit plus un chagrin.
À l’évidence, ce travail d’empathie a bougé quelque chose au plus profond de chaque
stagiaire. Et même si certains ont rencontré plus de difficulté que d’autres à voir l’école avec
les yeux de Pinocchio, tous ont été marqués par ce déplacement de point de vue. Ils savent
désormais « qu’il faut prendre les enfants comme ils sont, non pas pour les laisser là où ils
sont, mais parce que c’est le seul moyen de les amener à progresser. Ils ont acquis la
conviction qu’il faut écouter pour pouvoir se faire entendre, qu’il faut faire confiance pour que
l’autre puisse se hausser à la hauteur de nos attentes et donner le meilleur de lui-même ». (5)
CHRISTIAN WATTHEZ
Maitre assistant au département pédagogique HELHa, de Leuze-en-Hainaut (Belgique)
Débuter au lycée
professionnel : ancrer,
différencier
PHILIPPE TURBELIN, LYDIA. La réflexion sur la posture de l'enseignant
mène à un travail sur sa nécessaire adaptation à tout contexte
scolaire. Ce dialogue entre une professeure stagiaire et un formateur
lance des propositions quant au rôle de l'enseignant qui peuvent
intéresser tous ceux qui sont confrontés à des élèves potentiellement
décrocheurs.
Philippe : On s’est croisés tout au long de cette année, on a partagé une classe en commun.
Pas si facile, je suppose, d’être professeur stagiaire, mais qu’est-ce qui t’a amenée à venir
enseigner dans un lycée professionnel (LP) ?
Lydia : J’ai 34 ans, un master en biochimie et un doctorat en virologie. J’ai travaillé dans la
recherche, puis j’ai eu deux enfants et j’ai décidé de devenir enseignante en biotechnologie,
santé et environnement en LP.
Je n’avais jamais enseigné avant, et pour moi, le LP n’était pas forcément très différent du
lycée général et technologique. Je savais cependant que j’allais enseigner à des adolescents
qui n’ont pas le même cursus scolaire que moi, car je viens d’un bon lycée d’enseignement
général privé. J’ai rapidement pris conscience que j’allais passer beaucoup de temps à gérer
ma classe et beaucoup moins à transmettre des savoirs.
Philippe : En effet. Les élèves qui arrivent en LP sont souvent en difficultés scolaires, et
parfois sociales, depuis plusieurs années, et la découverte de cet univers est pour le jeune
enseignant qui a une trajectoire scolaire traditionnelle une véritable plongée dans un monde
inconnu. La difficulté, c’est que c’est toi qui dois t’adapter aux élèves du LP, tu dois donc
renoncer à être le professeur que tu aurais aimé avoir, pour être un professeur que des
élèves en difficulté aiment avoir. Cette démarche demande du temps et du travail.
Est-ce que le métier de professeur de lycée professionnel correspond à tes projections et à tes
attentes ?
Lydia : En fait, dès le début, tout a été très difficile. J’avais neuf classes, chacune une heure
par semaine, et m’adapter à chaque classe était usant. En plus, j’ai été choquée par
l’hétérogénéité du niveau des élèves. Certains élèves très faibles côtoyaient dans la même
classe des élèves d’un bon niveau qui ont fait le choix du LP. Mais surtout, j’ai souvent eu
l’impression qu’en réalité, peu d’élèves m’écoutaient.
Ce qui m’a surpris aussi, c’est le manque de travail en équipe ; rapidement, je me suis
retrouvée seule à préparer mes cours et à réfléchir, cela m’a beaucoup déçue. La bonne
surprise, c’est que les élèves sont très attachants, difficiles souvent, mais attachants.
Philippe : Il faut imaginer des cours dans lesquels le professeur parle le moins possible,
mais qui placent les élèves dans des situations de production, seul ou en groupe. Par
exemple, demander aux élèves de produire une affiche, un exposé, une vidéo. Il faut fixer
aux élèves non pas les objectifs théoriques du programme disciplinaire, pour cela nous
avons le temps, mais des objectifs simples et accessibles, valoriser les réussites, même celles
qui semblent petites. Par exemple, si un élève est en capacité de n’écrire que cinq lignes, il
ne faut pas lui demander d’écrire dix lignes. Cela exige de connaitre le niveau réel de chacun
de ses élèves et de s’y adapter.
Lydia : C’est difficile de valoriser certains élèves, car ils sont vraiment faibles et ne
travaillent pas assez pour se mettre au niveau demandé.
Philippe : C’est vrai, et pour ne pas engendrer la démotivation qui mène à l’absentéisme et
au décrochage, nous devons mettre en place dans nos classes un système d’évaluation qui
encourage et valorise les progrès. Les élèves de LP savent depuis longtemps qu’ils ne sont
pas très bons à l’école, le leur rappeler sans cesse par de mauvaises notes ne les motivera
pas, au contraire.
Il ne s’agit pas d’abaisser nos exigences, mais d’amener la réussite des élèves par petites
étapes. Imagine un escalier de vingt marches : les élèves de ta classe sont répartis sur toutes
les marches, certains sont sur la première et d’autres, déjà, tout en haut. Au LP, il faut
demander à l’élève d’atteindre la marche juste au-dessus de la sienne, même si elle se situe
loin du palier à atteindre. En même temps, nous devons demander à ceux qui sont en haut
d’apporter un peu d’aide à ceux qui sont plus bas et leur fixer de nouveaux objectifs adaptés
à leur situation.
C’est ce qu’on appelle la pédagogie différenciée ; son apprentissage et sa manipulation sont
fastidieux d’autant plus que cette pratique n’a pas pénétré les lycées généraux dont nous
sommes issus.
Lydia : Je comprends l’idée, mais ce n’est pas juste, l’élève qui est sur la première marche
mérite 1/20 et celui qui est en haut mérite 20/20. Comment expliquer les choses autrement
aux élèves ?
Philippe : Si tu mets 2/20 à l’élève qui passe de la première à la deuxième marche, il va vite
s’arrêter de monter, ton arbitrage aura été juste mais tu l’auras découragé. L’idée, c’est
d’adopter une posture de coach et non d’arbitre. Tu l’accompagnes au quotidien pour le faire
réussir, tu t’appuies sur ses points forts et ses réussites. Tu proposes des évaluations
formatives, pourquoi pas différenciées, qui valorisent le progrès et qui enlèvent tous les
pièges qui font échouer. Tu peux passer un contrat avec l’élève : « Au moment de
l’évaluation, tu dois connaitre ces cinq informations pour avoir une bonne note », un autre
élève aura un contrat différent. Chacun aura la possibilité de recommencer s’il n’a pas réussi.
Il s’agit de réconcilier les élèves avec l’école, le principe c’est la réussite, mais chacun à son
rythme.
Lydia : Mais les bons élèves trouvent cela injuste !
Philippe : Pas du tout, car ils ont toujours la possibilité d’être valorisés par les notes, les
mots du professeur et par des fonctions responsabilisantes comme expliquer quelque chose
à un camarade ou au moment des travaux de groupe. Ce qui est important pour le
professeur coach, c’est que chaque élève s’épanouisse. Avec ce système, les bons élèves
travaillent autant et les moins bons sont davantage motivés. Enfin, l’ambiance dans la classe
est bien meilleure.
Lydia : Pour travailler de cette façon, il faut bien gérer sa classe et ce n’est pas évident ;
quand je vais voir ma tutrice, ses élèves sont calmes et semblent lui obéir et avec moi les
mêmes élèves sont agités, bavards et même irrespectueux. Qu’est-ce qu’elle fait que je ne
fais pas ?
Philippe : En ce qui me concerne, cette façon de faire m’aide beaucoup à gérer ma classe,
mais il est vrai que c’est difficile de gérer une classe composée d’élèves qui ont souvent une
expérience réelle dans l’art de perturber les cours. Ce qu’a dû faire ta tutrice mais qui t’a
échappé, c’est la mise en place dans sa classe d’un cadre simple compris de tous. Le cadre
doit être suffisamment rigide pour être cadrant et suffisamment souple pour s’adapter à
toutes les situations qui vont se présenter, et il doit surtout exister toute l’année scolaire. Elle
a dû bien expliquer les règles de fonctionnement et les sanctions qui vont avec, vérifier que
les élèves ont compris et les appliquer avec calme, sans les abandonner quand c’est difficile,
Attention aux
bavardages... Et on fait
comment, après ?
TEXTE COLLABORATIF. Comment gérer le bruit et les prises de parole,
nécessaires et intempestives, des élèves comme du professeur ? Deux
temps semblent indissociables : comprendre puis agir.
Voici une fiche pratique et des propositions de l’équipe de formateurs de la Haute École
Louvain-en-Hainaut. Le point de départ de ce petit dispositif réside dans le désarroi de nos
stagiaires devant des remarques écrites ou orales comme celle reprise en titre. Notre volonté
était d’opérationnaliser ces remarques pour aider nos étudiants à s’améliorer.
Pour ce faire, nous faisons l’hypothèse qu’avant de donner des pistes et conseils, il faudrait
que le stagiaire ou le professeur débutant comprenne son propre fonctionnement, afin
d’accepter que piloter la classe et gérer les apprentissages ne soient pas qu’une affaire de
techniques à couper-coller.
Suivant la même procédure, d’autres critiques habituellement adressées aux stagiaires
peuvent être travaillées en formation initiale ou continuée : « Attention au timing ! », « Vos
élèves ne participent pas assez », « Manque de dynamisme », « Donnez du sens aux
apprentissages », etc. Intéressant à mener, même avec des professeurs chevronnés !
LE BRUIT ET MOI
Ce premier temps, conçu comme un exercice, est un jeu de questions-réponses sur la
pratique de l’enseignant. Un rapide entretien invite le stagiaire à entamer un « travail de soi
sur soi ». Son objectif est de montrer qu’il est important de mieux comprendre son propre
fonctionnement avant de passer à l’étape des conseils. Ces quelques questions préalables,
posées par le maitre de stage ou le professeur référent, permettent donc de faire le point sur
la tolérance relative au bruit de chacun et de se construire sa propre définition du bruit et du
bavardage. Elles doivent ensuite faire émerger une réflexion pour comprendre en quoi les
bavardages peuvent nuire aux apprentissages des élèves.
« Qu’as-tu pensé de l’ambiance générale de cette heure de cours ?
As-tu entendu un bruit de fond permanent ?
Remarques-tu une différence entre le premier cours et le dernier de la journée ?
Ton niveau de tolérance au bruit varie-t-il en fonction du moment dans la journée, de la
période, de ce que tu as fait la veille ?
Où places-tu le curseur entre des bavardages tolérables des élèves (pour souffler un peu) et
ceux qui sont trop répétitifs (nuisibles à l’apprentissage) ?
Dans l’idéal, comment cela devrait-il se passer selon toi ?
As-tu l’impression que tu parles beaucoup, trop, pas assez, etc. ?
Et toi, dans quelle ambiance de travail apprécies-tu de travailler : avec de la musique, sans
trop de bruit, avec ton téléphone mobile allumé en permanence ? Appliquerais-tu tes propres
habitudes de fonctionnement à la gestion de ta classe ?
Indique ton propre niveau de tolérance au bruit (de 1 à 8) sur une échelle de Richter du bruit.
Préfères-tu une classe silencieuse, qui peut-être est endormie, à une classe bruyante mais au
travail (travail de groupe, par exemple) ?
Pourquoi n’interviens-tu pas pour réaffirmer la nécessité d’un climat de travail propice à
l’apprentissage ?
Quels compromis peux-tu viser entre ton idéal et la façon dont cela se passe dans la vraie vie ?
Comment envisages-tu la circulation de la parole dans ta classe ?
La disposition des tables permet-elle une interaction favorable aux apprentissages ?
Comment envisages-tu le développement des compétences d’oral, dans ta lutte contre les
bavardages ?
Le niveau sonore influence-t-il les activités que tu proposes aux élèves ?
Perçois-tu une différence au niveau des bavardages entre les filles et les garçons ? Si oui,
comment l’expliques-tu ? »
Reformuler pour
dialoguer
JACQUES GEORGES. Outil précieux pour la communication, les
reformulations des propos des élèves optimisent les interactions en
classe. Comment la connaissance des types et des fonctions de ces
reprises particulières de la parole des élèves peut-elle aider l'enseignant
débutant ?
Souvent, surtout les premières fois, lorsqu’un dialogue s’installe en classe, certains élèves
tentent d’amener le professeur vers des discussions qui dépassent le cadre habituel du cours.
Se laisser conduire vers des finalités qui quittent ce cadre peut être problématique. Pour
garder le cap, un des outils très utiles est l’usage des hétéroreformulations. Ce terme désigne
des interventions verbales qui reprennent les contenus ou les termes d’une prise de parole
(reformulation) par une autre personne que celle qui s’est exprimée (hétéro). Dans la classe,
il s’agit donc des reprises des propos d’élèves par le professeur. En voici quelques
exemples :
Élève : « Le Colisée est là.
Professeur : Le Colisée est là, il se trouve à Rome. »
Élève : « C’est le modèle de beauté en Chine.
Professeur : C’est le modèle de beauté au Japon. »
Élève : « Cette formule c’est la fonction de l’élongation.
Professeur : Cette formule c’est la fonction de l’élongation en fonction du temps. »
Élève : « Lambda est égal à V fois T.
Professeur : Lambda est égal à la vitesse fois la période. »
Les expériences que j’ai menées dans différentes classes, à différents niveaux au collège et
au lycée, m’ont conduit à dégager quatre grands axes où regrouper une majorité des
reformulations rencontrées. À l’intérieur de chacun, de nombreuses formes peuvent
coexister.
correction comme une attaque personnelle. En corrigeant de cette manière, le propos est
exclusivement orienté vers le contenu. Voici le retour d’un autre enseignant : « J’ai reformulé
avec ce que j’ai compris pour qu’il recommence à l’expliquer […]. Je ne vais pas me contenter
d’un terme très vague […]. Il doit employer le terme précis […]. L’élève sait qu’il a dit une
connerie et le moment où on répète, il voit bien […]. Là, je le corrige, ou il se corrige, il va
voir. »
Premières copies,
premières
interrogations
RACHEL SHOMALI. De la tâche pénible à l'acte autoformateur. Puisse ce
témoignage d'une débutante aider à anticiper les interrogations, les
doutes, et fournir les premières pierres d'un travail réflexif.
la correction de la langue. Pour les appréciations, on m’a conseillé de cibler un aspect sur
lequel l’élève devait travailler (notamment par rapport à la langue, rien ne sert de multiplier
les remarques).On m’a également conseillé de privilégier les formulations affirmatives et
d’encourager plutôt que de « casser ».
Quels conseils donneriez-vous à votre tour à un(e) collègue qui se trouvera devant
ses premières copies à la rentrée prochaine ?
Avec le recul, je pense qu’il y a un équilibre vers lequel tendre : avoir, bien sûr, une idée
précise des attendus, en termes de compétences et de savoirs, mais aussi une certaine
souplesse. Cela peut paraitre assez simpliste, mais cela part d’un constat personnel,
j’attendais de retrouver dans les copies des aspects très précis, sans parfois en questionner le
sens (à quoi cela sert-il de retenir absolument telle ou telle figure de style ?). Ce qui, par
rapport aux corrections de copies, demande d’être à la fois exigeant et ouvert.
RACHEL SHOMALI
Professeure de lettres stagiaire en lycée dans l'académie de Créteil
Corriger : guider,
accompagner, outiller
DOMINIQUE SEGHETCHIAN. Quelques principes pour passer d'une
posture du jugement à une posture d'accompagnement qui fait de
l'évaluation une étape dans le processus d'apprentissage. Ou comment
faire d'un pensum un acte de communication.
Principe 1 : Tant qu’elle n’est pas certificative, une évaluation peut servir de tremplin pour
progresser.
Principe 2 : Une copie est un espace partagé à gérer.
La partie centrale est l’espace de l’élève : moins l’enseignant y laisse sa marque, plus l’élève
est amené à repenser son travail pour l’améliorer. Lorsque le guidage doit être plus
rapproché, on peut demander d’écrire une ligne sur deux, l’apprentissage se faisant alors
dans le tressage de l’écriture enseignante et de celle de l’élève.
L’enseignant dispose de trois espaces distincts pour communiquer. Une marge (tracée à
droite, elle permet aux professeurs droitiers de voir simultanément ce qu’ils écrivent et le
travail de l’élève) offre la possibilité de donner des informations précises, ciblées sur des
points précis du travail. C’est en particulier le lieu d’indications concernant le langage
disciplinaire. La partie haute de la copie est le lieu d’une appréciation synthétique, d’un
feedback. Enfin, à la suite du travail ou sur une feuille glissée dans la copie, un message
totalement personnel peut exceptionnellement être adressé à un élève (par exemple, je l’ai
utilisé pour expliquer à une élève pourquoi je ne pouvais pas noter son travail totalement
hors sujet mais qui m’avait profondément touchée par son contenu, et pour demander à la
rencontrer en privé).
Principe 3 : Trop de « tu » tue la communication.
Le réserver pour des remarques positives bien choisies ou des suggestions (« Pour
améliorer…, tu peux… »). Les critiques, nécessaires pour que l’élève sache ce qu’il doit
améliorer, seront plus efficaces si elles sont dépersonnalisées : « Les images doivent être
légendées » plutôt que « pense aux légendes » ou, pire, « tu as oublié les légendes ».
Principe 4 : Un feedback efficace commence par une indication positive qui dispose
favorablement à recevoir les pistes d’amélioration.
Celles-ci sont en nombre limité : une ou deux, donc soigneusement ciblées. Le feedback sera
encore plus efficace s’il se clôt sur l’indication d’une ressource : une remarque positive sur ce
que l’élève maitrise, car il s’agit d’alimenter la motivation. Bien entendu, les éléments
sélectionnés sont en rapport avec les objectifs d’apprentissage qui font l’objet de
l’évaluation. Dans le même ordre d’idée, il vaut mieux réserver les points d’exclamation (qui
ne font qu’exprimer les émotions de celui qui les utilise, par exemple son exaspération, son
étonnement ou sa joie) pour souligner des réussites.
Principe 5 : L’appréciation sera d’autant plus utile qu’elle prendra en compte le fond et la
forme, les connaissances et compétences ainsi que les langages, la communication.
Depuis que j’ai appliqué ces principes, je n’ai jamais vu un élève se désintéresser de sa
copie, voire de la correction qui en suit le retour, car l’ensemble de mes interventions sur
leur copie ne vise pas à juger leur travail, mais à les outiller. Au contraire, des appréciations
trop synthétiques ou trop limitées suscitent des questions : me suis-je vraiment intéressée à
leur travail, suis-je assez disponible pour eux et leurs apprentissages ?
DOMINIQUE SEGHETCHIAN
Professeure de français en collège
De l'importance des
consignes
PAULINE GASSELIN. Une journée de classe peut très bien se dérouler
mais quand on est débutant, on se rend vite compte que c’est un
château de cartes : une consigne mal comprise et la séance est difficile
à poursuivre. Si on ne prépare pas le matériel nécessaire à l’avance,
cinq minutes de battement suffisent pour rendre l’entrée dans l’activité
compliquée.
Je me souviens d’un jour où ma tutrice était venue dans ma classe. J’avais lancé les élèves
sur des exercices en leur demandant : « Faites les exercices sur le cahier de brouillon. » Au
bout des dix minutes imparties, je les avais arrêtés pour faire la mise en commun : peu
d’élèves avaient réussi à aller jusqu’au bout et ils avaient beaucoup bavardé. Plusieurs
n’avaient pas compris ce qu’il fallait faire et n’avaient pas osé me demander.Lors du bilan,
ma tutrice m’a fait prendre conscience qu’il fallait que j’améliore la passation de consignes :
ils n’avaient pas réussi à suivre celles des exercices, pourtant formulées clairement : « Remets
les lettres en ordre pour former des mots contenant [o]. » Ce qui faisait obstacle, c’était le
vocabulaire. Elle m’a donc indiqué qu’il fallait que je leur demande s’il y avait des mots
qu’ils ne comprenaient pas après la lecture collective des consignes et que je les fasse
reformuler par les élèves. Ce constat relève de toute situation d’enseignement.
Si un élève ne comprend pas ce qu’il doit faire, il demande à un camarade, qui tente
d’expliquer ce qu’il a réussi à comprendre. Cela fait du bruit qui empêche les autres de se
concentrer et le temps qu’ils expliquent, ils ne terminent pas l’activité demandée.
Je rédigeais déjà les consignes sur mes fiches de préparation, mais ma tutrice m’a conseillé
de faire reformuler la consigne par un ou deux, voire trois élèves. Je leur demandais ensuite
s’ils avaient des questions. Les élèves se sont mis beaucoup plus facilement au travail. Ce
temps de reformulation est nécessaire et il faut le faire jusqu’à la fin de l’année et à chaque
consigne.
RESSOURCES ÉDUSCOL
Éduscol propose des activités pour travailler la compréhension des consignes. La première
ressource (1) présente des activités pour le cycle 2 ou 3, comme le repérage des verbes. Dans
les consignes, les verbes sont conjugués à l’impératif et ce n’est pas un mode que les élèves
rencontrent souvent en lecture, ce qui peut représenter un obstacle. On y trouve aussi une
activité qui permet de les faire se questionner sur ce que sont les consignes et, après la
lecture de celles-ci, de déduire les outils dont ils ont besoin pour effectuer l’activité (les
ciseaux, la règle). Les verbes sont des actions que les élèves doivent réaliser et, parfois, il y
en a plusieurs dans la même phrase, « découpe les lettres et remets-les dans l’ordre pour
former un mot », ce qui gêne les élèves, en particulier les élèves « dys », pour planifier leur
tâche. Cette fiche propose une activité concernant la planification, afin de les aider à
identifier l’action 1, puis 2, voire 3.
La deuxième ressource (2) apporte des informations plus précises sur les consignes : ce
qu’elles sont, quels sont les obstacles. Elle renvoie aussi à des ressources didactiques, dont
des séquences entières sur la compréhension des consignes, qui rentrent dans les
programmes de 2016 : pratiquer différentes formes de lecture, lecture fonctionnelle.
En stage, j’avais un cours double en CE1-CE2 et je constatais au début de l’année que les
élèves d’un niveau me dérangeaient pendant que j’étais avec l’autre niveau, pour différentes
raisons : soit ils n’avaient pas compris ce qu’il fallait faire, soit ils avaient fini et me
demandaient ce qu’ils pouvaient faire ensuite. Dans le premier cas, on revient à la
problématique de la consigne, mais pour les aider je l’écrivais au tableau. Dans le deuxième
cas, cela venait du fait que je quantifiais mal la dose de travail à donner pour que leur temps
d’activité coïncide avec la séance que je menais avec l’autre niveau. Le mot d’ordre est de
savoir anticiper. Il faut qu’ils sachent où déposer le travail fini et prévoir des activités
autonomes. Si on anticipe mal, on aura vite l’impression de courir partout et on s’épuise.
Un constat : « Tout se passe comme s’il s’établissait dans chaque groupe, quelle que soit sa
taille, une sorte de lutte pour la prise de parole : il existe des rapports de force dès l’âge le plus
tendre et ce sont déjà les plus entreprenants qui l’emportent, au détriment des plus réservés
[…]. Il s’agit donc de faire en sorte que ces élèves ne monopolisent pas la parole, en agissant
pour rétablir un partage équitable. » (1).
Le projet qui se propose à l’enseignant consiste donc à questionner un équilibre implicite
qui, souvent, structure les interactions orales dans une classe : les meilleurs parlent, alors ce
n’est pas grave si les moins bons se taisent. Questionner cet équilibre pour le rendre
explicite risque de déstabiliser, d’inquiéter même l’enfant qui participe peu. Et de le
stigmatiser.
Si la stigmatisation est « une action ou une parole qui transforme une caractéristique, un
comportement, une déficience, une incapacité ou un handicap d’une personne en une marque
négative ou d’infériorité », elle est, en général, « la conséquence d’une désinformation et de
l’existence de stéréotypes sur un sujet donné (2) ». Le projet se précise donc : ne pas
transformer ces comportements de retrait à l’oral en « marque négative ou d’infériorité » et ce,
en informant et en combattant les stéréotypes. « Ce n’est pas en niant ce problème, sous
couvert de tomber dans la stigmatisation, qu’on les fera avancer et qu’on les aidera […]. Les
élèves en difficulté devraient bénéficier d’un suivi plus spécifique, entre eux, encore une fois,
pas pour les stigmatiser, mais pour les aider à se mettre à niveau. » (3)
Une condition indispensable à la réussite de ce projet : proposer des pédagogies, aides,
outils sur lesquels l’enfant pourra s’appuyer, et qui vont développer chez lui estime de soi et
confiance, assuré qu’il sera de pouvoir se risquer dans un climat bienveillant, qui ne sera ni
compassion, ni complaisance (4). « Il s’agit de traduire en gestes professionnels une qualité
humaine : bien veiller ou veiller au bienêtre, avoir le souci de l’enfant dans toute sa
vulnérabilité. Le jeune enfant est très dép endant des émotions qui le traversent et qu’il ne peut
contrôler seul dans les premières années de sa vie, ses structures et réseaux céréb raux n’étant
pas suffisamment fonctionnels. » (5)
Une proposition pour la classe : mettre en œuvre une « stigmatisation bienveillante » qui va :
établir un diagnostic. Au tableau, deux colonnes : « Je demande souvent la parole quand
le maitre interroge la classe » et « je ne demande presque jamais la parole quand le maitre
interroge la classe ». J’appelle un premier enfant : il se positionne face à la proposition qu’il
a choisie. Les autres élèves disent s’ils sont ou non d’accord avec lui. Je confirme ou
infirme quand les représentations sont fausses. Le tout est repris dans un tableau
récapitulatif ;
proposer des aides. La classe donne ses conseils pour prendre la parole. Je les écris au
tableau sans les censurer ; je réalise plus tard une affiche récapitulative avec les conseils et
La demi-journée choisie est le vendredi matin. Avant de commencer les activités, chacun des
élèves qui habituellement participent peu choisit un des conseils pour essayer de le suivre. À
la fin de la matinée, les élèves qui habituellement participent peu font un bilan : chacun dit
si le conseil lui a été utile ou non. Je colorie la fiche collective en vert, jaune, orange ou
rouge en fonction de la réponse de l’élève. La semaine suivante, chacun pourra réessayer ou
s’essayer à un autre conseil. Chacun peut également exprimer comment s’est passée la
matinée. « C’est bien et c’est amusant de parler », « c’est trop dur de parler tout le temps ! »,
« je trouve que j’ai beaucoup parlé aujourd’hui et puis j’ai fait beaucoup d’efforts », « c’était
amusant, c’est comme un jeu. » Quatre enfants n’ont rien à dire. Je demande aussi à ceux qui
ont eu à se taire de s’exprimer sur comment s’est passée la matinée : « C’est amusant ! »,
« c’est dur ! », « ça nous apprend à laisser les autres parler », « c’est bien, comme ça on n’a
pas besoin de réfléchir. »
JACQUES FRASCHINI
Adjoint école élémentaire
1 Catherine Le Cunff, Patrick Jourdain, Enseigner l’oral à l’école primaire, éditions Hachette Éducation,
2008, p. 22.
2 http://www.toupie.org/Dictionnaire/Stigmatiser.htm
3 http://www.vousnousils.fr/2011/06/06/un-professeur-dresse-son-autoportrait-en-territoire-difficile-507037
4 http://www.gfen.asso.fr/fr/bienveillance_education_jacques_bernardin_ser_2013
5 https://www.ac-reunion.fr/fileadmin/ANNEXES-ACADEMIQUES/02-MISSIONS-ACADEMIQUES/mission-
maternelle/ressources-pedagogiques/Le_programme_en_dix_questions_reponses.pdf
LE BLOG DE L'AUTEUR
www.gestesprofessionnels.com, rubrique : « Quelques projets conçus dans mes
classes ».
La bonne question
YANNICK MÉVEL. Faire participer les élèves en leur posant des
questions : depuis Socrate, c'est le b.a.-ba du métier d'enseignant. Mais
le choix des questions est un exercice difficile : lesquelles seront utiles
pour inciter les élèves à penser plutôt que pour faire avancer le cours ?
Voici une proposition minimaliste.
Il y a bien longtemps, quand j’étais professeur débutant, j’ai assisté à une conférence de
Philippe Meirieu. Je ne me souviens pas du sujet, mais à un moment, il a dit quelque chose
comme « c’est quand même étrange, quand on y pense, la classe est un lieu où celui qui sait
pose des questions dont il connait très bien les réponses à ceux dont il sait qu’ils ne les
connaissent pas ». Je n’ai pas écouté la suite tellement cette évidence m’a renvoyé à mon
expérience. Je me suis dit « mais oui, voilà c’est mon problème, je voudrais faire participer
mes élèves à l’oral, mais je leur pose des questions dont ils ignorent les réponses et qui ne
servent qu’à faire avancer le cours ». Pire, il y avait toujours quelques élèves qui essayaient
de répondre, parfois avec succès, et je prenais cela pour une réussite : ils participent, donc
j’ai posé une bonne question !
Depuis, la question des questions ne m’a pas quitté. J’ai beaucoup lu sur le sujet et j’ai
beaucoup essayé. Par exemple, j’ai très tôt inversé la classe : je commençais par donner le
thème de la leçon : « la monarchie absolue » ou « les transports en France », et je disais
« allez-y, posez vos questions », puis je répondais. En vrac. Après, il fallait trier pour fabriquer
un écrit qui se tienne.
Petit à petit j’ai affiné l’affaire, parce que ça partait dans tous les sens, j’ignorais trop souvent
les réponses, beaucoup de questions n’avaient rien à voir avec ce que j’avais préparé,
certains n’avaient jamais de question. J’ai pris du temps pour leur faire dire leurs questions,
les noter, les classer, les commenter, pour apprendre à poser les bonnes questions.
« Mais monsieur, c’est quoi une bonne question ? — Ah ben ça, tu vois, c’en est une ! Ce sont
des questions qui valent la peine qu’on les pose et qu’on cherche la réponse en cours d’histoire
ou de géographie (ça doit être vrai dans les autres matières aussi, non ?). » Plus tard, c’est le
philosophe Oscar Brénifier (1) qui m’a fait avancer sur le sujet, en définissant la bonne
question selon trois critères que je reformule à ma façon : une bonne question est une
question qui se pose à moi (ou à nous), c’est-à-dire que je voudrais en avoir la réponse ; une
bonne question est une question dont la réponse n’est pas évidente, il ne suffit pas d’ouvrir
le dictionnaire, le livre ou le site correspondant pour savoir et passer à autre chose, parfois
la réponse varie selon le contexte, le lieu, l’époque, selon les personnes, etc.
Il faut mener l’enquête, mais une bonne question est une question dont la recherche de
réponse fait avancer. C’est comme ces mathématiciens qui passent leur vie à chercher à
démontrer une conjecture sans jamais y parvenir tout à fait, mais qui, chemin faisant,
produisent une quantité de savoirs nouveaux qui font avancer la science. Ah d’accord, mais
alors, s’il n’y a que ces questions-là qui vaillent la peine, on n’en aura pas beaucoup et on
devra abandonner bien des choses dans les programmes ?
Pas forcément. Et puis cette définition, c’est plutôt celle d’un beau problème que celle d’une
bonne question.
individuel ou en petits groupes, une question ouverte : « Quel est le problème ? » Je montrais
une image, disons une caricature de de Gaulle en Louis XIV par Moisan : « Quel est le
problème ? » Je faisais lire un texte, disons un manifeste contre l’implantation d’un aéroport
dans une métropole régionale de l’ouest de la France : « Quel est le problème ? » J’annonçais
le titre de la leçon, disons « nourrir les hommes » : « Quel est le problème ? » Assez vite, je
n’avais plus à poser ma question, je leur demandais : « Quelle question vais-je vous poser ? »
« Quel est le problème ? », répondaient-ils en chœur et parfois en soupirant.
Il fallait se mettre d’accord sur un problème.
Mais il fallait aussi s’y tenir. Et ça, c’est moins facile. Tiens, la caricature de de Gaulle, dans
un cours sur la monarchie absolue, Louis XIV et tout ça : « Quel rapport avec le problème ? »
Parfois, l’un d’entre eux dérivait, « quel rapport avec le problème ? », et même quand le
rapport était tellement évident, ça oblige à argumenter. Et les questions du genre « c’est qui le
bonhomme avec un gros nez sur l’image ? » ne sont autorisées qu’à condition qu’elles soient
passées au crible du rapport avec le problème. On peut dire que ça ralentit l’avancée du
cours. Dans L’école pour apprendre (2), Jean-Pierre Astolfi parle du questionnement dans les
classes en évoquant des décomptes de questions posées par les professeurs : ça va jusqu’à
250 questions à l’heure ! Un TGV ! Alors oui, ralentissons.
Oscar Brenifier, encore lui, m’a inspiré une troisième question devenue incontournable :
« Pareil ou pas pareil ? » : le tableau de Louis XIV en habit de sacre de Hyacinthe Rigault et la
caricature de de Gaulle : « Pareil ou pas pareil ? » ; la photographie d’un paysage rural en
Bretagne (village dispersé et bocage) et celle d’un autre paysage rural en Beauce (village
groupé et openfield) : « Pareil ou pas pareil ? » ; ce que vient de dire Yacine pour proposer
un « beau problème » et ce que vient de dire Charlotte pour en proposer un autre : « Pareil ou
pas pareil ? » Là aussi, il faut argumenter.
Alors, la quatrième question s’est imposée : « Comment tu le sais ? » Comment tu le sais que
le type à gros nez c’est de Gaulle ? Comment tu le sais que les partisans de l’aéroport
privilégient l’échelle de l’intégration mondiale alors que leurs adversaires privilégient celle
de l’intégration locale ?
Et pour finir, c’est vraiment à la fin qu’elle vient celle-là : « Comment ça s’appelle ? » Ce qui
est pareil entre les deux paysages, « comment ça s’appelle ? » ; ce qui réunit à travers les
siècles la représentation de Louis XIV et celle de de Gaulle, « comment ça s’appelle ? ». Mais
les élèves peuvent rarement répondre à cette question-là. C’est pourquoi ils doivent
apprendre à la poser au professeur. Nous revoilà à mon point de départ.
Du coup, elles forment une sorte de méthode de réflexion qui fait travailler des modes de
pensée variés, comme un couteau suisse dont le nombre de lames est limité, mais qui
remplace tous les outils sophistiqués.
YANNICK MÉVEL
Enseignant d’histoire-géographie-EMC, ESPE Lille-Nord de France
« Durant un travail de groupes, les élèves en profitent pour bavarder », « tous les élèves d’un
groupe ne travaillent pas », « le travail de groupes, c’est chronophage ! », « j’ai essayé une fois
de les faire travailler en groupes, un fiasco ! » Ces réflexions de salle des professeurs
interpellent celles et ceux qui souhaiteraient mettre en place ce choix pédagogique. Pourtant,
il ne s’agit plus d’interroger sa faisabilité, car cette technique participe pleinement au conflit
sociocognitif et, de ce fait, facilite les apprentissages des élèves. Or, d’aucuns pensent que le
choix de la technique est une finalité, alors qu’il est le point de départ de toute une réflexion.
Travailler en groupes est un apprentissage. Loin d’être naturel, il est à interroger au regard
du profil de la classe et des habitudes éducatives. Les élèves ont-ils déjà travaillé en groupes
avec l’enseignant ? Les collègues utilisent-ils les groupes avec cette classe dans leurs
enseignements ? Des règles sont-elles mises en place pour en favoriser l’apprentissage ? Il est
important de poser un cadre clair, de garder en tête la progressivité des apprentissages, de
fixer un cadre des règles et des rituels, garants d’efficacité. La perte de temps relevée par
certains ne prend pas en compte l’efficience des apprentissages : plus les élèves travaillent
en groupes, plus ils intègrent les règles et les rituels. Les savoirs, savoir-faire, savoir être
sont plus rapidement assimilées par les élèves quand elles sont au cœur des échanges.
représentant, arbitre. Enfin, le passage de l’enseignant dans chaque groupe est le garant de
l’apprentissage de tous et des remédiations. Il est primordial de faire de son rôle un facteur
de réussite.
Tableau 1
Groupe homogène (de Individualisation et Stigmatisation si des élèves sont régulièrement dans
niveau) remédiation des groupes faibles
Élèves rassurés au sein de
chaque groupe
Groupe par affinité Confiance au sein du groupe Difficulté de rester concentrer sur le travail
Travail sur des notions
complexes
Groupe de tuteurs non Entraide Le tuteur peut faire à la place et non accompagner
imposés Motivation
Groupe tiré au sort Comme tout jeu de hasard, on peut parfois gagner !
Tableau 2
Cap Pacap
Dac Élève confiant et motivé : moteur de groupe Élève motivé : moteur de groupe
Un élève au minimum par groupe
Padac Élève à motiver, possible frein à la réussite Élève à motiver, possible frein à la réussite
Un élève au maximum par groupe
Enseignant durant près de dix ans dans un établissement agricole privé, je reprendrai, pour
conclure, une réflexion d’un élève de première année de bac professionnel agricole, lors
d’une rédaction faite en groupe d’affinité : « Je n’ai même pas vu que l’on avait écrit trois
pages ! » La plus-value de ce travail en groupes : écrire est un plaisir !
DAMIEN BLANCHARD
Formateur à l'IFEAP (Institut de formation de l'enseignement agricole privé), Angers
Problèmes ouverts et
travail en groupe
DELPHINE MAUGENEST. Travail de groupe et tâche complexe : combiner
ces deux approches sera certainement très profitable. Mais quel défi
quand on débute ! L'exemple est pris en maths et au lycée, les pistes de
travail sont aisément transposables à d'autres contextes.
Un travail de groupe ? Ouh là là. Il faut réorganiser la salle, on ne contrôle plus la classe, il
est très difficile de reprendre la main, un seul travaille, au mieux les autres écoutent, mais
souvent ils parlent de tout autre chose, le niveau sonore monte, le collègue dans la salle à
côté se plaint. Bref, on a le sentiment de ne plus gérer sa classe.
Un problème ouvert ? Ouh là là. Ils ne vont pas savoir démarrer, il va y avoir trop de
procédures, je ne saurai pas quoi en faire, je ne les comprendrai peut-être pas. Et avec tout
ceci, je perdrai du temps et ne pourrai pas finir mon programme.
Pourtant, ce mode de travail et ce type de tâche présentent de nombreux avantages : le
travail de groupe est le moyen idéal pour différencier. Il permet aux plus timides de
s’exprimer, il permet de travailler de nombreuses compétences disciplinaires et
pluridisciplinaires comme communiquer, raisonner. Il développe l’esprit critique, il permet
de varier les modalités d’organisation et donc de mobiliser les élèves à des heures où il
serait parfois difficile d’obtenir une implication dans une organisation frontale.
Ensuite, le problème ouvert est un moyen efficace pour développer la prise d’initiative chez
les élèves, lutter contre les copies blanches, valoriser certains élèves peu efficaces sur des
contenus très théoriques, mais qui révèleront qu’ils ont très bien compris les concepts et
savent les mettre en pratique. Enfin, ils ne font pas nécessairement perdre du temps : ils
peuvent être pratiqués en anticipation sur une notion, sur l’heure de cours après deux heures
d’EPS où, de toute façon, les élèves n’auraient pas été très productifs, sur l’heure du
vendredi de 16 h à 17 h avant les vacances. Enfin, chacun pourra trouver son petit créneau.
Alors comment faire ? Voici quelques pistes.
AVANT LA SÉANCE
Le choix du problème est tout d’abord très important : il doit permettre à chaque élève de
s’engager, y compris celui qui a le moins de connaissances. Il doit pouvoir se résoudre avec
différentes méthodes : des méthodes expertes qui vont solliciter théorèmes, calculs, mais
aussi d’autres : tâtonnements, approximations, utilisation de logiciels.
Par exemple, en mathématiques, en classe de 2 de, longtemps après avoir étudié le second
degré et à l’approche des vacances, je leur ai demandé de jouer le rôle du moniteur de
colonie de vacances qui souhaite délimiter une zone de baignade rectangulaire à l’aide d’une
corde et de deux bouées flottantes, de telle sorte que l’aire de la zone de baignade soit
maximum pour permettre aux enfants de s’amuser pleinement.
Vient la constitution des groupes, qui va dépendre de nombreux paramètres : les contraintes
dues au nombre d’élèves, aux dimensions de la salle, qui feront parfois privilégier des
groupes de proximité sans bouger les tables. Les élèves se contenteront de se retourner. Si la
salle est plus grande, on pourra réorganiser les tables en ilots ; les objectifs pédagogiques :
les groupes pourront être homogènes ou hétérogènes et varier suivant la nature des
compétences travaillées.
Dans le cas de cette classe de 2de, ils sont trente-cinq et la salle est petite. J’ai privilégié des
groupes de proximité (globalement homogènes). Puis on organise le travail de groupe.
Certains rôles pourront être confiés si le besoin se fait sentir : le scribe, le rapporteur, le
maitre du temps, le garant de la bonne répartition de la parole. Les rôles de scribe et de
rapporteur pourront être distribués à des élèves plus en difficulté, qui auront alors besoin de
leurs camarades pour avancer et pour comprendre. Pendant ce temps, les élèves plus à l’aise
approfondiront leurs connaissances en étant confrontés aux questions de leurs camarades et
en étant obligés de réexpliciter les notions avec leurs propres mots.
RESTITUTION DU TRAVAIL
À la fin de l’heure, on organise un débat où chaque groupe va présenter très rapidement son
raisonnement. Ceci sera discuté collectivement. Le professeur demande aux autres groupes
de valider ou non ce qui est présenté par le rapporteur en argumentant. Un vrai débat
s’installe et sollicite l’esprit critique, le tout avec le respect de chacun. Une occasion
supplémentaire de le mettre en pratique.
Par exemple, certains groupes ont présenté leurs essais (ils s’étaient limités à cela), d’autres
ont regroupé leurs résultats dans un tableau de valeurs et l’ont interprété, d’autres ont
exhibé une fonction et ont utilisé sa représentation graphique obtenue sur la calculatrice,
d’autres ont étudié la fonction avec le cours de manière à exhiber le maximum. C’est
l’avantage aussi d’avoir une classe nombreuse ! Puis, on peut demander une production
individuelle (compte rendu) ou de groupe (affiche, diaporama).
Le principal changement et le plus difficile à opérer est surement dans la posture de
l’enseignant : il n’est plus expert, comme il peut l’être dans un cours magistral, il ne détient
plus la solution, mais il s’efface pour devenir animateur des débats et des échanges. Il peut
renvoyer les questions d’un membre du groupe aux autres membres. Par exemple,
« madame, c’est bien P = (L + l) x 2, la formule ? » Naturellement, le plus possible, on peut
faire l’innocent et demander aux camarades : « Je ne sais pas du tout, vous en pensez quoi,
vous autres ? » (ceci avant de reprendre ce sujet en classe entière).
Le visage et les expressions de l’enseignant devront demeurer neutres, pour laisser les
élèves avancer en autonomie et ne pas se contenter de deviner les intentions du professeur
en lisant ses réactions. « Ah, le professeur sourit et hoche la tête, alors je dois avoir raison et je
vais pouvoir imposer mon point de vue à mes camarades de groupe » ou « il grimace… je me
suis trompé, passons à autre chose. »
Lors du premier travail de groupe, tout ne fonctionnera peut-être pas parfaitement. Il faut
prendre le temps, s’habituer. Les élèves aussi ont besoin de s’habituer. Peu à peu, ce mode
de travail s’installera et deviendra efficace.
DELPHINE MAUGENEST
Professeure de mathématiques au lycée Angellier de Dunkerque
Mener un projet : un
démarrage formateur
LAURA SOUDY-QUAZUGUEL. Loin d'être incompatible avec l’entrée dans
le métier, le projet est un levier d’apprentissage et une source
d’expériences diverses tant pour les élèves que pour l’enseignant.
QUELS DISPOSITIFS ?
Le recours à des dispositifs existants s’avère rassurant, car c’est un très bon moyen d’être
guidé dans l’élaboration du projet et accompagné dans sa réalisation. Sans prétendre
aucunement à l’exhaustivité, voici plusieurs exemples.
Si l’on souhaite élaborer un projet assez court dans le temps, autour d’une sortie ou d’une
rencontre, il ne faut pas hésiter à contacter les services dédiés au public scolaire qu’il s’agisse
de musées, de salles de spectacles, de festivals, d’associations ou de compagnies. En effet,
dans le cadre d’un projet autour d’une exposition, par exemple, ces services proposent
généralement de réaliser des visites guidées, thématiques et interactives, parfois avec des
ateliers de pratique, ou bien d’accompagner les enseignants dans l’élaboration de leur
propre visite. Si un projet se construit autour d’un spectacle, il peut s’articuler autour d’un
temps de rencontre ou d’un temps de pratique avec l’un des artistes. Dans le cas d’un travail
plus spécifique de lecture ou d’écriture, la Maison des écrivains et de la littérature peut aider
à réaliser la rencontre avec un écrivain, c’est aussi l’occasion de se rendre à la bibliothèque
de proximité et de travailler avec le professeur documentaliste. Il est également possible de
mener un projet sur la presse, dans le cadre ou non de la semaine qui lui est dédiée, avec
des associations de journalistes, par exemple Omar Le-Chéri (1).
Parmi les dispositifs donnant lieu à des projets plus conséquents dans le temps,
mentionnons Collège au cinéma qui propose un accompagnement des enseignants d’une
part, lors de quelques jours de formation avec visionnage des trois ou quatre films au
programme et éclairage théorique et technique sur chaque film, et, d’autre part, à travers la
transmission de documents pédagogiques pour permettre de préparer chaque séance. Les
rectorats proposent de leur côté des ateliers artistiques, mais aussi scientifiques et
techniques, des classes dites à PAC (projet artistique et culturel), des classes de découvertes
et des résidences d’artistes (2). Au sein de l’académie de Créteil, le conseil départemental de
la Seine-Saint-Denis permet la réalisation de projets d’envergure à travers les dispositifs
Culture et art au collège (CAC) et In-situ. De manière générale, dans ces différents types de
démarche, la mise en place du projet réside dans la collaboration d’une classe et de son ou
ses enseignants avec une structure culturelle et un artiste.
Tout projet a un cout, c’est la raison pour laquelle il est nécessaire d’aborder rapidement la
question avec le chef d’établissement et le gestionnaire. Les dispositifs proposés par les
rectorats et les conseils départementaux sont accompagnés d’un financement, mais
répondent à un calendrier précis pour lequel il est nécessaire de se renseigner.
QUELQUES CONSEILS
Parce que la dynamique de projet sort du cadre connu des cours, il est important d’expliquer
aux élèves les enjeux du projet, de préciser dans quel cadre du programme il s’inscrit, ses
actions et son calendrier (on peut le distribuer ou le faire apparaitre dans la classe). Il est
également nécessaire de présenter le ou les intervenants extérieurs, les structures
partenaires, et d’indiquer que le projet en question a nécessité une ou plusieurs demandes
de subventions. Tout cela permet aux élèves de réaliser qu’un projet se construit dans le
temps, qu’il est le fruit d’un investissement partagé, qu’il a un cout. L’idéal, lorsque l’on
monte un projet avec un ou plusieurs collègues, est que le temps de présentation auprès des
élèves puisse se faire avec les enseignants concernés.
Si tout projet est chronophage, tant dans sa préparation que dans sa réalisation, c’est parce
qu’il a une dynamique plurielle et dense. À vouloir sauter des étapes pour gagner du temps,
il n’est pas rare que l’on en perde par la suite. C’est pourquoi, prendre le temps de préparer
la sortie, en précisant sa nature, son but, ses thèmes et ce à quoi il faudra être attentif, c’est
gagner un temps précieux le moment venu et sur la suite.
Par ailleurs, l’intérêt d’un projet est généralement qu’à l’échelle de la classe, il permet le
travail à plusieurs. C’est l’apprentissage du collectif et de l’autonomie par les élèves qui est
alors en jeu. Or, chacun sait combien cela peut être difficile mais précieux.
Enfin, à l’issue du projet, le temps d’un retour réflexif des élèves sur l’expérience vécue est
essentiel, car si cette étape du bilan a pour but de mettre un point final à une aventure, elle
est aussi le moment de réaliser tout ce qui a été accompli, découvert, appris, et d’ouvrir sur
des envies ou perspectives nouvelles. Il nous semble judicieux de commencer par un bilan
personnel à l’écrit (par exemple, sous la forme d’un questionnaire (3)) avant de partager les
différents retours à l’oral, afin que chaque élève prenne le temps de s’arrêter sur son propre
chemin.
Si cet éclairage prend appui sur des expériences personnelles, précisément dans le domaine
de la culture littéraire et artistique, il va de soi qu’une démarche similaire peut s’inscrire
dans l’acquisition d’une culture scientifique, technologique ou sportive, mais aussi dans le
cadre du parcours avenir.
LAURA SOUDY-QUAZUGUEL
Professeure de français au collège Romain-Rolland à Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), spécialiste des
liens entre littérature et danse contemporaine
1 http://www.omarlecheri.net/
2 http://www.education.arts.culture.fr/n-1/action-culturelle/dispositifs-generaux/classes-de-
decouvertes.html
3 Voici un autre exemple concret d’un projet mené l’an dernier : les ressentis personnels des élèves
apparaissent sur le blog de la classe danse 2015-2016,
https://omarlechericlichysousbois.wordpress.com/2016/03/24/nos-ressentis-lors-du-stage-au-cnd/
4. S'informer et se former
NéoPass@ction, un
outil pour
l’autoformation ?
PATRICK PICARD. Quels enseignements peut-on tirer de l’apport et des
limites de NéoPass@action, sept ans après ses premières utilisations ?
Lorsque le premier thème de NéoPass a été publié (« Entrer en classe ») en septembre 2010,
après plusieurs années de travail de conception dans le cadre de l’INRP (Institut national de
recherche pédagogique, devenu IFÉ, Institut français de l’éducation) (1), il avait tout pour
susciter la controverse. Certains y virent le cheval de Troie de la politique du gouvernement
de l’époque, réduisant la formation des enseignants pour la remplacer par une formation à
distance. On confondit même parfois NéoPass@ction et la très ministérielle
ressource « Tenue de classe » publiée à la même période. D’autres, à l’inverse, y virent le
support d’autoformations qui allaient faire éclore mille fleurs dans des établissements
formateurs autonomes. Sans revenir sur ces caricatures, on peut aujourd’hui souligner
l’intérêt de l’outil, qui ne se limite pas à la formation des débutants.
Une des spécificités de NéoPass est de donner à voir des pratiques ordinaires, balbutiantes,
contestables, et d’aider formateurs et formés à comprendre pourquoi les professionnels font
ce qu’ils font, d’en comprendre les raisons plutôt que de juger de leur pertinence, dans une
volonté de comprendre pour pouvoir transformer. Ce choix est évidemment discutable : il
peut tout aussi bien être utile de montrer des vidéos de bonnes pratiques. Or, à l’usage, les
formateurs constatent que le fait d’oser montrer des pratiques balbutiantes est rassurant pour
les formés : on ne montre pas des professionnels en difficulté, mais on cherche à
comprendre pourquoi le métier est difficile. On comprend ainsi qu’évaluer des élèves, les
aider à apprendre, leur faire acquérir des savoirs sont évidemment des problèmes que
rencontrent les débutants, mais aussi des questions qui se posent toujours dans le métier,
même aux plus expérimentés.
autonome, n’est pas en soi formatrice, ni même toujours utilisable. Il n’est pas simple de
connaitre tout ce que propose la plateforme (plus de 1 200 vidéos), et on risque de s’y perdre
dans une navigation hasardeuse. De plus, si certains thèmes sont relativement linéaires (« six
manières d’entrer en classe au collège »), d’autres sont plus complexes. Le thème « faire
parler les élèves » contient plusieurs situations qui ont chacune leurs spécificités (« réagir aux
réponses inattendues », « afficher les productions » pour une mise en commun, « faire
débattre les élèves », etc.).
Il faut donc prendre le temps de découvrir chaque thématique, explorer les vidéos et les
textes en comprenant progressivement comment les différents extraits choisis se renforcent,
se complètent ou, au contraire, remettent en cause ce qu’on pensait indiscutable.
Nous avons donc progressivement fait le choix de proposer, sur le site NéoPass@ction ou
sur le site du centre Alain-Savary, des parcours de formation qui permettent aux formateurs
de suivre une proposition de séquence de formation, sans forcément avoir à investir toute la
plateforme.
Benji : J’ai découvert Twitter alors que j’effectuais un stage on ne peut plus ennuyeux au
service web d’un grand quotidien national. Durant ma formation universitaire, j’ai continué
à y aller. J’ai suivi les comptes en fonction de mes passions : sports, cinéma, etc. J’y ai
ajouté petit à petit des comptes de professeurs et aussi de personnes qui, comme moi,
préparaient le Capes (certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement du second degré).
Une fois le concours en poche, on vit les premiers moments de stress.
Catherine : Moi, c’est en 2014 que j’ai découvert Twitter, sur les conseils et avec l’aide
d’amies professeures qui m’ont expliqué ce qu’elles en retiraient professionnellement et qui
ont partagé leurs contacts. Benji est apparu au bout de quelques mois, il échangeait avec des
professeurs que je suivais. Il était direct et posait des questions pertinentes. Sa demande sur
quelle chemise choisir pour débuter a fait tilt. Il obtenait des réponses. C’était drôle et
éclairant sur les questions qu’on se pose lorsqu’on passe d’étudiant à professeur.
B. : Lors des débuts dans le métier, Twitter agit comme un véritable sas de décompression
face aux premières incompréhensions, dès la prérentrée. Certains tweets nous rassurent,
d’autres se montrent dépités face à l’accueil réservé aux stagiaires. Je me souviens encore du
moment où je suis arrivé la première fois dans l’amphi. Une feuille était posée à chaque
place, au dos un texte à trous sur la déontologie, ridicule. J’ai transmis ce texte à une
professeure qui avait de nombreux followers (1). Il a obtenu plus de 100 retweets.
C. : J’ai eu l’idée de suivre en direct tes questionnements, tes tâtonnements pendant ton
année de stage, et de publier directement quelques échanges sur le site des Cahiers
pédagogiques. Tu as gentiment accepté. C’était courageux, car tu ne savais pas ce que j’allais
retenir ni ce que tu allais avoir envie de dire à l’avance.
B. : Viennent les interrogations sur le premier contact avec les élèves : comment faire,
comment gérer son stress, quelle posture adopter ? On reçoit des réponses variées : entre
humour, « ne les tape pas », et réponses plus sérieuses, « précise tes méthodes d’éval (2) ». Le
débat est assez vif et les avis divergent, notamment sur le fait de sourire ou non devant les
élèves. On m’a aussi conseillé de ne pas faire de discours trop longs. De mettre très vite les
élèves au travail lors de cette séance.
C. : Je dois avouer que tu t’es montré très prudent pendant ton année de stage, ce que je
comprends, car il ne fallait pas que ces échanges te desservent. Tu t’es autocensuré et j’ai dû
également le faire. C’était moins vivant, moins spontané que les échanges précédents, mais
l’enjeu était de taille : la titularisation. De plus, on arrivait dans une période très dure, autour
de la réforme des collèges, où les pro- et antiréforme se sont écharpés sur Twitter.
B. : C’est vrai, à un moment, la tension était palpable sur Twitter. Chaque jour avait sa
nouvelle polémique. Le débat sur la réforme mettait une tension incroyable, chaque tweet
pouvait être utilisé et créer des échanges pas toujours cordiaux, il fallait faire très attention.
Ça n’a pas été le moment le plus agréable. Mais au final, Twitter sert énormément : pour
l’humour, pour les premières interrogations de professeur un peu perdu, mais aussi lors des
moments plus dramatiques comme lors des attentats : « Demain, je dois prendre une heure
pour parler avec une classe des attentats ? Des idées ? Je pensais partir de leurs questions »,
« pars de leurs questions. Si pas de questions, perso je fais cours normalement mais à toi de
voir », « tu peux leur faire écrire sur des petits papiers, tu fais un bout de cours, puis tu reviens
sur les questions écrites », ou bien on me passe des liens ressources pour m’aider (3).
Twitter, c’est aussi l’occasion de discuter des cours, de les échanger pour voir ce que l’on
peut améliorer. Cela fait un avis extérieur, avec quelqu’un qui aura du recul sur la séance.
Dès que l’on a une interrogation pédagogique, un professeur est là pour nous aiguiller,
répondre à nos interrogations ou nous renvoyer vers un lien académique.
C. : Voilà, c’est ça pour moi aussi, Twitter. Des échanges, un lieu pour poser ses questions
ou réfléchir avec d’autres. C’est instantané, vivant et très instructif, au bout du compte. La
meilleure des formations continues ! Et puis, on ne se connait pas vraiment, mais on se
taquine. À se suivre virtuellement, on en arrive à se connaitre un peu, parce que nos
échanges sont sur la longue durée, parfois plus sincères que ceux qu’on a avec des gens
qu’on côtoie dans la vraie vie. J’admire la façon dont tu tires parti des conseils. Tu apprends
vite, tu varies tes séances et on te sent déjà à l’aise avec le métier.
B. : Merci beaucoup. Comme j’ai été muté dans une région qui n’était pas la mienne, j’ai
passé beaucoup de temps sur Twitter pour avoir des conseils. Et petit à petit, on en vient à
parler de plein de choses. C’est aussi le moyen de rigoler, de se taquiner ou de faire partager
des expériences inédites. Mon tweet qui a eu le plus de succès n’est d’ailleurs pas en rapport
avec la pédagogie, mais plutôt la vidéo d’un Anglais nu dans les rues d’Arras pendant l’Euro
de foot. Twitter et ses mystères…
CATHERINE ROSSIGNOL
Professeure d'histoire-géographie en Ile-de-France
BENJI
Professeur d'histoire-géographie dans l'académie de Versailles
SynLab, un collectif au
service de l’entrée dans
le métier
JOYCE WEIL, NATHALIE DREYFUS. Présentation de deux ressources en
ligne développées par l'association SynLab, ÊtreProf et Parcours
connectés, et destinées à accompagner les enseignants débutants.
La première prise de fonction est un moment crucial et parfois compliqué. Selon l’enquête
internationale sur l’enseignement et l’apprentissage (Talis) menée par l’OCDE (Organisation
de coopération et de développement économiques), « les enseignants en France sont ceux qui
se sentent le moins préparés sur le plan de la pédagogie ou des pratiques de classe pour la ou
les matières qu’ils enseignent » (1), preuve s’il en est que les premières années de métier
peuvent être ressenties comme ardues.
On ne peut certes pas en gommer toutes les difficultés, enlever la responsabilité importante
qui leur incombe dans l’accueil des élèves, la préparation des cours, la relation avec les
collègues, l’institution et les parents. Cependant, on peut imaginer des outils qui
permettraient de vivre au mieux tout cela, afin de faire de la communauté enseignante une
communauté de professionnels outillés, travaillant en collaboration, œuvrant pour la réussite
scolaire et humaine des élèves.
Un idéal, pensez-vous ? Pour tenter de s’en approcher, humblement, deux propositions en
cette rentrée : une numérique et globale, ÊtreProf, et une hybride et locale, Parcours
connectés. Portés par une communauté d’enseignants, l’académie de Créteil et l’association
SynLab, ces deux projets ont pour objectif de faciliter l’entrée dans le métier des enseignants.
Commençons par le plus gros : ÊtreProf. C’est un site créé par des enseignants, pour des
enseignants. Une exigence donc de pertinence et de cohérence avec le quotidien de tout
professeur, du primaire ou du secondaire, car tous partagent le même métier, avec des
spécificités, certes, mais non des concurrences. Il s’agit donc de trouver un langage commun
pour créer des passerelles, de la maternelle au lycée.
marchent, et ouvrir les portes des classes. La mise en place d’un système de tutorat souhaite
aussi répondre à la demande des jeunes enseignants en recherche de repères et d’aide pour
construire leur première rentrée, leurs premiers gestes professionnels.
Sur ÊtreProf, l’échange est donc une priorité : des live pour interagir, apprendre, questionner,
des forums, des tutorats, etc. Un espace conçu pour que chacun se sente en sécurité,
ensemble. Parce qu’échanger, c’est apprendre au sein de sa propre communauté.
Enfin, pour se développer professionnellement, ÊtreProf propose aux enseignants de piloter
eux-mêmes l’évolution de leurs pratiques professionnelles, grâce à un test de
positionnement pour identifier ses gestes professionnels et évaluer ses forces. Une possibilité
donc de se construire un parcours à sa hauteur.
LIMITES ET DIFFICULTÉS
Voilà donc la proposition d’ÊtreProf, une proposition qui se veut actuelle, innovante et
conviviale. Une proposition qui comporte, comme tout projet, ses limites et ses difficultés
que l’équipe pluridisciplinaire essaye de dépasser. Par exemple, comment engager une
communauté forte d’enseignants et proposer un accompagnement à ceux qui débutent ?
Dans un emploi du temps souvent chargé, comment s’engager en plus dans le tutorat ? Le
but : faire de cet échange une richesse pour chacun.
Une proposition de départ donc, qui évoluera en fonction de ceux qui font le site, à savoir
les enseignants ! L’objectif est avant tout de leur faciliter la vie et de résoudre ensemble les
situations qui peuvent être problématiques.
C’est une dynamique similaire mais beaucoup plus locale qui anime le projet Parcours
connectés, expérimenté sur l’académie de Créteil. Toujours dans l’optique de rendre la plus
sereine possible l’entrée dans le métier et de limiter le sentiment d’inconfort qui peut parfois
survenir, le projet a pour objectif de tester un accompagnement des nouveaux professeurs
des écoles de façon continue sur trois ans, de la dernière année de formation initiale à la
deuxième année de titularisation.
concluant, et surtout utile pour les enseignants et les élèves, il sera peut-être étendu à
d’autres académies. En attendant, tous les nouveaux enseignants peuvent rejoindre la
communauté ÊtreProf !
NATHALIE DREYFUS
Enseignante et responsable du contenu primaire sur ÊtreProf
JOYCE WEIL
Chargée de projet
Toutes deux sont membres de l’association SynLab
EN COMPLÉMENT
Numérique éducatif :
pour un
développement
professionnel
participatif et réflexif
RÉGIS FORGIONE, FABIEN HOBART.
Les récents mouvements de protestation des coursiers d’une startup de livraison de repas et
la mise à l’écart forcée du patron d’une très controversée société de voitures de transport
avec chauffeur marquent-ils la fin des illusions de ce que l’on a appelé l’ « ubérisation » (1) de
la société ?
Par ce néologisme on décrit habituellement, par-delà « les gains financiers importants liés à
l’évitement des contraintes règlementaires et législatives de la concurrence classique », des
caractéristiques comme « la quasi-instantanéité, la mutualisation de ressources, la faible part
d’infrastructure lourde [...] ainsi que la maitrise des outils numériques » (2).
Alors que s’expriment des inquiétudes sur une ubérisation de l’éducation, la quasi-
instantanéité, la mutualisation et l’agilité qu’autorisent les solutions numériques dans le
champ de la formation professionnelle des enseignants semblent davantage s’incarner dans
la figure de praticiens et de collectifs d’enseignants VTC (veilleurs technopédagogues
contributeurs). Jeunes collègues fraichement débarqués, installez-vous confortablement.
Voici le témoignage de l’un de ces VTC, imaginé mais pas fictif, parce que rejoignant
l’expérience de nombre d’entre eux.
V COMME VEILLEUR
Pour tout dire, ça a plutôt été un concours de circonstances. Comme la plupart des gens,
j’utilisais les réseaux sociaux. J’ai découvert que de nombreux acteurs du monde éducatif
avaient investi ces canaux de diffusion : des institutions, des médias spécialisés, des
associations, des éditeurs, des industriels. Rapidement, en m’abonnant à quelques-uns de
ces comptes, principalement sur Twitter, j’ai découvert que de nombreux praticiens comme
moi ouvraient grand les portes de leur classe et donnaient à voir leurs pratiques. J’y ai lu
aussi des propos choquants sur l’école, les élèves, les familles, les politiques. J’ai donc
choisi de me construire, dans un premier temps, une bulle filtrante en même temps qu’une
identité numérique adaptée à cette nouvelle présence en ligne. Progressivement, je réalisais
que je prenais en main un nouvel outil au service de mon développement et de mes
aspirations professionnels.
Après l’excitation et l’enthousiasme des premiers temps face à cette ruche informationnelle,
il m’a fallu structurer et organiser les informations pour éviter l’ « infobésité ». Une chance,
mes pérégrinations numériques ne m’avaient pas seulement permis de découvrir de
nouvelles propositions pédagogiques, mais également des publications scientifiques ou
institutionnelles sur l’école.
J’ai même transféré l’usage de certaines de ces solutions dans ma classe, découvrant ainsi le
détournement et l’adaptation de solutions domestiques pour un usage pédagogique. Si les
premières semaines avaient été couteuses en temps, je me suis rapidement aperçu que
j’avais gagné en efficacité pour mes élèves.
La sélection et l’appropriation de ces solutions ne se sont pourtant pas faites sans mal. Les
présentations dithyrambiques de certaines solutions occultent la nécessaire prise en compte
du contexte d’utilisation, comme le type d’appareil utilisé (ordinateur de fond de classe,
appareil mobile, tableau numérique interactif), le système d’exploitation et les magasins
d’applications utilisables avec ces mêmes appareils, les restrictions d’accès à des sites par la
mairie ou de l’établissement, l’accueil réservé par la hiérarchie à l’intégration pédagogique
de ces solutions et surtout, surtout, la qualité d’une connexion internet dont on est très
largement tributaire.
T COMME TECHNOPÉDAGOGUE ?
En fait, tout n’est pas si idyllique et épanouissant. D’abord le sentiment d’isolement né des
regards, au mieux curieux, au pire dédaigneux des collègues dans mon quotidien, loin des
réseaux. Mais comment leur en vouloir ? Des injonctions à utiliser le numérique dans la
classe à la surcouche de complexité que peut entrainer un matériel nouveau, avec cette
fâcheuse tendance de ne jamais fonctionner lorsqu’on le souhaite, il y a de quoi se
décourager ! L’outil, la solution, chaque fois plus magique, menaçant de reléguer les
préoccupations didactiques au second plan.
D’ailleurs, de nombreuses voix se sont, à juste titre, élevées contre les méfaits du
technoenthousiasme et de ses dérives. Parallèlement à des dispositifs pédagogiques qui
intégraient les résultats de la recherche (didactique, psychologie cognitive, sciences de
l’apprendre), on a vu émerger une batterie d’activités, attractives certes, mais relevant le plus
souvent du pur gadget ludicotechnologique.
Comment séparer le bon grain de l’ivraie ? Tout d’abord, comme pour n’importe quel travail
de recherche, je me suis fié aux figures d’autorité et aux résultats consensuels après avoir
réalisé un état de l’art : des balises, des comptes d’utilisateurs, des portails et des espaces de
ressources institutionnels, qui renvoient à des initiatives praticiennes comme à des études,
des rapports produits par des laboratoires, des chercheurs, des acteurs de l’éducation
reconnus.
Les références didactiques qui sous-tendent les propositions pédagogiques, le cas échéant,
m’ont permis de ne pas me cantonner à l’adoption de solutions numériques et de
scénarisations parfois clés en main pour développer une réflexion personnelle et critique, me
permettant d’interpeller directement les concepteurs. Je construis et renforce de la sorte ma
posture d’enseignant réflexif.
Enfin, je me suis laissé conduire, non sans circonspection, par une approche plus
darwinienne. Les propositions les plus anciennes qui avaient emporté le plus de suffrages,
celles qui avaient subi le plus de mutations du fait de la mise en branle d’une intelligence
collective en action retenaient toute mon attention.
Ces propositions avaient pour dénominateur commun d’offrir des espaces de ressources
transmédias documentés, portant les traces de leurs différentes évolutions apportées dans
une dynamique participative : site internet, chaine de streaming, contributions par les pairs,
tweetchats, webinaires (3), infographies, etc.
Le réseau est donc à la fois le mal et le remède. Les relations directes qui se tissent entre
praticiens et chercheurs facilitent la déconstruction méthodique des mythes du numérique
éducatif, et, avec elle, de l’innovation pédagogique débridée. Plus ambitieuses encore, ces
alliances entre collectifs enseignants et universitaires pour former les praticiens à l’analyse
critique de ces mêmes dispositifs et activités. Ainsi le praticien augmenté devient enseignant
réflexif, pédagogue chercheur. La réflexivité est bien replacée au cœur de ses préoccupations,
la chose numérique reprenant la place qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’occuper : celle
d’outil et non d’objet.
C COMME CONSTRUCTEUR
Comme il existe un devoir de réserve, il existe un devoir de construction. M’est avis que si
vous souhaitez rejoindre cette République des faiseux dans une refondation qui se joue
d’abord au cœur de chaque école et établissement, une règle s’impose : jetez-vous à l’eau et
partagez !
Partagez vos interrogations, les obstacles, les réussites perçues pour en faire des communs
qui constitueront autant d’objets de réflexion pour une intelligence collective qui n’existe pas
de fait mais qu’il faudra mobiliser, structurer et coordonner. Le dispositif, l’activité,
l’hypothèse de réponse originale que vous saurez faire émerger, entouré d’experts à
l’humilité du profane (et non l’inverse), l’espace de réflexivité et la dynamique collective qui
s’en dégageront, c’est peut-être ça la plus-value d’une écoformation qui doit être davantage
une coformation par des acteurs issus d’univers professionnels différents et
complémentaires. Dernier conseil, donc, dans cette aventure : méfiez-vous du désir du
même !
RÉGIS FORGIONE
Professeur des écoles, podcasteur, concepteur du dispositif et cofondateur association Twictée,
animateur de communauté, concepteur eLearning
FABIEN HOBART
Professeur des écoles, formateur, podcasteur, concepteur du dispositif et président association
Twictée, ingénierie pédagogique Savanturiers - École de la recherche
Un séminaire sur la
mixité sociale dans la
classe
FRANÇOISE LORCERIE. Certains aspects du métier sont peu abordés en
formation initiale. C'est le cas en particulier des questions liées à la la
mixité sociale, qu'il peut pourtant être bon d'avoir présentes à l'esprit.
J’ai eu l’occasion, dans l’académie de Marseille, de travailler sur la mixité sociale, avec des
stagiaires ESPE déjà titulaires du master MEEF (métiers de l’enseignement, de l’éducation et
de la formation) et qui avaient droit à une année supplémentaire de formation à l’ESPE (en
vue d’un DESU, diplôme d’études supérieures universitaires).
Ils avaient choisi le thème de la mixité sociale, souvent en deuxième position d’ailleurs,
parmi une série d’autres thèmes (la plupart disciplinaires mais pas tous) proposés par les
enseignants, et je les encadrais dans un séminaire de cinq séances de trois heures, réparties
sur l’année jusqu’en mai. Ils devaient d’abord avancer dans la compréhension de ce que
recouvre la notion de « mixité sociale », en articulant les distinctions de classe sociale,
d’origine ethnique et de sexe (approche intersectionnelle) ; puis voir comment se manifeste
la mixité sociale ainsi entendue dans leurs établissements et particulièrement dans leurs
classes, quelles difficultés concrètes elle pose, et dégager ce que pouvait être leur orientation
de travail sur la base de ces observations ; puis, après discussion en séminaire, mener
l’action pédagogique visant à intervenir en pratique sur le problème identifié ; et finalement
décrire toute cette démarche.
Le but concret était d’écrire non pas un mémoire (ils en avaient déjà rédigé un l’année
précédente), mais un article assez bref axé sur la réaction de chacun devant la difficulté
professionnelle qui s’était imposée à lui en lien avec la mixité sociale, sur le mode des
articles qu’on peut lire dans les Cahiers pédagogiques (1).
Sur les deux années où j’ai pu mettre en place ce cadre de travail, nous avons souffert du
manque de temps, et de la difficulté à passer presque sans transition du travail sur
l’approche intersectionnelle à l’observation de terrain, et à l’élaboration d’une réponse
pédagogique appropriée. D’une part, l’approche intersectionnelle est une approche critique
complexe, qui n’est pas facile à incorporer, notamment durant une année où les jeunes sont
obnubilés par l’inspection de titularisation. D’autre part, la réponse pédagogique requiert
parfois des connaissances didactiques ou des compétences pédagogiques qui ne sont pas en
place.
d’absentéisme d’enfants d’origine gitane. Il se trouve qu’elle avait elle-même une expérience
antérieure de la vie sur une aire de gens du voyage, elle avait les compétences sociales pour
aller à la rencontre des familles. Mais cela ne se faisait pas dans son école, elle ne l’a pas fait.
À l’inverse, en 2016-2017, une stagiaire PE a pu mobiliser la méthode du débat de classe
qu’elle avait vu pratiquer à l’ESPE, pour venir à bout de tensions qu’elle avait notées dans
sa classe entre filles et garçons. Elle l’a fait avec les encouragements de son binôme,
directrice de l’école, encouragements motivés par le fait que l’égalité entre filles et garçons
est un thème privilégié par l’institution. En revanche, une autre stagiaire, professeure de
collège et lycée (PLC) d’anglais, a été coincée par une décision collective qu’elle n’a pas pu
retourner. Un jeune élève de 6 e d’origine maghrébine, ne travaillant pas et indiscipliné, lui
paraissait capable bien que décroché. Elle a fait en sorte de le raccrocher dans sa matière,
mais n’a pas pu faire réviser son orientation en Segpa (section d’enseignement général et
professionnel adapté), décidée tôt dans l’année. Je suis contente qu’elle ait fait cette
démarche et elle aussi, même si on n’a pas pu aller plus loin.
Au total, le séminaire a permis d’attirer l’attention des membres, enseignants débutants, sur
le fait que les dominations qui structurent les rapports sociaux (classe, genre, race, pour les
principales) s’expriment aussi au sein des classes et des établissements, et qu’elles se
déclinent souvent en difficultés professionnelles pour les enseignants. Mais le problème reste
de savoir comment on professionnalise la vigilance critique qu’on vient d’acquérir. Pour que
cela débouche sur des adaptations professionnelles, il faut que les débutants aient dans leur
besace des solutions techniques adaptées et que les conditions se prêtent à leur mise en
œuvre. Si ce n’est pas le cas, on n’arrive pas à transformer le souci nouveau en soutien. Du
moins, pas immédiatement : gardons-nous d’insulter l’avenir.
FRANÇOISE LORCERIE
Politologue au CNRS
1 Les textes de Marie Dolores Poupon et de Nathalie Triay publiés dans ce dossier sont des exemples de
ces écrits d’apprentissage.
La recherche en
sciences sociales : quel
intérêt pour débuter ?
FANNY GALLOT, LILA BELKACEM. Les sciences sociales peuvent
apporter beaucoup aux futurs enseignants, pour faire un pas de côté
qui permet de mieux comprendre les élèves, les familles et l’institution
scolaire, et ainsi de (re)penser sa posture et sa pratique
professionnelles. Pour aujourd’hui, ou pour demain !
Lila Belkacem : Il faut bien comprendre la tension qu’il y a dans nos formations aux MEEF
(métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation), qui ont lieu dans un temps
très court, entre l’apprentissage des savoirs disciplinaires et la formation aux grands enjeux
scolaires et sociaux. À cette tension s’en ajoute une autre : d’un côté, on prépare les
étudiants à un concours, durant lequel ils doivent notamment prouver leur loyauté envers
les valeurs de la République ; de l’autre, il s’agit de faire prendre conscience des enjeux
scolaires et sociaux plus globaux auxquels les enseignants seront confrontés tout au long de
leur carrière. Poser ces questions en formation amène souvent les étudiants à porter un
regard critique sur l’institution scolaire, et à prendre du recul sur leur pratique, au regard des
rapports sociaux (de genre, de classe sociale, de racisation, etc.) qui se jouent à l’école.
Si de nombreuses choses se font à Créteil, les formations sur ces questions d’articulation des
rapports sociaux restent pour la plupart optionnelles, y compris celles sur les questions de
genre dont le traitement est pourtant obligatoire selon les textes qui encadrent la formation
des futurs enseignants. Par ailleurs, nous avons le sentiment de rencontrer des résistances
quand nous proposons d’ouvrir des formations qui ont trait aux inégalités, aux
discriminations et à la ségrégation ethnoraciales.
Fanny Gallo t : Néanmoins, les options de recherche ont un volume horaire important : trois
heures par semaine. Pour ce qui est du genre, il y aura donc à l’ESPE (école supérieure du
professorat et de l’éducation) de Créteil une petite cohorte de gens qui aura vraiment
travaillé la question : une quarantaine de stagiaires, et dix-huit Master 1 en 2016-2017.
Ceci dit, le fonctionnement de l’Éducation nationale conduit souvent à une impasse. Un
exemple : j’interviens dans le cadre du PAF (plan académique de formation) sur la réussite
des filles et des garçons. Je fais lire un article des Cahiers pédagogiques, « Le sexe des
sanctions » de Sylvie Ayral (1) qui pose la question du genre, de la classe, voire du processus
de racisation. Le but est de réfléchir à qui on sanctionne, pourquoi, comment, et peut-être
aller au-delà. J’ai eu une conseillère principale d’éducation qui me disait qu’elle était
désespérée, car elle avait tout le temps les mêmes personnes dans son bureau, les
enseignants excluent toujours les mêmes.
F. G. : Cela me rappelle l’analyse de Pierre Merle et Agnès Grimault-Leprince sur les
sanctions au collège (2). Ils se demandent si on peut repérer des biais ethniques dans les
sanctions au collège. Leur réponse est non. Même si une grande majorité des punis sont des
garçons racisés, ce n’est pas l’origine qui détermine la sanction, mais le dossier scolaire.
L. B. : Certes, mais d’autres travaux apportent des conclusions contradictoires et montrent
que les orientations de l’institution participent largement de la diffusion et de la légitimation
monde. L’intersectionnalité, cela consiste à croiser ces rapports sociaux-là et à voir ce que
cela produit au quotidien.
L. B. : Lorsqu’on n’est pas dans une posture de déni, on en vient souvent à se dire qu’on est
des agents de la reproduction des inégalités ou que tous ces problèmes nous échappent. Et
là, la théorie sert aussi à adopter un point de vue plus distancié. On peut se dire « ce n’est
pas moi personnellement qui fais mal les choses, je suis aussi pris dans des contraintes
institutionnelles qui me dépassent en partie ». Et c’est aussi l’occasion de promouvoir une
réflexivité sur sa posture et sa pratique professionnelles, en essayant par exemple de voir
comment des micropratiques d’enseignement donnent une marge d’action.
Les étudiants avec qui on travaille cherchent généralement à préparer de bons cours en un
temps record et à gérer leur classe, alors qu’il n’existe pas de recette clé en main. Nous, on
arrive et on leur demande en plus d’être hypervigilants sur la violence symbolique qu’ils
génèrent et sur la reproduction des rapports sociaux à laquelle ils participent. Du coup, un
des enjeux de nos formations est aussi de faire comprendre que ce ne sont pas
(nécessairement) les enseignants qui sont racistes, classistes ou sexistes. C’est un système
qui, en niant ou invisibilisant certains rapports de pouvoir, favorise en fait leur reproduction.
Et on peut se dire que prêter attention à ces questions peut être un objectif de long terme,
celui d’une carrière entière.
Propos recueillis par Françoise Lorcerie
FANNY GALLOT
Historienne, maitresse de conférences à l'ESPE de Créteil, université Paris-Est Créteil, CRHEC
LILA BELKACEM
Sociologue, maitresse de conférences à l'ESPE de Créteil, université Paris-Est Créteil, Lirtes
La bibliothèque idéale
de l’enseignant
débutant
PHILIPPE WATRELOT. Sous ce titre un peu ambitieux, de l'aveu même de
l'auteur, voici quelques conseils de lecture à destination des
enseignants débutants. Une sélection personnelle, ouvertement fondée
sur des critères subjectifs.
Cette bibliographie comporte quatre parties dont vous trouverez ici la première et la
dernière, le reste est à découvrir sur mon blog. La première partie est consacrée aux livres
spécifiquement destinés aux débutants. Dans la deuxième partie, j’ai sélectionné quelques
ouvrages accessibles et qui font le tour de la question sur des sujets qui sont au cœur des
préoccupations des débutants : l’autorité et la gestion de classe, apprendre, mémoriser,
évaluer, etc. La troisième partie propose quelques livres pour aller plus loin, tout en restant
accessibles. La dernière partie s’intitule « Chemins de traverses », on y trouvera des lectures
un peu décalées : des romans, des recueils d’aphorismes, des BD. Et ce ne sont pas les
moins intéressants et utiles pour démarrer et réfléchir à son métier !
POUR DÉBUTER
Franço is Muller, Manuel de survie à l’usage de l’enseignant (même débutant), éditions
L’Étudiant, 2015. François Muller propose une belle boite à outils destinée, comme le titre
l’indique, à tous les enseignants : des pistes de travail sur tous les sujets. Mais c’est aussi un
ouvrage de vulgarisation de la recherche en sciences de l’éducation avec de très nombreuses
références. Incontournable !
Franço ise Clerc, Nico le Prio u, S o phie Genès, Analyses de situation pour bien débuter
dans l’enseignement, éditions Hachette, 2011. Les trois auteures donnent elles aussi
beaucoup de conseils mais pour construire le livre, elles s’appuient surtout sur de nombreux
témoignages de jeunes enseignants. Cela donne un aspect très vivant et interactif à cet
ouvrage.
Franço ise Clerc, Débuter dans l’enseignement, Hachette Éducation, 2003, et Bien débuter
dans l’enseignement, éditions Hachette, 2010. Deux publications avec des conseils très utiles
et de nombreuses annexes.
Ostiane Amig ues Matho n, Réussir sa première classe... et les suivantes !, ESF éditeur, 2013.
Ce livre est plus spécialement destiné aux enseignants du premier degré. Écrit dans un style
très agréable, il se veut très pratique et concret. J’aime beaucoup l’optimisme et l’esprit
positif qui s’en dégage, à l’image de son auteure.
Jean-Michel Zakhartcho uk, Réussir ses premiers cours, ESF éditeur, 2011. Ce livre est le
pendant pour le secondaire (et surtout le collège) du précédent. Jean-Michel Zakhartchouk
aborde tous les points qui interrogent quand on débute : gérer la classe, évaluer, donner des
devoirs (ou pas), s’organiser, planifier, etc. Très concret et plein de conseils pratiques.
Vincent Carette et Bernard Rey, Savoir enseigner dans le secondaire, Didactique générale,
De Boeck éditeur, 2011. La lecture de cet ouvrage exige un effort. Mais il donne une base très
collège, ESF éditeur, 2011. Les deux auteures proposent de nombreux outils pour organiser
des situations d’apprentissage, évaluer et valoriser les acquis des élèves dans le cadre du
travail par compétences. Elles insistent particulièrement sur la notion de « tâches complexes »
et de « ressources ».
Franço is Marie Gérard, Évaluer des compétences, Guide pratique, De Boeck éditeur, 2008.
Ce guide (belge) qui se présente comme un outil d’autoformation propose apports
théoriques, mises en situation, exemples, et s’organise autour de quatre compétences
relatives à l’évaluation des apprentissages : préparer les élèves à résoudre des situations
complexes, élaborer des situations complexes, traiter et analyser les productions des élèves
lors d’une évaluation, exploiter les résultats d’une évaluation des acquis des élèves. Et en
plus, il ne manque pas d’humour !
Jean-Michel Zakhartcho uk, Apprendre à apprendre, éditions Canopé, 2016. Le nouveau
socle commun intègre désormais dans son domaine 2 les « outils et méthodes pour
apprendre ». Cet ouvrage propose de multiples pistes, depuis l’école primaire jusqu’au lycée,
pour que les élèves puissent s’approprier ces compétences méthodologiques, à travers les
disciplines, dans chaque matière, en classe ou aux marges de la classe.
S ylvain Co nnac, Apprendre avec les pédagogies coopératives. Démarches et outils pour
l’école, ESF éditeur, 2009. Ce livre donne de nombreuses pistes pour développer la
coopération à l’école (primaire), en s’appuyant sur les apports de la pédagogie Freinet et de
la pédagogie institutionnelle. Mais il ne se contente pas de cette dimension pratique. Sylvain
Connac propose aussi une réflexion sur les effets pédagogiques de la coopération sur les
apprentissages, et remet en perspective les valeurs qui sous-tendent ces pédagogies.
les murs comme un modèle, ni même un reportage sur l’école et encore moins un ouvrage
de pédagogie. Il s’agit d’une œuvre littéraire (ou cinématographique) avec ses partis pris et
ses raccourcis. Mais il permet une réflexion sur ce qui se passe dans une classe, entre les
murs et dans la tête d’un professeur, sur ce que peut être la posture de l’enseignant et, au
final, sur le sens de l’école. C’est déjà beaucoup.
Fabrice Erre, Une année au lycée, (tomes 1, 2, 3), Dargaud éditeur. Trois albums de BD
hilarants où vous ne cessez de vous dire en les lisant « mais c’est tellement ça ! ». L’auteur
est professeur d’histoire-géographie dans un lycée du côté de Montpellier. Il tient aussi une
rubrique sur le site du journal Le Monde. Et, en vrai, il n’est pas du tout coiffé comme ça !
Martin Vidberg , Journal d’un remplaçant, Delcourt éditeur, 2007. Tout le monde connait
aujourd’hui les dessins de Martin Vidberg qui dessine pour Le Monde et bien d’autres
supports (dont les Cahiers pédagogiques). On reconnait du premier coup d’œil ses
personnages en forme de patates. On ne sait pas forcément qu’il a été professeur des écoles
avant de se consacrer essentiellement au dessin. Le recueil qui l’a fait connaitre, c’est ce
Journal d’un remplaçant où il raconte avec beaucoup de finesse et d’émotion son année
comme remplaçant, avec en particulier un passage dans une école pour enfants en grande
difficulté.
Fernand Delig ny, Graine de crapule, éditions du Scarabée, Ceméa, 1960. Avril 1977, je fais
mon stage BAFA (brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur) pour devenir animateur de
colos. Par hasard et nécessité, ce fut avec les Ceméa (centres d’entrainement aux méthodes
d’éducation active). Et cette semaine fut une découverte à tous égards. J’y ai découvert que
l’éducation, la pédagogie, ce sont des valeurs mises en action à tel point que je suis devenu
formateur pendant plus de vingt ans dans cette association. Et la découverte, ce fut aussi ce
tout petit livre que j’ai acheté à la fin du stage. Depuis, j’ai dû le racheter une dizaine de fois,
tant je l’ai prêté ou offert.
Je voulais finir cette liste par ce livre essentiel, même s’il est certainement le plus court de
tous ceux présentés ici. Cet ouvrage a été publié pour la première fois au lendemain de la
guerre. Accompagné de dessins de l’auteur, ce sont essentiellement des aphorismes ou de
très courts récits qui sont présentés. Au-delà de la singularité de l’expérience d’un éducateur
auprès d’enfants difficiles, ce livre touche à l’universel et est utile à tous ceux qui agissent
auprès d’enfants et d’adolescents.
« Avant de t’indigner, rappelle-toi de quoi tu étais capable lorsque tu avais leur âge. »
« Trop se pencher sur eux, c’est la meilleure position pour recevoir un coup de pied au
derrière. »
« Lorsque tout marche bien, il est grand temps d’entreprendre autre chose. »
Chacune de ces phrases m’a accompagné. D’abord dans ma pratique d’animateur, ensuite
dans ma vie d’enseignant. Deligny nous dit ce qu’est la « bonne distance » de l’adulte. Il nous
aide à gérer la tension entre l’ambition que nous devons avoir et la modestie de notre
action. Ce livre ne parle pas de changer l’école, il est bien plus que cela, il parle de nous-
mêmes, d’éducation, il parle de la vie.
PHILIPPE WATRELOT
Professeur de SES, formateur d'enseignants
Sur le site de l’école Saint-Didier, Rémi Castérès liste une série de difficultés rencontrées par
les professeurs des écoles débutants et tente d’y répondre. C’est adaptable au secondaire.
Sur le site de Francetv Éducation, on pourra voir plusieurs vidéos sur le métier d’enseignant.
Ou encore Educ’arte, des documentaires, des œuvres indexées et présentées par des
enseignants, sur abonnement de votre établissement.
Tout le monde connait le site ressource du ministère de l’Éducation nationale, Éduscol, qui
n’offre pas seulement une compilation des programmes, mais aussi une multitude de
ressources sur tous les sujets.
Enfin, chaque académie, chaque circonscription propose des blogs, des sites d’une grande
richesse, faciles à trouver sur un moteur de recherche.
Débuter dans un
collectif : les
Rencontres du CRAP
Adelyne, Alice, Elsa et Thierry ont entre 25 et 40 ans ; ils sont
professeurs, des écoles ou en collège, professeure documentaliste, dans
l’enseignement public ou le privé. La rentrée 2017 était leur première,
deuxième ou troisième rentrée. Ils étaient présents aux Rencontres
d'été du CRAP, qui se tenaient du 17 au 23 aout dans les Hautes-Alpes
avec comme thème « Des pratiques pour former des élèves autonomes
et solidaires ».
Informés par le site des Cahiers pédagogiques ou un ami, ils appréhendaient parfois cette
première expérience, craignant de se sentir tout petits dans une assemblée d’enseignants
chevronnés, voire galonnés, mais très rapidement ces peurs ont été balayées par « la
simplicité », « la chaleur » et « la convivialité » des rapports qui s’instaurent dès le « brassage
» où chacun met à la disposition de tous une spécialité régionale. Pauses respectées,
initiatives, repas en commun, bar autogéré (et cette année piscine !), « tout est réuni pour
faciliter les rencontres et les échanges ». « L’entre-soi guindé, l’esprit de chapelle sont
totalement absents », observent-ils.
Surtout attirés par la thématique de la coopération qui était au cœur de ces Rencontres, ils
ont apprécié la richesse des ateliers à laquelle contribue la diversité des participants avec la
variété de leurs questionnements, « tous légitimes et pris en compte », de leurs expériences et
de leurs points de vue. Dans les ateliers (chacun en suivait deux), ils ont trouvé une alliance
d’apports théoriques et d’expérimentation concrète, d’élaboration de dispositifs qui leur ont
permis de repartir en se sentant davantage « prêts pour la rentrée », avec de premières
réponses face à des difficultés parfois rencontrées et munis de plein d’outils « immédiatement
utilisables ».
Quelques phrases résument leur expérience :
« Venue à l’enseignement après une expérience associative, je me suis tout de suite retrouvée
dans l’ambiance » ;
« dans la formation initiale on découvre plein d’apports théoriques et puis plus rien. Ici, j’ai
retrouvé le plaisir d’une vraie formation continue » ;
« vivre ce temps de vacances m’a permis de vivre des temps conviviaux et chaleureux. Nous
avons concrètement vécu la coopération dans les ateliers thématiques et d’activité : j’en
conserve des clés pour ma pratique au quotidien. À plusieurs, nous avons expérimenté que
nous avancions plus loin ; que dans l’entraide et la convivialité, nous avions de nouvelles
idées de projets, et, parfois, des pistes concrètes de remédiation. Parfois, il peut encore nous
manquer une marche, mais à plusieurs, on va plus loin et on finit par y arriver. C’est très fort,
cela apporte plein de bonnes énergies, pourquoi cela ne serait pas vrai aussi dans nos
établissements ? Au final, cela m’a beaucoup aidée à préparer la rentrée plus sereinement.
Merci à tous ! »
Finalement, les Rencontres du CRAP, c’est quoi ? Ce qui, depuis cinq ans, me
confirme que je peux être à ma place en tant qu’enseignant (même révolté et
décalé), et la famille professionnelle que je me suis construite par-delà nos
différences.
C’est aussi ce qui a rythmé les trois dernières années de ma vie en tant que
coorganisateur avec deux femmes exceptionnelles, Monique Ferrerons et Nicole
Bouin, pour former le trio Monifa. Une aventure que je suis très fier d’avoir
vécue avec elles, et qui m’aura énormément appris en termes d’organisation,
d’entraide, de diplomatie, d’humilité, en m'insérant dans un authentique collectif
de travail.
Le CRAP, c’est finalement un endroit où, à tous les niveaux, je peux me permettre
de continuer à apprendre, où je sais que je serai écouté, et où je peux me rendre
utile sans avoir à porter le poids du monde sur mon dos.
Qui sommes-nous et
que proposons-nous ?
Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative, publiée par le Cercle de recherche et
d’action pédagogiques (CRAP (1)). Le CRAP se veut engagé, parce qu’il ne croit pas à une
pédagogie désincarnée : « changer la société pour changer l’école, changer l’école pour
changer la société », peut-on lire sur chaque publication. Mais il sauvegarde son autonomie
vis-à-vis de tout syndicat, de tout parti, de tout ministère. C’est en toute indépendance que le
CRAP et les Cahiers pédagogiques prennent position sur les réformes qui sont mises en
œuvre et réclament celles qui leur semblent indispensables.
Le CRAP-Cahiers pédagogiques, c’est aussi un réseau national d’enseignants solidaires, prêts
à réfléchir ensemble sur les problématiques rencontrées par chacun. La vie de l’association
est rythmée par des temps forts : colloques, débats, journées d’automne, Rencontres d’été (2).
Notre association s’efforce aujourd’hui de se développer en réseaux régionaux autour de
correspondants académiques. Pour contacter ceux de votre région, vous trouverez leurs
coordonnées sur notre site : les correspondants académiques.
Les militants du CRAP et les rédacteurs des Cahiers pédagogiques sont des praticiens qui
exercent dans tous les secteurs de l’école. Ce sont aussi des bénévoles. Notre mouvement et
sa revue ont besoin du soutien de ses sympathisants et de ses lecteurs. Ce soutien se
manifeste par exemple par l’adhésion à notre mouvement et l’abonnement à notre revue.