Afrique Libre
Afrique Libre
Afrique Libre
Membres du jury : Charles BONN, Professeur mrite, Universit Lyon 2 Bruno GELAS, Professeur
mrite, Universit Lyon 2 Martine JOB, Professeur des universits, Universit Bordeaux 3 Dominique
RANAIVOSON-HECHT, Matre de confrences HDR, Universit de Metz
Contrat de diffusion . .
Corpus . .
Remerciements . .
Introduction gnrale . .
Premire partie : critures de violence et modernit francophone Vers une toute puissance
du signifiant ? . .
Note introductive . .
Chapitre I : Un statut nouveau pour le personnage . .
1.1. La mort du personnage-hros . .
1.2. Le personnage de groupe ou les gens d'en-bas
166
..
27
27
30
31
37
42
47
55
55
62
72
77
84
86
92
96
98
105
105
111
113
116
120
Chapitre V : La crise du corps, crise de l'tre : Comment peut-on crire aprs le sida ? O
l'criture de la maladie comme forme-sens
731
..
127
129
133
139
147
150
156
161
169
173
Bibliographie . .
A. uvres littraires . .
a. Corpus principal . .
b. Autres uvres tudies ou cites des auteurs . .
c. Ouvrages sur les auteurs . .
d. Articles et interviews des auteurs . .
e. Articles et interviews sur les auteurs . .
f. Corpus large : autres uvres littraires cites . .
B. tudes sur la littrature et la culture : Maghreb et Afrique noire francophones . .
a. Ouvrages . .
b. Articles . .
C. Thories et esthtiques de la littrature et du langage . .
a. Ouvrages . .
b. Articles . .
D. tudes sur la postmodernit . .
a. Ouvrages . .
b. Articles . .
E. Histoire, Anthropologie, sociologie, philosophie... . .
a. Ouvrages . .
b. Articles . .
F. Dictionnaires . .
[Rsum] . .
183
183
183
183
184
185
185
187
191
191
195
200
200
207
214
214
216
221
221
223
223
225
Contrat de diffusion
Contrat de diffusion
Ce document est diffus sous le contrat Creative Commons Paternit pas dutilisation
commerciale - pas de modification : vous tes libre de le reproduire, de le distribuer et de le
communiquer au public condition den mentionner le nom de lauteur et de ne pas le modifier,
le transformer, ladapter ni lutiliser des fins commerciales.
5
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Corpus
Boudjedra Rachid :
La prise de Gibraltar, Paris, ditions Denol, 1987.
Les 1001 annes de la nostalgie, Paris, ditions Denol, 1979
Linsolation, Paris, ditions Denol, 1972.
Tansi Sony Labou :
Le commencement des douleurs, Paris, ditions du Seuil, 1995.
Les yeux du volcan, Paris, ditions du Seuil, 1988.
Les sept solitudes de Lorsa Lopez, Paris, ditions du Seuil, 1985.
6
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Remerciements
Remerciements
J'exprime, ici, ma gratitude et ma reconnaissance, tous ceux qui, de prs ou de loin, ont rendu
possible ce travail de recherche.
Je les adresse, en particulier, Charles Bonn, pour la qualit de son encadrement, de ses
conseils et de ses encouragements. Avoir suivi vos enseignements et avoir t dirig par vous, tout
au long de mes travaux de recherche en annes de Matrise, DEA et Doctorat, a influenc, nourri
et fcond positivement mon rapport thorique, esthtique et thique la littrature.
Octavie, pour ta folle gait, ta douce prsence, ton management adroit et persifleur (rires)
et, surtout ton dvouement sans faille.
la Grande-Royale ou M. Tchatcher comme nous l'appelons si affectueusement :
Oumou Lam.
mes frres et surs : N'dye, Alpha (paix son me), Dite, Youssou, Yaya, Malick, Amadou,
Moustapha, Cheikh, Penda, Seydou, Ramata, Madani, Macky et Arouna.
ma famille au sens large (grand-parents, oncles, tantes, cousins et neveux), ma belle-famille,
mes amis et mes collgues pour leur soutien indfectible.
Je ddie ce travail mon pre (paix son me) dont le souvenir m'accompagne partout et
toujours.
7
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Introduction gnrale
Modernit :
Dans le couple qu'il forme avec le mot de tradition se situe la modernit : est
moderne ce qui se dfinit, par rapport son mergence dans le temps, comme
prsent (Hans-Robert Jauss l'a rappel : le mot modernus apparat en bas
latin la fin du V me s., venu de modo, tout juste, rcemment, maintenant .
Modernus ne signifie donc pas ce qui est nouveau mais ce qui est actuel,
contemporain de celui qui parle). L'appel la tradition, en matire esthtique,
renvoie a contrario un systme de valeurs qui prend en compte l'acquis du
pass comme tant dfinissable, stable, et utilisable comme modle par l'criture
et l'art d'aujourd'hui. Si l'on utilise le terme de modernit, on implique par son
emploi mme une certaine rupture dans le temps entre pass et prsent, et une
1
rupture entre les modles du pass et ceux que le prsent peut ou doit laborer.
Postmodernit :
Didier Batrice (sous la direction de), Dictionnaire universel des littratures, volume 2, G-O, Paris, Presses
Gorp (van) Hendrik, Delabastita Dirk, D'hulst Lieven, Ghesquire Rita, Grutman Rainier et Legros Georges, Dictionnaire
des termes littraires, Paris, Honor Champion, coll. Champion Classiques, Srie Rfrences et Dictionnaires , 2005, pp.
383-384.
8
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Introduction gnrale
sont mettre en relation avec les dbats du monde culturel et littraire . Les deux
modes d'criture, moderne et postmoderne, tels qu'ils ressortent du rapport entre littratures
4
francophones mineures d'Afrique et littrature franaise majeure , se fondent
moins sur l'antagonisme que sur l'influence littraire. Cela parce que les dmarches
potiques entreprises par les premires s'valuent sur la base d'une correspondance avec
les critres esthtiques dfinis par la seconde. Chez cette dernire, si aucune dfinition de la
5
6
modernit , et, encore moins, de la postmodernit littraires, n'est exhaustive, deux grands
courants en mergent. Une modernit littraire s'inscrivant dans un projet inachev
7
, s'intgrant dans les conditions d'un rseau (...) de l'intersubjectivit engendre par le
8
9
langage , se renouvelant par Querelle , avant que ne fasse date la dfinition de Charles
Baudelaire. En effet, le pote et critique postule que la modernit, c'est le transitoire, le
10
fugitif, le contingent, la moiti de l'art, dont l'autre moiti est l'ternel et l'immuable . Hans
Robert Jauss soutient que cette dfinition de la modernit est dcisive en ce qu'elle inscrit
la dimension esthtique de luvre entre le beau et l'intemporel :
Aron Paul, Saint-Jacques Denis et Viala Alain (sous la direction de), Le dictionnaire du littraire, Paris, Presses Universitaires de
France, p. 377.
4
Deleuze Gilles et Guattari Flix, Kafka, pour une littrature mineure, Paris, ditions de Minuit, 1972, p. 29 : Une littrature mineure
n'est pas celle d'une langue mineure, plutt celle qu'une minorit fait dans une langue majeure. Casanova Pascale, Les petites
littratures ; La littrarit ; La fabrique de l'universel , in La rpublique mondiale des lettres, Paris, Le Seuil, 1999, pp. 241-281,
pp. 32-37, pp. 179-237; Littrature secondaire et conscration : Le rle de Paris , in Zink Michel (sous la direction de), L'uvre
et son ombre : Que peut la littrature secondaire ?, Paris, ditions de Fallois, 2002, pp. 93-106, oriente ce concept de littrature
majeure/mineure dans le champ littraire africain et francophone.
5
Vad Yves, Prsentation , in Vad Yves (Textes runis et prsents par), Ce que modernit veut dire (I), in Modernits 5, Presses
Universitaires de Bordeaux, 1998, p. 4 : (...) c'est sans doute un des caractres de la modernit mme que de laisser la question
de sa propre dfinition perptuellement ouverte.
6
Gontard Marc, Postmodernisme et littrature , in Gontard Marc (sous la direction de), uvres et Critiques, Revue internationale
d'tude de la rception critique des uvres littraires de langue franaise, XXIII, 1, Le postmodernisme en France , Tbingen,
Gunter Narr Verlag, 1998, p. 36 : (...) il n'y a pas un mais des postmodernismes c'est--dire un ensemble d'expriences dont
la diversit mme rend impossible une dfinition d'ensemble .
7
8
Habermas Jrgen, La modernit : un projet inachev. , in Critique, n 413, oct. 1981, pp. 950-967.
Habermas Jrgen, Le discours philosophique de la modernit, trad. par C. Bouchindhomme et R. Rochlitz, Paris, Gallimard, 1988,
p. 408.
9
10
11
Fumaroli Marc, La Querelle des Anciens et des Modernes, Paris, Gallimard-Folio, 2001, pp. 167-168.
Baudelaire Charles, Le peintre de la vie moderne [1863], in Critique d'art, Paris, Gallimard, 1976, 1992, pp. 354-355.
Jauss Hans Robert, La modernit dans la tradition littraire , in Pour une esthtique de la rception, Paris,
9
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
niveaux une esthtique de rupture, de cration individuelle, d'innovation partout marque par (...) par la destruction toujours plus
pousse des formes traditionnelles (...).
14
Toynbee Arnold, A Study of History, Oxford University Press, 1960, p. 39 o il propose le terme l'ge post-moderne ,
the Post-Moderne Age , pour dsigner la priode historique qui commence en Occident partir de 1875.
15
Barth John, L'opra flottant, Paris, Gallimard, Traduction de Robillot Henri, 1968 [1956]. The Literature of Exhaustion ,
in The Atlantic, Boston, aot 1967, pp. 29-34. On l'accuse, ds lors, d'annoncer la mort de la littrature alors que l'article, cit
in extenso et traduit par Rabat Dominique, Vers une littrature de l'puisement, Paris, Jos Corti, 1991, p. 175, dit clairement :
Par puisement, je ne veux pas dire des choses aussi rebattues que le sujet physique, moral, ou intellectuel de quelque dcadence
mais seulement l'usure de certaines formes ou l'puisement de certaines possibilits en aucune sorte une raison de dsesprer .
Treize ans plus tard, John Barth, revient sur la polmique, raffirme son opinion et tente une dfinition du postmodernisme dans
The Literature of Replenishment , in The Atlantic, Boston, janvier 1980, pp. 65-71. Texte traduit par Liebow C. et Puech J. B., La
littrature du renouvellement. La fiction postmoderniste , in Potique, n 48, 1981, pp. 395-405.
16
17
18
Blake Harry, Le post-modernisme amricain , in Tel Quel, n 71-73, 1977, pp. 171-182.
Lyotard Jean-Franois, La condition postmoderne. Rapport sur le savoir, Paris, ditions de Minuit, 1979.
Compagnon Antoine, Les cinq paradoxes de la modernit, Paris, Le Seuil, 1990, p. 146 : (...) le post-moderne suscite
d'autant plus de scepticisme en France que nous ne l'avons pas invent, alors que nous nous faisons passer pour les pairs de la
modernit et de l'avant-garde (...).
19
Meschonnic Henri, Modernit, modernit, Paris, Verdier, 1988, p. 227 : Le postmoderne a un rfrent, le moderne. Et plus
il se veut ahistorique, plus il est enchan . l'oppos, Lyotard Jean-Franois, Le postmoderne expliqu aux enfants, Paris, Galile,
1988, pp. 30-31, estime que le prfixe post- dsigne un procs en "ana" , qui suivant une dclinaison de type analyse, anamnse,
anagogie et anamorphose interpelle un oubli initial .
20
Gontard Marc, Le postmodernisme en France : dfinition, critres, priodisation , in Touret Michle et Dugast-Portes
Francine (sous la direction de), Le temps des lettres : quelles priodisations pour l'histoire de la littrature franaise du XXe sicle ? ,
Rennes, Presses Universitaires de Rennes, coll. Interfrences , 2001, p. 283.
10
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Introduction gnrale
21
qui se transcrit en [it] ou [isme] , provoquent une instabilit dfinitoire qui brouille le
rapport entre modernit et postmodernit. Aussi l'laboration d'une thorie postmoderne
est-elle perue, implicitement, sinon en tant qu'un dni du moins comme un avatar de la
modernit. Nanmoins, on saisit sa fcondit critique et esthtique en ce qu'elle procde
22
de l'incrdulit l'gard des mtarcits . Cette dfinition rejoint celle d' une nouvelle
lgitimation (...) fonde sur la reconnaissance de l'htromorphie des jeux du langage
23
24
25
. Axes sur l'analyse littraire, les tudes d'Aaron Kibedi Varga et de Sophie Bertho
inscrivent la renarrativation, savoir le retour du rcit , comme caractristique essentielle
du rapport dfinitoire entre Littrature et postmodernit. Marc Gontard retient le mme
critre esthtique auquel il associe deux autres : ceux de discontinuit et de mtatextualit
26
. Tous les trois forment, par consquent, une plateforme paradigmatique o est considr
comme postmoderne tout texte littraire dont le discours intgre tout ou partie de ces
traits. Aussi la position de ces derniers, isols ou associs dans la reprsentation, favoriset-elle une narration alternative. Celle-ci, en ce qu'elle gnre un processus d'critures,
de rcritures et de lectures libres (renarrativaion), une pratique de la fragmentation, de
l'hybridation et de la circularit (discontinuit) et une logique d'altrit et d'htrotopie
(mtatextualit), remet en cause certaines normes de la modernit littraire. Il s'agit, entre
autres, de la progression linaire, de l'intelligibilit de la narration, de l'unit et de la fermeture
de l'uvre, de l'homognit de l'espace et du temps raconts, de la puret du genre
et des formes romanesques. De sorte qu'au niveau de la composition, les traits de la
postmodernit s'orientent vers un clectisme. Quand son contenu devient rticent aux
27
formes traditionnelles du ralisme psychologique . Ainsi la notion de postmodernit
littraire marque-t-elle un retrait par rapport l'hgmonie des structures formelles et
exprimentales. Elle dplace l'enjeu potique du roman dans le rcit (...) [qui] fait la part
28
belle au contenu thmatique , s'aidant notamment de l'ironie et du ludisme. Mais cette
29
orientation que Sophie Bertho appelle la lgret postmoderne de la fiction franaise,
est-elle soluble dans le roman africain, rput pour son espace et son discours violents
21
Riou Daniel, De la modernit , in uvres et Critiques, Le postmodernisme en France , op. cit., p. 10. Il prconise
-isme
et
-iste
tendances intellectuelles et
357-367. L'article en question sert de rponse celui de Jrgen Habermas, La modernit : un projet inachev , op. cit. Il participe du
dbat vif qu'entretient la revue Critique, dans diffrents numros, entre 1981 et 1984. Dbat qui s'achve avec une tentative d'arbitrage
de Rorty Richard, Habermas, Lyotard et la postmodernit , in Critique, n 442, 1984.
24
25
Kibedi Varga Aaron, Le rcit postmoderne , in Littrature, n 77, fvrier 1990, p. 16.
Bertho Sophie, L'attente postmoderne. propos de la littrature contemporaine en France , in Revue d'histoire littraire
Viart Dominique, Le rcit postmoderne , in Baert Frank et Viart Dominique (sous la direction de), La littrature franaise
Bertho Sophie, Jean-Philippe Toussaint et la mtaphysique , in Ammouche-Kremers Michle et Hillenaar Henk (sous la
direction de), Jeunes auteurs de Minuit, CRIN, n 27, Amsterdam-Atlanta, 1994, p. 24.
11
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Maingueneau Dominique, Nouvelles tendances en analyse du discours, Paris, Hachette, 1987, p. 35. C'est sur la base de
cette analyse que Jean-Marc Moura dveloppe le concept de scnographie littraire dans Littratures francophones et thorie
postcoloniale, Paris, PUF, Lettres Francophones , 1999, p. 109 : Une tude de potique [] se concentre non sur la situation
d'nonciation de l'uvre () mais sur la situation d'nonciation que s'assigne l'uvre elle-mme () et dont l'ensemble des signes
dchiffrables dans l'uvre peut tre appel la scnographie. Celle-ci articule l'uvre et le monde et constitue l'inscription lgitimante
d'un texte .
31
Todorov Tzvetan, De l'ambigut narrative , in Pouillon Jean et Maranda Pierre (sous la direction de), changes et
communications. Mlanges offerts Lvi-Strauss l'occasion de son soixantime anniversaire, Paris, Mouton, 1970, pp. 913-918.
T. Todorov dplace dans la prose, la notion d'ambigut comme fondement potiqueen posie que thorise Empson William, Seven
types of ambiguity [1930], New-York, New Directions, 1955, et la postule en tant que lieu de littrarit.
32
Bonn Charles, Le roman algrien de langue franaise. Vers un espace de communication littraire dcolonis ?,Paris,
Larochelle Marie-Hlne (sous la direction de), Introduction , in Invectives et violences verbales dans le discours littraire,
Gontard Marc, La violence du texte : littrature marocaine de langue franaise, Paris-Rabat, L'Harmattan-SMER, 1981.
Jouve Dominique, MODERNIT/ Modernity; Modernness. ETYMOLOGIE/ etimology. ETUDE SEMANTIQUE/ Definitions.
Kourouma Ahmadou, Les Soleils des indpendances, Paris, Le Seuil, 1970 (Presses de lUniversit de Montral, 1968).
Barthes Roland, Leon, Paris, Le Seuil, 1978, p. 14 : Mais la langue, comme performance de tout langage, n'est ni
ractionnaire, ni progressiste; elle est tout simplement : fasciste; car le fascisme, ce n'est pas d'empcher de dire, c'est obliger dire.
12
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Introduction gnrale
Ainsi cette modernit parat-elle attire par le modle triomphant du formalisme. Pratique
38
dont d'aucuns jugeaient l'application inapproprie dans le roman africain francophone. Ce
dernier doit-il, ds lors, se dprendre d'une telle emprise et lui substituer une autre variation
esthtique ?
L'annonce, par la critique, de l'mergence d'une criture postmoderne, aprs que le
dbut des annes 80 a manifest une prise de distance envers les critures exprimentales
39
dominantes des deux dcennies prcdentes , touche galement la littrature africaine
d'expression franaise. Marc Gontard en tablit, in extenso, un tat-civil : Le roman
40
[maghrbin] francophone entre dans la postmodernit partir des annes 80 . Surtout,
aprs avoir dsign des auteurs reprsentatifs, il en articule les signes distinctifs autour
41
des dispositifs de mtissage et de crolisation . De mme, si Charles Bonn considre
que le stade d'volution actuel de la littrature maghrbine correspond son entre
42
dans l'ge postmoderne , il lie cette dernire un affaissement des [mta-] rcits
forte scnographie identitaire, locale et/ou idologique. Selon lui, le roman maghrbin
postmoderne trouve, en la pratique de la dissmination , l'outil esthtique qui acte la perte
inluctable de tout essentialisme dans l'nonciation romanesque au profit d'une approche
43
singulire et atypique .
En ce qui concerne la littrature ngro-africaine, il y a, posteriori, unanimit critique
pour considrer La vie et demie et 1979, anne de sa parution, comme seuils postmodernes.
Cependant, la conception d'une potique postmoderne, constitutive du champ littraire
ngro-africain, ne s'effectue qu'au milieu des annes 90. Lorsque Hans-Jrgen Lsebrink
annonce que la postmodernit a gnr, sur le plan littraire (...), de nouvelles formes
dcritures, de textualit (qui) en gnral revivifient le roman ngro-africain. Ce faisant, il
repre trois caractristiques principales de cette criture postmoderne. La premire procde
de la mise en relation gnralise du roman africain contemporain avec les espaces
littraires d'ailleurs. La deuxime tient au fait que ce roman droge, de plus en plus, au
systme binaire de la modernit. Enfin, la troisime tendance constitutive de modes de
44
perception nouveaux de la postmodernit sont les critures mtisses (...) . L'addition de
ces traits conduit le roman africain francophone postmoderne une mfiance l'endroit
de la reprsentation du rel, de la posture premptoire que celle-ci prend lorsqu'elle traite
des questions relatives aux origines, aux idologies, voire mme la mythologie. De
mme, l'universitaire ivoirien, Adama Coulibaly, dfinit le roman africain postmoderne par
38
Mateso Locha, La littrature africaine et sa critique, Paris, A.C.C.T. et ditions Karthala, 1986, p. 360 : Le formalisme pur
Viart Dominique, crire au prsent : l'esthtique contemporaine , in Le temps des lettres, quelle priodisation pour l'histoire
de), Chantiers et dfis de la recherche sur le Maghreb contemporain, Paris, ditions Karthala et IRMC, 2009, p. 514.
43
44
13
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
45
Coulibaly Adama, Les conditions postmodernes du roman d'Afrique noire francophone , in Diaconu Mirca A. et Steiciuc
Elena-Brandusa (sous la direction de), Mridien critique, Annales de lUniversit Stefan Cel Mare, Srie Philologie, B. Littrature,
Tome XV, NR. 1, ditions Universit de Suceava, Roumanie, 2009, pp. 70 et 76.
46
Eco Umberto, Apostille au nom de la rose, Paris, Grasset, 1985, pp. 77-78.
Lgret picurienne renvoie, ici, Boisvert Yves, Le postmodernisme, Qubec, Boral, 1995, p. 24 : Le culte du plaisir
Bonn Charles, Astres et dsastres dans l'mergence et le dveloppement du roman algrien, ou : Nedjma-toile et le
dsastre fondateur , in Ponti/Ponts, n 4, 2004, Milan, Casa Editrice Cisalpino- Istituto Editoriale Universitario, p. 177.
14
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Introduction gnrale
15
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
(...), force de vivre dans les tnbres, nous avons fini par signer un pacte avec
les monstres et les larves qui y trouvent refuge. Ce pacte, il le faut le rompre
58
prsent et oser regarder le jour, fixer notre soleil de Barbarie en face.
la mme priode, avec un questionnement identique et presque avec les mmes mots,
Les soleils des indpendances, de l'crivain ivoirien, Ahmadou Kourouma, amorce un
tournant dcisif dans lvolution du roman ngro-africain de langue franaise. En effet,
ce roman ouvre des rflexions et des pratiques narratives bouleversant le modle
du roman raliste qui prdominait dans ce champ littraire. preuve, Les soleils des
indpendances,bien que renvoyant aux promesses dues de la dcolonisation africaine,
ne sinscrit pas moins dans une intrigue, un cadre spatio-temporel et des protagonistes
fictifs. Nonobstant, ce qui ressemble une expression implicite de la modernit l'intrieur
mme de la fiction, se forge dans un style spcifique. Celui-ci soumet, dans la digse, la
langue franaise lpreuve dune diglossie o elle semble occuper un rang secondaire. La
rupture est telle que le roman dAhmadou Kourouma dclenche des ractions interdites (au
double sens de censure et de stupfaction), des maisons dditions africaines et franaises.
55
56
Pierre-Emmanuel Dauzat, Paris, La Dcouverte, 1996 [1983], p. 9. Promue par cet historien-anthropologue anglais, l'expression
communaut imagine dsigne la procdure d'identification qui conduit des individus considrer qu'ils appartiennent une
mme nation.
57
58
Dib Mohammed, Qui se souvient de la mer, Paris, Le Seuil, 1962; Habel, Paris, Le Seuil, 1977.
Dieu en barbarie, op. cit., pp. 205-206. C'est nous qui soulignons le soleil de Mohammed Dib, par comparaison avec
16
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Introduction gnrale
Bisanswa Justin Kalulu, Roman africain contemporain. Fictions sur la fiction de la modernit et du ralisme, Paris, Honor
Champion, 2009, p. 206 : L'acte perlocutoire dsigne la fonction du langage qui n'est pas explicitement inscrite dans l'nonc; il est
interprter en confrontant la situation de parole la signification d'un nonc.
60
61
Paris, L'Harmattan, coll. Critiques Littraires , 1997, p. 88 : La seule analyse des titres (la titrologie) pour les tudes critiques
permet de suivre les mutations progressives dans la dfinition des faits littraires : (...).
65
Biyidi Alexandre (ou Mongo Beti), L'enfant noir , in Prsence Africaine, n16, 1954; Nokan Charles, Violent tait le vent,
Paris, Prsence Africaine, 1966; Ouologuem Yambo, Le devoir de violence, Paris, Le Serpent Plumes, 1968.
66
Vautier Marie, Les mtarcits, le postmodernisme et le mythe postcolonial au Qubec. Un point de vue de la marge ,
17
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
superficialit qui cre la mise en distance. Ceci parce que l'enjeu esthtique postmoderne
ne peut se satisfaire d'une criture rfrentielle de la violence exclusivement contenue dans
l'nonc. Il suppose une hyper attention aux formes. Car la violence nat la surface
des formes (). La littrature est un outil privilgi pour l'analyse politique des violences
67
africaines de par son obsession des formes .
En somme, les critures romanesques de Mohammed Dib et d'Ahmadou Kourouma,
travers Dieu en Barbarie et Les soleils des indpendances, s'inscrivent dans une double
affirmation, moderne et postmoderne. cette occasion, si ces pratiques scripturaires se
rvlent fcondes, ne requirent-elles pas, par consquent, d'tre interroges et, sans
doute, revisites par d'autres auteurs et uvres maghrbins et ngro-africains ?
C'est dans ce contexte d'anamnse de deux romans de deux auteurs prestigieux
de la littrature africaine de langue franaise que la question de la modernit et de
la postmodernit rebondit chez Rachid Boudjedra et Sony Labou Tansi. En effet, elles
semblent incarner deux dispositifs narratifs la base de l'uvre romanesque de l'un et de
l'autre. Rachid Boudjedra, n le 05 septembre 1941 An Beida, dans le Constantinois (au
nord-est de l'Algrie), prouve, par rapport son origine familiale, bourgeoise et polygame,
des sentiments de malaise, de domination et d'injustice. En outre, l'loignement du fait de
ses tudes poursuivies Constantine, Tunis, Alger et Paris, le choc du maquis pendant
la guerre d'Algrie et les atrocits de la guerre civile au dbut des annes 90, exacerbent
une criture habite par des dchirures. D'ailleurs, l'auteur ne s'en disculpe pas, qui fait
revenir le leitmotiv intratextuel du saccage dans bon nombre de ses romans. Pour
cause, la violence en constitue le sceau/saut ds son entre en littrature en 1965 avec
68
un recueil de pomes, Pour ne plus rver , faisant l'loge, entre autres, de la guerre
d'indpendance. Mais, c'est surtout son premier roman, La rpudiation, publi en 1969,
qui rvle, non seulement l'ampleur et le scandale de la violence, mais sa littrarisation
potentielle. En effet, l'criture [y] apparaissait comme transcende par la violence des
69
images comme du contenu du roman . Mais l'esthtique de la violence qui traverse La
rpudiation,se prolonge-t-elle dans les autres romans de Rachid Boudjedra, notamment en
tant qu'elle procde de la modernit et de la postmodernit ? Les trois romans associs
au corpus sollicitent nombre de pratiques syntaxiques et de paradigmes thmatiques qui
en donnent une version exemplaire. Il s'agit, d'abord, de Linsolation, roman paru 1972 :
enferm dans un hpital psychiatrique, le narrateur, Medhi, s'improvise script, crivant et
rcrivant son propre roman familial partir des rcits de la violence que sa mre et lui
ont subie, inflige par le pre. Ensuite, Les 1001 annes de la nostalgie, publi en 1979,
sinspire, titre et texte compris, du patrimoine imaginaire de Les mille et une nuits etde la
flamboyance du ralisme magique de Cent ans de solitude de Gabriel Garcia Marquez.
Aussi la narration est-elle mine par des rcits de violence, gratuite quand elle frappe le
personnage principal, Mohammed S.N.P. et/ou sa famille, absurde dans sa spatialisation
Manama et idologique par rapport la rvolte des esclaves Zinds. Avant dincarner
une allgorie, linflation des thmes et situations de violence, repose sur une criture
hyperbolique, use dun langage forte isotopie sanguinaire et/ou guerrire et adopte, non
sans ludisme, une composition fantasmatique, fantastique et baroque. Enfin, La prise de
Gibraltar, paru en 1987, est bord par deux vnements historiques : le 20 aot 711, chute
67
Garnier Xavier, Les formes dures du rcit : enjeux d'un combat , in Notre Librairie, revue des littratures du sud, n
Boudjedra Rachid, Pour ne plus rver, Illustrations de Mohammed Khadda, Alger, ditions nationales algriennes (E. N.
A.), 1965.
69
Le roman algrien de langue franaise. Vers un espace de communication littraire dcolonise ?, op. cit., p. 237.
18
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Introduction gnrale
Devsa Jean-Michel, Sony Labou Tansi : crivain de la honte et des rives magiques du Kongo, Paris, LHarmattan, 1996,
p. 37.
71
Tansi Sony Labou, Le malentendu , in 10 nouvelles de ... (uvres primes dans le cadre du quatrime concours
radiophonique de la meilleure nouvelle de langue franaise), Paris, Radio France/ACCT, 1979, pp. 18-35.
19
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
nest pas remis pas en cause, la structuration de ce texte rappelle le modle oratoire du
conte. Aussi la polysmie de ce roman rend-t-elle compte au moins de deux histoires : une
autofiction et une fable communautaire. Toutes deux, pour dire la violence, sollicitent par
exemple l'image obsdante de la maladie. Or, celle-ci fait croiser L'tat honteux d'un auteur/
narrateur/personnage principal avec celui de l'Histoire d'un pays ou d'un continent.
Comment caractriser, ds lors, la modernit et la postmodernit des romans de Rachid
Boudjedra et de Sony Labou Tansi ? Un pralable existe, qui consiste, par comparaison,
les situer dans leurs sphres littraires respectives. Avant d'en faire une question d'ordre
esthtique, Mohammed Dib et Rachid Boudjedra s'interrogent sur la validit axiologique de
la modernit fonder un projet de socit . Pour ce faire, le premier aborde, dans Dieu en
barbarie,des questions relatives la transmission, aux valeurs, la bonne gouvernance et
l'identit. Le second voque, dans ses romans, des sujets aussi sensibles que la religion,
l'histoire, la mmoire et/ou la place de la femme. Autant de thmes qui gardent encore
intacte leur rsonance dans le paysage mdiatique et littraire. Or, une caractristique
fondamentale de la modernit littraire, d'aprs Hns Robert Jauss, est qu'elle incarne une
72
valeur qui chappe au temps . Aussi la rflexion autour de ces thmes, angoisse
73
chez l'un, passionne chez l'autre, ressemble-t-elle une introduction la modernit
littraire. Avant que, fondamentalement, Dieu en barbarie et L'insolation, Les 1001 annes
de la nostalgie et La prise de Gibraltar, partagent une esthtique moderneancre dans la
prminence accorde au langage. Ce dernier, en tant que systme de signes dploy dans
ces uvres, investit davantage le signifiant que le signifi. titre d'exemple, la spatialisation,
sous forme d'espaces clos et hostiles comme la maison, l'hpital, la prison et/ou la ville,
participe du dire tragique de la violence. Cette dernire, cependant, imprgne diffremment
les romans des deux auteurs maghrbins. Dans le roman de Mohammed Dib, elle se fond
dans une rhtorique mesure et sans altration de la langue franaise. Quand, dans ceux de
Rachid Boudjedra, elle se conjugue selon une expression subversive et un rythme heurt.
Par rapport la dynamique postmoderne, les critures romanesques de Mohammed
Dib et de Rachid Boudjedra entretiennent d'videntes connivences. Parmi celles-ci figure,
d'abord, une rcriture des rcits fondateurs, notamment mythologiques et religieux. Quitte
banaliser, voire vilipender ces derniers, cette rcriture dfait le lien avec une expression
communautaire. Elle cristallise, chez l'un et l'autre, l'envie de se dmarquer en cultivant
une libert et une singularit romanesques. De celles-ci procde, ensuite, une deuxime
symtrie relative la distance ironique. L aussi, si on se rfre la titrologie de Dieu en
barbarie,le rapprochement des deux substantifs dont les horizons d'attente sont si opposs,
74
renvoie sinon une suprme ironie , du moins une ironie du sort. Quand Les 1001
annes de la nostalgie concentre une ironie sombre, voire cruelle. En effet, la substitution de
nuits par annes, dpossde les fameux contes de la magie d'un dnouement sans cesse
diffr. Par quoi est remplac un univers dfinitivement condamn l'amertume, voire au
dsenchantement. Dans un cas comme dans l'autre, la dimension postmoderne de l'ironie
advient d'un jeu de dplacement rversible, du rire au tragique, ou vice versa. Enfin, par
l'onirisme, les romans de Mohammed Dib et de Rachid Boudjedra ractualisent une autre
forme d'criture du tragique qui a partie lie avec le fantastique postmoderne. Dans Dieu
en barbarie, Kamal Wad partit d'un grand rire strident qui se rpercuta longuement dans
72
Bonn Charles, Prsentation , in Bonn Charles (sous la coordination de), Itinraires et contacts de cultures. Mohammed
Dib, Volume 21-22, 1er et 2me Semestre 1995, Paris, L'Harmattan, p. 20.
73
74
Gafati Hafid, Les mots , in Boudjedra ou la passion de la modernit, Paris, Denol, 1987, p. 61.
Bonn Charles, Lecture prsente de Mohammed Dib, Alger, ENAL, 1988,
http://www.limag.com/Textes/Bonn/DibEnal/
20
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Introduction gnrale
75
la nuit dserte . Ainsi, le romancier algrien travaille en seconde main le fameux rire
des dieux de l'antiquit grecque. Cependant que les hallucinations de Lbane, dnotant
un isolement du personnage dont le discours semble ostracis, en fournit un non-lieu
76
. En effet, au-del du reprage scripturaire, la typographie, en italique, est ce par quoi la
narration onirique est dcentre de celle du reste du texte. Si l'onirisme n'influe qu' partir
de la deuxime priode de l'uvre romanesque de Mohammed Dib, il est consubstantiel
celle de Rachid Boudjedra. Pour cause, la narration de La rpudiation, roman initial, est
organise autour du dlire racont par le narrateur, Rachid, son amante, Cline.La
reprsentation onirique, dans L'insolation et Les 1001 annes de la nostalgie, revt un
aspect postmoderne ds lors que la fonction jubilatoire des mots ne s'efface pas devant la
violence des hallucinations. En rapport constant avec les jeux de langage , le premier
intgre les rminiscences traumatiques dans un dlire potique global. Quant au second,
il interrompt la forme pisodique de l'criture du dlire en cours dans les romans prcdents.
En lieu et place, merge une narration onirique tentaculaire, qui inscrit la spatialisation de
Les 1001 annes de la nostalgie dans une dralisation totale.
Le mme travail sur la forme, partir d'une stratgie langagire, dynamise la modernit
des critures de violence observe dans Les soleils des indpendances et Les sept
solitudes de Lorsa Lopez, Les yeux du volcan et Le commencement des douleurs. En effet,
ces romans, dansleurs nonciations respectives,incorporent des xnismes. L'utilisation
rcurrente, et peut-tre agressive, qu'en fait Ahmadou Kourouma, est tempre par une
traduction intratextuelle et justifie par une potique du rythme. Tandis que les emprunts
effectus par Sony Labou Tansi largissent l'imaginaire du lecteur, en maintenant, toutefois,
l'unit du systme smantique et syntaxique. Dans les deux cas, la structuration spcifique
de l'nonciation cre une situation d'interlangue propre aux romans. Situation partir de
laquelle ces derniers s'ouvrent une intertextualit avec des textes et des espaces littraires
dont la modernit nest pas mise en doute. Ainsi la malinkisation , stratgie d'criture
de Les soleils des indpendances, prend-t-elle racine dans la connaissance d'Ahmadou
Kourouma des pratiques esthtiques en cours dans la fiction moderne occidentale, en
77
l'occurrence dans Voyage au bout de la nuit . Tout comme le projet de tropicalisation de
son langage littraire conduit Sony Labou Tansi une latinisation, au moins patronymique,
de l'espace et des personnages romanesques. Ce qui n'est pas sans rvler, dans ses
uvres, l'influence de celles issues de la littrature sud-amricaine. En consquence, le
chef-duvre d'Ahmadou Kourouma et les trois romans de Sony Labou Tansi partagent une
modernit base sur une activit accrue de l'invention autour de la langue.
Cette mise en forme narrative de la langue aboutit, par ailleurs, un texte postmoderne
lorsque, par hybridation, elle contribue dconstruire le genre du roman. En effet,
l'imaginaire des langues orales auquel recourent les textes d'Ahmadou Kourouma et
de Sony Labou Tansi, dfaut de la supplanter, concurrence la narration scripturaire.
L'incorporation de champs d'expression artistique se rapportant l'oralit participe
l'impuret du genre romanesque. Or, les deux romanciers ngro-africains intgrent, dans
leurs uvres respectives, la chanson, la posie dclame, la danse, la musique et/ou
la thtralit, comme sujets et/ou objets de narration. Certes Ahmadou Kourouma dit
75
76
contractualit solitaire .
77
21
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
78
avoir repris, dans En attendant le vote des btes sauvages , la structure narrative du
donsomana . Cependant, la caractrisation des personnages et de l'espace dans Les
soleils des indpendances fait croire qu'ilexprimente dj, ds ce roman,la fameuse
geste des chasseurs mandingues. Partant, les traits physiques et psychologiques des
protagonistes sont dcrits selon une analogie avec le rgne animal. Il en est ainsi de la
caractrisation respective de Balla, esclave affranchi compar une hyne solitaire et
Ticoura, marabout-fticheur au regard de buffle . Quant l'espace romanesque, il se
construit, par mtonymie, sur le modle de la jungle, o la loi est dicte par la ruse et la force.
Le commencement des douleurs de Sony Labou Tansi fonctionne de la mme manire
que le chef-d'uvre d'Ahmadou Kourouma. Le recyclage dun fonds artistique, typiquement
oral et traditionnel, que le roman opre, en brouille le systme nonciatif gnrique. En
exemple, la dprciation du rationalisme de Hoscar Hana, figure savante du roman, informe
sur un autre procs. Celui d'une contestation de la lgitimit d'un nonc uniquement
proccup par la recherche d'une intelligibilit. Aussi ce projet est-il ruin de l'intrieur par la
dissmination de termes argotiques, d'interpellations vocales et/ou de gestuelle thtrale.
Le sens des mots et des expressions devient mouvant.D'un point de vue spatial, Sony
Labou Tansi procde un clatement de la forme et des limites du vaudeville. S'il en
garde l'aspect comique et chant, il se dprend de son aspect circonstanciel. En effet,
l'ampleur du quiproquo, sur quoi repose l'intrigue du vaudeville, est exagrment dplace
dans tous les lieux d'nonciation du roman. De sorte que, entretenu, relay et diabolis
par tous les protagonistes, le geste sans quivoque de Hoscar Hana, effectu dans un
cadre priv, atterrit dans l'espace public. Il cre des tensions communautaires. Il provoque
le drglement des lments naturels. Bref, il dclenche la colre des dieux . Cest
que llargissement insens et linfini de lnonciation spatiale du geste pourtant anodin
de Hoscar Hana se rapporte aux palabres et la rumeur. Ds lors, ces derniers, formes
orales, mais surtout synonymes de paroles incontrles et incontrlables, travestissent le
genre du roman. Ainsi, compars deux romans d'illustres prdcesseurs, les textes de
Rachid Boudjedra et de Sony Labou Tansi partagent avec eux une modernit dont l'enjeu
principal s'articule autour du traitement esthtique de la langue. Dans une perspective
postmoderne, ils soumettent, en commun, cette langue qui pourtant dit la violence, la
tentation du jeu. Mais, on observe directement des similitudes et des diffrences dans les
stratgies narratives opres par Rachid Boudjedra et Sony Labou Tansi. Un survol des
uvres dsignes laisse entrevoir une certaine parit relative au contexte de production.
En effet, ce corpus runit des romans parus dans l'intervalle d'une vingtaine d'annes. Ils ne
se succdent pas immdiatement dans l'ordre bibliographique de leurs auteurs respectifs.
Si l'exprience littraire des deux romanciers, tait subdivise en trois tapes (dbut,
milieu et fin), les uvres romanesques choisies appartiendraient, globalement, chaque
partie. De sorte que se donne voir l'volution scripturaire des uvres, notamment leurs
inflchissements, moderne et postmoderne. Si la violence travaille invariablement ces deux
types d'criture, elle procde diffremment selon chaque cas. Dans le premier, l'criture
moderne obit un systme binaire o la violence des thmes abords concorde avec celle
qui prside leur formalisation. Chacun des six romans crits par Rachid Boudjedra et Sony
Labou Tansi, avant de rvler un rapport intertextuel ou d'indiquer un ancrage rfrentiel,
repose sur la construction autotlique d'une histoire et d'une socit fictives. Ainsi y
persiste-t-il une relle emprise de la dimension narrative. Mais prdomine surtout, dans
l'ensemble des uvres du corpus, une aventure langagire. Son envergure y est telle qu'elle
abrite, essentiellement, les ruptures, les innovations et les excs scripturaires. Quant au
second, savoir l'criture postmoderne, elle charrie une violence qui, cependant, procde
78
Kourouma Ahmadou, En attendant le vote des btes sauvages, Paris, Le Seuil, 1998.
22
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Introduction gnrale
Kouam Valrie Martin, Aspects compars du roman francophone contemporain (France, Maghreb, Afrique Noire). tude
compare de six romans, Thse de Doctorat de 3me cycle, prsente sous la direction de Jacques Mounier, Universit Stendhal
Grenoble III, U.F.R. de Lettres Classiques et Modernes, Novembre 1995, p. 13.
80
Dominique (Textes runis et prsents par), Senghor et sa postrit littraire, Universit Paul Verlaine-Metz, Centre de Recherches
critures , coll. Littrature des mondes contemporains, Srie Afriques, 2008, pp. 135-146.
23
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
sa thse, Samira Douider compare romans maghrbins, dont ceux de Rachid Boudjedra,
et romans ngro-africains. Elle se propose de dterminer si les diffrents auteurs sont
parvenus confrer au genre du roman une touche toute africaine et comment celle-ci
sinscrit dans le texte crit . Par ailleurs, elle tablit un lien de cause effet entre le
81
malaise vcu dans la socit et celui quelle trouve dans la reprsentation . Notre thse
conteste ces deux positions. La subjectivit laquelle rfrent, gnralement, les fictions
romanesques, modernes et postmodernes, rfute toute insistance d'ordre essentialiste.
Aussi la qute dun universalisme nous parat-il plus fconde que celle dune improbable
africanit des romans maghrbins et/ou ngro-africains. Loin de les appauvrir, Le devoir de
violence (ou le malaise) que sassignent ces derniers, noblige aucunement la rptition
vide. Au pire, cette criture de violence, articule avec la notion de subjectivit, offre des
82
lieux de langage qui (...) rvlent soit des questions, soit des structures , susceptibles
dintresser un large public.Au mieux, partir de celles-ci, elle interroge une mutation
83
84
littraire qu'elle sait toujours imminente et inhrente un espace aussi conflictuel que
celui des littratures africaines francophones. Deux orientations majeures, en guise de plan
de notre thse, essaient d'en runir des pratiques et des potentialits illustratives. Cellesci, davantage explicites dans le dveloppement de chaque grande partie, sont resserres
et lucides, respectivement, dans des notes introductive et conclusive.
Dans un premier temps, nous tenterons d'lucider, d'une part, les fondements
esthtiques qui construisent la modernit du roman africain francophone. Cette dernire,
85
replie, d'aprs Abdelkbir Khatibi, sur son insularit , c'est--dire s'appuyant sur une
approche systmique et sur une conomie du signe o prdomine le signifiant, se donne
comme fin de capter la dimension imaginaire et/ou imaginative inscrite dans La violence
du texte romanesque. Comme moyens, elle investit trois catgories narratologiques : le
personnage, l'espace-temps et le registre de l'humour. Par consquent, le fait que cette
conception du roman africain moderne s'inscrive dans une novation esthtique [qui]
86
relve de la semiosis, non de la mimesis , nous conduit essayer d'en dmontrer la
fcondit par la convocation rgulire des travaux de Roland Barthes, de Grard Genette,
de Philippe Hamon, Michael Riffaterre, de Julia Kristeva et/ou d'Alain Robbe-Grillet. Dans
un second temps, promouvoir une seconde voie esthtique, susceptible, partir de lieux
subjectifs, de rendre compte du tragique africain, signifie que le roman africain francophone
s'implique fond dans le courant postmoderniste pour lequel le texte devient significatif
81
Douider Samira, Le roman maghrbin et subsaharien de langue franaise. tudes compares, (reprise de sa thse intitule
Littratures maghrbines, littratures sub-sahariennes de langue franaise : similitudes et contrastes, analyses textuelles, dirige par
Arlette Chemain, Universit de Nice-Sophia Antipolis, 1993), Paris, LHarmattan, 2007, pp. 20.
82
83
84
85
86
Khatibi Abdelkbir, Entretien avec Adil Hajji , in coll., L'uvre de Abdelkbir Khatibi, Rabat, ditions Marsam, 1997, p. 26.
Vercier Bruno et Viart Dominique, La littrature franaise au prsent. Hritage, modernit, mutation, Paris, Bordas, 2008.
Nadeau Alain, Pour un nouvel imaginaire , in L'Infini : O en est la littrature ?, n 19, sept. 1987, p. 8.
Khatibi Abdelkbir, Par-dessus lpaule, Paris, Aubier, 1988, p.70.
Zeraffa Michel, Signe, image, fiction , in Sartre-Barthes, Revue d'esthtique, n Hors-Srie 05, Juillet 1996, p. 11. N'da
Pierre, Le roman africain moderne : pratiques discursives et stratgies d'une criture novatrice. L'exemple de Maurice Bandaman ,
in thiopiques, Revue Ngro-Africaine de Littrature et de Philosophie, n 77, Littrature, philosophie et art, 2me semestre 2006, in
http://ethiopiques.refer.sn/spip.php?article1518 , dfend la mme ide d'une prsentation formelle en rapport avec un systme
de signes.
24
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Introduction gnrale
87
[et non significatif] de lui-mme autant que de la ralit . Ce qui suppose, qu'au-del
88
d'une rflexivit, entendue comme dpassement , entre crise de la reprsentation et
reprsentation de la crise, il relance le modle des chroniques et autres histoires racontes
dans le rcit. Sans nuire, toutefois, la structure technique de la narration. Aussi s'inspiret-il, sur le fond, de la notion d' pistm . Laquelle peroit la crise dans une acception
salutaire ds lors qu'elle dsigne un vide [qui] ne creuse pas un manque, il ne prescrit pas
une lacune combler. Il n'est rien de plus, rien de moins, que le dpli d'un espace o il est
89
enfin nouveau possible de penser . Aussi repose-t-il, en pratique, sur la (re)constitution
de paradigmes narratifs salutairesassocis des chapitres appels, respectivement, crise
du style, crise du sujet , crise du corps, crise de l'tre et crise d'un genre, crise d'une
poque . cette occasion, les analyses littraires de la postmodernit qui proviennent
de l'cole d'Amsterdam, du Qubec et de France, et celles des critiques et philosophes
de la dconstruction tels que Jean-Franois Lyotard, Michel Foucault, Gilles Deleuze,
Jacques Derrida et/ou de Paul Ricur, nous servent de base thorique.
En ce qui concerne la mthode utilise dans ce travail, il convient de souligner d'abord :
si le concept de modernit littraire francophone ne souffre (ou souffre peu), dans sa
dfinition, sa comprhension et sa validation, d'aucune remise en question catgorique,
il faut, pour la postmodernit littraire, prciser l'ide que nous nous en faisons. Elle
renvoie, pour nous, un horizon, la fois, esthtique, pistmologiqueet contemporain.
L'adjonction postmodernit,de l'pithte littraire, permet d'viter l'cueil de l'emploi du
vocable postmodernisme. Celui-ci peut laisser croire qu'il existe un mouvement spcifique,
organique et structur au Maghreb et en Afrique noire francophone. Ce qui n'est pas le
cas. Il s'agissait, ensuite, contrairement quelques, et non moins rares, thses, comparant
les littrarures maghrbine et ngro-africaine francophones, de sortir dun inventaire de
leurs ressemblances et diffrences. Sans totalement la gommer, nous estimons que cette
dmarche devient davantage fconde dans un rapport dialogique avec la littrature et
90
la critique franaises . Enfin, nous nous essayions dans un comparatisme qui s'inspire
91
sans complexe de la notion De Bibliotheca critique (pour employer, la suite de Jorge
92
Luis Borges , le mme terme que Umberto Eco et Michel Foucault) que construisent,
patiemment et courageusement, Charles Bonn, Marc Gontard, Xavier Garnier, Bernard
Mouralis, Jean-Marc Moura et tant d'autres universitaires et chercheurs en littrature
francophone. Au-del de l'objet d'tude que nous partageons avec eux, l' influence sans
anxit de leurs thories et tudes sur notre travail, procde de ce que ces dernires, du
moins c'est notre lecture, ne peuvent tre dsolidarises d'une certaine ide de l'altrit, de
87
Coquery-Vidrovitch Catherine, Mbembe, Achille. - De la postcolonie. Essai sur l'imagination politique dans l'Afrique
contemporaine. Paris, Karthala, 2000, 293 p., index ( Les Afriques ) , in Cahiers d'tudes africaines, 167, 2002, [En ligne], mis en
ligne le 22 juin 2005. URL : http://etudesafricaines.revues.org/index1504.html . Consult le 16 septembre 2009.
88
Westphal
Bertrand,
POSTMODERNISME/
POSTMODERNISMEPostmodernism_n.html
89
Postmodernism
in
http://www.flsh.unilim.fr/ditl/fahey/
Foucault Michel, Les mots et les choses. Une archologie des sciences humaines, Paris, Gallimard, coll. Bibliothque
Malgr la rticence de Riesz Janos, Patrick Grainville, Les flamboyants (1976), et Sony Labou Tansi, La vie et demie
(1979) : Quel rapport entre textes europens et textes africains ? , in Lsebrink Hans-Jrgen et Stdtler Katharina (sous la direction
de), Les littratures africaines de langue franaise l'poque de la postmodernit. tats des lieux et perspectives de la recherche,
Oberhausen (Germany), Athena-Verlag, 2004, p. 129, qui pense que ce comparatisme pose problme .
91
92
25
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
la socit, du monde et de l'Homme. Gageons que cet esprit ouvert sur la sagesse des
93
barbares puisse sinon crotre du moins perdurer au sein de l'Universit franaise.
93
Fayolle Roger, La sagesse des barbares : enseigner les littratures maghrbines et africaines de langue franaise ,
in Notre Librairie. Revue des littratures du Sud, n 160, La critique littraire, dcembre-fvrier 2006, pp. 77-82, [Premire parution
dans le n 96, 1989].
26
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Premire partie : critures de violence et modernit francophone Vers une toute puissance du
signifiant ?
Hamon Philippe, Le personnel du roman, Genve, Librairie Droz, [1983, coll. Histoire des ides et critique littraire ], 1998, p. 108.
Adam Jean-Michel, Le rcit, Paris, Presses Universitaires de France, 1984, p. 4 : [La narratologie] sefforce danalyser le mode
Barthes Roland, Le degr zro de lcriture, Paris, ditions Gonthier, 1953, p. 36 : La Littrature est comme le phosphore : elle
brille le plus au moment o elle tente de mourir. (...). La modernit commence avec la recherche d'une Littrature impossible. Ainsi
l'on trouve, dans le Roman, cet appareil la fois destructeur et rsurrectionnel propre tout l'art moderne.
97
98
99
100
Coussy Denise, La littrature africaine moderne au sud du Sahara, Paris, Karthala, 2000, p. 37.
Girard Ren, Le bouc missaire, Paris, Grasset, 1982.
Eco Umberto, Smiotique et philosophie du langage, Paris, PUF, [1984], 1988, p. 71.
Jauss Hans Robert, Littrature mdivale et thorie des genres , in Genette Grard et al., Thorie des genres, Paris, Le
Seuil, 1986, p. 42 : () toute uvre suppose lhorizon dune attente, cest--dire dun ensemble de rgles prexistant pour orienter
la comprhension du lecteur (du public) et lui permettre une rception apprciative.
27
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
101
des ordalies , autel sur lequel ces figures immondes sont sacrifies ? Cependant,
si des trois structures actantielles cites ci-dessus se dgagent des effets [extrieurs]
102
de lecture programms par le texte , la dernire catgorie de personnage, savoir
les personnages-crivains , n'inscrit-t-elle pas son langage, exclusivement, dans une
approche autotlique ? Cette mutation forte du roman africain, au regard tant des signifiants
de l'auto-fiction que de la typologie et de la technique d'criture du roman tiroirs , forme
minemment moderne d'une fiction btie sur le langage, ne s'inspire-t-elle pas du Nouveau
Roman notamment ?
La deuxime catgorie narratologique s'articule autour de la textualisation de l'espace.
Ce qui suppose que la formalisation et les stratgies discursives labores, incarnent
la fois une virtualit qui s'actualise dans les monades ou les mes, mais aussi une
103
possibilit qui doit se raliser dans la matire . Non sans suggrer qu'elles travaillent
deux thories spatiales quidistantes, qui elles insufflent une dynamique langagire qui
dpasse le caractre byzantin de l'une et modre les vellits totalisantes de l'autre. Aussi la
spatialisation s'oriente-t-elle vers quatre dclinaisons fcondes dont, d'abord, l'adaptation/
104
adoption d'un chronotope
africain. Celle-ci ne dessine-t-elle pas un nouveau rapport
105
espace/temps en s'rigeant comme smiosphre
d'une criture de la violence qui
synchronise deux processus, l'une d'objectivation, l'autre de subjectivation ? De mme, la
deuxime dclinaison de la spatialit, caractrise par la mort des oppositions spatiales ,
106
contrepoint () de tout discours idologique
, politique et/ou communautaire
dans l'espace romanesque des littratures mergentes, n'introduit-elle pas un nouveau
paradigme langagier davantage proccup par l'individuation de sa formulation et les
modalits immdiates et immanentes de celle-ci ? Ce faisant, la tentation du fantasme et
de l'imagination dbrids, travers l'espace du virtuel , objet de la troisime dclinaison
spatiale, ne dsigne-t-elle pas, au-del d'une fonction narrative hbergeant la folle du
logis , l'expressivit d'une spatialit ? Ne traduit-elle pas, dans l'conomie d'une criture
de violence, les lieux de la perte, de l'angoisse et de la douleur ? N'quivaut-elle pas, par
consquent, un supplment de langage dont l'inintelligibilit n'est que facticit, ds lors
107
qu'il devient possible d'imaginer un tel discours comme autrement dit
? Dans le
mme registre, l'espace de l'enfermement , sujet de la quatrime et dernire dclinaison
du traitement de la spatialit romanesque, ne s'apparente-t-il pas une tauromachie
101
102
103
104
lieu la fusion des indices spatiaux et temporels en un tout intelligible et concret. Ici, le temps se condense, devient compact, visible,
tandis que l'espace s'intensifie, s'engouffre dans le mouvement du temps.
105
Lotman Youri, La smiosphre , ch. 8-13 de L'univers de l'esprit, Moscou, ditions Universit de Tartu, 1966, trad.
Bonn Charles, Roman national et idologie en Algrie. Propositions pour une lecture spatiale de l'ambigut littraire ,
Fleury Cynthia, La gloire du roseau pensant : l'imagination comme autrement dit , in Mtaphysique de l'imagination,
28
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Premire partie : critures de violence et modernit francophone Vers une toute puissance du
signifiant ?
108
du fait d'un double, et non moins trouble, jeu dendiguement du discours (corps du
texte) et dempchement de la parole (texte du corps) ? En effet, les dcoupages et
autres recoupements ne connotent-ils pas une violence ? Cette dernire ne rejoue-t-elle
109
pas, autrement, le drame de la gomtrie intime
, ds lors qu'elle dplace les
enjeux de coercition relatifs un espace sous domination ? Celui-ci ne recouvre-t-il pas,
dsormais, uneterrirorialit nouvelle partir d'un renversement langagier : celui-ci pose le
sujet masculin, du fait de sa logorrhe guerrire, comme victime expiatoire de sa propre
violence et suppose que son homologue fminin triomphe partir de la sduction et l'nigme
langagires qu'elle oppose au premier ?
Le troisime et dernier registre narratologique (si on peut l'appeler ainsi) traite de
l'humour notamment lorsqu'il abrite une dynamique discursive et langagire lui confrant
110
la possibilit de ngocier avec la violence
selon, principalement, trois modalits
narratives. D'abord, le recours aux trois registres du comique (le comique de mots, le
comique de geste et le comique de situation) ne prfigure-t-il pas un dialogisme entre
humour et violence, quand le premier met l'accent sur le rapport attirance/rejet de la langue
auctoriale vis--vis de la langue franaise sinon manifestement baragouine du moins
111
librement triture
? Le deuxime, sous forme de mise en scne d'une mcanique,
d'un automate, d'une pantomime ou d'un clown, n'interprte-t-il pas maladresse, vacuit et
excs comme rflexivit d'une impossibilit langagire ?Le troisime ne dsigne-t-il pas,
travers le grotesque du digestif et du sexuel notamment, une situation narrative qui semble
chapper tout langage ? Ensuite, s'il existe un Principe dialogique clairement tabli entre
humour et violence partir de signifis comiques, les signifiants de ce lien n'apparaissentils pas sous la structure formelle de la caricature, dont l'tude des constructions, brves et
112
allonges, rvle de ce que Roland Barthes dsigne comme un monde de signes
?
Enfin, l'humour en tant modle esthtique de violence, par le biais de l'humour tragique ,
ne s'achemine-t-il pas vers un espace de communication littraire dont le substrat langagier
dpolitise l'argument du refoulement freudien et fait valoir une ambigut motive par
113
Langagement
?
Ainsi, le roman africain francophone, notamment dans les uvres respectives de
Rachid Boudjedra et de Sony Labou Tansi, pose son modle narratif d'criture de la violence
en tant qu'il procde de la modernit littraire. La validation de ce prsuppos, s'appuie,
114
pour l'essentiel, sur le principe de la sensation de la forme . On peut le dfinir ainsi :
108
Leiris Michel, De la littrature considre comme tauromachie , in L'ge d'homme, 1939, Paris, Gallimard, [Rditions
1946], p. 12 : Le matador qui tire du danger couru occasion d'tre plus brillant que jamais et montre toute la qualit de son style
l'instant qu'il est le plus menac (...).
109
110
www.arabesques-editions.com/revue/francophonie/
article043101.htmL#_edn6
111
Boudjedra Rachid, Les mots et la langue , in Algrie Littratuture/Action, Paris, ditions Marsa, n 5, novembre 1996,
p. 95.
112
113
114
Barthes Roland, Le grain de la voix : Entretiens, 1962-1980, Paris, Le Seuil, 1981, p. 225.
Gauvin Lise, Langagement. L'crivain et la langue au Qubec, Montral, ditions Boral, 2000.
Chklovski Victor, Rsurrection du mot (1913), cit par Eichenbaum Boris, La thorie de la mthode formelle (1925),
in Todorov Tzvetan (sous la direction de), Thorie de la littrature. Textes des formalistes russes, Paris, Le Seuil, 1966, p. 43.
29
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Il fallait comprendre que la forme est quelque chose qui doit tre vcue, que vivre
signifie s'attribuer des formes. La vie tant perue comme ce qui se dveloppe
et s'exprime dans et par les formes artistiques, la forme et la vie ne sont plus
dissocies. Ce formalisme mlange la perception des formes artistiques avec la
115
perception de la vie ou du monde externe .
Par consquent, il investit moins son champ rfrentiel qu'il ne met en exergue sa
dynamique textuelle. Celle-ci fonde des structures qui nourrissent l'mergence d'une fiction
mobilise autour d'une pratique subjective sans restriction.
Pour Yves Reuter, toute histoire est histoire des personnages . En effet, selon ce
117
critique, les personnages romanesques, par les units linguistiques
auxquelles ils
renvoient, cest--dire le nom propre, le surnom ou une autre appellation, constituent un
nouvel enjeu moderne. Ce qu'il nomme units linguistiques , Franois Corblin le signifie
118
par dsignateurs
. Dans le cadre des littratures francophones, la dfinition de ce
dernier tend devenir caduque tant la fonction et la forme narratives des personnages
(prnom, surnom, initial entre autres) dbordent le lit du signifi et charrient la place du
119
120
signifiant , formatrice, porteuse de forme . Cette immixtion dans le langage procde
121
de stratgies fatales
en vue de contrecarrer sinon limpouvoir progressif des
122
personnages principaux du moins leur remise en question priodique
.
La nominalisation, dont Roland Barthes souligne la fonction minemment
123
124
smiologique , offre Rachid Boudjedra dans Les 1001 annes de la nostalgie
,
notamment travers la figure de S.N.P. Mohamed, le personnage principal, la possibilit
d'articuler une ambigut autour d'un prnom surdtermination sacre dans lespace
115
Tchougounnikov Sergue, Le formalisme russe : entre pense organique allemande et premier structuralisme , in
Prote, vol. 31, n 2, 2003, pp. 86-87. Version numrique de l'article : http://id.erudit.org/erudit/008757ar .
116
117
118
119
thorie des tymologies et du pouvoir fondateur du nom comme signifiant , Le bruissement de la langue, Paris, ditions du Seuil,
coll. Points Essais , 1984, p. 122.
120
121
122
Kristeva Julia, Une potique ruine (prface), in Bakhtine Mikhal, La potique de Dostoevski, Paris, Le Seuil, 1970, p. 20.
Baudrillard Jean, Les stratgies fatales, Paris, Livre de poche, Biblio-essais, 1983, p. 67.
Pageaux Daniel-Henri, La pninsule Ibrique et lEurope , in Didier Batrice (sous la direction de), Dictionnaire universel des
littratures, Paris, PUF, 1994, cit par Astic Guy, Crises du roman depuis les annes 1980. Pour en finir avec la ncro(ido)logie du
genre , in Roche Anne (sous la direction de), Le dit masqu. Imaginaire et idologie dans la littrature moderne et contemporaine,
Publications de l'Universit de Provence, 2001, p. 21.
123
124
Barthes Roland, Proust et les noms , in Nouveaux essais critiques, Paris, Le Seuil, coll. Points , 1972, p. 125.
Boudjedra Rachid, Les 1001 annes de la nostalgie, Paris, Denol, coll. Folio , 1979.
30
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Premire partie : critures de violence et modernit francophone Vers une toute puissance du
signifiant ?
maghrbin. criture ambigu en ce que la trivialit des initiales S.N.P. (Sans Nom
Patronymique) corrompt la dimension religieuse, voire prophtique, du prnom Mohamed :
Nos lgendes ne sont pas plus claires sur la question de notre origine. Elles
lont marie en des noces froces lexistence de Mahon-Mahan (). Dautres
histoires nous attribuent un anctre plutt douteux, quoique plus fiable sur le
130
plan des influences et du temprament : () Goya-Goyam.
Ainsi, la polyphonie onomastique des personnages qui sinscrit plus dans une dimension
131
rhtorique que smantique, procde dun signifiant privilgi du discours
, par
consquent se positionne dans le champ du langage. Par ailleurs, la part dexotisme et
de fantaisie, brode ici ou l autour des noms de personnages, participe dune volont
de dranger le lecteur entt dans ses certitudes et de changer sa reprsentation
de laltrit, souvent conue selon des clichs. Ds lors, ce qui fonde la modernit de la
problmatique du personnage chez Rachid Boudjedra et Sony Labou Tansi, et au-del
deux, dans les littratures francophones du Maghreb et de lAfrique noire, cest leur nouveau
positionnement comme agents actifs du langage. Ce qui, dans lconomie du texte,
132
dbouche sur une redistribution actantielle, faite, sinon dans la mfiance
du moins
dans la nuance,par le biais de la mort du personnage hros , du personnage de groupe
ou les gens den bas , des personnages immondes et des personnages crivains .
en gnral comme un simple moyen, arbitraire, de les dsigner. () Le nom () est insparable de sa ralit (do le fait, par exemple,
que souvent en Afrique connatre le nom vritable dun individu donne pouvoir sur lui, aussi le tient-on secret).
127
128
129
130
131
132
31
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
(sous la direction de), Psychanalyse et texte littraire au Maghreb, Paris, L'Harmattan, 1991,p. 13.
135
136
137
Le roman algrien de langue franaise. Vers un espace de communication littraire dcolonis ?, op. cit., p. 25.
Barthes Roland, Le bruissement de la langue, Paris, Le Seuil, 1984, p. 89.
Quefflec Lise, Personnage et hros , in Glaudes Pierre et Reuter Yves (sous la direction de), Personnage et histoire littraire,
32
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Premire partie : critures de violence et modernit francophone Vers une toute puissance du
signifiant ?
moderne qui promeut de plus en plus, selon Dominique Chteau, une reprsentation de
140
ses dtails . En effet, pour Rachid Boudjedra, le personnage principal ne saurait
incarner une figure exceptionnelle et aucune particularit ne peut justifier lanoblissement de
ses actions par rapport aux actions des autres personnages. cet effet, son ddoublement
dans cette uvre, comme la multiplication des structures actantielles dans Linsolation ou
Les 1001 annes de la nostalgie, sinscrit dans une perspective de concurrence narrative.
Philippe Hamon aborde la question de la banalisation du personnage principal. Il la dfinit
ainsi :
(...) une dqualification de son tre et de son faire, de ce quil est et de ce quil
fait, donc par une certaine dvalorisation et dgradation de son action, deux
mouvements qui vont de pair avec une polyfocalisation gnrale du systme
des personnages (...). Le tout, bien sr, subordonn au fait que le commentaire
valuatif, celui qui tranche, intervient et distingue entre personnages positifs
141
et personnages ngatifs , se fasse (...) aussi peu orient que possible.
En ce qui concerne la littrature ngro-africaine, notamment telle quelle apparat dans
luvre de Sony Labou Tansi, on est en droit de se demander sil existe un personnage
principal ? Une rponse ngative peut, notre avis, tre envisageable. Les sept solitudes
de Lorsa Lopez, au de-l du prtexte littraire que constitue le crime passionnel, aborde la
difficile et non moins actuelle question du rapport avec la modernit. Quand, notamment,
cette dernire module la sanction en tant que principe incontournable de justice dans des
socits africaines o la culture de la paix et le rglement des conflits individuels et collectifs
passent dabord par le principe de concertation. Il va sans dire, ds lors, quune telle
problmatique engage moins un personnage singulier quune reprsentation collective, ici
introduite simultanment par la voix/voie fminine et pronominale :
Elle nest pas venue, la police, parce quon na tu quune pauvre femme, dit
Estina Bronzario. Quils nous prennent pour des lagotriches ou des lagans ! Mais
142
quils se foutent de nous tuer
La mfiance de lauteur congolais lendroit du personnage-hros est telle quil semble
lui imputer la responsabilit du dsastre de la reprsentation littraire, du moins dans
sa forme exclusive et unilatrale. Dcentrer le personnage principal et le dpouiller de
143
sa fonction de griot revient, pour Sony Labou Tansi, souligner une imposture
du roman africain. Celui-ci, semble-t-il, na que trop clbr les vertus d'une civilisation
144
africaine rpute pour son Arbre Palabres , alors qu'une certaine omerta sculaire et
145
initiatique frappe un pan entier de son histoire . Par ailleurs, lauteur rompt avec une vieille
140
Chateau Dominique, Le bouclier dAchille, Thories de liconicit, Paris, LHarmattan, 1997, p. 99.
141
142
143
Imposture dune Afrique qui serait le symbole par excellence de lAgora. Louvrage du critique Midiohouan Guy, Lidologie dans
la littrature ngro-africaine dexpression franaise, Paris, LHarmattan, 1986, p. 62, dnonce cette situation. Son avis est partag par
Ricard Alain, La littrature dAfrique Noire, des langues aux livres, Paris, Karthala, 1995, p. 33, qui crit : Tout Africain qui parle
ne produit pas de la littrature orale ! La parole sinscrit dans des cadres sociaux, des cadres linguistiques, et sorganise autour de
schmas prosodiques et ou gnriques pour tre vraiment une forme dart oral, cest--dire une littrature orale.
144
145
Chevrier Jacques, Larbre palabres, essai sur les contes et rcits traditionnels dAfrique noire, Paris, Hatier, 1986.
NDaw Alassane, La pense africaine, Dakar, Nouvelles ditions Africaines, 1983, p. 114 : Lapprentissage du silence et le
maniement du langage se sont ds la tendre enfance et sont cautionns par le ndomo , premier jalon de la carrire initiatique.
33
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Cet amour du papier, cet engouement de lcriture, cet attachement aux mots, la
justification de leur existence btie sur la notion dcriture et sur le rapport
leur propre criture sont les points communs aux personnages de Boudjedra
147
(...).
La seconde exigence procde de la propension des auteurs vouloir, par le biais du
148
personnage, narrer linnarrable, bref nommer (...) ce qui nose son nom . En effet,
Rachid Boudjedra et Sony Labou Tansi cherchent dans la construction narrative de leurs
personnages-hros respectifs, poser la prsence effective du rel dans le roman, sous
des formes jusque-l peu opres dans les littratures maghrbines et ngro-africaines.
Ils tentent dinscrire dans leurs uvres respectives, le langage des affects, travers,
notamment, le traitement littraire du cri. La modernit de cette approche, daprs Alain
Marc, se caractrise ainsi :
146
147
Robbe-Grillet Alain, Pour un Nouveau roman, Paris, ditions de Minuit, 1963, p. 28.
Ouhibi-Ghassoul Bahia Nadia, L'criture dans l'uvre de Rachid Boudjedra , in Gafati Hafid (sous la direction),
Rachid Boudjedra. Une potique de la subversion. Autobiographie et Histoire, Paris, L'Harmattan, 1999, p. 83.
148
Sartre Jean-Paul, cit par Glaudes Pierre et Reuter Yves, Le personnage, Paris, PUF, Collection Que sais-je ? , 1998, p. 40.
34
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Premire partie : critures de violence et modernit francophone Vers une toute puissance du
signifiant ?
La mise en avant de lexpression sur le style, le seul but tant dexprimer une
forte motion. Nul mouvement artistique naura autant cultiv la figure du jet ().
149
On parle alors de rvolutions potiques (), dimpulsion cratrice ().
150
Ainsi place est faite aux cris djebariens , aux souffrances, la tourmente et la folie de
leurs personnages principaux. Aux antipodes d'une formalisation rassurante, ils surgissent
textuellement dans un rapport sans intermdiaire avec l'nonciation. D'o une spcificit
nonciative qui sort des cadres classiques de la reprsentation. Afifa Bererhi ne dit pas
autre chose quand elle crit :
149
Marc Alain, crire le cri. Sade, Bataille, Maakovski, Paris, ditions Lcarlate, 2000, p. 63. Dans son rpertoire du
cri moderne , il convoquegalement des auteurs maghrbins comme Abdellatif Labi et Tahar Ben Jelloun.
150
Assia Djebar a beaucoup voqu cette question du cri de lcriture , notamment quand elle crit : () lcriture fuit, cest le
cri qui prend la place, cest le silence. , in Gauvin Lise, Lcrivain francophone la croise des langues. Entretiens, Paris, Karthala,
1997, p. 34.
151
Bererhi Afifa, Rachid Boudjedra , in Bonn Charles, Khadda Naget et Mdarhri-Alaoui Abdallah (sous la direction de),
Kristeva Julia, Pouvoirs de lhorreur : Essai sur labjection, Paris, Le Seuil, 1980, p. 20.
Paulhan Jean, Les fleurs de Tarbes ou la terreur dans les lettres, Paris, Gallimard, 1941, p. 74.
Green Andr, La dliaison, Paris, ditions Les Belles-Lettres, 1971, Rditions 1992, p. 49.
Bataille Georges, Lrotisme, Paris, ditions de minuit, 1957.
35
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
157
158
Foucault Michel, Histoire de la sexualit I : La volont de savoir, Paris, Gallimard, 1976. Histoire de la sexualit II : Lusage
Blanchot Maurice, Lcriture du dsastre, Paris, Gallimard, 1980, p. 71 : Danger, que le dsastre prenne sens au lieu
Benmerad Sad, Entre blme et louange: Narrateur infme cherche hros pique , in Bonn Charles et Boualit Farida
(sous la direction de), Paysages littraires algriens des annes 90 : Tmoigner dune tragdie ? , Paris, LHarmattan, 1999, p. 71.
160
161
162
littraires algriens des annes 90 : Tmoigner dune tragdie ?, op. cit., p. 89.
163
164
165
Ben Jelloun Tahar, Moha le sage, Moha le fou, Paris, Le Seuil, 1978.
Laventure ambigu, op. cit.
Mauriac Franois, Le romancier et ses personnages, Paris, ditions Buchet-Chastel, 1933, pp. 154-155. Cette citation sert,
trs souvent, d'illustration au dbat polmique entre son auteur et Sartre Jean-Paul, Monsieur Franois Mauriac et la libert in
Situations I, Paris, Gallimard, [1re d. 1939],1947, pour qui, Franois Mauriac enferme toujours ses propres personnages dans une
logique de reprsentation de l'ordre moral et se pose, ainsi, comme un romancier de la censure.
36
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Premire partie : critures de violence et modernit francophone Vers une toute puissance du
signifiant ?
166
Le discours enflamm de celle qui avait pris le nom tincelant dune ancienne
reine dgypte et du Cham de 647 661 de lre musulmane, fut rpercut dans
toutes les maisons. Les hommes () acceptrent cette nouvelle situation et le
170
rle prpondrant des femmes ().
ce sujet, il est intressant dobserver lvolution narrative du personnage fminin de
groupe chez Rachid Boudjedra : La rpudiation et Linsolation posent un discours victimaire
et sacrificiel, quand Les 1001 annes de la nostalgie et La prise de Gibraltar proposent un
contenu contestataire et anticlrical. Nous ne verrions travers ce rapport sous forme de
chiasme (victimaire/contestataire et sacrificiel/anticlrical), au-del dune charge subversive
supplmentaire, une manifestation de la modernit que cette dernire transparatrait sans
171
doute travers la fminisation de lcriture boudjedrienne dans La pluie . Au point que,
comme est considre la caractrisation gnrique de luvre de Marcel Proust, celle de
Rachid Boudjedra participe selon Charles Bonn, dune criture androgyne envisager
172
dans une dynamique de rupture qui est celle-l mme de la modernit .
166
L'expression gens d'en bas que nous utilisons ici s'inspire de gens de Luna , la fameuse expression employe
par Werewere Linking, Elle sera de jaspe et de corail, Paris, L'Harmattan, 1983. Ce terme gnrique dsigne dans son
uvre la foule, le peuple, bref ceux qu'on appelle, dans un certain discours idologique, les masses laborieuses .
167
168
169
170
171
172
37
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Ce dbat, en mme temps quil se pose dans la littrature maghrbine dexpression franaise, suscita au sein de
la littrature ngro-africaine une vhmente polmique autour de luvre dAhmadou Kourouma. En effet pour certains critiques
comme Kon Amadou, Des textes oraux au roman moderne,Frankfurt, Verlag fr Interkulturelle Kommunikation, 1993, p. 153, le
malinkisme littraire de lauteur des soleils des indpendances et dAllah nest pas oblig, dissimule des carences dans la matrise
de la langue de Molire. Au contraire dun Gassama Makhily, La langue dAhmadou Kourouma, Paris,ACCT-Karthala, 1995, p. 17,
qui y voit les signes du roman le plus original, le plus riche et le plus singulier, tant par les thmes traits que par lcriture.
174
175
176
177
Eco Umberto, Luvre ouverte, Paris, Trad. Fr. Le Seuil, Points , 1965.
Linsolation, op. cit., p. 231.
Le roman algrien de langue franaise : vers un espace de communication littraire dcolonis ?, op. cit., p. 242.
Taylor Charles, Le malaise de la modernit, trad. de langlais par Charlotte Melanon, Paris, ditions du Cerf, 2002, p. 95. Lauteur
voque Rilke en justifiant la modernit de son uvre littraire par la transfiguration du langage qui cre ou recre une puissante
relation entre les vivants et les morts.
38
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Premire partie : critures de violence et modernit francophone Vers une toute puissance du
signifiant ?
Disant, donc nous sommes rentrs dans un bar frquent par des soldats
franais et nous avons fait semblant de nous bourrer la gueule jouant les
182
dcontracts assis que nous tions au fond de la salle ().
Michel Butor, dans plusieurs de ses crits, aussi bien fictifs que critiques comme Rpertoire
183
184
II
ou Essais sur le roman , montre le rle dterminant des pronoms personnels dans
lnonciation romanesque. Sil est vrai que tous les ouvrages de lesprit contiennent
185
en eux-mmes limage du lecteur auquel ils sont destins , il lest davantage avec
lintroduction du pronom personnel dans luvre. En effet, outre le fait quil engage le
lecteur dans les malheurs du narrateur, le pronom personnel devient une ncessit de
186
la dramatisation
en ce sens que cette dernire prend une dimension collective. Dun
acte isol, les malheurs du personnage principal deviennent, avec lusage du nous ,
un drame communautaire et une injustice sociale grave. En outre, le personnage principal,
atteint dans sa chair et traumatis par diverses formes de violence, ragit comme victime.
Autrement dit, il narrive raconter le drame de son histoire qu'au prix d'un effort surhumain.
Ds lors, le pronom personnel nous , la manire dune thrapie de groupe, se charge
187
de librer le narrateur, de faire jaillir cette parole empche .
En dfinitive, avec lavnement du personnage de groupe, le concept de roman
188
familial
slargit et prend une dimension nouvelle. Il ne signifie pas que la relation
dune histoire enjolive, permettant aux personnages d'excder leurs nvroses. Mme
178
Mac Marie-Anne, Le roman franais des annes 70, Presses Universitaires de Rennes, 1995, pp. 59-62.
Gay-Crosier Raymond, Personnage et pronom personnel dans La modification de Butor. Essai sur les modalits de la
perspective , in Naaman Antoine et Painchaud Louis (textes runis et prsents par), Le roman contemporain d'expression franaise,
Sherbrooke, Facult des Arts, 1971, pp. 192-217.
181
182
183
184
185
186
Lettres et Sciences Humaines, Dakar, Universit Cheikh Anta Diop, n 15, 1985, p. 136.
187
Le roman algrien de langue franaise. Vers un espace de communication littraire dcolonis ?, op. cit., p. 244. Charles
Bonn y reprend son compte ce concept freudien, aprs Marthe Robert, Roman des origines et origines du roman, Paris, Grasset,
1972.
39
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
189
2002, Dakar, Facult des Lettres et Sciences Humaines de l'Universit Cheikh Anta Diop, p. 11.
191
192
193
194
Le roman algrien de langue franaise. Vers un espace de communication littraire dcolonis ?, op. cit., p. 16.
Sembne Ousmane, Les bouts de bois de Dieu, Paris, Presses Pocket, 1971.
Sembne Ousmane, Xala, Paris, Prsence Africaine, 1973.
Il faut aussi mentionner le roman dAminata Sow Fall, La grve des battus, Dakar, Nouvelles ditions Africaines, 1979, dont
le caractre surraliste du thme, en loccurrence une grve des mendiants dans une ville africaine, na dgal que le ct iconoclaste
de la technique dexpression, notamment du groupe de personnage reprsentant les marginaux.
195
Dabla Swanou, Nouvelles critures africaines. Romanciers de la seconde gnration, Paris, L'Harmattan, 1986,
p. 124.
196
40
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Premire partie : critures de violence et modernit francophone Vers une toute puissance du
signifiant ?
tant quun individu. Dautre part, ne serait-il pas paradoxal, voire mme incongru, que la
197
position du personnage de groupe participt dun refus de dveloppement et de modernit
littraires, quand des valeurs telles que la dfense des liberts fondamentales, la fin des
dictatures et la promotion de la condition fminine (valeurs dont la modernit nest plus
discuter), sont incarnes dans une logique du rcit qui veut en finir avec le statut
198
de patients
? Cest tout le sens quil convient de donner dans luvre de Sony
Labou Tansi, notamment dans Les sept solitudes de Lorsa Lopez, la textualisation des
199
voix narratives fminines. Celle-ci sonne comme un dfi la modernit
en ce quelle
200
brise le carcan idologique et militant de la littrature fministe ngro-africaine et favorise
lacceptation dune fminisation scripturaire en tant quune innovation esthtique :
Avec un art qui ne pouvait sortir que de sa bouche, Fartamio Andra nous raconta
lassassinat, usant des mots quelle seule savait trouver, variant souvent le ton
201
car, disait-elle, lart de nommer est dabord et avant tout art de ton.
Au-del des nouvelles pratiques nonciatives promues, les dmarches littraires et
militantes de Sony Labou Tansi sont troitement lies. Elles restent toutes deux marques,
qui du sceau de l'anticonformisme, qui du sceau, sinon de la rvolte, du moins de la
subversion. Cest ainsi quil devient dans le paysage littraire ngro-africain le chantre des
202
lettres ouvertes dont les plus clbres demeurent Lettre ouverte lhumanit
et
203
Lettre aux Africains du Parti Punique . Contrairement lavis de Swanou Dabla,
le personnage de groupe dans luvre de Sony Labou Tansi, possde une personnalit
romanesque encore plus dense, non en ce quil reprsente des mouvements sociaux mais
en ce quil cre une distance et une alternative narratives. En effet, de par sa situation qui
est souvent celle du refus de loppression et de par sa capacit analyser travers un angle
lucide et objectif la socit dans laquelle il volue (analyse qui le conduit rejeter cette
socit et vouloir lui substituer une nouvelle), le personnage de groupe agit de manire
significative dans lorientation du rcit. Son impact considrable dans le rcit sexprime
197
Nous introduisons volontairement ce mot car nous pensons que la note pjorative qui caractrise les avis de Swanou Dabla
sur la question du personnage de groupe fait cho dun contexte d afro-pessimisme dont louvrage clbre de Cabou Axel, Et si
lAfrique refusait le dveloppement, Paris, LHarmattan, 1991, est devenu le porte-tendard.
198
199
200
anthologies, tire sa modernit moins par son engagement et sa politisation en faveur de la promotion des femmes que par sa capacit
sinscrire dans une dynamique de diffrence et de singularit au niveau de son nonciation. A ce titre, le retentissement mondial du
roman de rupture (lnonciation est sous forme pistolaire) de B, Une si longue lettre, Dakar, Nouvelles ditions Africaines, 1979,
traduit en plusieurs langues, est l'un des plus grand succs de cette littrature fministe. Le rapport foucaldien du pouvoir et du
savoir encore dfavorable en Afrique aux femmes, moins scolarises que leurs alter ego masculins, nest pas sans justifier le manque
de crativit de cette littrature fministe. Pour en revenir Une si longue lettre de Mariama B, elle semble avoir influenc le roman
dric Orsenna, intitul Madame B, Paris, ditions Fayard/ Stock, 2003, notamment pour le choix de la correspondance comme
systme narratif. Mme si lacadmicien n'admet qu moiti cette influence, ds lors quil explique lorigine de son roman par son
attachement lAfrique. Roman qui, du reste, par le biais du thme de l'immigration africaine, sngalaise et malienne en loccurrence,
des vicissitudes et autres drames relatives cette dernire, procde, suivant son collgue acadmicien, Alain Touraine, d'une Critique
de la modernit [occidentale], Paris, ditions Fayard, 1992.
201
202
203
Tansi Sony Labou, Les sept solitudes de Lorsa Lopez, Paris, Le Seuil, 1985, p. 27.
Tansi Sony Labou, Lettre ouverte l'humanit in revue quateur n 1, octobre-novembre 1986, p. 23.
Tansi Sony Labou, Lettre aux Africains du Parti Punique , in Jeune Afrique conomie n 136, 1980.
41
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
travers une reprsentation forte, pour ne pas dire excessive, de scnes de grve et/ou de
protestation. Il faut cependant relativiser la prpondrance de ce personnage de groupe
dans le rcit. Mme si une vision chevaleresque lui confre une certaine reprsentativit
dans le roman, il nen demeure pas moins trs nettement spar du reste des personnages.
Ce qui videmment pose un problme de donquichottisme au niveau de la trame narrative
mais galement un souci dquilibre et dinteraction entre tous les personnages d'une
uvre. Ds lors pointe une certaine absence de ralit physique, au sens flaubertien, du
personnage de groupe. Tout se passe comme si Sony Labou Tansi choisissait dlibrment
dignorer les portraits, de taire les caractres spcifiques et biographiques, bref de rduire
la place de la description, dans un seul but de rvler, travers la composition de ce type
de personnage, la gravit des problmes que ce dernier soulve.
L'ultime artifice narratif que recouvre ce personnage de groupe, procde, sans doute,
d'une volont auctoriale de faire, indirectement, lapologie du personnage principal. En
effet, le destin du second reste souvent li celui du premier. Pour cause, leur mise en
perspective respective, selon une prsence/absence dans la narration, recourt l'explicite
dans la surdtermination de l'un, cependant qu'elle renvoie l'implicite dans l'effacement
de l'autre. Ce qui sapparente au principe de round characters que dveloppe Edward
204
Morgan Forster dans son Aspects of the novel .
Ainsi, lapparition du personnage de groupe dans les romans de Rachid Boudjedra et
de Sony Labou Tansi, participe d'une expression de renouvellement du systme narratif, et
par consquent, pose un acte de modernit. Quen est-il de la catgorie de personnages
que nous qualifions de figures immondes ?
Forster Edward Morgan, Aspects of the novel, New-York, Harcourt, Brace and Company, 1927, pp. 103-118.
th
Edition, 1790.
Hemingway Ernest, L'adieu aux armes, Paris, Gallimard, 1948. Hemingway Ernest, Pour qui sonne le glas,, Paris, Le Seuil, 1953,
42
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Premire partie : critures de violence et modernit francophone Vers une toute puissance du
signifiant ?
209
210
que les romans russes, notamment ceux d'Alexandre Soljenitsyne , de Lon Tolsto et/
211
ou de Fedor Dostoevski , dessinent un univers carcral dont la violent n'est pas sans lien
avec l'enfermement des personnages dans la ngation de leurs propres actions. Cela ne
signifie pas, pour autant, que le lecteur soit attir, exclusivement, par un got morbide de
212
lhorreur, mais quil se dgage des personnages qui incarnent le mal, une Fascination
laquelle il peut difficilement rsister. A cet gard, le personnage immonde constitue une
ligne de fuite sur laquelle lil du lecteur se polarise, de faon comprendre le jeu
des personnages, leurs poids et leur reprsentativit respectifs dans la fiction. Il semble
213
ds lors vident que la modernit littraire ne peut avoir Les yeux baisss sur les
codes et les systmes de valeurs dans des socits, maghrbine et ngro-africaine, pour
214
qui, ne sonne pas encore Le crpuscule des temps anciens . Mohamadou Kane tudie
la situation des crivains africains jugs trop assimilationnistes et conclut que le
215
naturel chass des [nos] auteurs-lves accourait fcheusement au galop . Mais on
ne souponnerait davantage les littratures africaines francophones de s'emmurer derrire
un conservatisme que Roland Barthes lverait toute quivoque quand, dans sa gense de
luvre littraire moderne, il note que cette dernire, depuis sa composition jusquaux effets
produits, tisse une relation troite, forte et immdiate avec sa socit, ses origines, son
216
histoire et ses Mythologies . Car lcriture est prcisment ce compromis entre une
217
libert et un souvenir . Cest du reste, d'aprs Jean Starobinski, sur ce postulat que
218
repose en substance la thorie de la rception chez Hans Robert Jauss .
Le rapport la modernit du personnage immonde transparat dans les uvres
respectives de Rachid Boudjedra et de Sony Labou Tansi quand la fiction dans la
reprsentation du pre ou du tyran, fconde une rflexivit. Cette dernire, si lon en croit
Anne Besson, fonctionne en tant que synonyme de dsignation large de tout phnomne
de retour sur soi de la reprsentation et semble bien caractriser la modernit
219
littraire.
Si bien que Rachid Boudjedra, travers le personnage immonde du pre,
introduit un phnomne pratiquement indit dans la littrature maghrbine dexpression
209
210
211
212
213
214
215
p. 536.
216
217
218
ou l'inadquation communes aux attitudes intellectuelles que Jauss rprouve, c'est la mconnaissance de la pluralit des termes,
l'ignorance du rapport qui s'tablit entre eux, la volont de privilgier un seul facteur entre plusieurs; d'o rsulte l'troitesse du champ
d'exploration : on n'a pas su reconnatre toutes les
personae dramatis
Besson Anne, Introduction , in Bessire Jean et Schmeling Manfred (sous la direction de), Littrature, modernit et
rflexivit. Confrence du Sminaire de Littrature compare de lUniversit de la Sorbonne Nouvelle, Paris, Honor Champion, 2002,
pp. 7-8.
43
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Dans mon premier roman publi en 1969, je disais dj que le peuple algrien
avait besoin dune psychanalyse, dune thrapie, pour que nous puissions enfin
225
exprimer le non-dit, cest--dire nous-mmes.
Il sagit ds lors pour la narration sinon de dire le non-dit du moins de le reprsenter dans une
formulation itrative, entrecoupe et discontinue o limage dtestable du pre dclenche
un syndrome dobsession et de schizophrnie.
Dans la qute dengager le langage au cur de son uvre littraire, Rachid Boudjedra
procde un retournement de La logique du rcit : il rduit de manire considrable le
champ dexpression du personnage immonde, bourreau en loccurrence, en mme temps
quil se livre la surdtermination de la situation victimaire. Moins que les mauvaises actions
des personnages immondes, ce sont leurs consquences nfastes qui importent. Ds lors,
226
lenfance saccage
, devient, certes, une rcurrence anaphorique fonde sur un
227
principe de focalisation externe . Mais, cest surtout une parole qui sait rsister aux
228
paroles . Autrement dit, cest une manire cartsienne dexister : je crie, donc jexiste.
Cependant au-del du dynamitage du langage quinduit indubitablement le
renversement narratif de la position du personnage immonde, la modernit littraire inscrite
dans son traitement semble faire cho une prcdente. En effet, le personnage immonde
du pre dans luvre de Rachid Boudjedra instaure la rversibilit des significations par
229
la cration dun espace de lecture intertextuelle avec dune part ce que Kateb Yacine
220
221
222
223
Genette Grard, Introduction l'architexte, Paris, Le Seuil, coll. Potique , 1979, p. 87.
Boudjedra Rachid, Les funrailles, Paris, Grasset, 2003, pp. 20-21.
Lejeune Philippe, Je est un autre. Lautobiographie, de la littrature aux mdias, Paris, Le Seuil, Coll. Potique , 1980.
Boudjedra Rachid, Lettres algriennes, Paris, Le Livre de poche, 1997, p. 76.
226
227
228
229
44
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Premire partie : critures de violence et modernit francophone Vers une toute puissance du
signifiant ?
nomme la trahison des pres . Mais, dautre part, il suppose un rapport avec ce que
Louis Aragon dnonait ainsi :
Ce sont eux qui nous ont mens l, nos pres, avec leur aveuglement, leur
superbe ddain (), leurs faons de se tirer des pieds toujours, en laissant les
230
autres dans le ptrin.
Autrement dit, la thmatique du pre en tant que personnage immonde dans luvre de
Rachid Boudjedra, pose un acte littraire moderne dans la lucidit katbienne de la
diatribe et dans le caractre surraliste et iconoclaste de cette dernire au regard de la
place de la figure paternelle dans la socit maghrbine.
Concernant luvre de Sony Labou Tansi, la reprsentation des figures immondes
constitue le fondement de son univers romanesque. La violence barbare qui y rgne, porte,
principalement, la signature de personnages incarnant sinon une autorit narrative qui na
dgal que celle du personnage principal ou du narrateur, du moins exerant une domination
fictionnelle sur les autres tres de papier .
Quelle soit reprsente travers un homme comme Lorsa Lopez, haut commandeur
231
de la Lgion, ancien ministre des Finances , travers celle du maire Tristansio Banga
Fernandez et de la multitude de colonels dans Les yeux du volcan ou par le prisme du
savant Oscar Hana dans Le commencement des douleurs, la question du pouvoir est
toujours aborde dans une perspective de domination foucaldienne, non moins excessive.
Ainsi, la problmatique des personnages immondes dans lcriture romanesque de Sony
Labou Tansi, est entirement exploite comme moyen de reprsentation dun pouvoir
dictatorial qui rgne en matre absolu un peu partout en Afrique. Analysant avec prcision
la reprsentation dans le roman africain, du rapport entre le personnage immonde et le
pouvoir, Swanou Dabla crit :
Aragon Louis, Prface (rimpression de la version de 1965), in Les voyageurs de limpriale [1947], Paris,
45
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
romanesque de Sony Labou Tansi, n'est pas sans rapport avec la tropicalisation du Big
Brother, cher Georges Orwell. En effet, en associant la croyance populaire africaine de
235
l il malfique lunivers totalitaire de 1984 , roman dans lequel Georges Orwell
dcrit un monde totalitaire baignant dans un climat de surveillance continuelle, le romancier
congolais peroit, travers la reprsentation des personnages immondes, un nouveau
Cyclope des temps modernes :
Il le regarda longtemps avant de lui dire : Noubliez pas que les yeux du volcan
vous regardent. Avant de se retirer, il affirme une nouvelle fois que les yeux du
236
volcan nous regardent et quon na pas le droit de dconner.
Il faut dire, ici, que la gnration post-indpendance dauteurs africains dont fait
partie Sony Labou Tansi, tmoin oculaire et trs souvent victime de la dictature des
annes 1970-1980, reste marque par la violence mdiatique, par le contrle de limage
et du son, par linquisition photographique que les rgimes oppressifs utilisaient des
fins propagandistes et rpressives. Cest ainsi que William Sassine parle dun climat de
harclement et dun systme de surveillance qui tournent un tourdissement proche de
237
lvanouissement , quand Henri Lops crit :
Ces yeux allaient dsormais regarder tout le pays, sous la lumire du soleil,
comme sous celle des ampoules et des lampes ptrole, aussi bien que
dans le noir. Quand nous passerions devant les difices publics, ils nous
regarderaient...Quand nous toucherions notre paie..., quand nous achterions
238
notre journal, ils nous regarderaient...
A la diffrence de ses collgues romanciers du continent qui dcrivent la violence aveugle du
systme rig par les personnages immondes, Sony Labou Tansi sintresse davantage la
239
relation fictive
qui unit ces derniers avec leurs victimes dans une double perspective
de voyeurisme-exhibitionnisme et de sadomasochisme :
Aujourdhui et grce moi, elles savent que le sexe nest pas un engin de
240
panique, ni une balanoire, ni un lance-flotte, mais bien notre troisime il.
propos de cette relation, le romancier congolais en arrive la conclusion foucaldienne
que bourreau et victime sont complices de son bon fonctionnement. Ds lors, le choix
dillustrer cette complicit tacite par la sexualit, apparat comme un panopticon qui informe
sur la gnralisation du systme sur toute la socit romanesque dcrite par lauteur. Michel
241
Cornaton, dans son ouvrage intitul Pouvoir et sexualit dans le roman africain , montre
242
travers Le Bel immonde
combien la question de la sexualit figure au centre du rapport
235
236
237
238
239
240
241
242
sa domination sur ses collaborateurs en entretenant systmatiquement des relations sexuelles avec les femmes de ces derniers.
46
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Premire partie : critures de violence et modernit francophone Vers une toute puissance du
signifiant ?
dominant/domin dans les critures africaines. Avant Michel Cornaton, Michel Foucault
243
considrait Lusage des plaisirs comme le lieu dune bataille pour le pouvoir .
Dans luvre de Sony Labou Tansi, force est de reconnatre que les personnages
immondes exercent une activit romanesque qui insuffle dynamisme et motricit la fiction.
Agents actifs plutt que passifs, dominateurs plutt que domins, selon la distinction que
244
Greimas fait des personnages, ils ponctuent lhistoire dans laquelle ils sont embarqus,
en motion forte, en intensit, en rythme et en gravit. Leur description, faite toujours sur
le mode de lellipse, cest--dire dune rtention volontaire des informations relatives leur
tat-civil, leur corps ou leur rsidence, participe dun culte du mystre et de linaccessibilit,
ce pour mieux dissuader ladversit.
En dfinitive, il ressort des uvres respectives de Rachid Boudjedra et de Sony
Labou Tansi que la fonction esthtique danimation et de dramatisation du rcit et la
fonction thmatique de dnonciation dune injustice se situent au cur de la qute de
renouvellement, cher aux deux auteurs. Auteurs qui par ailleurs, prouvent le besoin
dinterroger la littrature par le truchement de personnages qui tiennent la plume.
Greimas Algirdas Julien, Smantique structurale, Paris, ditions Larousse, pp. 174-185 et 192-212, 1966. Greimas Algirdas
Julien, La structure des actants du rcit , in Du sens. Essais smiotiques,Paris, Le Seuil, pp. 249-270, 1970. Greimas Algirdas
Julien, Les actants, les acteurs et les figures , in Du sens II. Essais smiotiques, Paris, Le Seuil, pp. 49- 66, 1983. Au vu de
ses recherches, Algirdas Julien Greimas peut tre considr comme l'un des principaux thoriciens du personnage. Son modle
repose sur une distinction fondamentale entre actants et acteurs . Peu nombreux, les actants sont des forces agissantes,
abstraites et communes tout rcit, de faon sous-jacente. Quant aux acteurs, qui existent potentiellement en nombre infini, ce sont
les incarnations des actants, spcifiques chaque histoire en particulier, les personnages individualiss et caractriss.
245
246
Haroche Charles, Les langages du roman, Paris, diteurs Franais Runis, 1976, p. 51.
Barthes Roland, Essais critiques, Paris, Le Seuil, 1964, p. 106. Dater et commencer la modernit littraire franaise avec
lavnement de Gustave Flaubert tient dun avis subjectif et personnel de Roland Barthes. Avis que ne partage pas par exemple
Jean Paul Sermain : Don Quichotte constitue une des uvres fondatrices de lge moderne , Don Quichotte Cervants, Paris,
Ellipses, 1998, p. 78.
247
248
Barthes Roland crit : La vrit de notre littrature () est un masque qui se montre du doigt. , Essais critiques, op. cit., p. 107.
Malraux Andr, Discours douverture , in Fonction et signification de lart ngro-africain dans la vie du peuple et pour le
peuple, Actes du colloque du Premier Festival Mondial des Arts Ngres, 30 mars 1966, Dakar, Sngal,
http://www.assemblee-
47
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
250
nentrave certes pas sa perception esthtique . Cependant, lide quil puisse tre point
du doigt , procde dune rupture en rapport avec sa dsacralisation. Ainsi, dsacraliser le
masque, cest dsacraliser lart. Dsacraliser lart, cest dsacraliser la mission de hraut
originellement inscrite dans la littrature africaine. Ds lors, on assiste un tournant
littraire dcisif : dsormais, dans les littratures, maghrbine et ngro-africaine, il est admis
denvisager lacte dcriture dans une perspective moins engage quengageant lego et la
sensibilit d'un auteur. Ce qui se traduit, chez Rachid Boudjedra et Sony Labou Tansi, par
un allongement des sources dinspiration de l'espace nonciatif, du fait de la libert quils
prennent tant sur le plan des thmes que sur celui de la forme. Ds lors prend place, dans
leurs systmes respectifs de narration, ce quil est convenu dappeler le roman dans le
roman , en tant quil procde dune innovation stylistique et quil constitue une interrogation
sur le livre, lcriture et la littrature.
251
Dans luvre littraire entire de Rachid Boudjedra, si lon en croit Habib Salha , le
rapport des personnages lcriture et la lecture constitue une des cls fondamentales.
En effet, on se rend compte que la quasi-totalit des personnages principaux dans luvre
romanesque de Rachid Boudjedra, se soumet la rencontre avec le fait littraire. Aussi
assiste-t-on ds La rpudiation, cette faon dattirer notre attention sur le processus
de transmission ou dcriture () caractristique dune certaine tradition esthtique
252
de la modernit
. Processus incarne, simultanment, par Rachid, le personnage
253
principal,friand des citations de Gide , par le carnet de Zahir dcouvert dans un tiroir
254
255
et par lrudition du pre qui trs vite () domina la langue franaise . Linscription
du personnage crivain dans luvre du romancier algrien extirpe lintertextualit de la
culture empirique et critique du savoir pour linscrire dans une culture plus vivante, plus
potique et plus dialogique. Ce trait dunion entre la cration et la critique littraires participe
256
dune modernit qui fictionnalise
le rapport du Romancier et [de] ses personnages,
en les soumettant la relecture :
nationale.frhistoire/andremalraux/discours_politique_culture/discours_dakar.asp
esprit, il ne sagit plus dun art de plus ou de moins. Ce quon appelait jadis navet ou primitivisme nest plus en cause ().
249
Cendrars Blaise, Anthologie ngre, Paris, Buchet/Chastel, 1947, p. 6. En effet, dans la notice de cette fameuse anthologie qui fit
couler beaucoup dencre du fait de sa soi-disant fiabilit , Blaise Cendrars parle de puissance plastique .
250
Andr Malraux et Blaise Cendrars dgagent le sens sacr du masque africain partir de son esthtique. La civilisation ngro-
africaine ne spare pas lArt de la Religion comme peut lattester les propos de Wole Soyinka relatifs Ogoun, le dieu de la religion
yoruba : Ogoun dieu du fer, des chasseurs, mais aussi emblme des comdiens qui savent mourir en eux-mmes pour renatre
dans leurs personnages. , in Ricard Alain, Wole Soyinka ou lambition dmocratique, Paris, Silex, 1988, p. 13.
251
Salha Habib, Le lecteur entt , in Gafati Hafid (sous la direction de), Rachid Boudjedra. Une potique de la subversion.
II. Lectures critiques, Paris, L'Harmattan, 2000, pp. 40-46. Il y crit notamment : Dans Le dmantlement comme La macration
, comme dans La pluie , les narrateurs-personnages sondent les livres, tudient les textes et observent minutieusement la socit
algrienne , p. 44.
252
253
254
255
256
Schmeling Manfred, De la lecture au voyage : parcours mis en abyme , in Littrature, modernit, rflexivit, op. cit., p. 64.
La rpudiation, op. cit., p. 147.
Ibid., p. 104.
Ibid., p. 75.
La fictionnalisation prend le dtour dune intertextualisation. , note Lecarme Jacques, Origines et volution de la notion
dautofiction , in Blanckeman Bruno, Mura-Brunel Aline et Dambre Marc (sous la direction de), Le roman franais au tournant du XXI
me
sicle, Paris,Presses Sorbonne Nouvelle, 2004, p. 20.
48
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Premire partie : critures de violence et modernit francophone Vers une toute puissance du
signifiant ?
Je lis et relis tout (...), tout le roman nouveau, non seulement en France, mais
aussi bien en Amrique quailleurs, dans le monde (...). La lecture (...) est
257
essentielle dans ma vie.
Nous ne reviendrons pas ici sur les critures de Louis Ferdinand Cline, de Marcel Proust,
de Claude Simon, de Saint John Perse ou de Gabriel Garcia Marquez autour desquelles les
analyses des critiques et les propos de Rachid Boudjedra sont unanimes pour reconnatre
linfluence sur luvre littraire de ce dernier. Mais une intertextualit plus proche, plus
directe, que la critique universitaire, notamment, semble occulter, occupe le schme
258
pathtique central
de lcriture de la violence chez le romancier algrien. En effet,
cest dabord son compatriote, Kateb Yacine, que nous pensons, tant reste symtrique
259
le personnage du vieil homme noir
dans Linsolation et son alter ego dans Nedjma,
notamment dans le rle de ministre du culte quils incarnent. La mme remarque vaut
concernant le fltrissement ironique autour du chapelet et du turban , par consquent
contre lordre religieux, que Rachid Boudjedra et son illustre an svertuent mettre en
exergue. propos du rapport intertextuel avec luvre romanesque de Mohammed Dib,
si celle de Rachid Boudjedra, par le prisme du ralisme irrvrencieux, en subvertit la
reprsentation onirique et allgorique de la guerre dAlgrie par exemple, leurs critures
respectives partagent uneidentit narrative en ce qu'elles abordent ce grand traumatisme
algrien sous la dimension sacrificatoire, avec, notamment, une surdtermination de la
thmatique du sang, illustre dans Habel et La prise de Gibraltar. Par ailleurs, comment
ne pas voir travers le mensonge du barbier de Constantine qui racontait quil tait
ouvrier en France et quil revenait au bercail aprs avoir eu des histoires avec la police
parce quil avait organis des grves dans une usine o il y avait une majorit douvriers
260
nord-africains , ce que Roland Barthes appelle une tricherie littraire fconde. En
ce quelle entretient un dialogisme avec Les boucs de Driss Chrabi, en particulier avec
lhistoire du personnage principal, Yalann Waldik. Le choix du barbier, en tant que motif
intertextuel, nest certainement pas anodin, quand on revisite sa fortune littraire dans la
261
littrature gnrale et compare en Europe . La littrature ngro-africaine, par le biais
notamment de la trilogie romanesque de Massa Makan Diabat, savoir Le lieutenant de
262
263
264
Kouta , Le coiffeur de Kouta
et Le Boucher de Kouta , en tire profit par le biais dune
scnographie locale.
Cependant, dans la littrature maghrbine, le statut du personnage principal, qui
265
notamment dans Linsolation, incarne en secret la position du scribe
convaincu des
vertus salvatrices de la littrature, convaincu qu crire pourrait peut-tre mettre fin
266
[nos] algarades. , pose avec acuit la question du rapport au langage. En effet, tout
257
258
259
260
261
262
263
264
Cit par Gafati Hafid, Boudjedra ou la passion de la modernit, op. cit., p. 132.
Niel Andr, Lanalyse structurale des textes, Tours, Maison Mame, 1973, p. 123.
Linsolation, op. cit., p. 16.
Ibid., p. 48.
Beaumarchais, Le barbier de Sville, Paris, ditions Ruault, 1775.
Diabat Massa Makan, Le lieutenant de Kouta, Paris, Htier, 1979.
Diabat Massa Makan, Le coiffeur de Kouta, Paris, Htier, 1980.
Diabat Massa Makan, Le boucher de Kouta, Paris, Htier, 1982.
265
266
49
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
se passe comme si le rapport aux mots fondait lexistence et les liens des personnages.
Dans un environnement marqu par le Huit clos de la domination, la littrature de
lcrivain que tente de devenir Medhi, le personnage principal de Linsolation, recoud les
liens du dialogue entre compagnons de mauvaise fortune et entre ces derniers et la socit.
Le dsir de littrature, dans sa forme pistolaire notamment, reste la dernire expression
dune humanit qui fdre ses voix et qui croit encore en la capacit, nen dplaise au
267
scepticisme, de faire tomber Le mur
de la violence. Le personnage crivain incarn
par Medhi dans Linsolation,entretient un rapport lespace particulirement marqu par
une tension. En effet, son internement, qui plus est dans un asile psychiatrique, fonctionne
268
comme un enfermement double tour que dverrouille, bref dmantle
son aptitude
franchir si allgrement les frontires de la folle du logis . Il entre ainsi rebours dans
le rel du monde et des hommes par la littrature ds lors que ses correspondances
269
saisissentLa plus haute des solitudes
. Celle quAndr Malraux situe moins dans le
270
malheur que la solitude dans le malheur . Comme Zahir, le personnage crivain dans
La rpudiation qui, dans sa singularit marginale, homosexuelle, bohme et kleptomane,
rattrape la personnalit relle dun Jean Genet, celui de Medhi, dans Linsolation, recherche
271
comme lauteur de Journal du voleur , les possibilits de la continuit du langage. Le
personnage de Medhi entretient un rapport dialogique avec celui du Chemin des ordalies
272
dAbdellatif Labi, quand il ne discute pas directement avec lauteur marocain lui-mme .
Ds lors que lcriture pistolaire, pour eux, participe dun rempart contre Cette aveuglante
273
absence de lumire
que constitue la menace sur le langage. Dune certaine manire,
la modernit de lcriture de Rachid Boudjedra tourne le dos aux hritages, cartsien et
sartrien, de la littrature quelle peroit moins dans le sens dune logique de raison et
dhumanisme que dans un double rapport de smiologie et de langage. Ce que le critique
algrien, Hafid Gafati rsume ainsi :
Sartre Jean-Paul, Le mur, Paris, Gallimard coll. Blanche , 1939, Rditions coll. Bibliothque de philosophie , 1985.
Boudjedra Rachid, Le dmantlement, Paris, ditions Denol, 1982.
Ben Jelloun Tahar, La plus haute des solitudes, Paris, ditions du Seuil, Coll. Combats et Points , 1977.
Malraux Andr, La condition humaine, Paris, Gallimard, 1933. Il crit notamment : La pire souffrance est dans la solitude
qui laccompagne.
271
272
273
dans le bagne de Tazmamart survit par la littrature : Salim, mon ami, notre homme de lettres, toi dont limagination est magnifique,
donne-moi boire. Pour moi, chaque phrase est un verre deau pure, une eau de source. [] Depuis que tu nous contes Les mille
et une nuits , la survie est plus supportable quavant. , pp. 95-96.
274
50
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Premire partie : critures de violence et modernit francophone Vers une toute puissance du
signifiant ?
mme. Les vrits, les enseignements et autres conclusions du romancier algrien sont
ceux de ses personnages ; sont ceux quil obtient partir dune stratgie et dun plan de
narration. Aussi nest-il pas tonnant que la primaut soit accorde des personnages
crivains ou en rapport indirect avec lcriture. Du fait quau-del de la fonction symbolique
quils remplissent, ils constituent une structure actantielle qui uvre llaboration dune
esthtique dans le roman. Esthtique littraire qui prfigure celle relle de lauteur.
Dans les uvres littraires maghrbines, on saccorde constater la position
275
276
homodigtique
et la fonction testimoniale
explicites des romanciers. Rares sont
les auteurs qui, comme Rachid Boudjedra, acceptent de disparatre dans leurs uvres
au profit de leurs propres personnages, dtre moins visibles et moins dirigistes. La
modernit du texte boudjedrien se manifeste ds lors dans les possibilits accordes
ses personnages de schapper. Combien de fois le lecteur de Linsolation, des
1001 annes de la nostalgie ou de La prise de Gibraltar ressent limpression que les
personnages, notamment dans leur violence langagire, asociale et sexuellement dviante,
chappent inexorablement au contrle de lauteur! Cette nouvelle perception de la libert
277
du personnage , prsente une vision de la modernit littraire que Pierre Glaudes et Yves
Reuter percevaient dj dans luvre de Julien Green qui ils faisaient dire :
Je nimagine pas un sujet ; mais je vois des personnages dans une maison,
dans un dcor, ils se mettent en mouvement et parlent. Jcoute et je regarde
trs attentivement (...). Ce nest pas le romancier qui devrait tre lauteur
de lintrigue mais les personnages que son cerveau a fait natre (...). Les
personnages vraiment vivants obissent quelque temps lauteur puis se
rvoltent, dmolissent lintrigue, et rien de plus heureux ne peut arriver au
278
romancier.
Concernant luvre de Sony Labou Tansi, elle fait moins du personnage de lcrivain que
du personnage de lcriture, lun de ses thmes majeurs dans la perspective de recherche
de nouvelles formes narratives. Cela na pas toujours t le cas. En effet, il savre que, ds
son premier roman, l'auteur congolais sacrifie la tradition du Nouveau Roman qui consiste
279
crer des personnages [qui] prouvent autant le besoin dcrire . Notamment
280
travers les personnages de Chadana qui compose des recueils
et de Layisho
qui voulut crire pour briser lintrieur, sy perdre, sy chercher, y faire des routes, des
281
sentiers, des places publiques, des cinmas, des rues, des lits, des amis
. Cette
perspective nouvelle est dautant plus originale quaucune dmarche littraire allant dans
le mme sens na jamais, notre connaissance, t engage, avant lavnement des
crivains de la troisime gnration dans laquelle, Sony Labou Tansi fait figure de proue.
Sans doute, la problmatique de lcriture en tant que fondement dune narration, en tant
qualternative dune nonciation, en tant que bouleversement esthtique par rapport aux
275
276
277
278
279
Cit par Glaudes Pierre et Reuter Yves, Le personnage, op. cit., p. 97.
Bd Damien, Le rel et la fiction dans La vie et demie de Sony Labou Tansi , in Lezou Grard et Nda Pierre (sous la direction
de), Sony Labou Tansi, tmoin de son temps, Presses Universitaires de Limoges Collection Francophonies , 2003, p. 255.
280
281
51
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
formes traditionnelles, na pas t envisage par les crivains des gnrations prcdentes.
Certainement que les objectifs et les vises des auteurs de la Ngritude participaient moins
dun questionnement et dune introspection de la forme des critures ngro-africaines que
dune rhabilitation et dune affirmation de lidentit ngre. Aussi, si Toundi, le personnage
282
principaldUne vie de boy
se rjouit de tenir un journal, cest plus une manire pour lui de
prenniser des souvenirs que dinterroger lacte dcriture dans sa fonction dactualisation
et de reproduction du pass. Si Le dernier voyage du ngrier Sirius , titre de roman
283
crit par le personnage principal dans Le docker noir
de Sembne Ousmane, procde
dun pamphlet contre le racisme et toutes les formes de discriminations qui frappent les
immigrs africains en France, il nen demeure pas moins que ce roman dans le roman
npouse pas, du moins dans sa dynamique scripturale, les peines et les souffrances des
personnages. Aussi se dbat-il et cherche-t-il sortir des carcans dun symbolisme quil a
lui-mme gnr.
284
Avec un art qui ne pouvait sortir que de sa bouche, Fartamio Andrade nous
raconta lassassinat, usant des mots quelle seule savait trouver, variant souvent
288
le ton car, disait-elle, lart de nommer est dabord et avant tout art de ton.
Linscription dun dbat thorique et critique dans lespace du rcit romanesque, mi-chemin
entre sens explicite et sens implicite, fait du personnage crivain un tre ambigu. Coinc
entre lcrivain rel et le lecteur, il rejoue avec dlectation la difficult d'voluer dans les
282
283
285
Ngal Mbwil a Mang, Giambatista Viko ou le viol du discours africain, Lumumbashi, ditions Alpha-Omga, 1975.
Semujanga Josias, criture romanesque et discours mtacritique dans Giambatista Viko de Mbwil a Mang Ngal , in
e
Ngal Georges, Les tropicalits de Sony Labou Tansi , in Silex, n 23, 4 triumestre 1982, p. 140.
Chevrier Jacques, Littrature ngre, Paris, ditions Armand Colin, 1974.
Les sept solitudes de Lorsa Lopez, op. cit., p. 27.
52
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Premire partie : critures de violence et modernit francophone Vers une toute puissance du
signifiant ?
290
291
Kristeva Julia, Le mot, le dialogue et le roman (1966), in Semeiotike. Recherches pour une smanalyse, Paris, Le Seuil,
1969, p. 146, pour qui l'intertextualit, qu'elle dfinit comme une mosaque de citations , est gage de littralit. Au contraire d'un
Grard Genette, Palimpsestes : la littrature au second degr, op. cit., plus rserv par rapport ce concept qu'il juge susceptible de
masquer des relents de plagiat et auquel il prfre la notion de transtextualit.
292
293
294
295
296
297
53
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Potentiellement crivains, ils forment une figure nouvelle dans le roman ngro-africain,
au-del du fait quils participent de la diversification des champs narratifs dans la fiction.
Ils semblent faire la promotion dun projet scriptural, engageant un dbat autour de la
298
problmatique littraire, autour de cet acte irrationnel par excellence
quest lcriture.
Prises dans un sens ouvert, les diffrentes rflexions faites par ces personnages dots
d'une conscience littraire aigu, rvlent, dune part, leur capacit apprhender les dfis
majeurs de leur socit dorigine. Elles expriment, dautre part, le sentiment dtre concern
par la marche du monde. Or, cest le sens que Raymond Jean donne la littrature quand
elle (la littrature) est contact (...) la chose recre neuf, retrouve, non point repense,
299
ni reprsente mais donne . Mais pris dans son acception rductrice, les propos de
ces personnages reformulent sinon linefficacit et labsence demprise de la littrature sur
300
le rel , du moins ractualisent la dsobissance littraire conseille Nathanal dans
301
Les nourritures terrestres
dAndr Gide. On se gardera dans cette tude, dmettre
des jugements de valeurs sur la pertinence des propos que font tenir Rachid Boudjedra
et Sony Labou Tansi leurs personnages crivains. Nous constatons simplement que
ces points de vue rsonnent en cho avec les grands auteurs et les chefs-duvre de la
littrature mondiale, dans le sens dune littrature envisage comme le lieu dun besoin
de communication, mais galement comme la chronique annonce dun changement du
monde.
En dfinitive, Rachid Boudjedra et de Sony Labou Tansi proposent, dans leurs romans
respectifs, une trame volutive du personnage observe notamment, travers lmergence
dun personnage de groupe, travers la suppression progressive du preux et valeureux
personnage-hros, laquelle suppression est concomitante avec la mise en perspective des
personnages immondes et, finalement, travers un personnage-crivain. La modernit
dune telle rorientation seffectue ds lors que le statut nouveau du personnage sinscrit
dans la recherche dune connivence discursive et langagire o prdominent, d'une part, les
302
303
principes de polyphonie
et de plurivocalit , suivant les dfinitions qu'en donne
304
Mikhal Bakhtine. D'autre part, y subsiste Le principe dialogique que Tzvetan Todorov ,
la suite du thoricien russe, divulgue. Au-del de la mise en action de toutes les voix/
voies narratives, au-del des perspectives ddicter des formes et des modles scripturaux
au cur de la cration romanesque, tourne autour de cette formalisation moderne du
personnage, une axiologie qui interroge son sens et ses valeurs. Cependant, la permabilit
des espaces et la fluctuation du temps dans les romans respectifs de Rachid Boudjedra
et de Sony Labou Tansi relativisent les risques de monotonie, de manichisme, voire de
soumission aveugle du personnage de roman vis--vis de son crateur, le romancier. En
298
299
300
Devant un enfant qui meurt, La nause ne fait pas le poids , cit par Lamouchi Noureddine, Jean-Paul Sartre et le tiers-monde.
e
Rhtorique d'un discours anticolonialiste. Thse de Doctorat de 3 cycle, Universit de Paris VII, 1993, p. 92.
301
mme dans mon aspect extrieur, sentir qu'il m'englobe et m'exprime... En ce sens, on peut parler du besoin esthtique absolu que
l'homme a d'autrui, de cette activit d'autrui qui consiste voir, retenir, rassembler et unifier, et qui seule peut crer la personnalit
extrieurement finie; si autrui ne la cre pas, cette personnalit n'existera pas .
54
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Premire partie : critures de violence et modernit francophone Vers une toute puissance du
signifiant ?
ce sens que le lien entre le personnage et le paysage (le mot englobe la chambre, la
maison, tout dcor) est (...) troit. Le personnage est associ lespace par mtonymie et
305
le symbolise par mtaphore .
Tadi Jean-Yves, Le rcit potique, Paris, Presses Universitaires de France, 1978, p. 77.
Gensane Bernard, Espace-temps et langage dans 1984 , in Verley Claudine (textes runis et prsents par),
Espaces du texte, La licorne U. F. R Langues et Littratures de lUniversit de Poitiers, 1994, p. 114 et p. 123.
55
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
307
raconte ? . En effet, si les critures romanesques sinscrivent dans une relation dun
milieu, dune socit, travers lvocation de diffrents espaces, fictifs ou rels, il nen
demeure pas moins que ces faits et situations dcrits dans le roman sancrent galement
dans un espace temporel, remodel et remis au got de chaque auteur. Si, pour certains
308
309
critiques , la potique de lespace
reste une condition sine qua none de la littrarit,
pour dautres, la question du temps ou de lunivers temporel dans lequel baigne une
uvre, au-del des repres chronologiques apports au lecteur, procde dune dmarche
esthtique que lcriture romanesque doit envisager. Autrement dit, il importe de faire
rfrence une date, une poque bien prcises, en ce sens quelles donnent une logique,
une cohrence et une linarit qui peuvent tre essentielles dans la comprhension de
l'uvre littraire. Mais y faire allusion sans quil devienne une exigence de le nommer, fait
passer le temps dun statut d claireur du texte, celui de structure actantielle qui permet
la narration den faire une source dinspiration et dy puiser des lments, des situations
et des histoires de fiction. Cest lavis, entre autres, dEmmanuel Thrond qui pousse plus
loin cette ide et affirme sans ambages, que dans le contexte actuel de la littrature, la
problmatique du temps dans le roman participe moins dune lisibilit du texte que dune
innovation artistique et esthtique que nous offre la modernit. Il crit notamment :
Quand on ferme un livre, cest une histoire qui sachve. Un monde cr qui se
dtruit. Mais sil y a des univers qui meurent, cest pour laisser place dautres,
310
pour signaler que le temps passe, quil est source de toute cration.
En ce qui concerne Rachid Boudjedra, le temps dans ses uvres concourt jeter les
nouvelles bases dune approche dcriture plus soucieuse de son mcanisme, de son
fonctionnement et de son mode dexpression que des messages, des valeurs ou autres
avertissements que, habituellement, la littrature promeut. Il nest que de considrer lenjeu
esthtique que Rachid Boudjedra suscite autour de la question de la mmoire. En effet,
crit Armelle Crouzires-Ingenthron, ne pouvant ni retourner au pass ni le possder
311
ni lapprhender, Boudjedra parvient le matriser par un travail de reconstruction .
Matriellement, cette reconstruction boudjedrienne se manifeste par sinon une ngation
du moins une altration de la mmoire incarne par un personnage-type, intern dans un
hpital psychiatrique, en proie la paranoa et au dlire :
307
308
le critique littraire doit toujours examiner, pour un lieu donn, quelles caractristiques le roman lui prte en tendue, en volume, en
lumire, en usage et surtout, peut-tre, comment il dcoupe le territoire assign aux personnages, ordonne leurs places, leurs points
de vue, leurs mouvements, leurs actes. , p. 140.
309
310
Crouzires-Ingenthron Armelle, la recherche de la mmoire et du moi : le mrier ou l'autoportrait selon Rachid Boudjedra ,
in Rachid Boudjedra. Une potique de la subversion. Autobiographie et Histoire, op. cit., p. 137.
56
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Premire partie : critures de violence et modernit francophone Vers une toute puissance du
signifiant ?
S.N.P. Mohamed () stait toujours arrang pour ne pas laisser traner son
313
ombre derrire lui, quelle que soit la position du soleil, quelle que soit lheure.
Quant La prise de Gibraltar, deux dates prcises, savoir le 20 aot 711 et le 20 aot
1955 qui marquent respectivement le dbut de la conqute de lAndalousie et la rpression
sanglante de lArme Franaise Constantine, bordent le cadre spatio-temporel de la
narration. Cependant, le non respect de la chronologie, le choix de privilgier une narration
fictive de lHistoire, le recours une potisation parraine par Saint John Perse au dtriment
314
dun souffle hussard , le bel exemple dune htroglossie en croisant dans le
315
316
texte une bonne demi-douzaine de langues
prfre une langue martre ,
aboutissent une dpolitisation du roman algrien. Tout se passe comme si, pour taire
toute voix narrative porteuse d'un devoir mmoriel, Rachid Boudjedra crait une mmoire
qui nat du texte. En effet, mesure que lcriture se dploie, une mmoire prend naissance
en simultanit. Une mmoire qui ne porte la signature daucun personnage mais se
317
rvle tre immanente au texte . Ce faisant, le romancier algrien rige ce quil
318
appelle lordre du dubitatif
en catgorie esthtique, ds lors que le lecteur ne
possde aucun repre chronologique. Il est constamment ballott entre les hsitations et
les contradictions verbales du narrateur que les parenthses et les points de suspension,
constamment utiliss, intgrent dans la trame normale du rcit. Ainsi, Rachid Boudjedra
312
313
314
Nous faisons ici, videmment, allusion claire la verve pique et combattante contenue dans luvre de Charles Pguy. Labsence
dinfluence, du moins au niveau du souffle, de lcriture de Charles Pguy dans celle de Rachid Boudjedra, pourrait se justifier, audel des convenances personnelles de lauteur algrien, par le fait que le premier sopposa aussi au modernisme de son poque .
Cest lavis commun de Bguin Michelle, Biet Christian, Gengembre Grard, Goldzink Jean et Kaddour Hdi, Anthologie. Textes et
parcours en France et en Europe, Paris,ditions Belin, 2000, p. 486.
315
Gontard Marc, Les nuits de Strasbourg ou lrotique des langues , in Bonn Charles, Rdouane Najib et Bnayoun- Szmidt
Yvette (sous la direction de), Algrie : les nouvelles critures, Paris, L'Harmattan, Coll. tudes littraires maghrbines , N 15,
2001, p. 219.
316
317
rsume globalement le processus d'criture de Rachid Boudjedra. Il crit notamment : Aussi assistons-nous (...) la dcouverte et
la mise en scne (foregrounding) d'une mmoire immanente au texte. La mmoire intratextuelle (est) faite d'autorfrence, d'ajouts et
de commentaires, (elle se rfre ce qui prcde dans l'criture. C'est, au contraire, une invention qui se produit en cours d'laboration
du livre, et se rfre son espace interne (...). La mmoire intratextuelle produit donc ses lieux propres. Engendrant son tour une
mimsis indite, celle du sujet de l'nonciation en tant qu'inventeur d'un nouveau type de livre, cette mmoire produit un dedans (...)
et mtaphoriquement, la subjectivit du sujet qui crit, partir d'un dehors (...). La production d'un texte qui se rfre lui-mme dans
l'imitation des mcanismes de la mmoire involontaire, et de l'invention libre au sens moderne, a pour consquence une amnsie (...) .
318
Crouzires-Ingenthon Armelle, Rencontre avec Rachid Boudjedra , in Journal of Maghrebi Studies, vol. 1, n 2, 1993, p. 55.
57
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
319
ouvre une re moderne, sinscrit dans un nouvel ordre du rcit , malgr tout ce quon
320
321
peut affirmer ici et l, notamment par Bernard Mouralis et Jean Derive sur les influences
franaises et occidentales des littratures dites priphriques . Certes, par exemple, les
322
critures romanesques, de Marcel Proust et de Rachid Boudjedra, ont ceci de commun
quelles prfigurent une modernit dans leur espace littraire respectif. Nonobstant, elles
nen demeurent pas moins opposes ds lors que pour lune, les souvenirs et la mmoire
323
324
participent de La recherche du temps perdu , du temps sensible
centr autour de la
325
situation problmatique dun homme . Quand pour lautre, la maladie de la mmoire
326
327
dcentre les soubresauts dune Algrie perdue
et rvle lusure et le poids du temps.
Aussi ce type d'criture s'oriente-t-il moins dans le sens de son lien la communaut, ainsi
328
329
que le prconise Paul Ricur , que dans la dconstruction culturelle de la violence
330
qui () le dsarticule, le dmet, le dplace hors de son logement naturel.
Les distorsions chronologiques et autres chroniques dcousues de la mmoire
basculent lirrversibilit du temps classique de la narration vers un mouvement de
circularit, de transitivit et de synchronie textuelles. Elles procdent d'un mouvement
331
d'indissolubilit de l'espace et du temps
, ralisant ainsi la fameuse figure du
chronotope, qui depuis les formalistes russes, consacre une vision de la modernit littraire.
En effet, celle-ci, dans l'uvre de Rachid Boudjedra, trouve son quilibre dans lambigit
de son jeu bakhtinien (un jeu qui certes, rappelle le carnaval ou le folklore populaires mais
aussi les jeux de massacre sous lEmpire romain) et de son enjeu cromwellien (au
sens de la prface ponyme crite par Victor Hugo) dans un temps et un espace algriens
332
sans cesse marqus par la violence. Il sagit ds lors pour le romancier algrien den finir
333
334
avec Le dsordre des choses
et de remettre La vie lendroit
au prix dune loi du
319
Mahfoudh Ahmed, Mlancolie, dsordre de la mmoire et nouvel ordre du rcit dans Timimoun de Rachid Boudjedra in IBLA,
Boudjedra, La rpudiation en loccurrence, apparat un personnage qui ressemble trangement Marcel Proust. Cest Heimatlos, ami
et amant de Zahir, le frre du narrateur, juif et homosexuel pour reprendre les termes de Jeanne Bem.
323
324
325
326
327
328
derniers ont un retentissement dans une histoire commune. L'Histoire, crit Paul Ricur, rinscrit le rcit dans le temps de l'univers .
329
330
Derrida Jacques, Rencontres de Rabat : Idiomes, nationalits, dconstructions, Casablanca, ditions Toubkal, 1998.
Derrida Jacques, Spectre de Marx, Paris, Galile, 1993, p.60.
331
332
58
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Premire partie : critures de violence et modernit francophone Vers une toute puissance du
signifiant ?
talion littraire : savoir montrer le dsordre dune poque et dun pays par le dsordre
dune narration, reprsenter le drame de lAlgrie par le drame dune narration amnsique
et schizophrnique. Cest l, une certaine caractristique de la modernit littraire promue
335
entre autres par Roland Barthes dans son acception en tant que coexistence . Concept
minemment moderne en ce que la fusion de la douleur du temps avec le chaos de lespace
algriens, reprsente travers la textualisation dun mmoire qui flanche et des foyers de
336
tension qui sembrasent, nexclut aucunement la forme de dlire ne de la lecture du texte
boudjedrien . Celui-ci, fatalement, passe par une dpossession de la propre mmoire
du lecteur, ds lors quil fait abstraction de lespace et du temps rels, pour plonger dans
ceux fictifs de luvre littraire.
Quen est-il du rapport espace-temps avec les trois uvres, ici convoques, de Sony
Labou Tansi ? Lawson-Ananissoh, dans une formule lapidaire et non moins politiquement
correcte y rpond en arguant qu en ralit, le temps est espace et lespace est temps
337
dans les uvres de Sony Labou Tansi
. En effet, luvre littraire du romancier
congolais reste entirement traverse par une intratextualit du cadre spatio-temporel qui
peut se rsumer ainsi : la chronique annonce d'un Rgne de barbarie orchestr par
338
une phallocratie lubrique, bouffonne et sanguinaire qui Perptue lhabitude du malheur
sur des centaines dannes dans une cit imaginaire, dont la gographie, le climat et les
habitudes de la population portent croire quelle se situe sous les Tropiques. On assiste
ds lors une organisation, dans la structure des trois uvres, fonde sur lanarchie, en
ce sens que lauteur, en multipliant les espaces do partent diffrentes nonciations, en
dilatant le temps de la narration sur des centaines dannes sans pour autant en prciser le
dbut et la fin, et en mettant en scne des protagonistes en proie laffrontement, la guerre
et aux massacres collectifs, veut donner lillusion quil prsente un roman non structur,
qui lui chappe. Ce qui relve, videmment, dune tricherie littraire car ce qui fonde
lesthtique littraire de lcriture conjointe espace-temps , cest effectivement ce jeu de
dsordre et danarchie matriss :
334
335
336
Lawson-Ananissoh Lat E., Le roman nouveau en Afrique Francophone. Henri Lopes, Sony Labou Tansi : lments
59
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
C'est, on dirait, la douleur d'une me qui vient d'accoucher des dimensions exactes de
340
l'univers , il ajoute ceci :
[Ses uvres] tmoignent d'un refus viscral de la forme potique. Au nom d'une
fidlit au sublime (...), S. Labou Tansi invente une posie [et une potique] de
341
l'informe.
Mais, il n'chappe pas son il critique que l'informeprocde d'une maitrise de la forme.
Pour cause,certesla potique de Sony Labou Tansi est molculaire, elle atomise la langue
342
en clats (...). On pourrait dire (...) qu'elle est catastrophique . Il n'en demeure pas
moins que, et c'est l l'essentiel, fondamentalement, le refus de la forme est celui de la
hirarchie des mots, il consiste faire du langage un abme o tout ce qui croyait avoir
forme vient se s'effondrer. Le moi que ses pomes font clore est un tre informe mais
total, une pure nergie qui servira de force de pousse de nombreux personnages de
343
ses romans .
Mireille Calle-Gruber nous apprend que ce jeu de dsordre et danarchie dans la
344
narration procde dune esthtique des langages frelats , selon les termes utiliss
345
par Jean Ricardou. Quil participe, dans Les figures de Grard Genette , de la mtalepse,
346
par quoi on dsigne en narratologie lincursion ou lintrusion ou la confusion . C'est un
347
jeu qui, finalement, participe du Grand Rcit du Texte de la Modernit .
Sony Labou Tansi procde ici un calcul rapide, mais savant. En effet, supposet-il certainement que si lespace et le temps dans son roman, participent de la mme
reprsentation de la violence, autant en faire une reprsentation sombre et pessimiste
du monde en gnral et de lAfrique en particulier. Quitte trahir lhorizon dattente du
348
lecteur classique et son penchant naturel pour le beau livre
. En revanche, il
rcupre une littrarit fonde sur les doutes et droutes, les ractions et interactions
que luvre du romancier congolais suscite chez le Lector in fabula, non partir du
349
pourquoi, mais du comment sactualisent les intentions [] de lnonciation.
Par
consquent, pour sombre et violente quelle soit, lcriture de lespace-temps, chez Sony
340
Tansi Sony Labou, L'acte de respirer, suivi de 930 mots dans un aquarium (posie), in Martin-Granel Nicolas et Rodriguez-
Antoniotti Greta (dition tablie par), L'atelier de Sony Labou Tansi, Paris, ditions Revue Noire, 2005, p. 54.
341
Garnier Xavier, Labou Tansi, Sony. - L'Atelier de Sony Labou Tansi. dition tablie par Nicolas Martin-Granel et Greta
Rodriguez-Antoniotti. Vol. I. Correspondance ; Vol. II. L'Acte de respirer, suivi de 930 mots dans un aquarium (posie) ; vol.
III. Machin la hernie (roman) , in Cahiers d'tudes africaines, 182, 2006, [En ligne], mis en ligne le 05 juillet 2006. URL :
http://etudesafricaines.revues.org/index6003.html . Consult le 28 dcembre 2007.
342
343
Ibid.
Ibid.
344
345
346
Ibid., p. 180.
Lejeune Philippe, Signes de vie. Le pacte autobiographique 2, Paris, Le Seuil, 2005, p. 241.
Eco Umberto, Lector in fabula. Le rle du lecteur ou la coopration interprtative dans les textes narratifs [1979], Paris,
60
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Premire partie : critures de violence et modernit francophone Vers une toute puissance du
signifiant ?
Labou Tansi, prsente quelques caractristiques similaires avec les critures saintes, La
gense notamment. Linscription de cette dernire renvoie sa textualisation en tant
quarchtype dune Afrique en proie une inexorable descente aux enfers :
350
351
Berg-Joonekindt Aline, Sujets fous, mondes flottants. Potique de la drive chez Franois Bon , in Blanckeman Bruno, Murame
Brunel Aline et Dambre Marc (sous la direction de), Le roman franais au tournant du XXI
sicle, Paris, Presses Sorbonne
Nouvelle, 2004, p. 389.
352
Aoummis Hassan, Contribution llaboration dune potique du roman ngro-africain dcriture franaise : le cas de Sony Labou
me
Tansi, C.I.E.F, Paris-Sorbonne, Thse de 3
cycle, 1994.
353
Riffaterre Michael, Lillusion rfrentielle , in Barthes Roland, Hamon Philippe, Riffaterre Michael, Bersani Leo et Watt Ian
Ibid., p. 93.
Fromilhague Catherine et Sancier Anne, Introduction lanalyse stylistique, Paris, Bordas, 1991, p. 61.
Bernanos Georges, Les grands cimetires sous la lune, Paris,ditions Plon, 1938.
Mauriac Franois, Le baiser au lpreux, Paris, ditions Grasset, 1922.
Senghor Lopold Sdar, Hosties noires in uvre potique, Paris, Le Seuil, 1964.
Petit Jacques, Images et structures dans Les grands cimetires sous la lune in tudes bernanosiennes, n 13, 1972.
Les sept solitudes de Lorsa Lopez, op. cit.
61
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
361
Ibid., p. 59.
Le commencement des douleurs, op. cit.
Ibid., p. 123.
Ibid., p. 107.
Hamon Philippe, Pour un statut smiologique du personnage , in Genette Grard et Todorov Tzvetan (sous la direction de),
Agacinski Sylviane, Le passeur de temps, modernit et nostalgie, Paris, Le Seuil, 2000, pp. 19-35.
Hillen Sabine, Remarques mles sur Les Champs dhonneur de Jean Rouaud et Vies minuscules de Pierre Michon , in Le
Le roman algrien de langue franaise. Vers un espace de communication littraire dcolonis ?, op. cit., p. 182.
62
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Premire partie : critures de violence et modernit francophone Vers une toute puissance du
signifiant ?
369
inefficaces
. C'est que le roman, quil soit dAlgrie ou dailleurs, participe dun genre
minemment citadin. Historiquement, la naissance du roman, mais surtout son volution
en tant que genre littraire, reste intimement lie la Rvolution Industrielle. Si nous
associons cette opinion la conception de la littrature en tant quun espace litiste, rserv
370
une intelligentsia , le discours romanesque maghrbin et ngro-africain apparat ds
lors comme un discours exclusivement citadin, dans la mesure o laccs lcole (le taux
danalphabtisme dans les zones rurales africaines reste encore trs important), lcriture,
la lecture, les premiers pas dans la littrature et dans la modernit, se font exclusivement
par le biais des centres urbains. Ds lors se pose un problme : si lcriture romanesque,
quelle quelle soit, est dessence citadine, pourquoi lexistence et la ncessit dune criture
anthropologique qui a marqu au fer rouge la littrature aussi bien maghrbine que ngroafricaine ? quoi rime donc la clbration dauteurs et de textes de la trempe de Mouloud
371
372
Mammeri dans La colline oublie , de Mouloud Feraoun dans La terre et le sang , de
Mohammed Dib dans Lincendie et, mme de Kateb Yacine, dans ce qui constitue le texte
fondateur de la littrature maghrbine dexpression franaise, Nedjma en loccurrence,
373
de Cheikh Amidou Kane dans Laventure ambigu , de Camara Laye dans Lenfant noir,
qui mettent en scne le pass et les traditions, glorieux ou moins glorieux de lAfrique, et qui,
par consquent, sinscrivent dans une spacialit et une temporalit entirement rurales ?
374
Serait-ce une vaste supercherie et une hypocrisie littraires, au sens barthsien du terme ,
lcriture dun pan entier de lhistoire du roman dans le continent africain ? La rponse est
oui si nous nous en tenons strictement au contexte de la naissance et de lvolution du
genre romanesque tel que nous lavons dj dfini.
Rachid Boudjedra, dans ce qui constitue un dbut dexplication cette grande
parenthse anachronique de lcriture romanesque maghrbine, crit :
En effet, il tait de bon aloi dcrire des livres sur le monde rural au Maghreb.
Dabord, cela renvoyait une vrit sociologique relle. Le monde rural est en
effet trs important dans le monde arabe. Mais il y a aussi une certaine forme de
mauvaise conscience de lintellectuel arabe face la pauvret des campagnes et
375
de la paysannerie .
369
Bonn Charles, La traverse littraire, arcane du roman maghrbin. , in Visions du Maghreb, Aix-en- Provence, Edisud,
Mitterand Henri, Le discours du roman, Paris, ditions de Minuit, 1986, p. 5 : Un discours, c'est--dire, sous l'apparente neutralit
d'un rcit la non-personne, l'imposition d'un savoir et d'un jugement insidieusement prsents au lecteur sous l'vidence d'un savoir
partager .
371
372
373
instinct de conservation et dsir douverture la modernit, occidentale notamment, promue par la colonisation, se sont confrontes :
faut-il envoyer les enfants africains lcole franaise ?
374
375
63
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
376
Il abonde ainsi dans le mme sens que Claude Lvi-Strauss , du moins en ce qui concerne
le dilemme qui habite le romancier maghrbin, lorsqu'il doit se positionner par rapport une
criture que daucuns qualifient dethnographique.
Jean-Marc Moura, de son ct, semble affirmer que le cadre traditionnel et lespace
de la nostalgie sur lesquels reposent les littratures postcoloniales comme la littrature
maghrbine et la littrature ngro-africaine, procdent moins dune ngation du caractre
urbain et volontiers progressiste de ces dernires que dune dmarche qui vise valoriser
loriginalit et la spcificit littraires. Par un jeu de scnographie , il considre lcriture
anthropologique comme participant dune mise en scne esthtique. Par consquent, elle
377
est investie dune certaine littrarit . Si Anne Roche ne recourt pas aux arguments d'une
thorie postcoloniale, ainsi que le fait Jean-Marc Moura, elle ne plbiscite pas moins ce
qu'elle appelle, usant d'un terme de Grard Genette, une diction propre . Aussi son
analyse prsente-elle l'avantage de ne pas enfermer les littratures mergentes dans un
particularisme. Au contraire, elle postule leur littrarit partir de leur diffrence ou de leur
tranget. Elle crit notamment :
Lvi-Strauss Claude, Tristes tropiques, Paris, Plon, 1955. Pour lui, l'anthropologue ou l'ethnologue se trouve dans une situation de
paradoxe parce que personne mieux que lui, n'est en mesure d'tudier et de dcrire des socits. Cependant, l'tude et la description
de ces socits participent mme de leur destruction.
377
378
Roche Anne, vincer l'univers sujet dans le concassage du monde , in Intervention l'Universit de Kiev, octobre
2002, http://www.tierslivre.net/univ/X2002/_Roche_Kiev.pdf , p. 4.
379
380
64
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Premire partie : critures de violence et modernit francophone Vers une toute puissance du
signifiant ?
381
Tombza , hros difforme n dun viol, reprsentation de la ville comme lieu de misre
et de violence. Luvre de Mohamed Khar-Eddine reflte une symtrie manichenne,
respectivement, travers la clbration de la vie montagneuse des Chleuh dans Une odeur
382
383
de mantque
et leffondrement progressif des murs dans Agadir . Quant Driss
Chrabi, la mtropole lui apparat comme lautel de la xnophobie sur lequel sont sacrifis
384
Les boucs , cest--dire les immigrs maghrbins, mme sil noublie pas de jeter un
385
regard critique sur Le pass simple
et lespace traditionnel de son Maroc natal.
386
Pocket, 1993.
388
389
390
391
392
Memmi Albert, Portrait du colonis. Portrait du colonisateur, ditions Corra, 1957, [Paris, Gallimard, 1985].
Robbe-Grillet Alain, Typologie dune cit fantme, Paris, ditions de Minuit, 1976.
Jakobson Roman, Langage enfantin et aphasie, Paris, ditions Flammarion, 1980.
Bozzetto Roger, Le fantastique dans tous ses tats, Universit de Provence, 2001, p. 100.
a simultaneity of past and future in an instantaneous present., Benjamin Walter, Illuminations, London, Fontana Editions,
1973, p. 265.
65
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
393
N 1, Printemps 2003.
402
403
404
405
Madelain Jacques, Lerrance et litinraire, Paris, Sindbad, La Bibliothque Arabe , 1983, p. 177.
Dib Mohammed, Cours sur la rive sauvage, Paris, Le Seuil, 1964.
Ibid., p. 86.
Kilito Abdelfattah, De lespace de la sance lespace du roman , in Hallaq Boutros, Ostle Robin et Wild Stefan (sous
la direction de), La potique de lespace dans la littrature arabe moderne, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, p. 17.
406
407
2002, p. 27.
408
409
Michel-Mansour Thrse, La porte esthtique du signe dans le texte maghrbin, Paris, ditions Publisud, 1994.
Robbe-Grillet Alain, Pour un nouveau roman, Paris, Gallimard, 1963, p. 27.
66
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Premire partie : critures de violence et modernit francophone Vers une toute puissance du
signifiant ?
les objets, les dplacements et les contours, auxquels limage a restitu dun seul coup
410
(sans le vouloir) leur ralit.
Tahar Ben Jelloun investit Fs et Tanger partir de leurs
particularismes, avrs ou rvs, partir de projections sentimentales (), des idologies
411
rvlatrices . Quand Rachid Boudjedra pose un regard neuf mais lucide sur Constantine,
exclu de tout exotisme rebours, de tout voyeurisme ou nostalgie. Sil vide, des entrailles
de la ville, le sang des massacres du 20 aot 1955 et les cauchemars hantant encore
aujourdhui toutes les maisons, toutes les rues, toutes les places et tous les jardins publics
412
de Constantine , cest pour mieux les investir de ses ponts suspendus, ses ponts413
levis et de la prsence des grues POTAIN + BOUYGUES dans le ciel .La vision
de Constantine par le prisme de ses ponts , symbole fort de mobilit, douverture et de
dialogue, installe dfinitivement lcriture de lespace, au-del dun certain ralisme littraire,
sous le signe de ce que Lise Gauvin appelle une modernit exprimentale , rapporte
de La fabrique du langage. Pour cause, la parole [re]prend ses droits (...) pour [re]devenir
414
l'enjeu mme du rcit
spatial de la ville.
Quant aux grues , mme si elles donnent limpression que la ville dgringole ().
415
416
La ville comme perche
qui rappelle la lourdeur de Lalbatros et du spleen
baudelairiens, lcriture spatiale de Constantine dans luvre de Boudjedra, tel un phnix
renaissant de ses cendres, nat, vit, meurt et revit partir de limmdiatet du discours
romanesque. Ds lors, au-del des violences de lHistoire et de la socit quelle rpercute,
La violence du texte sur Constantine se lit en tant que Grandeur et misre de la modernit
417
. Notamment celles des machines, de la technologie et de la publicit dont les caractres
majuscules, gras et excessivement polics dans le texte en rvlent la topographie idale
pour une agression caractrise .
La prise de Gibraltar, comme son titre ne lindique pas et bien plus que le dtroit qui
porte le mme nom, offre Constantine pour principal cadre spatial du roman. Elle prsente
galement une seconde spcificit non moins importante : sa version originale est crite
418
en langue arabe. Aussi lenjeu de lespace
de Constantine sinscrit-il dans une
logique de Dfense et illustration de l arabit , signifie dans lespace du texte, par
le ddoublement du rcit pique et potique dIbn Khaldoun sur la conqute arabe de
419
lAndalousie
. Lequel rcit devance ou succde en permanence celui de la citadelle
imprenable de Constantine qui rsiste aux colons franais. Rachid Boudjedra ouvre et
410
411
412
413
414
415
416
Ibid., p. 22.
Gaudin Franoise, La fascination des images. Les romans de Tahar Ben Jelloun, Paris, LHarmattan, 1998, pp. 12-13.
La prise de Gibraltar, op. cit., p. 101.
Ibid., p. 155.
Gauvin Lise, La fabrique de la langue, Paris, Le Seuil, coll. Points-Essais/ Indits , 2004, p. 210.
La prise de Gibraltar, op. cit., p. 70.
Cette influence baudelairienne de limage de la ville, outre Rachid Boudjedra, concerne galement, dans une version
Printemps 1997.
419
67
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
420
(...) ces fameux exercices de versions ou de thmes (). Avec cette expression
darabe populaire que je savais intraduisible en franais () A traduire dans
422
toutes les langues de lunivers.
Aussi peut-on affirmer, ds lors, que La prise de Gibraltar ressemble au motif de
prdilection dun certain nombre de romans o, comme dans les langues maternelles des
423
crivains, elle se confond
avec lespace urbain de Constantine. La problmatique
de lespace boudjedrien , dans son rapport avec ce quAbdelkbir Khatibi appelle
424
425
potiquement le faiseur de signes hagards , le langage en loccurrence, reprend,
426
dune part, lavis de Mouloud Feraoun . Ce dernier estimait que lavenir de la littrature
maghrbine, et au-del, celui des littratures francophones, passent par lassociation du
427
Mtier tisser et du Mtier mtisser . Dautre part, il relativise la probabilit dun conflit
de langage, envisage par Franz Fanon du fait que :
Tout peuple colonis, cest--dire tout peuple au sein duquel a pris naissance
un complexe dinfriorit du fait de la mise au tombeau de loriginalit culturelle
420
Alemdjodo Kangni analyse brillamment cette influence du roman tiroirs chez Boudjedra inspir par la modernit
littraire occidentale, Le mimotexte boudjedrien au regard du Nouveau Roman Franais , in tudes Francophones, Vol. XVII, N
1, Printemps 2002.
421
Orace Stphanie, Le chant de larabesque. Potique de la rptition dans luvre de Claude Simon, Amsterdam- New-
York, ditions Rodopi, Coll. Faux Titre , 2005. Elle crit notamment: La rptition semble bien donner son mouvement luvre :
le roman srige sur lossature quelle reprsente. , p. 159.
422
423
424
425
chose, sur la matrise de la parole et du langage. C'est une analyse que fait Shoshana Felman, Le scandale du corps parlant, op. cit.
426
Feraoun Mouloud, La terre et le sang, op. cit. Le roman raconte l'histoire d'un migr revenu dans son village kabyle avec une
femme franaise. Aprs la mort de ce dernier, sa femme enceinte est entoure par les autres femmes du village qui lui caressent le
ventre. Ce qui est une symbolisation de l'avenir de la littrature maghrbine dans la littrature franaise.
427
Depestre Ren, Le mtier mtisser, Paris, Stock, 1998. Le Hatien reformule la mtaphore de Mohammed Dib, pour exprimer
la place prpondrante de trait dunion quoccupe le langage, dans sa philosophie denracinement et douverture.
68
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Premire partie : critures de violence et modernit francophone Vers une toute puissance du
signifiant ?
Les conflits qui s'y droulent ont une logique interne, mais les rsultats des
luttes (conomiques, sociales, politiques) externes au champ psent fortement
sur l'issue des rapports de force internes; (); l'uvre littraire n'est jamais le
reflet d'un rapport de force socio-conomique extrieur au champ, mais elle
en conservera la trace. Si l'on inverse la perspective en se plaant au point de
vue des uvres plutt que des agents, le champ littraire est prcisment cette
mdiation spcifique entre les logiques externes et la production littraire.
Ce par quoi les textes de l'auteur congolais ne cdent pas la tentation de lopposition
binaire et systmatique des espaces. Aussi souscrivent-ils, sans doute, moins l'ide dune
434
rpublique mondiale des lettres
qu'ils n'adhrent au point de vue selon lequel, les
littratures francophones, pour exister et, surtout, pour gagner une reconnaissance littraire,
428
429
430
Fanon Franz, Peau noire, masques blancs, Paris, Le Seuil, 1952, p. 116.
Urbani Bernard, Le fantastique dHarrouda , in Revue Iris, N 26, Hiver-t 2004, p. 91.
La prise de Gibraltar, op.cit., p.71.
431
432
433
434
69
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
doivent inventer elles-mmes leurs propres espaces dnonciations. Ce quoi sattle Sony
Labou Tansi lorsqu'il installe rsolument son texte dans un espace le plus reprsentatif de
435
son environnement immdiat et rel . Cependant qu'il assume vouloir inventer linflation
436
des langages
pour rendre compte des potiques narratives, complmentaires et
concurrentes de son espace forestier et tropical :
Chez nous, les histoires poussent comme des champignons. Elles imitent la
luxuriance de la jungle (). Toutes nos histoires et nos racontars tentent de nous
437
sortir de la gomtrie trace ().
Par ailleurs, reste essentiel le rapport que la technique dcriture de lauteur congolais
entretient avec la nature. Le style dense dans lagencement des mots, les numrations
diluviennes , la varit et lexubrance des expressions, prfigurent ltat de nature,
notamment travers le climat et la vgtation. Aussi affirme-t-il :
Zamba-Town, ville du sud, plus chaude minuit qu midi, avec ses eaux
pourries, ses nids de moustiques, ceux qui ont fui la chaleur dans les cases font
lamour dehors ; cest ainsi que les pnombres gmissent, sanglotent, toussent.
439
Le pote prsident , savoir Lopold Sdar Senghor, pre fondateur de cette jeune
440
littrature, partir de son concept de vitalit , insiste sur la place quil convient dy
rserver la nature. Il rejoint en cela lavis de celui quon appelle le sage de Bandiagara ,
Amadou Hampt B. Tous deux soutiennent que lun des Aspects de la civilisation africaine
441
, par comparaison dautres res de civilisations quon reconnat comme telles en tant
quelles matrisent, domestiquent et dominent la nature, rside dans la place comme maillon
dune chane et dans le rapport de cohabitation, de complmentarit et dquilibre que
lhomme africain entretient avec son milieu naturel. Ds lors son discours doit raisonner/
rsonner en rapport dialogique avec toute forme dexistence minrale, vgtale ou animale :
435
On a vu l'chec qu'a constitu, dans la littrature maghrbine, l'exprience de Driss Charabi, notamment dans Mort au Canada,
Paris, Denol, 1975, de vouloir reprsenter un monde et un espace diffrents de son milieu d'origine.
436
437
Ibid., p. 143.
438
Cit dans Littratures d'Afrique noire , des langues aux livres, op. cit., p. 223.
439
440
441
Senghor Lopold Sdar, L'esthtique ngro-africaine , in Libert I, Paris, Le Seuil, 1964, pp. 202-217.
B Amadou Hampt, Aspects de la civilisation africaine, Paris, Prsence Africaine, 2000.
70
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Premire partie : critures de violence et modernit francophone Vers une toute puissance du
signifiant ?
Un grand rveur vit ses images doublement, sur la terre et dans le ciel. Mais dans
cette vie potique des images, il y a plus quun simple jeu de dimensions. La
446
rverie nest pas gomtrique. Le rveur sengage fond.
Une telle conception de la littrature, et par-del, de la culture ngro-africaine, dans leur
rapport la nature, prte le flanc une accusation de Contemplations. Quand elle ne prte
pas sourire dans des sphres et des cnacles qui nenvisagent la nature quau travers
dune alination, fille dune modernit agressive. Mais, devant une telle posture esthtique
et littraire, Claude Lvi-Strauss et Didier Eribon balaient toute ventuelle condescendance
lorsqu'ils crivent que :
Aucune situation ne parat plus tragique, plus offensante pour le cur et lesprit,
que celle dune humanit qui coexiste avec dautres espces vivantes sur
une terre dont elles partagent la jouissance et avec lesquelles elle ne peut
447
communiquer.
On comprend mieux, ds lors, lnigmatique phrase du narrateur de La vie et demie qui
avoue qu on a un si fort besoin des autres. Il y a des moments o jai envie de montrer mes
448
papiers ces feuilles, ces lianes, ces champignons . Pour Roger Chemain, la culture
et littrature africaines, ne seraient pas concernes par lavertissement de Claude Lvi442
443
Wasserman Earl, The subtler language, Baltimore, John Hopkins University Press, 1968, pp. 10-11, cit dans Le malaise de la
446
447
Lvi-Strauss Claude et Eribon Didier, De prs et de loin, Paris, Odile Jacob, 1988, p. 12.
448
71
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Chemain Roger, L'imaginaire dans le roman africain, Paris, L'Harmattan, 1986, p. 295.
450
451
Butor Michel, La ralit est en partie virtuelle . Entretien avec Bernard Valette (2003), in Allemand Roger-Michel et Milat
Christian (sous la direction de), Le Nouveau Roman en questions 5. Une Nouvelle Autobiographie ? , Paris, Lettres modernes
Minard, coll. La Revue des Lettres modernes/L'Icosatque 20 , 2004, pp. 241-256.
452
453
Ibid., p. 253.
72
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Premire partie : critures de violence et modernit francophone Vers une toute puissance du
signifiant ?
S'agissant de l'incipit et de la clausule textuels, Italo Calvino crit : le dbut et la fin, mme
si nous pouvons les considrer comme symtriques sur un plan thorique, ne le sont pas
454
au plan esthtique . Cependant, poursuit-il :
tudier les zones de frontire de l'uvre littraire, c'est observer les modalits
dans lesquelles l'opration littraire comporte des rflexions qui vont au-del de
455
la littrature mais que seule la littrature peut exprimer.
Par ailleurs, cette fonction dembrayeur et de clture, sajoute celle non moins importante
de contrleur et de rgulateur du rcit, dans la mesure o les souvenirs atroces, les
obsessions et autres ides noires ressasss ici et l dans le texte, nen constituent pas
moins les lments et les matriaux qui permettent au rcit de progresser et dentrevoir une
issue. Par consquent, les pertes et autres troubles de la mmoire ou la folie annonce du
narrateur, nentravent en rien la lisibilit, la comprhension et la progression du texte : ils
rendent possible lcriture :
454
Calvino Italo, Commencer et finir , in Dfis aux labyrinthes, Tome 2,Paris, Le Seuil, 2003, p. 118.
455
Ibid. p. 106.
456
457
73
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
si lourd de sens symbolique, mais aussi investi d'une esthtique que celui que Jean Paul
460
Sartre donna lidiot de la famille
:
Sartre Jean-Paul, Lidiot de la famille. La vie de Gustave Flaubert, de 1821 1857, Paris, Gallimard, 1972.
et contacts de culture. Volume 1. L'crit et l'oral, Publication du Centre d'tudes Francophones de l'Universit de Paris XIII, Paris,
L'Harmattan, 1982, p. 102.
464
Ndiaye Christiane, Une fine lgende inscrite dans la poussire : Le dterreur de Khar-Eddine , in Danses de la parole. tudes
sur les littratures africaine et antillaise, Paris, ditions Nouvelles du sud, 1996, p. 157. Une premire version de cette tude a paru
dans Prsence Francophone, numro 24, 1982, pp. 19-27.
465
Barthes Roland, Leon, op. cit., p. 16 : Mais nous, qui ne sommes ni des chevaliers de la foi ni des surhommes, il ne reste, si
je puis dire, qu' tricher avec la langue. Cette tricherie salutaire, cette esquive, ce leurre magnifique, qui permet d'entendre la langue
hors-pouvoir, dans la splendeur d'une rvolution permanente du langage, je l'appelle pour ma part : littrature .
466
Friedrich Hugo, The structure of modern poetry, Evanston, Northwestern University Press, 1974, p. 165 : Modern poetry does
not arouse metaphorical similary : instead, it uses the metaphor to champ together things strive to pull apart.
467
74
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Premire partie : critures de violence et modernit francophone Vers une toute puissance du
signifiant ?
468
littrature que dans un contexte social, lintrieur dune culture et dun milieu applique
aux uvres du romancier congolais, tend devenir obsolte. En ce sens que lhistoire,
la gographie et mme lunivers africains y sont constamment mtamorphoss. Par un
travail desthtique sur limaginaire, le lieu de lnonciation dont lidentification procde
dune exigence en ce qui concerne les littratures priphriques (si lon en croit les
thories littraires postcoloniales), devient moins un lment didentification quun enjeu et
un projet narratifs et littraires. Pour se rendre bien compte de lide que nous avanons
ici, il faut imaginer un clbre auteur franais contemporain qui crit des romans dont les
personnages, des Franais, possdent des patronymes asiatiques et dont lintrigue, bien
que se droulant dans les rues de France et de Navarre, fait tat dune gographie, dun
climat et dune urbanisation propres un pays dAsie du sud-est, en proie aux temptes,
autres inondations tsunamiques , aux virus et autres pidmies infectieuses. Cest une
dmarche de ce type quadopte lauteur des Sept solitudes de Lorsa Lopez, en ce sens que
lonomastique et le cadre spatial du roman trompent en permanence lhorizon dattente du
lecteur et linstallent dans un ailleurs lointain, pour ne pas dire inexistant. Mme si,
469
par ailleurs, lAmour bilingue entretenu dans une permutation permanente
avec les
langues espagnole et portugaise, du fait de la proximit du Congo avec lenclave de Cabinda
(ancienne colonie espagnole) et lAngola (ancienne colonie portugaise), ramne Sony
470
Labou Tansi des rveries moins solitaires . Les personnages dans Les sept solitudes
de Lorsa Lopez, Les yeux du volcan ou Le commencement des douleurs, se prnomment
Estina Bronzario, Lorsa Lopez, Pablo Cervante, Hoscar Hana ou Banos Maya. Les villes
qui servent despace narratif baignent moins dans un environnement africain que dans un
tropisme mridional prfigur par les consonances latines : Darmellia, Valencia, Nertez
Coma... (la liste nest pas exhaustive). Pour Lawson-Ananissoh, il sagit dune tendance
lourde chez Sony Labou Tansi la systmatisation des consonances hispaniques ou
471
latino-amricaines . Avec cette propension quasi irrprhensible la latinisation de
lcriture chez Sony Labou Tansi, se posent avec force les questions de localisation et
de dlocalisation littraires et linguistiques. Ainsi, ce que Gilles Deleuze et Flix Guattari
472
appellent dterritorialisation , cest--dire le fait quune littrature assez mal connue,
donc mineure , utilise la langue dune autre littrature, consacre et prestigieuse, afin
daccder une reconnaissance littraire, devient une notion doublement prsente dans
luvre romanesque de Sony Labou Tansi. En effet, sil crit en franais, son inspiration
relve davantage de la langue de Cervants. Un texte dmile Zola ou dAndr Malraux
renvoie toujours des groupes sociaux ou rvolutionnaires, un texte de Marcel Pagnol
la France mridionale, quand un texte de Tchkhov ou Soljenitsyne ramne aux dures
ralits sociales et politiques russes. Mais le rel, dans luvre de Sony Labou Tansi,
devient difficilement saisissable ds lors quil se dissout dans un imaginaire sans restriction.
Cependant, sil existe ce souci du romancier congolais de vouloir toujours placer son criture
au-del du rel, son hispanisme rvl se justifie dans ce quil estime tre un voisinage
468
469
470
Welleck Ren et Waren Austin, La thorie littraire, Paris, Le Seuil, 1971, p. 143.
Khatibi Abdelkbir, Amour bilingue, Montpellier, Fata Morgana, 1983, p. 27.
Cest lavis dfendu par Mbanga Anatole, Les procds de cration dans luvre de Sony Labou Tansi, Systmes
celle qu'une minorit fait dans une langue majeure. Mais le premier caractre est que de toute faon la langue y est affecte d'un
fort coefficient de dterritorialisation.
75
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
473
473
Labou Tansi Sony, Dcret dimpatience et de rouge , in Initiation aux littratures francophones, Actes du Colloque de
Bemba Sylvain, Fragments de lettres un ami , in quateur, n 1, octobre 1986, pp. 26-28.
475
Pageaux Daniel Henri, Garcia Marquez en franais : de la traduction au modle , in Lendemains, n 27, Berlin, 1982,
pp. 45-52.
476
477
76
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Premire partie : critures de violence et modernit francophone Vers une toute puissance du
signifiant ?
Mais, si imaginer, c'est hausser le rel d'un ton , ce qui frappe, paradoxalement,
cest surtout la dimension irrelle de ces scnes de violence. Tout se passe comme si
ces dernires, parce que trop horribles et trop insoutenables, dpassaient les cadres de la
prsentation, pour flotter dans une sorte de no mans land de la narration. Finalement, ce
qui fonde la spcificit de lesthtique dune telle violence, chez Sony Labou Tansi, cest la
victoire de lesprit sur le corps, la suprmatie des mots sur les coups. Narrer de cette manire
linnarrable, revient pour le romancier congolais, consacrer doublement et dfinitivement
la littrature. D'une part, il trouve, partir d'une smiologie propre, une voix/voie expressive
qui rend compte de l'insupportable violence. D'autre part, il donne ce mode d'expression
une fin justifie par le sens de la condition humaine. Xavier Garnier abonde dans le mme
sens lorsqu'il analyse la dimension magique de l'criture romanesque de Sony Labou Tansi.
De sorte qu'on peut dire, sa suite, que l'uvre de ce romancier part dune opposition
trs forte entre deux sries : celle des choses, des corps, de la viande , cest la srie de
lEnfer qui correspond au monde rel de la dictature et de la rpression ; celle des mots, de
limmatriel, des spectres, la srie pure de la rsistance hroque. Mais ce clivage entre un
tat honteux et un tat de droit, entre la perte du sens par la chair et le regain du sens par
lidal, nest quun point de dpart, et nous passerions ct de la richesse de ce roman
480
en y voyant un roman thse
. Lauteur de La magie dans le roman africain, poursuit
en dclarant que la question de lespace virtuel en gnral, et de lunivers magique en
particulier, dans luvre de Sony Labou Tansi, constitue, en ce quelle tente driger le laid
481
482
en catgorie esthtique , un combat de type nouveau, terriblement subversif... .
En dfinitive, lespace de limaginaire porte les empreintes dune vision dcale et
dforme de la ralit. Cest que lcriture de la violence met trs souvent en scne des
situations et des personnages baignant dans laccablement et la tourmente. Cependant,
pour tre nes dans un espace gographique et historique dans lequel la littrature en
483
gnral et le roman en particulier, procdent moins dune fantaisie que dune urgence ,
ces uvres, mme si elles empruntent les chemins tortueux de limaginaire, nen sont pas
moins, avant tout, une criture de la violence dans son aspect le plus direct et le plus
immdiat. Cest--dire une agression physique sur le corps.
Bachelard Gaston, L'air et les songes. Essai sur l'imagination en mouvement, Paris, Librairie Jos Corti, 1943, pp. 7-8.
Ibid., p. 98.
Garnier Xavier, Sony Labou Tansi ou les enjeux politiques de l'univers magique , in La magie dans le roman africain, Paris,
er
Melone Thomas, La critique littraire et les problmes du langage. in Prsence Africaine, n 73, 1 trimestre 1970, p.42.
La magie dans le roman africain, op. cit., p. 146.
483
Cette notion de littrature d'urgence a, semble-t-il, pris naissance en Amrique Latine. La paternit de cette expression
reviendrait Carlos Fuentes qui, dans un article intitul Littrature d'urgence , crit notamment : Contre l'apparente fatalit de ce
faux destin (...), l'crivain latino-amricain crit, press par l'urgence (...) pour que reste donne la possibilit d'une autre histoire o
ce qui advient serait ncessaire mais pas pour autant fatal , in Le Magazine Littraire n 151-152, 1979, pp. 12-15.
77
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
484
galement, Jamel-Eddine Bencheikh , dans une analyse des Mille et une nuits, plus
prcisment de l'hrone,Shhrazade, dont la narratrice de La pluie de Rachid Boudjedra
apparat comme une identification et un prolongement, montre comment cette uvre, audel des enjeux de culture et de civilisation quelle cristallise, participe dune prise de pouvoir
et dune libration de la femme par la parole et le langage. Malika Mokeddem, dans un
490
clbre slogan, circonscrit ce que Julia Kristeva appelle la rvolution du langage
par
rapport la problmatique de lenfermement, de la domination et de toute forme de violence
491
exerce sur ses concitoyennes : Eux, ils ont des mitraillettes, nous, on a des mots .
Dans luvre romanesque de Rachid Boudjedra, le corps est omniprsent tous
les niveaux dnonciation du rcit par le biais dun champ lexical complet (tte, bras,
fesses, jambes, seins, pnis, vagin...) et par une insistance du discours sur lanatomie de
la femme. Ce qui provoque, comme consquence esthtique, une certaine invasion de
lespace dnonciation du corps sur les autres espaces narratifs. En effet, tout se passe,
dans Les 1001 annes de la nostalgie, comme si les rapports entre les protagonistes
restaient exclusivement rgis par une dimension physique et charnelle. Cest sans doute
une persistance du motif de sduction originellement inscrit dans le texte fondateur des
Mille et une nuits duquel sinspire le roman de Rachid Boudjedra. Cependant, au-del du
484
485
principale.
486
Gontard Marc, Dsir et subjectivit dans Ni fleurs ni couronnes de Souad Bahchar , in Le rcit fminin au Maroc, Rennes,
Presses Universitaires de Rennes, 2005, p. 152 : Un moi-ichtyosaure est un moi domin par l'instinct et la sensorialit .
487
C'est la femme qui a la beaut du reste c'est connu , Joyce James, Ulysse, Traduit par A. Morel, S. Gilbert, V. Larbaud et
Djeux Jean, La littrature fminine de langue franaise au Maghreb, Paris, Karthala, 1994.
489
490
Bencheikh Jamel-Eddine, Les mille et une nuits ou la parole prisonnire, Paris, Gallimard, Bibliothque des ides, 1988.
e
Kristeva Julia, La rvolution du langage potique : l'avant-garde la fin du XIX
sicle. Lautramont et Mallarm, Paris,
Le Seuil, 1974.
491
Mokeddem Malika, Entretien avec Melissa Marcus , in Algrie Littrature/Action, n 22-23, juin-septembre 1998, pp.
215-226.
78
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Premire partie : critures de violence et modernit francophone Vers une toute puissance du
signifiant ?
dsir dancrer sa modernit dans ce que Charles Bonn dsigne comme une affirmation
492
du local , la surdtermination de la reprsentation physique et corporelle, dans son
aspect charnel et sexuel, moins affectif ou sensuel que mcanique et dpressif, rvle un
malaise dans le langage que lcriture du corps tente de dnouer. Ce dernier devient ds
lors lunique manire daller vers lautre, de communiquer et surtout de faire remonter en
surface une sorte de conscience douloureuse inscrite en continu dans le roman.
Plus que le corps dans sa totalit, cest principalement du sexe que Rachid Boudjedra
traite dans son dessein de montrer lenfermement dont les femmes sont victimes. Le
romancier algrien adhre, sans doute, la thorie de Michel Foucault selon laquelle la
sexualit est un champ de bataille, un espace de ngociation entre pouvoiret domination.
Dune certaine manire, cest parce que les femmes, dans le premier roman de Rachid
Boudjedra, La rpudiation en loccurrence, avaient cd du terrain dans lespace de la
sexualit (la lthargie, labsence dinitiative sexuelle, la soumission, lattente du mle et la
passivit caractrisent leur sexualit dans cette uvre) quelles ont perdu, par la mme
occasion, lusage du langage symbolis par le goitre de la mre, abandonnant ainsi leur
droit la parole, bref leur droit dexister. Ce constat nous semble dautant plus vrai
que la libration du discours fminin, dans luvre de Rachid Boudjedra, saccompagne
dune certaine affirmation et dun certain pouvoir sexuel que cristallise le personnage de
Messaouda dans Les 1001 annes de la nostalgie :
Chaque fois quelle se fchait, elle claquait les bretelles de son gigantesque
soutien-gorge dont le bruit faisait senvoler tous les oiseaux de la place et
dailleurs. chaque attentat, le Gouverneur arrtait une centaine dotages quil
gardait sous la main... Le soir mme une gigantesque rafle fut organise et la
population entire fut arrte. Cest ce moment que Messaouda exaspre (...)
mit son plus solide soutien-gorge, shabilla trs lgamment (...). Le soir mme
493
les otages furent librs.
Ce qu'il est significatif de noter dans la deuxime citation, cest ltonnant retournement
de sens symbolique quopre Rachid Boudjedra par rapport la perception de limage
de la femme dans un Maghreb trs imprgn de sa culture laque et religieuse. En effet,
le cloisonnement et la limitation de lespace vital de la femme remonterait ve qui mit
lhumanit en danger pour avoir pris trop de libert dans les jardins du Paradis, si lon en
494
croit Jamel-Eddine Bencheikh . Cest pour viter que de tels excs ne se reproduisent,
495
cest--dire pour empcher qu nouveau le sexe fminin menace lordre public ,
que la femme est soumise au silence et lobissance. Quelle reste emmure lintrieur
des maisons et des harems. Que fait Rachid Boudjedra du subconscient et de limagerie
culturels et religieux du Maghreb ? Il les balaie dun revers de la main, non sans un certain
savoir-faire littraire. Avec Messaouda, cest la femme qui libre lhomme et qui incarne un
idal dhumanisme, de libert et de justice. La modernit dune telle conception rside dans
la capacit de retournement dune image trs arrte et trs pjorative de la femme en une
situation valorisante, inscrite, sans coup frir, dans lordre du langage. Sans que le lecteur
492
Bonn Charles, Lmergence du roman algrien actuel, entre affirmation du local et modernit citadine dlocalise. ,
www.limag.com BONN, Charles, et la CICLIM. Littratures du Maghreb. Lyon, CICLIM / Universit Lyon 2.
493
494
Ibid., p. 64.
79
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Tel qu'il est mis en scne par la fiction (...), le corps est un espace lire. Tel
un livre, il constitue un texte subjectif sur lequel se condense un systme
de significations parallles au systme de sens que le texte dploie en tant
498
qu'criture.
Peut-on en dire autant du texte romanesque de Sony Labou Tansi ?
La problmatique du corps en gnral et de son enfermement en particulier, dans Les
sept solitudes de Lorsa Lopez, Les yeux du volcan et Le commencement des douleurs,
reste essentielle. Cela, ne serait-ce quau regard de son inscription implicite et non moins
496
Bendahman Hossan, Personnalit maghrbine et fonction paternelle au Maghreb, Paris, ditions La Pense Universelle,
1984, p. 81.
497
Lacoste-Dujardin Camille, Des mres contre des femmes : maternit et patriarcat au Maghreb, Paris, ditions La
Ourari Wafa Bsas, Le corps prtexte, le corps texte et le corps sexe dans l'uvre de Abdelkbir Khatibi , in Ourari
Wafa Bsas (textes runis par), Subjectivit et corps dans les littratures de langue franaise, Publications de L'Universit
Paul-Valry- Montpellier III, 2006, pp. 115-116.
80
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Premire partie : critures de violence et modernit francophone Vers une toute puissance du
signifiant ?
mtaphorique dans les titres respectifs de ces uvres romanesques. Ces dernires, comme
celle qui les prcde, Ltat honteux, en loccurrence, o lhistoire dun dictateur africain
499
venu au monde en se tenant la hernie, parti de ce monde toujours en se la tenant ,
reprennent comme celui dun ralliement, le cri qui sortait dj de la bouche de la premire
hrone romanesque de Sony Labou Tansi : Ils mont mis l-dedans un corps et demie
500
. La puissance de productivit et defficacit, dans le champ de la communication et
du langage, dcoule du fait que le cri du corps , chez Sony Labou Tansi, associe en
permanence signe et sens. C'est le cas, par exemple, de la relation dun objet matriel
(le corps) et dune opration arithmtique (et demie). Cette addition du corps, donc de
la matire, et des mathmatiques, annonce sinon une surmultiplication du moins une
surdtermination morbides de la reprsentation du corps dans l'uvre. Cependant, pour
mieux se rendre compte de limportance de la notion de corps dans cette uvre, il convient
de rappeler que les uvres romanesques de Sony Labou Tansi abordent, essentiellement,
la question de la reprsentation littraire du pouvoir tyrannique et de la dictature tatique
selon une mtaphore de logre, associe un jeu macabre de carnaval loufoque, fait
de bouffonneries, de beuveries et dorgies qui dgnrent. Lauteur y dcrit un espace
doppression travers la vision dun continent et dune socit o le droit et la justice sont
substitus par le rgne de la cruaut et de la barbarie. Ces dernires sont traduites par une
501
mise en scne o le langage, suivant le concept de linouversel , rend compte de
la violence quotidienne.
Ds lors, se pose la question de savoir qui profite lenfermement sous-jacent cette
criture violente du corps ? Autrement dit, les femmes en sont-elles, encore et toujours,
les victimes expiatoires ? Contre toute attente, Sony Labou Tansi djoue lhorizon dattente
de son lecteur en crant un motif de subversion bas sur un renversement des valeurs
et un inversement des rles. Dune part, lhomme devient une espce menace, un tre
fragile, bourr de complexes et de mauvaise foi, qui refuse la modernit quil associe
une rgression depuis que dans cette ville les femmes samusent devenir des hommes
502
(cest la faute aux Blancs ; ils sont venus tout mlanger) . Dautre part, limage de la
femme se transforme. Elle devient la vraie dtentrice de pouvoir travers, notamment, une
surdtermination smantique des luttes fministes laquelle Sony Labou Tansi rserve un
espace dnonciation concurrentiel celui du narrateur. En mme temps quil propulse les
personnages fminins au devant de la scne :
- Ils mont charg de vous dire, madame, que vous continuerez tre le maire
de notre nouvelle capitale. Laissez-moi vous flicitez de tout mon cur, de tout
mon - Circulez, monsieur, lui avait rpondu Estina Bronzario. Je ne suis pas
503
votre poubelle : ne dans lhonneur, je mourrai dans lhonneur.
Naturellement, serait-on tent de dire, cest par le biais de son corps que la femme parle
au monde et aborde ainsi lespace du texte selon une perspective langagire quon peut
qualifier de moderne, tout au moins de subversif :
499
500
501
Ibid., p. 16.
81
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Hoscar Hana, je vous aime, pleurait la petite Banos Maya. Entendez cela par
nimporte quelles oreilles. Voyez cela de nimporte quels yeux. Touchez le
creux que cet amour fait mon me. Touchez le vertige qui efface ma bouche.
Hoscar Hana, cest pour vous que mon corps a mri. Amant, mon motion et ma
punition, je vous en prie, parlez ! Moi, baptise au feu de votre salive, me voici
vaincue mais fire. Touchez la femme que mon corps vous apporte. Ne me tuez
504
pas. Ne me tuez plus.
Ns, alternativement, dune volont de fonder une cit heureuse et dun discours sur lgalit
505
et la justice, la sduction et le langage sinvitent mutuellement en tant que lieu esthtique.
Celui-ci fonde une subversion partir dune gomtrie intime , mais surtout dune
gomtrie dangereuse. Dans la mesure o le corps fminin, par ses formes, ses courbes,
ses rondeurs, ses lignes et ses cavits, constitue pour lhomme une terra incognita que
506
Sarah Kofman appelle lnigme . Ce mlange de sduction et de danger que cristallise
507
le corps fminin, fonde un rotisme, moins par surcrot que par consubstantialit :
Corps majuscule, inscrit au milieu dune paix nouvelle (). Les hanches sereines,
barbares, puissantes, lches comme une arme dans la rigueur intenable dune
complte rondeur. Ventre sem dun cordon de poils hirsutes qui lchaient le
nud du nombril. Allando Calero avait toujours donn limpression dtre une
sculpture dans un corps de femme. A cause de limptuosit de ses traits. A
cause surtout de ltonnante harmonie qui ceinturait son corps et creusait ses
508
lignes. () on lavait toujours appele : Calero-Plnitude.
Lrotisme fait ancrer davantage les romans de Sony Labou Tansi dans la recherche dun
esthtisme moderne. En effet, contrairement la posie ngro-africaine qui, ds ses dbuts,
suggrait, dans sa thmatique, des relents rotiques comme la fameuse Femme nue,
509
femme noire
de Lopold Sdar Senghor, lrotisme dans le roman ngro-africain entend
510
suivre un projet romanesque dtermin et neuf . Aussi sinscrit-il dans un formalisme
littraire.
511
Femme nue, femme obscure Fruit mr la chair ferme, sombres extases du vin noir, bouche qui fait lyrique ma bouche Savane aux
horizons purs, savane qui frmit aux caresses ferventes du Vent d'Est Tamtam sculpt, tamtam tendu qui gronde sous les doigts du
vainqueur Ta voix grave de contralto est le chant spirituel de l'Aime .
510
Green Andr, Sur la mre phallique , in Revue Franaise de Psychanalyse, janvier 1968, p. 23.
82
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Premire partie : critures de violence et modernit francophone Vers une toute puissance du
signifiant ?
512
sauvage des instincts , y brandissent larme du sexe pour mieux museler, voire perdre
les personnages masculins. Ainsi en est-il, dans Les sept solitudes de Lorsa Lopez, de la
grve du sexe que Fartamio Andra fixa treize lunes le temps pendant lequel toutes
513
allaient se passer douvrir leurs pagnes un homme.
Savoir dire non, cest--dire refuser de rpondre au dialogue initi par lautre, et par
consquent empcher le discours, introduit une ide de confiscation du langage. Ceci, pour
les personnages fminins des romans de Sony Labou Tansi, demeure le moyen le plus sr
pour ne pas retourner sous le joug masculin :
Les trois mois aprs la dcision des femmes, Estando Douma avait reu neuf
cent treize mille commandes de sa machine baiser et embauch sept cent
514
quinze travailleurs (...).
Tout se passe, dans ce roman, comme si lenfermement procdait dune fatalit. Cela, si
on en juge par le jeu textuel dopposition systmatique entre hommes et femmes. En effet,
le besoin des premiers se heurte au refus des secondes. Un peu comme si Sony Labou
Tansi, par le biais de sa technique littraire favorite, consistant croiser un objet vivant et
un objet non vivant, les mots et chiffres, le concret et labstrait, entendait montrer, la suite
515
de Claude Lvi-Strauss, que le couple homme-femme est une rencontre dramatique .
Pour ainsi dire, dans luvre du romancier congolais, lenfermement du corps, notamment
celui de la femme, sintgre dans une dynamique esthtique dun espace marqu par la
violence. Xavier Garnier en saisit l'approche en ces termes :
Nojgaard Morten, La moralisation de la fable : d'Esope Romulus , in Adrados Fr. R. (huit exposs prpars par) et
Reverdin Olivier (prsids par), La fable , Genve, ditions Vanduvres, 1983, p. 226.
513
514
515
516
517
Ibid.,p. 44.
Tristes tropiques, op. cit., p. 561.
La magie dans le roman africain, op. cit., p. 157.
Mitterand Henri, Chronotopes romanesques : Germinal , in Potique, Numro 81, Fvrier 1990, p. 89.
83
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Merad Ghani, La littrature algrienne dexpression franaise. Approches socio-culturelles, Paris, Oswald, 1976, pp. 139-140.
Goytisolo Juan, Un espace magique de sociabilit. Jemaa-el-fna, Patrimoine oral de l'humanit , in Cahier d'tudes
e
Laqabi Sad, L'ironie dans le roman maghrbin d'expression franaise des annes 80. Thse de doctorat 3 cycle sous la direction
84
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Premire partie : critures de violence et modernit francophone Vers une toute puissance du
signifiant ?
Kateb Yacine demeure indsirable au Maroc, quil fut jadis expuls de Tunisie,
que lAlgrie dont il a pu choisir de sloigner provisoirement a malsupport
de lentendre narguer les Beni Kawed , les brebis majoritaires et enturbannes
523 524
(...) au point de censurer un titre de Jeune Afrique .
Contrairement leurs homologues maghrbins, lurgence et la gravit du contexte historique
et social nont jamais pris le pas sur lenvie des crivains ngro-africains de sexprimer certes
dans un discours empreint dune surdtermination idologique mais non moins ironique.
Surdtermination idologique en ce sens que dune part, cest l une manire dcrire
dirige, notamment pendant la priode coloniale, contre ladministration et les missionnaires
525
526
religieux. Une vie de boy
et Le vieux ngre et la mdaille
de Ferdinand Oyono, Ville
527
528
cruelle
dEza Boto et Le pauvre Christ de Bomba
de Mongo Beti, de par lintrt
critique et littraire quelles continuent de susciter encore, en constituent les illustrations
les plus pertinentes. Dautre part, cette criture dnonce aprs les indpendances, le
despotisme, la corruption, le npotisme et la confiscation des liberts aprs les annes de
lutte. Le devoir de violence de Yambo Ouologuem, Le pleurer-rire dHenri Lops et/ou La
529
carte didentit
de Jean-Marie Adiaffi, sous un mode humoristique, informent sur les
symboles pernicieux dun pouvoir dorigine nettement pathologique, navement et surtout
530
monstrueusement gocentrique .
Ainsi, bien qu'il soit employ selon des modalits diffrentes, l'humour fonctionne en
531
tant que signe remarquable d'une identit et d'une continuit narrative[s]
des
littratures africaines dexpression franaise. Aussi labore-t-il une stratgie narrative dont
la modernit consiste estimer que la chose dire pourrait jouir () l'gard de la
532
533
manire dont elle est dite
d' une secrte parent . C'est pourquoi le comique de
523
Kateb Yacine, La fuse des "Beni Kawed" , in Jeune Afrique n 206, 15 novembre 1964.
524
Arnaud Jacqueline, La littrature maghrbine de langue franaise. Le cas de Kateb Yacine, Paris, Publisud, 1986,
p. 56.
525
526
527
528
seul et mme auteur. En effet, ce sont des pseudonymes utiliss par le mme romancier, de nationalit camerounaise, qui en ralit
sappelle Alexandre Biyidi. Vu le caractre subversif du contenu de ses romans et le contexte de rpression et de dictature dans les
annes 70 au Cameroun, il est vident que cest pour des raisons de scurit quant son intgrit physique quAlexandre Biyidi fit
recourt aux pseudonymes.
529
530
Rey-Mimoso-Ruiz Bernadette, Tahar Djaout entre rire et conte , in Samrakandi Mohammed Habib (directeur de la
rdaction), Horizons Maghrbins, Le droit la mmoire. La francophonie arabe : Pour une approche de la littrature arabe francophone,
n 52/ 2005, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail et C.I.A.M, pp. 48-55.
532
Rastier Franois, Sens et textualit, Paris, Hachette, coll. Langue, Linguistique, Communication , 1989, p. 102 : Au
demeurant, pour une smantique interprtative, rien n'est plus profond que la surface. Une longue tradition nous a accoutums
rduire le signifi du concept, et estimer que la chose dire pourrait jouir de quelque autonomie l'gard de la manire dont
elle est dite. Ds que l'on a affaire un corpus, cette illusion conceptualiste devrait se dissiper d'elle-mme.
533
85
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
a) Le comique de mots
Il apparat dans La prise de Gibraltar travers une juxtaposition de groupes de mots dans
des phrases longues o la ponctuation reste assez sommaire. Leffet comique intervient
travers les jeux dambigut et dincongruit quune telle construction narrative met en
exergue, du fait de laddition improbable de sujets srieux des thmes impertinents. Ces
derniers fonctionnent comme des croquis et dessins accompagnant une chronique ou un
534
roman :
Elle riait de mes imprcations et de mes jurons arabes ; ne les comprenant pas,
elle essayait, par jeu, de les deviner partir des consonances gutturales et dures,
puis douces et suaves du fait des chuintantes mouilles qui pullulent dans ma
langue...chaque fois que Cline avait essay de lapprendre, elle sy tait corch
536
en vain la bouche et la gorge. Elle riait.
Tel est le cas dans Linsolation o lauteur dveloppe son point de vue propos des rapports
humains, de la question de laltrit et finalement des rapports Nord-Sud. La formulation
de ces problmatiques pineuses qui chez dautres auteurs francophones seffectue de
manire solennelle, prend une tournure comique dans luvre de Rachid Boudjedra. Elle
contient certes un discours idologique. Mais, c'est un discours idologique davantage
implicite dans une nonciation subjective qu'explicite dans une profession de foi. Il se tisse,
d'abord, dans un champ smantique de linterjection. Il s'nonce, ensuite, dans un niveau
de langue populaire et/ou clinien . Enfin, le ton ironique qu'il adopte lui permet de
534
Chaulet-Achour Christiane et Morsly Dalila, Plus dun sicle de rire en Algrie. Essai de panorama , in 2000 ans de rire.
er
juillet 2000, Presses
536
86
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Premire partie : critures de violence et modernit francophone Vers une toute puissance du
signifiant ?
renvoyer dos dos tous les dtenteurs de vrits qui se croient meilleurs les uns que les
537
autres . L'insolation en fournit un exemple :
Achtung ! Ils feraient mieux de ranger leurs camras et de sen aller. Ils se
promnent en fiacre en mangeant des figues de Barbarie sans les plucher. Ae !
Ae ! feu dans la bouche. Salve sur le mcrant. Le petit marchand sesclaffe
et exagre parler en arabe. []. Baragouine juste un peu de franais, mais
lallemand, alors, non ! ( Ya, Ya.) Amiti entre les peuples disent les prospectus
538
des agences de voyages.
Ainsi, le comique de mots dans la potique du romancier algrien est indissociable de la
pratique du langage. De la langue non matrise de lautre qui, fatalement, cre une situation
de rire. Tout se passe, par consquent, comme si le langage, par le biais du lhumour, tentait
539
de dsamorce la violence de la rencontre inscrite dans La question de lautre .
En ce qui concerne Sony Labou Tansi, cest lintroduction dun vocabulaire nouveau,
invent, qui fonde le comique de mots dans son uvre. En effet, Sony Labou Tansi brouille
les pistes du langage en changeant constamment la signification aussi bien propre que
figure des mots, notamment dans le discours amoureux. Il annonait dj, ds son premier
roman, ce qui constitue la principale caractristique de lhumour dans son uvre, savoir
540
le renversement et le dtournement de sens
:
Aniq-Filali Raba, Ironie et traduction , in Bounfour Abdellah et Regam Abdelhaq (sous la direction de), Littrature et traduction.
541
542
543
Kr Catherine, Lironie dans La vie et demie , in Sony Labou Tansi, tmoin de son temps, op. cit., p. 114.
mme faon que Foucault parle de limaginaire, on pourrait dire que le comique de mots chez Sony Labou Tansi ne se substitue pas
au rel pour le nier ou le composer ; il stend entre les signes, de livres en livres, dans linterstice des redites et des commentaires.
Il nat et se forme dans lentre-deux des textes. Cest un phnomne de bibliothque.
544
87
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Mme celui qui vient pour vous tuer, donnez-lui une chaise et un verre deau. []
De cette manire, nous avons donn une chaise aux Hollandais, aux Portugais,
puis aux Franais []. Mme celui qui a trich avec ta femme, donne-lui une
546
chaise et un verre deau.
Compare la pratique humoristique dAmadou Kourouma, celle de Sony Labou Tansi est
sans quivoque. En effet, pour le premier, lhumour qui darde Les soleils des indpendances
547
, procde dune traduction du malink au franais. Pour le second, il sagit de trouver un
sens indit au sens antrieur des mots. Chez Sony Labou Tansi, les possibilits du langage
et les frontires de limaginaire humoristique forment un systme binaire qui va slargissant.
Dans la mesure o il part dune exprience humaine et cette exprience humaine peut tre
548
vcue par un Africain, un Europen ou un Asiatique , Sony Labou Tansi ne sastreint
pas de partir de la spcificit de la littrature africaine pour innover, trouver de nouvelles
549
formes... .
En dfinitive, lcriture du comique de mots, pour Rachid Boudjedra, sopre travers
le rapport de la langue locale la langue franaise. En revanche, pour Sony Labou Tansi, le
comique de mots intervient dans sa volont de manipuler le sens dorigine des mots. Dans
550
son envie, dit-il, de coincer la terre entre deux mots
. Les deux cas de figure laissent
transparatre une intention auctoriale dcrire autrement. Le comique de geste pourrait
confirmer cette tendance.
b) Le comique de geste
Comme il s'entend, le comique de geste est exprim travers des mouvements et autres
551
attitudes du corps humain. Ces derniers, selon Henri Bergson , peuvent prter rire ds
lors qu'ils font penser une mcanique ou la raideur d'un objet. Autrement dit, et pour
paraphraser Jean-Paul Sartre, le comique de geste est au langage ce que le geste est
552
l'acte . Dans luvre de Rachid Boudjedra, le comique de geste fonctionne comme un
substitut du langage littraire. Son objectif, dans la reprsentation, consiste dprcier,
entre autres, les figures de lautorit. Il rvle, notamment, un lien pathologique entre
lagressivit de ces dernires et leur incapacit communiquer avec les mots :
Le vieillard lugubre qui leur tenait lieu de matre dcole sesclaffait vicieusement
et fourrageait nerveusement dans ses narines, comme la recherche de son tre
constamment en vadrouille dans quelque orifice de son corps, au lieu de se tenir
545
Konat Yacouba, Art, philosophie et modernit : lAfrique en effet , in Leon Inaugurale, Rentre solennelle de la FLASH,
Tansi Sony Labou, Lettre Sylvain Bemba date du 9 novembre 1974, in La terre dAfrique en crations, Paris, ditions
Afrique en crations, hors srie, septembre 1995, cit par Kocani Christian, Sony Labou Tansi : jusquau bout de lengagement ,
in Sony Labou Tansi, tmoin de son temps, op. cit., p. 299.
551
552
Bergson Henri, Le rire. Essai sur la signification comique, Paris, PUF, 1981, pp. 79-80.
Sartre Jean-Paul, Saint Genet, comdien et martyr, Paris, Gallimard, 1952, p. 300 : Le geste, c'est l'acte devenu objet .
88
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Premire partie : critures de violence et modernit francophone Vers une toute puissance du
signifiant ?
Elle avait racont toute lhistoire de bout en bout avec une rapidit excessive
chez cette femme trs lente et trs calme. A la fin, elle en avait perdu le souffle.
Elle haletait. Lorsquelle se fut vide devant moi, sans me regarder une seule
fois, je lui demandais de tout reprendre, car je navais rien compris son affaire.
Elle manqua stouffer, fut tente un instant de svanouir puis dcida de tout
555
mexpliquer, nouveau.
Dautre part, il embastille le second dans une tour divoire, le confinant sinon dans un rle
de bte de cirque du moins dans celui du clown. Ce qui dnote dune violence saisie
partir de la solitude et de la rduction inscrites dans la vacuit des gestes dautomates et
de pantomimes :
Sil ny avait pas ces cheveux que tu tescrimais carter de tes yeux () le vieil
homme au chat blanc (), bloui par ta prsence, finirait par me parler, au lieu
de faire des discours savants et inaudibles son sacr matou qui en venait,
force de vertige et de silence, boiter comme son matre, moins quil nessayt,
dans sa sagacit de vieux chat gt, de se moquer du ngre et de le faire sortir de
556
ses gonds.
(), loncle Hocine tait l comme plant au beau milieu de la rue,
comme ptrifi brusquement et quil ntait pas capable davoir dautre aspect
que cette faon dtre dfinitivement englu dans limmobilit. Ou plutt comme
sil navait jamais connu que cette manire dexister, tel un pouvantail fig,
dent (). Il tait l avec sa grande taille (). Il tait donc l, les yeux tournant
dans leurs orbites une vitesse incroyable, fixant sur le monde un regard idiot,
557
celui dun demeur plein de sa suffisance et de son fanatisme.
Dans l'uvre de Sony Labou Tansi, le comique de geste sarticule autour de lexcs narratif
relatif au bas du ventre, en loccurrence le digestif et le sexuel, dont les thories de Mikhal
Bakhtine ont montr la modernit :
Charmelot , in LEsprit crateur (Rcit et enfermement/Narrative and Confinement), vol. XXXVIII, n 3, 1998, pp. 17-27.
555
556
557
89
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
et alcoolis quatre vingt dix parce que, disait-il, paradoxalement cela soignait
558
son mal de foie.
Hoscar Hana perturb [qui] avait perdu le contrle de sa
personnalit dans une succession de verres dabsinthe avals sans prcautions.
(). Puis ce fut une suite de rats. Nertez Pandou avait titub et renvers le
vin () ; Estango Douma avait paum la troisime partie des formules de la
crmonie ; Nertez Coma avait poursuivi la srie par une odieuse gestuelle de
559
rastaquoure lors de la mise en cercle des faux maris ().
Quant llment sexuel, il intervient dans le comique de geste la faveur dun rire
560
intertextuel que Sony Labou Tansi met en jeu ds La vie et demie
et qui, dans Les yeux
du volcan,se poursuit ainsi :
c) Le comique de situation
Il s'effectue par le biais de l'inversion, c'est--dire obtenir une scne comique en retournant
les rles respectifs des diffrents protagonistes. Ce que rvle le comique de situation
dans luvre romanesque de Sony Labou Tansi, cest la connivence des Tropiques qui,
aux malheurs et la violence ambiants, ajoutent la dmarche rflexive dune comdie
humaine qui rit delle-mme. Si pour Mongo Beti, sans doute le romancier ngro-africain
563
qui a le plus investi dans lcriture ironique, Trop de soleil tue lamour , on peut paraphraser
le sens du comique de situation chez Sony Labou Tansi en postulant que trop de
558
559
560
La vie et demie, op. cit., p. 118 o sexprime ainsi le comique de geste : [Elle] reut d'adorables dcharges de chaleur dans les
reins. Six fois elle avait cri le ho-hi-hi-hi final avant de commencer une vritable rafale de ho-hou-ha-h.
561
562
Patrick Chamoiseau et Mario Andrade , in Kwaterko Jozef (sous la direction de), Lhumour et le rire dans les littratures francophones
des Amriques, Paris, LHarmattan, 2006, p. 87.
563
90
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Premire partie : critures de violence et modernit francophone Vers une toute puissance du
signifiant ?
soleil fait perdre la tte . En ce que la virulence des chaleurs tropicales constitue la
dernire mauvaise plaisanterie du destin, lultime ironie du sort qui sabat sur lAfrique. Aussi
complte-t-elle le sort tragique dj impos par les dictatures sanglantes et finit-elle par
avoir raison de la raison de ses personnages :
91
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Aprs les enterrements, pour oublier le bruit de la terre sur le cercueil, nous
avions coutume de boire un grand quelque chose de capiteux, histoire de faire
sentir largile quon tait toujours debout, fiers de notre troncature de vie
cousue la main (). Aucun peuple au monde ntait aussi endurant que nous
571
sur la question de vivre une vie coriace.
Cependant, la modernit du comique qui tente d'apprhender la situation tragique de
lAfrique, procde du fait que Sony Labou Tansi le dmarque au possible de tout
essentialisme. Tout se passe comme si, chez le romancier congolais, humour ngre
et humour noir demeuraient les termes dune mme dfinition. Ce qui importe c'est quils
sinscrivent dans une stratgie narrative o lauto drision inflchit la faon de se voir soimme, de percevoir les autres et surtout de concevoir la dure ralit africaine selon des
stratgies subjectives et fictives. Ces dernires, pour distancies et dtournes quelles
soient, constituent, au demeurant, un [en]jeu langagier (), un lieu de dploiement
572
573
singulier
pour sen prendre une cible quil sagit de disqualifier .
En dfinitive, les comiques de mots, de geste et de situation, une poque o
574
l'homme est plus que jamais rsolu tuer la vie , cherchent dplacer, par le rire
et l'vasion, l'enjeu esthtique de la violence. Par ce biais, Rachid Boudjedra et Sony
Labou Tansi sortent des sentiers battus d'une forme dcriture sans doute trop rigide et qui,
manifestement, gagne tre bouscule.
3.2. La caricature
La caricature dans La prise de Gibraltar seffectue presque exclusivement par le biais de
la technique stylistique quest la description. Cependant, cest une description courte et
rapide qui insiste sur un point de caractre physique ou moral mais combien rvlateur de la
personnalit entire du personnage. ce titre lembonpoint du jeune personnage principal,
Tarik, revient comme un leitmotiv :
Mongo-Mboussa Boniface, Le pleurer-rire des crivains africains , in Africultures, n 12, novembre 1998, p. 6 o il crit
notamment : En ralit, si humour ngre il y a, il ne se situe pas dans cette distinction senghorienne, mais dans la capacit des
Ngres prendre leurs propres souffrances comme objet de drision. [] La spcificit ngre de cette autodrision rside dans ce que
Mongo Beti appelle lhabitude du malheur du ngre. Confront une histoire insoutenable (lesclavage, la colonisation, les dictatures,
les guerres tribales), le Ngre a trouv en lhumour une des rponses possibles sa tragique destine.
571
572
575
92
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Premire partie : critures de violence et modernit francophone Vers une toute puissance du
signifiant ?
576
vestimentaire (la grande taille des vtements).On peroit mieux ds lors que le procd
caricatural, chez Rachid Boudjedra, accable davantage la renomme dj peu enviable des
personnages ngatifs :
Sacr bonhomme ! Sa djellaba ne lui collait pas la peau, mais sa peau collait au
tissu de son habit ample sous lequel il a le loisir de cacher ses mains et fricoter
577
lamentablement ses affaires louches.
Le caractre subversif de la caricature chez le romancier algrien apparat deux niveaux.
Dune part, sur le plan de la narration : rduire la personnalit, la psychologie et lhistoire
dun personnage dans une description expditive, biaise les rapports de ce dernier avec le
lecteur. Ainsi, Linsolation et La prise de Gibraltar fonctionnent la manire de ce que Bruno
578
Gelas appelle la fiction manipulatrice . Autrement dit, dans ces romans, la caricature
se montre solidaire d'un systme narratif. Tous deux influent sur un horizon d'attente et
579
un mode de rception. De sorte qu'ils suspendent le jugement
du lecteur. Dautre
part, la subversion de la caricature, dans les romans de Rachid Boudjedra, repose sur le
renoncement dune certaine tradition raliste de la description et du portrait dans laquelle
se sont inscrits bon nombre duvres littraires maghrbines. C'est comme si le romancier
algrien, en choisissant dinsister sur un dfaut physique dun personnage au dtriment
dune description entire, physique et morale, refusait de faire concurrence ltat civil :
Il ne pouvait pas prciser quel tait le membre coup, mais il tait sr quil y avait
quelque chose en moins dans ce corps en forme doutre dans lequel on avait
jet ple-mle et sans ordre prconu, la graisse, le sang, les nerfs, la chair, le
580
cartilage, le chyle et leau, surtout beaucoup deau
Par consquent, la modernit de son criture se situe moins dans la caricature inscrite
dans la narration de ses uvres que dans celle quil fait indirectement des systmes
narratifs de ses prdcesseurs dans le paysage littraire maghrbin. En uvrant pour
une troisime voie , il essaie d chapper, [], lalternative devenue habituelle
entre une criture raliste plate dun ct, celle de Feraoun, de Mammeri, de Malek
581
Haddad, et lhermtisme relatif quon prtait des romans comme Nedjma (...).
Cependant, la caricature dans le roman boudjedrien ne se rsume pas exclusivement
une reprsentation brve. Elle adopte galement une forme allonge qui insiste sur les
laideurs physiques. Elle les grossit exagrment et semble les figer dans une image et un
temps :
Le nouveau mari avec sa grosse face patibulaire de bon jouisseur tait pris en
gros plan, comme si le photographe avait voulu souligner la laideur de ses traits,
la bestialit de son regard et la perversion de sa bouche. Mais tout cela ntait
576
Morsely Dalila, Pantalons, serouels et hidjeb : humour et terrorisme en Algrie , in Cahiers de recherche de CORHUM-CRIH,
Lyon, 1981, p. 84 : (...) dans le cadre d'une dmarche argumentativo-persuasive, l'tablissement d'une narration [comme forme de
l'exemplum] se prsente toujours comme une manipulation et plus prcisment comme une opration de dtournement nonciatif.
579
Evrard Frank, Lhumour, Paris, Hachette, 1996, p. 41 o il crit notamment que le dtachement humoristique participe dun
93
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
583
Cit par Sambou Ephrem, La satire dans le roman guinen, Villeneuve d'Ascq, Presses Universitaires du Septentrion,
1998, p. 357.
584
585
586
Boudjedra Rachid, Topographie idale pour une agression caractrise, op. cit.
Boudjedra Rachid, L'escargot entt, op. cit.
Rodinis Toso Giuliana, L'ironie dans l'uvre de Rachid Boudjedra comme un double forme de l'exotisme , in Actes du Colloque
International Exotisme et cration Lyon, en 1983, ditions L'Herms, novembre 1985, p. 143.
587
Ndiaye Christiane, Kourouma et Sony Labou Ransi, le refus du silence , in Danses de la parole. tudes sur les littratures
94
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Premire partie : critures de violence et modernit francophone Vers une toute puissance du
signifiant ?
590
monde
dans l'uvre romanesque de l'auteur congolais. Do le portrait gargantuesque
du colosse , sorte de figure prophtique grotesque, dans Les yeux du volcan :
Lhomme avait un demi-mtre de barbe toute noire. Son crne, ras tel un
uf, laissait voir en son milieu un lot de poils drus, rouge piment, qui lui
descendaient derrire locciput comme une queue de cheval et se terminaient
par un trousseau de cauris multicolores. Un front lourd. Un nez immonde, qui
paraissait appeler lair environnant. Des yeux qui lchaient un clat de mtal
591
bless, au-dessus desquels broussaillaient des sourcils rouges.
De mme dans Ltat honteux, le personnage principal se rduit en une mtonymie qui
consiste le prsenter moins travers une description physique ou morale qu travers une
allusion permanente et lancinante de sa maladie, une hernie :
Mais il faut que je vous montre tout pour vous faire comprendre que ce ntait
592
pas une ambition personnelle qui a pouss ma hernie au pouvoir.
Ces deux caractristiques de lcriture caricaturale de Sony Labou Tansi se rapprochent
de la remarque que Mikhal Bakhtine relve propos de ce quil appelle le ralisme
grotesque . Il crit notamment :
Wynchank Anny, Rponse de Sony Labou Tansi aux dictatures : une satyre mnippe : l'univers carnavalesque de Sony
592
593
Bakhtine Mikhal, L'uvre de Franois Rabelais et la culture populaire au moyen-ge et sous la renaissance,
95
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Le choix du premier prnom (Ignace) du personnage du juge Ignace Yves Vincent ne fait-il
pas douter de sa sagesse et de sa capacit rendre la justice ? Le second prnom (Yves),
auquel est associ la chemise et le veston boutonns lenvers ,n'voque-t-il pas une
marque franaise dans lindustrie de la mode (on remarquera que la notion de style
demeure prsente aussi bien dans la mode que dans la littrature) ? Lidentit, le caractre
et les origines gauloises, pour ne pas dire franaises, du personnage apparaissent moins
travers une narration classique que par le biais du langage du rire et par une intertextualit
populaire servie sans doute par la bande dessine :
En partant, le juge Ignace Yves Vincent rit une grosse fois du bon rire exclusif
596
des gens de Hondo-Noote quand le ciel leur tombe sur la tte.
597
Par consquent, si tous ces noms ne sont pas choisis au hasard , cest parce qu ils
598
ont une fonction textuelle du fait de leurs sonorits et leur suggestivit... . Cependant,
leur influence dans la trame narrative du roman est modrment significative. En mme
temps quils relvent frquemment dune fantaisie dbordante, les noms connots des
personnages participent de l'criture caricaturale partir d'une fonction cognitive. Aussi
599
cette dernire, telle le crayon du caricaturiste , dvoile-t-elle une vrit physique et
parfois morale, mme si cest sur le mode du ridicule. En donnant la caricature un sens
cognitif, le romancier congolais ne fait que reproduire une vieille tradition de la caricature
600
dans la littrature africaine. Le pauvre Christ de Bomba de Mongo Beti, semble influencer
lapparition dans Les Yeux du volcan, du personnage du pre Christian de La Bretelle
qu on vit arriver en courant [], soutane retrousse jusquaux cuisses, et langue dehors
601
. Lassociation du prnom Christian, lequel renvoie au catholicisme, et du nom particule,
de La Bretelle, lequel rvle non pas une origine sociale distingue mais un atavisme et
une imposture sexuels, donne une vision rductrice et caricaturale de la prsence des
missionnaires franais en Afrique en gnral et au Congo en particulier.
En dfinitive, la caricature cristallise une certaine subversion scripturaire dans les
uvres romanesques respectives de Rachid Boudjedra et de Sony Labou Tansi. S'y
dcouvre une modernit du fait du nouvel enjeu littraire quelle constitue dans son rapport
au langage. Nouvel enjeu littraire et moderne auquel participe lhumour tragique.
596
597
598
599
Ibid., p.45.
Les tropicalits de Sony Labou Tansi , op. cit., p. 140.
Nouvelles critures africaines, op. cit., p. 143.
Le crayon du caricaturiste sest transform en rapire, chaque adjectif est une touche et la fin de lassaut, les derniers mots
portent lestocade mortelle. , Bouce P-G, Les procds du comique dans Humphrey Clinker , in Actes du Congrs de Lille, 27-29
mai 1965, Paris, tudes du Plan, 1966, p. 53.
600
601
96
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Premire partie : critures de violence et modernit francophone Vers une toute puissance du
signifiant ?
602
Ils voulaient tous que jaille porter le cercueil de ma mre, mais comment leur
expliquer que je navais pas envie (). Je navais pas envie de voir son ventre
mou, son il droit ou gauche qui svertuerait ne pas se fermer malgr les
efforts de la vieille laveuse de cadavres secrtement exaspre par ce mange
603
de la morte ().
Puis ce fut, un an plus tard, la prire de labsent. Ctait en
lhonneur de mon frre an, dcd ltranger. Le corps arriva, deux mois plus
tard, enferm dans un cercueil scell la cire rouge et portant le cachet de la
604
douane.
La modernit littraire quintroduit lhumour tragique dans luvre romanesque de Rachid
Boudjedra rside dans ce que Sbastien Rongier appelle la distance implique . Il la
dfinit ainsi :
602
603
Freud Sigmund, Le mot d'esprit et ses rapports avec l'inconscient, Paris, Gallimard, 1988.
Linsolation, op. cit., p. 224. Ce rcit tragi-comique de la mort de la mre se poursuit la faveur dune intratextualit
avec La prise de Gibraltar : Elle tait fluette de corpulence et transparente de peau, mais l, elle faisait encore plus
fluette, plus fragile, plus frle et plus transparente ; avec ses yeux ferms et sa bouche qui ne voulait pas se refermer au
point quon serra un fichu rose paillet dor partant de sous le menton et attach au-dessus du crne, pour permettre sa
bouche de rester close. On avait limpression quelle ne voulait plus se taire, elle qui avait pass sa vie dans le silence, la
rsignation et la patience. , p. 242.
604
La prise de Gibraltar, op. cit., pp. 287-288. Cette scne tragi-comique joue sur un registre intratextuel avec celle, dans
Rongier Sbastien, De lironie. Enjeux critiques pour la modernit, Paris, ditions Klincksieck, 2007, p. 94.
97
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
[L'humour] relatif au monde algrien est dans toute l'uvre de Boudjedra affrent
une typologie indirecte, c'est--dire qu'il est en relation avec la mmoire d'une
606
ralit terrible que l'on cherche refouler.
Mais, ce refoulement s'opre avec les moyens de la fiction. Celle-ci, prcise Jacqueline
Arnaud, se transpose chez l'crivain en facult d'exorcisme par l'criture, capable de
607
susciter les fantasmes d'angoisse et de mort, et de les dissiper, grce l'humour .
En dfinitive, Linsolation, Les 1001 annes de la nostalgie et La prise de Gibraltar
de Rachid Boudjedra et Les yeux du volcan, Les sept solitudes de Lorsa Lopez et
Le commencement des douleurs de Sony Labou Tansi, traitent de la problmatique de
lhumour. Celui-ci, en tant que lieu d'une criture de la violence, constitue une caractristique
fondamentale de la modernit de la littrature maghrbine. Il en va de mme pour la
littrature ngro-africaine. Ce qui, relve de l'indit, et par consquent s'inscrit dans une
certaine dynamique de rupture de l'criture romanesque de ces deux sphres littraires,
c'est la jonction ralise entre une criture de lhumour jusque l en perte de vitesse et une
608
criture au style nerveux , en permanence habit[e] par une vie ruptive . Poser
l'criture de lhumour comme un acte de violence, c'est engager les littratures francophones
dAfrique dans une dynamique scripturaire et langagire. Celle l mme que Roland Barthes
lui assignait en crivant :
L'ironie n'est rien d'autre que la question pose par le langage au langage (),
une faon de mettre le langage en question par les excs apparents, dclars, du
langage. [...]. Face la pauvre ironie (...), produit narcissique d'une langue trop
confiante en elle-mme, on peut imaginer une autre ironie (...), parce qu'elle joue
609
des formes et non des tres.
Note conclusive
Le rapport la modernit littraire des uvres romanesques de Rachid Boudjedra et de
Sony Labou Tansi s'avre particulirement probant. En effet, ce qui, dans la reprsentation
de la violence, relie Linsolation, Les 1001 annes de la nostalgie et La prise de Gibraltar
Les yeux du volcan, Les sept solitudes de Lorsa Lopez et Le commencement des douleurs,
s'inscrit dans une trilogie de rupture fconde .
Rupture fconde , d'abord, en ce qui concerne la problmatique du personnage
dont l'incarnation et les diffrents rles, trs profondment redfinis, voluent vers une
perspective multidimensionnelle. Celle-ci exprime son principe dialogique de la faon
suivante : changer l'ordre du discours en uvrant pour que la voix muette, porte par
certains personnages, soit entendue dans la narration et, inversement, sinon casser le
monopole du moins rduire considrablement l'hgmonie du discours accapar par une
caste unique/inique de personnages. Aussi l'enjeu de modernit, relatif l'preuve du
changement subie par le personnage-hros , tourne-t-il essentiellement autour de
606
607
L'ironie dans l'uvre de R. Boudjedra comme une double forme de l'exotisme , op. cit., p. 151.
Culture et tradition populaires dans l'uvre de Mohammed Khar-Eddine , op. cit., p. 102.
608
609
Barthes Roland, Critique et vrit [1966], in uvres compltes, t. 2, Paris, Le Seuil, 2002, p. 798.
98
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Premire partie : critures de violence et modernit francophone Vers une toute puissance du
signifiant ?
de), Quest-ce que le style ?, Paris, Presses Universitaires de France, coll. Linguistique nouvelle , 1994, p. 19 : La perception
dun fait de style est par dfinition, le produit dune attente ou dune rupture ponctuelle de cette attente.
99
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
613
l'impersonnalit
procde d'une vertu cardinale de modernit. Mme si n'en demeure
pas moins moderne la proccupation lie aux empreintes auto-fictives qui, chez Rachid
Boudjedra comme chez Sony Labou Tansi, pousent davantage les formes du langage
romanesque dans ce qu'il a de moins engag dans le dbat public qu'engageant dans
l'espace de la fiction. D'o le choix des deux romanciers d'inventer des personnages
614
crivains . Ces derniers s'inscrivent dans une dfamiliarisation
qui les rend,
subitement et paradoxalement, orphelins d'une filiation auctoriale attire par l'affirmation
615
du local . Cependant qu'ils se posent en tant que gendre idal et/ou Fils
adoptifs
d'une autre histoire littraire o cette pratique, roman dans le roman , obit une
construction textuelle tiroirs dont la charpente procde d'une lecture intertextuelle.
Quand les fonds baptismaux revendiquent des racines essentiellement langagires. Ds
lors, toutes les approches discursives dclines par Rachid Boudjedra et Sony Labou
Tansi, au sujet des multiples prsentations/reprsentations du personnage romanesque,
ne peuvent tre dsolidarises du principe de polyphonie littraire qui lui subsiste. Tout
comme elles restent insparables des principes de dynamisme , de manoeuvrabilit
et d' interactivit qui rgnrent ce mme personnage romanesque. Car, il (...) vit [des]
histoires simultanment (...), car dans ce monde-l, le temps possde trois dimensions,
616
comme l'espace .
Rupture fconde par consquent, et ensuite, autour de la spatialisation en ce
que ses stratgies discursives et sa formalisation s'opposent une perception ontologique
de la question de la violence du texte en tant qu'elle constitue un ancrage dans le
rel. Ds lors lapproche romanesque de lespace, choisie par Rachid Boudjedra et par
Sony Labou Tansi, procde d'une modernit ds lors qu'elle dresse une opposition
617
l'encerclement du littraire par le tout sociologique . En mme temps qu'elle
uvre en faveur de la digse qui, jusqu' preuve du contraire, est l'univers spatio618
temporel dsign par le rcit . En effet, la spatialisation romanesque, ici dploye par
les auteurs, reste davantage acte dans une approche smiologique et structuraliste de la
narration. Au demeurant, elle baigne dans une ambigut fertile que lui accorde la possibilit
de se singulariser en se tenant quidistance des thories spatiales de Maurice Blanchot
et de Pierre Bourdieu : envisager l'espace narratif dans une mouvance langagire qui ne
619
l'enferme pas dans une intriorit et une solitude
de son interprtation, pas plus
qu'elle ne ramne indfiniment le champ littraire dans une acception sociologique et
historique. Aussi la spatialisation s'oriente-t-elle vers quatre dclinaisons fcondes dont la
premire concerne l'adaptation africaine du chronotope. Sa spcificit consiste dfinir
613
Goetschel Jacques, De Nietzsche Flaubert : sous couvert d'impersonnalit. crire en s'effaant ou le saltimbanque
Chklovski Victor, L'art comme procd , in Todorov Tzvetan, Thorie de la littrature. Textes des formalistes russes,
http://hypermedia.univ-paris8.fr/jean/articles/littrarure.html
ou
Garnier Xavier et Zoberman Pierre, Qu'est-ce qu'un espace littraire ?, Saint-Denis, Presses Universitaires de Vincennes,
qu'elle reste incommunicable, que le lecteur lui manque. Mais que la littrature entre dans cette affirmation de la solitude de l'uvre.
100
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Premire partie : critures de violence et modernit francophone Vers une toute puissance du
signifiant ?
un nouveau rapport espace/temps sous le signe d'un discours qui, en les synchronisant,
relativise considrablement l'enjeu rfrentiel, leitmotiv d'une prcdente tradition littraire
lnifiant l'espace et le temps dans une perception de la problmatique de La violence
du texte africain comme produit d'une violence de l'Histoire. Or ledit chronotope, chez
Rachid Boudjedra, s'illustre dans un processus de subjectivation : la fin de la mmoire, sujet
rcurrent et en rapport frquent avec la folie, se lit comme un dfi lanc l'intelligibilit
du temps et de l'espace. Cependant que chez Sony Labou Tansi, cette mme chronotopie
est subjective dans une thmatique liant la drive gomorrhenne l'intemporalit quasi
prophtique des malheurs s'abattant sur l'Afrique : la faim de mots, c'est--dire la logorrhe
et l'inflation verbales, menace la visibilit et les contours respectivement spars de l'espace
et du temps. De ce fait, inspir par les notions de coexistence et de tricherie littraire[s]
de la thorie littraire de Roland Barthes, le chronotope du texte africain francophone
joue de la narration spculaire et des distorsions spatiales et chronologiques. Ce qui,
du fait de son laboration sous forme de smiosphre , dplace la question de
l'criture de la violence spatiale [et temporelle] hors de son logement naturel . Tout
comme la lecture smiologique de la deuxime dclinaison de l'esthtique spatiale chez
ces deux auteurs confirme le diagnostic, prcdemment tabli par Charles Bonn, propos
du glissement progressif vers une dpolitisation et un dsengagement communautaire de
l'espace romanesque des littratures mergentes. En effet, ce que nous avons appel la
mort des oppositions spatiales procde de ce constat. Dans l'espace narratif du roman,
renoncer au paradigme idologique opposant de faon systmique le village la ville ou la
colonie la mtropole, revient envisager, pour Rachid Boudjedra et Sony Labou Tansi,
la possibilit d'une cohabitation discursive qui gomme, respectivement, l'effet de miroir aux
alouettes chez l'un et le cri de Sodome chez l'autre. De mme, l'individuation spatiale
dans le rapport colonie/mtropole, du fait que l'enjeu de singularit se joue moins autour
d'un geste, d'un patrimoine ou d'une mythologie collectifs qu'autour d'un parcours individuel
et d'une simple exprience, pondre les lauriers tresss l'une et les gmonies voues
l'autre. D'o la formulation indite de la spatialit caractrise, chez le romancier algrien,
par une approche impressionniste, sensitive et immdiate, notamment, de Constantine
620
donc ; cest--dire ce que mon il voyait dabord monter vers lui . Quand, chez son alter
ego congolais, elle quivaut une extension du domaine du langage faisant en sorte que
les pnombres gmissent, sanglotent, toussent . Recourir lillusion rfrentielle qui
consiste dtourner les questions o et quand ? que pose le roman, consiste, du
mme coup, favoriser une rponse immanente accouche dans/par le texte, la faveur
dun imaginaire qui nabdique pas devant le rel. La troisime dclinaison de l'organisation
spatiale dans les romans respectifs de Rachid Boudjedra et de Sony Labou Tansi y rpond
favorablement. En effet, ce que nous avons appel l'espace du virtuel abrite l'incipit, les
temps forts et les clausules dvous l'expressivit et la verbalisation d'une spatialit.
Laquelle, dans l'conomie d'une criture de la violence, assume sa condition de rceptacle
et incarne une position stratgique en tant que lieu de la perte des repres. Mais la perte de
la mmoire, les hallucinations, les dlires, les cauchemars et les obsessions anaphoriques,
en dpit de la fonction narrative de lieu de l'impasse, procdent moins d'une lecture spatiale
de l'imaginaire en tant que folle du logis qu'en tant quune alternative discursive et
fictive.Pour preuve,son dchiffrement dvoile une inintelligibilit factice dans le pli duquel
loge un supplment de langage (et peut-tre un supplment dme). Dans le mme esprit,
l'enfermement, sujet de la quatrime et dernire dclinaison du traitement de l'espace, est
apprhend sous la forme dun double jeu dendiguement du discours (corps du texte) et
dempchement de la parole (texte du corps). Aussi l'criture de violence rejoue-t-elle le
620
101
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Kauffman Judith, Humour et marginalit(s): un mariage de draison ? , in Humoresques, Numro 19, Janvier 2004,
pp. 8-9.
622
Ferro Marc, Le ressentiment dans l'histoire, Paris, Odile Jacob, coll. Histoire , 2007, 430 p. Par ailleurs, la prcaution
nonciative, savoir : (...) on peut dire les choses ainsi mme si c'est caricatural (...) que prend Marc Ferro, Des grandes invasions
l'an mille, Paris, Plon, 2007, p. 105 o il explique l'origine du ressentiment des peuples ayant subi une domination coloniale, n'auguret-elle pas d'une nonciation comique du fait de l'aspect caricatural reconnu ?
102
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Premire partie : critures de violence et modernit francophone Vers une toute puissance du
signifiant ?
par une insistance anaphorique sur un point ou un dtail physique et/ou moral, procde
d'une rduction de personnalit. Cependant que sa version allonge, la manire d'une
camra ou d'une photographie, excelle dans le grossissement et dans loutrage. De sorte
que se cre une image et une perception fixes dans la mmoire visuelle du lecteur. Si,
dans son expression de la caricature, le romancier congolais recourt la mtonymie, c'est
travers lonomastique, dont Philippe Hamon a dmontr l'envergure smiologique, que
la caricature recouvre une dimension cognitive. Dans la mesure o les noms des figures
romanesques, pour risibles qu'ils soient, portent en eux les marques d'une intolrance,
les prmices d'une dfiance (le colosse), les germes d'une dviance (le pre Christian
de la Bretelle) et les ferments d'une injustice (le juge Ignace Yves Vincent). Bref toute
motivation d'une lisibilit de la violence qui, tant par le dploiement narratif que par la
rception textuelle, s'inscrit moins dans les signifis des aveux et des plaintes que dans
les signifiants d'une caricature. Cette dernire, en dbordant de son lit formel, charrie,
travers un monde de signes , culpabilit des bourreaux et expiation des victimes. Par
consquent, ce que l'humour, en tant qu'une reprsentation esthtique de la violence, dans
le texte africain francophone, dvoile enfin, c'est son pactede communication langagire
et littraire avec le tragique, selon une approche smiotique de leur association. En effet,
cette dernire dpasse la lecture freudienne qui envisage l'humour tragique en tant que
refoulement et l'apprhende comme lecture distancie, paradoxale et subjective. C'est que
la fiction, travers l'ironie du renversement statutaire de l'Histoire et de ses tragdies,
s'agrge avec la diction pour uvrer ainsi, avec la complicit du lecteur, ensemble contre
623
(...) la ralit .
Ces trois ruptures fcondes, chacune l'intrieur d'elle, accueillent forme et rforme
discursives, langagires et esthtiques. Elles postulent l'criture de violence moins comme
reprsentation d'un dlitement et/ou d'un chaos qu'une manire libre, autre et singulire
de les dire. En cela, Rachid Boudjedra et Sony Labou Tansi posent un acte de modernit
littraire que travaille une subjectivit qui ne l'est pas moins. La littrarit, qui dcoule de
cette relation, reste la notion centrale qui travaille leurs uvres romanesques respectives.
Mme si, dans l'espace littraire africain, demeure encore partielle l'acceptation de cette
notion de littrarit en tant qu'elle est fonde sur une conception autotlique de l'uvre
romanesque. C'est que la toute puissance de la forme, n'y est pas encore, comme c'est
624
le cas ailleurs , considre comme un absolu littraire. Pas plus que la question du
rfrentn'y participe, except de faon restrictive, d'une illusion. De sorte qu'on peut y
observer l'analyse suivante :
Alors que la modernit s'est construite sur des positions de rupture [formelles],
c'est la question du lien qui se trouve au cur des enjeux de la postmodernit :
en tmoignent (...) les pratiques narratives de filiation , sur un plan thmatique
aussi bien que gnrique. L'criture de nos rcits questionne la notion de lien
623
Hill Brian, Fiction et jeu : ensemble contre (ou avec ? ) la ralit , in Journe d'tudes Le concept de fiction, rupture
pistmologique ,Centre de Recherche sur les Arts et le Langage (CRAL), coles des Hautes tudes en Sciences Sociales (EHESS),
Paris, 15 juin 2007.
624
Chklovski Victor, Rsurrection du mot [1913], trad. de Andri Nakov, Paris, ditions Grard Lebovici, 1985, pp. 63-74 :
Seule la cration de nouvelles formes (...) peut rendre l'homme la jouissance du monde, ressusciter les choses et tuer le
pessimisme.
103
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
625
Cousseau Anne, Postmodernit : du retour au rcit la tentation romanesque , in Dambre Marc (sous la direction
de), Vers une cartographie du roman franais contemporain, Cahier du CERACC, n 1, mai 2002, pp. 5-20. Version
numrique : http://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers1_notes1.html , p. 5.
104
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Sans doute n'est-ce pas seulement l'effet de quelque mode (...) qui conduit
la critique penser de plus en plus les discours sous la forme unitaire du
paradigme. Aujourd'hui, () dbordant l'explication restreinte du signe, [le
paradigme] vient englober tout l'espace des savoirs et des sens, dclinant
en des termes nouveaux la cohrence des grands systmes (), se dsigne
formellement comme un lieu de distanciation, d'altrit, de recatgorisation,
donc de posture et de travail paradigmatique. Peut-tre n'importe-t-il mme
pas que l'on juge parfois simultanment d'ailleurs la postmodernit comme
manifestation ou comme clatement de quelque paradigme possible : par del
les visions paradoxales qui l'entrinent ou le rprouvent tout la fois, le concept
de paradigme ne peut qu'oprer, compte tenu de ce que cette pratique se dploie
626
Tcheho Isaac-Clestin, Les paradigmes de l'criture de l'criture dans dix uvres romanesques maghrbines de langue franaise
des annes soixante-dix et quatre-vingt, Thse de doctorat, sous la direction de Charles Bonn, Universit Paris 13, U.F.R. des Lettres,
des Sciences de l'Homme et des Socits, Formation Doctorale, tudes Littraires et Francophones Compares, fvrier 1999, p. 7 :
tymologiquement, ce mot, d'emploi savant, drive la fois du latin paradigma et du grec paradeigma dont le sens est
proche de : exemple, chantillon. D'aprs le Petit Robert (1973), l'on dsigne par paradigme l'lment-type, c'est--dire celui qui est
susceptible d'tre retenu comme le module et le modle de ce dont on parle.
627
Dessons Grard, Penser l'art aprs l'esthtique , in Meschonnic Henri et Hasumi Shiguehiko (sous la direction de), La modernit
aprs le post-moderne, Paris, ditions Maisonneuve et Larose, 2002, p. 111 : Le fondement de l'esthtique (...) postmoderne, est
un impens de l'esthtique (...).
628
Milot Pierre, Pourquoi je n'cris pas d'essais postmodernes, Montral, Liber, 1994, p. 91 : (...le concept de postmodernit ne fait
pas consensus, pas plus dans sa dfinition concurrentielle (...) que dans ses conditions de possibilit : pour les uns, il faut le ressituer
dans une historicit bien limite, pour les autres, c'est prcisment cette opration qui demeure impensable. Cit par Couturier
Yves et Carrier Sbastien, Le postmoderne, tache aveugle de la postmodernit ? Ou l'nonciation pistmique d'un mta-discours
performatif libral , in Esprit critique, Automne 2003, vol. 05, n 04, article consult sur internet : http://www.espritcritique.fr
629
Les mots et les choses. Une archologie des sciences humaines, op. cit., p. 13.
105
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
630
Fortin Nicole, La condition paradigmatique de la critique : le cas qubcois , in Tangence, Numro 51, mai 1996, pp.
Alpozzo Marc, Diagnostic d'une crise , in Le Magazine des Livres, n 5, juil.-aot 2007, p. 64.
Matti Jean-Franois, Penser la crise , confrence donne l'occasion de la 6me dition des Rencontres de Sophie ,
Nantes, fv. 2006, cit par Caboche Pauline, La crise. Une confrence ddie la crise moderne. , in
http://www.fragil.org/
focus/293
633
634
Martuccelli Danilo, Forg par l'preuve. L'individu dans la France contemporaine, Paris, Armand Colin, 2006.
Tillich Paul, La naissance de l'individualisme moderne et le courage d'tre soi , in Le courage d'tre, trad. par Lemay Jean-
Blanckeman Bruno, Les fictions singulires, tude sur le roman franais contemporain, Paris, Prtexte diteur, 2002, p. 146.
106
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Beck Ulrich, La socit du risque. Sur la voie d'une autre modernit, Paris, Aubier, coll. Alto , 1986, [Rdition Flammarion,
N'est sans doute pas une concidence si Jean Bessire, Qu'est-il arriv aux crivains franais ? D'Alain Robbe-Grillet Jonathan
Littell, Loverval, Labor, coll. Libert j'cris ton nom , 2006; Dominique Maingueneau, Contre Saint Proust ou la fin de la littrature,
Paris, ditions Belin, 2006, p. 148, qui regrette les fonctions perdues de la littrature ; Antoine Compagnon, La littrature pour
quoi faire ?, Paris, ditions Collge de France / Fayard, 2007; Tzvetan Todorov, La littrature en pril, Paris, Flammarion, coll. Caf
Voltaire , 2007, p. 88, pour qui, On assassine la littrature [...] non pas en tudiant aussi l'cole des textes non littraires ,
mais en faisant des uvres les simples illustrations d'une vision formaliste, ou nihiliste, ou solipsiste de la littrature ,dsignent, tous,
les excs du formalisme comme cause d'une certaine rgression du roman.
638
Castoriadis Cornelius, La monte de l'insignifiance, Paris, Le Seuil, 1996, pp. 19-20 : La culture contemporaine devient, de plus
en plus, un mlange d'imposture moderniste et de musisme. () le modernisme est devenu une vieillerie cultive pour ellemme(...), objet de savoir musique et de curiosits () rgules par les modes .
639
Rivire Jacques, La crise du concept de littrature , in Nouvelle Revue Franaise, fvrier 1924, pp. 159-168; Lonard Albert,
La crise du concept de littrature en France au vingtime sicle, Paris, Jos Corti, 1974.
640
Nunez Laurent, Les crivains contre l'criture, Paris, Jos Corti, 2006.
641
642
Belin, 1987, pp. 5-6 : L'extrme-contemporain ? Le prsent interrog, saisi aux oues, tir hors de la nasse. Comment ? La procdure
du comment, du pourquoi pas, celle des naufrags de l'heure. () L'extrme-contemporain ? Ce qui est si contemporain, si avec vous
dans le mme temps que vous ne pouvez vous en distinguer () .
643
Derrida Jacques, De l'hospitalit, Paris, Calmann-Lvi, 1997, p. 85 : Car ce qui ne me quitte pas ainsi, la langue, c'est
aussi, en ralit , en ncessit , (...)ce qui ne cesse de se dpartir de moi. La langue ne va qu' partir de moi. Elle est aussi ce
dont je pars, me pare, et me spare. Ce qui se spare de moi en partant de moi.
644
Michaud Ginette, Un acte d'hospitalit ne peut tre que potique . Seuils et dlimitations de l'hospitalit derridienne , in
(textes runis par) Gauvin Lise, L'Hrault Pierre et Montandon Alain, Le dire de l'hospitalit, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires
de Blaise Pascal, coll. Littratures , pp. 33-60.
107
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Rachid Boudjedra et Sony Labou Tansi, interrogent la postmodernit littraire. Celle-ci pose
le diagnostic selon lequel :
Polianski V., propos d'Eikhenbaum , in Conio Grard (traduction, commentaires et prface de), Le formalisme et
le futurisme russes devant le marxisme [1924], Paris, ditions L'ge D'Homme, coll. Classiques Slaves , 1975, p. 69
646
Michel Natacha, L'crivain pensif, Paris, Verdier, 1998. Elle opre une division entre crivain-artiste (moderne, moderniste,
formaliste) et crivain pensif , lequel s'inscrirait dans un courant postmoderne qu'elle prfre appeler seconde modernit .
647
Michel Natacha, in Henric Jacques (interview par), Natacha Michel, le roman essentiel , Art press, n236, juin 1998. Elle dclare :
Que la littrature de ce sicle, en particulier le roman dont la mort proclame a t salutaire, ait connu des crises salutaires, nous
lgue une injonction (...). Injonction de hardiesse et d'innovation; injonction de grandeur et non pas de petitesse. Injonction que la crise
a eu lieu et ne nous laisse pas intacte. Interview en ligne sur le site : http://www.editions-verdier.fr/v3/oeuvre-ecrivainpensif.html.#top
648
Zima Pierre V., Critique littraire et esthtique. Les fondements esthtiques des thories de la littrature, Paris, L'Harmattan,
1999, p. 56.
649
Gontard Marc, Le roman franais postmoderne. Une criture turbulente, [en ligne], Archive ouverte en Sciences de l'Homme
Ibid., p. 64.
Ibid., p. 75.
La littrature africaine francophone fait partie intgrante de ce que Gauvin Lise, criture, surconscience et plurilinguisme :
une potique de l'errance , in Albert Christiane (sous la direction de), Francophonie et identits culturelles, Paris, Karthala, 1999,
pp. 13-29, appelle les littratures de l'intranquillit en ce que la pratique langagire de l'crivain francophone [qui] est
fondamentalement une pratique du soupon , p. 17. Elle reprend ce concept Pessoa Fernando, Le livre de l'intranquillit, trad. par
Franois Laye, Paris, ditions Ch. Bourgeois, 1988.
108
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
tension radicale ds lors que potisation et thtralisation s'imposent en tant que scnes
expressment exhibes de la reprsentation d'une potique de violence.
Le deuxime paradigme narratif salutaire , crise du corps, crise de l'tre , interroge
l'criture de la maladie. Notamment celle du sida en tant que exemplum virtitus, ds lors
que la crise/Krisis peut abriter, d'abord, ce que nous appelons, en s'inspirant de Gilles
653
Deleuze, une esthtique Critique et clinique . Cest--dire lieu partir duquel la potique
de la maladie convoque une terminologie mdicale. Celle-ci contient un vocabulaire
scientifique, un principe d'nonciation fonde, soit sur un rythme sous haute tension, soit
sur une rcurrente digression comme signe d'accalmie. Elle accueille des scnographies
hospitalires qui imitent le modle narratif de la chronique pour rendre compte de la
condition affreuse de la maladie, comme pour en saisir la porte endmique et inexorable (le
mme mot, chronique , ne caractrise-t-il pas une maladie ingurissable ?). De mme,
elle est inscrite dans un espace nonciatif de la maladie affect d'un drglement attest
par, entre autres, un dveloppement anarchique et arbitraire de la ponctuation. De sorte que,
paradoxalement, lcriture de la maladie runit des potentialits thmatiques, imaginatives,
narratives et esthtiques qui informent, en fin de compte, de la bonne sant de son langage.
Ensuite, ce dernier, charg de rvler la singularit du roman africain francophone qui
traite de la maladie, rflchit sur une thrapie narrative. Celle-ci est renduefconde par
l'occurrence d'un idos textuel similaire ce quHenri Meschonnic appelle forme-sens .
Lequel dsigne l'uvre comme double articulation, jeu de deux principes constructifs, (),
654
systme et crativit, objet et sujet, forme-sens, forme-histoire . Ce qui fait concider,
dans un mme lieu habit par l'angoisse et l'instabilit, des procds et autres techniques
narratifs avec la vulnrabilit et la fragilit telles qu'elles procdent des thmes relatifs au
sujet malade. Enfin, en dplaant sa stratgie narrative vers une expression oblique ,
cest--dire indirecte, de la souffrance, dont les sens mergent partir des signifiants que
reprsentent les motifs textuels du secret, du silence et de la rumeur, l'criture romanesque
de la maladie s'inscrit dans une dynamique langagire s'apparentant au pharmakon ,
655
notamment quand ce dernier est le synonyme de remde ?
Le troisime paradigme narratif salutaire aborde ce que nous appelons crise
d'un genre, crise dune poque par le prisme dune relance du fantastique. Les
caractristiques contemporaines et postmodernes de ce dernier sarticulent, au dbut,
autour d'une architexture dont on suppose que les diffrents lments, htrognes
et instables, abusent de lhospitalit quasi totalisante de la digse. Laquelle s'vertue
fdrer diffrentes sources et influences narratives. Cependant quelle opre une mise
en abme de la crise, lieu thmatique et formel o la rflexivit occasionne une descente
aux enfers qui, ici, signifie introspection, mais aussi interrogation sur la littrature. cette
dmarche-ci, le fantastique postmoderne africain et francophone adjoint une suivante qui
porte sur une problmatique identitaire. Limaginaire dbrid dun tel espace dnonciation,
ainsi que les procds de dfiguration, dhybridation et d ensauvagement de ses figures
narratives, augurent dun ancrage digtique. En effet, ce qui importe, cest ce qui se
dcline sous le nom d' identit narrative . Une troisime et dernire articulation entend
apprhender la redoutable question de la sommation de l'Histoire. Elle seffectue moins
653
654
potique I, Paris, Gallimard, 1970, p. 62 o il parle d'unit de vision et de diction, objet et sujet, forme-sens . Nous savons, bien
sr, que H. Meschonnic rfute les arguments esthtiques de la postmodernit. Nous lions ce qu'il appelle forme-sens avec la
recherche, des crivains postmodernes, d'un point de rencontre entre des formes narratives instables et des sujets vulnrables.
655
Derrida Jacques, La pharmacie de Platon , in La dissmination, Paris, Le Seuil, 1972, pp. 296-297.
109
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
par la mise en fiction des mta-rcits et/ou des figures mythiques et/ou historiques, que
par un modle de coopration littraire qui verrait le principe de ralit rattraper par
656
l'influence de personnages fictifs et l'impact de situations vritablement romanesques .
Aussi, pare d'atours fantastiques,la figure fminine, par le biais d'une dclinaison du
roman familial , que Charles Bonn appelle, par ailleurs, l'espace maternel ,cristalliset-elle ce par quoi l'nonciation de l'intime, sous forme de micros rcits, travaille une difficile
et non moins factuelle condition humaine et historique. Par consquent, le fantastique
postmoderne enclenche un processus de ce qu'il convient d'appeler historicit littraire ,
d'avis que :
Pour produire l'Histoire, il ne suffit pas de dcrire les faits, il faut les recrer. Or,
le rcit [fantastique postmoderne] possde, pour qui sait en utiliser toutes les
virtualits, un pouvoir de signification du rel infiniment suprieur celui du
657
discours d'une description raliste.
En somme, la notion de crises cratrices et/ou salutaires embrasse les trois
paradigmes narratifs que reprsentent la crise du style, crise du sujet , la crise du
corps, crise de l'tre et la crise d'un genre, crise d'une poque , caractristiques
non exhaustives d'une criture postmoderne de la violence. Cette dynamique scripturaire,
dont l'conomie et l'inclination narratives consistent sortir dun ordre rigide de la pratique
littraire, procde d'un projet potique contemporain qui, positivement, entend relancer
le roman africain francophone. Ce qui suppose que ce dernier, puisque crire, cest
658
bondir hors du rang des meurtriers
, excde, encore et toujours, les grands ordres et
659
systmes collectifs, intra et/ou extra textuels , souvent et malgr eux, attentatoires
lexpressivit, libre et entire, de la subjectivit. Aussi est-il sous entendu, et mme
660
dfendu , quun autre rapport, diffrent de celui avec la modernit, unit la subjectivit
la postmodernit littraires. En effet, si pour Marc Chnetier, la modernit littraire concide
661
avec un temps o la subjectivit se fit principe (...) prenant le haut du pav , pour Marc
662
Gontard, le glissement vers une problmatique plus personnelle du moi
correspond
l'avnement de la postmodernit dans la littrature maghrbine. De mme, dans une
analyse postmoderne du roman ngro-africain, un critique littraire camerounais va jusqu'
dclarer : Et bien que l'Africain ne soit pas au centre du postmodernisme, on peut se
656
657
Bonn Charles, Histoire et production mythique dans Nedjma , in Nedjma, Kateb Yacine, URL : http://
www.fabula.org/colloques/document1227.php
658
Kafka Franz, Journal, 27 janvier 1922, [1945], trad. par Marthe Robert, Paris, Grasset, 1954, p. 540.
659
Lotman Youri, La structure du texte artistique, trad. du russe par Anne Fournier, Bernard Kreise, ve Malleret et Jolle Yong,
(sous la direction de) Henri Meschonnic, Paris, Gallimard, 1973, p. 89-90 : Les liaisons extra-textuelles d'une uvre peuvent tre
dcrites comme le rapport de l'ensemble des lments fixs dans le texte l'ensemble des lments partir duquel fut ralis le
choix de l'lment utilis donn .
660
Cascardi Anthony J., Les possibilits du postmodernisme , in Subjectivit et modernit, [Cambridge University Press, 1992],
trad. de l'amricain par Philippe de Brabanter, Paris, Presses Universitaires de France, 1995, p. 351 : Si le problme de la modernit
consistait assurer l'unit (...) de sujets fondamentalement arrachs la totalit, alors il appartient au postmodernisme de fournir la
possibilit du changement l o, en tant que sujets, nous sommes l'avance impliqus par et inscrits dans des totalits.
661
Chnetier Marc, Est-il ncessaire d' expliquer le postmodern(ism)e aux enfants ? , in tudes littraires, Volume 27, Numro
1, 1994, p. 12.
662
Gontard Marc, Avant-propos. L'tranget de l'tre , in Le moi trange. Littrature marocaine de langue franaise, Paris,
L'Harmattan, 1993, p. 8.
110
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
663
Kom Ambroise, Culture africaine et enjeux du postmodernisme , in LittRalit, Volume 9, Numro 2, 1997, p. 38.
Benjamin Walter, Luvre dart lpoque de la reproductibilit technique, in uvres III, Paris, ditions Folio-Gallimard, 2000,
p. 302 : Un aspect de la crise de la peinture [littrature] est qu' une poque o l'uvre d'art prtend s'adresser aux masses, elle
ne peut pas s'offrir une rception collective simultane.
665
666
111
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
dans la correspondance des procds, des formes et autres techniques dnonciation que
cette potique de la violence entretient avec un critre indiscutable de la postmodernit :
la renarrativation. Aaron Kibedi Varga et Sophie Bertho ont respectivement thoris cette
notion. En effet, le premier soutient :
Kibedi Varga Aaron, Le rcit postmoderne , in Littrature, n 77, fvrier 1990, p. 16.
668
Bertho Sophie, L'attente postmoderne. propos de la littrature contemporaine en France , in Revue d'histoire littraire de
Kibedi Varga Aaron, Rcit et postmodernit , in Kibedi Varga Aaron (sous la direction de), Littrature et
Bertho Sophie, Temps, rcit et postmodernit , in Littrature, n 92, dc. 1993, p. 94.
Diop Boubacar Boris, Interview , Biennale de Dakar, dcembre 1990, cit par Ambourhouet- Bigmann Magloire, La cafritude,
pune attendue de la ngritude. , in Actes du colloque international 1960-2004 : bilan et tendances de la littrature ngro-africaine,
Lubumbashi, 26-28 janvier 2005, Presses Universitaires de Lubumbashi, p. 244.
672
673
112
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
international, Grenoble, 16-18 mars 1995, Grenoble, CERHIUS, Universit Stendhal, 1996, p. 382 ( non numrote, qui quivaut
la page de garde).
676
Palimpsestes. La littrature au second degr, op. cit., p. 14 : Grard Genette y dfinit l'hypertexte comme tout texte driv d'un
Deleuze Gilles et Guattari Flix, Rhizome , in Mille plateaux, Capitalisme et schizophrnie, Paris, ditions de Minuit, 1980,
p. 30 : (...) le rhizome connecte un point quelconque avec un autre point quelconque, et chacun de ses traits ne renvoie pas
ncessairement des traits de mme nature, il met en jeu des rgimes de signes trs diffrents et mme des tats de non-signes.
Le rhizome ne se laisse ramener ni l'Un ni au multiple.
113
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
678
treillis . Un hypertexte dont le paradoxe rside dans la faillite gnre par l'embonpoint
de ses descriptions physiques, morales, psychologiques et circonstancielles. Excs narratif
qui, dans sa tentation globalisante, produit leffet inverse de ce quon peut en attendre. En
d'autres termes, il gnre de lincertitude :
Pourquoi donc cette diffrence quelque peu saugrenue, surtout que lon sait
que lon est la veille dune bataille qui va changer la face de lEurope ? 1
Peut-tre que les deux officiers manquants avaient t dsaronns par leurs
montures et quils se trouvaient par terre, parce que trop nerveux eux-mmes
devant lampleur de la responsabilit qui les attendait et qui se concrtisait dans
la volont de la conqute de lEurope entire en commenant par lAndalousie.
2 Peut-tre que les deux cavaliers avaient t tus au cours de la traverse du
Dtroit et que les chevaux avaient continu avancer avec les officiers, dune
faon automatique ou instinctive, ou sous leffet dun rflexe conditionn. 3
Peut-tre, aussi, que les deux cavaliers taient victimes des illusions doptique
qui faussent tout regard, cause de certaines lois physiques incontournables
(). 4 Peut-tre, encore, que les deux officiers avaient abandonn leurs chevaux
juste quelques moments pour assouvir un besoin naturel urgent et pressant, se
reposer un instant, faire leurs prires, changer de selle ou nimporte quelle autre
cause difficile discerner, tant donn le nombre incalculable dhypothses et de
679
probabilits, impossibles recenser. 5 Peut-tre.
Si, chez Rachid Boudjedra, lcriture postmoderne de violence sinscrit dans une perspective
de vampirisme du modle raliste, chez Sony Labou Tansi, le dpassement de ce dernier
consiste en son talement sans cesse reproduit. En effet, son criture prolonge, sous forme
de descriptions et de rptitions, la mise en exergue thmatique de la corruption, de la
torture et des rpressions. Une certaine analyse explique que le besoin de renarrativation
680
qui caractrise Lhomme prcaire
quest devenu le sujet postmoderne tient de sa triste
et chaotique condition. Ce qui autorise penser que les histoires de violence que luvre
romanesque de Sony Labou Tansi ressasse nont de signes et de sens que lorsquelles
sont apprhendes travers leur itration et leur permanence textuelles en tant que, certes,
exercice de reprsentation sinspirant dun vcu, donc dun certain ralisme, mais aussi
comme dpassement de ce dernier. En effet, litration narrative de la violence, inscrite dans
Les sept solitudes de Lorsa Lopez, conduit une sommation adresse au rcit raliste
de se dpartir de son insoutenable neutralit. Le rcit romanesque de Sony Labou Tansi
est postmoderne en ce quilsubvertit les critres dobjectivit, dobservation et de refus
de dnaturer les faits que revendique le ralisme traditionnel. celui-ci, il additionne
des qualits en fonction dun jugement implicite : ses objets ont des formes, mais aussi
des odeurs, des proprits tactiles, des souvenirs, des analogies, bref ils fourmillent de
significations ; ils ont mille modes dtre perus, et jamais impunment, puisquils entranent
681
un mouvement humain de dgot ou dapptit. Dans luvre du romancier congolais,
ce jugement implicite quvoque Roland Barthes volue et se transforme ds lors que
678
Smadja Robert, Faulkner, Absalon, Absalon! et Richard Millet, L'amour des Trois surs Piale , in Englibert Jean-Paul et Tran-
Gervat Yen-Ma (textes runis par), La littrature dplie. Reprise, rptition, rcriture, Rennes, Presses Universitaires de Rennes,
coll. Interfrences , 2008, p. 405.
679
680
681
114
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
lultime degr de violence et dhorreur atteint, annule les prcautions du ralisme descriptif
et noffre, au point de vue sous-jacent du narrateur, une lecture autre que celle dune
condamnation explicite :
Elle quitta Valancia () et laissa au pre une lettre () Mon amour, Qui saura
jamais ce quest le corps ? Le mien pourtant je le devine agrable toutes
les folies du monde, bti la seule mesure de la dmesure. () Corps de
turbulences, avec ses dmes, flches, corniches, labyrinthes, mchicoulis,
minarets () Cest justement la chair qui, en disant je , change lunivers
en un inpuisable chant de triomphe. Je vous aime. Dans ces mots simples est
lespoir. () Mon pre ! quel corps nest pas une mystique ? Je te fais cadeau du
684
mien de la mme manire que le Christ nous fit cadeau du sien sur la croix.
682
683
684
115
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Creative writing should not be based on effect but on emotion. The emotional
688
factor is a key element in my work. Its driving force behind my writing.
Aussi le replacement axiologique, construit autour de la substitution du sujet masculin par
son alter ego fminin, atteste-t-il dune stratgie de renouvellement visant sortir de la
tentation formaliste laquelle les critures ngro-africaines ont succomb. Nonobstant,
cette rorientation, notamment travers un recours lisotopie de lmotion, sinon exacerbe
du moins conserve par un ralisme dtourn, lintensit dramatique dune criture de la
violence :
Les procds de cration dans l'uvre de Sony Labou Tansi. Systmes d'interactions dans l'criture, op. cit., p. 244.
Chemain Arlette, Littrature subsaharienne de langue franaise , in Revue crire, numro spcial, 1990, pp. 111-125.
Daninos Guy, LEtat honteux de Sony Labou Tansi ou la dnonciation dune socit dshumanise , in Le mois en Afrique,
n 188-189.
688
689
116
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
une trame narrative, les coups dune violence prempts en tant que transgression porte
lencontre du modle romanesque gnrique. Si cette dmarche participe, par ailleurs,
de la mise en pratique de la thorie et des convictions littraires du romancier algrien, elle
nen rvle pas moins une adhsion. Laquelle rpond, ici, moins un activisme militant
qu' la recherche dune esthtique, comparable au projet littraire du groupe et de la revue
ponyme Souffles (mme sil a sjourn durablement au Maroc, Rachid Boudjedra, ne fait
pas partie de Souffles. Ce qui ne fait que confirmer le caractre postmoderne de son criture
ds lors que cette dernire se dfinit galement par rapport une distance prise avec toute
sorte davant-gardisme collectif). Tout se passe comme si Rachid Boudjedra, notamment
travers linscription du pome dans les dernires pages de Linsolation, reprenait son
compte le concept de l itinraire, [o] le pome acquiert () la dimension de l'pope se
690
projetant dans le futur tout en tant plonge dans le pass . Autrement dit, la fusion de
la prose et du lyrisme constitue La voie royale de la reprsentation littraire de la violence
implacable qui secoue le champ social et culturel du Maghreb :
Ma mre est morte. Eau vacillante. Douleur qui sourd. Leau verte. Leau bleue.
Jai peur. Les mauvaises odeurs. Lcume. Le salicorne (). Si je pouvais
seulement en finir avec suavement ! Suavement ! Dis ! () Jai tout
colmat avec mes deux mains frileuses Malgr les torrents de sang Et la
souffrance des paysans Scribe ! Ferme ta gueule Que le marteau-pilon
Mette ta rage en pices Il ny a plus darbres Tu parles, Scribe ! Le peuple
tournoie dans les ruelles sans ides prconues Il tousse il meurt tous les
691
jours et continue signer avec Le pouce ().
Rachid Boudjedra recueille cet itinraire dans la mesure o son espace dnonciation
romanesque invite toutes les formes et les genres narratifs procdant de la nomenclature
dj voque ci-haut. Ce faisant, son roman exprime et concide avec la tendance
692
l'htrognit et au pluralisme propre l'poque postmoderne .
De mme, la discontinuit qui au-del de la violence quelle induit en surface,
savoir sur le rcit, du fait notamment des interruptions dans la narration, des digressions,
des anachronismes et autres ruptures chronologiques, atteint avec un seuil de violence
identique la structure profonde de luvre, en loccurrence la forme, travers principalement
trois dimensions. Dabord, au niveau de la typographie de lespace romanesque, linscription
de pomes, de chants, de contes, de figures mythiques ou historiques, de modles ou
de techniques dnonciation sinspirant de la peinture, du cinma ou de la publicit et
la rinscription de sujets, de phrases, de situations et/ou de personnages romanesques
reprsents dans les uvres romanesques prcdentes de Rachid Boudjedra, annoncent,
sur un plan textuel, le choix dune circularit au dtriment de la linarit. Quand, sur le
plan esthtique, elles potisent la prose et transposent le pome dans la prose. Aussi la
pratique littraire du discontinu rvle-t-elle, d'une part, la combinaison de l'intratextualit et
de lintertextualitmise en uvre dans les romans de Rachid Boudjedra. D'autre part, elle
constitue un dplacement et, mme, un largissement de la littrarit. En effet, la pratique
du discontinu sancre autant dans une esthtique de la rceptivit que dans une Esthtique
de la rception. En ce que, respectivement, par la mdiation itrative et/ou interruptive
des schmas nonciatifs et par son statut d uvre ouverte , plastique la forme et
690
117
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
immanente aux sens quand il sagit dintgrer des lments nouveaux, trangers et mme
tranges dans la narration, elle sinscrit en tant que principe actif et impulsif dans la cration
romanesque. Elle installe, de fait, cette dernire dans un champ postmoderne ds lors que
bon nombre de ses caractristiques sapparentent celles de la citation et/ou celles
du collage . La premire est caractrise de la faon suivante :
Compagnon Antoine, La seconde main, ou le travail de la citation, Paris, Le Seuil, 1979, p. 27.
694
Amey Claude et Olive Jean-Paul (sous la direction de), Fragment, montage-dmontage, collage-dcollage, la dfection
la direction de), tats et effets de la violence, Universit de Cergy-Pontoise, Centre de Recherche Texte/Histoire, 2005, p. 161.
118
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
conflictuel. Aussi les phrases kilomtriques, luvre sur plusieurs pages, procdent-elles
de la mme dynamique :
() et lautre Tarik ibn Ziad qui haranguait ses troupes devant Gibraltar Ecoutez
vaillants guerriers. O donc est lissu ? La mer est derrire vous et lennemi
devant vous qui avait fini avec sa victoire-clair sur les Wisigoths ses dmls
avec son obse et acaritre chef Moussa ibn Noar sa navet de montagnard
numide juste islamis pour remplir les livres dhistoire et les manuels scolaires
() At jugurtha dum sustensare suos et prope iam adeptam victoriam retinere
cupit circumventus ab equitibus dextra sinistraque omnibus occisis solus inter
tela hostium vitabundus erumpit denique Numides iam undique fusi () et mon
3
2
pre disant mais traduis donc rsous donc x +3 x - 3x 1 = 0 ctait la guerre
alors la ville avait t dvaste par larme ce 20 aot 1955 () ctait toujours la
guerre je mtais mis dtourner le sens des mots et casser la langue des vieux
698
dictionnaires ().
Enfin, la problmatique du rythme, dans son rapport la discontinuit narrative, nchappe
pas la violence textuelle. Ce qui, dans La prise de Gibraltar,se mesure travers la
recherche dune vitesse et dune tension prosodiques attestes par lutilisation frquente
de la phrase nominale notamment. En effet, la phrase nominale limine le prdicat et
parfois le dterminant, permettant ainsi lacclration du discours. Ds lors, la narration,
ampute dans son mcanisme et dans sa structuration, favorise une fiction du manque,
de la vulnrabilit, de labsence et de la ngation, du fait dun modus operandi qui rduit
considrablement lhomodigtisme du narrateur principal. Accentu par une pratique
rptitive de la syncope et intensifi par le jeu dune incohrence propositionnelle dans
lentit de la phrase, le rythme du rcit, acclr par lusage simultan de la forme
pronominale et du participe prsent, dissmins dans la narration romanesque,libre un
supplment considrable de relief et de surcharge smantiques. En effet, la connotation de
violence senferme dans lunit et le cloisonnement du mot, quand la dnotation de violence
sinscrit, au pralable, dans le saisissement problmatique, parce quincertain et mouvant,
de lnonc phrastique :
699
Ibid., p. 69.
119
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
attrait certain pour le partage dune exprience littraire directe et sensible, largie, dans la
mesure du possible, au lecteur.
Soyons clairs et mme abrupts : il n'y a point d'quivalence entre roman et film,
entre littrature et cinma; tout au plus des similitudes dont il faut, de surcrot,
saisir aussi exactement que possible les lieux et les modes de manifestation. (...).
Certes, dans le passage de l'un l'autre quelque chose se trouve : le rcit, ou
700
plus exactement, pour user d'une distinction (...), la narrativit.
Or, le recours massif cette dernire, observe aussi bien dans la littrature contemporaine
du centre que dans celle de la priphrie, indique une appartenance la mouvance
postmoderne.
Le fait que les grands rcits aient en gnral perdu leur crdibilit en tant que
rfrence implicite confre un tout autre statut aux rcits locaux. La narration
connait nouveau son heure de gloire, non pas comme un simple retour la
forme classique du roman du XIX me sicle, mais comme une utilisation de
qualits et de traits importants que renferme cette forme romanesque, y compris
701
son aspect de divertissement.
702
Mais cet effet-cinma, ailleurs appel rhtorique de l'image , au-del de son aspect
exprimental et ludique, cristallise, dans le roman francophone, un enjeu relatif l'esthtique
de violence. Tout se passe comme s'il fallait faire en sorte que lcriture devienne un film
dhorreurs, dploy sans mnagement devant la rtine du lecteur. Ce qui frappe dans une
telle mise en scne, cest, dune part, la lenteur insistante de la description des situations de
violence et, dautre part, la volont manifeste de feinter le mot juste , par la pratique de
limpudeur. Cest que les scnes de torture et de massacre incarnent ce que Jean Hatzfeld
703
appelle Le nu de la vie , cest--dire lanantissement de la forme (physique) et du sens
(moral, sacr) de lhomme. Par consquent, crire le scnario de son assujettissement
la violence revient sinon proscrire du moins circonscrire la forme et le sens des mots
dans un minimalisme terrifiant. Minimalisme qui rejette la comptence encyclopdique
704
. Ainsi, cest de manire vulgaire, c'est--dire qui est sans aucune lvation, qui est
700
701
Benoit-Dusausoy Annick et Fontaine Guy (sous la direction de), Tendances et figures contemporaines , in Lettres
europennes. Manuel d'histoire de la littrature europenne, Bruxelles, ditions De Boeck et Larcier s.a, 2007, p. 757.
702
703
704
Barthes Roland, La rhtorique de limage , in Lobvie et lobtus. Essais critiques III, ditions du Seuil, Paris, 1982, p. 40.
Hatzfeld Jean, Dans le nu de la vie. Rcits dans les marais rwandais, Paris, Le Seuil, coll. Points Seuil , 2001.
Hamon Philippe, L'analyse du descriptif, Paris, Hachette, 1981, p. 119.
120
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
http://www.larousse.fr/dictionnaires/franais/vulgaire ; http://www.larousse.fr/dictionnaire/franais/obscene
La prise de Gibraltar, op. cit., p. 184.
Toro Alfonso de, La nouvelle autobiographie postmoderne ou l'impossibilit d'une histoire la premire personne : Robbe-Grillet,
Le miroir qui revient et Doubrovski, Le livre bris , in Toro Alfonso et Gronemann Claudia (Hrsg.), Autobiographie revisited : Theorie
und Praxis neuer autobiographischer Diskurse in der franzsischen, spanischen and lateinamerikanischen Literatur, Hildesheim/
Zrich/New York, Georg Olms Verlag, 2004, p. 86 : Le lecteur doit se placer au cur du texte et le transformer par sa propre lecture.
Le lecteur ne doit plus avoir aucun respect face au texte (...).
708
121
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Cadavres dont il faut fermer les yeux. Lhpital. La lampe bleue. Lodeur des
latrines (). Rles ! Nuit ! Folie ! (). Quelquun glousse dans une zone dopacit
hallucinante. Un autre aussi. () (Comment faire pour oublier la longue infecte
guerre et notre fuite devant les soldats trangers qui ne comprenaient pas notre
attachement la terre parfois riche, parfois sche et terreuse ? () Seulement le
napalm dvers par les insectes dacier tourbillonnant dans le ciel, au dessus de
la lagune. Mille et mille villages dtruits. () Rien que le magma tordu de pierres
et de poutres. Quelques hardes de pauvres, ventrs dans leur sommeil par
les bombes. Un chien crev. Un ne coup en deux, avec ses boyaux arrachs
bleuissant au soleil parmi les restes dun bb hagard qui navait pas su ce qui
lui arrivait, le pouce dans la bouche et son il lisse dans la main. Mort. Tatou
par lacier, dans lcre odeur des genvriers et des poivriers tachs de rouge.
Parfois aussi, dans lholocauste, quelque vieille faisant ses ablutions dans le
sang de sa vache, avec un air si srieux quon aurait jamais cru quelle tait
709
folle) ().
Enfin, en rigeant les interjections, les exclamations et autres cris de violence en
catgorie du discours dans lequel vient se dissoudre un champ lexical et smantique du
sang, Linsolation renonce une narration labore. Pour cause, les effets performatifs,
les arguments directs et agressifs dun tel matriau brut court-circuitent lnonciation,
710
notamment son pouvoir de mtaphore . En effet, cest parce que le transfert, dans le
texte littraire, de l'audition des actes de torture ou de la vision dun corps ensanglant, ne
laisse pas le lecteur indemne que cest autour de la distance fictionnelle auteur/lecteur et/
ou narrateur/narrataire, rduite sa plus simple expression, que se noue la radicalit de
lexprience littraire du fait de violence :
Ha ! Ha ! Il jubilait dans son for intrieur, mais nen laissait rien voir. Il prfrait
attendre son heure. Surprendre les garnements au moment o lvanouissement
les prendrait, lorsque le sang giclerait et que le cri effroyable les rendrait
pitoyables, toussant nerveusement pour ne pas perdre contenance et surtout
pour ne pas vomir. (). Ils hurlaient de plus belle et leurs petites voix aigus,
711
stridentes devenaient forcenes et vocifrantes ().
La mise en scne de la violence et, parfois, lexcessive thtralisation des supplices et
autres horreurs se retrouvent galement dans lcriture romanesque de Sony Labou Tansi.
Cette dernire quon a trop htivement rduite en une dnonciation dun totalitarisme,
sappuie sur une exhibition outrance de contre-valeurs et un jeu de massacre thtral,
moins pour convaincre que pour dire lindicible de la violence. En ce sens, Sony Labou Tansi
ajoute sa voie celles dautres voix littraires tentant de se confronter linsoutenable.
Ds lors, son criture participe dune accumulation de ces expriences ponctuelles qui
mises bout bout construisent un sens supplmentaire la stricte somme de leurs intrts
isols. Cette dfinition-l, () insiste sur lindividualit de lexprience, le bilan tant toujours
712
713
unique, htroclite, et inachev.
En transformant en monstres hybrides
aussi
709
710
711
712
713
122
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
bien sa prose que ses personnages romanesques, influencs notamment par le thtre
et, en visant le mme objectif defficacit quAntonin Artaud entrevoyait dans le recours
714
la cruaut , Sony Labou Tansi, dans ses fictions romanesques, exprimente un modle
d'atelier postmoderne. Celui-ci rpond un dsir dexpriences vivre et partager depuis
que la modernit, selon Walter Benjamin, a tabli, avec la fin des grands conflits meurtriers,
715
un lien entre exprience et pauvret dans limagination des potes, des crivains, des
dramaturges et des artistes. Les dialogues, les repres typographiques et autres marques
prosodiques, relatifs linspiration thtrale, permettent dassurer ce qu'on dnomme, dans
un autre contexte, la succession (...) doncle neveu avec la tradition orale africaine.
Cependant qu'est maintenue luvre ouverte dautres types de public, notamment le
public du centre :
Nous sommes dans ce pays o la nuit a des allures de divinit. Elle sent comme
linfini. Le jour ici ne sera jamais quun pauvre trou de lumire bleue, infirme. Le
jour ici sera toujours aussi guable que la Rouvira Verda en amont du bayou.
La nuit seule a des choses dire lme. Elle seule sait mler notre corps la
717
gigantesque truculence de lunivers.
Selon Catherine Kerbrat-Orecchioni, qui s'inspire notamment des travaux de Louis
Hjelmslev sur la connotationetla dnotation et ceux de Roman Jakobson sur la fonction
rfrentielle et la fonction potique , le langage procde dun arbitraire fcond. Elle
crit notamment :
C'est essentiellement grce elle, [la connotation] que s'est trouve remise en
cause une certaine conception monosmantique et monologique du texte. On
sait simplement que le sens est pluriel, construit. Et que le sujet intervient,
714
Artaud Antonin, Le thtre et son double, Paris, Gallimard, 1938. Il crit notamment : De mme que nos rves agissent sur
nous et que la ralit agit sur nos rves, nous pensons quon peut identifier les images de la pense un rve, qui sera efficace dans
la mesure o il sera jet avec la violence quil faut.
715
Benjamin Walter, Exprience et pauvret , in uvres II, Paris, Gallimard, collection folio essais, 2000.
716
717
123
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Nous avons toujours gr ce quon ne trouve que dans les grands pomes : la
sve du monde. Nous avons toujours su que, malgr ses immondices, ses routes
troues, ses bataillons danophles, ses marcages suppurants, son ct vasire
vtue de jungle, son faible pour la dmence, sa tendance devenir une blessure
ouverte au centre de l'quateur, notre ville restait un pome o la boue, la chair et
les odeurs tentaient de se confondre sans trop de mal la magouille des soleils
pour chanter le refrain connu de tous ses habitants : Viens voir Le soleil est
tomb fou. Viens boire Le ciel qui pisse le jour Le plus bas du monde Mange le
719
temps qui passe Et mets tes jambes dans tes yeux.
Tout se passe comme si Sony Labou Tansi faisait sienne l'ide potique que dveloppe
ainsi Jean-Luc Nancy :
Si nous comprenons, si nous accdons dune manire ou dune autre une ore
de sens, cest potiquement. Cela ne veut pas dire quaucune sorte de posie
ne constitue un moyen ou milieu daccs. Cela veut dire et cest presque le
contraire- que le seul accs dfinit la posie, et quelle na lieu que lorsquil a
720
lieu.
Il espre ainsi provoquer un dclic, communiquer un moi, rendre sensible et vivante
721
lexprience de lbranlement
que le rcit romanesque de la violence svertue
reprsenter. Ds lors, recourir au langage potique qui prsente une contrainte formelle
beaucoup plus soutenue que celui du roman, cest faire en sorte que ce dernier ne senferme
pas dans une illusion rfrentielle . Cest, surtout, imposer la singularit du mot partir
de sa matrialit sonore, visuelle et/ou image. Le syncrtisme et la fusion des mots,
dont le caractre singulier est pralablement slectionn, produisent une alchimie qui,
radicalement, jette les conditions dune rencontre dans un autre lieu, une autre scne, situs
dans le rapprochement auteur/lecteur, narrateur/narrataire et dans un prsent qui nat hic
et nunc.
718
719
720
Nancy Jean-Luc, Rsistance de la posie, Bordeaux, ditions William Blake & co., coll. La pharmacie de Platon, 1997,
p. 18.
721
Rivire Jacques, Nouvelles tudes, Paris, Gallimard, 1913, p. 241, o il crit propos de lexprience littraire : Lcrivain
se propose de rendre sensible non pas une chose, mais lbranlement quelle communique notre me ; il choisit ses mots non
seulement daprs leur sens, mais encore daprs leur pouvoir motif. Un mot peut toujours exprimer plus quil ne signifie .
124
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Luvre doit toujours tre complte par le spectateur () nous lisons comme
nous regardons parce que nous interprtons comme nous voyons () il est donc
essentiel () de comprendre () ce phnomne assez puissant pour extraire les
objets du monde rel et les faire entrer dans un monde diffrent, un monde de
722
lart, un monde dobjets interprt.
En dfinitive, il savre que la potique postmoderne, inscrite dans les uvres francophones
du Maghreb et de lAfrique noire, travers notamment celles de Rachid Boudjedra et
de Sony Labou Tansi, rinvestit un ralisme littraire quils considrent dsuet et, sans
doute, inoprant dans la reprsentation de la violence. Ils le transforment et le dpassent,
respectivement, au moyen dun hypertexte parodique et partir dune rcriture qui
nopposent pas departi prisentreune approche raliste, empreinte dobjectivit, et une
condamnation qui, pour sous entendue quelle soit, nen reste pas moins manifeste
travers la stratgie et la rhtorique narratives. De mme, ils exposent le traitement descriptif
du fait de violence sous le miroir dformant dune mise en scne dont la discontinuit
demeure le principe esthtique majeur. Dans un mouvement similaire, la textualisation de la
typographie, sous forme de citations, de collage ou greffe, le renouvellement de la syntaxe
selon une procdure de disjonction et la disqualification progressive de la narration
723
homodigtique, concurrence par des formes brves
narratives telles que les
phrases nominales, les nonciations impersonnelles et la fminisation des personnages
importants, dmythifient le sujet hroque. Aussi les critures de violence de nos deux
auteurs sorientent-elles vers une recherche de scnographie postmoderne. Marc Gontard
ne dit pas autre chose quand il affirme :
Danto Arthur, La transfiguration du banal. Une philosophie de lart, Paris, Le Seuil, 1981, p. 203 et p. 218.
Montandon Alain, Les formes brves, Paris, Hachette, 1992, p. 5 o il dresse un rpertoire de ces dernires.
Gontard Marc, critures du discontinu en contexte postmoderne. Collages et fragments chez Michel Butor et
Georges Perros , in Annales de l'Universit de Craova, Langues et littratures romanes, AN XI, Nr, 1, 2007, p. 53.
125
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
725
mais ce qui pourrait avoir lieu dans l'ordre du vraisemblable ou du ncessaire . Aussi
s'honorent-elles limiter la pratique littraire dans une reprsentation qui, pour monstrueuse
726
et tragique, n'en reste pas moins raliste . Car, le lecteur joue, dans cette conception de
l'univers romanesque, le rle passif du voyeur, qui regarde se drouler (comme une suite
727
d'ombres javanaises) un drame o il ne prend [pas] part (...) . Les romans postmodernes
francophones, travers ceux de Rachid Boudjedra et de Sony Labou Tansi, disent autre
chose : le lecteur, par le truchement du langage, adapt selon diffrentes nonciations
conceptuelles et contextuelles (la langue populaire, la langue savante, la langue muette ,
et cetera...), accde la narration. Quand lusage des pronoms personnels, notamment
le nous , le dsigne en tant que structure actantielle. Ainsi, il entre de plein pied
dans la fiction, en mme temps quil fait rentrer cette dernire dans la ralit ds lors
que la thtralisation et la potisation favorisent lmergence dune exprience interactive
sensible. Ruth Amar, dans une tude consacre Harrouda, de Tahar Ben Jelloun, revisite
728
la notion d' tre crant
que promeut Paul Valry. En dplaant ladite notion dans le
roman maghrbin, elle la lie l'activit passionne du lecteur, non sans l'inscrire dans une
perspective postmoderne. Elle crit notamment :
Ainsi, le texte de Harrouda reflte son faire, car en lisant, nous sommes
conscients de l'uvre en train de se crer et non pas de l'uvre dj ralise.
Le narrateur signale : Je laisse l'criture se dplacer jusqu' dessiner la
circonfrence , et il ajoute : coutez (p.89) et de fait, il invite son lecteur
729
prendre part ce faire.
Cette exprience ou exploration (pour reprendre le mot de Jean-Marc Moura que nous
citions au dbut de ce chapitre), annonce, sans doute, le marquage du corps dans la
730
culture postmoderne
des littratures francophones d'Afrique.
725
726
Aristote, Potique, trad. par J. Hardy, Paris, Les Belles Lettres, 1965, p. (IX, 1451b, 1-3).
Auerbach Erich, Mimsis, La reprsentation de la ralit dans la littrature occidentale [1946], trad. par Cornlium Heim, Paris,
Gallimard, 1968.
727
thier-Blais Jean, Mimsis : ralisme et transcendance , in tudes Franaises, vol. 6, n 1, 1970, p. 10. Version numrique :
http://id.erudit.org/iderudit/036428ar .
728
729
Valry Paul, uvres, I, Paris, Gallimard, coll. La Pliade , 1957, p. 892 : (...) celui qui cre en nous n'a point de nom.
Amar Ruth, Harrouda : le postmodernisme de Tahar Ben Jelloun , in Nouvelles tudes Africaines, Volume 17,
Le roman franais postmoderne. Une criture turbulente, [en ligne], Archive ouverte en Sciences de l'Homme et de la Socit,
126
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Pour la potique I, op. cit., p. 176 o Henri Meschonnic dfinit ainsi la notion de forme-sens : Forme du langage
dans un texte (des petites aux grandes units) spcifique de ce texte en tant que produit de l'homognit du dire et du
vivre.
732
733
734
Eboko Fred, Sida : des initiatives locales sous le dsordre mondial , in Revue Esprit, n 317 aot-septembre 2005, p. 211.
Flaubert Gustave, La lgende de saint Julien l'hospitalier [1877], Pliade, Tome II, pp. 623-648, 1952.
Mann Thomas, La m ort Venise (1912), trad. par Bertaux F. et Sigwalt C., Paris, Le Livre de Poche n 1513, 1922 et La montagne
magique (1924), trad. par Betz Maurice, Paris, Le Livre de Poche, 1991. Nouvelle et roman, ces deux uvres traitent, respectivement,
du cholra et de la tuberculose.
735
Raulet Grard, La postmodernit, vingt ans aprs. Du mythe la ralit. , in Revue La pense, Crise du postmodernisme,
Ernst Gilles, Sida, peste fin de sicle. Remarques sur quelques rcits de 1987 1994 , in Les grandes peurs. Travaux de
Spoiden Stphane, La littrature et le sida. Archologie des reprsentations dune maladie, Toulouse, Presses Universitaires
du Mirail, 2001.
127
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
742
742
S C, Le postmodernisme , in http://lunch.free.fr/postmodernisme.htm
743
Kateb Yacine Lettre Albert Camus , in Corpet Olivier et Dichy Albert (textes runis et prsents par), Kateb Yacine, clats
Bousta Rachida, Inscription du langage du corps travers les bances d'une criture , in Psychanalyse et texte littraire au
Deleuze Gilles et Guattari Flix, Rhizome, Introduction, Paris, ditions de Minuit, 1976, p. 54.
746
Kaprow Allan, Lart et la vie confondus, Paris, Centre Georges Pompidou, 1996, p. 114.
747
748
Steiner Georges, Relles prsences. Les arts du sens, Paris, Gallimard, 1991, p. 22.
Lyotard Jean-Franois, Rudiments paens, Paris, Union gnrale dditions, 10/18 , 1977, p. 168. Il crit notamment : Que le
corps () se mette un peu sagiter, et ce qui se montre est sa monstruosit (). Cest pourquoi ces phases de turbulence semblent
toujours inexplicables et mmes suspectes celui () qui par lexclusivit de son point de vue unificateur ne peut les apprcier ( et
les refouler ) qu coup de mtaphores gologiques, mdicales.
749
128
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
font valoir une approche esthtique investissant la maladie avec davantage d'inventivit.
S'y ajoute la possibilit d'inscrire une pluralit de sens. Ceux-ci, dpassant ceux inscrits
dans la crispation des tabous et dans les croyances une punition divine, proposent
travers l'clectisme des thmes, la multiplication des points de vue et la diversit des
750
espaces narratifs, un renouvellement du discours . Aussi l'esthtique de la maladie
s'inscrit-elle dans une perspective d'appropriation de sa priode brve, Critique et clinique,
en l'occurrence la crise. Ce qui ne fait pas de cette pratique scripturaire qui investit la
751
maladie, soit-disant, une contingence de la crise de la reprsentation . Elle incarne,
plutt, ce qu'il convient d'appeler, la suite de Michel Chaillou, une criture l'extrme
contemporain . Aussi les stratgies et les modles discursifs choisis, pour contourner la
difficult de dire la maladie, notamment le sida, s'laborent-ils partir d'un lieu d'nonciation
spcifique. Sa convocation s'analyse en tant qu'elle agrge, partir des caractristiques
de son systme, un univers de forme-sens ad hoc. Celui-ci dsigne l'incertitudeen tant que
paradigme de fond et de forme, susceptible de dpasser la tentation aportique de l'criture
de la maladie. De sorte que cette dernire traite, avant tout, de la souffrance, dans une
expression dtourne, textuellement, par le dire oblique du secret, du silence et de
la rumeur. En mme temps que lacte de contrition qu'elle pose face la rfraction d'un
discours dominant, incarne, in fine, une volont dinvestir, voire dexcder, les pouvoirs du/
des sens.
Groulez Marianne, crire lanorexie. volution de la maladie, renouvellement du discours. , in tudes, Tome 405/ 4, 2006/
Brix Michel, Le romantisme franais . Esthtique platonicienne et modernit littraire, Namur (Belgique), Socit des tudes
Arnaud Jacqueline, La littrature maghrbine de langue franaise. Origines et perspectives, vol. 1, Paris, Publisud, 1983, p. 121.
Le roman franais postmoderne. Une criture turbulente, [en ligne], Archive ouverte en Sciences de l'Homme et de
la Socit, <URL: http://halshs.ccsd.cnrs.fr/docs/00/02/96/66/PDF , op. cit., p. 33 o, sur la note de bas de page, Marc
Gontard justifie ainsi le choix de l'orthographe du mot krisis: Du grec krinen: juger, dcider , dsigne une phase
grave, dcisive, de la maladie o la mort est implique soit comme terme, soit comme retour la vie dans un processus
mortel.
129
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
France, in Textuel, Universit de Paris 7, S.T.D., N 19, 1987, Dire la crise/Penser la crise, p. 10.
758
759
littraires, Paris, rs, 2005, p. 37. Le critique y reprend ce passage : Je me dis, Milena, que tu ne comprends pas la chose. Essaie de
la comprendre en l'appelant maladie.[...] Et c'est cela qu'on prtend gurir ? , in Kafka Franz, Lettres Milena, d. revue et augmente,
trad. franaise d'Alexandre Vialatte, Textes complmentaires traduits par Claude David, Paris, Gallimard, 1988, pp. 258-259.
130
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Il eut la tte tranche net par un coup de sabre que tenait un gigantesque
Sngalais de plus de deux mtres de long Lui sescrimant crire des slogans
politiques avec de la craie jaune sur le sol en mosaque de la terrasse Cest
ce moment-l quil devint obse Drglement glandulaire doubl dune boulimie
763
tenace avait diagnostiqu le mdecin.
Le dclenchement de l'criture dans une concomitance scnographique saisissant le
malaise partir de son lieu dsign comme mosaque, [ Lui sescrimant crire () sur
le sol en mosaque de la terrasse Cest ce moment-l quil devint obse Drglement
glandulaire (...) ],annonce un moment postmoderne . Celui-ci, dans Linsolation et
La prise de Gibraltar, procde d'une dynamique de tuilage , c'est--dire un principe
d'criture qui fait apparatre l'lment tranger comme continuation du thme (), et donc
764
comme un produit de ce dernier . Ds lors, les romans de Rachid Boudjedra s'inscrivent
dans un creuset narratif atypique intgrant des figures, des procds et autres tropismes
affects du sceau et des signes de la souffrance. ces derniers, le romancier algrien
765
adjoint ce que Hugues Peters appelle potiquement des vers de maladies . Ce qui,
760
761
762
Derrida Jacques, Positions, Paris, ditions de Minuit, Collection Critique , 1972, p. 118.
Ibid., pp. 113- 118.
Sarkonak Ralph, Herv Guibert : vice de formes in Boul Jean-pierre (textes runis et dits par), Herv Guibert, Nottingham
Peters Hugues, De part en part, mordent les vers de maladies . Analyse mtrique dun pome de Verhaeren , in tudes
131
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
766
767
Ibid., p. 52.
La prise de Gibraltar, op. cit., pp. 54-55.
Linsolation, op. cit., p. 61.
Federman Raymond, Surfiction : Manifeste postmoderne. Problmes de lecture et d'criture , in Surfiction, [State University
of New-York Press, 1993], trad. par Nicole Mallet, Marseille, ditions Le Mot et le reste, 2006, p. 10 : (...) la seule fiction qui soit
encore valable maintenant est celle qui tente d'explorer les possibilits de la fiction au-del de ses propres limites; (...); celle qui rvle
l'irrationalit ludique de l'homme plutt que sa rationalit bien-pensante. Je donne cette forme d'criture le nom de Surfiction ,
non pas parce qu'elle imite la ralit mais parce qu'elle tend au grand jour l'aspect fictif de la ralit.
132
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
772
la sant athltique
de son langage. En ce sens que celui-ci, prenant la mesure de la
complexit de l'expressivit dans son milieu immdiat, dborde la transcription claire
et ordonne [par] des formes d'criture en accord avec l'incohrence et le dsordre des
773
vnements (...) .
772
Critique et clinique, op. cit., p. 14 o G. Deleuze crit : Aussi l'crivain comme tel n'est-il pas malade, mais plutt mdecin,
mdecin de soi-mme et du monde. Le monde est l'ensemble des symptmes dont la maladie se confond avec l'homme. La littrature
apparat alors comme une entreprise de sant: (...) (il y aurait ici la mme ambigut que dans l'athltisme), (...).
773
Ibrahim-Ouali Lila, Rachid Boudjedra. criture potique et structures romanesques, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires
Mann Thomas, La philosophie de Nietzsche la lumire de notre exprience (1947) in Les matres, Paris, Grasset, 1979, p. 234.
Matti Jean-Franois, La crise du sens, Paris, ditions Ccile Defaut, 2006, p. 64.
Jaccomard Hlne, crire le sida en Afrique Francophone , in La revue franaise, 12 dcembre 2001, pp. 111.
Malcuzynski M-Pierrette, Entre-Dialogues avec Bakhtine ou sociocritique de la (d)raison polyphonique, Amsterdam, Rodopi,
1992, p.64, qui cite Cros Edmond, Thorie et pratique sociocritiques, Montpellier, ditions du CERS-ditions Sociales, 1983 et De
l'engendrement des formes, Montpellier, ditions du CERS, 1991.
778
Blanckeman Bruno, Mourir au texte: Sur quelques rcits d'Herv Guibert , in Bouloumi Arlette (sous la direction de), criture
et Maladie, du bon usage des maladies , Paris, ditions Imago, 2003, p. 178.
779
Boroni Raphal, La tension narrative. Suspense, curiosit, surprise, Paris, Seuil, 2007, p.18 et p. 406.
133
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Aussi ces modles narratifs incertains rvlent-ils cette frange d'incertitude, qui est
780
commune tous les malades du monde .
Dans lespace maghrbin, Rachid Boudjedra fait figure davant-garde postmoderne
lorsquil substitue, quand il ne les associe pas, lcriture de la maladie mentale celle de
la maladie physique. Par consquent, il fait acter, dans la fiction romanesque, la thorie
781
du Scandale du corps parlant . Il la dissque et la dplie, respectivement, en scandale
du corps souffrant travers le goitre de la mre, en scandale du corps dgnrant avec
la maladie cardiaque ou cancreuse de l'oncle Hocine et en scandale du corps dlirant
par l'intermdiaire de la schizophrnie du personnage principal, Mdhi. Ainsi le romancier
algrien crit-il :
(...); tandis que Selma, ma mre, griffe dans cette belle chaleur glatineuse
qui rendait les vibrations de l'air plus stridentes, s'tiolait, perdait ses forces
et sa mmoire. Parfois, j'arrivais chez elle et demeurais de longs moments
son chevet, (...). Et ma mre passait son temps regarder le ciel, (...) sous
la constante dvoration du soleil (...) dans la lumire qui inondait le visage
782
exsangue de la malade (...).
Il tait l () cause peut-tre de cette maladie
du cur dont on le disait atteint () Ce ntait plus un homme, un tre humain,
mais un tas de nerfs, de membres, dorganes et dlments, tout mous, tout
fans, tous fissurs, tout fendills, tout flasques, tout flapis, tout froisss, tout
783
floches, tout dpareills, ect.
Puis resurgi tout coup de l'immuable songe, je
dferlais dans le sommeil durant lequel je rvais que je dpeais tous les chats
et toutes les chattes du quartier parce que je les souponnais d'tre en chaleur et
que je sortais les corps des tortues de leurs carapaces et les donnais manger
un vautour (...). Ce fut mon dernier sjour dans la maison maternelle avant
l'insolation qui me brouilla mon esprit tel point qu'on m'enferma dans un hpital
784
(...).
Le basculement vers la reprsentation de la schizophrnie offre l'occasion aux romanciers
africains, dont Rachid Boudjedra, d'investir une forme d'criture de la maladie croise avec
l'esthtique postmoderne. Carmen Husti Laboye souscrit cet avis quand elle dit et fait dire :
Guibert Herv, A l'ami qui ne m'a pas sauv la vie, Paris, Gallimard, 1989, p.10.
781
782
783
784
785
Jameson Frederic, Postmodernism or The Cultural Logic of Late Capitalism, London and New York, Verso [Duke
University Press], 1991, p. 29. Le passage est traduit par C. Husti Laboye.
134
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Husti Laboye Carmen, criture et dchirement. L'individu postmoderne dans Hermina de Sami Tchak , in
Bengocha Manuel, Chaume Delphine, Riffard Claire et Spiropoulou Katerina (sous la direction de), Discours et critures
dans les socits en mutation, Itinraires et contacts de cultures, Volume 39, Universit Paris 13, L'Harmattan, 2007, pp.
58-59.
787
788
789
790
Gafati Hafid, Kateb Yacine : un homme, une uvre, un pays, Alger, ditions Laphomic, 1986, p. 45
Lyotard Jean-Franois, Malraux et sa lgende , in Le magazine littraire, n 347, aot 1996, p. 27.
Maffesoli Michel, Le temps des tribus. Le dclin de l'individualisme dans les socits postmodernes, Paris, Table Ronde, 2000.
Husti-Laboye Carmen, L'individu dans la littrature africaine contemporaine. L'ontologie faible de la postmodernit, Thse de
doctorat , Sous la direction de Beniamino Michel, Facult des Lettres et des Sciences Humaines, Universit de Limoges, France,
2007. En fait, elle reprend et met sous tropiques les thses dveloppes par Vattimo Gianni, La fin de la modernit. Nihilisme et
hermneutique dans la culture post-moderne, Paris, Le Seuil, 1987.
791
Genon Arnaud, Herv Guibert : Vers une esthtique postmoderne, Paris, L'Harmattan, 2007, pp. 188-189 o le critique, distingue,
parmi () les caractristiques d'un sujet postmoderne (), perdu dans l'univers hospitalier (), un corps postmoderne fait de
greffes et d'ajouts (), travaill et cousu (...) .
792
793
794
complexe. Comment avoir le courage de la lui raconter ? Surtout que me lancinait l'envie de me couper les pieds (...) comme une
excroissance, se dveloppant en dehors du reste de mon corps (...). Il valait mieux continuer lui lire mes trois livres de chevet, en
135
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
nihilo, entrait en collision avec le corps de la narration. Pour cause, les instances narratives
correspondantes sont souponnes de collusion avec le discours convenu et politiquement
correct du corps social. Aussi greffs les uns aux autres, les fragments de l'criture de la
maladie djouent-ils la tentation de la digression ou de l'anachronisme, en ce qu'ils revtent
795
une cohrence de texte tiss . A posteriori et une fois toutes les pices du puzzle
retrouves, transparait une chronique. S'avanant masque, elle diffuse sa mtastase
796
797
/ mtastabilit et sa subordination narratives dans l'hydre fcond de ce que Jacques
798
Derrida appelle le surjet . Ds lors, ce dernier s'illustre en tant que matrice nonciative
dont la plasticit agit en permabilit et, surtout, en possibilits discursives dmultiplies.
Plasticit qui, par ailleurs, dfait la glose ex cathedra maintenant le dire surla maladie,
799
essentiellement, travers le poncif de La maldiction
(male dictus, mal dit), c'est--dire
une dfaillance, au pralable, nonciative :
La Mothe Jacques, L'architexture du rve. La littrature et les arts dans Matires de rves de Michel Butor, Amsterdam, Rodopi,
1999, p. 104.
796
797
mtastabilit la crise permanente qui, au niveau des sujets, des institutions et des normes, touche la vie sociale et en est mme
constitutive. En la dplaant dans le champ littraire et langagier, Debaise Didier, Le langage de l'individuation , in Revue Multitudes,
Majeure : Politiques de l'individuation. Penser avec Simondon, n 18, automne 2004, http://www.multitudes.samizdat.net/Le-langagede-l-individuation , crit : Un des intrts de la notion d'quilibre mtastable est qu'elle met en vidence l'incapacit du rgime
linaire (...).
798
Derrida Jacques, Les greffes, retour au surjet , in La dissmination, Paris, Le Seuil, 1972, p. 395 o il apprhende ainsi la
pratique de la greffe et ce qui en rsulte, en l'occurrence ce qu'il nomme le surjet : Violence appuye et discrte d'une incision
inapparente dans l'paisseur du texte, insmination calcule de l'allogne en prolifration par laquelle les deux textes se transforment,
se dforment l'un par l'autre, se contaminent dans leur contenu, tendent parfois se rejeter, passent elliptiquement l'un dans l'autre
et s'y rgnrent dans la rptition, la bordure d'un surjet.
799
800
801
136
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
fiction. Si la fiction sidenne en Occident, est prise en charge de manire univoque, en tout
cas au dbut de lapparition de la maladie dans les annes 80, par la population affecte (la
plupart issue de la communaut homosexuelle), il en est autrement dans lespace africain.
La complexit et la perplexit du discours littraire du sida y sexpliquent par le fait qu la
voix narrative atone de la figure sidenne, sajoutent des voix concurrentielles. Du coup,
802
elles brouillent, un peu plus, ce qui constitue dj un rcit indcidable . Lusage,
dans Le commencement des douleurs,des phrases allusives, des vrits gnrales et
autres proverbes, dans un espace ubuesque de palabres solennels et interminables, o le
chant rsonne et lalcool fait draisonner, reprsente autant de voix narratives discordantes
contre lesquelles celle du narrateur principal rsiste afin de faire capoter les silences du
803
sida . En revanche, est rinvestie la focalisation interne qui rend omniprsents
et, presque, exclusifs, les points de vue discursifs des deux figures littraires consacres
que reprsentent les personnages du malade et du mdecin. Au premier, est adjointe une
804
expressivit do ressortent une conscience de l arrachement
et une glose sur la
805
rsistance qui lutte contre la cicatrisation de lvnement . Quand la profession de
foi, rassemblant la collectivit, la communaut des malades comprise, [ Notre ville entre
806
en guerre contre les ouaouarons rouges et le cholra. Les noces peuvent attendre. ],
807
tmoigne d'une force intrieure et d'une hauteur
dme. En somme, la gravit, l'enjeu
et l'irrductibilit du diffrend qui l'oppose la maladie, engendrent, chez le patient
africain postmoderne, l'envie de s'affirmer diffrent. Mais il sagit surtout, pour lui, d'affirmer
un discours diffrent/diffrend, synonyme dune stratgie de survie. Au second, savoir
le personnage du mdecin, est contest, dsormais, le mythe que des textes littraires
reconnus ont bti son endroit, lui tressant sans cesse des lauriers. Sony Labou Tansi
prend une voie/voix diffrente, comprise dans l'intervalle et les nuances interprtatives qui
sparent l'humanisme du docteur Rieux, dans La peste d'Albert Camus, du cynisme du
mdecin qu'est Bardamu, dans Voyage au bout de la nuit deLouis Ferdinand Cline. Le
romancier congolais, en laborant un renversement littraire et esthtique, revisite l'espace
mdical africain dans le sens d'un univers dantesques. Ainsi le dcrit-il en ces termes :
802
Blanckeman Bruno, Les rcits indcidables : Jean Echenoz, Herv Guibert, Pascal Quignard, Villeneuve d'Ascq, Presses
Dauge-Roth Alexandre, Koulsy Lamko et Fanta Rgina Nacro ou lart de faire capoter les silences du sida , in tudes
francophones, Volume 19, n 1, Printemps 2004, Universit de Louisiane Lafayette, pp. 81-98.
804
Weil Simone, La connaissance surnaturelle, Paris, Gallimard, 1950, p. 232 : Pre, arrache de moi ce corps et cette me pour
en faire de choses toi et ne laisse subsister de moi ternellement que cet arrachement lui-mme.
805
Glose sur la rsistance , in Le postmoderne expliqu aux enfants, op.cit,p. 142. J-F. Lyotard y explique que la vraie rsistance
au totalitarisme de la bureaucratie, dans 1984, tient du fait que cette rsistance [qui] sinscrit dabord, ostensiblement, dans le genre
romanesque et dans le monde narratif qui sont ceux de 1984 , p. 138. Il crit au pralable : Lcriture littraire () parce quelle
exige un dnuement, () ne peut pas cooprer, mme involontairement, un projet de domination , pp. 137-138. Il prolongeait,
ainsi, ltude de Claude Lefort sur 1984, Le corps interpos : 1984, de Georges Orwell , in crire l'preuve du politique, Paris,
Rditions Calmann-Lvy, 1992, [Presse Pocket, 1984], pp. 15-36.
806
807
hauteur ordonne ltre. La hauteur introduit un sens dans ltre. Il poursuit en expliquant que la hauteur de lhomme est moins lie
son exprience de la verticale (laquelle exprience nest pas quantit ngligeable) que par la conscience quil fait du rapport
entre son haut et son bas , cest--dire la conscience de ses possibilits, de ses forces et de ses intelligences mais aussi de
ses faiblesses, de ses fragilits et de sa fin dont la maladie.
137
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
810
811
Barthes Roland, La mythologie aujourd'hui , in Le bruissement de la langue, Paris, Points/Seuil, 1993, p. 81.
138
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
personnages souffrants, s'oriente vers une esthtique mdiale. Celle-ci, l'intrieur comme
en dehors du texte, s'articule autour d'une lecture plurielle qui questionne la problmatique
812
de l'exprience esthtique .
La littrature (...) aboutit ... une vritable forclusion de la reprsentation (...). Elle
suggre l'analogie avec le langage psychotique (...). Le langage du corps envahit
la pense, la dborde et la longue l'empche de se constituer comme telle. Le
langage de la pense se coupe totalement du corps pour se dployer dans un
espace dsertique. C'est (...) encore une fois une dliaison (...) au niveau d'une
criture clate (...) pour ne plus laisser apparatre qu'un morcellement ou une
815
dispersion.
816
Valverde Monclar, La rception mdiatique comme exprience esthtique , in Socits, n 74 2001/4, pp. 43-52.
Trotsky Lon, Littrature et rvolution, Traduit du russe par Pierre Franck et Claude Ligny, Paris, Julliard, 1964, p.150.
Blanchot Maurice, Le livre venir, op. cit., p. 147 o, parlant de Virginia Woolf, figure par excellence de l'criture de la maladie,
il crit que cette dernire requiert une telle sparation de soi, une si grave humilit, une fidlit si complte un pouvoir illimit de
dispersion que l'on voit bien quel risque finalement il faut courir .
815
816
817
principalement intressante et authentique (...) par le combat farouche et vivifiant qu'elle a men contre les ides reues dans les
tudes littraires, et par la rsistance tout aussi dtermine que les ides reues lui ont oppose.
818
819
Delayre Stphanie, Driss Chrabi, une criture traverse, Presses Universitaires de Bordeaux, 2006, p. 243.
Blanckeman Bruno, Mourir en direct : le cas d'Herv Guibert in Dornier Carole et Dulong Renaud (sous la direction de),
Esthtique du tmoignage, Paris, ditions de la Maison des sciences de l'homme, 2005, p. 203.
139
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
discursifs (discours indirect, discours indirect libre et/ou discours narrativis) peu usits
dans un contexte d'affect. Quand la deixis substitue l'impersonnel la logique Ego scriptor
de la douleur . Sans, toutefois, en nier le poids et l'accablement que le rythme saccad
de l'nonciation et les piqres de rappel anaphorique du pronom personnel charrient
inlassablement :
Elle navait pas voulu saliter (). Au dbut, elle avait tout fait pour cacher sa
maladie. Elle disait que ce ntait rien. Quelle avait des maux de tte quelle
calmait en se serrant la tte dans des fichus multicolores. Tout le monde croyait
quelle disait vrai (). Puis elle avait eu ce goitre qui lui avait peu peu dvor le
820
cou ().
Parce que le symptme est une mtaphore et parce que la parole est en effet un
821
don de langage, et le langage n'est pas immatriel. Il est () subtil, mais il est corps ,
tout se passe, dans l'uvre romanesque de Sony Labou Tansi, comme si la maladie
822
fonctionnait en tant que haeret lateri lethalis arundo . Nous venons au monde
823
pour nommer : gare qui nommera sa perte ou sa honte , prvient-il, dans l'espace
paratextuel. Celui qui sert, selon Grard Genette, de lieu privilgi d'une pragmatique
824
et d'une stratgie
dterminantes dans la comprhension romanesque. Dclaration
d'intention qui, en amont, anticipe la fiction, volontiers secrte, contenue dans le libell du
titre du roman, en l'occurrence Les sept solitudes de Lorsa Lopez. Cependant qu'en aval,
elle valide la diction bien mystrieuse inscrite ds l'incipit :
La veille du jeudi de malheur (), la veille aussi du jour maudit (), cinq heures
du matin, juste au moment o la mosque de Baltayonsa le muezzin Armano
Yozua venait crier l'appel de la prire, o le pre Bona de la Sacristie avait pass
le bayou pour la boucherie d'Elmano Zola, nous entendmes la terre crier du ct
du lac : une longue srie de plaintes, de gargouillements lugubres, une sorte de
825
gargarisme convulsif l'intrieur (). Un malheur ne vient jamais seul ().
Ce qui donne penser que ne pas user de la voie/voix dtourne du secret, c'est risquer
d'exciter l'aggravation de la maladie. Nommer la maladie, serait, du coup, risquer de la
rveiller de la conjuration o la priphrase, la synecdoque, la litote, les dictons et les
proverbes lgendaires la maintiennent sous une nonciation dngatoire, faite de rticence
et de rtention. Au demeurant, ces deux dernires, par le biais de la seconde main qu'on
voquait prcdemment, permettent au texte de Sony Labou Tansi de s'apparenter avec les
chefs d'uvres de la littrature mondiale, dont notamment Lamour aux temps du cholra.
En effet, elles retravaillent, dans un contexte africain, la tension narrative et l' pidmie
textuelle qui rsultent de l'association de la maladie avec le mystre et le sacr, laquelle
Gabriel Garcia Marquez recourt. Ainsi en est-il du geste d'crivain sud-amricain qu'adopte
826
Sony Labou Tansi, travers, notamment, La triste mmoire du cholra , dans Les yeux
820
821
822
823
824
825
826
140
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
du volcan. Geste quil reconduit, galement, dans Ltat honteux du colonel Martillimi Lopez,
827
venu au monde en se tenant la hernie, parti de ce monde toujours en se la tenant .
828
Il reprend le mme procd en voquant la fivre de Baltayonsa et la gale
(qui fait
clairement rfrence aux maladies bibliques) et la venue de la peste, du cholra et des
829
maladies de Thomas Massoura . Enfin, il textualise la mme pandmie marquzienne
830
en rendant rsolument intraitable
le cholra pernicieux, dclar dans le secteur
nord dabord, puis dans toute notre cit. Les gens mouraient vue dil. () Il ny a plus de
831
place la morgue de lhpital des Gmraux . Ce qui reste spar du texte (c'est--dire
son secret au sens tymologique) traitant de la maladie, c'est moins son dire import que
la ligne de fuite organise autour de l'rection de la maladie comme nigme. Dans cette
832
perspective, le paradigme narratif de la noirceur secrte
de la nuit creuse davantage
cette ligne de fuite du secret. En effet, il use de ce que Gilbert Durand nomme un bassin
smantique ,potique de la distance et criture labyrinthique o la maladie jamais ne s'crit
directement et, encore moins, jamais ne se nomme clairement. Cest dans cette posture,
paradoxalement, que cette dernire pointe, elle-mme, du doigt les signes de sa fragilit et
833
de sa vulnrabilit. Semblable aux tnbres blanches de Michel Tournier, qui font que
834
tout coup l'obscurit change[a] de signe , le paradigme de la nuit, en mme temps
qu'il accentue le secret qui entoure la maladie, porte en lui la possibilit d'une expression
tant au niveau de la forme qu'au niveau du sens :
Elle parlera pendant toute la nuit (...). Depuis la mort d'Estina Bronzario, les mains
de Fartamio Andra tremblent (). Son corps s'est dgrad. Sa vue a beaucoup
baiss, son coeur s'est vapor avec sa mmoire. Sa vigueur est tarie. Pauvre
835
Fartamio Andra.
Aussi comprend-t-on, sans doute mieux, l'envergure du titre Le commencement des
836
douleurs dans ce qui [le] met en relation () secrte avec
le tropisme postmoderne
inscrit dans la phrase de Jean Franois Lyotard : La fin de la nuit nen finit pas de
837
commencer
. L'criture postmoderne de la maladie, dans Le commencement des
838
douleurs, rside dans le passage dune fin linfini . Cest--dire dans cette possibilit
esthtique des maux dont on ne gurit pas (la fin). Mais desquels on se libre (linfini) par
827
828
829
830
ou le noyau incommunicable, tudes franaises, vol. 40, n 2, 2004, p. 24. Version numrique : http://id.erudit.org/iderudit/008806ar .
831
832
833
834
835
836
837
838
et Sfez Grald, Jean-Franois Lyotard. Lexercice du diffrend, Paris, PUF, 2001, pp. 77-99.
141
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
839
les mots. En somme, c'est une criture qui sduit, c'est--dire tire l'cart . Donc, elle
spare, voile, en mme temps qu'elle charme. Ce qui signifie qu'elle soumet un pouvoir
840
magique , phnix et palimpseste en ce qu'elle libre des sens nouveaux et multiples
841
partir de l'nigme et de l'imagination rgnratrices
suscites autour de non-dits. Le
commencement des douleurs en fournit un exemple :
Mais il l'avait initi cette sorcellerie qui consiste peser et doper la matire :
pendules, cuves, fours, bouilloires, tubulures lui donneraient l'explication du
monde. (), le jeune Hoscar Hana hrita le laboratoire o il s'enfermait des
semaines durant, tout occup trafiquer les formules, coudre et dcoudre les
lois naturelles, tricoter et tailler les thories, mincer et moudre les apologies,
les sentences, les calembredaines, les paralogismes, les tralalas de toutes
842
envergures.
Le secret, dans l'criture de la maladie, procde d'une stimulation quasi rotique dans
843
le champ de la connaissance , du langage notamment. Par consquent, produire du
844
silence dans la rumeur des mots , participe de cette extension, jusqu la perte, du
domaine des possibilits du sens que promeut la postmodernit littraire. En cela, cette
dernire conteste une certaine lecture de la modernit qui interprte la clbre sentence de
845
Thodor Adorno uniquement travers l'irrductibilit de la littrature face au trauma . Dans
le champ littraire africain et francophone, le rapport entre la maladie et le silence dpasse
bien videmment la parenthse oxymorique d'une littrature du silence (la littrature en
846
Afrique, peut-tre plus qu'ailleurs, dit toujours quelque chose ) qui, dans d'autres res
littraires, concidait avec son puisement et sa crise. Le vocable crise , dans l'uvre de
Rachid Boudjedra, recouvre essentiellement une oscillation mtaphoro- mtonymique
847
inscrivant le silence comme maladie qui mine la digse. Cependant que cette mme
maladie incarne une exgse postmoderne, lieu d'une tentative de mise en littrarit de
l'absurdit de la souffrance :
p. 115-125.
842
843
844
845
p. 26 : crire un pome aprs Auschwitz est barbare, et ce fait affecte mme la connaissance qui explique pourquoi il est devenu
impossible d'crire aujourd'hui des pomes.
846
Martin Jean-Pierre, La littrature nous dirait-elle quelque chose plutt que rien ? , in Les Temps Modernes, n 655, sept.-
142
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
mrier qu'elle faisait bouillir et qu'elle appliquait sur les plaies comme des sortes
de cataplasmes qui me soulageaient beaucoup plus que tous les onguents et
848
toutes les pommades du monde.
Par consquent, le silence comme mode d'nonciation de la parole empche , affecte
par des maladies telles que la schizophrnie et la boulimie de Medhi, le goitre et le
bgaiement de la mre et le mal dont souffre l'oncle, dans L'insolation et La prise de
Gibraltar, ne peut s'affirmer qu'au dtours d'un essoufflement. Il ne peut s'noncer qu'au
bout d'un effort physique, athltique (selon le mot de Gilles Deleuze). Ce qui se
traduit, notamment, par ce que Chantal Delourme appelle des tressaillements des rythmes
849
courts et/ou des griffures de la ponctuation . Cette potique du rythme, gnrateur
850
[mme] de sens
et cette agressivit de la ponctuation, s'orientent, dans le texte
romanesque de Rachid Boudjedra, vers une perspective postmoderne. On y observe, en
effet, un usage quasi anarchique du participe prsent, des allitrations, des mots abrgs,
des parenthses elles-mmes, parfois, mises entre parenthses, des tirets et des points
de suspension :
(Puis ceci : quelques annes plus tard, l'oncle Hocine tait l comme plant au
beau milieu de la rue, comme s'il tait ptrifi brusquement (...). Il tait l ()
cause peut-tre de cette maladie du cur dont on le disait atteint (). Ce ntait
plus un homme, un tre humain, mais un tas de nerfs, de membres, dorganes et
dlments, tout mous, tout fans, tous fissurs, tout fendills, tout flasques, tout
851
flapis, tout froisss, tout floches, tout dpareills, ect.
Dfinissant le champ de ce qu'il appelle une criture muette qui, sans conteste, travaille
l'conomie narrative de la maladie, Jean Bessire, la diffrence de Henri Meschonnic dont
le point de vue demeure sceptique, pour ne pas dire rfractaire, toute ide de remise en
852
cause de la modernit littraire , y voit l'empreinte d'une esthtique postmoderne. Aussi
observe-t-il :
() comme tout est sens dans le langage, dans le discours, le sens est gnrateur de rythme, autant que le rythme gnrateur
de sens, tous deux insparables- un groupe rythmique est un groupe de sens- et autant le sens ne se mesure pas, ne se compte
pas, le rythme ne se mesure pas.
851
852
853
143
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
(...), Sony Labou Tansi invite les romanciers se mettre l'cole de la rumeur et
de sa puissance de fabulation. Non pour se rfugier dans un imaginaire strile,
mais pour crer des figures lgendaires, capables de bousculer un rel quadrill
par des mots d'ordre. A une littrature engage, Sony Labou Tansi propose de
substituer une littrature possde qui tirerait sa puissance subversive d'une
utilisation du langage indite dans la production littraire mais depuis longtemps
855
en usage dans le peuple, sous la forme de la rumeur.
Par consquent, cette dernire prend les contours d'une stratgie narrative discrtement
relaye par une vox populi. En effet, celle-ci, dansuneimposture servie par une ambigit
discursive, exhibe sa solidarit l'endroit des malades en recourant au pronom personnel
nous et une rhtorique incantatoire. Elle dissimule, par le biais d'une nonciation
trouble, faite d'opacit et de duplicit que rvlent son indtermination, la bonhommie
de son accent et l'immixtion dans l'intimit du malade, un jugement moral, des relents
d'ostracisme, des menaces voiles d'exclusion et la recherche d'un bouc-missaire. De
ce fait, le rapport postmoderne avec la fiction de la maladie s'effectue en ce que le texte
romanesque se construit rebours, ruinant l'extrme sa progression, sa cohrence et son
sens par un systme correspondant celui que Jacques Derrida dsigne comme le pathos
856
mtaphysique ou romantique de la ngativit . Celui-l qui tend dessaisir l'nonciation
de la rception en brouillant, par exemple, les codes d'metteur et de destinataire :
(), un matin, Hoscar Hana Junior vit dbarquer chez lui des foules de mdecins,
d'infirmiers, d'aides-soignantes et autres nergumnes de la gent mdicale, suant
des seaux, rouges de colre et de haine, bavant () sur la progniture maudite
du dmon (). Tous prirent la dcision de se mettre en grve illimite, tous
854
855
144
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
ces hommes et toutes ses femmes qui s'taient jur de reconqurir la maladie :
on arrterait de bouffer, de bosser, de baiser et d'en baver jusqu' ce que mort
s'ensuive, la mort de Hoscar Hana Junior, mordu comme son dgringol de
pre par la fivre cervicale qui tuait les allums de Costa-Muente. - La peste le
858
terrasse! hurlait Pango Nola, le dentiste-maire de Tombalbaye.
De fait, convoquer la bave moins en tant que mtaphore animale que parole dclasse du
malade, c'est introduire, dans le rcit et la narration de la maladie que tente de rinventer
la rumeur, une potique barbare. Le sens postmoderne de cette dernire uvre contre la
859
dsinscription, exerce par non-dit, du primitif rsiduel, mais constitutif de la condition
humaine en ce que l'animalit reste un horizon de l'homme, celui de sa perte, de sa fuite
860
hors de lui-mme . Si la dynamique narrative et postmoderne de l'criture de la maladie
861
renvoie une logique d' ensauvagement , Romuald Fonkoua semble en convenir
quand, au dtours d'une analyse comparative et intertextuelle, il constate :
En effet, Sony Labou Tansi semble se trouver dans cet tat dont parlait un
autre crivain clbre disparu des suites de la mme maladie, Herv Guibert,
qui pensait : Le sida n'est pas vraiment une maladie [] c'est un tat de
faiblesse et d'abandon qui ouvre la cage de la bte qu'on avait en soi, qui je
suis contraint de donner les pleins pouvoirs pour qu'elle me dvore, qui je
laisse faire sur mon corps ce qu'elle s'apprtait faire sur mon cadavre pour le
dsintgrer. (Guibert, 1990) Le roman est le rcit d'une dsintgration du moi,
862
du mot, de la littrature .
Ce qu'il appelle dsintgration ,n'est pas moins synonyme, selon Xavier Garnier,
d' clatement : deux termes qui, dans la taxinomie postmoderne, renvoient sinon une
crativit du moins une positivit. De sorte que la rumeur est crative, elle est dote
d'une puissance de fabulation exceptionnelle, capable de transfigurer ce dont il s'empare
863
. Elle agit, dans l'criture de la maladie, chez Rachid Boudjedra et chez Sony Labou
864
Tansi, suivant l'analyse de Jacques Derrida dans La pharmacie de Platon , d'une part,
en poison quand elle veut annihiler la difficult de traiter la mort rattache au sida
selon des modles de signifiants traditionnels . D'autre part, elle y remdie ( la remde )
en les substituant par des signifiants contemporains, de mme quune lecture du postmodernisme [en] interprte lusage (...) comme le dsir de se rattacher (...) tout en avouant
865
son loignement .
858
859
Lestel Dominique, L'animalit. Essai sur le statut de l'humain, Paris, Hatier, 1996, p. 43.
Maffesoli Michel, La part du diable. Prcis de subversion postmoderne, Paris, Flammarion, 2002.
Fonkoua Romuald, Mal de mots, mots du mal : Sony Labou Tansi et la maladie , in Diop Papa Samba et Garnier
Xavier (sous la direction de), Sony Labou Tansi l'uvre : actes du colloque international organis par les universits
Paris 12 et Paris 13, 15 et 16 mars 2007, Paris, L'Harmattan, 2007, p. 268.
863
864
865
Universitaires de Lyon, Coll. CREA (Centre de Recherches et dtudes Anthropologiques, 1994, p. 91.
145
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
La thrapie systmique (...) est une suite d'histoires que les membres de diverses
communauts (...) se racontent mutuellement. Selon notre interprtation de
866
cette rumeur, la thrapie (...) est un travail mlant jeux de langage , relations
politiques et questions thiques. (...), nous racontons une histoire qui relie la
thrapie (...) la philosophie du langage (...) et certains aspects de la pense
sociale postmoderne. (...) la thrapie centre sur les solutions [en tant que
867
rumeur] constitue une politique de possibilits.
En dfinitive, la postmodernit des critures romanesques respectives de Rachid Boudjedra
et de Sony Labou Tansi, rend fconde la reprsentation du trauma de la maladie. Elle
met en scne, d'abord, une esthtique s'inspirant, principalement, de la crise, dans son
acception maladive et mdicale. Aussi les dysfonctionnements physiques et psychiques
qu'elle aiguise, tout comme la brivet, l'imprvisibilit et la fulgurance des douleurs qu'elle
cristallise, induisent-ils une rflexivit de l'conomie narrative, simulacre des manifestations
cliniques de la crise. En effet, celle-ci se dguise en une esthtique forcene, ou
une potique en souffrance : la fragmentation du rcit renvoie sa dliquescence, et
l'utilisation abusive d'une terminologie mdicale rvle une boulimie smantique. Quand
la logique arbitraire de la ponctuation, le systme quasi psychotique de la rptition et
des anaphores, le surmenage ou l'insuffisance nonciatifs causs, respectivement, par la
phrase interminable et la phrase substantive, les procds de gradation et les ruptures
d'anacoluthe, transposent le malaise au niveau de la syntaxe. Par consquent, l'enjeu
esthtique de la crise rside, paradoxalement, dans la sant potique et narrative qu'elle
affiche. Parce que ce qui apparait comme un moment de naufrage gnralis , se rvle,
868
en fin de compte, en tant que passage . C'est--dire possibilits langagires o
l'horizon ouvert des signifis largit en permanence l'armure et le cercle dj vertueux des
signifiants. Ensuite, promptes, d'une part, diffrencier et diversifier, au-del d'une criture
testimoniale ou doloriste, l'expression littraire de la maladie, en singulariser les parcours
et en renouveler les sens, et d'autre part, circonspectes l'gard de l'absolutisme des
schmas narratifs hrits du roman moderne, la fiction africaine de la maladie, s'oriente
vers ce que nous avons appel une forme-sens. Elle pose une Condition postmoderne
866
Le concept de jeux de langage , est couramment convoqu par les promoteurs de la thorie postmoderne,
notamment par J-F. Lyotard. Mais, il est l'uvre de Wittgenstein Ludwig, Cahier Bleu, in Le cahier bleu et le cahier brun,
trad. Marc Goldberg et Jrme Sackur, Paris, Gallimard, 1996, p. 56 : Ce sont des manires d'utiliser des signes plus
simples que celles dont nous utilisons les signes dans notre langage quotidien. (...). L'tude des jeux de langage est
l'tude de formes primitives du langage, ou de langages primitifs.
867
Miller Gale et Shazer Steve de, Traduit par Cabi Marie-Christine, Avez-vous entendu la dernire propos de ...? La
thrapie brve centre sur les solutions en tant que rumeur , in Thrapie Familiale, Genve, Numro 3, Volume 22, 2001,
p. 289.
868
Melone Thomas, La critique littraire et les problmes de langage : le point de vue d'un africain , in Prsence Africaine n 73,
1970, p. 7. Il crit, voquant notamment le rapport entre exprience humaine (la maladie en est une) et langage : Et ce passage
de la parole primordiale au langage informateur, et de celui-ci au systme signifiant [...] travers l'paisseur allusive du livre est un
moment de naufrage gnralis.
146
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
ds lors que, sous le rgime de l'idosme , elle inscrit Le principe d'incertitude dans
une perspective de tension narrative active. De sorte que les aspects improbables et
irrguliers, relevs aux niveaux structurel et syntaxique, rejouent ce que les doutes, les
peurs et les risques de la maladie exhalent dans la smantique de l'incertitude. Enfin,
si la maladie, dans les romans respectifs de Rachid Boudjedra et de Sony Labou Tansi,
participe d'une criture de violence et d'une violence de l'criture, le dpassement de la
souffrance qui lui demeure inhrente, s'labore travers un clatement du sens. Celui-ci,
inlassablement, s'inscrit dans un langage romanesque s'apparentant au pharmakon .
Non sans, au pralable,s'laborer travers un dire oblique quiporte le signe du secret,
la marque du silence et les stigmates de la rumeur. De sorte que la maladie postule une
criture du diffrent/diffrend.
Exemple typique de cette criture du diffrent/diffrend, la reconduction d'un genre
romanesque et d'un registre narratif, en l'occurrence le fantastique, serpent de mer ressorti
chaque cycle de crise de la reprsentation, inscrit davantage le roman africain francophone
dans l'hypothse postmoderne.
Chikhi Beda, Avant-propos : O apparat un fantastico sduisant et subtil , in Schnabel William (sous la direction de), Le
fantastique francophone, IRIS / Les Cahiers du Gerf, Centre de Recherche sur lImaginaire, Universit de Grenoble 3, Hiver-t 2004,
numro 26, pp. 5-6.
870
Koucha Ralima, Le fantastique francophone et les genres apparents dans les cultures francophones , in Le fantastique
Jouanny Robert, Singularits francophones : Ou choisir dcrire en franais, Paris, Presses Universitaires de France, 2000, p. 6. Il
parle dun rapport la littrature qui sinscrit dans une dmarche plus individuelle que collective, indpendante ou moins dpendante
des contraintes de la tradition et de lhistoire .
872
147
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
de domination et de violence et, d'autre part, de ce que Grard Bouchard appelle le clivage
873
culture savante/culture populaire , dsigne, par euphmisme, dilemme, tension, voire
opposition. Par consquent, le fantastique francophone africain recouvre une origine et une
composition sinon plus largies du moins davantage complexes. Qu' cela ne tienne, la
critique sceptique de Marcel Proust, quoique, antrieure et extrieure au dbat, mais non
moins instructif, lorsqu'il les qualifie, parlant des mthodes scolaires d Introduction la
littrature fantastique en gnral et du dialogue des morts en particulier, de devoirs
874
ridicules [qui] ne sont plus en honneur que dans certaines coles de jeunes filles , ne
relativise-t-elle pas l'analyse de limaginaire et de la crativit fantastiques dune uvre, d'un
auteur et/ou d'un espace littraire, laune dune prgnance scolaire ? Si on apprhende
le fantastique francophone africain en tant que Fils du fantastique franais, ne faut-il pas,
par ailleurs, ne pas faire limpasse sur les thories du diffrent/diffrend qui soutiennent
une perspective de crise salutaire ?Celle-cin'est-elle pas conscutive au croisement
dans ce que le second puise commeSouffles conservateurs dans sa culture populaire
locale, quand dans le premier, l'enseignement d'un genre inclut la mise en pratique d'une
assimilation (Jules Ferry ne s'en dfendait pas du reste) ? Les critures autobiographiques
ou auto fictives d'crivains maghrbins, ngro-africains et antillais, ne dmontrent-elles
875
pas suffisamment que la scolarit en pays domin
ne relevait pas forcment dune
876
exprience de Gai savoir , favorable lclosion de lesprit fantastique chez les coliers
des colonies franaises ? Certes, les crivains issus du Maghreb et de lAfrique noire, ainsi
que de nombreux auteurs francophones () ont bnfici de cette ducation rendant
877
lapprentissage de la langue franaise obligatoire . Mais on saperoit que la rception
du fantastique, dans l'espace culturel et littraire africain, ne repose pas, exclusivement,
sur une assimilation d'uvres majeures. Les enjeux de lcriture fantastique se situent bien
878
au-del des rminiscences scolaires et juvniles dune conscience dtache , peuttre htivement, dun champ du pathos social dont elle partage, nonobstant, le malaise et la
violence. Or, ces dernires caractristiques dfinissent, galement, la postmodernit en tant
qu'une esthtique littraire. Esthtique qui, selon Michel Lord, pervertit et renouvelle les
formes de la tradition pour dire un monde de plus en plus troublant, mouvant et incertain
879
. Aussi revtent-elles, dans le roman africain francophone, l'uniforme dufantastique en ce
880
qu'elles dsignent une littrature du doute, une littrature de raction, dopposition ,
881
une littrature des temps de crise . En somme, une littrature () qui nest que la
873
Bouchard Grard, Littrature et culture nationale du Qubec : le clivage culture savante/culture populaire, Porto, Maria Bernadette
Proust Marcel, Essais et articles, Paris, Gallimard, Coll. Bibliothque de la Pliade , 1971, p. 581.
Chamoiseau Patrick, crire en pays domin, Paris,Gallimard, 1979.
Sans tre excessif, nous pouvons lire le diffrend/diffrent du fantastique africain et francophone par rapport au fantastique
franais en tant quil procde dune dconstruction nietzschenne : Qui nous a donn lponge pour effacer lunivers tout entier ?
lanait comme un dfi linsens du Gai savoir. Le fantastique francophone, maghrbin et ngro-africain notamment, peut sadresser
ainsi au fantastique franais: Qui nous a donn la langue franaise pour dire la domination ?
877
878
879
Le fantastique francophone et les genres apparents dans les cultures francophones , op. cit., p. 67.
Vax Louis, La Sduction de ltrange, Paris, PUF, 2me dition, 1987, p. 160.
Cit par Grossman Simone, Postmodernisme dans le fantastique qubcois, in Quebec Studies. FindArticles.com. 27 Aug,
2009. http://findarticles.com/p/articles/mi_7023/is_30/ai_n28817937/
880
881
Castex Pierre-Georges, Le conte fantastique en France de Nodier Maupassant, Paris, Librairie Jos Corti, 1951, p. 7.
Ibid., p. 6.
148
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
882
mauvaise conscience
de son sicle. Ce que Simone Grossman, citant par ailleurs un
collge de critiques, rsume ainsi :
3-14.
884
885
cit., p. 141.
886
Ricur Paul, Le temps racont , in Temps et rcit III, Paris, Le Seuil, 1985, p. 355 et p. 443 Il dfinit ainsi ce concept : c'est
l'assignation un individu ou une communaut d'une identit spcifique que l'on peut appeler leur identit narrative. (). A la
diffrence de l'identit abstraite du mme, l'identit narrative, constitutive de l'ipsit, peut inclure le changement, la mutabilit, dans
la cohsion d'une vie. Le sujet apparat alors comme constitu la fois comme lecteur et comme scripteur de sa vie selon le vu
de M. Proust .
887
888
document1227.php , publi le 22 avril 2009. Il y voque brivement le rapport que l'espace maternel entretient avec l'Histoire,
aprs avoir pens, que l'un tait extrieur l'autre.
889
Certeau Michel de, L'invention du quotidien. Arts de faire, Paris, Gallimard (1980), coll. Folio , 1990, p. 270 : Le grand
silence des choses est mu en son contraire (). Hier constitu en secret, le rel dsormais bavarde. (). Jamais histoire na autant
parl ni autant montr.
149
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
la narration de l'intime, sous forme de micros rcits dissmins, tente de reconstituer les
puzzles de sa propre histoire. Une histoire individuelle faite de chaire, de sang, de larmes
mais aussi de mots qui ne sont pas sans lien avec les maux de l'Histoire : il propose une
historicit littraire .
dition imprim, Archives Juin 1997, p. 9. Faisant allusion la dite place, l'auteur espagnol crit notamment : Les halcas continuent
de prosprer, de nouveaux talents se rvlent, et un public toujours friand d'histoires fait cercle (...). A la lueur des lampes ptrole,
j'ai cru remarquer la prsence de Rabelais (...).
150
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Il prenait un malin plaisir lire les vnements politiques comme s'il s'agissait
de littrature fantastique o tout est faux, fauss bon escient, rien que pour
mouvoir le lecteur et l'obliger un jeu de constructions imaginaires o il se
sentirait coinc entre l'invraisemblable et l'incroyable. Les vnements rapports
taient si largement dpasss et si dpourvus de sens, qu'il arrivait frquemment
que les auditeurs s'esclaffent la lecture (...) et pleurent chaudes larmes (...).
Certaines sances de lecture se transformaient en vritable chahut, salutaire et
902
stimulant ou en un vritable dfoulement (...), grce et selon la verve de S. N. P.
Peu peu, Manama reprit sa vie normale. Les oiseleurs honntes ressortirent
leurs cages et les accrochrent, de nouveau, aux arbres de l'esplanade remise
sa place aprs le dpart des illusionnistes de l'image et du son. De mme que les
ruelles, converties pendant plusieurs mois en confluent charriant des alluvions et
des argiles, et les artres changes en paradis du parpaing et du carton fortifi.
Un peu plus tard et plus timidement, les parieurs firent leurs premiers pas
l'extrieur de chez eux, mais ne ramenrent que cette race de bliers dnomme
encore aujourd'hui et dans le monde entier, espce S. N. P., depuis ce jour o
Mohamed avait crois les ovins du Gouverneur imports d'Australie avec des
903
chvres natives de Manama.
Elle raconta. Il tait une fois, deux dynasties
qui se disputaient le pouvoir. (...). Ils trahirent trs vite leurs principes et leurs
promesses au peuple. Il fallait une diversion. A eux : les palais. Les belles
esclaves. La lune et le soleil. Les petits jeunes hommes imports de Scandinavie.
Au peuple : le rve. Ainsi, les Mille et Une Nuits. Certes, crites par le peuple,
mais pas entirement. (...). Leurs crivains y allaient de leurs arrangements. Le
904
conte fut rcupr. Le merveilleux jouait le rle de chloroforme.
D'un point de vue esthtique,Rachid Boudjedra, sanstrahir l'esprit des Contes, en livre
un aspect contemporain. En effet, il textualise le chiffre mythique (1001) et le fait driver
vers une potique ftichiste du nombre (par exemple les dclinaisons du nombre 1000 et
l'utilisation obsessionnelle du nombre 19 : [...] chaque 19 du mois [...] , [...] ces dixneuf horloges [...], [...]mourir dix-neuf ans [...], [...] dcder dix-neuf heures [...]
905
). Alors que le temps nocturne suspendu (nuits) est systmatis par un effet narratif
d'assombrissement contribuant la prsence permanente du mystre :
Mauron Charles, Des mtaphores obsdantes au mythe personnel, Paris, Jos Corti, 1963.
902
903
904
905
906
151
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
In fine, ces deux modalits nonciatives qui, par une focalisation insistante quoique
fragmente, vampirisent progressivement l'espace digtique dans Les 1001 annes de la
nostalgie, participent d'une rcriture. Mais, sur le plan thmatique, merge une trahison de
la lettrequi, partir d'un simulacre, renverse la rception des Contes. Dsormais, ils sont
perus, d'une part, comme opium du peuple . D'autre part, ils dsignent l'imposture et la
forfaiture combines d'une lite, d'une phallocratie et d'une thocratie :
908
Ibid., p. 264.
909
910
Lorrain Jean, Les trous du masque , in La grande anthologie fantastique, vol. 1, ditions Omnibus, 1996, p. 348.
Raymond Gilles, Le folklore de la peur dans luvre de Claude Seignolle, Universit Libre de Bruxelles, 1974, p.33.
152
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Nous tremblions tous de voir venir la fin comme un jeu. Fartamio Andra do
Ngulo Ndalo rvla que la terre criait Valencia pour marquer les vnements :
(...). Elle avait cri la naissance du monstre (...). Le monstre avait sept ttes
couronnes d'une crte en laiton, douze bras de longueur excentrique, une jambe
en forme de colonne, strie, termine par une sorte de patte d'lphant, treize
dfenses fortement poilues et denteles, avec treize orifices dont quatre en forme
de trompe, termins par une manire de parapluie en calcaire compact, et qui se
911
cassaient comme des serpents de verre quand on les touchait.
Cette dynamique de fiction artificielle s'organise autour d'un hypotexte inscrivant le
ralisme magique de Gabriel Garcia Marquez en tant que structure profonde . Ladite
912
structure rgit, en partie, le fantstico dont le ressourcement
, c'est--dire
le point de convergence, rside dans l'inscription des mythes traditionnels fondateurs et/
ou bibliques. C'est ce qu'crivent Mohammed-Salah Zeliche et Daniel-Henri Pageaux,
respectivement, propos des uvres de Rachid Boudjedra et de Sony Labou Tansi :
La lecture de Cent ans de solitude et de Les 1001 annes de la nostalgie, pardel les titres suggestifs, par-del l'identique atmosphre de magie qui mane
des deux textes (mme si les visions du monde, les positions idologiques,
l'art d'crire et les structures sociales des champs culturels respectifs diffrent)
913
rvle une parent.
() le regrett romancier congolais Sony Labou Tansi ()
fait uvre prophtique et uvre de fondation pour tous ses frres africains.
Il dit avec dmesure l'histoire drgle du continent, il emprunte aux mythes, la
914
fable biblique et au modle de Garcia Marquez ().
Aussi le fantastique du roman francophone africain reprend-il une structure architecturale/
915
architextuelle
. Son inscription postmoderne engendre (...) la mise en place d'une
mosaque htrogne et complexe, dont le critre de base est le respect de l'me
916
diffrencialiste
des influences multiples qui le composent. Autrement dit, le fantastique
franais qui certes, nourrit le texte africain francophone ne peut incarner pour ce
dernier un modle indpassable . Notion qui marque, indubitablement, une opposition
ds lors qu'elle se confronte celle de la postmodernit littraire. Celle-ci, en effet,
s'adapte la multiplicit, au mlange et la complexit des sources, des thmes, des
modes et autres formes narratifs du fantastique francophone africain. Pour ce faire, elle
911
912
913
Zeliche Mohammed-Salah, L'criture de Rachid Boudjedra : pot(h)ique des deux rives, op. cit., pp. 185-186.
914
Pageaux Daniel-Henri, (essais runis, annots et prfacs par) Habchi Sobhi, Littratures et cultures en dialogue,
Nous reprenons ici le concept d architextualit dvelopp par Grard Genette. Mais nous le situons dans une esthtique
postmoderne dans le sens o celle-ci procde, au commencement, de l'architecture. Marc Gontard utilise la mme terminologie quand
il parle de tuilage dans : Le postmodernisme en France : dfinition, critres, priodisation , op. cit., p. 294.
916
Boisvert Yves, Le monde postmoderne : analyse du discours sur la postmodernit, Paris, L'Harmattan, 1996, p. 136.
153
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Certains jours, l'horreur me glaait. Je vomissais alors toute ma bile verte puis
toute ma bile bleue. Puis, lorsque je n'avais plus rien vomir, j'avais le hoquet
et une stridence infernale dans la tte. Je ne dormais plus. Hallucinations! Je
croyais voir entrer dans la salle, lugubrement claire par une petite lampe bleue,
l'picier assassin qui portait sa tte sous le bras (...). L'ombre s'paississait
alors peu peu et m'engloutissait en son sein. Je perdais rellement conscience
920
et chutais dans un puits sans fond.
Si l'inscription du dlire permet d'tablir un lien entre roman fantastique et postmodernit,
elle autorise, par ailleurs, la possibilit d'une lecture intertextuelle. Celle-ci dtient, en autres
mrites, celui, d'une part, d'lever le niveau du dbat sur l'influence du fantastique franais
sur le fantastique francophone africain autrement que par l'apologie de l'cole de Jules Ferry.
Cette dernire, pour tre une exprience salutaire, ne s'inscrivait pas moins, cependant,
dans un contexte historique et un systme politique dont la violence, d'aprs Frantz Fanon,
produit une nvrose jusque dans l'imaginaire. D'autre part, une seconde captation fconde
de l'hritage fantastique franais consiste, dans le roman francophone africain, associer
au motif du dlire, celui de l'amnsie. Les deux motifs contribuent, ensemble, dans un
sens, sur-dterminer le jeu du mystre non lucid. Dans un autre sens, ils maintiennent
l'attention du lecteur autour d'un dnouement diffr par un suspens. En effet, tout se
passe comme si, afin de rsorber les trous d'incomprhension et de manque, l'origine
de l'criture fantastique, la digse se dguisait en pseudo recherche journalistique et/ou
en enqute policire. Pour cas de Liaisons dangereuses, voire impures, que reprsente,
pour le roman fantastique francophone, l'inclination grandissante vers un modus operandi
associ la paralittrature (roman d'enqute, roman policier et/ou roman d'espionnage),
une telle inflexion marque une caractristique assimile la postmodernit littraire. Selon
917
Semujanga Josias, De l'africanit la transculturalit : lments d'une critique littraire dpolitise du roman , in
Paterson Janet, Moments postmodernes dans le roman qubcois, Presses Universitaires dOttawa, 1993.
Introduction la littrature fantastique, op. cit., p. 29 : Le fantastique, c'est l'hsitation prouve par un tre qui ne connait que
154
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Guy Scarpetta, cette opration postmoderne consiste imaginer une structure apparente
921
(formelle ou thmatique) double d'une composition secrte, ramifie, microscopique
:
Il prenait plaisir lire les vnements (...) comme s'il s'agissait de littrature
fantastique o tout est faux, fauss bon escient, rien que pour mouvoir le
lecteur et l'obliger un jeu de constructions imaginaires o il se sentirait coinc
925
entre l'invraisemblable et l'incroyable.
Avec tout le fantastique fabuleux qu'elle
drainait dans ses os et tout le baroque merveilleux qu'elle vhiculait travers son
imaginaire, dchan et sismique, dont l'extravagance, il l'avait cru, allait venir
926
bout de la mort (...).
Toutes nos histoires et nos racontars tentent de nous
sortir de la gographie trace par cette ralit moribonde o nous enferment
le dnuement matriel et la dvirginisation de notre conscience. La misre
spirituelle est la plus bte de toutes les misres. C'est pour lutter contre elle que
927
nous nous vertuons inventer l'inflation des langages.
Finalement, l'interrogation adresse l'criture, la littrature en gnral et au roman en
particulier, trouve une rponse contenue dans ce que Marcel Proust dsigne comme la
921
922
923
924
Mac Hale Brian, Postmodernist Fiction, New-York and London, Routledge, 1987, p. 124 : mise en abyme is one of the most
potent devices in the postmodernist repertoire for foregrounding the ontological dimension of recursive structures.
925
926
927
155
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
928
langue trangre
de lcrivain. Celle qui renvoie une mtaphore du style propre
chaque auteur, ainsi mise, la fois, en reprsentation et en thorisation dans l'conomie
narrative du fantastique francophone africain :
On tait loin des Mille et Une Nuits qui n'avaient pas os mettre en scne un
traumaturge capable d'arrter la pluie ! Le chantre se surpassa. Il tait n
agitateur (...) et son verbe tranchant contraignit au silence tous les rimeurs de
cour et les plumitifs de l'ennui. Il cartela la langue, la dfona, la peignit de mille
couleurs, la fit dborder de son lit dormant et lui insuffla le sens de la dmence et
929
de la dmesure.
Ainsi, la postmodernit francophone du fantastique travers, notamment, les uvres
littraires respectives de Rachid Boudjedra et de Sony Labou Tansi, se structure selon le
modle de l' architexture romanesque. Autour de laquelle se noue une tension, ds lors
que la digse tente d'harmoniser des sources et des influences narratives htrognes.
D'o l'artifice d'une mise en abme qui, par rflexion et rflexivit, permet de dpasser la
crise et de questionner la praxis littraire et fantastique dans son rapport avec La condition
postmoderne. Partie intgrante de ce rapport au fantastique, on souponnerait, presque, la
reprsentation de l'identit en tant qu'elle participe d'une stratgie narrative postmoderne.
Proust Marcel, Contre Sainte-Beuve, Paris, Gallimard, coll. Bibliothque de la Pliade , 1971, p. 299.
929
930
Bokiba Andr-Patient, criture et identit dans la littrature africaine, Paris, L'Harmattan, 1998, p. 209.
931
Ibid., p. 209.
932
156
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
L'homme avait un demi-mtre toute noire. Son crne, ras tel un uf, laissait voir
en son milieu un lot de poils drus, rouge piment, qui lui descendaient derrire
l'occiput comme une queue de cheval et se terminaient par un trousseau de
cauris multicolores. Un front lourd. Un nez immonde, qui paraissait appeler l'air
environnant. Des yeux qui lchaient un clat de mtal bless, au-dessus desquels
933
broussaillaient des sourcils rouges.
Qui se rappelait l'poque o le colonel,
comme un marmot de sept ans, avait pleur la mort de Namsir, une souris grise
que lui avaient donne les Libanais de la Casa Andra en guise de talisman ?
Presque personne. La souris jouissait des services d'un mdecin et d'une garde
spciale. Elle avait son matre d'htel, ses habilleuses, son prof de gym, ses
934
professeurs de philo et de sciences.
cette dynamique fantastique, s'ajoute un aspect postmoderne qui envisage l'identit
935
partir d'une exterritorialit, d'une extranit au monde
humain. La dfiguration
supprime une partie du corps, vide partir duquel s'loigne une identit initiale, cependant
qu'une seconde nait hic et nunc :
Mais personne ne sut jamais dire de manire catgorique si la bte tait morte
ou vivante. (...). On parlait de trois choses sur toute la Cte et mme NsangaNorda : de Sarngata Nola (...); du poisson la tte de mort qui prenait de plus en
plus de place dans la vie des gens cause des soixante et onze mille personnes
qui le visitaient quotidiennement (ce chiffre passait au double le samedi et le
936
dimanche); d'Estina Bronzario (...).
Quant la pratique de l'hybridation, elle produit un espace thmatique sur lequel s'insre
le motif fantastique de la mtamorphose qui perptue la dimension mythique. Sur un plan
esthtique, elle incarne un modle postmoderne qui, par son lasticit, sa mutabilit et son
instabilit, ractualise la reprsentation du barbare nouveau selon des besoins et des
finalits dystopiques :
C'tait un monstre ail d'au moins vingt mtres de long, qui devait peser quelque
trois tonnes. Sur son cuir recouvert d'cailles, de plumes et de cheveux luisaient
les sept couleurs de l'arc-en-ciel. Les yeux mettaient un faisceau sonoris qui
rappelait les feux du grand cimetire de Nsanga-Norda. Nous ne pouvions dire
si nous avions affaire un serpent ou bien un poisson. Vers onze heures, des
933
934
Ibid., p. 37.
935
936
157
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Tansi Sony Labou, Entretien avec Maryse Cond , cit par Bokiba Andr-Patient, criture et identit dans la
158
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Nous tions guetts par les prdictions du parvis des frontoglyphes. Quatre
d'entre elles s'taient dj accomplies en l'espace d'une gnration : Estina
Bronzario avait t charcut comme annonc; la falaise de Houanga avait cri
trois fois; les fleuves avaient opr une volte-face aux temps de la rafale; le
colosse avait couru ses tours autour de la ville de Hosanna. Les oracles s'taient
tous accomplis sans bavure suivant la cadence d'un cataclysme tous les cinq
943
ans.
D'autre part, comme terminus a quo, cette qute participe de ce que Gilbert Durand appelle
944
un fantastique transcendantale , scnographie qui, travers ses accents magiques et
merveilleux, fonctionne comme travestissement. Celui-ci se lit comme lieu narratif derrire
lequel pointe une invention du quotidien susceptible sinon de dpasser du moins de
supporter un destin tragique. Car, comme crit Michel Maffesoli :
La duplicit qui ruse avec le systme, qui se raconte de belles histoires, qui
raconte de belles histoires, qui se dbrouille (...), qui est fascine par la fiction
(...) ou le spectaculaire sous toutes formes, mme si elle est de pacotille, cette
duplicit est un des facteurs essentiels de la cration d'un espace et d'un temps
945
fantastiques de notre vie quotidienne.
Par consquent, cette criture fantastique, qui ressemble si bien une Sduction de
946
l'trange, pntre l'intrieur de la vie
relle par le truchement d'un univers
dantesque. Univers dont les descriptions apocalyptiques du relief, du climat, de la vgtation
et du bestiaire plongent en faisceaux dans une vision d'analogie et d'insistance o demeure
omniprsente la mtaphore. Du reste, c'est par l'rection de cette dernire en systme
rcursif que s'value son efficacit en tant que dpassement du tragique. Car, d'abord, la
947
rptition [est] participation . Elle est, ensuite, une autre manire de dire ce vouloir948
vivre ttu (...) malgr les crises (...) . Enfin, conclut l'auteur de La conqute du prsent :
Maffesoli Michel, La rptition et le tragique. , in La conqute du prsent, in Aprs la modernit ?, op. cit., p. 791.
159
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Morin Edgard, Le cinma ou l'homme imaginaire, Paris, ditions de Minuit, 1966, p. 65 o il explique que le succs du [cinma]
fantastique rside, galement, entre autres, dans une duperie en ce sens que Le temps [y] est littralement truqu par ce que l'on
nomme acclr et ralenti.
953
954
955
956
957
160
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
mme temps, elle correspond une stratgie narrative qui dterritorialise Les Contes pour
prvenir de la stigmatisation de son lieu commun. Cependant que son approche ironique
958
en dconstruit l'Orientalisme
:
Manama, c'tait clair, les gens avaient dress jusqu'aux oiseaux pour djouer
les piges de la nostalgie, de la concupiscence et de l'engluement, parce que
le dsert n'est pas ce chemin occulte et hallucin dont parlent les voyageurs
stupides, mais un lieu o la lumire de l'atmosphre et les trsors du sous-sol
959
rendent les gens fous au bout du deuxime mirage.
Ainsi, en excdant les lois de la description et de la mise en scne romanesques, d'une
part, par les motifs de dfiguration et d'hybridation des figures narratives et, d'autre part, par
le biais d'un espace-temps in fabula, cumulativement, allgorie, simulacre et dpassement
d'un quotidien tragique, les romans respectifs de Rachid Boudjedra et de Sony Labou Tansi
dclinent une identit narrative . Cette dernire,solidaire d'un retour une littrarit
ancre dans la digse, met en perspective un fantastique postmoderne moins dbord
960
par les rfrences Tribaliques
d'une notion. Celle de l'identit, qui taraude, depuis
son avnement, le roman francophone africain. Le fantastique francophone, africain et
postmoderne, interrompt l'homologie structurale entre l'uvre et la socit ds lors qu'il
tourne le dos une vision prexistante dans le groupe , et au contraire, [il] propose au
961
public quelque chose que celui-ci ignorait auparavant .
S'inscrit dans la mme perspective, une certaine lecture de l'Histoire dont la
reprsentation s'avance masque dans l'conomie narrative du fantastique francophone,
africain et postmoderne.
Said Edward B, Lorientalisme.LOrient cr par lOccident (1978), prface de Tzvetan Todorov, traduit de lamricain par Catherine
Malamoud, Paris, Le Seuil, 1980, p. 15 : L'orientalisme est un style occidental de domination, de restructuration et d'autorit sur
l'Orient. Pour Mouralis Bernard, Orientalisme et africanisme : rflexions sur deux objets , in Diop Papa Samba et Lsebrink HansJrgen (tudes runies par), Littratures et socits africaines. Regards comparatistes et perspectives interculturelles. Mlanges
offerts Janos Riesz l'occasion de son soixantime anniversaire, Tbingen, Narr, 2001, p. 26, le pendant ngro-africain et maghrbin
de cet orientalisme existe et touche la question de l'imaginaire notamment.
959
960
961
Ibid., p.374.
Lops Henri, Tribaliques (Nouvelles), Yaound, ditions CLE, 1971.
Mouralis Bernard, Individu et collectivit dans le roman ngro-africain d'expression franaise, Abidjan, Annales de l'Universit
Douzou Catherine, Enqute d'Histoire (s), en qute de soi : Modiano, Del Castillo et Daeninckx , in Vers une
cartographie du roman franais contemporain, in Cahier du CERACC, n 1, mai 2002, pp. 45-55. Version numrique :
http://
www.ecritures.modernite.cnrs.fr/roman_cahiers1.html#.douzou
161
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
digtique, en tant qu'une rflexivit relative l'laboration esthtique d'une fiction. Ce qui
fait dire Catherine Douzou :
Le roman peut imaginer, faire de la fiction pour combler les lacunes dues au
temps, l'oubli, l'extermination, tout en restant dans un esprit de vrit, dans
une fidlit aux disparus et leur vie (...). Mais ce travail de mise en fiction pose
des problmes moraux et esthtiques qu['on] tente de rsoudre en adoptant une
certaine forme littraire (...). C'est une littrature qui redfinit le littraire partir
d'un modle [fantastique], donc qui gomme la distance entre le rel et la fiction,
et qui refuse une littrature romanesque traditionnelle, incapable de dire cette
exprience inoue, et d'en parler vraiment avec des codes dsormais dpasss.
Le ralisme est impuissant exprimer cette histoire. Reste la reprsentation
allgorique, indirecte, fragmentaire d'une exprience vcue que le lecteur est
appel dchiffrer dans des rcits d'nigmes o tout est trace et indice d'autre
chose, o tout est dplacement dans la reprsentation. L'Histoire n'existe plus,
963
subsistent des traces qui l'voquent encore.
vocation qui s'effectue notamment sous le couvert d'une narration de l'intime, par
l'intermdiaire d'une figure fminine et selon une stratgie textuelle (...) surtout motiv[e]
964
par la fiction elle-mme .
Il s'agit, pour Roland Barthes, en crivant que la femme commence l o finit l'Histoire
, de stigmatiser les insuffisances, voire l'aporie d'une stratgie narrative domine par un
ralisme historique affichant une tendance misogyne. Le mme constat peut tre fait dans
le roman africain francophone o la portion congrue dvolue la figure fminine, dans les
966
instances du rcit , s'entend en phnomne de rsonance
avec l'exclusion dont
967
elle fait souvent les frais dans la socit. Or, la fin de La structure absente
signifiant un
videdans le rcit de sa propre histoire et le Grand Rcit de l'Histoire, dbute dans une suite
de micros narrations intimes et dans une approche fminine et/oumaternellequien rvlent
968
969
la survivance postmoderne . Quand l'nonciation et la tonalit allgoriques
en annoncent la chronique fantastique. Toutes deux semblent postuler, par ailleurs, que
l'irrversibilit du rapport l'Histoire de la figure fminine, participe d'un processus narratif
incontournable. Cest quimplicitement, la dsillusion rfrentielle de sa condition, ractive
965
963
964
Ibid.
Tenaguillo y Cortzar Amancio, Dispositifs de rflexions postmodernes : l'criture et le visible dans Lac de Jean Echenoz , in
Roberts Adam, Fredric Jameson, Routledge, Londres, 2000. Il prte Fredric Jameson, figure ponyme laquelle est
consacr lessai, les propos qui suivent : Toute uvre du tiers-monde est allgorique. , p. 151.
162
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
970
, donc
Gaillard Chrif Sarra, Le retour du rcit dans les annes 1980. Oralit, jeu hypertextuel et expression de l'identit chez T.
Ben Jelloun, R. Mimouni, F. Mellah, V. Khoury-Ghata et A. Cossery, Thse de doctorat, sous la direction de Bonn Charles, Universit
Paris-Nord Villetaneuse, Centre d'tudes Littraires Francophones et Compares, octobre 1993, p. 192.
971
972
973
974
975
976
977
978
979
163
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Soudain, dans le silence absolu, elle se met claquer des bretelles. Le bruit
est infernal. Un cyclone dvaste l'immense bureau. Les meubles tremblent. Le
ventilateur s'emballe. Les papiers voltigent. L'encrier de style (...) se dverse en
un dsastre violet. Elle, augmente son vacarme et la vitesse de ses mouvements.
Lui, en a le vertige. (...). Messaouda s'arrte. Brusquement. Majestueusement. Elle
quitte le bureau aprs avoir remis son voile. Elle claque la porte. Ses bretelles
sont hors d'usage. (...). Le soir mme les otages furent librs. Arms de coutelas
et de vieilles fourchettes, ils se rurent sur ce qui restait de l'arme du gnral
Yahoudi. (...). Les remparts comme leur habitude renvoyrent les projectiles
leur expditeur. Ce fut l'hcatombe dans les rangs de l'ennemi. On fta la victoire
980
populaire et Messaouda sortit dans la rue avec sa famille blouie.
Cependant, dans une conomie narrative fantastique et postmoderne, la mise en
perspective historique de ce petit rcit que reprsente la narration de l'intime, ailleurs
appele espace maternel , s'labore en ce que Gabriel Saad appelle l'infrascription .
Car, poursuit-il :
Pour que le texte puisse se produire, (...), il faut qu'une lettre soit soumise au
secret, je dis bien sous-mise, c'est--dire qu'une infrascription y soit tablie. Ce
qui est trs important, car cela nous rvle l'existence de deux niveaux d'criture.
L'infra-scription va d'ailleurs rgir d'une certaine faon le texte, l'criture, et va
s'y manifester un peu comme se manifeste dans la conduite des hommes le
981
retour du refoul [...].
Toutefois, il s'agit, ici, moins d' un retour du refoul , lequel enfermerait le roman africain
dans une univocit psychanalytique ou sociologique, que d'une esthtique assignant
rsidence dans la digse, tous Les pouvoirs de la littrature. Ce qui conduira pour finir
982
la littrarisation
de l'Histoire. On ne verrait dans ce processus, davantage une tentative
de dhistoriciser le roman africain que de littrariser son historicit, qu'il serait
dmenti par la mise en perspective positive, et surtout rflexive, de la figure fminine. En
effet, le rcit dsormais assum, quoique encore masqu et menac, de son histoire, tant
983
conteste-t-il celui des langages dominants
de l'Histoire (la colonisation, la religion, le
patriarcat) que sa reconstitution, remontant la scansion d'une narration discontinue, libre
984
une prolifration de traces et autres indices autobiographiques et/ou auto-fictifs . Ceux-ci,
en suggrant, que dans le cadre d'une fiction, l'espace intime n'est pas sans rapport avec
une inscription plurielle de l'Histoire , en lgitiment, parce que la postmodernit suscite
980
981
Saad Gabriel, Modalits de production dans le texte contemporain , in Actes du Colloque international sur le roman
contemporain (Pau, mars 1978), Cahiers de l'Universit de Pau et des pays de l'Adour, n 11, p. 78.
982
Jouhaud Christian, Les pouvoirs de la littrature, Histoire d'un paradoxe, Paris, Gallimard, coll. Les Essais , 2000, cit par
postmodernisme et lexplosion (auto) biographique. , in Enjeux et mises en jeu : biographique et postmodernit, Colloque du 12-13
mai 2004, Universit du Qubec Montral.
164
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
985
Dispositifs de rflexions postmodernes : l'criture et le visible dans Lac de Jean Echenoz , op. cit.
Djeux Jean, Mohammed Dib, crivain algrien, ditions Naaman, Sherbrook, 1977, p. 19.
La prise de Gibraltar, op. cit., pp. 44-45.
Amrane-Minne Danielle Djamila, Les maquisardes , in Des femmes dans la guerre d'Algrie, Paris, Karthala, coll. Les
Cit par Achour Christiane et Rezzoug Simone, Introduction la lecture du littraire , in Convergences critiques,
165
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
(...) ce mode de reprsentation est sous-tendue parfois par une rflexion sur les
traces et la persistance de l'Histoire dans le prsent. Surtout [si] l'interrogation
990
sur l'Histoire en tant que telle porte ici sur la dimension humaine du vcu (...).
Comment ne pas voir, ds lors, dans Les 1001 annes de la nostalgie qui prtend relater
1001 journes d'une famille arabe , un surgissement, masqu par l'criture fantastique,
de la question palestinienne ? L'intrt de celle-ci demeure vif aussi bien chez Rachid
991
992
Boudjedra
que chez bien des auteurs maghrbins . Si bien qu'on peut parler, en
993
dtournant le concept de Henry Rousso , de syndrome Intifada . Celui-ci demeure,
dans Les 1001 annes de la nostalgie, substantiv, au sens propre par gnral Yahoudi
(en arabe yahoudi signifie juif , singulier de yahoud qui dsigne les juifs ), au
sens commun par otages , ennemi , arme , projectiles et/ou hcatombe ,
adjectiv par populaire , arms et/ou librs et rendu, adverbialement, par
soudain , brusquement et/ou majestueusement . Pour ce dernier, la position
en phrase adverbiale un seul mot confre, dans Les 1001 annes de la nostalgie,une
ascendance textuelle. Ce qui, selon Lila Ibrahim-Ouali, fonde sa richesse smantique :
990
Enqute d'Histoire (s), en qute de soi : Modiano, Del Castillo et Daeninckx , op. cit., pp. 45-55. Version numrique :
http://www.ecritures.modernite.cnrs.fr/roman_cahiers1.html#.douzou
991
992
Labi Abdellatif, La posie palestinienne contemporaine (anthologie), Paris, ditions Messidor, 1990.
993
Rousso Henry, Le syndrome de Vichy de 1944 nos jours, Paris, Le Seuil, Points Histoire, 1990 [1987].
994
995
Elle crit prcisment : Pourquoi l'indignation, en tant que refus moral, revt-elle aujourd'hui tant d'importance ? La [post]modernit
dmantle les critres universels du jugement moral ou, si l'on prfre, met un terme l'ide de bien. [...] Parce que ce bien n'est
plus reconnu ni dfini, ce n'est pas de lui que l'on tire une raison de rcuser les crimes. Seule l'indignation s'exhume, puissante,
irraisonne. Elle apparat aujourd'hui comme l'affect qui rvle le mal dans une socit qui le peroit, mais ne sait pas d'o il procde
166
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
lieu esthtique o le fantastique, en bon cheval de Troie, masque les traits de l'Histoire.
Aussi la geste, dans La prise de Gibraltar, du conqurant Tariq ibn Ziad, prolonge-t-elle, dans
Les 1001 annes de la nostalgie, le geste du romancier en faveur du peuple palestinien.
Mais, une telle approche fantastique, d'une question aussi relle et contemporaine, dplace
son centre de gravit moins dans la dnonciation d'une injustice dtermine que dans la
dlocalisation de l'absurdit de tout conflit. C'est que La terre et le sang, la fois, origines
du mythe et mythes l'origine du diffrend, disperse le sens du retour La Terre promise
dans une multiplicit smantique qui fragmente l'pithte, notamment et entre autres, dans
ses acceptions hypothtique, voire affabulatrice. Tant, au-del de la violence, l'incertitude,
l'ambigut et la complexit du conflit rendent compte d'une impasse tragique. Guy Scarpetta
semble en convenir, cependant que Rachid Boudjedra tente d'en donner une illustration :
ni en vertu de quoi il existe. Le mal est redcouvert comme rfrent universel, un de ces rfrents qui structuraient le monde chrtien
d'avant la modernit.
996
997
998
999
167
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
1000
Genette Grard, Nouveaux discours du rcit, Paris, Le Seuil, 1983, p. 55 : () la thorie des niveaux narratifs n'est
qu'une systmatisation de la notion traditionnelle d' enchssement , dont le principal inconvnient tait de marquer insuffisamment
le seuil que reprsente, d'une digse une autre, le fait que la seconde est prise en charge par un rcit fait dans la premire.
1005
1006
Riffaterre Michael, L'intertexte inconnu , in Littrature, Intertextualits mdivales, n 41, fv. 1981, pp. 5-12.
Michelet par lui-mme, op. cit.,p. 80.
168
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
d'hybridation. Dautre part, par le biais d'un espace-temps in fabula qui, cumulativement,
renvoie lallgorie, au simulacre et au dpassement d'un quotidien tragique. Cest dans
cette stratgie nonciative que les romans respectifs de Rachid Boudjedra et de Sony
Labou Tansi dclinent une identit narrative . Celle-ci se reconnat exclusivement dans la
digse. S'inscrit dans la mme dmarche fantastique et postmoderne, la question pineuse
de la reprsentation de l'Histoire. Celle-ci est traite partir d'un renoncement au modle
du roman historique et dcline un aspect du roman familial par le biais de l'espace
maternel . Aussila figure fminine est-elle propulse en avant, dans une stratgie narrative
qui privilgie une nonciation de l'intime, dissmine sous forme de micros rcits. La
reconstitution de la propre et non moins douloureuse histoire de la figure fminine, en rvle
un lien manifeste avec l'Histoire. Ce procd relve du concept d' historicit littraire .
Par ces trois intrigues qui, respectivement, ramnagent la reprsentation de lespace,
de lidentit et de lhistoire, le fantastique postmoderne du roman africain francophone
1007
incarne une parfaite machine raconter et produire des effets esthtiques
. En
cela, il lie son expression romanesque celle de la subjectivit littraire.
Note conclusive
La crise du style, crise du sujet , se dploie en tant que premier paradigme salutaire,
point de bascule o les critures francophones d'Afrique s'installent, progressivement, dans
une scnographie postmoderne. Cette dernire est dcline en trois phases. D'abord,
la potique de la violence, telle qu'elle est mobilise dans les uvres romanesques
respectives de Rachid Boudjedra et de Sony Labou Tansi, et au-del, dans le roman africain
francophone, oppose au ralisme littraire qui dominait jusque-l dans la reprsentation, un
rinvestissement et un dpassement narratifs. Ceux-ci, par l'intermdiaire dun hypertexte
parodique et d'un jeu de rcriture, s'affranchissent, au niveau de la rhtorique et de la
stratgie narrative, des rgles, des techniques et autres fonctionnements narratifs bass
sur la priorit absolue accorde l'observation, la neutralit et l'objectivit. Ensuite,
cette qute d'une scnographie postmoderne de la potique de violence s'labore de faon
esthtique. Notamment en ce qu'elle annonce une mise en scne rebours, relative
l'rection de la discontinuit en tant qu'un principe esthtique actif. Principe esthtique,
par ailleurs, second par, principalement, la textualisation de la typographie sous forme
de collage et/ou de greffe, le renouvellement de la syntaxe selon une procdure de
disjonction et la disqualification progressive de la narration homodigtique. Enfin, le
choix d'une scnographie postmoderne est dfinitivement scell ds lors que cette dernire
rend compte de l'mergence d'une exprience de la rception de l'criture de violence. La
spcificit et la radicalit de cette dernire s'inscrivent dans une perspective davantage
interactive que mimtique, moins intelligible que sensible. Aussi le lecteur, dsormais, faitil partie intgrante de la narration par le truchement, notamment, de la mise en fiction du
pronom nous . Les caractristiques volutives du langage de ce pronom rpondent, au
besoin, celles formules dans une langue thtralise et/ou potise.
Le deuxime paradigme salutaire trouve exemple, dans le traitement littraire de la
maladie. De ce que la crise du corps, crise de l'tre propose en tant que modle narratif
nouveau et alternatif. Elle met en place, d'abord, une esthtique qui, fondamentalement,
s'articule autour de la rflexivit littraire de la crise au sens maladif et mdical. Cette
1007
169
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Maingueneau Dominique, lments de linguistique pour le texte littraire[1986], Paris, Dunod, Troisime dition, 1993, p.
10, selon qui, le cotexte dsigne le contexte verbal dans lequel se trouve pris un nonc (...).
1009
Dytrt Petr, Le (post)moderne des romans de Jean Echenoz. De l'anamnse du moderne vers une criture du postmoderne,
170
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
un sujet qui n'a de cesse de tarauder les littratures francophones d'Afrique : l'identit.
Cette dernire sapprhende selon une stratgie narrative dans laquelle la dfiguration
et lhybridation des structures actantielles excdent les rgles de la description et de la
mise en scne romanesques. Sy adjoint un espace-temps in fabula, cristallisant un dire
allgorique et des modes de simulacre, afin de dpasser un rel tragique. Cest de cette
manire que les romans respectifs de Rachid Boudjedra et de Sony Labou Tansi dclinent
une identit narrative . Celle qui considre la digse, essentiellement, en tant que
dpositaire rfrentiel du roman. Enfin, en procdant suivant le concept d' historicit
littraire , le fantastique postmoderne africain et francophone aborde, autrement que par
la voie/voix des mtrcits, la problmatique de la reprsentation de l'Histoire. En dautres
termes, il rejette, entre autres, la fixation sur des dates, des lieux et/ou des chiffres et
le manichisme exacerb par sinon une certaine radicalit, du moins par une affirmation
idologique certaine. Il tourne le dos, galement, une mythologie des figures hroques.
En consquence, le modle du roman historique est abandonn. merge, pour le remplacer,
une narration davantage soutenue de l'espace maternel , mode typique de relation du
roman familial . Sa spcificit rside en ce qu'elle promeut la figure fminine partir
d'une stratgie nonciative, dissmine sous forme de micros rcits de l'intime. In fine, le
1010
fantastique postmoderne dit, littralement, la condition historiquement subalterne
de
la figure fminine. En mme temps, il instaure une renarrativation qui redit, littrairement,
que l'histoire individuelle de cette dernire procde du rapport que Walter Benjamin tablit
entre l'uvre littraire et l'Histoire :
Il ne suffit pas de dire comment [les uvres] sont nes, il importe au moins
autant de circonscrire l'horizon dans lequel elles ont vcu et agi, c'est--dire
leur destin, leur rception par les contemporains, leurs traductions, leur gloire.
Ainsi l'uvre se structure en elle-mme pour former un microcosme ou mieux :
une micropoque. Car il ne s'agit pas de prsenter les uvres littraires dans
le contexte de leur temps, mais bien de donner voir dans le temps o elles
sont nes le temps qui les connat c'est--dire le ntre. La littrature devient
de la sorte une organon de l'histoire, et lui donner cette place au lieu de faire
de l'crit un simple matriau pour l'historiographie, telle est la tche de l'histoire
1011
littraire.
Dans ces trois paradigmes narratifs salutaires, demeure omniprsente la recherche d'une
reconfiguration formelle et smantique. Celle-ci se fonde notamment sur un renouvellement,
certes compulsif mais efficace, des vertus, mais aussi, des virtualits, discursives et
langagires. De sorte qu'elle dmontre qu'il est possible d'envisager une pratique narrative
postmoderne pour peu qu'elle cesse de rencontrer une hostilit primaire ou d'tre assimile
une gageure littraire. Car les intentions de la narration postmoderne ne dissimulent pas
une fin de la modernit narrative. Elles postulent, par une exhibition ironiquement exagre
des pratiques esthtiques et une effusion de sens menant jusqu' la perte de celui-ci, un
essoufflement, conscutif, entre autres, la tentation formaliste. Aussi la postmodernit de
1010
Spivak Gayatri Cavort, Can the Subaltern Speak ? , in Ashcroft Bill, Griffiths Gareth and Tiffin Helen, The post-colonial
Studies Reader, London and New-York, Routledge, 1995, p. 28 : If, in the context of colonial production, the subaltern has not history
and cannot speak, the subaltern as female is even more in the shadow. Afonso Maria Fernanda, Parcours et discours fminins
mozambicains : la subversion de la subalternit dans le rcit de Paulina Chiziane, in http://www.crimic.paris-sorbonne.fr/actes/vf/
afonso.pdf , pp. 3-4, propose la traduction suivante de la phrase de Gayatri Spivak : Dans le contexte de la production coloniale, si
le subalterne n'a pas d'histoire et s'il ne peut parler, le subalterne comme femme n'est qu'une ombre.
1011
171
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
l'criture de la violence, au-del des cas respectifs de Rachid Boudjedra et de Sony Labou
Tansi, largit-elle les signes de la subjectivit en train de se (re)dployer dans le roman
africain francophone.
172
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Conclusion gnrale
Conclusion gnrale
Ce n'est pas tre atteint par un quelconque dmon de la thorie que d'avoir engag
notre sujet de thse sur une tentative de dmonstration de la Modernit et postmodernit
francophones dans les critures de violence : le cas de Rachid Boudjedra et de Sony Labou
Tansi . Nous partions sur des bases thoriques ainsi tablies : les concepts de modernit
et de postmodernit demeurent taills, essentiellement, la mesure du dbat littraire
et culturel occidental. Cependant, et surtout, nous avions un projet : celui de confronter
ces deux notions, la faveur d'un prsuppos dialogique, avec l'aptitude des littratures
africaines de langue franaise s'y inscrire. Dans cette optique, la thorie, l'esthtique et
le sens du langage, correspondaient, nos yeux, une fconde perspective d'analyse.
Nonobstant, nous n'vacuions pas un scepticisme possiblement suscit propos de la
1012
pertinence d'un tel rapprochement. Vu d'une part, un dbat Modernit/Postmodernit
1013
en Occident, qui dfaut d'tre puis, se mue en dilemme dipien
. D'autre
part, compte tenu de la reconnaissance toujours problmatique qui caractrise un espace
1014
littraire africain pris Pour une littrature mineure et/ou minoritaire . Aussi, afin de
rpondre toute allgation critique assimilant le rapport la modernit et la postmodernit
1015
des littratures africaines de langue franaise en tant qu'un lieu smiotique vide
,
suggrions-nous une voie de sortie hermneutique. Celle-ci considrait la subjectivit,
1016
partir d'une double hypothse syntagmatique/paradigmatique
, respectivement,
moderne et postmoderne, comme lieu d'nonciation privilgi des critures de violence.
La premire hypothse tait constitutive d'une conception centre de manire stricte sur
l'ajustement structurel et l'conomie potique internes du texte romanesque. Elle consistait
soutenir que la modernit littraire des critures de violence, dans l'espace africain
francophone, reposait sur une qute absolue de littrarit fonde la fois sur une dynamique
et un dynamitage textuels. La dynamique textuelle procde d'une autonomie et d'une
immanence de l'uvre romanesque dont le systme de narration fait fi de tout rfrent autre
que celui que lui rserve sa propre capacit langagire inventer un espace d'nonciation.
Quant au dynamitage textuel, il en apprhende, de manire consubstantielle, la relation
1012
Galays Franois, Modernit/Postmodernit : Problme taxinomique ? Combat de lgitimit ? Crise de culture ? , in Voix et
Badir Smir, Histoire littraire et postmodernit , in critures contemporaines, n 2, Paris-Caen, Minard, 1999, p. 247.
Lyotard Jean-Franois et Thbaud Jean-Loup, Au juste, Paris, Christian Bourgeois, 1979, p. 181 : () la question qui nous
est pose maintenant, c'est bien celle d'une pluralit, l'ide d'une justice qui serait en mme temps celle d'une pluralit, et celleci serait une pluralit des jeux du langage (). Au fond, les minorits ne sont pas des ensembles sociaux, les minorits sont des
territoires de langage.
1015
Hidetaka Ishida, Comment penser ensemble la modernit aujourd'hui ? De la dsorientation moderne , La modernit aprs
Gilli Yves, Sur le concept de comptence de communication , in Alhinc Jean (sous la direction de), Recherches en
linguistique trangre, vol. 10, Annales Littraires de l'Universit de Besanon, Paris, ditions Les Belles Lettres, 1985, p. 21 : l'axe
syntagmatique est celui de la combinaison des units constitutives d'un texte et l'axe paradigmatique est le lieu de rencontre avec
le monde et l'histoire .
173
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
1017
Ngalasso Mwatha Musanji, Langage et violence dans la littrature africaine crite en franais , in Notre Librairie, revue
Biasi Pierre-Marc de, La gntique des textes, Paris, Nathan Universit, coll. 128 , 2000, p. 77.
propos de l'esthtisme, Jamel-Eddine Bencheikh crit qu'il se dtourne trs vite de toute (autre) perspective pour se
donner en spectacle, devenu le discours d'un soi-objet, rifi, sans plus de conscience que le seul exercice d'une criture qui dvore
celui-l mme qui crit . Cit par Djeux Jean, Maghreb. Littratures de langue franaise, Paris, ditions Arcantre, 1993, p. 293.
1020
1021
Gueunier Nicole, La pertinence de la notion d'cart en stylistique , in Langue franaise, vol. 3, n 3, 1969, p. 34.
Sorin Nolle, De la lisibilit linguistique une lisibilit smiotique , in Revue qubcoise de linguistique, vol. 25, n 1,
Hamon Philippe, Note sur la notion de norme et de lisibilit en stylistique , in Littrature, n 14, p. 121.
Barthes Roland, S/Z, Paris, Le seuil, 1970, p. 187.
174
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Conclusion gnrale
servir que lorsqu'elle permet d'tablir une langue dont l'lvation du niveau, par opposition
1024
la langue courante, participe d'une potique . De son ct, Charles Bonn interroge, dans
le champ littraire maghrbin, en particulier lorsque celui-ci reprsente la violence, cette
1025
tendance l' l'exhibition du signifiant, travers une rupture de la lisibilit . Certes, il
admet que c'est sur la base d'une distance prise avec cette dernire que s'est constitue
la modernit de cette criture. Cependant, il considre que ce n'est pas tant sa mise en
scne thtrale ou sa surenchre obscure et non moins artificielle que sa facult dliner
une condition tragique partir d'un positionnement, tout aussi prcaire, et donc tragique,
du langage, qui confre littrarit l'cart de lisibilit.
Ainsi, de quelque approche qu'on aborde la modernit des romans de Rachid Boudjedra
et de Sony Labou Tansi, elle reste indissociable d'une pratique narrative sinon systmique
du moins normative. Ce qui n'est pas quantit ngligeable dans le contexte du roman africain
francophone. En effet, y soutenir, qui plus est par le biais des critures de violence, que ces
dernires n'entretiennent avec le rel qu'un rapport distant et, parfois, transparent, relve
1026
d'un dfi . Celui de faire admettre l'autonomie de l'uvre, tant entendu qu'elle constitue
moins un dire conforme au rel qu'une formulation de celui-ci. Que, finalement, l'criture
de violence procde d'une cration. O d'une invention qui, en jouant de l'effet de rel
1027
, respecte cette loi de solidarit , laquelle Roland Barthes appelait. Aussi mesuret-on davantage l'ampleur du dplacement de l'horizon d'attente qu'une telle conception de
1028
la modernit littraire instaure dans le roman africain. la ncessit de ralisme
impute ce dernier, Sony Labou Tansi substitue un droit, voire un devoir d'affabulation.
Ainsi peut-on caractriser l'ensemble de son uvre romanesque de la mme faon que luimme dfinit son premier roman, chef-d'uvre :
Que les autres, qui ne seront jamais mes autres, me prennent pour un simple
menteur (...). Et l'intention des amateurs de couleur locale qui m'accuseraient
de rajouter de l'eau au moulin (...), je tiens prciser que La vie et demie fait de
1029
ces taches que la vie seulement fait. Ce livre se passe entirement en moi.
Dans une dmarche similaire, un de ses personnages de roman, Rachid Boudjedra faisait
dire que l'criture est un brouillage des donnes du rel (...). Pourquoi laisser de ct les
1024
Roche Anne Les annes trente. Le formalisme , in Delfau Grard et Roche Anne, Histoire, Littrature. Histoire et interprtation
Bonn Charles, Pour une contestation de la scnographie binaire de la thorie postcoloniale par une prise en compte de
l'ambigit tragique pour l'approche des littratures francophones du Maghreb , in Colloque Pour une histoire critique et citoyenne.
Le cas de l'histoire franco-algrienne, 20-22 juin 2006, Lyon, ENS LSH, 2007,
http://www.ens-lsh.fr/colloques/france-algerie/
communication.php3?id_article=214
1026
Kane Momar Dsir, Dialectique de la modernit et de l'archasme , in Marginalit et errance dans dans la littrature et
le cinma africains francophones, Paris, L'Harmattan, 2004, p. 266 : De fait, la modernit des artistes africains (...), consiste, pour
une large part, un retour aux sources paennes et polymorphistes de la crativit traditionnelle. Ce retour s'effectue sans intgrer
l'illusion existentielle (...).
1027
Kon Amadou, L'effet de rel dans les romans de Kourouma , in tudes franaises, Volume 31, n 1, 1995, pp. 13-22.
Le critique ivoirien situe cet effet de rel notamment autour de ce qu'il appelle l'ambigit linguistique , p. 20. Version numrique
de l'article : http://id.erudit.org/iderudit/035962ar . Il emprunte, bien videmment, le concept Barthes Roland, L'effet de rel , in
Communications, Volume 11, Recherches Smiologiques : le vraisemblable, 1968, pp. 84-89.
1028
Dehon Claire, Le ralisme africain. Le roman francophone en Afrique subsaharienne, Paris, L'Harmattan, Critique
175
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
fantasmes, les interrogations, les analyses subjectives ? L'essentiel, c'est de ne pas perdre
1030
le fil conducteur (...) . Aprs quoi, il confiait, plus tard, dans un livre d'entretien :
Mais que faut-il entendre par subjectivit littraire ? Non pas, bien videmment,
l'effusion spontane ou l'expression vritable dans un texte de la personnalit,
des opinions ou des sentiments de son auteur. Mais ce qui marque le texte
comme le point de vue d'une conscience. En ce sens, la subjectivit littraire
dfinit la littrature. Celle-ci n'existe vraiment qu' partir du moment o le texte
ne se donne ni pour une information sur le monde prtendant une vrit
gnrale et objective, ni l'expression d'une vrit mtaphysique ou sacre, mais
quand il se dsigne comme le produit d'une conscience particulire, partag
entre l'arbitraire de la subjectivit individuelle et la ncessit contraignante des
1032
formes du langage.
Bien qu'elle y soit acte, la subjectivit littraire, telle qu'elle est labore par Michel Zink, se
meut et s'affine davantage dans les romans tudis. En l'occurrence, du fait qu'elle trouve,
dans la structure formelle, un lieu majeur d'inscription, elle procde de l'nonciation mme
1033
des uvres. C'est une lecture que propose Catherine Kerbrat-Orecchioni . Ainsi, il ne
suffit plus, pour rendre modernes les critures de violence, d'laborer un formalisme qui les
totalise en monde parallle au monde rel . Tout se passe comme si l'obsession chez
Rachid Boudjedra, qui est excs chez Sony Labou Tansi, d'une expressivit de la violence
articule essentiellement autour du signifiant, concentraient, sur la forme, tous les pouvoirs
du langage, ceux de la subjectivit en particulier. De sorte qu' l'endroit de ses deux uvres
littraires et, partant, de la littrature africaine, on relve une ressemblance dplace
1034
avec une subjectivit romanesque. Celle qui cherche transcrire (...), son ambition de
1030
Le dmantlement, op. cit., p. 148. Venner Yann, L'Histoire dans les histoires. Une lecture de Rachid Boudjedra , in http://
www.revues-plurielles.org/_uploads/pdf/4_31_17.pdf , ne dit pas autre chose quand, analysant le mme roman, il spcifie ainsi sa
modernit : Si d'une part Le dmantlement met en place un personnage, crivain dont le projet d'criture sous-tend la digse,
d'autre part le roman met en vidence l'aspect formel de l'uvre et le processus de l'criture par le biais d'un vaste systme d'autoreprsentation. Consult le 10 juin 2010.
1031
1032
1033
1034
Kerbrat-Orecchioni Catherine, L'nonciation. De la subjectivit dans le langage, Paris, Armand Colin, [1980] 1999.
Didi-Huberman Georges, Devant le temps, histoire de l'art et anachronisme des images, Paris, ditions de Minuit, coll.
176
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Conclusion gnrale
relever par l'invention formelle le dfi de sa responsabilit l'gard du monde auquel elle
1035
se rattache
. Ce qui, d'aprs Tiphaine Samoyault, lui confre l'intrt de proposer un
sens la fois historique, ontologique et esthtique. La forme est irrductible l'uvre mais
1036
elle profre en mme temps un sens du monde et du temps dans lequel elle apparat
.
La critique littraire et universitaire poursuit en citant Jean Rousset :
(...), il faut reconnatre la forme une vertu inventive et heuristique (...). La forme
n'est pas un squelette ou un schma, elle n'est pas plus une armure qu'un
contenant; elle est chez l'artiste la fois son exprience la plus intime et son seul
1037
instrument de connaissance et d'action.
Dfinitivement, c'est la structuration textuelle, dont la violence rfre moins un contexte
africain tragique qu' une stratgie de subversion esthtique, qui ouvre aux possibilits du
langage et, par-del, du sens. Ce faisant, la subjectivit, nonciative et littraire, opre
partir de son adaptation dans la mise en forme du texte. Ainsi fondions-nous la modernit
littraire des critures violence dans les romans de Rachid Boudjedra et de Sony Labou
Tansi.
Tout autre tait l'apprhension de la seconde hypothse postulant la postmodernit
des critures de violence dans le champ littraire africain et francophone. Au sein de celuici, nous ne reliions pas simplement l'mergence d'une criture postmoderne ce que,
1038
ailleurs, d'aucuns ont appel un malaise dans l'esthtique
. Pas davantage, nous
ne mesurions cette closion scripturaire postmoderne exclusivement l'aune du concept
de littrature d'urgence , sorte de tmoignage brut et immdiat du quotidien tragique de
l'Afrique o la mdiation littraire et esthtique reste frquemment sommaire. En revanche,
nous tentions de dpasser la thse d'une rflexivit entre crise de la reprsentation et
reprsentation de la crise. Pour cela, nous soutenions, surtout, que la mise en crise
1039
initie dans lespace littraire africain et francophone ouvrait les potentialits cratrices
d'un art potique postmoderne. Lequel remdiait une situation o la littrature poursuivie
1040
par la politique
excessive du signifiant risquait de spuiser dans un usage, ftichiste
et paroxystique, de la forme. Aussi les chapitres relatifs la crise du style, crise du
sujet , la crise du corps, crise de l'tre et la crise d'un genre, crise d'une
poque correspondaient-ils des paradigmes narratifs. Pour non exhaustifs que soient
ces trois paradigmes, ils ne prsentaient pas moins l'intrt d'incarner un lieu propice
1041
un redploiement des donnes [de cette ide] de crise salutaire
, savoir sa mise
en littrarit. Certes, cette orientation postmoderne, par une revalorisation massive des
thmes, des chroniques et autres histoires, dcentre son enjeu esthtique vers un travail de
1035
Bouju Emmanuel, La transcription de l'histoire. Essai sur le roman europen de la fin du 20me sicle, Rennes, Presses
Robbe-Grillet Alain, La littrature poursuivie par la politique , in L'Express, 19 septembre 1963, p. 33.
Nadeau Alain, Roman franais contemporain : une crise exemplaire , in coll. Roman franais contemporain, Ministre
177
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
reconstruction de rcits. Cependant, rfutant dans son espace narratif, tout accaparement
de la forme, des techniques et de la structure, elle les modre par diverses stratgies.
Parmi lesquelles, la convocation de pratiques narratives qui ont trait la rcriture, la
fragmentation, la discontinuit, la dissmination, l'hybridation et l'htrognit du
texte romanesque postmoderne. Parce que, finalement, l'histoire de toute littrature est
1042
1043
l'histoire de la reprise de formes
. L'indocilit, le harclement et la dmesure
avec
lesquels ces procds exhibent leur propre mise en forme, sont ce par quoi l'esthtique
1044
postmoderne, dans une nonciation norme , c'est--dire qui sort de la rgle
,
informe de l'normit de la violence. Quand son absurdit tragique est saisie travers des
pratiques de banalisation, de distanciation et de transfiguration gnres par les jeux de
langage , dont un ton ludique, un accent ironique et un effet d'irrel. C'est que, s'agissant
de ce dernier, le retour au rfrent, lan postmoderne, n'obit pas obligatoirement une
1045
relle localisation des origines du roman
. Assurment, tous ces lments, constitutifs
d'une potique postmoderne, postulent un rajustement de la forme. Ce qui, ds lors, prte
le flanc une critique dplorant son instabilit et craignant sa disparition probable. Mais,
l'criture postmoderne, dans l'espace littraire africain et francophone, rcuse moins la
porte esthtique de la forme que sa rification. Celle qui ramne toute reprsentation, dont
celle de la violence, un systme d'agencement et de modlisation, certes rationnel mais
trop repli sur lui-mme. cette option, la narration postmoderne de la violence, parce
que la complexit et l'absurdit de cette dernire ruinent jusqu' son saisissement par le
rapport signifiant/signifi, ajoute une prise en charge de l'informe, du difforme, voire du vide
1046
de la forme . Lesquels servent de rceptacle aux contenus qui, dans l'conomie du texte
de violence, relvent de l'indicible, de l'impens et l'imprsentable. Par consquent, les
formes, sinon dstructures du moins indfinissables, de l'criture tragique postmoderne,
fonctionnent en tant simulacres et analogies de l'tat de dliquescence du monde africain.
Du reste, Charles Bonn ne s'y trompe pas, lorsqu'il crit :
http://www.lycee-
chateaubriand.fr/cru-atala/publications/hutcheon.htm
1043
Matti Jean-Franois, Le sens de la dmesure : Hubris et Dik, Paris, ditions Sulliver, 2009, Quatrime de couverture :
Nietzsche avait clairement tabli le diagnostic : La mesure nous est trangre, reconnaissons-le; notre dmangeaison, c'est
justement la dmangeaison de l'infini, de l'immense. (...) aussi n'est-il pas tonnant que, dj chez les Grecs, dans le mythe, la
tragdie (...), il se situe au cur de la rflexion. Au travers de la tentation (...) d'abolir toute limite, de remettre en cause la finitude
humaine, la dmesure tmoigne du tragique de notre condition.
1044
Rey Alain (sous la direction de), Dictionnaire culturel en langue franaise, Tome II, D- L, Paris, Dictionnaires Le Robert,
2005, p. 515-516.
1045
Roman des origines et origines du roman, op. cit., pp. 142-143. L'ide que dveloppe Marthe Robert, selon laquelle le
roman [ne] sort de la rverie individuelle en s'affranchissant de ce qu'elle appelle les insurmontables interdits de sa classe
sociale , s'apparente l'individualisme galopant associ au courant postmoderne.
1046
Latour Bruno, Nous n'avons jamais t modernes, Essai d'anthropologie symtrique, Paris, La Dcouverte, 1991, p. 90 :
Ds que nous suivons la trace de quelque quasi objet [de violence], il nous apparat tantt chose, tantt rcit, tantt lien social,
sans se rduire jamais un simple tant.
178
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Conclusion gnrale
l'entendement, devient une nouvelle scne, sur laquelle sont exhibes et meurent
1047
sous nos yeux les systmes d'explication des dcennies prcdentes.
Mais cette nouvelle scne qu'voque l'universitaire lyonnais, ne se contente pas
uniquement de trahir un horizon d'attente. Elle est traverse par un tat d'esprit scind
1048
qui nous dtache de nos reprsentations
jusque-l installes dans un cadre binaire,
de discours et d'nonciations littraires, canonisant le rapport indfectible entre le fond
et la forme. Non indiffrent l'mergence, inhrente la postmodernit, d' un individu
1049
autonome, solitaire et dsarm
, le roman africain inaugure un dire de mme ordre.
Autrement dit, il s'ouvre une expression libre, dgage et auto-centre sur un parcours
individuel.Or, ces caractristiques sont celles-l mme qui justifient la conception d'une
1050
subjectivit postmoderne . Aussi peut-on considrer que le roman africain postmoderne
et francophone libre une reprsentation subjective longtemps relgue au second rle, du
fait d'une conception communautaire et utilitariste de la littrature.
Ainsi, les lments textuels de l'criture de violence mettaient en relation postmodernit
et subjectivit littraires. Nous n'aurions pas tabli ce rapport que l'analyse de la seconde,
par Hugo Friedrich, nous aurait renvoy aux caractristiques de la premire. En effet, il crit :
Pour une contestation de la scnographie binaire de la thorie postcoloniale par une prise en compte de
l'ambigit tragique pour l'approche des littratures francophones du Maghreb , op. cit.
1048
Schaeffer Jean-Marie, Pourquoi la fiction ?, Paris, Le Seuil, 1999, p. 325, cit par Viart Dominique, crire avec le soupon.
Enjeux du roman contemporain , in Braudeau Michel, Proguidis Lakis, Salgas Jean-Pierre et Viart Dominique (sous la direction de),
Le roman franais contemporain, Paris, Ministre des Affaires trangres - adpf, 2002, p. 162.
1049
Hussein Mahmoud (pseudonyme commun d'Elnadi Bahgat et Rifaat Adel), Versant sud de la libert. Essai sur l'mergence de
Martuccelli Danilo, Une cartographie de la postmodernit , in Controverses, n 3, Octobre 2006, L'identit nationale face
au postmodernisme, Paris, ditions clat, p. 155 : (...) les postmodernes dploient une conception d'un moi clat, fragment, en
rupture radicale avec toute ide de totalit.
1051
1052
Friedrich Hugo, Montaigne, trad. de l'allemand par Robert Rovini, Paris, Gallimard, coll. Tel , 1968 [1949], p. 31.
Simon Claude, Histoire, Paris, ditions de Minuit, 1967.
179
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
La prise de Gibraltar, tout en mlangeant des aspects textuels de types ludique, ornemental,
baroque et fantastique, propose une lecture de l'Histoire, de la guerre d'Algrie prcisment,
1053
la partir de la guerre des sexes, dans la cellule familiale . Or, voil ce que confiait Rachid
Boudjedra propos de cet arbre :
Au dpart, [le mrier] c'est une imagerie personnelle, c'est mon enfance (...).
Dans cette grande maison que je dcris toujours, il y avait beaucoup de mriers,
1054
il y en a particulirement un qui tait trs grand.
De la mme manire, dans l'espace littraire ngro-africain francophone, l'uvre
romanesque de Sony Labou Tansi s'ouvrait cette dynamique subjective postmoderne. Ide
laquelle n'est pas oppose Xavier Garnier, si l'on en juge par sa formule raconter pour
exister comme sujet . D'autant qu'il estime que par del la logique des multiplicits, par
del l'criture polyphonique, les romanciers des annes 90 cherchent renouer avec une
1055
nouvelle subjectivit
. Or, en plus de donner des exemples d'auteurs dont la filiation
avec l'auteur de Les Sept Solitudes de Lorsa Lopez est avre (Henri Lopez par exemple),
les pratiques esthtiques par lesquelles Xavier Garnier relie cette nouvelle subjectivit
sont celles mme que convoque Sony Labou Tansi dans sa reprsentation postmoderne
de la violence. Nous n'en relverons qu'une, qui du reste, est revenue comme un leitmotiv
dans l'analyse de l'universitaire parisien. Il s'agit de la recherche et de la fusion d'une voix/
voie (figure et stratgie narratives) qui, conforme la l'individualit et/ou la marginalit sur
lesquelles se focalise la postmodernit littraire, livre une version, esthtique et axiologique,
indite de l'criture de la violence. Cette voix n'est autre que celle qui, dans une logique de
personnage non identifi quoique trs souvent fminin, traverse, la fois par le rire et par le
cri, les romans de l'auteur congolais. Ne s'en justifie-t-il pas d'ailleurs dans l'avertissement
qui inaugure L'tat honteux :
Le roman est parat-il une uvre d'imagination. Il faut pourtant que cette
imagination trouve sa place quelque part dans quelque ralit. J'cris, ou je cris,
1056
un peu pour forcer le monde venir au monde.
En somme, la notion de subjectivit littraire rend compte de l'volution de la reprsentation
de la violence dans la littrature africaine francophone. Mieux, elle permet d'en dmontrer
la modernit et la postmodernit littraires. Surtout, au-del de l'inscription de ces dernires
1057
dans une complmentarit , elle en prouve l'exprience des limites dont chacune
des deux est un creuset. Exprience des limites, d'une part, de la modernit littraire,
1053
Toro Alfonso de, Le Maghreb writes back II : Rachid Boudjedra ou la dconstruction de l'histoire comme corps, dsir et
textualit , in Toro Alfonso de et Bonn Charles (sous la direction de), Le Maghreb writes back. Figures de l'hybridit dans la culture
et la littrature maghrbines, Hildesheim, Georg Olms Verlag, 2009, p. 235. Le titre de l'ouvrage fait rfrence : Aschcroft Bill,
Griffiths Gareth and Tiffin Helen, The Empire Writes Back : Theory and Practise in Post-Colonial Literatures, London and New York,
Routleledge, 1989, l'origine du dveloppement des tudes post-coloniales.
1054
Crouzires-Ingenthron Armelle, Le double pluriel dans les romans de Rachid Boudjedra, Paris, L'Harmattan,
coll. Critiques Littraires, Linguistique , 2001. Cit par Zorgati Ragnhild Johnsrud, Rachid Boudjedra : La prise
de Gibraltar : kalidoscope et mtissage , in Romansk Forum, Numro 20, 2005/1. Version numrique : http://
www.duo.uio.no/roman/Art/Rf20/13Zorgati.pdf
1055
Garnier Xavier, Afrique Noire , in Bonn Charles, Garnier Xavier et Lecarme Jacques (sous la direction de), Littrature
postmodernit n'est pas une sdition, mais un autre rapport avec la modernit .
180
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Conclusion gnrale
lorsque par lordre, lunit, la contrainte et la rflexivit de son systme binaire signifiant/
signifi, elle circonscrit la totalit du monde dans une mise en forme totalisante. Exprience
des limites, dautre part, de la postmodernit littraire, quand par le dsordre organis,
lhtrognit, la lgret et lextensibilit, jusqu la perte, de la forme et du sens, elle
ajoute la totalisation, la multiplicit, la complexit et, peut-tre, labsurdit du monde. De
cette double exprience des limites, nous tirons deux conclusions. La premire soutient
qutablir un bilan de la modernit et de la postmodernit des critures de violence dans
les uvres respectives de Rachid Boudjedra et de Sony Labou Tansi et, au-del, dans
les littratures africaines dexpression franaise, ne signifie pas choisir lune au dtriment
1058
de lautre . Parce que pour l'une, comme pour l'autre, la littrature est refconder
ses sources : l'Histoire, le potique, le sexuel, le divin et le sacr, le mtaphysique ().
Elle est une diffrence, un cart, un excs, une tranget, par rapport ce qui s'est crit,
1059
et qui continue de s'crire de semblable
. Parce que lesthtique de la modernit
du texte africain francophone ne se rduit pas une question de formalisation, froide et
dsincarne, o la condition humaine serait absente du fait de la ngation hystrique de
1060
la rfrence et de la ralit
. Pas plus que sa dynamique postmoderne, nuvre en
faveur dun retour la narration, au rcit et aux thmes, au point de disqualifier les stratgies
formelles. Suite logique de la premire, la seconde conclusion considre la modernit et la
postmodernit des littratures africaines francophones comme ce par quoi la littrarisation
de la violence excde son lieu. Cette dernire nest pas quune reprsentation raliste
et explicite du tragique africain. Elle exprime, implicitement, une proccupation devant Le
monde qui seffondre. C'est le fondement du rapport ce dernier :
L'uvre littraire () [se] conoit comme une possibilit de vie, une manire
comme une autre de vivre et de penser; elle porte en elle, comme la vie,
l'inquitude du vide mais aussi l'allgresse de la dcouverte. Il s'agit d'crire
1061
l'uvre entre le dsir de posie et le dsir de savoir.
De sorte que la littrature africaine dexpression franaise nest pas forcment destine
un public africain qui aurait, soit disant, les rfrences culturels pour la dcoder. Elle
nest pas, non plus, la chasse garde dun public non africain, compos dinitis et de
savants ou de profanes recherchant un exotisme. Elle sadresse un lecteur universel
1062
1063
/ inouversel
. Deux caractrisations qui, nous semble-il, fondent le dsir, de la
1058
Garnier Xavier, Conditions d'une critique mondiale , in Pradeau Christophe et Samoyault Tiphaine (sous la direction de),
O est la littrature mondiale ?, Saint-Denis, Presses Universitaires de Vincennes, coll. Essais et Savoirs , 2005, p. 103 : Rien
n'est plus tranger l'activit critique que le jugement. Le travail critique est un engagement auprs de l'uvre, d'une certaine faon,
il soude son destin celui de l'uvre.
1059
Redonnet Marie, Pour une relance de la question de la modernit , in Les Lettres Franaises, n 5, janv. 1991, p. 4 : La
littrature est refconder ses sources : l'Histoire, le potique, le sexuel, le divin et le sacr, le mtaphysique (). La modernit,
c'est toujours le retour du refoul d'une socit (). Elle est une diffrence, un cart, un excs, une tranget, par rapport ce qui
s'est crit, et qui continue de s'crire de semblable. chaque fois diffremment, elle est le retour de la part maudite d'une socit .
1060
Merquior Jos Guilherme, From Prague to Paris. A Critique of Structuralist and Post-structuralist thought, London-New York,
Verso, 1986. Cit par Martin Jean-Pierre, La littrature nous dirait-elle quelque chose plutt que rien ? , op. cit., p. 56.
1061
Chikhi Beda, Les textes maghrbins et Le gai savoir , in Bonn Charles et Rothe Arnold (sous la direction de),
Littrature maghrbine et littrature mondiale, Wrzburg, Knigshausen & Neumann, 1995, p. 144.
1062
Qu'est-ce que la littrature ?, op. cit., p. 75 : () on crit pour le lecteur universel; et nous avons vu, en effet, que l'exigence
181
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
La littrature ne peut vivre que si on lui assigne des objectifs dmesurs, voire
impossibles atteindre. Il faut que les potes et les crivains se lancent dans des
entreprises que nul ne saurait imaginer, si l'on veut que la littrature continue de
remplir une fonction. (...) la littrature doit relever un grand dfi et apprendre
nouer ensemble les divers savoirs, les divers codes, pour laborer une vision du
1064
monde plurielle et complexe.
Lintgration, dfinitive et sans paternalisme, dans la littrature mondiale marquerait, sans
doute, laboutissement dune exprience et dun processus, synonymes, selon Charles
1065
Bonn, de dplacements
ayant attest des capacits de mutation, de crativit et de
vitalit de la littrature africaine dexpression franaise. Pour elle, ds lors, ce qui se jouerait
autour d affinits lectives avec des littratures majeures, enfin devenues ses pairs,
1066
1067
serait moins la prise en compte de son altrit
ou de son corpus
trop ignor, quun
rehaussement du niveau dexigence de lexercice de la littrature.
Il faut dfendre l'ide d'une littrature africaine d'expression franaise, non pas
mondialise, mais mondiale.
1063
L'inouversel,Jean-Pierre Verheggen , op. cit., pp. 175-176 et p. 181, o Lise Gauvin fait dire au pote belge : () il y
a une faon d'inciter le lecteur venir nous rejoindre ou bien se distancier par rapport ce que l'on dit. (...). Il faut faire entendre
l'INOUVERSEL.
1064
1065
Calvino Italo, Leons amricaines, Paris, Gallimard, coll. Folio , 1992 [1989], p. 179.
Bonn Charles, Introduction : Paroles dplaces , in Bonn Charles (sous la direction de), Migrations des identits et des textes,
entre l'Algrie et la France, dans les littratures des deux rives, Tome 1, p. 7 : La modernit se caractrise par les dplacements, les
ruptures, les reformulations, les ragencements. Dplacements (...), certes, mais dplacement aussi, () des expressions culturelles
et plus particulirement littraires. Et changes et mutations des modles littraires entre Europe et Algrie, Tome 2, Actes du
colloque Paroles dplaces tenu l'cole Normale Suprieure Lettres et Sciences humaines de Lyon, du 10 au 13 mars 2003,
Paris, L'Harmattan, 2004.
1066
1067
Boubia Fawzi, Littrature universelle et altrit , in Diogne, Numro 141, janvier-mars 1988, pp. 80-104.
tiemble Ren, Faut-il revisiter la notion de Weltliteratur ? , in Essais de littrature (vraiment) gnrale, Paris, Gallimard,
182
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Bibliographie
Bibliographie
A. uvres littraires
a. Corpus principal
Boudjedra Rachid, La prise de Gibraltar, Paris, Denol, 1987.
Boudjedra Rachid, Les 1001 annes de la nostalgie, Paris, Denol, 1979.
Boudjedra Rachid, Linsolation, Paris, Denol, 1972.
Tansi Sony Labou, Le commencement des douleurs, Paris, Le Seuil, 1995.
Tansi Sony Labou, Les yeux du volcan, Paris, Le Seuil, 1988.
Tansi Sony Labou, Les sept solitudes de Lorsa Lopez, Paris, Le Seuil, 1985.
Bibliographie
Bibliographie
re
Barth John, L'opra flottant, Paris, Gallimard, Traduction de Robillot Henri, 1968 [1956].
Beaumarchais, Le barbier de Sville [thtre], Paris, ditions Ruault, 1775.
Ben Jelloun Tahar, Cette aveuglante absence de lumire, Paris, Le Seuil, 2001.
Ben Jelloun Tahar, Les yeux baisss, Paris, Le Seuil, Points , 1991.
Ben Jelloun Tahar, Moha le sage, Moha le fou, Paris, Le Seuil, 1978.
Ben Jelloun Tahar, La plus haute des solitudes, Paris, Le Seuil, Coll. Combats et
Points , 1977.
Ben Jelloun Tahar, Harrouda, Paris, Denol, 1973.
Bernanos Georges, Les grands cimetires sous la lune,Paris,Plon, 1938.
Beti Mongo, Trop de soleil tue lamour, Paris, Julliard, 1999.
Beti Mongo, Le pauvre Christ de Bomba, Paris, Prsence Africaine, 1976.
Beti Mongo, Perptue lhabitude du malheur, Paris, Buchet-Chastel, 1974.
Boni Nazi, Le crpuscule des temps anciens, Paris, Prsence Africaine, 1962.
Butor Michel, La modification, Paris, ditions de Minuit, 1957.
Camara Laye, L'enfant noir, Paris, Plon, 1953.
Cline Louis-Ferdinand, Voyage au bout de la nuit, Paris, Denol et Steele, 1932.
Chamoiseau Patrick, Solibo Magnifique, Paris, Gallimard, 1988.
Chrabi Driss, Mort au Canada, Paris, Denol, 1975.
Chrabi Driss, Les boucs, Paris, Gallimard, 1955.
Chrabi Driss, Le pass simple, Paris, Gallimard, 1954.
Defoe Daniel, Le journal de l'anne de la peste [1720], Paris, Aubier, 1943.
Diabat Massa Makan, Le boucher de Kouta, Paris, Htier, 1982.
Diabat Massa Makan, Le coiffeur de Kouta, Paris, Htier, 1980.
Diabat Massa Makan, Le lieutenant de Kouta, Paris, Htier, 1979.
Dib Mohammed, Habel, Paris, Le Seuil, 1977.
Dib Mohammed, Dieu en barbarie, Paris, Le Seuil, 1970.
Dib Mohammed, Cours sur la rive sauvage, Paris, Le Seuil, 1964.
Dib Mohammed, Qui se souvient de la mer, Paris, Le Seuil, 1962.
Dib Mohammed, Le mtier tisser, Paris, Le Seuil, 1957.
Dib Mohammed, L'incendie, Paris, Le Seuil, 1954.
Dib Mohammed, La grande Maison, Paris, Le Seuil, 1952.
Dostoevski Fedor, Crime et chtiment [1866], Paris, Gallimard, 1950.
Doubrovski Serge, Fils, Paris Galile, 1977.
Djebar Assia, LAmour, la fantasia, Paris, Albin Michel, 1985.
Driss Chrabi, Mort au Canada, Paris, Denol, 1975.
188
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Bibliographie
Mann Thomas, La m ort Venise (1912), trad. par Bertaux F. et Sigwalt C., Paris, Le
Livre de Poche n 1513, 1922.
Mann Thomas, La montagne magique (1924), trad. Par Betz Maurice, Paris, Le Livre de
Poche, 1991.
Manzoni Alessandro, Les fiancs, Paris, Garnier Frres, 1870.
Mauriac Franois, Le nud de vipres, Paris, Grasset, 1933.
Mauriac Franois, Le baiser au lpreux, Paris, Grasset, 1922.
Milton John, Paradise lost, London, Editions J. Faud, C. Ravington, L. Davis, B. Withe
th
and Sons, 9 edition, 1790.
Mimouni Rachid, La maldiction, Paris, Stock, 1993.
Mimouni Rachid, Tombza, Paris, Stock, 1985.
Mudimb Valentin Yves, Le bel immonde, Paris, Prsence Africaine, 1976.
Ndao Cheikh Alioune, Lexil dAlboury (thtre), ditions P. J. Oswald, 1969.
Ngal Mbwil a Mang, Giambatista Viko ou le viol du discours africain, Lumumbashi,
ditions Alpha-Omga, 1975.
Nokan Charles, Violent tait le vent, Paris, Prsence Africaine, 1966.
Orsenna ric, Madame B, Paris, ditions Fayard/ Stock, 2003.
Orwell Georges, 1984, Paris, Gallimard, 1950.
Ouologuem Yambo, Le devoir de violence, Paris, Le Seuil, 1968.
Oyono Ferdinand, Une vie de boy, Paris, Presse Pocket, 1970.
Oyono Ferdinand, Le vieux ngre et la mdaille, Paris, UGE, 1974.
Ponge Francis, Rhtorique (1929-1930), Promes, Le Parti-pris des choses, Paris,
Gallimard, 1972.
Proust Marcel, la recherche du temps perdu, Paris, ditions Gallimard, 1927.
Proust Marcel, Du ct de chez Swann (1913), Paris, Gallimard, coll. Quarto, 1999.
Racine Jean, Brnice (1670), in uvres Compltes, Paris, Gallimard, Coll.
Pliade , 1931.
Robbe-Grillet Alain, Le miroir qui revient, Paris, ditions de Minuit, 1984.
Robbe-Grillet Alain, Typologie dune cit fantme, Paris, ditions de Minuit, 1976.
e
Rousseau Jean-Jacques, Les rveries du promeneur solitaire, V
Promenade,
uvres compltes, Paris, Gallimard, Bibl. de la Pliade , t. I, 1959.
Sartre Jean-Paul, Le mur, Paris, Gallimard coll. Blanche , 1939, Rditions coll.
Bibliothque de philosophie , 1985.
Sassine William, Le jeune homme de sable, Paris, Prsence Africaine, 1979.
Sembne Ousmane, Xala, Paris, Prsence Africaine, 1973.
Sembne Ousmane, Les bouts de bois de Dieu, Paris, Presse Pocket, 1971.
Sembne Ousmane, Le docker noir, Paris, Nouvelles ditions Debresse, 1956.
Senghor Lopold Sdar, Hosties noires, in uvre potique, Paris, Le Seuil, 1964.
190
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Bibliographie
Bonn Charles et Boualit Farida (sous la direction de), Paysages littraires algriens des
annes 90 : Tmoigner dune tragdie ? , Paris, LHarmattan, 1999.
Bonn Charles, Garnier Xavier et Lecarme Jacques (sous la direction de), Littrature
francophone. 1. Le roman, Paris, Hatier-AUPELF-UREF, 1997.
Bonn Charles et Rothe Arnold (sous la direction de), Littrature maghrbine et
littrature mondiale, Wrzburg, Knigshausen & Neumann, 1995.
Bonn Charles et Baumstimler Yves (sous la direction de), Psychanalyse et texte
littraire au Maghreb, Paris, L'Harmattan, 1991.
Bonn Charles, Lecture prsente de Mohammed Dib, Alger, ENAL, 1988.
Bonn Charles, Le roman algrien de langue franaise. Vers un espace de
communication littraire dcolonis ?, Paris, L'Harmattan, 1985.
Bourkhis Rhida, Tahar Ben Jelloun : la poussire dor et la face masque, LHarmattan,
Paris, 1995.
Cabou Axel, Et si lAfrique refusait le dveloppement ?, Paris, LHarmattan, 1991.
Cendrars Blaise, Anthologie ngre, Paris, Buchet/Chastel, 1947.
Chebel Malek, Le livre de la sduction suivi de dix aphorismes sur lamour, Paris,
Payot, 1988.
Chemain Roger, L'imaginaire dans le roman africain, Paris, L'Harmattan, 1986.
Chevrier Jacques, Littrature ngre, Paris, Armand Colin, 1974.
Cornaton Michel, Pouvoir et sexualit dans le roman africain, Paris, L'Harmattan, 1990.
Coussy Denise, La littrature africaine moderne au sud du Sahara, Paris, Karthala,
2000.
Dabla Swanou, Nouvelles critures africaines. Romanciers de la seconde gnration,
Paris, L'Harmattan, 1986.
Dehon Claire, Le ralisme africain. Le roman francophone en Afrique subsaharienne,
Paris, L'Harmattan, Critique littraire , 2002.
Djeux Jean, La littrature fminine de langue franaise au Maghreb, Paris, Karthala,
1994.
Djeux Jean, Maghreb. Littratures de langue franaise, Paris, ditions Arcantre,
1993.
Djeux Jean, Mohammed Dib, crivain algrien, Sherbrook, ditions Naaman, 1977.
Djeux Jean, Littrature maghrbine d'expression franaise, Ottawa, ditions Naaman,
1973.
Delayre Stphanie, Driss Chrabi, une criture traverse, Presses Universitaires de
Bordeaux, 2006.
Depestre Ren, Le mtier mtisser, Paris, Stock, 1998.
Diop Papa Samba et Lsebrink Hans-Jrgen (tudes runies par), Littratures et
socits africaines. Regards comparatistes et perspectives interculturelles. Mlanges
offerts Janos Riesz l'occasion de son soixantime anniversaire, Tbingen, Narr,
2001.
192
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Bibliographie
Bibliographie
Vircondelet Alain et Stora Benjamin, L-bas : Souvenirs dune Algrie perdue, Paris,
ditions du Chne, 1996.
b. Articles
Achour Christiane et Rezzoug Simone, Introduction la lecture du littraire , in
Convergences critiques, Alger, Office des Publications Universitaires, 1990.
Aniq-Filali Raba, Ironie et traduction , in Bounfour Abdellah et Regam Abdelhaq
(sous la direction de), Littrature et traduction. Traduire la subjectivit, Paris,
L'Harmattan, 2001.
Batalha Maria Cristina, Le fantastique et l'enjeu identitaire dans Les enfants du
sabbat , in Schnabel William (sous la direction de), Le fantastique francophone,
IRIS / Les Cahiers du Gerf, Centre de Recherche sur lImaginaire, Universit de
Grenoble 3, Hiver-t 2004, numro 26.
Bencheikh Jamel-Eddine, Les contes des mille et une nuits : culture savante et culture
de l'imaginaire , in Cahier d'tudes Maghrbines, Universit de Kln, n 15, 2001.
Biyidi Alexandre (ou Mongo Beti), L'enfant noir , in Prsence Africaine, n16, 1954.
Bonn Charles, Littrature maghrbine francophone et thorie postcoloniale , in
Baduel Pierre Robert (sous la direction de), Chantiers et dfis de la recherche sur le
Maghreb contemporain, Paris, ditions Karthala et IRMC, 2009.
Bonn Charles, Pour une contestation de la scnographie binaire de la thorie
postcoloniale par une prise en compte de l'ambigit tragique pour l'approche des
littratures francophones du Maghreb , in Colloque Pour une histoire critique
et citoyenne. Le cas de l'histoire franco-algrienne, 20-22 juin 2006, Lyon, ENS
LSH, 2007, http://www.ens-lsh.fr/colloques/france-algerie/communication.php3?
id_article=214 .
Bonn Charles, Astres et dsastres dans l'mergence et le dveloppement du roman
algrien, ou : Nedjma-toile et le dsastre fondateur , in Ponti/Ponts, n 4, 2004,
Milan, Casa Editrice Cisalpino- Istituto Editoriale Universitario.
Bonn Charles, Introduction : Paroles dplaces , in Bonn Charles (sous la direction
de), Migrations des identits et des textes, entre l'Algrie et la France, dans les
littratures des deux rives, Tome 1, Paris, L'Harmattan, 2004. Actes du colloque
international Paroles dplaces , cole Normale Suprieure Lettres et Sciences
humaines, Lyon, 10-13 mars 2003.
Bonn Charles, Le retour au rfrent , in Algrie Littrature/Action du 7-8 janvierfvrier, Paris, ditions Marsa, 1997.
Bonn Charles, Prsentation , in Bonn Charles (sous la coordination de), Itinraires
et contacts de cultures. Mohammed Dib, Volume 21-22, 1er et 2me Semestre 1995,
Paris, L'Harmattan.
Bonn Charles, Schmas psychanalytiques et roman maghrbin de langue franaise ,
in Bonn Charles et Baumstimler Yves (sous la direction de), Psychanalyse et texte
littraire au Maghreb, Paris, L'Harmattan, 1991.
195
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Bonn Charles, Roman national et idologie en Algrie. Propositions pour une lecture
spatiale de l'ambigut littraire , in Annuaire de l'Afrique du Nord, Aix en Provence,
IREMAM, 1984.
Bonn Charles, La traverse littraire, arcane du roman maghrbin , in Visions du
Maghreb, Aix-en-Provence, Edisud, Cultures et peuples de la Mditerrane .
Boubia Fawzi, Littrature universelle et altrit , in Diogne, Numro 141, janviermars 1988.
Bousta Rachida, Inscription du langage du corps travers les bances d'une
criture , in Bonn Charles et Baumstimler Yves (sous la direction de), Psychanalyse
et texte littraire au Maghreb, Paris, L'Harmattan, 1991.
Casanova Pascale, Littrature secondaire et conscration : Le rle de Paris , in
Zink Michel (sous la direction de), L'uvre et son ombre : Que peut la littrature
secondaire ?, Paris, ditions de Fallois, 2002.
Chaulet-Achour Christiane, La violence du Devoir d'criture de Yambo
Ouologuem , in Chaulet-Achour Christiane (sous la direction de), tats et effets de
la violence, Universit de Cergy-Pontoise, Centre de Recherche Texte/Histoire, 2005.
Chaulet-Achour Christiane et Morsly Dalila, Plus dun sicle de rire en Algrie. Essai
de panorama , in 2000 ans de rire. Permanence et modernit. Colloque International
er
GRELIS-LASELDI/CORHUM, Besanon, 29-30 juin et 1 juillet 2000, Presses
Universitaires Franc-Comtoises, 2002.
Chemain Arlette, Littrature subsaharienne de langue franaise , in la revue crire,
numro spcial, 1990.
Chikhi Beda, Avant-propos : O apparat un fantastico sduisant et subtil , in
Schnabel William (sous la direction de), Le fantastique francophone, IRIS / Les
Cahiers du Gerf, Centre de Recherche sur lImaginaire, Universit de Grenoble 3,
Hiver-t 2004, numro 26.
Chikhi Beda, Les textes maghrbins et Le gai savoir , in Bonn Charles et
Rothe Arnold (sous la direction de), Littrature maghrbine et littrature mondiale,
Wrzburg, Knigshausen & Neumann, 1995.
Coquery-Vidrovitch Catherine, Mbembe, Achille. - De la postcolonie. Essai sur
l'imagination politique dans l'Afrique contemporaine. Paris, Karthala, 2000, 293 p.,
index ( Les Afriques ) , in Cahiers d'tudes africaines, 167, 2002, [En ligne], mis
en ligne le 22 juin 2005. URL : http://etudesafricaines.revues.org/index1504.html .
Consult le 16 septembre 2009.
Coulibaly Adama, Les conditions postmodernes du roman d'Afrique noire
francophone , in Diaconu Mirca A. et Steiciuc Elena-Brandusa (sous la direction
de), Mridien critique, Annales de lUniversit Stefan Cel Mare, Srie Philologie, B.
Littrature, Tome XV, NR. 1, ditions Universit de Suceava, Roumanie, 2009.
Daoud Mohamed, Littrature maghrbine et littrature ngro-africaine : diffrence ou
indiffrence ? , in Ranaivoson Dominique (Textes runis et prsents par), Senghor
et sa postrit littraire, Universit Paul Verlaine-Metz, Centre de Recherches
critures , coll. Littrature des mondes contemporains, Srie Afriques, 2008.
196
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Bibliographie
Dauge-Roth Alexandre, Koulsy Lamko et Fanta Rgina Nacro ou lart de faire capoter
les silences du sida , in tudes francophones, Volume 19, n 1, Printemps 2004,
Universit de Louisiane Lafayette.
Derive Jean, Littrature compare et littrature d'Afrique , in CHAM n 1, 1988.
Dian Alioune, Littrature, socit et inflation verbale dans La plaie de Malick Fall ,
in Revue SudLangues, n 1, dcembre 2002, Dakar, Facult des Lettres et Sciences
Humaines de l'Universit Cheikh Anta Diop.
Dieng Bassirou, La tradition comme support dramatique dans l'uvre de Sembne
Ousmane , in Annales de la Facult de Lettres et Sciences Humaines, Universit
Cheikh Anta Diop de Dakar, n 15, 1985.
Diop Boubacar Boris, Interview , Biennale de Dakar, dcembre 1990, cit par
Ambourhouet-Bigmann Magloire, La cafritude, pune attendue de la ngritude , in
Actes du colloque international 1960-2004 : bilan et tendances de la littrature ngroafricaine, Lubumbashi, 26-28 janvier 2005, Presses Universitaires de Lubumbashi.
Djebar Assia, Entretien avec Lise Gauvin , in Gauvin Lise, Lcrivain francophone
la croise des langues. Entretiens, Paris, Karthala, 1997.
Eboko Fred, Sida : des initiatives locales sous le dsordre mondial , in Revue Esprit,
n 317 aot-septembre 2005.
Fayolle Roger, La sagesse des barbares : enseigner les littratures maghrbines et
africaines de langue franaise, in Notre Librairie. Revue des littratures du Sud, n
160, La critique littraire, dcembre-fvrier 2006, pp. 77-82, [n 96, 1989].
Garnier Xavier, Les formes dures du rcit : enjeux d'un combat , in Notre
Librairie, revue des littratures du sud, n 148, Penser la violence, juillet-septembre
2002.
Garnier Xavier, Afrique Noire , in Bonn Charles, Garnier Xavier et Lecarme Jacques
(sous la direction de), Littrature francophone. 1. Le roman, Paris, Hatier-AUPELFUREF, 1997.
Garnier Xavier, Potique de la rumeur : l'exemple de Tierno Monnembo , in Cahiers
d'tudes Africaines, Numro 140, Volume 35, 1995.
Gontard Marc, Dsir et subjectivit dans Ni fleurs ni couronnes de Souad Bahchar ,
in Le rcit fminin au Maroc, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2005.
Gontard Marc, Les nuits de Strasbourg ou lrotique des langues , in Bonn
Charles, Rdouane Najib et Bnayoun- Szmidt (sous la direction de), Algrie : les
nouvelles critures, Paris, L'Harmattan, Coll. tudes littraires maghrbines , N
15, 2001.
Gontard Marc, Avant-propos. L'tranget de l'tre , in Le moi trange. Littrature
marocaine de langue franaise, Paris, L'Harmattan, 1993.
Goytisolo Juan, Un espace magique de sociabilit. Jemaa-el-fna, patrimoine oral de
l'humanit , in Cahiers d'tudes maghrbines, n 15, Universit de Kln, 2001. Paru
dans Le Monde diplomatique, dition imprim, Archives Juin 1997.
Iblis, n1, 1970, Rditions 2001.
197
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Bibliographie
Bibliographie
Bguin Michelle, Biet Christian, Gengembre Grard, Goldzink Jean et Kaddour Hdi,
Anthologie. Textes et parcours en France et en Europe, Paris,ditions Belin, 2000.
Benjamin Walter, Luvre dart lpoque de la reproductibilit technique, in uvres III,
Paris, ditions Folio-Gallimard, 2000.
Benjamin Walter, Illuminations, London, Fontana Editions, 1973.
Bergson Henri, Le rire, essai sur la signification du comique, Paris, PUF, 1981.
Bessire Irne, Le rcit fantastique, Paris, Larousse, 1974.
Bessire Jean, Qu'est-il arriv aux crivains franais ? D'Alain Robbe-Grillet
Jonathan Littell, Loverval, Labor, coll. Libert j'cris ton nom , 2006.
Biasi Pierre-Marc de, La gntique des textes, Paris, Nathan Universit, coll. 128 ,
2000.
Blanchot Maurice, L'criture du dsastre, Paris, Gallimard, 1980.
Blanchot Maurice, Le livre venir, Paris, Ides Gallimard, 1959.
Blanchot Maurice, L'espace littraire, Paris, Gallimard, 1955.
Bouchard Grard, Littrature et culture nationale du Qubec : le clivage culture savante/
culture populaire, Porto, Maria Bernadette (Org.), Fronteiras, passagens, paisagens
na literatura canadense, Niteroi, ABECAN/EDUFF, 2000.
Bouju Emmanuel, La transcription de l'histoire. Essai sur le roman europen de la fin du
20me sicle, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2006.
Bourneuf Roland et Ouellet Ral, L'univers du roman, Paris, PUF, 1972.
Borges Jorge Luis, La bibliothque de Babel, in Fictions, Paris, Gallimard, Folio ,
1980 [1942].
Boroni Raphal, La tension narrative. Suspense, curiosit, surprise, Paris, Seuil, 2007.
Bozzetto Roger, Le fantastique dans tous ses tats, Universit de Provence, 2001.
Bremond Claude, La l ogique du rcit, Paris, Le Seuil, 1973.
Butor Michel, Essais sur le roman, Paris, Gallimard Ides, 1969, [1972].
Butor Michel, Rpertoire II, Paris, ditions de Minuit, 1964.
Caillois Roger, Anthologie du fantastique, Paris, Gallimard, 1966.
Calvino Italo, Dfis aux labyrinthes, Tome 2, Paris, Le Seuil, 2003.
Calvino Italo, Leons amricaines, Paris, Gallimard, coll. Folio , 1992 [1989].
Caras Marie-Haude et Fernandez Jean, Tanger, ou la drive littraire, Paris, Publisud,
Espaces mditerranens , 2002.
Casanova Pascale, La rpublique mondiale des lettres, Paris, Le Seuil, 1999.
Castex Pierre-Georges, Le conte fantastique en France de Nodier Maupassant, Paris,
Librairie Jos Corti, 1951.
Chamoiseau Patrick, crire en pays domin, Paris, Gallimard, 1979.
Chateau Dominique, Le bouclier dAchille, Thories de liconicit, Paris, LHarmattan,
1997.
201
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Bibliographie
Green Andr, La dliaison, Paris, ditions Les Belles Lettres, 1971 [1992].
Greimas Algirdas Julien, Smantique structurale, Paris, Larousse, 1966.
Habermas Jrgen, Le discours philosophique de la modernit, trad. par C.
Bouchindhomme et R. Rochlitz, Paris, Gallimard, 1988.
Hamon Philippe, Le personnel du roman, Genve, Librairie Droz, 1998, [1983, coll.
Histoire des ides et critique littraire ].
Hamon Philippe, Texte et idologie, Paris, PUF, 1984.
Hamon Philippe, L'analyse du descriptif, Paris, Hachette, 1981.
Haroche Charles, Les langages du roman, Paris, diteurs Franais Runis, 1976.
Ionesco Eugne, Notes et contre-notes, Paris, Gallimard, 1966.
Jakobson Roman, Langage enfantin et aphasie, Paris, Flammarion, 1980.
Jakobson Roman, Huit questions de potique, Paris, Le Seuil, 1977.
Jakobson Roman, Thorie de la littrature, Paris, Le Seuil, 1965.
Jauss Hans Robert, Pour une esthtique de la rception, Paris, Gallimard, 1978.
Jean Raymond, La littrature et le rel. De Diderot au Nouveau Roman, Paris, Albin
Michel, 1965.
Jouanny Robert, Singularits francophones : Ou choisir dcrire en franais, Paris, PUF,
2000.
Jouhaud Christian, Les pouvoirs de la littrature, Histoire d'un paradoxe, Paris,
Gallimard, coll. Les Essais , 2000.
Jouve Vincent, L'effet-personnage dans le roman, Paris, PUF, coll. criture , 1992.
Kafka Franz, Lettres Milena, d. revue et augmente, trad. franaise d'Alexandre
Vialatte, Textes complmentaires traduits par Claude David, Paris, Gallimard, 1988.
Kafka Franz, Journal, 27 janvier 1922, [1945], trad. par Marthe Robert, Paris, Grasset,
1954.
Kaprow Allan, Lart et la vie confondus, Paris, Centre Georges Pompidou, 1996.
Kerbrat-Orecchioni Catherine, L'nonciation. De la subjectivit dans le langage, Paris,
Armand Colin, [1980] 1999.
Kerbrat-Orecchioni Catherine, Limplicite, Paris, Armand Colin, 1986.
Kerbrat-Orecchioni Catherine, La connotation, Presses Universitaires de Lyon (PUL),
Lyon, 1977.
Kristeva Julia, Le temps sensible, Proust et lexprience littraire, Paris, ditions
Gallimard, 1994.
Kristeva Julia, Pouvoirs de l'horreur : essai sur l'abjection, Paris, Le Seuil, 1980.
e
Kristeva Julia, La rvolution du langage potique : l'avant-garde la fin du XIX
sicle. Lautramont et Mallarm, Paris, Le Seuil, 1974.
La Mothe Jacques, L'architexture du rve. La littrature et les arts dans Matires de
rves de Michel Butor, Amsterdam, Rodopi, 1999.
Larthomas Pierre, Le langage dramatique [1972], Paris, PUF (rdition), 1980.
204
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Bibliographie
Nancy Jean-Luc, Rsistance de la posie, Bordeaux, ditions William Blake & co. coll.
La pharmacie de Platon, 1997.
Niel Andr, Lanalyse structurale des textes, Tours, Maison Mame, 1973.
Noudelmann Franois, Avant-gardes et modernit, Paris, Hachette-Littrature, 2000.
Nunez Laurent, Les crivains contre l'criture, Paris, Jos Corti, 2006.
Orace Stphanie, Le chant de larabesque. Potique de la rptition dans luvre de
Claude Simon, Amsterdam/New-York, ditions Rodopi, Coll. Faux Titre , 2005.
Paulhan Jean, Les fleurs de Tarbes ou la terreur dans les lettres, Paris, Gallimard,
1941.
Pavel Thomas, L'univers de la fiction, Paris, Le Seuil, 1988.
Pessoa Fernando, Le livre de l'intranquillit, trad. par Franois Laye, Paris, ditions Ch.
Bourgeois, 1988.
Picard Michel, La lecture comme jeu, Paris, ditions de Minuit, coll. Critique , 1986.
Proust Marcel, Essais et articles, Paris, Gallimard, Coll. Bibliothque de la Pliade ,
1971.
Proust Marcel, Contre Sainte-Beuve, Paris, Gallimard, coll. Bibliothque de la
Pliade , 1971.
Rastier Franois, Sens et textualit, Paris, Hachette, coll. Langue, Linguistique,
Communication , 1989.
Raymond Gilles, Le folklore de la peur dans luvre de Claude Seignolle, Universit
Libre de Bruxelles, 1974.
Raymond Jean, La littrature et le rel. De Diderot au Nouveau Roman, Paris, Albin
Michel, 1965.
Reuter Yves, Introduction l'analyse du roman, Paris, Bordas, 1991.
Ricardou Jean, Nouveaux problmes du roman, Paris, Le Seuil, 1978.
Ricardou Jean, Problmes du nouveau roman, Paris, Le Seuil, 1967.
Ricur Paul, Temps et rcit III. Le temps racont,Paris, Le Seuil, 1985.
Riffaterre Michael, La production du texte, Paris, Le Seuil, 1979.
Rigolot Franois, Potique et onomastique, Genve, Librairie Droz, 1977.
Rivire Jacques, Nouvelles tudes, Paris, Gallimard, 1913.
Robbe-Grillet Alain, Pour un nouveau roman, Paris, ditions de Minuit, 1963.
Robert Marthe, Roman des origines et origines du roman, Paris, Grasset, 1972.
Rongier Sbastien, De lironie. Enjeux critiques pour la modernit, Paris, ditions
Klincksieck, 2007.
Rousset Jean, Forme et signification. Essais sur les structures littraires, de Corneille
Claudel, Paris, Jos Corti, 1962.
Samoyault Tiphaine, La montre casse, Paris, ditions Verdier, 2004.
Samoyault Tiphaine, Excs du roman, Paris, Maurice Nadeau, 1999.
Sarraute Nathalie, Lre du soupon, Paris, Gallimard, 1956.
206
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Bibliographie
b. Articles
Adam Jean-Michel, Style et fait de style : un exemple rimbaldien , in Molini Georges
et Cahn Pierre (sous la direction de), Quest-ce que le style ?, Paris, Presses
Universitaires de France, coll. Linguistique nouvelle , 1994.
Aragon Louis, Prface (rimpression de la version de 1965), in Les voyageurs de
limpriale [1947], Paris, Gallimard, coll. Folio n 120, Gallimard, 1972.
Aragon Louis, Introduction 1930 , in La Rvolution surraliste, n 12, 15 dcembre
1929.
207
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Bibliographie
Butor Michel, La ralit est en partie virtuelle . Entretien avec Bernard Valette
(2003), in Allemand Roger-Michel et Milat Christian (sous la direction de), Le
Nouveau Roman en questions 5. Une Nouvelle Autobiographie ? , Paris,
Lettres modernes Minard, coll. La Revue des Lettres modernes/L'Icosatque 20 ,
2004.
Calle-Gruber Mireille, Les arbres dans la littrature. Nouveau roman et rflexivit de la
critique de la reprsentation une potique du mta , in Bessire Jean et Schmeling
Manfred (sous la direction de), Littrature, modernit et rflexivit. Confrence du
Sminaire de Littrature compare de lUniversit de la Sorbonne Nouvelle, Paris,
Honor Champion, 2002.
Castel Pierre-Henri, crire avec les ressources mmes de l'angoisse : note sur
Kafka , in Savoirs et clinique, n 6, Transferts littraires, Paris, rs, 2005.
Chatard Virginie, La maladie rgnratrice dans l'uvre romanesque d'Yves
Beauchemin , in French XX, vol. XI, n4, 1999.
Chklovski Victor, L'art comme procd (1917), in Todorov Tzvetan (sous la direction
de), Thorie de la littrature. Textes des formalistes russes, Paris, Le Seuil, 1965.
Clment Jean, Fiction interactive et modernit , in http://hypermedia.univ-paris8.fr/
jean/articles/littrarure.html ou Littrature, n 96, dcembre 1994, Larousse.
Corblin Franois, Les dsignateurs dans le roman , in Potique, n 54, 1983.
Darrieussecq Marie, La notion de leurre chez Herv Guibert : dcryptage d'un romanleurre, L'incognito , Herv Guibert, Nottingham French Studies, Vol. 34, n 1, Spring
1995.
Debaise Didier, Le langage de l'individuation , in Revue Multitudes, Majeure :
Politiques de l'individuation. Penser avec Simondon, n 18, automne 2004, http://
www.multitudes.samizdat.net/Le-langage-de-l-individuation .
Deleuze Gilles et Guattari Flix, Rhizome , in Mille plateaux, Capitalisme et
schizophrnie, Paris, ditions de Minuit, 1980.
Derrida Jacques, Les greffes, retour au surjet , in La dissmination, Paris, Le Seuil,
1972.
Derrida Jacques, La pharmacie de Platon , in La dissmination, Paris, Le Seuil,
1972.
Douzou Catherine, Enqute d'Histoire (s), en qute de soi : Modiano, Del Castillo et
Daeninckx , in Dambre Marc (sous la direction de), Vers une cartographie du roman
franais contemporain, Cahier du CERACC, n 1, mai 2002.
Eichenbaum Boris, La thorie de la mthode formelle (1925), in Todorov
Tzvetan (sous la direction de), Thorie de la littrature. Textes des formalistes
russes, Paris, Le Seuil, 1966.
Ernst Gilles, Sida, peste fin de sicle. Remarques sur quelques rcits de 1987
1994 , in Les grandes peurs. Travaux de littrature, 16, 2003.
Escola Marc, Le lieu de naissance , in http://www.fabula.org/revue/cr/1.php.
thier-Blais Jean, Mimsis : ralisme et transcendance , in tudes Franaises, vol.
6, n 1, 1970. Version numrique : http://id.erudit.org/iderudit/036428ar .
209
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Bibliographie
Bibliographie
Vad Yves, Prsentation , in Vad Yves (Textes runis et prsents par), Ce que
modernit veut dire (I), in Modernits 5, Presses Universitaires de Bordeaux, 1998.
Valverde Monclar, La rception mdiatique comme exprience esthtique , in
Socits, n 74 2001/4.
Zeraffa Michel, Signe, image, fiction , in Revue d'esthtique, Paris, n 2, 1981.
Bibliographie
Genon Arnaud, Herv Guibert : Vers une esthtique postmoderne, Paris, L'Harmattan,
2007.
Gontard Marc, Le roman franais postmoderne. Une criture turbulente, [en
ligne], Archive ouverte en Sciences de l'Homme et de la Socit, <URL: http://
halshs.ccsd.cnrs.fr/docs/00/02/96/66/PDF
Guibet-Lafaye Caroline, Esthtiques de la postmodernit, in http://www.nosophi.univparis1.fr/docs/cgl/art.pdf .
Guignery Vanessa, Postmodernisme et effets de brouillage dans la fiction de Julian
Barnes, Villeneuve d'Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2001.
Hussein Mahmoud (pseudonyme commun d'Elnadi Bahgat et Rifaat Adel), Versant
sud de la libert. Essai sur l'mergence de l'individu dans le tiers monde, Paris, La
Dcouverte, 1989.
Husti-Laboye Carmen, L'individu dans la littrature africaine contemporaine. L'ontologie
faible de la postmodernit, Thse de Doctorat, [sous la direction de] Beniamino
Michel, Facult des Lettres et des Sciences Humaines, Universit de Limoges,
France, 2007.
Jameson Frederic, Postmodernism or The Cultural Logic of Late Capitalism, London
and New York, Verso [Duke University Press], 1991.
Latour Bruno, Nous n'avons jamais t modernes, Essai d'anthropologie symtrique,
Paris, La Dcouverte, 1991.
Lsebrink Hans-Jrgen et Stdtler Katharina (sous la direction de), Les littratures
africaines de langue franaise l'poque de la postmodernit. tats des lieux et
perspectives de la recherche, Oberhausen (Germany), Athena-Verlag, 2004.
Lyotard Jean- Franois, La confession dAugustin, Paris, ditions Galile, 1998.
Lyotard Jean-Franois, Moralits postmodernes, Paris, ditions Galile, 1993.
Lyotard Jean-Franois, Le postmoderne expliqu aux enfants, Paris, Galile, 1988.
Lyotard Jean-Franois, La condition postmoderne. Rapport sur le savoir, Paris, ditions
de Minuit, 1979.
Lyotard Jean-Franois et Thbaud Jean-Loup, Au juste, Paris, Christian Bourgeois,
1979.
Lyotard Jean-Franois, Rudiments paens, Paris, Union gnrale dditions, 10/18 ,
1977.
Mac Hale Brian, Postmodernist Fiction, New-York and London, Routledge, 1987.
Maffesoli Michel, Aprs la modernit ? La logique de la domination, La violence
totalitaire, La conqute du prsent, Paris, CNRS ditions, 2008.
Maffesoli Michel, La part du diable. Prcis de subversion postmoderne, Paris,
Flammarion, 2002.
Maffesoli Michel, Le temps des tribus. Le dclin de l'individualisme dans les socits
postmodernes, Paris, Table Ronde, 2000.
Matti Jean-Franois, La crise du sens, Paris, ditions Ccile Defaut, 2006.
215
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Merquior Jos Guilherme, From Prague to Paris. A Critique of Structuralist and Poststructuralist thought, London-New York, Verso, 1986.
Meschonnic Henri, Pour sortir du postmoderne, Paris, ditions Klincksieck, 2009.
Meschonnic Henri et Hasumi Shiguehiko (sous la direction), La modernit aprs le postmoderne, Paris, ditions Maisonneuve et Larose, 2002.
Meuret Isabelle, Lanorexie cratrice, Paris, Klincksieck, 2006.
Milot Pierre, Pourquoi je n'cris pas d'essais postmodernes, Montral, Liber, 1994.
Olsen Lance, Ellipse of uncertainly : an introduction to postmodern fantasy, New-York,
Greenwood Press, 1987.
Paterson Janet, Moments postmodernes dans le roman qubcois, Presses
Universitaires dOttawa, 1993.
Rabat Dominique, Vers une littrature de l'puisement, Paris, Jos Corti, 1991.
Rancire Jacques, Malaise dans l'esthtique, Paris, ditions Galille, 2004.
Roberts Adam, Fredric Jameson, Routledge, Londres, 2000.
Roche Anne (sous la direction de), Le dit masqu. Imaginaire et idologie dans la
littrature moderne et contemporaine, Publications de l'Universit de Provence, 2001.
Said Edward B, Lorientalisme. LOrient cr par lOccident (1978), prface de Tzvetan
Todorov, trad. de lamricain par Catherine Malamoud, Paris, Le Seuil, 1980.
Scarpetta Guy, L'impuret, Paris, Figures Grasset, 1985.
Taylor Charles, Le malaise de la modernit, Traduit de langlais par Charlotte Melanon,
Paris, ditions du Cerf, 2002.
Taylor Charles, Grandeur et misre de la modernit, Montral,ditions Bellarmin, 1992.
Toynbee Arnold, A Study of History, Oxford University Press, 1960.
Touraine Alain, Critique de la modernit, Paris, ditions Fayard, 1992.
Touret Michle et Dugast-Portes Francine (sous la direction de), Le temps des lettres :
quelles priodisations pour l'histoire de la littrature franaise du XXe sicle ? ,
Rennes, Presses Universitaires de Rennes, interfrences , 2001.
Tyras Georges (textes runis par), Postmodernit et criture narrative dans lEspagne
contemporaine, Actes du Colloque international, Grenoble, 16-18 mars 1995,
Grenoble, CERHIUS, Universit Stendhal, 1996.
Vattimo Gianni, La fin de la modernit. Nihilisme et hermneutique dans la culture postmoderne, Paris, Le Seuil, 1987.
Vercier Bruno et Viart Dominique, La littrature franaise au prsent. Hritage,
modernit, mutation, Paris, Bordas, 2008.
b. Articles
Afonso Maria Fernanda, Parcours et discours fminins mozambicains : la subversion
de la subalternit dans le rcit de Paulina Chiziane, in http://www.crimic.parissorbonne.fr/actes/vf/afonso.pdf .
216
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
Bibliographie
Bibliographie
Bibliographie
Bibliographie
b. Articles
Amrane-Minne Danielle Djamila, Les maquisardes , in Des femmes dans la guerre
d'Algrie, Paris, Karthala, coll. Les Afriques , 1994.
Delsol Chantal, L'indignation des Pharisiens , in Le Nouvel Observateur, n horssrie, Indignations , octobre 2001.
Green Andr, Sur la mre phallique , in Revue de Psychanalyse, janvier 1968.
Groulez Marianne, crire lanorexie. volution de la maladie, renouvellement du
discours. , in tudes, Tome 405/ 4, 2006/ 10.
Lefort Claude, Le corps interpos : 1984, de Georges Orwell , in crire l'preuve
du politique, Paris, Rditions Calmann-Lvy, 1992, [Presse Pocket, 1984].
Maffesoli Michel, Du bon usage de la violence , in Sphera Publica, Publicacin
anual, n 003, Universidad Catlica San Antonio de Murcia, 2003, Murcia, Espaa.
Miller Gale et Shazer Steve de, Traduit par Cabi Marie-Christine, Avez-vous entendu
la dernire propos de ...? La thrapie brve centre sur les solutions en tant que
rumeur , in Thrapie Familiale, Genve, Numro 3, Volume 22, 2001.
Tillich Paul, La naissance de l'individualisme moderne et le courage d'tre soi , in
(Traduction et introduction de) Lemay Jean-Pierre, Le courage d'tre, Paris Genve
Sainte-Foy, ditions du Cerf Labor et Fides, 1999, [Presses de l'Universit de
Laval, Qubec, 1998; Hannah Tillich, 1980; Yale University Press, 1952].
F. Dictionnaires
Aron Paul, Saint-Jacques Denis et Viala Alain (sous la direction de), Le dictionnaire du
littraire, Paris, Presses Universitaires de France.
http://www.larousse.fr/dictionnaire/franais/obscene .
http://www.larousse.fr/dictionnaires/franais/vulgaire
.
223
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
224
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
[Rsum]
[Rsum]
Modernit et postmodernit francophones dans les critures de violence. Le cas de
Rachid Boudjedra et de Sony Labou Tansi.
Essentiellement circonscrites dans la digse, la modernit et la postmodernit du
roman africain francophone constituent moins deux esthtiques opposes, quelles ne
s'identifient une coopration textuelle . Le travail de rcriture de la premire,
par la seconde, prolonge et renouvelle le projet littraire du roman africain francophone.
Ds lors, la modernit littraire de ce dernier s'inscrit, au-del dun dterminisme, dans
une dynamique et un dynamitage textuels. Le texte, considr dans son insularit ,
fonde une littrarit surdtermine, sinon par une logique de violence, du moins par un
principe de subversion, qui sexpliquent par un rapport problmatique du langage et
par une volont de crer son propre lieu de parole . Ce qui conduit une esthtique
structurale promouvant un formalisme labor et dominant, dont l'impact moderne en terme
de renouvellement et d'inventivit investit davantage le signifiant qu'il n'incarne le signifi.
Aussi la postmodernit littraire dsigne-t-elle ce par quoi le roman africain francophone
dvie la tentation du ftichisme formel. Ainsi dcentre-t-il son enjeu esthtique vers un
travail de reconstruction de rcits, insistant davantage sur les thmes, les chroniques et
autres histoires de violence. L'htrognit, l'hybridation, la dissmination et les jeux de
langage (banalisation, ironie, ludisme et effet d'irrel) incarnent des pratiques narratives
de cette criture du tragique. Par consquent, cette dernire, plutt qu'une reprsentation
de la crise ou une crise de la reprsentation, procde d'une mise en crise , lieu
esthtique qui ouvre les potentialits cratrices d'un art potique postmoderne. Finalement,
au-del des critures de violence, la modernit et la postmodernit littraires rsultent,
fondamentalement, d'un renversement d'optique propre au dploiement (ou redploiement)
de la subjectivit dans le roman africain de langue franaise. Subjectivit littraire dont le
bien-fond consiste dessiner deux cartographies narratives, moderne et postmoderne, par
lesquelles les littratures, maghrbine et ngro-africaine, d'expression franaise, balisent
une voie d'accs la Weltliteratur.
Mots-cls : Modernit. Postmodernit. Violence. Crise. Subjectivit. Langage.
Smiologie. Structuralisme. Formalisme. Thmatisme. Smantique. Littratures
Francophones. Littrature maghrbine. Littrature ngro-africaine. Rachid
Boudjedra. Sony Labou Tansi.
Francophone Modernity and Postmodernity in Writings of Violence. The Case of
Rachid Boudjedra and Sony Labou Tansi.
The modernity and postmodernity of the francophone African novel, mainly confined to
the level of diegesis, do not so much form two opposing aesthetics as take part in textual
cooperation. The task of rewriting the former by the latter extends and renews the literary
project of the francophone African novel. As a result, its literary modernity goes beyond a
certain determinism to become part of a textual dynamics and indeed, a dynamiting. Taken
in terms of its insularity, the text establishes an overdetermined literariness through, if
not a logic of violence, at least a principle of subversion, which can be explained by a
problematic relationship to language and a desire to create its own place from which to
speak. This leads to a structural aesthetic that fosters an elaborate, dominant formalism
225
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010
whose modern impact, in terms of renewal and inventiveness, is more fully contained in the
signifier than it is embodied in the signified. This is how literary postmodernity denotes that
through which the francophone African novel diverts the temptation of formal fetishism. It
decentres its aesthetic concern towards the task of reconstructing narratives, placing more
emphasis on the themes, accounts and other stories of violence. Among the characteristic
narrative practices of this writing of the tragic are heterogeneity, hybridization, dissemination
and language play (banalization, irony, playfulness and unreal effect). As a result, such
writing proceeds not from a representation of the crisis or a crisis of representation, but
from an enactment of crisis, an aesthetic site that opens up the creative potential of
postmodern poetic art. Fundamentally, going beyond writings of violence, literary modernity
and postmodernity are the result of a shift in perspective related to the deployment (or
redeployment) of subjectivity in the francophone African novel. And the value of this literary
subjectivity consists in setting out two narrative cartographies, modern and postmodern,
through which francophone literaturesMaghribi and Negro-Africanstake out a path of
access to Weiliteratur.
English keywords: Modernity. Postmodernity. Violence. Crisis. Subjectivity. Language.
Semiology. Structuralism. Formalism. Thematism. Semantics. Francophone literatures.
Maghribi literature. Negro-African literature. Rachid Boudjedra. Sony Labou Tansi.
226
Sous contrat Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation CommercialePas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.0/fr/) - TOURE Thierno Dia - Universit Lyon 2 - 2010