Aurum Potabile
Aurum Potabile
Aurum Potabile
potabile
Plan : 1. introduction - 2. l'aimant des sages [a. colcothar - b. safran de mars - c. d. ethiop
minéral] - 3. sceptre de Jupiter [a. 1ère couronne - b. 2ème couronne - c. 3ème couronne] -
4. l'or [a. historique - coupellation - séparation - b. dissolution - c. purification {α. eau
régale - β. purification - γ. dissolution}]- 5. l'or potable - 6. l'esprit de vin [a. historique - b.
technologie] - 7. dissolutions auriques [a. introduction - b. chlorures - c. oxydes] - 8.
pourpre de Cassius - 9. strass colorés [a. introduction - b. les pierres - c. les couleurs] -
conclusion
Préambule
1
FIGURE I
(Cabala Mineralis, Simeon Ben Cantara)
2
l'image du Soleil et de la Lune hermétique et par delà les siècles,
ils rejoignent Diane et Apollon. Il faudrait encore ajouter les
différents modes de représentation du processus alchimique dont
nous avons parlé en préambule de notre commentaire sur
l'Introïtus de Philalèthe. Nous n'y reviendrons pas ici.
En bref, il y a d'un côté l'alchimie spéculative, entretenue et issue
de la pensée du Moyen Âge où la religion avait valeur de science
absolue et où l'esprit scolastique régnait en maître ; d'un autre
côté, nous trouvons l'alchimie sacerdotale, héritée, paraît-il, de
l'Art sacré pratiqué en Égypte et qui a fait croire à certains érudits,
Dom Pernety par exemple, que les fables d'Ovide voilaient
réellement des tours de main chimiques et des formules
hermétiques, cachées par là au sens commun [on trouve des échos
de cette chimie mythologique jusque dans les écrits de Bacon, voir De la
sagesse des Anciens]. On pourrait citer de nombreuses fables :
celle qui nous paraît la plus à remarquer sous ce rapport met en
scène Cadmus et le serpent Python. L'alchimie « opératique » ne
se démarque pas - dans sa formulation traditionnelle - des deux
approches précédentes et l'on chercherait en vain un texte
alchimique du XVIe ou du XVIIe siècle expurgé de connotations
religieuses ou sacrées. C'est pourtant de cette alchimie qu'est
née, qu'on le veuille ou non, la chimie moderne et F. Hoefer a été
l'un des premiers à rendre hommage aux alchimistes pour leurs
travaux sur l'antimoine, les sels, les chaux métalliques, etc. Mais
Hoefer est allé plus loin et a même écrit que l'alchimie avait sa
propre logique ; qu'elle était cohérente avec les idées des temps
anciens - correspondant au paradigme actuel - et les concepts
véhiculés par les époques où s'est inscrite et profilée la pensée
de chacun des grands auteurs qui figurent dans les sommes que
représentent les compilations éditées au XVIIe siècle. L'alchimie
sous sa formulation « opératique » ne peut donc être nettement
séparée de sa formulation spéculative. C'est de là que
proviennent les interprétations différentes qu'en ont donné les
alchimistes au fil des siècles. Dans la section sur le Mercure,
nous avions déjà noté que les prêtres égyptiens étaient partis de
la terre noire [κεµα], de l'argile et qu'ils avaient été amenés à
préparer d'abord du verre coloré puis après du verre blanc et
peut-être même du cristal. Mais cette préparation n'est pas
intervenue de façon linéaire : le travail des potiers a été
fondamental en ce domaine [Fulcanelli nous rappelle que les impétrants
doivent calquer leur travail sur celui du potier et E. Canseliet insiste sur les
écrits de Piccolpassi]. De ce travail sur l'argile et sur la terre
vitrifiable, des verreries, des terres brûlées, des glaçures même
ont vu le jour. En parallèle, le travail sur les étoffes, le
blanchiment, les teintures se sont peu à peu développées. L'Art
sacré a intégré tous ces éléments et c'est ainsi que des pierres
précieuses artificielles ont été préparées [toutes ces notions sont
développées dans d'autres sections ; nous ne faisons ici que faire le point
quant au but, supposé, poursuivi par les alchimistes].
3
FIGURE II
(Cabala Mineralis)
4
par contre les repérer en fonction de leur pouvoir de rayer le
verre, le quartz ou la topaze. Seuls le saphir et le rubis pouvaient
rayer la topaze [le diamant mis à part, bien sûr]. Et ils pouvaient les
reconnaître par des effets de couleur et d'astérisme. Nous en
avons parlé un peu dans la section sur le Mercure et c'est le but
de la présente section d'en traiter de façon détaillée les éléments
; ces synthèses conduisent aux strass colorés. Il est envisageable
que les anciens alchimistes aient réussi de telles préparations.
Des arguments d'ordre historique plaident en cette faveur : les
relations répétées, dans les textes, au travail sur l'antimoine, à
des préparations d'or particulières, au sublimé corrosif [bichlorure
d'étain] ;
5
Dans les pages qui suivent, on trouvera plusieurs idées
développées, indissociables les unes des autres, quoique
paraissant dissemblables à première vue. Il serait bon que le
lecteur ait déjà des repères pour s'orienter dans ce véritable «
labyrinthe de Salomon » et nous ne saurions trop lui conseiller de
lire d'abord notre précis de symbolisme hermétique. Voici ces
idées :
1)- les anciens alchimistes ont pu, à partir de certains sels d'étain
et de sels d'or, aboutir à la préparation d'une substance assez
complexe qui, pour eux, devaient avoir valeur de prodige et les
inciter à croire qu'ils étaient parvenus à maîtriser la quinte
essence de l'or : c'est le pourpre de Cassius ;
FIGURE III
(Cabala Mineralis)
6
etc.] car, ainsi que nous le verrons, la « tête morte » [caput
mortuum ] obtenue lors de la distillation du vin comporte des sels
complexes qui peuvent donner un dépôt contenant jusqu'à 4 %
d'acide tartrique...On appelle cette tête morte « vinasse ». On a
aussi beaucoup étudié les vinasses obtenus à partir de la
betterave [cf. sections compendium - Principes - héraldique] dont
Fulcanelli, de façon furtive, nous parle plusieurs fois... en citant
Pascal [on lira avec intérêt le Pascal de Jacques Attali, Fayard, 2000].
1. Introduction
7
baigné d'un côté par la dissolution d'argent, et de l'autre par
l'acide chlorhydrique. [il tient donc le milieu entre les deux et se
rapproche du milieu entre les deux extrémités du vaisseau de
nature de Basile Valentin]. Bientôt les deux liquides se mettent
en contact immédiat à travers le bouchon poreux, et il se forme
à la surface supérieure de ce bouchon une petite couche de
chlorure d'argent précipité, à travers laquelle la réaction se
contenue lentement en donnant naissance à une arborisation
de chlorure d'argent corné qui étend ses rameaux mamelonnés
dans la dissolution du sel d'argent. Ce chlorure, blanc d'abord,
devient sous l'influence de la lumière d'un brun violacé. [...]
Cette formation artificielle et par voie humide d'une matière à
aspect vitreux n'est pas sans intérêt pour la géologie ; elle
donne la clef de la formation d'un grand nombre de minéraux
qui ont les mêmes propriétés physiques et paraissent de
même avoir été fondus. [...] C'est ainsi qu'en mettant des
cristaux d'oxydule de cuivre, de carbonate et de phosphate de
cuivre, du carbonate de plomb, d'oxychlorure artificiel de
plomb, en contact avec du zinc et de l'acide sulfurique étendu
d'eau, il y a, en peu de temps, transformation des oxydes ou
des sels en masses métalliques à formes cristallines. Il suffit,
pour que ces phénomènes de réduction se produisent, que le
minéral à réduire soit en contact immédiat, par un point
quelconque, avec le zinc immergé dans l'acide sulfurique
faible. La réduction se propage peu à peu et de proche en
proche sur toute la surface et dans toute l'épaisseur de la
masse cristalline
8
tantôt il se combine avec la base en excès et forme des silicates
simples ou multiples [voir section saturnie végétale] et ces silicates
terreux peuvent d'ailleurs se lier à certains sels d'antimoine [cf.
Char triomphal]. Ce que cette réaction présente de remarquable,
c'est que l'acide silicique qui prend ainsi naissance et les silicates
qui en sont les produits ont une extrême tendance à cristalliser et
il importe d'observer tout de suite que la cristallisation de ces
composés s'établit à des températures inférieures à leur point de
fusion. En faisant varier les proportions de base soumises au
chlorure de silicium, G. Daubrée a pu préparer de l'idocrase, du
grenat [dont nous avons établi -cf. Mercure de nature- qu'il constituait la
pierre de transition entre celles trop riches en éléments mercuriels et celles
qui se rapprochent le plus de la pierre au rubigo], de l'émeraude et du
zircon [très souvent employé en bijouterie comme substitut du diamant].
Le chlorure d'aluminium peut être utilisé de la même manière que
le chlorure de silicium : en passant sur de la chaux au rouge, il
produit du chlorure de calcium et de l'alumine en cristaux de deux
formes différentes qui se rapportent à deux types propres au
corindon [base du rubigo] et ayant de grandes ressemblances avec
les télésies. Le même type de réaction a encore lieu avec la
magnésie qui peut se combiner en sorte de donner du spinelle :
on met pour cela en présence un mélange de chlorure
d'aluminium et de chlorure de magnésium en présence de chaux
portée à la chaleur rouge. Avec les chlorures de zinc et
d'aluminium, on produit le spinelle zincifère ou gahnite [qui a
peut-être été préparé par Fulcanelli, vu ses nombreuses références
cryptées au zinc]. La magnésie cristallisée [périclase de la Somma]
peut être obtenue par la réaction de la chaux sur le chlorure de
magnésie que l'on trouve dans les vapeurs chlorurées des
fumerolles du Vésuve. Le même chlorure de magnésie peut
donner, sous l'influence de la vapeur d'eau, donne aussi la
périclase et le chlorure de zinc fournit du zinc cristallisé.
Cette notion d'un chlorure pouvant cristalliser est donc
fondamentale dans l'explication de certaines cristallisations
naturelles et la chaux semble jouer, à cet égard, un rôle
déterminant dans des réactions d'oxydo-réduction. Dans la
section du Mercure de nature, nous avons rappelé que la richesse
des calcaires cristallins en minéraux étrangers est le résultat de
ce que la chaux, en y réagissant avec la silice, a servi à former
des silicates particuliers. C'est ainsi que le corindon, le spinelle
[éléments du rubigo], le périclase n'ont pu s'y développer sans
l'introduction postérieure d'agents chimiques qui leur étaient
étrangers. C'est par l'intervention d'émanations chlorurées et
fluorées que s'explique la formation de ces combinaisons, au
niveau de fissures ou au sein de roches qui sont devenues
ensuite très compactes.
Si l'on reprend l'exemple -Mercure de nature- des calcaires
cristallins et des dolomies les mieux dotés en minéraux
[Saint-Gothard, Suède, Finlande], on observe que c'est l'arrivée des
chlorures, mélangés à des fluorures et aussi mêlés à des
composés sulfurés qui rendent compte de la formation des
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minéraux cristallisés qui nous intéressent. Ce n'est que par cette
manière de voir que l'on peut expliquer les dépôts de zinc oxydé
rouge ou des amas de fer oligiste oxydulé qui ont été engendrés
dans le calcaire. En termes hermétiques, c'est la Terre qui sert de
matrice ou de mère à la genèse du minéral, par l'aide d'un agent
universel [l'action catalytique des minéralisateurs, sels stannifères,
chlorures et fluorures] disposé en forme d'esprit salin, de complexion
humide et ignée. Cet esprit permet l'accrétion du Soufre et permet
dans certains cas la naissance du rubigo et l'interaction entre la
Terre et l'Esprit procède des affinités chimiques différentes entre
l'antimoine et la magnésie des Sages : les expériences montrent
ainsi qu'en présence du chlorure de silicium ou d'aluminium, la
chaux cède son oxygène, la magnésie passe à l'état d'oxyde et
entre dans la combinaison oxydée avec la silice ou l'alumine
réincrudée. Ce sont ces phénomènes d'oxydation [en terme
hermétique, de corruption] qui expliquent que le quartz puisse
cristalliser plus tardivement que les silicates à une température
qui dépasse à peine le rouge-cerise et donc, très inférieure à son
point de fusion [les alchimistes ont dit qu'à partir d'une certaine époque de
l'oeuvre, le travail se faisait grâce à des causes physiques qui dépassaient
la seule chimie et Fulcanelli situe la transition à partir de l'infusion des deux
Soufres dans le dissolvant]. L'eau, enfin, doit être évoquée dans ce
processus ; loin d'hydrater, elle joue au contraire, à forte
température et sous pression, un rôle de déshydratation et on voit
la silice et l'alumine, anhydres, se séparer d'une dissolution
aqueuse à une température de 300 à 400°C. C'est dans ces états
limites qu'il faut situer la formation, par voie sèche et par voie
humide, du quartz [l'Esprit corporifié] et du corindon [le Corps de la
Pierre].
FIGURE IV
10
(Cabala Mineralis)
11
aux molécules des masses minéralisées cristallisables de se
mouvoir librement. Ce liquide, dans des circonstances
particulières, agit comme dissolvant et permet à la matière
cristallisable de pénétrer à travers les corps poreux, pour former à
leur surface des cristaux. Ensuite, c'est très souvent qu'on voit la
relation au fer oligiste et cela mérite un développement, allant de
pair avec le concept « d'Aimant des sages » rencontré dans les
textes que l'on étudiera au chapitre 2. Pour le moment, nous
allons continuer cette étude des chlorures avec une note de
Frédéric Kuhlmann aux Comptes rendus de l'Académie des plus
intéressantes :
12
se dit ιον et le vert-de-gris se dit ιος ; c'est aussi le suc des
abeilles : les abeilles sont l'équivalent du Mercure puisqu'il s'agit
de messagers entre les fleurs qu'elles pollinisent et le miel qui
constitue le produit du pollen [le miel est assimilable à la Pierre]. Ιος,
c'est aussi le venin, la corruption [cf. section réincrudation].
13
FIGURE V
(Cabala Mineralis)
14
dans une cornue tubulée, que l'on place sur un fourneau et dont
on fait rendre le col dans un récipient lui-même tubulé. On adapte
au récipient un tube recourbé qu'on fait plonger dans l'eau, et à la
cornue, un tube en S. On verse par celui-ci l'esprit-de-sel en
dissolution concentrée et l'on en favorise l'action par une légère
chaleur. L'acide est décomposé : de là, du gaz hydrogène très
infect qui se dégage et du proto-chlorure qui se dissout. Au fur et
à mesure, on verse de nouvel acide et l'on continue jusqu'à ce
que la majeure partie de l'étain soit dissoute ; alors on fait
évaporer la dissolution dans la cornue même, on la décante dans
un flacon que l'on bouche avec soin et on l'abandonne à
elle-même : elle cristallise en prismes incolores par le
refroidissement. Les cristaux doivent être conservés à l'abri du
contact de l'air.
15
soude : le produit que l'on obtient état autrefois connu dans le
commerce sous le nom de composition d'étain.
Nous voici donc avec des chlorures d'étain que de façon globale,
on peut assimiler au sceptre de Jupiter.
16
a)- historique
17
FIGURE VI
(Cabala Mineralis)
"Dans le temple de Bel, il y a une chapelle en bas, où l'on voit une grande
statue d'or qui représente Jupiter assis. Près de cette statue est une grande
table d'or, le trône et le marche-pied sont du même métal. Le tout, au rapport
des Chaldéens, est du poids de huit cents talents."
18
Bactriane, de la Médie, de l'Arabie, de l'Assyrie, de la Colchide
[Pactole], de la contrée d'Ohir, du pays de Sofala [côtes orientales
d'Afrique], de la Macédoine, de la Gaule et de l'Espagne. L'or était
recherché aussi dans les rivières et les torrents ; Diodore de
Sicile, Pline et Strabon rapportent que le Rhône et d'autres
rivières de la Gaule charriaient des paillettes d'or, que les Gaulois
retiraient péniblement des sables. Les Grecs exploitaient de
même les rivières de la Thessalie et de la Macédoine ; celles de
la Bosnie, de la Servie, l'Hèbre, le Tage et le Pô, au temps de
Pline, étaient l'objet de pareilles recherches. On a retrouvé les
anciennes laveries d'Haliacmon, sur le versant occidental du
Pinde ; les Bohémiens exploitent encore là des sables aurifères
avec des couvertures de laine et des toisons, comme au temps
légendaire des Argonautes, par les procédés de Jason et de la
toison d'or, décrits par Cyprien [Les travaux publics au temps des
Romains, Légir]. Les Phéniciens, avant l'arrivée des colonies
égyptiennes dans la Grèce, avaient, d'après Hérodote, construit
des fonderies pour purifier l'or récolté dans l'île de Thasos et au
mont Pangée, dans la Macédoine, les mines les plus
anciennement exploitées. La Phrygie était, elle aussi, fertile en
mines d'or ; Strabon dit :
19
généralement emportée par le désir d'en acquérir et d'en
accumuler. Le philosophe qui calcule les crimes de tous les
genres que cette passion effrénée a fait commettre sur le globe,
est obligé de conclure que. malgré les avantages que ce métal a
procurés à la société, la somme des maux qu'il a produits
l'emporte de beaucoup sur celle du bien qu'il a fait naître. Dans la
suite des recherches et des expériences nombreuses qui ont été
faites sur l'or, les longs et pénibles travaux entrepris par les
alchimistes tiennent le premier rang, et ouvrent pour ainsi dire, la
scène des découvertes chimériques dont il a été l'objet. Après
avoir regardé l'or comme le plus pur, le plus parfait, le plus
inaltérable, le plus simple des métaux ; après l'avoir décoré du
vain titre de roi, ils l'ont comparé au soleil, et ils l'ont représenté
par le même emblème. Un cercle était le signe de sa perfection et
de son immutabilité ; c'était pour eux l'extrême, le summum de la
métallisation, l'oeuvre le plus accompli parmi les fossiles ; et peu
s'en est fallu que dans leur délire ils ne l'aient placé à la tète de la
création. Non seulement, suivant eux, il ne contenait rien d'âcre,
rien d'étranger à la nature métallique, mais il était le produit d'une
maturation accomplie, d'une incubation perfectionnée. De là les
lentes expériences auxquelles ils soumettaient les autres métaux
pour les mûrir et les perfectionner; de là l'infatigable patience
qu'ils apportaient dans leurs recherches, et les formes ridicules
même qu'ils donnaient à leurs instrument. L'argent, le plus voisin
de l'état d'or, n'avait, dans leurs hypothétiques opinions, qu'un
dernier degré d'amélioration à subir, qu'une teinture à acquérir,
qu'une sorte d'affinage et de fixité à éprouver. Malheureux
artisans d'un métier qui n'a jamais existé, et dont il est douteux
que l'objet soit jamais déterminé [cf. supra pour des hypothèses sur le
sujet], quoiqu'on ne puisse pas assurer qu'il y ait une impossibilité
absolue de découvrir sa nature et sa composition intime, plus les
alchimistes ont travaillé, et plus ils semblent s'être écartés du but
qu'ils voulaient atteindre. Tout a prouvé jusqu'ici que l'or, comme
les autres métaux, est un corps indestructible dont on ne peut
séparer aucun principe, qu'on ne peut en aucune manière
décomposer, et qui se comporte dans toutes les circonstances
des opérations chimiques comme une matière simple ou
indécomposable. Tout en ne faisant rien de ce qu'ils voulaient
faire, les alchimistes ont appris à traiter l'or de beaucoup de
manières différentes, à le faire changer de forme et de propriété,
à le rappeler à son premier état, à le faire sortir aussi pur, aussi
brillant et aussi intact des tortures multipliées qu'ils lui ont fait
subir, à le faire entrer dans différentes compositions, et surtout à
le faire servir à plusieurs opérations curieuses ou utiles. C'est
dans les récits fastueux des alchimistes que les premiers
chimistes systématiques ont puisé les connaissances qu'ils ont
commencé à recueillir et à disposer méthodiquement sur l'or. Ils
ont également profité des nombreux travaux des Adeptes,
entrepris dans l'intention toujours trompée et toujours renaissante
jusqu'aux jours de la physique expérimentale, de trouver dans ce
métal une panacée, un remède universel. Toutes les recettes d'or
20
potable, de teintures et d'élixirs aurifiques, tous les moyens
prétendus de le diviser [l'or peut être préparé de façon très divisé ; cela
n'est donc pas une pure utopie. Et c'est même sous cette forme qu'il
constitue le pourpre de Cassius], de l'atténuer, de le dissoudre [de
même, le sesquichlorure d'or constitue la base des autres dissolutions
auriques], ont été pour les véritables chimistes autant de faits sur
ses affinités et ses combinaisons. Les travaux plus sensés des
docimastiques et des métallurgistes sur l'art d'essayer, de purifier,
d'extraire, d'affiner, de fondre, de couler, de forger et d'employer
l'or de mille manières différentes, ont fourni beaucoup de détails
utiles aux chimistes pour composer l'histoire de ce métal
important. Enfin, les nombreuses et industrieuses pratiques de
plusieurs arts dans lesquels on emploie l'or pour lui donner cent
formes variées, pour le multiplier en surfaces, pour le faire briller
en bijoux, ont encore servi aux auteurs des traités de chimie ; et
de cette source abondante ont découlé tous les faits qui
composent son histoire particulière.
FIGURE VII
(Cabala Mineralis)
"Un sujet de surprise, dit Pline, c'est que pour purifier l'argent, il faille le
21
calciner avec du plomb."
22
rouges qui en provenaient ; ces litharges, ou écume d'argent,
comme les appelle Pline, étaient revivifiées et donnaient du plomb
pauvre. (Léger, les Travaux publics aux temps du Romains). L'or
pur était appelé par les anciens or apyre (or sans feu), c'est-a-dire
qui n'a pas besoin de passer par le feu. Agatarchide nous indique
le moyen qu'on employait pour purifier l'or :
« Les fondeurs, dit-il, après avoir reçu, au poids et à la mesure, une certaine
quantité de minerai d'or, le déposent dans un vase de terre ; ils y ajoutent du
plomb proportionnellement à la quantité d'or, avec une addition de sel, d'un
peu d'étain et de son d'orge ; ensuite ils recouvrent le creuset d'un couvercle
qu'ils lutent exactement; enfin, ils exposent le creuset à un feu de fourneau
pendant cinq jours et cinq nuits, sans discontinuer. Après ce laps de temps,
ils laissent refroidir la matière. Alors on voit apparaître l'or très pur, et sans la
moindre trace des substances étrangères qu`on y avait ajoutées. Le métal a
perdu un peu de son poids. »
« Les uns, dit Pline, altèrent les monnaies en y ajoutant du cuivre, les autres
font une soustraction du poids légalement établi, et qui est tel que 84 deniers
pèsent exactement une livre, C'est pourquoi on institua par une loi l'art
d'essai les monnaies (ars demarios probandi). Cette loi était si agréable au
peuple qu'on éleva à Marius Gratidianius, qui l'avait fait porter, des statues
massives dans toutes les rues de Rome... »
23
plomb résiste le moins ; il s'en va et se sépare promptement. »
24
« Les coupelles, y est-il dit, sont de petits vaisseau à plat et peu creux,
composez de cendres de sarment et d'os de pieds de moutons calcinez et
bien lessivez ; pour en séparer les sels qui feroient pétiller la matière de
l'essay, on bat bien le tout ensemble, et après cela on met, dans l'endroit où
l'on a fait le creux, une goutte de liqueur qui n'est autre chose que de l'eau
où l'on a délayé de la mâchoire de brochet ou de la corne de cerf calcinez:
ce qui ha une manière de vernis blanc dans le creux de la coupelle, afin que
la matière de l'essay y puisse estre plus nettement, et que le bouton de
l'essay s'en détache plus facilement. »
FIGURE VIII
(Cabala Mineralis)
25
Séparation de l'or et de l'argent. -- Les Anciens savaient séparer l'or
de l'argent. Strabon dit, en parlant des mines d'or du sud de
l'Espagne :
« Si l'or est fondu et purifié à l'aide d'une certaine terre appelée stypteria, il
reste un résidu d'électrum (alliage d'or et d'argent) ; mais si l'on recuit
ensuite ce résidu, qui contient de l'or et de l'argent, l'argent se consume et
l'or reste ».
« On torréfie l'or dans un vase en terre, avec deux fois son poids de sel et
trois fois son poids de misy puis on répète l'opération avec deux parties de
sel et une partie de la pierre appelée schiste. De cette façon, il donne des
propriétés actives aux substances chauffées avec lui, tout en demeurant pur
et intact. Le résidu est une cendre que l'on conserve dans un vase en terre.
»
26
donnée par M. Berthelot.
« Prenant deux parties de sel ammoniac et trois parties de sel de nitre, broie
bien dans un mortier ».
27
Anciens).
28
degré de sa pureté.
FIGURE IX
(Cabala Mineralis)
sesquichlorure d'or
29
de sesquichlorure d'or est décomposée par la
lumière : en effet, les parois intérieures des
flacons de verre qui contiennent ce liquide se
recouvrent peu à peu d'une couche de métal
et finissent par dorer. Le protochlorure d'étain
y détermine un dépôt d'un beau rouge foncé
[pourpre de Cassius, combinaison d'or, d'étain
et d'oxygène]
30
aurez une eau régale. Quoique j'aie dit qu'il ne demeurait rien
du vitriol dans l'eau forte, il est pourtant certain que le nitre
emporte avec soi quelques particules métalliques de Vénus
[c'est donc à partir de la couperose ou vitriol bleu que
travaille Lefèvre]. La preuve de ceci, est que si on met un
couteau dans l'eau-forte lorsqu'elle bout, il s'enrouille
incontinent, par la raison que les particules acides qui exhalent
de l'eau forte, corrodent le fer : ainsi quoi qu'il ne reste ruien du
vitriol dans l'eau forte, néanmoins suivant la pensée de
Glauber, il se joint quelques particules métalliques à l'esprit de
nitre qui montent avec lui.
31
au feu de sable dans un récipient, jusqu'à ce que le sel
demeure sec au fond de la cornue, et conservez l'eau dans une
fiole bien bouchée.
Autre eau régale - Prenez une livre de sel marin, ou de sel
gemme, et une livre de bon salpêtre, mette-les en poudre
subtile, et les mettez avec huit livres de bol commun aussi en
poudre, puis les distillez par la cornue à feu de réverbère, de la
même façon que nous avaons enseigné la distillation de l'esprit
de nitre, et vous aurez une eau régale, laquelle dissoudra
facilement l'or.
β )- l'or - à purification
L'or a tenu assez tôt le premier rang entre les sept métaux - nous
dit Nicolas Lemery - parce qu'on lui reconnaissait des vertus
incomparables : il était réputé le plus parfait, le plus pesant, il
recevait les influences du plus beau de tous les astres, qui est le
Soleil. Assez tôt, aussi, en médecine, l'or fut considéré comme un
bon remède pour ceux qui présentaient des signes d'intoxication
au mercure, car ces deux métaux forment un amalgame. Voici
comment on le purifiait naguère :
32
séparation de l'argent d'avec l'or, par le moyen de l'eau-forte,
car ce dissolvant dissout fort bien l'argent, mais l'or demeure
en poudre au fond du vaisseau par la raison que nous dirons
au chapitre de l'eau régale. [...] On a encore une autre méthode
pour purifier l'or, à savoir la cémentation qui se fait ainsi. On
stratifie dans un creuset des lamines d'or, avec une pâte sèche
qu'on appelle cément, dans lequel on fait entrer des sels
gemmes et Armoniac : On couvre ce creuset, puis l'ayant
entouré de feu on fait calciner la matière pendant dix ou douze
heures avec beaucoup de violence, afin que les sels mangent
et consument les impuretés de l'or ; mais souvent ils le laissent
encore chargé d'autres métaux [...] La purification de l'or par
l'antimoine est plus assurée que les autres ; car il n'y a que l'or
qui soit assez solide pour résister à ce dévorant : il en mange
souvent une petite portion, mais il ne laisse aucun autre métal.
Il faut observer de mettre un tuileau sous le creuset, de peur
que l'air venant par le cendrier, n'en refroidisse le fond. L'or se
met en fusion aussitôt que l'antimoine est jeté dans le creuset,
parce que l'antimoine est rempli de certains soufres salins, qui
augmentent la force du feu, et séparent les parties de ce métal
; c'est alors que ce qu'il y a de plus poreux et volatil s'étant uni
avec l'antimoine, une partie s'exalte en fumée, et l'autre partie
qui est plus fixe demeure en scories. Les étincelles qui sortent
de la matière, sur la fin, proviennent de quelques particules
d'antimoine qui s'étant trouvées embarrassées dans l'or, ont
fait violence pour en sortir : il faut alors retirer la matière du feu
afin qu'il ne s'en perde point, et la renversant dans un culot,
comme nous avons dit. On fait ensuite refondre le régule sur
lequel on jette du salpêtre, afin qu'il absorbe tout l'antimoine qui
pourrait être resté, et de cette manière on a un régule autant
purifié qu'il peut l'être.
33
FIGURE X
(Cabala Mineralis)
34
d'or, sans excès d'acide chlorhydrique et dont
100 parties renferment 64.88 d'or et 35.12 de
chlore.
35
croit que l'or à l'état de division extrême a une couleur pourpre.
Ceci semble en accord avec ce que nous savons de la cabale
hermétique : le pourpre est la couleur par excellence que
l'alchimiste recherche dans son travail et qui ne paraît que
tardivement. Nous renvoyons le lecteur sur ce sujet à ce que nous
avons écrit dans le commentaire du char triomphal de l'antimoine.
En fait, l'or est d'une couleur tellement extraordinaire que l'on fera
voir sur le cercle chromatique d'E. Chevreul la disposition
circulaire que revêt l'or, au point de vue de sa coloration.
FIGURE XI
(planche extraite de : Les couleurs et leurs applications aux arts industriels à
l'aide des cercles chromatiques, Eugène Chevreul, J.B. Baillière et fils,
1864)
"La légende évoque souvent l'Elixir de longue vie destiné à lutter contre la
vieillesse et la décrépitude. Plus près de nous, l'Or potable des alchimistes
possédait de merveilleuses vertus pour guérir les maladies les plus rebelles,
régénérer l'organisme et assurer un grand âge à son détenteur."
36
La vérité est, hélas, beaucoup plus prosaïque et l'or potable ne
semble plus guère avoir de vertu. Toutefois, en thérapeutique
humaine, en rhumatologie, nous soignons encore certains
rhumatismes inflammatoires chroniques, et tout spécialement le
plus fréquent d'entre eux, la polyarthrite rhumatoïde par des sels
d'or, soit en injections intra- musculaires, soit en comprimés : c'est
le seul point de rapprochement que l'on peut faire avec l'or
potable des Anciens. Et encore ! De nombreux effets indésirables
empêchent souvent d'utiliser les sels d'or et de nombreuses
précautions doivent être prises avant chaque injection. Le sels
d'or ne sont pas utilisés dans d'autres spécialités médicales ; on
leur accorde généralement un rôle dans l'immuno- modulation des
phénomènes inflammatoires qui conduisent à la destruction
progressive de la synoviale des articulations. Pourtant, il
semblerait qu'Armand Barbault ait pu arriver à des résultats
singuliers comme on va le lire dans l'extrait ci-dessous.
Malheureusement, ces essais n'ont pu être reproduits et nous
devrons donc, à regret, les ranger avec les autres décoctions d'or,
dans les produits inutiles, voire dangereux. Voici cet extrait :
37
explication de ce phénomène. D'autres, inspirés par les
conceptions théosophiques ou anthroposophiques, m'ont
assuré qu'il n'y avait rien là que de normal, l'or se trouvant
transporté sur un tout autre plan que le plan physique, à savoir
le plan éthérique, ce qui d'ailleurs est à l'origine de ses vertus
thérapeutiques. Il faut souligner, disent-ils, que certaines
maladies nouvelles qui semblent inguérissables au moyen des
médicaments modernes sont en fait des maladies qui ont leur
siège dans le corps éthérique, en sorte qu'il est fort possible
que celte médecine alchimique de l'or ait des effets positifs du
fait que la préparation est apte à faire passer le médicament
spécifique sur le plan éthérique. Cependant je dois dire que,
pour satisfaisantes qu'elles soient, ces considérations sont loin
d'exprimer la certitude que je ressens profondément. C'est que
je n'oublie pas ce que disaient les alchimistes et notamment
Raymond Lulle, quand ils affirmaient que l'or a un corps mais
aussi une âme et lorsqu'ils admettaient que cette âme de l'or
était sa couleur, cette dernière contenant alors toutes les vertus
thérapeutiques du métal. Or, la couleur de l'or passe dans ma
liqueur. même. Si l'analyse chimique et l'examen
spectrographique n'y révèlent aucune parcelle corporelle de ce
métal. C'est ma végétabilisation de l'or qui a extrait cette âme
assimilable. Quant à moi, je pense que cette préparation est
justement celle que certains spagiristes nomment or végétal ou
encore or végétabilisé ; en effet, l'énergie qui permet, d'une
part, l'action des poudres dissolvantes sur l'or métal et, d'autre
part, la régénération de la poudre épuisée, cette énergie
provient des végétaux. Aussi bien cette préparation qui ne
contient aucun élément toxique et peut donc s'absorber sans
aucun danger à raison toutefois de quelques gouttes seulement
chaque jour, est-elle parfaitement assimilable. Elle est issue en
quelque sorte des végétaux de la terre lui sont eux-mêmes
assimilables par le corps humain. Ici encore, les lois d'analogie
permettent de comprendre le phénomène.[...]
38
Différentes recettes ont été essayées. On les trouve dans le Cours
de chymie de Nicolas Lefèvre, en addition au texte [Cours de
chymie, pour servir d'introduction à cette science, par Nicolas Le Fèvre,
Paris, J.-N. Leloup, 1751]. Les voici :
39
once d'huile essentielle de genièvre. Cette huile prend une
couleur jaune et l'on sépare le menstrue décoloré,
c'est-à-dire l'eau régale, par l'entonnoir. On verse ensuite
sur cette huile de l'esprit de vin qui l'étend. On laisse ces
deux matières en digestion douce pendant un mois ou deux,
et pendant ce temps-là, l'esprit de vin se teint en jaune, puis
en rouge. [Ici, par l'eau régale, on forme du sesquichlorure d'or
qui est très soluble dans l'eau et dans l'alcool, qu'il colore en
rouge de rubis. Lorsqu'on l'agite avec de l'éther, il se dissout et
la liqueur se partage par le repos en deux parties, l'une
inférieure, incolore qui n'est que de l'eau chargée d'acide
hydro-chlorique, et l'autre d'un beau jaune qui surnage et qui
contient tout l'or ; cette 2ème préparation semble correspondre à
cela. Dans ces conditions, il est possible qu'elle conduise au
véritable or potable] ;
40
cucurbite restera une terre damnée, terra damnata, filtrez vos
phlegmes et les faites distiller lentement au bain, et le sel vous
restera d'une blancheur de neige. Il faut observer que
Raymond Lulle prétend que quand la terre est calcinée,
quoique impure, on doit y joindre son âme qui se trouve infuse
dans l'esprit de vin ci-dessus ; même avant que de tirer l'âme
de cette terre damnée, ce qu'il pratiquait, afin de pouvoir
sublimer ensemble l'âme avec sa terre. Je l'ai fait de deux
manières, mais j'ai crû devoir préférer mon opération à celle de
Raymond Lulle ; j'en ai tiré une plus grande quantité de sel, et
qui même est beaucoup meilleur. Cependant l'une et l'autre
méthode est bonne. Prenez maintenant cette terre qui est
épurée, et la mettez dans une cucurbite avec l'eau de vie
animée ci-dessus, vous l'y mettrez toute ou du moins la moitié,
et vous la distillerez à feu très lent, et par là le sel s'unit avec
l'âme, et par cette partie de l'opération, votre terre devient
animée. Après quoi vous prendrez trois livres de nouvel esprit
de vin qui n'ait pas encore servi, et vous l'insinuerez dans une
cornue avec trois onces de votre sel animé, et après avoir bien
lutté la cornue, vous la distillerez à un feu modéré, et vous
aurez en même temps le corps, l'âme et l'esprit. Mais si à la fin
de votre opération il restait au fond de la cornue quelque partie
de votre terre, il faudra y verser de nouvel esprit de vin, à
proportion de la terre qui vous reste ; car l'esprit ne reçoit pas
plus de terre que ce qu'il peut enlever avec soi dans la
distillation. Cette eau s'appelle la quinte essence végétable , et
sert de menstrue pour la conservation des natures humaines et
métalliques ; c'est ce dissolvant glorieux qui dissout l'or et lui
communique toute sa perfection, qu'il tire tant de cet esprit que
de son sel dissous, liquéfié et même exalté dans cette quinte
essence. C'est par ce moyen que nous achevons nos
opérations. C'est ce qui a fait dire à Guillaume de Paris,
excellent Philosophe, que la femme dissolvait son mari, et que
le mari fixait sa femme, parce que par une analogie tirée de la
conjonction de l'homme et de la femme, cette quinte essence
végétable faisait la dissolution de l'or, de même par un retour
réciproque ; l'or, quoique dissous, fixait le corps de cette
quintessence, qui devient ensuite inutile à toute autre chose.
Les Philosophes savent que l'or est le feu le plus puissant que
l'on connaisse, qui ne saurait être surmonté par aucun autre
feu ; il a même la force de fixer tous les autres métaux, parce
que le fixe a seul pouvoir de fixer. il est donc certain que sans
notre quinte-essence, on ne saurait arriver à rien de parfait,
tant pour la conservation du corps humain, que pour la
transmutation des métaux. On voit par là que tous ceux qui
emploient des eaux fortes et d'autres corrosifs, loin de faire
quelque chose de bon et de louable, ne font que montrer leur
ignorance ; c'est ce qui a fait dire à Raymond Lulle, à Arnauld
de Villeneuve, à Albert Le Grand, et autres grands maîtres en
cet art, que la véritable dissolution ne saurait se faire par ces
eaux violentes et corrosives, qui ne sont pas conformes à la
nature. Il nous faut parler maintenant de la calcination de l'or,
que sa composition dure, ferrée et compacte empêche d'être
dissout à moins qu'il ne soit auparavant calciné et réduit en
parties subtiles et presque imperceptibles. C'est par
conséquent une opération nécessaire dans laquelle nous
suivrons principalement Raymond Lulle, qui la fait d'une
manière naturelle et sans corrosif.
41
FIGURE XI
(Cabala Mineralis)
42
votre distillation. Vous le distillerez derechef, laverez, sécherez
et mettrez en poudre. Après cette calcination et pulvérisation,
prenez une once de cette poudre aurifique, que vous mettrez
dans un matras avec cinq onces de notre quinte essence
ci-dessus spécifiée, bouchez le matras et le mettez sur les
cendres chaudes pour le faire bouillir, pendant vingt-quatre
heures, puis au bain-marie pendant une nuit, après quoi versez
par inclination ce qui a pris teinture, réitérez cette infusion de la
quinte essence sur la poudre d'or, tant qu'elle en tirera la
teinture, par là on prend l'âme de l'or. Vous mettrez toute votre
quinte essence colorée dans un alambic au bain-marie, et vous
calcinerez l'âme de votre or pendant quarante jours, c'est le
temps que marquent les Philosophes ; d'autres le font en trente
jours ; pour moi je l'ai fais en vingt. Mais ce temps est au choix
de l'artiste, quoique les Philosophes disent que plus l'or est
épuré, plus il est exalté. Cette pierre ainsi préparée, est la
seule qui puisse servir à la guérison des maladies et à la
conservation du corps humain, au lieu que celle qui est
préparée par des minéraux, est corrosive, dangereuse dans
l'usage et difficile à digérer. Il faut avouer cependant que pour
la transmutation des métaux, la pierre faite par les corrosifs a
plus de force que celle qui est faite par la quinte essence
végétable. Mais pour revenir à notre opération : nous vous
disons donc de prendre l'âme de l'or jointe avec notre quinte
essence, putréfiez-là au bain et la distillez, et vous trouverez au
fond de la cucurbite votre or rouge, spiritualisé et d'une odeur
très agréable, dont vous pourrez user à votre volonté. Ainsi
vous aurez l'or potable préparé suivant la maxime des
Philosophes. Quant à la quinte-essence que vous en avez
retirée, conservez-là précieusement pour votre usage : elle est
d'une efficacité admirable, et se trouve remplie de toutes les
vertus de l'or. Il est bon de remarquer après Raymond Lulle,
que la quinte-essence n'acquiert une odeur agréable, que
quand elle a été jointe à l'or. Pour la terre qui reste de votre or,
après en avoir tiré la teinture, mettez-là dans une cucurbite, et
versez dessus de votre menstrue végétable qui ne vous a pas
encore servi, mettez-le au bain de cendres, et le distillez et
cohobez dix ou douze fois ; desséchez-là et la mettez en un
lieu frais pour la faire tomber en délit [deliquum] , et vous
pourrez vous en servir pour la santé ou autrement.
43
comparé. Mais je crois devoir avertir que la dissolution de toute
la substance de l'or, est beaucoup meilleure pour la
transmutation des métaux, que l'extraction de son âme, telle
que je l'ai enseignée ci-dessus ; parce qu'après cette extraction
faite, suivant notre méthode, il reste une terre dans laquelle on
trouve beaucoup d'esprit mercuriel de ce métal. On peut lire
sur notre quinte essence végétable et sur la dissolution de l'or,
ce qu'en a écrit Raymond Lulle en son Livre des
Quinte-essences.
44
- Pour faire l'or potable - Faites amalgame de l'or avec six fois son
poids de mercure, broyez, triturez, purifiez bien l'amalgame avec sel
et vinaigre distillé pour en ôter les noirceurs.Retirez par le cuir la
moitié de votre mercure. Triturez le reste avec son pesant du total de
fleur de soufre, faites évaporer au creuset ; & le soufre en brûlant
enlèvera le mercure & laissera l'or très-bien calciné. Et s'il est besoin
recommencez le même procédé pour avoir l'or en poudre impalpable
; réverbérez cet or au fourneau du réverbère, & il restera en fleurs.
Prenez lesdites fleurs & les mettez en excellent vinaigre distillé, que
vous mettrez pendant quinze jours au fumier de Cheval. Versez par
inclination le vinaigre qui sera coloré, & en remettez d'autre ; faites
digérer de même dans le fumier ; continuez aussi longtemps que le
vinaigre ne se colore plus. Retirez votre vinaigre au feu de cendres
par une cucurbite & alambic de verre, & il vous restera une huile
noirâtre, sur laquelle vous verserez de l'esprit de vin, que vous ferez
digérer en vaisseau de rencontre pendant douze semaines, & votre
esprit de vin se coagulera ; mettez en poudre & le placer fur un verre
à la cave & l'or tombera en huile, qui est l'or potable, dont il faut user
avec modération & en petite quantité, comme de deux, trois ou quatre
gouttes dans un véhicule convenable [...]
FIGURE XII
(Cabala Mineralis)
- Or potable de Paracelse -
Distillez dix pintes de bon vin rouge, dont vous tirerez deux
pintes d'esprit de vin que vous rectifierez et réduirez à une
pinte. Il faut que cet esprit soit sans phlegme. Mettez-le en un
matras bouché d'un autre de rencontre et bien lutté. Laissez-le
circuler six semaines entières dans le fumier de cheval que
vous renouvellerez tous les cinq ou six jours. Au bout de ce
terme, examinez s'il y a au fond du matras une poudre blanche
45
séparée de la quinte essence : si cela n'est pas faites encore
circuler tant que vous verrez ce signe. Alors ouvrez votre
matras, versez votre quinte essence doucement par inclination,
elle rend une odeur très agréable. Quand vous aurez tiré votre
esprit de vin, distillez le phlegme de votre vin que vous mettrez
à part ; calcinez les fèces à feu lent et les desséchez. Mettez
en poudre et faites bien sécher sur le sable chaud. Mettez en
cucurbite et y jetez de votre phlegme, que vous ferez digérer
vingt-quatre heures sur cendres chaudes ; versez par
inclination, remettez de nouveau phlegme et digérez de même
ce que vous répéterez tant de fois que les fèces ne contiennent
plus de sel. Filtrez tous ces phlegmes et les distillez au bain, et
le sel restera au fond de la cucurbite ; pour rendre ce sel plus
pur, dissolvez-le dans son phlegme, filtrez et le distillez de
nouveau ; et ce sel sera très purifié. Faites circuler sur cendres
chaudes dans un matras deux parts de ce sel, avec une part de
la quinte essence odorante, tant qu'ils se coagulent et
congèlent en sel transparent. C'est le vrai sel des Philosophes,
par lequel on calcine l'or, les pierres, perles, corail, etc. Broyez
une partie de ce sel avec autant d'or en feuille, et jetez dessus
la moitié de leur poids de la quinte essence susdite, et les
mêlez bien ensemble en un mortier de verre. Incontinent l'or se
résoudra en une liqueur couleur de sang, qui est le véritable or
potable.
Sur trois parties de sel de tartre très pur, vous mettrez deux
parts de soufre jaune, que vous ferez fondre en un creuset, et
pendant la fusion vous y jetterez une partie d'or, qui s'y fondra
et dissoudra facilement. Après la fusion, retirez la matière du
feu, et vous trouverez un hepar sulphuris qui se pulvérisera.
Mettez cet hepar pulvérisé dans de l'eau chaude et il s'y fondra.
Filtrez cette eau, elle est rouge et chargée d'or, c'est un or
potable, d'un goût peu agréable, et approchant de celui du
magistère de soufre. M. Sthall donne à cette dissolution toutes
les qualités que l'on accorde à l'or potable. Il faut avouer
cependant qu'en évaporant à feu très doux toute la liqueur, il
reste une chaux rouge qui se joint aisément au mercure : ainsi
l'or n'y est pas dissous radicalement. [Lefèvre, p. 156]
46
Malaguti à qui nous empruntons ce passage :
"L'art de fondre l'or et l'argent est de l'antiquité la plus reculée, sans qu'on en
puisse précisément marquer l'origine. Les dieux de Laban que Rachel vola,
paroissent avoir été de fonte. Les bijoux offerts à Rébecca étoient d' or
fondu. Avant que de sortir de l' Egypte, les israélites y avoient vû des statues
de fonte, qu' ils imitérent en fondant le veau d' or ; et depuis ils firent le
serpent d' airain. Dès lors toutes les nations de l' orient avoient des dieux de
fonte, (...) ; et Dieu défendit sous peine de mort à son peuple de les imiter.
Dans la construction du tabernacle, les ouvriers n' inventérent pas l' art de la
fonte : Dieu ne fit que diriger leur goût. Il est marqué que Salomon fit fondre
les figures emploiées dans le temple et ailleurs près de Jéricho, parce que la
terre y étoit argilleuse, (...) : ce qui montre qu' ils avoient déja la même
maniére que nous pour fondre de très grosses masses."
"Et Aaron leur dit : prenez vos boucles d' oreilles, et celle de vos fils, et de
vos filles ; et le peuple ayant apporté ses boucles d' oreilles, il en fit un veau
d' or en fonte ; et ils dirent : voilà tes dieux, ô Israël... et Aaron dressa un
autel devant le veau ; et dès le matin on lui offrit des holocaustes. Alors le
seigneur parla à Mosé, et lui dit : va, et descends. Et lorsque Mosé fut arrivé
près du camp, il vit le veau et les danses ; et de colere il jetta les tables et
les brisa, et prenant le veau qu' ils avaient fait il le mit au feu, et le réduisit en
poudre, et répandit cette poudre dans l' eau, et en donna à boire aux fils
d'Israël." [Exode]
47
au bain-marie fort doux, jusqu'à ce que l'or soit réduit en
gomme ou sel cristallin. Vous le mettrez à l'air afin qu'il se
dissolve de soi-même. Puis distillez derechef, et faites
résoudre de lui-même ; réitérez les distillations et dissolutions
tant que rien ne se congèle, et que tout reste en une liqueur
colorée [...]
48
de miel, [tout sucre est un corps réducteur] qui est pour
empêcher la fulmination : ensuite de cela faites-le précipiter
avec de l'esprit d'urine, et l'or tombera au fond comme boue
verte-brune qui demeurera dans le filtre : laissez rasseoir
encore la liqueur passée par le filtre dix ou douze jours, et il se
précipitera de soi-même encore de la matière, mais non pas si
verte ni si brune comme auparavant, que séparerez par le filtre
; continuez ceci jusqu'à ce qu'il ne se précipite plus d'or, et à
chaque fois ce qui se précipitera sera plus délié et subtil. Lavez
vos précipitations avec de l'eau distillée, jusqu'à ce que vous
ayez ôté tout le sel et acrimonie : puis mettez-y votre menstrue
d'esprit de vin acué avec esprit ou sel d'urine, et au fond il
tirera une teinture rouge et brune en vingt-quatre heures ;
versez le menstrue teint et en mettez d'autre, continuant cela
jusqu'à ce qu'il ne teigne plus, même à la chaleur du
bain-marie. La première fois que l'eau se teindra au frais, mais
après il faut chaleur du bain, car autrement il ne se teindrait
plus. Distillez votre esprit teint jusqu'à ce qu'il y reste une
gomme humide ; sur la fin de cette distillation il passera
quelque phlegme qu'il faut recevoir à part ; et si lors on donne
trop de chaleur, il montera quelque teinture avec ce phlegme,
car si vous le desséchez trop il ne se dissoudra pas bien dans
l'esprit de vin. Sur une dragme de cette gomme mettez une
once d'esprit de vin et un demi-septier de vin d'Espagne, et
filtrez cela par le papier gris ; de quoi donnerez une once pour
dose. Pour ne rien perdre de votre or, prenez le corps restant
après que votre menstrue en a tiré toute la teinture qu'il a pu, et
réitérez avec lui de nouveau toute l'opération comme vous
avez fait avec l'or crud : c'est-à-dire broyez-le avec les trois
sels [sans doute nitre, sel marin et alun ?], et faites-le bouillir
dans de l'eau commune jusqu'à sécheresse. Réitérez encore
avec l'esprit de vin : filtrez le dit esprit et évaporez à sirop :
dissolvez dedans trois fois son pesant d'esprit de miel,
précipitez avec esprit d'urine ; abluez la précipitation de toute
sa salsunogité, et tirez-en la teinture avec votre menstrue.
Notez qu'à toutes les fois que vous tirez la teinture avec votre
menstrue, le première fois que vous la mettez, après avoir
dulcifié votre précipité, l'esprit de vin acué tirera la teinture à
froid ; mais après que vous aurez versé cette première
extraction et que vous y versez nouveau menstrue, il faut
digérer au bain, car autrement le menstrue ne se tiendrait pas :
répétez la même opération sur le corps qui ne donne plus de
teinture, commençant par l'ébullition dans l'eau commune avec
les trois sels, et achevant avec l'extraction de la teinture par le
moyen de votre menstrue : réitérez cela jusqu'à ce qu'il ne
vous reste plus d'or ; mais que le tout soit dissout en teinture et
vous verrez qu'à chaque fois l'or deviendra plus pâteux, et en
digérant le menstrue sur l'or, il y surnagera une huile. Voila
comment l'or potable se fait, mais en travaillant pour y parvenir
on a d'autres curiosités quand on s'éloigne de ce droit chemin,
et particulièrement pour faire le crocus solis, comme l'enseigne
Zuelfer [Zwelpher], à savoir broyez votre or avec les trois sels ;
faites bouillir dans l'eau commune ; évaporez à siccité :
dissolvez de nouveau en eau commune ; quand tout est
dissout, précipitez avec huile de tartre : faites passer la liqueur
par le filtre, et l'on a trouvé dans le dit filtre du mercure coulant
avec la poudre que Zuelfer appelle crocus solis, mais il n'y a
point d'or, c'est seulement quelque terrestréité des sels,
imprégnée de quelque esprit d'or, lequel est tout dans la
49
liqueur qui a passé dans le filtre, qui ne se précipite pas avec le
sel de tartre, mais l'esprit d'urine le précipite tout, et il est
fulminant : lorsqu'il est précipité, versez la liqueur surnageante,
et sur l'or précipité mettez de l'eau commune et du mercure
coulant que battrez ensemble, et le mercure fera que l'or
deviendra en poudre tannée, laquelle laverez bien de toute
saleure ; et si vous la mettez dans un creuset et la réverbérez à
grand feu, cette poudre d'or deviendra fixe : mais si vous la
broyez premièrement avec du soufre, et puis la mettez à
réverbérer, tout l'or s'en ira avec le soufre. Quand l'or dissout
par les trois sels et l'eau commune a été retiré avec l'esprit de
vin, on le peut précipiter en l'agitant dans un matras avec du
mercure coulant : il tombe lors en poudre violette fort subtile
et si ouverte, que si on la mêle avec du soufre commun, elle se
sublimera toute avec le dit soufre au feu d'ignition ou de
réverbère ; néanmoins la teinture ne s'en tire pas si facilement
que de celle qui est précipitée avec l'esprit d'urine. [...]
50
FIGURE XIII
(Cabala Mineralis)
Voyez plus bas ce que l'on peut obtenir avec du protoxyde d'or.
Digby nous indique dans la suite de sa relation la préparation de
l'or fulminant. Voici comment P. Berthier l'obtient :
"La première espèce d'or fulminant s'obtient en faisant digérer de l'oxyde d'or
dans de l'ammoniaque ou dans du sulfate d'ammoniaque. -Elle est d'une
couleur foncée ou grise. Elle se décompose avec explosion soit par une
chaleur très peu plus élevée que celle de l'ébullition de l'eau, soit par le
choc, soit même par le plus léger frottement..."
51
Teinture d'or très spécifique - Prenez de l'or très pur une
partie, du sel Philosophique préparé, ainsi qu'il sera dit, dix
parties ; charbon de racines de vignes trois parties. Faites
fondre le sel Philosophique dans un fort creuset ; et lorsqu'il
sera fondu, jetez-y l'or en limaille qui se fondra aussitôt. Alors
ajoutez-y le charbon en poudre grossière ou en petits
morceaux, et cela peu à peu, et que le tout demeure en fusion
un bon quart d'heure. Vous verserez ce mélange dans un
mortier de marbre échauffé, où vous le pulvériserez. Et sur
cette poudre, mettez de l'esprit de vin très pur et en tirez la
teinture selon l'art. Cette teinture est regardée comme
universelle et admirable, tant pour les maladies des hommes
que des métaux. Fondez de nouveau ce qui restera de
l'extraction de la teinture, et vous le fondrez avec autant de sel
Philosophique, pour le pulvériser et en tirer la teinture comme
auparavant. Le sel Philosophique se fait par l'huile de soufre, et
le sel marin résous à l'humide, ou se peut encore faire avec le
sel gemme ou marin, dissous et filtré et joint avec autant d'huile
de vitriol que vous coagulerez en sel, selon l'art.
a)- historique
52
arrivé à en retirer par la distillation l'esprit de vin ou alcool étendu
d'eau. On attribue cette découverte à Aboucasis et à Arnauld de
Villeneuve mais elle paraît remonter plus loin. D'après Jagnaux
[Histoire de la chimie], les alchimistes donnaient le nom d'alcool à
une substance réduite en particules très ténues par des moyens
mécaniques ou chimiques. Ainsi, le nouveau produit était-il, pour
eux, le vin dépouillé de sa partie grossière et ce nommait alcool
vini. Raymond Lulle indiqua le moyen de concentrer l'alcool à
l'aide du carbonate de potasse [cendres de chêne, de végétaux, alkali
fixe, borith de Anciens]. Lowitz de Saint-Petersbourg et Richter
parvinrent à le déshydrater complètement par la chaux vive.
Pendant tout le Moyen Âge, l'alcool fut uniquement consacré à la
médecine et était considéré comme une véritable panacée : il
possédait, disait-on, la vertu de rajeunir les vieillards et de
prolonger la vie ; de là son nom d'eau de vie [notez que l'alcool est
responsable de nos jours d'une surmortalité considérable : on lui doit, hélas,
beaucoup de disparitions prématurées dans le cadre des accidents de la
route, des cirrhoses du foie alcooliques, des neuropathies diverses, des faits
e
divers, etc.]. Vers la fin du XVI siècle, l'eau de vie commença à
servir de boisson et se répandit bientôt dans presque tous les
pays d'Europe. La composition de l'alcool demeura inconnue
jusqu'à la fin du XVIIIe siècle : Stahl pensait que l'alcool était
composé d'une huile très atténuée et très légère, intimement unie,
par l'intermédiaire d'un acide, à une quantité d'eau plus grande
que celle qui entre comme principe dans la combinaison de
l'huile. Le chimiste Macquer disait ceci de l'alcool :
"Mais d'un autre côté, si l'on fait attention aux propriétés essentielles et
fondamentales de l'esprit de vie, à sa miscibilité parfaite avec l'eau, à sa
flamme, qui n'est accompagnée d'aucune fumée, ni suie, à l'impossibilité de
le réduire à l'état charbonneux, enfin à ce que dans sa combustion, on n'en
retire qu'une matière qui brûle et de l'eau pure, toutes propriétés qui ne
conviennent à aucune huile proprement dite ; on ne peut guère s'empêcher
de tomber d'accord que ce n'est pas de l'huile, mais le phlogistique pur qui
est le principe inflammable de l'esprit de vin [...]"
53
et en vue de la préparation des dissolutions auriques ; et la voie
sèche se passe au creuset. Dans les autres sections, c'est donc
essentiellement de la voie sèche classique que nous avons parlé,
c'est-à-dire de celle où il n'y a point besoin des dissolutions
auriques et partant, point besoin de l'alcool ou de l'éther. Nous
passerons sur les détails concernant la détermination précise des
principes de l'alcool et que l'on trouve dans tous les traités de
chimie pour nous consacrer à son application dans l'oeuvre
d'Hermès. Nous ajouterons seulement sur ce point précis que
c'est M. Berthelot [dont nous avons tant parlé ailleurs] qui effectua la
synthèse de l'alcool en 1854. De l'alcool, la transition à l'éther se
fait d'elle-même. On attribue souvent à tort la découverte de
l'éther à un allemand, Valérius Cordus, qui décrivit en 1537, dans
sa Pharmacopée chymique, sous le nom d'Oleum vitrioli dulce,
une liqueur qu'il préparait en distillant un mélange à poids égaux
d'acide sulfurique et d'esprit de vin, après l'avoir fait digérer au
feu de cendres pendant deux mois. Mais - assure Jagnaux - il est
probable que le produit qu'il obtenait ainsi était plutôt ce qu'on
appela depuis huile douce de vin, que le véritable éther
sulfurique. En outre, le pseudo-moine bénédictin Basile Valentin,
au XVe siècle, parle, dans différents passages que nous avons
identifiés, en particulier dans le Char Triomphal de l'antimoine,
d'une essence « agréable et d'une bonne odeur » qu'il préparait en
distillant de l'huile de vitriol avec de l'alcool. il semble donc que
l'on puisse attribuer la découverte de l'éther au groupe d'Adeptes
ou à l'alchimiste qui écrivait sous le pseudonyme de Basile
Valentin. Quoi qu'il en soit de l'intérêt hermétique de cette
réflexion, pendant près de deux siècles, la réaction de l'acide
sulfurique sur l'alcool fut l'objet de recherches de bien des
savants, parmi lesquels on peut citer Boyle, Thomas Weillis,
Newton, frédéric Hofmann, Stahl, Henckel, Pott, etc. En 1730, un
chimiste allemand nommé Frobenius, publia dans les Transactions
philosophiques [note de Thomson : « ce mémoire n'est guère autre chose
qu'une rapsodie dans le style des alchimistes. Il se termine par une note de
M. Godfroy, préparateur de Boyle, faisant mention d'expériences faites
autrefois sur ce liquide par Boyle et par Newton »] un mémoire dans
lequel se trouvent exposées les propriétés les plus remarquables
du liquide sous l'action de l'acide sulfurique sur l'alcool. C'est lui
qui donna à la substance le nom d'éther, à cause de son extrême
fluidité. On attribua alors à Frobénius la découverte de ce
composé, qui prit le nom de liqueur de Frobénius. Mais Newton
avait déjà préparé l'éther. Boyle avait décrit sa préparation et
quelques-unes de ses propriétés et bien d'autres chimistes
encore, connaissaient ce liquide avant Frobénius, et en faisaient
moins de mystère. La description trompeuse de l'éther donnée par
Frobénius était faite plutôt pour déguiser que pour dévoiler la
connaissance de ce composé :
« Paratur ex sale volatili urinosa plantarum phlogiste, aceto valde subtili per
summam fermentationem cunctis subtilissime resolutis et mixtis ».
54
aîné ; presqu'en même temps, Grosse en reçut d'un chimiste
anglais, Godfrey Hanckvitz, qui était le préparateur de Boyle ; ce
qui prouve - nous dit Jagnaux - que l'éther était connu à cette
époque en Angleterre. L'attention des chimistes français se porta
sur ce liquide ; Geoffroy, Duhamel, un duc d'Orléans retiré à
l'abbaye Sainte-Geneviève, les deux Rouelle, Bayen, Hellot,
Grosse s'en occupèrent plus particulièrement. A l'étranger, les
recherches furent entreprises par Scheele, Goettling, Klaproth,
etc. Ce fut Grosse qui approfondit le sujet avec le plus de
sagacité. Sachant que pendant la distillation du mélange d'acide
sulfurique et d'alcool, il se dégageait des substances différentes,
il voulut s'assurer d'abord de la nature de ces substances. En
dehors de l'éther sulfurique, l'éther chlorhydrique était déjà connu
des alchimistes qui, au XVIe siècle, l'obtenaient plus ou moins
mélangé d'alcool ou de produits chlorés. Cependant vers la fin du
XVIIIe siècle, on doutait encore de son existence ; ce fut Gehlen
qui le prépara le premier, à l'état de pureté, en 1804, au moyen du
chlorure d'étain fumant et de l'alcool. L'éther nitreux était peut-être
connu de Paracelse ; mais on s'accorde à penser [Jagnaux] que ce
fut Kunckel qui fit, le premier, mention de cet éther, en 1681, dans
une de ses lettres à Voight. Cette découverte était tombée dans
l'oubli, lorsque Navier, en 1742, la remit en lumière et publia avec
Geoffroy un procédé de préparation. L'éther acétique fut préparé
par le comte de Laurageais qui reconnut, en 1739, qu'on pouvait
obtenir un éther par action de l'acide acétique sur l'alcool. Il le
préparait en distillant et cohobant à plusieurs reprises parties
égales d'esprit de vin rectifié et de vinaigre radical retiré par
distillation des cristaux de Vénus [acétate de cuivre].
Apparemment, le procédé de Laurageais est très sensible au
nombre de fois qu'il faut pratiquer la distillation [cela pourrait se
rapprocher de certains tours de main alchimiques aperçus dans le traité
d'Ulstade en particulier]. Il nous reste à parler de l'acide acétique.
55
FIGURE XIV
(Cabala Mineralis)
56
soumit l'acide faible à des congélations successives, puis,
décantant la partie restée liquide, il la trouva plus riche en acide.
En 1702, dans son Specimen Becherinnum, il décrivit un nouveau
mode de concentration qui consistait à saturer l'acide par un
alcali, à évaporer à sec et à distiller le résidu avec de l'acide
sulfurique. En 1739, de Laurageais trouva que l'acide concentré
est susceptible de cristalliser ; à cet état, on lui donna le nom de
vinaigre glacial. Il faut remarquer par ailleurs, que la production
de l'acide acétique par la distillation du bois et d'autres fibres
végétales est fort ancienne, car Glauber, dans son Furni novi
philosophici dit que le vinaigre de bois est une substance déjà bien
connue de son temps, ne différant pas beaucoup du vinaigre
ordinaire, et qu'on rend aussi bonne que lui par la distillation ;
pour ces motifs, on la désignait sous le nom acetum lignorum
[Riban]. Boyle identifia l'acide du bois avec celui du vinaigre, de
façon plus explicite. Ayant obtenu, par la distillation du bois, de
l'alcool et du vinaigre mélangés ensemble dans un récipient, il les
sépara par une nouvelle distillation, à une température ménagée,
de façon à ne laisser passer que l'alcool. Mais comme par ce
procédé, l'esprit de bois contenait toujours un peu de vinaigre, il
traita le liquide par la chaux ; par une dernière distillation il obtint
de l'esprit de bois seul :
"En chauffant fortement, dit Boyle, cette chaux saturée par l'acide, on obtient
[par la distillation] un esprit très rouge, d'une odeur très pénétrante, d'une
saveur excessivement piquante, et qui diffère entièrement de celle des
autres liquides acides. C'est ce que quelques chimistes ont appelé teinture
de corail. En poussant la distillation du bois aussi loin que possible, on
remarque que la liqueur qui passe dans le récipient n'est plus incolore, mais
d'un beau jaune, d'une odeur très forte, d'une saveur plus acide que l'esprit
de vinaigre, et qu'elle possède toutes les propriétés dissolvantes des acides.
Ne sachant trop me rendre compte de son origine, je l'ai nommée acetum
radicatum."
b)- technique
Nous donnons ici de larges extraits d'un texte que Louis Figuier
consacre à L'alcool et la distillation, dans ses Merveilles de
l'Industrie [Les merveilles de l'industrie ou Description des principales
industries modernes [1, 2, 3]. Industries chimiques, Louis Figuier, Paris :
Jouvet : Furne,1873]. Profitons-en pour dire que Louis Figuier,
contrairement à ce que pensent Jacques Sadoul et Bernard
Husson, n'a pas été un adversaire si acharné que cela de
l'alchimie : son ouvrage est imposant, on perçoit un travail d'érudit
57
et on est même étonné d'un dialogue, vers la fin de l'ouvrage
[[L']alchimie et les alchimistes : essai historique et critique sur la
philosophie hermétique par Louis Figuier, L. Hachette, Paris, 1860], avec
un alchimiste, conversation pour ainsi dire saisie sur le vif et où L.
Figuier ne montre nul mépris pour son interlocuteur...
58
FIGURE XV
(appareil distillatoire de J.-B. Porta)
« Nous nous servons aussi, pour obtenir l'eau-de-vie, d'un vase qui se
compose de huit ou dix capacités, dont chacune s'insère au côté opposé de
l'autre, et selon que l'on recueille le produit distillé à un point, on obtient de
l'eau-de-vie à différents degrés, car plus elle est recueillie dans un vase
élevé, plus elle est spiritueuse ».
J.-B. Porta ajoute que ces vases peuvent être de cuivre, de laiton
ou de verre :
59
FIGURE XVI
(l'hydre à sept têtes de J.-B. Porta)
60
On appela hydre à sept têtes l'appareil de J.-B. Porta. On y
pratiquait des ouvertures à différentes hauteurs, pour y prendre à
volonté une liqueur plus ou moins riche, selon la distance entre
l'orifice et la cucurbite. Un auteur italien, Savonarole, a décrit un
appareil qui marque le premier pas vers la production industrielle
de l'alcool, en permettant d'opérer la distillation des vins sur une
plus grande échelle. Savonarole dit que l'on se servait, de son
temps, d'une grande cucurbite en cuivre (aenea) étamée à
l'intérieur, et qui portait trois ouvertures : la première, placée au
sommet et un peu latéralement, servait à introduire le vin ; la
seconde, sur le milieu de la cucurbite, se reliait au tube du
serpent, ou au serpentin ; la troisième, au niveau du fond du vase,
servait à extraire le phlegme, c'est-à-dire le résidu aqueux de la
distillation. Par-dessus la cucurbite, on disposait un vase plein
d'eau froide, proportionné à la dimension du serpentin et dans
lequel celui-ci devait être contenu. Ce serpentin était luté à
l'orifice central de la cucurbite. La liqueur qui distillait coulait dans
le récipient, par l'autre extrémité de ce serpentin. Vers le milieu du
dix-septième siècle, Nicolas Lefèvre, l'un des fondateurs de la
chimie, décrivit, dans son Traité de chimie, un appareil qui
ressemble à celui de Porta, que nous avons représenté plus haut
(fig. I). C'est un long tuyau en zigzag, formé de plusieurs pièces
angulaires, qui se raccordent l'une à l'autre. Ce tuyau va aboutir à
l'orifice du chapiteau; au bec de ce chapiteau est fixé le récipient
condenseur. Nicolas Lefèvre décrit aussi, pour être placé entre le
chapiteau et le récipient, un réfrigérant, qui n'est qu'une allonge
du col du chapiteau, laquelle traverse un tonneau rempli d'eau
froide. On trouve une figure de ce dernier appareil dans le Traité
de chimie de Lefèvre, imprimé à Paris, en 1651, et réimprimé en
1660 et 1669. En parlant de l'alcool de vin (page 9 du deuxième
volume de l'édition de 1669), -Nicolas Lefèvre s'exprime ainsi :
61
FIGURE XVII
(appareil de Nicolas Lefèvre pour la distillation du vin)
[A, bain de sable contenu dans une chaudière en fer. P, cucurbite en cuivre
enterrée dans le sable. C, collet de la cucurbite, D, chapiteau en cuivre, qui
porte une gouttière et deux becs, E, collet du chapiteau qui s'ajuste sur le
collet de la cucurbite. F. F, becs du serpentin qui portent immédiatement la
liqueur dans les récipients, sans l'intermédiaire d'un condenseur; les
vapeurs sont condensées dans le chapiteau par du linges mouillés, h,
anneau de fer, pour soulever le chapiteau.]
62
FIGURE XVIII
(appareil de Nicolas Lefèvre pour la distillation des eaux-de-vie)
a)- introduction
"Buffon, qui a porté ses grandes vues sur toutes les branches des sciences
naturelles et qui, partout, on doit le rappeler pour sa gloire comme pour
l'exemple, a cherché à les contrôler par l'expérimentation, avait
rigoureusement constaté, par des essais directs, que le granite et les
principales roches cristallisées sont fusibles et vitrescibles. Se basant sur le
fait qui vient d'être rappelé, il pensait que de grandes masses de verre
naturel avaient pu acquérir leur état cristallin à la suite d'un recuit plus ou
moins long [Histoire naturelle des minéraux, substances vitreuses des
63
granits]."
et encore ceci :
"Buffon avait en outre bien remarqué que le feldspath est beaucoup plus
fusible que les deux autres éléments du granit. Leibnitz, il est vrai, avait déjà
dit que la terre et les pierres soumises au feu donnent du verre ; que le verre
n'est que la base de pierres [Protogée, §3] ; mais il confondait ici toutes les
roches, y compris le calcaire, le silex et le sable [...]"
64
avec l'alcali fixe ou toute autre matière, il ne sera pas fulminant
; enfin il faut encore lui communiquer une assez forte chaleur
pour qu'il exerce cette action fulminante ; or toutes ces
conditions réunies ne peuvent se rencontrer dans le sein de la
terre, et dès-lors il est sûr qu'on n'y trouvera jamais de l'or
fulminant. On sait que l'explosion de cet or fulminant est
beaucoup plus violente que celle de la poudre à canon , &
qu'elle pourrait produire des effets encore plus terribles, &
même s'exercer d'une manière plus insidieuse, parce qu'il ne
faut ni feu, ni même une étincelle, & que la chaleur seule,
produite par un frottement assez léger, suffit pour causer une
explosion subite & foudroyante. On a ce me semble vainement
tenté l'explication de ce phénomène prodigieux ; cependant en
faisant attention à toutes les circonstances, & en comparant
leurs rapports, il me semble qu'on peut au moins en tirer des
raisons satisfaisantes & très plausibles sur la cause de cet effet
: dans l'eau régale, dont on se sert pour la dissolution dé l'or, il
n'est point entré d'alkali volatil, soit sous sa forme propre , soit
sous celle du sel ammoniac, de quelque-manière & avec
quelque intermède qu'on précipite ce métal, il ne fera ni ne
deviendra fulminant, à moins qu'on ne se serve de l'alkali
volatil pour cette précipitation ; lorsqu'au contraire la dissolution
sera faite avec le sel ammoniac, qui toujours contient de l'alcali
volatil, de quelque manière & avec quelqu'intermède que l'on
fasse la précipitation, l'or deviendra toujours fulminant : il est
donc assez clair que cette dualité fulminante, ne lui vient que
de l'action ou du mélange de l'alkali volatil, & l'on ne doit pas
être incertain sur ce point, puisque ce précipité fulminant, pèse
un quart de plus que l'or dont il est le produit ; dès-lors ce quart
en sus de matière étrangère, qui s'est alliée avec l'or dans ce
précipité n'est autre chose, du moins en grande partie, que de
l'alkali volatil ; mais cet alcali contient, indépendamment de son
sel, une grande quantité d'air inflammable, c'est-à-dire , d'air
élastique mêlé de feu ; dès-lors il n'est pas surprenant que ce
feu ou cet air inflammable, contenu dans l'alkali volatil, qui se
trouve pour un quart incorporé avec l'or, ne s'enflamme en effet
par la chaleur, et ne produise une explosion d'autant plus
violente, que les molécules de l'or dans lesquelles il est engagé
sont plus massives & plus résistantes à l'action de cet élément
incoercible, & dont les effets font d'autant plus violents que les
résistances sont plus grandes. [...] Au reste, on ne doit pas
oublier qu'en général les précipités d'or lorsqu'ils sont réduits,
sont à la vérité toujours de l'or ; mais que dans leur état de
précipité, et avant la réduction, ils ne sont pas, comme l'or
même, inaltérables, indestructibles, etc. Leur essence n'est
donc plus la même que celle de l'or de nature, tous les acides
minéraux ou végétaux
65
noix de gale » comme participant du Mercure : la
dissolution d'or est précipitée avec le temps, par l'infusion
de noix de gale, il se forme insensiblement des nuages de
couleur pourpre qui se répandent dans toute la liqueur ;
l'or ne se dépose au fond du vase qu'en très petite
quantité, il se ramasse presque entièrement à la surface de
la liqueur où il paraît avec son éclat métallique. M. Monnet
- Dissolution des Métaux, p. 127 - assure que l'or précipité
par l'extrait acerbe, est soluble dans l'acide nitreux -
nitrique ? - et que cette dissolution est très stable, de
couleur bleuâtre, et qu'elle n'est pas précipitée par l'alkali
fixe].
66
FIGURE XIX
(Lion Vert, Goossen Van Vreeswijk)
67
[...] d'où l'on peut conclure qu'en général, c'est avec les
matières qui contiennent le plus de principes inflammables et
volatiles que l'or a le plus d'affinité, et dès lors on n'est pas en
droit de regarder comme une chimère absurde l'idée que l'or
rendu potable peut produire quelque effet dans les corps
organisés , qui, de tous les êtres, sont ceux dont la substance
contient la plus grande quantité de matière inflammable &
volatile, & que par conséquent, l'or extrêmement divisé puisse
y produire de bons ou de mauvais effets; suivant les
circonstances et & les différents états où se trouvent ces
mêmes corps organisés. Il me semble donc qu'on peut se
tromper en prononçant, affirmativement fur la nullité des effets
de l'or pris intérieurement, comme remède, dans certaines
maladies, parce que le Médecin ni personne, ne peut connaître
tous les rapports que, ce métal très atténué peut avoir avec le
feu qui sous anime. Il en est de même de cette fameuse
recherche appelée le grand oeuvre, qu'on doit rejeter en
bonne morale, mais qu'en saine physique l'on ne peut pas
traiter d'impossibilité on fait bien de dégoûter ceux qui
voudraient se livrer à ce travail pénible & ruineux, qui, même
fût-il suivi du succès, ne serait utile en rien à la société ; mais
pourquoi prononcer d'une manière décidée que la
transmutation des métaux est absolument impossible, puisque
nous ne pouvons douter que toutes les manières terrestres, &
même les éléments, ne soient tous convertibles ;
qu'indépendamment de cette vue spéculative, nous
connaissons plusieurs alliages dans lesquels la matière des
métaux se pénètre et augmente de densité l'essence de l'or
consiste dans la prééminence de cette qualifié, & toute matière
qui, par le mélange, obtiendrait le même degré de densité, ne
serait-elle pas de l'or ? ces métaux mélangés, que l'alliage rend
spécifiquernent plus pesants par leur pénétration réciproque,
ne semblent-ils pas nous indiquer qu'il doit y avoir d'autres
combinaisons où cette pénétration étant encore plus intime, la
densité deviendrait plus grande ? On ne connaissait ci-devant
rien de plus dense que le mercure après l'or; mais on a
récemment découvert le platine, ce minéral nous présente l'une
de ces combinaisons où la densité se trouve prodigieusement
augmentée, & plus que moyenne entre celle du mercure &
celle de l'or ; mais nous n'avons aucun exemple, qui puisse
nous mettre en droit de prononcer qu'il y ait dans la Nature des
substances plus denses que l'or, ni des moyens d'en former
par notre art ; notre plus grand chef-d'oeuvre serait en effet
d'augmenter la densité de la matière, au point de lui donner la
pesanteur de ce métal ; peut-être ce chef d'oeuvre n'est-il pas
impossible, et peut-être même y est-on parvenu ; car dans le
grand nombre des faits exagérés ou faux, qui nous ont été
transmis au sujet du grand oeuvre, il y en a quelques-uns
[Buffon parle d'un fait de transmutation du fer en or, cité par
Model dans ses Récréations chimiques, traduites en français
par M. Parmentier] dont il me paraît assez difficile de douter ;
mais cela ne nous empêche pas de mépriser, & même de
condamner tous ceux qui, par cupidité, se livrent à cette
recherche, souvent même sans avoir les connaissances
nécessaires pour se conduire dans leurs travaux : car il faut
avouer qu'on ne peut rien tirer des livres d'Alchimie ; ni la Table
hermétique, ni la Tourbe des Philosophes, ni Philalèthe &
quelques autres que j'ai pris la peine de lire
68
[je puis même dire que j'ai vu un bon nombre de ces
Messieurs adeptes, dont quelques-uns sont venus de fort
loin pour me consulter, disaient -ils, et me faire part de
leurs travaux ; mais tous ont bientôt été dégoûtés de ma
conversation par mon peu d'enthousiasme],
69
surnage, et qui contient tout l'or. - On ne connaît pas bien sa
nature. On employait autrefois cette dissolution jaune dans la
médecine, sous le nom d'or potable. Elle est extrêmement
caustique. Elle se décompose spontanément, et au bout d'un
certain temps presque tout l'or s'en sépare à l'état métallique sous
forme de petits cristaux brillants. - Quand on chauffe une
dissolution de perchlorure d'or avec de l'acide sulfurique, de
l'acide phosphorique ou de l'acide arsénique, au moment où la
température approche de 150° il se dégage du chlore, et il se
dépose du protochlorure d'or mélangé d'or métallique. Ces acides
n'agissent qu'en ce qu'ils permettent à la liqueur de prendre une
température élevée ; aussi les acides très volatils n'agissent-ils
sur le chlorure d'or que comme l'eau pure. Les acides acétique,
citrique et tartrique ne le réduisent pas. L'acide oxalique le réduit
en quelques jours. Les acétates, citrates et tartrates le réduisent ,
mais très lentement. L'oxalate acide de potasse le réduit en moins
de vingt-quatre heures, et l'oxalate neutre en quelques heures
seulement
; la réduction a lieu avec dégagement de d'acide carbonique.
Le perchlorure d'or forme avec l'acide hydro-chlorique une
combinaison que l'on considère soit comme un hydro-chlorate de
chlorure, soit comme un chlorure d'or et d'hydrogène. C'est ce
qu'on nommait autrefois le muriate acide : - Cette combinaison est
d'un beau jaune d'or; elle est moins soluble dans l'eau que le
chlorure, et elle cristallise aisément par refroidissement en
aiguilles on en petits prismes allongés. Lorsqu'on la soumet à
l'action de la chaleur il s'en dégage d'abord de l'acide
hydro-chlorique, puis un mélange de cet oxyde et de chlore, et il
reste du perchlorure mêlé de protochlorure.
Le perchlorure d'or a grande tendance à se combiner avec le
chlorure de potassium, avec le chlorure de sodium, et la plupart
des autres chlorures. Ces combinaisons se produisent dés que la
chlorures se trouvent ensemble dans une même dissolution. Cette
propriété explique les phénomènes qui ont lieu quand on traite le
chlorure d'or par les bases. Les réactifs les plus employés dans le
but de reconnaître les dissolutions auriques sont le protosulfate
de fer et le protochlorure d'étain. On vient de voir que le
perchlorure [sesquichlorure] d'or a une grande tendance à se
combiner avec d'autres chlorures : on connaît ainsi beaucoup de
chlorures doubles ou de chlorosels auriques, en particulier :
70
verdâtre : elle tient en dissolution un mélange de chlorure double
et d'aurate de potasse. En la saturant d'un acide elle redevient
jaune, et l'addition d'un alcali peut ensuite en précipiter une
certaine quantité d'or. Lorsqu'on chauffe une dissolution de
chlorure d'or avec de la magnésie sans excès, il se précipite de
l'hydrate d'or imprégné de chlorure d'or et de magnésie, et la
liqueur, qui est d'un jaune brunâtre, contient encore du chlorure
d'or ; mais quand on met un excès de magnésie, le précipité est
de l'aurate de magnésie sans chlorure de magnésium et la liqueur
retient en dissolution un peu d'aurate de magnésie. - L'oxyde de
zinc se comporte comme la magnésie avec le chlorure d'or. Ainsi,
les bases salifiables oxydent l'or pour s'emparer du chlore avec
lequel il est combiné, et si elles sont en quantité suffisante, elles
s'unissent à l'oxyde formé. L'ammoniaque précipite des
dissolutions de chlorure d'or de l'or fulminant en poudre jaune.
Les carbonates alcalins se comportent comme les alcalis
caustiques avec le chlorure d'or.
FIGURE XX
(Lion Vert, Goossen Van Vreeswijk)
71
moyen du protosulfate de fer qu'on prépare ce qu'on appelle l'or
divisé, qu'on applique sur les émaux avec un fondant.
A ce propos, nous venons de voir que l'or peut « être voilé » dans
ce sel double. Profitons-en pour signaler de quelle manière on
peut caractériser l'or :
72
- l'ammoniaque donne lieu à un précipité jaune d'or d'or fulminant
et les sulfures alcalins à un dépôt noir de sulfure d'or ;
- le protochlorure d'étain colore en rouge brun foncé les
dissolutions auriques [ce qui se rapproche du pourpre de Cassius] ;
- le protosulfate de fer les colore en vert violet, coloration qui
signale toujours de l'or à l'état extrêmement divisé ;
- l'acide oxalique à chaud met en liberté le métal des dissolutions
auriques mais l'or n'est pas dans un état très divisé : l'aspect de la
liqueur est d'un jaune mat [cf. supra pour ce qu'on a dit sur la couleur
réelle de l'or].
73
8)- Le pourpre de Cassius
« Comme on le voit, la dissolution préalable est d'une nécessité absolue, ainsi qu'il est
dit au chapitre IX du Grand éclaircissement de la Pierre philosophale, de Nicolas
Flamel. Or, comme par la succession des temps, certains secrets se révèlent à point
nommé, nous pouvons soulever un peu ici le voile mystérieux du magistère. Suivant
Albert Poisson, on doit faire cristalliser le chlorure aurique au bain-marie. Mais il
vaudrait mieux accomplir l'opération que Saint Thomas a décrite au chapitre VIII du
premier traité, et qui est la réduction immédiate du chlorure aurique par le chlorure
stanneux, et qui donne un précipité pourpre que l'on appelle encore Pourpre de
Cassius, mais qui était connu bien avant ce chimiste :
Nous avons encore obtenu le beau précipité d'or métallique par l'acide oxalique ou
d'autres précipités encore par les acides phosphoreux, sulfureux, hydrophosphoreux,
et surtout par le phosphore. Mais il est un procédé qui donne un résultat
extraordinaire qui consiste à remplacer le chlorure aurique par le fluorure aurique
qu'on obtiendra avec une eau régale beaucoup plus puissante que l'eau régale
ordinaire, et composée d'acide fluorhydrique et d'acide nitrique. Mais l'expérience
offre de grands dangers à cause de la corrosivité de l'acide fluorhydrique. Comme il
est nécessaire de dissoudre l'or et que les traités enseignent généralement que l'eau
régale possède cette propriété, il ne sera pas superflu d'indiquer ici que la simple
dissolution de gaz chlore à l'état naissant produit cet effet ; que l'acide iodique
mélangé avec l'acide nitrique en excès, dissout également l'or. Nous avons
expérimenté également l'acide paratartrique additionné d'acide acétique, procédé
enseigné par le vicomte de Lapasse, puis un mélange d'acide sulfurique et d'acide
acétique chauffés. De plus, l'alcool dissout l'or par un procédé secret. (Voir Manusc.
de la Bibl. du Vatican, n. 4095, fol. 9. Et aussi de Castaigne, Le Paradis Terrestre, 1661,
page 32.). Nous avons expérimenté plusieurs fois ce procédé absolument exact. Enfin,
les sucs gastriques extraits récemment du corps de l'homme ou des animaux
dissolvent l'or et tous les métaux (Expérience de Sèvres.).
« L'or, dit-il, (Eléments de chymie, tome II, p. 85) est aussi calciné et réduit en chaux
pourpre, par une forte décharge électrique... Mais la même décharge revivifie l'or en
chaux, comme elle réduit la chaux de plomb. »
74
GUYTON de MORVEAU
Cassius (fils) n'a fait que mettre par écrit dans son livre De Auro (1685) une méthode
déjà connue depuis bien longtemps: Glauber, Kunckel et Libavius l'avait déjà testée.
Dans un couvent de Bologne (San Salvatore) le procédé était également connu grâce
à un manuscrit intitulé Segreti per Colori et écrit en latin au début du XVe siècle, mais
on pense que Geber le connaissait également (Ganzenmuller, pg 183, L'Alchimie au
Moyen-Âge).
Voici en tout cas une recette trouvée sur une tablette encore plus ancienne (in Les
origines de l'Alchimie dans l'Egypte Gréco-Romaine de Jack Lyndsay, Editions Le
Rocher, Jean-Paul Bertrand éditeur, Monaco, page 233 {j'en profite pour signaler que
Lyndsay a pillé des passages entiers de La révélation d'Hermès Trismégiste de
Festugière chaque fois qu'il avait un blanc &]):
Il semble qu'une recette présente sous une forme rudimentaire le Pourpre de Cassius,
l'objectif étant d'obtenir un corail rose ou rouge. Les ingrédients sont 7200 parties de
verre ordinaire, 32 d'oxyde d'étain, 20 d'antimoine, une quantité illisible de sel et de
salpêtre, et une partie d'or. La proportion d'or (0.14%) est l'ordre habituel de grandeur
pour la préparation du verre rubis.
75
« A une mine de verre zuku, ajouter 10 sicles de plomb, 15 de cuivre, 0.5 de salpêtre,
0.5 de chaux. Mettez -les à fondre et vous obtiendrez du cuivre de plomb. »
C'est donc vraisemblablement les Perses qui apportèrent aux Egyptiens l'art de
colorier le verre avec des sels métalliques et Bolos de Mendès devait s'en souvenir
puisqu'il dit avoir reçu son initiation de son maître Ostanès (sage persan mythique).
C'est le chimiste Richard Zsigmondy (1865-1929) qui découvrit le premier la
Richard ZSIGMONDY
nature colloïdale de l'or dans le Pourpre de Cassius et reçut pour cela un Prix Nobel
(on voit combien ce problème hantait les chimistes de l'époque...).
1. Le paradis terrestre
2. Le grand miracle de la nature métallique
3. L'or potable
4. Le thrésor philosophique de la médecine métallique.
De plus, il n'y eut pas un, mais deux Andreas Cassius, le père et le fils. Il est possible
que le père mit au point un procédé qui fut tenu secret. Le fils ne fit cependant pas
mention de son père dans son livre.
76
également ainsi que Paracelse, car au début du XVe siècle Benvenuto Cellini parle
déjà d'un émail rouge transparent qu'il a vu chez un alchimiste qui était également
orfèvre. Andreas Libavius indique dans son livre Alchimia en 1597 - qui constitue le
premier vrai
Andreas LIBAVIUS
traité de chimie - qu'il est possible, à partir d'une teinture rouge d'or dissoute dans
un liquide ou dans une huile, de préparer un cristal rouge sans trop de difficulté. En
effet, quelques années par la suite, en 1612 plus exactement, apparut le premier
traité sur la fabrication du verre. Il était écrit par le moine florentin Antonio Neri. Son
livre, l'Arte Vetraria apportait une somme d'informations amassées durant ses
séjours à Venise et à Anvers. Il fait, entre autres, référence à un rouge magnifique
obtenu à partir de l'or.
Cependant ces textes ne parlent pas de la préparation à partir de l'étain. Ils indiquent
l'emploi d'un précipité de poudre d'or qui acquiert la coloration pourpre par
chauffage et que l'on incorpore à la «liqueur de flints» (silicate de potasse). Une
approche plus intéressante sur le précipité pourpre est indiquée dans le manuscrit
de Bologne, le Segreti per Colori écrit au début du XVe siècle dans le couvent San
Salvatore. Ce document inclut une formule pour dissoudre l'oxyde d'étain dans une
eau régal avec des marcassites aurifères pour obtenir un joli pourpre.
C'est à Johann Rudolph Glauber que revient le mérite d'avoir trouvé le premier un
système plus effectif et plus économique pour obtenir la couleur désirée. Glauber
était le premier chimiste «industriel» et il vivait de la vente de ses préparations
médicinales dont le fameux «sal mirabila» (sulfate de soude). Il était un excellent
manipulateur au laboratoire et également un créateur de fours. En 1648 il quitte sa
Bavière natale pour se rendre à Amsterdam. C'est là qu'il publia la majorité de ses
livres. Après la Guerre de Trente Ans qui ruina l'Allemagne, il publia un ouvrage en
77
quatre volumes de 1656 à 1160 Des Teutschlandts Wohlfahrt (De la prospérité de
l'Allemagne) où il exhorte ses concitoyens à enrichir leur pays par l'utilisation de
leurs ressources naturelles, entre autres dans de nouvelles industries, comme celle
du verre, à l'exemple de Venise et de la France.
Glauber était familier des précipités d'or effectués dans des solutions d'eau régale et
il est le premier qui signale la possibilité d'effectuer ce précipité avec une solution
d'étain. Dans son tome IV, publié en 1659, il indique de prendre 1 loth de poudre d'or
très fine dissoute dans 3 à 4 loth d'un fort « Spiritu Salis » rectifié (acide
chlorhydrique concentré) et d'y ajouter 12 à 15 loth d'eau pure puis une faible
quantité d'étain, soit environ 2 loth ; après quoi on met le vaisseau au bain de sable
et on laisse chauffer 1 à 2 heures sans porter à ébullition, ce qui provoque une
précipitation de l'or sous forme d'une jolie et brillante poudre pourpre. On constate
cependant une anomalie, puisque l'acide chlorhydrique n'attaque pas l'or. Glauber
était un familier de l'eau régale, mais il avait trouvé qu'en distillant une solution
concentrée de chlorure de zinc qu'il ajoutait à l'acide chlorhydrique il parvenait
également à dissoudre l'or.
On ne sait pas si Glauber utilisait son précipité pourpre ; par contre un autre
personnage, Johann Kunckel, en tira profit. Entré en 1678 au service du Prince
Friedrich Wilhelm de Brandenberg, Grand Electeur, à la manufacture de verre de
Postdam dont il avait reçu la charge, il venait juste de publier son livre Ars Vitra
Experimentalis où il reprenait l'ancien travail de Neri ainsi que les observations
effectuées par l'anglais Christopher Merret qui avait traduit Neri en anglais en 1662,
en y ajoutant des notes personnelles. Ce traité fit date dans l'histoire de la verrerie et
c'est là qu'il faut rechercher les références concernant le précipité pourpre décrit
plus tard par Cassius. Kunckel utilisa avec succès ce précipité rouge pour produire
du verre rubis, appelé «verre Kunckel».
78
soufre et mercure] :
L'or et l'argent peuvent s'unir en toutes proportions par fusion rapide ; mais on
prétend qu'en laissant refroidir lentement le mélange fondu il se sépare de
l'argent un peu aurifère qui surnage sur un alliage composé de 5% d'or pour
1% d'argent. Les alliages d'or et d'argent sont plus fusibles que l'or pur et
servent pour soudure. [...] Les alliages d'or et d'argent sont d'un blanc verdâtre
et un 1/20e d'argent suffit pour changer tout à fait la couleur de l'or. [...] L'or
vert dont on fait usage pour la bijouterie, contient 0.7 d'or et 0.3 d'argent.
L'acide nitrique et l'acide sulfurique purs attaquent les alliages d'or et d'argent,
et en séparent tout l'argent quand celui-ci dépasse une certaine proportion.
79
extrait du cours de chimie de Malaguti et du Traité des Essais par la voie
sèche de Berthier
Lorsqu'on verse dans une solution très-étendue de chlorure d'or une solution
contenant à la fois du protochlorure et du bichlorure d'étain, on obtient un
liquide brun, trouble par réflexion et pourpre par transmission,dans lequel se
dépose peu à peu un précipité coloré : c'est le pourpre de Cassius, qui est,
comme on le sait, la base de toutes les couleurs d'or employées dans la
peinture vitrifiable, pour obtenir les roses, les rouges et les violets. On obtient
encore le pourpre de Cassius dans d'autres circonstances ; sa composition
varie avec son mode de préparation, mais, dans tous les cas, elle est telle
qu'on peut toujours la représenter par du bioxyde d'étain hydraté et de l'or
métallique ; sa couleur est aussi d'autant plus foncée qu'il contient plus d'or,
mais elle ne diffère pas des tons que peut fournir la précipitation de l'or seul.
Aussi Macquer, qui a fait le premier cette remarque, considérait-il le pourpre de
Cassius comme un n mélange d'or et de bioxyde d'étain hydraté. Mais Proust
ayant remarqué que le pourpre encore humide se dissout dans l'ammoniaque
et qu'il ne cède pas d'or au mercure avec lequel on le triture, l'hypothèse du
mélange fut généralement abandonnée, et le pourpre de Cassius fut considéré
comme une combinaison. La seule manière rationnelle d'envisager la
composition de ce corps était d'en faire un oxyde salin, c'est-à-dire un stannate
de protoxyde d'étain et de sous-oxyde d'or, ce dernier contenant assez
d'oxygène pour transformer le protoxyde d'étain en bioxyde. Cet oxyde salin
pouvait d'ailleurs être mélangé d'hydrate stannique, en proportions variables. Il
y a eu depuis Proust, beaucoup de travaux et de discussions sur la constitution
du pourpre de Cassius ; il serait impossible de les résumer convenablement
dans une courte Note; je dirai seulement qu'ils n'ont apporté aucun argument
péremptoire où même nouveau en faveur de l'une ou de l'autre hypothèse, qui
sont, à mon avis, également inexactes.
80
l'acétate de soude, de l'alumine en gelée, et, quand le mélange est chaud, on
verse un peu d'oxalate de potasse qui détermine la réduction de l'or. Ces deux
laques en suspension dans l'eau, agitées pendant plusieurs heures avec du
mercure, n'ont pas perdu leur couleur. Le procédé habituel de préparation du
pourpre de Cassius ne diffère évidemment du précédent qu'en ce que l'oxyde
et la matière colorante sont précipités en même temps ; ce qui est évidemment
préférable au point de vue de la beauté de la teinte, et, si l'on peut dire, de la
solidité du produit, vis-à-vis du mercure. Il reste maintenant à expliquer la
solubilité de cette laque dans l'ammoniaque. On sait que l'oxyde d'étain
précipité à froid est soluble dans l'ammoniaque lorsqu'il est humide, et qu'il
perd cette solubilité sous diverses influences, telles qu'une élévation de
température, et notamment par la dessiccation : ce sont exactement les mêmes
influences qui font perdre au pourpre de Cassius sa solubilité. Il faut bien
remarquer, en outre, que la solution de pourpre de Cassius, qui est toujours
trouble par réflexion, laisse déposer lentement de l'or métallique, l'oxyde d'étain
restant presque entièrement dissous. Ce fait bien connu est tout naturel, si le
pourpre de Cassius est une laque ; il est, au contraire, bien difficile à expliquer
si l'on est dans le pourpre à l'état d'oxyde, car l'action de l'ammoniaque sur les
oxydes des métaux précieux donne toujours des produits plus ou moins
complexes, mais ne met jamais le métal en liberté.
Je terminerai par une dernière observation : Mercadieu a remarqué que, dans
l'essai des métaux précieux, on obtient une matière très-analogue au pourpre
de Cassius, quand on dissout dans l'acide azotique de l'argent contenant un
peu d'étain et d'or ; comme l'or est inoxydable par l'acide azotique, il en
concluait que l'or était à l'état métallique dans le pourpre. Gay-Lussac a repris
ces expériences et soutenu la même opinion, mais leur pourpre n'étant pas
soluble dans l'ammoniaque, il restait à démontrer, sinon l'identité, tout au moins
l'isomérie que Gay-Lussac inclinait à admettre entre les deux substances. On
peut démontrer qu'il n'y a de différence, entre le pourpre de Cassius et celui
des, essayeurs, que celle qui résulte des conditions différentes dans lesquelles
le bioxyde d'étain s'est formé : l'oxyde d'étain obtenu par l'oxydation de l'étain à
chaud est insoluble dans l'ammoniaque ; il en est de même de sa laque ; mais
si l'on attaque à une douce chaleur l'alliage tertiaire d'argent, d'or et d'étain, on
obtient un résidu pourpre, soluble dans l'ammoniaque. C'est qu'en effet, comme
je l'ai vérifié directement, l'oxyde d'étain obtenu dans ces conditions est soluble
dans ce réactif.
« Buisson, Gay-Lussac, Kaff, Marcadieu, Proust, Larzeau, J.-C. Fischer et Debray (dit M.
Muller) sont d'avis que la couleur du pourpre d'or est due à de l'or finement divisé ;
Berzelius, Buchner, Clarke, Desmarets, Figuier, A.-W. Fischer, Fuchs, Lentin, Oberkamp,
81
Robiquet, Schvveiger, Seidel et Strecker sont amenés par leurs expériences à conclure que
le pourpre contient de l'or à l'état d'oxydation. Quant à la composition précise du pourpre,
les défenseurs de cette dernière opinion sont loin de s'accorder entre eux. »
Un peu plus loin, après avoir relaté les diverses hypothèses émises sur la
nature de l'oxyde d'or colorant le pourpre, l'auteur ajoute :
« Les mêmes faits qui ont déterminé nombre de chimistes à aligner des formules
compliquées pour représenter la constitution du pourpre d'or ont imposé à d'autres chimistes
la conviction que la couleur était produite par de l'or métallique. Néanmoins les expériences
publiées sont loin d'avoir une vertu démonstrative suffisante pour faire accepter
généralement cette dernière opinion. De nouvelles recherches étaient donc nécessaires
pour éclaircir la question si discutée de la constitution du pourpre d'or. »
M. Max Muller n'a certainement pas lu mon travail ; sans cela il aurait reconnu
que mes expériences sont démonstratives, puisqu'il les a reproduites dans son
Mémoire en les étendant seulement à d'autres corps. Ainsi, pour montrer que,
dans le pourpre de Cassius, il n'y a que de l'or métallique qui teint l'oxyde
d'étain, j'indique les expériences suivantes [cf. pourpre de Cassius, 2]:
82
1872 ; articles de Henri Debray
83
mêmes nuances que les divers pourpres de Cassius, a conduit beaucoup de
chimistes à considérer ce corps comme un véritable mélange. Proust fit
remarquer le premier que le pourpre trituré avec du mercure, ne perdait pas d'or
; il admettait que ce métal se trouvait dans le pourpre a un état de combinaison
particulier. Mais rien n'indiquant la possibilité d'une combinaison d'un oxyde et
d'un métal, tandis qu'il est naturel de concevoir l'union de deux oxydes,
Berzelius et M. Dumas l'envisagèrent comme un stannate double de protoxyde
d'étain et d'un oxyde d'or inférieur.
Cette formule explique facilement tous les faits observés ; la variation dans la
proportion d'acide stannique serait due à un mélange ; elle a été admise par
divers chimistes qui se sont plus récemment occupés du pourpre de Cassius
(Fuchs, Barral). D'un autre côté, Mercadieu et après lui Gay-Lussac, avaient
appelé l'attention des chimistes sur un pourpre qui prend naissance quand on
attaque par l'acide azotique des alliages d'argent (ou de zinc) contenant à la
fois de l'étain et de l'or dans la proportion où ils existent dans le pourpre de
Cassius. L'or étant inattaquable par l'acide azotique, Gay-Lussac en concluait
que ce métal existait à l'état de mélange dans le pourpre, mais rien ne prouve
que l'or conserve son inoxydabilité quand il est allié à l'étain, puisque l'acide
azotique, ordinairement sans action sur le platine le dissout quand il est allié à
l'argent, de plus son pourpre insoluble dans l'ammoniaque n'était pas
nécessairement identique à celui de Cassius.
Le pourpre de Cassius est une laque colorée par l'or. -
Cette opinion s'appuie sur les faits suivants: Si l'on verse une solution d'or dans
un liquide tenant en suspension de l'oxyde d'étain hydraté, et qu'on y ajoute
ensuite un corps réducteur, l'or réduit se précipite en presque totalité sur l'oxyde
d'étain qui prend la couleur et les caractères du pourpre de Cassius
[on peut faire l'expérience de la manière suivante. On ajoute du sel marin à une dissolution
de bichlorure d'étain étendue préalablement bouillie, pour en précipiter l'oxyde d'étain ; on
ajoute du chlorure d'or à la dissolution puis de l'acide oxalique ; en chauffant légèrement,
l'oxyde d'étain se colore en pourpre et c'est à peine s'il se dépose de l'or sur les parois du
vase]. Aussi le mercure n'enlève par l'or au pourpre ainsi obtenu. L'alumine
hydratée donne aussi dans les mêmes circonstances une laque colorée par l'or.
L'or peut donc donner des laques colorées, et son insolubilité dans le mercure,
lorsqu'il est engagé dans ce genre particulier de combinaisons n'est pas plus
étrange que celle de la plupart des matières colorantes, ordinairement solubles
dans l'eau ou dans d'autres réactifs, et qui deviennent insolubles dans ces
mêmes milieux par leur union avec les mordants, tels que l'oxyde d'étain ou
l'alumine. La solubilité du pourpre de Cassius dans l'ammoniaque caustique
avec dépôt lent d'or métallique et d'hydrate stannique, s'accorde très bien avec
cette manière d'envisager la constitution de ce corps. Cette propriété n'est pas
en effet un caractère spécifique du pourpre de Cassius, celui-ci est ou n'est pas
soluble dans l'ammoniaque selon que l'oxyde d'étain qu'il contient est lui-même
soluble on insoluble dans cet agent. L'oxyde d'étain préparé à froid étant
soluble dans l'ammoniaque, tout pourpre préparé à froid, même celui de
Gay-Lussac (obtenu à une douce chaleur) est soluble dans l'ammoniaque ; tout
pourpre préparé ou chauffé à 100°C y est insoluble parce que l'oxyde d'étain
qu'on obtiendrait dans ces conditions est insoluble.On voit aussi que toutes les
autres réactions du pourpre de Cassius s'expliquent aisément dans cette
hypothèse (H. Debray).
extrait du Cours élémentaire de chimie par Henri Debray, Dunod, Paris,
84
1863
a)- introduction
85
Montami et Leviel sont connus des spécialistes. Ils ont donné des
recettes plus ou moins praticables. Bullion et Fontanieu en ont
donné de nouvelles, et ont établi nettement les principes de cet
art. Plus tard, Douault Wieland a apporté dans cette fabrication
tant de perfectionnements qu'on est en droit de le considérer
comme le véritable auteur du strass coloré. Plus près de nous, M.
Saavry, Mosbach, Appert et Ch. Feil ont amené à un haut degré
de perfection ces imitations de pierres précieuses.
FIGURE XXI
(strass coloré)
86
quelquefois la matière en jaune ou en brun, quand leur surface
laisse échapper quelques particules de fer. quant aux creusets de
porcelaine, ils se cassent et sont trop perméables. On se sert
pour fondre la matière, d'un four à potier ou d'un four à
porcelaine, et les creusets restent 24 heures environ au feu. Plus
la fusion est tranquille et prolongée, plus le strass acquiert de
dureté et de beauté. Le plus souvent, on se sert d'un four à potier.
Nous donnons dans le tableau suivant quatre mélanges dont s'est
servi M. Douault pour faire du très beau strass.
Avec le cristal de roche, on obtient un stras plus dur que celui qui
est fait avec le sable ou le silex mais il est parfois trop blanc ce
qui n'est pas avantageux pour les petites pierres qui manquent
d'orient et jettent alors moins de feu que celles dont la matière est
légèrement colorée en jaune. Venons-en au strass coloré. Ces
strass ont destinés à fournir de imitations de diverses pierres
naturelles plus ou moins estimées dans le commerce de la
bijouterie. et c'est là qu'un facteur psychologique intervient : il
paraît que l'art du strass serait en quelque sorte un art limité et
que dès que l'on peut obtenir des copies fidèles des pierres
employées par les bijoutiers, le but est atteint. Car ce serait
vainement qu'on pourrait se procurer des strass remarquables par
leurs belles nuances, si ces strass ne ressemblaient pas à
quelque pierre précieuse : ils seraient alors repoussés par les
consommateurs. Nous touchons là au sommet de l'art spagyrique
- du moins considéré comme tel, dans l'optique de nos
recherches. Ainsi, la voie sèche au creuset conduirait aux pierres
véritables [alchimie] tandis que les strass colorés manqueraient de
noblesse et seraient à réserver à un usage mercantile [spagyrie] :
nous laissons au lecteur le soin de juger ce point de science.
Notre avis ? Nous serions tenté de croire que si des alchimistes
ont réussi la synthèse de ces pierres, ils n'avaient pas les moyens
actuels pour les différencier des gemmes orientales [comme en
parle Buffon] ; dès lors, notre sentiment serait qu'ils ne
poursuivaient pas un but mercantile mais qu'ils voulaient se
rapprocher de Dieu [ou du principe divin] par cet art du feu, cet Art
sacré que Dom Pernety croit devoir remonter au temps des
Egyptiens... si donc, il y a des mercantis, il ne peut s'agir ici que
des chalands : ceux-ci veulent acheter à bon prix des pierreries
assez parfaites pour qu'un oeil peu exercé les prenne pour de
véritables pierres fines, d'une valeur bien plus considérable. Sous
ce rapport, le strass le plus parfait, s'il n'imitait rien, n'aurait
aucune valeur car il ne tromperait personne ; c'est en quelque
sorte le règne de la corruption, à envisager dans un double sens,
exotérique et que nous venons de voir ; ésotérique et le lecteur
voudra bien alors se rapporter à la section sur la réincrudation où
il comprendra en quoi la chute de l'ange est si proche de l'Art
sacré. Les fabricants de strass sont donc limités pour les couleurs
et même pour l'intensité des couleurs ;sous ce rapport, l'art du
strass contracte de rapports avec celui de faire le beau verre teint
ou peint, voire avec le travail du vitrail [cf. section Mercure].
87
b)- les pierres : la phase d'assation
88
- strass très blanc : 1000
- verre d'antimoine : 40
- pourpre de Cassius : 1
- strass : 1000
- oxyde de fer : 10
89
potier, donnent pour résultat un beau cristal jaunâtre semblable
au strass. Refondu au chalumeau, celui-ci produit le plus beau
rubis d'Orient. On peut aussi faire un rubis moins beau et d'une
teinte différente en employant les proportions suivantes :
- saphir : pour produire une couleur d'un beau bleu oriental, il faut
employer du strass très blanc et de l'oxyde de cobalt très pur.
Cette composition mise au creuset de Hesse luté, doit rester 30
heures au feu. voici les proportions :
90
peut-être escarboucle, a une couleur vive qui la fait estimer. Elle
est surtout employée pour les petits bijoux. Le grenat artificiel est
une espèce de rubis foncé que l'on fabrique d'après la formule
suivante :
91
de sel de Glauber, 0.5 parties de chaux et une trace de charbon
peut servir à la préparation du verre ordinaire, premier état de la
pierre : c'est son état mercuriel figé. La bonne tenue des couleurs
impose, dans la mesure du possible, de disposer d'un verre
parfaitement incolore [mais nous avons vu qu'une très légère teinte
jaune semble indispensable afin de donner un peu d'orient à la pierre]. La
présence d'une certaine quantité de protoxyde de fer isomorphe
avec la chaux, la magnésie, donne un verre ayant une légère
nuance de coloration. Pour pallier cet inconvénient, on ajoute à la
masse vitreuse du peroxyde de manganèse qui transforme le
protoxyde de fer en peroxyde [colcothar], lequel ne produit
presque aucune coloration, tandis que le peroxyde de manganèse
se trouve, quant à lui, réduit à l'état de protoxyde qui procure des
verres incolores ; notez que l'addition de salpêtre conduit au
même résultat [les anciens alchimistes ne connaissaient pas le
manganèse].
conclusion
- l'or, que l'on doit d'abord dissoudre par l'eau régale puis retirer
de sa dissolution par de l'esprit de vin ou de l'éther [substance
connue de Basile Valentin] ; les dissolutions auriques mènent
directement à l'or potable de Paracelse ;
- les sels stannifères, en particulier les chlorures d'étain ; nous
signalons aussi le rôle minéralisateur puissant que jouent les
chlorures, de façon générale ; les chlorures d'étain sont
indispensables pour la préparation du pourpre de Cassius ;
- le pourpre de Cassius est une substance qui paraissait encore
complexe aux chimistes du XIXe siècle ; Henri Debray la définit
comme une laque où l'étain est à l'état de chlorure et l'or, à l'état
métallique très divisé ; on doit signaler ici le parallèle avec
l'aventurine où le cuivre est aussi à l'état métallique dans un état
92
très divisé ;
- la distillation du vin est citée par de nombreux textes : elle
permet la préparation de l'eau de vie et de l'éther sulfurique [entre
autre] ; corps dans lesquels l'or est soluble ; il en va de même pour
le vinaigre avec l'acide acétique, dans lequel l'or est soluble après
un certain temps ;
- le mercure, sous forme de sublimé corrosif, est indispensable à
la préparation des chlorures d'étain ;
- la chaux et le charbon, le salpêtre aussi, jouent un rôle réducteur
des plus importants ;
- le foie de soufre [pentasulfure de potassium] est l'un des deux
principaux dissolvants de l'or avec l'eau régale : c'est un point de
jonction avec la voie sèche où l'on utilise le pentasulfure de
potassium en le calcinant d'abord pour le transformer en tartre
vitriolé ;
- les modifications des couleurs, dans la préparation de la topaze
et du rubis artificiels, rappellent étrangement les régimes de
Philalèthe ou de Cyliani. Ce dernier point reste à approfondir.
- l'esprit humain possède une sensibilité très particulière à
certaines couleurs présentes dans des cristallisations naturelles
ou artificielles : c'est là un point de liaison entre l'alchimie et la
psychologie qui doivent faire relire les travaux de Jung en la
matière.
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