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JOLY B. L'alkahest, Dissolvant Universel Ou Quand La Theorie Rend Pensable Une Pratique Impossible

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M Bernard Joly

L'alkahest, dissolvant universel ou quand la thorie rend pensable une pratique impossible/L 'alkahest, universal solvent or when the theory makes thinkable an impossible practice
In: Revue d'histoire des sciences. 1996, Tome 49 n2-3. pp. 305-344.

Rsum RSUM. Reprenant un terme invent par Paracelse, Van Helmont appelle alkahest le dissolvant universel capable de ramener tout corps sa matire premire. La recherche de l'alkahest occupe une place importante dans les travaux chimiques de la seconde moiti du XVIIe sicle. Simple produit corrosif pour les uns, Mercure des philosophes pour d'autres, l'alkahest rsiste aux objections, malgr ses proprits aberrantes, grce la persistance des thories alchimiques dans le champ des travaux de la chimie. Abstract SUMMARY. Using again a term coined by Paracelsus, Van Helmont calls Alkahest the universal solvent able to reduce any body in its prime matter. The search for Alkahest takes up a great part of the chemical works of the second half of the seventeenth century. Simple corrosive product for some, Philosophers' Mercury for others, Alkahest withstands objections in spite of its absurd properties, by means of the persistence of alchemical theories in the field of chemistry.

Citer ce document / Cite this document : Joly Bernard. L'alkahest, dissolvant universel ou quand la thorie rend pensable une pratique impossible/L 'alkahest, universal solvent or when the theory makes thinkable an impossible practice. In: Revue d'histoire des sciences. 1996, Tome 49 n2-3. pp. 305-344. doi : 10.3406/rhs.1996.1258 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhs_0151-4105_1996_num_49_2_1258

L'alkahest, ou quand la

dissolvant rend

universel pensable

thorie

une

pratique impossible Bernard Joly(*)

RSUM. Reprenant un terme invent par Paracelse, Van Helmont appelle alkahest le dissolvant universel capable de ramener tout corps sa matire pre mire. La recherche de l'alkahest occupe une place importante dans les travaux chimiques de la seconde moiti du XVIIe sicle. Simple produit corrosif pour les uns, Mercure des philosophes pour d'autres, l'alkahest rsiste aux objections, malgr ses proprits aberrantes, grce la persistance des thories alchimiques dans le champ des travaux de la chimie. MOTS-CLS. Alchimie; alkahest; chimie; Paracelse; Van Helmont; Boyle. SUMMARY. Using again a term coined by Paracelsus, Van Helmont calls Alkahest the universal solvent able to reduce any body in its prime matter. The search for Alkahest takes up a great part of the chemical works of the second half of the seventeenth century. Simple corrosive product for some, Philoso phers'Mercury for others, Alkahest withstands objections in spite of its absurd properties, by means of the persistence of alchemical theories in the field of chemistry. KEYWORDS. Alchemy; alkahest; chemistry; Paracelse; Van Helmont; Boyle. La lecture des premiers volumes de Encyclopdie de Diderot et D'Alembert rserve quelques surprises l'amateur d'histoire de la chimie. Quelques pages aprs les articles alchimie et alchi miste , entre Alk , qui est une sorte de pingouin, et Alkali , on trouve en effet Alkahest ou Alcahest (1) , terme qui dsigne un menstrue ou dissolvant, que les alchymistes disent tre pur, au moyen duquel ils prtendent rsoudre entirement les corps en leur matire primitive, & produire d'autres effets extraordinaires & inex() CRATS-URA CNRS 1743, Universit Charles de Gaulle (Lille III), 59650 Villeneuve d'Ascq. (1) Le mot s'crivait Alchahest chez Paracelse, Alkahest chez Van Helmont, et de toutes les faons possibles chez les autres auteurs. J'ai opt pour l'orthographe helmontienne, tout en respectant, bien entendu, la diversit des orthographes l'intrieur des citations. Rev. Hist. ScL, 1996, 49/2-3, 305-344

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plicables (2) . L'auteur de l'article, Paul- Jacques Malouin (3), pro fesseur de mdecine au Collge royal de 1767 1774, membre de l'Acadmie des sciences ds 1742 et de la Royal Society of London en 1753, avait assur, comme remplaant de Bourdelin, des cours de chimie au Jardin des plantes et publia en 1734 un Trait de chimie, contenant la manire de prparer les remdes qui sont les plus en usage dans la pratique de la mdecine. Malouin crivit la plupart des articles de chimie des deux pre miers volumes de Y Encyclopdie, parus en 1751, soit prs de soixante-dix articles, puis fut remplac, ds le volume trois, par Gabriel-Franois Venel. Alors que les articles de ce dernier refl tent les dbats de l'poque entre chimie newtonnienne et chimie stahlienne, ceux de Malouin sont remplis d'une sorte de nostalgie pour une chimie qui triompha au dbut du xvne sicle, d'abord soucieuse de fidlit aux auteurs du pass, que l'on chercherait en vain distinguer de l'alchimie, et dont le paracelsisme constitue la modernit. Ainsi, crit-il dans l'article alchymist , dire que Palchymie n'est qu'une science de visionnaires, & que tous les alchymistes sont des fous ou des imposteurs, c'est porter un jugement injuste d'une science relle laquelle des gens senss & de probit peuvent s'appliquer . Dans un tel contexte, la prsence d'un article sur Palkahest dans YEncyclopdie serait moins dconcertante si les caractristi ques de ce produit n'engendraient une profonde perplexit, que Malouin semble d'ailleurs partager. Il commence par rappeler que ce sont Paracelse et Van Helmont qui ont affirm qu'il y a dans la nature un certain fluide capable de rduire tous les corps sublu naires, soit homognes, soit htrognes, en la matire primitive dont ils sont composs , c'est--dire en eau, et que ce produit, appliqu lui-mme, se convertit en eau pure et lmentaire . (2) Menstrue, dit le Dictionnaire de Furetire (La Haye, 1690), en termes de Chymie, est un dissolvant humide, qui pntrant dans les plus inthimes parties d'un corps sec, sert en tirer les extraits & teintures, & ce qu'il y a de plus subtil & de plus essentiel. Le terme est employ tantt au masculin tantt au fminin. (3) Sur Malouin (1701-1778), outre son loge par Condorcet, voir les notices de JeanPaul Contant, L'Enseignement de la chimie au Jardin des plantes (Cahors : Imprimerie Coueslan, 1952), 63-65; Martin Fichman, Malouin, in . . Gillepsie (d.), Dictionary of scientific biography, vol. IX (New York : Charles Scribner's Sons, 1972), 62 (ouvrage dsormais not dsb) ; Franck Kafker, The Encyclopedists as individuals (Oxford : The Volt aire Foundation, 1988), 243-245; J. R. Partington, A history of chemistry, vol. Ill (London : Macmillan & Co Ltd, 1961), 72 (ouvrage dsormais not Partington).

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D'ailleurs, Vanhelmont, ainsi que Paracelse, regardoit Peau comme l'instrument universel de la chymie & de la philosophie naturelle . Aprs avoir cit le nom de quelques-uns des nombreux auteurs modernes qui en ont trait, il s'interroge sur l'origine du terme, que Paracelse a invent et qui pourrait vouloir dire alkali est , ou bien alguiest, comme qui diroit entirement spiritueux , ou bien encore saltzguiest, c'est--dire esprit de sel . Il poursuit en indiquant quelques-uns des synonymes que Paracelse et Van Helmont auraient utilis pour dsigner l'alkahest, et parvient enfin la prsentation de ses proprits : l'alkahest rduit le sujet auquel on l'applique en ses trois principes, puis en sel, et enfin en eau; il conserve les vertus sminales des corps qu'il dissout, mais ce corps lui-mme, une fois rduit en eau, a perdu lesdites vertus; enfin l'alkahest ne perd pas sa puissance en agissant, pas plus qu'il ne se dtruit dans les oprations o on l'utilise, car en ralit, il ne se mlange pas ce sur quoi il agit. Malouin conclut ainsi : On peut dire que l'alkahest est un tre de raison, c'est--dire imaginaire, si on lui attribue toutes les proprits dont nous venons de parler d'aprs les alchymistes. Voil l'tranget de la situation. L'alkahest possde des pro prits suffisamment curieuses pour que l'on puisse douter de son existence; on ne sait pas au juste en quel sens Paracelse utilisait le terme que Van Helmont reprit plus d'un sicle aprs la mort de son inventeur. Pourtant, ds la seconde moiti du xvir* sicle, il envahit la littrature alchimique et chimique, et cela malgr les solides objections que nous allons bientt examiner. C'est ce para doxe que je voudrais clairer. Comment se fait-il que des person nagesaussi diffrents que Boyle, Leibniz ou Boerhaave, mais qui avaient cependant en commun de ne pas se laisser garer par les trangets de l'hermtisme, aient pu consacrer une partie de leur temps enquter sur les proprits d'un produit dont l'existence mme relve, nos yeux, de l'absurdit? Comment ont-ils pu ainsi rejoindre les vaines recherches de ceux qui, tels Pierre- Jean Fabre, George Starkey ou Luigi De Conti, croyaient qu'il leur serait poss ible, grce l'alkahest, d'isoler plus aisment la matire premire des mtaux et d'en tirer la Pierre philosophale? Pour drangeante qu'elle soit, une rponse s'impose : malgr les rticences que l'on exprimait volontiers propos de la trans mutation des mtaux, la thorie alchimique constituait encore, jusqu'au dbut du xvm* sicle, un horizon difficilement dpassable

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pour toute pense chimique (4). Mme critique, l'ide de matire premire universelle de tous les mtaux produisait toujours des effets, et rendait crdible l'existence d'un dissolvant lui-mme universel. Bien plus, le fait mme que alkahest soit un produit, et non pas un principe insaisissable, semblait faciliter son acceptation par ceux qui critiquaient l'irralisme de l'alchimie (5). Nous examinerons d'abord les objections, rticences et perplexits qui s'exprimrent propos de l'alkahest la fin du xvne et au dbut du xvme sicle. Puis nous remonterons l'origine du terme, chez Paracelse et chez Van Helmont. Nous pourrons alors com prendre comment se construisit l'opposition toute relative entre ceux qui voyaient dans les recherches sur l'alkahest le dploiement d'une pratique qui pourrait devenir autonome par rapport la thorie qui l'avait initialement rendue possible, et ceux pour les quels, au contraire, la production de l'alkahest n'tait que prolon gement, dans la pratique, d'une immuable thorie qui se trouvait ainsi, leurs yeux, une fois de plus brillamment confirme.

I. La fabrication de l'trange liqueur Alkahest : possible ou impossible? La plus clbre des objections leves contre la possibilit mme de l'alkahest est sans doute celle de Johann Kunckel. Ce dernier, dont le pre avait t alchimiste la cour de Frdric de SchleswigHolstein (6), s'tait spcialis dans la chimie du verre (7). En 1677, (4) Ainsi Stahl, dans les Fundamentu Chymiae (Nuremberg, 1623), 233, juge difficile, mais non impossible la fabrication de la Pierre des philosophes. De son ct, dans Elementa Chemiae (Leyde, 1732), trad, franc. Elemens de Chymie, t. I (Paris, 1754), 246, Hermann Boerhaave affirme que les alchimistes avaient tent de faire de la Physique une science telle que le souhaitait l'illustre chancelier Bacon , en ne donnant point d'autres causes de phnomnes que celles qui, poses de nouveau, reproduisent ces mmes phnomnes . (5) L'interprtation mcaniste des phnomnes chimiques emprunte Descartes et dve loppe par Nicolas Lmery dans son Cours de chimie (Paris, 1675) semblait souvent plus invraisemblable que la thorie principielle de la matire, comme en tmoigne encore Stahl qui, dans le Specimen Beccherianum (Leipzig, 1720), 51, affirme que l'on comprend mieux ce qu'est le sel si l'on indique qu'il est compos d'eau et de deux sortes de terres que lorsque l'on dit qu'il est compos de particules aigus et anguleuses. (6) C'est ce prince, lui-mme fru d'alchimie, que furent envoys deux textes impor tants dans l'histoire de l'alkahest, et dont nous parlerons bientt : VEpistola de famosa liquore alkahest de Tachenius, et le Manuscriptum ad Fridericum de P.-J. Fabre. (7) Kunckel (1630/1638-1702/1703) devint clbre au xvm* sicle par sa traduction allemande

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il consacre Palkahest un chapitre de son Chymische Anmerckungen intitul : Est-il possible de trouver un Menstrue Universel qui puisse dissoudre tous les corps sans distinction, mme les pierres prcieuses? (8) A celui qui se vanterait de possder un menstrue tel que mme le diamant ne lui rsisterait pas, il rpond : [...] si mme le diamant ne peut lui rsister, quel rcipient pensera-t-il donc pouvoir utiliser, dans lequel il puisse prparer et conserver ce menstrue? (9) Kunckel poursuit alors sa critique en expliquant que le rcipient devra toujours tre plus rsistant que le corps que l'on veut dissoudre. Si l'on admet que le diamant est le corps le plus solide de la nature, aucun rcipient ne pourra le recevoir pour sa dissolution : la notion de dissolvant universel est donc contraire la nature. Kunckel renouvelle ses attaques dans le Collegium physicochymicum exprimentale dont le chapitre trente-huit du second livre est consacr l'alkahest. Aprs avoir rappel les hypothses hasar deuses sur l'tymologie du terme {Alcali est ou bien AU geistt), il conclut : Je dois lui donner son vritable nom (puisque aucun dissolvant ne peut exister tel que Helmont l'a dcrit) et ce nom est celui-ci : Ailes L'gen heisset, oder ailes Liigen est (c'est tout mensonge) (10). Une autre objection consistait constater l'absence chez Paracelse de tout dveloppement thorique sur lequel on et pu construire une argumentation concernant l'alkahest. De tels silences, chez celui que l'on continuait considrer comme le fondateur de la chimie et de la mdecine nouvelles, ne devait-il pas conduire renoncer aux recherches sur l'alkahest? Ainsi, Johann Seger von Weidencommente Ars vitraria experimentalis (Amsterdam-Leipzig, 1679) de la traduction latine commente par Merret (Amsterdam, 1668) de L'Arte vetraria distincta in libri sette d'Antonio Neri (Florence, 1612). L'ouvrage de Kunckel fut son tour traduit en franais par d'Holbach : Art de la verrerie de Neri, Merret et Kunckel (Paris, 1752). Sur Kunckel, voir John Ferguson, Bibliotheca chemica, vol. I (Glasgow : James MacLehose and Sons, 1906), rimpr. (Hildesheim : Georg Olms Verlag, 1974), 483-485, ouvrage dsormais not Ferguson; Partington II, 361-377; dsb VII, 524-526. (8) Johann Kunckel, Chymische Anmerckungen (Wittenberg, 1677). L'ouvrage fut traduit en latin sous le titre Philosophia chemica experiments confirmata (Amsterdam, 1695) et en anglais An experimental confirmation of chymical philosophy, dans Pyrotechnical Dis courses (Londres, 1705) avec un trait de Stahl et un autre de Fritschius. (9) Philosophia chemica experimentis confirmata, op. cit. in n. 8, 229; An experimental confirmation, op. cit. in n. 8, 122. (10) Collegium physico-chymicum exprimentale oder laboratorium chymicum (HambourgLeipzig, 1716), 506.

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feld, dans le De secretis adeptorum de 1685 (11), consacr l'clai rcissement des oprations alchimiques de distillation, fait part de son dsappointement propos de Palkahest dans sa prface ddicatoire Robert Boyle. Ayant cherch dans les uvres de Paracelse l'endroit o serait prcisment dcrite la prparation d'un tel dissolvant universel, il n'a trouv que la description de multi plesmenstrues qui ne possdent jamais les proprits de l'alkahest : On dit en effet que la liqueur Alkahest est unique et universelle : mais les menstrues de Paracelse sont multiples. Celleci est indestructible, ceux-l sont destructibles. Celle-ci carte l'union avec le corps, chez ceux-l elle est permanente. Celle-ci conserve la force des choses, ceux-l l'altrent (12). Voil pourquoi, nous dit l'auteur, il a prfr se tourner vers les travaux d'autres adeptes, tels que Raymond Lulle, pour trouver les vritables menstrues. Les principales objections sont rsumes dans le Conspectus chemiae de Johann Juncker, l'un des ouvrages par lesquels la pense de Stahl fut largement diffuse en Europe (13). L'auteur consacre de larges dveloppements aux menstrues, prsentes comme des instruments essentiels de la chimie, puisqu'elles permettent la dcomp osition des corps. L'alkahest figure parmi ces menstrues, mais Juncker ne veut pas s'tendre son sujet, parce que tout ce qu'en ont dit les Auteurs n'claircit point du tout sa nature (14) . Il prfre dvelopper une nomenclature des diverses menstrues, sul fureuses comme le ptrole, le naphte, le soufre ou l'antimoine, salines comme les acides minraux, vgtaux et animaux, ou les alcalis fixes et volatils, ou enfin mercurielles et arsenicales (15). Quant la menstrue universelle, on a trois bonnes raisons de douter de son existence : d'abord Kunckel a bien vu qu'elle dissoudrait son rcipient; ensuite une mme menstrue ne saurait dissoudre les differens lemens qui ont des caractres distincts ; enfin ce (1 1) Johannes Seger Weidenfeld, De secretis adeptorum, sive de usu spiritus vini lulliani libri IV (Londres, 1684) ; trad, anglaise (Londres, 168S) ; rd. latines (Hambourg, 168S) (Leipzig, 1768). On ne sait rien sur Weidenfeld. (12) De secretis adeptorum (1684), op. cit. in n. 11, f. a4 r. (13) Conspectus chemiae theoretico-practicae informa tabularum repraesentatus (Halle, 1730) ; ouvrage traduit par Jacques-Franois Demachy sous le titre Elemens de chymie suivant les principes de Becker et de Stahl, traduits du latin sur la IIe dition de M. Juncker, avec des notes (Paris, 1757), 6 vol. Sur Juncker (1679-1759), voir Ferguson I, 443-444; dsb VII, 188; Partington II, 688-689. (14) Traduction Demachy, op. cit. in n. 13, vol. I, chap. VI, 336. (15) Ibid., 338-387.

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que l'on rapporte de ce prtendu dissolvant n'est pas des plus fidles . Par consquent, il est inutile de disputer sur une chose que l'on ignore absolument (16) . On trouverait de semblables remarques, critiques et dsabuses, dans le Nouveau cours de chymie suivant les principes de Newton et de Stahl attribu Senac (17), ou dans les Dissertations chymiques de M. Pott, recueil et traduction de divers textes du chimiste allemand dites par Demachy en 1759 (18). Ces ouvrages contri burent faire connatre tardivement en France la chimie de Bcher et de Stahl et assurrent le succs de la doctrine du phlogistique. Mais en mme temps, ils projetrent tard dans le xvme sicle le terme d'alkahest et les problmatiques qui lui taient associes. On comprend mieux ainsi la perplexit des chimistes de ce temps, illustre par l'article de Malouin pour V Encyclopdie. Car en mme temps que les lecteurs franais prenaient connaissance des objec tions contre l'alkahest, ils dcouvraient que Bcher, prsent comme l'inspirateur de la doctrine de Stahl, avait pris tout fait au srieux l'existence du dissolvant universel. Johann Joachim Bcher, en effet, affirmait dans la Physica subterranea que la terra fluida improprie dicta mercurius , l'une de ses trois terres principielles, pouvait tre rapproche de alkahest en raison de sa capacit pntrer tous les corps et les rduire en fins atomes (19). Il prcisait cepen dantqu'il ne fallait pas confondre alkahest et le Mercure des philosophes (20), au point qu'il en venait, au chapitre trois de la troisime section, rattacher alkahest sa seconde terre, sulfureuse ou graisseuse. Dans le petit lexique qui termine son chapitre, il dfinissait alors Palkahest comme constitu d'huile subtile, c'est--dire de terre sulfureuse arsenicale contenant du sel

(16) Ibid., 388-389. (17) Nouveau cours de chymie suivant les principes de Newton et de Stahl (Paris, 1737). L'expos sur alkahest s'y trouve dans la premire partie, 147-149. Sur Senac (1693-1770) et la question de l'attribution du Nouveau cours de chymie, voir Ferguson II, 363 ; Partington III, 58-59; dsb XII, 302-304. (18) Dissertations chymiques de M. Pott professeur de chymie et membre de l'Aca dmie royale des sciences de Berlin : Recueillies et traduites, tant du latin que de l'all emand, par M. Demachy (Paris, 1759). Il y est question de alkahest dans une dissertation sur les soufres des mtaux parue initialement en 1716 (vol. I, 31-32). Sur Johann Heinrich Pott (1692-1777), voir Ferguson II, 221-222, Partington II, 717-722. (19) Johann Joachim Bcher, Actorum laboratorii chymici monacensis, seu physica sub terranea libri duo (Leipzig, 1738), 81 ; 1 d. (Francfort, 1667). (20) Ibid., 81.

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raffin (21) . On comprend que Stahl ait prudemment propos dans son commentaire de pratiquer Ypoch propos de la liqueur alkahest (22). Ainsi, malgr le caractre apparemment contraignant des objec tions, des auteurs que nous ne pouvons pas souponner d'avoir manqu d'esprit critique, ont consacr une partie de leur temps rechercher ce que pouvait tre Palkahest, et ont sembl admettre la possibilit de son existence. Nous reviendrons bientt sur le cas de Robert Boyle, qui reconnaissait en 1661, dans The Sceptical Chymist (23), que la liqueur alkahest serait un secret plus noble et plus dsirable que la Pierre des philosophes elle-mme, si ce que Van Helmont en dit est vrai. Contentons-nous, pour le moment, d'examiner les propos de deux personnages qui ne sont pas rputs avoir cd aux divagations de l'obscurantisme : Wilhelm Gottfried Leibniz et Hermann Boerhaave. Leibniz affirme en 1671 que possibilis est Liquor Alcahest (24) . On sait qu'il fut employ par une socit d'alchimistes Nuremberg pendant l'hiver 1666-1667, qu'il connaissait fort bien les textes alchimiques, qu'il ne cessa d'tre en contact avec de mult iples personnages qui cherchaient oprer la transmutation des mtaux et qu'il semble mme avoir encourag leurs recherches par une participation financire, bien qu'il doutt de la possibilit de l'opration et qu'il ait dvelopp quelques objections thoriques contre la doctrine (25). C'est dans les annes soixante-dix qu'il semble s'intresser alkahest. En particulier, dans ses Hypothesis physica nova de 1671, aprs avoir affirm que VArcheus de Van Helmont et le Rector de Tachenius n'taient rien d'autre qu'un aether universalis ou spiritus mundi, il ajoute que ce sel cleste possde toutes les vertus que Van Helmont reconnat son alcahest, qui veut dire alcali est . (21) Ibid., 272. (22) Specimen Beccherianum, op. cit. in n. 5, 6 : Sed cum hujus rei multae quidem mentiones proferantur, confirmationes autem nullae, quibus tuto niti liceat, a testibus studii partium nihil suspectis suppetant : propterea tantis per pkein necesse fuerit. (23) Boyle, The Works, d. by Thomas Birch, vol. I (London, 1772), 485. (24) G. W. Leibniz, Samtliche Schriften und Briefe, Philosophische schriften, vol. II (Berlin : Akademie Verlag, 1966), 291, brouillon [427] : De liquore Alcahest. (25) Sur ce sujet, voir les deux articles de Georg M. Ross, Leibniz and the Nuremberg alchemical society, Studia Leibnitiana, 6/2 (1974), 222-248 ; Leibniz and Alchemy, in Magia Naturalis und die Entstehung der modemen Naturwissenschaften (Wiesbaden : Franz Steiner Verlag, 1978), 166-177.

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Quant au clbre chimiste hollandais Hermann Boerhaave, il consacre au sujet une vingtaine de pages dans les Elementa chemiae de 1732. Tout en reconnaissant qu'il est impossible d'indiquer un seul moyen physique pour oprer ainsi une solution univers elle , il affirme que l'alkahest, s'il existe, doit tre regard comme le don le plus prcieux que Dieu ait accord aux hommes par le moyen de la chymie (26) , reprenant ainsi, sans le nommer, les propos de Glauber en 1651 dans son Operis mineralis (27). Puis il rapporte le jugement de Boyle voqu plus haut, en prci sant que les efforts de ce dernier pour dcouvrir ce secret taient rests vains. Il expose alors longuement toutes les proprits de l'alkahest, travers de nombreuses citations de Van Helmont, puis il prend position contre ceux qui veulent le fabriquer partir de l'urine, du phosphore ou du nitre, pour considrer enfin que c'est dans les crits de Pierre- Jean Fabre et de Bcher que l'on trouve les remarques les plus intressantes sur le sujet (28). Mais il conclut ainsi : Je ne sais pas trop bien ce que je dois penser ldessus (29). Pour tous ceux qui s'intressaient la chymie dans la seconde moiti du xvn* et le dbut du xvnr* sicle, l'alkahest cons titua l'un des enjeux principaux de la thorie et un objet privilgi des travaux de laboratoire. La recherche d'un dissolvant universel s'inscrivait dans les proccupations chimiques d'une poque sou cieuse de donner l'analyse chimique de nouveaux moyens d'inves tigation. Cependant, une telle qute ne pouvait avoir du sens que parce qu'elle s'inscrivait dans le cadre ancien de la thorie alch imique et de la rduction de tous les corps en leur matire pre mire. Cette rfrence alchimique souvent implicite permettait de penser sans contradiction un produit chimique dont le concept mme nous parat absurde. C'est Van Helmont qui cra les conditions de possibilit d'une telle situation, en identifiant la mdecine pour (26) H. Boerhaave, Elementa chemiae, t. I (Lugduni Batavorum, 1732), 849. Je cite la traduction franaise de Allamand, Elmens de chymie, t. V (Paris, 1754), 427. (27) J. R. Glauber, Operis mineralis, vol. I (Amsterdam, 1651); deux ditions, l'une allemande, l'autre latine, parurent la mme anne. Je me rfre la traduction franaise de Du Teil, La Premire Partie de l'uvre minrale (Paris, 1659), 43 : [...] on ne le peut obtenir que par un don de Dieu, duquel procde toute sorte de bien. Sur Glauber, voir infra, n. 72. (28) Boerhaave, Elementa chemiae, op. cit. in n. 26, I, 866-867; Elmens de chymie, op. cit. in n. 26, V, 462-464. Nous examinerons bientt les thses de Fabre. (29) Ibid., 868; Ibid., 466.

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le foie de Paracelse avec le dissolvant universel de l'alchimie tradi tionnelle. C'est donc le cheminement qui conduisit du texte paracelsien la doctrine helmontienne dont l'article de Y Encyclopdie recueille tardivement la tradition qu'il nous faut maintenant retracer.

II. L' ALKAHEST DE PARACELSE Paracelse n'voque l'alkahest qu'une seule fois dans son uvre, dans le De viribus membrorum. Le premier livre de ce petit trait inachev analyse la manire dont le Spiritus vitae agit dans les diffrents organes du corps en s'y spcifiant comme humeur propre chacun. Le livre second est consacr l'tude des maladies des organes internes que sont le cur, le cerveau, le foie, la rate, les reins et les poumons, avec pour chacun d'entre eux la prsentation sommaire de mdicaments spcifiques. Ainsi, le chapitre cinq est consacr au foie tandis que le chapitre six prsente deux remdes pour les maladies de cet organe. Aprs avoir recommand l'usage du mystrieux Cheiri, Paracelse poursuit ainsi : II y a encore la liqueur alchahest, qui possde grandes force et effi cacit pour conserver et renforcer le foie, ainsi que pour prserver de Phydropisie sous toutes ses formes qui proviennent des vices du foie. On l'obtient ainsi : il se dissout partir de sa coagulation et il se coagule nouveau en forme transmute, comme le montre le processus de coagul ation et de dissolution. Alors en effet, s'il l'emporte sur son semblable, c'est un remde pour le foie suprieur tous les remdes. Et mme si le foie tait dj dmoli et dtruit, il tient lui-mme le rle du foie, pas autrement que si ce dernier n'avait jamais t dmoli et dtruit. Il s'ensuit que quiconque fera uvre de mdecine devra travailler avec le plus grand soin apprendre la prparation de Yalchahest, parce qu'il loigne les nombreuses maladies qui proviennent du foie (30). Un tel texte n'aurait certainement pas suffi donner la notion d'alkahest la notorit qui fut la sienne, si le terme n'avait fait l'objet d'une double reprise, d'abord par les auteurs de lexiques paracelsiens, puis par Van Helmont.

(30) Paracelse, Bcher und Schrifften, dition Huser (Ble, 1589-1591), vol. I, livre III, 8-9; rd. (Hildesheim : Georg Olms Verlag, 1971) ; Paracelsi Opera omnia, d. latine, J.-A. et S. de Tournes (Genve, 1658) vol. I, 352.

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La diffusion des uvres de Paracelse travers l'Europe se fit lentement, puisque la premire dition de ses uvres compltes, accessible aux seuls lecteurs de l'allemand, ne parut qu' la fin du xvie sicle, en 1589, prcde cependant en 1575 d'un recueil de textes traduits en latin (31). Le prodigieux succs du paracelsisme ne rsulta pas tant de l'dition de quelques uvres isoles que des crits de mdecins et d'alchimistes qui utilisrent dans leurs propres travaux les ressources d'une pense qui paraissait singuli rement moderne face aux limites conceptuelles qu'imposait la rf rence universitaire la pense aristotlicienne et galnique (32). Et puisque Paracelse, pour mieux marquer, semble-t-il, sa volont de rupture avec les savoirs philosophiques et mdicaux de son temps, avait abus de la fabrication de termes nouveaux, les premiers paracelsiens rdigrent des lexiques. Ainsi, il n'tait pas ncessaire que le De viribus membrorum soit lu pour que le terme d'alkahest devienne familier. Le premier de ces lexiques fut YOnomastica de Michael Toxites en 1574 (33). L'auteur cite l'extrait du De viribus membrorum, tout en dfinissant l'alkahest comme du mercure prpar pour le foie . L'alkahest reste donc un mdicament, mais se trouve pour la premire fois rapproch du mercure. Pour cela, Toxites renvoie son lecteur au chapitre sept du livre quatre du De gradibus, o Paracelse voque une liqueur de Mercure comme remde pour le foie (34). Ce chapitre sept n'est que le fragment d'un tableau qui s'tend sur quatre chapitres et qui prsente les mdicaments (31) L'dition allemande est celle de Huser, op. cit. in n. 30; l'dition latine de Forberger, Aureoli Theophrasti Paracelsi...operum latine (Bale, 1S7S) prfigure les Opera omnia des frres de Tournes, op. cit. in n. 30. (32) Sur l'introduction du paracelsisme en France, voir les travaux de Allen G. Debus The Chemical Philosophy (New York : Science History Publ., 1977) dsormais not Debus (1977); Id., The French Paracelsians (Cambridge : Cambridge Univ. Press, 1992) et de Lynn Thoradike A history of magic and experimental science, vol. VII et VIII, (New York : Columbia Univ. Press, 1958) dsormais not Thoradike; mais aussi Herv Baudry, Contribution l'tude du paracelsisme en France : Le Demosterion de Roch le Baillif , thse non publie (Paris X, mars 1989). H. Baudry insiste notamment sur le fait que les paracelsiens franais n'ont pu avoir connaissance des uvres de Paracelse que dans les traductions latines dites Ble chez Perna partir de 1560, et dans de trs rares traductions franaises. La meilleure introduction la pense de Paracelse reste Walter Pagel, Paracelsus : An introduction to philosophical medicine in the era of the Renaissance, 2e d. rvise (Ble : Karger, 1982). (33) Michael Toxites, Onomastica (Strasbourg, 1574). Sur Michael Toxites, ou Schiitz (1523-1587), voir Partington II, 152. (34) Paracelse, d. Huser VII, op. cit. in n. 30, 32; Opera omnia, II, op. cit. in n. 30, 155.

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tirs des quatre lments pour les diffrents organes du corps humain. Ainsi, de l'eau naturellement chaude, dpendent deux mdicaments pour le foie : le mystrium mercurii et le mystrium antimonii . Toxites a donc suppos que alkahest tait ce mystrium mercurii , ce qui n'est pas absurde, dans la mesure o Ton observe une certaine correspondance entre le tableau du De gradibus et les diffrents cha pitres du De viribus membrorum. Dans les deux cas, par exemple, P aurum potabile est prsent comme un remde pour le cur. La dfinition de Toxites fut reprise en 1578 par Roch le Baillif, dans le Dictionariolum que contient son Demosterion (35). Ce petit dictionnaire fut reproduit la fin des Paracelsi Opera omnia de 1658 (36), ce qui pouvait faire croire au lecteur que les dfinitions prsentes taient de Paracelse lui-mme. Gerhard Dorn, qui fut par ailleurs l'un des premiers traducteurs de Paracelse en latin, reprit galement la dfinition de M. Toxites dans le Dictionarium Theophrasti Paracelsi paru en 1583 (37). Enfin, Martin Ruland, qui tait mdecin de Rodolphe II Prague, crivit un Lexicon alchemiae paru en 1612, dix ans aprs sa mort, o il proposait deux dfinitions de alkahest : [1] Alcahest, on appelle ainsi le Mercure Prpar : certains veulent qu'il s'agisse du tartre : la pense de l'auteur se saisit pourtant aisment par la description de sa prparation. [2] Alchahest, c'est--dire Mercure prpar en mdecine pour le foie (38). (35) Roch le Baillif, sieur de la Rivire, Le Demosterion, auquel sont contenuz trois cens aphorismes latins Afranois : Sommaire vritable de la mdecine paracelsique (Rennes, 1578). Sur Roch le Baillif, sieur de la Rivire (vers 1540-1598), outre la thse de H. Baudry cidessus indique (n. 32), voir Hugh Trevor-Roper, The Sieur de la Rivire, paracelsian physi cianof Henry IV, Allen G. Debus (d.), Science, medicine and society in the Renaissance : Essays to honor W. Pagel, vol. II (New York : Science History Publ., 1972), 227-250. (36) Paracelsi Opera omnia, op. cit. in n. 30. (37) Dictionarium Theophrasti Paracelsi, continens obscuriorum vocabulorum quibus in suis scripsis passim utitur, definitiones (Francfort, 1583). Sur Gerhard Dorn, on peut consulter les notices de Bernard Gorceix Alchimie (Paris : Fayard, 1980), 226-227 et de Jean-Pierre Brach prsentation de la rd. de G. Dorn, La Monarchie du ternaire en union contre la monomachie du binaire en confusion (Paris : Gutenberg Reprints-Bailly, 1981) ainsi que la communication de Jean-Franois Marquet, Philosophie et alchimie chez Gerhard Dorn, in J.-C. Margolin et S. Matton (d.), Alchimie et philosophie la Renaissance (Paris : Vrin, 1993), 215-221. Voir aussi Thorndike V, 630-640. (38) Lexicon alchemiae sive dictionarium alchemisticum, cum obscuriorum verborum et rerum, hermeticarum, turn Theophrasti Paracelsicarum Phrasium Planant explicationem continens (Francfort, 1612). Sur Martin Ruland pre (1532-1602) et fils (1569-1611), voir Ferguson II, 303-304; Thorndike VII, 159-160; Partington II, 161.

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Ainsi, jouant sur deux orthographes diffrentes, Ruland esquiss ait la dissociation entre la signification strictement paracelsienne du terme dsignant un mdicament pour le foie, qui n'allait tre dsormais signale que pour mmoire, et le nouveau sens qu'allait prendre le terme dans la suite de la rflexion alchimique, du fait de son rapprochement avec le mercure. Cependant, alkahest allait tomber dans l'oubli jusqu' la publication des travaux de Van Helmont (39).

III. L'alkahest de Van Helmont L'uvre de J.-B. Van Helmont (1579-1644) est constitue d'une multitude de petits traits dont la plupart semblent avoir t reman isaprs 1634 (40). Quelques-uns parurent l'anne de sa mort, regroups dans les Opuscula medica inaudita, les autres sont connus grce l'dition posthume effectue en 1648 par son fils FranciscusMercurius sous le titre d'Ortus medicinae (41). A ces ouvrages imprims, qui refltent la pense de Van Helmont dans les der nires annes de sa vie, il faudrait ajouter des textes manuscrits non dits ce jour (42) et les lettres qu'il envoya Mersenne (39) II faut noter toutefois l'allusion du chirurgien David de Planis Campy dans L'Hydre morbifique extermine par l'Hercule chimique (Paris, 1629). Au livre trois, qui traite de l'hydropisie, l'auteur de ce trait de mdecine paracelsienne donne une liste de remdes capables de digrer les humeurs , parmi lesquels figure un Alcahest paracelsi , sans autre explication (p. 215). A la page suivante, il dcrit des remdes pour les diffrents organes du corps, puis cite le De viribus membrorum propos du Cheiri, mais ne fait plus allusion l'alkahest. (40) Selon Allen G. Debus, dans son chapitre consacr Van Helmont dans The Che mical Philosophy, op. cit. in n. 32. Sur Van Helmont, voir galement Walter Pagel, Van Helmont, in dsb VI et Joan Baptista Van Helmont, reformer of science and medicine (Cambridge : Cambridge Univ. Press, 1982). (41) Jean-Baptiste Van Helmont, Ortus medicinae id est, initia physicae inaudita : Progressus medicinae novus, in morborum ultionem, ad vitam longam (Amsterdam, 1648). Il existe une traduction franaise de Jean Le Conte, Les uvres de Jean-Baptiste Van Helmont traittant des principes de mdecine et physique pour la gurison assure des malad ies (Lyon, 1670). La plupart du temps, Le Conte n'a pas traduit Van Helmont, mais l'a seulement rsum. Dans la prface (p. 2), il affirme que par l'alkahest tous les corps quels solides qu'Us soient, comme mtaux, minraux, pierres, vegetables, animaux sont purifiez de tout ce qu'ils ont de maleing et de vnneux . (42) Voir ce sujet Robert Halleux, Helmontiana, Mededelingen van de Koninklijke Academie voor Wetenschappen, Letteren en Schone Kunsten van Belgi, 45/3 (1983), 35-63.

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en 1630 et 1631, dites par Cornelis de Waard dans la correspon dance de ce dernier (43). Dans une lettre du 15 janvier 1631, Van Helmont rpond Mersenne qui lui demandait si les principes ne sont plus rsolubles par la force du feu, ou aultre force en d'aultres principes . Aprs avoir indiqu qu'il ne comprend pas la question, mais qu'il conjecture son sens, Van Helmont explique que le feu ne saurait suffire isoler les principes de la matire, car si le sel et l'huile volatils s'chap pent, le feu produit toujours des cendres qu'aucune calcination ne peut rduire en sel. II existe donc quelque dissolvant universel qui dissout, transforme, spare et rduit tous les corps (44). C'est un iquement par son action que les trois principes peuvent tre rendus volatils et que l'action du feu peut les distiller de telle sorte qu'il ne subsiste aucun rsidu. Face un tel dissolvant rien ne rsiste, les lments restent sans force et le feu lui-mme n'a plus ni nergie ni vigueur. C'est ce dissolvant que Paracelse appelle salsolutum ou sal circulatum dans son livre De renovatione et restauratione (45). Certes, Van Helmont ne nomme pas alkahest dans ce passage; mais dans Arcana paracelsi, esquissant un index des arcanes de Paracelse , c'est--dire des mdicaments appropris diverses malad ies, il ajoute, aprs avoir voqu le mercure diaphortique : Plus remarquable est sa liqueur Alkahest, eau dissolvante immortelle et immuable, et son sel circul, qui rduit tout corps tangible en liqueur de mme composition (46). Pour Van Helmont, alkahest et sel circul sont donc deux expressions paracelsiennes qui dsi gnent le mme dissolvant universel. De ce fait, le terme prend un sens infiniment plus tendu que celui que lui confraient les dic tionnaires paracelsiens. Ce n'est sans doute pas sans ironie que Boerhaave remarquait que par ce que dit Paracelse de PAlcahest, personne n'auroit devin de quoi il s'agit si Van Helmont ne nous avait pas dvoil le sens mystrieux de ce mot singulier (47) . Bien plus qu'un dvoi(43) Correspondance du P. Marin Mersenne, religieux Minime, publie par Mme Paul Tannery, d. et annote par Cornelis de Waard, vol. II (Paris, Beauchesne, 1936), 496-503, 530-540, 582-593, vol. III (Paris : pot, 1946), 10-184. (44) Ibid., 33. (45) Le passage sur le Sal circulatum se trouve dans d. Huser VI, op. cit. in n. 30, 1 13 ; Opera omnia II, op. cit. in n. 30, 40; mais il n'y est pas question d'un dissolvant universel. (46) Van Helmont, Ortus medicinae, op. cit. in n. 41, 790 b. (47) Boerhaave, Elemens de chymie, op. cit. in n. 4, t. V, 428-429.

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lement, c'est une vritable invention que s'est livr Palchimiste flamand dans les diffrents traits de YOrtus medicinae au fil des quels la doctrine nouvelle de alkahest prend forme sans jamais, cependant, faire l'objet d'un expos systmatique (48). En fait, Van Helmont s'est livr une double opration : d'une part, il a rabattu sur le concept de dissolvant universel tout un ensemble de passages o Paracelse voquait sous divers noms, mais surtout sous celui de sal circulatum, un produit capable de restituer Yens primm de toute chose; d'autre part, il s'est servi du mot alkahest pour dnommer ce dissolvant. Ce faisant, il a dvelopp la signifi cation du terme dans une double direction. D'abord l'alkahest n'est plus une mdecine rserve au foie et aux maladies qu'il provoque. Van Helmont affirme dans Respondet author qu'il gurit toute sorte de maladie (49), et dans Potestas medicaminum il explique que de mme que le feu dtruit tous les insectes, ainsi, l'alkahest vient bout des maladies (50) . Il dveloppe encore dans le Livre des fivres cette approche mdicale de la capacit dissolvante de l'alkahest, qui lui permet de pntrer parfaitement dans les organes du corps, et de faire ainsi dispa ratre les impurets qui causent les maladies (51). Mais surtout, les proprits nouvelles que Van Helmont attribue l'alkahest conduisent vers les thmes centraux de la doctrine alch imique, comme l'indique la dfinition situe en tte du petit lexique de quinze termes qui ouvre les Opuscula medica inaudita : La liqueur alkahest de Paracelse rduit tout corps visible en sa matire premire, tout en conservant la puissance des semences. A ce sujet les chymistes affirment : le vulgaire brle par le feu, nous par l'eau. Ainsi, bien que Van Helmont ne reprenne pas explicit ement le rapprochement du Mercure et de l'alkahest effectu par les premiers commentateurs (52), ce sont bien les proprits tra ditionnelles du Mercure des philosophes qu'il attribue l'alka-

(48) Dans les mille pages de YOrtus medicinae (dsormais not ) et des Opuscula medica inaudita (Amsterdam, 1648), qui regroupent cent dix-huit traits, le mot alkahest apparat une quinzaine de fois, en particulier dans Ignota actio regiminis, 329-ssq., Arcana paracelsi, 1%5-ssq., et Arbor vitae,. 329-ssq. (49) Respondet author, , S24 a. (50) Potestas medicaminum, , 480 a. (51) De febribus, 58 a, in Opuscula medica inaudita, op. cit. in n. 47. (52) II prcise cependant dans le De febribus (chap. XIV), ibid., 52, que la liqueur alkahest doit s'extraire du mercure du commerce.

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hest (53). En effet, que le Mercure des philosophes soit une eau qui brle, et que cette combustion ne soit pas une destruction, mais une rgnration, c'est un lieu commun de l'alchimie depuis que les alchimistes grco-alexandrins ont voqu Veau divine, ou eau de soufre (54), suppose possder des proprits transmutatoires qui la distinguent de notre acide sulfurique. Les liquides corrosifs que sont l'eau forte ou l'eau rgale, puis l'alcool luimme, lorsque l'amlioration des procds de distillation permettra de l'obtenir aisment, offriront d'ailleurs des modles d'une eau qui est en mme temps un feu. Comme l'a fait rcemment remarquer William Newman, c'est plus prcisment la doctrine du Mercure dveloppe au * sicle par le pseudo-Geber dans la Summa perfectionis qui semble avoir servi de modle Van Helmont pour dvelopper son concept d'alkahest (55). Van Helmont, qui puise alors l'une des sources les plus illustres de l'alchimie mdivale, se rfre d'ailleurs explicit ement Geber lorsqu'il prcise s'tre inspir des caractristiques du mercure pour prsenter les proprits d'une eau qui rsiste aux attaques du feu et qui demeure constamment semblable ellemme (56). Cette eau, c'est bien sr l'alkahest, dont Van Helmont dit qu'il provoque la rduction de toute chose en restant lui-mme immortel et immuable (57). Ainsi, tout comme le Mercure des phi losophes, l'alkahest pntre la matire et se glisse entre ses plus petits atomes (58), mais cependant ne se mlange pas au corps sur lequel il agit, de telle sorte qu'il conserve toute sa force (59). Cette alchimie qui privilgie le rle du Mercure tait encore trs vivace au xvne sicle, comme le montre une littrature alch imique que l'on pourrait nommer archaque, dans la mesure o elle se rfre aux textes mdivaux ou supposs tels plutt qu'aux (53) C'est pourquoi il ne parat pas possible de rduire les sources de la doctrine helmontienne de l'alkahest un seul manuscrit du xiv* sicle sur le sal alkali qui dissout tous les corps, comme le fait Ladislao Reti, Van Helmont, Boyle and the alkahest, in Some aspects of seventeenth century medicine and science, Papers read at a Clark Library Seminar (Los Angeles : W. A. Clark memorial Library-Univ. of California, 1969), 3-19. (54) Theion, en grec, veut dire aussi bien divin que soufre. (55) William Newman, The corpuscular theory of J. . Van Helmont and its medieval sources, Vivarium, XXXI/1 (1993), 161-191. (56) Progymnasma meteori, , 68 b; cit par Newman, ibid., 182. (57) Ignota actio regiminis, , 334 b; Arcana paracelsi, , 790 b. (58) Progymnasma meteori, , 68 a-b. (59) Arcana paracelsi, , 790 b; Ignota actio regiminis, , 334 b.

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travaux paracelsiens. Ainsi, dans le Triomphe hermtique, Limojon de Saint Disdier, qui renvoie explicitement Geber et ses trois mdecines (60), crit : Vous devez donc savoir qu'il y a une pre mire matire des mtaux, dont le Mercure mesme est form, c'est une eau visqueuse, & Mercurielle, qui est l'eau de notre pierre (61). Cette humidit mercurielle s'obtient par la destruction des mtaux, sans laquelle il est impossible d'extraire l'humidit mtallique, qui est la vritable clef de l'art (62) ; par consquent, le grand secret consiste savoir la manire de tirer l'humidit de la pierre [...] Aussi est-ce sur ce point que le grand Hermes s'crie, Bnite soit la forme aqueuse qui dissout les Elemens (63) . A la mme poque, l'auteur anonyme du Filet d'Ariadne s'exprime ainsi propos du Mercure des philosophes : [...] que les chymistes ne cherchent donc plus de dissolvants autres que celui-ci, qui est le vrai dissolvant universel, qui dissout tout corps, quelques durs qu'ils soient, doucement, amiablement & sans alteration, ni corrosion aucune ; que les chimistes tudient donc ce divin dissolvant [...] qui se dissout soi-mme, qui est ce merveilleux mercure, qui contient en soi tout ce qu'il y a de parfait au monde, & qui est l'abrg des merveilles de Dieu (64) . Nous sommes ici au cur de la thorie alchimique, qui a souvent considr que la transmutation des mtaux passait par la rduction en leur matire premire, ce qui implique le recours un dissol vant radical. C'est mme cette condition que le travail de l'alchi miste semble avoir quelque chance d'chapper la supercherie. C'est ainsi que l'on peut comprendre l'injonction d'Avicenne sans cesse rappele dans les traits alchimiques, qu'ils sachent, les arti sans de l'alchimie, que les espces mtalliques ne peuvent pas tre transformes , suivie de cette prcision qui ne se trouvait pas dans le texte arabe, moins qu'ils ne soient rduits en leur matire premire (65). Ds lors, l'image tinctoriale d'une semence (60) Alexandre Toussaint de Limojon de Saint Disdier, Le Triomphe hermtique ou La Pierre philosophale victorieuse (Amsterdam, 1699), 35. (61) Ibid., 96. (62) Ibid., 52. (63) Ibid., 61. (64) Le filet d'Ariadne, pour entrer avec seuret dans le labirinthe de la philosophie hermtique (Paris, 1695) ; rimpr. (Paris : Gutenberg Reprints-Bailly, 1984), 68. (65) Avicenne, De congelatione et conglutinatione lapidum being sections of the Kitb al-Shif', textes latin et arabe avec une trad, anglaise, d. par E. J. Holmyard et D. C. Mandeville (Paris : Paul Geuthner, 1927), 54-55 : Sciant artifices alkimie species metal-

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mtallique qui change les proprits intrieures du mtal qu'elle pntre, s'ajoute l'image du dissolvant qui nettoie le mtal de toutes ses impurets et le rend apte retrouver la perfection de l'or. Tel est le rle qu'une tradition persistante accorde au Mercure, dont l'humidit mtallique est conue comme essentiellement corrosive, et qui est alors considr la fois comme matire premire et ce qui ramne toute chose la matire premire. Ainsi y a-t-il dans la matire la fois un principe d'union et un principe de division, une colle et un dissolvant. Le soufre pourr aitbien jouer le rle de la colle, puisqu'il est frquemment pr sent comme une substance unctuosa et viscosa (66), selon l'expression de Pierre- Jean Fabre dans le Panchymici... opus (67), grce laquelle les corps s'agglomrent. Le Mercure, au contraire, parce qu'il est fluide et s'immisce dans tous les pores de la matire, a la capacit de dtacher les lments les uns des autres, et par consquent de rduire le compos l'tat de matire premire, ce qui constitue une purification. Ce n'est certes pas la seule pro prit du Mercure des philosophes, qui possde galement une puis sance sminale. Mais c'est cette proprit qui se trouve isole dans ce que l'on appelle dsormais Palkahest. Quant la proprit qu'a Palkahest de rduire toute chose en eau, cela pouvait prendre tout son sens l'intrieur de la thorie de la matire que dveloppe le chimiste flamand. Pour Van Helmont, il n'y a pas trois principes comme l'affirmait Paracelse, ni mme cinq, comme le prtendent ceux qui ajoutent aux principes actifs les deux principes passifs que sont le phlegme et la terre (68), mais un seul lorum mutare non posse [...] compositio in aliam mutari non potent compositionem nisi forte in primant reducantur materiam et sic in aliud quant prius erat permutatur. Cette rduction en matire premire ne peut avoir de sens qu' la condition de sortir du contexte aristotlicien, entreprise prilleuse au xm* sicle, mais beaucoup plus banale au xva4. Voir les analyses de Barbara Obrist dans ce numro. (66) Voir Gad Freudenthal, The problem of cohesion between alchemy and natural philosophy : from unctuous moisture to phlogiston, in Alchemy revisited, edited by Z. R. W. M. von Martels (Leyde : E. J. Brill, 1990), 107-116. (67) Pierre- Jean Fabre, Panchymici seu anatomiae totius universi opus (Toulouse, 1646), t. I, 27. (68) Telle est, par exemple, la doctrine dveloppe par Joseph Duchesne (Quercetanus) dans Le Grand Miroir du monde (Paris, 1587), livre V, 172-174. Etienne de Clave la reprend dans Nouvelle Lumire philosophique des vrais principes et lmens de nature (Paris, 1641) ainsi que dans Le Cours de chimie (Paris, 1646). Sur les thories des lments et des prin cipes au xvn6 sicle, voir notamment R. Hooykaas, Die Elementenlehre der Iatrochemiken, Janus, 41 (1937), 1-28.

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qui est l'eau. Cette eau principielle, qui constitue ainsi la matire premire de toute chose, contient les semences partir desquelles s'engendrent les minraux, les animaux et les plantes (69), comme le montre la clbre exprience de l'arbre qui se nourrit de l'eau d'arrosage, sans que diminue le poids de la terre dans laquelle il est plant (70). C'est cet tat primitif de la matire, dbar rasse de toutes les impurets de la terre, que alkahest ramne ce qu'il dissout. La dissolution qu'il produit est donc une liqufac tion, mais non pas une destruction, puisque la puissance des semences est conserve dans l'eau. On comprend que les lecteurs de YOrtus medicinae aient pu tre sduits par les proprits admirables du dissolvant universel. La thorie alchimique, jamais ignore de ceux qui s'intressent la chimie cette poque, faisait de alkahest un concept familier, puisqu'on y retrouvait les proprits du Mercure des philosophes transfres un produit particulier, qu'il devait tre possible de fabriquer en laboratoire comme n'importe quel autre dissolvant. On pouvait ainsi esprer dpasser les cadres prims de la thorie alchimique, et progresser dans les voies de l'analyse chimique des corps mixtes. Cependant, seule la thorie alchimique permettait de penser l'existence et les proprits d'un tel produit sans contrad iction. Qu'il soit considr comme l'ultime nouveaut de la thorie alchimique ou comme un simple produit chimique, alkahest ne pouvait tre tudi que dans ses rapports au Mercure des philo sophes. Une telle attitude est bien illustre par Johann Rudolph Glauber (1604-vers 1670), l'un des premiers parler de l'alkahest aprs la parution de YOrtus medicinae. Dans son laboratoire d'Ams terdam o, d'aprs son traducteur franais Du Teil, on venait de toute part pour voir & gouster le savoir et l'exprience de ce (69) Comme le remarque Walter Pagel (Paracelsus, op. cit. in n. 32, 96-97), on trouve aussi chez Paracelse l'ide que l'eau est la matrice, le corps, la nourriture des objets natur els. Il faudrait remonter Aristote, et mme Thaes, pour trouver les origines de telles conceptions, comme Olympiodore le constatait dj dans sa doxographie. Voir ce sujet Cristina Viano, Olympiodore l'alchimiste et les prsocratiques : Une doxographie de l'unit, in Alchimie : art, histoire et mythes, sous la dir. de D. Kahn et S. Matton (Paris-Milan : SEHA-Arch, 1995), 95-150. (70) Complexionum atque mistionum elementalium fgmentum, , 109 a. Herbert M. Howe a montr /sis, 56/4 (1965), 408-419 que l'origine de cette exprience pourrait tre trouve dans les Reconnaissances du pseudo-Clment, ouvrage des premiers sicles de notre re.

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grand Naturaliste (71) , l'alchimiste allemand fit de nombreuses dcou vertes chimiques, longuement analyses par Partington (72). L'alkahest est absent de son uvre principale, Furni novi philosophici, parue en 1646 (73), mais il apparat dans YOperis mineralis de 1651 (74). Ds les premires pages, Glauber donne la recette d'une teinture d'antimoine qu'il prsente comme une mdecine universelle (75), capable de gurir un grand nombre de maladies, de prserver de la peste et autres malad iescontagieuses, mais aussi de dissoudre tous les vgtaux, animaux et minraux en leur matire premire. Il explique alors qu'il ne s'tait d'abord servi de cet admirable menstrue que pour travailler les corps mtalliques, jusqu' ce que un amateur des escrits d'Helmont lui ait parl de alkahest, qu'il constata tre semblable son bain secret qui purifie les mtaux . La teinture antimoniale peut donc aussi tre utilise en mdecine, et elle peut tre compare l'eau Mercuriale de Basile Valentin, & PAlcahest de Paracelse et d'Helmont (76) . Alors, affirme Glauber, de savoir si ma liqueur est le mesme Alcahest de Paracelse & d'Helmont, il n'importe, pourveu qu'elle ait les mesmes vertus (77) . De cette manire, Glauber sacrifie la mode de l'poque tout en prservant l'originalit de ses propres recherches. Mais surtout, il assure l'intgration de alkahest dans le cadre de l'alchimie traditionnelle, en affirmant que, bien qu'il n'ait point l'excellence du Mercure des Philosophes, ce menstru est suffisant pour dfendre les escrits des Philosophes, sans la transmutation metalique (78).

(71) Prface de La Premire Partie de l'uvre minrale, op. cit. infra in n. 74. (72) Partington II, 341-361. Sur Glauber, voir aussi Kathleen Ahonen, dsb V, 419-423; Debus (1977) II, 425-441; Thorndike VII, 197-201. (73) Furni novi philosophici oder Beschreibung einer Newerfundener Destillirkunst, en cinq parties (Amsterdam, 1646-1650); d. latine (Amsterdam, 1651); d. anglaise (Londres, 1651); d. franaise, dans la trad, du Sieur Du Teil sous le titre La Description des nou veaux fourneaux philosophiques suivie d'autres uvres de Glauber (Paris, 1659). (74) Operis mineralis, oder vieler kunstlichen und nutzlichen Metallischen Arbeiten Besch reibung, vol. I (Amsterdam, 1651) ; d. latine la mme anne. J'utilise la traduction fran aise de Du Teil, parue la suite des Nouveaux Fourneaux philosophiques, sous le titre La Premire Partie de l'uvre minrale. (75) Partington (II, 357) voit dans la description de la prparation de cette mdecine universelle la dissolution d'un oxyde d'antimoine dans l'acide obtenu par la distillation du tartre (acide pyrotartrique). (76) Glauber, La Premire Partie de l'uvre minrale, op. cit. in n. 74, 38. (77) Ibid., 45. (78) Glauber revient sur l'alkahest dans le Miraculum mundi (Amsterdam, 1653). Il y explique notamment qu'il peut exister diffrentes faons de fabriquer l'alkahest, pourvu que l'on obtienne toujours un dissolvant universel.

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IV. Premiers commentaires et premires polmiques

La parution des uvres de Van Helmont en 1648 semble avoir provoqu dans toute l'Europe chimique une grande effervescence intellectuelle. Il ne saurait tre question ici de dresser la liste comp lte de tous ceux qui s'intressrent alors alkahest (79). On se contentera d'examiner d'une part les ouvrages adresss Fr dric II de Schleswig-Holstein et d'autre part les productions des milieux chimistes de Londres. On mettra ainsi en vidence deux approches opposes du problme de Palkahest, l'une le consid rant dans ses rapports avec la Pierre des philosophes, l'autre cher chant n'en faire qu'un produit chimique et pharmaceutique parmi d'autres. Le prince Frdric II de Schleswig-Holstein, qui avait ouvert un laboratoire alchimique dans son chateau de Gottorp prs de Kiel (80), s'intressait beaucoup aux travaux de Van Helmont, puisqu'il tait en contact avec sa veuve qui lui avait fait parvenir un alkahest de mdiocre qualit (81) et qu'il envisageait en 1651 une publication de ses uvres indites (82). L'intrt que Frdric portait l'alkahest tait bien connu et il reut notamment des textes sur ce sujet manant de Otto Tachenius en Italie et de PierreJean Fabre dans le sud de la France. Otto Tachenius, originaire du nord de l'Allemagne, tait tabli comme mdecin Venise lorsqu'il crivit son Epitola de famoso

(79) On trouvera une recension d'ouvrages voquant l'alkahest dans Thoradike VII, 231-236 (80) Sur Frdric de Schleswig-Holstein, voir Ferguson I, 290. (81) Dans Echo ad vindictes chirosophi (Venise, 1656), Tachenius reproduit une lettre que lui envoya de Gottorp Adamus Olearius, le 15 octobre 1651. Ce dernier affirme, entre autres choses, que Verno tempore preterito Vidua Helmontii paululum liquoris Alcahest Serenissimo Duci per me transmisit, tamen imperfectum, nulliq; usui inservire potest, et egomet ab ipsa audivi, defunctum maritum verissime ilium liquorem habuisse, et ipsamet Vilvordie in compositione istius liquoris 18. menses integros una cum marito consumpsisse summoq. cum labore . (82) C'est du moins ce qu'affirmait Hartlib : Hartlib Papers 28/2/25A, cit par A. Clericuzio, From Van Helmont to Boyle : A study of the transmission of helmontian che mical and medical theories in seventeenth-century England, The British Journal for the history of science, 26/3, (1993), 311.

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liquore alkahest, en 1652 (83). Une vive querelle l'opposa alors au mdecin danois Helwig Dieterich, qui il reprochait d'avoir publi son insu une dition critique de son Epitola Hamb ourg. D'aprs les documents que les protagonistes publirent pour leur dfense, on peut reconstituer ainsi la chronologie des vne ments. Tachenius avait envoy depuis Venise, le 9 septembre 1651, une lettre au prince Frdric dans laquelle il posait quatre questions concernant Palkahest de Van Helmont et le Mercure des philoso phes : il s'agissait de savoir si alkahest existait dans la nature, s'il pouvait tre fabriqu partir du mercure commun, quels rap ports il entretenait avec le Mercure des philosophes et si ce dernier pouvait rsister l'amalgame avec l'or. Tachenius reut une rponse de Gottorp, date du 15 octobre 1651, par laquelle Frdric lui faisait connatre, par l'intermdiaire d'un certain Adam Olearius, ses convictions quant l'existence et aux vertus de Palkahest, qu'il ne fallait pas fabriquer partir du mercure vulgaire, mais qui pos sdait de nombreuses proprits communes avec le Mercure des philosophes. C'est en rponse ce courrier que Tachenius envoya au prince sa Lettre sur la fameuse liqueur alkahest, date du 18 janvier 1652, dans laquelle il faisait part de son opposition aux thses helmontiennes. Le lendemain, il demandait une personnal it de la Cour de Venise de faciliter la publication de son trait. Le 22 juin 1652, son interlocuteur de Gottorp lui faisait savoir que le prince avait bien reu sa lettre sur alkahest, et que Helwig Dieterich avait pris l'initiative de la faire publier Hambourg. On n'a gard, semble-t-il, aucune trace d'une dition Venise de Y Epitola de famoso liquore alkahest en 1652 ou en 1655. Par contre, cette lettre figure dans le volumineux dossier regroupant soixante-seize documents (principalement des lettres et attestations) que constitua Dieterich pour sa dfense, et qu'il publia en 1655 sous le titre Vindiciae adversus Othonem Tackenium (84). UEpis(83) Sur Tachenius (?-?), voir Ferguson II, 424-425, 597; Partington II, 291-296; Thorndike VIII, 357-361 ; dsb XIII, 234-235. (84) Les ditions vnitiennes sont cites par tous mais personne ne les a vues. On peut douter qu'elles aient jamais exist. Par contre, contrairement ce qu'affirment L. Thorndike (VIII, 358) et Marie Boas Hall (Tachenius, dsb XIII, 235), Y Epitola de famoso liquore alkahest et YEcho ad vindicias chirosophi (Venise, 1656) peuvent tre consults la British Library, le premier dans le Vindiciae adversus Othonem Tackenium de Dieterich (Hamb ourg, 1655), sous la cte 1033. k. 14, le second sous la cte 1034.k.42.

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tola vient en seconde position. Tachenius riposta l'anne suivante en publiant Venise ses propres pices conviction dans YEcho ad vindicias chirosophi. Dans son Epitola, Tachenius argumente partir de citations de YOrtus medicinae, reprochant Van Helmont de n'avoir pas compris les textes de Paracelse, et d'avoir recherch en vain extraire sa liqueur du mercure. Aux nombreuses erreurs qu'il croit dceler dans les crits de Van Helmont, mais aussi de Basile Valentin, de Oswald Croll, ou de Pierre- Jean Fabre, Tachenius oppose ses propres pratiques de laboratoire sur le vinaigre distill et le sel de tartre, produits non combustibles qui, distills conjoin tement, donnent une huile combustible (85) et sur le beurre d'anti moine, qui est son rgule (i.e. l'antimoine purifi) dissous par l'esprit de nitre ou l'eau forte (86). Tachenius revient sur la question de l'alkahest en 1666 dans son ouvrage principal, Hippocrates chimicus (87). Son adversaire est dsormais Johann Zwelfer, mdecin de Vienne et auteur de la Pharmacopoeia augustana dans laquelle il s'en prenait Tachen ius propos du sel viprin, remde extraordinaire dont ce dernier se disait l'inventeur (88). C'est dans le cadre d'une recherche sur les dissolvants que sont les acides et les alcalis, et sur leur usage pharmacologique, que prend place l'examen des proprits chimi quesde l'alkahest. Au chapitre dix, Tachenius affirme que l'alka hest n'est rien d'autre que du vinaigre distill partir du vert-de-gris (89) . Mais c'est surtout au chapitre vingt-neuf, inti tul nux cassa , qu'il dploie son attaque contre Zwelfer, qui se vante de possder un menstruum secretum qu'il vend comme dissolvant universel, qu'il appelle spiritus noster veneris et qu'il (85) Dieterich, Vindiciae adversus Otthonem Tackenium, op. cit. in n. 84, 10. (86) Ibid., 14-15. (87) Tachenius, Hippocrates chimicus : Per ignem et aquam methodo inaudita novissimi salis viperini antiquissima fundamentu ostendens (Venise, 1666). Cet ouvrage connut de nombreuses rditions, notamment Paris en 1669, 1673 (c'est celle laquelle je me rfre), 1674, et une traduction anglaise Londres en 1676. (88) Johann Zwelfer, Pharmacopoeia augustana et ejus mantissa cum animadversionibus (Vienne, 1652). Il y eut plusieurs autres ditions, dont celle de Dordrecht en 1672, qui se termine par un Discursus apologeticus adversus hippocratem chymicum Ottonis Tachenii. Sur Zwelfer (1618-1668), voir Ferguson II, 571-572; Thorndike VIII, 94-95; Partington II, 296-297; dsb XVI, 639-640. (89) Tachenius, Hippocrates chimicus, op. cit. in n. 87, 60. Comme le remarque Partington (II, 296), c'est en fait une fabrication d'acide actique qui est ici indique, avec l'obtention de cuivre pur comme caput mortuum.

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identifie l'alkahest. En fait, affirme Tachenius, Zwelfer a emprunt sans le dire sa recette la Manuductio medicinae de Basile Valentin ; son merveilleux produit est aisment fabriqu par de nombreux distillateurs qui utilisent un vert-de-gris obtenu en enfermant des lamelles de cuivre avec du marc dj aigri (90). Alors, l'alkahest ne dsigne pas un dissolvant universel, mais la production d'un acide particulier. En refusant le rapprochement du Mercure des philosophes et de Palkahest, Tachenius est donc oblig de refuser ce dernier le statut de dissolvant universel. On peut penser que Frdric de Schleswig-Holstein, qui n'avait sans doute gure apprci les critiques de Tachenius, reut avec un plus grand plaisir le texte que lui envoya Pierre- Jean Fabre en 1653, connu sous le nom de Manuscriptum ad Fridericum. Fabre (1588-1658), mdecin tabli Castelnaudary, est sans doute l'un des alchimistes les plus prolixes de son temps. Le Manuscriptum, qui est le dernier ouvrage qu'il ait crit, circula sous forme de manuscrit parmi les alchimistes du nord de l'Allemagne, avant d'tre publi par Gabriel Clauder en 1690, dans les Miscellanea curiosa de l'Acadmie impriale Lopoldine des Curieux de la Nature de Nuremberg, puis dans la Bibliotheca chemica curiosa de J. J. Manget en 1702 (91). Fabre, qui ne parle jamais de l'alkahest dans ses uvres ant rieures (92), consacre les six derniers chapitres de son texte au dissolvant universel. Pour lui, les choses sont claires : quels que soient les silences de Paracelse et les bavardages des chimistes contemporains, l'alkahest constitue le pur et resplendissant Mercure des trois rgnes qui seul peut tre utilis pour mener l'alchimie son achvement (93) et, par consquent, il ne fait (90) Ibid., 247. (91) Pierre- Jean Fabre, Manuscriptum ad Sereniss. Holsatiae Ducem Dn. Fridericum olim transmissum, res alchymicorum obscurcis extraordinaria perspicuitate explanans, e Museo Gabrielis Clauderi, in Jean- Jacques Manget, Bibliotheca chemica curiosa, vol. I (Genve, 1702), 291-306 (ouvrage dsormais not ). J'ai dit, traduit et comment le Manusc riptum ad Fridericum dans La Rationalit de l'alchimie au xvne sicle (Paris : Vrin, 1992). Mes citations renvoient cette dition o l'on trouvera une analyse plus dtaille de la doctrine de l'alkahest chez Fabre. (92) Voir B. Joly, La rception de la pense de Van Helmont dans l'uvre de PierreJean Fabre, in Alchemy revisited, op. cit. in n. 66, 206-214 : un changement dans sa thorie de la peste et la rfrence l'alkahest sont les deux indices d'une influence des ides helmontiennes sur Fabre la fin de sa carrire. (93) P.-J. Fabre, Manuscriptum ad Fridericum, op. cit. in n. 91, 201.

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aucun doute que la Pierre des Philosophes peut et doit tre fabri que partir de la liqueur Alkahest (94) . La difficult et la lenteur de l'opration, la ncessit de bnficier de la grce divine, que la tradition alchimique prsente habituellement comme des carac tristiques de la fabrication de la Pierre, deviennent chez Fabre, qui dit avoir beaucoup souffert et endur avant d'avoir accompli cette uvre secrte (95), les proprits remarquables de la prpara tion de l'alkahest. Car sa fabrication n'est pas pour lui une digres sion dans le travail de l'alchimiste, c'est au contraire un moment essentiel dans le processus de production de la Pierre des philo sophes. L'alkahest se rvle finalement n'tre que la matire premire de toute chose rduite en liqueur , puisque seule la matire pre mire peut produire une telle dissolution en matire premire (96), de telle sorte que ne subsite que l'union des principes des mixtes (Mercure, Soufre et Sel) sans aucune impuret. Il faut donc com prendre que c'est une sorte d'auto-dissolution qui s'effectue ainsi : l'alkahest n'est pas un produit qui serait apport de l'extrieur, et qui viendrait ajouter une matire premire imparfaite la per fection qui lui permettra de devenir Pierre des philosophes. Au contraire, les processus que dcrit Fabre sont des processus internes : c'est de l'intrieur de la matire premire que, grce l'action de la chaleur et des distillations rptes, surgit son aspect mercuriel qui agit sur elle pour la perfectionner dans sa totalit en sup primant ses impurets. La dissolution n'est donc pas une destruction, mais, comme dit Fabre, une alcoolisation (97), c'est--dire une rduction de la matire en ses parties les plus fines et les plus tnues (98), de telle sorte que, toute impuret tant limine, les trois principes puissent se joindre intimement l'un l'autre. Ainsi, grce l'assistance de l'alchimiste, qui lui procure la chaleur ncess aire, la matire s'auto-perfectionne (99).

(94) Ibid., 203. (95) Ibid., 205. (96) Ibid., 211. (97) Ibid., 211. (98) Le mot alcool est ici utilis dans le sens que lui confre son etymologie arabe : c'est la plus fine pulvrisation qu'il soit possible d'obtenir d'un corps. (99) Les alchimistes, bien que dployant des procds techniques, ne pensent pas faire autre chose que suivre la nature, comme l'illustre l'emblme XLII de YAtalanta fugiens de M. Maier (Opeinheim, 1618).

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Dans ces conditions, il n'y a pas pour Fabre de fabrication particulire qui aboutirait une production spare de Palkahest puisque, en tant que manifestation du Mercure, il n'est qu'un moment dans le processus continu de l'laboration de la Pierre des philosophes. Avec Fabre, l'alkahest devient parfaitement conce vable pour celui qui se reprsente la succession des oprations telles que la thorie permet de les penser, mais non pas telles que l'exp rience permet de les observer. On comprend qu'ainsi conu, et prcisment parce qu'il n'est pas un produit chimique, l'alkahest puisse chapper la critique de Kunckel. Mais en mme temps, il cesse de possder une existence spare. Tachenius et Fabre reprsentent les deux positions extrmes entre lesquels les travaux sur l'alkahest vont dsormais se dvelopper. Pour les uns, l'alkahest est un produit chimique particulier, dont la recherche est motive par le souci de disposer de dissolvants de plus en plus puissants, en vue d'effectuer de nouvelles analyses de la matire, et de disposer de nouveaux mdicaments (100). C'est la voie suivie notamment par ceux qui se sont intresss aux travaux de George Starkey. Pour d'autres au contraire, l'alkahest, sans nces sairement s'identifier au Mercure des philosophes, ne peut se com prendre que par rapport lui; sa possibilit constitue une preuve ultime du bien-fond de la doctrine alchimique. Les crits de Luigi De Conti, Bcher et Baudouin illustrent cette seconde interprtation.

V. L'alkahest comme produit chimique Les ides chimiques et mdicales de Van Helmont furent part iculirement bien accueillies en Angleterre au milieu du xvne sicle, en particulier dans le cercle des chimistes et mdecins regroups (100) L'alkahest reste un produit chimique jusque dans la chimie moderne. Il est prsent dans le tableau de synonymie qui suit la Mthode de nomenclature chimique de 1787, d. par Bernadette Bensaude-Vincent (Paris : Le Seuil, 1994), la fois comme dissolvant uni versel, dont l'existence a t suppose par les alchimistes et comme alkaest de Van Helmont , c'est--dire carbonnate de potassium . Mais on le trouve encore, par exemple, dans le Dictionnaire de la chimie et de ses applications de Clment et Raymonde Duval (Paris : Technique et Documentation, 1935-1977) o il apparat la fois comme dissolvant suppos donner la vie aux corps de la nature et comme produit obtenu par Glauber (potasse) en faisant dtonner des nitrates de potassium sur des charbons ardents .

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autour de Prudit Samuel Hartlib; c'est ce qu'ont montr notam ment Charles Webster (101), Allen G. Debus (102) et plus rcem ment Antonio Clericuzio (103). L'alkahest est mentionn plusieurs reprises dans le Lexicon chymicum de William Johnson, paru Londres en 1652 (104). Aprs avoir prsent, dans les premires pages de l'ouvrage (105), les deux dfinitions de Paracelse et de Van Helmont, Johnson prcise que la prparation en est donne au livre second du De ntura rerum, ce qui est inexact (106), et qu'il s'agit d'un mercure pr cipit pour le foie. Il reproduit les dfinitions de Ruland et de Toxites dans un ajout qui clture la premire partie de son lexique (107). Au second livre du Lexicon chymicum (108), Johnson commence l'article alkahest par une citation du Dr Charlton , c'est--dire Walter Charleton, mdecin anglais qui fit paratre en 1650 la premire traduction anglaise de quatre traits helmontiens (109), ainsi qu'un texte de son cru, intitul Spiritus gorgonicus (110). Johnson reproduit un passage du De defluxionibus (111) o l'auteur affirme notamment que la liqueur Alchahest est ce menstrue universel qui rduit parfaitement tous les corps tangibles de l'ensemble de l'univers en eau diaphane sans aucun changement (101) Charles Webster, The Great Instauration : Science, medicine and reform 1626-1660 (London : Duckworth, 1975). (102) Debus (1977), mais aussi The English Paracelsians (New York : Franklin Watts, 1965). (103) A. Clericuzio, Robert Boyle and the english helmontians, in Alchemy revisited, op. cit. in n. 66, 192-199; From Van Helmont to Boyle, op. cit. in n. 82. (104) William Johnson, Lexicon chymicum (Londres, 1652). L'ouvrage figure dans I, 217-291, dition laquelle renvoient mes citations. (105) I, 221 a. (106) Le De ntura rerum ne contient pas le terme alkahest, et n'voque pas le dissol vantuniversel. Il y est seulement question du mercurius praecipitatus comme d'un excellent mdicament contre les ulcres et le morous gallicus (d. Huser VI, op. cit. in n. 30, 288-289 ; Opera omnia II, op. cit. in n. 30, 93 b-94 a). (107) I, 272-273. (108) I, 278-279. (109) Sur W. Charleton et la chimie, voir Thorndike VII, 459-64; Charles Webster, The Great Instauration, op. cit. in n. 101, 278-279 et passim-, Debus (1977), , 469-473. (110) Walter Charleton, Spiritus Gorgonicus, visua axipara exutus (Leyde, 1650). Trois traits tirs de VOrtus medicinae furent dits sous le titre commun Ternary of paradoxes (Londres, 1650) tandis que le quatrime, prsent comme une traduction avec commentaire, parut sous le titre Deliramenta Catarrhi, or the incongruities, impossibilities and absurdit ies, couched under the vulgar opinion of defluxions (Londres, 1650). (111) II s'agit du commentaire du Catarrhi deliramenta de Van Helmont (, 426-447), dans l'ouvrage indiqu ci-dessus.

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ni diminution de force . Johnson prcise alors que alchahest de Ruland, Toxites, Paracelse, et l' alkahest de Baptiste Vanhelmont lui semblent tre la mme chose. C'est surtout autour de George Starkey et de Robert Boyle que se sont focalises les recherches sur alkahest en Angleterre. Starkey tait rput possder des connaissances sur Palkahest ds 1650, et il prit soin d'en tenir inform Boyle, qui voque souvent Palka hest dans son uvre imprime (112). Boyle semble dispos croire Van Helmont, qu'il prsente comme un homme digne de foi, car il est convaincu qu'il existe des dissolvants capables d'analyser les corps composs de manire moins violente et moins destructrice que ne le fait le feu. En 1661, dans un essai intitul The History of fluidity and firmness, il voque l'alkahest qui pourrait tran sformer tous les corps grossiers en eau insipide (113) et qui, // that be true, which Helmont in several place affirms , transfor meraitles corps en un liquide d'un poids gal celui du solide qu'ils taient, ce qui signifierait que les corps les plus solides, une fois rduits en leurs plus petites parties, peuvent devenir des fluides (114). La mme anne, dans The Sceptical Chymist (115), il fait dire Carneades, l'un des personnages du dialogue, que hour friend Mr. Boyle a davantage de raisons de croire en l'alkahest que de ne pas y croire. Un peu plus loin, aprs avoir rapport l'exprience helmontienne de la croissance de l'arbre, et dvelopp une doxographie des auteurs grecs qui ont affirm, la suite de Thaes, que tout vient de l'eau, Carneades conclut : / consider, that supposing the alkahest could reduce all bodies into water [...] may not groundlessly be doubted (116). En 1663, dans The Usefulness of natural philosophy, propos des produits capables de gurir les calculs de la vessie, il rappelle que, selon Helmont, l'alkahest est capable de rduire en eau insi(112) Voir R. S. Wilkinson, G. Starkey, physician and alchemist, Ambix, 11 (1963), 121-152; The Hartlib papers and 17th century chemistry, part II, Ambix, 17 (1970), 85-109; W. Newman, Newton's Clavis as Starkey's Key, Isis, 78 (1987), 564-574; The autorship of the introitus apertus ad occlusum rgis palatium, in Alchemy revisited op. cit. in n. 66, 139-144; A. Clericuzio, From Van Helmont to Boyle, op. cit. in n. 82. (113) R. Boyle, Certains Physiological Essays, VI, in The Works, ed. by Thomas Birch (London, 1772, vol. I), rimpr. (Hildesheim : Georg Olms Verlag, 1965), 383. (114) Ibid., 385. (115) Robert Boyle, The Sceptical Chemist (London, 1661); in The Works, op. cit. in n. 113, 485. (116) Ibid., 499-500. Il revient deux fois sur ce thme, ibid., 515-516 et 560.

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pide, non seulement ces calculs, mais aussi toutes les autres pierres, les vgtaux, les minraux et les animaux, ce qui, ajoute-t-il is so strange (not to say incredible) that their followers must pardon me, if I be not forward to believe such unlikely things, till suffi cient experience hath convinced me of their truth (117) . Mais il ajoute aussitt qu'un chimiste whom you have often seen , et qui ne peut tre que Starkey, est plusieurs fois venu lui pr senter une liqueur qu'il affirmait tre l'alkahest, dont le docteur C. (Child?) acheta une pinte pour deux cents couronnes, avec laquelle il russit, non seulement dissoudre le soufre et rduire l'ant imoine en cristaux, mais aussi gurir Sir . (Cheney Culpeper?) d'une grave maladie (118). voquant alors le cas, rapport par Daniel Sennert dans ses Paralipomena, d'un homme qui mangeait toute sorte d'objets, y compris du mtal et du verre, que les liqueurs de son estomac taient capables de dissoudre, il conclut que rien ne s'oppose l'existence d'un menstrue tel l'alkahest, capable de dissoudre les solides de toute sorte (119). Pour Boyle cependant, l'alkahest n'est pas un produit, c'est un argument. Il ne cherche jamais prciser en quoi il consiste, et se garde bien d'entrer dans les querelles concernant sa fabrica tion. Simplement, l'hypothse de son existence retient son atten tiondans la mesure o cela va dans le sens de son argumentation, au point qu'il prcise plusieurs reprises qu'il s'agit pour lui d'uti liser un argument ad hominem. Il veut en effet rfuter les paracelsiens contemporains que sont les disciples de Van Helmont en utilisant contre eux le concept helmontien de dissolvant universel. D'abord, grce l'hypothse de l'alkahest, le feu cesse d'tre le moyen privilgi de l'analyse chimique, au profit de toute une panop lie de dissolvants dont l'alkahest serait le modle idal (120). Mais surtout, le fait que le dissolvant universel, la diffrence du feu, (117) R. Boyle, The Usefulness of natural philosophy (Oxford, 1663), Essay III contai ning some particuliars relating to the semeiotical part of physick, in The Works, op. cit. in n. 113, II, 97. (118) Sur Robert Child, voir William Newman, Gehennical Fire : The lives of George Starkey, an american alchemist in the scientific revolution (Cambridge-Mass. : Harvard Univ. Press, 1994), 41-42; sur Sir Cheney Culpeper, voir Stephen Clucas, The correspon dance of a XVII-Century chymicall gentleman : Sir Cheney Culpeper and the chemical interests of the Hartlib circle, Ambix, 40/3 (1993), 147-170. (119) R. Boyle, The Usefulness of natural philosophy, op. cit. in n. 117, 97-99. (120) R. Boyle, The Sceptical Chymist, in The Works, op. cit. in n. 113, I, 485-486, 515-516, 560.

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ne laisse subsister aucun caput mortuum, semble bien montrer que les lments isols par le feu ne sont pas premiers. En particulier, l'action de Palkahest montre que ni le mercure, ni Peau ne doivent tre considrs comme des principes premiers. Le mercure, parce que la fluidit d'un corps rsulte simplement de sa dcomposition en particules lmentaires, de la taille de celles qui permettent la fluidit de l'eau ; il s'agit l d'une opration purement mcanique, qui rend tout fait inutile l'hypothse de la prsence universelle d'un principe mercuriel dans tout mtal (121). Quant l'eau, puisqu'elle peut tre un produit de la dissolution de tout corps, c'est--dire l'objet d'une fabrication, elle n'a rien de principiel (122). C'est donc dans la mesure o il permet de retourner la thorie paracelsienne contre elle-mme que le concept d'alkahest intresse Boyle. Telle n'tait pas l'orientation des travaux de George Starkey (1628-1665), qui devaient dboucher sur l'dition de plusieurs ouvrages principalement ou exclusivement consacrs alkahest, soit sous son nom, soit sous celui d'Eirne Philalthe (123). Sous son nom propre, ce fut d'abord Natures explication and Helmons vindication (124), o il voque alkahest en passant, puis la Pyrotechny asserted and illustrated (125), dont les chapitres neuf treize sont consacrs l'alkahest, et surtout Liquor Alchahest, publi dix ans aprs sa mort par son ami, l'diteur J. Astell en 1675 (126). Les deux derniers ouvrages taient ddicacs Robert Boyle. Sous le nom de Philalthe, Starkey ft de nombreuses allusions l'alka-

(121) R. Boyle, Experiments and notes about the producibleness of chymical principles, appendice de la seconde dition du Sceptical Chymist (Oxford, 1680), in The Works, op. cit. in n. 113, I, 636. (122) Ibid., 653-654; Experiments and notes about the mechanical origin and product ion of volatility (London, 1675), in The Works, op. cit. in n. 113, IV, 298, 321. (123) Wilkinson The problem of the identity of Eirenaeus Philaletes, Ambix, 12 (1964), 24-43 avait pens que Philalthe, le mystrieux auteur de VIntroitus apertus ad occlusum rgis palatium tait Wintrop, mais William Newman a rcemment montr qu'il ne pouvait s'agir que de Starkey (The authorship of the Introitus Apertus ad occlusum rgis palatium , Alchemy revisited, op. cit. in n. 66, 139-144). Sur l'ensemble de l'uvre de Starkey, voir William Newman, Gehennical Fire, op. cit. in n. 118. (124) George Starkey, Natures explication and Helmons vindication, or a short and sure way to a long and sound life (Londres, 1657). (125) George Starkey, Pyrotechny asserted and illustrated to be surest and safest means for arts triumph over natures infirmities (Londres, 1658). (126) George Starkey, Liquor Alchahest, or a discourse of that immortal dissolvent of Paracelsus & Helmont (Londres, 1675).

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hest dans An exposition upon Sir George Ripley's epistle (127), mais surtout il consacra au dissolvant universel un bref trait dit aprs sa mort par William Cooper, The Secret of the immortal liquor called Alkahest (128). Pour Starkey, l'alkahest est Tun de ces merveilleux produits dont il a dcouvert l'existence en lisant les uvres de Van Helmont, comme Yens veneris, la fabrication duquel il travailla avec Boyle, comme le confirma ce dernier (129), ou dont il se dit le vritable inventeur, comme l'admirable Huile de Soufre capable de gurir toute sorte de maladie, dont il expose les proprits dans un de ses ouvrages (130). Tous ces produits sont rendus pensables par la doctrine alchimique telle que la conoivent les paracelsiens, mais ils doivent tre distingus de la Pierre des philosophes. L'uvre de Starkey fut diffuse en France grce aux travaux du commerant et rudit rouennais Jean Le Pelletier (1633-1711) qui fit paratre en 1704 L'Alkaest ou le dissolvant universel de Van-Helmont (131). L'ouvrage est compos de deux textes de Le Pelletier, une prface de cent six pages et une conclusion de vingtquatre pages, qui encadrent une traduction franaise de textes anglais ou latins de G. Starkey et de Philalthe, principalement Le Secret (127) An exposition upon Sir George Ripley's epistle to King Edward IV fut publi sous deux formes diffrentes : 1) in Chymical, Medicinal, and Chyrurgical Adresses : made to Samuel Hartlib (Londres, 1655) ; 2) in Eirenaeus Philalethes, Ripley reviv'd : or an expos ition upon Sir George Ripley's hermetico-poetical works (Londres : William Cooper, 1678). (128) Eirenaeus Philalethes, The Secret of the immortal liquor called Alkahest or IgnisAqua (Londres, 1683). L'ouvrage, qui se prsente sous une forme bilingue (latin et anglais), fut repris dans la Collectanea chymica : a collection of ten several treatise in chemistry, concerning the liquor Alkahest, the Mercury of philosophers and other curiosities worthy the perusal (Londres, 1684). Ce recueil dit par William Cooper ne comporte, en dehors du trait de Philalthe, qu'un seul ouvrage se rapportant explicitement l'alkahest, The Tomb of semiramis hermetically sealed, traduction d'un trait latin anonyme dont deux des dix petits chapitres traitent du dissolvant universel et que l'on trouve dans la II, 759 et ssq. Outre un trait de Starkey sur l'huile de soufre (voir infra n. 130) et YAurum potabile du Dr. Fr. Antonie, les autres ouvrages ne sont que des rsums en anglais de traits attribus aux classiques de l'alchimie qu'taient Bernard de Trvisan, George Ripley ou Roger Bacon. (129) Boyle, The Usefulness of natural philosophy, op. cit. in . 117, 135, 215-216. Voir Wilkinson, G. Starkey, physician and alchemist, op. cit. in n. 112, 129; Clericuzio, From Van Helmont to Boyle, op. cit in n. 82, 315-316. (130) The Admirable Efficacity and almost incredible virtue of true Oyl which is made of Sulphur-vive (Londres, 1660). L'ouvrage fut repris en 1684 dans la Collectanea chymica, op. cit. in n. 128. (131) Jean Le Pelletier, L'Alkahest ou le dissolvant universel de Van-Helmont rvl dans plusieurs traitez qui en dcouvrent le secret (Rouen, 1704).

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de la liqueur immortelle ou de Valkaest de Philalthe, cinq chapi tres de la seconde partie de la Pyrotechnie de Starkey et le trait posthume {Liquor Alkaest) de ce dernier. La prface a pour objet de dmontrer que c'est Starkey qui, en suivant les leons de son matre Philalthe, a dcouvert la vritable nature de Palkahest (132). Van Helmont, en effet, s'est tromp dans sa lecture de Paracelse et c'est tort qu'il a rapproch l'alkahest du Circulatus Majus et du Circulatus Minus, produits que Paracelse fabrique partir du mercure, mais qui n'ont pas les proprits d'un dissolvant universel (133). Si vraiment Van Helmont a fabriqu un tel dissolvant, ce ne peut tre qu' partir de l'urine, comme le mont rent les travaux de Starkey. Jonglant avec les citations, Le Pelletier carte tous les textes o Van Helmont semblerait avoir rcus l'usage de l'urine (134), puis il montre que le Mercure des philosophes tant rput immuable, il ne peut ni se transformer en alkahest, ni tre corrosif, ce qui impliquerait son mlange avec ce qu'il dissout, et donc sa modification (135). C'est l'urine qui doit servir de matire la prparation de l'alkahest, et c'est Van Helmont lui-mme qui est invoqu pour le prouver. En effet, n'a-t-il pas dclar dans Spiritus Vitae que les maladies provenaient de la colre de VArche (les esprits vitaux) qui ne pouvait tre calme que par un agent salin tel que l'esprit d'urine (136)? N'a-t-il pas expliqu dans Archeus faber et dans Ignotus hospes que l'aliment de la vie tait feu et lumire (137)? Or l'urine est un sujet tout de feu & tout de lumire. Son sel volatil est un feu qui brle toutes choses : & ses parties les plus fixes donnent cette lumire surprenante, que l'Art nous a dcouverte depuis quel ques annes dans la production des Phosphores (138) . (132) Le Pelletier est convaincu que, malgr les apparences, Philalthe et Starkey sont deux personnes distinctes. Dans la prface de la Suite du Trait de l'Alkaest (voir infra, n. 150), il s'efforce de monter que Philalthe tait encore vivant en 1677, alors que Starkey tait mort en 1665 et que Starkey n'tant point le fripon que certains prtendent, il ne pouvait se dissimuler sous le nom d'un autre. (133) Le Pelletier, L'Alkahest ou le dissolvant universel, op. cit. in n. 131, 46-52. (134) Ibid., 56-61. (135) Ibid., 77-79. (136) Ibid., 82; , 199. (137) Ibid., 83; , 40 ; 488 b : At cum ipsa vita sit ens luminare, non agit nisi per organum aurae vitalis, sive per Archeum, tanquam medium, inter lumen vitae, fluens Ptre luminum, & corpus. (138) Ibid., 84. Sur la dcouverte du phosphore au xvn* sicle, voir Partington II, 334-340, mais surtout J. V. Golinski, A noble spectacle : Phosphorus and the public cultures of science in the Early Royal Society, Isis, 80 (1989), 11-39.

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L'alkahest est donc pour Le Pelletier un produit chimique destin devenir un mdicament, et c'est l'appui de cette thse qu'il prsente les textes de Philalthe et de Starkey, qui se trouvent ainsi rduits au rang de simples tmoignages (139). Philalthe, en effet, prend bien soin de distinguer les diffrents remdes paracelsiens, parmi lesquels l'alkahest, des remdes fabriqus partir de notre Mercure (140), et il oppose l'alkahest, qui dtruit l'homognit mtallique, au Mercure des philosophes qui au contraire runit les principes (141). Pour l'essentiel, son trait De l'alkahest est un expos sur le rle de l'urine et du sang humain dans la prparation du dissolvant universel. Les chapitres de la Pyrotechnie de Starkey que prsente Le Pelletier viennent renforcer le message : tout oppose l'alkahest et le Mercure des philosophes; [...] encore, crit Starkey, que le Mercure des philosophes & l'Alkaest soient d'excellens Secrets, ils sont pourtant tellement distincts l'un de l'autre, qu'ils n'ont entr'eux aucune dpendance, & qu'ils sont aussi differens en matire, en forme & en vertu, qu'on le puisse imaginer (142). Quant au trait Liquor alkahest, que Le Pelletier traduit avec la ddicace Boyle et la prface d'Astel, il est entirement consacr l'expos des procds de fabrication du Sel Armoniac partir de l'esprit volatil d'urine qui, pour chapper l'attaque de son ennemi l'esprit acide, se dguise sous le masque du Sel Armoniac, de la mme manire que l'eau, qui pour mieux rsister la force active du froid qui voudroit la changer en Gas, se durcit d'ellemme en glace, par sa propre action (143) . Le trait se termine cependant par une mauvaise surprise pour le lecteur, puisque Starkey conclut que ce Sel Armoniac vulgaire ne doit pas tre confondu avec le Sel Armoniac philosophique qu'il permet de fabriquer, et dont les enfants de la science auront devin la vritable recette (144). C'est seulement ce Sel Armoniac philosophique qui possde les qualits de l'alkahest : c'est un feu qui est une eau, qui ne brle

(139) L'Alkahest ou le dissolvant universel, op. cit. in n. 131. (140) Ibid., 114-115, traduction du Commentaire sur la troisime porte de Ripley. (141) Ibid., 123, traduction du 90 du livre I de Medulla alchimiae. Le Pelletier retrace la polmique concernant l'attribution de ce trait Philalthe dans la prface de la Suite du Trait de VAlkahest (voir infra n. ISO). (142) L'Alkahest ou le dissolvant universel, op. cit. in n. 131; traduction du chap. XI de la Pyrotechnie. (143) Ibid., 212-213. (144) Ibid., 220, 227, 229.

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pas et qui nettoie et purifie la nature (145) . Star key utilise ici le procd rhtorique familier aux alchimistes : notre Mercure, disent-ils, n'est pas le mercure (vif-argent), mme s'il faut en com prendre les proprits par analogie avec le produit vulgaire (146). Ce faisant, Starkey enlve l'alkahest toute existence en tant que dissolvant particulier, pour en faire le modle idal de tout dissol vant, principe universel de dissolution ne se ralisant concrtement que dans des corps chimiques ayant alors le statut de produits de substitution. Malgr les prcautions oratoires dployes pour distinguer l'alkahest du Mercure, c'est bien dans la sphre des Prin cipes alchimiques que l'alkahest est ainsi renvoy : ce n'est qu' ce niveau qu'il peut exister, comme objet thorique, et non comme produit chimique (147). Le Pelletier, en bon enfant de la science, ne se laisse pas impres sionner par la pirouette hermtiste de Starkey et entreprend de relever le dfi dans sa conclusion (148) o il propose une recette de l'alka hest qui se fonde sur la sparation, puis la runion des trois esprits fermentes de l'urine. Mais il finit par avouer qu'il ne s'agit pas l d'une mthode exprimente, mais seulement d'une ide qu'on a prise de la seule lecture des Ecrits qu'on publie dans ce recueil (149) . La fabrication de l'alkahest en laboratoire demeure imposs ible, puisqu'il ne peut exister comme dissolvant universel qu' la condition de n'tre pas un simple produit de laboratoire. C'est cette difficult, semble-t-il, qui conduit Le Pelletier publier un second ouvrage en 1706, dans lequel il insiste sur les (145) Ibid., 220. (146) Les expressions comme notre Mercure n'est pas le mercure ou notre Pierre n'est pas une pierre ne doivent pas tre interprtes comme la clture sur soi-mme d'une pense sotrique vide de tout objet, mais plutt comme l'expression des difficults d'une pense chimique qui ne dispose pas encore des concepts qui lui permettraient de subsumer les proprits de la matire rcemment dcouvertes. (147) Ce n'est pas seulement au niveau de la mthode que Starkey raisonne sur fond de rfrences la thorie alchimique. Comme Van Helmont et tous les lecteurs assidus des textes alchimiques, il n'ignore pas l'importance de l'urine dans les prparations alchimi ques. Ainsi, le clbre Rosaire des philosophes voque plusieurs fois l'urine, et affirme que certains disent que l'lixir provient de l'urine : trad, franc. d'Etienne Perrot (Paris : Libr. de Mdicis, 1973), 215 ; d. du texte latin par Joachim Telle (Weinheim : vch Verlagsgesellschaft mbH, 1992), 172. Nous savons aujourd'hui que l'urine jouait dj un rle dans les recettes grco-alexandrines, telles qu'elles ont t dcouvertes dans les papyrus de Leyde; voir par exemple les recettes 67, 74, 87 dans l'dition de Robert Halleux Les Alchimistes grecs, t. I (Paris : Les Belles lettres, 1981). (148) Le Pelletier, L'Alkahest ou le dissolvant universel, op. cit. in n. 131, 233. (149) Ibid., 256.

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produits de substitution de l'alkahest (150). Il s'appuie bien sr tou jours sur les crits de Starkey, et en particulier les chapitres de la Pyro technie o il a trait de la volatilisation des Alcalis , selon l'expression de Van Helmont lui-mme. Les textes de Starkey sont prcds d'une longue prface de cinquante deux pages, o Le Pellet ier dfend la mmoire de Starkey injustement accus de n'tre qu'un fripon, mais surtout explique que le secret de la volatilisation des alcalis est aussi important que celui de l'alkahest et que l'un comme l'autre permettent la prparation d'excellents remdes qui pntrent dans les recoins les plus secrets du corps humain et peuvent ainsi gurir les maladies les plus longues et les plus dsespres (151). Astel, dans la prface l'dition posthume de Liquor Alkaest, le rappelait clairement : la recherche de l'alkahest est motive par le souci de trouver des remdes chimiques plus aisez, plus cer tains & plus efficaces pour draciner les Maladies, que les communs que l'on prpare par la Mthode Galenique (152) . C'est pour quoi Le Pelletier fait suivre les chapitres de la Pyrotechnie d'une srie de recettes permettant la fabrication d'une pilule diaphortique et diurtique et de divers procds d'extraction du Sel volatil vgtal publis par Daniel Coxe dans les Philosophical Transact ions. Ces produits ne sont des dissolvants universels que relativ ement, puisque leur domaine d'application est la mdecine : ils sont universels dans le sens o ils dissolvent toutes les impurets qui encombrent les organes, ce qui les rend capables de gurir toutes les maladies. Plus que jamais, l'objection de Kunckel est ici sans objet : ni un mdicament particulier, ni le modle idal qui permet de le penser ne sauraient dissoudre le verre ou le cristal.

VI. L'alkahest et le mercure des philosophes Si l'on met de ct la lettre de Tachenius, la Clara Fidelisque Admonitoria disceptatio du mdecin italien Luigi de Conti, parue (150) Suite du Trait de VAlkaest o l'on rapporte plusieurs endroits des ouvrages de George Starkey qui dcouvrent la manire de volatiliser les Alcalis, et d'en prparer des remdes succdans ou aprochans de ceux que l'on peut prparer par VAlkaest (Rouen, 1706). Le Pelletier traduit le chapitre trois de Natures explication and Helmont's vindicat ion, ainsi que les chapitres II, III et IV de la troisime partie de la Pyrotechnie. (151) Ibid., 9. (152) Ibid., 197.

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en 1661 (153), est sans doute le premier trait avoir t essentie llement consacr Palkahest. Mon dessein [n'est] ici que de faire connotre la difference qu'il y a entre l'uvre Hermtique, & celui de PAlcaest; les choses en quoy ils different, & celles ausquelles ils conviennent aussi. C'est en ces termes que l'auteur rappelle son projet, arriv au milieu de son ouvrage (154). Il ne doute pas de la possibilit de fabriquer Palkahest, malgr les grandes diffi cults de l'entreprise qui tiennent certes la pratique (le choix des produits, la conduite du feu exigent que Pon soit prudent et expriment ) mais qui relvent surtout de la thorie car aupa ravant que d'entreprendre la chose, il est ncessaire d'en avoir une connoissance mentale que j'appelle Thorie ou pratique mdite , ce que Raymond Lulle, dans son Testament, appelait la connais sance des causes et des raisons de l'opration . En effet, l'uvre n'est que la suite & l'effet de ce que la Thorie nous a fait concevoir (155) . C'est prcisment un reproche thorique que De Conti adresse Van Helmont : s'il s'est tromp en croyant que PAlkahest tait le Mercure secret, c'est parce qu'il a cru tort que l'Eau tait la matire premire de toute chose (156), ce qui revient privil gier le Principe Mercuriel et considrer l'autre Principe, le Soufre, comme une impuret qui serait responsable de la diversit des mtaux imparfaits. De Conti critique cette thse, qu'il attribue Geber (157), et en tire la consquence que Palkahest, en tant qu'il constitue une mise l'cart du seul principe humide, ne peut pas tre confondu avec la Pierre des philosophes, qui conserve les deux aspects de la semence mtallique, masle & femelle, Agent & Patient, Soleil et Lune (158). L'alkahest et la Pierre des philoso(153) Ludovicus De Comitibus, Clara Fidelisque Admonitoria disceptatio practicae manualis experimente veraciter comprobata (Venise, 1661), 2e d. (Francfort, 1664); trad, franc, par Robert Preudhomme (Paris, 1669) : Discours philosophiques traitons des deux merveilles de l'art & de la nature; c'est--dire : de la liqueur de l'alchaest, & de la mdecine universelle... par monsieur Des Comtes. Le texte latin se trouve galement dans H, 764-781, regroup avec le De metallorum ac metallicorum corporum elucidatio (duos Ludovici De Comitibus tractatus complectitur). Dans les rfrences qui suivent, je cite la traduc tion franaise en ajoutant la pagination de l'dition latine de la . Sur Luigi de Conti, ou De Comitibus, voir Ferguson I, 173. (154) Discours philosophique, op. cit. in n. 153, 108 ; . 773 b. (155) Ibid., 99-103; , 772 b. (156) Ibid., 139, 174; , 776 a, 779 b. (157) Ibid., 59-68; , 768 b, 769 b. (158) Ibid., 81 ; , 770 a.

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phes ont cependant des points communs, puisqu'ils se fabriquent partir de la mme matire, selon des procds semblables, que l'un et l'autre pntrent subtilement tous les corps, et que, ce faisant, ils rduisent tous les deux les corps en leur matire premire. L'alkahest ne saurait donc tre un produit chimique particulier, comme le pensent ceux qui veulent le fabriquer partir du sel de tartre (159). Mais il n'est pas non plus la Pierre des philosophes : sa product ion est artificielle et non pas naturelle, il demeure volatil alors que la Pierre est fixe, il ne concourt pas au perfectionnement des mtaux. L. De Conti et P.-J. Fabre sont moins loigns l'un de l'autre qu'on pourrait le croire. Fabre insiste sur l'intgration de l'alkahest dans le processus d'laboration de la Pierre des philosophes, tandis que De Conti montre que ce n'est qu'artificiellement qu'on pourrait obtenir sparment de alkahest. Mais, dans les deux cas, c'est bien par rapport au processus d'ensemble de fabrication de la Pierre des philosophes que peut se comprendre la nature de alkahest, et seule la constante rfrence la thorie alchimique permet de penser l'existence d'un tel produit : les chimistes qui tournent le dos la doctrine traditionnelle ne peuvent que s'garer. C'est sans doute chez Christian-Adolphe Baudouin que nous retrouvons l'attitude la plus proche de celle de Pierre- Jean Fabre, et l'une des dernires tentatives du sicle pour rendre compte de alkahest par sa proximit avec le Mercure des philosophes (160). Cet alchimiste saxon au nom l'orthographe variable (161) fit paratre en 1675 son Aurum superius & inferius aurae superioris & inferioris hermeticum (162). Ce titre, qui joue sur la similitude entre aurum (l'or) et aura (le souffle), exprime toute la doctrine de l'auteur. Baudouin se situe dans la tradition de ceux qui, partir d'un interprtation alchimique du concept d'esprit du monde, cherchent tablir l'existence d'une substance arienne qui se coagule en un sel (magnsie, nitre ou salptre) qui contiendrait aussi bien les principes sminaux des mtaux que le souffle vital des tres (159) Ibid., 159-166; , 778 a, 779 a. (160) Sur Christian-Adolphe Baudouin, qui tait membre de la clbre Academia naturae curiosorum sous le nom d'Herms, voir Ferguson I, 67-68; Thorndike VIII, 380-382; Partington II, 338-339. (161) On a le choix entre Balduin, Baldewein, Balduinus ou Baudouin. (162) C.-A. Balduinus, Aurum superius & inferius aurae superioris & inferioris herme ticum (Francfort-Leipzig, 1675). L'ouvrage se trouve dans II, 856-875.

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vivants (163). Le soufle suprieur est un air trs subtil, ther, ou humide radical, qui se coagule en un Sel contenant le Soufre et le Mercure (164). Cette substance thre, que Van Helmont appelle Magnale Magnum, est la matire du ciel qu'Avicenne et Platon ont nomm spiritus et anima mundi (165). Devenue soufle infrieur, cette Magnsie se coagule dans le Nitre ou Salptre, et constitue le sujet universel des philosophes, contenant le Sel, le Mercure et le Soufre (166). En des termes extrmement proches de ceux de Fabre, dont il citera bientt le Manuscriptum ad Fridericum, Baudouin explique que c'est partir de cette matire premire universelle que l'on peut prparer alkahest de Paracelse et Van Helmont, qui se trouve alors identifi avec l'esprit de vin d'Arnaud de Villeneuve, le sang du dragon d'Albert, l'eau saturnienne et l'esprit de mercure de Basile Valentin, etc. Tous ces rapprochements confirment que, pour Baudouin, alka hest n'est qu'un nom de plus du Mercure des philosophes. Baudouin est un homme de son temps. Il cite les Principes de la philosophie de Descartes, ainsi que Galile et Boyle; il fait tat des observations que lui ont communiqu des mdecins chi mistes et tient compte des remarques de ses collgues de l'Aca dmie des Curieux de Nature de Nuremberg; il fait parvenir Oldenburg, secrtaire de la Royal Society de Londres, un spcimen de la matire phosphorescente qu'il a dcouverte en cherchant isoler l'esprit du monde. Pour lui, la thorie alchimique est encore pleine de promesses, et l'alkahest pourrait bien tre la mise en vidence de l'un des aspects essentiels de la Pierre des philosophes. Toutes les affirmations des anciens alchimistes viennent alors prendre sens dans la production de ce nouveau produit qui n'est que la concrtisation de l'ancienne doctrine.

(163) Parmi les nombreux travaux qui ont t consacrs cette question, voir notam mentHenry Guerlac, John Mayow and the aerial nitre : Studies on the chemistry of John Mayow I, in Actes du septime congres d'histoire des sciences (Jrusalem : Acadmie Internat. d'Histoire des Sciences, 1953), 332-349, repris dans Essays and papers in the history of modem science (Baltimore-Londres : The John Hopkins Univ. Press, 1977), 245-259; A. Debus, The paracelsian aerial niter, Isis, 55 (1964), 43-61, repris dans Che mistry, alchemy and the new-philosophy, 1550-1700 (Londres : Variorum Reprints, 1987), VIII, 43-61 ; A. Debus, Chemistry and the quest for a material spirit of life in the seven teenth century, in Spiritus - IVe Colloquio internazionale del Lessico Intellettuale Europeo (Rome : Edizioni dell'Ateneo, 1984), 245-263. (164) Balduinus, Aurum superius, op. cit. in n. 162, II, 859 a. (165) Ibid., 860 b-861 a. (166) Ibid., 861 b.

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Le succs de l'alkahest dans la seconde moiti du XVIIe sicle tient donc au fait qu'il constituait une fausse nouveaut. L'inno vation dans le vocabulaire pouvait laisser croire en l'mergence d'un nouvel objet. Mais cette nouveaut n'et point t reue avec tant d'enthousiame si elle n'avait prsent un air familier ceux qui s'interrogeaient la fois sur sa nature, ses proprits et sa fabrication. C'est parce que l'alkahest permettait de renouer avec la vieille doctrine du Mercure comme dissolvant universel qu'il fut tudi aussi bien par ceux qui veillaient la conservation de la doctrine que par ceux qui espraient en tirer des nouveauts chimi ques et pharmacologiques. Par l'alkahest, l'alchimie put esprer un moment chapper la ruine en produisant des concepts et des produits nouveaux. Cependant, plus encore que des proprits du Mercure des phi losophes, c'est de l'ambigut de son statut principiel que l'alka hest hritait. L'alkahest ne pouvait exister qu'en tant qu'tre de raison, c'est--dire imaginaire, comme disait Malouin. Certes, c'est d'imagination scientifique dont il est question ici, puisqu'il s'agit de reconstruire les concepts de dissolution et de matire premire dans le cadre d'une thorie principielle des mtaux que l'on amnage, que l'on nuance, mais que l'on hsite encore abandonner. Argu ment pour Boyle, moment d'un processus pour Fabre, modle idal pour Starkey, l'alkahest est finalement pense de la dissolution plutt que production de tel ou tel dissolvant. A ce titre, il nous apparat comme pure construction thorique dans le cadre d'une doctrine que sa fausset, bientt avre, ne rend pas incohrente pour autant. Car jusqu'au dbut du xvnr5 sicle la philosophie de la nature qu'exprime l'alchimie demeure la rfrence la plus commode pour penser les corps mixtes, leur composition ou leur dissolution, et ce quelque chose qui subsiste pendant toutes ces oprations et que l'on continue d'appeler matire premire. Nous ne pouvons cependant pas croire que Fabre, Starkey ou Baudouin aient nglig les travaux de laboratoire, tant leurs crits attestent de pratiques continuelles. Mais dans l'usage qu'ils en fai saient, il ne s'agissait pas tant de mettre la thorie l'preuve que de la prolonger et de la justifier. Certes, cela n'allait pas sans mises en cause partielles et rajustements. Mais, ce faisant, nos auteurs ne se contentaient pas de sauver les phnomnes par la production d'hypothses ad hoc constituant autant de modificat ions secondaires de la thorie. Il leur fallait aussi sauver la

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thorie en admettant comme possible dans d'autres conditions ce qu'ils ne parvenaient pas raliser effectivement. La cohrence de la thorie alchimique, l'anciennet de sa doctrine et le prestige de ses sectateurs, mais aussi le fait qu'aucune nouvelle thorie n'ait t, jusqu' cette poque, en mesure de se substituer globalement elle de manire satisfaisante, tout cela faisait que les dceptions d'une pratique de laboratoire ne suffisaient pas pour rcuser le cadre de pense l'intrieur duquel s'tait forge l'ide des pro duits que l'on cherchait obtenir. Alors, on voyait d'autant mieux alkahest et ses admirables proprits que l'on fermait les yeux pour songer aux objets que la thorie permettait de penser. C'est aussi de cette manire que l'alchimie valorisait le travail du laboratoire contre une conception purement formelle de la connais sance scientifique.

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