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Leon Bloy - Lettres de Jeunesse
Leon Bloy - Lettres de Jeunesse
Leon Bloy - Lettres de Jeunesse
2198
B18Z56
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University of Ottawa
http://www.archive.org/details/lettresdejeunessOObloy
J_-/ettres de J eune55e
lucttres de J eunesse
par Léon BLOY
est le premier volume de la collection :
Il a été tiré
Exemplaire dur
iv^" 975
I CdUiof) C^rioioafc Illustrée
Léon BLOY
Lettres de«J
(1870-18^3)
eunesse
Première édition rehaussée de vingt et un
BOIS dessinés et gravés parCh. BISSON
EdouardJoseph
LES LcUrCiKj c]u oilj m lire noiuv feronU' tnwcrda^
coniiiKLy à i'oL d'oiseau une vingtaine oanneetu de
i indignation.'.
DcéU caniaradcéU, il n en avaii^ juu^ parce qu il
—9—
.
Pari
ans 1Q2 0.
10 —
LETTRE I
II
subsiste toujours, mais la coutume est un rempart in-
destructible que la Providence met entre nous et la
Douleur qui finirait par nous dévorer.
L'homme a besoin, je ne dis pas de solitude, mais
d'isolement pour être soi, c'est-à-dire pour vivre, et
dans Tœuvre de cette Providence que j'invoquais tout
à l'heure cela éclate d'une manière tout à fait admi-
rable, puisqu'elle a prononcé que l'homme vivrait au
milieu de la foule de ses semblables et néanmoins au-
rait cette faculté de s'accoutumer à les voir au point
de ne les voir plus et d'être d'autant plus isolé qu'il
vivrait moins dans la solitude.
Je t'en prie, mon cher Georges, prends patience,
fais ton petit soumets-toi et ne te lasses point d'obéir,
que ton obéissance soit prompte, et du moins en appa-
rence joyeuse. Efforce-toi d'être doux et obligeant
pour tes camarades, surtout pour ceux-là qui te dé-
goûtent le plus. Je te dis tout cela, quoique tu le sa-
ches très bien, mais est-ce inutile? D'ailleurs, je te le
dis de loin et j'ai cru remarquer que le poids d'un con-
seil est pour les natures excellentes comme la tienne,
en raison directe de la distance. En effet, —
toute
plaisanterie à part —
nous ne vivons guère que dans
le passé. Lorsqu'il y a quelque chose de bon en nous,
c'estun lait que nous avons sucé lorsque nous étions
encore tout petits. Aussi, quand même les premières
années de la vie auraient été malheureuses, n'y a-t-il
pas de plus rafraîchissante émotion que de les con-
templer de loin.
Il serait, je crois, utile d'y songer. En dehors de
12 —
l'inspiration surnaturelle, toute bonne action volon-
taire est l'écho d'un souvenir d'enfance. Eh bien, je
suis lié à ces souvenirs du passé, qui sont la meilleure
partie de toi-même, j'aipar là plus que tout autre,
plus que peut-être le pouvoir de les évoquer, nous
toi
avons passé ensemble bien des jours pénibles mêlés
de très peu d'heures agréables. Mais, crois-moi, ce
furent tes premiers pas dans la vie, et quand même
les plus étonnants bonheurs t'attendraient dans l'ave-
nir tu ne trouveras jamais, je te le prédis, qu'ils en
vaillent l'amertume. Ecris-moi souvent, je te répon-
drai toujours et le plus promptement possible. C'est
ce dont tu peux être certain. Ne te gêne jamais avec
moi n'aie jamais peur de me fatiguer. Je suis un
;
— 13 —
Après tout, mon ami, rends-toi compte de ce que
tu éprouves. Ton dégoût n'est-il pas tout physique.
Tu entouré d'hommes grossiers, incapables, du
es
moins extérieurement, de délicatesse. Tu es délicat,
et cela t'offense, je le conçois, mais cela ne doit pas
monter plus haut que l'estomac, que Diable! Tu as
dans l'esprit de nobles choses, tu as et rien n'est —
plus rare —des Idées d'ordre général, tu as l'intelli-
gence de textes difficiles, tu as un corps de doctrines
admirable, tu as, pour te fortifier et t'isoler, des lectu-
res rafraîchissantes qu'il t'est donné de pouvoir faire.
Pourquoi donc serais-tu si malheureux, et comment
les obscénités et les sottises de quelques goujats pour-
raient-elles t'atteindre dans le splendide isolement de
ta patience chrétienne et de ta foi.
D'ailleurs, tu as des loisirs, n'est-ce pas ? Eh bien,
ne tarde pas à faire ce que tu me dis. Va trouver un
prêtre. Va à l'église et quelque douce figure
si tu vois
de prêtre, ouvre-toi à lui. Puisque tu as la foi catho-
lique profites-en pour être heureux. Il se trouve que
cette religion de souffrance donne des joies infinies,
même ici-bas. Je ne sais, mon ami, si tu t'es jamais
approché de la sainte Table avec ferveur. Il m'est
permis d'en douter. Alors crois-moi, j'en sais quelque
chose, c'est absolument divin. A ce moment-là tu ne
sentiras guère les ennuis de ton état —
que dis-je, ce
seront pour toi de véritables plaisirs. Non, ce qui ne
peut se raconter et tu t'en doutes bien, c'est cette inex-
primable paix qui tombe comme un manteau céleste
sur le cœur d'un pauvre être ainsi devenu par l'incon-
— 14 —
cevable mystère du sacrement le tabernacle vivant de
son Dieu. 11 est impossible de le concevoir si on ne l'a
pas éprouvé, et longtemps après, quand même on au-
rait eu le malheur de perdre la foi, c'est un véritable
ravissement que d'y songer.
Tu as raison de lire — il faut lire beaucoup. —
Tu
peux même te borner à cela pendant longtemps. Je te
le répète très sérieusement, à force de lectures, tu peux
devenir un véritable savant et si le métier de soldat
te donne des ennuis, il te donne aussi des loisirs, et
surtout une certaine indépendance d'esprit que tu ne
retrouveras pas ailleurs. Je veux dire que tu n'as pas
le souci de gagner ta vie — cela énorme.
est
Quant à moi, je dévore le plus de livres que je
peux, j'ai de terribles lectures à faire. Je voudrais
pouvoir ne faire que cela. Mais je dois me résigner à
aller lentement. Lorsqu'il m'arrivera quelque chose
d'heureux sous le rapport intellectuel, tu seras un des
premiers à le savoir.
Je t'annonce que le Père Hyacinthe a complète-
ment apostasie. Je l'avais assez annoncé depuis 3 ou
4 ans. Il est vraiment heureux que cela soit enfin venu.
On saura désormais qui il est. Il a écrit au général de
son ordre une lettre fort insolente dans laquelle il dé-
clare que sa conscience lui fait un Devoir de quitter
son froc. Cela est réellement immonde. M. d'Aure-
villy va publier contre lui un de ses plus beaux arti-
cles, un véritable chef-d'œuvre. Je te l'enverrai le
plus tôt possible. Je lui ai montré ta lettre, elle l'a
touché. Ecris-lui, il te répondra.
U
Ce sera peut-être une agréable distraction pour toi
de faire une visite. Va voir Mme
Boucher. Elle y est
en ce moment, et je t'ai annoncé. Ne fût-ce que pour
parler de son pauvre Eugène, il lui sera très agréable
de te voir. Tu feras bien d'y aller et d'y revenir. C'est
une bonne femme à ce qu'il m'a semblé. Elle te sera
peut-être utile. D'ailleurs, il t'est bien facile de te
tenir sur tes gardes.
Victor et moi nous irons un de ces dimanches à Or-
léans, dans un ou deux mois. Nous passerons, je l'es-
père, une agréable journée avec toi.
Léon Bloy.
— 16
LETTRE II
MONparviendra
cher Georges, je ne
cette lettre.
sais quand et comment
Je désire que tu la re-
te
— 17 —
tu ? en fait de frères je crois que Victor et toi avez
pris toute la place. Tu me demandes de prier pour
toi. Ah ! mon
ami, je ne sais trop ce que valent mes
prières. Je les soupçonne de valoir très peu. Mais je
n'avais pas besoin que tu me les demandasses. Du
jour où j'ai su que ta vie était en péril, je fais de lon-
gues prières pour toi. Je demande à Dieu avec toute
la ferveur que je peux trouver en moi, que si sa vo-
lonté est de te retirer de ce monde qu'il te reçoive du
moins de sa miséricorde. Je suis tellement pénétré de
la vérité du christianisme, tout ce que l'Eglise ensei-
gne est pour moi d'une telle évidence, je vois si claire-
ment dans mon esprit et dans mon cœur l'intégrité et
la pureté de sa doctrine que je suis saisi d'épouvante
quand je songe que tu pourrais mourir sans prépara-
tion. C'est pour cela seul que je prie, mon bon ami.
Car ce que j'aime en toi, c'est ton âme qui est une no-
ble et belle âme. D'ailleurs ne penses-tu pas comme
moi, n'adores-tu pas les mêmes vérités et les mêmes
menaces qui pèsent sur mon cœur à cause de toi, mon
frère bien-aimé, ne pèsent-elles pas aussi sur le tien ?
Peut-être ce que je te dis là est-il une recommanda-
tion superflue. Peut-être à l'heure du danger as-tu
noblement et généreusement remis ton âme entre les
mains de Dieu.
Je t'assure, mon Georges, que je voudrais de toute
mon âme que tu te trouvasses parfaitement réconci-
lié avec Dieu et qu'au premier combat la mort te
prît d'un seul coup. Encore une fois je t'assure que je
donnerais volontiers ma propre vie pour qu'un pareil
— i8 —
bonheur t'arrivàt. Le sang des hommes qui meurent
pour Dieu dans les batailles est ce qu'il y a de plus
semblable au sang divin répandu pour le salut du
monde. Le don de soi est sans doute ce qu'il y a de
plus agréable aux yeux de Celui qui s'est le plus
donné. Fais donc le sacrifice de ta vie. Prie bien Dieu
qu'il la prenne en échange de la coircersion de tes pa-
rents. Tu sais que cette réversibilité des douleurs et
des acceptations est la base surnaturelle de l'édifice
chrétien. Il n'y a rien de plus sublime dans le monde.
De mouvements de l'âme sont toujours écou-
pareils
tés et vont directement au cœur de Dieu. J'envierais
une telle mort et toute l'ardente foi que Dieu m'a don-
née tressaille en moi à cette seule pensée.
Oui, mon cher Georges, tu ne saurais croire com-
bien cette idée de ton péril physique et de ton péril
spirituel m'a tourmenté durant ces quelques jours. Si
la guerre n'était pas arrivée avec une pareille soudai-
neté, je t'aurais donné un bon conseil.
A une époque déjà ancienne, à une époque de foi
et d'amour, la Vierge apparut un jour à un pauvre
solitaire dont le nom
ne se présente pas à ma mémoire
en ce moment. Elle lui donna un vêtement fait d'une
laine grossière et destiné à recouvrir les épaules. La
Mère du Sauveur lui dit que de grandes grâces se-
raient accordées à ceux qui porteraient nuit et jour ce
vêtement de son choix et que ceux qui seraient tués
en le portant seraient par Elle-même délivrés du Pur-
gatoire le samedi qui suivrait le jour de leur mort.
Aujourd'hui, afin d'éviter les scandales de toute es-
— 19 —
pèce que tu con-
nais bien on a ré-
duit ce vêtement
mystérieux, nom-
mé Scapulaire,aux
simples propor-
tions de deux mor-
ceaux de laine sus-
pendus de chaque
côtédu corps.
L'incrédulité
sans noblesse et
sans virilité de ce
temps-ci a répandu
le ridicule sur les
^^ pratiques d'une loi
touchante et divine, com-
me si, après tout, les plus
éclatantes manifestations du génie humain
ne se réduisaient pas aux simples propor-
tions d'un acte de foi naïf et spontané. Je
t'aurais conseillé de le porter. J'ai vu ces derniers
jours à Périgueux de nombreux soldats sur le point
de partir ne pas négliger de se munir de cet objet pré-
cieux. Peut-être te sera-t-il encore possible de le faire.
Si vous passez dans une ville et qu'il te soit possible
de disposer d'une heure va trouver un prêtre et s'il
est étranger, dis-lui en latin :Da mihi scapularium.
Il comprendra à merveille. Il bénira l'objet et toi-
même et crois-moi, tu puiseras dans cet acte de foi
20 —
et d'humilité un grand courage et une chrétienne ré-
signation. Le scapulaire se porte, bien entendu, par-
dessous les vêtements, immédiatement sur la peau.
Je porte moi-même le scapulaire depuis quelque
temps et cela me procure beaucoup de courage et de
consolation (i).
Victor t'a sans doute écrit puisque tu as mon
adresse à Périgueux. Il t'a appris, comme je le vois,
mon projet de quitter le monde. En effet, je meurs
d'envie de me faire bénédictin. L'idée vient de
M. d'Aurevilly qui n'a eu aucune peine à me faire
comprendre qu'il n'y avait pas de salut probable pour
moi en dehors de cette détermination. Je le crois. Mais
il ne m'est pas possible d'exécuter immédiatement ce
(i) Léon Blny est resté fidèle à cette dévotion. Il est mort portant son
scapulaire du Mont Carmel ainsi que celui de l'Immaculée Conception.
J. L. B.
— 21 —
ne sais pourquoi, ilsemble que ma vie va prendre
me
enfin une direction quelconque.
Tu crois à une guerre européenne et à un grand
mouvement religieux très prochain. C'est ce que
j'écrivais l'autre jour à M. d'xlurevilly en lui parlant
de toi. J'ai toujours cru depuis l'ouverture du Con-
cile que sa clôture, du moins quant à Tobjet impor-
tant (l'Infaillibilité), serait le signal inaperçu mais
nécessaire, le point de départ providentiel d'une suite
d'événements extraordinaires. C'est ce qui a bien l'air
de se réaliser. C'est la guerre la plus terrible et la plus
implacable qui pût se faire en Europe qui commence.
Elle aura les plus énormes conséquences, quelles
qu'elles soient. D'un autre côté, nous subissons une sé-
cheresse inouïe qui tarit les sources, fait mourir les
animaux dans les champs et a déjà détruit la récolte
d'automne. C'est la famine pour cet hiver. Toutes ces
coïncidences ne sont pas sans quelque signification
mystérieuse.
Le phénomène le plus étonnant peut-être et le plus
inattendu, c'est l'incroyable indifférence qui a ac-
cueilli le triomphe définitif de l'autorité pontificale,
qui devait, disait-on, soulever l'Europe entière, con-
tre Rome. Oui, Georges, pour ceux qui pensent et qui
savent, il y a là-dedans le jeu manifeste d'une puis-
sance qui n'est pas seulement humaine. La France est
devenue tellement ignoble depuis deux siècles qu'il
se pourrait très bien que sa perte soit décidée. Que la
volonté de Dieu s'accomplisse. Si la guerre m'ap-
pelle, j'irai sans inquiétude et sans tristesse, je crois
que l'immuable etimpeccable Eglise du Christ peut
se passer d'être défendue par moi et d'ailleurs ce
qu'on peut faire de plus sage, c'est de s'abandonner
à la Providence divine. Si Dieu a des desseins sur
moi, il ne manquera pas de me préserver.
Mon bon Georges, il se peut que tu te trouves un
jour ou l'autre avec des soldats du 57*. Mon frère est
engagé dans ce régiment et comme il ne nous donne
jamais de ses nouvelles, tu m'en donneras si tu peux.
Tu vois, mon ami, tu l'as dit toi-même, tu peux
mourir. Tu comprends bien que dans un tel état de
choses, il y aurait de la cruauté à nous priver complè-
tement de nouvelles si tu peux faire autrement. Un
torchon de papier écrit avec tout ce que tu voudras et
non affranchi nous rendra beaucoup plus heureux que
tu ne pourrais te l'imaginer.
Je t'embrasse.
Léon-Marie BlOY.
Rue Séguier, 2.
— 23
LETTRE III
— 24 —
Ainsi entendu, je t'attends dans deux ou trois
c'est
jours. Donneà tes chefs une raison quelconque. Tu
reviens de captivité et tu n'es pas même classé encore,
à ce que je vois. Tu ne peux donc essuyer de refus.
Je suis aussi pauvre que jamais. Cependant je trou-
verai bien quelques sous à t'envoyer pour ton voyage
si c'était nécessaire.
Compte toujours sur moi et écris-moi prompte-
ment pour m'instruire de ta résolution.
Léon-Marie Bloy.
2, rue Séguier.
— 2 =
LETTRE IV
TU recevras
matin.
sans | doute cette lettre demain
M. ViGXOX.
— 26 —
LETTRE V
Jeudi,
Mon cher
Georges,
VIENS au plus
vite. Je ne
puis te dire à
quel point j'ai
hâte de te voir.
C'est un véritable
besoin. Tu es mal-
heureux, dis-tu. Je
t'assure que je
le suis aussi. Je
souffre royale-
ment. J'use ma
vie en luttes
mesquines. Ce
^/
sont de ces petites douleurs que ne comprennent
pas les hommes grossiers et qui lentement super-
posées finissent par se dresser comme une montagne
sur le cœur. Si je n'étais pas chrétien je me tuerais
peut-être. Si j'étais libre et seul au monde j'irais pro-
bablement enfermer dans un cloître ma pauvre tête
incendiée. Chez moi, les moindres impressions sont
terribles. Tu me comprendras mieux ici. Mais il me
semble que taprésence me fera du bien. Je crois que
tu es le seul être au monde qui ait su me comprendre
jusqu'à présent et m'aime de la manière dont j'ai be-
soin d'être aimé. Au milieu de la famille je suis dans
la solitude. Personne ne me devine et tu le sais bien
il y a des choses qui ne peuvent pas se dire. Enfin,
— 28 —
je pourrais à peine jouir de toi. Je veux t'avoir à moi
tout seul et alors ce ne serait plus possible.
Recueille toutes tes forces et dis pour moi un Pa-
ter. Dis-le, je te prie, comme si un Séraphin
tu étais
devant le Trône de Dieu.
Victor a été malade, il va bien maintenant. Je n'ai
pas écrit à M. d'Aurevilly. Je n'écris pas même les
lettres nécessaires, ma pauvre tête ne le permet pas.
Je t'embrasse.
Léon Bloy.
— 29 —
LETTRE VI
— 30 —
gent du voyage. La pauvreté est assez grande chez
nous pour que cela me fasse reculer. Cependant ne
pas te voir me semblait insoutenable. Je tentai de
grandes démarches auprès de l'administration du
chemin de fer pour obtenir un laisser-passer. Peines
perdues.
Enfin j'étais arrivé à un affreux découragement. Ce
matin à la messe, à la messe même et devant Dieu, je
sentais le désespoir me monter au cœur et j'ai dé-
failli plusieurs fois. Ceci peut te paraître incroyable,
mon pauvre Georges, mais ce n'est point exagéré.
Rien n'est comparable à la solitude effrayante qui
m'environne. Autour de moi pas une âme où je puisse
me reposer.
Mais puisque tu vas enfin venir, tout est bien. Oh !
_ 31 _
mandation. Si tu l'oubliais tu me mettrais dans un
grand embarras.
Adieu, écris-moi avant de partir pour que je sache
à quelle heure je dois l'attendre à la gare.
Je t'embrasse.
Léon Bloy.
— 3^2
—
LETTRE VII
— 33 — '
3
Il faudrait que, je fusse auprès de lui et c'est précisé-
ment mon Georges, une mau-
l'impossible. C'était là,
vaise pensée qui m'a fait cruellement souffrir. J'avais
écrit quelque temps auparavant à M. de Noaillant,
que je ne connais pas du tout, deux lettres de suppli-
cations. Je te recommandais à lui comme une mère
efïrayée recommanderait son enfant à quelque chari-
table étranger. Tu ne peux, mon pauvre Georges, te
faire une idée de ces lettres qui donnent à peu près la
mesure de ma tendresse pour toi. Elles étaient de na-
ture à toucher même un homme très dur. M. de
Noaillant me répondit quelques lignes empreintes de
bonté, par lesquelles il m'assurait qu'il s'efforcerait
de me remplacer. Eh bien, j'espérais que tu allais en-
fin trouver auprès de lui et auprès de ses amis une
consolation et un refuge. Hélas ta lettre m'annon-
!
— 34 —
1
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^ CB
35
—
Je me suis présenté un certain jour avec confiance
chez notre grand ami Barbey et tu sais ce que cet ins-
tant d'action nous a rapporté à l'un et à l'autre.
Quel conseil veux-tu que je te donne ? Je suis na-
vré jusqu'au fond du cœur quand je pense à toi.
Lorsque tu es venu me voir, lorsque tu as passé avec
moi à la campagne ces deux jours bienheureux qui
restent en traits de lumière dans ma mémoire et dans
mon cœur, tu m'enviais ma douce solitude et tu gé-
missais de n'avoir rien de semblable pour l'apaise-
ment de ton pauvre cœur blessé et déchiré à toutes
les grossièretés, à toutes les épines de ton genre de
vie. Hélas pauvre Georges, je n'en ai pas joui long-
!
-36-
bien qu'il ne m'appartient pas de renoncer. Je suis
réduit à tout caclier: mes actions et mes pensées. Mais
j'ai beau faire, mon père voit très clairement ce qui
se passe en moi et il ne peut se résigner. Et cependant
il m'aime de toutes ses forces. Mais il me croit sur la
— Z7 —
combe pas au désespoir. — J'ai beaucoup soufifert à
Paris, mais du moins, tu étais là pour me consoler et
Georges aussi. De
plus je n'étais pas condamné à en-
tendre continuellement autour de moi des cris et des
gémissements. Je pouvais m' isoler. J'avais ma cham-
bre à moi. Je faisais deux parts de ma vie: l'une pour
le pauvre monde de douleurs, l'autre pour mon âme,
la nuit au milieu de mes chers
livres. Mais ici, ce n'est plus
possible. Il faut souffrir du
matin au soir et le courage me
manque. Si cette lutte se pro-
longe je vois très-bien que je
succomberai. »
J'ai copié cette lettre, mon
bien cher Georges, afin de te
montrer le très exact rapport
qu'il y a dans l'état de nos deux
âmes. Ma souf-
france ressemble
absolument
à la tienne
et, en
g é n é -
rai, elle
est sup-
po rtée
de la
même
maniè-
-38
re. Cependant, souffre que je te le dise il
y :
— 39 —
Si tu es aujourd'hui dans le même état
encore
d'âme qu'à Tépoque de ta dernière lettre il me parait
prouvé que tu ne feras pas tes Pâques. Or tu sais ou
tu ne sais pas, mais tu dois savoir que le mépris ou le
refus d'exécuter le 4' commandement de l'Eglise est
un aussi grand crime que le parricide. Du moins c'est
un crime qui foudroie et qui écrase l'âme tout aussi
sûrement. Le chrétien, le croyant qui ne fait pas ses
Pâques est un véritable bien
apostat. mon ami,
Eh !
Hélas Hélas
! j'ai l'âme navrée et déchirée en
!
— 40 —
d'une bonne portion des battements du mien, avec
quelle joie ne le ferais-je pas Pauvre Georges, tu ne
!
attendrai.
Je t'embrasse.
Léon Bloy.
— 4T
LETTRE VIII
14 septembre 1872.
dresse tel que mon faible cœur n'eût pas été capable
de le pressentir.
Je ne cherche pas de phrases. Pour mieux te voir,
je fermerai les yeux. Que m'importe la forme de ton
corps, la couleur et la dimension de cette guenille de
ton âme ? Je ne vois qu'elle seule et si, par un mira-
cle, une seule fois accompli dans le temps (Nabucho-
donosor) et que Dieu ne recommencera probablement
jamais, tu devais changer de membres et de visage, il
me semble que je te reconnaîtrais encore.
— 42 — .
Ah ! quand
je pense à la double vue de l'homme I
Et cependant !!!...
Lorsque l'œil humain se retourne et se reploie vers
ces profondeurs, il commence seulement alors d'aper-
cevoir les linéaments divins de l'ordre suprême et les
dérèglements modernes viennent de ce que les hom-
mes ont perdu ce regard. Nous l'avons dit cent
fois. La seule Education, la seule Politique est celle
qui regarde les Ames, parce que, dans le problème de
l'Homme, on ne doit pas évincer l'homme.
Je ne suis pas bien sûr de t'avoir jamais vu, je ne
suis pas bien sûr de la couleur de tes cheveux et la
forme de tes mains ne m'est qu'imparfaitement con-
nue. Mais je connais mieux ton âme et voici comment
je crois qu'elle est faite :
— 4.3
—
mystérieusement toute-puissante qui n'est pas celle
du Lys sur sa tige, mais celle du Lys au champ d'azur
en l'Escu de France. Veuille ne pas rire. Quand on
dit qu'une âme est belle, on ne s'entend pas toujours.
Elle peut être très belle en soi et ne l'être pas au re-
gard de l'Infini si elle ne suit pas le Mérite qui est sa
loi, et je ne dis rien de plus, sinon que ton âme est
très belle en soi. Et maintenant, et comme notre es-
prit n'a pas ici-bas sa mesure, je n'aurai plus rien à
dire quand j'aurai ajouté à toutes ces choses que ton
âme est ardente. C'est ce qu'en elle je préfère et c'est
précisément pour cela peut-être que mon regard ne
va pas plus loin. Me voici fixé en pleine incandes-
cence, en pleine torche allumée au sommet de la mon-
tagne solitaire qu'environne le retentissement immor-
tel des plus grandes choses. Tu es une Ame de feu.
Rareté inouïe dans ce siècle I Rien ne me passe plus
près du cœur. On ne peut que deviner qu'une âme
est grande ; on ignore presque toujours si elle est forte
et dans quelle mesure elle l'est quant à sa beauté in-
;
— 44 —
Machiavel a écrit que le monde
appartient aux es-
prits froids. C'est vrai dans un
païen, et en-
sens
core !!! Mais le monde chrétien a été fait par des
hommes qui s'appellent des Apôtres sur lesquels et
dans lesquel le FEU de Dieu était descendu et qui, un
peu auparavant, existaient aussi peu que possible par
la science et par les facultés.
les hommes à tête puissante, l'Enthousiasme
Chez
est une lampe ardente placée physiologiquement et
psychologiquement au-dessous de la Pensée, comme
sous un vase plein d'un liquide glacé, et qui la rê-
chaufte, la dilate, la subtilise sans jamais parvenir à
la consumer. Chez les autres, elle monte perpendicu-
lairement vers le ciel, sans obstacle d'aucune sorte et
retombe en pluie d'étoiles sur la terre.
Ne te semble-t-il pas, cher ami, malgré ta foi, qu'il
y a dans mon langage quelque chose de fantasmago-
rique et même d'un peu guindé ? On n'entend point
parler d'âmes si souvent que cela. Je le sais et c'est
précisément ma raison d'en parler si longtemps et si
haut. Je connais la tienne depuis si longtemps Je !
de l'Assomption !
— 45 —
même de puissamment belles. Mais non pas belles de
cette beauté-là. Le lendemain et les jours suivants, tu
m'en as reparlé et tu ne peux l'avoir oubliée. Moi j'y
pense encore et tellement que je vais essayer de la
faire réapparaître aux yeux de ma Pensée dans l'in-
tégrité possible du souvenir enchanté de mon cœur.
Je vais faire comme si tu ne l'avais jamais vue.
C'est un Ecce Homo en buste, mais un buste très
allongé. Le profond artiste espagnol a compris qu'il
fallait toute la poitrine. C'est le Christ chez Pilate,
dans son appareil terrible et grandiose de Roi de la
Douleur c'est le Christ d'après la Flagellation, d'a-
;
-46-
hommes naquirent de Marie. Ici, il n'y a plus de sur-
face, tout est en profondeurs et en abîmes, mais en
abîmes multipliés ouverts les uns dans les autres
comme les cratères de l'Etna et qui sont aussi les cra-
tères du Volcan de l'amour divin.
Dans toute cette Passion inénarrable et mysté-
rieuse, rien ne me frappe plus que le couronnement.
Il y a, dans le jardin de mon Père, un arbre singulier
qui me le rappelle toujours. C'est un acacia origi-
naire de l'Orient, dit-on. Il s'appelle triacanthe, à
cause de ses triples épines. Ces épines-là sont afifreu-
ses ; elles arrivent quelquefois à la longueur effroya-
ble de trente centimètres, sont dures comme du fer, en-
venimées à leur extrémité et poussent dans tous les
sens. Lorsque les branches mortes tombent par terre,
elles se recourbent, les pointes en dedans, et forment
exactement la couronne. J'en ai tressé moi-même une
tout entière formée de plusieurs branches entrela-
cées, je l'ai suspendue au-dessus de mon crucifix et je
ne puis la regarder sans épouvante. Je ne puis m'em-
pêcher de croire que ce sont là les véritables épines
qui couronnèrent le Christ et je me rappelle qu'il fut
nécessaire de les enfoncer comme des clous, à coups
de bâton, dans sa tête. Une grande sainte, la sœur
Emmerich, raconte qu'elle a vu la Vierge après la
Descente de Croix qui fut son sixième glaive, arra-
cher, AVEC DES TENAILLES, ces épines de la tête morte
de son Fils.
Je vis d'abord cela dans le buste de l'abbé Puyol.
Le sang de chacun des trous de la tête est un ruisselet
— 47 —
sur la Face et sur la poitrine. Ce sang est le plus pur
de la terre ; il est sorti, par de soixante gé-
la Vierge,
nérations de saints qu'il a fallu pour philtrer une
Mère Immaculée au Sauveur du Monde. On dirait
qu'il coule lentement sur cette chair sacrée et meur-
trie dont il fait étonnamment ressortir la délicatesse
et la blancheur un peu altérée de roses effeuillées par
la tempête. L'artiste qui a créé cette chose divine n'a
pas eu nos lâches tremblements de cœur et de main :
-48-
les mystiques, de la dévotion suprême des derniers
temps du monde.
Les yeux de ce Christ sont, à ce qu'il m'a semblé,
en une sorte de faïence. Leur bleu profond est voilé
d'un mobile rideau de pleurs. Ces pleurs, deux gout-
tes de lumière, ne coulent pas encore, mais on voit
que les paupières en sont trop chargées et qu'elles ne
pourront plus, tout à l'heure, les retenir. L'illusion est
admirable. Ces yeux sont humides et vivants, non pas
vivant du regard extérieur, mais du regard intérieur,
bien autrement poignant et saisissant. Le Fils de Dieu
n'a plus rien à voir sur la terre ;
pas même Jean, pas
même Marie. Marie va entrer dans le périhélie de sa
Quatrième et de sa Cinquième Douleurs. Depuis la
deuxième, les trois jours d'absence, elle est prodigieu-
sement élevée en grâce et il ne lui est pas nécessaire
d'être physiquement présente pour tout savoir et pour
tout voir. Mais il faut néanmoins qu'elle soit partout
et en particulier au Crucifiement, voici pourquoi :
— 49 —
lequel le sacrifice est offert. 11 est le servant, ce cœur
brisé dont les palpitations sont les réponses de la li-
turgie ; c'est le thuribulum dans lequel la Foi, l'Es-
pérance, la Charité, l'Adoration du Monde brûlent
comme l'encens devant l'Agneau immolé qui efface
les péchés du monde ; et enfin le même cœur imma-
culé est le chœur, le chœur plus qu'angélique de cette
messe redoutable ; le silence des souffrances admira-
bles de Marie ne chantait-il pas, en effet, des canti-
ques secrets et ineffables dans l'oreille ravie de l'hos-
tie sanglante ?
La Mater dolorosa placée à la droite de VEcce
Homo dont je parle exprime cela supérieurement.
Mais je n'ai pas entrepris de t'en parler aussi. Et
d'ailleurs le sanglant Jésus absorbe tout.
Le nez est long et fin comme il arrive d'ordinaire
chez les hommes de très grande race. Les narines ou-
vertes et mobiles de l'héroïsme aspirent fortement la
Douleur ambiante et, pour ainsi parler, atmosphéri-
que, et se déploient au-dessus d'une bouche divine-
ment correcte à peine assez entr'ouverte pour que le
dernier soupir de l'Agneau s'en aille au ciel, et non
pas, assez néanmoins pour qu'une plainte de la terre
s'en puisse échapper. Les dents, à peine plus blan-
ches que la pâleur même, éclairent un peu la cendre
rose des lèvres lavées au mystérieux torrent de Cé-
dron. Les dents supérieures seules s'aperçoivent. Rien
n'est plus noble. Les physiologistes qui ne sont que
cela n'y comprendraient rien. Notre-Seigneur n'a pas
eu le tétanos, pas même au crucifiement, et cependant
— 50 —
à VEcce Homo, il y avait déjà eu environ quatorze
heures de tortures. 11ne Teut pas même dans son âme
à Gethsémani. Passible, mais tranquille, Jésus boit
les tourments comme la terre qui devient féconde en
buvant la sueur de l'homme.
Enfin la poitrine. Large à vider tous les carquois
de la Haine, de l'Ingratitude et du Mépris Blanche !
— 52 —
qui je n'ai pas encore écrit. C'est honteux, c'est abo-
minable, mais enfin je lui écrirai et toi, tu ne m'écri-
ras pas. J'ai l'air de rire en te disant cela et cependant
l'espèce de certitude où je suis de ne rien recevoir de
toi me donne envie de pleurer. J'adresse cette espèce
de lettre chez Victor parce que j'ignore s'il est bon
que je t'écrive chez ton père.
Je vous serre l'un et l'autre, dans mes bras, sans mi-
séricorde.
Léon Bloy.
— S?>
—
LETTRE IX
MONperdu
cher ami, je
pour toujours
sens bien que maintenant j'ai
le droit de te faire des re-
proches. Ma négligence est encore plus coupable que
la tienne n'était désolante. Vraiment ! on pourrait
croire que nous sommes les plus grands ennemis de la
terre, tellement nous sommes ingénieux à nous tour-
menter l'un l'autre. Mais quels amis nous devons être,
ô mon Georges bien-aimé, pour avoir jusqu'à ce jour
si cruellement, si parfaitement réussi! Hélas! de tou-
— 54 —
connais pas de pensée fausse qui soit aussi parfaite-
ment bête que celle-là. C'est précisément le contraire
qui est vrai. Il faudrait écrire un livre de génie pour
démontrer cette
vérité, pourtant
si vulgaire, qu'il
faut avoir souf-
fert pour être ca-
pable d'amour.
L'amour est un
acte de la vo-
lonté mais la
,
droits de son
pauvre cœur qui
n existent pas encore douleur entre afin
et où la
qu'ils soient. C'est pour cela que le martyre, c'est-
à-dire l'acceptation complète de toute la douleur pos-
sible, précipite en un instant l'âme dans l'amour par-
fait sans passer même par l'imitation laborieuse de la
pénitence. Nous avons tous vu cela dans l'histoire des
saints et nous l'avons plus ou moins compris. Mais il
paraît évident que Dieu ici ne fait pas tout d'une ma-
nière surnaturelle et que ce sont là les lois mêmes de
l'être humain. Oh mon Dieu que de grandes cho-
! !
:>:)
ses on pourrait dire sur la douleur envisagée méta-
physiquement. Pour moi je ne cesse d'y penser et plus
je considère cette grande et inflexible nécessité de nos
cœurs que l'homme rencontre partout « statue muette
et en larmes toujours devant lui » plus je la trouve
belle, bienfaisante, sainte et divine. Elle est cette clef
de diamant avec laquelle je suis entré dans mon pro-
pre cœur elle est ce saint voile empreint de la Face
;
- S6
-
Faber un admirable mot qui, d'ailleurs, a été cité par-
tout. (( Sur le Calvaire, des milliers d'âmes dans les
bras de Marie, ont découvert combien il était bon
d'avoir le cœur brisé, car la déchirure de leur cœur
leur faisait voir Dieu. » Sainte Douleur je te bénis et
je t'appelle comme une libératrice, comme une mère
forte et attentive et je ne veux pas que les créatures
m'éloignent et meconsolent de toi! Je sais d'ailleurs
qu'il y a une véritable consolation profondément ca-
chée, il est vrai et cependant à notre portée, dans ce
renoncement à toute consolation humaine. C'est dans
les ténèbres de la nature que nous trouvons réelle-
ment le voisinage de Jésus. C'est lorsque les créatu-
res chéries sont absentes, ô mon tendre ami, que nous
sommes soutenus dans l'embrassement sensible du
Créateur. Les créatures apportent l'obscurité avec el-
les partout 011 elles s'introduisent. Par la tendresse
qu'elles nous inspirent elles nous gênent, interceptent
les grâces, cachent Dieu, nous privent des consola-
tions spirituelles, nous rendent languissants et irrita-
bles. Elles remplissent tellement nos sens extérieurs
que nos sens intérieurs sont incapables d'agir. Nous
désirons souvent que notre vie soit plus divine. Mais
elle l'est en réalité plus que nous le croyons. C'est la
Douleur qui nous révèle cela. La douleur nous en-
ferme dans la Volonté de Dieu comme dans une
tombe ;
elle nous environne comme le linceul d'une
nuit profonde elle resserre graduellement notre ho-
;
— 57
—
autre ; nous devenons de moins en moins distraits.
^ y
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%y w ^^a^î"- <«. ^^ Bmjh Z j;_
ix r^ -
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\ 'V>< ^ ilK ^ ^ 3
58 —
seulement il était éclipsé par le faux éclat des créatu-
res. Il paraît enfin, dans la nuit, comme les étoiles.
La lune blanche du midi ne nous séduit pas par sa
beauté. C'est seulement dans la nuit qu'elle nous
charme. De même c'est l'obscurité d'un Calvaire spi-
rituel qui répand sur nos âmes la douce clarté de no-
tre admirable Sauveur.
Je connais beaucoup une âme qui a souffert long-
temps et cruellement de diverses manières. Cette âme
s'est imaginée un jour que l'amour des créatures
pourrait la consoler. Mais elle ne voyait pas que son
cœur avait acquis une sensibilité, une délicatesse si
exquise que la moindre affection était désormais ca-
pable de le pénétrer et de le transpercer entièrement.
Elle ne voyait pas cela et elle a jeté son cœur dans ce
gouffre. Aujourd'hui, elle travaille à le reconquérir
et Dieu, Dieu seul, voit et connaît ce tourment. Ce
Cœur blessé saigne dans la main du Père céleste. Ce-
lui-ci le consolera. Nul autre ne le pourrait faire !
— 59
—
même dans les ténèbres, comme la lune qui brille à
traversun brouillard. S'il n'y a pas alors assez de lu-
mière pour guider la marche, il y en a du moins assez
pour garantir contre les surprises.
Je ne finirais pas si je voulais décrire les merveil-
leux effets de la Douleur sur les facultés de l'homme
et sur son cœur elle est rauxiliaire de la création.
;
— 60 —
nous arrive, ce qui est implicite dépasse toujours ce
qui est exprimé. C'est ce que nous voulons dire quand
nous parlons d'une douleur croissante. Ce n'est pas la
Douleur qui croît, c'est l'appréciation que nous en
faisons et ce progrès tient à l'imperfection de nos es-
prits. De là vient que nous paraissons souvent plus
héroïques que nous ne le sommes réellement. Nous
ne portons de notre fardeau que ce que nous en voyons
et nous n'en voyons qu'une portion. Notre Père cé-
leste le fait descendre sur nous graduellement en par-
tageant le poids entre sa propre main et nos épaules
jusqu'à ce que l'habitude nous rende capables de sup-
porter la pression entière sans être écrasés... Nous ne
pouvons jamais aller aussi vite que le présent par l'in-
telligence ou par le sentiment. C'est ainsi que les dou-
leurs sont pour la plupart moins pénibles à supporter
qu'elles ne le semblent ;car nous les supportons par
degrés, presque à notre insu. Sais-tu pourquoi Jésus-
Christ a tant souffert ? Je vais essayer de t'en donner
en deux mots une idée inouïe. C'est parce que dans
son âme, tout le temps de sa vie, il y eut une identité
parfaite du présent, du passé et de l'avenir. Cela est
particulièrement frappant à l'agonie du Jardin des
Oliviers. Mais cette pensée est un goufifre...
O mon ami, mon pauvre ami Georges, je prévois
de telles choses dans l'avenir, que je voudrais te faire
bien comprendre la nécessité chrétienne de soufïrir.
Accepter le présent, ce n'est rien, mais accepter l'a-
venir! Dans la plupart des cas, les afflictions prévues
sanctifient plus que celles qui ne le sont pas. Cou-
— 6i —
verte d'ombre, la vie devient plus douce, elle devient
plus céleste pendant l'éclipsé de la terre. L'affliction
prévue s'accorde mieux avec les lois ordinaires de la
Grâce c'est un procédé moins périlleux que ces ter-
;
— 62 —
malheureuses âmes au martyre qui n'ont pas Tair
d'être très résignées et qui sont cependant sublimes
devant Dieu, tout simplement parce qu'elles ne se
laissent pas tomber dans le désespoir. En général, la
vie est insupportable. Voilà la vérité et le sérieux des
choses. Si je ne faisais pas la Communion très sou-
vent, je t'assure que je mourrais de dégoût. D'ailleurs,
il y a un mot de M. de Saint-Bonnet, mot terrible pour
- 63 -
SOYONS DEVENUS IMMORTELS AVANT QUE L'HEURE DE
NOTRE JUGEMENT ARRIVE. Qu'il t'en souvienne, cela
est le triple fond de la doctrine. Enfin tu me dis qu'il
entre peut-être de l'orgueil dans ton appréciation.
Certes tu peux le croire. Il y entre surtout beaucoup
!
- 64 -
pre. Notre-Seigneur Jésus-Christ et le confesseur ne
font pas tout. 11 faut que toi, le Pénitent, tu essaies
de voler un peu de tes propres ailes. Dieu a donné la
liberté à l'âme de l'homme. C'est pour qu'il en use.
Il faut beaucoup lire les livres capables de te donner
de l'admiration pour Dieu, de te provoquer à l'amour.
Tu de l'imagination, eh bien! lis les livres élo-
as
quents les sermons et les méditations de Bossuet,
:
— 6; —
vais aussi pauvre que lorsque je l'ai quitté, mais peut-
être avec un peu plus de courage et de confiance en
Dieu qui, je l'espère, me fortifiera. Je t'expliquerai à
loisir comment un plus long séjour ici m'est devenu
impossible. Mais quelle chose étrange! J'ai beaucoup
souffert à Périgueux, j'ai beaucoup désiré de le quit-
ter et voici qu'au momentde partir, je sens que mon
cœur se brise. La joie de vous revoir, mes bons et fidè-
les amis, cette joie que j'aurais jugée capable de me
consoler de tout, n'adoucit en aucune manière l'amer-
tume affreuse et inexplicable de ce départ. J'avais
déjà pris racine. Hélas que je suis admirablement
!
Léon-Marie Bloy.
— 66 —
LETTRE X
— 67 —
choses que tu oses me dire. J'ai lu tes lettres à
M. d'Aurevilly qui m' a dit Ecrivez à Georges qu'il
:
j'y compte.
Je t'embrasse.
Léon-Marie Bloy.
~ 6S
LETTRE XI
mon
Tumême le vois, cher Georges,
détestable histoire.
c'est
Toujours des lettres
toujours la
-69 -
naturellement de ne pas t'écrire et tu as l'air de dire
ou plutôt tu dis assez nettement que ma continuelle
préoccupation est de t'écrire des lettres qui soient des
chefs-d'œuvre et que les chefs-d'œuvre sortant généra-
lement fort peu, c'est la raison de la rareté extrême de
mes lettres. Eh bien après quand cela serait Tu
! ! !
Lundi, 7.
— 72 —
Il est convenu qu'à ton arrivée il nous emmènera,
Je t'embrasse.
Léon-Marie Bloy.
82, rue Vaneau.
7j
—
LETTRE XII
Mardi, 23 novembre.
Jb
Le latin et Thistoire, voilà ton programme. Je n'en
connais pas de meilleur pour toi. Je ne te regarde pas
- 76 -
vis ainsiconsumé du désir de rattraper le temps per-
du frémis à la pensée des regrets mortels que tu
et je
te prépares par ta négligence.
Envisage bien ceci que tu es condamné au talent.
:
vaut de l'or.
Rochefort est élu. Il a acheté ce triste et dangereux
honneur au prix de bassesses inouïes jusqu'à lui. Mais
il est trop engagé. Il a promis entre autres choses
— 77
—
qu'on l'empalera. Je n'ai pas besoin de te dire avec
quels transports de joie j'en accueillerai la nouvelle.
L'ouverture de la session législative a lieu le 29 no-
vembre. Il faut s'attendre à quelque chose d'inouï.
Le parlementarisme tombe dans le pugilat et les pra-
tiques de carrefour. Je te conseille de suivre ces in-
téressantes discussions. C'est une page d'histoire qui
en vaut bien une autre et qui certainement t'amusera.
Au revoir, mais je t'en prie, écris-moi des lettres un
peu plus longues.
Léon Bloy.
78
tre.As-tu lu l'article de M. d'Aurevilly sur Lessing
dans le Constitutionnel ?
M. Flaubert vient de vomir un roman ignoble.
M. d'Aurevilly a fait un article sur lui. Il paraîtra
aujourd'hui ou demain dans le Constitutionnel.
— 79
—
LETTRE XIII
— So —
En attendant, je te prie
d'aller voir Mme Bodin. Il
me faut ses prières et celles
de sa mère. Rappelle à Mme Bo-
din que ma mère l'a plusieurs
fois appelée sa fille et que c'est à
titre de frère que je lui demande
de prier pour moi. Un seul homme,
un prêtre sait à quel point je
suis malheureux.
Dans huit jours, va voir
Puyjalon, 34, rue des Bou-
langers, à un coin de la rue
Monge. Il te verra avec plai-
sir — que je sois instruit par
toi de la marche de ses af-
faires.
Si tu m'aimes, va tous les
mercredis à l'autel de Saint
Joseph à N.-D. des Victoires.
Fais brûler un cierge de dix
sous et prie à ma place avec le plus
de ferveur que tu pourras.
Fais savoir à d'ilbzac que je suis ici, tu es assuré de
le trouver entre 6 heures et 6 h. 1/2 tous les soirs. Je
lui demande des prières au nom de Notre Sauveur.
Quant à Puyjalon tu le trouveras entre 8 et 9 tous
les soirs.
Maintenant, mon pauvre Georges, il faut, toi, Vic-
tor et Michel me pardonner ma fuite. Je ne voulais
pas être combattu ni retardé. Cependant j'ai essayé
de te voir samedi, on doit te l'avoir dit.
Je supplie Victor surtout de ne pas me juger avec
trop de rigueur. Le fait relatif à Blavet qui a déter-
miné mon départ n'a été qu'une goutte d'acide prus-
sique dans un verre plein de poison et près de débor-
der.
Ma démission est conçue dans de tels termes, qu'elle
ne peut, en aucune façon, lui nuire. Il doit se considé-
rer comme dégagé de toute solidarité.
Au revoir, je l'espère.
Ecris-moi bientôt.
LÉON Bloy,
à la Grande Trappe,
par Mortagne (Orne).
Léon Bloy.
— 82
LETTRE XIV
- 83 -
dernière de mes évolutions. Tout ce
dont je charge est extrêmement im-
te
portant ne le fais ou si tu le
et si tu
fais mal il peut arriver que tu me
frappes au cœur.
Ma lettre de lundi dernier était,
je crois, comme mon âme, pas-
sablement haletante et dévorée.
Je suis arrivé ici désespéré !
\^='
donné de faire une bonne retraite et je vais la conti-
nuer. J'ai reçu hier matin, avec un profond sentiment
religieux, la sainte communion au milieu des moi-
nes. Il m'a semblé que les flammes de l'Esprit-Saint
entraient enmoi avec le Corps de Jésus-Christ. J'ai
prié violemment, ardemment, j'ai retourné contre
Dieu les langues de feu de la Pentecôte et cela pour
vous, mes chers amis, pour toi mon Georges et très
particulièrement pour M. d'Aurevilly, le créancier
de mon espérance éternelle. Ne crois pas que la vie
religieuse soit si éloignée de mon âme J'ai des sou-
!
— S; —
fer de Paris, ce n'est pas possible. Je ne tiens pas du
tout à la littérature. J'écrirai dans le cœur de Dieu,
ce sera très populaire dans le ciel et très éternel.
Georges, si tu es mon ami, écris-moi immédiate-
nent après avoir vu Puyjalon (34, rue des Boulan-
gers). Il estabsolument nécessaire que je sache mon
sort d'une m.anière certaine. Le Père Abbé revient de
Rome et sera ici dans deux ou trois jours. Il faudra
alors de toute nécessité, puisque mon séjour se pro-
longe, que je lui fasse connaître mes intentions. Tu
vois dans quel embarras ton silence pourrait me plon-
ger. Vois donc Puyjalon, sonde-le presse-le, fais-lui
,
Léon Bloy.
— 86
LETTRE XV
- 87 -
par pitié m'écrire un mot. Si vous saviez combien je
suis malheureux, vous auriez tous pitié de moi et vous
m'écririez. Vous m'écririez autre chose que des récri-
minations ou des reproches. Il y a quelque chose dans
ma vie que vous ne pouvez savoir. Eh bien dans !
Mon Georges,
- 89 -
velle preuve de ton amitié. Mon pauvre Georges, ne
dis pas trop de mal de moi, je suis malheureux. Si
tu y pensais, tu verrais qu'il est dur pour moi de ne
recevoir de tes nouvelles que lorsque tu me rends un
service. J'avais dit à M. d'Aurevilly dans ma lettre
que celui de mes amis qui consentirait à m'envoyer
ses articles parus depuis le 2 juin, jour de ma dispa-
rition, me rendraitun fier service.
Que le bon Dieu vous bénisse, mes amis, et vous
fasse avoir pitié de moi.
Le chagrin me fait étrangement souffrir. J'ai été
couché une partie de la semaine.
Je vais mieux.
Ton ami.
Léon Bloy.
90 —
LETTRE XVII
Cher ami,
— 93
—
du monde virent venir le déluge quand il n'était plus
temps d'y échapper.
Tout ce qui m'arrivera à Paris, envoie-le-moi im-
médiatement.
Ton ami,
Léon Bloy.
- 94 —
LETTRE XVIII
me deman-
TUder une longue
m'écris des billets de six lignes pour
Je vais donc essayer
lettre. Soit.
de t'écrire cette, longue lettre. Il est vrai que je sais à
peine comment j'y parviendrai. Mes pensées ne t'inté-
ressent que bien faiblement depuis que tu as aliéné
ta liberté. Enfin, à la grâce de Dieu Je ne veux pas
!
— 95
—
de m'en étonner. Mais je m'en afflige, à cause des
résultats. Je t'ai vu très près du grand Amour, main-
tenant tu
as déva-
1 é soi-
xante
mille
marches
et tu en
es au pe-
tit. Il est
impossi-
ble que
tu ne
sentes
pas cette
d i ff é -
r e n c e
énorme
et qu'elle ne te fasse pas souffrir...
...Ici, chaque jour depuis un mois sur la
je vais
tombe de cet homme admirable, mort en accomplis-
sant pour toi son dernier pèlerinage, et pour qui tu
n'as pas trouvé dans ton cœur l'aumône d'une com-
munion ou peut-être même d'une simple prière. De-
puis longtemps l'abbé de Moidrey, âme cachée dont
la splendeur sera connue quand Dieu manifestera la
gloire de ses saints obscurs, depuis déjà bien long-
temps l'abbé de Moidrey a cessé de souffrir. J*en
ai reçu l'assurance. J^ ne prie donc pas pour lui,
96
mais pour toi, pour M. d'A... et pour moi.
je le prie
— 97
—
que raison d'exister des Missionnaires de la Salette,
on se demande pourquoi ils existent et l'abbé se le
demandait sans cesse. De là, les rages. Un effort quel-
conque pour expliquer ou pour comprendre ce Dis-
cours, qu'ils ont pourtant le devoir de répandre et
d'interpréter, est regardé par eux comme une en-
treprise ridicule ou scandaleuse.
Si les pasteurs sont tels, que faut-il dire du trou-
peau ? Tu me dis que tu ne peux croire que l'Evéne-
ment doive se produire à une é'poqu& déterminée.
D'abord, je te fais remarquer que le seul mot d'Evé-
nement que je prononce Avènement, suppose néces-
sairement une époque déterminée. Mais il ne s'agit
pas de cela et tu le sais bien. Il s'agit simplement de
n'être pas des déserteurs et des lâches, surtout en pré-
sence de l'ennemi et c'est justement le fait de pres-
que tous les catholiques.
Il y a une loi d'équilibre divin, appelée la commu-
nion des Saints, en vertu de laquelle le mérite ou le
démérite d'une âme, d'une seule âme est réversible
sur le monde entier. Cette loi fait de nous absolu-
ment des dieux et donne à la vie humaine des pro-
portions du grandiose le plus ineffable. Le plus vil
goujat porte dans le creux de sa main des millions
de cœurs et tient sous son pied des millions de têtes
de serpents. Cela il le saura au dernier jour. Un
homme qui ne prie pas fait un mal inexprimable en
toute langue humaine ou angélique. Le silence des
lèvres est bien autrement épouvantable que le silence
des astres. ^
- 98 -
Pour moi, j'ignore encore ce que Dieu veut faire
de ma vie. Mais je sais très bien que le monde est in-
finiment près du plus étrange renversement. Je ne
dis pas destruction, je dis renversement... bout pour
99
mot rêver être l'inventeur de la Pompéi chrétienne,
voilà, je pense, la plus magnifique ambition littéraire
qui se puisse humainement concevoir et dont la réali-
sation ne demanderait, après tout, que de l'héroïsme
et du génie. Mais il n'est plus temps, les sages et les
prophètes du passé le sauront bientôt. J'ai eu ici de
joyeux et de tristes jours, mais au total je dois re-
connaître que la Sainte Vierge m'a beaucoup donné, un
assez grand nombre de points obscurs sont devenus
lumineux. Aujourd'hui je crois savoir ce que c'est
que la Salette.
Ici je suis forcé d'arrêter ma lettre soi-disant lon-
gue que j'aurais voulu faire plus longue encore. Je
pars, non pour Paris, mais pour Paray-le-Monial où
je serai lundi i8, fête de l'Evangéliste de la Sainte
Vierge. J'y passerai vraisemblablement trois jours. Im-
médiatement après, si rien ne me détourne, je rega-
gnerai Paris.
J'ai écrit à Victor pour qu'il te recommandât mon
linge. Si tu l'as donné à la blanchisseuse, hâte-toi de
le retirer, car je n'en aurais pas en arrivant.
Annonce mon retour à M. d'Aurevilly.
Je t'embrasse.
Léon Bloy.
— 100
.
LETTRE XIX
Jeudi ij.
Cher ami,
ICI —
Or cette traduction d'une naïveté si profonde et si
lumineuse me serait infiniment utile, parce qu'elle
équivaut pour moi à une exégèse angélique.
Ce cher livre, que j'ai payé si cher, l'ayant acheté
au vieux Wihl, d'un incunable amèrement regretté,
pourquoi ne me le rendrais-tu pas ? Si je te l'ai vrai-
ment donné, ce que je ne sais plus, pourquoi ne me le
donnerais'tu pas, à ton tour ?
Léon Bloy
I02
LETTRE XX
20 février 91.
— 103 —
transporté et jeme suis efforcé de lui être agréable en
lui exprimant le plus simplement que j'ai pu mon
admiration. Je veux croire qu'il aura le bon sens de ne
soupçonner en cette démarche aucune arrière-pen-
sée.
C'est ton tour maintenant. Tu m'accuses peut-être
déjà. Mais il faut comprendre ce retard et l'expliquer
par l'immense trouble de ma vie. Tu as dû sentir qu'il
s'accomplissait pour moi quelque chose d'étrange-
ment Songe que je suis à une distance énorme
décisif.
de Paris et de la France, que je vis avec ma femme et
chez la mère de ma femme comme en un rêve au fond
d'une campagne très solitaire, peuplée surtout de cor-
beaux innombrables qui tiennent leur conciles dans
le voisinage de la maison, jusqu'à me réveiller la nuit.
Rollinat ne manquerait pas d'imaginer ici du fan-
tastique. Il y a simplement beaucoup de froid et beau-
coup de mélancolie. Je me sens si loin de tout, même
de Copenhague, qui est un centre après tout et une
grande ville, où je me suis senti presque désespéré. Je
ne puis apprendre un mot de la langue et je ne sau-
rais faire un pas sans le truchement de quelqu'un. La
nourriture même me déconcerte parfois. Il est vrai
que beaucoup de gens entendent un peu le français,
et qu'une sympathie évidente est l'accueil de tout
Français en ce pays.
Mais je suis un solitaire jusqu'au jour oii je grim-
perai sur le tréteau du conférencier. Car tu Tas de-
viné, sans doute, je n'ai pas d'autre parti à prendre.
Aussitôt qu'une certaine lettre impatiemment atten-
— 104 —
due m'aura fixé sur quelques points essentiels, je com-
mencerai.
On m'affirme qu'un certain succès de curiosité n'est
pas impossible et j'ai pu observer par moi-même l'a-
vidité plus ou moins intelligente du public danois
pour les choses françaises. J'étais avant-hier à Copen-
hague avec ma femme. Nous avons été entendre dans
léglise catholique un dominicain, le Père Lange, éco-
lier du Père Didan, qui fait courir les gens. On va voir
sa robe blanche qui est dans ce pays une sorte de pro-
dige et on se donne l'air de savoir le français, ce qui
passe pour infiniment distingué. Si ces protestants
comprenaient exactement ce que leur débite ce père,
il est vraisemblable que sa vogue diminuerait. Les
braves gens peuvent croire qu'ils sont en présence
d'un prêtre catholique venu pour confesser audacieu-
sement sa foi. Or il n'en est rien. Ce dominicain les
trompe et les vole ignoblement. Il leur parle de Re-
nan, de la Science, des documents évangéliques, de
l'existence de Dieu, etc. Tu vois cela. Pas un mot de
l'Eglise, ni des saints, ni de Marie. Rien, excepté la
robe, qui puisse faire soupçonner qu'on est en pré-
sence d'un vrai prêtre. C'est la politique de la lâ-
cheté. Le misérable avait honte de Jésus-Christ. Nous
étions suffoqués de dégoût et d'indignation à nous
voir ainsi représentés et nous partîmes avant la fin, au
risque de déranger tout le monde. J'avais immédia-
tement résolu d'envoyer, dès le lendemain, comme ca-
tholique, une protestation aux principaux journaux
de Copenhague; j'y ai renoncé en songeant qu'il se-
10.
rait pour ma conscience, d'éloigner ainsi
terrible
quelques âmes que l'imbécile parole de ce religieux
rassemble tout de même au pied de l'autel.
Mais j'ai vu dans cette occasion le prestige assuré
— io6 —
le Gil Blas de lundi. Ainsi du reste. 11 faut donc
compter une semaine entière pour l'aller et le retour
d'un courrier. Rends-moi le service de voir Victor
et de lui faire lire cette lettre qui est presque autant
pour lui que pour toi. Je ne pourrais sans impru-
dence multiplier beaucoup mes lettres, vu l'état ac-
tuel de mes finances. Je n'oublie cependant aucun de
mes vieux amis, et l'absence totale de tout apéritif
dans les pays du Nord me fait penser quelquefois
avec attendrissement à la divine absinthe du café de
Versailles.
Mafemme a écrit hier à Mlle X. Offre-lui le bon-
jour de ma part et prie-la de me rappeler à sa mère.
Je voudrais en même temps que tu ne parlasses pas
de mes affaires, si tu peux t'en empêcher. Je crois
inutile, sinon dangereux, qu'on sache que je veux
faire des conférences. Rappelle-toi que c'est le moyen
unique jusqu'à présent, qui me soit donné de sortir
du gouffre et qu'un obstacle sérieux venu de Paris me
casserait à moitié les reins.
Je vais envoyer à Deschamps une étude sur le livre
d'Hérisson. Je pense que tu reçois régulièrement la
Plume.
Donne bonjour à Girard et embrasse Guérin
le
pour Son amitié est admirable...
moi...
Je cherche vainement de quelles commissions je
pourrais t'accabler. Cela viendra, sans doute, si mon
séjour ici se prolonge. En attendant je te serre dans
mes bras.
Ton Léon Bloy.
— 107 —
P.-S. — Une dernière prière. Ecris-moi, ne fût-ce
que peu de lignes. Je n'espère pas que tu le fasses. Je
veux me défendre de l'espérer. Mais je crois que ce
serait œuvre de miséricorde. Tu as été loin de la
France et captif. Tu sais ce que vaut alors une lettre
même banale.
Dis à Guérin de faire passer un exemplaire de la
Chevalière à Félix Jeantet, 3, rue Duguay-Trouin, eu
lui faisant part de mon voyage.
Je ne veux pas fermer cette lettre sans revenir sur
cette impression de tristesse légère dont j'ai parlé et
qui est, en somme, plus extérieure que profonde.
La famille de ma femme est infiniment douce et
tendre pour moi. On est à mille lieues de supposer
que je puisse être un homme de peu d'importance ou
un bohème, ainsi que certaines personnes ont la bonté
de le croire à Paris.
Je suis ici profondément respecté et parfaitement
aimé. On me sait pauvre et jusqu'à ce jour sans suc-
cès, mais comme on sait les véritables raisons de tout
cela et qu'on les comprend admirablement on m'en
estime davantage et on se persuade que l'avenir me
donnera ma vraie place.
Donc nulle tristesse de ce côté-là, bien au contraire.
Si Paris était moins loin, ma joie serait parfaite.
Ma femme me charge de t'envoyer son plus affec-
tueux bonjour.
— 108
LETTRE XXI
24 mars 91.
— 109 —
visible et plus touchante. Mais ma situation — deve-
nue meilleure aujourd'hui —
me semblait terrible.
Un homme d'imagination moins vive en eût été épou-
vanté.
Je veux croire que tu n'as pas l'enfantillage d'être
jaloux de ce pauvre Guérin. Ce que j'ai pu t'écrire à
son sujet n'était qu'une taquinerie... Mais tu le sais,
il y a entre nous des choses d'âme trop anciennes et
— III —
que peut être en cette langue l'imitation de Zola qui
s'y pratique, paraît-il, avec rage. Il en résulte, m'as-
sure-t-on, d'inexprimables cochonneries. J'ai donc
pris aussitôt parti, avec l'autorité très grande ici, d'un
(( littérateur français » pour les antinaturalistes et
ma conférence de vendredi —
parlote qui a duré près
d'une heure —
n'était encore qu'une présentation de
ma personne et un exposé de mes doctrines. Cela a
suffi pour déterminer un intérêt assez vif. J'ai déjà
des ennemis.
Mais aussi j'ai des amis. Le plus grand éditeur de
Copenhague veut publier cette semaine ma première
harangue dont je viens de lui envoyer le manuscrit,
car tu devines bien que j'apprends à peu près par
cœur. Il publiera également celles qui suivront. Je
fais annoncer partout une série d'entretiens sur la lit-
térature française contemporaine, deux fois par se-
maine, à partir du mardi de Pâques. Ce jour-là, je
commencerai par Zola, dans le sens que j'ai dit plus
haut. On s'attend à une tempête. Tant mieux j'aurai
du monde et je gagnerai enfin quelques sommes dont
j'ai un besoin terrible.
112
J'enverrai à tout le monde mes conférences à me-
sure qu'elles seront imprimées. Je prie Deschamps
d'en publier des extraits. Ce sera drôle. On saura à
Paris que je suis ici pour déshonorer littérairement
Zola, Daudet, Maupassant, Concourt, etc., et pour
exalter quelques autres, tels que Huysmans, qu'on
ignore à Copenhague, mais que je veux faire con-
naître.
Devines-tu l'agacement, l'inquiétude et même la
rage d'un Daudet apprenant que je continue contre
lui dans les pays Scandinaves, où je serai écouté, mon
ancienne besogne de démolisseur?
Ceci est, par conséquent la dernière lettre longue
que tu recevras de moi, car je vais être tué de travail.
J'attends un envoi de quelques livres que j'ai deman-
dés à Guérin. De ton côté, examine bien ce qui peut
m'être utile comme documents et expédie-moi ce qui
te paraîtra devoir me servir, livres ou journaux. Je
t'en supplie.
As-tu vu le dernier livre de Darien ? Il y a sur
moi quatre pages magnifiques ? Le dernier numéro
de la Plume a dû t'ofifrir mon « Prince Noir » l'étude
que tu m'avais conseillée sur le livre d'Hérisson. Je
voudrais bien savoir si cela te plaît...
Léon Bloy.
— 113 — 8
LETTRE XXII
20 avril 91,
— IT4 —
pas content. Tu te désespères. Le courage te manque
pour affronter les 3 ou 4 semaines de mise en train. On
est obligé de te remonter chaque jour comme une hor-
loge détraquée. Il faut que Mlle X... aille te voir de
temps en temps pour cela. Avoue que c'est un peu
honteux. Avoue-le, je t'en supplie. Fais cela pour
moi. Et tu te plains encore de ne pas être adoré des
femmes. Ah ! mon pauvre ami !...
— 115 —
trois semaines j'ai travaillé nuit et jour? qu'il m'a fallu
non seulement écrire la matière de deux cents pages,
mais encore apprendre à moitié par cœur, trouver des
effets de comédien et qu'enfin, j'ai réussi à me faire
passer pour un orateur du plus grand talent ?
Je t'assure qu'il m'a fallu une sacrée énergie, car tout
cela me dégoûtait ferme. Mais tu sais combien il est
nécessaire que je réussisse, tu sais quel fardeau je porte.
Je réussirai donc, ou je mourrai à la peine. Mais je
veux réussir et j'en ai le ferme espoir.
Remarque bien que tout cet effort est à recommen-
cer. Les recettes ont été dérisoires, malgré le succès
presque immense, ayant été forcé de remplir ma salle
avec des billets de faveur pour me faire connaître.
Par bonheur j'ai devant moi une semaine pendant
laquelle je vais pouvoir me tuer de travail et de démar-
ches, en vue d'une seconde série plus fructueuse. J'at-
tends une lettre d'audience chez l'une des princesses
royales, une d'Orléans et une Française catholique,
bonne femme, dit-on. Je vais lui demander simple-
ment d'assurer mon succès en attirant la cour à mes
conférences pour lesquelles je viens d'obtenir une
vaste salle à l'Université. Ce serait alors le succès
complet et je te prie de croire que j'irais trouver le
Diable si c'était nécessaire.
Je sais bien, hélas ! qu'il est à peu près impossible
d'obtenir de toi une lettre, à moins de t'accabler d'in-
jures atroces et j'y suis aujourd'hui peu disposé. Ton
énergie ne va pas au delà d'une carte postale, cou-
tume ignoble qui m'exaspère.
— ii6 —
Je veux encore espérer cependant que, pour une fois,
tu auras l'héroïsme de me répondre sérieusement. Tu
te souviendras peut-être que je suis un ami de vingt-
cinq ans. J'ai besom que tu me répondes.
D'abord et avant tout il s'agit de Huysmans, lequel
paraît avoir sur toi une influence beaucoup plus con-
sidérable que la mienne. Il m'a empêché d'assister aux
derniers moments de mon pauvre Villiers, qui n'était
devenu son ami que par moi, je te prie de le croire.
Aura-t-il le pouvoir de détourner ton âme de la
mienne ? C'est une question.
Autre chose. Je t'envoie le Prince Noir corrigé
pour l'imprimeur de S... Tu sais que j'avais donné
à S... un manuscrit de la Chevalière et qu'il con-
sentait à l'imprimer. Cet opuscule suivi du Fumier
des Lys, que je lui ai déjà remis, et du Prince Noir
que voici, pourrait, je crois, faire une assez jolie
plaquette de 200 pages dans le genre du Brelan, ou
mieux, du Christophe Colomb.
Puisque tu te réjouissais de pouvoir servir tes amis
dans ta nouvelle situation, c'est le moment d'agir. J'ai
besoin de savoir, oui ou non, si S... publie la Che-
valière, dont je suis sans nouvelles depuis mon départ.
Je ne puis croire que les vingt exemplaires belges (ti-
rages de revue) marqués au prix de dix francs, puis-
sent être un obstacle à une édition sérieuse. Je te prie
donc de presser cet homme indolent et de me rensei-
gner au plus tôt. ,
désespérant.
— 117 —
Autre chose encore. Pour cela, il est inutile d'écrire.
Il me faut immédiatement les Névroses pour une con-
férence. Tu as dit à Guérin que tu m'enverrais volon-
tiers les livres que je te demanderais. Je te demande
celui-là de la manière la plus pressante. L'exemplaire
relié que tu possèdes me serait précieux à cause de l'ar-
ticle d'Aurevilly qui est collé en tête. De plus on n'au-
rait pas besoin d'acheter un exemplaire. Si tu peux te
décider à un tel sacrifice, envoie ce beau volume re-
commandé. Tu le verras revenir de la même façon
avant un mois.
Sinon, achète la brochure et expédie-la. Mais je
perdre un instant. Ton inexactitude me
t'en prie, sans
causerait un très grand dommage.
J'ai fini. Maintenant je me jette au travail de mes
conférences prochaines.
Ma femme t'envoie le bonjour le plus affectueux et
moi je te serre la main.
Léon Bloy.
— ii8 —
LETTRE XXIII
15 mai 91.
121
Tu parles d'abord de mon attitude « agressive » alors
que mon attitude était strictement défensive, ce qui est
juste le contraire.
Ensuite tu écris ceci :
122
rimprimeur pour être publiée dans le n' de la Plume
devant paraître le 15, c'est-à-dire aujourd'hui même.
L'article sur Là-Bas Je prie Des-
est parti hier soir.
champs de le faire passer le i'" long
juin. C'est le plus
et peut-être le plus important travail que j'aie publié
jusqu'à présent dans la Plume.
Il te déplaira, parce que tu aimes Huysmans, j'en
ai peur, beaucoup plus que la Vérité et la Justice. Les
choses, assez dures pourtant, que tu m'as écrites sur
son livre, quand tu les retrouveras dans le fracas de
ma prose, te feront horreur, j'en suis persuadé. Tu es
sipeu libre que la modération la plus inouïe dans le
blâme ne t'empêcherait pas de supposer en moi l'es-
prit de vengeance.
Je saisdonc ce qui m'attend et je me résigne.
Ma femme a eu de très bonnes couches et tout le
monde se porte bien.
J'ai pris des informations en Suède et en Russie.
Elles sont de telle nature que je dois renoncer à mes
projets de conférences.
Je resterai donc ici, sans le sou, exposé à la plus
horrible nostalgie, dévoré d'inquiétudes et je ferai
mon roman {La Femme Pauvre) comme je pourrai.
Ce n'est pas très drôle.
Il ne me déplaît pas, cependant, de me sentir dé-
sormais incapable de me délivrer moi-même et par
conséquent tout à fait dans la main de Dieu.
Jeanne t'envoie le bonjour et moi je te serre dans
mes bras.
Léon Bloy.
— 123 —
P.-S. — J'attends toujours les épreuves de la Che-
valière.
Oui, tu trouveras mon article bien atroce, mais
il l'aurait été bien davantage si ma femme ne m'avait
pas retenu.
Si celui que tu sais avait été le profond habile
qu'il veut être, il lui eût été facile de me désarmer
à l'avance: i° en répondant amicalement à ma lettre;
2° en ne m'oubliant pas lors de son interview.
— 124
LETTRE XXIV
12
Puis je suis assez malheureux moi-même pour que
ma compassion n'ait rien d'humiliant.
Si la souffrance des autres pouvait avoir quelque
chose de consolant, ce serait, tu en conviendras, un
fameux secours de songer à la vie effrayante qui a
été mon partage.
Nous nous sommes connus dans la douleur et notre
amitié a été enfantée dans la douleur. C'est pour cela
que je t'ai dédié Tun de mes livres —
en souvenir de
Notre-Seigneur Jésus-Christ.
Puisque je ne sais rien de ta peine, puis-je faire
autre chose aujourd'hui que d'en appeler à ce « Sou-
venir ».
La vie pour nous est affreuse, mais il faut bien que
notre christianisme nous serve à quelque chose.
Si nous ne savons pas prier, ayons du moins la
volonté que nos souffrances intercèdent pour nous.
Que puis-je te dire, mon
pauvre Georges! J'ai moi-
même le cœur si souffrantque je crains de répandre
moins de baume que d'amertume.
Est-ce la mort ou le danger mortel de quelqu'un
des tiens qui t'afflige ? La
bêtise inouïe de S... t'ex-
pose-t-elle à perdre ton gagne-pain? On m'écrit que
cet homme à qui l'expérience ne profite pas, vient
de publier un livre qui le tue. Si tu m'aimais en la
manière que je t'aime, tu m'écrirais certainement
pour me tirer d'incertitude.
Je t'assure, mon ami, que je n'ai pas besoin d'an-
goisses supplémentaires. Ma
part est copieuse. Si cet
ignoble Péladan exécute sa menace, il pourra me
— 126 —
nuire beaucoup, car je prévois bien que la plupart
de ceux qui auraient le devoir et le pouvoir de parler
utilement pour moi m'abandonneront. Coppée, qui
sait toute la vérité et qui fut l'ami de d'Aurevilly,
comme il est l'ami de Mlle X..., aurait dû répondre
sur-le-champ à la France pour démentir ce pourceau
qui a l'audace de le mettre en cause.
Je me défendrai pourtant. Guérin, chargé pour moi
de quelques démarches, te dira ce que j'ai fait.
Je t'écris d'une petite ville où j'ai été appelé pour
quelques conférences qui me sont payées, mais mon
adresse est toujours à Bagsvœrd.
Ma souffrance la plus dure, je te prie de le croire,
c'est d'être en exil par le seul fait de ma misère.
Penses-tu quelquefois à ce qu'il peut y avoir
d'amertume dans une telle situation?
Salue de ma part tous nos amis et que Dieu nous
aide les uns et les autres.
Je t'embrasse.
Léon Blov.
127
LETTRE XXV
13 juin 91.
— 128 —
condition toutefois de ne pas perdre un seul jour. Il
est bien entendu que je ne peux compter que sur toi,
S... n'ayant d'activité que pour des sottises qui fini-
— 129 —
Si tu n'avais pas rame et la volonté en charpie,
mon pauvre Georges, ton amitié pour moi te ferait
comprendre qu'il est désormais absolument néces-
saire que je sois indépendant et que tout le monde
me sache indépendant. L'article sur Là-Bas devrait
t'avertir du changement qui opéré en moi.
s'est
— 130 —
journaux qui pourraient m'intéresser. Tu sais que les
injures et les calomnies surtout me sont précieuses.
Je t'embrasse.
Léon Bloy.
P.-S. —
11 me semble que pour économiser du
temps on pourrait m'envoyer la mise en pages de
tout le petit volume. Je la renverrais le lendemain
corrigée avec soin et je ne demanderais pas une
seconde épreuve, si je pouvais compter sur la fidélité
du typo.
Commissions. —
Envoie-moi un Désespéré tout de
suite, au plus juste prix. Guérin te le réglera.
Dis au même Guérin d'envoyer à ma femme un
exemplaire broché dudit Désespéré qu'il trouvera
facilement rue Dombasle, et ainsi dédié: à Mademoi-
selle Johanne Molbech. Hommage respectueux.
Léon Bloy.
I ^^I
LETTRE XXVI
13 août 91.
Cher ami,
— 132 —
vendre au rabais à n'importe quel bouquiniste, ce
dont je doute fort qu'il ait le droit. On ne compren-
drait pas très bien que mon autorisation lui fût inu-
tile pour cette opération insensée, alors qu'elle lui
— 133 —
solument ! Il suffira d'un petit cahier en tête du vo-
lume ;
— 134 —
mans. 11 est si peu exact que
j'aie piétiné sauvage-
ment comme tu qu'au contraire j'ai sacrifié
le dis,
les choses les plus importantes, m'efforçant de rester
exclusivement littéraire. J'ai dit qu'il avait abusé des
idées ou documents de diverses natures que je lui ai
fournis pendant des années —
ce qui est rigoureuse-
ment exact. Si j'avais voulu être féroce, j'aurais pu ne
pas effacer ceci, par exemple, que j'avais écrit en épi-
graphe:
(( Les mains d'une infante, les mains' d'un évêque,
allons donc! Huysmans a les mains d'un bossu. Vil-
liers de l'Isle-Adam. » Etc., etc., etc.
Du haut de ta sagesse, tu me traites en enfant, ce
qui est un peu comique.
Je t'ai vainement fait interroger par Guérin au
sujet de Girard, qui m'a écrit en réponse à une lettre
amicale une carte insolente. Ta sagesse ne paraît pas
avoir compris que cela est grave et que toute amitié
entre lui et moi est finie —
à moins que je ne reçoive
de lui-même des explications COMPLÈTES ? expli-
cations qui seront certainement curieuses de la part
d'un jeune homme trop sage, j'en ai bien peur, qui
croit qu'on peut être en même temps l'ami intime
d'un homme et l'ami intime de l'ennemi de cet
homme.
Voilà tout, je pense — tout le monde va bien,
excepté moi.
Je t'embrasse.
Léon Bloy.
— 135 —
LETTRE XXVII
12 septembre 91.
— 136 —
et e]ui ne peut compter, pour ne pas crever d'an-
goisse, que sur l'exactitude et la fidélité de ses amis.
Puis, ce système de brûler mes lettres est un peu
irritant. Un peu, n'est-ce pas? Tâche donc d'ima-
giner un procédé plus blessant pour l'amitié. Je t'en
défie. Il faudrait au moins ne pas le dire.
— 137 —
éditeur et je n'oublie pas qu'alors il a été un ami
pour moi. Mais depuis, tu sais ce que j'ai souffert
par lui.
Tu me dis qu'il est un homme excellent. Comment
dire cela d'un homme qui ment sans cesse?
Je comprends très bien qu'étant son employé, tu
fasses de ses ifitéréts les tiens, et je vois que j'ai eu
tort de t'adresser Demay. Cependant, tu parais croire
que je suis moralement lié à lui et qu'il y aurait de
ma part une sorte d'indélicatesse à choisir un autre
acquéreur de l'édition S..., parce que je lui ai
vendu 200 exemplaires de l'édition Soirat. Je serais
curieux de t'entendre expliquer ce sophisme.
D'ailleurs, puisque tu reconnais toi-même que
S... est un éditeur insensé, tu devrais être le premier
à me me
semble, du moins, qu'en
conseiller la fuite. Il
cette occasion, notre ancienne amitié devrait passer
avant ton zèle d'employé.
J'ai reçu hier matin le paquet de prospectus dont
je suis très satisfait...
Ton ami.
Léon Bloy.
- 138 -
J'envoie en même temps que cette lettre un paquet
contenant l'imprimé de la Chevalière. Cela vaudra
mieux pour Timprimeur de Savine que le manuscrit
défectueux que je lui ai donné. Cet imprimé est ar-
raché du Ma(jasin littér. de Gand.
Tu as bien compris. Voici l'ordonnance de la bro-
chure:
La Chevalière de la Mort.
Le Fumier des Lys.
Le Prince noir.
Il me semble que tout cela devrait être sur la cou-
verture.
La Chev. en gros caractères rouges et les deux
autres titres en petites majuscules noires.
Nota bene. — La dédicace que j'ai effacée sur la
première page devra figurer au commencement du
volume, en belle page.
— 139
LETTRE XXVIII
FIN
TABLE
Préface q
Lettre I ii
— II 17
— III 24
— IV 26
— V .
27
— VI 30
— VII 33
— VIII 42
— IX 54
— X 67
— XI 69
— XII 74
— XIII 80
— XIV 83
— XV 87
— XVI Sq
— XVII 93
— XVIII 95
Lettre XIX . . loi
— XX 103
— XXI 109
— XXII 114
— XXIII 121
— XXIV 125
— XXV 128
— XXVI 152
— XXVII 136
— XXVIII 140
ACHEVE D IMPRIMER A PARIS
LE CINQ JUILLET MIL NEUF
CENT VINGT PAR l'iMPRIMERIE
DIÉVAL POUR EDOUARD-JOSEPH
ÉDITEUR
PLEASE DO NOT REMOVE
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PQ Bloy, Léon
2198 Lettres de jeunesse
B18Z56 (1870-1893)