Augustin - La Cité de Dieu Livre 19
Augustin - La Cité de Dieu Livre 19
Augustin - La Cité de Dieu Livre 19
Ce livre traite de la fin de chacune des deux cits. On y examine les thories des
philosophes sur le souverain bien, et leurs vains efforts pour se faire eux-
mmes en cette vie une flicit parfaite. Tout en rfutant soigneusement ces
doctrines, saint ugustin montre en !uoi consiste la flicit du chrtien, ce
!u"elle peut tre dans la vie prsente, ce !u"on a droit d"esprer !u"elle sera dans
la vie future.
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$uis!u"il me reste traiter de la fin de chacune des deux cits, 5e dois d"abord
rapporter en peu de mots les raisonnements o6 s"garent les hommes pour
aboutir se faire une batitude parmi les mis7res de cette vie8 5e dois en mme
temps faire voir, non-seulement par l"autorit divine, mais encore par la raison,
combien il y a de diffrence entre les chim7res des philosophes et l"esprance
!ue /ieu nous donne ici-bas et !ui doit tre suivie de la vritable flicit. )es
philosophes ont agit fort diversement la !uestion de la fin des biens et des
maux
9
, et se sont donn beaucoup de peine pour trouver ce !ui peut rendre
l"homme heureux. Car la fin suprme, !uant notre bien, c"est l"ob5et pour
le!uel on doit rechercher tout le reste et !ui ne doit tre recherch !ue pour lui-
mme8 et !uant notre mal, c"est aussi l"ob5et pour le!uel il faut viter tout le
reste et !ui ne doit tre vit !ue pour lui-mme. insi, par la fin du bien, nous
n"entendons pas une fin o6 il s"puise 5us!u" n"tre plus, mais o6 il s"ach7ve
pour atteindre sa plnitude, et pareillement par la fin du mal , nous ne voulons
pas parler de ce !ui dtruit le mal , mais de ce !ui le porte son comble. Ces
deux fins sont donc le souverain bien et le souverain mal, et c"est pour les
trouver !ue se sont beaucoup tourments, comme 5e le disais, ceux !ui, parmi les
vanits du si7cle, ont fait profession d"aimer la sagesse. (ais, !uoi!u"ils aient
err en plus d"une fa:on, la lumi7re naturelle ne leur a pas permis de
1. Ici, comme dans tout le cours du livre XIX, il est clair que saint
Augustin se souvient du trait bien connu de Cicron qui porte pour titre:
De finibus bonorum et malorum, cest--dire e la lin derni!re o" tendent
les biens et les mau#.
s"loigner tellement de la vrit !u"ils n"aient mis le souverain bien et le
souverain mal, les uns dans l";me, les autres dans le corps, et les autres dans
tous les deux. /e cette triple division, ,arron, dans son livre De la Philosophie
9
,
tire une si grande diversit de sentiments, !u"en y a5outant !uel!ues lg7res
diffrences , il compte 5us!u" deux cent !uatre-vingt-huit sectes, sinon relles,
du moins possibles.
,oici comment il proc7de< = %l y a, dit-il, !uatre choses !ue les hommes
recherchent naturellement, sans avoir besoin de ma>tre ni d"art, et !ui sont par
cons!uent antrieures la vertu ?la!uelle est tr7s-certainement un fruit de la
science
@
A< premi7rement, la volupt, !ui est un mouvement agrable des sens8 en
second lieu, le repos, !ui exclut tout ce !ui pourrait incommoder le corps8 en
troisi7me lieu, ces deux choses runies, !u"'picure a mme confondues sous le
nom de volupt
B
8 enfin, les premiers biens de la nature, !ui comprennent tout ce
!ue nous venons de dire et d"autres choses encore, comme la sant et l"intgrit
des organes, voil pour le corps, et les dons varis de l"esprit, voil pour l";me.
Or, ces !uatre choses, volupt, repos, repos et volupt, premiers biens de la
nature, sont en nous de telle sorte !u"il faut de trois choses l"une< ou rechercher
la vertu pour elles, ou les rechercher pour la vertu, ou ne les rechercher !ue pour
elles-mmes8 et de l naissent douCe sectes. ce compte, en effet, chacune est
triple, comme 5e vais le faire voir pour une d"elles, apr7s !uoi il ne sera pas
difficile de s"en assurer pour les autres. 1ue la volupt
1. $uvrage perdu.
%. &ur la question, tant controverse par les anciens, si la verts peut, ou
non, 'tre enseigne, vo(e) *laton +dans le Protagoras et le Mnon, et
*lutarque en son trait: Que la vertu est chose qui senseigne.
-. .e mot d/picure est edone.
?D@EA
du corps soit soumise, prfre ou associe la vertu, cela fait trois sectes. Or,
elle est soumise la vertu, !uand on la prend pour instrument de la vertu. insi,
il est du devoir de la vertu de vivre pour la patrie et de lui engendrer des enfants,
deux choses !uine peuvent se faire sans volupt. (ais !uand on prf7re la
volupt la vertu, on ne recherche plus la volupt !ue pour elle-mme8 et alors
la vertu n"est plus !u"un moyen pour ac!urir ou pour conserver la volupt, et
cette vertu esclave ne mrite plus son nom. Ce syst7me inf;me a pourtant trouv
des dfenseurs et des apologistes parmi les philosophes. 'nfin, la volupt est
associe la vertu, !uand on ne les recherche point l"une pour l"autre, mais
chacune pour elle-mme. (aintenant, de mme !ue la volupt, tour tour
soumise, prfre ou associe la vertu, a fait trois sectes, de mme le repos, la
volupt avec le repos, et les premiers biens de la nature, en font aussi un gal
nombre, sui vaut !u"elles sont soumises, prfres ou associes la vertu, et
ainsi voil douCe sectes. (ais ce nombre devient double en y a5outant une
diffrence, !ui est la vie sociale. 'n effet, !uicon!ue embrasse !uel!u"une de
ces sectes, ou le fait seulement pour soi, ou le fait aussi pour un autre !u"il
s"associe et !ui il doit souhaiter le mme avantage. %l y aura donc douCe sectes
de philosophes !ui ne professeront leur doctrine !ue pour eux-mmes, et douCe
!ui l"tendront leurs semblables, dont le bien ne les touchera pas e moins !ue
leur bien propre. Or, ces vingt-!uatre sectes se doublent encore et montent
5us!u" !uarante-huit, en y a5outant une diffrence prise des opinions de la
nouvelle cadmie
9
. /e ces vingt-!uatre opinions, en effet, chacune peut tre
soutenue comme certaine, et c"est ainsi !ue les -toFciens ont prtendu !u"il est
certain !ue le souverain bien de l"homme ne consiste !ue dans la vertu, ou
comme incertaine et seulement vraisemblable, comme ont fait les nouveaux
acadmiciens. ,oil donc vingt-!uatre sectes de philosophes !ui dfendent leur
opinion comme assure, et vingt-!uatre autres !ui la soutiennent comme
douteuse. 4ien plus, comme chacune de ces !uarante-huit sectes peut tre
embrasse, ou en suivant la mani7re de vivre des autres philosophes, ou en
1. &ur la nouvelle Acadmie, vo(e) ci-apr!s.
suivant celle des cyni!ues, cette diffrence les double encore et en fait !uatre-
vingt-seiCe. 5outeC enfin cela !ue, comme on peut embrasser chacune d"elles,
ou en menant une vie tran!uille, l"exemple de ceux !ui, par goGt ou par
ncessit, ont donn tous leurs moments l"tude, ou bien une vie active, la
mani7re de ceux !ui ont 5oint l"tude de la philosophie au gouvernement de
l"'tat, ou une vie mle des deux autres, tels !ue ceux !ui ont donn une partie
de leur loisir la contemplation et l"autre l"action, ces diffrences peuvent
tripler le nombre des sectes et en faire 5us!u" deux cent !uatre-vingt-huit H.
,oil ce !ue 5"ai recueilli du livre de ,arron le plus succinctement et le plus
clairement !u"il m"a t possible, en m"attachant sa pense sans citer ses
expressions. Or , de dire maintenant comment cet auteur, apr7s avoir rfut les
autres sectes, en choisit une !u"il prtend tre celle des anciens acadmiciens, et
comment il distingue cette cole, suivant lui dogmati!ue, dont $laton est le chef
et $olmon le !uatri7me et dernier reprsentant, d"avec celle des nouveaux
acadmiciens !ui rvo!uent tout en doute, et !ui commencent rcsilas,
successeur de $olmon
9
8 de rapporter, dis-5e, tout cela en dtail, aussi bien !ue
les preuves !u"il all7gue pour montrer !ue les anciens acadmiciens ont t
exempts d"erreur comme de doute, c"est ce !ui serait infiniment long, et
cependant il est ncessaire d"en dire un mot. ,arron re5ette donc d7s l"abord
toutes les diffrences !ui ont si fort multipli ces sectes , et il les re5ette parce
!u"elles ne se rapportent pas au souverain bien. -uivant lui, en effet, une secte
philosophi!ue n"existe et ne se distingue des autres, !u" condition d"avoir une
opinion propre sur le souverain bien. Car l"homme n"a d"autre ob5et en
philosophant !ue d"tre heureux8 or, ce !ui rend heureux, c"est le souverain bien
, et par cons!uent toute secte !ui n"a pas pour aller au souverain
1. .cole acadmique, qui tire son nom dun g(mnase situ au# 0ardins
dAcadmus, pr!s duquel 1abitait *laton, embrasse une priode de
quatre si!cles, depuis *laton 0usqu Antioc1us. .es uns admettent trois
acadmies: lancienne, celle de *laton, la mo(enne, celle dArcsilas, la
nouvelle, celle de Carnade. .es autres en admettent quatre, savoir,
avec les trois prcdentes, celle de *1ilon. autres en2in a0outent une
cinqui!me acadmie, celle dAntioc1us, ma3tre de 4arron, de .ucullus et
de Cicron. 5 *armi ces distinctions, une seule est importante, celle qui
spare *laton et ses vrais disciples, &peusippe et Xnocrate, de cette
2amille de 2au# platoniciens, de demi-sceptiques dont Arcsilas est le
p!re et A.ntioc1us le dernier membre considrable.
?D@EA
bien sa propre voie n"est pas vraiment une secte philosophi!ue. insi, !uand on
demande si le sage doit mener une vie civile et sociale et procurer son ami tout
le bien !u"il se procure lui-mme, ou s"il ne doit rechercher la batitude !ue
pour soi, il est !uestion, non pas du souverain bien, mais de savoir s"il y faut
associer !uel!ue autre avec soi. /e mme, !uand on demande s"il faut rvo!uer
toutes choses en doute comme les nouveaux acadmiciens, ou si l"on doit les
tenir pour certaines avec les autres philosophes, on ne demande pas !uel est le
bien !u"on doit rechercher, mais s"il faut douter ou non de la vrit du bien !ue
l"on recherche. )a mani7re de vivre des cyni!ues, diffrente de celle des autres
philosophes, ne concerne pas non plus la !uestion du souverain bien8 mais, la
supposant rsolue, on demande seulement s"il faut vivre comme les cyni!ues.
Or, il s"est trouv des hommes !ui, tout en pla:ant le souverain bien en
diffrents ob5ets, les uns dans la vertu et les autres dans la volupt, n"ont pas
laiss de mener le genre de vie !ui a valu aux cyni!ues leur nom
9
. insi, ce !ui
fait la diffrence entre les cyni!ues et les autres philosophes est tranger la
!uestion de la nature du souverain bien. utrement, la mme mani7re de vivre
impli!uerait la mme fin poursuivie, et rcipro!uement, ce !ui n"a pas lieu.
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/e mme, lors!u"on demande si l"on doit embrasser la vie active ou la vie
contemplative, ou celle !ui est mle des deux, il ne s"agit pas du souverain
bien, mais du genre de vie le plus propre l"ac!urir ou le conserver. /u
moment, en effet, !ue l"homme est suppos parvenu au souverain bien, il est
heureux8 au lieu !ue la paix de l"tude, ou l"agitation des affaires publi!ues, ou
le mlange de cette agitation et de cette paix, ne donnent pas immdiatement le
bonheur. Car plusieurs peuvent adopter l"un de ces trois genres de vie et se
tromper sur la nature du souverain bien. Ce sont donc des !uestions
1. Allusion certains /picuriens et m'me certains &to6ciens qui se
rapproc1aient beaucoup des c(niques dans leur mani!re de vivre.
enti7rement diffrentes !ue celle du souverain bien, !ui constitue cha!ue secte
de philosophes, et celles de la vie civile, de l"incertitude des acadmiciens, du
genre de vie et du vtement des cyni!ues, enfin des trois sortes de vie, l"active,
la contemplative et le mlange de l"une et de l"autre. C"est pour!uoi ,arron,
re5etant ces !uatre diffrences !ui faisaient monter les sectes pres!ue au nombre
de deux cent !uatre-vingt-huit, revient aux douCe, o6 il s"agit uni!uement de
savoir !uel est le souverain bien de l"homme, afin d"tablir !u"une seule, parmi
elles, contient la vrit, tout le reste tant dans l"erreur. 'carteC en effet les trois
genres de vie, les deux tiers du nombre total sont retranchs, et il reste !uatre-
vingt-seiCe sectes. OteC la diffrence !ui se tire des cyni!ues, elles se rduisent
la moiti, !uarante-huit. OteC encore la diffrence relative la nouvelle
cadmie, elles diminuent encore de moiti, et tombent vingt-!uatre. OteC
enfin la diffrence de la vie solitaire ou sociale, il ne restera plus !ue douCe
sectes, nombre !ue cette diffrence doublait et portait vingt-!uatre. 1uant
ces douCe sectes, on ne peut leur contester leur !ualit, puis!u"elles ne se
proposent d"autre recherche !ue celle du souverain bien. Or, pour former ces
douCe sectes, il faut tripler !uatre choses< la volupt, le repos, le repos et la
volupt, et les premiers biens de la nature, attendu !ue chacune d"elles est
soumise, prfre ou associe la vertu, ce !ui donne bien douCe pour nombre
total. (aintenant, de ces !uatre choses, ,arron en Kte trois, la volupt, le repos,
le repos 5oint la volupt, non !u"il les improuve, mais parce !u"elles sont
comprises dans les premiers biens de la nature. /e sorte !u"il n"y a plus !ue
trois sectes examiner8 car ici, comme en toute autre mati7re, il ne peut y en
avoir plus d"une !ui soit vritable, et ces trois sectes consistent en ce !ue l"on y
recherche soit les premiers biens de la nature pour la vertu, soit la vertu pour les
premiers biens de la nature, soit chacune de ces deux choses pour elle-mme.
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,oici comment ,arron proc7de< il consid7re !ue le souverain bien !ue cherche
la philosophie n"est pas le bien de la plante, ni de la bte, ni de /ieu, mais de
l"homme8 d"o6 il conclut !u"il faut savoir d"abord ce !ue c"est !ue l"homme. Or,
il croit !u"il y a deux parties dans la nature humaine< le corps et l";me, et ne
doute point !ue l";me ne soit beaucoup plus excellente !ue le corps. (ais de
savoir si l";me seule est l"homme, en sorte !ue le corps soit pour elle ce !ue le
cheval est au cavalier, c"est ce !u"il prtend !u"on doit examiner< le cavalier, en
effet, n"est pas tout ensemble l"homme et le cheval, mais l"homme seul, !ui
pourtant s"appelle cavalier, cause de son rapport au cheval. /"un autre cKt, le
corps seul est-il l"homme, avec !uel!ue rapport l";me, comme la cou peau
breuvageM car ce n"est pas le vase et le breuvage tout ensemble, mais le vase
seul !u"on appelle coupe, condition toutefois !u"il soit fait de mani7re
contenir le breuvage. 'nfin, si l"homme n"est ni l";me seule, ni le corps seul,
est-il un compos des deux, comme un attelage de deux chevaux n"est aucun des
deux en particulier, mais tous les deux ensembleM ,arron s"arrte ce parti, ce
!ui l"am7ne conclure !ue le souverain bien de l"homme consiste dans la
runion des biens de l";me et de ceux du corps. %l croit donc !ue ces premiers
biens de la nature sont dsirables pour eux-mmes, ainsi !ue la vertu, cet art de
vivre !u"enseigne la science et !ui est, parmi les biens de l";me, le bien le plus
excellent. )ors donc !ue la vertu a re:u de la nature ces premiers biens, !ui sont
antrieurs toute science, elle les recherche pour soi, en mme temps !u"elle se
recherche soi-mme, et elle en use comme elle use de soi, de mani7re y trouver
ses dlices et sa 5oie, se servant de tous, mais plus ou moins, selon !u"ils sont
plus ou moins grands, et sachant mpriser les moindres, !uand cela est
ncessaire pour ac!urir ou pour conserver les autres. Or, de tous ces biens de
l";me et du corps %% n"en est aucun !ue la vertu se prf7re, parce !u"elle sait user
comme il faut et de soi et de tout ce !ui rend l"homme heureux8 au contraire, o6
elle n"est pas, les autres biens, en !uel!ue abondance !u"ils se trouvent, ne sont
pas pour le bien de celui !ui les poss7de, parce !u"il en use niai. )a vie de
l"homme est donc heureuse, !uand il 5ouit et de la vertu et, parmi les autres
biens de l";me et du corps, de tous ceux sans les!uels la vertu ne peut subsister.
'lle est encore plus heureuse, !uand il poss7de d"autres biens dont la vertu n"a
pas absolument besoin8 enfin, elle est tr7s-heureuse, lors!u"il ne lui man!ue
aucun bien, soit de l";me, soit du corps. )a vie, en effet, n"est pas la mme
chose !ue la vertu, puis!ue toute sorte de vie n"est pas vertu, mais celle-l
seulement !ui est sage et rgle< et cependant une vie, !uelle !u"elle soit, peut
tre sans" la vertu, au lieu !ue la vertu ne peut tre sans la vie. On peut en dire
autant de la mmoire et de la raison< elles sont en l"homme avant la science, et la
science ne saurait tre sans elles, ni par cons!uent la vertu, puis!u"elle est un
fruit de la science. 1uant aux avantages du corps, comme la vitesse, la beaut, la
force, et autres semblables, bien !ue la vertu puisse tre sans eux, comme eux
sans elle, toutefois ce sont des biens8 et selon ces philosophes, la vertu les aime
pour l"amour d"elle-mme, et s"en sert ou en 5ouit avec biensance.
%ls disent !ue cette vie bienheureuse est aussi une vie sociale, !ui aime le bien de
ses amis comme le sien propre et leur souhaite les mmes avantages !u" elle-
mme soit !u"ils vivent dans la mme maison, comme une femme, des enfants,
des domesti!ues, ou dans la mme ville, comme des citoyens, ou dans le monde,
ce !ui comprend le ciel et la terre, comme les dieux dont ils font les amis du
sage et !ue nous sommes accoutums appeler les anges. 'n outre, ils
soutiennent !ue sur la !uestion du souverain bien et du souverain mal, il n"y a
lieu aucun doute, par o6 ils prtendent se sparer des nouveaux acadmiciens.
Car peu leur importe, d"ailleurs, !uelle sorte de vie on choisira pour atteindre le
souverain bien, soit celle des cyni!ues, soit toute autre. 'nfin, !uant aux trois
genres de vie dont nous avons parl, la vie active, la vie contemplative et le
mlange des deux, c"est celle-ci !ui leur pla>t davantage. ,oil donc la doctrine
de l"ancienne cadmie, telle !ue ?D@NA ,arron la re:ut d"ntiochus
9
, !ui fut
aussi le ma>tre de Cicron, !uoi!ue celui-ci le rattache plutKt l"cole stoFcienne
!u" l"cadmie8 mais cela nous importe peu, puis!ue nous cherchons moins
distinguer les diverses opinions des hommes !u" dcouvrir la vrit sur le fond
des choses.
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CO.T&' )'- $#%)O-O$#'- 1*% O.T C&* )' T&O*,'& '. '*0-
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-i l"on nous demande !uel est le sentiment de la Cit de /ieu sur tous ces
points, et d"abord touchant la fin des biens et des maux, elle-mme rpondra !ue
la vie ternelle est le souverain bien et la mort ternelle le souverain mal, et
!u"ainsi nous devons t;cher de bien vivre, afin d"ac!urir l"une et d"viter
l"autre. %l est crit = )e 5uste vit de la foi
@
H 'n effet, en cette vie, nous ne
voyons point encore notre bien, de sorte !ue nous le devons chercher par la foi,
n"ayant pas en nous-mmes le pouvoir de bien vivre, si celui !ui nous a donn la
foi dans son assistance ne nous aide croire et prier. $our ceux !ui ont cru !ue
le souverain bien est en cette vie, !u"ils l"aient plac dans le corps ou dans
l";me, ou dans tous les deux ensemble, ou, pour rsumer tous les syst7mes,
!u"ils l"aient fait consister dans la volupt, ou dans la vertu, ou dans l"une et
l"autre8 dans le repos, ou dans la vertu, ou dans l"un et l"autre8 dans la volupt et
le repos, ou dans la vertu, ou dans tout cela pris ensemble8 enfin dans les
premiers biens de la nature, ou dans la vertu, ou dans ces ob5ets runis, c"est en
tous cas une trange vanit d"avoir plac leur batitude ici-bas, et surtout de
l"avoir fait dpendre d"eux-mmes. )a ,rit se rit de cet orgueil, !uand elle dit
par un proph7te< =)e -eigneur sait !ue les penses des hommes sont vaines, ou
comme parle l"apKtre saint $aul< = )e -eigneur conna>t les penses des sages et
il sait !u"elles sont vaines
D
H.
1uel fleuve d"lo!uence suffirait drouler
1. 7ous avons dit plus, 1aut quAntioc1us 2ut le c1e2 dune cinqui!me
acadmie. Il tait dAscalon et 2lorissait au premier si!cle avant 8sus-
C1rist. &on trait distincti2 est davoir essa( une alliance entre les trois
plus grandes coles de lantiquit: lAcadmie, le .(ce et le *ortique.
4o(e) sur Antioc1us la rcente monograp1ie de 9. C1apuis. *aris,
1:;<.
%. =abacuc, II, <> ?alat. III, 11. 5 -. *s. XCIII, 11. 5 <. I Cor. III, %@.
toutes les mis7res de cette vieM Cicron l"a essay comme il a pu dans la
Consolation sur la mort de sa fille %8 mais !ue ce !u"il a pu est peu de choseP 'n
effet, ces premiers biens de la nature, les peut-on possder en cette vie !u"ils ne
soient su5ets une infinit de rvolutionsM + a-t-il !uel!ue douleur et !uel!ue
in!uitude ?deux affections diamtralement opposes la volupt et au reposA
aux!uelles le corps du sage ne soit exposM )e retranchement ou la dbilit des
membres est contraire l"intgrit des parties du corps, la laideur sa beaut, la
maladie sa sant, la lassitude ses forces, la langueur ou la pesanteur son
agilit8 et cependant, !uel est celui de ces maux dont le sage soit exemptM
)"!uilibre du corps et ses mouvements, !uand ils sont dans la 5uste mesure,
comptent aussi parmi les premiers biens de la nature. (ais !ue sera-ce, si
!uel!ue indisposition fait trembler les membresM !ue sera-ce, si l"pine du dos
se courbe, de sorte !u"un homme soit oblig de marcher !uatre pattes comme
une bteM Cela ne dtruira-t-il pas l"assiette ferme et droite du corps, la beaut et
la mesure de ses mouvementsM 1ue dirai-5e des premiers biens naturels de
l";me, le sens et l"entendement, dont l"un lui est donn pour apercevoir la vrit,
et l"autre pour la comprendreM O6 en sera le premier, si un homme devient sourd
et aveugle8 et le second, s"il devient fouM Combien les frnti!ues font-ils
d"extravagances !ui nous tirent les larmes des yeux, !uand nous les considrons
srieusementM $arlerai-5e de ceux !ui sont possds du dmonM O6 leur raison
est-elle ensevelie, !uand le malin esprit abuse de leur ;me et de leur corps son
grM 't !ui peut s"assurer !ue cet accident n"arrivera point au sage pendant sa
vieM %l y a plus< combien dfectueuse est la connaissance de la vrit ici-bas, o6,
selon les paroles de la -agesse, = ce corps mortel et corruptible appesantit l";me,
et cette demeure de terre et de boue mousse l"esprit !ui pense beaucoup
@
H.
Cette activit instinctive ?!ue les 2recs appellent ormeA galement compte au
nombre des premiers biens de la nature
B
, n"est-elle pas dans les furieux
1. Cet ouvrage est perdu, sau2 un petit nombre de courts 2ragments que
.actance noua a conservs. .e morceau qui se trouve dans les oeuvres
de Cicron sous le nom de Consolation est un pastic1e industrieu# de
quelque cicronien de la renaissance.
%. &ag. IX, 1;.
-. 4o(e) Cicron, De finibus, lib. 4, cap, A> De nat. Deor., lib. II, cap. %%.
?D@QA
la cause de ces mouvements et de ces actions !ui nous font horreurM
'nfin, la vertu, !ui n"est pas au nombre des biens de la nature, puis!u"elle est un
fruit tardif de la science, mais !ui toutefois rclame le premier rang parmi les
biens de l"homme, !ue fait-elle sur terre, sinon une guerre continuelle contre les
vices, 5e ne parle pas des vices !ui sont hors de nous, mais de ceux !ui sont en
nous, les!uels ne nous sont pas trangers, mais nous appartiennent en propreM
1uelle guerre doit surtout soutenir cette vertu !ue les 2recs nomment
sophrosune, et nous temprance , !uand il faut rprimer les apptits dsordonns
de la chair, de peur !u"ils ne fassent consentir l"esprit des actions criminellesM
't ne nous imaginons pas !u"il n"y ait point de vice en nous, lors!ue = la chair,
comme dit l"pKtre, convoite contre l"esprit H8 puis!u"il existe une vertu
directement contraire, celle !ue dsigne ainsi le mme pKtre< = )"esprit
convoite contre la chair H8 et il a5oute< = Ces principes sont contraires l"un
l"autre, et vous ne faites pas ce !ue vous voudrieC
@
H. Or, !ue voulons-nous
faire, !uand nous voulons !ue le souverain bien s"accomplisse en nous, sinon
!ue la chair s"accorde avec l"esprit et !u"il n"y ait plus entre eux de divorceM
(ais , puis!ue nous ne le saurions faire en cette vie, !uel!ue dsir !ue nous en
ayons, t;chons au moins, avec le secours de /ieu, de ne point consentir aux
convoitises drgles de la chair. /ieu nous garde donc de croire, dchirs !ue
nous sommes par cette guerre intestine, !ue nous possdions d5 la batitude
!ui doit tre le fruit de notre victoire t 't !ui donc est parvenu ce comble de
sagesse !u"il n"ait plus lutter contre ses passionsM
1ue dirai-5e de cette vertu !u"on appelle prudenceM Toute sa vigilance n"est-elle
pas occupe discerner le bien d"avec le mal, pour rechercher l"un et fuir
l"autreM Or, cela ne prouve-t-il pas !ue nous sommes dans le mal et !ue le mal
est en nousM .ous apprenons par elle !ue c"est un mal de consentir nos
mauvaises inclinations, et !ue c"est un bien d"y rsister8 et cependant ce mal,
!ui la prudence nous apprend ne pas consentir et
1. B .es ?recs, dit Cicron, appellent sophrosune cette vertu que 0ai
coutume de nommer temprance ou modration, quelque2ois aussi
mesure +Tusculanes, livre III, c1. :, C. Compare) *laton, Rpublique,
livre I4.
%. ?alat. 4, 1D.
!ue la temprance nous fait combattre, ni la temprance, ni la prudence ne le
font dispara>tre. 't la 5ustice, dont l"emploi est de rendre chacun ce !ui lui est
dG
9
?par o6 se maintient en l"homme cet ordre !uitable de la nature, !ue l";me
soit soumise /ieu, le corps l";me, et ainsi l";me et le corps /ieuA, ne fait-
elle pas bien voir, par la peine !u"elle prend s"ac!uitter de cette fonction,
!u"elle n"est pas encore la fin de son travailM )";me est en effet d"autant moins
soumise /ieu !u"elle pense moins lui8 et la chair est d"autant moins soumise
l"esprit !u"elle a plus de dsirs !ui lui sont contraires. insi, tant !ue nous
sommes su5ets ces faiblesses et ces langueurs, comment osons-nous dire !ue
nous sommes d5 sauvsM 't si nous ne sommes pas encore sauvs, de !uel
front pouvons-nous prtendre !ue nous sommes bienheureuxM 1uant la force,
!uel!ue sagesse !ui l"accompagne, n"est-elle pas un tmoin irrprochable des
maux !ui accablent les hommes et !ue la patience est contrainte de supporterM
'n vrit, 5e m"tonne !ue les -toFciens aient la hardiesse de nier !ue ce soient
des maux, en mme temps !u"ils prescrivent au sage, si ces maux arrivent un
point !u"il ne puisse ou ne doive pas le- souffrir, de se donner la mort, de sortir
de la vie
@
. Cependant telle est la stupidit o6 l"orgueil fait tomber ces
philosophes, !ui veulent trouver en cette vie et en eux-mmes le principe de leur
flicit, !u"ils n"ont point de honte de dire !ue leur sage, celui dont ils tracent le
fantasti!ue idal , est tou5ours heureux, dev>nt-il aveugle, sourd, muet, impotent,
afflig des plus cruelles douleurs et de celles-l mmes !ui l"obligent se
donner la mort. O la vie heureuse, !ui, pour cesser d"tre, cherche le secours de
la mortP -i elle est heureuse, !ue n"y demeure-t-on8 et si on la fuit cause des
maux !ui l"affligent comment est-elle bienheureuseM -e peut-il faire !u"on
n"appelle point mal ce !ui triomphe du courage mme, ce !ui ne l"oblige pas
seulement se rendre, mais le porte encore ce dlire de regarder comme
heureuse une vie !ue l"on doit fuirM 1ui est asseC aveugle pour
1. Cest la d2inition consacre par le droit romain: .a 0ustice est une
volont perptuelle et constante de rendre c1acun ce qui lui est dE
+nstit., tit. de 8ustitia et 0ure, C.
%. .cole sto6cienne permettait et m'me en certains cas commandait le
suicide. Caton, Frutus et bien dautres ont pratiqu 0usquen bout ce
quils cro(aient leur droit ou leur devoir.
?D@RA
ne pas voir !ue si on doit la fuir, c"est !u"elle n"est pas heureuseM et s"ils
avouent !u"on la doit fuir cause des faiblesses !ui l"accablent, !ue ne !uittent-
ils leur superbe, pour avouer aussi !u"elle est misrableM ."est-ce pas plutKt par
impatience !ue par courage !ue ce fameux Caton s"est donn la mort, et pour
n"avoir pu souffrir Csar victorieuxM O6 est la force de cet homme tant vantM
'lle a cd, elle a succomb, elle a t tellement surmonte !u"il a fui et
abandonn une vie bienheureuse. 'lle ne l"tait plus , dites-vousM voueC donc
!u"elle tait malheureuse. 't d7s lors, comment ce !ui rend une vie malheureuse
et dtestable ne serait-il pas un malM
ussi les $ripatticiens et ces philosophes de la vieille cadmie, dont ,arron
se porte le dfenseur, ont-ils eu la sagacit de cder sur ce point8 mais leur erreur
est encore trange de soutenir !ue malgr tous les maux, le sage ne laisse pas
d"tre heureux. = )es tortures et les douleurs du corps sont des maux, dit ,arron,
et elles le sont d"autant plus !u"elles prennent plus d"accroissement8 et voil
pour!uoi il faut s"en dlivrer en sortant de la vie H. /e !uelle vie, 5e vous prieM
/e celle, dit ,arron, !ui est accable de tant de maux. 1uoi doncP est-ce de cette
vie tou5ours heureuse au milieu mme des maux !ui doivent nous en faire sortirM
ou ne l"appeleC- vous heureuse !ue parce !u"il vous est permis de vous en
dlivrerM 1ue serait-ce donc si !uel!ue secret 5ugement de /ieu vous retenait
parmi ces maux sans permettre la mort de vous en affranchir 5amaisP lors du
moins serieC-vous obligs d"avouer !u"une vie de cette sorte est misrable. Ce
n"est donc pas pour tre promptement !uitte !u"elle n"est pas misrable,
moins de vouloir appeler flicit une courte mis7re. Certes, il faut !ue des maux
soient bien violents pour obliger un homme, et un homme sage, cesser d"tre
homme pour s"en dlivrer. %ls disent, en effet, et avec raison, !ue c"est le
premier cri de la nature !ue l"homme s"aime soi-mme, et partant !u"il ait une
aversion instinctive pour la mort et cherche tout ce !ui peut entretenir l"union du
corps et de l";me
9
. %l faut donc !ue des maux soient bien violents pour
1. Ce sont presque les e#pressions de Cicron dans le De finibus, lib. 4,
cap ;. Comp. bid., lib. 4, cap. G, et le De officies, lib. I, cap,<.
touffer ce sentiment de la nature et l"teindre ce point !ue nous dsirions la
mort et tournions nos propres mains contre nous-mmes, si personne ne consent
nous la donner. 'ncore une fois, il faut !ue des maux soient bien violents pour
rendre la force homicide, si nanmoins la force mrite encore son nom, alors
!u"elle succombe sous le mal et non-seulement ne peut conserver par la patience
un homme dont elle avait pris le gouvernement et la protection, mais se voit
rduite le tuer. Oui, 5"en conviens, le sage doit souffrir la mort avec patience ,
mais !uand elle lui vient d"une main trang7re8 si donc, suivant eux, il est oblig
de se la donner, il faut !u"ils avouent !ue les accidents !ui
9
"y obligent ne sont
pas seulement des maux, mais des maux insupportables. coup sGr, une vie
su5ette tant de mis7res n"eGt 5amais t appele heureuse, si ceux !ui lui
donnent ce nom cdaient la vrit comme ils c7dent la douleur, au lieu de
prtendre 5ouir du souverain bien dans un lieu o6 les vertus mme, !ui sont ce
!ue l"homme a de meilleur ici-bas, sont des tmoins d"autant plus fid7les de nos
mis7res !u"elles travaillent davantage nous en garantir. -i ce sont donc des
vertus vritables, et il ne peut y en avoir de telles !u"en ceux !ui ont une
vritable pit, elles ne promettent personne de le dlivrer de toutes sortes de
maux8 non, elles ne font pas cette promesse, parce !u"elles ne savent pas mentir8
tout ce !u"elles peuvent faire, c"est de nous assurer !ue si nous esprons dans le
si7cle venir, cette vie humaine, ncessairement misrable cause des
innombrables preuves du prsent, deviendra un 5our bienheureuse en gagnant
du mme coup le salut et la flicit. (ais comment possderait-elle la flicit,
!uand elle ne poss7de pas encore le salutM ussi l"apKtre saint $aul, parlant, non
de ces philosophes vritablement dpourvus de sagesse, de patience, de
temprance et de 5ustice, mais de ceux !ui ont une vritable pit et par
cons!uent des vertus vritables, dit< = .ous sommes sauvs en esprance. Or,
la vue de l"ob5et espr n"est plus de l"esprance. Car !ui esp7re ce !u"il voit
d5M -i donc nous esprons ce !ue nous ne voyons pas encore, c"est !ue nous
l"attendons par la patience H. %l en est de notre bonheur comme de notre salut8
nous ne le
1. Hom. 4III, %<, %;.
?DBSA
possdons !u"en esprance8 il n"est pas dans le prsent, mais dans l"avenir, parce
!ue nous sommes au milieu de maux !u"il faut supporter patiemment, 5us!u" ce
!ue nous arrivions la 5ouissance de ces biens ineffables !ui ne seront traverss
d"aucun dplaisir. )e salut de l"autre vie sera donc la batitude finale, celle !ue
nos philosophes refusent de croire, parce !u"ils ne la voient pas, substituant sa
place le fantKme d"une flicit terrestre fonde sur une trompeuse vertu, d"autant
plus superbe !u"elle est plus fausse.
C#$%T&' ,.
/' ) ,%' -OC%)' 'T /'- (*0 1*% ) T&,'&-'.T, TO*T'
/I-%&4)' 1*"'))' -O%T '. '))'-(O('.
.ous sommes beaucoup plus d"accord avec les philosophes, !uand ils veulent
!ue la vie du sage soit une vie de socit. Comment la Cit de /ieu ?ob5et de cet
ouvrage dont nous crivons prsentement le dix-neuvi7me livreA aurait-elle pris
naissance, comment se serait-elle dveloppe dans le cours des temps, et
comment parviendrait-elle sa fin, si la vie des saints n"tait une vie socialeM
(ais dans notre misrable condition mortelle, !ui dira tous les maux aux!uels
cette vie est su5etteM !ui en pourra faire le compteM 'couteC leurs po7tes
comi!ues< voici ce !ue dit un de leurs personnages avec l"approbation de tout
l"auditoire<
= Te me suis mari, !uelle mis7reP 5"ai eu des enfants, surcro>t de soucisP H
1ue dirai-5e des peines de l"amour dcrites par le mme po7te< = %n5ures,
soup:ons, inimitis, la guerre au5ourd"hui, demain la paix
@
P H )e monde n"est-il
pas plein de ces dsordres, !ui troublent mme les plus honntes liaisonsM 't !ue
voyons-nous partout, sinon les in5ures, les soup:ons, les inimitis et la guerreM
,oil des maux certains et sensibles8 mais la paix est un bien incertain, parce
!ue cheC ceux avec !ui nous la voudrions entretenir, le fond des cUurs nous
reste inconnu, elle conna>trions-nous au5ourd"hui, !ui sait s"il ne sera pas chang
demainM 'n effet, o6 y a-t-il d"ordinaire et o6 devrait-il y avoir plus d"amiti !ue
parmi les
1. Irence, !delphes" acte 4, sc!ne <.
%. 4o(e) l#unuque, acte I, sc!ne 1.
habitants du mme foyerM 't toutefois, comment y trouver une pleine scurit,
!uand on voit tous les 5ours des parents !ui se trahissent l"un l"autre, et dont la
haine longtemps dissimule devient d"autant plus am7re !ue la paix de leur
liaison semblait avoir plus de douceurM C"est ce !ui a fait dire Cicron cette
parole !ui va si droit au coeur !u"elle en tire un soupir involontaire< = %l n"y a
point de trahisons plus dangereuses !ue celles !ui se couvrent du mas!ue de
l"affection ou du nom de la parent. Car il est ais de se mettre en garde contre
un ennemi dclar8 mais le moyen de rompre une trame secr7te, intrieure,
domesti!ue, !ui vous encha>ne avant !ue vous ayeC pu la reconna>tre ou la
prvoirP H /e l vient aussi ce mot de l"'criture, !u"on ne peut entendre sans un
dchirement de coeur< = )es ennemis de l"homme, ce sont les habitants de sa
maison
9
H. 't !uand on aurait asseC de force pour supporter patiemment une
trahison, asseC de vigilance pour en dtourner l"effet, il ne se peut faire
nanmoins !u"un homme de bien ne s"afflige beaucoup ?le trouver en ses
ennemis une telle perversit, soit !u"ils l"aient d7s longtemps dissimule sous
une bont trompeuse, ou !ue, de bons !u"ils taient, ils soient tombs dans cet
ab>me de corruption. -i donc le foyer domesti!ue n"est pas un asile assur contre
tant de maux, !ue sera-ce d"une citM $lus elle est grande, plus elle est remplie
de discordes prives et de crimes, et, si elle chappe aux sditions sanglantes et
aux guerres civiles, n"a-t-elle point tou5ours les redouterM
C#$%T&' ,%.
/' )"'&&'*& /'- T*2'('.T- #*(%.-, 1*./ ) ,I&%TI '-T
CC#I'.
1ue dirons-nous de ces 5ugements !ue les hommes prononcent sur les hommes,
et !ui sont ncessaires l"ordre social dans les cits mme les plus paisiblesM
Triste et misrable 5ustice, puis!ue ceux !ui 5ugent ne peuvent lire dans la
conscience de ceux !ui sont 5ugs8 et de l cette ncessit dplorable de mettre
la !uestion des tmoins innocents, pour tirer d"eux la vrit dans une cause !ui
leur est trang7re. 1ue dirai-5e de la torture !u"on fait subir l"accus pour son
propre faitM On veut savoir s"il est coupable et on commence par le
1. 9att. X, -A.
?DB9A
torturer8 pour un crime incertain, on impose, et souvent un innocent, une peine
certaine, non !ue l"on sache !ue le patient a commis le crime, mais parce !u"on
ignore s"il l"a commis en effetM insi, l"ignorance d"un 5uge est pres!ue tou5ours
la cause du malheur d"un innocent. (ais ce !ui est plus odieux encore et ce !ui
demanderait une source de larmes, c"est !ue le 5uge, ordonnant la !uestion de
peur de faire mourir un innocent par ignorance, il arrive !u"il tue cet innocent
par les moyens mmes !u"il emploie pour ne point le faire mourir
9
. -i, en effet,
d"apr7s la doctrine des philosophes dont nous venons de parler, le patient aime
mieux sortir d la vie !ue de souffrir plus longtemps la !uestion, il dira !u"il a
commis le crime !u"il n"a pas commis. )e voil condamn, mis mort, et
cependant le 5uge ignore s"il a frapp un coupable ou un innocent, la !uestion
ayant t inutile pour dcouvrir son innocence, et n"ayant mme servi !u" le
faire passer pour coupable. $armi ces tn7bres de la vie civile, un 5uge !ui est
sage montera-t-il ou non sur le tribunalM il y montera sans doute8 car la socit
civile, !u"il ne croit pas pouvoir abandonner sans crime, lui en fait un devoir8 et
il ne pense pas !ue ce soit un crime de torturer des tmoins innocents pour le fait
d"autrui, ou de contraindre souvent un accus par la violence des tourments se
dclarer faussement coupable et prir comme tel, ou, s"il chappe la
condamnation, mourir, comme il arrive le plus souvent, dans la torture mme
ou par ses suitesP %l ne pense pas non plus !ue ce soit un crime !u"un accusateur,
!ui n"a dnonc un coupable !ue pour le bien public et afin !ue le dsordre ne
demeure pas impuni, soit envoy lui-mme au supplice, faute de preuves, parce
!ue l"accus a corrompu les tmoins et !ue la !uestion ne lui arrache aucun aveu
*n 5uge ne croit pas mal faire en produisant un si grand nombre de maux, parce
!u"il ne les produit pas dessein, mais par une ignorance invincible et par une
obligation indispensable de la socit civile8 mais si on ne peut l"accuser de
malice, c"est tou5ours une grande mis7re !u"une
1. Il semble vident que 9ontaigne avait la Cit de Dieu sous les (eu#
en crivant son beau passage contre les g1ennes, o" nous citerons
particuli!rement ce trait nergique, aiguis la saint Augustin .... o" il
advient que celui que le 0uge a ge1enn pour ne le 2aire mourir innocent,
il le 2ace mourir innocent et ge1enn C. +#ssais, livre II, c1. ;,.
obligation pareille, et si la ncessit l"exempte de crime, !uand il condamne des
innocents et sauve des coupables , osera-t-on l"appeler bienheureuxM hP !u"il
fera plus sagement de reconna>tre et de haFr la mis7re o6 cette ncessit
l"engage8 et s"il a !uel!ue sentiment de pit, de crier /ieu< = /livreC-moi de
mes ncessits
@
P H
C#$%T&' ,%%.
/' ) /%,'&-%TI /'- ).2*'- 1*% &O($T ) -OC%ITI /'-
#O(('-, 'T /' ) (%-3&' /'- 2*'&&'-, (O(' )'- $)*- T*-T'-.
pr7s la cit, l"univers, troisi7me degr de la socit civile8 car le premier, c"est
la maison. Or, mesure !ue le cercle s"agrandit, les prils s"accumulent. 't
d"abord, la diversit des langues ne rend-elle pas l"homme en !uel!ue fa:on
tranger l"hommeM 1ue deux personnes, ignorant chacune la langue de l"autre,
viennent se rencontrer, et !ue la ncessit les oblige demeurer ensemble,
deux animaux muets, mme d"esp7ce diffrente, s"associeront plutKt !ue ces
deux cratures humaines, et un homme aimera mieux tre avec son chien-
!u"avec un tranger. (ais, dira-t-on, voici !u"une Cit faite pour l"empire, en
imposant sa loi aux nations vaincues, leur a aussi donn sa langue, de sorte !ue
les interpr7tes, loin de man!uer, sont en grande abondance. Cela est vrai8 mais
combien de guerres gigantes!ues, de carnage et de sang humain a-t-il fallu pour
en venir lM 't encore, ne sommes-nous pas au bout de nos maux. -ans parler
des ennemis extrieurs !ui n"ont 5amais man!u l"empire romain et !ui cha!ue
5our le menacent encore, la vaste tendue de son territoire n"a-t-elle pas produit
ces guerres mille fois plus dangereuses, guerres civiles, guerres sociales , flaux
du genre humain , dont la crainte seule est un grand malM 1ue si 5"entreprenais
de peindre ces horribles calamits avec les couleurs !u"un tel su5et pourrait
1. Cette protestation contre la torture, o" &aint Augustin se montre si
touc1ant et si 2ort dans sa modration suprieure de c1rtien et
dv'que, est comme le prlude du cri loquent de$#sprit des lois:
B ...Iant d1abiles gens et tant de beau# gnies ont crit contre cette
pratique, que 0e nose parler apr!s eu#. 8allais dire quelle pourrait
convenir dans les gouvernements despotiques, o" tout ce qui inspire la
crainte entre plus dans les ressorts du gouvernement 0allais dire que les
esclaves, c1e) les ?recs et les HomainsJ 9ais 0entends la voi# de la
nature qui crie contre moi. C +.ivre 4I, c1. 1D,.
%. *s. XXI4, :.
?DB@A
recevoir, mais !ue mon insuffisance ne saurait lui donner, !uand verrait-on la fin
de ce discoursM (ais, dira-t-on, le sage n"entreprendra !ue des guerres 5ustes.
'hP n"est-ce pas cette ncessit mme de prendre les armes pour la 5ustice !ui
doit combler le sage d"affliction, si du moins il se souvient !u"il est hommeM Car
enfin, il ne peut faire une guerre 5uste-!ue pour punir l"in5ustice de ses
adversaires, et cette in5ustice des hommes, mme sans le cort7ge de la guerre,
voil ce !u"un homme ne peut pas ne pas dplorer. Certes, !uicon!ue
considrera des maux si grands et si cruels tombera d"accord !u"il y a l une
trange mis7re. 't s"il se rencontre un homme pour subir ces calamits ou
seulement pour les envisager sans douleur, il est d"autant plus misrable de se
croire heureux, !u"il ne se croit tel !ue pour avoir perdu tout sentiment humain.
C#$%T&' ,%%%.
%) .' $'*T + ,O%& $)'%.' -IC*&%TI, (O(' /.- )"(%T%I /'-
#O..OT'- 2'.-, C*-' /'- /.2'&- /O.T ) ,%' #*(%.'
'-T TO*TO*&- ('.CI'.
Certes, s"il est une consolation parmi les agitations et les peines de la socit
humaine, c"est la foi sinc7re et l"affection rcipro!ue de bons et vrais amis. (ais
outre !u"une sorte d"aveuglement, voisin de la dmence et toutefois tr7s-
fr!uent en cette vie, nous fait prendre un ennemi pour un ami, ou un ami pour
un ennemi, n"est-il pas vrai !ue plus nous avons d"amis excellents et sinc7res,
plus nous apprhendons pour eux les accidents dont la condition humaine est
remplieM .ous ne craignons pas seulement !u"ils soient affligs par la faim, les
guerres, les maladies, la captivit et tous les malheurs !u"elle entra>ne sa suite8
nous craignons bien plus encore, c"est !u"ils ne deviennent perfides et mchants.
't !uand cela arrive, !ui peut concevoir l"exc7s de notre douleur, moins !ue de
l"avoir prouv soi-mmeM .ous aimerions mieux savoir nos amis morts8 et
cependant, !uoi de plus capable !u"une telle perte de nous causer un sensible
dplaisirM Car, comment se pourrait-il faire !ue nous ne fussions Vpoint affligs
de la mort de ceux dont la vie nous tait-si agrableM 1ue celui !ui proscrit cette
douleur, proscrive aussi le charme des entretiens affectueux, !u"il interdise
l"amiti elle-mme, !u"il rompe les liens les plus doux de la socit humaine, en
un mot, !u"il rende l"homme stupide. 't si cela est impossible, comment ne
serions-nous pas touchs de la mort de personnes si ch7resM /e l ces deuils
intrieurs et ces blessures de l";me !ui ne se peuvent gurir !ue par la douceur
des consolations8 car dire !ue ces blessures se referment d"autant plus vite !ue
l";me est plus grande et plus forte, cela ne prouve pas !u"il n"y ait point dans
l";me une plaie gurir. insi, bien !ue la mort des personnes les plus ch7res,
de celles surtout !ui font les liens de la vie, soit une preuve tou5ours plus ou
moins cruelle, nous aimerions mieux toutefois les voir mourir !ue dchoir de la
foi ou de la vertu, ce !ui est mourir de la mort de l";me. )a terre est donc pleine
d"une immense !uantit de maux, et c"est pour!uoi il est crit = (alheur au
monde cause des scandales
9
P H't encore< = Comme l"in5ustice surabonde, la
charit de plusieurs se refroidira
@
H. ,oil comment nous en venons nous
fliciter de la mort de nos meilleurs amis8 notre coeur, abattu par la tristesse, se
rel7ve cette pense !ue la mort a dlivr nos fr7res de tous les maux !ui
accablent les plus vertueux, souvent les corrompent et tou5ours les mettent en
pril.
C#$%T&' %0.
.O*- .' $O*,O.- OT&' --*&I- '. C'TT' ,%' /' )"(%T%I /'-
-%.T- .2'-, C*-' /' ) JO*&4'&%' /'- /I(O.-, 1*% O.T
-* $&'./&' /.- )'*&- $%32'- )'- /O&T'*&- /'- J*0
/%'*0.
1uant aux saints anges, c"est--dire la !uatri7me socit !u"tablissent les
philosophes !ui veulent !ue nous ayons les dieux pour amis, nous ne craignons
pas pour eux ni !u"ils meurent, ni !u"ils deviennent mchants. (ais comme
nous ne conversons pas avec eux aussi famili7rement !u"avec les hommes, et
comme aussi il arrive souvent, selon ce !ue nous apprend l"'criture
B
, !ue -atan
se transforme un ange de lumi7re pour tenter ceux !ui ont besoin d"tre
prouvs de la sorte ou !ui mritent d"tre tromps, la misricorde de /ieu nous
est bien ncessaire pour nous empcher de prendre pour amis les dmons au lieu
des saints anges. ."est-ce
1. 9att. X4III, D.5 %. Ibid. XXI4, 1%. 5 -. II Cor. XI, 1<.
?DBBA
pas encore l une des grandes mis7res de la vie !ue d"tre su5ets cette mpriseM
%l est certain !ue ces philosophes, !ui ont cru avoir les dieux pour amis, sont
tombs dans le pige, et cela para>t asseC par les sacrifices impies !u"on offrait
ces prtendus dieux, et par les 5eux inf;mes !u"on reprsentait en leur honneur et
leur sollicitation
9
.
C#$%T&' 0.
1*'))' &ICO($'.-' '-T $&I$&I' *% -%.T- 1*% O.T
-*&(O.TI )'- T'.TT%O.- /' C'TT' ,%'.
)es saints mmes et les fid7les adorateurs du seul vrai /ieu ne sont pas
couvert de la fourberie des dmons et de leurs tentations tou5ours renaissantes.
(ais cette preuve ne leur est pas inutile pour exciter leur vigilance et leur faire
dsirer avec plus d"ardeur le s5our o6 l"on 5ouit d"une paix et d"une flicit
accomplies. C"est l, en effet, !ue le corps et l";me recevront du Crateur
universel des natures toutes les perfections dont la leur est capable, l";me tant
gurie par la sagesse et le corps renouvel par la rsurrection. C"est l !ue les
vertus n"auront plus de vices combattre, ni de maux supporter, mais !u"elles
possderont, pour prix de leur victoire, une paix ternelle !u"aucune puissance
ennemie ne viendra troubler. ,oil la batitude finale, voil le terme suprme et
dfinitif de la perfection. )e monde nous appelle heureux !uand nous 5ouissons
de la paix, telle !u"elle peut tre en ce monde, c"est--dire telle !u"une bonne vie
la peut donner8 mais cette batitude, au prix de celle dont nous parlons, est une
vritable mis7re. Or, cette paix imparfaite, !uand nous la possdons, !uel est le
devoir de la vertu, sinon de faire un bon usage des biens !u"elle nous procureM
't, !uand elle vient nous man!uer, la vertu peut encore bien user des maux
mmes de notre condition mortelle. )a vraie vertu consiste donc faire un bon
usage des biens et des maux de cette vie, avec cette condition essentielle de
rapporter tout ce !u"elle fait et de se rapporter elle-mme la fin derni7re !ui
nous doit mettre en possession d"une parfaite et incomparable paix.
1. 4o(e) plus 1aut, livres 4III et IX.
C#$%T&' 0%.
/* 4O.#'*& /' ) $%0 IT'&.'))', J%. -*$&O(' 'T
,I&%T4)' $'&J'CT%O. /'- -%.T-.
.ous pouvons dire de la paix ce !ue nous avons dit de la vie ternelle, !u"elle
est la fin de nos biens, d"autant mieux !ue le $roph7te, parlant de la Cit de
/ieu, su5et de ce laborieux ouvrage, s"exprime ainsi< = Trusalem, loueC le
-eigneur8 -ion, loueC votre /ieu8 car il a consolid les verrous de vos portes8 il a
bni vos enfants en vous, et c"est lui !ui a tabli la paix comme votre fin
9
H. 'n
effet, !uand seront consolids les verrous des portes de -ion, nul n"y entrera, ni
n"en sortira plus8 et ainsi, par cette fin dont parle le psaume, il faut entendre
cette paix finale !ue nous cherchons ici dfinir. )e nom mme de la Cit
sainte, c"est--dire Trusalem, est un nom mystrieux !ui signifie vision de paix.
(ais, comme on se sert aussi du nom de paix dans les choses de cette vie
prissable, nous avons mieux aim appeler vie ternelle la fin o6 la Cit de /ieu
doit trouver son souverain bien. C"est de cette fin !ue l"pKtre dit< = 't
maintenant, affranchis du pch et devenus les esclaves de /ieu, vous aveC pour
fruit votre sanctification, et pour fin la vie ternelle
@
H. /"un autre cKt, ceux !ui
ne sont pas verss dans l"'criture sainte, pouvant aussi entendre par la vie
ternelle celle des mchants, soit parce !ue l";me humaine est immortelle, ainsi
!ue l"ont reconnu !uel!ues philosophes, soit parce !ue les mchants ne
pourraient pas subir les tourments ternels !ue la foi nous enseigne, s"ils ne
vivaient ternellement, il vaut mieux appeler la fin derni7re o6 la Cit de /ieu
goGtera son souverain bien< la paix dans la vie ternelle, ou la vie ternelle dans
la paix. ussi bien !u"y a-t-il de meilleur !ue la paix, mme dans les choses
mortelles et passag7resM 1uoi de plus agrable entendre, de plus souhaitable
dsirer, de plus prcieux con!urirM %l ne sera donc pas, ce me semble, hors de
propos d"en dire ici !uel!ue chose l"occasion de la paix souveraine et
dfinitive. C"est un bien si doux !ue la paix, et si cher tout le monde, !ue ce
!ue 5"en dirai ne sera dsagrable personne.
1. *s. CX.4II, 1%. K %. Hom. 4I, %%.
?DBDA
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1*' )'- 2%TT%O.- /'- #O(('- 'T ) 2*'&&' '))'-(O('
T'./'.T ) $%0, T'&(' .IC'--%&' O* -$%&'.T TO*- )'-
OT&'-.
1uicon!ue observera d"un oeil attentif les affaires humaines et la nature des
choses reconna>tra !ue, s"il n"y a personne !ui ne veuille prouver de la 5oie, il
n"y a non plus personne !ui ne veuille goGter la paix. 'n effet, ceux mmes !ui
font la guerre ne la font !ue pour vaincre, et par cons!uent pour parvenir
glorieusement la paix. 1u"est-ce !ue la victoireM c"est la soumission des
rebelles, c"est--dire la paix. )es guerres sont donc tou5ours faites en vue de la
paix, mme par ceux !ui prennent plaisir exercer leur vertu guerri7re dans les
combats8 d"o6 il faut conclure !ue le vritable but de la guerre, c"est la paix,
l"homme !ui fait la guerre cherchant la paix, et nul ne faisant la paix pour avoir
la guerre. Ceux mmes !ui rompent la paix dessein n"agissent point ainsi par
haine pour cette paix, mais pour en obtenir une meilleure. )eur volont n"est pas
!u"il n"y ait point de paix, mais !u"il y ait une paix selon leur volont. 't s"ils
viennent se sparer des autres par une rvolte, ils ne sauraient venir bout de
leurs desseins !u" condition d"entretenir avec leurs complices une esp7ce de
paix. /e l vient !ue les voleurs mmes conservent la paix entre eux, afin de la
pouvoir troubler plus impunment cheC les autres. 1ue s"il se trouve !uel!ue
malfaiteur si puissant et si ennemi de toute socit !u"il ne s"unisse avec
personne et !u"il excute seul ses meurtres et ses brigandages, pour le moins
conserve-t-il tou5ours !uel!ue ombre de paix avec ceux !u"il ne peut tuer et
!ui il veut cacher ce !u"il fait. /ans sa maison, il a soin de vivre en paix avec sa
femme, avec ses enfants et avec ses domesti!ues, parce !u"il dsire en tre obi.
&encontre-t-il une rsistance, il s"emporte, il rprime, il ch;tie, et, s"il le faut, il
a recours la cruaut pour maintenir la paix dans sa maison, sachant bien
!u"elle n"est possible !u"avec un chef !ui tous les membres de la socit
domesti!ue soient assu5tis. -i donc une ville ou tout un peuple voulait se
soumettre lui de la mme fa:on !u"il dsire !ue ceux de sa maison lui soient
soumis, il ne se cacherait plus dans une caverne comme un brigand8 il monterait
sur le trKne comme un roi. Chacun souhaite donc d"avoir la paix avec ceux !u"il
veut gouverner son gr, et !uand un homme fait la guerre des hommes, c"est
pour les rendre siens, en !uel!ue sorte, et leur dicter ses conditions de paix.
-upposons un homme comme celui de la fable et des po7tes
9
, farouche et
sauvage au point de n"avoir aucun commerce avec personne. $our royaume, il
n"avait !u"un antre dsert et affreux8 et il tait si mchant !u"on l"avait appel
Cacus, nom !ui exprime la mchancet
@
. $r7s de lui, point de femme, pour
changer des paroles affectueuses8 point d"enfants dont il pGt partager les 5eux
dans leur 5eune ;ge et guider plus tard l"adolescence8 point d"amis enfin avec !ui
s"entretenir, car il n"avait pas mme pour ami ,ulcain, son p7re< plus heureux
du moins !ue ce dieu, en ce !u"il n"engendra point son tour un monstre
semblable lui-mme. )oin de rien donner personne, il enlevait aux autres
tout ce !u"il pouvait8 et cependant, au fond de cette caverne, tou5ours trempe,
comme dit le po7te
B
, de !uel!ue massacre rcent, !ue voulait-ilM possder la
paix, goGter un repos !ue nulle crainte et nulle violence ne pussent troubler. %l
voulait enfin avoir la paix avec son corps, et ne goGtait de bonheur !u"autant
!u"il 5ouissait de cette paix. %l commandait ses membres, et ils lui obissaient8
mais afin d"apaiser cette guerre intestine !ue lui faisait la faim, et d"empcher
!u"elle chass;t son ;me de son corps, il ravissait, tuait, dvorait, ne dployant
cette cruaut barbare !ue pour maintenir la paix entre les deux parties dont il
tait compos8 de sorte !ue, s"il eGt voulu entretenir avec les autres la paix !u"il
t;chait de se procurer lui-mme dans sa caverne, on ne l"eGt appel ni mchant
ni monstre. 1ue si l"trange figure de son corps et les flammes !u"il vomissait
par la bouche l"empchaient d"avoir commerce avec les hommes, peut-tre tait-
il froce ce point, beaucoup moins par le dsir de faire du mal !ue par la
ncessit de vivre. (ais disons plutKt !u"un tel homme n"a 5amais exist !ue
dans l"imagination des po7tes, !ui ne l"ont dpeint de la sorte !u"afin de relever
ses dpens la gloire
1. .a suite du passage 2ait voir quil sagit ici de la 2able de Cacas,
raconte par 4irgile, qui saint Augustin emprunte plus dune
e#pression.
%. %a&os, mc1ant.
-. 4irgile, #nide, livre 4III, v. 1G;, 1GA.
?DBEA
d"#ercule. 'n effet, les animaux mmes les plus sauvages s"accouplent et ont
des petits !u"ils nourrissent et !u"ils l7vent8 et 5e ne parle pas ici des brebis, des
cerfs, des colombes, des tourneaux, des abeilles, mais des lions, des renards,
des vautours, des hiboux. *n tigre devient doux pour ses petits et les caresse. tin
milan, !uel!ue solitaire et carnassier !u"il soit, cherche une femelle, fait son nid,
couve ses oeufs, nourrit ses petits, et se maintient en paix dans sa maison avec sa
compagne comme avec une sorte de m7re de famille. Combien donc l"homme
est-il port plus encore par les lois de sa nature entrer en socit avec les autres
hommes et vivre en paix avec euxP C"est au point !ue les mchants mmes
combattent pour maintenir la paix des personnes !ui leur appartiennent, et
voudraient, s"il tait possible, !ue tous les hommes leur fussent soumis, afin !ue
tout ob>t un seul et fGt en paix avec lui, soit par crainte, soit par amour. C"est
ainsi !ue l"orgueil, dans sa perversit, cherche imiter /ieu. %l ne veut point
avoir de compagnons sous lui, mais il veut tre ma>tre au lieu de lui. %l hait donc
la 5uste paix de /ieu, et il aime la sienne, !ui est in5uste8 car il faut !u"il en aime
une, !uelle !u"elle soit, n"y ayant point de vice tellement contraire la nature
!u"il n"en laisse subsister !uel!ues vestiges.
Celui donc !ui sait prfrer la droiture la perversit, et ce !ui est selon l"ordre
ce !ui est contre l"ordre, reconna>t !ue la paix des mchants mrite peine ce
nom en comparaison de celle des gens de bien. 't cependant il faut de toute
ncessit !ue ce !ui est contre l"ordre entretienne la paix !uel!ues gards avec
!uel!u"une des parties dont il est compos8 autrement il cesserait d"tre.
-upposons un homme suspendu par les pieds, la tte en bas, voil l"ordre et la
situation de ses membres renverss, ce !ui doit tre naturellement au dessus
tant au dessous. Ce dsordre trouble donc la paix du corps, et c"est en cela !u"il
est pnible. Toutefois, l";me ne cesse pas d"tre en paix avec son corps et de
travailler sa conservation, sans !uoi il n"y aurait ni douleur, ni patient !ui la
ressent>t. 1ue si l";me, succombant sous les maux !ue le corps endure, vient
s"en sparer, tant !ue l"union des membres subsiste, il y a tou5ours !uel!ue sorte
de paix entre eux8 ce !ui fait !u"on peut encore dire< ,oil un homme !ui est
pendu. $our!uoi le corps du patient tend-il vers la terre et se dbat-il contre le
lien !ui l"encha>neM C"est !u"il veut 5ouir de la paix !ui lui est propre. -on poids
est comme la voix par la!uelle il demande !u"on le mette en un lieu de repos, et,
!uoi!ue priv d";me et de sentiment, il ne s"loigne pourtant pas de la paix
convenable sa nature, soit !u"il la poss7de, soit !u"il y tende. -i on l"embaume
pour l"empcher de se dissoudre, il ya encore une sorte de paix entre ses parties,
!ui les tient unies les unes aux autres, et !ui fait !ue le corps tout entier demeure
dans un tait convenable, c"est--dire dans un tat paisible. -i on ne l"embaume
point, il s"tablit un combat des vapeurs contraires !ui sont en lui et !ui blessent
nos sens, ce !ui produit la putrfaction, 5us!u" ce !u"il soit d"accord avec les
lments !ui l"environnent, et !u"il retourne pi7ce pi7ce dans chacun d"eux.
u milieu de ces transformations, dominent tou5ours les lois du souverain
Crateur, !ui maintient l"ordre et la paix de l"univers8 car, bien !ue plusieurs
petits animaux soient engendrs du cadavre d"un animal plus grand, chacun
d"eux, par la loi du mme Crateur, a soin d"entretenir avec soi-mme la paix
ncessaire sa conservation. 't !uand le corps mort d"un animal serait dvor
par d"autres, il rencontrerait tou5ours ces mmes lois partout rpandues, !ui
savent unir cha!ue chose celle !ui lui est assortie, !uel!ue dsunion et !uel!ue
changement !u"elle ait pu souffrir.
C#$%T&' 0%%%.
) $%0 *.%,'&-'))', JO./I' -*& )'- )O%- /' ) .T*&', .'
$'*T OT&' /IT&*%T' $& )'- $)*- ,%O)'.T'- $--%O.-, )'
T*2' I1*%T4)' 'T -O*,'&%. J%-.T $&,'.%& C#C*.
) CO./%T%O. 1*"%) (I&%TI'.
insi la paix du corps rside dans le 5uste temprament de ses parties, et celle de
l";me sensible dans le calme rgulier de ses apptits satisfaits. )a paix de, l";me
raisonnable, c"est en elle le parfait accord de la connaissance et de l"action8 et
celle du corps et de l";me, c"est la vie bien ordonne et la sant de l"animal. )a
paix entre l"homme mortel et /ieu est une obissance rgle par la foi et
soumise la loi ternelle8 celle des hommes entre eux, une concorde
raisonnable. )a paix d"une maison, c"est une 5uste correspondance entre ceux
?DBLA !ui y commandent et ceux !ui y obissent. )a paix d"une cit, c"est la
mme correspondance entre ses membres. )a paix de la Cit cleste consiste
dans une union tr7s-rgle et tr7s-parfaite pour 5ouir de /ieu, et du prochain en
/ieu8 et celle de toutes choses, c"est un ordre tran!uille. )"ordre est ce !ui
assigne aux choses diffrentes la place !ui leur convient. insi, bien !ue les
malheureux, en tant !ue tels, ne soient point en paix, n"tant point dans cet ordre
tran!uille !ue rien ne trouble, toutefois, comme ils sont 5ustement malheureux,
ils ne peuvent pas tre tout fait hors de l"ordre. la vrit, ils ne sont pas avec
les bienheureux8 mais au moins c"est la loi de l"ordre !ui les en spare. %ls sont
troubls et in!uits, et toutefois ils ne laissent pas d"avoir !uel!ue convenance
avec leur tat. ils ont d7s lors !uel!ue ombre de tran!uillit dans leur ordre8 ils
ont donc aussi !uel!ue paix. (ais ils sont malheureux, parce !u"encore !u"ils
soient dans le lieu o6 ils doivent tre, ils ne sont pas dans le lieu o6 ils n"auraient
rien souffrir< moins malheureux toutefois encore !ue s"ils n"avaient point de
convenance avec le lieu o6 ils sont. Or, !uand ils souffrent, la paix est trouble
cet gard8 mais elle subsiste dans leur nature, !ue la douleur ne peut consumer ni
dtruire, et cet autre gard, ils sont en paix. /e mme !u"il y a !uel!ue vie
sans douleur, et !u"il ne peut y avoir de douleur sans !uel!ue vie8 ainsi il y a
!uel!ue paix sans guerre, mais il ne peut y avoir de guerre sans !uel!ue paix,
puis!ue la guerre suppose tou5ours !uel!ue nature !ui l"entretienne, et !u"une
nature ne saurait subsister sans !uel!ue sorte de paix.
insi il existe une .ature souveraine o6 il ne se trouve point de mal et o6 il ne
peut mme s"en trouver8 mais il ne saurait exister de nature o6 ne se trouve
aucun bien. ,oil pour!uoi la nature du diable mme n"est pas mauvaise en tant
!ue nature8 la seule malice la rend telle. C"est pour cela !u"il n"est pas demeur
dans la vrit8 mais il n"a pu se soustraire au 5ugement de la vrit. %l n"est pas
demeur dans un ordre tran!uille8 mais il n"a pas toutefois vit la puissance du
souverain ordonnateur. )a bont de /ieu, !ui a fait sa nature, ne le met pas
couvert de la 5ustice de /ieu, !ui conserve l"ordre en le punissant, et /ieu ne
punit pas en lui ce !u"il a cr, mais le mal !ue sa crature a commis. /ieu ne
lui Kte pas tout ce !u"il a donn sa nature, mais seulement !uel!ue chose, lui
laissant le reste, afin !u"il subsiste tou5ours pour souffrir de ce !u"il a perdu. )a
douleur mme !u"il ressent est un tmoignage du bien !u"on lui a Kt et de celui
!u"on lui a laiss, puis!ue, s"il ne lui tait encore demeur !uel!ue bien, il ne
pourrait pas s"affliger de celui !u"il a perdu. Car le pcheur est encore pire, s"il
se r5ouit de la perte !u"il fait de l"!uit8 mais le damn, s"il ne retire aucun
bien de ses tourments, au moins s"afflige-t-il de la perte de son salut. Comme
l"!uit et le salut sont deux biens, et !u"il faut plutKt s"affliger !ue se r5ouir de
la perte d"un bien, moins !ue cette perte ne soit compense d"ailleurs, les
mchants ont sans doute plus de raison de s"affliger de leurs supplices !u"ils
n"en ont eu de se r5ouir de leurs crimes. /e mme !ue se r5ouir, lors!u"on
p7che, est une preuve !ue la volont est mauvaise8 s"affliger, lors!u"on souffre,
est aussi une preuve !ue la nature est bonne. ussi bien celui !ui s"afflige
d"avoir perdu la paix de sa nature ne s"afflige !ue par certains restes de paix !ui
font !u"il aime sa nature. Or, c"est tr7s-5ustement !ue dans le dernier supplice
les mchants dplorent, au milieu de leurs tortures, la perte !u"ils ont faite des
biens naturels, et !u"ils sentent !ue celui !ui les leur Kte est ce /ieu tr7s-5uste
envers !ui ils ont t ingrats. /ieu donc, !ui a cr toutes les natures avec une
sagesse admirable, !ui les ordonne avec une souveraine 5ustice et !ui a plac
lWhomme sur la terre pour en tre le plus bel ornement, nous a donn certains
biens convenables cette vie, c"est--dire la paix temporelle, dans la mesure o6
on peut l"avoir ici-bas, tant avec soi-mme- !u"avec les autres, et toutes les
choses ncessaires peur la conserver ou pour la recouvrer, comme la lumi7re,
l"air, l"eau, et tout ce !ui sert nourrir, couvrir, gurir ou parer le corps,
mais sous cette condition tr7s-!uitable, !ue ceux !ui feront bon usage de ces
biens en recevront de plus grands et de meilleurs, c"est--dire une paix
immortelle accompagne d"une gloire sans fin et de la-5ouissance de /ieu et du
prochain en /ieu, tandis !ue ceux !ui en feront mauvais usage perdront mme
ces biens infrieurs et n"auront pas les autres. ?DBNA
C#$%T&' 0%,.
/' )"O&/&' ) JO%- /%,%. 'T T'&&'-T&' 1*% J%T 1*' )'-
(XT&'- /' ) -OC%ITI #*(%.' '. -O.T *--% )'-
-'&,%T'*&-.
Tout l"usage des choses temporelles se rapporte dans la cit de la terre la paix
terrestre, dans la cit de /ieu la paix ternelle. C"est pour cela !ue, si nous
tions des animaux sans raison, nous ne dsirerions rien !ue le 5uste
temprament des parties du corps et la satisfaction de nos apptits8 et la paix du
corps servirait la paix de l";me8 car celle-ci ne peut subsister sans l"autre, mais
elles s"aident mutuellement pour le bien du tout. /e mme en effet !ue les
animaux font voir !u"ils aiment la paix du corps en fuyant la douleur, et celle de
l";me, lors!u"ils cherchent la volupt pour contenter leurs apptits, ils montrent
aussi en fuyant la mort combien ils aiment la paix !ui fait l"union du corps et de
l";me. (ais l"homme, dou d"une ;me raisonnable, fait servir la paix de cette
;me tout ce !u"il a de commun avec les btes, afin de contempler et d"agir,
c"est--dire afin d"entretenir une 5uste harmonie entre la connaissance et
l"action, en !uoi consiste la paix de l";me raisonnable. %l doit, pour cette raison,
souhaiter !ue nulle douleur ne le tourmente, !ue nul dsir ne l"in!ui7te, et !ue la
mort ne spare point les deux parties !ui le composent, afin de se livrer la
connaissance des choses utiles, et de rgler sa vie et ses mUurs. sur cette
connaissance. Toutefois comme son esprit est faible, s"il veut !ue le dsir mme
de conna>tre ne l"engage point dans !uel!ue erreur, il a besoin de
l"enseignement de /ieu pour conna>tre avec certitude et de son secours pour agir
avec libert. Or, tant !u"il habite dans ce corps mortel, il est en !uel!ue sorte
tranger l"gard de /ieu, et marche par la foi, comme dit l"pKtre
9
, et non par
la claire vision il faut donc !u"il rapporte et la paix du corps et celle de l";me, et
celle enfin des deux ensemble, cette paix suprieure !ui est entre l"homme
mortel et /ieu immortel, afin !ue son obissance soit rgle par la foi et
soumise la loi ternelle. 't puis!ue ce divin ma>tre enseigne deux choses
principales, d"abord l"amour de /ieu, et puis l"amour du prochain o6 est
renferm l"amour de soi-mme ?le!uel ne peut 5amais garer celui !ui aime
/ieuA,
1. II Cor. v, D.
il s"ensuit !ue chacun doit porter son prochain aimer /ieu, pour obir au
prcepte !ui lui commande de l"aimer comme il s"aime lui-mme. %l doit donc
rendre cet office de charit sa femme, ses enfants, ses domesti!ues et tous
les hommes, autant !ue possible, comme il doit vouloir !ue les autres le lui
rendent, s"il en est besoin8 et ainsi il aura la paix avec tous, autant !ue cela
dpendra de lui< 5"entends une paix humaine, c"est--dire cette concorde bien
rgle, dont la premi7re loi est de ne faire tort personne, et la seconde de faire
du bien !ui l"on peut. 'n cons!uence, l"homme commencera par prendre soin
des siens8 car la nature et la socit lui donnent aupr7s de ceux-l un acc7s plus
facile et des moyens de secours plus opportuns. C"est ce !ui fait dire l"pKtre,
!ue = !uicon!ue n"a pas soin des siens, et particuli7rement de ceux de sa maison
, est apostat et pire !u"un infid7le H. ,oil aussi d"o6 na>t la paix domesti!ue,
c"est--dire la bonne intelligence entre ceux !ui commandent et ceux !ui
obissent dans une maison. Ceux-l y commandent !ui ont soin des autres,
comme le mari commande la femme, le p7re et la m7re aux enfants, et les
ma>tres aux serviteurs8 et les autres obissent, comme les femmes leurs maris8
les enfants leurs p7res et leurs m7res, et les serviteurs leurs ma>tres. (ais
dans la maison d"un homme de bien !ui vit de la foi et !ui est tranger ici-bas,
ceux !ui commandent servent ceux !ui ils semblent commander8 car ils
commandent, non par un esprit de domination, mais par un esprit de charit8 ils
ne veulent pas donner avec orgueil des ordres, mais avec bont des secours.
C#$%T&' 0,.
) $&'(%3&' C*-' /' ) -'&,%T*/', C"'-T )' $IC#I, 'T
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,O)O.TI, '-C),' /' -'- $--%O.-, )O&- (O(' 1*"%) ."'-T
$- /.- )"'-C),2' /"*T&*%.
,oil ce !ue demande l"ordre naturel et voil aussi la condition o6 /ieu a cr
l"homme< = 1u"il domine, dit-il, sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du
ciel et sur tous les animaux de la terre
@
H. pr7s avoir cr l"homme raisonnable
et l"avoir fait son image, il n"a pas voulu !u"il domin;t sur les
1. I Iim. 4. G. 5 %. ?en. I, %A.
?DBQA
hommes, mais sur les btes. C"est pour!uoi les premiers 5ustes ont t plutKt
bergers !ue rois, /ieu voulant nous apprendre par l l"ordre de la nature, !ui a
t renvers par le dsordre du pch. Car c"est avec 5ustice !ue le 5oug de la
servitude a t impos au pcheur. ussi ne voyons-nous point !ue l"'criture
sainte parle d"esclaves avant !ue le patriarche .o
9
n"eGt fltri le pch de son
fils de ce titre honteux
@
. )e pch seul a donc mrit ce nom, et non pas la
nature. -i l"on en 5uge par l"tymologie latine, les esclaves taient des
prisonniers de guerre !ui les vain!ueurs conservaient
B
la vie, alors !u"ils
pouvaient les tuer par le droit de guerre< or, cela mme fait voir dans l"esclavage
une peine du pch. Car on ne saurait faire une guerre 5uste !ue les ennemis n"en
fassent une in5uste8 et toute victoire, mme celle !ue remportent les mchants,
est un effet des 5ustes 5ugements de /ieu, !ui humilie par l les vaincus, soit
!u"il veuille les amender, soit !u"il veuille les punir. Tmoin ce grand serviteur
de /ieu, /aniel, !ui, dans la captivit, confesse
D
ses pchs et ceux de son
peuple, et y reconna>t avec une 5uste douleur l"uni!ue raison de toutes leurs
infortunes. )a premi7re cause de la servitude est donc le pch, !ui assu5tit un
homme un homme8 ce !ui n"arrive !ue par le 5ugement de /ieu, !ui n"est point
capable d"in5ustice et !ui sait imposer des peines diffrentes selon la diffrence
des coupables. .otre--eigneur dit< = 1uicon!ue p7che est esclave du pch
E
H8
et ainsi il y a beaucoup de mauvais ma>tres !ui ont des hommes pieux pour
esclaves et !ui n"en sont pas plus libres pour cela. Car il est crit< = )"homme
est ad5ug comme esclave celui !ui l"a vaincu
L
H. 't certes il vaut mieux tre
l"esclave d"un homme !ue d"une passion8 car est-il une passion, par exemple,
!ui exerce une domination plus cruelle sur le coeur des
1. ?en. IX, %;.
%. Compare) saint 8ean C1r(sostome, 'oml. in (en., nn. A et D.
-. )ervus, esclave, de serbare, conserver. 5 Cest lt(mologie donne
par le 0urisconsulte Llorentinus commentant le igeste +lib. I, tit. 4, M ;,
.es esclaves sont ainsi .appels, parce que les c1e2s darme ont
coutume de 2aire vendre les prisonniers de guerre, les conservant de la
sorte au lieu de les tuer C. onatus, en ses remarques sur les !delphes
de Irence +acte II, sc!ne I, v. %:,, abonde dans le m'me sens. 5
4o(e) dans l#sprit des *ois ladmirable c1apitre o" 9ontesquieu r2ute
la doctrine des 0urisconsultes romains et prouve que lesclavage,
galement nuisible au ma3tre et lesclave, est aussi contraire au droit
des gens quau droit naturel +#sprit des *ois, livre X4, c1. %,.
-. aniel, IX, ;-1G. 5 8ean, 4III, -<. 5 II *ierre, II, 1G.
hommes !ue la passion de dominerM ussi bien, dans cet ordre de choses !ui
soumet !uel!ues hommes d"autres hommes, l"humilit est aussi avantageuse
l"esclave !ue l"orgueil est funeste au ma>tre. (ais clans l"ordre naturel o6 /ieu a
cr l"homme, nul n"est esclave de l"homme ni du pch8 l"esclavage est donc
une peine, et elle a t impose par cette loi !ui commande de conserver l"ordre
naturel et !ui dfend de le troubler, puis!ue, si l"on n"avait rien fait contre cette
loi, l"esclavage n"aurait rien punir. C"est pour!uoi l"pKtre avertit
9
les
esclaves d"tre soumis leurs ma>tres, et de les servir de bon coeur et de bonne
volont, afin !ue, s"ils ne peuvent tre affranchis de leur servitude, ils sachent y
trouver la libert, en ne servant point par crainte, mais par amour, 5us!u" ce !ue
l"ini!uit passe et !ue toute domination humaine soit anantie, au 5our o6 /ieu
sera tout en tous.
C#$%T&' 0,%.
/' ) T*-T' /(.T%O..
ussi nous voyons !ue les patriarches ne mettaient de diffrence entre leurs
enfants et leurs esclaves !ue relativement aux biens temporels8 mais pour ce !ui
regardait le culte de /ieu, de !ui nous attendons les biens ternels, ils veillaient
avec une affection gale sur tous les membres de leur maison8 et cela est si
conforme l"ordre naturel, !ue le nom de p7re de famille en tire son origines, et
s"est si bien tabli dans le monde !ue les mchants eux-mmes aiment tre
appels de ce nom. (ais ceux !ui sont vrais p7res de famille veillent avec une
gale sollicitude ce !ue tous les membres de leur maison, !ui sont tous en
!uel!ue fa:on leurs enfants, servent et honorent /ieu, et dsirent parvenir cette
maison cleste o6 il ne sera plus ncessaire de commander aux hommes, parce
!u"ils n"auront plus de besoins aux!uels il faille pourvoir8 et 5us!ue l, les bons
ma>tres portent avec plus de peine le poids du commandement !ue les serviteurs
celui de l"esclavage. Or, si !uel!u"un vient troubler la paix domesti!ue, il faut
le ch;tier pour son utilit, autant !ue cela peut se faire 5ustement
1. /p1s. 4I, ;.
%. Cette remarque est d0 dans les lettres de &n!que +/pist. X.4II,
?DBRA
afin de le ramener la paix dont il s"tait cart. Comme ce n"est pas tre
bienfaisant !ue de venir en aide une personne pour lui faire perdre un plus
grand bien, ce n"est pas non plus tre innocent !ue de la laisser tomber dans un
plus grand mal sous prtexte de lui en pargner un petit. )"innocence demande
non-seulement !u"on ne nuise personne, mais encore !u"on empche son
prochain de mal faire, ou !u"on le ch;tie !uand il a mal fait, soit afin de le
corriger lui-mme, soit au moins pour retenir les autres par cet exemple. /u
moment donc !ue la maison est le germe et l"lment de la cit, tout germe, tout
commencement devant se rapporter sa fin, et tout lment, toute partie son
tout, il est visible !ue l paix de la maison doit se rapporter celle de la cit,
c"est--dire l"accord du commandement et de l"obissance parmi les membres de
la mme famille ce mme accord parmi les membres de la mme cit. /"o6 il
suit !ue le p7re de famille doit rgler sur la loi de la cit la conduite de sa
maison, afin !u"il y ait accord entre la partie et le tout.
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(ais ceux !ui ne vivent pas de la foi cherchent la paix de leur maison dans les
biens et les commodits de cette vie, au lieu !ue ceux !ui vivent de la foi
attendent les biens ternels de l"autre vie !ui leur ont t promis, et se servent
des flicits temporelles comme des voyageurs et des trangers, non pour y
mettre leur coeur et se dtourner de /ieu, mais pour y trouver !uel!ue
soulagement et se rendre en !uel!ue fa:on plus supportable le poids de ce corps
corruptible !ui appesantit l";me
9
. insi il est vrai !ue l"usage des choses
ncessaires la vie est commun aux uns et aux autres dans le gouvernement de
leur maison8 mais la fin la!uelle ils rapportent cet usage est bien diffrente. %l
en est de mme de la cit de la terre, !ui ne vit pas de la foi. 'lle recherche la
paix temporelle, et l"uni!ue but !u"elle se propose dans la concorde !u"elle
t;che d"tablir parmi ses membres, c"est de 5ouir plus aisment du repos et des
plaisirs. (ais la cit cleste, ou plutKt la partie de cette
1. &ag. IX, 1;.
cit !ui traverse cette vie mortelle et !ui vit de la foi, ne se sert de cette paix !ue
par ncessit, en attendant !ue tout ce !u"il y a de mortel en elle passe. C"est
pour!uoi, tandis !u"elle est comme captive dans la cit de la terre, o6 toutefois
elle a d5 re:u la promesse de sa rdemption et le don spirituel comme un gage
de cette promesse, elle ne fait point difficult d"obir aux lois !ui servent
rgler les choses ncessaires la vie mortelle8 car cette vie tant commune aux
deux cits, il est bon !u"il y ait entre elles, pour tout ce !ui s"y rapporte, une
concorde rcipro!ue. (ais la cit de la terre ayant eu certains sages, dont la
fausse sagesse est condamne par l"'criture, et !ui, sur la fol de leurs
con5ectures ou des conseils trompeurs des dmons, ont cru !u"il fallait se rendre
favorable une multitude de dieux , comme ayant autorit chacun sur diverses
choses, l"un sur le corps, l"autre sur l";me, et dans le corps mme, celui-ci sur la
tte, celui-l sur le cou, et ainsi des autres membres, et dans l";me aussi, l"un sur
l"esprit, l"autre sur la science, ou sur la col7re, ou sur l"amour, et enfin dans les
choses !ui servent la vie, celui-ci sur les troupeaux, cet autre sur les bls ou sur
les vigiles, et ainsi du reste
9
8 comme, d"un autre cKt, la Cit cleste ne
reconnaissait !u"un seul /ieu, et croyait !u" lui seul tait dG le culte de latrie
@
,
elle n"a pu par ces raisons avoir une religion commune avec la cit de la terre, et
elle s"est trouve oblige de diffrer d"elle cet gard8 de sorte !u"elle aurait
couru le ris!ue d"tre tou5ours expose la haine et aux perscutions de ses
ennemis, s"ils n"eussent enfin t effrays du nombre de ceux !ui embrassaient
son parti et de la protection visible !ue leur-accordait le ciel. ,oil donc
comment cette Cit cleste, en voyageant sur la terre, attire elle des citoyens de
toutes les nations, et ramasse de tous les endroits du monde une socit
voyageuse comme elle, sans se mettre en peine de la diversit des mUurs, du
langage et ds coutumes de ceux !ui la composent, pourvu !ue cela ne les
empche point de servir le mme /ieu. 'lle use d"ailleurs, pendant son
p7lerinage, de la paix temporelle et des choses !ui sont ncessairement attaches