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L'avortement. Enjeux politiques et sociaux (I)

2019, Problèmes d'Amérique Latine

  35‹6(17$7,21  'HOSKLQH/DFRPEH (6.$_m3UREOªPHVG $P«ULTXHODWLQH} Document téléchargé depuis www.cairn.info - INIST-CNRS - - 193.54.110.56 - 27/03/2020 15:26 - © ESKA Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) $UWLFOHGLVSRQLEOHHQOLJQH¢O DGUHVVH  KWWSVZZZFDLUQLQIRUHYXHSUREOHPHVGDPHULTXHODWLQHSDJHKWP   'LVWULEXWLRQ«OHFWURQLTXH&DLUQLQIRSRXU(6.$ k(6.$7RXVGURLWVU«VHUY«VSRXUWRXVSD\V  /DUHSURGXFWLRQRXUHSU«VHQWDWLRQGHFHWDUWLFOHQRWDPPHQWSDUSKRWRFRSLHQ HVWDXWRULV«HTXHGDQVOHV OLPLWHVGHVFRQGLWLRQVJ«Q«UDOHVG XWLOLVDWLRQGXVLWHRXOHFDV«FK«DQWGHVFRQGLWLRQVJ«Q«UDOHVGHOD OLFHQFHVRXVFULWHSDUYRWUH«WDEOLVVHPHQW7RXWHDXWUHUHSURGXFWLRQRXUHSU«VHQWDWLRQHQWRXWRXSDUWLH VRXVTXHOTXHIRUPHHWGHTXHOTXHPDQLªUHTXHFHVRLWHVWLQWHUGLWHVDXIDFFRUGSU«DODEOHHW«FULWGH O «GLWHXUHQGHKRUVGHVFDVSU«YXVSDUODO«JLVODWLRQHQYLJXHXUHQ)UDQFH,OHVWSU«FLV«TXHVRQVWRFNDJH GDQVXQHEDVHGHGRQQ«HVHVW«JDOHPHQWLQWHUGLW Document téléchargé depuis www.cairn.info - INIST-CNRS - - 193.54.110.56 - 27/03/2020 15:26 - © ESKA 1r_SDJHV¢  ,661 ,6%1 Dossier coordonné par Delphine LACOMBE Document téléchargé depuis www.cairn.info - INIST-CNRS - - 193.54.110.56 - 27/03/2020 15:26 - © ESKA L’AVORTEMENT : ENJEUX POLITIQUES ET SOCIAUX (I) Document téléchargé depuis www.cairn.info - INIST-CNRS - - 193.54.110.56 - 27/03/2020 15:26 - © ESKA DOSSIER L’avortement : enjeux poLitiqueS et Sociaux (i) Document téléchargé depuis www.cairn.info - INIST-CNRS - - 193.54.110.56 - 27/03/2020 15:26 - © ESKA préSentation Tous les Etats latino-américains interdisent aujourd’hui aux femmes d’interrompre volontairement leur grossesse, hormis Cuba (depuis 1965), le Guyana (depuis 1995), la ville de Mexico1 (depuis 2007), l’Uruguay (depuis 2012), et l’Etat d’Oaxaca au Mexique (depuis 2019). A l’exception de ces Etats, où l’avortement peut être pratiqué à la demande des femmes et selon des délais prédéfinis, les législations n’ont pratiquement pas été modifiées dans leurs grands principes, depuis l’entrée en vigueur des codes pénaux après les indépendances au XIXe siècle. En règle générale, l’avortement est interdit, et les femmes ayant volontairement interrompu leur grossesse ainsi que les médecins les ayant accompagnées encourent des peines de prison. Les codes pénaux prévoient le plus souvent des motifs dérogatoires, tels que l’avortement en raison d’une grossesse consécutive à un viol, en raison de risques vitaux pour les femmes enceintes, ou en cas de non viabilité du fœtus. Ces trois grandes exceptions ne sont d’ailleurs pas partout conjointement garanties en droit. Par exemple, la législation du Venezuela tient compte de la protection de la vie des femmes mais ne permet pas à ces dernières, enceintes à la suite d’un viol, d’avorter. Il en va de même en Equateur sauf si la victime du viol présente un handicap mental, une situation similaire en Argentine jusqu’en 2012. Et, pour les trois cas d’exception cités (protéger la vie ou la santé de la femme, anticiper * Sociologue, chargée de recherche au CNRS. Je remercie Garance Robert, Romy Sánchez et Sunniva Labarthe, de m’avoir accompagnée pour les relectures finales des textes composant ce dossier. 1. Ex District fédéral. Document téléchargé depuis www.cairn.info - INIST-CNRS - - 193.54.110.56 - 27/03/2020 15:26 - © ESKA Delphine LACOMBE* 8 Delphine LACOMBE Document téléchargé depuis www.cairn.info - INIST-CNRS - - 193.54.110.56 - 27/03/2020 15:26 - © ESKA Six autres Etats se distinguent par leur radicalité punitive : Haïti (depuis 1835), le Honduras (depuis 1997), El Salvador (depuis 1998), le Nicaragua (depuis 2006), La République Dominicaine (depuis 2015), et le Suriname interdisent la pratique de l’avortement quel qu’en soit le motif. Le Honduras prohibe même la vente de la pilule du lendemain depuis 2009. Cas extrême auquel les médias ont porté leur attention grâce à un mouvement féministe très combatif, l’interdiction totale de l’avortement au Salvador a entraîné avec elle de multiples dénonciations ordinaires contre des femmes accusées d’infanticide en fin de grossesse, ou suspectées d’avoir commis un avortement quand elles semblent en réalité avoir subi des fausses couches à un moment avancé de la gestation. Nombre de ces femmes, toutes vivant dans une grande pauvreté, dénoncées par des proches, des voisins ou des médecins, ont été traduites en justice et purgent de longues peines de prison pour homicide volontaire, dans un contexte où tout avortement spontané est potentiellement suspect. Reste que dans tous ces contextes sociaux qui pénalisent l’interruption de grossesse, l’avortement est une pratique courante au sein de toutes les couches sociales, même s’il est moralement banni. Clandestine toujours, accessible et dans de bonnes conditions sanitaires pour celles qui peuvent rémunérer des médecins ou des comadronas, réalisé à l’inverse dans les conditions les plus rudimentaires pour les plus pauvres, l’interruption de grossesse par choix n’a jamais cessé d’être un recours et reste un enjeu majeur de santé publique et de justice sociale. En Amérique latine, on estime que 10% des morts maternelles sont imputables aux complications post-avortement2. Près de 40% des 3,6 millions de grossesses adolescentes annuelles aboutissent à un avortement clandestin et risqué, alors même que la région fait état des taux de fécondité les plus élevés pour le groupe d’âge compris entre 15 et 19 ans (en moyenne 73,2 pour 1 000 femmes en âge fertile), non sans lien avec la violence sexuelle3. 13% des naissances dans la région sont le fait d’adolescentes, 25% dans un pays comme le Nicaragua, où l’avortement est totalement prohibé4. Dès lors, l’interruption volontaire de grossesse est un enjeu politique et social majeur5. 2. Au niveau mondial : 48,9 pour 1 000. Cf. Grupo de trabajo regional para la reducción de la mortalidad materna. Panorama de la situación de la morbilidad y la mortalidad maternas. América Latina, UNFPA, diciembre 2017. https://lac.unfpa. org/sites/default/files/pub-pdf/MSH-GTR-Report-Esp.pdf 3. Grupo de trabajo regional…, op. cit., p. 11. 4. Selon les dernières données fiables sur la question. Organización Panamericana de la Salud (OPS), Gobierno de Reconciliación y Unidad Nacional, Perfil de Salud Materna ODM 5, Nicaragua, OPS, 2010, p. 19. 5. Grupo de trabajo…, op. cit., p. 13. Document téléchargé depuis www.cairn.info - INIST-CNRS - - 193.54.110.56 - 27/03/2020 15:26 - © ESKA la non viabilité du fœtus et pouvoir interrompre la grossesse issue d’un viol), l’avortement est d’abord conditionné aux procédures probatoires et à l’appréciation des médecins, autant d’intermédiaires qui peuvent en réalité devenir des obstacles et empêcher l’accès à l’interruption de grossesse. Pour cet ensemble de législations, l’avortement n’est en rien appréhendé comme une liberté individuelle, et les femmes sont mises sous tutelle. 9 Document téléchargé depuis www.cairn.info - INIST-CNRS - - 193.54.110.56 - 27/03/2020 15:26 - © ESKA L’enjeu est d’autant plus manifeste qu’il fut comme jamais, au cours de ces quarante dernières années, l’objet d’une polarisation impliquant de nombreuses instances de la vie sociale : civiles, religieuses, judiciaires, partisanes, éducatives, etc. Si pour les féministes, à partir des années 1970, l’accès à l’avortement fut progressivement constitué en motif de liberté individuelle, d’égalité entre les sexes et entre les femmes, leurs opposants ont construit un contre-mouvement symétrique toujours plus organisé et politiquement influent. Le combat contre l’interruption volontaire de grossesse et même contre toute forme d’avortement, ainsi que la « protection de la vie dès la conception », sont devenus un ressort identitaire et stratégique central pour le maintien du magistère moral de l’Eglise catholique sur les populations latino-américaines, et pour le maintien de son ascendant sur les élites politico-économiques de tous bords. Des alliances avec d’autres représentants confessionnels tels que les groupes néo-protestants, se sont également nouées à partir de ces combats communs. Dans certains cas, les alliances pro-féministes l’ont emporté sur les forces conservatrices et l’avortement fut récemment dépénalisé et légalisé (Uruguay, Ville de Mexico, Oaxaca). A l’inverse, dans trois pays centraméricains et en République dominicaine, les restrictions sont devenues absolues. Entre ces deux extrêmes, les autres Etats latino-américains sont pratiquement figés dans un statu-quo législatif, immobilité qui ne reflète pourtant en rien l’activisme inédit d’une nouvelle et plus ancienne génération de féministes. Foulard vert noué au cou, où il est parfois écrit « Educación sexual para decidir, anticonceptivos para no abortar, aborto para no morir » (« Education sexuelle pour décider, contraceptifs pour ne pas avorter, avortement pour ne pas mourir »), les femmes qui participent aux mouvements de rue pour revendiquer l’accès à l’avortement en toute légalité, ont pour la première fois réussi à constituer un mouvement visible et massif à l’échelle de toute la région, non sans avoir contribué à assoir la légitimité de leur revendication aux yeux des législateurs et de l’opinion. Ce premier de deux dossiers sur les enjeux politiques et sociaux contemporains de l’avortement en Amérique latine rassemble quatre textes illustrant de manière éloquente ces processus. Angeline Montoya revient sur le « pañuelazo » (manifestation au foulard) du 19 février 2018, journée d’intenses manifestations de rue des féministes argentines pour la légalisation de l’avortement, où ce dernier « est sorti du trou noir médiatique », après des années d’essais de réforme du code pénal. Poussé à mettre en débat le projet de légalisation, le président Macri annonça la présentation du texte au congrès. Approuvé par la chambre basse en juin 2018, celui-ci fut rejeté deux mois plus tard au sénat. A. Montoya analyse la montée en puissance d’un féminisme ayant fait converger les luttes contre les violences misogynes et celles pour la liberté sexuelle et corporelle des femmes, ce qui donna une assise numérique et argumentative nouvelle en faveur de la légalisation de l’avortement. Elle montre combien le mouvement anti-choix a ajusté sa stratégie rhétorique moins à l’appui de références religieuses qu’en mobilisant un discours scientifique sur la « vie Document téléchargé depuis www.cairn.info - INIST-CNRS - - 193.54.110.56 - 27/03/2020 15:26 - © ESKA L’avortement : enjeux politiques et sociaux (I) 10 Delphine LACOMBE Document téléchargé depuis www.cairn.info - INIST-CNRS - - 193.54.110.56 - 27/03/2020 15:26 - © ESKA Si les clivages politiques argentins ont été bousculés par les débats sur l’avortement, avec des revirements surprenants, tel que celui de l’ex-présidente Cristina Kirchner6, le Brésil atteste en revanche d’un alignement des principaux partis politiques sur les positions conservatrices et religieuses anti-choix. L’article de Juan J. Marsiaj relate la façon dont l’ex-présidente du Brésil Dilma Roussef, pourtant connue pour ses positions en faveur de la légalisation de l’interruption de grossesse, a fini par céder à la pression de ses opposants en renvoyant au congrès législatif tout débat à ce propos. Elle revint même sur ses positions libérales initiales. Le double mouvement de croissance d’acteurs politiques se revendiquant de préceptes religieux et l’affaiblissement du Parti des travailleurs a sonné le glas de tout essai de décriminalisation de l’avortement. Seul le tribunal fédéral constitutionnel a quelque peu desserré l’étau législatif pesant sur la santé reproductive des femmes au cours de ces dernières années, dans le contexte de propagation du virus Zika. Ce phénomène de judiciarisation des débats législatifs est analysé par Viviana Bohórquez, Jordi Díez et Nora Picasso. Les auteurs et auteures comparent les décisions des quatre Cours constitutionnelles de Colombie, du Mexique, d’Argentine et du Costa Rica à propos de l’avortement. Au-delà de la précision de l’exercice comparatiste juridique proposé par ces trois auteurs, les décisions analysées attestent d’abord du rôle majeur joué désormais par les Cours constitutionnelles, en contexte démocratique, pour statuer sur la conformité des lois avec les référents internationaux relatifs aux droits humains. Mais elles révèlent aussi, dans un cadre juridique où le code pénal continue de réguler l’interdiction de l’avortement et les exceptions autorisées, combien tout argumentaire certes en faveur de la mise en œuvre des exceptions, mais en dehors de la liberté des femmes à disposer de leur existence propre, contribue à confirmer la mise sous tutelle étatique de ces dernières. Enfin, Alicia Márquez Murrieta relate l’histoire de la décriminalisation et de la légalisation de l’interruption de grossesse dans le district fédéral de Mexico (aujourd’hui « Ville de Mexico ») en 2007. Cette légalisation, survenue des années après celle de Cuba (et du Guyana mais qui est rarement une référence dans les imaginaires militants), fit grand bruit à l’époque tant elle apparaissait comme une rupture historique, et exceptionnelle pour la région. L’article met en évidence le fait que suite à la loi, et d’une manière presque immédiate, des protocoles médicaux et sociaux ont 6. Elle était jusque-là opposée à la légalisation comme présidente mais elle l’a approuvée en 2018 en tant que sénatrice. Document téléchargé depuis www.cairn.info - INIST-CNRS - - 193.54.110.56 - 27/03/2020 15:26 - © ESKA biologique », dans un contexte où l’Eglise catholique entend maintenir son influence politique. A. Montoya donne finalement des clés d’analyse sur cet apparent paradoxe argentin, où les femmes continuent d’avorter dans la clandestinité alors que le pays offre l’une des législations les plus avancées au monde pour ce qui concerne le mariage homosexuel, ainsi que les droits des personnes trans. L’avortement : enjeux politiques et sociaux (I) 11 été mis en place, de sorte que les femmes ont pu s’approprier rapidement les nouveaux dispositifs. Document téléchargé depuis www.cairn.info - INIST-CNRS - - 193.54.110.56 - 27/03/2020 15:26 - © ESKA erratum Dans le n° 112, 2019/1, p. 84, il fallait lire, en note n°1 : Zygmunt Bauman, Thomas Leoncini, Les enfants de la société liquide, Paris, Fayard, 2018. Document téléchargé depuis www.cairn.info - INIST-CNRS - - 193.54.110.56 - 27/03/2020 15:26 - © ESKA Avant de se pencher notamment sur les situations centraméricaines, chilienne et de faire un retour historique sur le Mexique des années 1920 et 1930 (numéro à venir « L’avortement, enjeux politiques et sociaux (II) »), ce dossier offre ainsi un premier panorama sur la question de l’interruption de grossesse et sur les rapports de force politiques qu’elle engendre dans l’actualité.