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Ombres et lumières sur les élections européennes des 7 et 10 juin 1979 : ébauche d’une première analyse des résultats

1979, Études internationales

This article seeks to provide a first attempt at finding a way through the intricate jungle created by at least nine political Systems electing members for one Parliament. The analysis is divided into four steps. The first step considers the actors and the rules of the game and results in a clear conclusion : neither the rules (the electoral Systems) nor the actors (European political parties) allow for the expression of any kind of political will. The second step of the analysis deals with some generalizations about the so-called European trends of the election. The "nonvoters' party" appears as the clear winner. Moreover, this is the only common pattern observed in the nine countries. The third step is comprised of a country by country overview. Rather than referring to the European election, one should talk about at least elevent different elections each with a different set of issues. In terms of the issues, Denmark is the sole country where essentially European ma...

Document generated on 01/15/2019 8:36 p.m. Études internationales Ombres et lumières sur les élections européennes des 7 et 10 juin 1979 : ébauche d’une première analyse des résultats Daniel Louis Seiler Article abstract Volume 10, Number 3, 1979 URI: id.erudit.org/iderudit/700965ar https://doi.org/10.7202/700965ar See table of contents Publisher(s) Institut québécois des hautes études internationales ISSN 0014-2123 (print) 1703-7891 (digital) Explore this journal Cite this article Seiler, D. (1979). Ombres et lumières sur les élections européennes des 7 et 10 juin 1979 : ébauche d’une première analyse des résultats. Études internationales, 10(3), 549–589. https://doi.org/10.7202/700965ar Tous droits réservés © Études internationales, 1979 This article seeks to provide a first attempt at finding a way through the intricate jungle created by at least nine political Systems electing members for one Parliament. The analysis is divided into four steps. The first step considers the actors and the rules of the game and results in a clear conclusion : neither the rules (the electoral Systems) nor the actors (European political parties) allow for the expression of any kind of political will. The second step of the analysis deals with some generalizations about the so-called European trends of the election. The "nonvoters' party" appears as the clear winner. Moreover, this is the only commonpattern observed in the nine countries.The third step is comprised of a country by country overview. Rather than referring to the European election, one should talk about at least elevent different elections each with a different set of issues. In terms of the issues, Denmark is the sole country where essentially European matters were in the forefront. In the other cases, the election of the MEP resembles an opinion poll designed especially to meet the needs of national leaders and parties. The article concludes by considering future developments. The real European elections will take place in 1984. What will happen from June 1979 until 1984 will be akin to rehersals for a play. The script seems well written and the dialogue is interesting. However, the actors (the parties) are untrained. The destiny of the performance will entirely depend on the actors. This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. [https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/] This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. www.erudit.org OMBRES ET LUMIÈRES SUR LES ÉLECTIONS EUROPEENNES DES 7 ET 10 JUIN 1979 : ÉBAUCHE D'UNE PREMIÈRE ANALYSE DES RÉSULTATS Daniel Louis SEILER * ABSTRACT - Lights and Shadows Over Jurre 7th and 10th European Elections : Sketch for a First Analysis of the Outcome This article seeks to provide a first attempt at finding a way through the intricate jungle created by at least nine political Systems electing members for one Parliament. The analysis is divided into four steps. The first step considers the actors and the rules of the game and results in a clear conclusion : neither the rules (the électoral Systems) nor the actors (European political parties) aïlow for the expression of any kind of political will. The second step of the analysis deals with some generalizations about the so-called European trends of the élection. The "nonvoters' party" appears as the clear winner. Moreover, this is the only common pattern observed in the nine countries. The third step is comprised of a country by country overview. Rather than referring to the European élection, one should talk about at least élèvent différent élections each with a différent set of issues. In terms of the issues, Denmark is the sole country where essentially European matters were in the forefront. In the other cases, the élection of the MEP resembles an opinion poil designed especially to meet the needs of national leaders and parties. The article concludes by considering future developments. The real European élections will take place in 1984. What will happen from June 1979 until 1984 will be akin to rehersals for a play. The script seems well written and the dialogue is interesting. However, the actors (the parties) are untrained. The destiny of the performance will entirely dépend on the actors. Commentant l'événement sans conteste historique que représente la première élection multinationale, le magazine américain Time x commençait par convier ses lecteurs au petit jeu des devinettes : Question : What do thèse people hâve in common : former West German Chancellor Willy Brandt, French Health Minister Simone Veil, British socialist Barbara Castle, Ulter's Protestant Minister Ian Paisley and Otto Von Habsburg, eldest son of the last Austro-Hungarian emperor ? Answer : Not much except that they hâve ail just won an élection. Soon they will ail be commuting to Strasbourg as mint-new members in the Parliament of the European community, the world's first democratically elected international body. De fait, la diversité des personnalités qui vont siéger au Parlement européen laisse songeur et ne donne certes pas une image d'unité : dans cette tour de * Professeur au Département de science politique, Université du Québec à Montréal. 1. «Forum of Political Stars», Time, 25 juin 1979, p. 28. 549 550 Daniel Louis SEILER Babel, les candidats au rôle de prima donna abondent. En plus des précités, il faut ajouter les héraults de l'eurocommunisme - Berlinguer et Marchais - , ceux du nationalisme le plus hexagonal - Chirac et Michel Debré - , le plus fidèle lieutenant du Général. Les anciens premiers ministres, Thorn du Luxembourg, Tindemans de Belgique, ainsi que deux anciens présidents du conseil de la IV e République, Edgar Faure et Pierre Pfimlin, sans parler de Mariano Rumor et Emilio Colombo, ci-devant présidents du Conseil d'Italie. Trois présidents de la Chambre des députés, Nilde Jotti pour l'Italie, Charles-Ferdinand Nothomb pour la Belgique et Anne Vondeling pour les Pays-Bas, vont également siéger à Strasbourg. On y trouvera également des chefs de gouvernement régionaux comme Alfons Goppel, longtemps premier ministre du Land de Bavière, ou Joachim Dalsass, président de la région de Bolzano. Avec lui, la minorité germanophone du Tyrol du sud aura son porte-parole, comme d'ailleurs les nationalistes écossais avec Winnie Ewing, les catholiques d'Irlande du Nord avec John Hume, l'interlocuteur favori des télévisions francophones lorsqu'elles traitent de l'Ulster. Les Lapons du Groenland ne seront pas oubliés ; jusqu'aux dissidents de l'Europe de l'Est qui auront le leur en la personne de Jiri Pelikan. La liste pourrait encore s'allonger d'industriels, de syndicalistes ou d'hommes de lettres comme Maurice Druon ou l'écrivain sicilien Leonardo Sciscia. Peut-on s'inquiéter d'une telle richesse ? En fait, les élus signifient peu de choses par eux-mêmes ; ce qui importe, ce sont les forces et les courants qu'ils expriment. Par le filtrage de l'élection indirecte, les assemblées nationales étaient parvenues à conférer au Parlement européen une certaine image de cohérence. Nous avons eu l'occasion de démontrer que, depuis le passage de l'Europe de six à neuf États-membres, cette image de parlement modèle s'était quelque peu effritée. Depuis le 10 juin au soir, il y aura fort à faire pour que le concert parlementaire ne sombre pas dans une extraordinaire cacophonie. Un exemple : une commune aversion pour le Vatican pourrait-elle former un terrain d'entente entre le flamboyant Marco Pannella, leader des radicaux et apôtre de la société permissive, d'une part, et le pasteur Paisley, presbytérien intégriste et âme du mouvement anticatholique en Ulster qui voit dans la C.E.E. une redoutable conspiration papiste, d'autre part. Las, l'austère clergyman goûte peu la compagnie des Italiens. Le cas du pasteur Paisley révèle la réalité des pays européens dans sa nudité. Le Parlement de Strasbourg aura désormais son bestiaire : il lui était facile d'isoler et d'ignorer la présence d'un seul néo-fasciste, mais le MSI/DN en comptera désormais trois, dont Almirante et Pino Romualdi, l'idéologue de l'ultra-droite. De même, si les poseurs de bombes protestants d'Irlande du Nord ont leur avocat, I'IRA pourra compter sur la sympathie de Neil Blaney qui fut exclu du gouvernement irlandais pour avoir été impliqué dans une affaire de trafic d'armes. Ledit Blaney représente d'ailleurs ce que la culture politique irlandaise possède de plus idiosyncratique et de préindustriel. Son réseau tribal de patronage fit l'objet d'une analyse quasi anthropologique de la part du politiste américain Paul Sacks 2. 2. P. SACKS, The Donegal Mafia, New Haven, Yale University Press, 1976. OMBRES ET LUMIÈRES SUR LES ÉLECTIONS EUROPÉENNES 551 La carte des partis politiques telle qu'elle émerge des premières élections européennes se colore des mêmes tons que ceux observés pour les individus. Des tentatives de rationalisation ont été présentées par des politistes et reprises par des journalistes en quête de clichés simples ; on a parlé de victoire conservatrice ou d'assemblée orientée au centre droit. Mais qu'est-ce que cela signifie à l'échelle de l'Europe alors que les gaullistes défendent la planification économique et que les sociaux-démocrates allemands s'y opposent ? On y reviendra plus loin. Il serait plus sérieux de se pencher sur la composition sociale de la nouvelle assemblée. Ainsi on constate la présence de 54 juristes, 53 hommes d'affaires, 43 journalistes, 34 eurocrates, 27 ouvriers et syndicalistes, 26 universitaires, 23 enseignants et 22 agriculteurs. Mais on doit se méfier des identifications basées sur les seules catégories professionnelles. En tentant, en première analyse, de dégager des tendances en termes de classes sociales, on constate une très nette surreprésentation, non de la bourgeoisie comme on aurait escompté, mais de l'aristocratie et, singulièrement, de la haute noblesse. Surprenant cortège conduit par l'archiduc d'Autriche, flanqué du prince Poniatovski, apparenté au dernier roi de Pologne et au prince zu Sayn Wittgenstein Berleburg. À la suite de ces altesses impériales, royales ou sérénissimes, on trouve un duc d'Ormesson 3 et, enfin, une brochette de pairs d'Angleterre. On croit rêver ; s'agissait-il, en juin dernier, d'élire une assemblée pour la Sainte-Alliance ou pour la prosaïque Communauté économique européenne? En définitive, peut-on traiter un sujet comme les élections européennes sans tomber soit dans l'anecdote, soit dans une banalité généralisante coupée de la réalité politique des neuf pays-membres de la communauté? La tâche s'avère ardue pour une raison : dénué de pouvoirs politiques réels, le Parlement européen voit son élection privée de tout enjeu politique et, sans enjeu politique, que lui reste-t-il sinon la petite politique, c'est-à-dire l'anecdote ! Cependant, l'événement conserve une portée qui dépasse l'anecdotique et un aspect de laboratoire politique qui méritent d'attirer l'attention du chercheur. On s'efforcera, après avoir sacrifié aux anecdotes de rigueur, de dégager les faits saillants qui ressortent de ces premières élections européennes. On présentera d'abord les acteurs et les règles du jeu pour s'attacher ensuite aux globalisations européennes des résultats, tandis qu'on abordera la leçon du scrutin dans chacun des neuf pays. En guise de conclusion, on amorcera la découverte de pistes pour une future réflexion. I - LE PROCESSUS ÉLECTORAL EUROPÉEN: RÈGLES ET ACTEURS Dans les États qui connaissent le système représentatif dit de la démocratie libérale, le mode de sélection des individus censés représenter le peuple obéit à un certain nombre de normes précises. L'exigence minimale est que la désignation des membres de l'assemblée - ce que Émeri et Cotteret nomment l'opération 3. Olivier Lefèvre d'Ormesson n'est peut-être que marquis ou comte suivant sa position dans la hiérarchie familiale, mais nous laissons ce genre de considérations aux héraldistes ; l'intéressé appartient indiscutablement à une famille ducale. 552 Daniel Louis SEILER électorale 4 - soit uniforme : même type de scrutin, mêmes conditions d'accès au droit de vote, mêmes conditions d'éligibilité, etc. Par ailleurs - et la démocratie dût-elle en souffrir - le processus électoral, en Occident, s'avère indissociable de l'action des partis politiques. L'intrication du fait électoral et du fait partisan est telle que des politistes italiens inventèrent le vocable partitocrazia pour qualifier le système de représentation qui prévaut désormais en Europe. On sait depuis Duverger que non seulement les deux phénomènes - élections et partis politiques vont de pair, mais encore que le mode de scrutin exerce une influence considérable sur le système de partis. Par analogie avec le processus électoral pratiqué dans les sociétés industrielles occidentales, pour qu'on puisse qualifier l'événement des 7 et 10 juin 1979 d'élections européennes, il faut trouver une similitude dans le choix des élus et l'existence d'un système européen de partis. À notre avis, ces deux conditions ne furent pas remplies. A - L'opération électorale et le mode de scrutin Comme l'écrivent Jean-Marie Cotteret et Claude Émeri, 1' « opération électorale peut être définie comme un ensemble de procédures, d'actes juridiques et matériels aboutissant principalement à la désignation des gouvernants par les gouvernés 5 ». Le mode de scrutin constitue l'une des principales procédures de cette opération électorale. Dans les États fédéraux et dans les confédérations qui inspirèrent les « pères fondateurs » des communautés européennes, l'opération électorale est incluse dans la constitution fédérale ou dans le pacte confédératif, lesquels pouvant laisser les modalités d'application au parlement fédératif ou à la diète confédérale, c'est-à-dire à un législateur qui dépasse les États-membres de l'Union. Les traités instaurant la Communauté européenne ne dérogent pas à cette norme puisqu'ils prévoyaient l'élection directe du Parlement européen selon une procédure européenne unique €. L'ancienne assemblée de Strasbourg-Luxembourg avait d'ailleurs réalisé un important travail préparatoire en vue de l'adoption d'un mode de scrutin pour son élection directe. Malheureusement pour les parlementaires européens, les traités proposent et les gouvernements disposent. Or ces derniers, infidèles à l'esprit sinon à la lettre du pacte communautaire, résolurent en 1976 d'organiser la première élection du Parlement européen suivant des modalités laissées à la discrétion des États-membres de la CE 7. La seule concession faite à la symbolique européenne fut que les élections se dérouleraient non pas le même jour, mais la même semaine et que le dépouillement serait simultané. Les Neuf ne parvinrent pas à s'entendre sur le jour du scrutin qui dut se dérouler en deux journées distinctes ; c'est-à-dire que les pays où la culture 4. 5. 6. 7. J. M. COTTERET et C. ÉMERI, Les systèmes électoraux, Paris, P.U.F., 1979. Ibid., p. 11. Articles 21 du traité instituant la CECA et 108 de I'EURATOM. Décidé lors du « sommet » européen des 12 et 13 juillet 1976, organisé par le Comité des représentants permanents des États dans l'acte du 20 septembre de la même année. L'acte du 20 septembre 1976 devint effectif après ratification des neuf États-membres le 1 er juillet et, le 25, le Conseil dès ministres de la C E . fixait les dates des élections. TABLEAU 1 g oo S Les opérations électorales dans les 9 pays de la CE Pays Sièges Extension Système électoral RP (d'Hondt) 2 circonscriptions (régions) Aucune Âge Autres détails 18 Vote obligatoire 20 - BELGIQUE 24 DANEMARK a) Métropole b ) Groenland 16 15 1 FRANCE 81 R P ( + forte moyenne) Listes nationales min. 5% des voix Français vivant à l'étranger 18 IRLANDE 15 STV - 4 circonscriptions (provinces) Citoyens de la C E résidant à l'étranger 18 - ITALIE 81 RP (d'Hondt) 5 circonscriptions Italiens vivant dans les 8 autres pays de la C E 18 - R P (d'Hondt) - Listes nationales Luxembourgeois résidents 18 Vote obligatoire RP (d'Hondt) - Listes nationales Néerlandais vivant à l'étranger et citoyens de la C E résidant Listes nationales aux PaysnBas 18 — RP (d'Hondt) - Listes nationales Allemands vivant dans les ou par Land - Min. 5% des voix 8 autres pays de la C E Élection par le Landtag 18 - 18 - LUXEMBOURG 6 PAYS-BAS 25 R.F.A. 81 a) Allemagne b) Berlin Ouest ROYAUME-UNI a) Grande-Bretagne b) Irlande du Nord 78 3 RP (d'Hondt) - Listes nationales Danois vivant dans les 8 autres pays de la C E 1 siège SM 1 T SM 1 T STV Citoyens vivant au R.-U. et Irlandais Inclusion des D.O.M. et T.O.M. 554 Daniel Louis SEILER dominante est protestante - Danemark, Irlande 8 , Pays-Bas et Royaume-Uni votèrent le 7 juin, donc un jeudi, tandis que les États dont la culture dominante est catholique et romaine - Allemagne, Belgique, France, Italie et Luxembourg allèrent aux urnes, le dimanche. Seuls les Italiens renoncèrent à leur tradition de prolonger la durée de la votation jusqu'au lundi matin. Il était prévu que le dépouillement débuterait une fois clos les derniers bureaux de vote, le dimanche à 22 h 00. Cette claus,© ne fut pas respectée aux Pays-Bas, où l'observance du jour du Seigneur est telle que l'ouverture des urnes ne se fit que le lundi matin. Si le laps de temps dans lequel se déroula le scrutin donne l'image d'une certaine unité, il n'en va plus de même lorsqu'on examine les conditions d'accès au vote et d'éligibilité. Le tableau 1 montre qu'elles varient nettement d'un État à l'autre. À la limite, certains Européens - les citoyens français résidant en République d'Irlande - avaient même le loisir de voter deux fois. De même, les découpages électoraux et les modes de scrutins utilisés offrent des différences considérables. Chaque mode de scrutin possède ses partisans et ses détracteurs. Chaque mode de scrutin se caractérise également par un certain nombre de biais et de distorsions. Le choix d'un système plutôt qu'un autre dépend de l'effet politique recherché : soit dégager à tout prix une majorité parlementaire cohérente et viable, soit présenter le reflet le plus fidèle possible de l'opinion, soit encore combiner de manière optimale ces deux impératifs. Cependant, si biais il y a, ils frappent l'ensemble des membres d'un collège électoral. Or, avec 12% des voix, les libéraux britanniques ne firent élire aucun député européen alors qu'avec 6%, leurs alliés allemands en obtinrent quatre. L'Allemagne comme le Royaume-Uni disposent de 81 eurodéputés. Il y a donc inégalité flagrante entre les citoyens d'Europe face à leur possibilité d'être entendus par les communautés européennes. Selon que vous serez un minoritaire italien ou britannique, vos chances d'être représenté au Parlement européen seront importantes ou dérisoires. On peut trouver de bonnes justifications pour légitimer l'organisation des élections européennes suivant des modalités strictement nationales. En revanche, l'honnêteté politique minimale impliquait le choix d'un mode de votation adapté au type d'élection à tenir. Dans le cas d'une assemblée supranationale où il n'importe pas de dégager une majorité de gouvernement, le plus élémentaire bon sens voulait qu'on s'efforçât d'assurer la représentation la plus fidèle des forces politiques de chaque pays. Pour ce faire, certains États se devaient de renoncer à leur mode de scrutin habituel. Le Parlement français a compris cet impératif, mais pas le Parlement britannique. 8. La République d'Irlande est, de loin, le pays le plus catholique de l'Europe des Neuf. Cependant, celle-ci se comporte - du fait de la longue domination anglaise - comme une nation protestante en ce qui concerne le « Sunday closed », les pratiques de table, les débits de boisson, etc. Cf. L. MOULIN, L'Europe à table, Paris, Bruxelles, 1975. OMBRES ET LUMIÈRES SUR LES ÉLECTIONS EUROPÉENNES 555 Le tableau 1 présente le panorama des systèmes électoraux utilisés. Cependant, il n'est pas sans intérêt d'analyser quelque peu la logique qui présida à l'établissement du mode de scrutin pour l'élection au Parlement européen, ainsi qu'à son incidence sur les résultats. Les modes de scrutin employés pour élire les eurodéputés sont la représentation proportionnelle avec listes bloquées, la représentation proportionnelle avec vote préférentiel, le single transférable vote et le système majoritaire uninominal à un tour. 1 -LA REPRÉSENTATION PROPORTIONNELLE AVEC LISTES BLOQUÉES La représentation proportionnelle avec listes bloquées a été adoptée par. l'Allemagne fédérale et par la France ; c'est-à-dire que les électeurs n'avaient aucune possibilité de modifier l'ordre des candidats présentés par les partis politiques. Les deux pays ont pour l'occasion choisi un système électoral spécialement adopté pour l'élection. Le mode de scrutin n'est toutefois pas le même en France et Outre-Rhin. a) En Allemagne, le débat électoral porta sur la question des listes nationales ou des listes par État. Il n'opposait pas centralistes et décentralisateurs, mais bien la majorité qui pensait engranger plus de voix à l'échelle nationale et la CDU qui voulait éviter un cruel dilemme : faire liste commune avec la CSU de FranzJosef Strauss ou voir celui-ci présenter son fameux « quatrième parti » 9 . La difficulté fut réglée à l'amiable et dans le plus pur style électoraliste : chaque parti présentant à son gré une liste nationale ou des listes régionales. Comme il se doit, le SPD et le FDP optèrent pour des listes nationales, tandis que la CDU et sa remuante alliée CSU choisissaient des listes par Land, cette dernière restant confinée dans son terrain de chasse bavarois. b) En France, on pouvait s'attendre à ce que l'adoption d'un mode de scrutin pour l'élection européenne soulevât maintes controverses. En fait, le débat soulevé par les « nationalistes » - gaullistes et communistes - porta sur le principe même de l'élection directe du Parlement européen et non sur le mode de scrutin. Même si le RPR gaulliste de Jacques Chirac penchait en faveur du scrutin uninominal à deux tours, en vigueur pour les législatives et les1 cantonales depuis l'aube de la V e République, un large accord se dégagea dans les deux chambres, en faveur de la proportionnelle avec listes nationales bloquées 10, la répartition des restes s'effectuant suivant le principe de la plus forte moyenne u . En outre, un 9. F. J. Strauss laisse pendre, depuis plus d'un an, une épée de Damoclès au-dessus de ses « amis » de la CDU : étendre sa CSU à l'ensemble de l'Allemagne. Cette stratégie s'est révélée payante puisque, en juillet 1979, la CDU a dû, la mort dans l'âme, se rallier à Strauss comme candidat-chancelier de la CDU/CSU. 10. 474 votes contre 2 à l'Assemblée nationale et 256 contre 0 au Sénat. 11. Cf. COTTERET et ÉMERI, op. cit., pp. 61-63. 556 Daniel Louis SEILER certain nombre de barrières furent établies afin d'écarter les petites formations : plancher des 5% des suffrages exprimés, en dessous duquel une liste se voit excluse de la répartition des sièges, caution de 100 000 francs, non remboursement des frais d'impression des bulletins de vote, affiches officielles et circulaires pour listes n'ayant pas obtenu au moins 5 % , etc. Ces dispositions furent vivement contestées par les écologistes et les petites listes tout au cours de la campagne électorale. On remarquera que, lors du débat à l'Assemblée nationale, peu de voix s'élevèrent pour s'opposer tant à la règle des 5% qu'au principe de la circonscription unique. C'est le jacobinisme qui triompha et les régions furent oubliées. 2-LA REPRÉSENTATION PROPORTIONNELLE AVEC VOTE PRÉFÉRENTIEL La Belgique, le Danemark, l'Italie, le Luxembourg et les Pays-Bas adoptèrent le système d ' H o n d t n avec possibilité d'émettre un vote préférentiel afin de favoriser un candidat en particulier sur une liste. En Italie les électeurs disposaient de la possibilité de favoriser plusieurs candidats sur une même liste, tandis qu'au Grand-Duché de Luxembourg, la latitude leur était offerte de « panacher », c'està-dire de partager leur vote entre des candidats se présentant sur des listes adverses. C'est au Danemark et en Flandre que les listes se trouvèrent les plus modifiées. a) Les petits pays homogènes comme le Danemark, le Luxembourg et les Pays-Bas optèrent pour la circonscription nationale unique, le Danemark prévoyant en plus l'apparentement entre les listes pour la répartition des restes. L'adoption des lois électorales ne souleva pas de problèmes majeurs, les objections du Folketing danois portant sur le principe de l'organisation de l'élection européenne en dehors des législatives et sur le non-cumul des mandats nationaux et européen. Il faut souligner qu'une fois ces réserves levées, les parlementaires danois se révélèrent de parfaits Européens en adoptant le système belge d'Hondt, délaissant le système nordique Ste-Lagiie, tandis que la majorité des parlementaires élus à l'assemblée européenne démissionnaient du Folketing. b) En revanche, de grands pays comme l'Italie et la Belgique « bicommunautaire » se rallièrent au principe des circonscriptions multiples. Si l'adoption du découpage électoral ne souleva pas de graves questions politiques en Italie, il attisa le débat communautaire en Belgique. Fallait-il diviser le pays en deux circonscriptions - une francophone et une néerlandophone - comme le suggéraient les Flamands, ou en trois, en tenant compte de la spécificité bruxelloise, comme le demandaient les francophones, ou encore en quatre, suivant la revendication de la petite minorité germanophone d'Eupen et St-Vith ? À moins de se rallier à M. Tindemans et de choisir une circonscription nationale unique, permettant ainsi à « M. Europe » de tester sa popularité à une plus vaste échelle... Finalement, le point de vue flamand prévalut ; 13 sièges furent accordés à la Flandre et 11 à la Wallonie, les Bruxellois pouvant choisir l'un ou l'autre des deux collèges électoraux. Moins généreux que le furent les Danois vis-à-vis du Groenland, les Belges négligèrent d'assurer une représentation pour leur minorité germanophone. 12. Ibid., pp. 63-65. OMBRES ET LUMIÈRES SUR LES ÉLECTIONS EUROPÉENNES 557 3 - LE S/NGLE TRANSFERABLE VOTE 13 Le single transférable vote ou STV fut inventé au siècle dernier par Thomas Hare qui voulait le substituer au système majoritaire anglais. Il fut redécouvert par les Britanniques qui l'imposèrent à l'État libre d'Irlande afin de ménager la représentation des tendances minoritaires et de forcer les partis à coopérer. Ce mode de scrutin, au demeurant fort compliqué, consiste en une proportionnelle sans listes, chaque électeur rangeant les1 candidats dans l'ordre de ses préférences. La république d'Irlande, dont c'est le système électoral, et l'Irlande du Nord l'ont utilisé pour élire leurs eurodéputés. Si le Parlement de Westminster a consenti à faire élire les trois députés d'Irlande du Nord au STV, c'est uniquement pour permettre à la minorité catholique d'obtenir un député. Quant au Dail de Dublin, il opta pour des circonscriptions provinciales. 4 - L E SCRUTIN UNINOMINAL MAJORITAIRE À UN TOUR Comme le Groenland n'élisait qu'un seul eurodéputé et que les modalités prévues dans « L'acte du 20 septembre » ne permettaient pas l'organisation d'un second tour, le système britannique fut utilisé. Le fait que l'île ne compte que deux partis fit que l'élection exprima fidèlement la volonté des citoyens. Il en alla tout autrement en Grande-Bretagne et le scrutin majoritaire à un tour, joint aux abstentions, contribua à retirer toute légitimité aux « eurodéputés » britanniques. En Ecosse, par exemple, l'abstentionnisme frappant l'électorat travailliste se doubla d'une remontée des nationalistes. Souvent conservateurs, Labour et SNP obtinrent des pourcentages voisins, les libéraux faisant plus que figurer. Dans ces conditions, la volonté populaire eût tout aussi bien été respectée si les « MEP » avaient été désignés par tirage au sort 14 . Pourtant, c'est en connaissance de cause que les parlementaires britanniques se sont ralliés à leur système inadapté à une élection européenne. En effet, en avril 1977, le gouvernement de Sa Majesté publiait un White paper with green edges entièrement consacré au mode d'élection des parlementaires européens 15 . Trois options étaient présentées au choix des députés : le système actuel, la représentation proportionnelle (système d'Hondt) dans des circonscriptions régionales Ecosse, Pays de Galles, Ulster ainsi que les neuf régions de programme qui existent en Angleterre - ou le STV. L'argumentation du document officiel allait dans le sens de l'adoption du système d'Hondt ; et différentes simulations, réalisées à partir des élections de 1974 ou des partielles tenues dans le cours de 1976, annonçaient clairement les résultats catastrophiques qu'entraînerait le choix du 13. Ibid., pp. 78-80. 14. Cf. le résultat dans la circonscription du West-Stratchlyde. 15. Direct Elections to the European Assembly, HMSO, Cmnd. 6768, 1977. 558 Daniel Louis SEILER first past the post pour l'élection européenne 16. Les députés britanniques au Parlement européen furent donc élus dans des Euroconstituencies de tailles monstrueuses, regroupant de huit à dix circonscriptions législatives, créant a priori un biais en faveur des Tories. 5-CONSÉQUENCES EUROPÉENNES DES DIVERS MODES DE SCRUTIN Le 17 juillet, lors de la séance inaugurale du premier Parlement européen élu directement, celui-ci devra faire face à un certain nombre de contestataires. Outre une délégation de libéraux britanniques qui, forte de l'appui de 12% des votes exprimés, exigera une représentation, il devra affronter les écologistes français qui réclameront les trois sièges qu'ils auraient obtenus sans la barrière des 5 % . D'autres protestataires viendront sans doute proclamer face à l'Europe l'iniquité de certaines lois électorales. Cette protestation ne manque pas de pertinence si l'on considère l'élection du Parlement européen comme un tout. La barrière des 5% ou le scrutin majoritaire uninominal auraient pu être considérés comme acceptables s'ils avaient été pratiqués par l'ensemble des neuf pays de la communauté. La situation présente crée, de ce point de vue, des disparités intolérables entre les citoyens de l'Europe des Neuf. Ainsi, avec 1 % des suffrages exprimés, l'extrême-gauche italienne obtint le siège qu'avec 12% les libéraux britanniques ne parviennent pas à arracher. Au chapitre de l'extrême-gauche, les trotskystes français ne seront pas représentés alors qu'ils atteignent leur maximum historique avec 3 % . La construction d'une courbe de Lorenz à partir des résultats des élections européennes révélerait des distorsions nationales à nulle autre pareilles. Si la bonne foi des parlements nationaux avait pu être suspectée, on aurait pu présenter le premier scrutin européen comme le plus grand gerrymanding de l'Histoire ! En revanche, si l'on considère l'élection européenne comme une hypothèse d'école et que, par conséquent, on envisage les élections européennes comme neuf élections nationales, la protestation des « victimes des modes de scrutin » perd tout objet. Il n'est en effet pas choquant que chaque État-membre fasse élire sa représentation au Parlement européen suivant ses impératifs propres. Ceux-ci peuvent être à la limite d'avoir une délégation nationale homogène et cohérente. En vérité, les gouvernements nationaux ont voulu organiser neuf élections nationales en s'efforçant de conférer à cet événement l'apparence d'une élection vraiment européenne. Qui plus est, suivant que les informations émanaient des gouvernements ou de la Commission de Bruxelles, l'accent était mis sur le caractère national ou sur le caractère européen. Mais l'échec de l'opération « Eurovote » 16. Par exemple, une simulation basée sur une avance du SNP et un recul du Labour en Ecosse, et une avance des Tories en Angleterre donnait les résultats suivants : Cons. : 65 ; SNP : 8 ; unionistes d'Ulster : 3 et Lab. : 5. Si on exclut les 3 sièges d'Ulster attribués suivant le STV, et la poussée du SNP, l'erreur n'est que de 5 sièges en faveur des conservateurs en Angleterre et au pays de Galles. OMBRES ET LUMIÈRES SUR LES ÉLECTIONS EUROPÉENNES 559 témoigne avec éclat de la vanité des efforts tentés par la Communauté pour accréditer l'image européenne du scrutin 17. On connaît l'impact du système électoral sur les résultats électoraux. S'il existe une volonté européenne, elle est difficilement perceptible à travers les résultats de ces élections car elle a été réfractée et fragmentée par les prismes déformants constitués par les modes de scrutin. Si le Parlement européen élu en juin dernier est plus démocratique que ses devanciers, il se révèle par contre moins représentatif que ces derniers. Cependant, même brisée par les opérations électorales, l'opinion européenne pourrait se voir recomposée par la volonté des partis politiques. On se souviendra des enthousiastes députés à l'Assemblée commune de la CECA, pourtant délégués par leurs parlements nationaux, qui refusèrent de siéger par pays pour se constituer en groupes idéologiques. La présentation dans chaque pays-membre de partis politiques semblables, dotés de programmes communs et porteurs d'options européennes, eût constitué un fait de nature à neutraliser l'effet déformant causé par la multiplicité des systèmes électoraux utilisés. Qu'en fut-il? B - Le rôle des partis politiques Il n'y a plus d'élections sans partis politiques et ce sont eux qui, présentant les options relatives aux enjeux débattus lors d'une élection, canalisent l'expression de la volonté populaire 18. Deux questions se posent face à un phénomène inédit comme l'élection directe d'une assemblée transnationale. D'une part, et en général, existe-t-il des courants politiques transnationaux, c'est-à-dire des familles de partis ? D'autre part, et dans le cas particulier de la CE, existe-t-il des partis politiques européens supranationaux, c'est-à-dire porteurs d'options politiques au niveau du système communautaire européen ? Nous avons eu l'occasion, dans des travaux antérieurs au 10 juin 1979, de répondre à ces deux questions 19. On en reprendra rapidement les grandes lignes à la lumière des résultats des élections européennes. 1 - LES FAMILLES DE PARTIS DANS LA COMMUNAUTÉ EUROPÉENNE En nous fondant sur l'approfondissement de l'un des modèles proposés par le grand sociologue norvégien, Stein Rokkan 20 , nous avons pu établir une taxi17. Échec rapporté tant par Le Monde que par Le Soir de Bruxelles. 18. D. L. SEILER, «Sur la genèse des partis politiques en Europe: théorie et taxinomie», Europa, Revue d'études interdisciplinaires, vol. 2, n° 1, 1978, pp. 83-102. 19. D. L. SEILER, « En marge de l'élection du Parlement européen : le problème des familles politiques en Europe », Revue d'intégration européenne, vol. 1, n° 2, 1978, pp. 143-190 ; Les partis politiques en Europe, Paris, P.U.F., 1978 ; « Les équivoques de l'élection européenne », La Revue nouvelle, vol. LXIX, nP 4, 1979, pp. 359-373 et « Les élections européennes de 1979 entre le nationalisme et l'intégration», Revue d'intégration européenne, vol. 2, n° 3, 1979. 20. Nous avons utilisé le paradigme des quatre clivages fondamentaux présenté dans S. M. LIPSET et S. ROKKAN (éd.), Party Systems and Voters Alignments, New York, The Free Press, 1967 et S. ROKKAN, Citizens, Elections, Parties, Oslo, Universitets Forlaget, 1979. TABLEAU 2 Les familles politiques au sein du Parlement européen Partis * Pays ALLEMAGNE BELGIQUE - Cté française Ouvriers Bourgeois CDU/CSU : 42 SPD FDP : 4 Chrétiens : 2 PS : - Cté néerlandaise P W : 2 BSP : 3 CVP : : : 2 SD 3 SF 1 CD : 3 : 1 : 1 Cons. Venstre Progrès Autonomistes Centralistes 4 PSC 81 : 3 FDF/RW : 2 11 : VU 1 13 7 Siumut IRLANDE ITALIE PLI MSI/DN LUXEMBOURG PAYS-BAS : 21 : 19 RPR/DIFE: 15 Lab. : FG 3 PCI 4 PSI PSDI PDUP DP : : : : : POSL : UDF/UFE : 26 PS PCF VVD : : 4 PvdA D '66 4 24 DC 9 4 1 1 1 PCS : 9 CDA : 2 : Anti-CE Groenland FRANCE Européens ** TOTAUX : 35 PRL DANEMARK Anticléricaux : 29 PR PRI : 3 Dém. : 10 : 3 : 2 : 2 : : : 4 1 15 1 81 4 FF IFF SVP : 5 T. Maher : : 1 : 1 1 15 81 6 25 TABLEAU 2 Les familles politiques au sein du Parlement européen (suite) Pays Partis * : Ouvriers Bourgeois ROYAUME-UNI - Grande-Bretagne Cons. : 60 Lab. Anticléricaux Chrétiens Centralistes : 17 SNP DUP OUP - Ulster TOTAUX * D 153 158 : Christliche-Dernokratische Union - CDU Christliche Soziale Union (Strauss) - CSU Libéraux - FDP Sociaux-démocrates - SPD B : Parti des réformes et de la liberté - PRL Socialistes - PS (cf. F) Sociaux-chrétiens - PSC Francophones bruxellois - FDF Rassemblement wallon - RW Parti de la liberté et du progrès - PVV Socialistes flamands - BSP Démocrates-chrétiens flamands - CVP Autonomistes flamands - VU DK : Conservateurs - Cons. (cf. GB) Libéraux - Venstre Sociaux-démocrates - SD Socialistes populaires - SF Démocrates du centre - CD F : Giscardiens - UDF/UFE Communistes - PCF Gaullois-chiraquiens - RPR/DIFE ** Cette catégorie comprend les listes et candidats qui comprend la liste danoise hostile à la CE. 52 7 Européens ** TOTAUX Autonomistes : 1 SDLP : 1 21 : 1 : 1 78 1 3 13 5 410 IRL : Travaillistes - Lab. (cf. GB) Fine Gael - FG Fianna Fail - FF Indépendants - FF/IFF I : Libéraux-PLI Néo-fascistes - MSI/DN Communistes - PCI Socialistes - PSI Sociaux-démocrates - PSDI Démocrates prolétariens - FDUP Radicaux - PR Républicains - PRI Autonomistes du Tyrol du sud - SVP NL : L i b é r a u x - W D Travaillistes - PvdA Démocrates '66 - D '66 Démocrates-chrétiens - CDA GB : Autonomistes écossais - SNP Unionistes démocrates (Paisley) - DUP Unionistes officiels - OUP Catholiques irlandais - SDLP sont présentés sur des options strictement européennes. Par un apparent paradoxe, elle 562 Daniel Louis SEILER nomie originale des familles politiques en Europe. Elle se distingue nettement tant des nomenclatures présentées jusqu'alors que de certaines alliances internationales conclues par des partis 21 . En effet, en voulant nous attacher aux structures et non aux apparences, nous avons considéré que le nom d'un parti et ce que celui-ci prétend être importent bien peu eu égard à sa nature. Par nature d'un parti politique, nous entendons les conflits historiques qui l'engendrèrent, la composition sociologique de son électorat, les intérêts qu'il sert et les groupes de pression avec lesquels il entretient des relations constantes. La taxinomie proposée se compose de huit familles politiques possibles correspondant aux deux versants de chacun des quatre clivages fondamentaux découverts par Rokkan. Deux familles politiques n'existent pas dans les paysmembres de la Communauté. Le tableau 2 donne la composition du nouveau Parlement européen ventilée en fonction de chaque famille politique. Trois grands clivages ont engendré des partis politiques en Europe : le conflit des classes, le conflit Église/État, le conflit portant sur la forme ou l'existence de l'Etat. On mentionnera un quatrième conflit, entre industrialisation et nature : il ne s'est pas encore traduit, à proprement parler, dans les systèmes de partis, mais l'apparition des « écologistes » sur la scène électorale annonce peutêtre l'émergence d'une nouvelle force politique. Ils ont engendré respectivement les partis bourgeois et ouvriers, les démocrates-chrétiens et les anticléricaux, les centralistes et les autonomistes. a) Les partis bourgeois Le vocable «parti bourgeois», d'origine Scandinave, nous paraît mieux rendre compte de la réalité sociologique et historique que des termes souvent utilisés comme « droite » ou « conservateurs ». Une série de partis politiques aux multiplies facettes, fruits des cultures nationales, sont unis par une commune vocation : médiatiser la volonté politique des diverses fractions de la bourgeoisie. Pour conquérir le pouvoir et gouverner, les partis bourgeois ont dû gagner le concours d'autres groupes sociaux, souvent les agriculteurs et les classes moyennes - commerçants, artisans et professions libérales. Leur séduction atteint certaines couches ouvrières non syndiquées qui ont été conquises grâce à des éléments idéologiques agissant sur certaines racines de l'émotivité populaire : la peur du risque, le goût de la sécurité, de l'ordre, de l'autorité, ou encore l'attachement sentimental aux traditions, l'amour de la patrie et du prestige national, voire même la xénophobie... Mais ces traits idéologiques sont connexes et contingents ; la vision politique des partis bourgeois est axée sur la défense de la société libérale et de l'économie de marché fondée sur la recherche du profit par des agents économiques privés. Certains de ces partis acceptent le rôle supplétif de l'État. D'autres favorisent la réforme en ce qui touche à la culture et aux mœurs. Mais tous entendent maintenir le privilège dévolu à l'initiative privée dans la vie économique. 21. I). L. SEILER, Les partis politiques en Europe, op. cit. OMBRES ET LUMIÈRES SUR LES ÉLECTIONS EUROPÉENNES 563 La volonté politique de la classe bourgeoise peut se voir médiatisée par un grand parti à vocation majoritaire. Cette situation existe en Allemagne et en Angleterre. Le parti conservateur britannique a réalisé l'exploit de se poser avec succès en médiateur quasi unique de la droite et c'est lui qui, depuis l'instauration du suffrage universel, a présidé le plus souvent aux destinées du Royaume-Uni. Quoique disposant de moins de membres que les conservateurs britanniques, la CDU/CSU allemande jouit presque du même statut politique. Le succès de départ de la CDU et de son alliée bavaroise, la CSU, tient au fait que ces partis se créèrent comme formations démocrates chrétiennes, ce qui leur permit d'atteindre un plus large spectre électoral que la droite classique. Toutefois, la CSU de Franz-Josef Strauss n'hésita pas à se définir, selon ses statuts, comme parti conservateur. Sous la houlette de Konrad Adenauer et sous l'inspiration du très libéral professeur Erhardt, la CDU se délesta de son aile gauche pour absorber sur sa droite la Deutsche Partei, la majorité du parti des réfugiés et des députés de la droite du parti libéral FDP. On peut considérer qu'en 1970, le réalignement de la CDU est consommé ; elle est devenue la droite et le FDP occupe désormais le centre. Tant par la structure de son électorat que par son programme, la CDU/CSU s'apparente beaucoup plus aux Tories qu'à la DC italienne ou aux démocrates chrétiens belges et néerlandais 22. Les conservateurs britanniques et la CDU/CSU laissent chacun sur leur gauche un petit parti libéral que rien ne distingue sociologiquement de son grand frère. Se référant à la « philosophie radicale », ces libéraux investissent toute leur énergie à se démarquer de la droite. Pour ce faire, ils marchandent leur soutien qui au Labour, qui aux sociauxdémocrates. Mais leur nature politique fondamentale ne tarde pas à se dévoiler : le prix du soutien libéral au gouvernement minoritaire de M. Callaghan fut l'abandon de toute velléité de nationalisation, et la présence du FDP dans le gouvernement de M. Schmidt constitue un frein efficace à la timide action d'un SPD pourtant très modéré. En Belgique, aux Pays-Bas et en Italie, la présence d'une démocratie chrétienne dynamique a limité les équivalents locaux des Tories à la fraction anticléricale de la bourgeoisie. Dans les deux premiers pays, les libéraux ont tenté de remonter le courant en attirant la droite chrétienne. Leur force électorale reste toutefois inférieure à celle des démocrates chrétiens, quoique les libéraux wallons aient pris l'avantage en 1965 et 1968. En Italie, le PLI s'efforça, dès 1961, de capitaliser le mécontentement que l'ouverture à gauche suscitait dans la bourgeoisie catholique, mais ses progrès se révélèrent sans lendemain. La nécessité de s'adapter aux aléas d'une vie politique fort difficile a contraint nombre de partis bourgeois à se doter d'étiquettes politiques aux consonances chatoyantes : parti pour la liberté 22. Sur la « trahison » de la CDU, cf. Jean NEUVILLE, Adieu à la démocratie chrétienne ? Élie Baussart et le mouvement ouvrier, Bruxelles, EVO, 1973. TABLEAU 3 Familles politiques et groupes parlementaires Groupes parlementaires Organisations électorales Socialistes Un. partis soc. et S.D. de la CE Démo.-chrétiens Libéraux-dém. Communistes Conservateurs D.E.P, N.I. TOTAUX Parti populaire Libéraux-dém. européen (PPE) européens (LDE) - - - - - FAMILLES POLITIQUES 4 CDU/CSU: 42 FDP 2 UDF/UFE: 17 PRL 2 PVV V 3 .UDF/UFE : 19 PLI 3 WD 4 Bourgeois Ouvriers SPD PS BSP SD PS ILP PSI PSDI POSL PvdA D'66 Lab. 35 4 3 3 21 4 9 4 1 9 2 17 KFP Cons. SF PCF PCI : 1 CD : 19 : 24 : 2 FP : 60 : 1 : 1 MSI/DN : 4 153 PDUP DP : 1 : 1 159 3 7 29 3 10 PSC CVP DC PCS CDA Chrétiens PRI Dém. Anticléricaux Centralistes Autonomistes 52 FG SDLP : 1 SVP : : : 4 RPR : 15 DUP OUP 1 FF : Autres : Irish Labour Party KFP : Conservateurs danois V 5 FDF/RW VU Siumut IFF SNP Anti-CE Maher Anti-CE* : 1 TOTAUX ILP PR 2 2 : Venstre Autres sigles, cf. tableau 2. 113 106 41 45* 63 21 * L'un des élus de la liste danoise contre la CE est membre du PC. Siègerait-il comme non-inscrit à l'instar de ses colistiers ou comme communiste ? : . 3 7 1 1 21 2 1 1 1 1 13 3 1 5 20 410 566 Daniel Louis SEILER et la démocratie aux Pays-Bas, parti pour la liberté et le progrès en Flandre, parti des réformes et de la liberté en Wallonie... Au Danemark, le morcellement des partis bourgeois traduit encore la situation du conflit de classe à l'époque préindustrielle et l'hésitation des libéraux - leur dilemme selon Maurice Duverger - entre la gauche et la droite. Les conservateurs danois sont les héritiers de la H0yre, le parti du roi, de l'aristocratie et des bureaucrates. Ils médiatisent aujourd'hui les intérêts de la haute bourgeoisie. Leurs adversaires historiques se sont scindés en Libérale Venstre (gauche libérale) proconservatrice et en Radicale Venstre (gauche radicale) pro-social-démocrate. Les deux phénomènes précités se combinent en France pour affaiblir les partis bourgeois. D'une part, le gaullisme a sapé leurs bastions jadis les plus solides et, d'autre part, les vestiges préindustriels et le « dilemme des libéraux » les divisent en trois tronçons qui se sont coalisés au sein de l'union pour la démocratie française. L'UDF se voue depuis les législatives de 1978 à la défense et à l'illustration de la vision politique du président Giscard d'Estaing. Pour compléter le tableau des partis bourgeois européens, il nous faut ajouter deux formations, l'une vestige d'un passé, espérons-le, révolu, l'autre annonciatrice d'une évolution future. Le fascisme fut en Italie un phénomène trop considérable pour ne pas avoir laissé de traces politiques. Le MSI/DN constitue un amalgame entre les nostalgiques du Duce et ceux de la monarchie. Son implantation est la plus solide dans les régions les plus arriérées de la péninsule. Au Danemark, le parti du progrès de Mogens Glistrup, mieux connu sous le sobriquet de « parti antiimpôts », est devenu le second au parlement de Copenhague. Il exprime le « ras-le-bol » des mieux nantis et des nouveaux riches face à une social-démocratie qui, faute de procéder à des réformes de structures, ne cesse d'augmenter les impôts directs. On pourrait rapprocher ce parti de l'UDRT qui a gagné un siège aux élections belges de 1978. b) Les partis ouvriers Les partis ouvriers apparaissent, dans la « petite Europe », plus divisés encore que les partis bourgeois, dont l'apparente multiplicité traduit des oppositions largement révolues et ne se fonde que sur les différences de sensibilité. Les partis ouvriers possèdent en commun le fait de médiatiser la volonté politique des travailleurs organisés .Ce sont des partis de masse qui bénéficient de l'aide du mouvement syndical. Mais les divisions qui les affectent traduisent des divergences sur l'option de société. La division la plus ancienne - et la plus difficile à combler - est celle qui sépare la gauche communiste de la gauche non communiste. Les causes et avatars de cette scission sont trop connus pour que nous y revenions. La France et l'Italie possèdent les deux plus importants partis communistes de la Communauté européenne : le PCF et le PCI, et ce sont eux qui se sont écartés le plus de la OMBRES ET LUMIÈRES SUR LES ÉLECTIONS EUROPÉENNES 567 ligne moscovite. Tous deux peuvent s'appuyer sur la plus puissante centrale syndicale du pays et rassemblent le plus grand nombre de votes ouvriers. Mais alors que le parti de E. Berlinguer paraît voué à canaliser les énergies de toute la gauche italienne, celui de Georges Marchais est confronté avec la rude concurrence du parti socialiste devenu majoritaire à gauche et qui menace la position de force du PCF chez les travailleurs manuels. À côté de ces deux géants, les autres PC font piètre figure. Si de nos jours on peut déceler une divergence entre « eurocommunistes » et « moscoutaires », celles qui divisent encore la gauche non communiste apparaissent bien plus fondamentales. Elles portent, en effet, sur le type de société à construire : les uns, les « sociaux-démocrates », s'efforcent d'aménager le système capitaliste afin de le rendre tolérable aux travailleurs ; les autres, que nous appellerons « socialistes », entendent lui substituer progressivement un système de type nouveau. Les deux tendances peuvent cohabiter dans un grand parti ouvrier à vocation majoritaire, médiateur de la volonté politique des travailleurs conscients ou organisés. Le parti sera alors perçu comme le prolongement politique exclusif du mouvement ouvrier, et ses liens avec la centrale syndicale unique seront très étroits, le parti communiste se voyant marginalisé. Le parti travailliste britannique réalise le plus parfaitement cette position de monopole politique et son caractère pragmatique permet aux idéologies distinctes de cohabiter. La Sozialdemokratische Partei Deutschlands (SPD) bénéficie au sein de la classe ouvrière allemande d'une position de suprématie politique presque équivalente à celle de son homologue britannique. Toutefois, la tolérance interne du Labour ne se retrouve pas au SPD. Si, depuis 1959, le parti est pluraliste du point de vue philosophique et religieux, sa ligne se veut social-démocrate et s'accommode très mal de sa faible minorité socialiste. En Belgique et en Irlande, la coexistence des sociaux-démocrates et des socialistes se réalise sans que le parti puissie prétendre à la majorité absolue. En Belgique, la combativité de la démocratie chrétienne a forcé le parti socialiste à se résigner à ne représenter que l'aile laïque du mouvement ouvrier ; en Flandre, le BSP a dû même céder le rang de premier parti ouvrier aux démocrateschrétiens. Quant aux travaillistes irlandais, très minoritaires dans l'électorat, ils le sont également dans la classe ouvrière du fait de la question nationale. Par contre, aux Pays-Bas, le parti du travail, le PvdA de J. Den Uyl, a relevé avec vigueur le défi de la démocratie-chrétienne, à la fois en s'ouvrant aux croyants et en prenant la tête d'une alliance progressiste. Depuis 1969, les progrès électoraux du parti sont constants. Il est fréquent que les tensions internes conduisent à la division de la gauche non communiste. Tantôt l'adoption par le parti d'une ligne socialiste poussera les sociaux-démocrates à la scission. Tantôt ce seront les socialistes qui s'organi- Daniel Louis SEILER 568 seront contre un parti social-démocrate par trop réformiste. La situation française illustre le premier cas : la rénovation du parti socialiste après le congrès d'Épinay et l'Union de la Gauche ont provoqué la formation d'un mouvement démocrate socialiste de France et d'un parti socialiste démocrate, qui n'ont toutefois guère affecté le PS de François Mitterrand. On ne peut en dire autant des socialistes italiens du PSI. Affligés de la scission des sociaux-démocrates du PSDI, ils font les frais de la polarisation de la gauche italienne au profit du PCI. La socialdémocratie danoise, confrontée avec la concurrence des socialistes populaires du SF sur sa gauche et la scission du centre démocratique de E. Jakobsen sur sa droite, a perdu, quant à elle, le tiers de ses suffrages depuis 1973 ; elle ne doit d'avoir conservé sa position gouvernementale qu'au morcellement de ses adversaires bourgeois. c) Les partis démocrates-chrétiens2* Les partis démocrates-chrétiens constituent des formations politiques à la fois interclassistes et « horizontales ». Interclassistes, car leur base sociale et électorale transcende les frontières des classes sociales et reflète en fait la communauté des croyants. « Horizontales », car elles couvrent l'espace idéologique qui va de la droite à la gauche. On peut dire qu'il y a démocratie chrétienne lorsque rappartenance à une confession religieuse amène des individus que tout sépare à voter ou à militer dans un même parti. Mais d'autres séparations se créent dès lors. Le ministre Alfred Califice et le député de Nancy, Yves Tondon, sont issus du même milieu - travailleurs catholiques - , ont connu la même formation - JOC et syndicalisme - et se réfèrent à la même idéologie - le personnalisme de Mounier ; ils appartiennent de plus à la même génération. Or le premier parce que Wallon, est démocrate-chrétien, tandis que le second parce que Français, est socialiste. Corollaire des deux précédentes, une troisième condition nécessaire caractérise la démocratie chrétienne : le soutien d'une importante centrale syndicale. Des partis interclassistes et « horizontaux » devraient constituer un défi aux règles de l'équilibre politique. Leur composition politique hétéroclite se traduit par la présence de tendances solidement organisées au sein du parti ; il y en a neuf à la Democrazia Cristiana et trois en Belgique, si l'on compte les centristes non organisés. Toutefois, la longue pratique du compromis qui a permis sa survie donne à la démocratie chrétienne une plasticité sans pareille. Elle peut ainsi former des coalitions gouvernementales tant avec la Droite qu'avec la Gauche et devenir l'axe de la vie parlementaire au Bénélux et en Italie. d) Les partis anticléricaux Les partis démocrates-chrétiens possèdent leur pendant laïc, ou mieux leur antithèse, dans des formations anticléricales dont les plus achevées furent le 23. Sur la spécificité de la démocratie chrétienne par rapport aux partis bourgeois, on se rapportera à l'intéressant - quoique apologétique - petit livre de P. LETAMENDIA, La démocratie chrétienne, Paris, P.U.F., 1977. OMBRES ET LUMIÈRES SUR LES ÉLECTIONS EUROPÉENNES 569 parti libéral belge et le parti radical français de la III e République. Le développement du mouvement socialiste a revêtu lui aussi des formes anticléricales et même antireligieuses. Il a en même temps affecté durement l'expansion et même la survie des partis anticléricaux. Ces derniers ont dû soit se réaligner comme ce fut le cas en Allemagne, en Belgique, en France et aux Pays-Bas, soit se résoudre au rôle « d'aile bourgeoise » de l'anticléricalisme. De ce courant politique jadis florissant ne subsistent que le petit parti républicain italien et le parti démocrate luxembourgeois du premier ministre Thorn. Tous deux adoptent des positions centristes et leur anticléricalisme est toujours vivant quoique atténué par la force des choses. Le Partito radicale, grand vainqueur des élections italiennes, exprime la résurgence en termes actuels du même phénomène. On le qualifiera de « néo-anticléricalisme libertaire ». e) Les partis centralistes Certains partis doivent leur origine au processus d'édification nationale et de modernisation économique qui s'est traduit par la double centralisation du pouvoir d'État et du capital. La tentation est grande de classer ces partis centralistes avec les partis bourgeois. Leur idéologie ressortit à la droite et même à la droite « musclée », voire autoritaire, mais leur électorat est bien plus populaire et ils mettent l'accent sur le rôle économique de l'État. La Communauté européenne compte deux partis centralistes : le Fine Gael irlandais et le RPR de M. Chirac, dernier en date des avatars du mouvement gaulliste. Le gaullisme s'inscrit, selon René Rémond, dans l'une des grandes traditions de l'histoire politique française : la « droite bonapartiste » populaire, plébiscitaire et autoritaire. Les spécialistes tendent à s'accorder pour le démarquer du concert des partis bourgeois. La constatation s'applique aujourd'hui aux tensions qui opposent le RPR centraliste aux partis giscardiens rassemblés dans l'union pour la démocratie française. Elle vaut aussi pour l'action menée par le général de Gaulle tant au pouvoir que comme chef du RPF : Dans certains milieux patronaux, dans certains milieux bancaires règne à l'égard du gouvernement (celui de 1944-1946) une atmosphère de rancune et de peur, comparable à la grande peur de juin 1936. Tout cela peut paraître aujourd'hui très lointain, mais cela a existé et cela suffit à faire justice de la thèse communiste sur le gaullisme et grand capital. Le « grand capital » n'a pas pardonné au général de Gaulle la grande peur qu'il a éprouvée en 1944 et qui le rendit d'ailleurs à l'époque très discret et très malléable 7A . Le cas du Fine Gael - dénomination signifiant « tribu des Gaëls » - est encore plus complexe, mais son caractère centraliste s'inscrit nettement dans l'histoire et dans la géographie de l'Irlande du Sud. Issu de la fraction de ITRA qui accepta de se rallier au compromis proposé par Londres - la partition de l'île - et qui eut ensuite à affronter durement les républicains, le Fine Gael 24. J. TOUCHARD, Le gaullisme 1940-1969, Paris, Seuil, 1978, pp. 75-76. 570 Daniel Louis SEILER est aujourd'hui absent dans l'Ouest rural et pauvre, mais bien implanté dans l'Est métropolitain et industriel de l'Irlande. f) Les partis régionalistes et autonomistes Les partis régionalistes et autonomistes se sont constitués comme des mouvements de défense de la périphérie par réaction au centralisme. Ils sont marqués comme leurs adversaires du sceau des singularités mais aussi de traits divergents, qui portent sur la nature de leur projet politique et sur leur degré d'insertion dans le système, c'est-à-dire d'institutionnalisation. Le projet des défenseurs de la périphérie peut revêtir l'aspect d'une contestation radicale de l'État-nation. Il se traduira alors dans l'idéologie du fédéralisme intégral et atteindra une dimension politique plus vaste qu'exprime le symbole de l'Europe des régions. Ces partis peuvent être qualifiés de régionalistes au sens strict du terme : c'est le cas du Front démocratique des francophones à Bruxelles, du Rassemblement wallon et des mouvements régionalistes en France. La réaction anticentraliste peut aussi se manifester par un nationalisme périphériste. L'arsenal nationaliste forgé par les centralistes se voit alors retourné contre eux ; le projet poursuivi par le parti sera l'indépendance ou, à la rigueur, l'autonomie interne. Le Scottish National Party ressortit à ce type. Certains partis peuvent combiner les deux éléments en des compromis divers. C'est le cas du Fianna Fail irlandais, de la Volksunie flamande et du Plaid Cymru gallois. Le degré d'institutionnalisation du parti dans le système politique et sa participation au pouvoir constituent un autre critère fondamental de différenciation. Un seul membre de cette famille atteint à la vocation majoritaire : il s'agit du Fianna Fail (littéralement « les combattants du destin »). Fondé par Eamon de Valéra, légendaire figure de l'indépendance irlandaise, pour regrouper les républicains intransigeants défaits lors de la guerre civile de 1922, ce parti est devenu le détenteur le plus habituel du pouvoir à Dublin. g) Les systèmes de partis dans les pays de la C.E.E. Les familles de partis ne sont pas également réparties à travers le continent européen. Quant à l'Europe communautaire, elle compte en son sein des systèmes de partis différents. Si les partis ouvriers sont présents partout, il n'en va pas de même des autres familles. L'Allemagne, le Danemark et la GrandeBretagne connaissent les partis traduisant le conflit de classe ; la dimension religieuse s'ajoute en Italie, au Luxembourg et aux Pays-Bas, et la dimension nationaliste en France. La Belgique possède les trois clivages tandis que l'Irlande se singularise par une monopolisation de la scène politique par les deux partis issus de la question nationale. Une autre variable vient encore compliquer l'architecture des systèmes de partis en Europe : le degré de fragmentation au sein de chaque famille politique d'un pays, par exemple, la présence ou non, d'un puissant parti communiste à OMBRES ET LUMIÈRES SUR LES ÉLECTIONS EUROPÉENNES 571 côté des socialistes ou la fragmentation des partis bourgeois en centristes, centre droit et droite 25 . Cependant, le tout différant de la somme des partis, l'addition de partis nationaux ne crée pas un système de partis européen. 2 - L E S PARTIS POLITIQUES EUROPÉENS Existe-t-il des partis politiques à l'échelle européenne, c'est-à-dire que la communauté européenne qui forme un système politique d'un type particulier, possède-t-elle son système de partis ? Peut-on appliquer le paradigme de Rokkan au Parlement européen et au système communautaire? On peut trouver des indices qui permettent de conclure que le terrain existe pour le développement d'un système communautaire de partis 26 . Le niveau de décision accordé à la C.E.E. est important et de nature à alimenter un débat politique spécifique. Quels clivages existent virtuellement au sein du système communautaire ? Ils se cristallisent sur deux enjeux spécifiques : le type de société à construire - l'Europe libérale ou Europe des travailleurs - et sur les développements et mutations de l'union européenne - Europe nationale et Europe supranationale, voire fédérale 27 . Des groupes parlementaires existaient au sein de l'ancien Parlement européen, certains s'étaient traduits dans des alliances partisanes s'intitulant parfois - et à tort - partis politiques européens 28 . Nous avons déjà eu l'occasion, à maintes reprises, de souligner tant le caractère circonstanciel et contre-nature de certains groupes et alliances que leur non-correspondance avec les grandes options européennes 29 . Aujourd'hui, nous pensons avoir perdu un temps précieux à analyser les proto-partis européens, tant le rôle qu'ils ont joué dans le scrutin des 7 et 10 juin se révèle dérisoire 30. Nonobstant des promenades de Willy Brandt à Paris, François Mitterrand à Manchester, Léo Tindemans à Kiel ou même Jacques Chirac à Dublin, les « internationales » furent absentes de la campagne pour les premières élections européennes. Elles ne pointèrent le bout du nez que là où elles se trouvaient représentées que par un seul parti-membre comme les socialistes en France - et combien timidement - et en Allemagne et au Bénélux, les démocrates-chrétiens en Allemagne, au Bénélux et en Italie, les libéraux au Bénélux. 25. Pour un excellent panorama des situations nationales, cf. F. BORELLA, Les partis politiques dans l'Europe des Neuf, Paris, Seuil, 1979. 26. D. L. SELLER, « Les élections européennes entre le nationalisme et l'intégration », op. cit. 11. Ibid. 28. Pour une analyse détaillée des proto-partis européens, cf. F. BORELLA, op. cit., pp. 231— 234 et D. L. SEILER, Les partis politiques en Europe, op. cit., pp. 103-124. 29. D. L. SEILER, « Les équivoques de l'élection européenne », op. cit., et « Les élections européennes entre le nationalisme et l'intégration », op. cit. 30. Pour le profil des différents groupes parlementaires, cf. tableau 3. On en trouvera une analyse et un historique dans J. FITZMAURICE, « The Party Groups in the European Parliament », Lexington, Saxon House, 1975 ; pour la relation groupes-élections, cf. A. PAPISCA, « Y partiti politici europei, ovvera : il 'fronte dell' Europa », // Mulino, novembre-décembre 1977, pp. 805-844 ; Ch. ZORGBIBE, « Les forces politiques sur la scène européenne», Esprit, n° 114, avril 1977, pp. 467-471. 572 Daniel Louis SEILER L'appartenance à une même alliance de partis n'empêcha ni les socialistes et sociaux-démocrates italiens ni les libéraux et républicains italiens, ni les libéraux et radicaux danois, ni les giscardiens et MRG français de s'affronter sur des listes distinctes. Bien au contraire, en France, les candidats du MRG se présentaient sur la liste socialiste alors que la liste giscardienne comportait le CDS de Jean Lecanuet, membre du PPE démocrate-chrétien. De même au Danemark, où des listes pouvaient s'apparenter, on vit les libéraux (Venstre) s'allier non à la liste radicale, mais avec les conservateurs, les démocrates du centre et les chrétiens populaires, tandis que les radicaux, laissés sur la touche, perdaient leur représentation européenne, affaiblissant ainsi le groupe libéral à Strasbourg au profit des conservateurs. Le cas le plus ahurissant reste celui des membres français du PPE car il témoigne d'une véritable négation de leurs principes européens. En effet, le seul point marquant du programme, par ailleurs extrêmement accommodant, du parti populaire européen réside dans l'adhésion au supranationalisme fédéralisant. Or la liste de l'UDF prônait l'Europe des patries au sein d'une confédération. 3-LES CONSÉQUENCES Monopolisé par les partis politiques nationaux, le débat européen se vit ainsi confiné dans les limites des neuf États-membres de la CE. Il fut même le plus souvent étouffé car, médiateurs d'options nationales, les partis ne permirent pas l'expression d'options communautaires européennes. Par exemple, en Allemagne, au Bénélux et en Italie, les citoyens ne pourront se prononcer en faveur de l'Europe des patries, les partis nationaux étant tous en faveur de la supranationalité. C - Conclusion La Communauté européenne constitue indubitablement un système politique. Les neuf pays-membres forment un espace économique et ont délégué un certain pouvoir de décision à un niveau de gouvernement supranational. Pour ce faire, ils sont dotés d'un certain nombre d'institutions communes dont une assemblée parlementaire. En faisant élire celle-ci, les gouvernements des pays du Marché commun prenaient le risque d'associer les citoyens au processus de décision communautaire. Si une volonté politique européenne avait pu s'exprimer en juin dernier, le Parlement européen en eût été le médiateur et, gagnant ainsi en légitimité, il aurait pu conduire le mouvement d'intégration dans des voies non souhaitées par certains gouvernements. Cependant, le risque était calculé et après avoir longtemps retardé l'échéance, lorsque les Neuf résolurent enfin d'organiser l'élection européenne, ils en laissèrent les opérations à la discrétion des États-membres. Laminée par la multiplicité des modes de scrutin, une volonté politique européenne aurait pu se dégager si des partis européens cohérents l'avaient médiatisée. Ce ne fut pas le cas et les partis se montrèrent le véhicule des appétits nationaux. OMBRES ET LUMIÈRES SUR LES ÉLECTIONS EUROPÉENNES 573 Ainsi les élections européennes, outre le fait d'être les premières élections internationales, furent ainsi un scrutin sans enjeu. Il-ANALYSE DES RÉSULTATS Les élections européennes s'affirment donc comme neuf scrutins différents par lesquels les pays-membres de la Communauté élisaient leurs délégations nationales respectives au Parlement européen. Les résultats expriment la conjoncture politique au sein de chacun des États concernés. Ils doivent donc s'analyser pays par pays. Néanmoins, les journalistes s'amusèrent à chercher vainqueurs et vaincus, proposant des lignes d'interprétation et leurs conclusions ne résistent pas à une étude tant soit peu fouillée. On fera d'abord un sort à certaines conclusions hâtives tirées des résultats pour ensuite mieux examiner chaque scrutin national. A - L e s traits constants Beaucoup de choses ont déjà été dites quant aux résultats des élections européennes. Tour à tour, on évoqua la vague conservatrice qui submerge l'Occident industrialisé, la défaite de la gauche, le recul socialiste ou une assemblée orientée au centre droit. C'est oublier qu'un raz de marée affectant un pays, dans des conditions discutables, comme en Grande-Bretagne, peut dissimuler des mouvements différents mais de moindre ampleur dans les autres pays. On abordera successivement le problème du « vainqueur » des élections européennes, le recul socialiste et l'orientation de l'assemblée en fonction de l'axe droite-gauche. 1 - QUI A GAGNÉ ? S'il y a un élément invariant qui, dans les différents scrutins, se retrouve comme vainqueur enregistrant la plus forte progression, c'est bien la seule tendance cohérente quoique inorganisée : le parti de l'abstention, sauf en Italie - où il progresse moins qu'ailleurs - on le voit triompher atteignant des records avec 78% en Grande-Bretagne et 52% au Danemark. Même là où il est interdit de séjour, comme en Belgique, 13% des inscrits ne se sont pas rendus aux urnes et 8% votèrent blanc ou nul. Le Luxembourg doit toutefois être exclu du fait de la conjonction du vote obligatoire et d'un scrutin législatif national. a) Le tableau 4 nous montre la distribution des abstentions dans les huit pays retenus. La comparaison avec le taux moyen pour la communauté permet d'établir trois catégories de pays : ceux dont la participation s'écarte peu de la moyenne, ceux chez qui ce taux atteint la limite maximale de la dispersion et ceux chez qui il atteint la limite minimale. On peut considérer les deux dernières catégories comme des cas déviants où s'exercèrent des facteurs locaux. Les pays où le taux de participation se révèle inférieur à la moyenne communautaire sont deux des trois États qui rejoignirent le Marché commun en 1973 : la Grande-Bretagne et Daniel Louis SEILER 574 le Danemark. Ils sont aussi - est-ce un hasard ? - les seules nations très largement protestantes. Il paraît clair que leur arrimage à la communauté européenne n'est pas encore réalisé et pourrait être mis en cause par l'opinion publique. Par contre, il appert qu'en dépit des difficultés sociales et économiques qu'elle vit présentement, l'Irlande a réussi son intégration politique à l'Europe. TABLEAU 4 La participation électorale Sondage « Eurobaromètre » 1977 % de votants Pays « européennes » législatives votera certainement (%) votera probablement (%) ITALIE 85,9 90 64 20 BELGIQUE * 82 92 37 21 ALLEMAGNE 65,9 91 28 36 IRLANDE 63 76 52 26 FRANCE 61,2 85 51 26 PAYS-BAS 57,8 88 60 22 DANEMARK 47 70 42 18 GRANDE-BRETAGNE** 31,3 76 47 26 COMMUNAUTÉ 61 - 47 - Sources : Eurobaromètres, Porte-Parole CE, Le Monde, 12 juin 1979 ; The Economist, 16/22 juin 1979 ; Algemeen Dagblad, 12 juin 1979. * Vote obligatoire ** Grande-Bretagne uniquement; en Ulster, la participation fut de 57%. Deux pays, la Belgique et l'Italie, ont connu des taux de participation électorale bien supérieurs à la moyenne communautaire. D'emblée il faut écarter le cas belge où, compte tenu du vote obligatoire, on peut considérer que la participation s'avère basse pour le pays. La situation est différente en Italie où on obtient un taux de participation supérieur aux prévisions les plus optimistes. Le fait que les Italiens durent voter unie semaine après leurs élections nationales augmente encore leur mérite. On peut voir là l'illustration de l'attachement profond de l'Italie à la cause de l'unité européenne, d'autant plus grand que croît sa désillusion face à l'inefficience de son système national. À un niveau plus concret, il faut y voir également le résultat de l'excellent travail d'information assuré par les média, tant la RAI que la presse écrite, rivalisant pour sensibiliser les citoyens à l'importance de l'événement. Citons, par exemple, les efforts consentis sur une longue période par les magazines VExpresso, Euro et L'Europeo. En ce qui concerne les quatre autres pays, on considérera que la baisse du taux de participation est due au jeu d'un facteur présent dans les neuf pays. OMBRES ET LUMIÈRES SUR LES ÉLECTIONS EUROPÉENNES 575 On ajoutera toutefois que, dans le cas des Pays-Bas, l'absence de grandes vedettes de la politique nationale parmi les candidats contribua à renforcer l'apathie des électeurs. b) Si le parti de l'abstention a triomphé, on peut désigner le principal perdant : l'Europe. Quoique nous ne fussions pas pessimiste quant à son avenir à long terme, le Parlement européen sort diminué et non forci de ces élections. L'accroissement de légitimité que d'aucuns redoutaient et que d'autres souhaitaient avec ardeur ne s'est pas produite. Avec un taux de participation moyen de 60% et 78 députés britanniques au statut précaire - à Liverpool, le conservateur élu représente moins de 7% des inscrits - le Parlement européen ne pèsera pas lourd face à des gouvernements bien mieux soutenus électoralement. Certains membres de la Commission 31 tentèrent de minimiser le phénomène des abstentions en se référant à la situation qui prévaut aux États-Unis. Or la tradition électorale américaine se distingue nettement de celle de l'Europe et l'abstention affecte plus certains pays que d'autres. Il est piquant de constater que ces mêmes optimistes s'efforçaient, naguère encore, de minimiser l'importance de l'élection du Parlement européen au suffrage universel direct. Leurs intentions étaient pures - convaincre certains gouvernements d'accepter l'élection directe mais leur action démobilisa les citoyens. En effet, comment persuader l'électeur qu'il est néanmoins important de voter dans un scrutin sans importance ! Cependant, l'analogie avec les É.-U. présente un intérêt. Une des raisons de la faible participation électorale tient à l'absence d'un débat de fond sur de grandes options. Les partis se ressemblent à un point tel que les citoyens ne pensent pas que l'orientation de leur pays changera si un républicain plutôt qu'un démocrate s'installe à la Maison Blanche. L'absence d'enjeux communautaires due à la déficience des proto-partis européens constitue un facteur d'apathie analogue. En revanche, les Américains ont l'impression du moins de désigner leurs gouvernants, ce qui n'est nullement le cas pour les habitants de l'Europe communautaire. 2 - L E RECUL SOCIALISTE En se basant sur les groupes constitués dans l'enceinte de l'ancien Parlement européen, certains observateurs ont conclu à une défaite des socialistes. En effet, tant dans les sondages que les extrapolations basées sur les résultats des législatives les donnaient en tête, alors qu'ils se retrouvent talonnés par le groupe démocrate-chrétien. Or tout observateur sérieux du Parlement de Strasbourg sait que, des débuts de celui-ci à 1975, le groupe démo-chrétien constitua toujours la fraction la plus nombreuse 32. Cette situation cessa lorsque, après le référendum 31. Spécialement le vicomte Davignon. 32. Les espoirs socialistes se fondaient sur des projections réalisées à partir des résultats des élections nationales avant le scrutin britannique de mai 1979. La plus élaborée de ces simulations donnait 134 députés aux socialistes, 101 aux démocrates chrétiens et 41 aux conservateurs. La « perte » socialiste - 20 sièges - fut gagnée par les conservateurs et reste spécifiquement britannique ; cf. H. RATTINGER, M. ZANGLE et R. ZINTL, « The Distribution of Seats in the European Parliament after Direct Elections : A Simulation Study », European Journal of Political Research 5, 1977, pp. 201-218. 576 Daniel Louis SEILER britannique sur l'Europe, le Parliamentary Labour Party décida enfin d'envoyer ses délégués renforcer leurs camarades socialistes européens. Le 7 juin dernier, les électeurs travaillistes vont, par leur abstention massive, renouer avec le non expedit abandonné par leur parti. Pour le reste, si les socialistes sont défaits au Danemark, reculent en Allemagne, aux Pays-Bas et en Wallonie, et stagnent en France, ils progressent en Irlande, en Italie et en Flandre. Pour les socialistes comme pour les autres groupes parlementaires, leur résultat est la somme d'une série de succès et d'échecs nationaux qu'il importe d'analyser, scrutin par scrutin. Cependant, en Grande-Bretagne, au Danemark, aux Pays-Bas et, dans une mesure moindre, en Allemagne, l'abstention frappant surtout les couches sociales défavorisées affecta surtout le vote socialiste. 3 - U N E ASSEMBLÉE ORIENTÉE AU CENTRE DROIT Si des appréciations comme victoire conservatrice ou triomphe de la droite furent émises par des ignorants, il n'en va pas de même du commentaire - « assemblée orientée au centre droit » - qui émane de journalistes autorisés 33. Que signifie donc cette expression ? Et d'abord, sur quoi se fonde-t-elle ? Le tableau 2 montre que partis ouvriers et bourgeois occupent une place égale au sein de la nouvelle assemblée. Il faut également mentionner que certains partis autonomistes - FDF/RW, SDLP, Siumut et SNP - sont socialisants ou tout au moins sociaux-démocrates en matière de politiques sociale et économique. Tout dépend évidemment de l'acception conférée aux vocables de « droite » et « gauche ». Peut-être se base-t-on sur l'existence d'une majorité unissant démocrates-chrétiens, libéraux, DEP et conservateurs ; c'est-à-dire le centre, le centre droit et la droite. Mais pourquoi ne pas évoquer une assemblée orientée au centre gauche ? Démocrates-chrétiens et socialistes ne disposent-ils pas d'une majorité qui, suivant les critères de la théorie des coalitions, se révèle plus logique que la quadripartite. C'est le type de coalition qui gouverne actuellement la Belgique et habituellement l'Italie. Mieux vaudrait évoquer une assemblée où le centre dispose d'une position de force, car enfin, pourquoi le groupe démocratechrétien renoncerait-il à Strasbourg à la stratégie des ouvertures alternatives à droite et à gauche qui fit la prospérité de la démocratie chrétienne à Bruxelles, La Haye, Luxembourg ou Rome. Il est vrai que la présence de la CDU/CSU déséquilibre le groupe vers la droite, mais l'arrivée d'eurodéputés marqués à gauche, comme le président du MOC wallon - socialisant et autogestionnaire ou celui de la CISL italienne - coopérant avec les communistes - , fait qu'il sera moins à droite que par le passé. Il y aura long à écrire sur la méconnaissance que les Français ont de la démocratie chrétienne. 33. Il s'agit du Monde. OMBRES ET LUMIÈRES SUR LES ÉLECTIONS EUROPÉENNES 577 4 - S E MÉFIER DES TOTALISATIONS HÂTIVES Les commentaires consacrés aux résultats des élections européennes perdent toute pertinence lorsqu'ils se réfèrent à des totalisations basées sur les groupes parlementaires existants. Il ne faut jamais oublier que sur six groupes, trois constituent des entités fort hétérogènes : les démocrates-chrétiens, les libérauxdémocrates et les démocrates européens de progrès/D.E.P. (cf. tableau 3). Cette constatation nous amène à situer les résultats des élections dans leur véritable contexte, celui de chaque nation. B - Onze élections européennes 34 On ne peut parler de l'élection européenne mais bien de onze élections - en oubliant le Groenland - car la Belgique et le Royaume-Uni en ont vécu chacun deux. Pour la clarté de l'analyse, on a rangé les nations en trois groupes : celle où le débat était européen, les élections-sondages et les élections-sondages avec enjeu national. 1-LE DÉBAT EUROPÉEN AU DANEMARK (cf. tableau 5) Le Danemark qui fut le pays le plus réticent à consentir à l'élection directe du Parlement européen, se révèle le seul pays où le débat porta sur l'Europe. TABLEAU 5 L'élection des eurodéputés danois Tendance Partis Résultats Dernier scrutin législatif % Sièges % Venstre Danmarks Libérale Parti Det konservative Folkeparti Centrum-Demokraterne Kristeligt Folkeparti 3 2 1 0 14,5 14,1 6,2 1,8 12 8,5 6,4 3,4 Anti-C.E.E. Folkebevaegelsen mod EF Socialistik Folkeparti Venstresocialisterne Danmarks Retsforbund 4 1 0 0 21 4,7 3,5 3,4 3,7 (PC) 3,9 2,7 3,3 Tiède Sociademokratiet Fremskridtspartiet Det radikale venstre 3 1 0 21,9 5,8 3,3 37 14,6 3,6 Pro-C.E.E. Sources: Le Monde, 12 juin 1979 et Berlingske Tindende, 11 juin 1979. 34. Pour la situation des partis dans chaque pays, cf. F. BORELLA, op. cit., et J. C. GONZALEZ HERNANDEZ, « Partidos politicos y elecciones en Europa occidental », Revista de Estudios Politicos, n<> 1, janvier-février 1978, pp. 277-306 et n° 2, mars-avril 1978, pp. 161-191, et D. SIDJANSKI, Europe: élections de la démocratie, Paris, Stanké, 1979. 578 Daniel Louis SEILER Les Danois semblent toujours fort hésitants à s'engager dans une entreprise, mais quand ils s'y résolvent enfin, ils le font avec un grand sérieux. Le système politique danois est à la fois bipolaire - dans l'axe du conflit de classe - et fragmenté. On y retrouve ainsi toute la gamme des tendances de l'extrême-droite conduite par Mogens Glistrup à l'extrême-gauche trotskysante, le VS. Seul le petit Retsfôrbundet échappe à la dichotomie partis bourgeois/partis ouvriers. Les élections du Parlement européen ont révélé une bipolarisation toute différente, opposant tenants et adversaires du Marché commun. Pour la circonstance, une liste présentant une option spécifiquement européenne fut même créée, le Folksbevaegelsen mod EF - le front populaire contre la CE - rassemblant autour des communistes des personnalités issues de divers horizons politiques. Aucun regroupement de cette nature ne se créa du côté des partisans de la communauté, les partis politiques habituels suffisant à cette tâche. Parmi eux, la Venstre proeuropéenne de longue date, constituait le fer de lance supranationaliste du camp des tenants de la CE. Le mode de scrutin adopté permettant à des listes de s'apparenter afin de mieux profiter de la répartition des restes, on vit se nouer deux alliances électorales : l'une militant en faveur die la CE, l'autre la combattant. Trois partis restèrent sur la touche, la social-démocratie du premier ministre J0rgensen et très mollement proeuropéenne, la Radikale Venstre qui se rallia à la C.E.E. du bout des lèvres après une longue période d'hostilité et le parti antiimpôts de Mogens Glistrup, dénué d'une position précise sur la question. Les électeurs donnèrent 36,6% des votes aux partisans de la C.E.E. contre 32,6% à ses adversaires, tandis que ses partisans conditionnels ou les indifférents obtenaient 3 1 % . En définitive, lorsqu'il se prononça, l'électeur danois accorda la préférence - plus de 2/â des votes - aux partis affirmant une position claire et tranchée face aux options européennes. Par leur manque d'enthousiasme, sociauxdémocrates et « progressistes » se révélèrent incapables de mobiliser leurs électeurs. Dans le cas de ces derniers - le deuxième parti au Folketing - le fait qu'ils tirent leur force d'une vague de « culture incivique » prédisposait leur électorat à l'abstention. Quant aux radicaux, ils ont maintenu leur part de vote, mais leur isolement ne leur donnait aucune chance de gagner un siège. Au Groenland, le siège d'eurodéputé fut conquis par le Siumut (autonomiste) hostile à la CE contre l'Ataassut (prodanois) plus favorable à l'Europe. 2-LES ÉLECTIONS-SONDAGES Certaines élections se muèrent en sondages visant à jauger la force respective des partis politiques. La valeur de ces sondages peut être de qualité, comme en Italie, en Irlande, au Luxembourg, en Ulster et en Wallonie, ou plus discutable comme en Allemagne et aux Pays-Bas, ou encore exécrable comme en GrandeBretagne. C'est en Italie et au Luxembourg que les résultats sont - et pour cause les plus fiables. Lorsque deux élections politiques se succèdent dans un même pays et à un intervalle rapproché, on constate d'ordinaire que la seconde reproduit, OMBRES ET LUMIÈRES SUR LES ÉLECTIONS EUROPÉENNES 579 en les amplifiant quelque peu, les tendances manifestées par la première. Cette constatation se vérifie tant pour l'Italie que pour le Grand-Duché de Luxembourg. a) Par leur taux de participation élevé, les Italiens ont d'autant plus marqué leur attachement à la construction de l'Europe que cette question ne faisait l'objet d'aucun débat. En effet, de l'extrême-droite au PCI, nul ne contestait le principe de la supranationalité. Par ailleurs, la scène politique fut totalement monopolisée, comme partout sauf au Danemark, par les partis politiques nationaux. Cependant, et contrairement aux trois autres grands pays de la Communauté, l'utilisation de l'élection européenne au profit des partis nationaux fut réalisée avec intelligence. En effet, les ténors de la politique italienne s'impliquèrent dans le scrutin en se portant candidats. Ainsi, Benigno Zaccagnini et Flaminio Piccoli, respectivement secrétaire général et président de la DC ; Enrico Berlinger, Giancarla Pajetta et Giorgio Amendola, respectivement secrétaire général et dirigeants du PCI ; Bettino Craxi, secrétaire général du PSI ; Giorgio Almirante, chef du MSI ; Bruno Vinsentini, leader du PRI ; et last but not least, Marco Panella, leader des radicaux. Chaque parti apporta également un grand soin dans la confection de ses listes en attirant des vedettes extérieures à l'activité partisane, afin de peaufiner son image de marque. Ainsi vit-on la DC présenter à la fois le secrétaire général sortant du puissant syndicat CISL, un ancien président de la centrale agricole Coldiretti et un chef d'entreprise, et le PSI se donner un profil de défenseur des libertés en présentant le dissident tchèque Jiri Pelikan et des membres de l'avantgarde culturelle italienne comme Giorgio Strehler et Carlo Ripa di Meana, tandis que les libéraux ne craignaient pas de s'afficher comme défenseurs du capital en mettant des industriels en tête de leurs listes. Grâce à la sagacité des partis italiens, siégeront à Strasbourg des dirigeants de la Confédération européenne des syndicats : Mme Fabrigia Baduel Glorioso (PCI) de la CGIL, présidente du Comité économique et social de la C.E.E., Luigi Macario (DC) de la CISL qui s'est démis de son mandat de secrétaire général pour pouvoir se présenter et Mario Dido (PSI), membre du secrétariat national de la CGIL. Le patronat ne fut pas oublié et sera représenté par le célèbre carrossier Sergio Pininfarina (PLI), dirigeant de la Cofindustria, Susanna Agnelli (PRI) dont le nom même est un programme et Silvio Lega (DC). Le monde de la culture et de l'information sera particulièrement bien représenté par Ripa di Meana, ancien président de la Biennale de Venise, et Pelikan déjà cité ainsi que par l'écrivain Leonardo Sciascia (PR) et les journalistes Gustavo Selva (DC) de la RAI, Angelo Nardueci (DC), Luciana Castellina (PDUP) et Pino Romualdi (MSI/DN). La présence de personnalités connues du grand public offrait aux partis la possibilité de gagner des suffrages grâce au vote préférentiel. Il est symbolique de constater que le maximum de votes de préférence fut récolté par le président sortant du Parlement européen, l'ancien premier ministre Emilio Colombo (DC) avec 860 000 voix ; le secrétaire général de la DF fit le deuxième score personnel avec 737 000 votes. Le vainqueur chez les « non-politiciens » fut Gustovo Selva, journaliste à la télévision, qui obtint 391 000 votes (cf. tableau 6 ) . Daniel Louis SEILER 580 TABLEAU 6 Élection des eurodéputés italiens Partis Democrazia Cristiana Partito Comunista Italiano Partito Socialista Italiano Movimiento Sociale Italiano Partito Socialista Democratico Italiano Partito Radicale Partito Libérale Italiano Partito Repubblicano Italiano Partito Democratico de Unita Proletaria Democrazia Proletaria Siidtyrolische Volkspartei Union Valdôtaine Democrazia Nazionale Résultats Dernier scrutin national Sièges % 29 24 9 4 4 3 3 2 1 1 36,5 29,6 38,3 30,4 11,0 5,4 4,3 3,7 3,6 2,6 9,8 5,3 3,8 3,4 1,1 0,7 0,6 0,5 0,4 1,4 0,9 0,6 1 0 0 % 1,9 3,0 0,1 0,6 Sources : Le Monde, op. cit., et Cornera Délia Sera, 13 juin 1979. b) Les élections européennes reproduisirent au Luxembourg les résultats des législatives tenues en même temps. Comme en Italie, les ténors de la politique nationale conduisaient les listes : le premier ministre sortant Gaston Thorn, président des libéraux-démocrates européens et M lle Colette Flesch, le populaire bourgmestre de Luxembourg, pour les démocrates, l'ancien premier ministre Pierre Werner pour les chrétiens-sociaux et le bourgmestre de Diekirch, Victor Abens, pour les socialistes. Les deux scrutins confirmèrent la victoire chrétienne sociale et surtout le progrès des démocrates qui, mobilisant les couches nouvelles, ont pour la première fois supplanté le PDSL comme deuxième parti (cf. tableau 7 ) . c) En Wallonie et dans le collège francophone de Bruxelles, les élections européennes constituaient le premier sondage depuis les législatives de décembre 1978. En dépit de la liste anti-CE, E-non, fournie par des groupes de la gauche indépendante et chrétienne, et surtout des écologistes qui, avec 5 % , réalisent leur meilleur score européen, le débat fut monopolisé par les partis nationaux. Comme en Italie et au Luxembourg nombre de chefs de partis s'impliquèrent sur les listes : C. F. Nothomb, leader du PSC wallon et président de la Chambre des députés ; M me Antonette Spaak, fille du défunt homme d'État socialiste et président du FDF, et André Danseaux, politiste et président du PRL, conduisaient la liste de leur parti. Seul le parti socialiste présenta une brochette de candidats plus spécialisés et moins connus, conduite par le député et ancien ministre Ernest Glinne, homme intelligent mais qui répugne à jouer les vedettes. Le sondage révéla une forte progression des régionalistes, une stagnation des libéraux du PRL OMBRES ET LUMIÈRES SUR LES ÉLECTIONS EUROPÉENNES 581 et un net recul pour le PS et pour les démocrates-chrétiens. Ces deux partis furent victimes de la mauvaise humeur de leur aile droite respective. Au chapitre des votes de préférence, Mme Spaak (FDF) l'emporte avec 117 891 contre 105 403 au président Nothomb (PSC) et 103 647 au journaliste Luc Beyer (PRL), figure populaire de la télévision qui n'est néanmoins pas élu (cf. tableau 8). TABLEAU 7 Élection des eurodéputés luxembourgeois Partis Résultats Législatives Sièges % 3 2 1 0 0 0 0 36,0 28,0 22,5 5,01 7,0 0,97 0,52 - - Parti chrétien social Parti démocrate Parti ouvrier socialiste luxembourgeois Parti communiste luxembourgeois Parti social-démocrate Anti-CE Trotskystes Les « Enrôlés de force » Socialistes indépendants % 42 30 16 5,83 5,98 0,99 0,23 4,45 2,20 Source : Le Monde, op. cit., et Ambassade du Grand-Duché de Luxembourg, Washington, The European Election in the Grand-Duché of Luxembourg. TABLEAU 8 Élection des eurodéputés belges francophones Partis Parti socialiste Parti social-chrétien Front démocratique francophone 1 Rassemblement wallon J Parti des réformes et de la liberté * Écologistes Parti communiste belge Parti féministe unifié Parti libéral wallon E-non TPO (maoïstes) LRT (trotskystes) Divers gauche Source : Le Soir, 12 juin 1979. * Wallonie uniquement. Résultats Législatives '78 Sièges % % 4 3 27,4 21,2 36,7 26,9 2 19,7 9,3 2 0 0 0 0 0 0 0 0 17,7 5,1 5,0 0,3 0,8 1,0 0,4 0,2 0,6 16,7 1,2 5,8 0,3 0,7 0,2 0,1 - 582 Daniel Louis SEILER d) Le sondage irlandais se révèle une véritable catastrophe pour le premier ministre Jack Lynch qui, après avoir conduit son parti vers les cimes du maximum électoral historique en 1977, se voit choir à son niveau le plus bas. Le recul des « guerriers du destin » semble dû aux difficultés sociales - une grève des PTT de plus de quatre mois - que vit la République. L'adversaire historique, « la tribu des Gaels » qui, au cours de la campagne attaqua la politique européenne de M. Lynch, ne bénéficia nullement du recul du parti gouvernemental. Le vainqueur est indubitablement le parti travailliste favorisé par le découpage électoral et la concentration de son électorat à Dublin et dans la province de Leinster. Cependant, la majorité des suffrages perdus par le FF se portèrent sur les nationalistes indépendants de Neil Blaney, un dangereux démagogue qui fit « un malheur » dans la circonscription de l'Irish Farmers Association et qui comme indépendant proeuropéen récolta le plus grand nombre de votes de préférence (cf. tableau 9 ) . TABLEAU 9 Élection des eurodéputés irlandais Législatives 77 Résultats Partis Sièges % % Fianna Fail 5 34,5 46,2 Fine Gael 4 33,5 35,1 Labour 4 14,5 13,2 Indépendants 2 17,5 1,4 Source : The Economiste 16/22 juin 1979. e) Le résultat obtenu en Irlande du Nord était le plus facile à prévoir. Tous les observateurs s'accordaient pour donner un siège aux catholiques du Social Démocratie Labour Party, un aux extrémistes protestants conservateurs et un au pasteur Paisley. C'est de fait ce qui s'est produit, chaque communauté désignant ses porte-parole «naturels» (cf. tableau 10). f) Avec les Pays-Bas, on aborde les sondages moins réussis. En effet, en voulant être sérieux et faire européen, les partis néerlandais ne désignèrent que des candidats résolus à investir toute leur action politique dans la vie du Parlement européen. En conséquence, aucune vedette de la politique nationale ne se présenta, à l'exception de M. Vondeling (PvdA), président de la Chambre, assez âgé et qui n'est pas un leader. Dans le même temps, chaque parti gardait jalousement son étiquette et aucune alliance électorale n'était conclue entre les alliés progressistes - PvdA, D' 66 et PPR - ni même entre le PPR et le PSP, socialistes pacifistes, pourtant proches à bien des égards. Face à ce scrutin sans enjeux, les OMBRES ET LUMIÈRES SUR LES ÉLECTIONS EUROPÉENNES 583 électeurs ont boudé, et ce singulièrement, dans les couches populaires. Le succès des démocrates D' 66, une formation de technocrates et d'intellectuels progressistes, proches des idées du club Jean Moulin en France, témoigne avec éloquence du poids des gens instruits (cf. tableau 11). TABLEAU 10 Élection des eurodéputés en Ulster Candidats Votes Partis J. PAISLEY Démocratie Unionist 170 688 J. H U M E SDLP 140 622 J. TAYLOR Officiai Unionist 68 185 H. W E S T Officiai Unionist 56 984 0. Alliance 39 026 J. KlLFEDER Ulster Unionist 38 198 BERNADETTE D E V L I N Indépendant 33 969 NAPIER 24 592 Autres Source : Belfast Telegraph, 13 juin 1979. TABLEAU 11 Élection des eurodéputés aux Pays-Bas Résultats Législatives '77 Partis Parti j van de Arbeid Christen Democratisehe Appel Sièges % % 9 30,4 33,8 10 35,6 31,8 Volkspartij voor Vrijheid en Dem. 4 16,1 18,0 Democraten '66 2 9,1 5,2 Staatkundige Gereformeerde P. 0 2,2 2,2 Politieke Partij Radikalen 0 1,6 1,7 Communistes 0 1,7 1,7 Gereformeerde Politieke Verboord 0 1,7 0,9 Socialistes pacifistes 0 1,7 0,9 Divers 0 0,4 3,5 Source : Algemeen Bagblad, 13 juin 1979. 584 Daniel Louis SEILER g) L'Allemagne vota également moins que d'habitude, mais on peut néanmoins considérer l'élection du 10 juin 1979 comme un sondage sur ce que seraient les résultats d'une élection fédérale en l'absence du chancelier Schmidt. Inversement, on peut envisager le scrutin comme une défaite personnelle pour Willy Brandt, ancien chancelier, président et « conscience » du SPD. Celui-ci l'a d'ailleurs perçu en s'en prenant avec virulence aux « Grime » (les écologistes) qu'il rendait responsables de son échec. Pour les stratèges du SPD, les élections européennes étaient la « chose » de Willy Brandt qui, déjà président de l'Internationale socialiste, aimerait conclure sa carrière sur un destin européen (cf. tableau 12). TABLEAU 12 Élection des eurodéputés allemands Législatives '76 Résultats Partis Sièges * % % Sozialdemokratische Partei Deutschland 34 40,8 42,6 Christliche Demokratische Union 32 29,1 48,6 Christliche Soziale Union 8 10,1 Frei Demokratische Partei 4 6,0 Écologistes 0 3,2 Communistes 0 0,4 0,3 Divers 0 0,4 0,3 7,9 Source : Le Monde, op. cit. * N'incluant pas Berlin Ouest. Après une campagne terne et sans enjeux - les citoyens vibrèrent plus devant les résultats serrés de l'élection au Landtag du Schleswig-Holstein - on voit les conservateurs emporter la majorité absolue des sièges d'eurodéputés. La leçon est d'autant plus amère pour Willy Brandt que les municipales tenues en RhénanieWestphalie au même moment se soldaient par un recul de la CDU. Est-ce un coup de semonce pour la coalition SPD/FDP, un an avant les élections fédérales ? En fait, lors des élections de 1979, le même scénario faillit se dérouler. En effet, le chancelier Schmidt, soucieux de ne pas ternir son image de gestionnaire pénétré du sens de l'État, laissa la conduite de la campagne à Willy Brandt. Or il apparut clairement que les conservateurs, déjà majoritaires au Bundesrat, menaçaient de l'emporter. Helmut Schmidt dut donc voler dare dare à la rescousse du parti et redressa la barre avec énergie. Pour 1980, le succès ou l'échec de la coalition repose entièrement sur les épaules du chancelier dont la OMBRES ET LUMIÈRES SUR LES ÉLECTIONS EUROPÉENNES 585 politique et la popularité en cette dernière année de la législature détermineront l'issue du scrutin. h) Les élections en Grande-Bretagne furent faussées à un point tel par la combinaison d'un mode de scrutin absurde pour la circonstance et d'un taux d'abstention énorme qu'il serait vain d'en interpréter les résultats. Elles sont une copie grossière et maladroite des élections législatives de mai. 3 - L E S ÉLECTIONS-SONDAGES AVEC ENJEU NATIONAL Dans deux pays, les élections européennes revêtaient un aspect de règlement de compte, ou tout au moins d'avancée stratégique en vue d'objectifs nationaux. Nous aborderons d'abord le coup de force de M. Tindemans et l'imbroglio de l'avant-premier tour des élections présidentielles françaises. a) M. Léo Tindemans, premier ministre belge et président du PPE, a été écarté du pouvoir, en fin 1978, par la détermination des partis francophones et l'action du président de son parti, Wilfried Martens, leader de l'aile gauche du CVP. En butte au veto tant du PS que du FDF, ou même des démocrates-chrétiens wallons, Léo Tindemans dut renoncer à siéger au gouvernement et M. Martens lui succéda. Celui-ci, ainsi que l'aile ouvrière et nationaliste de la démocratiechrétienne flamande auraient souhaité que l'ancien premier ministre devînt président de la Chambre afin de pouvoir se consacrer à un destin européen. Mais l'intéressé ne l'entendait pas de cette oreille et se fit élire, par surprise et par acclamation, président du CVP, le parti démo-chrétien flamand. Il lui restait à se faire plébisciter par le peuple. L'élection du Parlement européen lui en fournit l'occasion. Déjà détenteur du record belge des votes de préférence en 1977 et 1978, Léo Tindemans vient de décrocher le record européen avec 983 600 voix ; il distance son coreligionnaire italien Colombo. Il conduit également le CVP à la conquête de la majorité absolue des sièges le ramenant vers ses résultats de 1958. Face à ce succès, l'aile gauche du CVP, qui a « placé » habilement quatre de ses candidats, espérait voir le héros briguer la présidence du Parlement de Strasbourg. Mais rien n'arrête M. Tindemans qui fit savoir qu'il n'était pas candidat. Un observateur très bien informé rapporte que « M. Europe » entendait renverser le gouvernement Martens en octobre, prendre le contrôle du parti social-chrétien wallon - en faisant élire M. Vinden Boeymants, leader de l'aile droite du PSC à la présidence de ce parti - pour ensuite provoquer des élections afin de bousculer les socialistes wallons et de balayer la Volksunie et le FDF. Cela fait, Léo Tindemans reviendrait au gouvernement à la tête d'une coalition comprenant démocrates-chrétiens, socialistes et libéraux. À part les grandes manœuvres de M. Tindemans, le scrutin fut celui des personnalités. Les présidents socialiste, Karel Van Miert (304 313 votes préférentiels) et libéral, Willy de Clercq (263 958 voix de préférence) conduisaient leurs listes respectives et jusqu'au secrétaire général de la IV e Internationale, Ernest Moindel, tête de liste du RAL (cf. tableau 13). Daniel Louis SEILER 586 TABLEAU 13 Élection des eurodéputés flamands Législatives '78 Résultats Partis Sièges % % Christelijke Volkspartij 7 48,0 43,8 Vlaamse socialisten 3 20,9 21,4 Partij voor Vrijheiden Voormitgang 2 15,3 17,2 Vlaamse Volksimie 1 9,7 11,3 Écologistes 0 2,3 0,3 Communistes 0 1,1 1,9 Amada (maoïstes) 0 1,0 1,2 Vlaamse Volkspartij 0 1,0 2,1 R.A.L. (trotskystes) 0 0,3 0,2 Source : Le Soir, op. cit. b) L'élection des eurodéputés français se déroula, en quelque sorte, sur deux registres : sur le mode majeur et sur le mode mineur. Sur le mode majeur, on assista à un débat de fond sur les options européennes. Ce fut largement le fait des petites listes qui ensemble obtinrent 12% des suffrages exprimés. Les écologistes, la liste trotskyste « pour les États-Unis socialistes d'Europe » présentée par la Ligue communiste et Lutte ouvrière, la liste Emploi-Égalité-Europe de Jean-Jacques Servan-Schreiber et Françoise Giroud et, dans son genre, l'Eurodroite de M. Tixier Vianeour, contribuèrent à élever le débat en posant les questions affectant le devenir de la C.E.E. et celui de l'Europe en général. Mais c'est sur un mode très mineur que la campagne atteignit sa phase décisive, et ce par la grâce de la « bande des quatre » - les quatre grands partis - qui monopolisa le débat à ces fins partisanes. Il opposa la liste officielle dite aussi « liste Giscard-Barre-Veil » aux trois autres partis, y compris le RPR de Jacques Chirac. Conduits par leurs chefs respectifs, ils dénoncèrent l'omniprésence de Giscard et de Barre sur les trois chaînes de télévision. Tant le président que son lieutenant ne participaient pas à la campagne, mais leur soudaine activité ne pouvait que favoriser l'UDF. Il était normal que la gauche dénonçât semblables pratiques, mais de voir les gaullistes s'y associer, eux qui jadis usèrent et abusèrent de la défunte ORTF, porte à sourire. Ensuite, chacun s'égratigna à qui mieux mieux mais au sein du même camp. On vit ainsi giscardiens et chiraquiens, communistes et socialistes se chercher des poux dans la tonsure.. Le débat n'en resta pas là et l'unité se refit contre la liste officielle quand, dix jours après le scrutin, celle-ci se fit offrir un siège supplémentaire aux dépens du PS, car les autorités OMBRES ET LUMIÈRES SUR LES ÉLECTIONS EUROPÉENNES 587 compétentes décidèrent de mettre au crédit de M me Veil un nombre important de « proclamations de foi » émanant de la liste et que des électeurs avaient déposées dans l'urne. Des demandes d'annulation du scrutin ont d'ailleurs été émises par certaines formations. En dépit du folklore qui l'entoure, l'élection des députés français au Parlement européen s'avère lourde de signification pour la course à la présidence de la République. Pour les giscardiens, la situation n'est pas si bonne qu'elle paraît à première vue. En effet, la « liste officielle » fait moins bien que Valéry Giscard d'Estaing lors du premier tour des présidentielles de 1974. Un écart suffisant est maintenu par rapport aux gaullistes. Les résultats de la liste DIFE qu'il conduisait n'augure rien de bon pour une éventuelle candidature de Jacques Chirac. Toutefois, celui-ci fait mieux que Jacques Chaban-Delmas en 1974 et il n'est pas certain que l'UDF puisse de sitôt déloger le RPR de ses positions à l'Assemblée nationale. Le scrutin uninominal permet à ses députés de compter sur leur implantation personnelle. TABLEAU 14 Élection des eurodéputês français Résultats Listes Sièges % Union pour la France en Europe (UDF) 26 27,5 Parti socialiste et radicaux de gauche 21 23,6 Parti communiste 19 20,6 Défense des intérêts de la France en Europe (RPR) 15 16,2 Écologistes 0 4,4 Trotskystes 0 3,1 Bmploi-Égalité-Europe 0 1,8 Défense interprofessionnelle 0 1,4 Eurodroite 0 1,3 Régions Europe 0 - PSU 0 - Source : Le Monde, op. cit. 588 Daniel Louis SEILER Pour la première fois depuis sa création, le PS voit son avance arrêtée et le débat sur les causes de l'échec crée de l'agitation chez les présidentiables. François Mitterrand est aussi contesté par des rivaux qui briguent tant son poste de premier secrétaire que la candidature à la présidence. Le parti communiste jubile car il a enfin réussi à « rééquilibrer » le gauche à son profit. Une candidature de Georges Marchais à la présidence de la République semble désormais des plus probables. Il a d'ailleurs mené à la tête de la liste du PCF une campagne européenne vigoureuse et d'un nationalisme primaire qui tranchait avec les analyses élaborées des trotskystes. La possibilité d'une candidature de Georges Marchais renforce le pouvoir de négociation du petit mouvement des radicaux de gauche, pourtant en déclin. En effet, un candidat du MRG obtenant quelque 2 % des votes affaiblirait d'autant celui du PS, qui serait alors dépassé par le communiste et éliminé. Voilà des atouts que le MRG compte bien rentabiliser au maximum lors de négociations avec les socialistes (cf. tableau 14). III - INTERROGATION EN GUISE DE CONCLUSION Les élections de 1979 furent pour l'Europe une opération publicitaire sans impact politique autre que national. Si une volonté politique européenne avait pu se dégager, elle eût été immanquablement brisée dans le laminoir des modes de scrutins aux effets aussi divers qu'opposés. Mais le nationalisme des gouvernements aurait pu, sans risques, concéder l'adoption d'un système électoral unique, tant les partis politiques étaient prêts à les relayer. Dépourvues d'enjeux politiques européens, les élections au Parlement de Strasbourg, si elles furent rarement l'occasion d'évoquer le destin de l'Europe, parfois celle de débattre des choix politiques, se révélèrent trop souvent l'exutoire des rancœurs, des mesquineries et des petites intrigues politiciennes. L'élection de M me Veil à la présidence du nouveau Parlement en donne une image saisissante. Elle fut l'occasion, avec la candidature de M. de la Malène, d'un nouvel étalage des échanges de bons procédés entre les deux partenaires de la majorité française. Mais, fait plus grave, elle traduit la victoire des gouvernements sur l'assemblée parlementaire. En effet, Simone Veil était la candidate du gouvernement français et le président Giscard fit des pressions en sa faveur lors du « sommet » européen qui se tint à Strasbourg à la fin de juin 1979. Fort à propos, l'un des autres favoris, Willy Brandt annonça qu'il n'était pas candidat. Ensuite, on ressortit un accord liant les trois groupes « historiques » du Parlement européen et stipulant que c'était au tour d'un libéral d'occuper « le perchoir ». Le candidat le plus logique eût été M. Gaston Thorn, ancien premier ministre luxembourgeois. Mais les giscardiens détiennent la majorité au groupe libéral et Mme Veil fut plébiscitée. Il restait à convaincre les démocrates-chrétiens, les conservateurs étant acquis d'avance. Or l'ancien ministre de la Santé rencontrait d'office l'hostilité du PPE, sauf pour les conservateurs de la CDU/CSU. En effet, OMBRES ET LUMIÈRES SUR LES ÉLECTIONS EUROPÉENNES 589 elle apparaissait à la fois comme adversaire de la supranationalité, marquée à droite et comme le ministre ayant introduit l'avortement légalisé en France. Les démocrates-chrétiens voulaient présenter l'un des leurs, mais le bloc conservateur - CDU/CSU et CDS français - aidé par M. Tindemans parvint à vaincre l'opposition du groupe parlementaire. L'élection du Parlement européen au suffrage universel n'est-elle qu'un luxe coûteux ? On peut se demander si les tenants de l'union européenne ne firent pas fausse route en militant pour l'élection directe d'une institution dotée de pouvoirs, somme toute, limités. Dès l'origine, l'organe moteur de la Communauté fut la Commission de Bruxelles, et n'est-ce pas elle qu'il eût fallu élire au suffrage universel ? Le regretté André Philip le proposa, il y a une dizaine d'années. D'autres comme Pierre Uri voudraient voir élire le Parlement sur la base d'une circonscription électorale unique pour toute l'Europe. Ces propositions n'ont pas la moindre chance d'être acceptées par le Conseil européen, gardien jaloux des prérogatives nationales. Alors le seul espoir réside dans la création de véritables partis européens, suivant la logique que nous avons déjà explicitée. À ce « modèle canadien » on pourrait opposer un « modèle suisse », ce pays possédant nombre de partis limités à quelques cantons. Mais c'est oublier que le système fédéral suisse est construit de longue date et que, pour ce faire, il dut passer par une guerre civile. Par ailleurs, il ne faudrait pas sous-estimer le rôle unificateur joué par le parti radical suisse. En définitive, on peut espérer. Espérer que des regroupements nouveaux se créeront au sein de l'assemblée et en dehors. Espérer dans le rôle que pourrait jouer la confédération européenne des syndicats et, dans celui de fédérateurs de la droite, que pourrait remplir l'union démocratique européenne, discrète lors du scrutin mais dont le deuxième congrès va se tenir à Londres cet été. Espérer que le PPE, dont le seul ciment est le fédéralisme et dont rorganisation est assez avancée, prenne plus de latitude vis-à-vis des partis affiliés et sorte du ghetto chrétien pour s'ouvrir aux fédéralistes d'autres pays, comme les libéraux britanniques et danois ou Jean-Jacques Servan-Schreiber en France. Mais la réalisation de semblables espoirs implique l'abandon progressif du terrain communautaire par les partis nationaux et leurs internationales vétustés. En ce sens, et par un plaisant paradoxe, le point le plus lumineux apparaît être le succès de la liste anti-CE au Danemark. S'il s'en créait dans les huit autres pays et si, en contrepartie, les fédéralistes s'organisaient, alors les espérances pourraient se matérialiser. La première élection européenne se tiendra en 1984, les élections européennes de 1979 étaient l'ouverture de la répétition générale d'une pièce dont le premier acte se jouera dans cinq ans. La répétition sera décisive ; de ce qui se passera à Strasbourg et au Luxembourg durant ces années, dépendra tout le succès de la représentation. Le texte est bon et l'intrigue ne manque pas d'intérêt, mais les acteurs, c'est-à-dire les partis, doivent encore se fermer. Sur eux et sur eux seuls repose le destin de la pièce : four ou triomphe.