Wahl - Malheur Chez Hegel
Wahl - Malheur Chez Hegel
Wahl - Malheur Chez Hegel
de la conscience
dans la formation des thories de Hegel
(~M~e)'.
IX
A la fin de l'empire romain, la fin du xvins sicle, le moment
est venu o le malheur, la sparation ont t sentis comme constituant l'essence de l'homme.
La rciigion devra tre la destruction de ce qui est purement
objectif et de ce qui est purement subjectif, pensait Hegel lorsqu'il
rdigeait en 1800 !e\em/a~men<
(Nohi, p. 350). Ds ce moment,
en tout cas ds 1802, il prend une claire conscience des exigences
logiques de sa phil.osophie religieuse La tche de la philosophie
consiste unir ces oppositions, placer i'tre dans le non-tre
comme devenir, !a sparation dans l'absolu, comme apparence de
l'absolu, le fini dans l'infini comme vie. (D:en~,
p. 177.) Par
l'ide d'apparence, la conscience malheureuse, spare, s'intgrera
l'absolu comme par l'ide de mouvement le non-tre s'intgrera
i'tre.
D'autre part, s'il est vrai que l'infini est la contradiction absolue,
comme le dit Hegel ds son lef systme (p. 22, Ehrenberg) et s'il
est vrai que ie fini contient lui aussi essentiellement des contradictions, ne peut-on par l mme montrer l'identit entre le fini et
i'mnni? Et n'est-ce pas ce que Hegel entendait, lorsqu'il crivait
propos de Schelling (XV, 662) On devrait montrer au sujet du
fini lui-mme qu'il contient en lui la contradiction et qu'il se fait
de lui-mme un infini. C'est alors que l'on obtiendrait le fonde1. V..Re:'tMphilosophique,iMv. 1926,393-450.
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points dont est partie la mditation de
Hegel comme celle de plusieurs des romantiques allemands. Ce
mystre de Jsus lui
apparat comme la croix o s'cartle la
raison humaine et o s'unissent deux natures. Un individu a t
choisi qui porte toutes les douleurs du monde. Cet individu, est
Dieu. Recourons pour illustrer les ides de
Hegel quelques-uns
de ses crits postrieurs. Dans toutes les
plus hautes religions, et
non pas seulement dans le christianisme, est
prsent pour Hegel
comme pour Creuzer ce moment de la douleur. Ainsi dans la
religion d'Adonis (Philosophie der Geschichte, dition Reklam,
p. 261) On institue une douleur universelle; car la mort devient
immanente au Divin et le Dieu meurt. Sans doute chez les Grecs
la mort n'tait pas comprise dans toute sa
signification, mais avec
le christianisme, elle devient le moment de la
ngation sentie dans
son essence, une mort de l'me qui peut se trouver
par l comme
le ngatif en soi et pour soi, exclu de tout bonheur, absolument
malheureux (Esth., II, 127, 128). Et en effet l'ide de conscience
malheureuse est lie l'ide de subjectivit. Dans la douleur l'homme
ressent sa subjectivit (PM. de l'histoire, p. 261). La srnit
grecque
est quelque chose de fini, de limit. Avec le christianistne, ses collisions, ses dchirements, nat toute une gamme de passions (Esth., II,
p. 131). Mais en mme temps une plus haute srnit prend forme;
la mort ne se comporte ngativement que par
rapport au ngatif
(Cf. Esth., II, p. 128); elle supprime seulement ce qui est nant;
elle est la mdiation, la rconciliation du sujet avec l'absolu; niant
le ngatif, elle est l'affirmation de l'absolu. Ici'encore nous
voyons
la
conscience malheureuse engendre la conscience du bonheur'.
que
Car ce qui est mort, c'est le manque de vie. Le Dieu
qui est mort
est prcisment le contraire du Dieu mort; il est ressuscit. Et c'est
la mort qui est morte.
Ce n'est pas une autre ide qui est exprime dans le
passage du
Naturrecht, p. 370. Cet absolu ngatif, la pure libert, est dans son
apparition la mort.
C'est l l'aspect de la raison que l'on peut appeler
ngatif ou
destructeur (Rosenkranz, p. 191).
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REVUE PH.H.OSOPtHQ'GE
J.
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particularit qui ressuscite dans la gnralit (ibid.), ou, si nous la considrons de l'autre ct, la mort de l'abstraction, de la division de
l'essence divine (p. 590) 1.
Toute la rgion vague du Meinen arrive nier sa particularit
et parvient la pense qui est gnralit. La particularit pense
's'vanouit; mais par l mme qu'elle est pensante, la particularit
cesse de pouvoir compltement s'vanouir. Le Christ n'est-il pas la
particularit pensante par excellence, particularit qui est mise
mort sur le Golgotha, pense qui soutient le monde?
Dans l'Olympe antique nous trouvions une individualit qui
s'attachait.d'une
faon non essentielle l'essence et restait inessentielle. Ici, par un fait ontologique, la pense s'attache l'tre particulier lui-mme. Le ceci devient une essence gnrale, et dont la
ngativit n'est plus la ngativit strile du sensible, mais la ngativit fconde de la pense. L'esprit est rel. La mort du Christ
apparat ds lors comme d'une part la transposition du sensible
o celui-ci s'vanouit, mais d'autre part aussi comme le symbole
de la dialectique de l'intelligible o les moments de ce dernier sont
conservs.
Par l'ide de la mort de Dieu nous ralisons pleinement, ainsi que
nous l'avons fait pressentir, l'ide de la vie d'un Dieu. Et en effet
l'ternelle incarnation (Menschenwerdung) de Dieu (Differenz, p. 269.
Wissen, p. 147, VerMHntss, p. 311) est un symbole de ce qu'est
l'universel concret. Elle est de mme que la production du Verbe
au commencement , l'accomplissement
de l'Absolu (Dt//e7-e/
p. 269). L'infini revt le caractre du fini (Ver/M~m~, p. 311).
L'incarnation nous met en prsence de l'immuable qui est par
lui-mme quelque chose de gnral; et cet immuable revtant le
caractre de l'individualit, ce caractre mme devient quelque chose
d'universel. Le monde entier, pour Hegel, grce l'incarnation, et
d'une faon gnrale grce aux croyances du christianisme
car
pour Hegel il semble bien que les ides de cration et d'incarnation
soient lies
le monde entier est reconstruit, dlivr, sanctifi,
1. Cf. (Euures,tome VI, p. 321. L'universeldans son sens vrai et inclusifest
une pense qu'il a fallu des milliers d'annes pour acqurir et qui n'a reu sa
pleine significationque par le christianisme, cit Royce, Lectureson .Modem
Philosophy,p. 223.
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REVUE PHILOSOPHIQUE
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WAHL.
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mort de l'Individu, c'est--dire
le moment 1-o 1'
l'organique dpose
son moi, son existence particulire, qui tait arrive une acuit
o l'inorganique dpose sa gnralit, non pas comme
extrme,
au dbut dans un mlange d'idal, mais dans le combat rel, dans
le combat le plus nergique, puisque le particulier par rapport
son extrme contre l'extrme de l'inorganique doit sans cesse tendre
activement se gnraliser, doit sans cesse s'arracher de son centre,
et que l'inorganique contre l'extrme du particulier doit toujours
plus se concentrer, toujours plus gagner un centre et se faire le plus
moment o par consquent l'organique devenu
particulier;
inorganique parat se retrouver et retourner en soi en se maintenant
attach l'individualit de l'inorganique et o l'objet, l'inorganique
semble se retrouver, en trouvant dans le mme moment o il assume
l'individualit l'organique au point le plus extrme de l'inorganique,
de telle faon que dans le mme moment, dans cette naissance de
la plus grande hostilit, la plus grande rconciliation parat se raliser .
Ainsi l'ide de la mort de Dieu, et par consquent de la vie de
Dieu, de la dialectique divine o la mort se transfigure en ngativit se rencontre ici avec la formation de l'ide de la notion, telle
que la fournit la rflexion sur la conciliation avec le destin. C'est
un mme mot qui donne la solution des deux problmes, qui ne sont
deux qu'en apparence, de la conscience malheureuse et de l'intelligence abstraite. Et cette conciliation se fait au moment des oppositions-les plus profondes (GescTuc~g der Philos., III, p. 684-889) et
au point mme de la plus grande hostilit de deux natures, signiSant
par l que la loi logique niant la contradiction est dpasse, et
remplace par une loi qui l'affirme (t. VI, p. 323). Ce n'est pas seulement le Christ qui meurt, mais c'est aussi, c'est bien plutt le
Dieu abstrait. L'ide du Dieu lui-mme est mort signifie donc
au premier abord sans doute que le sujet, la personne qui est le
Christ, est morte; mais plus profondment, elle signifie que le Dieu
abstrait n'est plus; la mort signifie la gnralit de l'esprit, dont
la mort et la rsurrection au sein de la communaut qu'il engendre,
est ternelle.
1. Sur l'inorganique,
2. Phenomenologie,
cf. P/;enofn<'no~s'<
p. 589-590.
p. 33.
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PHILOSOPHIQUE
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LA
FORMATION
DES
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REVUE PH!L090PHt(}OE
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l'infini, suivant la conception du monde antique, mais une gnralit qui prend corps (cf. PAc/Mme~c~
p. 37). Grce l'ide
du Dieu qui vit et qui meurt, nous avons l'ide de l'universel concret.
Par sa perte mme, la substance, sous ta forme inerte de laquelle
se prsentait d'abord l'esprit, est devenue sujet; le sujet est devenu
substance vivante et objet'. L'au-del. de Dieu est supprime
c'est l'inspiration, la spiritualisation qui triomphe grce l'incarnation mme3, II y a ds lors adquation du moi et de l'essence.
L'individuel s'est vid de son. unicit et l'universel de sa gnralit
On semble retrouver, mais avec une profondeur incomparable,
l'ide grecque d'une substance individuelle; en ralit, on la dpassa
infiniment (Cf. Ges(A:'c7!&der Philosophie, III, p. 112-lt5).
Hegel avait d'abord pens qu'il faudrait unir la srnit grecque
et la douleur infinie du christianisme (cf. Rosenkranz, p. 168''):
le christianisme, disait-il alors, tait un chemin vers la perfecuon,
mais non la perfection elle-mme; il distinguait l'vangile ternel et
la religion chrtienne. De mme Holderhn parlait de la nouvelle
glise, la plus jeune et la plus belle fille du temps (R~pcrMn. 1, 54),
le nouveau royaume de la nouvelle divinit (Ibid., II, 71), la nouvelle
priode de l'histoire (/Kd., II, 79~ 80 et 100).
Finalement chez Hegel comme chez Holderlin~ la rvlation
chrtienne apparat comme un approfondissement de la rvlation
paenne, comme une rconciliation plus profonde de l'inAai et du
fini. L'oeuvre du philosophe ne peut d'ailleurs s'arrter: revivant
sans cesse ces deux expriences de l'humanit, le paganisme et le
christianisme, il les approfondit l'une par l'autre, exaltant et pacifiant tour tour les lments qui font leur beaut.
C'est ainsi que l'art chrtien peut unir l'effort de l'art symbolique pour exprimer quelque chose qui dpasse tout symbole, celui
de l'art classique pour enclore l'ide en une personRe humaine. La
personne humaine devient l'expression d'une dotdeur infinie; et
l'art symbolique comme l'art classique sont dan~ le christianisme
la fois dpasss et conservs.
1. P.fM.Mn:MM)!ojy:e,
p. 566, 590.
2. Philosophieder Religion.II, p. 240.
3. P/Mnomenoi'os'/e,
p. 290 sqq.
4. /6<a' cf. Koner, II, p. 412.
5. Cf.Contra Kroner,II, p. 231et 237 qui soutient,d'atlleursnon sans quelques
resti'i&tMn~qu'il ne s'agit pas d'mie troisime religion mais d'une philosophie.
J. WAHL.
115
x
Cependant toute cette beaut, toute cette grandeur de la faiblesse,
ne doit pas nous faire oublier la faiblesse de cette grandeur, faiblesse qui nouveau doit tre surmonte. Par l mme que Dieu
s'est incorpor, le Dieses a pris une signification nouvelle; le moment
du Dieses s'est plac au centre mme de la thologie, car tout doit
nous venir sous forme finie, historique, donne (PMos. der Religion,
II, 158, 236 et suiv.), sans d'ailleurs pour cela que l'esprit soit considr comme purement passif (Ibid., p. 165), puisque c'est par suite
de sa conscience de soi, qu'il peut incorporer la divinit l'ide
du Dieses (Philosophie der Geschichte, p. 327). Nous assistons ici
l'union inoue des oppositions les plus grandes; mais il faut ici mme
que l'tre suprme, aprs s'tre prsent comme Dieses, supprime
ce Dieses (p. 143 de Ehrenberg).
Que l'on tudie Ja conscience vulgaire, le raisonnement, la spculation religieuse, que l'on se place un point de vue psychologique,
logique ou thologique, on voit que chaque fois le Dieses s'vanouit,
mais en mme temps se conserve. Comme le dit Lasson (Introd. a la
Phnomnologie, IV) <'le ceci et l'individuel, le quelque chose et
le gnral sont des moments ncessaires dans le systme de la vrit.
Et la conscience, si approfondie et si intriorise qu'elle soit, ne
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11 i
H8
RVCPHtf.OSOPMtQUE
Il
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LA FORMATtON
DESTHOMES
DE HEGEL
119
Cela ne veut pas dire que pour Hegel, ce lieu et cette heure
n'aient pas une signification infinie; ce qu'il nie prcisment, c'est
qu'il ne faille leur attacher qu'une signification finie. L'histoire
se dpasse en quelque sorte elle-mme pour lui, de mme que la.
positivit. Ne voir dans l'histoire qu'elle-mme et dans la positivit
qu'elle-mme, c'est rester prisonnier du mal'. Et telle fut l'erreur
de la communaut~ essentielle elle-mme l'ide d'esprit, elle
s'est pourtant leurre d'images, de peintures et d'illusions.
D'aprs ce que nous avons dit, la ralit sensible, la divinit
sensible laquelle on croit, serait lie au vide que l'on sent en soi,
et amnerait d'autre part ce processus dialectique par lequel ce
qui apparat plein se vide ds que l'on y porte la main; la croyance
la ralit en d'autres termes
serait lie la conscience
malheureuse.
Qu'y a-t-il d'tonnant cela, et ne retrouvons-nous pas ici
l'lment de dpendance qui pour Schleiermacher constitue le
sentiment religieux essentiel? Ce sentiment de dpendance, si on
prend les termes la rigueur, n'est-il pas li l'ide de quelque
chose d'tranger et par l au malheur?
Mais ne savons-nous pas que pour Hegel la religion est sentiment
d'indpendance, et que par consquent il faudra transformer ce
quelque chose d'tranger en quelque chose d'intime, pour arriver
la religion vritable, et la conscience heureuse? La philosophie
de la religion telle que Schleiermacher l'a expose, tout en contenant
des lments prcieux, est une philosophie qui reste dans le domaine
des oppositions et dans !a catgorie du matre et de l'esclave.
L'ide d'incarnation, symbole de l'universel concret, est si diffici!e saisir dans sa ralit que bien souvent elle aboutit au malheur
de la conscience, parce que celle-ci est force de suivre la dialectique du sensible (Nohl, p. 341). L'instinct sensible devenait
par l un Se/z~en infini, inextinguible, sans repos; car le .Sg~ar,
mme lorsqu'il est au plus haut point de l'enthousiasme, dans les
extases des me& les mieux organises et qui respirent le plus haut
amour, trouve toujours oppos lui, l'individu, quelque chose
d'objectif et de personnel, auquel il aspire s'unir de toute la force
de ses sentiments les plus profonds qui le poussent vers la beaut;
l.'Cf. P&MMHMo&~K',
p. 5ST.
130
HEVUE PHILOSOPHIQUE
mais cette union, parce qu'il s'agit l d'un individu, est ternellement
impossible. Si Dieu est d'une faon sensible, un jour il aura t.
Le concept auquel on sera parvenu ne sera pas la mdiation complte
car il y avait encore ici un en-de et un au-del.
Ainsi Dieu, en paraissant s'approcher de nous, n'a fait que nous
proposer de lui une image sans cesse fuyante et toujours trangre.
et sur celle qui lui est lie, d'une opposition
C'est sur cette ide,
dans le Christianisme, que se terminent les fragments sur le Christianisme. Sans doute Hegel sentait qu'il venait de toucher ici un point
d'o allait jaillir pour lui une source infinie de rflexions. C'est
cette ide que l'on retrouvera la fin du chapitre consacr Jacobi
et Schleiermacher dans le Wissen (p. 114) La catholicit de
la religion ne rside que dans la ngativit et la gnralit de l'individuel.
C'est l un des problmes qui domina toute la pense de Hegel.
Quel est le rapport entre la sensibilit, -le ceci, le mien, et la
religion? Dj dans ses Fragmm~ thologiques (p. 4), il envisageait
la possibilit que la sensibilit soit l'lment principal dans toute
action et tout effort de l'homme s, et page 5 &Dans l'homme de
chair. la religion est chair aussi. Montrer l'inexistence du sensible
en tant que sensible puisque'la ralit se transforme sans cesse en
idalit, montrer ensuite son existence puisque l'idalit se transforme en ralit, tel est un des buts que se propose la pense hglienne. Et la fin de sa mditation, Hegel retrouvera le Dieu sensible
au cur, le Dieu qui n'est pas celui des philosophes, l Dieu mme
dont il tait parti. Dans l'intervalle il aura transform les ides de
sens et de cur.
La critique et l'histoire religieuse sont profondment lies la
faon dont on rsoudra ce problme. Se demander si Jsus est
ressuscit comme pure et simple ralit et sans mler cette
question d'ide religieuse, ce sera affaire de l'entendement; et cette
activit de l'entendement, cette fixation qu'il opre de l'objectivit, c'est prcisment la mort d la religion (Nohl, p. 334). Et
pourtant Jsus s'tant rvl comme ralit parmi les ralits,
l'entendement lui-mme n'aura-t-il pas son mot dire? (t~M.)~.
Ceci n'est rien d'autre, disait Hegel, que l'accomplissement de
1. Cf. Philosophieder Geschielite,
p. 407; Philosophieder Religion,II, 238.
J.
WAHL.
LA
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qu'ternellement l'absolu joue avec luimme, qui consiste en ce qu'il s'engendre ternellement dans l'objectivit, puis se livre dans cet aspect qu'il a pris, la souffrance et la
mort et s'lve hors de ses cendres dans la splendeur. Le divin dansson aspect et son objectivit a immdiatement une nature double,
et sa vie est l'tre-un absolu de ces deux natures. Mais le mouvement
du combat absolu de ces deux natures se place dans le divin, qui s'y
est pris, comme courage, avec lequel il se dlivre de la mort des
autres combattants, et pourtant livre par l mme sa propre vie, car
celle-ci ne consiste que dans le fait d'tre lie avec les autres, mais
par l mme atteint d'une faon absolue sa propre rsurrection
(car dans cette, mort, en tant que sacrifice de cette seconde nature,
la mort est subjugue). Et, pourtant, en tant qu'il apparat comme
attach aux autres, le mouvement divin s'expose de telle faon
que la pure abstraction de cette nature, qui serait une force purement
et simplement souterraine, ngative est supprime et sublime par
son union vivante avec la nature divine, de telle faon que celle-ci
brille vers l'intrieur d'elle, et par cet tre-un idal dans l'esprit en
fait son corps vivant rconcili, qui en tant que corps reste en
mme temps dans la diffrence et dans le transitoire, eL voit par
l'esprit le divin comme quelque chose qui lui est tranger )' (Na<u7'rec/i/, p. 386, 387, cf. W~en, 7).
Tels sont les passages dont il y aurait profit rapprocher ceux
o Hegel, dans ses uvres postrieures, et particulirement dans
la Phnomnologie, dcrit la conscience malheureuse de ne voir
l'universalit que sous l'apparence d'une immutabilit lointaine
qu'elle s'efforce en vain d'atteindre
(p. 161), la douleur de
l'esprit qui s'efforce vers l'objectivit. Le luthranisme, puis le
kantisme, enfin le hglianisme permettront la conscience d'atteindre l'objet en lui montrant que l'objet n'est autre que le sujet.
Pour fonder une religion relle et belle, Dieu semble s'tre pris dans
le dialectique du- sensible; l'esprit d'amour, destin unifier la
communaut, s'est, prcisment pour l'unifier, soumis la pluralit spatiale et temporelle; de telle faon que cet effort, le plus
grand effort vers l'unit, implique l'affirmation d'une pluralit
qui sans cesse surmonte, s'affirme sans cessse nouveau. Cependant
cette soumission, qu'est-ce, sinon courage et
regardons mieux
sacrifice? Et cette victoire, qu'est-ce sinon rsurrection? Si bien
02
REVUEPHtLOSOPStME
XI
Dans l'ide de la mort d'un Dieu s'apaisera le malheur de la conscience. Les textes que nous avons cits nous engagent envisager
deux ides diffrentes, qui sont ncessairement apparues de temps
autre l'ide de mdiation et l'ide de ngativit. Par la premire
comme par la seconde, nous nous retrouverons au centre de ne s
proccupations, mais en envisageant les choses d'un point de vue
qui nous fera passer de l'histoire la logique ou une mtalogiqup,
ainsi qu' une sorte d'histoire mystrieuse de la divinit; et nous
pourrons aller vers l'ide du sacrifice, vers l'ide plus mystrieuse
encore de sparation dans le divin.
Si grande que soit l'importance propre de l'histoire pour Hegel,
un moment donn, celle-ci s'est transcende elle-mme. Et ce qui
est apparu sur la scne tout coup, c'est le mystre de la mdiation
La philosophie
thologique, de la ngativit divine et de l'innnit
de l'histoire cesse au moment de l'apparition et de la disparition du
Christ, d'tre philosophie et d'tre histoire. Elle devient spculation
religieuse. L'histoire s'entr'ouvre et ce n'est plus seulement dans
son droulement, c'est en un sens dans son dchirement que le
divin apparat.
En unissant des lments du systme de l'identit de Schelling et
l'idalisme moral de Fichte, Hegel a dcouvert une interprtation
des mystres chrtiens (cf. Kroner, II, p. 231), vers laquelle ten1. Haym avait t amen faire une remarque analogue Aussitt que l'on
atteint le christianisme, l'tude historique est brusquement rompue. La troisimepartie de la philosophiede la religionabandonne compltement le terrain
phnomnologiqueet se tient uniquement sur le terrain mtaphysique (p.418).
Grce l'ide de la mort du Christ, le philosophesaute du fait l'ide; )p fait
en tant que fait devient ici lui-mmeide (p. 423).
J.
WAHL.
~3
i24
REVUE PHILOSOPHIQUE
la proposition, ! pur Dieses, si bien qu'on peut dire que son point
de dpart est en mme temps psychologique et logique. Le sujet
est la pure individualit de la substance , la vide qualit du ceci
qui est un pur nant.
Il s'agira donc de rapporter, grce au raisonnement qui conclut,
alors que le discernement spare, l'individualit la gnralit
comme la mdiation thologique rassemblera les hommes et Dieu.
Le rel sera l'immdiat mdiatis. Et de mme qu'il y a trois stades
dans le raisonnement, de mme il y aura trois stades que devra
parcourir la philosophie pour saisir la raison dans son dveloppement. Les deux extrmes sont subsums sous le moyen; ils sont
chacun pour soi; et ils sont chacun pour l'autre (Ehrenberg, p. 85).
Dans le moyen, nous saisissons la notion comme unit du gnral
et de l'individuel; dans le raisonnement, nous voyons le mouvement
de l'esprit unissant et sparant les ides.
Or la conscience malheureuse est essentiellement mdiation;
par elle on ira de l'immdiat infrieur l'immdiat suprieur:
Dieu est infini )) seront
par elle les propositions Je suis fini
mais d'une faon plus mystrieuse et qui dpasse les
concilies,
lois propres du raisonnement, grce une proposition moyenne.
Toute la psychologie de l'humanit, toute l'humanit apparatra
comme un grand raisonnement. La mdiation logique, la mdiation
thologique seront unies. Le prtre servira de mdiateur entre nous,
individu immdiat, et le mdiateur. Et la thologie sera bien la
logique de Dieu.
Le Dieses en effet n'est pas seulement le ceci vanouissant qui
est dcrit dans la Phnomnologie; Hegel, s'il a crit une phnomnologie, a pens une noumnologie. Le Dieses de la perception luimme enferme un rapport vivant et une prsence absolue )) (N~urrecht, p. 359).
Parce qu'elle est mdiation, la conscience, et particulirement
la conscience malheureuse est ngation. Elle est le fait de passer
d'une ide une autre; n'est-ce pas dire par l mme qu'elle est
la ngativit essentielle aux ides, les deux ides de ngativit et
de mdiation tant d'autant plus troitement lies que la chose
unique qu'elles signifient est la liaison mme des notions? La
conscience malheureuse, c'est donc un aspect de la dialectique
immanente l'esprit. Nous pouvons dire qu'elle est l'lment dialec-
J.
WAHL.
125
de l'lment spcutique
spar pour autant qu'il peut l'tre
latif 1, ou si l'on veut, le dialectique ngatif en tant qu'il est spar
du dialectique positif.
L'ide mme du mouvement ne se comprend en effet que par
celle de ngativit dont Bosanquet a donn une interprtation
profonde, ou plutt les deux ides s'impliquent l'une l'autre et
finalement n'en forment qu'une; la ngativit est l'inachvement,
elle est la note de la mlodie qui se penche vers la suivante, elle
est le mouvement d'une statue, telle celle de Rodin, qui perd son
quilibre dans l'acte o elle l'acquiert, elle est le mouvement de la
vie, ou comme dit Hegel (Lasson, II, 6), la pulsation immanente de
mouvement spontan de la vitalit. La conscience malheureuse est
la ngativit simple en tant qu'elle prend conscience d'elle-mme
(Phenomenologie, p. 569).
Nous pouvons rapprocher cette ide de certaines pages du
trait sur le Naturrecht et du dbut de la Phnomnologie la conscience en dterminant les lois a pris conscience de son infinit;
cette infinit n'est pas autre chose que cette inquitude absolue,
qui caractrise le mouvement. Ds qu'elle a dtermin une chose
elle s'aperoit qu'elle est bien plutt le contraire de ce qu'elle a
dtermin. En expliquant les choses, l'me se rend compte qu'elle
ne fait autre chose que dialoguer avec elle-mme. Par exemple, la
conscience, en opposant et unifiant la loi et la force, la rpulsion
et l'attraction, est conscience d'une diffrence qui est affirme par
la destruction de cette diffrence. Par l mme qu'elle est diffrenciation de ce qui n'est pas diffrent, qu'elle est notion de l'infinit, elle est conscience de soi, mais, pouvons-nous ajouter, conscience de soi en tant qu'autre 2.
La Phnomnologie sera l'tude des diffrents aspects que prend
la conscience; et comme en chacun de ces aspects il y a un conflit, on
peut dire qu'en chacun d'eux nous trouverons cette conscience
malheureuse qui s'est manifeste sans doute plus nettement telle
ou telle poque, mais qui se renouvelle sous une forme ou sous une
autre toutes les poques de la vie de l'humanit.
1. Cf., Philosophieder Religion,1,119,120. Cf. P/MnMMno~i'f',p. 155-156.
2. Cf. l'analyse de ce que Goschelappelle <' l'lmentmalheureuxde la science,
ce que Hegel appelle la malheureuseoscillation de l'me, dans l'crit qu'il a
t. XVII, p. 117 et 119. Cf. aussi ibid., p. 124.
consacr Goschel, WerA-c,
i26
REVUEPHtLOSOPtttQOE
J.
1
Ds
WAHL.
la priode
la
de
du
subsister.
d'un
ngatif
pur
mais
celle
rapprocher
de Schelling
la
remarque
et
d'une
de
chose
avait
de l'ide
de ngativit
simple,
vide
table
infini2
(Cf.
de
et
comme
et
mouvement,
et d'autre
d'autres
ce moment
le mouvement
totalit
plus
et arrivait
termes
ds
lors
celle
l'indiffrence,
I'-mme
elle
devait
faire
de
l'ide
de
se
revenir
suivant
unissait,
dialectique
laisse
qu'elle
nous
Hegel
ainsi
l'activit
par
part
la
l'immanence,
substituer
n'tait
~7
opposer
de
ralits
abstrait,
V, 340)
en
Dj
d'Ehranberg,
schellingienne
de
de sujet,
Fichte.
l'ide
des
L'ide
positif
l'ide
il fallait
destructrice
plnitude
1-~ Il
fallait
qu'il
vu
scheitingien
principe
inquitude
sens
quelque
Hegel
de !'Au/~e/io6en~efn,
passivit
!4u/e6m~,
en un
"P#
Ina,
de
transcendance
qu'
Fichte
du
et
vri-
128
REVUE PHtLOSOPHIQUE
sur
J.
WAHL.
129
130
REVUE PHILOSOPHIQUE
J.
WAHL.
LA
FORMATION
DES
HORtES~
DE
HEGEL
1M
no ~t
~n
n
r.n Q<
oc~
n" 30,
(n10.10, 0.p. 2.
21, n
21, np. 17
47, no
p. '7Q~at
79-81, n
31, p. o~t
82-86), a son
principe dans la rflexion mme, elle est la forme propre du savoir.
Le monde nat des divisions de la rflexion
(t&tcf.. n 4, p. 10-12,
no 31, p. 86-87) de la quantitabilit (par ex. n" 36,
p. 106) qui est
pure possibilit il est vrai; mais en un sens n'en devait-il pas tre
de mme pour Hegel? Cette projectio per Ata~fn apparaissait donc
Fichte comme essentielle sa philosophie
(WL, 1804, p. 2QO-203,
216, 217. X. Lon, II, p. 389). (Voir aussi l'ide d'un actus individuationis
d'une dualit de la forme.) Et M. Gurwitseh a insist
avec raison sur le Hiatus t~a~ona~s que Fichte admettait,
pourraiton dire, la racine des choses.
De mme Schelling pensait qu' l'origine du monde il a une
y
division de la rflexion, purement quantitative et formelle, et
qu'elle
consiste dans la srie infinie des reprsentations possiblesde
l'Absolu,
(Lon, Fichte et son temps, II, 35). Et c'est partir de cette division primitive que se dveloppaient ses poques. L'ide d'une
division, d'une dchirure fondamentale, apparat comme essentielle
la philosophie de Schelling.
Hotdertin, dans ses fragments philosophiques, met en lumire
d'une faon intressante, et trs proche de celle de
Hegel, cette
thorie de la sparation (t. III, p. 271) La sensibilit du tout
augmente donc dans le mme degr et dans le mme rapport dans
lequel augmente la sparation dans les parties et dans leur centre
(o les parties et le tout sont au point de ta plus haute sensibilit).
L'unit prsente dans l'intuition intellectuelle, se sensibilise dans
la mesure o elle sort de soi, dans la mesure o la
sparation
de ses parties prend place, parties qui ne se
sparent ce moment
mme que parce qu'elles se sentent trop unies quand dans le tout
elles sont prs du milieu, ou parce qu'elles ne se sentent
pas assez
unies, du point de vue de la perfection, si elles ne sont que
parties
juxtaposes, loignes du milieu, ou du point de vue de la vitalit.
Et ici, dans l'excs de l'esprit au sein de l'unit et dans son effort
vers la matrialit, dans l'efort de l'infini
divisible, inorganique
dans lequel tout l'organique doit tre compris, dans cet effort de
l'infini divisible vers la sparation,
dans cette volont ncessaire
de Zeus gt proprement le commencement idal de la
sparation
relle. Zeus est en effet pour lui le plus haut sparable, et il serait
curieux de comparer le Zeus esquiss par Hldertin l'Urizen dessin
132
REVUE
PHILOSOPHIQUE
TI
1.t
~4- 0.0.0; nous
fait T"l:!o"(Ton1Y>
revenir l'ide
et ceci nn11C1 f~'"
par Blake. H faut noter aussi,
de la conscience malheureuse, que l'diteur de Hoideriin signaie
une variante au mot de sparation , la deuxime phrase de ce
fragment, et que cette variante est constitue par le mot souffrance.
Cette sparation d'aprs Hlderlin est ncessaire la connaissance
de soi (p. 296) 1. Pour que cette vie soit connaissable, elle doit se
prsenter de telle faon que dans la surabondance de i'intricrit, o les opposs s'changent l'un avec l'autre, elle se spare ?a
Die
(Grund, dition Joachimi, p. 100, t. III, p.- 321). (Cf. Vietor,
Lyrik HHer~ns, p. 143, sur la sparation des hommes et des dieux).
Il s'agit l d'une ide trs ancienne 2,-qui sans doute s'est impose
'aux esprits du temps par l'intermdiaire de Schiller qui l'emploie
notamment dans la Thosophie de Julius; il y parle en s'excusant
d'ailleurs chaque fois d ce que ses expressions ont de sensible et
d'humain, d'une dchirure de Dieu, d'une sparation de la nature
qui est elle-mme un Dieu infiniment divis; et en effet Dieu est
semblable un faisceau lumineux qui frappant un verre prismatique
se divise en sept plus sombres rayons.
Cette ide, chez Hegel, se lie toute sa philosophie, et en particulier sa thorie de l'immanence des relations 3. Si Dieu est
en rapport avec le monde, ce rapport doit avoir son fondement
en Dieu lui-mme; et par consquent, l'union de Dieu et du
monde a pour contre-partie en apparence, pour fondement, pour
synonyme en ralit une sparation de Dieu d'avec lui-mme.
L'altrit, la dualit, le ngatif, la dtermination, ce sont donc l
autant de noms pour affirmer le caractre concret de Dieu. Le concret
est mdiat; et par l mme diffrenci.
Le Dieu conu comme substance pure et simple est pour Hegel
abstraction et par consquent tend se complter et par l se
J.
WAHL.
LA
FORMTtOM
DES
THORIES
DE. HEGEL
d33
'r~r~r
r)~
~4~ t~:
A~
de nl-m~m~
mettre nnQ
lui-mme, a TD~tf~
une ~t~TT'Q~
diffrence n~
sparer
entre t~~t
lui et
lui, tre
autre que lui, par te processus de sa propre ngativit~. C'est par
la cration
qui n'est d'ailleurs pas cration de quelque chose
qui s'opposerait purement et simplement lui, que Dieu est conscience de soi.
L'ide du moi fichten permettait de comprendre cette ide de
la distinction fondamentale. Le moi de Fichte et le GrunddeBoehme
sont des ides qui se sont unies l'une l'autre dans la pense
de Hegel
et de Schelling.
La partialit auto-destructrice de la rflexion, telle qu'on la voit
chez un Fichte (ex. Dt//ere/!z, p. 173; Naturrecht, p.
360) semble
symboliser ds lors pour Hegel une sparation plus profonde, une
sparation divine, ou si l'on prfre une possibilit de sparation,
dont Fichte comme nous l'avons vu avait l'ide. Tout ce qu'il y a
de rel en effet dans cette sparation, c'est sa possibilit; la
sparation tant rflexion et la rflexion tant possibilit 2.
Dieu se spare de lui-mme pour s'unir lui-mme et c'est
en cela qu'il est sujet, qu'il est esprit, dira Hegel dans la Phnomnologie (ex., p. 576). Esprit, sujet, Dieu sont qualifis par cette
union de la sparation et de l'union (cf. Hadlich, p. 53) 3 et de la
non-relation et de la relation. Autrement dit, Dieu est le
~"o;,
I'!7r~
qui unit par l mme qu'il dchire (cf. Phenomenologie,
p. 393). L'esprit, disait dj Hegel dans son Premier systme, ne
peut se trouver et ne peut parvenir l'absolu, que par la scission
(Ehrenberg, p. 153, 154) (cf. Premier systme, Rosenkranz, p. 112,
113)4. Et c'est cette ide qu'il reprendra quand il parlera plus tard,
dans sa Logique, d'un jugement (Urteil) de la notion; et il expliquera la formation de la notion par une sparation (t7r/e:/). L'ide
d'un sacrifice de Dieu est au centre du systme hglien.
Il n'y a pas ici au fond deux choses que l'on puisse distinguer;
cette sparation dont nous avons parl est finalement union; se
diviser de soi, c'est une faon encore de s'unir soi .
t. Phenomenologie,
p. 576.
2. Cf. NoM,p. 379-380,cette sparation, cette possibiliten tant que possibilit <.Demme Naturrecht,p. 360 sur l'idalit, la pure possibilit des dterminations.
3. Cf.PAt!.der Religion,t. Y,p. 121.L'infini est quelque chosequi ne s'affirme
que pour se distinguer et qui ne se distingue que pour nier cette distinction.
4. Stirling a bien mis en lumire cette ide.
5. Phenomenologie,
p. 576.
134
REVUEPHtLOSOPHfaOE
rec
Ainsi le X~yo n'est de l'esprit extrioris que pour redevenir
de l'esprit intrioris. La diremption se rsorbe en quelque sorte
en elle-mme, et c'est l le vrai concept de l'esprit, il est rconciliation ))~.
L'objectivisme vrai se confond avec un profond subjectivisme.
Et nous touchons ici un des points essentiels du hglianisme,
s'il est vrai qu'il est un effort pour concilier les oppositions tout en
les prservant, pour inaugurer une paix arme ou une guerre sereine
des notions, o sans cesse il y a change et succession, et en mme
temps identit entre la ngation des contradictoires et le fait qu'ils
sont maintenus 2. C'est l que rside le mystre de la raison 3 que
o
Hegel faisait pressentir dans les pages de la JPAenomeno~te
il nous montre comment le semblable se disjoint et se rassemble,
et ce mystre de la raison est le mystre mme de l'amour, jonction
de ce qui est soi avec ce qui n'est pas soi 5. De mme que Dieu, le
pch est sparation et union puisqu'il est connaissance. Il est en
un sens le degr le plus bas de ce processus de dchirure et de runion des contraires dont Dieu est le degr le plus haut*. D'une
faon plus gnrale encore, nous pouvons dire que les ides de
particularit et malheur concident.
Cette division de Dieu, nous en trouvons d'ailleurs la prfiguration dans le jeu des forces o la force sollicite tend sortir hors
d'elle, que Hegel dcrit au dbut de la PApnomeno/oytp.
Mais plus encore c'est l'essence de l'homme qui nous montre ce
qu'est l'essence de Dieu; car en quoi consiste-t-elle, sinon se
sparer de soi, se dpasser, afin de rentrer en soi ~? La sparation
rside dans la notion de l'homme lui-mme~. Tel est le jugement,
c'est--dire la sparation primitive de l'esprit
sparation qui
fait sa vie 9.
Or le christianisme se caractrise prcisment par cette spa1. PAMomeno~o~M,
p. 577 et 427. Cf. Philosophieder Religion, II, 152 sqq,
167,177,178,185,187,191,205,206,230.
2. Cf. Philosophieder Religion,II, 193.
3. PMosopMeder Religion,II, 194.
4. PAenomeno!o<y~,
p. 129.
5. 7Md.,p. 578.
6. Philosophieder GescMcA~,
p. 413.
7. Philosophieder Religion,II, p. 211.
8. Ibid., p. 218.
9. Ibid., p. 231.
J.
WAHL.
i3S
136
REVUE PH)LOSOPH[QCE
J.
WAHL.
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LA
FORMATION
DES
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DE
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,jf-- ~f
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culte
la ~~m~t.
douleur (p. ~t~~
261 de Philosophie
der
Geschichte). Dans
fte de la mort d'Adonis et de sa rsurrection, dit-il, c'est l que
concret arrive la conscience. (Ibid., p. 262). En Dieu (ibid.)
ngatif, la contradiction arrive l'intuition. En mme temps
que la conscience de l'humanit se contredit dans son malheur,
elle voit la conscience divine se contredisant elle-mme et malhureuse elle-mme.
De l'ide de conscience malheureuse, nous pouvons remonter
l'ide de ngativit, si nous cherchons transposer la psychologie
de l'humanit dans la Logique, mais si nous transposons la Logique
dans le langage de la jP~enomeno~fe, c'est--dire de l'histoire de
l'humanit, c'est--dire de l'histoire de Dieu, nous pouvons aussi
bien dire que la ngativit, c'est la conscience malheureuse de Dieu,
car il y a une pure ngativit x de Dieu (Phenomenol., p. 585),
et elle ne peut gure tre autre chose que la conscience malheureuse.
C'est l l'inquitude absolue, l'ingalit de l'esprit absolu, cratrice
de l'altrit (cf. Premier systme, Rosenkranz, p. 112, 113)i.
C'est dire que l'on retrouve dans les spculations qui sont
l'embryon du systme hglien la gnose et les thories de Boehme,
la Grtmmt<yA'et<
dont parlait Boehme, le tourment des choses qui, est
leur source (Quai, Quelle) 2.
Avant de s'exercer au sujet de la thorie de la notion, l'esprit de
Hegel s'tait exerc sur ces antiques spculations. Rosenkranz
note qu'en 1806 dans son cours de Real-philosophie, Hegel nommait
encore la pure ide la nuit du mystre divin de l'paisseur de laquelle
sortent la nature et l'esprit. Les ides de Schelling et de Boehme
se rejoignent facilement.
Dans une variation philosophique et lyrique, Hegel montre l'ide
de ngativit comme toute proche de celle de la colre de Dieu,
faisant apparatre et disparatre la finitude des cratures (Rosenkranz, p. 192) (De mme Rosenkranz, p. 547). Il nous parle de cette
colre divine, faisant trembler l'infinit sans repos o il n'y a aucun
prsent mais seulement un bouillonnement sans forme au-dessus
des limites, une douleur infinie. Et dans l'Histoire de la philosophie
1. Sur ce point voir Stirling, Secret,I, 41 <.LeNon est le principe qui cre
la distinctionx. !LHpeut y avoir au fond des ides cosmogoniques la Jacob
Boehme x.
2. Cf. Geschichteder Philosophie,III, p. 306. 310.
138
REVUE PHILOSOPHIQUE
J.
WAHL.
139
voyait une aspiration des monades obscures vers le Dieu qui les a
cres, et cette aspiration, c'est dj la conscience malheureuse. En
se consumant, en travaillant, en gmissant, elle ira vers la
joie
Rosenkranz, p. 548). Il s'agira pour Hegel d'arriver une vue
synthtique du malheur des deux consciences divine et humaine,
de les rassembler en un seul malheur; et ici encore nous
voyons
l'image de la croix et l'ide de ngativit rpondre cette mme
exigence, nous montrer que le malheur de Dieu et le malheur de
l'homme sont un seul et mme malheur.
La conscience malheureuse est aussi par l mme la conscience
heureuse; car si la nature est le produit de la ngativit de Dieu,
Dieu est la ngativit mme de la nature; et comme leur
malheur,
le bonheur de Dieu et le bonheur de l'homme sont
un, grce cette
image mme de la croix et cette ide mme de ngativit. C'est ce
que Hegel dclarait dj la fin du Wissen, p. 157 La pure notion,
ou l'infini.
doit indiquer purement comme moment, mais seulement comme moment de la plus haute ide la douleur
infinie,
qui auparavant n'tait prsente dans la culture qu'historiquement .
Et il voit comme fondement de la
religion des temps modernes
l'affirmation chrtienne, particulirement
sous la forme qu'elle
prend chez Luther et plus particulirement
encore chez Pascal.
Dieu lui-mme est mort, ce qui s'est
exprim sous une forme qui
n'est qu'empirique, dans les paroles de Pascal la
nature est telle
qu'elle marque partout un Dieu perdu et dans l'homme et hors de
l'homme . On arrive ainsi la fois l'ide de l'absolue
libert et de
la douleur absolue, du vendredi saint
spculatif .) au-dessus de la
sphre de l'histoire et du sentiment. Si ce vendredi, on le fte dans
tout son dchirement, dans tout son
dlaissement, dans la duret
de cette mort de Dieu, on ne le concevra
plus comme le sacrifice de
l'existence sensible, ainsi qu'ont tendu le faire les
disciples de
Kant ou de Fichte, mais an verra alors
surgir de cette duret la
plus profonde douceur, la plus haute totalit, la plus haute ide
dans sa gravit entire et dans sa libert la
plus sereine, car le
bonheur est un oiseau des temptes; il nat du
malheur; il vit dans
le malheur; il est l'anti-alcyon, il est la
tempte elle-mme, prenant
conscience d'elle au centre le plus violent et aussi dans tous
les replis
de son tourbillon.
Telle est encore la flamme en tant
qu'elle change constamment
140
BEVUE
PHILOSOPHIQUE
_v.4
F"
.r,o"to
-'1'
sa substance
et i..la ,7.conserve dans sa forme
permanente. Tels sont le
mouvement et la ngativit absolus, identiques avec l'essence
satisfaite de soi et en reposa Telles sont ces Mnades dont le tumulte
signifie la prise de conscience du tumulte de la nature par lui-mme
et qui prennent rang parmi les calmes divinits olympiques, sans
rien perdre de leur mouvement, mais en en formant une danse
calme, ou mme un chant comme immobile.
Non seulement la douleur de l'me est le tmoignage de l'esprit
(Philos. der Religion, II, p. 239), non seulement elle est l'affirmation par la croyance de l'apparition divine (ibid.), dont nous
avons besoin; non seulement la conscience malheureuse a sa place
dans la conscience heureuse, de mme que tout moment dpass
se retrouve dans le moment final, mais encore nous pouvons dire
qu'elle est l'image, assombrie seulement, de la conscience heureuse
car elle est passage d'un oppos l'autre et par l en quelque sorte
union de ceux-ci. Elle est comme le reflet renvers de la flamme de la
conscience heureuse; elle est la conscience du bonheur en tant que
projete dans l'individuel et le changeant; et par l devenant
ddouble et conscience du malheur. En faisant disparatre le
miroir o elle se renverse et o suivant l'image de Schiller elle se
divise, nous revoyons cette flamme toute droite. La conscience
malheureuse est en soi (nur an sich) la raison, il faut simplement
qu'elle prenne conscience du fait qu'elle est la raison (cf. Phe~ome/!oJ'o~:e, p. 496); et aussi qu'elle ne s'enferme pas jalousement en
elle-mme, qu'elle ne soit pas comme l'me de Novalis, parfum qui
s'enclt sans cesse au sein de la fleur bleue, de peur de s'vanouir.
Alors l'immdiat devient mdiat, l'individuel universel, le malheur
bonheur, et s'il en est ainsi, si le vritable particulier est gnralit,
si le vritable immdiat est mdiat, si la position et la ngation
s'impliquent l'une l'autre, non seulement nous pouvons dire qu'il
y a un mouvement ncessaire de l'esprit tissant le rseau des
relations, faisant briller le joyau de l'immdiat au centre mme des
relations, mais dans ce qu'il y a d'inconsomptible dans le charbon,
nous avons vu le diamant, auquel notre prunelle, pour adopter
un langage no-platonicien, s'identifie, et nous avons atteint l'universel concret. La suppression de la sparation est, pour reprendre
J.
WAHL.
LA
F()RMATK)N
DES
DE
THEORIES
HEGEL
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t_
T7_t_Lt_
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T__it_
1._
~2
REVUEPaiLOSOPHQUK
fTit'nnnnR~f!~
Tn~mc'ft~~
christianisme en tant
qu'oppos, de mme
que le n~~QT~~TVtaT
paganisme. Le f~T'!ct~n!c'~i
qu'opposition n'est que le chemin de la perfection; dans la perfection elle-mme il se supprime en tant qu'oppos (V~-M~n~,
p. 314). Les deux mouvements, les seuls possibles ici, qui vont du
fini l'infini et de l'infini au fini se seront alors rencontrs (!&M.).
Une nouvelle religion sera ne; elle sera un rappel vers le mystre
primitif du christianisme en mme temps que son accomplissement;
la nature sera le symbole de l'unit ternelle (ibid.). Elle sera la
conciliation de l'unit paenne et des sparations chrtiennes
(cf. t6M., p. 316).
Dieu, dit Hegel (Rosenkranz, p. 192), est l'absolue sagesse et
l'absolue batitude, en tant qu'il est plong, mais mdiatement,
dans le processus par lequel l'univers est la fois en repos et en
mouvement c'est--dire en tant qu'il est l'idalit absolue, et il
Le tribunal auquel va tre appel l'individu ne peut,
ajoute
prcisment parce que l'individu est isol, tre un tribunal abstrait.
Dieu comme juge du monde, doit, parce qu'il est cette absolue totalit gnrale, briser le cur; il ne peut juger, il ne peut que consoler.
Que cette conciliation prenne pour Hegel un aspect proche de l'ironie
comme dans le Premier -Systme, ou celui du pardon, comme dans
la Phnomnologie, elle lui apparat toujours comme l'ide essentielle de la religion.
Ainsi l'volution ne se comprend pour Hegel que parce qu'il s'agit
d'aller de l'unit l'unit KLe moment de la runion ne peut pas
concider avec le moment de la sparation; il y a entre la sparation
et la jonction finale de la notion infinie des tapes ncessaires
qui, du moins d'aprs ce que Hegel crit en 1802, ne peuvent pas
tre dtermines par la signification et la direction du tout (Na~urrecht, p. 314).
Tout cela ne doit pas nous faire oublier l'aspect raliste-et classique de la pense hglienne. La conscience malheureuse, c'est
la conscience comme sujet. Faire de la conscience de soi une chose,
passer du subjectif l'objectif, s'vader hors du romantisme de la
Sehnsucht pour fonder un classicisme du monde, du monde complet
prcisment parce qu'il est incomplet, incomplet parce qu'il est
complet, telle a t de ce dernier point de- vue l'oeuvre de Hegel.
Il faut que l'esprit soit ralit; que l'esprit soit chose et s'identifie
avec les choses (PAenomeno~ p. 504, cf. p. 496). Ce sera faire de la
J. WAHL.
i43
en tant qu'il
philosophie l'expression mme du protestantisme
prend son point d'appui dans le sujet pour aller vers autre chose que
lui. Mais ce sera dpasser ses formes plus troites. H s'agit de faire
de la raison une religion, de la religion une raison, de dpasser le
romantisme en le faisant classique, de dpasser le classicisme en
le faisant romantique, de faire sentir dans la divinit mme le thme
de la sparation essentielle qui retentira dans les philosophies du
dernier Schelling et de Schopenhauer, d'opposer en mme temps
l'apothose de la conscience malheureuse le triomphe de la conscience heureuse et de rvler la tragdie relle et divine.
Le bonheur vrai ce n'est pas la page blanche, une batitude
sans souffrance; c'est le bonheur virile c'est Lucifer remontant
au ciel.
Contre les philosophies de la rflexion, le romantisme avait mis
en valeur l'ide de la personne, mais cette ide mme risquait de
s'vanouir si l'on ne rintgrait en elle la rflexion. La personne,l'tat, ne seront des universaux concrets que si autour du feu vital,
s'ordonne la rflexion qui en est la mesure mouvante.
Il s'agit de faire de la substance une conscience de soi et de la
conscience de soi une substance; chacune se vide de soi-mme et
devient l'autre. Le double mouvement se rejoint dans l'universel
concret; la substance est conscience de soi parce qu'elle est passage
vers l'oppos, parce qu'elle est mouvement; la conscience tant
permanence au sein de l'oppos est gnralit, est substance. Mais
cette substance est conscience pour soi; elle est esprit.
Si l'on peut dire que le but du hglianisme est de faire du sujet
la substance par opposition aux premires conceptions de Fichte,
il est galement de faire de la substance un sujet par opposition
Schelling.
La Phnomnologie tout entire est, pourrait-on dire, un mouvement de dsincarnation du particulier, qui s'explique par le
mouvement inverse grce auquel l'universel s'est incarn, et n'est
devenu vraiment universel qu'en devenant particulier, c'est--dire
en s'incarnant. Elle est rflexion sur une transsubstantiation
(cf. Hegel cit Dilthey, p. 81). Elle est l'tude de l'esprit en travail
naissant lui-mme, se rvlant lui-mme. La douleur de l'enfan1. Cf. Croce,p. 56 et 58, sur la faon dont Hegel dpasse et l'optimisme et te
pessimisme,et Royce, Spirit o/ modernphilosophy,p. 211.
~4
4.i
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1-
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J.
WAHL.
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mouvement de ~~cnr!t
est semblable
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mouvement
l'esprit pet
de l'enfant qui d'abord place des dieux en dehors de lui, des dieux
qu'il craint; il s'isole d'eux de plus en plus, mais il retourne par l
sa propre unit, cette unit qui tait non-dveloppe, non volue
et qui par ses sparations mme s'est enrichie. II arrive une unit
produite par soi, sentie par soi, et il reconnat que la divinit est
en lui; il se reconnat fils de Dieu. Il n'est devenu autre pour soi
que pour se retrouver en soi (Cf. Rosenkranz, p. 548). Suivant
la parole de Hlderlin (Hyperion, III, 116) la fin l'esprit
nous rconcilie avec tout . Nous ne nous sparons que pour
tre unis plus intimement, divinement pacifis avec tout, avec
nous. Nous mourons pour vivre (ibid., IV, 145). Et il compare
les dissonances du monde aux brouilles des amants; la rconciliation est au milieu de la lutte, et tout ce qui est spar se retrouve
(Hyperion, IV, 154)\
L'abstraction est synonyme de malheur; l'universel concret sera
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REVUE PHILOSOPHIQUE
J.
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