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Les Interactions Entre Les Normes Internationales Relatives Aux Droits de La Personne

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Les interactions entre les normes internationales


relatives aux droits de la personne.
de Sandrine Turgis © éditions A.Pedone EAN 978-2-233-00639-4

L e droit international des droits de l’homme, le droit international


humanitaire et le droit international des réfugiés forment un
ensemble visant la protection, au niveau international, des droits de
la personne. Ces trois ensembles de protection sont parfois présentés sous
l’expression, prise alors au sens large, de droit international de l’homme1. Dans
le cadre de cette étude qui vise à étudier et identifier des interactions entre ces
trois branches de protection, il est nécessaire pour des raisons de clarté et afin
d’éviter toute confusion de ne pas utiliser cette expression de droit international
des droits de l’homme lato sensu qui engloberait notamment le corpus de droit
international des droits de l’homme stricto sensu. Les expressions retenues dans
le cadre de cette étude sont, par conséquent, celles de « normes internationales
relatives aux droits de la personne », voire de « droit international des droits de
la personne » pour évoquer les trois ensembles de protection. Ces expressions
évitent l’écueil d’une répétition de termes « droits de l’homme » qui serait source
de confusion. L’expression de droits de la personne est utilisée aussi bien outre-
Atlantique2, que dans les travaux doctrinaux francophones du continent
européen3. D’ailleurs, la Cour internationale de justice (CIJ) a pu, elle-même,
évoquer les principes et des règles « concernant les droits fondamentaux de la
personne humaine »4.
La mise en place du maillage international de contrôle des droits de la
personne qui a débuté après la seconde guerre mondiale se poursuit5. Ainsi le
Comité des droits des personnes handicapées, qui surveille l'application de la

1
Vera GOWLLAND-DEBBAS, La responsabilité internationale de l’Etat d’origine pour des flux de
réfugiés, in Droit d’asile et des réfugiés, Colloque de Caen de la S.F.D.I., Pedone, Paris, 1997,
p. 104 : la Convention de 1951 relative aux droits des réfugiés est présentée comme « le premier
instrument universel des droits de l’homme » ; Louise DOSWALD-BECK et Sylvain VITE, Le droit
international humanitaire et le droit des droits de l’homme, R.I.C.R., 1993, p. 99 : le droit
international humanitaire est appréhendé comme étant la « partie du droit des droits de l’homme
applicable dans les conflits armés ».
2
L'expression « droits de la personne » est utilisée au Québec où l'Assemblée parlementaire a adopté,
le 27/6/1975, la Charte des droits et libertés de la personne. L'expression « regims of protection of the
human person » en est la version anglo-saxonne : consulter, notamment : Antônio Augusto
CANCADO TRINDADE, International Law for Humankind : Towards a New Jus Gentium (II),
R.C.A.D.I., tome 317, p. 150.
3
Voir notamment : Olivier CORTEN et Pierre KLEIN, Droit d’ingérence ou obligation de réaction ?
Les possibilités d’action visant à assurer le respect des droits de la personne face au principe de
non-intervention, Bruylant, Bruxelles, 1992, 283 pages ; Gilles LEBRETON (dir.), L’évolution des
droits fondamentaux de la personne humaine en 1997 et 1998, L’Harmattan, Paris, 2000, 248 p.
4
CIJ, Barcelona Traction, arrêt, 5/2/1970, Rec. 1970, §§ 33-34.
5
Pour une présentation des concrétisations qui existent dans ce domaine : cf. infra, paragraphe 1 de
l'introduction.

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Les interactions entre les normes internationales
relatives aux droits de la personne.
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INTERACTIONS ENTRE LES NORMES INTERNATIONALES RELATIVES AUX DROITS DE LA PERSONNE

Convention éponyme6, a tenu sa première session du 23 au 27/2/2009. S'il n'a pas


examiné de communications individuelles lors de cette session de mise en place,
le protocole facultatif à la Convention, entré en vigueur le 3/5/2008, lui donne
une telle compétence à l'égard des Etats l'ayant accepté. De même, l’entrée en
vigueur le 23/12/2010, après avoir été ratifiée par vingt Etats, de la Convention
internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions
forcées du 20/12/2006 s’accompagne de l’instauration d'un Comité des
disparitions forcées compétent pour examiner des rapports étatiques et des
communications individuelles et étatiques7. De plus, à l'étude depuis 1996,
un protocole facultatif au Pacte international relatif aux droits économiques,
sociaux et culturels a été adopté par une résolution de l'Assemblée générale de
l'ONU le 10/12/20088. Lorsque dix Etats auront ratifié ce protocole, ouvert à la
signature le 24/9/2009, des particuliers ou des groupes pourront présenter des
communications relatives au non-respect du pacte par ces Etats devant le Comité
des droits économiques, sociaux et culturels. En outre, au niveau régional, la
Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, juridiction attendue pendant
des années9, est enfin opérationnelle et a rendu fin 2009 son premier arrêt10. Par
ailleurs, les chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union africaine ont adopté, en
juillet 2008, un Protocole qui, à terme, donnera naissance à une nouvelle
juridiction, la Cour africaine de justice et des droits de l’homme, fusion de la
Cour africaine des droits de l’homme et des peuples et de la Cour africaine de
justice11. Concrètement, la nouvelle juridiction sera composée de deux sections,
dont chacune reprendra les attributions respectives des deux instances
remplacées. Ainsi alors que l'une des sections connaîtra des violation de la
Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP), de la Charte
africaine du bien-être et des droits de l’enfant et du protocole sur les droits des
femmes en Afrique, l'autre connaîtra des différends relatifs au droit primaire et
dérivé de l'Union africaine. De même, la Commission intergouvernementale des
droits de l’homme de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE)

6
Convention relative aux droits des personnes handicapées adoptée le 13/12/2006 et entrée en
vigueur le 3/5/2008.
7
Articles 26 à 32 de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les
disparitions forcées.
8
Sur la genèse de ce protocole et les questions qu'il a soulevé notamment en termes de justiciabilité
des droits économiques, sociaux et culturels : Barbara WILSON, Quelques réflexions sur l'adoption
du protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et
culturels des Nations Unies, R.T.D.H., 2009, n°78, pp. 295-317.
9
Fatsah OUGUERGOUZ, La Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, gros plan sur le
premier organe judiciaire africain à vocation continentale, A.F.D.I., 2006, pp. 213-218. Le protocole
à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples portant création de la Cour africaine des
droits de l’homme est entré en vigueur seulement en 2004, après avoir été adopté en 1998.
10
Cour ADHP, Michelot Yogogombaye c. Sénégal, arrêt, 15/12/2009. Les défis ne manquent pas
pour la Cour ADHP : Gérard NIYUNGEKO, La Cour africaine des droits de l’homme et des
peuples : défis et perspectives, R.T.D.H., 2009, n°79, pp. 731-738.
11
Sur les travaux ayant précédé l'adoption du protocole sur la Cour africaine de justice et des droits
de l’homme : Moussa ABDOU DANGABO, Chronique de la Cour africaine des Droits de l'Homme
et des Peuples à la Cour de Justice de l'Union africaine : Histoire d'une coexistence pacifique en
attendant la fusion, Revue internationale de droit pénal, 2005, vol. 76, pp. 135-138.

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INTRODUCTION

établie en octobre 2009 s’est vue principalement attribuer des actions de


promotion des droits de l’homme mais son mandat prévoit qu’elle peut
« se concerter, si besoin, avec d’autres institutions et entités nationales,
régionales et internationales de promotion et de protection des droits de
l’homme »12. Cette faculté illustre la volonté de l’ANASE d’assoir l’action de
cette nouvelle Commission dans une perspective plus large et pourrait,
concomitamment, favoriser une interprétation large par la Commission de son
mandat, ajoutant alors la protection des droits de l’homme à leur promotion13.
Ces nouveaux organes et mécanismes de contrôle participeront, certainement,
au phénomène d'interactions entre les normes internationales relatives aux droits de
la personne ainsi qu'à la fertilisation croisée et à la fécondation croisée qui peuvent
en découler. En effet, les interactions normatives, entendues comme des échanges,
des actions réciproques entre les normes qui peuvent prendre des formes opposées
– émulation ou rivalité – ou ambivalentes – compétition ou concurrence – peuvent
éventuellement favoriser l'émergence et le développement, par le biais de divers
mécanismes, du corpus international de protection. Dans un tel cas, les interactions
conduisent donc à une fertilisation croisée14 ou à une fécondation croisée15, deux
expressions permettant de décrire un même phénomène d'échange, la première
soulignant l'impact des interactions sur la qualité du sol dans lequel les normes
internationales plongent leurs racines, alors que la seconde met l'accent sur le
phénomène de reproduction de ces normes. Ainsi les organes nouvellement créés
ou bénéficiant de compétences élargies s'inscriront certainement dans la démarche,
aujourd’hui très répandue, de consécration de solidarités internationales entre les
divers normes et systèmes concernés par la protection des droits de la personne.
Les interactions qui accompagnent ce mouvement peuvent être considérées comme
une réponse symbolique de ce corpus aux critiques passées, présentes et à venir
formulées à son encontre. En effet, au-delà des traditionnelles controverses
alimentées par la notion de relativisme culturel16, les droits de la personne sont

12
Mandat de la Commission intergouvernementale des droits de l’homme de l’ANASE, article 4.9,
reproduit à la R.T.D.H., 2010, n°84, pp. 1025-1032.
13
Isabelle BRACHET, La Commission intergouvernementale des droits de l’homme de l’ANASE,
premier organe régional dans le domaine des droits de l’homme en Asie du Sud-Est : avancée
historique ou écran de fumée ?, R.T.D.H., 2010, n°83, p. 625.
14
L'expression « fertilisation croisée » est transposée de la littérature anglo-saxonne qui utilise
l'expression « cross-fertilization ». Consulter, notamment : Stéphane JAQUEMET, The cross-
fertilization of international humanitarian law and international refugee law, R.I.C.R., 2001, pp. 651-
673 et Antônio Augusto CANCADO TRINDADE, Approximations and convergences in the case-
law of the European and Inter-Amercian courts of Human Rights, in Le rayonnement international de
la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, Gérard Cohen-Jonathan et Jean-
François Flauss (dir.), Collection Droit et justice n°64, Nemesis, Bruylant, Bruxelles, 2005, p. 101.
15
Pour une utilisation de l'expression « fécondation croisée » appliquée à l'interprétation des
dispositions de la CEDH : Gérard COHEN-JONATHAN et Jean-François FLAUSS, Cour
européenne des droits de l'homme et droit international général (2006), A.F.D.I., 2006, p. 662.
16
Rhoda E. HOWARD, Cultural Absolutism and the Nostalgia for Community, Human Rights
Quarterly, 1993, pp. 315-338 ; Joseph YACOUB, Réécrire la Déclaration universelle des droits de
l’homme, Desclée de Brouwer, collection provocation, 107 pages, 1998 ; Roger Koussetogue
KOUDE, Pertinence et défauts de pertinence des récusations de la Déclaration universelle des droits
de l’homme, R.T.D.H., 2009, n°80, pp. 945-966.

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parfois accusés de dénaturer l’homme17. De plus, les mesures prises par les Etats
pour lutter contre le terrorisme, suite aux attentats du 11 septembre 2001, ont
parfois semblé laisser peu de place au respect des droits de l’homme18, même si
les démarches des juridictions nationales et internationales pour concilier ces
deux exigences et respecter les standards internationaux en la matière se sont
multipliées19. Or, les interactions entre les normes internationales de protection,
notamment par le biais de la méthode comparative, permettent aux normes et aux
organes d'interprétation de ces dernières de trouver un écho auprès d'autres
composantes du droit international de la personne ou de s'appuyer sur des
concrétisations déjà existantes pour se développer.
En effet, les interactions des normes internationales relatives aux droits de la
personne peuvent servir de fondement à la méthode comparative ou être initiées
par elle. Or, la méthode comparative, entendue alors comme la mise en œuvre
d'une technique reposant sur la comparaison, la confrontation, le recoupement de
normes ou de jurisprudences20 internationales pour répondre à une problématique
relative au droit international de la personne pourrait offrir aux acteurs de ce
droit des arguments justifiant ou confirmant tant leur existence que les choix
d'interprétation réalisés. Par conséquent, la méthode comparative, se traduisant
en droit international de la personne, notamment, par l'attention portée au corpus
juridique préexistant lors de la rédaction d'une convention internationale ou de
l'interprétation d'un droit par un organe international de contrôle, pourrait être
considérée comme instaurant et renforçant la solidarité internationale. Dans
l'acception choisie par cette étude, le terme « méthode comparative » ne suppose
pas, à l'inverse de l'expression « combinaison normative », que la confrontation
débouche sur l'emprunt d'une norme et sur la création d'un nouvel ensemble
normatif21. La mise en œuvre de la méthode comparative pourrait, en effet,
conduire à la conclusion que la différence qui existe entre les corpus concernés
explique les diverses pistes de développement suivies par chacun. Elle est donc
indépendante du résultat qui l'accompagne. Cependant, deux des effets attendus

17
Patrick FRAISSEIX, Les droits fondamentaux, prolongement ou dénaturation de l’homme ?,
R.D.P., 2001, pp. 531-553.
18
Emmanuel DECAUX, Tour d’ivoire, Editorial, Droits fondamentaux, 2002, n°2 ; Mireille
DELMAS-MARTY, Le paradigme de la guerre contre le crime : légitimer l'inhumain ?, Revue de
science criminelle, 2007, pp. 461-472 ; Hanspeter MOCK, « Guerre » contre le terrorisme et droits de
l'homme, Réflexions à propos du rapport de la Fédération internationale des droits de l'homme
(FIDH) intitulé « l'anti-terrorrisme à l'épreuve des droits de l'homme : les clés de la compatibilité »,
R.T.D.H., 2006, p. 24. Ainsi les atteintes aux droits de l'homme sont parfois présentées par les Etats
comme des dommages collatéraux de la lutte contre le terrorisme : Pierre KLEIN, Le droit
international à l'épreuve du terrorisme, R.C.A.D.I., 2006, pp. 203-484.
19
Hélène TIGROUDJA, L'équité du procès pénal et la lutte internationale contre le terrorisme,
Réflexions autour de décisions internes et internationales récentes, R.T.DH., 2007, pp. 3-38. Cf. infra
pour la position de la CJUE relativement aux smart sanctions notamment.
20
Léontin-Jean CONSTANTINESCO, Traité de droit comparé, Tome II, La méthode comparative,
L.G.D.J., Paris, 1974, p. 10 et s.
21
Sur l'exigence de la réalisation d'un emprunt créateur d'un nouvel agencement normatif pour
pouvoir utiliser les termes de combinaison normative : Joannis Konstantinos PANOUSSIS,
La combinaison normative : recherches sur une méthode d'interprétation au service des droits de
l'homme, Thèse, Université de Lille II, 2006, pp. 11-12.

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INTRODUCTION

et éventuellement espérés de l'utilisation de la méthode comparative sont la


fertilisation croisée et la fécondation croisée, phénomènes en vertu duquel la
rencontre d'éléments du droit international de la personne conduit à leur
enrichissement réciproque, que ce soit par le biais du substrat qui nourrit les
normes ou de leur mécanisme de reproduction. C'est l'expression « fécondation
croisée » qui sera prioritairement utilisée pour décrire le résultat auquel peuvent
conduire les interactions car elle offre une représentation efficace du phénomène
par lequel de nouvelles normes ou de nouvelles interprétations de normes
peuvent émerger.
Le rapprochement entre le monde végétal et les interactions des normes de
droit international de la personne, par le biais de l'expression « fécondation
croisée », se justifie par les similitudes identifiables entre ces deux domaines.
En effet, les questions auxquelles est confronté le règne végétal peuvent enrichir
et guider la réflexion sur les thématiques relatives aux interactions des normes et
la complexité de ce phénomène est plus facile à appréhender et à cerner dans sa
globalité grâce à l'importation de concepts empruntés au monde végétal22.
Ainsi, si dans le monde végétal la fécondation croisée nécessite l'action d'un
intervenant – le jardinier, les abeilles butineuses ou le vent, ayant alors
respectivement conscience ou non de leur participation au phénomène – qu'en
est-il en droit international de la personne ? Qui peut ou qui veut jouer ce rôle ?
En effet, est-ce que la méthode comparative, qui consiste, au regard d'un corpus
considéré, à porter une attention plus ou moins soutenue à un autre, nécessite
l'intervention des Etats, des organisations internationales, des organes
internationaux de contrôle, des individus, des organisations non gouvernementales
ou peut-elle se produire en raison de la simple coexistence des corpus en présence,
sans aucune intervention externe ?
Au-delà de la question de l'action éventuelle d'un tiers, la nature des corpus
concernés par les interactions se pose. En effet, est-ce que la méthode
comparative qui nécessite, par définition, la comparaison de deux ou plusieurs
éléments, n'intervient qu'à l'égard de corpus présentant des ressemblances –
normatives, géographiques, institutionnelles, ratione materiae, temporis ou
personae – ou cet aspect est-il sans conséquence tant sur la mise en œuvre de la
méthode que sur son résultat ? En d'autres termes, est-ce que la pollinisation des
différents corpus du droit international de la personne peut être tentée avec
succès entre tous ou des limites – assimilables aux barrières des espèces – sont-
elles des obstacles infranchissables ?
D'ailleurs, d'autres éléments – comparables au sol, au climat, à la qualité des
plants et des graines concernés – interviennent-ils dans la réussite ou l'échec de
la méthode comparative ? Cette interrogation invite à déterminer si cette dernière
nécessite un degré particulier de développement de la part de la société

22
Sur la crise des concepts juridiques en lien avec la complexité du droit : Mathieu DOAT,
Remarques sur les rapports entre concepts juridiques et complexité, in Droit et complexité, Pour une
nouvelle intelligence du droit vivant, Mathieu Doat, Jacques Le Goff et Philippe Pedrot (dir.), PUR,
Réseau des Universités Ouest Atlantique, 2007, pp. 181-194.

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internationale et du droit international des droits de la personne propice à sa


réalisation. De plus, l'hypothèse d'un microclimat favorable, au sein d'une
organisation régionale ou d'un espace géographique donné, doit être étudiée.
Par ailleurs, en ce qui concerne le rapport entre la méthode comparative et la
fécondation croisée, il convient de déterminer si la seconde est le résultat
recherché lors de la mise en œuvre de la première, sa finalité, ou si elle n'est-ce
que l'une des conséquences de cette dernière – les autres conséquences possibles
devant alors être définies. Quelles sont les formes que prend cette fécondation
croisée et comment les différents corpus concernés interagissent-ils entre eux ?
Est-ce une question de survie des droits et des corpus ou s'agit-il d'une question
de développement ? Est-ce que de nouvelles normes ou de nouveaux droits
voient véritablement le jour ? Est-ce que, éventuellement, d'autres normes ou
droits disparaissent en lien avec ce mécanisme ? Quelles sont les caractéristiques
des droits ainsi consacrés ? Présentent-ils une résistance particulière à la critique
– par analogie avec la résistance développée suite aux croisements de plantes –,
sont-ils plus protecteurs que les droits originaires ou plus adaptés aux attentes de
certains acteurs de la société internationale et, le cas échéant, lesquels ?
De plus, quels peuvent être les autres résultats auxquels peut aboutir la méthode
comparative ? Peut-on imaginer que certains de ses acteurs – éventuellement les
Etats ou les organes d'interprétation – mettent en œuvre la méthode comparative
tout en sachant qu'elle est vouée à l'échec ? Quelles pourraient alors être les raisons
d'une telle démarche : le besoin d'utiliser la méthode pour l'entretenir,
la perfectionner et la maîtriser, l'obligation de recourir à cette méthode mais sans
obligation de résultat ou la volonté de montrer une détermination à participer à un
phénomène pour se donner, à moindre coût, une bonne image sur la scène
internationale ? Se pose alors la question du fondement juridique de la méthode :
est-elle consacrée par les mécanismes du droit international et s'impose-t-elle et
si oui à qui et dans quelle mesure et quelles circonstances ?
Au-delà de la question de la légalité, celle de la légitimité de la méthode
comparative et de la fécondation croisée se pose aussi. De plus, puisque les
notions de développement durable et de principe de précaution sont aujourd'hui
portées comme des étendards par des groupes aux intérêts souvent divergents et
que décideurs et citoyens usent et abusent aujourd'hui de ces notions, la question
des risques doit aussi être soulevée23. Ainsi par analogie, il est possible de
s'interroger sur la possibilité pour les plants créés suite à la fécondation croisée
d'être une menace pour les plants d'origine et pour l'homme en général. Peut-on
considérer certains droits ayant ainsi été consacrés comme des droits-OGM, des
droits génétiquement modifiés ? Alors quid des risques de passage des gènes
modifiés dans d'autres espèces végétales ? Doit-on organiser un étiquetage des
23
Consulter : Ministère de l'écologie et du développement durable, Le principe de précaution saisi
par le droit : les enjeux sociopolitiques de la juridicisation du principe de précaution,
La Documentation française, 2006, 208 p. ; Catherine AUBERTIN et Franck-Dominique VIVIEN,
Le développement durable, Enjeux politiques, économiques et sociaux, La Documentation française,
2006, 144 p. Consulter notamment : Cour EDH, Tatar c. Roumanie, 27/1/2009 : sur l’étendue du
principe de précaution.

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INTRODUCTION

normes ainsi produites pour préciser leur degré de modification génétique ? Quel
doit être, en effet, le degré d'information des destinataires de ces droits et de ces
normes sur leur caractère transgénique24 ? Les cultures en « plein champ » sont-
elles raisonnables ou faut-il mener des études complètes au sein de laboratoires
avant de faire entrer de tels spécimens dans les systèmes juridiques existants pour
s'assurer de leur innocuité ou, à tout le moins, pour avoir préalablement évalué les
conséquences prévisibles de leur présence ? De plus, un conservatoire des normes
et droits d'origine – à l'image des conservatoires où des espèces qualifiées de
rustiques sont préservées et classées – doit-il être créé ou faudra-t-il, dans des
années se mettre à la recherche d'espèces quasi-disparues sauf dans la mémoire de
certains ? Que devient, en effet, la biodiversité juridique et qui pourrait s'occuper
d'une telle démarche de sauvegarde de ce patrimoine matériel et immatériel25 :
les Etats, les organisations internationales ou encore la société civile ? Comment et
à quel prix ? N’est-ce pas alors mettre en doute l'apport de la fécondation croisée et
risquer de limiter, dès l'origine, son utilisation et ses concrétisations ?
Par conséquent, ce sont les modalités des relations s'établissant entre les
différentes normes internationales relatives aux droits de la personne, leur nature
ainsi que leur impact sur la matière qui feront l’objet de la présente étude.
Le contexte de cette dernière (1), l'étendue de la recherche (2), la terminologie
des interactions (3) et la problématique se dégageant (4) doivent être précisés.

1. LE CONTEXTE DE L'ÉTUDE

Le contexte de l'étude est lié aux particularités du droit international relatif


aux droits de la personne. En effet, ce droit est caractérisé par le développement
parallèle des branches le composant avant leur rapprochement (a), par une forte
inflation normative (b) et par la multiplicité des organes internationaux de
contrôle des normes (c).
a. Le développement des branches du droit international de la personne

Les droits de la personne sont garantis, sur le plan international, par le droit
humanitaire, les droits de l’homme et le droit des réfugiés.
Le droit humanitaire est « cette portion considérable du droit international
public qui s’inspire du sentiment d’humanité et qui est centrée sur la protection
de la personne en cas de guerre »26. Il se subdivise en deux branches dont l’une,
24
Consulter ainsi les obligations d'information et de transparence posées par la loi 2008-595 du
25/6/2008 relative aux organismes génétiquement modifiés, J.O.R.F. n°148 du 26/6/2008, p. 10218
(à lire avec la décision du Conseil constitutionnel n°2008-564 du 19/6/2008), en application du droit
européen applicable.
25
Sur les divers acteurs de la biodiversité : Organisation de coopération et de développement
économiques, Mobiliser les marchés au service de la biodiversité, Pour une politique de
conservation et d'exploitation durable, OCDE, 2003, 154 p.
26
Jean PICTET, Le droit international humanitaire : définition, in Les dimensions internationales du
droit humanitaire, Unesco-Institut Henry Dunant, Pedone, Paris, 1986, p. 13.

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le « droit de La Haye », concerne la conduite des hostilités alors que l’autre,


le « droit de Genève », protège les personnes qui se trouvent au pouvoir de la
partie adverse27. Cette distinction tend à s’estomper28. En effet, ces deux droits
« ont développé des rapports si étroits qu’ils sont regardés comme ayant fondé
graduellement un seul système complexe nommé aujourd’hui droit international
humanitaire »29. Pour sa part, la Cour internationale de justice a pu présenter
le droit international humanitaire comme une lex specialis par rapport au droit
international des droits de l'homme30.
Quant à eux, les droits de l’homme, définis comme « l’ensemble des
principes et des normes fondés sur la reconnaissance de la dignité inhérente à
tous les êtres humains et qui visent à en assurer le respect universel et
effectif »31, sont souvent classés en trois générations suivant une approche
chronologique et matérielle32. La première génération regroupe les droits civils et
politiques présentés comme des droits-liberté, la seconde les droits économiques,
sociaux et culturels qui sont considérés comme des droits-créance et la troisième
les droits de solidarité qui sont des droits-participation33. Ce classement fait
l’objet de trois critiques principales. Premièrement, la distinction qui est faite
entre droits-liberté et droits de créance, du point de vue de l’investissement
étatique requis pour leur mise en œuvre34, est souvent contredite au motif que les
premiers peuvent parfois nécessiter aussi des obligations positives de la part des
Etats alors que la réalisation des seconds n’exige pas toujours un lourd
engagement financier35. Deuxièmement, l’appartenance à la catégorie des droits
de l’homme des droits de la troisième génération, que sont les droits à
l’environnement, au développement, à la paix, au patrimoine commun de

27
François BUGNION, Droit de Genève et droit de La Haye, R.I.C.R., 2001, n°844, p. 901.
28
Stanislaw E. NAHLIK, Droit dit « de Genève » et droit dit « de La Haye » : unicité ou dualité ?,
A.F.D.I., 1978, pp. 9-27. Les protocoles additionnels de 1977 aux Conventions de Genève de 1949
(Protocole additionnel du 8 juin 1977 aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la
protection des victimes des conflits armés internationaux (protocole I) et Protocole additionnel aux
Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés non
internationaux (Protocole II) recouvrent d’ailleurs ces deux domaines.
29
Affirmation de la CIJ, Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis, 8/7/1996,
Rec. 1996, § 75.
30
CIJ, Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis,
9/7/2004, Rec. 2004, § 25. Sur la signification de cette approche de la CIJ : Amna GUELLALI,
Lex specialis, droit international humanitaire et droits de l'homme : leur interaction dans les
nouveaux conflits armés, R.G.D.I.P., 2007, pp. 542-547.
31
Jean-Bernard MARIE, Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, André-
Jean Arnaud (dir.), L.G.D.J., Paris, 2ème édition, 1993, p. 208.
32
Karel VASAK, Le droit international des droits de l’homme, R.C.A.D.I., 1974, tome 140, pp. 343-
346. Cette question du classement des droits de l'homme alimente toujours les réflexions de la
doctrine : Emmanuelle BRIBOSIA et Ludovic HENNEBEL (dir.), Classer les droits de l'homme,
Bruylant, Bruxelles, 2004, 398 p.
33
Dominique ROUSSEAU, Les droits de l’homme de la troisième génération, in Droit
constitutionnel et droits de l’homme, Economica, Paris, 1987, p. 135.
34
Marc BOSSUYT, La distinction entre les droits civils et politiques et les droits économiques,
sociaux et culturels, R.D.H., 1975, n° 4, pp. 783-820.
35
Geraldine VAN BUEREN, Deconstructing the Mythologies of International Human Rights Law, in
Understanding Human Rights, Conor Gearty et Adam Tomkins (ed.), Mansell, Londres, 1996, p. 599.

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INTRODUCTION

l’humanité ainsi que le droit de communiquer, est parfois remise en question36.


La crainte est, en effet, celle d’une « dénaturation »37 du concept et de la
catégorie des droits de l’homme au motif que ces nouveaux droits n’ont pas pour
véritable titulaire un individu mais une collectivité difficilement identifiable, que
leur objet est imprécis et que leur protection juridique est délicate, voire
impossible38. Troisièmement, la présentation même des droits de l’homme sous
forme de générations fait l’objet de critiques parce qu’il n’y aurait pas de
générations possibles des droits humains du fait des connexions existantes entre
eux39, les débats sont alors considérés comme contreproductifs40. Cependant,
ces critiques n’ont pas empêché des appels en faveur d’une quatrième génération
de droits de l’homme protégeant « la dignité humaine contre certains abus de la
science »41 ou le droit à la santé42.
Pour sa part, le droit des réfugiés protège toute personne qui, « craignant
avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité,
de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques,
se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette
crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas
de nationalité se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence
habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte,

36
Sur le contenu de cette troisième génération de droits : Diego URIBE VARGAS, La troisième
génération des droits de l’homme, R.C.A.D.I., 1984, tome 184, p. 362 et Karel VASAK, Pour une
troisième génération des droits de l’homme, in Etudes et essais sur le droit international humanitaire
et sur les principes de la Croix-Rouge en l’honneur de Jean Pictet, Christophe Swinarski (dir.),
Comité international de la Croix-Rouge- Martinus Nijhoff Publishers, Genève-La Haye, 1984, p. 842.
37
Frédéric SUDRE, Droit international et européen des droits de l’homme, P.U.F., Paris, 2010,
10ème éd., p. 108.
38
Robert PELLOUX, Vrais et faux droits de l’homme : problèmes de définition et de classification,
R.D.P., 1981, p. 67 ; Jean-Jacques ISRAEL, Le droit au développement, R.G.D.I.P., 1983, p. 40 ;
Jean RIVERO, Déclarations parallèles et nouveaux droits de l’homme, R.T.D.H., 1990, n°4, p. 324 ;
Maurice KAMTO, Retour sur le « droit au développement » au plan international : Droit au
développement des Etats ?, R.U.D.H., 1999, p. 9 ; Gérard COHEN-JONATHAN, La Déclaration
universelle et la conception des droits de l’homme, in Law in Greater Europe, Towards a common
legal aera, studies in honour of Heinrich Klebes, B. Haller, H. C. Krüger et H. Petzold (eds), Kluwer,
La Haye, 2000, p. 223. Pour une critique de ces contestations : Karel VASAK, L’universalité des
droits de l’homme à la lumière du droit international positif des droits de l’homme, in Mélanges
offerts à Jorge Campinos, P.U.F., 1996, p. 418 et Abderrahmane YOUSSOUFI, Réflexions sur
l’apport de la « troisième génération des droits de l’homme », in Les droits de l’homme à l’aube du
XXIe siècle, Karel Vasak Amicorum Liber, Bruylant, Bruxelles, 1999, pp. 427-432.
39
Patrice MEYER-BISCH, D’une succession de générations à un système de droits humains, in
Les droits de l’homme à l’aube du XXIe siècle, op.cit., pp. 333-354 : cet auteur appelle alors à une
présentation des droits de l’homme sous forme de système.
40
Raymond RANJEVA, Les organisations non gouvernementales et le droit international des droits
de l’homme in Les organisations non gouvernementales et le droit international des droits de
l’homme, Gérard Cohen-Jonathan et Jean-François Flauss (dir.), Bruylant, Bruxelles, 2005, p. 13.
41
Silvio MARCUS HELMONS, La quatrième génération des droits de l’homme, in Les droits de
l’homme au seuil du troisième millénaire, Mélanges en hommage à Pierre Lambert, Bruylant,
Bruxelles, 2000, p. 551.
42
Georges BENAR, Vers des droits de l’homme de la quatrième dimension, Essai de classification et
de hiérarchisation des droits de l’homme, in Les droits de l’homme à l’aube du XXIe siècle, op.cit.,
pp. 91-94.

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INTERACTIONS ENTRE LES NORMES INTERNATIONALES RELATIVES AUX DROITS DE LA PERSONNE

ne veut y retourner »43. Pour l'instrument africain de protection, l'approche est


plus large puisque « le terme « réfugié » s'applique également à toute personne
qui, du fait d'une agression, d'une occupation extérieure, d'une domination
étrangère ou d'événements troublant gravement l'ordre public dans une partie ou
dans la totalité de son pays d'origine ou du pays dont elle a la nationalité, est
obligée de quitter sa résidence habituelle pour chercher refuge dans un autre
endroit à l'extérieur de son pays d'origine ou du pays dont elle a la
nationalité »44.
A l’origine, la codification et le développement des droits de l’homme, du
droit humanitaire et du droit des réfugiés se sont produits parallèlement mais
séparément45. En effet, au niveau universel, l’Organisation des Nations Unies
(ONU) s’est occupée des droits de l’homme et du droit des réfugiés, alors que le
Comité international de la Croix-Rouge (CICR) s’est concentré sur le droit
humanitaire. Par conséquent, les échanges, tant institutionnels que normatifs, ont
longtemps été très limités entre les Nations Unies qui, bannissant la guerre,
ne pouvaient pas concevoir des règles l'encadrant et le CICR qui ne voulait pas
se rapprocher de l’organisation onusienne en raison du caractère politique de
cette dernière46. De plus, au sein même de l'ONU, la codification du droit des
réfugiés et des droits de l’homme s’est produite séparément, le Haut
Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) étant spécifiquement
chargé de « poursuivre la conclusion et la ratification de conventions
internationales pour la protection des réfugiés, en surveillant leur application et
en y proposant des modifications »47 alors que les droits de l’homme étaient,
d’un point de vue normatif, principalement du ressort de la Commission des
droits de l’homme48.
Cette approche compartimentée de la protection internationale de la personne
semble reposer sur une identification exagérée de leurs origines historiques

43
Article 1 de la Convention relative au statut des réfugiés du 28/7/1951 tel que modifié par l’article
1 du protocole relatif au statut des réfugiés de 1966 et article 1(1) de la Convention régissant les
aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique du 10/9/1969.
44
Article 1(2) de la Convention régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique.
45
Louise DOSWALD-BECK et Sylvain VITE, Le droit international humanitaire et le droit des
droits de l’homme, R.I.C.R., 1993, p. 99.
46
Robert KOLB, Relations entre le droit international humanitaire et les droits de l’homme, R.I.C.R.,
1998, n°831, pp. 437-447. D’ailleurs, l’élaboration des Conventions de Genève de 1949 en dehors du
système des Nations Unies s’explique plus par la logique selon laquelle, la Charte des Nations Unies,
interdisant la guerre, ces dernières ne pouvaient pas s’engager dans la codification d’un droit
applicable à celle-ci que par la volonté de voir une autre instance s’en occuper : Yves SANDOZ,
Les Nations Unies et le droit international humanitaire, Rapport général, in Les Nations Unies et le
droit international humanitaire, Genève, 19-21/10/1995, Luigi Condorelli, Anne-Marie La Rosa et
Sylvie Scherrer (dir.), Pedone, Paris, 1996, pp. 57-60.
47
Statut du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, adopté par l’AGONU dans sa
résolution 428 (V) du 14/12/1950, chapitre II, article 8. Sur les initiatives nationales ou
internationales ayant précédé la création du HCR, consulter : Yves BEIGBEDER, Le Haut
Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, Que sais-je ?, P.U.F., 1999, pp. 9-16.
48
Ainsi, la Commission des droits de l’homme a rédigé la Déclaration universelle des droits de
l’homme et les deux pactes onusiens de 1966 : Jean DHOMMEAUX, La réforme du système des
Nations-Unies dans le domaine des droits de l’homme, L’Europe des libertés, 2006, n°18, p. 5.

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INTRODUCTION

différentes49. En effet, ces trois branches de protection placent toutes l’individu


au centre de leurs préoccupations50. De plus, elles trouvent leur justification dans
le principe d’humanité et peuvent, par conséquent, parfois être présentées comme
étant les « branches humanitaires du droit international »51. Les relations entre
le droit humanitaire, les droits de l’homme et le droit des réfugiés font donc
l’objet de deux thèses opposées. Ainsi alors que l’approche intégrationniste les
considère comme différents aspects d’un même droit, la thèse séparatiste y voit
des droits ayant des natures et des objets différents52. Une troisième approche
affirme, quant à elle, qu’une complémentarité existe entre ces trois droits,
permettant alors à l’individu de bénéficier de la plus large protection possible53.
Cette dernière thèse semble s’être imposée. En effet, l’indifférence réciproque
dont faisaient preuve ces trois branches du droit international de protection a
aujourd’hui disparue sans qu'il n'y ait, cependant, confusion entre elles.
Le rapprochement des droits de l’homme et du droit humanitaire a débuté
avec la Conférence de Téhéran de 1968 au cours de laquelle le Secrétaire général
des Nations Unies a été invité à s’intéresser au droit international humanitaire54.
En effet, avec la résolution de l’Assemblée générale de l'ONU sur le respect des
droits de l’homme en période de conflits armés, adoptée suite à cette conférence,
le droit humanitaire a trouvé un écho favorable auprès des Nations Unies qui
l’avaient ignoré jusque là55. Ce rapprochement a été confirmé lors de la
Conférence mondiale sur les droits de l’homme de 1993 qui recommande à
l’ONU « d’assurer le plein respect du droit humanitaire international dans
toutes les situations de conflit armé, conformément aux objectifs et principes de
la Charte des Nations Unies »56. De même, si pendant la guerre froide, le HCR
a gardé ses distances avec les droits de l’homme, pour éviter de compromettre
la réalisation de son action57, il a depuis affirmé les liens existants entre la

49
Antônio Augusto CANCADO TRINDADE, El Derecho Internacional de los Derechos Humanos
en el Siglo XXI, Editorial Juridica de Chili, Santiago de Chili, 2001, p. 185.
50
Patricia BUIRETTE, Le droit international humanitaire, La découverte, Paris, 1996, p. 45.
51
Jovica PATRNOGIC, Réflexions sur la relation entre le droit international humanitaire et le droit
international des réfugiés, leur promotion et leur diffusion, R.I.C.R., 1988, p. 382.
52
Aristidis CALOGEROPOULOS-STRATIS, Droit humanitaire – Droits de l’homme et victimes des
conflits armés, in Etudes et essais sur le droit international humanitaire et les principes de la Croix-
Rouge en l’honneur de Jean Pictet, Martinus Nijhoff, Dordrecht, 1984, p. 661.
53
Ibidem.
54
Patricia BUIRETTE, Le droit international humanitaire, La découverte, Paris, 1996, p. 47.
55
AGONU, Résolution 2444 (XXIII) du 19/12/1968 concernant le respect des droits de l’homme en
période de conflits armés. Sur cette évolution : Louise DOSWALD-BECK et Sylvain VITE, Le droit
international humanitaire et le droit des droits de l’homme, R.I.C.R., 1993, p. 120. Néanmoins, dans
sa résolution 237 du 14/6/1967 relative à la situation au Moyen-Orient, le Conseil de sécurité de
l'ONU avait déjà appelé les parties au conflit israélo-arabe à respecter la Convention de Genève du
12/8/1949 sur le traitement des prisonniers de guerre.
56
Déclaration et programme d’action de Vienne, adoptés lors de la Conférence mondiale sur les
droits de l’homme, Vienne, 14-25/6/1993, A/CONF.157/23, 12/7/1993, R.U.D.H., 1994, p. 240, § 96.
57
Winfried LANG, Asile, refuge et droits de l’homme, in Droit d’asile et des réfugiés, Colloque de
Caen de la S.F.D.I., 1996, Pedone, Paris, 1997, p. 83.

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INTERACTIONS ENTRE LES NORMES INTERNATIONALES RELATIVES AUX DROITS DE LA PERSONNE

protection des droits de l’homme et celle des réfugiés58. Ainsi le HCR, dans
le cadre d’une approche globale du problème des réfugiés, s’intéresse tant à la
prévention du phénomène qu'à son règlement durable notamment par le biais du
rapatriement volontaire59. De même, côté droits de l'homme, les organes de
l’ONU s’intéressent désormais aux liens qui existent, notamment, entre les droits
de l’homme, les exodes importants et les personnes déplacées60. Le droit des
réfugiés entretient aussi des liens étroits avec le droit humanitaire, les exodes de
population pouvant avoir pour origine la violation du droit humanitaire
applicable aux conflits internes ou internationaux61. D’ailleurs, cette approche
conduit à réclamer une nouvelle définition du réfugié, la définition subjective
actuelle, faisant référence à la qualification de persécution, étant dépassée au
regard des mouvements de masse de populations62. Une telle qualification
objective élargirait la protection offerte par le droit des réfugiés notamment aux
personnes déplacées63, comme c'est actuellement le cas dans le système
africain64. De son côté, le CICR a souligné la corrélation étroite qui existe entre
la contribution à une paix véritable et le respect des droits de l’homme65.
58
HCR, Comité exécutif, Note sur la protection internationale, n°62, XLI, 1990 : le HCR met
l’accent sur la protection nécessaire des droits de l’homme des réfugiés dans leur Etat d’origine et
dans leur Etat d’arrivée.
59
Horst-Wolfram KERLL, New Dimensions of the Global Refugee Problem and the Need for a
Comprehensive Human Rights and Development-Oriented Refugee Policy, I.J.R.L., 1990, numéro
spécial : International Human Rights Law : The New Decade Refugees : Facing Crisis in the 1990s,
pp. 237-251 ; Antônio Augusto CANCADO TRINDADE, Tratado de direito internacional dos
direito humanos, Sergio Antonio Fabris Editor, Porto Alegre, Bresil, 2nd édition, 2003, tome I, p. 396.
60
Winfried LANG, Asile, refuge et droits de l’homme, in Droit d’asile et des réfugiés, op. cit., p. 84.
Consulter le rapport onusien établi à ce propos par le prince Sadruddin AGA KHAN, rapport
concernant les droits de l’homme et les exodes massifs de décembre 1981 et Commission des droits de
l’homme, Droits de l’homme, exodes massifs et personnes déplacées, E/CN.4/1995/49, 28/12/1994. La
Conférence mondiale de 1993 et l’OUA ont aussi pu se déclarer consternées par les violations massives
des droits de l’homme qui sont à l’origine d’exodes massifs de réfugiés et de déplacements de
personnes : Déclaration et programme d’action de Vienne, adoptés lors de la Conférence mondiale sur
les droits de l’homme, Vienne, 14-25/6/1993, op. cit., § 28 ; René DEGNI-SEGUI, L’action des
institutions africaines en matière de réfugiés, in Droit d’asile et des réfugiés, op. cit., p. 250.
61
Vera GOWLLAND-DEBBAS, La responsabilité internationale de l’Etat d’origine pour des flux de
réfugiés, in Droit d’asile et des réfugiés, op. cit., p. 107 ; Sadako OGATA, Human Rights,
Humanitarian Law and Refugee Protection, in Human Rights and Humanitarian Law, The Quest for
Universality, Daniel Warner (ed.), Martinus Nijhoff, La Haye, 1997, p. 137.
62
L’article 1er de la Convention relative au statut des réfugiés de 1951 et l’article 1(1) de la
Convention de l’UA régissant les aspects propres aux problèmes de réfugiés en Afrique de 1969
précisent, en effet, que pour être qualifiée de « réfugié », une personne doit craindre une persécution
en raison d’un certain nombre de facteurs limitativement énumérés. Cf. supra.
63
Antônio Augusto CANCADO TRINDADE, Tratado de direito internacional dos direito humanos,
op. cit., p. 398.
64
Article 1(2) de la Convention régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique,
précité. La Convention de l’OUA élargit, en effet, la notion de réfugié par rapport à l’instrument
universel en mettant l’accent sur le critère de la violence qui lui permet de protéger de nombreuses
victimes de migrations forcées : René DEGNI-SEGUI, L’action des institutions africaines en matière
de réfugiés, in Droit d’asile et des réfugiés, op. cit., p. 232. Pour une affirmation selon laquelle le
HCR a, de façon coutumière, étendu la définition des réfugiés aux personnes victimes de guerre ou
de troubles internes : Isabelle R. GUNNING, Modernizing customary International Law, the
challenge of Human Rights, Virginia Journal of International Law, 1991, vol. 31, pp. 234-247.
65
Conseil des délégués du CICR, résolution n° 4, octobre 1983, R.I.C.R., 1983, n° 744, p. 311.

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INTRODUCTION

D’ailleurs, les protocoles additionnels aux Conventions de Genève confirment


les liens qui existent entre le droit international humanitaire et les droits de
l’homme ainsi que l’évolution du CICR à l’égard des droits de l’homme66.
De plus, la IVème Convention de Genève relative à la protection des personnes
civiles en temps de guerre et le protocole I aux Conventions de Genève
démontrent que les règles de droit humanitaire complètent le droit international
des réfugiés67. Faisant la synthèse de ces divers rapprochements, la Convention
internationale des droits de l’enfant (CIDE) de 1989 fut le premier traité
international relatif aux droits de l’homme à inclure explicitement et
simultanément le droit humanitaire, le droit des réfugiés et le droit international
des droits de l’homme dans ses dispositions68. De même, les principes directeurs
relatifs au déplacement de personnes à l'intérieur de leur propre pays, adoptés en
février 1998 par la Commission des droits de l'homme, intègrent dans leurs
dispositions des éléments relevant des trois branches de protection69.
Par conséquent, à la logique initiale de la spécialisation a succédé la logique
de la concertation des trois branches du droit international de la personne70.
D'ailleurs, au regard de leur rapprochement, la question de leur confusion ou de
leur fusion a pu être posée71. La Convention de 1951 relative aux droits des
réfugiés est d’ailleurs parfois présentée comme « le premier instrument universel
des droits de l’homme »72. De même, le droit international humanitaire a pu être
appréhendé comme étant la « partie du droit des droits de l’homme applicable
dans les conflits armés »73 ou comme regroupant, d’une part, les droits de
66
Sylvie JUNOD, Les droits de l’homme et le protocole II, R.I.C.R., 1983, n° 743, pp. 254-262 ; Karl
Joseph PARTSCH, La protection internationale des droits de l’homme et les Conventions de Genève
de la Croix-Rouge, R.I.D.C., 1974, vol. 26, p. 74 : consulter, notamment, les articles 75, 76 et 77 du
Protocole I et les articles 4, 5 et 6 du protocole II.
67
Jovica PATRNOGIC, Réflexions sur la relation entre le droit international humanitaire et le droit
international des réfugiés, leur promotion et leur diffusion, R.I.C.R., 1988, p. 389. Consulter,
notamment, l’article 44 de la IVème Convention de Genève relatif aux réfugiés et l’article 73 du
protocole I relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux concernant les droits
des réfugiés et des apatrides.
68
Rachel BRETT et Eve LESTER, Refugee law and international humanitarian law: parallels,
lessons and looking ahead, A non-governmental organization’s view, R.I.C.R., 2001, n° 843, p. 714.
Consulter, notamment, les articles 22 et 38 de la CIDE du 20/11/1989 relatifs respectivement aux
enfants réfugiés et à la participation des enfants aux hostilités.
69
Codification des règles internationales relatives aux personnes déplacées à l’intérieur de leur pays,
Robert K. GOLDMAN, R.I.C.R., n°831, 1998, p.497-501 ; Principes directeurs relatifs au
déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays – Commentaires, Jean-Philippe
LAVOYER, R.I.C.R., n°831, 1998, pp.503-516.
70
Hervé CASSAN, Les organisations internationales et les réfugiés, les nouvelles politiques
juridiques institutionnelles, in Droit d’asile et des réfugiés, op. cit., p. 159 ; Jean-François FLAUSS,
Les droits de l’homme et la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés,
in La Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés 50 ans après : bilan et
perspectives, Vincent Chetail et Jean-François Flauss (dir.), Bruylant, Bruxelles, 2001, p. 94.
71
Jacques MEURANT, Droit humanitaire et droits de l’homme : spécificités et convergences,
R.I.C.R., 1993, p. 95.
72
Vera GOWLLAND-DEBBAS, La responsabilité internationale de l’Etat d’origine pour des flux de
réfugiés, in Droit d’asile et des réfugiés, op. cit., p. 104.
73
Louise DOSWALD-BECK et Sylvain VITE, Le droit international humanitaire et le droit des
droits de l’homme, R.I.C.R., 1993, p. 99.

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INTERACTIONS ENTRE LES NORMES INTERNATIONALES RELATIVES AUX DROITS DE LA PERSONNE

l’homme et, d’autre part, le droit de La Haye et celui de Genève74. Cependant,


la thèse de la complémentarité de ces différents droits semble la plus adaptée car
leur fusion présente « surtout le risque de provoquer une dispersion d’efforts
préjudiciables à l’homme, alors que c’est grâce à leur concertation que l’homme
pourra être le mieux protégé »75. De plus, l’équivalence entre ces trois branches
n’est pas complète. Ainsi s’il n’est pas nécessaire que les droits de l’homme d'un
individu soient violés pour lui reconnaître la qualité de réfugié, la violation des
droits de l’homme n’emporte pas en elle-même reconnaissance de ce statut76.
Pour compliquer le tableau de la protection internationale de la personne et
les divers enchevêtrements normatifs qui peuvent s’y produire, ce secteur se
caractérise aussi par le nombre exponentiel d’instruments adoptés.
b. L'inflation normative du droit international de la personne

La production normative n’est pas propre au droit international de la personne.


Elle touche, en effet, tant le droit national – à tel point que le constat d’un « excès
de droit » dans l’ordre juridique français a pu être effectué77 – que divers autres
domaines du droit international78. Dans le domaine du droit international de la
personne, ce phénomène de « prolifération »79 ou d’ « inflation »80 normative
touche principalement les normes relatives aux droits de l’homme et, dans une
moindre ampleur, les normes relatives à la protection des réfugiés. Le droit
humanitaire n'est, quant à lui, pas concerné. En effet, les instruments normatifs
relatifs au droit humanitaire ont vu le jour uniquement au niveau international, sous
l’égide du CICR qui a favorisé l’adoption des quatre Conventions de Genève
relatives au droit humanitaire le 12/8/1949 – relatives respectivement à
l’amélioration du sort des blessés et des malades dans les forces armées en
campagne, à l’amélioration du sort des blessés, des malades et des naufragés des
forces armées sur mer, au traitement des prisonniers de guerre et à la protection des

74
Jean PICTET, Les principes du droit international humanitaire, C.I.C.R., Genève, 1967, p. 8.
75
Karel VASAK, Le droit international des droits de l’homme, R.C.A.D.I., 1974, tome 140, p.351.
Contre toute idée de confusion entre droits de l’homme et droit international humanitaire,
consulter aussi : Henri MEYROWITZ, Le droit de la guerre et les droits de l’homme, R.D.P., 1972,
pp.1059-1105 et Jean PICTET, Le droit international humanitaire : définition, in Les dimensions
internationales du droit humanitaire, Unesco-Institut Henry Dunant, Pedone, Paris, 1986, p. 15.
76
Denis ALLAND, Le dispositif international du droit d’asile, in Droit d’asile et des réfugiés,
op. cit., p. 44.
77
Bernard PIGNEROL, Le crépuscule des Lumières : Excès de droit, abus du droit in, Droit et
complexité, Pour une nouvelle intelligence du droit vivant, op. cit., pp. 63-76.
78
Felice MORGENSTERN, International legislation at the crossroads, B.Y.I.L., 1978, pp. 101-117 ;
Benedetto CONFORTI, Prolifération organique, prolifération normative et crise des Nations Unies :
réflexions d’un juriste, in L’adaptation des structures et méthodes des Nations Unies, Daniel
Bardonnet (dir.), Martinus Nijhoff Publishers, Dordrecht, 1986, pp. 153-169.
79
Pour une utilisation de cette expression, dont il faut souligner la connotation négative : Roberto
GARRETON, La valeur juridique de la Déclaration universelle dans le système des Nations Unies,
in La Déclaration universelle des droits de l’homme 1948-98, Avenir d’un idéal commun,
La documentation française, 1999, p. 275.
80
Emmanuel ROUCOUNAS, Engagements parallèles et contradictoires, R.C.A.D.I., 1987, tome 206,
p. 201.

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INTRODUCTION

personnes civiles en temps de guerre – et des deux protocoles facultatifs à ces


conventions le 8/6/197781 et d'un autre le 8/12/2005 relatif à l'adoption d'un signe
distinctif additionnel82. Au contraire, l’intérêt pour les droits de l’homme s’est
traduit par un essor normatif considérable, au sein de différentes organisations
depuis la fin de la seconde guerre mondiale, qui s’est concrétisé par l’adoption
d’instruments conventionnels mais aussi d’instruments déclaratoires83. En effet, à
la suite de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) de multiples
instruments internationaux de protection des droits de l’homme, contraignants ou
non, ont été adoptés au sein de divers forums. Ainsi la question de la protection des
droits de l’homme a été abordée aussi bien au plan international, régional que sub-
régional. Au sein du système onusien, à l’activité normative dans le domaine des
droits de l’homme de l’Assemblée générale des Nations Unies et du Conseil
économique et social (ECOSOC), s’ajoute celle des agences spécialisées des
Nations Unies, principalement, l’Organisation internationale du travail (OIT) et
l’Organisation des Nations Unies pour la science et la culture (UNESCO). Ainsi au
sein de l’ONU a été adoptée la Charte internationale des droits de l’homme
constituée de la DUDH du 10/12/1948, du Pacte international relatif aux droits
économiques, sociaux et culturels (PIDESC) du 16/12/1966 et du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) du 16/12/1966 complété
par ses deux protocoles facultatifs84. Ces instruments généraux ont été
accompagnés par de multiples instruments spécifiques relatifs, notamment,
à la lutte contre la discrimination, aux droits des femmes, aux droits de l’enfant,
à l’interdiction de l’esclavage et du travail forcé, à l'interdiction des disparitions
forcées, à l’administration de la justice, à la liberté de l’information, à la liberté
d’association, au mariage et à la famille85. De même, au sein de l’OIT divers
instruments relatifs aux droits de l’homme ont été adoptés, notamment les huit
conventions identifiées comme fondamentales par le Conseil d'administration de
l'OIT86. Il s'agit, en ce qui concerne la liberté syndicale de la Convention n°87 sur
la liberté syndicale et la protection du droit syndical de 1948 et de la Convention
n°98 sur le droit d'organisation et de négociation collective de 1949, en ce qui

81
Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12/8/1949 relatif à la protection des victimes
des conflits armés internationaux (protocole I) et protocole additionnel aux Conventions de Genève
du 12/8/1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux (protocole II).
Concernant le rôle joué par le CICR au niveau de l’initiative et de la discussion des protocoles de
Genève de 1977 : Philippe BRETTON, Le Comité international de la Croix-Rouge et les protocoles
de Genève du 8 juin 1977, in Les O.N.G. et le droit international, Mario Bettati et Pierre-Marie
Dupuy (dir.), Economica, Paris, 1986, pp. 61-91.
82
Il s'agit en l'occurrence d'un losange rouge qui vient s'ajouter aux signes distinctifs préexistants que
sont la croix rouge, le croissant rouge, le lion-et-soleil rouge.
83
Sur la nature de cette distinction et ses conséquences : cf. infra, première partie, titre II.
84
Glen JOHNSON et Janusz SYMONIDES, La déclaration universelle des droits de l’homme,
40ème anniversaire : 1948-1988, UNESCO, L’Harmattan, Paris, 1991, 217 p. ; Christine CHANET,
De la Déclaration universelle à la Charte des droits de l’homme, in La Déclaration universelle des droits
de l’homme 1948-98, Avenir d’un idéal commun, op. cit., p. 269.
85
Ces instruments, contraignants ou non, seront cités ultérieurement, si besoin.
86
Consulter sur la notion de conventions fondamentales la Déclaration de l'OIT relative aux principes
et droits fondamentaux au travail adoptée en 1998 et Nicolas VALTICOS, Normes internationales du
travail et droits de l’homme, Où en est-on à l’approche de l’an 2000 ?, R.I.T., 1998, pp. 151-164.

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INTERACTIONS ENTRE LES NORMES INTERNATIONALES RELATIVES AUX DROITS DE LA PERSONNE

concerne l'abolition du travail forcé de la Convention n°29 sur le travail forcé de


1930 et de la Convention n°105 sur l'abolition du travail forcé de 1957, en ce qui
concerne l'égalité de la Convention n°100 sur l'égalité de rémunération de 1951
et de la Convention n°111 concernant la discrimination (emploi et profession) de
1958, en ce qui concerne l'élimination du travail des enfants de la Convention
n°138 sur l'âge minimum de 1973 et de la Convention n°182 sur les pires formes
de travail des enfants de 1999. L’UNESCO a, pour sa part, permis en son sein,
l’adoption, notamment, de la Convention concernant la lutte contre la
discrimination dans le domaine de l’enseignement le 14/12/1960 ou de la
Déclaration universelle sur le génome humain et les droits de l'homme
le 11/11/1997. Par ailleurs, en ce qui concerne le droit des réfugiés, l’action du
HCR au sein de l’ONU a conduit à l’adoption de la Convention relative au statut
des réfugiés le 28/7/1951 et de son protocole le 31/1/1967.
Au-delà de l’ONU, un phénomène de « multiplication des ordres juridiques
partiels »87 lié à l’émergence d’organisations régionales s’est produit. Or, avec
le temps, le débat sur l’opportunité du régionalisme opposé à l’universalisme88,
a fait place à une optique de complémentarité visant à garantir la meilleure
protection des droits possible89. D’ailleurs, le régionalisme devrait encore se
développer. En effet, il existe de nombreux appels réaffirmant la nécessité de
créer, là où il n’en existe pas encore, des mécanismes régionaux et sous-
régionaux pour la promotion et la protection des droits de l’homme. Tel est
notamment le cas notamment de la Résolution 32/127 de l’AGONU du
16/12/1977 concernant les dispositions à prendre, au niveau régional, pour
assurer la promotion et la protection des droits de l’homme, de la Résolution
47/125 de l’AGONU du 18/12/1992 concernant les arrangements régionaux pour
la promotion et la protection des droits de l’homme, de la partie I, § 37 de la
Déclaration et programme d’action de Vienne, adopté à la Conférence mondiale

87
Pierre-Marie DUPUY, Droit international public, Dalloz, Paris, 2008, 9ème édition, p. 19.
88
Roger PINTO, Régionalisme et universalisme dans la protection des droits de l’homme,
in International Protection of Human Rights, Asbjorn Eide et August Schou (ed.), Almquist &
Wiksell, Stockholm, 1968, pp. 177-192 ; Karel VASAK, Les institutions nationales, régionales et
universelles pour la promotion et la protection des droits de l’homme, R.D.H., 1968, vol. I, n° 2,
p. 178 ; Karel VASAK, Vers la création de Commissions régionales des droits de l’homme, in René
Cassin – Amicorum Discipulorumque Liber I – Problèmes de protection internationale des droits de
l’homme, Pedone, Paris, 1969, pp. 467-478. Concernant les opinions des Etats membres de l’OEA
quant à la création d’un système interaméricain de protection des droits de l’homme, consulter :
Carlos A. DUNSHEE DE ABRANCHES, Comparative study of the United Nations Covenants on
civil and political rights and on economic, social and cultural rights and of the draft Inter-american
Conventions on Human Rights, Inter-American Yearbook on Human Rights, 1968, pp. 171-180.
89
Hector GROS ESPIELL, Universalisme et régionalisme dans la protection internationale des droits
de l’homme, coordination du système régional américain et du système des Nations Unies, Colloque
sur L’Europe et l’Amérique latine : le défi des droits de l’homme, Conseil de l’Europe, Assemblée
parlementaire, Strasbourg, 1981, AS/Pol/PR/Coll/DHAL(33), V/1, p. 7 ; Karl Josef PARTSCH, Vor-
und Nachteile einer Regionalisierung des internationalen Menschenrechtsschutzes, Europaïsche
Grundrechte Zeitschrift, 1989, n°1, pp. 1-9 ; Christian TOMUSCHAT, Universal and Regional
Protection of Human Rights : Complementary or Conflicting Issues, in Strengthening the World
Order : Universalism v. Regionalism, Risks and Opportunities of Regionalization, Rüdiger Wolfrum
(ed.), Duncker & Humblot, 1990, Berlin, p. 196.

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INTRODUCTION

sur les droits de l’homme de 1993 ou de la Résolution 57/210 de l’AGONU sur


les arrangements régionaux pour la promotion et la protection des droits de
l’homme du 18/12/2002. C’est principalement la zone asiatique qui est
concernée car, s’il existe déjà un système régional de protection des droits de
l’homme en Amérique, en Europe et en Afrique, rien de comparable n’existe en
Asie90. Cependant, l’évolution est en route sur ce continent. En effet,
la Commission intergouvernementale des droits de l’homme de l’Association des
nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE) a été établie en octobre 2009 et, même
si sa fonction a principalement été axée sur la promotion des droits de l’homme,
des perspectives d’évolution existent si la Commission s’estime à même
d’interpréter favorablement son mandat91.
L’Organisation des Etats américains (OEA), instaurée en 1948 par la Charte
de Bogota, a adopté plusieurs instruments internationaux dans le domaine des
droits de l’homme, notamment, la Déclaration américaine des droits et des
devoirs de l’homme (DADH) en 1948, la Convention américaine relative aux
droits de l’homme (CADH) le 22/11/1969, complétée par un protocole relatif
aux droits économiques, sociaux et culturels et par un protocole traitant de
l'abolition de la peine de mort, la Convention interaméricaine pour la prévention
et la répression de la torture le 9/12/1985, la Convention interaméricaine sur
la disparition forcée des personnes le 9/6/1994, la Convention interaméricaine
sur la prévention, la sanction et l’élimination de la violence contre la femme
le 9/6/1994 et la Convention interaméricaine pour l’élimination de toutes les
formes de discrimination contre les personnes handicapées le 7/6/1999.
De même, le Statut du Conseil de l’Europe de 1949 précise que ce dernier
s’attachera à la sauvegarde et au développement des droits de l’homme et des
libertés fondamentales92 et, dès l’origine, l’Assemblée parlementaire a souligné
que la protection des droits de l'homme et des réfugiés faisait partie des objectifs
du Conseil de l’Europe93. Par conséquent, au sein de cette organisation ont été
adoptées, notamment, la Convention européenne de sauvegarde des droits de
l’homme et des libertés fondamentales (CEDH) le 4/11/1950 complétée par divers
protocoles, la Charte sociale européenne (CSE) le 18/10/1961, révisée le 3 mai

90
Sur les raisons de cette absence de système régional asiatique des droits de l’homme : Paul
TAVERNIER, L’O.N.U. et l’affirmation de l’universalité des droits de l’homme, R.T.D.H., 1997,
p. 389. Les Nations Unies organisent, cependant, des ateliers sur le développement des droits de
l’homme dans la région Asie-Pacifique : Commission des droits de l’homme, Arrangements
régionaux pour la promotion et la protection des droits de l’homme dans la région de l’Asie et du
Pacifique, E/CN.4/2003/109, 24/3/2003, 27 p. En parallèle, des initiatives privées ont donné
naissance à la Déclaration des devoirs fondamentaux des peuples et des Etats asiatiques adoptée par
le Conseil régional des droits de l’homme en Asie, une ONG, en décembre 1983. Sur les évolutions
envisageables : Vitit MUNTARBHORN, Vers un mécanisme sur les droits de l'homme dans le cadre
de l'ASEAN ?, Droits fondamentaux, n°2, janvier 2002, 13 p.
91
Isabelle BRACHET, La Commission intergouvernementale des droits de l’homme de l’ANASE,
premier organe régional dans le domaine des droits de l’homme en Asie du Sud-Est : avancée
historique ou écran de fumée ?, R.T.D.H., 2010, n°83, pp. 617-635.
92
Article 1er alinéa b) du Statut du Conseil de l’Europe du 5/5/1949.
93
Marie-Odile WIEDERKEHR, L’œuvre du Conseil de l’Europe dans le domaine du droit d’asile et
des réfugiés, in Droit d’asile et des réfugiés, op. cit., p. 199.

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INTERACTIONS ENTRE LES NORMES INTERNATIONALES RELATIVES AUX DROITS DE LA PERSONNE

1996, la Déclaration relative à l’asile territorial le 18/11/1977, la Convention


européenne relative au statut du travailleur migrant le 24/11/1977, la Convention
européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains
ou dégradants le 26/11/1987, la Charte européenne des langues régionales ou
minoritaires le 5/11/1992, la Convention-cadre pour la protection des minorités
nationales le 10/11/1994, la Convention européenne sur la nationalité le 6/11/1997,
la Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine le 4/4/1997 et
la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains
le 16/5/2005.
Par ailleurs, au sein de l’Organisation de l’Unité africaine (OUA), devenue
Union africaine (UA) en 200294, des instruments de protection des droits de
l’homme et des droits des réfugiés ont été adoptés, notamment, la Convention de
l’Union africaine régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés
en Afrique le 10/9/1969, la CADHP le 27/6/1981 et la Charte africaine des droits
et du bien-être de l’enfant le 11/7/1990.
De façon plus limitée, le Conseil de la Ligue des Etats arabes, organisation
créée en 194595, a adopté, le 15/9/1994, la Charte arabe des droits de l’homme
qui, profondément révisée en mai 2004, est entrée en vigueur le 15/1/2008 sur
fond de polémique96. De plus, l’Organisation de la Conférence islamique,
organisation régionale créé en 1969 et institutionnalisée en 1970, a adopté le
5/8/1990 la Déclaration du Caire sur les droits de l’homme en Islam97.
Au-delà de cette dichotomie entre protection universelle et régionale des
droits de la personne, un autre niveau de protection coexiste. En effet, il y a
« morcellement de l’action juridique internationale non seulement par
opposition du plan régional au plan universel, mais aussi à l’intérieur d’un
même cadre géographique régional »98. Ainsi il existe une « polysystémie
simultanée, c’est-à-dire la superposition de systèmes juridiques régionaux
spécialisés matériellement, mais ayant les mêmes destinataires »99. En effet,
des sous-systèmes régionaux, qui ne sont pas restés indifférents aux droits de la

94
L’OUA, créée en 1963, a été remplacée par l’Union africaine au cours de la Conférence de Durban
du 8/7/2002.
95
Michel MOUSKHELI, La ligue des Etats arabes, commentaire du Pacte du 22 mars 1945,
R.G.D.I.P., 1946, pp. 112-158.
96
Ainsi la Haut-commissaire aux droits de l'homme des Nations Unies, Louise ARBOUR, a souligné,
que ce texte reste incompatible avec les normes internationales, tant en ce qui concerne les droits des
femmes qu'en ce qu'il continue d'assimiler le sionisme au racisme : communiqué de presse de l'ONU,
30/1/2008.
97
En parallèle, le 19/9/1981, la Déclaration islamique universelle des droits de l’homme a été adoptée par
une ONG, le conseil islamique pour l'Europe. Cette déclaration, qui s'appuie sur la contestation de
l’universalisme des droits de l’homme au nom de la religion, soulève de nombreuses difficultés : Paul
TAVERNIER, L’O.N.U. et l’affirmation de l’universalité des droits de l’homme, R.T.D.H., 1997, p. 386.
98
Heribert GOLSONG, Le développement du droit international régional, in Régionalisme et
universalisme dans le droit international contemporain, colloque de Bordeaux de la S.F.D.I., Pedone,
Paris, 1977, p. 233.
99
Elisabeth LAMBERT-ABDELGAWAD, Les effets des arrêts de la Cour européenne des droits de
l’homme, Contribution à une approche pluraliste du droit européen des droits de l’homme, Bruylant,
Bruxelles, 1999, p. 463.

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INTRODUCTION

personne, regroupent, pour des projets divers, de coopération ou d’intégration,


plus ou moins les mêmes Etats et, en tout état de cause, des Etats déjà parties au
système régional100. Ainsi au niveau européen, l’Union européenne (UE) a pu
adopter des instruments relatifs aux droits des réfugiés – comme la Convention
de Dublin sur l’asile du 15/6/1990 – ou aux droits de l’homme – telle la Charte
des droits fondamentaux de l’UE adoptée le 7/12/2000. Cette Charte crée une
« concurrence systémique »101 au niveau européen, particulièrement depuis
qu’après, quelques ajustements rédactionnels102 et l’entrée en vigueur du Traité
de Lisbonne le 1/12/2009, elle a la même valeur que les traités européens103.
De même, la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe, devenue
Organisation sur la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) a vu émerger en
son sein, le 1/8/1975, l’Acte d’Helsinki qui énonce le principe « du respect des
droits de l’homme et des libertés fondamentales, y compris la liberté de pensée,
de conscience ou de religion »104. Cet instrument a ouvert la voie au volet
« dimension humaine » de cette organisation105. Quant à elle, la Communauté des
Etats indépendants (CEI), créée en 1991 entre des anciennes républiques de
l'Union des républiques socialistes soviétiques, a donné naissance à la
Convention relative aux droits de l’homme de la Communauté des Etats
indépendants le 26/5/1995106.
Sur le continent africain, dès les premières accessions à l’indépendance, dans
les années 1960, des organisations de coopération économique et d’intégration
régionale ont vu le jour telles l’Union du Maghreb arabe, la Communauté
Economique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), la Communauté
économique des Etats d’Afrique centrale qui a été remplacée par la Communauté
économique d’Afrique centrale, le Marché commun des Etats d’Afrique de l’est
et australe, la Communauté des Etats d’Afrique australe ou l’Union économique
et monétaire ouest africaine107. Ces organisations sub-régionales africaines ont
pris conscience du lien existant entre, d'une part, le respect de la démocratie et
des droits de la personne et, d'autre part, la stabilité régionale. Ainsi dans le cadre

100
Sur ces intégrations régionales : Catherine FLAESCH-MOUGIN et Joël LEBULLENGER,
Regards croisés sur les intégrations régionales : Europe, Amérique, Afrique, Bruylant, Bruxelles,
2010, 512 p.
101
Laurence BURGORGUE-LARSEN (dir.), Chronique de jurisprudence européenne comparée,
R.D.P., 2001, p. 693.
102
Fabienne KAUFF-GAZIN, Les droits fondamentaux dans le traité de Lisbonne: un bilan contrasté,
Europe, 2008, dossier spécial sur le traité de Lisbonne, dossier 5, p. 37.
103
Article 6 du Traité sur l’Union européenne remanié par le Traité de Lisbonne du 13/12/2007.
104
Gaetano ARANGIO-RUIZ, Human Rights and non-intervention in the Helsinki final act,
R.C.A.D.I., 1977, tome 157, pp. 199-331.
105
Consulter, notamment, la Charte de Paris pour une nouvelle Europe des 19-21/11/1990 et le point
9 de la Déclaration du Sommet de Lisbonne des 2-3/12/1996.
106
Sur les caractéristiques de l’intégration économique dans le cadre de la CEI : Elena NONKA,
La Communauté des Etats indépendants, Groupe de recherche sur l’intégration continentale, cahier
de recherche, 1998, n°4, 44 p.
107
Maurice GLELE-AHANHANZO, Introduction à l’organisation de l’Unité africaine et aux
organisations régionales africaines, L.G.D.J., 1986, 574 p. ; Naceur BOURENANE, L’intégration
régionale en Afrique : état et perspectives, in L’intégration régionale en Afrique, Séminaires du
Centre de Développement, O.C.D.E., 2002, p. 21.

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INTERACTIONS ENTRE LES NORMES INTERNATIONALES RELATIVES AUX DROITS DE LA PERSONNE

de la CEDEAO, les Etats membres ont adopté une déclaration visant à interdire
tout recours à la force pour changer des gouvernements démocratiquement
élus108. De plus, cette organisation s’intéresse particulièrement aux droits de
l’enfant et a, par conséquent, adopté la Déclaration d’Accra sur les enfants
affectés par la guerre en avril 2000. En outre, l’article 4(g) du Traité révisé de la
CEDEAO fait de la CADH une source de droit au sein de l’organisation.
De même, sur le contient américain, dans le cadre de l’accord de libre-
échange nord-américain (ALENA), de 1992, un accord sur la coopération dans
le domaine du travail a été passé entre les gouvernements américain, canadien et
mexicain le 13/9/1993. Il prévoit des principes fondamentaux relatifs au droit au
travail qui doivent être respectés sous peine d’amende109. Par ailleurs, le marché
commun du Sud (MERCOSUR) a été créé, le 26/3/1993 entre certains pays
d’Amérique du Sud110. Dès l’origine, il a été proposé, qu’en son sein, une charte
fondamentale des droits et des garanties du travail soit rédigée et, c'est dans cette
optique, que la Déclaration sociale et du travail a été adoptée en 1998. De même,
la Communauté andine a adopté plusieurs textes dans le domaine des droits de la
personne dont la Charte sociale andine le 30/9/1994, la Déclaration de Machu
Pichu sur la démocratie, les droits des peuples indigènes et la lutte contre
la pauvreté le 30/7/2001 et la Charte andine de promotion et de protection des
droits de l’homme le 26/7/2002111.
La frénésie normative dans le domaine du droit international des droits de
la personne est par conséquent un phénomène de grande ampleur caractérisé par la
multitude des niveaux auxquels il se produit. Alors que certains observateurs ont
pu se demander s’il y avait encore besoin de production normative au regard des
nombreuses normes existantes112, pour d’autres, il faut mettre en balance le grand
nombre de textes adoptés au plan national avec le nombre relativement limité
d’instruments adoptés au plan international113. En tout état de cause, les faits sont
là et si la question de la coordination entre les organisations internationales pouvait
déjà se poser dès la fin de la seconde guerre mondiale114, le problème est encore

108
Lansana KOUYATE, Du progrès dans les perspectives d’intégration, in L’intégration régionale
en Afrique, Séminaires du Centre de Développement, O.C.D.E., 2002, p. 159.
109
Shin-ichi AGO, A crossroad in international protection of human rights and international trade :
is the social clause a relevant concept ?, in Mélanges en l’honneur de Nicolas Valticos, Droit et
justice, René-Jean Dupuy (dir.), Pedone, Paris, 1999, p. 542.
110
Sur les points communs et les différences entre le Mercosur et l’Union européenne, consulter :
Deisy VENTURA, Les asymétries entre le Mercosur et l’Union européenne, Les enjeux d’une
association interrégionale, L’Harmattan, Paris, 2003, 501 p.
111
Laurence BURGORGUE-LARSEN, Le fait régional dans la juridictionnalisation du droit
international, in La juridictionnalisation du droit international, Colloque de Lille de la S.F.D.I.,
Pedone, Paris, 2003, p. 246-247.
112
René CASSIN, Droits de l’homme et méthode comparative, R.I.D.C., 1968, n° 20, p. 491 ; Theo
VAN BOVEN, The future codification of Human Rights status of deliberations – a critical analysis,
H.R.L.J., 1989, vol. 10, n° 1-2, p. 3.
113
Nicolas VALTICOS, Les conventions de l’Organisation internationale du travail à la croisée des
anniversaires, R.G.D.I.P., 1996, p. 33.
114
C. Wilfred JENKS, Co-ordination : a new problem of International Organization, R.C.A.D.I.,
1950, tome 77, pp. 151-303.

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INTRODUCTION

plus aigu aujourd’hui en raison de la multiplication des organisations


internationales et de l’explosion du nombre d'instruments adoptés115.
De plus, à cette surabondance d’instruments normatifs s’ajoutent des normes
de droit international général relatives aux droits de la personne. En effet, un
même droit peut connaître plusieurs états normatifs, des « métamorphoses »116,
en étant successivement ou simultanément inclus dans une déclaration, une
convention ou protégé par le droit international général sous forme de norme
coutumière, principe général de droit ou même avoir le caractère d’une norme
impérative117. Cette diversité des états normatifs ajoute une autre dimension à
l’étude des rapports qui s’instaurent entre les normes internationales de
protection. A cela vient s'adjoindre la multiplicité des organes internationaux de
contrôle du respect de ces normes.
c. La multiplicité des organes internationaux de contrôle

De nombreux organes de contrôle des droits de la personne coexistent,


au sein d’une même organisation et entre organisations différentes – que ce soit
des organisations spécialisées dans la protection des droits de la personne ou des
organisations de coopération ou d’intégration économiques – mais aussi au sein
d’un même espace géographique et entre différents espaces territoriaux.
Ces organes universels, régionaux et sub-régionaux de protection présentent des
similarités et des différences quant à leur composition, aux modalités de leur
saisine ou à la nature des conclusions qu’ils rendent118, certains étant des
juridictions et d'autres pouvant éventuellement prétendre à la qualification de
quasi-juridictions119. Les organes non juridictionnels jouent un rôle si important
au service de la protection des droits de la personne120 que, même si leur activité

115
Stefan TRECHSEL, Inflation im Bereich der Menshenrechte ?, Zeitschrift für Europarechtliche
Studien, 1998, n°3, pp. 371-388.
116
Intervention de M. le doyen COLLIARD, in L’élaboration du droit international public, colloque
de Toulouse de la S.F.D.I. de 1974, Pedone, Paris, 1975, pp. 82-83.
117
Pour des développements sur le droit international général : cf. infra, première partie, Titre II.
118
Sur ces points : Francisco José AGUILAR-URBINA, An overview of the main differences
between the systems established by the optional protocol to the ICCPR and the ACHR as regards
individuals communications, C.H.R.Y., 1991-92, pp. 127-144 ; Amos WAKO, Comparison of the
African Charter on Human and peoples’ rights and the optional protocol to the International covenant
on civil and political rights, C.H.R.Y., 1991-92, pp. 145-150 ; Torkel OPSAHL, The Coexistence
between Geneva and Strasbourg Inter-Relationship of the International Covenant on Civil and
Political Rights and their Respective Organs of Implementation, C.H.R.Y. 1991-1992, pp. 151-165 ;
Mutoy MUBIALA, Contribution à l’étude comparative des mécanismes régionaux africain,
américain et européen de protection des droits de l’homme, Revue africaine de droit international et
comparé, 1997, tome 9, n°1, pp. 42-54 ; Philip ALSTON et James CRAWFORD (dir.), The Future of
UN Human Rights Treaty Monitoring, Cambridge University Press, Cambridge, 2000, 563 p.
119
Pour une telle qualification et sa définition : Emmanuel DECAUX, Que manque-t-il aux quasi-
juridictions internationales pour dire le droit ?, in Le dialogue des juges, Mélanges en l'honneur du
président Bruno Genevois, Dalloz, Paris, 2009, pp. 217-223.
120
Sur l'apport de ces mécanismes non juridictionnels, consulter notamment : Gaël ABLINE,
Les observations générales, une technique d'élargissement des droits de l'homme, R.T.D.H., 2008,
pp. 470-477 et Anne WEBER, Les mécanismes de contrôle non contentieux du respect des droits de
l'homme, Pedone, Paris, 2008, 412 p.

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INTERACTIONS ENTRE LES NORMES INTERNATIONALES RELATIVES AUX DROITS DE LA PERSONNE

et leur nature ne sont pas comparables à ceux des juridictions et si la


problématique des interactions normatives ne se pose pas de façon identique à
leur égard, la présente étude se doit de leur porter une attention particulière.
Au plan onusien, au rôle politique du Secrétaire général, du Conseil de
sécurité et de l’Assemblée générale en faveur du respect des droits de
l'homme121, s’ajoute une action de contrôle exercée par divers organes. Parmi
ceux-ci, il est possible de distinguer les organes créés par la Charte des Nations
Unies ou l’Assemblée générale, des organes de surveillance des traités.
Les premiers, notamment la défunte Commission des droits de l’homme,
la Sous-Commission de la promotion et de la protection des droits de l’homme,
la Commission de la condition de la femme et le Haut-commissaire des droits de
l’homme des Nations Unies, interviennent dans le cadre de mandats très larges122.
Ainsi pour ne citer que le rôle de la Commission des droits de l’homme, elle
pouvait examiner des situations révélant des « violations flagrantes, massives et
systématiques des droits de l’homme » en vertu de la procédure publique 1235123.
Dans le cadre de cette procédure publique, elle a pu mettre en place des
mécanismes extra-conventionnels qui sont dévolus à des groupes de travail ou
à des rapporteurs indépendants. Ces mécanismes sont centrés, soit sur des Etats,
soit sur des thèmes particuliers comme la détention arbitraire ou les disparitions
forcées124. En outre, en vertu de la procédure 1503, la Sous-Commission et la
Commission des droits de l’homme pouvaient examiner, de façon confidentielle,
cette fois, « toute communication qui semble révéler un ensemble de violations
flagrantes et systématiques » des droits de l’homme125. Après diverses
tergiversations126, un Conseil des droits de l’homme a été institué en mars 2006, en
remplacement de la Commission des droits de l’homme dont l’image était ternie
par la politisation de ses débats, pour examiner « les violations des droits de
l’homme notamment lorsque celles-ci sont flagrantes et systématiques » et
formuler des recommandations à leur sujet127. Le Conseil reprend les mécanismes

121
Sur les actions de ces institutions en faveur de la protection des droits de l’homme, consulter :
Torkel OPSAHL, Instruments of Implementation of Human Rights, H.R.L.J., 1989, vol. 10, n°1-2,
pp. 15-16.
122
A propos de ces mandats : Philip ALSTON (ed.), The United Nations and Human Rights –
A critical appraisal, Clarendon Press, Oxford, 1992, 765 p.
123
Procédure fondée sur la résolution 1235 (LII) de l’ECOSOC du 6/6/1967. Pour une étude du
fonctionnement de cette procédure et de la procédure 1503, consulter : Philip ALSTON, The
Commission on Human Rights, in The United Nations and Human Rights – A critical appraisal,
op. cit., pp. 145-173.
124
Résolution 1991/42 de la Commission des droits de l’homme du 5/3/1991 créant le groupe de
travail sur la détention arbitraire ; Résolution 20 (XXXVI) de la Commission des droits de l’homme
du 29/2/1980 créant le groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires.
125
Résolution 1503 (LXVIII) du 27/5/1970 de l’ECOSOC instaurant cette procédure. La procédure
1503 a été modifiée en 2000 mais conserve le même nom : Conseil économique et social, résolution
2000/3 du 16/6/2000.
126
Jean DHOMMEAUX, La réforme du système des Nations-Unies dans le domaine des droits de
l’homme, L’Europe des libertés, 2006, n°18, pp. 1-15.
127
AGONU, Conseil des droits de l’homme, résolution 60/251, 15/3/2006. Sur cette réforme et sur
d'autres envisagées au sein de l'ONU : Emmanuel DECAUX (dir.), Les Nations Unies et les droits de
l'homme, Enjeux et défis d'une réforme, Pedone, Paris, 2006, 348 p.

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INTRODUCTION

instaurés par la Commission, éventuellement sous une nouvelle terminologie. Ainsi


la procédure 1503 est remplacée par la nouvelle procédure d'examen de plaintes128.
Ce Conseil semble plus efficace que la feue Commission car plus réactif, en se
réunissant en sessions ordinaires et en sessions spéciales, moins politique, en
accordant une place importante aux organisations non gouvernementales et plus
impartial avec l'instauration de l'examen périodique universel qui met fin à la
sélectivité dans le domaine des droits de l'homme et permet de traiter tous les Etats
sur un pied d'égalité. Les avis sur son véritable apport sont cependant partagés129.
Pour leur part, les organes de surveillance des traités de l’ONU, à l’exception
du Comité des droits économiques, sociaux et culturels, ont été créés par les
dispositions respectives des traités relatifs aux droits de l’homme130. Il s’agit du
Comité pour l’élimination de la discrimination raciale qui contrôle le respect de
la CEDR, du Comité des droits de l’homme (CDH) qui assure le respect du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques, du Comité pour l’élimination
de la discrimination à l’égard des femmes qui contrôle le respect de la
Convention du même nom (CEDAW), du Comité contre la torture qui supervise
la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains
ou dégradants, du Comité des droits de l’enfant qui surveille l’application de la
Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE), du Comité pour la
protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur
famille qui s’assure du respect de la Convention internationale éponyme,
du Comité des droits des personnes handicapées qui contrôle le respect de la
Convention relative aux droits des personnes handicapées et du Comité des
disparitions forcées qui assure le respect de la Convention internationale pour la
protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées131. Ces comités
examinent le respect des obligations étatiques par le biais de rapports qui doivent

128
Emmanuel DECAUX, Que manque-t-il aux quasi-juridictions internationales pour dire le droit ?,
op. cit., 2009, pp. 228-232.
129
Marina EUDES, De la Commission au Conseil des droits de l'homme : vraie réforme ou faux-
semblant ?, A.F.D.I., 2006, pp. 599-616 ; Maxime TARDU, Le nouveau Conseil des droits de
l'homme aux Nations Unies : décadence ou résurrection ?, R.T.D.H., 2007, pp. 967-991 ; Trente-cinq
ONG, dont Amnesty International et Human Rights Watch, ont adressé une lettre ouverte au Conseil,
le 11/6/2009, pour dénoncer des dérives attentatoires aux droits de l'homme qui seraient apparues lors
de la 11ème session du Conseil qui s'est tenue du 2 au 19/6/2009.
130
A la différence des autres organes de surveillance des traités, le Comité des droits économiques,
sociaux et culturels a été créé par la résolution 1985/17 du 28/5/1985 de l’ECOSOC concernant
l’examen de la composition, de l’organisation et des arrangements administratifs du groupe de travail
de session d’experts gouvernementaux chargés d’étudier l’application du PIDESC. Sur cette
spécificité et ce qu’elle exprime quant à la place subsidiaire accordée aux droits économiques : Jean
DHOMMEAUX, La contribution du Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations
Unies à la protection des droits économiques, sociaux et culturels, A.F.D.I., 1994, p. 633.
131
Article 8 de la CEDR ; article 28 du PIDCP ; article 17 de la CEDAW ; article 17 de la
Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ; article
43 de la CIDE ; article 72 de la Convention internationale sur la protection des droits de tous les
travailleurs migrants et des membres de leur famille ; article 34 de la Convention relative aux droits
des personnes handicapées ; article 26 de la Convention internationale pour la protection de toutes les
personnes contre les disparitions forcées.

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INTERACTIONS ENTRE LES NORMES INTERNATIONALES RELATIVES AUX DROITS DE LA PERSONNE

leur être transmis par les Etats132. Ils peuvent aussi, à l’exception du Comité des
droits économiques et sociaux133 et du Comité des droits de l’enfant, recevoir des
communications étatiques134 et / ou individuelles135 relatives au non-respect de la
convention dont ils doivent assurer le respect sous réserve de l'acceptation de ces
possibilités par les Etats parties.
Au plan universel, les institutions spécialisées ont aussi mis en place des
mécanismes de contrôle des normes internationales relatives aux droits de la
personne.
Ainsi au sein de l’UNESCO et de l’OIT, le contrôle des obligations étatiques
est réalisé sur rapports et communications. En effet, au sein de l’Organisation pour
la science et la culture, le Comité sur les conventions et recommandations est
compétent pour examiner les rapports étatiques relatifs à la mise en œuvre des
normes de l’organisation136 ainsi que des communications relatives à des questions
concernant l’exercice des droits de l’homme dans les domaines de compétence de
l’organisation, qu’il s’agisse de cas individuels ou de violations massives,
systématiques ou flagrantes137. De même, au sein de l’OIT, la Commission
d’experts pour l’application des conventions et des recommandations examine les
rapports étatiques et la Commission de l’application des conventions et
recommandations débat sur les rapports de la Commission d’experts138. De plus,
des plaintes et des réclamations peuvent être transmises au Comité de la liberté
syndicale, des réclamations au Conseil d’administration et des plaintes au Bureau
international du travail139. Or, le Comité de la liberté syndicale est compétent,
132
Article 16 du PIDESC ; article 40 du PIDCP ; article 44 de la CIDE ; article 19 de la Convention
contre la torture de l'ONU ; article 18 de la CEDAW ; article 73 de la Convention internationale sur
la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille ; article 35 de
la Convention relative aux droits des personnes handicapées.
133
Cependant, le protocole facultatif au PIDESC qui permettra de reconnaître aux particuliers ou aux
groupes de présenter des communications relatives au non-respect du Pacte, a été adopté par
l'AGONU le 10/12/2008 et ouvert à la signature le 24/9/2009.
134
Article 41 du PIDCP ; article 21 de la Convention des Nations Unies contre la torture ; article 76
de la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des
membres de leur famille.
135
Protocole facultatif se rapportant au PIDCP ; article 22 de la Convention contre la torture ; article
77 de la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des
membres de leur famille ; article 1er du protocole facultatif à la Convention relative aux droits des
personnes handicapées ; protocole facultatif à la CEDAW. Sur l’apport de ce protocole, consulter :
Sabine BOUET-DEVRIERE, La protection universelle des droits de la femme : vers une efficacité
accrue du droit positif international ? (Analyse des dispositions du Protocole facultatif à la
Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes), R.T.D.H.,
2000, pp. 453-477.
136
Les Etats transmettent leurs rapports en vertu de l’article VIII de l’Acte constitutif de l’UNESCO.
137
Procédure instaurée par la décision 104 EX/3.3 du Conseil exécutif de l’UNESCO en 1978.
Diverses propositions ont été formulées pour tenter de réformer cette procédure : Boran SAY,
Procédure d’examen des communications relatives aux violations alléguées des droits de l’homme
dans les domaines de compétence de l’UNESCO : problème du double emploi et réflexion sur la
réforme envisagée, in Les droits de l’homme à l’aube du XXIème siècle, Karel Vasak Amicorum Liber,
Bruylant, Bruxelles, 1999, pp. 819-861.
138
Jean-Pierre LAVIEC, La protection des droits économiques et sociaux de l’homme par
l’Organisation internationale du Travail, R.U.D.H., 1991, p. 66.
139
Articles 24, 25, 26 à 34 de la Constitution de l’OIT.

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INTRODUCTION

depuis sa création en 1950, à l’égard de tout Etat membre de l’OIT, qu’il soit lié ou
non par les conventions n°87 et 98 de cette organisation relatives respectivement,
pour la première à la liberté syndicale et à la protection du droit syndical et, pour la
deuxième, au droit d'organisation et de négociation collectives. Cette originalité
s'explique par le fait que le préambule de la Constitution de l’organisation, qui lie
tout Etat membre, affirme le principe de la liberté syndicale140. De la même façon,
la Déclaration de l’OIT relative aux principes et droits fondamentaux du travail de
1998 affirme que l’ensemble des Etats membres de l’organisation doit, du seul fait
d’y être parties, respecter quatre droits fondamentaux que sont la liberté
d’association et de négociation collective, l’élimination de toute forme de travail
forcé ou obligatoire, l’abolition effective du travail des enfants et l’élimination de
la discrimination en matière d’emploi et de profession.
Concernant le droit international des réfugiés, c’est le HCR qui est chargé de
veiller à l’application de la Convention de 1951 et du protocole de 1967141. Pour
faciliter son travail les Etats parties doivent lui fournir des rapports relatifs à la
mise en œuvre de leurs obligations à l’égard des réfugiés142. Les propositions
visant à créer une instance juridictionnelle internationale et des instances
régionales compétentes pour contrôler le respect du droit international du réfugié
n’ont pas été suivies143. De son côté, la Commission de médiation, de
conciliation et d’arbitrage de l’Union africaine était chargée de régler tout
différend relatif à l’interprétation ou l’application de la Convention de l’Union
africaine relative aux réfugiés144. Cette Commission, créée en 1964 et dissoute en
1977, n’a cependant jamais effectivement fonctionné145. C’est donc le Comité de
coordination pour l’assistance aux réfugiés qui coordonne la matière au sein de
l’Union africaine146. De plus, la prévention, la gestion et la résolution des conflits
impliquant les réfugiés relève, depuis 1993, du mécanisme de prévention,
de gestion et de résolution des conflits adopté par la Conférence des chefs d’Etat
et de gouvernement de l’Organisation de l'Union africaine en juin 1993147.
Ce mécanisme est renforcé par les mécanismes de gestion et de prévention des

140
Nicolas VALTICOS, Les conventions de l’Organisation internationale du travail à la croisée des
anniversaires, R.G.D.I.P., 1996, p. 19.
141
Article 35 de la Convention de 1951 sur les réfugiés et article II du protocole de 1967. Le statut du
HCR est annexé à la résolution 428(V) de l’AGONU du 14/12/1950.
142
Article 35(2) de la Convention de 1951 relative aux réfugiés et article II(2) du protocole de 1967
relatif au statut des réfugiés.
143
Winfried LANG, Asile, refuge et droits de l’homme, in Droit d’asile et des réfugiés, op. cit.,
p. 91 ; Jean-Yves CARLIER, Et Genève sera … La définition du réfugié : bilan et perspective, in
La Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés 50 ans après : bilan et
perspectives, op. cit., p. 88.
144
Article 9 de la Convention de l’UA sur les réfugiés.
145
Mutoy MUBIALIA, La Convention de l’Organisation de l’Unité africaine du 10 septembre 1969
régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique et ses liens avec la Convention
du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, in La Convention de Genève du 28 juillet 1951
relative au statut des réfugiés 50 ans après : bilan et perspectives, op. cit., p. 226.
146
René DEGNI-SEGUI, L’action des institutions africaines en matière de réfugiés, in Droit d’asile
et des réfugiés, op. cit., p. 239
147
Hassatou BALDE, Les mécanismes de prévention, de gestion et de règlement des conflits des
organisations africaines, Actualité et droit international, 2001.

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INTERACTIONS ENTRE LES NORMES INTERNATIONALES RELATIVES AUX DROITS DE LA PERSONNE

conflits des organisations sub-régionales africaines qui peuvent aussi traiter du


respect des droits des réfugiés.
Tout comme le système de contrôle international du droit des réfugiés, celui du
droit international humanitaire ne s’est pas non plus inspiré des systèmes
contraignants qui existent dans le domaine de la protection internationale des droits
de l’homme148. Il repose, en effet, sur le système de la puissance protectrice, sur la
Commission internationale d’établissement des faits et sur l’universalité de
juridiction – mécanismes limités qui ont cependant connu des évolutions récentes
qui laissent présager, à terme, une meilleure efficacité149 – et sur le CICR qui a des
possibilités d’actions restreintes non comparables aux mécanismes de contrôle des
conventions internationales des droits de l’homme150.
A ces mécanismes universels, s’ajoutent des mécanismes régionaux de
protection des droits de la personne.
Ainsi dans le cadre du Conseil de l’Europe, la Cour européenne des droits de
l’homme (Cour EDH) peut être saisie de requêtes étatiques ou individuelles
concernant le respect de la CEDH151. L’interprétation de la Convention européenne
est le fait de la seule Cour depuis la disparition de la Commission européenne des
droits de l’homme (Commission EDH) mais la jurisprudence précédemment
établie a été conservée152. La Cour EDH est aussi chargée de donner des avis
consultatifs relatifs à la Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine153.
Cette compétence qui n’a pas été utilisée a été rappelée aux Etats par la Cour EDH
dans son arrêt de Grande chambre, Vo c. France du 8/7/2004154. Le Comité
européen des droits sociaux (CEDS) assure, quant à lui, le respect de la Charte
sociale européenne et de la Charte sociale européenne révisée suite à la

148
Pour un regret par rapport à cette situation : Aristidis CALOGEROPOULOS-STRATIS, Droit
humanitaire – Droits de l’homme et victimes des conflits armés, in Etudes et essais sur le droit
international humanitaire et les principes de la Croix-Rouge en l’honneur de Jean Pictet, Martinus
Nijhoff, Dordrecht, 1984, p. 660.
149
Paul TAVERNIER, Réflexions sur les mécanismes assurant le respect du droit international
humanitaire, conformément aux Conventions de Genève et aux protocoles additionnels, Actualité et
droit international, 2000 ; Luigi CONDORELLI, La Commission internationale humanitaire
d'établissement des faits : un outil obsolète ou un moyen utile de mise en œuvre du droit international
humanitaire ?, in Un siècle de droit international humanitaire, centenaire des Conventions de La
Haye, cinquantenaire des Conventions de Genève, Paul Tavernier et Laurence Burgorgue-Larsen
(dir.), Bruylant, Bruxelles, 2001, pp. 87-89.
150
Jean-Luc BLONDEL, Rôle du CICR en matière de prévention des conflits armés : possibilités
d’action et limites, R.I.C.R., 2001, n°844, pp. 923-945.
151
Articles 33 et 34 de la CEDH.
152
Cette disparition a fait suite à l’entrée en vigueur, le 1/11/1998, du protocole 11 à la CEDH.
Consulter : Andrew DRZEMCZEWSKI, Protocole n°11 à la CEDH : préparation à l’entrée en
vigueur, J.E.D.I., 1997, n°1, pp. 59-76. Sur cet impératif de continuité de la jurisprudence, consulter :
Vincent BERGER, La nouvelle Cour européenne des droits de l’homme : d’une jurisprudence à
l’autre, in Mélanges en hommage à Louis Edmond Pettiti, Bruylant, Bruxelles, 1998, p. 133.
153
Article 29 de la Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine.
154
Cour EDH, GC, Vo c. France du 8/7/2004, § 89. La proposition visant à compléter cette convention
d’un protocole autorisant le dépôt de requêtes individuelles devant la Cour EDH n’a pas abouti.
Actuellement, en vertu de l’article 30 de la convention, les Etats parties doivent transmettre au Secrétaire
général du Conseil de l’Europe des renseignements sur sa mise en œuvre en droit national.

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INTRODUCTION

transmission de rapports étatiques155 et de réclamations collectives à l’égard des


Etats ayant accepté cette dernière possibilité156. Le Comité européen pour la
prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants
assure le respect de la Convention européenne éponyme par le biais de visites in
situ157. Pour sa part, la Convention – cadre pour la protection des minorités
nationales charge le Comité des ministres du Conseil de l’Europe, assisté d’un
comité consultatif, de veiller à son respect grâce à la transmission par les Etats
d’informations sur sa mise en œuvre158. Le Groupe d'experts sur la lutte contre la
traite des êtres humains (GRETA) assure le suivi des obligations des Etats
découlant de la Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des
êtres humains par les Parties. Un Commissaire aux droits de l’homme a aussi été
instauré au sein du Conseil de l’Europe mais il n’a pas un rôle de contrôle sur
communications159. A ces organes, instaurés au sein du Conseil de l’Europe, il faut
ajouter les mécanismes établis au sein de l’OSCE, notamment, le Haut
Commissaire aux minorités nationales qui agit lorsqu’il est informé de problèmes
de minorités nationales, que ce soit en déclenchant un mécanisme d’alerte rapide,
par des missions in situ ou par le biais de la diplomatie silencieuse160. En outre,
la Commission des droits de l’homme de la Communauté des Etats indépendants
supervise le respect de la Convention des droits de l’homme de la Communauté
des Etats indépendants161. De plus, au niveau de l’Union européenne, la Cour de
justice de l’Union européenne (CJUE) – anciennement dénommée Cour de justice
des Communautés européennes (CJCE) avant l’entrée en vigueur du Traité de
Lisbonne en 2009 – et le Tribunal – anciennement Tribunal de première instance
des Communautés européennes (TPICE) – assurent le respect des droits
fondamentaux par le biais des principes généraux du droit communautaire162.
Au sein de l’Organisation des Etats américains, la Commission et la Cour
interaméricaines des droits de l’homme (Commission IDH et Cour IDH) assurent
le respect de la Convention américaine des droits de l'homme suite à des
communications individuelles ou étatiques163. La Cour IDH peut être saisie par les
Etats – s’ils ont accepté une telle possibilité – et par la Commission IDH164. Pour
sa part, la Commission IDH assure aussi le respect de la Déclaration américaine
des droits et des devoirs de l’homme à l’égard de tous les Etats membres de
l’organisation, parties ou non à la CADH165. Elle assure, en outre, le respect, sur
155
Articles 21 et 22 de la CSE et article C de la partie IV de la CSE révisée.
156
Protocole additionnel à la CSE prévoyant un système de réclamations collectives du 9/11/1995.
157
Article 1 de la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements
inhumains ou dégradants.
158
Articles 24, 25 et 26 de la Convention - cadre pour la protection des minorités nationales.
159
Institution créée par la résolution du 7/5/1999 du Comité des ministres du Conseil de l’Europe.
160
L'institution du Haut Commissaire aux minorités nationales a été créée en 1992 par l’OSCE.
161
Article 34 de la Convention des droits de l’homme de la CEI.
162
Sur un récapitulatif de l'action de la CJCE dans ce domaine : Cour EDH, GC, Bosphorus c.
Irlande, arrêt, 30/6/2005 et pour plus de développements sur la consécration prétorienne des droits
fondamentaux en droit communautaire : cf. infra, première partie, titre II.
163
Articles 33, 44, 45, 61 et 62 de la CADH.
164
Articles 61 et 62 de la CADH.
165
Sur la dualité de ce système interaméricain de protection et la complexité qui en découle : Pedro
NIKKEN, Le système interaméricain des droits de l’homme, R.U.D.H., 1990, vol. 2, n°3, p. 99.

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INTERACTIONS ENTRE LES NORMES INTERNATIONALES RELATIVES AUX DROITS DE LA PERSONNE

examen de rapports étatiques, de la Convention américaine pour la prévention et


la répression de la torture ainsi que de la Convention interaméricaine sur
la disparition forcée des personnes et de la Convention interaméricaine sur la
prévention, la sanction et l’élimination de la violence contre la femme en
association avec la Cour IDH dans ces deux derniers cas166. C’est, par contre,
un Comité pour l’élimination de toutes les formes de discrimination contre les
personnes handicapées qui a été établi pour contrôler le respect de la Convention
interaméricaine éponyme167. Les organisations économiques américaines ont aussi
assisté, en leur sein, à la création de juridictions régionales. Par conséquent, la
Cour de la Communauté caraïbe, la Cour de la Communauté andine et la Cour du
Système d’intégration centraméricain pourraient avoir à se prononcer sur la
question du respect des droits fondamentaux, tout comme la CJUE a été amenée à
le faire au sein de l'ordre juridique communautaire168. De son côté, la Commission
africaine des droits de l’homme et des peuples (Commission ADHP) s’assure du
respect de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples en examinant
les rapports fournis par les Etats et les communications dont elle est saisie169.
Depuis 2004, le protocole à la Charte africaine portant création de la Cour africaine
des droits de l’homme est entré en vigueur mais l'installation de cette juridiction a
tardé. Elle n'a tenu sa première réunion qu’en juin 2006170 et n’a rendu son premier
et unique arrêt pour le moment qu’en décembre 2009171. Pour sa part, le Comité
sur les droits et le bien-être de l’enfant veille au respect de la Charte africaine des
droits de l’enfant172. Les Etats parties à cette Charte doivent lui soumettre des
rapports périodiques sur la mise en œuvre de leurs obligations et ce Comité peut
aussi recevoir des communications d’individus, de groupes ou d’organisations non
gouvernementales173. De plus, tout comme sur le continent américain, il existe
plusieurs juridictions au sein d’organisations régionales africaines à vocation
économique dont les compétences pourraient, à terme, entrer en concurrence avec
celles de la Commission et de la Cour africaines. Ainsi la Cour de l’Union
166
Article 17 de la Convention interaméricaine pour la prévention et la répression de la torture ;
article XIII de la Convention interaméricaine sur la disparition forcée des personnes ; articles 10-12
de la Convention interaméricaine sur la prévention, la sanction et l’élimination de la violence contre
la femme. Sur ces mécanismes : Scott DAVIDSON, The Inter-American Human Rights System,
Dartmouth, 1996, pp. 62-67.
167
Article VI de la Convention interaméricaine pour l’élimination de toutes les formes de
discrimination contre les personnes handicapées.
168
Sur cette éventualité : Laurence BURGORGUE-LARSEN, Le fait régional dans la
juridictionnalisation du droit international, in La juridictionnalisation du droit international, op. cit.,
p. 207. Il faut noter, cependant, que le Système d’intégration centraméricain prohibe tout
empiètement de la Cour instaurée en son sein sur les compétences de la Cour IDH.
169
Articles 47, 55 et 62 de la CADHP.
170
Sur les réticences et les difficultés soulevées par la création de cette cour : Christof HEYNS,
Le rôle de la future Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, in L'application nationale
de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, Jean-François Flauss et Élisabeth
Lambert-Abdelgawad (dir.), Bruylant, Bruxelles, 2004, pp. 236-238.
171
Cour ADHP, Michelot Yogogombaye c. Sénégal, arrêt, 15/12/2009.
172
Article 42 de la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant. Sur cette convention,
consulter : Mireille AFFA’A MINDZIE, La protection internationale des droits de l’enfant, Thèse,
Université de Strasbourg, 2001.
173
Articles 43 et 44 de la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant.

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INTRODUCTION

économique et monétaire ouest africaine, la Cour de la Communauté économique


des Etats de l’Afrique centrale, la Cour de la Communauté économique africaine,
la Cour de l’Union africaine, le Tribunal de la Communauté pour le
développement de l’Afrique orientale, la Cour de la Communauté d’Afrique de
l’est, la Cour de justice la CEDEAO174, la Cour du marché commun d’Afrique
orientale et du sud, la Cour de la Communauté économique et monétaire de
l’Afrique centrale175 et l’instance judiciaire de l’Union du Maghreb arabe
pourraient avoir à traiter et certaines ont déjà eu à traiter d’affaires nécessitant une
prise de position sur la question des droits de l’homme, comme ce fut le cas de la
Cour de justice de l’Union européenne176.
D'ailleurs, les juridictions des systèmes des marchés communs américain et
africain saisies de questions relatives aux droits de l'homme pourraient s'appuyer
sur la jurisprudence développée par la CJUE lorsqu'elle a été confrontée à ce
problème, puisqu'elles font régulièrement appel à la pratique de la Cour de
Luxembourg dans leurs arrêts177.
Quant à lui, le mécanisme de contrôle de la Charte arabe des droits de
l’homme repose sur un Comité arabe des droits de l'homme chargé d'examiner
les rapports étatiques178. Il existe aussi la Commission régionale arabe pour les
droits de l’homme au sein de la Ligue des Etats arabes mais cette commission ne
contrôle aucune convention relative aux droits de l’homme179.
L’absence de rationalisation dans la création des organes est renforcée par
le fait que la plupart ne sont créés que pour assurer le respect des normes insérées
dans un seul instrument, le « souci de la spécialisation » l’emportant sur celui de la

174
Notamment : Cour de justice de la CEDEAO, Dame Hadijatou Mani Koraou c. la République du
Niger, arrêt, 27/10/2008, §§ 42-43 (affaire d’« esclavage moderne ») et Cour de justice de la
CEDEAO, Hissène Habré c. République du Sénégal, arrêt, 18/11/2010 (concernant la non
rétroactivité des lois pénales et le principe de légalité des crimes et délits) : dans ces deux arrêts, la
Cour de justice a invoqué à l’appui de son raisonnement la jurisprudence de la Cour EDH. Pour un
commentaire de la 1ère affaire, consulter : Mélanie DUBUY, Chronique de jurisprudence
internationale, R.G.D.I.P., 2009, n°3, pp. 718-719.
175
Sur la montée en puissance des affaires relatives aux droits de l’homme devant les juridictions
économiques africaines : Solomon T EBOBRAH, Human rights developments in subregional courts
in Africa during 2008, African Human Rights Law Journal, vol. 9, n°1, pp. 312-335.
176
Sur les diverses difficultés rencontrées dans la mise en place de ces juridictions : Laurence
BURGORGUE-LARSEN, Le fait régional dans la juridictionnalisation du droit international, in
La juridictionnalisation du droit international, op. cit., p. 245. Concernant la CEDEAO, le traité de
Cotonou du 24/7/1993 a intégré une référence expresse à la protection des droits de l’homme dans le
respect de la Charte de Banjul dans le traité révisé de la CEDEAO. Par ailleurs, la Cour de la
CEDEAO et la Cour de justice de la Communauté des Etats d'Afrique de l'est, cherchent à permettre,
au-delà des Etats, leur saisine par les individus, ce qui peut augmenter les hypothèses d'affaires
soumises relatives aux droits de la personne : Dandi GNAMOU-PETAUTON, Les mécanismes
régionaux africains de protection des droits de l'homme, in Regards sur les droits de l'homme en
Afrique, Paul Tavernier (dir.), L'Harmattan, Paris, 2008, p. 257.
177
Laurence BURGORGUE-LARSEN, De l'internationalisation du dialogue des juges, in Le
dialogue des juges, Mélanges en l'honneur du président Bruno Genevois, Dalloz, Paris, 2009, p. 122.
178
Articles 45 à 48 de la Charte arabe des droits de l'homme entrée en vigueur le 15/1/2008.
179
Cette Commission a été créée le 3/9/1968 par la décision R 2442/48 du Conseil de la Ligue arabe.

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INTERACTIONS ENTRE LES NORMES INTERNATIONALES RELATIVES AUX DROITS DE LA PERSONNE

rationalisation180. Cependant, au sein de l'ONU, le Haut Commissariat pour les


droits de l'homme mène des consultations pour harmoniser les activités des
organes créés en vertu des instruments internationaux, de sorte qu'ils fonctionnent
en tant que système unifié181. L'actuelle coexistence des organes de contrôle des
divers instruments de protection des droits de la personne fait, en effet, naître
le risque de leur ignorance réciproque conduisant éventuellement à des différences
d'interprétation. Ces dernières compliqueraient alors la tâche des Etats dans la mise
en œuvre de décisions, au mieux divergentes, au pire contradictoires et porteraient
atteinte à la crédibilité et à l’autorité des mécanismes182.
De plus, les conventions relatives aux droits de la personne peuvent aussi
prévoir la possibilité de saisir la CIJ pour régler des différends quant à leur
application et à leur interprétation183. Ainsi la CIJ a été directement saisie de la
question de la violation de la Convention sur le génocide184, de la Convention pour
l’élimination de la discrimination raciale (CEDR)185 et de la Convention contre la
torture et autres peines ou traitements inhumains ou dégradants186. Elle a aussi
180
Pour une approche isolée selon laquelle ces divers comités n’apportaient rien que n’offrait déjà le
CDH : Syméon KARAGIANNIS, La multiplication des juridictions internationales : un système
anarchique ?, in La juridictionnalisation du droit international, op. cit., pp. 31-33.
181
Plan de gestion stratégique de la Haut-commissaire, 2006-2007, Haut-commissariat aux droits de
l'homme, ONU, 2006, p. 10.
182
Pierre-Henri IMBERT, Complementarity of Mecanisms within the Council of Europe –
Perspectives of the Directorate of Human Rights, H.R.L.J., 2000, p. 293. Sur les risques de
divergences jurisprudentielles : cf. infra, 2ème partie, Titre I, chapitre 1.
183
Article 8 de la Convention de 1926 sur l’esclavage, article 9 de la Convention de 1948 sur le
génocide, article 9 de la Convention de 1952 sur les droits politiques de la femme, article 22 de la
CEDR, article 29 de la CEDAW, article 30 de la Convention des Nations Unies contre la torture,
article 38 de la Convention de Genève sur les réfugiés, article IV du protocole de 1967 sur les
réfugiés. Mais ces articles ont parfois fait l’objet de nombreuses réserves : Jean DHOMMEAUX, De
l’universalité du droit international des droits de l’homme : du pactum ferendum au pactum latum,
A.F.D.I., 1989, p. 421 et Philippe BRETTON, L’URSS et la compétence de la Cour internationale de
justice en matière de protection des droits de l’homme, A.F.D.I., 1989, pp. 261-275.
184
Saisie par la Serbie Monténégro de la question de l’emploi de la force par les membres de l’OTAN au
Kosovo en vertu de la Convention contre le génocide, la CIJ a considéré, qu’en l’espèce, la Convention
contre le génocide n’étant pas entrée en vigueur avant son propre statut, elle ne pouvait pas en
connaître : CIJ, Licéité de l’emploi de la force, Serbie et Monténégro contre Belgique, Canada, France,
Allemagne, Italie, Pays-Bas, Portugal, Espagne, Etats-Unis et Royaume-Uni, arrêts du 15/12/2004.
Par ailleurs, la Cour a commencé en mars 2006 les auditions relatives à l’affaire concernant l’application
de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide opposant la Bosnie-
Herzégovine c. la Serbie Monténégro. Cependant, dans un arrêt du 26/2/2007 sur l'Application de la
Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, Bosnie-Herzégovine contre Serbie
et Monténégro, qui a fait l'objet d'un certain nombre de critiques, la Cour a eu à appliquer la Convention
pour la prévention et la répression du crime de génocide : Jean-Marc SOREL, Les multiples lectures
d'un arrêt : entre sentiment d'impunité et sentiment de cohérence, une décision à relativiser, R.G.D.I.P.,
2007, pp. 259-272 ; Philippe WECKEL, L'arrêt sur le génocide : le souffle de l'avis de 1951 n'a pas
transporté la Cour, R.G.D.I.P., 2007, pp. 305-329 ; Anne-Lise TEANI, Application de la Convention
pour la prévention et la répression du crime de génocide, vecteur d'unité ou de fragmentation du droit
international ?, Revue de science criminelle, 2007, pp. 765-778.
185
L’affaire Application de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination raciale, qui oppose la Géorgie à la Russie et qui fait suite à une requête déposée le
12/8/2008, est en cours d'examen.
186
Il s'agit de l'affaire Questions concernant l'obligation de poursuivre ou d'extrader qui oppose la
Belgique au Sénégal et qui est en cours d'examen suite à l'instance introduite le 19/2/2009 par la

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INTRODUCTION

récemment été confrontée, dans d’autres affaires, à plusieurs questions mettant en


jeu des droits la personne. Il s’agit, notamment, d’affaires concernant la protection
diplomatique187, l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé188,
la compétence universelle en matière de crime contre l'humanité et de torture189 ou
l'atteinte aux droits de l'homme en liaison avec un environnement sain190. La CIJ
peut reconnaitre une évolution en la matière, une ouverture du droit international
à la protection des droits de l’homme. Ainsi dans l’arrêt Ahmadou Sadio Diallo de
2007, la CIJ a affirmé qu’« en raison de l’évolution matérielle du droit
international, au cours de ces dernières décennies, dans le domaine des droits
reconnus aux personnes, le champ d’application ratione materiae de la protection
diplomatique, à l’origine limité aux violations alléguées du standard minimum de
traitement des étrangers, s’est étendu par la suite pour inclure notamment les
droits de l’homme internationalement garantis »191. Or, dans de telles hypothèses,
la CIJ risque d’entrer en contact, voire en conflit, avec les standards de protection
des droits de l’homme inclus dans les diverses conventions et surtout avec la
jurisprudence des organes internationaux de protection192.
Par ailleurs, ce phénomène de multiplication des organes de contrôle est
amplifié par la création des tribunaux pénaux internationaux. La première vague
de tribunaux pénaux internationaux ad hoc, constituée par les Tribunaux de
Nuremberg et de Tokyo, avait soulevé de nombreuses critiques193. Faisant suite à
l’instauration de deux nouveaux tribunaux ad hoc que sont le Tribunal pénal
pour l’ex-Yougoslavie (TPIY)194 situé à La Haye et le Tribunal pénal pour le
Rwanda (TPIR)195 situé à Arusha, la création de la Cour pénale internationale

Belgique. Une ordonnance refusant d’indiquer, dans cette affaire, des mesures conservatoires a été
rendue par la CIJ le 25/5/2009.
187
CIJ, LaGrand, arrêt, 27/6/2001, Rec. 2001 ; CIJ, Avena, arrêt 31/3/2004, Rec. 2004 ; CIJ,
Ahmadou Sadio Diallo, Guinée c. RDC, arrêt, 24/5/2007, Rec. 2007 et arrêt, 30/11/2010, Rec. 2010.
188
CIJ, Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis
consultatif, 9/7/2004, Rec. 2004.
189
CIJ, Certaines procédures pénales engagées en France, République du Congo c. France, saisine
du 9/12/2002. L’affaire a été rayée du rôle, le 17/11/2010, à la demande de la République du Congo.
190
CIJ, Différend relatif à l’épandage aérien par la Colombie d’herbicides toxiques en territoire
équatorien, requête introduite le 31/3/2008 par l'Equateur.
191
CIJ, Ahmadou Sadio Diallo, Guinée c. RDC, arrêt, 24/5/2007, Rec. 2007, § 39.
192
Pierre-Marie DUPUY, Les juridictions internationales face au procès équitable, Le point de vue de
la Cour internationale de justice, in Variations autour d’un droit commun, Premières rencontres de
l’UMR de droit comparé de Paris, Mireille Delmas-Marty, Horatia Muir Watt et Hélène Ruiz Fabri
(dir.), Société de législation comparée, Paris, 2001, p. 242.
193
Henri DONNEDIEU DE VABRES, Le procès de Nuremberg devant les principes modernes du
droit pénal international, R.C.A.D.I., 1947, tome 70, pp. 477-580 ; Jean-Paul BAZELAIRE et Thierry
CRETIN, La justice pénale internationale : son évolution, son avenir, de Nuremberg à La Haye,
P.U.F., 2000, p. 39.
194
Créé par la Résolution 808 du Conseil de sécurité du 22/2/1993. Sur les enjeux de l'instauration de
ce tribunal : Philippe WECKEL, L’institution d’un tribunal international pour la répression des
crimes de droit humanitaire en Yougoslavie, A.F.D.I., 1993, pp. 232-261 ; Karine LESCURE,
Le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, Cedin, Montchrestien, 1994, 203 p.
195
Créé par la Résolution 955 (1994) du Conseil de sécurité du 8/11/1994.

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INTERACTIONS ENTRE LES NORMES INTERNATIONALES RELATIVES AUX DROITS DE LA PERSONNE

(CPI) par le traité de Rome du 17/7/1998196, ouvre une nouvelle ère en la


matière. Il s’agit, en effet, de l’instauration d’une cour permanente, longtemps
attendue. En effet, les premières discussions sur la création d’une Cour pénale
permanente se sont tenues en 1947 au sein de la Commission du droit
international197 et la Convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide de 1948 envisage la création d’une « Cour criminelle internationale »
dans son article VII. De plus, des juridictions pénales internationalisées ont fait
leur apparition sur la scène nationale et internationale. C'est ainsi, notamment,
qu'un tribunal spécial pour le Sierra Leone a été créé, le 14/8/2000 par le Conseil
de sécurité, suivi par la mise en place, le 13/5/2003, d'une chambre extraordinaire
chargée de la poursuite des crimes commis par les Khmers rouges au
Cambodge198. Ces juridictions hybrides ont compétence pour juger, notamment,
des crimes contre l’humanité, des crimes de guerre et d'autres violations graves du
droit international humanitaire199. D'ailleurs, la pratique des juridictions pénales
internationalisées devrait se poursuivre car ces juridictions offrent une garantie et
une crédibilité internationales au traitement de crimes sans départir l'Etat de sa
compétence ainsi que le prouve la création du Tribunal spécial pour le Liban par
un accord du 6/2/2007 entre l'ONU et le gouvernement libanais200. Par conséquent,
ce renouveau du droit international pénal augmente les interactions de cette matière
avec le droit international de la personne, puisqu'il demande, sous le contrôle
d'organes internationaux, aux Etats de criminaliser les violations par des individus
du droit humanitaire et des droits de l’homme.
Au-delà des risques d'interactions jurisprudentielles liés à l'existence de ces
divers organes internationaux, la mise en œuvre simultanée de procédures
internationales de contrôle sur requête ou communication fait naître le risque
d’interférences procédurales entre elles. Or, la question des effets procéduraux de
la coexistence des procédures de contrôle se pose tant au sein des procédures

196
Convention portant statut de la CPI adoptée le 17/7/1998. Le statut de la CPI est entré en vigueur
le 1/7/2002 : Résolution 57/23 de l’AGONU sur la mise en place de la Cour pénale internationale,
19/11/2002.
197
Jean-François DOBELLE, La Convention de Rome portant statut de la Cour pénale internationale,
A.F.D.I., 1998, p. 356 ; Bernhard GRAEFRATH, Universal Criminal Jurisdiction and an
International Criminal Court, J.E.D.I., 1990, pp. 66-88.
198
Résolution 1315 du 14/8/2000 du Conseil de sécurité portant création du tribunal spécial pour le
Sierra Leone ; Résolution du 13/5/2003 du Conseil de sécurité approuvant une proposition d’accord
entre l’ONU et le Cambodge sur la poursuite des principaux responsables des crimes commis entre
1975 et 1979 : A/RES/57/228B. La chambre extraordinaire, composée en partie de juges
internationaux, est intégrée au système judiciaire cambodgien existant. Consulter : Ghislain
POISSONNIER, Les chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens : une nouvelle
forme de justice internationale, Journal du droit international, 2007, n°1, pp. 85-102 et, du même
auteur, La mise en place des chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens, Revue de
science criminelle et de droit pénal comparé, 2007, n°2, pp. 235-249.
199
Sur les questions soulevées par ces juridictions, consulter : Hervé ASCENSIO, Elisabeth
LAMBERT-ABDELGAWAD et Jean-Marc SOREL (dir.), Les juridictions pénales internationalisées
(Cambodge, Kosovo, Sierra Leone, Timor Leste), Société de législation comparée, Paris, 383 p., 2006.
200
Accord entré en vigueur le 10/6/2007 en vertu de la résolution 1757 du Conseil de sécurité.
Consulter : Aïda AZAR, Le Tribunal spécial pour le Liban : une expérience originale ?, R.G.D.I.P.,
2007, pp. 643-658.

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INTRODUCTION

universelles, régionales ou sub-régionales201, qu’entre ces procédures202, qu’elles


se rapportent aux organes créés par les traités ou qu’il s’agisse de mécanismes de
contrôle non conventionnels203. C’est ainsi que « l’affaire grecque », faisant suite
au coup d’Etat de 1967, a mobilisé tout à la fois la Sous-Commission de la lutte
contre la discrimination et la protection des minorités de l'ONU, la Commission
des droits de l’homme des Nations Unies, l’OIT, l’Assemblée consultative et le
Comité des ministres du Conseil de l’Europe, la Commission EDH et les
Communautés européennes204. De même, le « cas chilien » a été étudié par
l’OIT, le Comité des droits de l’homme de l'ONU, le groupe de travail de la
Commission des droits de l’homme et l’Organisation des Etats américains205.
Le cas de l’ancien président du Tchad, Hissène Habré, et des obligations
internationales du Sénégal sur le territoire duquel il se trouve ont déjà été soumis
au Comité contre la torture des droits des Nations Unies, à la Cour africaine des
droits de l’homme et des peuples, à la Cour de justice de la CEDEAO et à la
CIJ206. D’autres interférences procédurales entre organes de protection des droits
de l'homme et juridictions pénales internationales sont aussi envisageables,
notamment suite à la création de la Cour pénale internationale. Cependant, les
juridictions pénales internationales se prononcent sur la responsabilité
individuelle alors que les organes de contrôle des droits de l’homme et la CIJ

201
Jan DE MEYER, Le mécanisme international de contrôle, in Actes du colloque sur la Convention
européenne des droits de l’homme par rapport à d’autres instruments internationaux pour la protection
des droits de l’homme, Athènes, 21-22/9/1978, Conseil de l’Europe, Strasbourg, 1979, pp. 287-297.
202
Maxime TARDU, Quelques questions relatives à la coexistence des procédures universelles et
régionales de plainte individuelle dans le domaine des droits de l’homme, R.D.H., 1971, vol. IV, n°2-
3, pp. 589-625 ; Maxime TARDU, The protocol to the United Nations Covenant on civil and political
rights and the Inter-american system : a study of co-existing petition procedures, A.J.I.L., 1976, pp.
778-800. Pour des exemples de saisine successive de la Commission IDH puis du CDH : William A.
SCHABAS, Substantive and procedural hurdles to Canada’s ratification of the American Convention
on Human Rights, H.R.L.J., 1991, p. 412. Sur la question des éventuels chevauchements procéduraux
entre le Comité européen pour la prévention de la torture, la Cour EDH, le CICR et le rapporteur
spécial des Nations Unies contre la torture : Antonio CASSESE, Le contrôle international concernant
les personnes privées de leur liberté, in Droits des personnes privées de leur liberté, Egalité et non-
discrimination, Conseil de l’Europe, Engel, 1994, pp. 63-66. Pour des exemples concernant le
continent américain : Antônio Augusto CANCADO TRINDADE, El sistema interamericano de
proteccion de los Derechos Humanos (1948-1995) : evolucion, estado actual y perspectivas, in
Derechos Internacional y Derechos Humanos / Droit international et droits de l’homme, Daniel
Bardonnet et Antônio Augusto Cançado Trindade (ed.), Académie de droit international de La Haye/
Instituto Interamericano de Derechos Humanos, La Haye/San José, 1996, p. 77.
203
Agnès DORMENVAL, Procédures onusiennes de mise en œuvre des droits de l’homme : limites
ou défauts ?, P.U.F., Paris, 1991, p. 128.
204
Karel VASAK, Le droit international des droits de l’homme, R.C.A.D.I., 1974, tome 140, pp. 394-396.
205
Dinah SHELTON, Utilization of fact-finding missions to promote and protect Human Rights : the
Chile case, H.R.L.J., 1981, vol. 2, n°1-2, pp. 1-36 ; Jean DHOMMEAUX, De l’universalité du droit
international des droits de l’homme : du pactum ferendum au pactum latum, A.F.D.I., 1989, p. 419.
Pour des exemples similaires consulter : Maxime TARDU, The protocol to the United Nations
Covenant on civil and political rights and the Inter-american system : a study of co-existing petition
procedures, A.J.I.L., 1976, p. 787.
206
Comité des Nations Unies contre la torture, Suleymane Guengueng et autres c. Sénégal, décision,
19/5/2006 ; CIJ, Questions concernant l’obiligation de poursuivre ou d’extrader, ordonnance
25/5/2009 ; Cour ADHP, Michelot Yogogombaye c. Sénégal, arrêt, 15/12/2009 ; Cour de justice de la
CEDEAO, Hissène Habré c. République du Sénégal, arrêt, 18/11/2010.

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INTERACTIONS ENTRE LES NORMES INTERNATIONALES RELATIVES AUX DROITS DE LA PERSONNE

sont concernés par la responsabilité des Etats. C’est pourquoi le TPIY a refusé
d’accepter la demande d’un accusé tendant à ce que la procédure le concernant
devant le tribunal de La Haye soit suspendue en attendant que la CIJ se prononce
sur la requête déposée en 1993 par la Bosnie-Herzégovine contre la République
de Yougoslavie pour violation de la Convention contre le génocide207.
Cette profusion dans la mise en œuvre des mécanismes de contrôle peut avoir
un aspect positif en offrant à l’individu la liberté de choisir la procédure lui offrant
la protection la plus favorable, dans le cadre d'un « forum shopping »208, voire de
cumuler ces procédures209. De plus, les conclusions intervenant à des niveaux
différents peuvent se confirmer et donc se renforcer210. Cette coexistence multiplie,
par conséquent, la possibilité pour la victime d’être entendue internationalement et
d’obtenir une décision qui lui est favorable. Elle peut donc augmenter l’effectivité
de la protection internationale des droits de la personne. Ce cumul, favorable à
l’individu, peut poser divers problèmes aux Etats et aux organes de contrôle.
En effet, un organe international pourrait avoir à se prononcer sur la décision d’un
autre, entraînant ainsi une insécurité juridique pour des Etats condamnés par l'un
non par l’autre, voire condamnés pour la même affaire par deux organes différents.
Pour éviter l’instauration d’une sorte d’appel international et des solutions
conflictuelles adoptées pour la même affaire, il a été proposé, sans succès, que le
principe non bis in idem du droit national soit aussi applicable au plan international
en faveur des Etats211. Certaines dispositions d’instruments conventionnels ou
institutionnels prévoient le non-cumul des procédures en question. Tel est
notamment le cas des articles 35(2) alinéa b) de la CEDH, des articles 46(1) et
47 aliéna d) de la CADH, de l’article 4 du protocole facultatif à la CEDAW,
de l’article 22 de la Convention contre la torture de l'ONU, de l’article 77 de la
Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs
migrants. Les limitations insérées dans les articles de la CADH ont été apportées à
la Conférence de San José notamment suite aux exposés et aux mises en garde de
MM. Cassin et Robertson qui ont participé aux débats en tant qu’observateurs212.
En dépit de l'article 35(2) de la CEDH, la Grande chambre de la Cour EDH a
considéré, dans l’arrêt Folgero et autres c. Norvège du 29/6/2007, qu’elle pouvait
examiner une requête déposée devant elle en même temps que devant le CDH
portant sur le même objet puisque les requérants qui avaient portés l’affaire en

207
TPIY, C.I., Le procureur c. Kvocka et autres, Décision relative à la requête de la défense relative
à la concurrence de procédures portant sur les mêmes questions, devant le Tribunal pénal
international pour l’ex-Yougoslavie et la Cour internationale de justice, décision du 5/12/2000.
208
Maurice KAMTO, Les interactions des jurisprudences internationales et des jurisprudences
nationales, in La juridictionnalisation du droit international, op. cit., p. 415.
209
Antônio Augusto CANCADO TRINDADE, Co-existence and co-ordination of mechanisms of
International protection of Human Rights (at global and regional levels), R.C.A.D.I., 1987, tome 202, p. 114.
210
Christian TOMUSCHAT, Universal and regional protection of Human Rights : Complementary or
conflicting issues, in Strengthening the world order : universalism v. regionalism – risks and
opportunities of regionalization, R. Wolfrum, Duncker & Humbot, Berlin, 1990, p. 188.
211
Arthur H. ROBERTSON, The United Nations Covenant on civil and political rights and the
European Convention on Human Rights, B.Y.I.L., 1968-1969, p. 47.
212
Maxime TARDU, Quelques questions relatives à la coexistence des procédures universelles et
régionales de plainte individuelle dans le domaine des droits de l’homme, R.D.H., 1971, p. 617.

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INTRODUCTION

droit national dans le cadre d’un contentieux unique s’étaient scindés en deux
groupes, l’un portant l’affaire devant le Comité onusien, l’autre portant l’affaire
devant la Cour de Strasbourg. Cette approche de la Cour européenne, qui augmente
les risques d’approches divergentes des organes internationaux de contrôle, a été
critiquée par MM. les juges Zupancic et Borrego Borrego dans leur opinion
séparée sous cet arrêt. Au final, heureusement, la Cour arrive, en l’espèce, à une
conclusion identique à celle du CDH qui avait déjà statué le 3/11/2004 et
considéré, lui aussi qu’il pouvait examiner la communication nonobstant
l’exception de litispendance – il avait été saisi postérieurement à la Cour EDH –
et que le régime de dispense qui s’appliquait à l’enseignement obligatoire de
connaissance et d’éducation religieuse était contraire à l’article 18(4) du PIDCP.
Certaines conventions ne contiennent aucune clause sur la question du cumul de
procédures internationales, comme la CEDR, alors que d'autres contiennent des
dispositions écartant uniquement la litispendance. Tel est le cas, notamment de
l’article 5 du protocole facultatif au PIDCP ainsi que de la section III(2) alinéa a)
du règlement de la Commission des droits de l’homme de la CEI. Dans cette
hypothèse d’exclusion de la seule litispendance, l’organe de contrôle concerné
pourra donc connaître d’une affaire déjà soumise à un autre, une telle clause ayant
simplement pour effet de retarder son examen jusqu’à ce que ce dernier ait tranché
la question213. Pour éviter le cumul des procédures dans ces deux derniers cas –
en cas d'absence de dispositions réglant le sujet ou lorsque seule la litispendance
est exclue – les Etats peuvent formuler une réserve. Ainsi conformément aux
souhaits exprimés par le Conseil des ministres du Conseil de l’Europe, dans sa
Résolution (70)17 du 15/5/1970214, de nombreux Etats membres de cette
organisation, ont déposé une réserve au protocole facultatif au PIDCP. Cette
réserve précise que le CDH ne sera pas compétent pour examiner la
communication d’un particulier si la même question a déjà été examinée par une
autre instance internationale d’enquête ou de règlement. D'ailleurs, des Etats qui
ont ratifié le protocole facultatif du pacte avant de devenir parties à la CEDH, ont
aussi pu formuler de telles réserves à l’égard de la compétence du CDH,
de manière préventive215. De plus, des Etats non européens ont également émis une
telle réserve en suivant le modèle suggéré par le Comité des ministres du Conseil
de l’Europe216. Conformément à la position qu’il a adoptée dans son Observation
générale n°24 sur les questions touchant les réserves formulées au moment de la
ratification du Pacte ou des protocoles facultatifs y relatifs ou de l’adhésion à ces
instruments ou en rapport avec des déclarations formulées au titre de l’article 41
du Pacte du 2/11/1994, le CDH a donné effet à ces réserves, dans l’examen des

213
G. TENEKIDES, L’exception de litispendance devant les organismes internationaux, R.G.D.I.P.,
1929, pp. 502-527.
214
Annuaire de la CEDH, 1970, pp. 73-77.
215
Jean DHOMMEAUX, Les Etats parties à la Convention européenne des droits de l’homme et le
Comité de l’O.N.U. : de la cohabitation du système universel de protection des droits de l’homme
avec le système européen, in Liber Amicorum Marc-André Eissen, Bruylant-L.G.D.J., 1995, p. 122.
216
Syméon KARAGIANNIS, La multiplication des juridictions internationales : un système
anarchique ?, in La juridictionnalisation du droit international, op. cit., p. 129, note 444 : il s'agit de
l’Ouganda et du Sri-Lanka.

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INTERACTIONS ENTRE LES NORMES INTERNATIONALES RELATIVES AUX DROITS DE LA PERSONNE

communications soumises, lorsque le droit du pacte concerné est identique à celui


de l’autre instrument international217. Cependant, son approche de la notion
d’affaire « déjà examinée » lui permet de limiter l’impact de ces réserves. Ainsi
dans l’affaire Casanovas c. France, examinée le 19/7/1994, considérant que les
droits que proclame la CEDH « différaient sur le fond comme au regard des
procédures d’application, des droits proclamés par le Pacte », le CDH a décidé
qu’une affaire, déclarée irrecevable ratione materiae par la Commission EDH
« n’avait pas, au sens de la réserve, été « examinée » d’une façon qui excluait que
le Comité l’examine à son tour »218. De plus, le CDH a considéré que les
procédures engagées en vertu des résolutions 1235 et 1503 ne constituent pas des
procédures relatives au même objet ni d'autres procédures internationales de
règlement car elles concernent la situation des droits de l’homme dans un Etat et
non un cas particulier de violation219. De plus, certains Etats membres du Conseil
de l’Europe, notamment les Pays-Bas, la Belgique, le Portugal et Chypre, ont
estimé qu’il n’était pas opportun de formuler une telle réserve220. Le comité
onusien peut donc être saisi à leur égard de faits ayant déjà été examinés par la
Cour EDH. Ainsi les Pays-Bas, tout en admettant qu’il était peu souhaitable qu’une
même affaire puisse être soumise à deux instances différentes, ont estimé que « la
méthode de telles déclarations pourrait être suivie dans d’autres cadres régionaux,
portant ainsi atteinte au système mondial de protection des droits de l’homme »221.
Lors de l’examen par le CDH de l’affaire R. P. C. W. M. Brandsma c. Pays-Bas,
le 30/04/2003, les Pays-Bas rappellent qu'ils n'ont pas déposé de réserve excluant
la compétence du CDH après qu'une affaire ait été examinée par la Cour EDH car
ils estimaient que la multiplication de telles réserves compromettrait le système
universel de protection des droits de l’homme et ils appellent le CDH à conclure
dans le même sens que la Cour EDH qui a déjà eu à connaître de l'affaire. Le CDH
n’a pas eu à se prononcer sur cette question, estimant la communication
irrecevable, l’auteur de cette communication n’ayant pas étayé suffisamment ses
allégations de discrimination222. Le Conseil de l’Europe a, à nouveau, été confronté
à un problème identique de cumul possible de procédures internationales lors de

217
CDH, Observation générale n°24, § 14 ; CDH, Franz Wallmann c. Autriche, constatations,
29/04/2004, § 8.3 ; CDH, Gabriel Crippa c. France, constatations, 18/11/2005.
218
CDH, Casanovas c. France, constatations, 19/7/1994, § 5.1 ; même affirmation : CDH, Dietmar
Pauger c. Autriche, constatations, 25/3/1999, § 6.4.
219
Antônio Augusto CANCADO TRINDADE, Analysis of the legal implications for States that
intend to ratify both the European Convention on Human Rights and its protocols and the Convention
on Human Rights of the Commonwealth of Independent States (CIS), H.R.L.J., 1996, vol. 17, p. 171.
Pour des exemples : CDH, Zohra Madoui c. Algérie, décision, 28/10/2008 : à propos du Groupe de
travail sur les disparitions forcées ou involontaires ; CDH, Orly Marcellana et Daniel Gumanoy c.
Philippines, décision, 30/10/2008 : à propos d’une mission d'établissement des faits effectuée dans un
Etat par un rapporteur spécial.
220
Pour le compte rendu des débats qui se sont déroulés en Belgique sur le point de savoir si une telle
réserve devait être formulée et qui finalement ne l'a pas été, consulter : Silvio MARCUS-
HELMONS, La Belgique et le protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux
droits civils et politiques, R.T.D.H., 1996, n°25, pp. 67-78.
221
Marc BOSSUYT, Les instruments internationaux des droits de l’homme et leurs interférences,
Institut international des droits de l’homme, Strasbourg, 1982, p. 21.
222
CDH, R. P. C. W. M. Brandsma c. Pays-Bas, constatations, 30/04/2003, § 4.3.

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INTRODUCTION

l'adoption, en 1995, de la Convention des droits de l’homme de la CEI qui


n’exclut, elle aussi, que la litispendance223. L’Assemblée parlementaire du Conseil
de l’Europe, dans sa Résolution 1249(2001) sur la Coexistence de la Convention
des droits de l’homme et des libertés fondamentales de la Communauté d’Etats
indépendants et de la Convention européenne des droits de l’homme, du
23/5/2001, a alors conseillé aux Etats membres du Conseil de l’Europe ou
candidats à ce dernier de ne pas ratifier cette convention et aux Etats déjà membres
du Conseil de l’Europe et de la Convention de la CEI de préciser que le recours à la
procédure prévue par cette dernière convention n’affaiblirait pas la CEDH224. Cette
question a d'ailleurs conduit la Cour EDH à être saisie, pour la première fois de son
existence, d’une demande d’avis consultatif, avis que, dans sa Décision sur la
compétence de la Cour pour rendre un avis consultatif du 2/6/2004, la Cour n’a pas
donné pour cause d’incompétence, estimant qu’elle ne pouvait pas trancher par ce
biais la question de savoir si la Commission de la CEI pouvait être considérée
comme une autre instance puisqu'elle pourrait avoir à examiner cette question dans
sa fonction contentieuse225.
S'il a pu être proposé de créer un organe juridictionnel unique qui serait
compétent pour superviser plusieurs ou toutes les conventions de l'ONU relatives
aux droits de l’homme226 ou d'instaurer une Cour européenne contrôlant la mise
en œuvre de toutes les conventions européennes relatives aux droits de
l’homme227, ces suggestions n'ont pas été suivies228. Par conséquent, la
multiplication des juridictions et des organes internationaux dans ce domaine

223
Consulter : Serhiy HOLOVATY, La coexistence de la Convention des droits de l’homme et des
libertés fondamentales de la Communauté des Etats indépendants et la Convention européenne des
droits de l’homme, rapport, Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, Commission des
questions juridiques et des droits de l’homme, 3/5/2001, Doc. 9075.
224
Sur les opinions des Etats membres de la CEI à ce sujet, consulter : Andrew DRZEMCZEWSKI,
The legal implications for States ratifying both the ECHR and the Convention on Human Rights of
the Commonwealth of Independent States (C.I.S.), H.R.L.J., 1996, pp. 157-158.
225
La Cour EDH avait été saisie par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe, conformément
aux souhaits de l’Assemblée parlementaire.
226
Theodor MERON, Human Rights Law-making in the United Nations, A critique of Instruments
and process, Clarendon Press, Oxford, 1986, p. 212 ; Janos FODOR Future of monitoring bodies,
C.H.R.Y., 1991/92, p. 209 ; Klaus T. SAMSON, Human Rights Co-ordination within the UN System,
in The United Nations and Human Rights – A critical appraisal, op. cit., p. 659 ; consulter les
initiatives de la Haut-commissaire aux droits de l'homme, Mme ARBOUR, en ce sens : rapport
A/60/36 de 2005.
227
Pieter VAN DIJK, General Course on Human Rights, The Law of Human Rights in Europe,
Instruments and Procedures for a Uniform Implementation, Recueil de cours de l’Académie de droit
européen, 1997, vol. VI, p. 106.
228
De même, la solution inverse, la création envisagée de cours régionales des droits de l’homme au
niveau européen pour désengorger la Cour EDH n’a heureusement pas rencontré d’écho positif au
sein du Conseil de l’Europe. Le groupe d’évaluation chargé par le Comité des ministres du Conseil
de l’Europe de réfléchir sur la réforme de la Cour EDH a émis un avis négatif sur cette hypothèse en
raison du risque de divergence jurisprudentielle qu'elle faisait courir : Michel DE SALVIA, Rapport
introductif, La protection judiciaire européenne des droits de l’homme entre réforme et refondation,
in La réforme de la Cour européenne des droits de l’homme, Gérard Cohen-Jonathan et Christophe
Pettiti (ed.), Bruylant-Nemesis, Bruxelles, 2003, p. 31.

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INTERACTIONS ENTRE LES NORMES INTERNATIONALES RELATIVES AUX DROITS DE LA PERSONNE

continue d’alimenter les réflexions et les craintes de la doctrine et des membres


de ces juridictions et justifie la présente recherche.

2. L'ÉTENDUE DE LA RECHERCHE

La multiplication des normes dans le domaine des droits de la personne,


le morcellement de leurs sources, les diverses organisations au sein desquelles
elles sont consacrées229 et leur fragmentation géographique230, laissent craindre
un risque de fractionnement du droit international de la personne. Ainsi dans son
discours prononcé devant la Sixième Commission de l'AGONU, le 27/10/2000,
intitulé « Multiplication des instances judiciaires internationales : perspectives
pour l'ordre juridique international », Son excellence M. Gilbert Guillaume,
Président de la CIJ, dresse le bilan de la multiplication des instances judiciaires
internationales et met en garde contre le risque que soient oubliées « les
perspectives d'ensemble ». En parallèle, la question se pose aussi pour le droit
international en général et a conduit à la constitution d'un groupe d'étude sur la
fragmentation du droit international, c'est-à-dire sur les difficultés découlant de
la diversification et de l'expansion du droit international231. De plus, la pluralité
des juridictions internationales et des organes internationaux de contrôle pouvant
intervenir232 et le fait que l’interprétation de droits libellés de façon identique
peut éventuellement être différente si elle est le fait de plusieurs organes
internationaux233, augmentent ce risque.
Ces éléments justifient la présente étude qui s’intéresse aux interactions se
produisant entre les normes internationales relatives aux droits de l’homme,
au droit humanitaire et au droit des réfugiés : points de contact, convergences,
divergences et synergies qui se développent entre ces normes au sein de chacune
de ces branches et entre elles. Ce phénomène d'enchevêtrement des espaces
normatifs sera étudié tant au niveau de la consécration des normes – entendue au
sens de l'adoption d'un traité international ou de l'émergence d'une norme de
droit international général – que de leur interprétation internationale par les
juridictions et organes internationaux de contrôle.
Différents termes peuvent être utilisés pour englober ce phénomène
d’interdépendances et d'interpénétrations normatives au plan international ou
229
La création de multiples structures est parfois analysée comme un échec des Etats ne parvenant
pas à réaliser leurs objectifs dans le cadre préexistant : Gérard CAHIN, La coutume internationale et
les organisations internationales, Pedone, Paris, 2001, 782 p.
230
Mireille DELMAS-MARTY, La mondialisation du droit : chances et risques, Recueil Dalloz,
Chronique, 1999, 5ème cahier, p. 45.
231
Annuaire de la CDI, 2006, tome II.
232
Pour une approche selon laquelle la pluralité des juridictions internationales fait partie de la nature même
de la société internationale : Syméon KARAGIANNIS, La multiplication des juridictions internationales :
un système anarchique ?, in La juridictionnalisation du droit international, op. cit., p. 155.
233
Conseil de l’Europe, Problèmes découlant de la coexistence des Pactes des Nations Unies relatifs
aux droits de l’homme et de la Convention européenne des droits de l’homme, Différences quant aux
droits garantis, Rapport du Comité d’experts en matière de droits de l’homme au Comité des
Ministres, H (70) 7, Strasbourg, septembre 1970, § 15.

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INTRODUCTION

mettre l'accent sur certaines de ses expressions234. Ainsi il est notamment


possible d'évoquer, les termes et expressions plus ou moins synonymes
d'influence croisée235, d’interprétation croisée236, d’interprétation comparative237,
d’intertextualité238, de perméabilité239, de renvoi jurisprudentiel ou écrit240,
de combinaison normative241, de dialogue des juges242, de référence croisée243,
de référencement externe244, de cosmopolitisme normatif245, de méthode
comparative246 ou de droit international comparé247. La notion d’harmonisation

234
L'interdépendance est une composante majeure et incontournable du droit international :
C. Wilfred JENKS, Interdependence as the basic concept of contemporary International Law, in
Mélanges offerts à Henri Rolin, Problèmes de droit des gens, Pedone, Paris, 1964, pp. 147-156.
235
Guy CANIVET, Juridictions nationales et internationales, Eloge de la « bénévolance » des juges,
Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, 2005, p. 800.
236
Antônio Augusto CANCADO TRINDADE, Co-existence and co-ordination of mechanisms of
International protection of Human Rights (at global and regional levels), R.C.A.D.I., 1987, tome 202,
p. 103 : « interpretative interaction » ; Jean-François FLAUSS, La protection des droits de l’homme
et les sources du droit international, in La protection des droits de l’homme et l’évolution du droit
international, Colloque de Strasbourg de la S.F.D.I., Pedone, Paris, 1998, p. 21.
237
Franz MATSCHER, Quarante ans d’activités de la Cour européenne des droits de l’homme,
R.C.A.D.I., 1997, tome 270, p. 289.
238
Patrick WACHSMANN, Les méthodes d’interprétation des conventions internationales relatives à
la protection des droits de l’homme, in La protection des droits de l’homme et l’évolution du droit
international, op. cit., p. 168.
239
Philip ALSTON, Rapport intérimaire sur l’étude des moyens d’améliorer l’efficacité à long terme
du régime conventionnel mis en place par les Nations Unies dans le domaine des droits de l’homme,
A/CONF.157/PC/62/Add.11/Rev.1, 22/4/1993, p. 81.
240
Pierre NUSS, Le renvoi en droit international des droits de l’homme, Thèse, Université de
Strasbourg, 1996, pp. 433 et 215.
241
Joannis Konstantinos PANOUSSIS, La combinaison normative : recherches sur une méthode
d'interprétation au service des droits de l'homme, op. cit., pp. 11-12.
242
Cette expression pouvant s'appliquer au dialogue s'instaurant tant entre les juridictions
internationales, qu'entre les juridictions internationales et nationales, qu'au sein de ses dernières.
Consulter notamment : François LICHERE, Laurence POTIVIN-SOLIS, Arnaud RAYNOUARD
(dir.), Le dialogue entre les juges européens et nationaux : incantation ou réalité ?, Bruylant,
Nemesis, Bruxelles, 2004, 242 p. ; Paul MARTENS, Ludovic HENNEBEL, Julie ALLARD, Mireille
DELMAS-MARTY (dir.), Le dialogue des juges, Bruylant, Bruxelles, 2007, 166 p. ; Jean DU BOIS
DE GAUDUSSON, La complexité de la participation des Cours suprêmes des pays en voie de
développement au dialogue des juges, L.P.A., 2008, n°112, pp. 22-25 ; Elisabeth ZOLLER,
Le dialogue des juges de la Cour européenne des droits de l'homme et de la Cour suprême des Etats-
Unis sur les droits fondamentaux, L.P.A., 2008, n°112, pp. 26-34.
243
Ludovic HENNEBEL, Les références croisées entre les juridictions internationales des droits de
l'homme, in Le dialogue des juges, op. cit., p. 31.
244
Ludovic HENNEBEL, La Cour interaméricaine des droits de l’homme : entre particularisme et
universalisme, in Le particularisme interaméricain, Ludovic Hennebel et Hélène Tigroudja (dir.),
Pedone, Paris, 2009, p. 114.
245
Laurence BURGORGUE-LARSEN, Les cours européenne et interaméricaine des droits de
l’homme et le « système onusien », in Les droits fondamentaux : charnières entre ordres et systèmes
juridiques, Edouard Dubout et Sébastien Touzé (dir.), Pedone, Paris, 2010, p. 93.
246
Elias KASTANAS, Unité et diversité : notions autonomes et marge d’appréciation des Etats dans
la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, Bruylant, Bruxelles, 1996, p. 186.
247
Jean-François FLAUSS, Les interactions normatives entre les instruments européens relatifs à la
protection des droits sociaux, in Droits sociaux et droit européen, Bilan et prospective de la
protection normative, Jean-François Flauss (dir.), Bruylant, Bruxelles, 2002, p. 90 et du même
auteur, Du droit international comparé des droits de l’homme dans la jurisprudence de la Cour

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INTERACTIONS ENTRE LES NORMES INTERNATIONALES RELATIVES AUX DROITS DE LA PERSONNE

par voie jurisprudentielle248 se rapproche des expressions précédentes mais elle


prend déjà parti sur le résultat espéré mais purement potentiel des interactions.
En effet, rien ne permet de prévoir que la prise en compte, par un organe
international de contrôle de normes externes se traduise par la consécration d’un
corpus harmonisé par voie jurisprudentielle249. A l'inverse, les expressions
« interprétation croisée » et « méthode comparative » présentent l’avantage de ne
pas anticiper le résultat découlant de la mise en œuvre de ces techniques
d’interprétation, puisqu'elles reposent sur la comparaison, la confrontation,
le recoupement de normes ou de jurisprudences250 sans tirer leur existence et leur
validité de la conclusion à laquelle elles peuvent conduire. En effet, nul besoin
d'arriver à la création, par le biais de ces techniques, d'un nouvel ensemble
normatif, pour considérer qu'elles ont bien été mises en œuvre251. Quant à
l'expression « fécondation croisée », elle concerne un résultat possible de
l'interprétation croisée ou de la méthode comparative, à savoir l'enrichissement
réciproque des corpus concernés. Les expressions « fécondation croisée » et
« méthode comparative » peuvent être utilisées pour décrire le phénomène des
interactions prenant place tant au niveau de la consécration internationale des
normes qu'à celui de leur interprétation internationale, au contraire de celle
d'interprétation croisée qui ne concerne que ce dernier phénomène.
La présente étude ne concerne pas les relations s'établissant entre les normes
insérées dans un même instrument international de protection, c'est-à-dire les
combinaisons intra-conventionnelles252. Ainsi il ne sera pas directement question
de la difficulté de concilier un droit particulier avec un autre droit, lorsqu'il sont
tous deux garantis dans la même convention, comme c'est le cas notamment de la
liberté d’expression et de la liberté de religion253, de la liberté d’expression et de la
protection contre le racisme254 ou des droits de la femme enceinte et de ceux de
l’enfant à naître255. Par conséquent, la confrontation des droits ne sera abordée que

européenne des droits de l’homme, in Le rôle du droit comparé dans l’avènement du droit européen,
Publications de l’Institut suisse de droit comparé, Schulthess, Zurich, 2002, pp. 159-182.
248
Gérard COHEN-JONATHAN, Les rapports entre la Convention européenne des droits de
l’homme et le Pacte des Nations Unies sur les droits civils et politiques, in Régionalisme et
universalisme dans le droit international contemporain, colloque de Bordeaux de la S.F.D.I., Pedone,
Paris, 1977, p. 324.
249
Sur ce point : cf. infra, 2ème partie.
250
Léontin-Jean CONSTANTINESCO, Traité de droit comparé, Tome II, La méthode comparative,
L.G.D.J., Paris, 1974, p. 10 et s.
251
A l'inverse, sur l'exigence de la réalisation d'un emprunt créateur d'un nouvel agencement normatif
pour pouvoir utiliser les termes de combinaison normative : Joannis Konstantinos PANOUSSIS,
La combinaison normative, op. cit., pp. 11-12.
252
Pour une étude du mécanisme de la combinaison intra-conventionnelle : Joannis Konstantinos
PANOUSSIS, La combinaison normative, op. cit., pp. 71-80 et 264-411.
253
Patrick WACHSMANN, La religion contre la liberté d’expression : sur un arrêt regrettable de la
Cour européenne des droits de l’homme, l’arrêt Otto-Preminger-Institut du 20 septembre 1994,
R.U.D.H., 1994, pp. 441-449.
254
Régis DE GOUTTES, A propos du conflit entre la liberté d’expression et le droit à la protection
contre le racisme, in Mélanges en hommage à Louis - Edmond Pettiti, Bruylant, Bruxelles, 1998,
pp. 251-265.
255
Wolfgang PEUKERT, Human Rights, in International law and the protection of unborn Human
beings, Mélanges en l’honneur de Gérard J. Wiarda, Franz Matscher et Hebert Petzold (ed.), Carl

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INTRODUCTION

lorsqu’elle concerne des normes provenant d'instruments internationaux


différents256. Pour les mêmes raisons, la conciliation d’un droit issu d’un
instrument conventionnel avec un droit consacré par son protocole additionnel ou
leur interprétation concertée ne relèvera pas de la présente recherche257.
De plus, cette dernière se limitera au plan normatif, puisque choix il faut
faire. Ainsi certains aspects des relations entre les trois branches du droit
international de la personne ne seront pas développés car ils concernent le plan
opérationnel et non normatif. Les liens entre le droit humanitaire, le droit des
réfugiés et les droits de l’homme peuvent, en effet, être très ambigus et
paradoxaux sur un plan opérationnel puisque des mesures internationales
décidées en raison de violation des droits de la personne pourraient elles-mêmes
porter atteinte à ces derniers, directement ou indirectement. Ainsi les sanctions
économiques imposées par les Nations Unies ou certains Etats à Haïti ou Cuba,
justifiées par la violation des droits de l’homme par l’Etat objet de l'embargo,
pourraient être, en partie au moins, à l’origine de l’exode massif des habitants
des Etats concernés par la mesure258 ou entraîner la violation de leurs droits de la
personne par les conditions de vie qu'elles engendrent259. Pour écarter ce risque,
la solution consiste à adopter des « sanctions intelligentes », ciblées, limitant
l’impact humanitaire sur la population260. C’est ainsi que la résolution 661
adoptée par le Conseil de sécurité de l’ONU le 6/8/1990 prévoyait que l’embargo
contre l’Irak ne s’appliquait pas aux « fournitures à usage strictement médical et,
dans les cas où des considérations d’ordre humanitaire le justifient » aux

Heymanns Verlag KG, 1988, pp. 511-519 ; Mary Ann GLENDON, The tension between individual
liberty and family protection in the U.N. Universal Declaration of Human Rights, in Liber Amicorum
Marie-Thérèse Meulders-Klein, Droit comparé des personnes et de la famille, Bruylant, Bruxelles,
1998, pp. 283-296. Pour d’autres exemples de combinaison intra-conventionnelle, consulter : Theodor
MERON, Norm making and supervision in International Human Rights : reflections on institutional
order, A.J.I.L., 1982, n°76, p. 756 et Peggy DUCOULOMBIER, Les conflits de droits fondamentaux
devant la Cour européenne des droits de l’homme, Bruylant, Bruxelles, 2011, 746 p.
256
Cf. infra, les développements concernant l’arrêt de la Cour EDH, Jersild c. Danemark, arrêt
23/9/1994, A-298 à propos de la liberté d'expression et du discours raciste en lien avec la CEDH et la
CEDR.
257
Pour un aperçu de cette problématique, consulter : Cour EDH, Ekbatani c. Suède, arrêt, 26/5/1988,
A-134, § 26 : la Cour EDH s’appuie sur l’ancien article 60 de la CEDH pour souligner que
l’existence de l’article 2 du protocole 7 à la CEDH ne peut pas avoir limité les droits découlant de
l’article 6 de la CEDH et notamment le droit à des débats contradictoires dans le cadre d’une
procédure d’appel ; Commission EDH, Bruno Gestra c. Italie, décision, 16/1/1995, DR 80, p. 89 :
l’interprétation de la CEDH éclairée notamment par d’autres instruments juridiques internationaux ne
peut pas venir consacrer un droit expressément écarté du protocole 7 à la CEDH, il s’agissait de
l’application du principe ne bis in idem entre jugements de différents Etats.
258
Vera GOWLLAND-DEBBAS, La responsabilité internationale de l’Etat d’origine pour des flux
de réfugiés, in Droit d’asile et des réfugiés, op. cit., p. 130.
259
Sur ce point, consulter : Paul TAVERNIER, Sanctions économiques et droits de l’homme, in
Nouvel ordre mondial des droits de l’homme, La guerre du Golfe, Paul Tavernier (dir.), Publisud,
Paris, 1993, pp. 18-44 ; Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Observation générale
n° 8 concernant la relation entre les sanctions économiques et le respect des droits économiques,
sociaux et culturels, 12/12/1997 ; Anna SEGALL, Sanctions économiques : contraintes juridiques et
politiques, R.I.C.R., 1999, n° 836, pp. 763-784.
260
Mohamed BENNOUNA, Les sanctions économiques des Nations Unies, R.C.A.D.I., 2002, tome
300, p. 60.

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INTERACTIONS ENTRE LES NORMES INTERNATIONALES RELATIVES AUX DROITS DE LA PERSONNE

denrées alimentaires. Par ailleurs, la mise en œuvre de sanctions économiques


décidées par une organisation en lien avec les droits de la personne peut aussi
soulever des difficultés d'application dans le cadre d'une autre. C'est ainsi que la
conformité des résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU avec les droits
fondamentaux protégés au sein de l'ordre juridique de l’Union européenne a été
soulevée devant les juridictions de l’Union et que les règlements européens
adoptés par l'Union européenne pour mettre en œuvre les résolutions du Conseil
de sécurité concernant la lutte contre le terrorisme ont été contestés devant les
juridictions communautaires. Ces questions ont donné lieu à des échanges vifs
entre le Tribunal et la Cour de justice de l’Union européenne. Ainsi le Tribunal a
considéré que c’est uniquement si des normes de jus cogens sont violées, que les
résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU sont inopposables aux membres de
l'ONU et de l'UE261 alors que, dans son arrêt Kadi et Al Barakaat International
Foundation c. Conseil et Commission, du 3/9/2008, la CJUE a affirmé que « le
contrôle, par la Cour, de la validité de tout acte communautaire au regard des
droits fondamentaux doit être considéré comme l'expression, dans une
communauté de droit, d'une garantie constitutionnelle découlant du traité CE en
tant que système juridique autonome à laquelle un accord international ne
saurait porter atteinte », le contrôle ne se limitant donc pas aux normes de
jus cogens262. Ayant eu à nouveau à se prononcer sur ces points, dans son arrêt
Kadi du 30/9/2010, le Tribunal a commencé par affirmer qu’il n’est pas lié, dans
le cadre de la présente instance, par les points de droit tranché par l’arrêt Kadi de
la CJUE pour poursuivre néanmoins qu’il lui incombe d’assurer en l’espèce,
un contrôle, « en principe complet », de la légalité du règlement attaqué au
regard des droits fondamentaux, sans faire bénéficier ledit règlement d’une
quelconque immunité juridictionnelle au motif qu’il vise à mettre en œuvre des
résolutions adoptées par le Conseil de sécurité au titre du chapitre VII de la
charte des Nations unies263. Il décide que le règlement (CE) n° 1190/2008 de la
Commission modifiant le règlement (CE) n° 881/2002 du Conseil « instituant
certaines mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et

261
TPICE, Yassin Abdullah Kadi c. Conseil, aff. T-315/01, arrêt, 21/9/2005 et TPICE, Ahmed Ali
Yusuf et Al Barakaat International Foundation c. Conseil et Commission, aff. T-306/01, arrêt,
21/9/2005. Pour une critique de ces arrêts : Denys SIMON et Flavien MARIATTE, Le Tribunal de
première instance des Communautés : Professeur de droit international ?, Revue Europe, décembre
2005, pp. 6-10 et Svetlana ZASOVA, La lutte contre le terrorisme à l'épreuve de la jurisprudence du
tribunal de première instance de la Communauté européenne, R.T.D.H., 2008, p. 483.
262
CJCE, Kadi et Al Barakaat International Foundation c. Conseil et Commission, aff. jointes C-
402/05 P et C-415/05P, arrêt, 3/9/2008, point 316. Consulter : Jean Paul JACQUE, Primauté du droit
international et protection des droits fondamentaux, A propos de l'arrêt Kadi de la Cour de justice des
Communautés européennes, L'Europe des libertés, 2008, n°27, pp. 11-13. Consulter aussi : TPICE,
Aydi c. Conseil, arrêt 12/7/2006, aff. T-253/02 ; TPICE, Hassan c. Conseil et Commission, arrêt
12/7/2006, aff. T-49/04 ; TPICE, OMPI c. Conseil, arrêt 12/12/2006, aff. T-228/02 ; TPICE, Sison c.
Conseil, aff. T-47/03, arrêt, 11/7/2007 ; TPICE, Stichting Al-Aqsa c. Conseil, aff. T-327/03, arrêt,
11/7/2007 ; CJCE, Möllendorf, arrêt 11/10/2007, aff. C-117/06, Rec. p. I-8361 ; TPICE, OMPI, c.
Conseil, aff. T-256/07, arrêt, 23/10/2008 et OMPI c. Conseil, aff. T-284/08, arrêt, 4/12/2008.
Consulter : Alvaro BORGHI, La législation de l'Union européenne en matière de sanctions
internationales et sa compatibilité avec les droits fondamentaux, R.T.D.H., 2008, pp. 1095-1124.
263
Tribunal, Kadi c. Commission européenne, aff. T-85/09, arrêt, 30/9/2010, points 112-126.

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INTRODUCTION

entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaïda et aux Talibans, est
annulé, pour autant qu’il concerne M. Yassin Abdullah Kadi » pour violation des
droits de la défense, du principe de protection juridictionnelle effective et du
principe de proportionnalité. Des dérogations sont prévues par le Conseil de
sécurité des Nations Unies aux mesures coercitives individuelles prises pour
lutter contre le terrorisme afin de permettre à ces individus de faire face aux
dépenses courantes et de se soigner, y compris dans un pays autre que celui de
résidence264. Ces sanctions intelligentes édictées par le Comité des sanctions du
Conseil de sécurité ont aussi été soumises au Comité des droits de l’homme de
l’ONU. L’examen de la communication dirigée contre la Belgique a conduit le
Comité à conclure que les sanctions étaient, en l’espèce, contraires au PIDCP,
alimentant alors la question de la licéité des sanctions décidées par le Conseil de
sécurité265.
Les hypothèses dans lesquelles une action en faveur des droits de la personne
pourrait, sur un plan opérationnel, venir violer ces mêmes droits, sont
nombreuses. Ainsi des projets en faveur du développement financés par des
organisations internationales pourraient entraîner une violation des droits de la
personne par les modifications qu'ils entraînent sur le terrain266. De plus, les
forces des Nations Unies pourraient violer le droit humanitaire alors qu’elles
tentent de maintenir ou de rétablir la paix267 tout comme les actions militaires
engagées par les Etats sous couvert de l'ONU pourraient porter atteinte aux droits
de l'homme des populations concernées268. De même, la multiplication des
organisations internationales pose la question de la coordination de leurs actions
sur place et de la concordance des messages qu’elles véhiculent notamment aux

264
Irène COUZIGOU, La lutte du Conseil de sécurité contre le terrorisme international et les droits
de l'homme, R.G.D.I.P., 2008, pp. 57-59.
265
Jean-François FLAUSS, Les « listes noires » de l’O.N.U. devant le Comité des droits de l’homme,
Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Sayadi et Vinck c. Belgique, 22 octobre 2008,
R.T.D.H., 2010, n°82, p. 373.
266
En Ouganda, par exemple, des atteintes aux droits de l’homme à une échelle massive ont été
commises au cours d'expulsions réalisées sous la contrainte de la forêt de Kibale intervenues dans le
cadre d’un projet financé par la Communauté européenne en faveur du développement. La
Commission européenne a rejeté la responsabilité de ces expulsions mais des critiques ont assimilé le
projet lui-même à une politique d’expulsion : Bruno SIMMA, Jo Beatrix ASCHENBRENNER et
Constanze SCHULTEYE, Observations relatives aux droits de l’homme en ce qui concerne les
activités de coopération au développement de la Communauté européenne, in L’Union européenne et
les droits de l’homme, Philip Alston (dir.), Bruylant, Bruxelles, 2001, p. 641.
267
Face à ce danger, le Secrétaire général des Nations Unies a publié une circulaire, le 6/8/1999,
relative au respect du droit international humanitaire par les forces des Nations Unies : UN doc.
ST/SGB/1999/13 ; Anne RYNIKER, Respect du droit international humanitaire par les forces des
Nations Unies, R.I.C.R., 1999, n° 836, pp. 795-805.
268
La Cour EDH saisie en 2007 de la question a considéré, qu'en l'espèce, les actes des Etats qui ont
causé des dommages aux requérants étaient attribuables à l'ONU et qu'elle était incompétente ratione
materiae à leur sujet : Philippe LAGRANGE, Responsabilité des Etats pour actes accomplis en
application du chapitre VII de la Charte des Nations Unies, Observations à propos de la décision de
la Cour européenne des droits de l'homme (Grande chambre) sur la recevabilité des requêtes Behrami
et Behrami c. France et Saramati c. Allemagne, France et Norvège, 31 mai 2007, R.G.D.I.P., 2008,
pp. 85-110.

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INTERACTIONS ENTRE LES NORMES INTERNATIONALES RELATIVES AUX DROITS DE LA PERSONNE

Etats en transition démocratique269. Tous ces points de rencontre et


d'achoppement entre les trois branches du droit international de la personne sur
le plan opérationnel ne seront pas développés par cette recherche qui ne concerne
que les aspects normatifs des relations entre les trois branches.
Puisque l'approche est centrée sur la consécration et l'interprétation des
normes, la question des interactions entre les normes internationales relatives aux
droits de la personne en lien avec la conditionnalité politique ne sera pas
développée. Le terme de conditionnalité politique recouvre le fait que
l’attribution à un Etat d’un certain statut, de certains droits ou la conclusion de
certains accords par des organisations internationales est soumise au respect
d’exigences politiques, notamment le respect des droits de l'homme. Lorsque ces
exigences visent le respect de normes internationales de protection adoptées dans
des organisations internationales autres que l'organisation recourant à la
conditionnalité politique, il s'agit alors d'une expression des interactions qui se
produisent entre ces normes. Or, l'adhésion des Etats ainsi que la suspension et
l'exclusion des Etats de certaines organisations internationales sont liées au
respect d'un certain nombre de normes internationales relatives aux droits de la
personne adoptées au sein d'une autre organisation internationale. Ainsi
le Conseil de l'Europe réserve le statut d'invité spécial aux Etats ayant accepté
les instruments de l'OSCE relatifs aux droits de l'homme et ayant ratifié
le PIDESC270. De même l'UE fait de la ratification par un Etat candidat d'un
certain nombre de conventions du Conseil de l'Europe une condition préalable
à l'adhésion – il s'agit, notamment, de la CEDH, de la CSE et de la Convention –
cadre du Conseil de l’Europe pour la protection des minorités nationales271 –
et de conventions relatives aux réfugiés – il s’agit de la Convention de 1951 sur
les réfugiés et de son protocole de 1967272. Par ailleurs, la conditionnalité
politique, s'appuyant sur des normes externes à l’organisation concernée peut
aussi intervenir lors de la reconnaissance internationale d'un Etat. Ainsi les
ministres des affaires étrangères de la Communauté européenne ont précisé,
en 1991, que parmi les conditions dont dépend la reconnaissance des nouveaux
Etats d'Europe orientale figure le respect des dispositions de la Charte des
Nations Unies et des engagements souscrits dans l’Acte final d’Helsinki et dans
la Charte de Paris de la Conférence pour la sécurité et la coopération
en Europe273. De plus, la violation de normes internationales relatives aux droits
269
Sur les dangers liés à la diversité des « offres pédagogiques » des organisations européennes
formulées à l’attention des Etats en pleine construction démocratique : Christos L. ROZAKIS,
Multiple institutional Protection in the New European Landscape, Zeitschrift für Europarechtliche
Studien, 1998, p. 491.
270
Article 59(1) du règlement de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.
271
Commission des Communautés européennes, Vers l’Union élargie : document de stratégie et
rapport de la Commission européenne sur les progrès réalisés par chacun des pays candidats sur la
voie de l’adhésion, Bruxelles, 9/10/2002, COM(2002) 700 final, p. 8.
272
Gregor NOLL et Jens VEDSTED-HANSEN, Non communautaires : politiques relatives aux
réfugiés et à l’asile, in L’Union européenne et les droits de l’homme, Philip Alston (dir.), Bruylant,
Bruxelles, 2001, p. 389.
273
Déclaration sur les lignes directrices du 16/12/1991, R.G.D.I.P., 1992, pp. 261-262 ; consulter
aussi la Déclaration sur la Yougoslavie adoptée à la même date, R.G.D.I.P., 1992, pp. 263-264.

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INTRODUCTION

de l'homme relevant d'autres organisations internationales pourrait aussi être


prise en compte par le Conseil de l'Union européenne pour suspendre un Etat
membre de certains de ses droits274. L'ONU et l'OEA n'ont, par contre, pas suivi
cette voie de la conditionnalité politique, lors de l’adhésion ou de la suspension
des Etats membres et ne visent a fortiori donc pas des normes externes dans ce
cadre. Au-delà des hypothèses précédentes, la conditionnalité politique peut
aussi concerner l’attribution par une organisation de certains avantages
économiques à des Etats tiers ou parties et, dans ce cadre aussi, des normes
externes à l’organisation peuvent jouer un rôle décisif. Ainsi l'Union européenne
peut accorder des préférences supplémentaires dans le cadre du système de
préférences aux Etats ayant adopté et mis en œuvre un certain nombre de
conventions relatives à la protection des droits de l'homme, notamment des
conventions de l’ONU relatives aux droits de l'homme et certaines conventions
de l'OIT relatives à l'interdiction de l'esclavage et du travail forcé ou aux droits
syndicaux et à la non-discrimination en matière d'emploi275. A l’inverse, l'UE
peut retirer des avantages octroyés unilatéralement à des Etats tiers dans le cadre
du système généralisé de préférences en cas de violation par l'Etat bénéficiaire de
ces mêmes conventions276. En outre, l'UE a introduit des « clauses droits de
l’homme », autrement appelés « clauses sociales » ou « clauses démocratiques »
dans ses accords économiques et de coordination avec des Etats tiers277. Ces
clauses visent à lier la validité de ces accords avec le respect d’un certain
standard dans le domaine des droits de la personne par l’Etat cocontractant.
Or, ce standard peut être fixé au regard d'instruments de protection des droits de
la personne externes à l'organisation. Il peut s'agir d'instruments onusiens ou de
l’OSCE278 mais aussi de la CEDH, de la CADH ou de la Charte africaine des
droits de l'homme et des peuples279 ou des Conventions de Genève280.
Par conséquent, de nombreuses interactions entre les normes internationales de
protection adoptées au sein de plusieurs organisations internationales peuvent
aussi se produire, non seulement au niveau de la consécration ou de
l’interprétation des normes – domaines concernés par cette étude – mais aussi à
l’occasion de diverses relations qui s’établissent entre une organisation

274
Article 7 du traité sur l'Union européenne.
275
Article 9 du règlement (CE) n°980/2005 du Conseil du 27/6/2005 portant application d'un schéma de
préférences tarifaires généralisées jusqu'au 31/12/2008, J.O.C.E. n° L 169 du 30/06/2005 pp. 1- 43 op. cit.
276
Article 16 du règlement (CE) n°980/2005 du Conseil du 27/6/2005, op. cit..
277
Joël LEBULLENGER, La rénovation de la politique communautaire du développement, R.T.D.E.,
1994, p. 645.
278
Communication de la Commission sur la prise en compte du respect des principes démocratiques
et des droits de l’homme dans les accords entre la Communauté et les pays tiers, COM/95/216 final,
1995 ; Barbara BRANDTNER et Allan ROSAS, Préférences commerciales et droits de l’homme, in
L’Union européenne et les droits de l’homme, Philip Alston (dir.), Bruylant, Bruxelles, 2001, p. 730.
279
Préambule de la Convention de Lomé IV du 15/12/1989.
280
Préambule de l’Accord de partenariat entre les membres du groupe des Etats d’Afrique, des
Caraïbes et du Pacifique, d’une part, et la Communauté européenne et ses Etats membres, d’autre
part, signé à Cotonou le 23/6/2000. Sur la conception de l'UE à propos des droits de l'homme en
Afrique : Jean-François AKANDJI-KOMBE, Regard des organisations internationales : l'Union
européenne, in Regards sur les droits de l'homme en Afrique, op. cit., pp. 99-111.

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INTERACTIONS ENTRE LES NORMES INTERNATIONALES RELATIVES AUX DROITS DE LA PERSONNE

internationale et des Etats tiers ou membres, domaines exclus de ce travail de


recherche.
En outre, la présente étude se limite au plan international. L'inflation
normative du droit international des droits de la personne conduit aussi à des
interactions entre les normes internationales de protection en droit national et
entre le droit national et le droit international mais cette question ne fera pas
l’objet de développements dans le corps de l’exposé car la partie internationale
se suffit largement à elle-même du point de vue de l’étendue de la tâche de
recensement, de classification et d'analyse. De plus, les différences
fondamentales qui existent entre le niveau international et les ordres juridiques
nationaux viendraient compliquer la tentative d’élaboration d’une théorie de ces
synergies. En outre, ce sujet a déjà été abordé dans diverses publications.
Ces dernières ont souligné que le juge national peut être confronté à la
concurrence de plusieurs normes internationales relatives aux droits de la
personne et ont déterminé quels critères il prenait en compte pour les concilier ou
donner la primauté à l’une d'entre elles281. Par ailleurs, ces études établissent
aussi que les Etats peuvent s’inspirer pour la rédaction de leurs dispositions
nationales de protection des droits fondamentaux, constitutionnelles ou autres,
d’instruments internationaux relatifs aux droits de la personne. Ainsi plus d’une
centaine de constitutions adoptées depuis 1948 reprennent ou s’inspirent des

281
Pour des éléments doctrinaux et des exemples jurisprudentiels : Hans KELSEN, Les rapports de
système entre le droit interne et le droit international public, R.C.A.D.I., 1926, pp. 227-331;
Francesco CAPOTORTI, Interférences dans l’ordre juridique interne entre la Convention et d’autres
accords internationaux, in Les droits de l’homme en droit interne et en droit international, Presses
universitaires de Bruxelles, 1968, pp. 123-148 ; Gérard COHEN-JONATHAN, La place de la
Convention européenne des droits de l’homme dans l’ordre juridique français, in Le droit français et
la Convention européenne des droits de l'homme 1974-1992, Frédérique Sudre (dir.), Engel, 1994,
pp. 25-48 ; C. N. KAKOURIS, L’utilisation du droit comparé par les tribunaux nationaux et
internationaux, Revue hellénique de droit international, 1994, n°47, pp. 31-45 ; Gérard COHEN-
JONATHAN, Les tribunaux administratifs et les traités relatifs aux droits de l’homme : quelques
observations à propos du jugement du TA de Strasbourg, R.U.D.H., 1995, vol. 7, pp. 120-125 ;
Claudia SCIOTTI-LAM, La concurrence des traités relatifs aux droits de l’homme devant le juge
national, Bruylant, Bruxelles, 1997, 124 p. ; Gérard COHEN-JONATHAN, La France, la Convention
européenne des droits de l’homme et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
L.P.A., 25/5/2000, numéro spécial : la France et le Pacte international relatif aux droits civils et
politiques, p. 40 ; James S. READ, L’influence de la Convention européenne des droits de l’homme
sur la jurisprudence du Conseil privé de la Reine, in L’influence de la Convention européenne des
droits de l’homme sur les Etats tiers, Jean-François Flauss (dir.), Bruylant/Nemesis, Bruxelles, 2002,
pp. 55-75 : sur le cas particulier des pays du Commonwealth qui sont parties à la CADH et non à la
CEDH mais pour lesquels le Conseil privé de la Reine statue en dernier ressort en s’inspirant de la
CEDH et de la jurisprudence de Strasbourg ; Maurice KAMTO, Charte africaine, instruments
internationaux de protection des droits de l’homme, constitutions nationales : articulations et
perspectives, in L'application nationale de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples,
op. cit., pp. 43-46 ; Elisabeth LAMBERT-ABDELGAWAD, L’application de la Charte africaine des
droits de l’homme et des peuples par les autorités nationales en Afrique du Nord, in L'application
nationale de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, op. cit., pp. 110-121 : sur la
concurrence entre la CADHP avec d’autres instruments internationaux de protection des droits
fondamentaux devant les juridictions nationales africaines.

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INTRODUCTION

dispositions de la DUDH282. Les normes qui servent d’inspiration à la rédaction


d’une constitution peuvent, d’ailleurs, provenir d’un continent auquel
n'appartient pas l’Etat en question. Cette situation peut, parfois, s’expliquer par
des raisons historiques, comme c’est le cas notamment pour les Etats africains,
anciennes colonies européennes, qui ont introduit certaines dispositions de la
CEDH dans leurs constitutions283. Cette prise en compte peut aussi être imposée
par d’autres Etats, notamment dans un traité de paix. Ainsi l’accord de paix sur
la Bosnie-Herzégovine signé le 14/12/1995, dit accord de Dayton, prévoit que
cet Etat doit mettre en œuvre, sur les territoires soumis à sa juridiction, les
normes internationales les plus avancées relatives aux droits de l’homme,
notamment telles qu’elles résultent de la CEDH284 et d’autres instruments
internationaux dont une liste est fournie à l’annexe 6 de l’accord. De même,
il doit, selon les annexes 1 A et 7 respecter le droit international des réfugiés et
le droit international humanitaire. Le respect des engagements pris par l’Etat
notamment en vertu de cet accord a été au centre de l’arrêt de la Grande chambre
de la Cour EDH Sejdic et Finci c. Bosnie-Herzégovine de 2009 concernant la
discrimination ethnique285. Certaines conventions relatives aux droits de
l’homme citées dans la liste de l’accord de Dayton sont cependant des
conventions fermées ou n’étant pas entrées en vigueur posant alors la question de
« l’effet juridique de cette liste, en dehors d’un hommage de principe ou d’un
aveu d’impuissance »286. Les juges nationaux peuvent aussi s’appuyer sur un
instrument international ne liant pas leur Etat, voire s’inspirer de la jurisprudence
d'un organe international d’interprétation et de contrôle d'un traité international
provenant d'un autre espace géographique que celui dont relève leur Etat, pour
interpréter le droit national. D'ailleurs, cette prise en compte n'est pas toujours

282
Fabian Omar SALVIOLI, La influencia de la declaracion universal de los derechos humanos en el
marco nacional, in Recueil des cours de l'Institut international des droits de l'homme, 29ème session,
1998, Strasbourg, pp. 119-136 ; René DEGNI-SEGUI, La Déclaration universelle et la
décolonisation, in La Déclaration universelle des droits de l’homme 1948-98, Avenir d’un idéal
commun, op. cit., p. 313 et s. ; Vladimir KARTASHKIN, Document de travail sur le respect des
droits de l’homme par les Etats qui ne sont pas parties aux conventions des Nations Unies en matière
de droits de l’homme, Commission des droits de l’homme, 15/6/1999, E/CN.4/Sub.2/1999/29, § 5.
Avant que toute référence ne soit ultérieurement abandonnée, le préambule du projet de la
Constitution de la Vème République française se référait à la DUDH. : Emmanuel DECAUX, De la
promotion à la protection des droits de l’homme : droit déclaratoire et droit programmatoire, in
La protection des droits de l’homme et l’évolution du droit international, op. cit., p. 104.
283
Karel VASAK, The European Convention of Human rights beyond the frontiers of Europe, I.C.L.Q.,
1963, pp. 1206-1231. Les exemples de cette influence sont cependant très limités : Fausto DE
QUADROS, L’influence de la Convention européenne des droits de l’homme sur les Etats tiers,
anciennes dépendances belges, danoises, espagnoles, françaises, italiennes, néerlandaises et portugaises,
in L’influence de la Convention européenne des droits de l’homme sur les Etats tiers, op. cit., p. 25.
284
Il s’agit d’un « effet extra-muros » de la CEDH : Jean-François FLAUSS, De l’influence de la
Convention européenne des droits de l’homme à l’égard des Etats tiers, L.P.A., 10/6/2002, n° 115, p. 4.
285
Cour EDH, GC, Sejdic et Finci c. Bosnie-Herzégovine, arrêt, 22/12/2009.
286
Emmanuel DECAUX, De la promotion à la protection des droits de l’homme : droit déclaratoire et
droit programmatoire, in La protection des droits de l’homme et l’évolution du droit international,
op. cit., p. 117.

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INTERACTIONS ENTRE LES NORMES INTERNATIONALES RELATIVES AUX DROITS DE LA PERSONNE

liée à une précédente influence de l’instrument international en question sur la


rédaction du droit national interprété287.
L'étude se concentrera donc sur la recherche des interactions entre les normes
internationales relatives aux droits de la personne se produisant au niveau
international en mettant notamment l'accent sur les fondements, les expressions,
les effets et les limites de ces interactions.

3. LA TERMINOLOGIE DES INTERACTIONS

Les termes et expressions utilisés pour qualifier les interactions entre les
normes internationales de protection doivent être précisés. En effet, leur usage n'est
pas anodin et leur sens n'est pas toujours identique. Ainsi si la distinction retenue
est relative à la différence entre incitation à l'interaction et consécration de
l'interaction, il s'avère que certaines terminologies sont neutres quant à leur
signification, alors que d'autres ne le sont pas à ce niveau là mais le sont à un autre.
Ainsi des termes tels que « référence » et « renvoi » peuvent être utilisés pour
décrire tant un phénomène d’incitation à la fécondation croisée qu'un phénomène
de consécration de cette dernière mais ils n’ont pas la même signification au niveau
juridique en ce qui concerne le poids accordé à la source externe288.
S’il est intéressant de donner un cadre précis aux interactions entre les normes,
il aussi toujours gênant de donner un carcan trop strict à un phénomène complexe,
le risque étant alors de créer un cadre par trop contraignant limitant ensuite
l’analyse289.
Lorsqu’est étudiée la nature de l'ouverture à la source externe, il est possible
de distinguer les méthodes de l'ouverture à la source externe, du degré d'attention
porté à cette dernière. De plus, les divers effets des interactions doivent aussi être
évoqués.
En ce qui concerne les méthodes d'ouverture à la source externe, plusieurs
distinctions peuvent être réalisées. Ainsi au niveau de la phase d'interprétation
des normes, l'ouverture réalisée par l'organe d'interprétation à des sources
externes, de sa propre initiative, du fait de sa conviction propre, se distingue de
287
D. C. MacDONALD, L’impact de la doctrine et de la jurisprudence de la Convention européenne des
droits de l’homme sur l’interprétation de la Charte canadienne des droits et libertés, in Perspectives
canadiennes et européennes des droits de la personne, Daniel Turp et Gerald A. Beaudoin (dir.),
Editions Yvon Blais, Cowansville, Québec, 1986, pp. 91-111 ; William A. SCHABAS, L’influence de la
Convention européenne des droits de l’homme sur la jurisprudence des cours suprêmes des pays du
Commonwealth, in L’influence de la Convention européenne des droits de l’homme sur les Etats
tiers, op. cit., pp. 29-53 ; James S. READ, L’influence de la Convention européenne des droits de
l’homme sur la jurisprudence du Conseil privé de la Reine, in L’influence de la Convention
européenne des droits de l’homme sur les Etats tiers, op. cit., pp. 55-75.
288
Cf. infra sur la distinction entre ces deux concepts juridiques.
289
Cf. l’exhortation formulée par le juriste italien Santi Romano dans son ouvrage Frammenti di un
dizionario giuridico, Milan, 1953, p. 117 recommandant « aux juristes de ne pas procéder à de
« lourdes finesses » toujours « gênantes et inutiles » et « à ne pas rendre rigide ce qui est souple » ou
d’éviter de « solidifier ce qui est fluide », formules rappelées par Benedetto CONFORTI, Unité et
fragmentation du droit international : « glissez, mortels, n'appuyez pas ! », R.G.D.I.P., 2007, p. 6.

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INTRODUCTION

l'ouverture qui fait suite à une sollicitation en ce sens, provenant, notamment des
parties ou d'un tiers intervenant. La première hypothèse est la plus courante et
les nombreuses sollicitations dont font l'objet les organes internationaux de
contrôle ne conduisent pas systématiquement à une interprétation croisée de la
part de l'organe concerné290.
Par ailleurs, il faut aussi distinguer l'ouverture textuellement prévue, de
l'ouverture intervenant en vertu de l'initiative de l'organe de contrôle, de façon
purement jurisprudentielle, sans prévision textuelle. Cette dernière peut être
qualifiée d’autonome et de spontanée. Or, il apparaît que les hypothèses
d'interprétation croisée se produisant en dehors de toute précision textuelle sont les
plus nombreuses291.
De même, en ce qui concerne le contexte de l'ouverture à une source externe,
il est aussi possible d'évoquer la question du dialogue des juges, en ce sens que
ces derniers peuvent réciproquement ouvrir leur jurisprudence292. Nécessitant
une coopération entre les juges concernés et évitant l’apparition de conflits293,
ce dialogue, au-delà du phénomène d’imitation d’une juridiction internationale
par une autre, est donc un pas vers une « montée en puissance des juges »294.
En outre, l'ouverture à la source externe peut être expresse ou tacite.
L'ouverture expresse est présentée et assumée comme telle par son auteur. Il y a
alors citation de la source externe, elle est donc bien évidemment plus facile à
identifier que l'ouverture tacite. Cette dernière pose d'ailleurs la question de la
simple coïncidence. Cette ouverture tacite à une source externe a pu être
identifiée dans l’activité de plusieurs organes internationaux. Ainsi le CDH a pu,
sans citer expressément la jurisprudence relative à la CEDH, en tenir compte295.
De même, la Cour IDH a pu reprendre implicitement des solutions dégagées par

290
Cf. infra, 1ère partie, titre I, chapitre 1.
291
Sur cette situation et sa cause : cf. infra, 1ère partie, titre II, chapitre 2.
292
Cf. infra, 2ème partie, titre I sur le choix du corpus externe en lien avec cette question de la
réciprocité.
293
Laurence POTIVIN-SOLIS, Le concept de dialogue entre les juges en Europe, in Le dialogue
entre les juges européens et nationaux : incantation ou réalité ?, François Lichère, Laurence Potivin-
Solis, Arnaud Raynouard (dir.), Bruylant, Nemesis, Bruxelles, 2004, p. 24.
294
Mireille DELMAS-MARTY, Mondialisation et montée en puissance des juges, in Le dialogue des
juges, op. cit., p. 108.
295
Gérard COHEN-JONATHAN, Conclusions, in La protection des droits de l’homme par le Comité
des droits de l’homme des Nations Unies – les communications individuelles, op. cit., p. 177 : « Bien
que le Comité des droits de l’homme ne vise pas spécifiquement la Convention européenne, il nous
semble très nettement que le Comité des droits de l’homme ne fait pas abstraction de la
jurisprudence européenne – c’est un euphémisme – qu’il s’agisse du droit à la liberté personnelle, de
la liberté d’expression (y compris en matière commerciale), du principe de l’unité de la vie familiale
ou qu’il s’agisse de la protection par ricochet, par exemple » ; pour d’autres exemples : Patrick
WACHSMANN, Les méthodes d’interprétation des conventions internationales relatives à la
protection des droits de l’homme, in La protection des droits de l’homme et l’évolution du droit
international, op. cit., p. 169 et Elisabeth LAMBERT-ABDELGAWAD, Les effets des arrêts de la
Cour européenne des droits de l’homme. Contribution à une approche pluraliste du droit européen
des droits de l’homme, op. cit., p. 501.

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le CDH296 et des arrêts de la Cour EDH peuvent être considérés comme faisant
implicitement utilisation de la DUDH297. La CIJ a, elle aussi, pu reprendre, sans
en reconnaître la paternité, des solutions dégagées par la Cour IDH. Ainsi dans
son arrêt du 27/6/2001, LaGrand, concernant le droit à l'assistance consulaire, la
CIJ s’est appuyée implicitement sur l’avis consultatif n°16 de la Cour IDH
concernant le droit à l’information sur l’assistance consulaire au titre des garanties
judiciaires du 1/10/1999298. Ces organes peuvent donc s'inspirer les uns des autres
et transposer de l'un à l'autre des techniques et des méthodes d'interprétation sans
affirmer expressément leur démarche. Ces interprétations croisées implicites
posent deux questions auxquelles il est difficile d'apporter des réponses. En effet,
s’agit-il vraiment d'une ouverture implicite et n'est-ce pas plutôt une évolution
jurisprudentielle « dans l’air du temps » ? Ensuite, s'il s'agit vraiment d'un emprunt,
pourquoi est-il implicite alors même que ces organes mettent en œuvre en parallèle
des interprétations croisées explicitement assumées ?
Au-delà de la méthode d’ouverture, des précisions terminologiques doivent
aussi être apportées en lien avec le degré d’attention porté à la source externe.
En effet, il est possible d'identifier une gradation dans la prise en compte de
la source externe. Ainsi la simple citation, l'appel ou le recours à la source
externe ne laissent pas, en eux-mêmes, présager de l’attention qui lui sera portée.
C’est sa prise en compte – en tant que source d’inspiration ou, plus encore,
la réception d'une solution ou l’emprunt d'un raisonnement juridique – qui traduit
une attention importante accordée au corpus externe. Ainsi dans le cadre de la
réception d'une solution, il y a reprise du seul résultat auquel est précédemment
arrivé une juridiction alors que dans le cadre de l’emprunt d'un raisonnement
juridique, le corpus est différent puisque les moyens ayant conduit à la solution
sont repris299. Or, l'interaction des jurisprudences « prend la forme d'emprunts à
la démarche juridique, rarement celle de la transposition aveugle de la solution ;
celle-ci s'imposant moins que le raisonnement qui la sous-tend »300.
Lorsqu’est étudié le degré d'attention porté à la source externe, il faut aussi
distinguer la référence du renvoi. En effet, alors que la référence consiste à viser
une source externe en la laissant exister comme telle, le renvoi exige que la

296
Ainsi l’arrêt Velasquez Rodriguez de la Cour IDH du 29/7/1988 peut être rapproché de la décision
Rubio c. Colombie du 2/11/1987 du CDH dans lequel ce dernier précise les obligations positives de
l’Etat dans le cas de disparitions forcées : Gérard COHEN-JONATHAN, Quelques observations sur
le Comité des droits de l’homme des Nations-Unies, in Humanité et droit international, Mélanges
René-Jean Dupuy, Pedone, Paris, 1991, p. 93.
297
Paul TAVERNIER, La Déclaration universelle des droits de l’homme dans la jurisprudence de la
Cour européenne des droits de l’homme, in Les droits de l’homme au seuil du troisième millénaire,
Mélanges en hommage à Pierre Lambert, Bruylant, Bruxelles, 2000, pp. 862-865.
298
Sur cet emprunt implicite : Philippe WECKEL, Le droit international des droits de l’homme et les
autres juridictions et organismes de type juridictionnel à caractère universel, in Droit international,
droits de l’homme et juridictions internationales, Gérard Cohen-Jonathan et Jean-François Flauss
(dir.), Bruylant, Bruxelles, 2004, p. 127.
299
Sur cette distinction : Guy CANIVET, Juridictions nationales et internationales, Eloge de la
« bénévolance » des juges, Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, 2005, p. 813.
300
Ibidem.

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INTRODUCTION

question soit gérée par la source externe301. Ainsi avec le renvoi, un lien
juridique est établi entre deux corpus, ce qui n'est pas le cas avec la référence.
Lorsque l'ouverture à une source externe intervient lors de l'adoption des
instruments internationaux, l'identification de la référence, insérée dans le
préambule, du renvoi, inséré dans le corps du texte, est évidente302. Lorsqu'il
s'agit de l'interprétation croisée, il faut distinguer le cas dans lequel un organe
international se réfère à une source externe en vue de s'en inspirer – dans le cadre
éventuellement d'une appropriation ou exportation de cette source303 – de
l'hypothèse dans laquelle cet organe renvoie à un corpus externe, limitant alors
sa marge de manœuvre en termes d'application et d'interprétation.
La question des articulations entre la source externe et l'instrument interprété
ne relève plus de l'ouverture au corpus externe et sera par conséquent traitée en
lien avec l'impact de la source externe et son influence sur le corpus d'origine304.
A cette occasion sera d’ailleurs abordée la question de la reprise ou non de
l'interprétation authentique qui accompagne une norme lorsqu'il y a réception de
cette dernière.
En ce qui concerne les effets de l’ouverture à la source externe, il faudra
déterminer si les interactions conduisent à une uniformisation de la matière –
avec disparition des différences –, à une harmonisation – avec nivellement des
différences sans disparition de ces dernières, le pluralisme pouvant alors toujours
subsister mais en étant encadré305. Ainsi les interactions entre les normes et
l’enchevêtrement de ces dernières306 posent la question du droit commun
engendré, de sa nature, de sa densité et de sa qualité307.
Par conséquent, les interactions normatives recouvrent de telles diversités,
qu’il n’y a non pas une mais des interactions entre les normes. En effet, entre la
citation de la source externe et la reprise d’un raisonnement externe, la démarche
suivie et les conséquences juridiques sont différentes308. Cependant, au-delà de
cette diversité apparente, une unité se dessine sur de nombreux points ainsi que
l'établira la présente recherche.

301
Sur la distinction entre ces deux notions : Jean-Pierre ROUGEAUX, Les renvois du droit
international au droit interne, R.G.D.I.P., 1977, p. 362 ; Jean SALMON (dir.), Dictionnaire de droit
international public, Bruylant, Bruxelles, 2001, p. 972.
302
Pour une étude plus en détail de ces mécanismes : cf. infra, cette partie, titre II, chapitre 1.
303
Elisabeth LAMBERT-ABDELGAWAD, Les tribunaux pénaux pour l’ex-Yougoslavie et le
Rwanda et l’appel aux sources du droit international des droits de l’homme, in Les sources du droit
pénal, l’expérience des tribunaux pénaux internationaux et le Statut de la Cour pénale
internationale, Mireille Delmas-Marty, Emanuela Fronza et Elisabeth Lambert-Abdelgawad (dir),
UMR Paris, Société de législation comparée, Paris, 2004, p. 105.
304
Cf. infra, 2ème partie, titre II, chapitre 1.
305
Mireille DELMAS-MARTY, Réinventer le droit commun, Recueil Dalloz, Chronique, 1995,
1er cahier, p. 2.
306
Hélène RUIZ FABRI, Propos introductifs sur l’enchevêtrement des espaces normatifs, in
Variations autour d’un droit commun, op. cit., p. 227.
307
Sur la notion de droit commun : cf. infra, 2ème partie.
308
Sur la terminologie des ouvertures aux sources externes : cf. infra, cette introduction, paragraphe 3.

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INTERACTIONS ENTRE LES NORMES INTERNATIONALES RELATIVES AUX DROITS DE LA PERSONNE

Une recherche sur les interactions normatives ne peut être réalisée que dans
une approche dynamique. Il s’agit, en effet, de constater des échanges normatifs,
des rencontres, des actions réciproques entre divers ensembles normatifs.
Un vocabulaire emprunté au monde végétal, faisant la part belle aux
fécondations et fertilisations croisées permet de souligner la complexité du
phénomène et d’accentuer la constatation que la matière objet de l’étude
s’apparente à du vivant309. Le vocabulaire de l’étude des phénomènes juridiques
se doit d’évoluer afin de s’adapter à la complexité du champ de l’étude, la
complexité n’étant « pas le contraire de la simplicité, le complexe n’étant pas
nécessairement compliqué. Elle serait plutôt le contraire de
l’unidimensionnalité, de l’unilatéralité, du monisme comme dénégation du
foisonnement créateur de la réalité. En cela, elle prédispose à une intelligence
plus fine du droit ouvrant la voie à un nouveau réalisme »310.
Le changement épistémologique, faisant la part belle à la notion d’« acteurs »
et de « vecteurs » des phénomènes dans la première partie de cette étude et à la
notion de « matrice » dans la seconde est la seule voie permettant d’appréhender
le phénomène des interactions normatives. Un vocabulaire emprunté à la
sociologie peut, dans certaines hypothèses, permettre d’appréhender pleinement
certains phénomènes juridiques internationaux. En l’espèce, les « acteurs » des
interactions – les Etats, les organisations internationales, les ONG ou les juges311
– participent à ce phénomène et y prennent part de façon active. Leur rôle en la
matière peut cependant être plus ou moins important et efficace, tout comme les
« sujets de droit dans un système juridique ne sont pas nécessairement
identiques quant à leur nature ou à l'étendue de leurs droits »312. Les interactions
normatives peuvent prendre des formes opposées – émulation ou rivalité –
ou ambivalentes – compétition ou concurrence et la notion d’acteurs permet de
souligner le rôle de chacun en la matière. Le terme « vecteurs » permet de
souligner, plus que celui de « moyens », le véhicule servant à porter, voire à
transporter les interactions normatives. Il met l’accent sur la dynamique,
le déplacement qui caractérise cette activité. Quant à elle, l’utilisation du terme
« matrice », plutôt que celle de « source », permet de s’interroger sur la capacité
du phénomène des interactions normatives d’être à l’origine d’un droit commun

309
Cf. supra.
310
Jacques LE GOFF, Introduction, in Droit et complexité, Pour une nouvelle intelligence du droit
vivant, op. cit., p. 15.
311
Nombreux sont les travaux s’interrogeant sur le rôle actif du juge en tant qu’acteur du droit. Pour
quelques exemples : Guy CANIVET, Juridictions nationales et internationales, Eloge de la
« bénévolance » des juges, Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, 2005, pp. 799-
817 ; Julie ALLARD et Antoine GARAPON, Les juges dans la mondialisation, Seuil, Paris, 2005,
p. 27 : « les juges et les juridictions ne sont pas supposés être, comme dans un système, les agents
passifs d’un ordre juridique, mais au contraire les acteurs d’un commerce toujours en devenir » ;
Julie ALLARD et Arnaud VAN WAEYENBERGE, De la bouche à l’oreille ? Quelques réflexions
autour du dialogue des juges et de la montée en puissance de la fonction de juger, Revue
interdisciplinaire d'études juridiques, 2008, n°61, p. 109.
312
CIJ, Réparation des dommages subis au service des Nations Unies, avis, 11/4/1949, Rec. 1949, p. 8.

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INTRODUCTION

tout en prenant en compte ce qu’un tel phénomène peut avoir comme lien avec le
vivant plus qu’avec la mécanique313.
Ces choix terminologiques permettront de vérifier l’assertion selon laquelle
« quand un système dépasse un certain seuil de complexité (par sa structure
dynamique et interactive), il ne peut à la fois être complet (au sens de prévisible)
et cohérent (non contradictoire) »314, assertion autour de laquelle s’articule
la problématique de l’étude.

4. LA PROBLÉMATIQUE DE L'ÉTUDE

Les interactions entre les normes internationales de protection des droits de la


personne peuvent intervenir lors de deux grandes étapes de la vie des normes
internationales que sont leur consécration internationale et leur interprétation.
En effet, lors de la consécration internationale d'une norme, de son
émergence sur la scène internationale et de son acceptation par les Etats,
l'environnement international existant peut avoir une influence tant sur son
contenu que sur sa consécration même. Ainsi la rédaction des diverses
dispositions d'une convention internationale peut être orientée par des
instruments internationaux préexistants, soit parce que les rédacteurs voudront
s'en écarter en approfondissant, le cas échéant corrélativement, la protection
internationale des droits de la personne, soit parce que les pères fondateurs
souhaiteront inscrire ce nouvel instrument dans la continuité du corpus
international existant en s'en inspirant et en prévoyant, éventuellement, des
clauses précisant les rapports normatifs qui s'établiront entre ce nouvel
instrument et ceux qui le précédent. D'ailleurs, l'éventuelle absence de prise en
compte, à cette étape, du corpus international préexistant pourrait donner lieu à
des réactions par certains Etats lors de la signature et de l'adoption de la
convention ainsi rédigée. En effet, au-delà de l'hypothèse du refus d'un Etat de
s'engager au motif que ce nouvel instrument n'est pas en concordance avec
le droit international préexistant, des Etats pourraient, par le biais du dépôt de
réserves et de déclarations interprétatives, souhaiter souligner la façon dont
ils entendent que se réalise l'articulation de cet instrument avec leurs autres
engagements internationaux.
Par ailleurs, lors de l'interprétation des normes internationales de protection,
l'interaction peut prendre la forme d’une interprétation croisée. Cette dernière
intervient, en effet, pour aider à la détermination du sens d'un droit ou du
contenu d'une disposition, par le biais d'une comparaison normative entre deux
ou plusieurs instruments internationaux et/ou jurisprudences internationales.

313
Ainsi la DUDH a pu être présentée comme la « matrice référentielle » de la plupart des instruments
internationaux de protection : Maurice KAMTO, Charte africaine, instruments internationaux de
protection des droits de l’homme, constitutions nationales : articulations et perspectives, in L'application
nationale de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, op. cit., p. 15.
314
Mireille DELMAS-MARTY, Préface, La tragédie des trois C, in Droit et complexité, Pour une
nouvelle intelligence du droit vivant, op. cit., p. 8.

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INTERACTIONS ENTRE LES NORMES INTERNATIONALES RELATIVES AUX DROITS DE LA PERSONNE

De plus, l'appel à des sources externes à l'instrument interprété peut aussi


conduire à l'identification d'un certain niveau international de développement sur
un aspect normatif qui pourra éventuellement être repris et consacré, par le biais
de l'interprétation, dans l'instrument interprété pour éviter à ce dernier de ne plus
correspondre aux standards internationaux existants.
Par conséquent, la question des vecteurs des interactions et des vecteurs de
leur mise en œuvre – c'est-à-dire des outils qui les portent – ainsi que celle de
leur expression se posent. En effet, les interactions peuvent être abordées du
point de vue des vecteurs qui influencent et expliquent leur utilisation lors de
l’émergence des normes internationales relatives aux droits de la personne et lors
de l’interprétation internationale de ces normes par les organes de contrôle.
Elles peuvent aussi être étudiées du point de vue des résultats qui les
accompagnent lors de ces deux hypothèses.
Comment, l’utilisation de la méthode comparative dans le cadre de la
production normative, qui est sous le contrôle des Etats dans un droit
international volontariste, pourrait-elle éviter de n'être qu’une tentative
d'affaiblissement de la protection internationale des droits de la personne alors
que, d’un autre côté, l’utilisation de cette méthode par les interprètes
internationaux des normes pourrait-elle conduire à autre chose qu’à un
renforcement de cette même protection ? Cela signifie-t-il que le phénomène qui
sera étudié est caractérisé par l’affrontement de deux logiques opposées qui
s’annulent ou l’une est-elle amenée à surpasser l’autre ? D'ailleurs, est-ce que les
interactions normatives se traduisent par l'émergence d'un droit commun sur la
scène internationale et quel est, le cas échéant, le contenu de ce droit ? Est-ce que
l’émergence d’un tel droit peut d’ailleurs être comprise comme la justification, la
raison d’être de la méthode ? Il reste à établir si la distinction est aussi tranchée
entre les effets des interactions dans la phase de consécration des normes et dans
celle de leur interprétation et si les intentions des Etats et celles des interprètes
internationaux sont aussi facilement opposables et opposées. De plus, quid de
l'attitude et de la latitude dans ce domaine des organisations internationales, des
organisations non gouvernementales et des individus ?
Pour répondre à ces questions, l'étude des vecteurs indispensables aux
interactions normatives (première partie) sera suivie d'une réflexion sur les
résultats auxquels conduisent ces dernières (deuxième partie).

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