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PCP 012 0083

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Masochisme et perversion.

Approche psychanalytique et
projective1
Catherine Chabert
Dans Psychologie clinique et projective 2006/1 (n° 12), pages 83 à 100
Éditions Érès
ISSN 1265-5449
DOI 10.3917/pcp.012.0083
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Masochisme et perversion.
Approche psychanalytique et projective1

Catherine Chabert2

Résumé – L’auteur propose une réflexion théoriquo-clinique centrée sur les


articulations possibles entre perversion et troubles des conduites alimentaires. Une
étude de cas est présentée dans une triple perspective – psychopathologique,
projective et psychanalytique – dans la mise en correspondance entre la clinique
projective d’une part et l’évaluation de la psychothérapie d’autre part. Sont abordés
notamment la version mélancolique des fantasmes de séduction, le masochisme et
les éventuels aménagements pervers qui les associent.

Mots-clés : Anorexie– Boulimie – Séduction – Masochisme – Mélancolie –


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Abstract in English at the end of the text


Resumen en español al final del texto

1. Ce texte a fait l’objet d’une communication au colloque de printemps de la Société du Rorschach et


des méthodes projectives de langue française, Nancy, 1er avril 2006.
2. Psychanalyste, Professeur de psychologie clinique et de psychopathologie à l’Institut de Psychologie,
Université Paris-5. Laboratoire de psychologie clinique et de psychopathologie (LPCP EA-1512).

Psychologie clinique et projective, volume 12 – 2006, pp. 83-100 – 1265-5449/02/08


Catherine Chabert

La question des perversions, on le sait, est très compliquée, aussi bien sur
le plan clinique que théorique. Je ne m’engagerai pas dans la recherche de
distinctions psychopathologiques qui seront peut-être reprises dans le cours
de ce Colloque. Il me semble cependant opportun d’avancer quelques
éléments susceptibles d’éviter confusions et malentendus.
– D’une part, il est essentiel de distinguer les organisations perverses,
entièrement construites à partir de « symptômes » mettant en évidence la
force d’instauration de fétiches ou de leurs équivalents, et le mouvement
destructeur qui tend à nier le désir de l’autre, en le dépouillant de son statut
de sujet à part entière ; organisations articulées par les mécanismes de
défenses typiques que sont le déni de la castration et le clivage ;
organisations psychiques réputées enfin dépourvues de culpabilité du fait de
l’extrême jouissance associée à la transgression, sans prise en compte de
l’autre.
– D’autre part, sont régulièrement repérés, dans la psychopathologie
clinique actuelle, ce que l’on appelle « les aménagements pervers » qui
constituent des composantes de fonctionnements psychiques divers, même
s’ils sont souvent associés à des personnalités limites et narcissiques. À cet
égard, il peut être intéressant de souligner que, dans la construction
freudienne de la genèse de la perversion – « On bat un enfant » (1919) –,
c’est le masochisme qui est massivement convoqué et que, par ailleurs, des
élément communs – notamment en termes de mécanismes de défense et de
problématique – sont susceptibles d’être découverts entre fonctionnement
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Sans aller au-delà de cette différenciation un peu grossière, je voudrais


souligner que les « perversions » occupent, à certains égards, une place au
carrefour d’un certain nombre d’organisations psychiques et
psychopathologiques. La question demeure de cerner plus précisément cette
place : par exemple serait-elle équivalente du noyau hystérique de la
névrose, condensé autour du refoulement du fantasme de séduction ?
Le travail que je propose s’inscrit dans les lignes actuelles de ma recherche
en psychopathologie, psychanalyse et méthodologie projective : elle relève
en effet à la fois de constructions métapsychologiques et cliniques (plus

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Masochisme et perversion. Approche psychanalytique et projective

précisément cliniques et projectives) et de leurs croisements avec les


traitements psychanalytiques. Mon exposé sera articulé autour d’une étude
de cas dans la triple perspective que je viens d’évoquer : Clara est une jeune
fille de 19 ans, hospitalisée pour de très graves troubles des conduites
alimentaires, boulimie et vomissements. La psychologue du service lui a
proposé un examen projectif dont je n’ai pris connaissance que bien plus tard
car Clara s’est engagée avec moi, dès sa sortie de l’hôpital, dans une
psychothérapie qui s’est déroulée en deux temps et dont je parlerai dans un
moment.
Trois temps, donc, dans le déroulement de mon exposé :
– tout d’abord, quelques réflexions théorico-cliniques ayant trait aux
troubles des conduites alimentaires, et à leurs composantes masochistes
éventuellement perverses ;
– une interprétation des épreuves projectives ;
– une reprise des grands mouvements de la psychothérapie analytique.

LES TROUBLES DES CONDUITES ALIMENTAIRES


Les troubles des conduites alimentaires, on le sait, constituent un
syndrome qui ne permet pas de préjuger d'une structure
psychopathologique obligée. L'éventail en est relativement varié car, si
certains sujets présentent des caractéristiques de fonctionnement
névrotique, d'autres s'inscrivent dans des organisations plus franchement
limites, narcissiques ou dépressives. Il convient donc, au-delà des
configurations individuelles, de s'interroger sur la présence
d'aménagements spécifiques qui, sans témoigner d'une structure précise en
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termes nosographiques, conduisent à un questionnement essentiel quant à
l'évaluation diagnostique, pronostique et donc thérapeutique.
L'une des caractéristiques, parmi d'autres, à laquelle je voudrais m'attacher
plus particulièrement, renvoie à la qualité, à la place et à la fonction
singulière du recours au comportement dans l’anorexie et la boulimie. Dans
la description symptomatique proposée par de nombreuses patientes,
l'investissement du geste dans la conduite boulimique est considérable et
s'inscrit toujours dans un système très ritualisé. L'ordonnance de la crise est
toujours respectée, quel que soit l'état d'angoisse ou d'excitation qui la
détermine. On a pu comparer ces rituels aux rituels obsessionnels. Mais alors

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Catherine Chabert

que dans la névrose obsessionnelle, les actes conjuratoires sont associés à


des pensées obsédantes, dans les accès boulimiques, la frénésie gestuelle
semble avoir d'abord pour but d'abraser la pensée et les fantasmes
susceptibles de la soutenir.
Le caractère absolument impérieux de l'accès boulimique et de la mise en
scène rituelle qui y préside rend compte de la connotation perverse de tels
recours ; la répétition immuable relève d’une nécessité obligée justifiée par
l'obtention d'un plaisir orgastique dominé par l'autoérotisme et la relation
d'emprise : celle-ci en effet trouve sa source dans un fantasme narcissique
primordial, dans la contrainte pour le sujet de se soustraire au désir de l'autre,
en lui imposant, comme il se l'impose, le déni d'attente. Il s'agit d'une forme
de perversion narcissique dans la mesure où le sujet se constitue à la fois
comme auteur et bénéficiaire d'un état de béatitude qui risque de devenir sa
seule source de jouissance, mais d'une jouissance éminemment fragile car
sans cesse menacée par la présence et le désir de l'autre.
Lorsque ces conduites se pérénisent, les risques d'entraîner
progressivement un isolement de leur configuration fétichique aboutissent à
une absence de conflictualité de ce secteur d'avec l'ensemble du
fonctionnement psychique. La compulsion de répétition perd ses effets de
maîtrise et de reconquête narcissique. Elle s'épuise dans des actes répétitifs
dont l'investissement libidinal s'appauvrit de plus en plus jusqu'à s'enliser
dans un système automatique. Ce qui, initialement, gardait le sens du
scénario douloureux ou traumatique, source de jouissance cependant du fait
de son soubassement masochiste, risque de se transformer en activité
totalement anonyme et mécanique, dans la mesure où la satisfaction
libidinale pourrait disparaître donnant alors au clivage sa place fondamentale
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dans le fonctionnement du moi. © Érès | Téléchargé le 26/05/2024 sur www.cairn.info (IP: 197.146.11.147)

Cette évolution se repère lorsque le masochisme réussit trop bien, en ce


sens que le sujet trouve son plaisir dans l'éprouver de l'excitation, si bien que
la satisfaction objectale, initialement recherchée, devient parfaitement
inutile. L'aménagement pervers qui, au départ, maintenait grâce à ses
déviations le lien libidinal à l'objet, finit par basculer dans un isolement
anobjectal ou encore sombre paradoxalement dans la mélancolie.
Cette dimension mélancolique peut apparaître d'emblée présente en deçà
du comportement boulimique : l'absorption massive de nourriture vient
mortifier le corps, si celui-ci prétend se constituer comme source de désirs

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Masochisme et perversion. Approche psychanalytique et projective

inavouables. Corps violenté par l'ingurgitation et le rejet de choses


bonnes/mauvaises qui, lorsque les vomissements sont associés à la boulimie,
ne peuvent en aucun cas être gardées, confondant en quelque sorte le désir
de prendre et celui d'expulser. C'est le corps qui est alors désobjectalisé dans
le refus de se constituer comme suscitant le désir de l'autre : c'est l'objet, c'est
l'autre et son désir, en effet, qui menacent le moi par le risque d'emprise sur
son corps, mettant en cause une maîtrise narcissique indispensable certes,
mais dénonçant, mettant à nu les fantasmes incestueux.
C'est le corps sexué, en effet, qui est attaqué dans ces contextes où la
puberté a été ressentie comme une effraction douloureuse dans le pseudo
paradis de l'enfance, paradis narcissique où la croyance dans la bisexualité et
la force des mouvements anti-dépressifs constituaient des mouvements de
contre-investissement essentiels dans la dialectique des relations avec les
figures parentales. Les premiers émois sexuels sont éprouvés dans un climat
d'extrême panique, l'adolescente étant brutalement confrontée à l'existence,
en elle, de sensations excitantes immédiatement condamnées. Ce qui se
découvre au cours du processus thérapeutique révèle la trop grande
proximité d'une problématique œdipienne insuffisamment refoulée et peu
structurante dont je me demande aujourd’hui si elle ne constitue pas le
fondement même des aménagements pervers.
Ce qui domine en effet (et revient aux grandes difficultés d'intégration de
l'angoisse de castration), c'est la conviction de séduire activement le père
dans une organisation fantasmatique qui semble renverser la construction
hystérique de la séduction : on ne rencontre pas en effet de fantaisie
désignant l'autre comme agent séducteur de la scène excitante, un tel
scénario implique une passivation intolérable pour le narcissisme de ces
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patientes, intolérable par la dépendance vis-à-vis de l'objet qu'elle © Érès | Téléchargé le 26/05/2024 sur www.cairn.info (IP: 197.146.11.147)
soulignerait, par la répétition de l'emprise si fortement imprimée dans la
relation avec la mère.
Contrairement au scénario de la séduction hystérique, on ne repère pas une
dénonciation possible de l'attentat séducteur chez l'autre, mais plutôt la
nécessité de le fixer du côté du sujet : c'est le corps propre et l'excitation dont
il est porteur qui deviennent persécuteurs et doivent par là même être détruits
par extinction des mouvements pulsionnels ; ceux-ci ressentis comme des
forces mauvaises et criminelles exhibées sans honte appellent une
« punition » drastique, traduite notamment par l'ampleur d'une
disqualification et d'une mésestime de soi qui impose des conduites

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Catherine Chabert

sacrificielles visant justement le corps dans sa capacité à séduire et à en


éprouver du plaisir.
Cette disqualification se découvre à la fois dans les auto-accusations et les
auto-reproches proférés sur un mode quasi mélancolique – c’est-à-dire, encore
une fois, sans honte – et se reflète parfois comme en miroir dans le choix de
nourritures présentant des qualités particulières : lourdes, sales, grasses,
nauséabondes, elles constituent autant de figurations pour une représentation
de soi malmenée, abîmée ou viciée. On pourrait alors tout à fait reprendre les
élaborations freudiennes de la mélancolie : si la perte d'objet y occupe une
place essentielle, c'est le moi qui est devenu « pauvre et vide » dans son
rabaissement et son autocritique permanente, dans la perte du respect de soi
qui recèle en fait les reproches contre l'objet d'amour. C’est là, me semble-t-il,
que se rencontre l’analogie des destins pulsionnels entre mélancolie et
perversion : en effet, dans la mélancolie, nous dit Freud (1915), c’est l’objet
qui est violemment attaqué à travers l’auto-mortification du moi, c’et l’objet
qui doit être détruit dans l’auto-destruction. Analogie donc, mais seulement
analogie avec la visée perverse de destruction de l’autre comme sujet désirant.

LES ÉPREUVES PROJECTIVES DE CLARA


J’en viens maintenant à l’interprétation de la clinique projective.
Évidemment, l’expérience est risquée puisque je m’y aventure après avoir
suivi Clara pendant de nombreuses années en psychothérapie. Mais les
protocoles sont là et la méthode suffisamment rigoureuse pour être fiable et
offrir une garantie scientifique au sens le plus convenu du terme. Voici donc
quelques éléments essentiels des protocoles de Rorschach et de TAT.
Le Rorschach
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Le protocole de Rorschach de Clara est prolixe et riche. Au-delà des 29
réponses, on ne peut que souligner l’extrême associativité de la jeune fille et
son implication à la fois sensorielle, émotionnelle, fantasmatique et
intellectuelle montrant un état de réactivité et d’excitation productif, fécond
mais parfois aussi débordant.
Sur le plan quantitatif, l’excitabilité est d’emblée présente dans
l’immédiateté des temps de latence, la distribution des Modes
d’Appréhension, dans le TRI (2/12) qui mettent en évidence, à la première
lecture, l’impact intense du matériel sur la jeune fille, corroboré par le faible
investissement des contours et des limites (F%=21, élargi : 48%).

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Masochisme et perversion. Approche psychanalytique et projective

Cependant, ces premières impressions sont rapidement nuancées si l’on


s’engage dans une analyse plus approfondie du protocole. En effet, au-delà
ou à côté plutôt de apparences, on s’aperçoit que les capacités de
construction sont fortement mobilisées dans les deux modes
d’appréhension exclusivement utilisés (G%=76 ; D%=20) et qu’elles
témoignent non seulement d’un investissement clair de la prise de
connaissance et de la créativité (clair car il est formidablement présent sans
s’offrir en termes de problématique), mais aussi d’un effort puissant pour
rassembler des représentations si contrastées qu’elles peuvent, à certains
moments, basculer franchement dans le clivage. Il y a, en effet, une
constante co-existence d’éléments extrêmement idéalisés – aussi bien dans
les facteurs qui soutiennent la procédure de la réponse que dans son
contenu – et d’émergence brutale d’images crues, poussées par de violents
mouvements pulsionnels : co-existence car, à vrai dire, il ne semble pas
qu’un compromis entre ces deux voies soit réalisable voire envisageable de
manière stable.
Pour illustrer :
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Catherine Chabert

Cette séquence est particulièrement intéressante car elle montre bien deux
modes de fonctionnement très hétérogènes et dévoile la place déterminante
du fantasme incestueux dont l’intensité, la violence et le sado-masochisme
entraînent le passage voire la substitution d’un mode secondarisé à un autre,
dominé par les processus primaires.
Un autre exemple, dans un champ de problématique un peu différent, peut
être évoqué à partir de la planche 5.

Cette séquence aussi est passionnante dans la mesure où elle dévoile, à une
planche sollicitant fortement la représentation de soi, un mouvement
d’association constitutif de deux versants narcissiques : l’un idéalisant,
presque mystique et l’autre, sombre, déceptif, débordé par une sexualité
éprouvée comme une atteinte majeure à l’idéal de pureté avec cependant, en
filigrane, une sorte de complaisance voire de jouissance liée à ce double
statut.
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À mon avis, cette séquence est hautement significative de la dimension © Érès | Téléchargé le 26/05/2024 sur www.cairn.info (IP: 197.146.11.147)
mélancolique et de son avers maniaque dans la prise de la représentation du
moi. Cependant, le déploiement de ces deux aspects clivés prend une valeur
différente si on s’attache à une autre problématique, très tenace au
Rorschach et qui relève, non plus seulement de l’investissement narcissique
du moi dans sa double valence idéale et mortifiée, mais aussi de la sexualité
et notamment du repérage des identifications au regard de la différence des
sexes.
Planche 2 :

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La première image qui s’impose renvoie au sexe féminin, dans un contexte
douloureux et masochiste évident.
La réponse suivante, en Gbl, est étonnante : relativement banale dans un
premier temps « un départ d’une fusée , un envol avec le feu de la fusée »
elle dérive très vite dans une association « feu-sang » portant
préférentiellement sur les contours. L’association de l’embrasement
pulsionnel et de la blessure rend compte, dans un contexte où la bisexualité
prévaut, de l’érection du masochisme peut-être à connotation perverse.
Celle-ci est repérable à la réponse 7. où le vide est reconnu, certes, mais
immédiatement rempli, et par là même considéré comme positif et

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Catherine Chabert

fructueux, dans la mesure où l’assurance d’un comblement narcissique actif


semble ne pas faire de doute.
Planche 4 ensuite :

Du côté des références phalliques parfaitement identifiées, le commentaire


initial retient l’attention : « Ça fait rien si je suis obscène ? »
On voit de quelle manière le matériel est superbement traité grâce au
détour par la fiction (le conte de la Belle et la Bête), mais il ne témoigne pas
moins d’un fantasme de séduction très cru dont la facture traduit le
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renversement et la redistribution des positions active et passive – c’est © Érès | Téléchargé le 26/05/2024 sur www.cairn.info (IP: 197.146.11.147)
l’homme qui s’offre – à l’instar de ce que j’ai appelé « version mélancolique
de la séduction » (Chabert, 2003).
Aujourd’hui, je me demande si, dans cette version, la dimension perverse
ne serait pas présente, d’abord, dans le refus ou le déni de castration qu’elle
implique : c’est l’enfant qui séduit l’adulte, la dimension mélancolique
apparaissant davantage dans la mortification concomitante et tout aussi
active qui touche le sujet lui-même, et au-delà, l’objet visé par toute
entreprise d’autodestruction.

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Masochisme et perversion. Approche psychanalytique et projective

Le TAT
Venons-en au TAT, très précisément dans la suite de cette problématique
– celle de la séduction – car elle est très vite repérable : si la planche 1 révèle
d’emblée l’absence de prise de l’angoisse de castration ou, en tout cas, son
évitement, la planche 2 montre la singulière organisation du complexe
d’Œdipe, singulière car le refoulement et l’interdit s’en absentent.
Planche 2 – 4” Là il y a deux femmes qui sont amoureuses d’un homme avec un
cheval, d’un homme très musclé et fort. Il y a une femme qui paraît enceinte de cet
homme et l’autre on dirait une jeune fille pure et la jeune fille pure veut prendre
l’homme à la femme enceinte. Elle veut le séduire. 2’30”

Planche 3BM – Imm. On peut raconter aussi une histoire à la première personne ?
Je suis dans une prison et je pense à mon esprit qui est plus ou moins dans mon
corps. C’est pourquoi je tiens un pistolet dans ma main pour tenter de supprimer ce
corps, ce corps qui est la cause de mon malheur avec les hommes et les femmes…
et je pense aussi à l’homme que j’aime pour qu’il soit choqué de me voir sans corps.
2’15”

Je propose la lecture consécutive de ces deux planches, car, de mon point


de vue, elle permet de découvrir et de comprendre, à cet autre test projectif,
la construction mélancolique du fantasme de séduction. La planche 2 met en
évidence la position active de la jeune fille « elle veut prendre l’homme à la
femme enceinte. Elle veut le séduire ». La planche 3, elle, rend compte des
effets de ce fantasme : le meurtre du corps « ce corps qui est la cause de mon
malheur avec les hommes et avec les femmes »
J’évoquerai rapidement d’autres aspects du protocole, au demeurant très
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congruents avec le Rorschach. Un double registre de mécanismes de
défense le caractérise : l’un très marqué dans le registre narcissique, l’autre,
mettant en évidence des potentialités hystériques non négligeables,
notamment dans l’extrême érotisation des relations. Je conserve la
référence à la facture hystérique des défenses pour montrer la force des
mouvements libidinaux et l’incertitude de leur destin : si le clivage domine
et se pérennise, si l’enfermement narcissique gagne, alors cette forme
d’érotisme peut s’engager dans la voie de la perversion. Si, au contraire, la
dimension libidinale se dégage des scénarios sexuels en barrant la voie de
leur fétichisation, alors on peut tabler sur le caractère éventuellement
trophique des aménagements pervers. Je pense que le débat reste ouvert

93
Catherine Chabert

compte tenu de l’âge de Clara (19 ans) d’une part, et du projet de prise en
charge d’autre part.
Par ailleurs, le TAT montre aussi la force du masochisme et sa marque
triomphante, ainsi que la puissance des représentations narcissiques, leur
fonction et leur valeur de repli et de lutte anti-dépressive.
Planche 10 – C’est l’histoire d’une actrice qui rencontre un musicien qu’elle avait
aimé il y a très longtemps. Ils ont tous les deux beaucoup souffert et là ils se
retrouvent au sommum de leur gloire. Ils vivent un bonheur intense. Voilà. 1’10”

À l’issue de cette brève présentation des projectifs, il paraît possible


d’évoquer, en termes diagnostiques, un mode de fonctionnement limite
narcissique au sein duquel les aménagements pervers, dans l’utilisation
singulière de la sexualité et de ses fantasmes, permet à la fois d’éviter la
confrontation à la perte – ce qui peut être fort dommageable – mais soutient
un investissement libidinal qui ne se dément pas. La dernière planche du
TAT me paraît tout à fait illustrer cette interprétation.
Planche 16 –11” Là c’est un femme toute blanche avec des cheveux rouges et des
yeux bleus, toute nue sur un piano noir, qui joue avec les cordes du piano. Elle est
dans la nuit sur la mer, le piano c’est un grand piano qui flotte en laqué noir et elle
joue une musique que tout le monde entend. Elle est très belle et un homme la
contemple et la désire plus que tout et il vient jouer du piano en la regardant dans
les yeux. Voilà. 2’5”

LA PSYCHOTHÉRAPIE DE CLARA
La première psychothérapie de Clara a commencé quand elle avait 19 ans
et a duré deux ans et demi. Elle m’avait été adressée au décours de son
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hospitalisation pour des crises de boulimie-vomissements compulsives, dans © Érès | Téléchargé le 26/05/2024 sur www.cairn.info (IP: 197.146.11.147)
un contexte de très grande fragilité psychique.
La traversée de cette psychothérapie fut difficile, voire douloureuse dans
la mesure où Clara s’accrochait de manière forcenée à son symptôme et
m’infligeait de manière répétitive toutes les marques d’un transfert négatif
indéfectible. Elle détestait tout chez moi : l’entrée de l’immeuble, les
escaliers, mon bureau, mes vêtements, ma voix… bref rien ne trouvait grâce
à ses yeux intransigeants. Si elle venait – régulièrement – à ses séances,
c’était uniquement pour obéir au Dr J., son psychiatre, parce qu’elle avait
peur, me disait-elle, qu’il la laisse tomber si elle cessait de me rencontrer.

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Masochisme et perversion. Approche psychanalytique et projective

Mon sentiment d’impuissance basculait dans le désespoir parce que Clara


multipliait les passages à l’acte dans une forme de compulsion destructrice
qu’elle recherchait avec la même avidité que les nourritures qu’elle absorbait
en quantités gigantesques. Si l’analyste doit être capable de se laisser
démolir, comme le déclare Ferenczi, c’est bien cette expérience que Clara
m’a fait vivre, mais mon inquiétude portait surtout sur sa capacité à se
démolir elle-même.
Cependant, les séances tant exécrées et rituellement commencées par un
flot de propos négatifs violents à mon endroit, donnaient à Clara la
possibilité d’utiliser voire d’exploiter très largement ses formidables
potentialités d’expression verbale. Son propos est ordonné par une
grammaire parfaite, associant à la rigueur de la forme, une richesse de
vocabulaire exceptionnelle et foisonnante, une capacité d’évocation
surprenante. Je garde ainsi de mes rencontres avec Clara un double souvenir,
une double image, à l’instar du clivage du moi qui lui servait de défense :
une violence inouïe dont les potentialités désorganisantes me paraissaient
menaçantes, d’une part, et d’autre part, un univers intérieur dont la fécondité
fantasmatique se révélait prometteuse et fascinante. Clara parlait sans cesse
pour dire les extraordinaires fantaisies qui l’habitaient, pour dire les
sensations fortes qui l’animaient et les affects extrêmes qu’elle entretenait
comme une flamme dans le halo dramatique de sa vie. De sa famille, elle
parlait peu : son père et sa mère restaient des divinités intouchables. Seules
émergeaient de temps en temps des scènes d’enfance ou plus souvent
actuelles, obéissant toujours au même scénario masochiste et
autodestructeur.
Clara arrêta brusquement sa psychothérapie : après les vacances d’été, elle
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ne revint pas et refusa de me rencontrer pour en parler. Elle souhaitait aller © Érès | Téléchargé le 26/05/2024 sur www.cairn.info (IP: 197.146.11.147)
voir un analyste homme. Sur le moment, cette interruption m’apparut
conforme à la thérapie dans ses aspects les plus négatifs : décidément, entre
Clara et moi, ça ne marchait pas.
Dix ans plus tard (elle a 29 ans), Clara revient sur les conseils du Dr J. Elle
évoque le temps écoulé, ses années-catastrophe où elle s’est laissée envahir
par le spectre de la folie, où elle est allée jusqu’au bout de son masochisme,
où elle a pris des risques physiques et psychiques majeurs. C’est dans un
dernier sursaut qu’elle a décidé, il y a maintenant cinq ans, de consulter à
nouveau le Dr. J. Ses retrouvailles avec lui ressemblent à un miracle, un
« lève-toi et marche » qui lui a permis de construire sa vie : l’abandon de ses

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Catherine Chabert

symptômes alimentaires, la réussite à ses examens, une rencontre amoureuse


magnifique.
Aujourd’hui, elle revient me voir, inquiète d’abord à l’idée d’un refus de
ma part, heureuse de notre rendez-vous. En entrant dans le bureau, elle
s’exclame : « Ça sent toujours aussi bon chez vous ! » et me dit à quel point
elle est soulagée de constater que rien n’a changé ici. Le motif de sa
demande est très différent d’avant : en fait, elle souffre de phobies
d’impulsions qui la terrorisent, elle est assaillie par la peur de faire du mal à
ses élèves, elle craint d’être envahie par une violence terrible qui
l’entraînerait à les étrangler.
C’est d’un commun accord que nous nous engageons dans une seconde
thérapie : Clara tient à la garder secrète et ce travail s’est poursuivi pendant
plusieurs années. Beaucoup de réalisations de désirs jalonnent cette période :
Clara se marie dans un climat d’élation presqu’inquiétant ; elle réussit un
concours de haut niveau pour enseigner, renonçant cependant à une carrière
plus spectaculaire dont elle se sent incapable ; et elle a un enfant, ce qui la
comble de bonheur et d’angoisse.
Je souhaite cependant me pencher plutôt du côté des événements de sa vie
intérieure que le travail analytique a permis de dégager en me centrant plus
particulièrement sur deux problématiques (le matériel est si abondant qu’il
me faut faire des choix).
– La première s’inscrit dans une perspective économique et s’attache à la
force, à l’intensité de la vie pulsionnelle dans la reconstruction de la période
adolescente avec les difficultés concomitantes à la traiter autrement que sur
le mode d’une extrême dépendance actualisée par un masochisme moral
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tyrannique dont, encore une fois, on pourrait interroger la dimension © Érès | Téléchargé le 26/05/2024 sur www.cairn.info (IP: 197.146.11.147)
perverse ;
– La seconde s’inscrit dans une perspective dynamique et relève de
l’émergence, dans la cure, d’une autre version du fantasme de séduction dont
la valence hystérique se déploie grâce à la remémoration, battant en brêche
l’idéalisation et le clivage.
Au-delà des phobies d’impulsion concernant les petits garçons, Clara
découvrit l’ambivalence de ses sentiments vis-à-vis de ses petits frères : sa
jalousie et sa tendresse, le déchirement entre l’envie qu’ils suscitaient chez
elle et sa compassion pour leurs souffrances d’enfant. Elle ne pouvait

96
Masochisme et perversion. Approche psychanalytique et projective

reconnaître la sienne propre, et continuait de penser que seuls ses frères


avaient pu pâtir des changements d’humeur brutaux de la mère et des
exigences tâtillonnes du père. C’est pourtant à partir de sa jalousie actuelle
vis-à-vis de son mari qu’elle put admettre les mouvements contradictoires et
violents qui l’habitaient. En effet, Clara se plaint de pensées obsédantes
concernant l’intérêt et l’attraction (imaginaires) de son mari pour d’autres
femmes, qu’elle se représente généralement sous les traits caricaturaux de
« bombes sexuelles ». Ces pensées obsédantes très excitantes lui rappellent
l’excitation intense qui l’envahissait lorsque ses frères étaient absents de leur
chambre et qu’elle s’efforçait d’apaiser par des séances de masturbation dont
elle sortait horriblement honteuse. Un double mouvement anime le
traitement de cette excitation débordante : l’état d’excitation lui-même est
éprouvé, maintenant, dans un contexte de culpabilité angoissante qui l’a
conduite, dit-elle, à se punir compulsivement dans le déroulement de ses
crises de boulimie et de vomissements. Elle évoque ainsi l’extrême plaisir
pris à l’absoption alimentaire abusive pour remplacer la masturbation,
certes, mais surtout l’apaisement apporté par ses comportements à son
excitation psychique : au cours des crises, elle était libérée de ses pensées et
de ses fantasmes si culpabilisants. Et pourtant, cet état de satisfaction
engendrait la nécessité d’une sanction incarnée par les vomissements
compris comme un acte purificateur.
Mais par ailleurs, ce sont les pensées excitantes elles-mêmes, les scénarios
qu’elles déploient qui continuent de la tourmenter : aujourd’hui, elle n’a plus
recours à ses symptômes boulimiques, elle est donc soumise à l’irruption de
ces fantasmes et à l’état qu’ils génèrent en elle. Ses séances de psychothérapie
sont alors utilisées pour donner libre cours à son masochisme moral : elle
attaque systématiquement ses pensées en en dénonçant le caractère pervers,
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elle me montre comment, dans le déroulement de sa vie quotidienne, elle
utilise ses pensées obsédantes pour se priver des plus petits plaisirs. Elle
dresse d’elle-même un auto-portrait diabolique et dans le même mouvement
elle développe une dépendance transférentielle extrême, comme si ma
présence lui était absolument indispensable pour vivre, m’accordant un
pouvoir démesuré, ancré sur une idéalisation outrancière. Cet étayage sans
doute, et l’évolution pare-excitante de la situation analytique, détermina chez
Clara la possibilité d’adopter une position plus critique vis-à-vis de sa mère :
elle put s’interroger, notamment au cours de sa grossesse et au moment de la
naissance de son enfant, sur les qualités maternantes, sur l’attention au bébé,

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Catherine Chabert

sur les capacités contenantes de sa propre mère. Ce qui se révéla pour elle
alors mit en évidence le sentiment profond d’avoir lésé sa mère dans son
corps, elle, la première enfant qui avait effracté cette femme idéalement belle,
cette sylphide dont l’évanescence et la légéreté auraient dû demeurer
éternelles. Pour ce crime, Clara commence à penser qu’elle a assez payé.
C’est ce début de dégagement par rapport à un système d’auto-accusation
jusqu’ici solidement établi qui amorça un remaniement très important dans
la version qu’elle s’était donnée de ses relations avec son père. Par un détour
de souvenirs déplacés sur la figure d’un oncle séducteur avec ses propres
filles, Clara retrouve une scène qui la remplit d’effroi : elle a 4 ou 5 ans, elle
se trouve dans une chambre avec le frère de son père, il tente de la toucher,
elle s’affole et s’enfuit. Elle se souvient que cet épisode fut suivi chez elle
par une période de plusieurs jours où elle refusa de s’alimenter et de parler.
Cette construction me paraît intéressante à bien des égards : d’abord parce
qu’elle inaugura dans le cours de la thérapie un mouvement associatif très
important, mettant au jour une figure de père extrêmement séducteur et
excitant, un homme pulsionnel et parfois grossier, un personnage à double
visage, tantôt identifié à des idéaux purificateurs, à un surmoi intransigeant
et tyranique, tantôt emporté par une violence pulsionnelle très difficile à
intégrer.
Ensuite parce que cette version du fantasme de séduction s’inscrit
maintenant dans sa polarité hystérique : désormais, c’est l’homme, c’est
l’autre qui devient l’agent, l’auteur actif de la séduction, et Clara peut enfin
occuper la place de victime innocente.
Ce changement m’apparaît décisif parce qu’il peut concourir à déloger une
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position masochiste et mélancolique particulièrement invalidante certes, © Érès | Téléchargé le 26/05/2024 sur www.cairn.info (IP: 197.146.11.147)
mais aussi parce qu’il témoigne de l’accession nouvelle de la jeune femme à
une position passive. Jusqu’ici, pour Clara, l’excitation était sans cesse
renvoyée à sa source corporelle, interne, et déterminée par ses propres
pensées obsédantes : elle était l’agent de son excitation auto-érotique,
comme elle se représentait être l’agent de la séduction du père. Reconnaître
l’autre comme partie prenante de son état psychosexuel constitua donc une
étape essentielle dans le cours de la cure, peut-être grâce à un appui
transférentiel qui lui permettait de m’utiliser et d’utiliser ses séances à la fois
dans un mouvement de forte excitation et dans la constitution progressive
d’un pare-excitation.

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Masochisme et perversion. Approche psychanalytique et projective

Les deux temps de la cure de Clara ont tracé pour moi ce déroulement : il
a d’abord fallu que Clara agisse en quelque sorte sa haine contre moi et,
qu’après en avoir dénié les effets, elle l’éprouve comme un préjudice majeur,
un crime dont elle a porté la culpabilité pendant plusieurs années. Il a fallu
qu’elle revienne ensuite pour traverser avec moi le passage masochiste et
mélancolique déterminé transférentiellement par cette faute passée, pour
faire véritablement l’expérience de l’ambivalence des sentiments
antérieurement clivés. Mais l’ambivalence mélancolique ne concerne pas
seulement la lutte entre l’amour et la haine, elle engage des forces extrêmes
dans le combat entre la vie et la mort. Lorsque la fin de la mélancolie arrive,
c’est la vie qui s’impose ; si la part libidinale gagne, c’est que le moi
accueille l’excitation, qu’il accepte l’empreinte de l’autre autrement que
dans ses dérives mortifères. Cela suppose que l’analyste accepte, certes,
d’être « démoli » comme le veut Ferenczi, mais que, à l’instar des parents
winnicottiens, il survive pour que le patient reste vivant (Winnicott, 1971).
Dans le contexte de nos réflexions d’aujourd’hui, la résistance de l’analyste
aux attaques destructrices perverses – c’est-à-dire à la négation de ses
désirs – constitue un conducteur majeur de dégagement.
Un rêve de Clara me servira de conclusion. En voici le récit : « J’ai fait un
cauchemar cette nuit. Je portais mon père sur mon dos et je devais monter un
escalier… un escalier qui ressemble au vôtre. Mon père était de plus en plus
lourd et j’avais de plus en plus de mal à le porter. Et puis à un moment, un
flot rouge et épais sort de sa bouche et je sens monter le même flot dans ma
gorge. Je me dis que si je n’arrive pas en haut, je serai aussi mal que lui…
Je me suis réveillée en sursaut, le cœur battant… (silence) et puis j’ai pensé
que c’était le jour de ma séance et que je viendrai vous parler de tout ça ! ».
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Catherine Chabert

RÉFÉRENCES
Chabert C. (2003) Féminin mélancolique, Paris, PUF, « Petite bibliothèque de
psychanalyse ».
Freud S. (1915) Deuil et mélancolie, in Métapsychologie, Paris, Gallimard, 1968 p.
147-174.
Freud S. (1919) « Un enfant est battu. Contribution à la connaissance de la genèse
des perversions sexuelles », tr. fr. in Névrose, psychose et perversion, Paris, PUF,
1981, 219-243.
Winnicott D.W. (1971) Jeu et réalité, tr. fr. Paris, Gallimard, 1975.

Catherine Chabert
LPCP
Institut de Psychologie
71, avenue Edouard Vaillant
92100 Boulogne-Billancourt
e-mail : catherine.chabert@univ-paris5.fr

Abstract – Masochism and perversion : a psychoanalytic and projective


approach. The author proposes a theoretical and clinical reflection centered on the
possible articulations between perversion and behavioral eating disorders. A case
study is presented from a triple perspective – psychopathological, projective and
psychoanalytic – by establishing a correspondance between the projective work on
one hand and an evaluation of psychotherapy on the other. Emphasis is given to the
melancholic version of seduction fantasies, masochism and possible perverse
adjustments which are associated with them.

Key words : Anorexia – Bulimia – Seduction – Masochism – Melancholy –


Perversion.
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Resumen –Masoquismo y Perversión acercamiento psicoanalítico y proyectivo.
El autor propone una reflexión teórico-clínica centrada en las articulaciones posibles
entre perversión y trastornos de la conducta alimentaria. Un estudio de caso es
presentado en una triple perspectiva – psicopatológica, proyectiva y psicoanalítica –
en la puesta en correspondencia entre la clínica proyectiva, por una parte, y la
evaluación de la psicoterapia. Son abordados principalmente la versión melancólica
de los fantasmas de seducción, el masoquismo y las eventuales configuraciones
perversas que los asocian.

Palabras clave : Anorexia – Bulimia – Seducción – Masoquismo – Melancolía –


Perversión.

100

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