PCP 012 0083
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Approche psychanalytique et
projective1
Catherine Chabert
Dans Psychologie clinique et projective 2006/1 (n° 12), pages 83 à 100
Éditions Érès
ISSN 1265-5449
DOI 10.3917/pcp.012.0083
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La question des perversions, on le sait, est très compliquée, aussi bien sur
le plan clinique que théorique. Je ne m’engagerai pas dans la recherche de
distinctions psychopathologiques qui seront peut-être reprises dans le cours
de ce Colloque. Il me semble cependant opportun d’avancer quelques
éléments susceptibles d’éviter confusions et malentendus.
– D’une part, il est essentiel de distinguer les organisations perverses,
entièrement construites à partir de « symptômes » mettant en évidence la
force d’instauration de fétiches ou de leurs équivalents, et le mouvement
destructeur qui tend à nier le désir de l’autre, en le dépouillant de son statut
de sujet à part entière ; organisations articulées par les mécanismes de
défenses typiques que sont le déni de la castration et le clivage ;
organisations psychiques réputées enfin dépourvues de culpabilité du fait de
l’extrême jouissance associée à la transgression, sans prise en compte de
l’autre.
– D’autre part, sont régulièrement repérés, dans la psychopathologie
clinique actuelle, ce que l’on appelle « les aménagements pervers » qui
constituent des composantes de fonctionnements psychiques divers, même
s’ils sont souvent associés à des personnalités limites et narcissiques. À cet
égard, il peut être intéressant de souligner que, dans la construction
freudienne de la genèse de la perversion – « On bat un enfant » (1919) –,
c’est le masochisme qui est massivement convoqué et que, par ailleurs, des
élément communs – notamment en termes de mécanismes de défense et de
problématique – sont susceptibles d’être découverts entre fonctionnement
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patientes, intolérable par la dépendance vis-à-vis de l'objet qu'elle © Érès | Téléchargé le 26/05/2024 sur www.cairn.info (IP: 197.146.11.147)
soulignerait, par la répétition de l'emprise si fortement imprimée dans la
relation avec la mère.
Contrairement au scénario de la séduction hystérique, on ne repère pas une
dénonciation possible de l'attentat séducteur chez l'autre, mais plutôt la
nécessité de le fixer du côté du sujet : c'est le corps propre et l'excitation dont
il est porteur qui deviennent persécuteurs et doivent par là même être détruits
par extinction des mouvements pulsionnels ; ceux-ci ressentis comme des
forces mauvaises et criminelles exhibées sans honte appellent une
« punition » drastique, traduite notamment par l'ampleur d'une
disqualification et d'une mésestime de soi qui impose des conduites
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Cette séquence est particulièrement intéressante car elle montre bien deux
modes de fonctionnement très hétérogènes et dévoile la place déterminante
du fantasme incestueux dont l’intensité, la violence et le sado-masochisme
entraînent le passage voire la substitution d’un mode secondarisé à un autre,
dominé par les processus primaires.
Un autre exemple, dans un champ de problématique un peu différent, peut
être évoqué à partir de la planche 5.
Cette séquence aussi est passionnante dans la mesure où elle dévoile, à une
planche sollicitant fortement la représentation de soi, un mouvement
d’association constitutif de deux versants narcissiques : l’un idéalisant,
presque mystique et l’autre, sombre, déceptif, débordé par une sexualité
éprouvée comme une atteinte majeure à l’idéal de pureté avec cependant, en
filigrane, une sorte de complaisance voire de jouissance liée à ce double
statut.
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À mon avis, cette séquence est hautement significative de la dimension © Érès | Téléchargé le 26/05/2024 sur www.cairn.info (IP: 197.146.11.147)
mélancolique et de son avers maniaque dans la prise de la représentation du
moi. Cependant, le déploiement de ces deux aspects clivés prend une valeur
différente si on s’attache à une autre problématique, très tenace au
Rorschach et qui relève, non plus seulement de l’investissement narcissique
du moi dans sa double valence idéale et mortifiée, mais aussi de la sexualité
et notamment du repérage des identifications au regard de la différence des
sexes.
Planche 2 :
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renversement et la redistribution des positions active et passive – c’est © Érès | Téléchargé le 26/05/2024 sur www.cairn.info (IP: 197.146.11.147)
l’homme qui s’offre – à l’instar de ce que j’ai appelé « version mélancolique
de la séduction » (Chabert, 2003).
Aujourd’hui, je me demande si, dans cette version, la dimension perverse
ne serait pas présente, d’abord, dans le refus ou le déni de castration qu’elle
implique : c’est l’enfant qui séduit l’adulte, la dimension mélancolique
apparaissant davantage dans la mortification concomitante et tout aussi
active qui touche le sujet lui-même, et au-delà, l’objet visé par toute
entreprise d’autodestruction.
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Le TAT
Venons-en au TAT, très précisément dans la suite de cette problématique
– celle de la séduction – car elle est très vite repérable : si la planche 1 révèle
d’emblée l’absence de prise de l’angoisse de castration ou, en tout cas, son
évitement, la planche 2 montre la singulière organisation du complexe
d’Œdipe, singulière car le refoulement et l’interdit s’en absentent.
Planche 2 – 4” Là il y a deux femmes qui sont amoureuses d’un homme avec un
cheval, d’un homme très musclé et fort. Il y a une femme qui paraît enceinte de cet
homme et l’autre on dirait une jeune fille pure et la jeune fille pure veut prendre
l’homme à la femme enceinte. Elle veut le séduire. 2’30”
Planche 3BM – Imm. On peut raconter aussi une histoire à la première personne ?
Je suis dans une prison et je pense à mon esprit qui est plus ou moins dans mon
corps. C’est pourquoi je tiens un pistolet dans ma main pour tenter de supprimer ce
corps, ce corps qui est la cause de mon malheur avec les hommes et les femmes…
et je pense aussi à l’homme que j’aime pour qu’il soit choqué de me voir sans corps.
2’15”
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compte tenu de l’âge de Clara (19 ans) d’une part, et du projet de prise en
charge d’autre part.
Par ailleurs, le TAT montre aussi la force du masochisme et sa marque
triomphante, ainsi que la puissance des représentations narcissiques, leur
fonction et leur valeur de repli et de lutte anti-dépressive.
Planche 10 – C’est l’histoire d’une actrice qui rencontre un musicien qu’elle avait
aimé il y a très longtemps. Ils ont tous les deux beaucoup souffert et là ils se
retrouvent au sommum de leur gloire. Ils vivent un bonheur intense. Voilà. 1’10”
LA PSYCHOTHÉRAPIE DE CLARA
La première psychothérapie de Clara a commencé quand elle avait 19 ans
et a duré deux ans et demi. Elle m’avait été adressée au décours de son
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hospitalisation pour des crises de boulimie-vomissements compulsives, dans © Érès | Téléchargé le 26/05/2024 sur www.cairn.info (IP: 197.146.11.147)
un contexte de très grande fragilité psychique.
La traversée de cette psychothérapie fut difficile, voire douloureuse dans
la mesure où Clara s’accrochait de manière forcenée à son symptôme et
m’infligeait de manière répétitive toutes les marques d’un transfert négatif
indéfectible. Elle détestait tout chez moi : l’entrée de l’immeuble, les
escaliers, mon bureau, mes vêtements, ma voix… bref rien ne trouvait grâce
à ses yeux intransigeants. Si elle venait – régulièrement – à ses séances,
c’était uniquement pour obéir au Dr J., son psychiatre, parce qu’elle avait
peur, me disait-elle, qu’il la laisse tomber si elle cessait de me rencontrer.
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ne revint pas et refusa de me rencontrer pour en parler. Elle souhaitait aller © Érès | Téléchargé le 26/05/2024 sur www.cairn.info (IP: 197.146.11.147)
voir un analyste homme. Sur le moment, cette interruption m’apparut
conforme à la thérapie dans ses aspects les plus négatifs : décidément, entre
Clara et moi, ça ne marchait pas.
Dix ans plus tard (elle a 29 ans), Clara revient sur les conseils du Dr J. Elle
évoque le temps écoulé, ses années-catastrophe où elle s’est laissée envahir
par le spectre de la folie, où elle est allée jusqu’au bout de son masochisme,
où elle a pris des risques physiques et psychiques majeurs. C’est dans un
dernier sursaut qu’elle a décidé, il y a maintenant cinq ans, de consulter à
nouveau le Dr. J. Ses retrouvailles avec lui ressemblent à un miracle, un
« lève-toi et marche » qui lui a permis de construire sa vie : l’abandon de ses
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tyrannique dont, encore une fois, on pourrait interroger la dimension © Érès | Téléchargé le 26/05/2024 sur www.cairn.info (IP: 197.146.11.147)
perverse ;
– La seconde s’inscrit dans une perspective dynamique et relève de
l’émergence, dans la cure, d’une autre version du fantasme de séduction dont
la valence hystérique se déploie grâce à la remémoration, battant en brêche
l’idéalisation et le clivage.
Au-delà des phobies d’impulsion concernant les petits garçons, Clara
découvrit l’ambivalence de ses sentiments vis-à-vis de ses petits frères : sa
jalousie et sa tendresse, le déchirement entre l’envie qu’ils suscitaient chez
elle et sa compassion pour leurs souffrances d’enfant. Elle ne pouvait
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sur les capacités contenantes de sa propre mère. Ce qui se révéla pour elle
alors mit en évidence le sentiment profond d’avoir lésé sa mère dans son
corps, elle, la première enfant qui avait effracté cette femme idéalement belle,
cette sylphide dont l’évanescence et la légéreté auraient dû demeurer
éternelles. Pour ce crime, Clara commence à penser qu’elle a assez payé.
C’est ce début de dégagement par rapport à un système d’auto-accusation
jusqu’ici solidement établi qui amorça un remaniement très important dans
la version qu’elle s’était donnée de ses relations avec son père. Par un détour
de souvenirs déplacés sur la figure d’un oncle séducteur avec ses propres
filles, Clara retrouve une scène qui la remplit d’effroi : elle a 4 ou 5 ans, elle
se trouve dans une chambre avec le frère de son père, il tente de la toucher,
elle s’affole et s’enfuit. Elle se souvient que cet épisode fut suivi chez elle
par une période de plusieurs jours où elle refusa de s’alimenter et de parler.
Cette construction me paraît intéressante à bien des égards : d’abord parce
qu’elle inaugura dans le cours de la thérapie un mouvement associatif très
important, mettant au jour une figure de père extrêmement séducteur et
excitant, un homme pulsionnel et parfois grossier, un personnage à double
visage, tantôt identifié à des idéaux purificateurs, à un surmoi intransigeant
et tyranique, tantôt emporté par une violence pulsionnelle très difficile à
intégrer.
Ensuite parce que cette version du fantasme de séduction s’inscrit
maintenant dans sa polarité hystérique : désormais, c’est l’homme, c’est
l’autre qui devient l’agent, l’auteur actif de la séduction, et Clara peut enfin
occuper la place de victime innocente.
Ce changement m’apparaît décisif parce qu’il peut concourir à déloger une
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position masochiste et mélancolique particulièrement invalidante certes, © Érès | Téléchargé le 26/05/2024 sur www.cairn.info (IP: 197.146.11.147)
mais aussi parce qu’il témoigne de l’accession nouvelle de la jeune femme à
une position passive. Jusqu’ici, pour Clara, l’excitation était sans cesse
renvoyée à sa source corporelle, interne, et déterminée par ses propres
pensées obsédantes : elle était l’agent de son excitation auto-érotique,
comme elle se représentait être l’agent de la séduction du père. Reconnaître
l’autre comme partie prenante de son état psychosexuel constitua donc une
étape essentielle dans le cours de la cure, peut-être grâce à un appui
transférentiel qui lui permettait de m’utiliser et d’utiliser ses séances à la fois
dans un mouvement de forte excitation et dans la constitution progressive
d’un pare-excitation.
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Les deux temps de la cure de Clara ont tracé pour moi ce déroulement : il
a d’abord fallu que Clara agisse en quelque sorte sa haine contre moi et,
qu’après en avoir dénié les effets, elle l’éprouve comme un préjudice majeur,
un crime dont elle a porté la culpabilité pendant plusieurs années. Il a fallu
qu’elle revienne ensuite pour traverser avec moi le passage masochiste et
mélancolique déterminé transférentiellement par cette faute passée, pour
faire véritablement l’expérience de l’ambivalence des sentiments
antérieurement clivés. Mais l’ambivalence mélancolique ne concerne pas
seulement la lutte entre l’amour et la haine, elle engage des forces extrêmes
dans le combat entre la vie et la mort. Lorsque la fin de la mélancolie arrive,
c’est la vie qui s’impose ; si la part libidinale gagne, c’est que le moi
accueille l’excitation, qu’il accepte l’empreinte de l’autre autrement que
dans ses dérives mortifères. Cela suppose que l’analyste accepte, certes,
d’être « démoli » comme le veut Ferenczi, mais que, à l’instar des parents
winnicottiens, il survive pour que le patient reste vivant (Winnicott, 1971).
Dans le contexte de nos réflexions d’aujourd’hui, la résistance de l’analyste
aux attaques destructrices perverses – c’est-à-dire à la négation de ses
désirs – constitue un conducteur majeur de dégagement.
Un rêve de Clara me servira de conclusion. En voici le récit : « J’ai fait un
cauchemar cette nuit. Je portais mon père sur mon dos et je devais monter un
escalier… un escalier qui ressemble au vôtre. Mon père était de plus en plus
lourd et j’avais de plus en plus de mal à le porter. Et puis à un moment, un
flot rouge et épais sort de sa bouche et je sens monter le même flot dans ma
gorge. Je me dis que si je n’arrive pas en haut, je serai aussi mal que lui…
Je me suis réveillée en sursaut, le cœur battant… (silence) et puis j’ai pensé
que c’était le jour de ma séance et que je viendrai vous parler de tout ça ! ».
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RÉFÉRENCES
Chabert C. (2003) Féminin mélancolique, Paris, PUF, « Petite bibliothèque de
psychanalyse ».
Freud S. (1915) Deuil et mélancolie, in Métapsychologie, Paris, Gallimard, 1968 p.
147-174.
Freud S. (1919) « Un enfant est battu. Contribution à la connaissance de la genèse
des perversions sexuelles », tr. fr. in Névrose, psychose et perversion, Paris, PUF,
1981, 219-243.
Winnicott D.W. (1971) Jeu et réalité, tr. fr. Paris, Gallimard, 1975.
Catherine Chabert
LPCP
Institut de Psychologie
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92100 Boulogne-Billancourt
e-mail : catherine.chabert@univ-paris5.fr
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