Hybrides 1 Rage Laurann Dohner
Hybrides 1 Rage Laurann Dohner
Hybrides 1 Rage Laurann Dohner
Titre
Dédicace
Prologue
Chapitre premier
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20
Chapitre 21
Biographie
Du même auteur
Mentions légales
Laurann Dohner
Rage
Hybrides – 1
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Tristan Lathière
Milady
À M. Laurann, soutien indéfectible, même au temps où je me servais d’un
logiciel antique pour écrire. Il ne s’est jamais plaint que je passe des soirées
entières au-dessus du clavier et n’a jamais trouvé idiot que j’invente des
histoires… parce qu’il savait que cela me rendait heureuse.
Mention spéciale à tous les lecteurs qui m’envoient des e-mails à propos de ce
que j’écris : cela m’a souvent poussée à me relire et, ainsi, à faire revivre telle ou
telle série.
PROLOGUE
416 était convaincu qu’Ellie ne lui ferait aucun mal. Il paniqua en l’entendant
s’excuser par avance. Voulut remuer. Son corps s’y refusa. Il pouvait orienter les
yeux, ciller et déglutir. Grogner un peu… mais pas parler. Qu’est-ce qu’elle
compte faire ? Me tuer ? Dans ce cas, pourquoi avoir éliminé le type qui s’en
prenait à moi ?
N’importe qui mais pas elle, songea-t-il, aux abois, malade à l’idée de mourir
privé de force, étendu dans cette cellule. Il huma les effluves limpides de celle
qui ne manquait jamais d’éveiller ses sens. Ellie arrivait toujours pleine de
douceur, procédait à gestes délicats, son regard était bienveillant quand elle
venait faire un prélèvement. C’était le seul être humain qu’il ait vu sourire avec
bonté. Il en était venu à espérer ses visites. Celle-là, non, pas question qu’elle lui
fasse du mal. Elle seule pénétrait dans son antre sans qu’il se crispe, sans qu’il
redoute la douleur et l’humiliation.
Alors qu’elle le regardait, il avait vu la peur s’insinuer dans ses beaux yeux
bleus. 416 en conçut un léger pincement au cœur. Il s’était appliqué à ne jamais
la menacer ni gronder, contrairement à ce qu’il faisait à l’approche des autres
techniciens. Jusqu’à aujourd’hui. Il regrettait de devoir la terrifier, c’était dire
adieu aux sourires qu’il avait appris à chérir depuis que la jeune femme
travaillait ici. Cela faisait peu de temps. S’il ignorait combien au juste, une chose
était certaine : elle était apparue dans sa vie récemment.
Il se rendit compte que son corps recommençait à répondre en sentant sa
queue s’animer. Une expérience douloureuse en raison de ce que Jacob lui avait
fait subir, mais gage d’espoir : l’énergie allait peut-être revenir rapidement dans
ses membres. Ellie lui fit des choses qui lui donnèrent envie d’effleurer ses
cheveux blonds, de presser le nez contre sa gorge pour mieux s’imprégner de son
odeur enivrante. Il rêvait parfois d’elle nue, collée à lui qui était libéré de ses
chaînes. Quel bonheur ce serait de la toucher, de la goûter des pieds à la tête,
d’entendre sa voix, de tout savoir sur cette humaine qui le fascinait corps et âme.
Le son de sa voix était une douce musique à ses oreilles. Il désirait la voir
sourire, apprendre à rire avec elle, obtenir les réponses aux cent questions qui se
bousculaient dans sa tête. Qui était cette femme ensorcelante ? Sa peau paraissait
infiniment soyeuse, et elle sentait bon, si bon ! Mais voilà qu’elle venait
d’annoncer qu’elle allait lui faire du tort…
Comment pouvait-elle se montrer aussi cruelle ? Cette trahison lui fit mal.
Sans parler de la honte après ce qu’elle avait vu. Certes, elle l’avait sauvé d’un
viol en tuant le technicien, mais elle savait aussi ce qu’il avait enduré,
l’humiliation infligée par cet humain abject. La mort dans l’âme, il sut qu’elle ne
pourrait plus jamais le regarder sans raviver l’image de sa déchéance. 416 se
sentit à la fois mortifié et furieux : ils étaient parvenus à briser son rêve, jamais
plus Ellie ne verrait en lui un mâle désirable.
Il gronda de nouveau pour l’effrayer, pour l’empêcher de passer à l’acte. Son
corps restait inerte, ses membres engourdis, mais il savait qu’il ne la tuerait pas
même s’il parvenait à se libérer. Non, il se contenterait de la repousser derrière la
ligne, afin de couper court à ce que son instinct lui dictait de faire. Il la voulait
d’une façon qu’il savait impossible entre un prisonnier et sa geôlière.
Ellie se leva et sortit de son champ de vision. En le faisant rouler sur le dos,
elle l’avait privé du spectacle de l’homme mort. Incapable de tourner la tête, il
dut se contenter de l’entendre et de la humer. Il perçut des bruits étranges.
Qu’est-ce qu’elle fabrique ?
Aucune idée. Angoisse. Tous les humains étaient cruels. Sans merci. Elle
l’avait abasourdi en tuant son agresseur… pour deux raisons. Primo, parce
qu’elle l’avait fait pour empêcher l’humain de le violer, secundo, parce qu’elle
était menue. Elle avait triomphé d’un mâle. L’aurait-il sous-estimée ? Il l’avait
crue douce, délicate, et voilà qu’elle s’était déchaînée sur un type adulte avec
sauvagerie. Son pouls s’accéléra. Il tenta une nouvelle fois de remuer. Toujours
rien.
— Misérable salaud, je te déteste ! Je veux que tu le saches, cracha Ellie.
En entendant ces paroles, 416 fut peiné mais pas très étonné. Il savait depuis
longtemps que tous ceux qui travaillaient dans ce centre considéraient les
cobayes comme de la viande sur pieds sans valeur. Quelle erreur d’avoir cru
qu’Ellie puisse penser autre chose de lui !
Une erreur stupide et impardonnable. Pris d’un nouvel accès de fureur, il
sentit un doigt tressaillir. Il remua la bouche, un grondement silencieux coincé
dans la gorge, et fit le serment de se venger de cette sale manipulatrice.
Ellie poussa un soupir et rajusta ses écouteurs. Le heavy metal jaillit du lecteur
MP3 qu’elle avait glissé dans la poche avant de son pantalon corsaire en coton.
En dépit de la très légère brise sur sa peau, il faisait si chaud qu’elle transpirait
encore à 23 heures. Coup d’œil à la fenêtre ouverte : la clim du dortoir était une
nouvelle fois HS. Les équipes d’entretien n’avaient pas fini de régler les petits
tracas propres à tout bâtiment flambant neuf.
La jeune femme sortit en plein vent par la porte-fenêtre du balcon, qu’elle
laissait souvent ouverte, afin de refroidir son organisme surchauffé. Puis elle but
un peu d’eau dans la petite bouteille en plastique qu’elle avait prise dans le frigo
minuscule en rentrant chez elle ; accoudée à la rambarde, elle contempla
Homeland, la « nation », depuis son point de vue du deuxième étage. Elle venait
d’en terminer avec ses exercices physiques du soir. L’air frais lui fit un bien fou.
Son attention dériva jusqu’aux murs du périmètre de sécurité, à quelque
cinquante mètres de là.
L’enceinte faisait neuf mètres de haut ; des vigiles patrouillaient sur un chemin
de ronde. Entre son bâtiment-dortoir et le mur, du gazon épars et quelques arbres
formaient un semblant de parc. Le projet Homeland s’étendait sur deux mille
hectares et venait tout juste d’être achevé, Ellie n’y vivait que depuis deux jours.
Personne n’arpentait le trottoir qui serpentait entre les arbres.
Le calme extrême qui régnait dans le bâtiment avait quelque chose de
dérangeant, même si Ellie avait été prévenue. La plupart des filles n’avaient pas
encore emménagé. Pourvu que tout se passe bien, espéra-t-elle, sincèrement
désireuse que le projet Homeland se déroule comme prévu. Conçu pour héberger
les survivants de Mercile Industries, il avait pour vocation de les aider à
appréhender leur liberté toute neuve au sein d’une communauté protégée. Les
rescapés avaient besoin d’un havre de paix où trouver leurs marques.
Infiltrée dans ce qu’elle pensait alors être l’unique laboratoire clandestin de
Mercile Industries, Ellie avait découvert après l’opération de police qu’il en
existait en fait trois autres. Elle ferma les yeux, écœurée par le nombre de
victimes des essais illégaux qui avaient fait les gros titres ces derniers mois.
Toutes les installations souterraines avaient été investies par les pouvoirs publics
et les cobayes libérés… mais certains n’avaient pas vécu assez longtemps pour
en profiter. Les morts se comptaient par centaines. Ellie en avait eu le cœur
brisé.
Elle s’obligea à rouvrir les yeux. Deux ans auparavant, alors qu’elle travaillait
au siège administratif de Mercile, l’agent Victor Helio était entré en contact avec
elle. Il l’avait informée des rumeurs de laboratoire clandestin où des êtres
humains, réduits en esclavage, servaient de cobayes pour tester des molécules
illégales. La police avait vainement tenté d’infiltrer des éléments à elle : Mercile
refusait toute embauche. En tant qu’employée déjà en poste dans la société, Ellie
pouvait demander à être mutée dans un labo de R&D sans éveiller les soupçons.
Horrifiée par l’idée que des individus puissent souffrir ainsi, la jeune femme
avait accepté d’espionner pour le compte des autorités. Six mois s’étaient
écoulés avant que la DRH accède à sa requête, puis plusieurs autres encore avant
qu’elle ait accès aux niveaux souterrains. C’était là qu’elle avait découvert
l’enfer que vivaient 416 et ses semblables. Sa grande fierté : avoir contribué à la
fermeture du labo clandestin. Elle avait risqué sa vie en exfiltrant les fameux
fichiers qui avaient convaincu un juge de délivrer un mandat de perquisition. La
police avait donné l’assaut.
Ellie soupira. Les mentions « classé confidentiel » et « programme de
protection des victimes » étaient revenues à ses oreilles chaque fois qu’elle avait
souhaité savoir ce qu’il était devenu. Certains sujets n’avaient pas survécu à
l’opération de sauvetage : ils avaient été liquidés avant que les forces de l’ordre
atteignent les niveaux les plus sécurisés, ceux-là même où étaient détenus les
cobayes. Pour tout ce qu’elle savait, 416 était mort dans sa cellule souterraine,
sans savoir que la cavalerie arrivait à la rescousse. C’était à pleurer.
L’ex-infirmière ôta ses écouteurs, éteignit le lecteur MP3 et lâcha l’ensemble
sur son bureau, en proie à l’angoisse qui la saisissait chaque fois qu’elle pensait
à 416. Elle avait demandé à participer à l’opération de sauvetage, quitte à monter
la garde à l’entrée de sa cellule. C’était bien le moins qu’elle lui doive. Sourd à
ses supplications, Helio n’avait rien voulu savoir. Elle n’était pas membre des
forces de l’ordre. En outre, il n’était pas question de risquer la peau d’une
informatrice dont le témoignage serait précieux pour enfoncer Mercile.
— Et merde.
Comment oublier ses yeux sombres ? Le visage de 416 quand elle l’avait
abandonné dans sa cellule, son grognement de bête trahie ? Elle avait agi dans
l’unique but de lui sauver la vie… mais, n’ayant aucun moyen de comprendre
pourquoi Ellie lui faisait endosser le meurtre du technicien, il avait dû la prendre
pour un être abject. Aveuglée par l’afflux de larmes, elle s’efforça d’endiguer le
flot. Des pleurs, elle en avait versé de pleins seaux depuis ce jour atroce où elle
l’avait laissé étendu.
La sonnerie du téléphone fourni par Homeland la fit tressaillir. Son portable
personnel, unique lien avec le monde extérieur, ne sonnait jamais. Elle avait pris
ses distances avec amis et famille. Sa vie entière avait été chamboulée lors des
mois passés à travailler au labo souterrain ; elle ne supportait plus ses parents
divorcés qui l’utilisaient comme arme pour régler leurs comptes et qui, de
surcroît, la blâmaient pour avoir elle-même divorcé. Il existait de vrais
problèmes à régler : des problèmes qu’Ellie était bien décidée à attaquer de front.
Résolue à aider les Hybrides, elle était heureuse de contribuer à corriger un tort.
Cela donnait un sens à sa vie. Là était l’essentiel. Elle décrocha à la deuxième
sonnerie.
— Ellie Brower, j’écoute.
— Mademoiselle Brower, ici Cody Parks, de la sécurité. Je vous informe que
quatre femmes viennent tout juste d’arriver. Leur situation était compromise à
l’hôtel, on nous a prévenus au dernier moment.
— J’arrive tout de suite.
Elle raccrocha. Merde. Les médias ont dû apprendre que quatre rescapées sont
dans les parages. Le protocole était le suivant : en cas d’atterrissage tardif, les
victimes étaient placées sous bonne garde dans un hôtel puis transférées à
Homeland le lendemain. La sécurité avait estimé qu’il était plus facile de
protéger le convoi de jour mais, manifestement, planquer des survivantes dans
un hôtel comportait des risques. Ellie s’inquiéta : venaient-elles de vivre un
épisode traumatisant ? Le monde extérieur était déjà assez flippant en soi pour
d’anciens cobayes sans le feu roulant des questions et les flashs des paparazzis.
Quelques secondes suffirent à Ellie pour enfiler ses chaussures et prendre son
badge. Elle quitta son appartement, évita à dessein l’ascenseur, trop lent à son
goût, et préféra dévaler les marches deux par deux. Les portes vitrées du hall
étaient faites dans un matériau assez solide pour résister au pire. Elle aperçut
quatre femmes et, derrière elle, deux vigiles qui portaient les valises. Elle pressa
le pas.
Cody Parks, le chef de poste, l’accueillit avec un sourire.
— Bonsoir, mademoiselle Brower. Désolé pour l’arrivée tardive de vos
nouvelles pensionnaires.
Ellie sourit et reporta son attention sur les amazones. La moins imposante des
quatre devait faire un bon mètre quatre-vingts. Les dix femmes qui résidaient
déjà dans le bâtiment étaient invariablement grandes et musclées ; Ellie se sentait
minuscule en comparaison. Elle adressa un large sourire aux nouvelles… qui
restèrent de marbre. Elles paraissaient fatiguées, en rogne et un peu perdues.
Ellie eut un élan de compassion.
— Soyez les bienvenues chez vous, déclara-t-elle d’une voix chaleureuse. Je
sais que vous avez dû en baver, mais ici, vous ne risquez rien. Je suis Ellie, votre
chef d’équipe.
Deux des femmes froncèrent les sourcils. La plus grande et la plus
impressionnante du groupe lui jeta un regard noir. La quatrième s’exprima.
— Notre quoi ?
— Chef d’équipe. Un simple titre, s’empressa d’ajouter Ellie, je ne vais pas
jouer les chefs avec vous. Mon rôle consiste à trouver une solution aux
problèmes, répondre aux questions et aux besoins éventuels. Vous fournir toute
l’aide possible, quoi. Aucun sujet n’est interdit, à toute heure du jour et de la
nuit.
— Une psy, résuma sèchement la moins grande du lot, une jeune femme aux
cheveux noirs, en montrant les dents.
— Non, corrigea Ellie. J’ai des notions de médecine mais je ne suis pas
docteur. Je sais que vous avez toutes dû consulter un psy. Je suis passée par là,
moi aussi… et je ne les aime pas plus que vous.
Elle offrit son expression la plus avenante.
— Je propose de commencer par vous montrer vos chambres, on en profitera
pour faire le tour du bâtiment, puis je vous laisserai vous installer. Ensuite…
— Mademoiselle Brower, intervint Cody Parks.
Ellie se tourna vers lui tandis que les quatre femmes entraient dans le hall.
Elles étudièrent les lieux puis se dirigèrent vers le salon. Quelques minutes de
répit leur seraient profitables pour prendre leurs marques.
— Oui ?
— Une réunion est prévue dans vingt minutes. Vous êtes tenue d’y assister en
tant que responsable du dortoir des femmes ; le chef de leur nouveau conseil
veut tout savoir sur Homeland. Il veut avoir la certitude que les siens ne
subissent aucun mauvais traitement. Fraîchement nommé, il a besoin d’être
rassuré.
— Mais… il est super tard, plaida Ellie, consternée. Il faut que je les installe,
et ça va prendre plus de vingt minutes !
— Je comprends, mais le chef en question est arrivé avec elles et dit que c’est
important. (L’homme soutint le regard d’Ellie.) Il est crucial qu’ils sachent que
nous sommes dans leur camp, et déterminés à nous plier en quatre pour leur
permettre de s’acclimater à la vie normale. C’est un inquiet.
La jeune femme hésita. Les Hybrides avaient été séparés et logés dans divers
lieux sécurisés après leur libération, le temps que Homeland soit prêt à tous les
héberger. Le complexe était appelé à être leur résidence permanente pendant une
durée indéfinie. Leur chef avait, de ce fait, des raisons valables de s’inquiéter de
la sécurité et du bien-être de son peuple.
— Entendu. Je les installe au plus vite et je me rends à la réunion. Elle a bien
lieu dans la salle de conférences du bâtiment principal ?
Parks hocha la tête. Ellie referma la porte du dortoir ; le signal sonore qui
retentit aussitôt témoigna du verrouillage automatique de l’entrée. Les mesures
de sécurité, pour rigides qu’elles soient, étaient mises à l’épreuve par l’attrait
irrésistible qu’exerçaient les victimes sur les médias à sensation. Les tentatives
d’intrusion se multipliaient depuis que les chasseurs d’images savaient où
logeaient les ex-cobayes des laboratoires clandestins.
Le gouvernement planchait sur une loi vouée à interdire aux journaux de
publier un cliché d’Hybride. Les victimes de l’affaire Mercile n’avaient pas à
subir le feu roulant des médias. Plus inquiétant encore : les groupes hostiles aux
Hybrides, opposés au fait qu’on les traite comme des êtres humains à part
entière, qu’on leur attribue une enclave protégée, et qui beuglaient des slogans
haineux aux abords du complexe.
Elle s’élança, embraya le pilote automatique et fit visiter le rez-de-chaussée du
dortoir au pas de course : salle de réunion, deux grands salons, cuisine spacieuse,
réfectoire apte à accueillir cinquante convives, salle d’eau avec quatre W.-C.
séparés et bibliothèque. Les deux étages supérieurs étaient divisés en petits
appartements comprenant chambrette, salon, salle de bains et coin-cuisine.
Ellie installa les nouvelles au premier étage, dans des chambres mitoyennes et
en vis-à-vis. C’était devenu la norme, en deux jours d’aménagement : les
arrivantes étaient passablement effrayées même si elles s’efforçaient de ne rien
laisser paraître, il était plus rassurant d’être logées à proximité les unes des
autres. Elles avaient traversé des épreuves abominables et l’arrivée à Homeland
– un saut dans l’inconnu – n’était pas davantage une partie de plaisir. La liberté
devait être une expérience terrifiante après toute une vie passée à servir de
cobaye.
— Si vous avez faim ou soif, il y a tout ce qu’il faut dans le meuble en métal
argenté, à côté de l’évier.
Elle avait découvert assez tôt que le mot « réfrigérateur » était inconnu des
Hybrides.
— Dix autres femmes sont logées à cet étage ; si vous entendez du bruit, ne
vous inquiétez pas. Elles viennent d’ailleurs. (D’autres labos clandestins,
songea-t-elle sans le préciser.) Mais elles sont comme vous. Le bâtiment est
entièrement sécurisé, aucun intrus ne peut y pénétrer. Vous ne craignez rien.
Les quatre amazones la dévisageaient comme si elle était un insecte. Ellie
poussa un soupir ; c’était la norme, hélas. Elles se méfiaient des étrangers, à
savoir de quiconque n’avait pas servi de cobaye.
— Vous me trouverez à l’étage au-dessus dès que j’en aurai terminé avec la
réunion. Mon numéro de chambre est affiché au mur, près de l’ascenseur. Venez
me voir si vous avez une question à poser ou besoin de quoi que ce soit. Je suis
ici pour vous aider. Une question avant que je descende ?
Aucune ne s’exprima. La plus grande des quatre tourna les talons et
s’engouffra dans l’une des chambres qu’Ellie venait de leur attribuer ; les trois
autres suivirent, puis la porte claqua. Les nouvelles la battaient froid. Ellie
espéra que cela ne durerait pas.
Ellie jeta un coup d’œil à sa tenue : chaussures de jogging, pantalon corsaire
noir et débardeur bleu ciel. Cheveux noués en queue-de-cheval. Pas très
présentable, mais un regard à sa montre lui indiqua que le temps manquait pour
se changer. Une seule option : courir jusqu’à la salle de réunion. Ellie fila vers
l’escalier.
Le bâtiment principal était situé à l’avant du terrain dévolu à Homeland.
Chaque dortoir étant pourvu d’une voiturette de golf, la jeune femme conduisit
jusqu’au parking de l’administration et coupa le moteur. Elle poussa un juron en
consultant sa montre. Cody ne lui avait pas donné l’heure exacte pour la réunion,
mais plus de vingt minutes s’étaient écoulées. Elle courut jusqu’à l’entrée,
ralentit le pas en remarquant le factionnaire armé qui ne la connaissait pas
encore et se présenta à lui.
— Bonsoir. Ellie Brower, responsable du dortoir des femmes. Cody Parks m’a
dit que j’étais censée assister à une réunion.
Le vigile, visiblement nerveux, lui lança un regard hostile et porta la main à
son arme. Ellie mit lentement la main à sa poche de devant et exhiba son badge.
Une carte magnétique qui, en plus de déverrouiller les portes, comportait son
nom, sa fonction et sa photo. Elle fit un pas en avant pour la lui présenter.
Le garde s’en empara, l’étudia avec soin puis lui rendit son badge.
— Salle de conférences de gauche. Vous connaissez les lieux, mademoiselle
Brower ?
— Oui, merci.
La jeune femme dépassa le vigile et traversa le grand hall au petit trot, en
direction de la double porte où personne ne montait la garde. La main sur la
poignée, elle poussa le lourd battant et fit son entrée.
La pénombre ambiante la surprit. Les plafonniers étaient coupés, seules les
appliques murales donnaient un peu de clarté. Elle n’était pas seule, pourtant :
des voix résonnaient.
Deux vigiles se retournèrent illico et empoignèrent leur arme. Elle désamorça
la situation en affichant un sourire posé et en levant les mains pour montrer
qu’elle ne tenait rien de plus dangereux qu’un badge. Derrière les cerbères, le
silence se fit. Ellie n’osa quitter des yeux les deux hommes qui étreignaient
toujours leur flingue.
— Ellie Brower, chef d’équipe du dortoir des femmes. Je viens en paix.
Sa blague ne fit pas rire les vigiles. L’un d’eux garda la main sur la crosse de
son arme pendant que l’autre venait s’emparer du badge ; elle ne fit plus un geste
avant qu’il l’ait inspecté et ait hoché la tête.
— Installez-vous. Vous êtes en retard.
Ellie rempocha son bien. Il lui fallut contourner le garde qui lui barrait la
route ; quelques enjambées plus tard, elle distingua les participants.
Il y avait là Darren Artino, chef de la sécurité, et le directeur Boris. Ce dernier
fronça les sourcils en allant à sa rencontre ; Ellie, mal à l’aise, comprit qu’il
désapprouvait son accoutrement.
— Je n’ai pas eu le temps de me changer, expliqua-t-elle. J’avais quatre
nouvelles pensionnaires à installer, et moins de vingt minutes pour le faire. On
ne m’a pas informée de cette réunion avant leur arrivée.
Boris cessa de faire la grimace.
— Pas de problème, Ellie. Tâchez juste d’être plus présentable la prochaine
fois ; on jurerait que vous sortez de la salle de sport.
— C’est à peu près ça, admit-elle. Vous ne voulez pas que j’allume ? C’est
sinistre, là-dedans…
— Non, je regrette, soupira le directeur. Certains membres du conseil
préfèrent la pénombre.
Ellie comprit. Pour avoir passé des années dans une cellule obscure, certains
survivants avaient développé une hypersensibilité à la lumière vive. Elle avait
équipé plusieurs appartements du bâtiment des femmes en tenant compte de ce
paramètre, allant jusqu’à aller leur acheter des lunettes noires à l’extérieur afin
qu’elles puissent circuler sans encombre dans les salles communes du dortoir, et
fait installer des variateurs dans certaines pièces. La jeune femme passait
beaucoup de temps à réfléchir au ressenti et aux besoins des Hybrides. Bien faire
son travail confinait à l’obsession.
Elle reconnut d’autres visages dans l’assemblée et répondit par un sourire au
clin d’œil de Mike Torres, le responsable du bâtiment des hommes. Gentil
garçon d’une petite trentaine d’années, Mike avait un peu flirté avec elle lors de
son premier jour à Homeland. Dominic Zort, le cadre qui avait expliqué à Ellie
en quoi consistait son boulot de chef d’équipe, se tenait à côté de Mike et lui
adressa un bref signe de tête. Zort avait pour mission de faire en sorte que les
différents services coopèrent au mieux et se chargeait de l’essentiel du
recrutement.
Un mouvement en périphérie de son champ de vision attira l’attention d’Ellie.
Elle se tourna. Quelqu’un traversait la salle dans sa direction, mais comme elle
était plus petite que les personnes qui l’entouraient, il était malaisé d’identifier
l’inconnu.
— Ellie ? lança le directeur Boris. Il est temps d’aller nous asseoir.
— Entendu, répondit-elle en lui emboîtant le pas.
— Toi, gronda une voix masculine dans son dos.
Ellie se retournait pour tenter d’identifier l’origine du grondement à glacer le
sang quand des mains l’agrippèrent. La jeune femme poussa un glapissement
étranglé alors que ses pieds quittaient le sol. Deux bras puissants la secouaient
comme un fétu de paille. Ballottée, le dos malmené, elle eut le souffle coupé.
Puis elle écarquilla les yeux en découvrant l’enragé qui la tourmentait… 416.
CHAPITRE 2
416 grondait à l’intention d’Ellie, les lèvres retroussées sur ses longues
canines, et lui faisait mal en l’étreignant juste au-dessus des coudes. Il venait de
la plaquer sur une table de conférence. Penché sur elle, son visage déformé par la
haine à quelques centimètres du sien, il irradiait la colère. Ellie était terrifiée.
Elle ouvrit la bouche, mais aucun son n’en sortit. Rien qu’un hoquet étouffé. Il
gronda plus fort, l’aplatit encore un peu plus.
— C’est quoi, ce cirque ? s’exclama le directeur. Lâchez-la !
Ellie perçut du mouvement en périphérie de son champ de vision mais n’osa
pas se détourner du regard noir de 416. Il paraissait à deux doigts de l’égorger
avec ses crocs affilés qui luisaient dangereusement près d’elle. Le cœur de la
jeune femme battait si fort qu’elle craignit qu’il explose dans sa poitrine. Il avait
survécu… et allait la tuer comme il avait promis de le faire.
— Lâchez-la, insista une voix masculine sur un ton sans appel.
— Qu’est-ce qui se passe, bon sang ? glapit un autre homme au bord de la
panique.
— Rage, lâche-la immédiatement, fit une nouvelle voix anormalement
caverneuse.
Le regard furibond de 416 se détourna de sa victime terrifiée. Il gronda contre
quelqu’un derrière lui.
— Pas question. C’est entre elle et moi. Recule.
Ellie passa la langue sur ses lèvres sèches, soulagée de pouvoir souffler un
peu. Son bourreau l’agrippait si fort qu’elle en avait les larmes aux yeux.
L’Hybride, quant à lui, se concentrait toujours sur quelqu’un d’autre. La salle
avait beau être pleine de monde, Ellie comprit qu’elle allait mourir devant un
public impuissant dès qu’il reporterait son attention sur elle.
— Lâche-la, Rage, réitéra la voix caverneuse d’un ton menaçant. Maintenant.
— Elle est des leurs, grinça 416. Elle bossait comme technicienne au labo. Pas
un pas de plus. C’est ma vengeance, j’y ai droit.
Un bruit mécanique retentit dans la salle ; Ellie écarquilla les yeux. Elle avait
reconnu le son que produit un fusil à pompe quand on chambre une cartouche.
Une boule dans la gorge, elle craignit qu’un vigile zélé abatte 416 pour lui
sauver la vie. Pas question ! Sa terreur envolée, elle n’eut plus qu’une idée en
tête : empêcher qu’il ne meure. Elle lui avait déjà sauvé la mise une fois, l’heure
était venue de recommencer.
— Tout va bien, lança-t-elle le plus fort possible. (Sa voix chevrotait ; elle
poursuivit néanmoins.) Ne lui faites pas de mal. Ne tirez pas ! S’il vous plaît.
— Ellie ? dit Boris en s’approchant. De quoi diable parle-t-il ?
Ellie craignit le pire en voyant son bourreau se retourner vers elle. Un frisson
la parcourut : la colère froide qui couvait dans ses yeux noirs annonçait qu’il
comptait mettre sa menace à exécution. Plus aucun doute, il allait la tuer devant
tout le monde.
— Rage, gronda une autre voix masculine. Relâche-la. Réglons ça entre gens
raisonnables.
— Elle est à moi ! glapit 416, si crispé qu’il n’arrivait plus à s’exprimer
normalement, tout en accentuant encore la pression sur sa proie.
Les larmes roulèrent sur les joues d’Ellie sans qu’elle émette le moindre son :
le plus petit cri risquait de faire monter la pression d’un cran… et l’un des mâles
alentour venait d’armer un fusil à pompe.
— Ellie ? lança Dominic Zort, tout proche. Vous étiez infiltrée, c’est bien ça ?
Ellie ravala un sanglot. 416 grondait toujours sourdement et sa poigne d’acier
lui faisait très mal.
— Oui, haleta-t-elle. On se connaît, lui et moi.
Le grognement de son tourmenteur s’amplifia.
— Rage ! tempêta une voix mâle. Lâche immédiatement cette humaine !
Rage cessa de lui broyer les bras sans la lâcher pour autant. Il s’écarta un peu
d’elle, pesa moins lourdement au-dessus de la tête de sa victime et ferma la
bouche pour masquer ses crocs. Respirant à fond par le nez, il continua à
dévisager Ellie.
Rage. Un nom au diapason de ce qui se lisait dans ses prunelles.
Zort s’empressa d’intervenir.
— Ellie faisait déjà partie du personnel médical de Mercile. Infirmière au
siège administratif, sauf erreur de ma part. Quand les rumeurs de labo clandestin
ont commencé à circuler, elle a été chargée d’espionner la boîte. Les autorités
ont bien tenté d’infiltrer des agents, mais Mercile se refusait à toute embauche
extérieure. Ellie a dû faire de gros efforts pour se faire muter dans leur enfer
souterrain afin de découvrir si les rumeurs étaient fondées. C’est elle qui a
récolté les preuves qui nous ont permis de lancer l’enquête officielle et de
perquisitionner le premier site. J’ignorais qu’elle avait croisé de gens de votre
peuple, Justice. Ce n’était pas moi son superviseur et rien, dans les rapports de
Victor Helio, n’indique qu’Ellie ait interagi avec un quelconque Hybride. Encore
moins qu’elle ait fait du tort à l’un d’eux. Je ne l’aurais pas choisie pour
travailler auprès des vôtres si j’avais eu connaissance d’un lien personnel. (Zort
poursuivit d’une voix calme et placide.) Son nom complet est Ellie Brower,
responsable du bâtiment des femmes. Elle a mis sa vie en danger jour après jour
en espionnant Mercile pour notre compte, Justice. Elle savait qu’elle risquait d’y
passer s’ils apprenaient qu’elle avait pris ce job dans l’unique but de glaner des
preuves.
— Lâche-la, ordonna le dénommé Justice, toujours aussi insistant mais moins
sévère. Détends-toi, Rage. Je te comprends. Tu as entendu l’humain ? Ellie
travaillait là pour les aider à prouver notre existence. Elle a sauvé notre peuple.
Rage ne lâcha pas Ellie qu’il continua à couver d’un regard de haine. Elle
soutint ce regard, certaine qu’il n’avait cure des raisons qui l’avaient poussée à
travailler là-bas. Il la haïssait parce qu’elle lui avait fait endosser le meurtre de
Jacob… et c’était justifié. Qu’elle ait agi pour son bien n’enlevait rien à la
bassesse du procédé.
— Ellie ? questionna le directeur Boris. Quelle était votre fonction exacte là-
bas, et qu’avez-vous fait à cet homme ?
Et merde. Ellie déglutit. Les pupilles de 416 passèrent du brun chocolat au
presque noir.
— Je me rendais utile, expliqua-t-elle à voix basse. En compilant toute une
foule de données obtenues avec les tests salivaires et sanguins qu’on
m’ordonnait de faire.
— Pourquoi vous hait-il à ce point ? Lui auriez-vous fait du tort ? s’emporta le
directeur. Vous les faisiez souffrir ?
Ellie observa les traits tendus de 416. Si c’était elle qui s’était fait agresser
sexuellement, elle n’aimerait pas que cela s’ébruite. En outre, avec sa fierté de
mâle, il devait détester l’idée que toutes les personnes présentes aient vent de sa
mésaventure… Mais comment expliquer l’origine du courroux de Rage sans
détailler les raisons qui l’avaient poussée à tuer Jacob ? Elle hésita. Rage plissa
les yeux ; un grondement puissant enfla dans sa poitrine.
— Non, ordonna-t-il.
— Rage ? lança Justice de sa voix anormalement caverneuse. Qu’a-t-elle fait
pour que tu lui en veuilles à ce point ? Elle t’a forcé à prendre leurs saletés ?
— Ellie, grinça Boris, crachez le morceau, qu’on en finisse.
— J’ai dû procéder à des tests, mentit-elle. Je lui ai fait mal.
Cette dernière assertion était vraie : en agissant comme elle l’avait fait, Ellie
avait dû lui causer un choc émotionnel supplémentaire, comme s’il n’avait pas
eu assez de ce que Jacob lui avait fait subir pendant qu’il gisait à sa merci.
— Et il n’aimait pas que je lui fasse des prélèvements, ajouta-t-elle.
416 gronda pour toute réponse mais elle continua à soutenir son regard.
— Je suis désolée, je n’ai pas eu le choix. Je savais que l’aide allait venir si je
parvenais à sortir avec les preuves. J’ai agi de manière à tous vous sauver. Le
dénouement était si proche… (Nouveau torrent de larmes.) Vraiment navrée…
J’ai fait ce que j’ai pu pour vous sauver.
Rage avait l’humaine qui l’avait trahi à sa merci. Incroyable ! Il avait retrouvé
Ellie, elle travaillait à Homeland… et il la tenait. Il était libre, désormais, en
pleine possession de ses moyens – et en proie à un intense débat interne. Que
faire d’elle ? Une petite voix lui susurrait de lui briser la nuque mais une autre,
plus insistante, affirmait qu’il n’avait qu’une envie : se blottir contre elle. Ce qui,
dans un cas comme dans l’autre, revenait à ne pas la lâcher. Ce conflit intérieur
l’écœura. Comment hésiter après ce qu’elle lui avait fait dans sa cellule ? Ce jour
funeste, et le suivant, resteraient à jamais gravés dans sa mémoire.
Justice eut beau insister pour qu’il la libère, ses mains refusèrent de lâcher
prise. Le simple fait qu’elle ose se trouver à l’endroit où les Hybrides étaient
censés être à l’abri de leurs bourreaux le rendait furieux. C’était la pire du lot !
Avec son joli minois, elle lui avait fait croire que jamais, au grand jamais, elle ne
lui ferait de mal. Il éprouva la douceur de sa peau du bout des doigts, huma cette
odeur qui l’avait ensorcelé des nuits entières.
Ses yeux bleu pâle étaient encore plus beaux que dans son souvenir. Il s’en
voulut de la voir verser des larmes, d’être à l’origine de son désarroi. Quel parti
prendre ? Exercer une vengeance qu’il savait juste… alors qu’il détestait l’idée
de lui faire du mal ? Quand elle avait demandé à l’assistance de ne pas lui faire
de mal, à lui, il n’en avait pas cru ses oreilles. Depuis quand les ennemis déclarés
remuent-ils ciel et terre pour vous sauver la mise ?
— Rage, murmura Justice. C’est une femme.
Précision inutile : l’odeur délicieuse que dégageait Ellie, fraise et vanille, lui
donnait envie de grogner, de fourrer son nez contre sa peau, de remonter la piste
olfactive jusqu’à son point d’origine. À quoi devait-elle ces effluves enivrants,
un shampoing, son gel douche ? Le simple fait de se poser la question raviva sa
colère.
Il n’en revenait pas qu’elle ait pu œuvrer contre l’ennemi. Voilà qui expliquait
sa présence au labo souterrain… mais cela n’excusait nullement sa trahison,
quand elle lui avait fait endosser la paternité d’un meurtre qu’elle-même avait
commis.
Elle n’avait donc pas eu conscience de son geste, du mal qu’elle lui faisait ?
Cela étant, il ne voulait pas qu’elle raconte dans quelles circonstances elle l’avait
mis en rogne : trop de questions seraient posées, il avait eu sa dose de honte. Pas
question de s’épancher auprès de quiconque sur toutes ces années
d’humiliations, d’impuissance totale, de mauvais traitements.
Être hybride, il contrôlait son corps et son esprit malgré toutes ces années de
captivité. Il n’avait rien pu faire pour empêcher ce maudit technicien de
l’agresser mais, tandis qu’il gisait sans force, encore traumatisé par ce qu’il
venait de subir, il avait senti son corps réagir à la proximité d’Ellie. Elle l’avait
excité malgré l’horreur de la situation. Il n’avait pas souhaité réagir ainsi : cela
n’avait fait que rendre sa trahison plus impardonnable. Sentant qu’il baissait sa
garde, elle en avait profité pour lui faire mal. Et voilà qu’il continuait à perdre
les pédales, d’abord en se jetant sur elle, puis en refusant de la lâcher.
La douleur qui se lisait sur les traits de la jeune femme lui fit comprendre avec
quelle force il l’étreignait. Il prit conscience, horrifié, qu’il lui meurtrissait les
chairs. Au lieu de vouloir la tuer, il ne souhaitait plus qu’une chose : masser ses
bras endoloris, présenter ses excuses… Il se dégoûtait lui-même. Lui qui avait
conquis l’honneur insigne d’être chef adjoint de son peuple, de servir d’exemple
aux autres Hybrides, de démontrer qu’il était possible de vivre en paix avec les
humains, il était en train de malmener une minuscule humaine terrifiée, celle-là
même qui hantait ses pensées depuis sa libération !
Qu’était devenue Ellie ? Cette question l’avait taraudé tout ce temps. Il avait
même usé de son autorité toute neuve pour consulter la liste des employés de
Mercile mis sous les verrous. Rêvé qu’il entrait dans sa cellule et… l’observait,
tout au bonheur de la revoir. Un grognement monta de sa poitrine. L’urgence
commandait de s’éloigner d’Ellie avant de reperdre les pédales.
Il avait besoin de réfléchir, de comprendre les raisons de ce dérapage chaque
fois qu’il était confronté à Ellie. C’était absurde. Il était raisonnable, placide en
toute circonstance. Ses semblables voyaient en lui un modèle de stabilité ; ils
comptaient sur lui pour qu’il continue à donner l’exemple. Ce nom, Rage, il
l’avait choisi à dessein. Pour illustrer qu’il savait canaliser les élans de son cœur.
Enfin… presque toujours.
Rage posa les yeux sur Ellie puis ordonna à ses mains de s’ouvrir, sourd à son
instinct qui lui hurlait de ne pas la lâcher. Il rompit le contact comme si la peau
de la jeune femme lui brûlait les paumes, fit volte-face et fendit la foule.
Ellie resta allongée, immobile, jusqu’à ce que quelqu’un lui touche la jambe.
Elle était abasourdie que Rage l’ait laissée vivre. Darren Artino l’aida à s’asseoir
avec mille précautions. La jeune femme croisa les regards médusés de la foule
alentour. Elle s’empressa d’essuyer ses larmes, étonnée d’être en vie. Chercha
vainement Rage : il avait disparu.
— Mademoiselle Brower ?
Celui qui venait de parler était presque aussi grand que 416. Large d’épaules,
il avait les cheveux longs ramenés en queue-de-cheval. Ses yeux bleu nuit
étaient dotés de pupilles étranges, semblables à celles d’un chat. Son costume
élégant ne dissimulait en rien l’aura de danger qui émanait de lui.
— Toutes mes excuses pour… l’attaque de Rage sur votre personne. Je suis
Justice North, soyez assurée qu’il sera puni pour ce qu’il vient de faire. Vous êtes
blessée ?
De ses yeux étranges, un brin dérangeants, il épia Ellie des pieds à la tête.
— Je n’ai rien, mentit-elle à voix basse.
En vérité, elle avait le cœur brisé par le départ précipité de celui qui obsédait
ses pensées. Elle lutta contre l’envie de courir après Rage, de le supplier de
l’écouter, de renouveler ses excuses. Son désir de faire amende honorable était
presque douloureux. C’était impossible en raison du colosse qui lui barrait la
route. Justice constituait une menace pour Rage ; il fallait désamorcer la crise
avant qu’elle s’envenime.
Ellie s’efforça de ne pas loucher sur le mâle superbe au regard fascinant.
— Ne le punissez pas…
Elle était prête à supplier si nécessaire. C’était le moins qu’elle puisse faire
pour éviter des ennuis à Rage.
— Sa colère est justifiée, croyez-moi. Il a d’excellentes raisons de vouloir ma
mort.
Justice pâlit en entendant ces propos et cilla à plusieurs reprises. Ses épaules
massives s’affaissèrent.
— Je suggère que vous preniez un peu de repos. Vous venez de subir un choc,
un collègue vous tiendra informée demain, à l’heure de votre convenance, de ce
qui se dit ce soir. Prenez tout le temps nécessaire pour récupérer.
Le directeur Boris approcha à son tour.
— Nous allons immédiatement nous passer de ses services à Homeland,
monsieur North. Veuillez accepter nos excuses.
L’annonce fit l’effet d’une douche froide à Ellie. Elle venait tout juste de
déménager en Californie, heureuse de participer au projet d’acclimatation des
Hybrides, et voilà qu’on la remerciait. La jeune femme n’en voulut pas à Boris :
les circonstances plaidaient contre elle. Le projet Homeland avait pour objectif
premier de faire oublier aux Hybrides les torts qu’ils avaient endurés. Dans cette
optique, la présence d’Ellie était une aberration.
Justice fronça les sourcils et contempla Boris.
— Je ne vois aucune raison de licencier Ellie Brower. Elle a permis d’arracher
notre peuple aux laboratoires clandestins, nous serions bien ingrats de la
remercier en l’éjectant du projet qu’elle a contribué à rendre possible. Et puis,
c’est à nous d’en décider. Homeland est notre foyer, non ?
Le directeur resta bouche bée.
— Mais… mais Rage la déteste, et c’est votre adjoint !
— Rage va maîtriser sa colère.
Justice se tourna vers Ellie. Son visage dur s’adoucit.
— Allez vous reposer, mademoiselle Brower. Votre emploi ne craint rien.
C’est vous qui continuerez à vous occuper du bâtiment des femmes. Vous faites
preuve d’une candeur qui fait chaud au cœur, et je vous remercie de vous
montrer aussi compréhensive envers Rage.
Ellie ne se fit pas prier. Elle quitta la table ; elle découvrit que ses genoux
tremblaient, mais qu’elle tenait debout. La tête basse et le regard rivé au sol, elle
se hâta de gagner le hall désert. Sitôt sortie de la salle de réunion, elle s’adossa à
la paroi et se couvrit le visage. Tout son corps était secoué de spasmes. Il lui
fallut une bonne minute pour se ressaisir un tant soit peu.
Puis elle se remit en marche, les bras le long du corps, et quitta le bâtiment.
416 avait survécu et pris le nom de Rage. Pire encore, il était le bras droit de
Justice North. L’air du dehors la fit frissonner. Le vigile posté à l’extérieur
fronça les sourcils et la regarda se diriger vers sa voiture de golf sans dire un
mot.
Justice était à la tête de l’Organisation du peuple hybride. Les siens avaient
voté pour qu’il soit le porte-parole des Hybrides dans leur ensemble, mais ils
avaient aussi élu un conseil de représentants des survivants afin de l’épauler. Un
rescapé pour chacun des quatre labos clandestins. L’OPH, comme ils l’avaient
nommé, avait décidé de son propre mode de gestion quand les États-Unis avaient
garanti aux Hybrides qu’ils appuyaient leur volonté d’indépendance.
Le fait que les pouvoirs publics aient, par mégarde, financé la recherche
illicite en octroyant de généreuses subventions à Mercile Industries avait pesé
lourd dans la balance. Pris en défaut, l’Oncle Sam avait dit amen à tout. Il faisait
tache que l’argent du contribuable ait servi à créer les Hybrides et à mener des
expériences innommables, pendant des décennies, sous couvert de recherche
appliquée. Des sommes colossales avaient transité sur le dos des souffrances
endurées par les Hybrides. La base militaire flambant neuve qui venait de leur
être offerte ne s’appelait pas Homeland – la nation, le foyer – sans raison. Cette
largesse des USA avait deux motifs politiques évidents : sauver la face et
mobiliser l’opinion publique en faveur des Hybrides.
Ellie gara la voiturette devant le bâtiment des femmes et sortit du véhicule.
Elle massa ses bras endoloris puis se hâta vers la grande entrée. Elle y était
presque… quand elle sentit ses cheveux se dresser sur sa nuque. Immobile, son
badge à la main, elle tourna la tête avec lenteur.
Un homme était tapi dans l’ombre d’un arbre, de l’autre côté de l’allée. Rien
qu’une vague silhouette dans la pénombre, mais Ellie sut qui l’épiait. Rage.
Forcément. Elle resta à l’observer. Aucun des deux ne bougea.
Ellie se mordit la lèvre. Que faire ? Aller à sa rencontre ? Ce serait l’occasion
de renouveler ses excuses, et peut-être de s’expliquer plus en détail jusqu’à ce
qu’il comprenne les vraies motivations de son acte, ce jour funeste, dans la
cellule du sujet 416. Saisie par l’indécision, la jeune femme hésitait entre l’envie
d’aller lui parler et la crainte qu’il ne se soit pas calmé.
Rage ne fit pas un geste et les jambes d’Ellie refusaient de lui répondre. Au
souvenir de sa fureur, de la force avec laquelle il l’avait empoignée, elle eut
brusquement moins envie d’aller lui parler. Mue par la peur, elle se tourna vers la
porte, présenta son badge et se rua à l’intérieur. Puis attendit que la serrure
s’enclenche avant de courir vers l’ascenseur.
Un silence de crypte régnait sur le dortoir à cette heure tardive. Elle entra dans
la cabine avec la sensation d’être observée. La paroi vitrée permettait en effet
qu’il la voie depuis l’extérieur. La porte de l’ascenseur, heureusement, n’était pas
vitrée. Quand elle se referma, Ellie prit appui contre la paroi. Allait-il renoncer ?
Difficile à dire… Seule certitude : il savait où elle dormait. Et comme il
travaillait à Homeland, il devait loger dans l’un des bâtiments réservés aux
cadres de l’OPH, à un jet de pierre du centre administratif.
Malédiction.
La cabine tinta en s’immobilisant au deuxième étage, dont elle était pour
l’heure l’unique occupante. À mesure que d’autres femmes arriveraient, le
bâtiment se remplirait jusqu’à grouiller de vie. Son isolement lui apparut soudain
comme une très, très mauvaise idée.
Pas de panique : l’immeuble était sûr. Les seules personnes en mesure d’y
pénétrer étaient les occupantes et les vigiles affectés à sa surveillance. Même les
membres du conseil n’y avaient pas accès. Aucun risque de voir Rage débouler.
Ellie ouvrit la porte de chez elle.
Elle avait laissé les lumières allumées dans son petit appartement… et la
porte-fenêtre du balcon grande ouverte. Elle s’empressa d’aller fermer et
verrouilla pour la première fois. Le balcon, hors d’atteinte ? Au diable la
logique. Elle se déshabilla, jeta un coup d’œil à ses bras – les deux étaient rougis
à l’endroit où Rage avait serré – puis gagna la salle de bains dans l’intention de
prendre une douche.
Rage est vivant ! Ces trois mots tournaient en boucle dans sa tête. Ellie pleura
à chaudes larmes. Si les choses s’étaient passées autrement, ils auraient pu se
rencontrer. Et puis, qui sait… La douleur lui fit fermer les yeux. Et puis quoi ? Il
aurait craqué pour moi, comme j’ai craqué pour lui ? Absurde. Inutile d’y
songer, au demeurant. Ils étaient de parfaits inconnus l’un pour l’autre. Seule
certitude : il me hait. Elle s’en était rendu compte quand il l’avait plaquée contre
la table et fait éclater son courroux.
Ellie essuya ses larmes et se redressa. La façon dont elle avait agi était la seule
issue possible. Il ne lui restait plus qu’une chose à espérer : qu’il lui pardonne un
jour de l’avoir abandonné dans sa cellule après lui avoir mis le meurtre de Jacob
sur le dos. Alors, peut-être…
— Arrête de rêver, pauvre idiote, murmura-t-elle en secouant la tête.
CHAPITRE 3
Ellie posa un regard dépité sur ses protégées. Préparée à une certaine réserve
initiale de la part des femmes hybrides, l’ex-infirmière était tombée des nues en
découvrant l’ostracisme dont elle était victime. Pas une rescapée ne lui avait
témoigné la plus petite marque de sympathie. Elles formaient un groupe soudé…
auquel Ellie n’appartenait pas. Elle avait de plus en plus de mal à masquer sa
frustration ; leur venir en aide, c’était toute sa vie, désormais, et elles le lui
interdisaient.
— Ça vous dirait d’apprendre à faire la cuisine ? Je peux vous montrer, et j’ai
aussi en stock une tonne de DVD pédagogiques. (Ellie les étudia tour à tour.) Je
suis sûre que vous en avez marre de ce qu’on sert à la cafétéria de l’OPH. Moi
j’adore préparer à manger. C’est un talent très pratique en société : tout le monde
aime faire un bon repas.
Personne ne pipa mot. Les trente ou trente-cinq paires d’yeux restèrent rivées
sur elle. Ellie poussa un soupir.
— Je ne suis pas votre ennemie, vous savez. Mon boulot consiste à vous aider
à vous débrouiller dans la vie de tous les jours, à vous intégrer. J’ai très envie de
vous apprendre un tas de trucs… mais vous ne m’y autorisez pas.
Le silence qui suivit s’étira jusqu’à devenir gênant. Ellie, vaincue, sentit ses
épaules s’affaisser.
— Très bien. Vous avez peut-être besoin d’un peu plus de temps pour
apprendre à me connaître. Si l’une d’entre vous a besoin de quoi que ce soit,
vous savez où me trouver. C’est mon job. Ah, sinon, j’ai préparé des gâteaux, ils
sont au frigo. N’hésitez pas à taper dedans.
Ellie s’empressa de quitter les lieux pour qu’elles ne voient pas son
abattement. Une fois dans le couloir, elle entendit ses élèves sortir de leur
mutisme, ce qui redoubla son envie de fondre en larmes. Le silence se faisait dès
qu’elle pénétrait dans une pièce et les conversations reprenaient dès sa sortie. Il
devenait de plus en plus évident que les Hybrides la détestaient. Elles ne lui
adressaient la parole qu’en cas d’absolue nécessité et ne voulaient pas de son
aide. Quelques cours obligatoires avaient eu lieu. Leur objectif : apprendre aux
résidentes à se servir des appareils à leur disposition. Pas une ou presque n’avait
posé de question. Mais cela ne signifiait pas forcément un refus de coopérer, car
à plusieurs reprises, Ellie s’était étonnée de leur mémoire phénoménale. Les plus
douées retenaient tout du premier coup et, ensuite, aidaient celles qui avaient
plus de difficultés.
Jeter l’éponge, démissionner ? L’un des membres du conseil s’était montré
formel : leur froideur n’avait rien de personnel, quiconque à sa place devrait en
faire les frais. Ellie n’était pas des leurs, c’était aussi simple que ça ! Les
Hybrides se méfiaient des humains. Il fallait faire preuve de patience. La
cohabitation ne durait que depuis deux semaines, après tout.
Deux semaines en enfer, maugréa-t-elle intérieurement en rentrant chez elle.
Mais quel autre choix avait-elle ? Ellie n’avait nulle part où aller, elle avait
tourné le dos au passé. La perspective de demander asile à l’un de ses parents, ne
serait-ce que le temps de rebondir, suffisait à lui flanquer la migraine.
Ses parents se déchiraient à tout propos. Ils n’étaient d’accord que sur
l’impérieuse nécessité de vivre chacun de son côté, et exigeaient d’Ellie qu’elle
serve d’arbitre à leurs querelles ineptes. L’un et l’autre l’avaient durement
critiquée quand elle avait décidé de divorcer ; ils étaient même restés en bons
termes avec son ex, puis ils avaient tout fait pour recoller les morceaux. Vains
efforts, en vérité : entre se jeter dans une fosse remplie de serpents et retrouver
sa vie d’avant, le choix était vite fait. Ellie n’appelait jamais ses parents et s’en
portait bien mieux. Très remontés contre elle, ils lui fichaient de ce fait une paix
royale, ce que la jeune femme n’avait plus connu depuis l’époque de leur propre
divorce, quand elle avait dix ans.
Sa nouvelle vie consistait à aller de l’avant en aidant des gens qui avaient de
vrais problèmes : les Hybrides. Les rescapés comptaient à ses yeux… et les
citoyens lambda bienveillants envers eux n’étaient pas légion. De la
bienveillance, elle en avait des tonnes en réserve.
Ellie se changea rapidement. Débardeur, pantalon et chaussures de jogging.
Elle éprouvait le besoin de changer d’air et de sortir d’un bâtiment où elle ne
manquerait à personne. Gare à ne pas verser dans l’auto-apitoiement ! Le travail
s’avérait moins prenant et moins gratifiant qu’escompté ; elle souffrait de cette
solitude et sentait la déprime pointer son nez. Son lecteur MP3 glissé dans son
soutien-gorge, elle y cala aussi son badge pour pallier l’absence de poche, sortit
sur le palier et commença à courir sur place en attendant l’ascenseur.
Elle jeta un coup d’œil à sa montre en sortant du bâtiment et remarqua à quel
point le ciel était sombre, seulement piqué de quelques étoiles. Puis elle
contempla le salon par la fenêtre : dix ou douze de ses protégées, assises dans les
canapés, riaient aux éclats. Que se racontaient-elles ? Mystère, mais elles avaient
l’air heureuses.
Heureuses que je ne sois pas avec elles, rumina Ellie. Elle marmonna un juron
en tournant le dos à la scène. Le jogging était entré dans sa vie depuis son
installation à Homeland ; l’activité physique l’aidait à lutter contre l’ennui. Elle
s’élança à allure modérée sur le trottoir. Le semblant de parc couvrait une vaste
étendue le long du mur d’enceinte.
Ellie poussa le volume du lecteur MP3 calé dans son soutien-gorge ; la
musique hurla dans les oreillettes. Éclectique en matière de goûts musicaux, elle
écoutait ces derniers temps du heavy metal qui convenait à son humeur. Ses
foulées régulières la conduisirent vers le grand plan d’eau, s’éloignant du
périmètre de sécurité, au cœur du parc arboré. Elle aimait courir au bord de
l’eau.
La jeune femme enchaîna sur quelques dizaines de mètres de marche rapide
pour reprendre son souffle à l’approche de l’étang. Elle fit quelques étirements,
se pencha jusqu’à atteindre la pointe de ses chaussures puis se redressa. Quelque
chose remua en périphérie de son champ de vision. Ellie tourna la tête,
s’attendant à voir débouler un autre joggeur. Personne… Elle fronça les sourcils.
Aurait-elle rêvé ?
Ellie s’ébroua, ce devait être le vent jouant dans la ramure d’un arbre. Elle
tendit les bras au-dessus de la tête puis fit d’autres mouvements
d’assouplissement. Son corps lui faisait mal quand elle courait, mais elle tenait à
retrouver la forme. Sage résolution à vingt-neuf ans.
Elle sourit en coin : son ex-mari ferait une attaque s’il la voyait ! En assez net
surpoids quelques années auparavant, Ellie Brower avait changé du tout au tout
après son divorce. Une histoire sordide à souhait. Son salaud de mari la trompait,
ne se privait pas de l’injurier et la jugeait pitoyable au point de gober toutes ses
salades. Lourde erreur. Ellie n’était pas l’une de ces chiffes molles qui restent
avec un type incapable de les aimer. Les jérémiades de Jeff n’y avaient rien
changé, elle avait mis un terme à leur union.
Puis sa vie entière avait basculé quand elle avait été témoin des souffrances
infligées aux cobayes de chez Mercile. Libérée de quinze kilos en trop et de son
ex, elle n’était plus la même femme. Elle gloussa. Ce n’était pas quinze kilos
indésirables qu’elle avait perdus, mais bien cent cinq si l’on comptait les quatre-
vingt-dix de ce crétin de Jeff. Le dernier lien avec le passé, elle l’avait coupé en
fuyant ses parents, quand ceux-ci avaient tout tenté pour qu’elle se remette avec
Jeff. Qu’ils aillent tous au diable, songea-t-elle, amère mais satisfaite.
Elle eut soudain la chair de poule. Tétanisée, elle multiplia les coups d’œil
alentour. Les paysagistes avaient planté beaucoup d’arbres ; c’était presque une
forêt qui entourait le plan d’eau. Elle distingua quelques bancs publics
stratégiquement disposés mais les édifices du complexe étaient situés en
périphérie, tout au plus apercevait-elle deux ou trois toits. Ellie scruta de
nouveau les ténèbres environnantes. Aucun doute, on l’observait.
Elle porta la main à son lecteur MP3, l’éteignit puis ôta les écouteurs et tendit
l’oreille : rien de suspect. Alors qu’elle s’apprêtait à rallumer son baladeur, un
grognement sourd la fit sursauter. Un chien ? Nouveau coup d’œil derrière elle…
toujours rien en vue.
Les quelques vigiles qui sillonnaient Homeland avec un chien de garde
tenaient toujours leur animal en laisse. Si l’un d’eux était dans les parages, son
maître serait déjà visible… Ellie n’eut soudain qu’une envie, retourner au plus
vite à son bâtiment.
Elle n’avait pas fait trois pas qu’un nouveau grondement, plus proche, retentit.
Tout son corps se raidit. La jeune femme scruta une nouvelle fois le périmètre
immédiat, les écouteurs autour du cou, le baladeur serré dans son poing. Et si
c’était un chien de garde qui s’était échappé ? Ces molosses-là étaient énormes,
féroces et dressés à protéger leur territoire. Elle risquait fort d’être prise pour une
intruse.
— Holà ? lança-t-elle en priant pour qu’un vigile l’entende. Il y a quelqu’un ?
Rage avait épié le dortoir des femmes où vivait Ellie et l’avait aperçue à
plusieurs reprises à travers les vitres du rez-de-chaussée. L’humaine travaillait
avec celles de son peuple ; il avait été fier d’elles en constatant qu’elles la
battaient froid… jusqu’à ce qu’il s’aperçoive que cela la chagrinait. Quel
déchirement c’était de la voir ainsi souffrir ! Il aurait dû s’en moquer mais s’en
découvrait incapable.
Le plus ahurissant avait été de la voir quitter seule le bâtiment pour s’en aller
faire son footing. Se pouvait-il qu’elle ignore à quel point Rage était dangereux ?
Qu’il l’épiait ? Et son instinct de survie, il était en panne ?
Apparemment oui : il l’avait suivie sans encombre tandis qu’elle trottait dans
le parc, une zone isolée à souhait, comme pour l’inviter à s’approcher. Puis elle
s’arrêta. L’attendait-elle ? La brise lui apporta l’odeur d’Ellie, ce qui eut pour
effet de le faire grogner. Rage se sentit mû par un désir impérieux de l’approcher,
ce qui le mit en rogne. C’était l’ennemie, merde !
Le conflit intérieur avec la bête qui était en lui fit pousser un nouveau
grondement à l’Hybride. Sa moitié humaine avait conscience qu’il fallait garder
ses distances avec Ellie : elle s’était infiltrée pour sauver les siens, c’était
l’unique raison de sa présence au labo souterrain. Sa moitié animale, en
revanche, ne désirait qu’une chose – aller à sa rencontre, la toucher, la posséder.
Ce constat l’alarma.
Rage rechignait à obéir à son instinct. L’humaine avait trahi sa confiance alors
qu’il était convaincu qu’elle ne lui ferait jamais de tort. Au diable les raisons qui
l’avaient poussée à travailler pour Mercile ! Elles n’excusaient en rien ce
qu’Ellie lui avait fait, sa colère était intacte, il avait payé très cher les petites
manigances de la « gentille » infirmière.
Sous sa houlette, ses frères apprenaient à contrôler leur instinct animal. Le
moins qu’il puisse faire, c’était de museler le sien, donner l’exemple, garder la
tête froide. Sa responsabilité envers les Hybrides consistait à leur montrer qu’une
vie normale était possible pour eux hors des laboratoires. Qu’ils n’étaient pas des
animaux créés par Mercile, tout juste bons à se faire insulter. Seul hic : Ellie était
la preuve vivante qu’il avait une faiblesse. Elle.
La jeune humaine cherchait à percer les ténèbres. L’animal qui était en lui
hurlait de fondre sur elle, de la toucher. Il eut beau lutter, son corps se mit en
mouvement malgré lui. Ça recommençait, elle lui faisait perdre tout contrôle de
ses actes ! Il était incapable de résister à son odeur, au désir impérieux de
plonger son regard dans celui d’Ellie, d’entendre le son de sa voix.
Sa moitié humaine enragea de sentir l’animal en plein rut lorsqu’elle lança son
appel envoûtant. Rage lutta de plus belle en humant l’odeur de la peur. Comment
la protéger ? En la terrifiant, peut-être, afin qu’elle prenne ses jambes à son cou ?
Son attention attirée par un nouveau mouvement, Ellie resta bouche bée en
voyant Rage émerger de derrière un tronc à six ou sept mètres d’elle. Tout son
corps réagit à la vue de ce mâle immense et sexy en diable, dont émanait une
aura de danger. Elle ravala sa salive, sentit sa respiration s’accélérer… puis au
choc succéda une peur insidieuse. Ce n’était pas un chien qu’elle avait entendu
grogner, mais 416. C’était Rage qui venait de produire ce son effrayant.
Ses cheveux longs et soyeux lui tombaient en cascade sur les épaules et la
poitrine, aussi libres et dénués d’entrave qu’il l’était lui-même à cet instant. Sa
tenue sombre mettait en valeur sa carrure massive, ses bras énormes et sa taille
fine. L’impression de danger s’accentua lorsqu’elle sentit se poser sur elle son
regard chocolat noir. Il la détailla de bas en haut puis fit entendre un bruit de
gorge étouffé. La crispation de sa mâchoire et de tous ses muscles se devinait
malgré la pénombre.
Il fit un pas en avant qui s’apparentait davantage à la manœuvre d’un
prédateur qu’à celle d’un humain. Ellie loucha sur ses cuisses – deux paquets de
muscles qui saillaient dans un pantalon noir moulant – puis sur ses chaussures
noires. Rage irradiait la force, la sexualité. Ellie déglutit bruyamment. Son cœur
battait la chamade, elle avait le souffle court, tout son être était tendu vers cette
incarnation parfaite de la masculinité.
Personne ne lui avait jamais fait cet effet-là. En le voyant faire un autre pas
tout en fluidité, la jeune femme prit conscience que sa tenue était conçue pour
l’aider à se fondre dans les ténèbres, qu’il avait peut-être prévu de rester caché…
et qu’il venait de lui apparaître à dessein.
Rage la contempla sans mot dire. Ellie fit de même et crut discerner un air
affamé sur son beau visage. Il s’humecta la lèvre inférieure d’un coup de langue,
une pointe rose synonyme d’interdit et de tentation, puis plissa les yeux comme
s’il essayait de lire dans ses pensées. Ellie eut envie de l’embrasser, de savoir
quel effet cela ferait s’il la touchait sans la brusquer, sans fureur. Ce qui ne
risquait pas d’arriver : il la haïssait.
— Tant pis, marmonna-t-elle.
Puis, plus fort :
— Euh… Bonsoir, Rage. Belle soirée pour une balade, hein ?
Toujours muet, il fit un nouveau pas vers elle puis s’immobilisa. La terreur
d’Ellie monta d’un cran. Ils étaient seuls et il avait fait vœu de la tuer. Inutile
d’espérer de l’aide ou l’arrivée d’une patrouille.
Un grognement sourd franchit ses lèvres entrouvertes ; il fit un pas de plus.
Ellie ressentit le besoin impérieux de fuir mais n’en fit rien. Selon plusieurs
rapports, les Hybrides étaient ultrarapides. Leur ADN modifié y était bien sûr
pour quelque chose et le gain dépendait du type d’animal. Produit manifeste
d’une hybridation avec un canidé, Rage n’aurait aucun mal à la rattraper. Que
faire ? S’époumoner, tenter de désamorcer la situation par le dialogue… ou prier
pour qu’il soit calmé ? Il s’approcha encore.
— Sais-tu ce qu’ils nous entraînaient à faire pour impressionner les
investisseurs ?
Il s’exprimait d’une voix rauque, sans chaleur. Flippante. Celle d’Ellie dérapa
dans les aigus sous l’effet de la peur.
— Non, pas vraiment. La plupart des archives ont cramé quand les labos
souterrains de Mercile ont été investis. Je n’avais pas accès à ce type
d’information quand j’y bossais.
— À chasser, gronda-t-il. J’étais très fort à ce petit jeu. Leur prototype le plus
abouti. Ils nous formaient à faire des trucs pour doper les ventes, nous étions les
exemples vivants de ce qu’un humain pouvait devenir à condition d’acheter leurs
saloperies.
La jeune femme comprit que son avenir était compromis. Rage était furieux
après elle et la hargne avec laquelle il évoquait son passé laissait présager le pire.
Comment trouver les mots justes ? Désamorcer la situation ? Il fit un nouveau
pas vers elle. Merde et super merde, songea-t-elle, aux abois. Plus que deux
courtes enjambées et elle était à sa merci. Elle se lança.
— Je n’ai pas eu le choix, ce jour-là. J’ai tué Jacob pour te protéger, mais s’ils
se doutaient que c’était moi la coupable, jamais je ne serais sortie vivante de cet
enfer. J’ai agi dans l’idée de te secourir. Je n’avais pas prévu de le tuer.
— Tu as raconté à quelqu’un ce que Jacob m’a fait ? Et comment tu m’as
condamné à souffrir à ta place ?
— Non, répondit-elle en secouant la tête.
C’était vrai. Elle n’avait rien dit de l’incident à son officier de liaison, de peur
de se faire engueuler pour avoir outrepassé l’ordre formel de ne rien faire qui
pouvait éveiller les soupçons chez Mercile. Tuer un technicien pour sauver la vie
à un Hybride ? Hors de question. Puis elle repensa à ce qu’il venait de dire.
Souffrir ?
— Tu avais trop honte de tes actes, c’est ça ?
Ellie hésita.
— Tu n’as pas idée à quel point. Je…
— Tu m’as balancé aux vigiles, gronda-t-il. Après m’avoir étalé son sang sur
les mains. Ne te fatigue pas à le nier.
Au bord des larmes sous le poids du remords, Ellie s’empressa de ravaler ses
pleurs.
— Je… (Elle déglutit.) Je n’avais pas le choix. J’étais convaincue qu’ils ne te
tueraient pas, sans quoi je ne t’aurais jamais collé le meurtre de Jacob sur le dos.
Il faut me…
— Te croire ?
Ses yeux sombres réduits à deux fentes, il laissa échapper un grognement de
fort mauvais augure.
— Ça t’excitait de me voir souffrir, oui ! De savoir toutes les cruautés qu’ils
allaient m’infliger par ta faute !
Comment peut-il savoir que j’étais excitée ? Elle n’osa pas formuler cette
question mais rechigna à mentir sur ce sujet ; elle se sentait trop redevable pour
cela. Les lèvres closes, elle ne sut comment lui expliquer qu’en effet, elle avait
réagi au quart de tour… parce que c’était inqualifiable. S’émoustiller en pareille
circonstance ? Pas de quoi être fière.
— Ça n’avait rien à voir avec ta souffrance ou le fait que j’ai dû te planter
cette aiguille dans le corps. Je l’ai fait par souci de vraisemblance : il fallait que
tu aies pu le tuer avant que la drogue qu’il t’injectait ait fait effet. J’en suis
vraiment désolée.
— Tu n’essaies pas de me mentir… ça m’étonne.
Ellie releva la tête pour affronter son regard mauvais.
— Parce que tu as vu juste. Ça m’a excitée de me trouver aussi près de toi. Je
n’ai aucune excuse, tout ce que je peux faire, c’est te répéter que je suis désolée.
C’était mal, j’en ai conscience, ça me pèse énormément, crois-moi. Tu es… (Elle
se retint in extremis d’avouer à quel point elle le trouvait craquant.) Tu étais nu,
circonstances effroyables ou pas, il aurait fallu être aveugle pour ne pas s’en
rendre compte. Voilà. Désolée.
La mâchoire de Rage se crispa. Ellie voyait chaque détail de son visage, à
présent qu’il était à moins d’un mètre d’elle.
— Tu travaillais pour Mercile Industries. Aurais-tu traîné les pieds pour
trouver les preuves ? Ça t’a plu de voir ce que le technicien me faisait ? (Il
grogna de nouveau, montra les crocs et s’approcha encore.) Ça t’a excitée, de le
voir me maltraiter, et à deux doigts de me la mettre ? Il y a d’autres Hybrides
mâles dont tu as gagné la confiance en entrant dans leur cellule, au point qu’ils
ne grondaient plus ? Tu en as cajolé beaucoup, en jouant les innocentes ?
Combien sont-ils, à avoir été punis à ta place ?
Les narines palpitantes, il émit un nouveau grognement sourd.
— Qui d’autre as-tu trahi ?
Ellie se recroquevilla sous le coup de ces accusations perfides comme s’il
l’avait frappée.
— Aucun ! Il n’y a que toi… Personne d’autre n’a souffert par ma faute. Et
j’en ai bavé, pour trouver assez de preuves pour qu’un juge signe un mandat de
perquisition… Comment oses-tu ! Je collectais des échantillons, j’écrivais des
rapports, mais je n’avais accès à aucun des dossiers où votre existence était
mentionnée. Le personnel était fouillé quotidiennement. Il m’était impossible
d’introduire une caméra et de filmer l’horreur que vous viviez, histoire de
donner corps à la rumeur. Tu n’as pas idée de mon état de terreur, chaque fois
que je franchissais les portes de l’ascenseur pour l’enfer… Il ne s’est pas passé
un jour sans que je me demande si j’allais revoir la surface. Tu imagines un peu,
s’ils avaient su que j’étais une taupe de la police ? Ils m’auraient liquidée ! Les
autres employés m’ont souvent mise en garde : au moindre doute, Mercile me
ferait disparaître… et jamais mon corps ne serait retrouvé.
— Comment as-tu fait sortir les preuves, puisqu’ils te fouillaient à corps ?
Ellie sentit ses joues s’empourprer.
— Tu tiens vraiment à le savoir ?
— Et comment, grinça-t-il.
— En les avalant.
Rage blêmit puis fronça les sourcils.
— Je ne comprends pas…
— Il a fallu que je sympathise avec une collègue médecin, et ça a pris du
temps. Je n’avais accès à rien d’intéressant… mais elle si. J’ai patiemment gagné
la confiance de cette nana à qui je ressemblais vaguement, puis j’ai profité d’une
pause-déjeuner pour échanger nos blouses. Munie de son badge, je me suis
coiffée comme elle et j’ai baissé la tête en passant dans le champ des caméras
jusqu’à son bureau. L’ayant vue taper son code d’accès assez souvent pour le
mémoriser, j’ai pu accéder à son ordinateur. Mon agent de liaison m’avait confié
une clé USB miniature qu’il m’a suffi d’avaler. Tout ça aurait pu très, très mal
tourner…
Il la dévisagea, interdit.
— J’étais sûre de me faire pincer, de voir débouler des vigiles décidés à me
tuer. Jamais je n’ai eu aussi peur qu’en ressortant du bureau. Et si j’arrivais trop
tard pour échanger nos blouses sans qu’elle s’en rende compte ? Tout ça s’est
passé le même jour, tu sais… (Elle s’accorda une pause.) La dernière chose à
faire avec ce que j’avais dans le ventre, c’était d’attirer l’attention. Il fallait à tout
prix que je transmette les preuves à mon agent de liaison, mais ça ne m’a pas
empêchée d’essayer de te sauver malgré les risques. Tu veux savoir à quel point
c’est douloureux, de vomir une mini clé USB ? L’avaler, à côté, ce n’était rien.
J’avais donné mon accord pour qu’on m’opère si jamais je n’arrivais pas à
gerber cette saleté ; mes sucs gastriques risquaient d’endommager la clé assez
rapidement.
Plusieurs secondes s’écoulèrent. Rage gardait les sourcils froncés.
— Moi aussi, tu m’as berné. C’est ton truc. (Il pinça les lèvres.) Tu mens aux
gens puis tu les trahis. Tu ne vaux pas mieux que les monstres qui ont créé mon
peuple et l’ont réduit en esclavage.
Ces mots durs firent mal à Ellie, mais la colère prit rapidement le relais. Elle
avait tué pour le secourir et risqué sa vie pour libérer les siens, merde !
— Je n’ai jamais eu l’intention de te faire du mal. (Court silence.) Et laisse-
moi te dire une chose, Rage. J’ai sauvé ton cul. C’est grâce à moi si tu as
survécu. Tu serais mort si je n’étais pas entrée dans ta cellule et si je n’avais pas
coupé ce fumier dans son élan. Tu serais mort enchaîné au sol après que ce
salaud t’a violé, une poignée de jours avant la libération générale. Si c’est ça que
tu trouves impardonnable, tu m’en vois navrée. Quelle idiote j’ai été de faire
passer ta survie avant tout le reste !
— Je t’ai entendue dire que tu me haïssais. Que j’étais un salopard, que tu
tenais à ce que je le sache. Je n’ai pas oublié ces mots-là.
— Jamais de la vie ! glapit Ellie, bouche bée.
— J’étais allongé par terre, incapable de bouger un muscle, et tu t’es éloignée
de moi pour aller recueillir le sang du technicien pour m’en badigeonner les
jointures. Je t’ai entendu cracher ces paroles.
La jeune femme comprit brusquement et devint livide.
— Ce n’était pas à toi que ça s’adressait, mais à Jacob ! Je le haïssais de tout
mon être pour ce qu’il t’avait fait subir.
— L’humain était mort, n’essaie pas de me baratiner. Ces mots de haine
étaient dirigés contre moi.
— Non, dit-elle en secouant la tête avec véhémence sans le quitter des yeux.
C’est à lui que je parlais, je te le jure. J’espérais qu’il pouvait m’entendre depuis
l’enfer… c’est là qu’il a dû aller après toutes ces horreurs… et savoir ainsi ce
que je pensais de lui.
Les sourcils toujours froncés, Rage la dévisagea sans mot dire.
— C’est la stricte vérité.
— Tu veux savoir le pire, quand je t’ai vue entrer dans ma cellule ?
Son timbre était glacial, tout son corps tendu comme un arc.
Elle secoua la tête et sentit la peur revenir. Une colère froide émanait des yeux
de l’Hybride, plus sombres que dans son souvenir, mais enfin l’obscurité du parc
était plus intense que celle de la salle de réunion quelques semaines auparavant.
— Je me rappelle fort bien ton contact. Tu as commencé par m’apaiser. Tu
venais de me sauver, j’ai cru que tu ne me ferais jamais de tort. Tes mains sur
mon corps étaient les bienvenues. Il me suffit de fermer les yeux pour que le
souvenir resurgisse. (Il fit un pas en avant.) Quand je t’ai vue fuir après m’avoir
souillé et meurtri, je me suis senti perdu. La seringue que tu m’avais plantée
dans le corps me faisait moins mal que le coup au cœur.
— Si tu savais combien je regrette… Ce souvenir me hante tous les jours.
(Nouvelle pause.) Je l’ai fait pour te sauver la vie. Tu sais très bien ce que Jacob
comptait faire ; je l’en ai empêché. Il fallait que je fasse sortir les preuves. Je suis
désolée. La dernière chose que je voulais, c’était te faire souffrir. Ça m’a fendu
le cœur de devoir te faire porter le meurtre de Jacob, de te planter cette aiguille,
mais il fallait que ce soit suffisamment convaincant pour qu’ils m’autorisent à
sortir.
Il fit un pas de plus.
— Rien de tout cela ne compte, gronda-t-il. Je me souviens uniquement de ce
que tu m’as fait. Point final. J’ai juré de te tuer de mes mains à la première
occasion.
Rage tendit la main vers elle… et arrêta son geste quelques centimètres avant
de la toucher.
— Enfuis-toi s’il te reste un brin de jugeote. Je me contrôle difficilement ;
j’ignore quelle moitié de moi va l’emporter. N’oublie jamais qu’il y a un animal
en moi.
Il pria pour qu’elle suive son conseil. La peur d’Ellie se lisait sur son beau
visage expressif. Il s’en voulut de remarquer les petites rides, près des lèvres, qui
témoignaient du fait qu’elle souriait souvent. Et se demanda quel effet cela
faisait de l’entendre rire. Rage, pour sa part, n’avait jamais eu de raison de
sourire avant sa libération. La lèvre inférieure d’Ellie, plus charnue que celle du
dessus, tremblait légèrement sous l’effet de l’angoisse. Il eut très envie de la
mordre.
Puis il reporta son attention sur ses cheveux. Très différents des siens, ils
étaient d’un blond très clair. Cette tignasse bouclée tous azimuts semblait douce
au toucher, embaumait la fraise et renforçait l’aspect fragile du visage qu’elle
encadrait.
Les femmes hybrides sont infiniment plus solides que ma minuscule humaine.
Rage, abasourdi, prit conscience qu’il venait de considérer Ellie comme sienne.
N’importe quoi ! Lui, accorder sa confiance à une humaine ? Ces monstres
n’aimaient qu’une chose : faire souffrir à la première occasion. Surtout elle. Ne
venait-elle pas d’admettre qu’elle excellait dans l’art du mensonge ? Comment
démêler le vrai du faux ? Ces diables-là étaient capables de tout dans l’unique
but de se donner le beau rôle.
Malheur à lui s’il donnait à Ellie une nouvelle occasion de le trahir ! Et
pourtant… la perspective de la posséder le troublait au plus haut point.
L’estomac noué, il mourait d’envie de la toucher, d’apaiser ses peurs par une
parole réconfortante. Et merde, pensa-t-il, dépité. J’aimerais la faire rire dans
l’unique but de la voir sourire. C’était absurde. Et surtout dangereux. Le conflit
intense qui se jouait dans sa tête à propos d’Ellie ne faisait qu’ajouter à sa fureur.
Cette jeune femme était experte dans l’art de tirer les ficelles ; Rage en eut plus
qu’assez d’être sa marionnette.
L’Hybride se concentra sur l’instant présent. L’ennemie était à sa merci, il
avait l’occasion de faire payer l’un de ses tourmenteurs. Une occasion qui ne
s’était pas encore présentée : les pires responsables n’avaient pas été inquiétés
par la justice, d’autres étaient parvenus à prendre la fuite. Ce qui ne laissait que
cette humaine pour payer la note.
Le cœur battant à tout rompre, il se repassa le film de sa fuite, juste après
qu’elle l’eut trahi. Les images étaient si vivaces que Rage vacilla en revivant la
scène. Ellie, dans sa hâte de décamper, avait loupé la porte et s’était fracassé la
tête contre le mur. Qu’elle devait être pressée de le voir châtié à sa place !
L’animal qui était en lui hurla à Rage de se jeter sur elle. Il n’était ni enchaîné
ni rendu amorphe par les drogues. Il se crispa des pieds à la tête et vit Ellie faire
un pas en arrière. S’emplissant les poumons de l’odeur de sa peur, Rage sentit
que son instinct lui dictait de la protéger… et fulmina qu’Ellie lui fasse cet effet-
là. Il gronda, en proie à des émotions contraires.
C’était son ennemie, et pourtant, il mourait d’envie de la toucher. Quand il la
vit tourner les talons et s’enfuir, Rage s’élança aux trousses de cette humaine
qu’il désirait plus que tout au monde. Rien, à cet instant, n’aurait pu lui
permettre de reprendre l’ascendant sur sa part animale.
Il venait une fois encore de perdre les pédales.
Ellie se sentit blêmir à mesure qu’elle voyait les émotions défiler sur les traits
de Rage. Les bonnes intentions qui l’incitaient à ne pas bouger se volatilisèrent
quand il prit un air sauvage et poussa un grondement de bête blessée. Elle fit
volte-face et prit ses jambes à son cou, en proie à la panique. Peine perdue,
l’Hybride était déjà sur ses talons, la terreur commandait à la jeune femme de
forcer l’allure. Son lecteur MP3 lui échappa et s’écrasa au sol une seconde avant
qu’il la ceinture.
Ellie ouvrit la bouche mais s’écrasa dans l’herbe avant d’avoir pu crier. Le
poids du colosse chassa tout l’air de ses poumons. Il lui arracha ses écouteurs,
puis la sensation d’écrasement cessa un instant. La jeune femme eut tout juste le
temps de reprendre son souffle, puis Rage pesa de nouveau sur elle après l’avoir
retournée sur le dos.
Son corps massif la maintenait aplatie sur le gazon détrempé. Elle tenta sans
succès de se dégager. Tout en s’acharnant vainement sur son torse d’acier, Ellie
laissa échapper un gémissement d’effroi en découvrant le regard noir de son
tourmenteur… et l’éclat de ses canines dans la pénombre.
Le colosse l’empoigna sans violence excessive par les poignets, ramena les
bras de sa proie au-dessus de sa tête et les cloua au sol d’une seule main. Puis il
serra les dents, ses crocs toujours découverts, et émit un grondement sourd. Ellie
ressentit la vibration de ce cri de gorge primal, proprement terrifiant, jusque dans
ses entrailles.
— Ne me fais pas de mal, haleta-t-elle.
Il se souleva juste assez pour la laisser respirer plus librement ; Ellie inspira à
fond. Que cherche-t-il à voir ? s’interrogea la jeune femme en découvrant les
yeux noirs de la brute rivés aux siens. Ce qu’il lut lui arracha un juron étouffé. Il
lui lâcha les poignets, roula de côté et se releva d’un bond. Ellie, toujours affalée
dans l’herbe, n’en revenait pas qu’il l’ait libérée. Endolorie par les mauvais
traitements, elle sentit que son cœur battait à tout rompre.
— Lève-toi, ordonna-t-il sèchement.
Ellie se redressa comme elle put et se remit debout sans grâce aucune. L’envie
de fuir était toujours aussi pressante, mais elle n’en avait pas la force.
— Je suis désolée, je te l’ai dit. Que veux-tu de plus ?
Elle se risqua un peu plus près pour croiser son regard.
— Dis-moi ce que je peux faire. Je suis prête à tout pour me faire pardonner.
À tout.
Rage la regarda s’approcher sans mot dire. Puis il tendit la main, vif comme
l’éclair, et lui enserra la gorge. D’abord médusée, Ellie paniqua quand elle prit
conscience que l’étreinte n’était pas douloureuse… mais lui faisait un effet
bizarre. Elle s’escrima alors sur le poignet offert ; l’Hybride utilisa sa main libre
pour l’empêcher de le griffer.
Quand Ellie sentit ses genoux fléchir, Rage retint sa chute à bout de bras. Elle
voulut hurler : rien ne sortit. Les yeux dans ceux de son bourreau, elle l’implora
silencieusement d’arrêter. Le regard de l’Hybride vacilla. Sans crier gare, il cessa
de se défendre, enserra la jeune femme par la taille, la plaqua contre son torse
massif et approcha sa bouche de son oreille.
— Ne lutte pas, lui murmura-t-il.
Ne lutte pas ? se répéta-t-elle, terrifiée, vaguement consciente de devenir
violacée. Des taches apparurent dans son champ de vision rétréci, la voix de
Rage se fit distante. Ellie eut un soubresaut inutile ; les yeux noirs de l’Hybride
gigantesque étaient toujours rivés aux siens. Les ténèbres menaçaient de
l’engloutir mais Ellie résista de tout son être.
Il a juré de me tuer, et c’est ce qu’il fait. Dire que je ne l’en croyais pas
capable…
Ellie s’éveilla, confuse, puis les souvenirs affluèrent en masse. Sa gorge lui
faisait un peu mal. Quand elle voulut y porter la main, quelque chose l’en
empêcha. Elle ouvrit les yeux, découvrit le plafond blanc d’un lieu inconnu,
chichement éclairé, et redressa la tête.
La chambre assez vaste était dotée d’un mobilier sombre ; le feu qui brûlait
dans l’âtre, à un angle de la pièce, était l’unique source de lumière. Un bruit de
chasse d’eau la mit en émoi. Quelques vains efforts plus tard, Ellie comprit
qu’elle avait les bras en croix : des liens faits d’une matière noire et souple la
retenaient à une tête de lit.
Au terme du bref écoulement d’eau, une porte s’ouvrit et Rage fit son entrée.
Torse nu, il n’était vêtu que d’un pantalon de jogging noir. La peur d’Ellie monta
d’un cran en le découvrant à demi dénudé. Elle eut droit à un coup d’œil inquiet
à l’imposante musculature avant qu’il éteigne dans la pièce attenante, ce qui
replongea la chambre dans la semi-obscurité, et ne permit plus à Ellie de le
détailler.
— Tu es réveillée.
Son ton s’était radouci. La situation donnait une dimension inquiétante à son
calme apparent. Il fit quelques pas vers le lit.
— C’est bien.
Il avait posé sur elle une couverture épaisse et douce. En y regardant de plus
près, la jeune femme vit qu’elle ne portait rien sur la poitrine. Un mouvement de
jambe lui apprit qu’elle ne portait rien non plus en bas… Sous le choc, elle
dévisagea Rage.
Le colosse s’immobilisa au bord du lit.
— Je t’ai retiré tes vêtements. (Court silence.) Tous tes vêtements.
— Pourquoi ? demanda-t-elle d’une voix rauque.
Son effroi s’accentua. Pourquoi l’emmener chez lui, la foutre à poil et
l’attacher aux montants du lit ? En proie à un très mauvais pressentiment, elle
refusa d’explorer les possibilités, certaine que la réponse ne ferait qu’ajouter à sa
terreur.
— Tu sais très bien pourquoi. (Rage se tourna vers la table de nuit.) Tu as
soif ?
Elle hocha la tête. Le matelas s’enfonça quand il prit place au bord, empoigna
la bouteille qu’il avait d’évidence posée là à l’intention d’Ellie puis se retourna
vers la captive. Il lui souleva la tête d’un geste délicat et porta le goulot à sa
bouche. Elle but aussi vite qu’il était possible sans s’étouffer. Puis il retira sa
main et reposa la bouteille sur le meuble de chevet.
— J’ai longuement réfléchi à ce que j’allais te faire, annonça-t-il à voix basse.
Longtemps, j’étais résolu à te tuer à la première occasion, mais c’était avant
d’apprendre quel rôle tu as joué. Je ne savais pas que tu étais venue dans cet
enfer afin de sauver les miens.
Il ménagea une pause le temps de prendre position en face d’Ellie.
— J’ai décidé de te laisser vivre.
Ellie sentit son rythme cardiaque ralentir et une partie de sa peur refluer.
— Pourquoi suis-je ici ? Pourquoi m’avoir kidnappée dans le parc ?
Rage plissa les yeux.
— Tu as dit que tu étais prête à tout pour faire amende honorable. J’ai jugé
que tu méritais une punition. (Nouveau silence.) Mais j’ignore si je dois te
croire. Tu es une espionne, habituée à mentir, à débiter aux gens ce qu’ils ont
envie d’entendre pour échapper au danger. Tu as fait insulte à ma fierté et trahi
ma confiance : tu vas le payer. As-tu seulement idée de ce qu’ils m’ont fait
endurer pour le meurtre du technicien ?
— Quoi ? glapit Ellie, bouche bée.
Elle n’en croyait pas ses oreilles. Oh non. Le chagrin lui serra le cœur.
— Ils m’en ont salement voulu, d’avoir tué cet humain. Alors ils m’ont puni à
ta place.
CHAPITRE 4
À son visage fermé, Ellie sut qu’il disait vrai. Elle avait espéré qu’on ne
punirait pas 416 pour le meurtre de Jacob : le technicien l’avait agressé, comptait
le violer, et l’aurait tué par la suite. Les larmes aux yeux, elle dut ciller pour ne
pas être aveuglée.
— Je n’en savais rien… (La question lui faisait mal, mais il fallait qu’elle
sache.) Qu’est-ce qu’ils t’ont fait ?
Un grondement sourd franchit sa bouche entrouverte.
— Tu veux connaître les détails pour jouir des souffrances que j’ai subies par
ta faute ?
— Non ! se défendit Ellie, épouvantée qu’il puisse penser cela d’elle. J’étais
convaincue qu’ils allaient te laisser tranquille. Je te le jure, Rage. Vu
l’investissement énorme que tu représentais, ils te jugeaient trop précieux pour
être éliminé… Et puis, comment imaginer qu’ils pourraient t’en vouloir d’avoir
tué ce salaud après ce qu’il comptait te faire ?
— Et pourtant.
Rage se pencha vers elle et lui jeta un regard noir.
— Ils m’ont torturé pour me faire payer sa mort. J’ai souffert comme un
damné, je tenais à ce que tu le saches. En bonne espionne, tu as su échapper à la
sanction.
— J’ai fait tout ça pour te sauver ! Mon supérieur m’avait assuré que ce serait
une affaire de quelques jours entre le moment où je sortirais avec les fichiers et
votre libération à tous. J’ai couru le risque de tout faire capoter quand j’ai vu que
Jacob allait te tuer. J’ai menti à tout le monde au labo, c’est vrai, mais je ne te
mens pas. Et je ne suis pas une vraie espionne. Rien qu’une infirmière. (Elle
ménagea une pause.) Je travaillais chez Mercile, au siège de la boîte, à distribuer
des aspirines, quand quelqu’un m’a demandé de jouer les taupes. Le type qui
m’a contactée m’a raconté ce qui circulait : une rumeur de labo clandestin où
l’on menait des expériences interdites sur des sujets humains. Ça m’a rendu
malade qu’ils puissent faire un truc pareil.
— Pourquoi ? grogna Rage.
— C’est une chose de se porter volontaire auprès d’un labo pharmaceutique
pour essayer leurs nouvelles molécules. On sait à quoi s’attendre en s’inscrivant,
j’imagine que certaines personnes, surtout si elles n’ont plus rien à perdre, sont
prêtes à tenter leur chance. Mais ça n’a rien à voir avec le fait d’obliger des gens
à jouer les cobayes ! Mon contact m’a bien dit qu’il s’agissait de prisonniers.
D’esclaves. Comme j’étais déjà au service de cette boîte, ça faisait de moi une
sorte de complice indirecte de leurs horreurs. J’ai juste voulu que ça s’arrête…
— Pourquoi t’intéresser à mon sort ou à celui de mon peuple ? Pourquoi
risquer ta vie pour me sauver ?
Ellie prit grand soin de choisir ses mots avant de répondre.
— Je t’ai aperçu depuis une salle d’observation découverte par hasard,
quelques jours après mon entrée en fonction. Toutes les portes se ressemblaient,
j’ai confondu celle-ci avec celle des stocks. Le miroir de ta cellule était en fait
une vitre sans tain. Je m’y glissais parfois pour voir comment tu allais.
Elle se garda de préciser que ce petit rituel s’était répété quotidiennement :
Rage n’avait pas besoin d’apprendre que son intérêt pour lui avait viré à la quasi-
obsession.
— J’avais du respect pour ton courage, reprit-elle, il n’était pas question de les
laisser te briser moralement. Ce qu’ils faisaient était un crime. Je prenais ma
pause dans cette salle au moment où Jacob est entré, et quand je l’ai entendu dire
qu’il allait te tuer, je ne pouvais quand même pas rester les bras croisés.
Rage parut réfléchir à ses explications.
— Tu n’avais jamais tenté d’empêcher quoi que ce soit auparavant. T’arrivait-
il de regarder quand on faisait venir une femme dans ma cellule, et qu’on la
battait sous mes yeux pour nous obliger à avoir un rapport sexuel ? Ça te plaisait,
comme spectacle ?
Ellie, médusée, ne sut que répondre. Les médecins les contraignaient à faire
ça ? Recrue récente, elle avait peut-être été sciemment tenue à l’écart de ces
horreurs. Jacob n’avait donc pas été le premier à abuser de lui… L’idée la rendit
malade. Puis elle s’interrogea : si elle n’avait pas fait fermer cette succursale de
l’enfer, aurait-on essayé de la convaincre d’avoir des rapports sexuels avec un
Hybride ?
— On t’obligeait à coucher avec des filles ? Je n’en savais rien. Je n’ai jamais
vu de femme dans ta cellule. Qui s’en occupait, une autre infirmière, un
technicien ? Je n’étais pas au courant, Rage, je te le jure.
— Il s’agissait de femmes hybrides. Pendant des années, ils ont essayé de
nous faire nous reproduire. Ils auraient bien voulu avoir d’autres sujets à leur
disposition, mais ils n’arrivaient pas à rééditer le processus utilisé lors de notre
création. J’en ai assez entendu pour comprendre que le médecin à l’origine de
notre hybridation est parti quand nous étions encore dans l’enfance. En
emportant ses recherches et en détruisant tout sur place. Quel drame c’était pour
eux ! On vieillissait, ils craignaient de nous voir mourir. (La colère le fit
s’exprimer d’une voix grondante.) « Bébé ou chiot ? » a plaisanté un jour un
toubib. « Qu’est-ce que ça fait, une de leurs femelles, ça accouche ou ça met
bas ? » Et pour elles, tu n’as rien fait ? hurla-t-il. Tu les as laissées se faire
violer ?
Rage avait mille raisons de haïr… d’autant plus quand sa hargne était dirigée
contre elle.
— Je ne savais rien de tout ça. J’ignorais même qu’il existait des femmes
hybrides. En tant que technicienne du dernier échelon, j’étais très limitée dans
mes déplacements au sein du labo. Ça m’a fait un choc, quand j’ai appris qu’il y
avait des femmes parmi les rescapés. Je n’avais vu que des hommes, Rage.
— Tu n’avais qu’à demander. Nos femmes étaient parfois violées par les
techniciens. Ça me met hors de moi, que tu sois intervenue pour moi mais pas
pour elles.
— Des questions, j’en ai posé plein, mais chaque fois, on m’a répondu de
m’occuper de mes affaires. J’avais pour consigne de ne pas trop insister, histoire
de ne pas attirer les soupçons. Mon agent de liaison était convaincu que Mercile
me ferait liquider au moindre doute… et il avait raison.
Ellie retint ses larmes à grand-peine. Consciente des horreurs commises au
nom de la science, elle n’en était pas moins atterrée par ce que l’on avait fait
subir à Rage et aux siens. Ils avaient été traités comme des rats de laboratoire,
des outils commodes, rien de plus. Des choses auxquelles on prélevait du sang,
on injectait des produits, qu’on gardait en cage. Comble de l’horreur, on les avait
forcés à copuler dans l’espoir d’obtenir une deuxième génération !
— Dire que je te croyais inoffensive… Tu en étais consciente ? Quand je ne
grognais pas en te voyant entrer, ça t’amusait ? Je ne voulais pas t’effrayer : tu
étais gentille, souriante, et jamais brusque avec les aiguilles. En te voyant tuer ce
technicien, j’ai d’abord cru que tu l’avais fait pour m’éviter de souffrir.
Les traits tendus, Rage se mit à détacher chaque syllabe de sa voix la plus
grave.
— Et pourtant, tu m’as abandonné, et les vigiles m’ont torturé à ta place. Ils
m’ont fouetté à tour de rôle. Certains étaient amis de ce Jacob. Ils n’ont pas eu le
droit de me tuer, mais ils m’en ont fait baver, tu peux me croire.
Ellie sentit les larmes rouler.
— Je suis désolée. Je…
Rien de ce qu’elle dirait ne viendrait effacer la haine de Rage à son encontre,
mais elle se devait d’essayer.
— Je suis vraiment désolée. Je ne savais pas. Je croyais qu’il n’y avait que
Jacob qui en avait après toi, à cause de cette histoire de nez cassé. Et je te savais
trop précieux pour qu’ils te tuent. Quant à cette affaire de reproduction forcée, je
n’en savais rien… Dans mon esprit, il ne pouvait rien t’arriver entre le moment
où je faisais sortir les preuves et l’arrivée des secours. Je ne leur aurais jamais dit
que c’était toi qui avais tué Jacob si j’avais su qu’ils allaient te punir à ma place.
Rage montra les crocs.
— Merci. C’est ça que tu espères entendre ? Tu l’as empêché de me violer et
de me tuer. Dois-je te remercier pour les heures que ses amis ont passées à me
torturer ?
— Non.
Peut-être. Ellie prit le temps de réfléchir.
— Tu vis et il ne t’a pas violé, ça compte pour du beurre ? Je ne suis pas restée
les bras croisés ! J’ai risqué ma vie, en pénétrant dans ta cellule… Puis il a fallu
que je leur fasse croire que c’était toi qui l’avais tué en te défendant, et pas un
instant je n’ai songé qu’ils allaient s’en prendre à toi. Je n’avais pas le choix,
Rage. Mets-toi à ma place. Les preuves que j’ai réussi à faire sortir sont
l’élément déclencheur du mandat de perquisition qui a permis de sauver les
tiens. Avouer le meurtre de Jacob aux gardes, c’était signer mon arrêt de mort.
Ils m’auraient liquidée et toi, tu serais toujours en cage, ainsi que tout ton
peuple. Ça compte, non ?
L’Hybride prit une profonde inspiration. Puis il reprit la parole d’une voix plus
calme et sans gronder.
— Tes regrets ne changent rien à ce qui m’est arrivé. Ni à ce que tu m’as fait,
ni au fait que je me sois senti trahi par toi. Je te faisais confiance et j’ai payé à ta
place. Il n’est plus question de te tuer… mais j’ai la ferme intention de te faire
comprendre ce que l’on ressent quand on est humilié et sans défense.
Rage fulminait. Quelle bêtise de croire Ellie différente ! Les vigiles l’avaient
d’ailleurs raillé à ce sujet après avoir remarqué qu’il ne grognait pas quand
c’était elle qui entrait dans sa cellule.
Il avait dû supporter les mots crus et les accusations selon lesquelles il rêvait
de copuler avec l’humaine, leur cruauté quand ils lui affirmaient qu’elle ne
voudrait jamais se taper un animal. Ellie était son point faible. Après ce jour
funeste, il avait beaucoup souffert de ce sentiment de trahison. Rage avait passé
des mois à la haïr, à revivre les tortures endurées par sa faute. Elle était partie en
l’abandonnant étendu au sol. Dénoncé aux gardes, il avait été roué de coups puis
enchaîné au mur où les sévices avaient continué.
Tous les humains étaient fourbes et sadiques. Rage s’était trompé sur le
compte d’Ellie, qui lui avait ensuite fendu le cœur. Jamais plus il ne se laisserait
abuser par elle.
Chaque fois qu’il avait fait confiance à un humain, il s’en était mordu les
doigts. Les souvenirs de son enfance lui revinrent en mémoire : à cette époque,
le docteur Vela était presque une mère pour lui. Elle lui offrait des cookies, un
bonheur rare qui le faisait saliver des jours à l’avance. Le jeune 416 était prêt à
tout pour lui faire plaisir. Elle lui avait promis qu’il serait libéré s’il devenait un
combattant accompli ; il s’était même laissé filmer quand ses geôliers avaient
voulu documenter l’efficacité des traitements sur son anatomie.
Que de manipulations dans l’unique but de le rendre docile… Quand ils
étaient venus le chercher pour le conduire à un autre complexe souterrain, sa
« seconde mère » s’était moquée ouvertement de sa naïveté et de sa bêtise.
Le véritable enfer avait débuté quand on lui avait appris à tolérer la souffrance
physique. Les tourments avaient continué pendant l’âge adulte : raclées subies
quand il s’agissait de tester des drogues permettant de récupérer plus vite,
malaises graves – qui avaient parfois failli le tuer – dus aux effets secondaires…
Toutes ces misères refaisaient surface.
Puis il y avait eu cette gardienne qui avait promis de l’aider à s’évader. Jeune
et plein de sève, il avait encore honte, à cet âge-là, d’avoir très envie d’elle.
Mary. Un nom qui lui laissait un goût amer. Elle avait défait ses chaînes ; il
l’avait suivie dans un long couloir. Droit dans le piège qui lui avait été tendu
pour éprouver ses prouesses martiales… face à dix ou douze vigiles lourdement
armés.
Ils l’avaient encerclé, roué de coups de matraque, neutralisé au Taser. Sous les
encouragements de Mary. Qui s’était accroupie à côté d’un 416 à demi mort
avant de secouer la tête. Les mots qu’elle avait prononcés alors avaient tué
quelque chose en lui.
« Alors comme ça, tu as cru que j’avais envie de toi ? Tu n’es rien d’autre
qu’un animal, 416. » Elle avait souri aux gardes alentour tout en se relevant.
« Dommage qu’on n’ait pas le droit de le tuer. Remettez-le dans sa cage. Mike,
tu as bien tout filmé ? Le docteur Trent ne va pas en revenir de ce qu’il a
encaissé avant de plier. Et ça tombe pile, un autre toubib a demandé qu’on
l’utilise comme cobaye pour une nouvelle merde censée accélérer la guérison.
Beau boulot, les gars. »
Rage avait perdu connaissance à cet instant. Faute de quoi il aurait tenté de la
tuer. Pas de quartier pour les traîtres, les tortionnaires et les menteurs.
Ellie levait vers lui ses beaux yeux remplis d’effroi. En d’autres circonstances,
riait-elle de s’être aussi aisément moquée de lui ? Avait-il été l’objet de
ricanements entre employés de Mercile, ce grand nigaud de 416 qui cessait de
gronder et de tirer sur ses chaînes quand c’était la « gentille infirmière » qui
approchait ? Avait-elle ri sous cape de l’avoir dompté ?
— Je garderai mes distances si tu me libères. C’est ce que tu veux, non ? Je
suis prête à démissionner et à quitter Homeland, déclara Ellie, une lueur d’espoir
dans les yeux. Tu ne me reverras plus.
L’Hybride sentit une colère noire enfler en lui. Si l’humaine était vraiment
résolue à payer pour ses torts, pourquoi essayait-elle de se soustraire au
châtiment ? Se défiler ainsi était contraire à tous les principes ! Après avoir
affirmé qu’elle était prête à tout pour se faire pardonner, voilà qu’elle implorait
grâce… Rage émit un grondement sourd.
Ellie vit Rage faire la grimace : sa fureur se lisait dans ses pupilles, il avait
très mal pris qu’elle lui demande de la libérer. Elle se prépara au pire.
Il tendit le bras, empoigna la couverture et tira un coup sec, exposant en un
clin d’œil le corps dénudé d’Ellie. Puis il se leva et posa sur elle un regard dur.
— C’est ton tour. Te voilà nue, entravée, incapable de m’empêcher d’agir. Les
rôles sont inversés : ce jour-là, c’était toi qui pouvais me reluquer sous toutes les
coutures. Alors, Ellie, ça te plaît d’être à ma merci ?
Le feu aux joues, Ellie voulut se déhancher, rouler sur le flanc, mais il l’avait
ligotée trop serré. Elle en fut réduite à lever les jambes pour les rabattre sur sa
poitrine. C’était inutile, elle n’avait pas attendu d’être ainsi exposée pour savoir
ce qu’il en coûte d’être humilié, mais elle s’abstint de tout commentaire.
— Et comme tu m’as touché, c’est ce que je vais faire à présent. Logique,
non ? Tu sais ce que l’on ressent, quand une main étrangère t’effleure ? Te
touche le sexe ? Je comprends que tu te sois sentie obligée d’ôter l’élastique qui
me faisait si mal, mais ta main s’est attardée. N’essaie pas de le nier.
Ellie se cambra sous l’effet du choc et de la terreur. Elle inspira à fond. Perdre
les pédales ne la menait à rien, il fallait essayer de le comprendre, il éprouvait le
besoin de se venger. Et comme elle avait tué Jacob, il ne restait qu’elle en
première ligne. Il disait vrai, elle l’avait touché. Et maté sans retenue aucune.
C’était donc mérité, en quelque sorte. En outre, il venait de dire qu’il ne la
tuerait pas. S’il fallait en passer par l’humiliation… soit. Elle n’en mourrait pas.
Il avait été battu, torturé. Ce qu’il s’apprêtait à faire n’était rien à côté.
— Vas-y, reluque-moi. Je comprends.
Elle posa les jambes à plat sur le matelas et cessa de gesticuler.
— Mais je t’en prie, ne me fais pas mal.
Les sourcils froncés, Rage, perplexe, grimpa sur le lit et s’installa à
califourchon au-dessus d’elle.
— Hein ? dit-il, visiblement aussi choqué qu’Ellie.
— Je comprends, murmura-t-elle. Fais-le.
Les dents serrées, il se baissa peu à peu jusqu’à occulter tout son champ de
vision. Si l’objectif était de la terrifier, c’était très réussi. Le silence s’installa.
Dura. Ellie sentit son rythme cardiaque s’apaiser.
— La psychologie inversée est sans effet sur moi, murmura-t-il en retour.
Sache cependant que je ne te ferai aucun mal. Je n’ai nullement l’intention de te
faire subir ce qu’ils m’ont fait. Te frapper, te faire saigner, est au-dessus de mes
forces. Je crois en revanche avoir trouvé ma revanche : je vais te toucher. Sais-tu
ce qui est pire encore que la douleur ?
Ellie refusa d’aller sur ce terrain-là. Les allusions égrenées par Rage,
jusqu’ici, n’annonçaient rien de bon. Mais comme il attendait visiblement une
réponse et qu’elle ne tenait pas à voir sa colère revenir, il fallait bien dire
quelque chose.
— Non. La douleur est ce qu’il y a de pire, d’après moi.
— Le pire, c’est quand ton corps te trahit. Quand tu sens qu’il en redemande
contre ton gré. On apprend à se méfier des autres… pas de soi-même. Cette
leçon-là, crois-moi, elle apprend l’humilité. Et ça va nous permettre d’obtenir la
réponse à une question qui me taraude.
Qu’est-ce qu’il me chante, là ? Elle fronça les sourcils ; Rage se fendit d’un
rictus carnassier. La jeune femme sentit son cœur s’accélérer en le voyant
lorgner sa poitrine. Puis quand il lui effleura le ventre. La main baladeuse
remonta, la paume se referma sur un sein. Une paume brûlante, immense. Ellie
paniqua quand il commença à serrer.
— Quelle douceur… Et quelle volupté, pour une femme si menue…
Il baissa la tête après lui avoir lâché le sein. Ellie hoqueta en sentant le souffle
tiède de Rage contre sa poitrine… puis de nouveau quand sa bouche chaude,
humide, se referma sur un téton. Un croc effleura l’épiderme ultrasensible ; une
langue râpeuse glissa sur la pointe du sein. Ellie eut un soubresaut et ferma les
yeux.
Une onde de plaisir irradia du téton jusqu’au ventre, secoué d’un premier
spasme. Elle se mordit la lèvre inférieure pour réprimer un gémissement,
abasourdie par sa propre réaction. Quand il se mit à suçoter avec vigueur, les
mouvements de sa bouche envoyèrent des décharges dans tout le corps d’Ellie. Il
se gardait de lui faire mal ; elle se savait pourtant à sa merci. Consciente que son
intimité était déjà trempée, elle referma les cuisses sur cette preuve flagrante de
son état d’excitation.
Il a raison, c’est pire, trancha-t-elle, abasourdie par la façon dont son corps
réagissait aux sollicitations de Rage. Brûlante de désir, elle sentait son estomac
se serrer à chaque succion. La sensation était si intense qu’elle irradiait jusqu’au
clitoris ! Le jeu de langue continuait inlassablement. Le plaisir devenait presque
douloureux ; elle était littéralement en feu. Ce type, avec sa langue, lui faisait
vivre une expérience inédite. Elle eut beau se mordre la lèvre, cette fois, rien n’y
fit : un gémissement lui échappa.
Il s’écarta en tirant sur le téton puis lâcha prise. Ellie déglutit avec peine sous
le faisceau intense de ses yeux couleur chocolat ; un grognement sourd monta de
sa gorge. Puis il s’intéressa de nouveau à la silhouette de sa victime.
— Tu vois, Ellie ? dit-il d’une voix caverneuse et sexy. C’est moi qui contrôle
ton corps. Cette fois, tu ne peux pas m’empêcher de te faire réagir. (Rage la
regarda dans les yeux.) Malgré ce que Jacob m’avait fait, je t’ai désirée ce jour-
là, et je tiens ma revanche. Quand tu m’as touché la queue et que ton excitation
embaumait la cellule, je me suis senti bander. Ça m’a fait encore plus mal que de
te voir partir en m’abandonnant. Aujourd’hui tu fais l’expérience du désir
inassouvi provoqué par quelqu’un à qui tu as tenté de résister.
Les yeux rivés sur ceux de l’Hybride, Ellie encaissa ses propos. La
mortification la laissa sans voix. Rage avait réussi à l’exciter à mort ; sa dignité
venait d’en prendre un sérieux coup. Elle avait bel et bien été trahie par ses sens
parce qu’un homme qui la haïssait l’avait échauffée. Pourvu qu’on en reste là,
songea-t-elle, et qu’il me laisse filer. Elle se détendit un peu. Oui, conclut la
jeune femme, il la tient, sa vengeance. Les larmes aux yeux, Ellie attendit de se
calmer avant de reprendre la parole.
— On est quittes, à présent ? demanda-t-elle d’une petite voix, en se détestant
pour sa faiblesse.
Un regard noir rencontra le sien.
— Quittes ? Pas encore. Ma revanche se doit d’être totale.
— Mais tu viens de…
Il gronda doucement.
— Ils m’ont tourmenté pendant des heures. Je pourrais faire de même avec ma
bouche et mes mains ; ce ne sont pas les moyens qui manquent…
Les yeux écarquillés, Ellie sentit qu’il lui écartait les cuisses. Puis il lui
souleva les jambes et les planta fermement sur ses épaules.
La jeune femme voulut serrer les genoux après le choc initial mais la tête du
colosse l’en empêchait. Il reporta son attention sur le sexe offert, l’étudia un
instant… puis pencha la tête. Abasourdie, au désespoir, Ellie sentit son souffle
chaud sur ses replis intimes et son clitoris.
— Attends ! supplia-t-elle en se débattant comme une diablesse tandis qu’il
tournait la tête pour entreprendre de lui lécher l’intérieur d’une cuisse.
Elle eut beau se tordre, jouer des épaules, il refusa de lâcher prise. Et fit
étalage de sa force physique en la plaquant jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus
bouger du tout. Elle sentit la mâchoire de Rage frotter contre le haut de sa cuisse,
monter, descendre, dans un mouvement caressant.
— Veux-tu garder les jambes écartées, que je puisse utiliser mes mains ? Dis
oui et je te détache les poignets.
— Je ne fais jamais ça dès le premier rencard, et même pas au cinquième.
C’est pas mon truc, désolée.
Elle tira comme une possédée sur ses liens et se déhancha en pure perte : pas
moyen d’échapper à sa poigne de fer.
— Punis-moi autant que tu veux, mais pas comme ça. Je t’ai mis en colère,
c’est vrai, mais je ne l’ai pas fait exprès, d’accord ? Ce n’est pas juste, jamais je
n’ai approché ma bouche de ton sexe !
— Je me doutais un peu que tu allais dire non. Tant pis, je continue à utiliser
mes mains pour te faire tenir tranquille…
— Pas ça, supplia-t-elle.
— « Ça ? » répéta Rage, la tête inclinée de côté.
— Ne me touche pas rien que pour avoir ta revanche.
— Oh, Ellie, mais c’est que j’en meurs d’envie ! Tu ne t’en rends pas
compte ? Ça va beaucoup plus loin qu’une bête histoire de vengeance. Dis-moi
oui et je nous exauce.
Ellie vit la passion qui couvait dans ses prunelles sombres. Il était sexy en
diable, tout son être désirait le voir enfouir la tête entre ses cuisses, tout près de
l’endroit le plus sensible, et elle abdiqua. En hochant la tête, elle se dit qu’elle
devait avoir perdu la boule, mais le soulagement qu’elle lut sur les traits de
l’Hybride la conforta dans sa décision.
Ellie hoqueta au moment où sa langue lui effleura la partie la plus réceptive de
son anatomie. Sa bouche se referma sur la minuscule boule de terminaisons
nerveuses qu’il se mit à stimuler à petits coups de langue. La jeune femme
s’immobilisa, tendue comme un arc, toute à l’extase que lui procurait cette
bouche gourmande.
Il est vraiment en train de le faire… Il… dieux du ciel, qu’est-ce que c’est bon.
La texture de sa langue était quelque peu inhabituelle. La sensation était
presque douloureuse… mais surtout incroyablement jouissive. Il maintenait une
pression constante tandis que sa langue s’acharnait obstinément, sans relâche,
sur son petit bouton. Ellie poussa des gémissements de plus en plus forts, de plus
en plus aigus ; ses mains se refermèrent sur les liens qui la retenaient pour
répondre au besoin de s’agripper à quelque chose.
Il va me tuer, en fin de compte. Pas en l’étranglant ou en lui brisant les
cervicales – en la léchant jusqu’à ce que mort s’ensuive. En l’amenant au bord
de l’orgasme sans jamais le lui accorder. Elle tenta de se raisonner, de se rappeler
à quel point elle détestait qu’un homme la possède ainsi, ça ne l’avait jamais
amenée à jouir, mais à cet instant, Rage poussa un nouveau grondement qui fit
vibrer son clitoris gonflé. Elle perdit le fil de ses pensées. Rien n’existait plus
que le plaisir, Rage et cette bouche qui lui envoyait des frissons dans tout le
corps.
L’orgasme la submergea brutalement. Le spasme fut si violent qu’elle se
surprit à crier. Tous ses muscles se mirent à trembler ; seule sa tête abdiqua.
Noyée dans la brume éthérée du plaisir, elle perdit toute faculté à penser, à
articuler, jusqu’à ce qu’il retire sa bouche.
Ellie reprit son souffle. Elle tremblait toujours comme une feuille quand il lui
lâcha les jambes avec douceur. Elle sentit alors sa peau chaude contre son mont
de Vénus, son estomac, ses seins, jusqu’à ce qu’ils se retrouvent en vis-à-vis.
Qu’il me tue si ça lui chante, songea-t-elle, ça m’est égal. Son corps avait
acquis la consistance de la guimauve. Jamais je ne me suis sentie aussi bien. Elle
rouvrit les yeux et contempla son beau regard sombre.
— Je devrais sortir d’ici et te laisser seule, sans un regard en arrière. C’est ce
que tu m’as fait subir.
Ellie ouvrit la bouche mais comprit que rien de ce qu’elle pourrait avancer
n’effacerait l’amertume qui se lisait sur son beau visage. Cette rancœur était son
œuvre ; les excuses n’avaient pas le pouvoir de réparer les torts. Elle l’observa
sans mot dire. Les yeux de Rage redescendirent jusqu’à sa poitrine. Au terme
d’une brève hésitation, il lui empoigna de nouveau un sein. Ellie se cambra pour
accentuer la pression contre sa paume. Leurs regards se croisèrent.
— Je te veux. J’ai beau lutter, je brûle de me retrouver en toi, de ressentir ton
étreinte, d’éprouver le plaisir que je t’imagine capable de me donner. C’est la
première fois que je désire autant une femme. Dis-moi que tu acceptes… ou
aide-moi à me rappeler que je n’ai pas le droit de te pardonner. Dis quelque
chose, secoue-moi, explique-moi que je n’ai aucune raison d’être obsédé par
l’idée de te posséder au point d’avoir du mal à respirer.
Ellie crut mourir en découvrant l’intensité de son regard. Les émotions s’y
bousculaient : désir, envie, effroi, passion dévorante. Elle eut besoin de
s’humecter les lèvres. Rage réagit par un grognement plus plaintif qu’agacé. Elle
comprit. Il la désirait.
Elle hocha la tête avec lenteur. Pourquoi se mentir ? Elle avait autant envie de
lui que le contraire, et ce, depuis le premier regard qu’elle avait posé sur 416
dans sa cellule. Un être fier en dépit des circonstances, un concentré de virilité
dans un corps d’athlète accompli, un magnétisme auquel elle avait
immédiatement succombé.
— Dis-le, la pressa-t-il.
— Oui, murmura-t-elle.
Rage ferma les yeux un long moment avant de les rouvrir.
— Serre-moi entre tes cuisses.
Ellie n’hésita qu’un court instant avant de s’enrouler autour de lui et
d’appuyer les talons contre ses cuisses musclées, à la naissance des fesses. Il se
redressa un peu jusqu’à ce que son gland charnu entre en contact avec son
intimité. Elle était déjà moite de désir quand il donna un petit coup de reins pour
la pénétrer. Il glissa sans peine entre ses lèvres soyeuses… mais manqua l’entrée.
La frustration durcit les traits du beau ténébreux. En appui sur un avant-bras,
il déporta son poids de ce côté, glissa l’autre main entre leurs deux épidermes,
empoigna sa queue et l’aligna au millimètre. Puis il s’immobilisa.
— Tu es sensiblement plus petite que nos femmes. Je vais faire de mon mieux
pour ne pas te blesser.
Me blesser ? Consciente de leur différence de gabarit, Ellie ne se considérait
pas pour autant comme un bibelot… et prit à cet instant la mesure de son erreur
d’appréciation. Elle voulut lui demander des précisions. Trop tard : cessant de
peser de tout son poids sur le côté, Rage laissa la gravité faire le travail. Ellie
écarquilla les yeux en sentant le gland épais exercer une pression sur les parois
de son sexe, s’y inviter… et contraindre son vagin à se dilater au maximum. Puis
la panique s’installa à mesure qu’il s’enfonçait en elle.
— C’est trop gros, haleta-t-elle.
Il se figea. Leurs regards se croisèrent. L’écart entre les paupières réduit à
deux fentes, le souffle court, il rétorqua :
— Mais non. J’ai trop envie de toi. Je vais y aller en douceur.
Aussitôt dit… il accentua la pression et la pénétra. Encore. Ellie sentit se
détendre les muscles de son sexe, contraint d’accepter le membre massif qui
s’enfonçait inexorablement. Rage ne s’arrêta pas avant d’être entièrement en
elle. Il ménagea une pause pour donner à sa partenaire le temps de prendre ses
marques. Ellie s’entendit respirer fort et dut se rendre à l’évidence : cette
sensation de femme comblée – au sens propre – était divine. Il se retira à mi-
course, lentement, puis poussa à fond.
Ellie s’entendit gémir. Le sexe de Rage, long et vigoureux, titillait ses
moindres terminaisons nerveuses. Elle n’avait rien à craindre de lui. Son corps se
délectait de leur emboîtement parfait. Il se cabra, un grondement étouffé franchit
ses lèvres mi-closes, leurs regards étaient toujours rivés l’un à l’autre.
— J’étais sûr que ça serait le pied total, énonça-t-il d’une voix rauque. Trop
bon.
La colère lui déforma les traits un court instant.
— Maudite sois-tu de me faire un effet pareil, Ellie.
Il grogna derechef et se remit en mouvement, retrait en douceur, pénétration
profonde. Ellie poussa un nouveau cri, sa queue incroyablement rigide lui
procurait une extase absolue. Jamais elle n’avait pris un plaisir pareil. Nouveau
va-et-vient au ralenti, un peu plus profond encore, nouveau râle extatique
d’Ellie. Quel bonheur de sentir glisser son sexe contre son clitoris gonflé, ses
hanches positionnées de manière à ne pas l’écraser ! Surexcitée et trempée
comme elle l’était, Ellie comprit que l’orgasme était imminent. Pas croyable…
elle partait vraiment au quart de tour. C’était irréel qu’un homme parvienne à la
faire jouir si vite, sans longs préliminaires, mais enfin, Rage n’était résolument
pas comme les autres.
Quand il se mit à aller et venir plus frénétiquement, le plaisir qu’éprouva Ellie
fut si vif qu’elle sut qu’elle allait jouir là, tout de suite. Les parois de son vagin
comprimaient la queue en mouvement, c’était fou, comment faisait-il pour
qu’elle durcisse encore ? Elle hurla, secouée de spasmes, en proie à un orgasme
violent, total. Sa chatte se contracta sur cette queue qui remuait toujours.
Il se retira sans crier gare et pivota sur une hanche. Puis il rugit bruyamment
en jouissant à son tour ; sa tête s’abattit sur la poitrine d’Ellie. Ses crocs acérés
effleurèrent un sein tandis que, tremblant, il lui éjaculait à longs traits sur la
cuisse. Il avait pris soin de ne pas jouir en elle.
Sitôt redescendue de son petit nuage, Ellie s’avoua un peu amère que Rage
n’ait pas éjaculé en elle, comme s’il souhaitait ainsi préserver une certaine
distance. Elle rouvrit les yeux et contempla sa tignasse noire. Il avait toujours le
visage enfoui entre ses seins, son souffle chaud et saccadé lui titillait l’épiderme.
Elle regretta de ne pas pouvoir le serrer dans ses bras.
Rage s’était retiré avant de courir le risque de lui faire mal, ou de l’horrifier, à
cause des changements qu’il avait subis en tant que cobaye. Elle ignorait
certainement le fossé anatomique qui s’était creusé entre humains et Hybrides. Il
se félicitait d’avoir réussi à se maîtriser suffisamment pour se rappeler qu’il
n’avait pas le droit de jouir en elle : dès la première seconde de leur intimité, il
avait connu la félicité pour la première fois de sa vie. S’extraire de son sexe avait
été difficile, presque impossible. Il désirait tant emplir Ellie de sa semence,
l’imprégner de son odeur !
La toucher, la sentir, lui faire l’amour avait dépassé ses rêves les plus fous. À
ce train-là, il risquait fort de devenir accro. C’est peut-être déjà le cas, l’avertit
une petite voix dans sa tête.
Ellie était humaine, la barrière existait, qu’il prenne garde de ne jamais
l’oublier. La garder ligotée à son lit, lui faire l’amour jusqu’à ce qu’elle soit trop
épuisée pour partir ? Rage aurait adoré… mais il n’en était pas question.
Quelqu’un allait finir par remarquer sa disparition.
En outre, plaisir ou pas, elle lui en voudrait d’être retenue captive. Lui-même
était bien placé pour savoir ce que l’on ressentait dans pareil cas. S’emparer
d’elle une fois pour l’amener dans son lit était une chose, la forcer à rester
deviendrait très vite impardonnable. Ellie en viendrait à le haïr. Cette perspective
le révulsait.
La frustration enfla en lui avant même qu’il ait fini de jouir. Merde alors… À
peine venait-il de lui lâcher un peu de sperme sur la cuisse qu’il pensait déjà à
elle comme sa chose ! Ellie lui appartenait depuis l’instant où elle l’avait touché
après avoir tué Jacob pour le protéger. Impossible de la garder, hélas. C’était à
devenir dingue, enragé, lui qui venait à peine d’accepter l’idée qu’Ellie ne lui
avait pas collé ce meurtre sur le dos par pure cruauté !
Rage dissimula l’afflux d’émotions en gardant le visage enfoui contre sa
poitrine. L’accès de colère était en train de passer… quand il capta l’odeur de
son sang. Rouvrant les yeux, il se passa la langue sur les lèvres : aucun doute,
c’était bien du sang. Celui d’Ellie. Il prit conscience avec effroi de ce qu’il avait
fait.
— Merde, grinça-t-il.
Il est du même avis que moi sur ce qui vient de nous arriver, songea Ellie.
Sauf qu’en ce qui me concerne, ce n’est pas qu’une histoire de cul. Rage leva la
tête, ce qui permit à la jeune femme de respirer plus aisément. Sa queue, encore
raide, buta contre le sexe d’Ellie qui prit conscience de l’extrême sensibilité de
son intimité. Cela faisait longtemps qu’elle ne s’était plus envoyée en l’air.
Rage la souleva par les hanches puis se pencha sur elle. Il la garda à bout de
bras et s’attarda sur son anatomie.
— Merde, soupira-t-il. Vraiment désolé. Je n’ai pas fait exprès, Ellie.
Fait exprès de quoi ? s’inquiéta-t-elle, perplexe. Ce qu’ils venaient de vivre
était… magique. Hallucinant. L’orgasme le plus intense qu’elle ait jamais
ressenti. Ellie suivit son regard et vit qu’il avait les yeux rivés sur son sein droit.
Elle dut lever la tête et s’alarma de découvrir un filet de sang qui s’écoulait dans
le sillon. En croisant le regard de Rage, elle y vit du remords. Puis elle
s’interrogea : qu’est-ce qui avait pu provoquer ce petit saignement ?
Il ouvrit la bouche sans parvenir à articuler le moindre mot. Les lèvres
pincées, l’air furibard, il sauta du lit et s’engouffra dans la salle de bains. Ellie,
un instant éblouie par l’afflux de lumière quand il actionna l’interrupteur, le vit
disparaître dans la pièce attenante.
Elle serra les cuisses avec précaution. Houlà, j’en ai pour un petit moment
avant de me remettre. Son sexe était sensible au moindre mouvement ; Rage était
mieux membré que la moyenne et Ellie, dégoûtée des hommes après le
cauchemar qu’elle avait vécu avec son ex, était restée chaste depuis son divorce.
Passablement gênée de s’être si facilement laissée exciter par Rage, la jeune
femme se remémora qu’il lui avait tapé dans l’œil dès qu’elle l’avait aperçu. De
là, en revanche, à se retrouver nue, attachée sur un lit, avec cet Apollon sorti de
l’horrible labo souterrain… Il commence par me faire grimper aux rideaux et
voilà comment ça se termine. Quel désastre ! Un bruit d’écoulement dans la salle
d’eau l’arracha à ses pensées.
En voyant Rage réapparaître quelques secondes plus tard, Ellie éprouva la
satisfaction d’avoir su rester zen malgré tout ce qu’elle venait d’endurer. Il évita
son regard et resta rivé sur sa poitrine. Muni d’une serviette humide, il s’installa
au bord du matelas.
— Laisse-moi nettoyer cette plaie… Je n’ai vraiment pas voulu te faire mal.
— Je ne souffre pas. (Bien qu’elle ait parlé d’une voix très faible, elle sut qu’il
avait entendu.) Mais délivre-moi, je t’en prie.
— Laisse-moi d’abord essuyer ça, soupira-t-il. Tu saignes. Ce sont mes crocs
qui t’ont écorchée, je n’avais pas du tout l’intention de te mordre. C’est juste une
égratignure un peu profonde.
Formidable. Je saigne. Enfin, au moins, c’est indolore.
— Tu n’as qu’à défaire mes liens, je vais m’en occuper.
— Non.
Il s’appliqua à lui nettoyer l’épiderme juste au-dessous du sein droit. Puis,
visiblement soucieux de faire disparaître toute trace de leur rapport, il épongea le
sperme qu’il avait répandu sur sa cuisse.
Quelle douche froide après la passion torride… Ellie fut gagnée par
l’amertume. Rage n’avait eu ni geste tendre ni mots doux envers elle après
l’amour, sauf à considérer comme tels ses excuses pour l’avoir égratignée. Et
voilà qu’il effaçait la preuve de sa passion, déjà aussi froide que le linge humide
utilisé à cette fin. Elle n’eut soudain qu’une envie : partir sans demander son
reste, oublier à jamais ce qui venait de leur arriver.
Comme Rage devait toujours la détester, Ellie tenta de ne rien laisser paraître
de son malaise. Il avait agi dans l’unique but de se venger, c’était flagrant malgré
ses belles paroles, et elle avait eu la sottise de le croire parce qu’elle tenait à lui.
Il devenait urgent de déguerpir avant de fondre en larmes. Ellie pria pour qu’il
ait assouvi sa soif de revanche et consente à la laisser filer.
— Nous voilà quittes ? parvint-elle à articuler.
Ne craque pas, merde, se répéta-t-elle, les nerfs à vif, au bord des larmes. S’il
la voyait pleurer, il risquait de croire qu’elle avait mal à cause du coup de croc.
Le remords qu’elle discerna sur son visage dur donna raison à Ellie : il s’en
voulait de l’avoir mordue. Comme s’il n’y avait pas assez de malentendus entre
nous, songea-t-elle amèrement.
Son regard noir remonta jusqu’à croiser celui de la jeune femme. Au terme
d’un long moment passé à la dévisager, il tomba sous le coup d’une émotion
indéchiffrable. Puis il ouvrit la bouche, comme pour dire quelque chose, mais
rien ne vint… rien, sauf des coups frappés à la porte.
— Et merde, gronda Rage.
Relevé d’un bond, il fila vers la salle de bains avec une vivacité effrayante,
balança la serviette par l’embrasure, tourna les talons, revint près du lit et
ramassa la couverture qu’il avait arrachée plus tôt. Il s’en servit pour la couvrir
des pieds au ras du cou. Rhabillé un battement de cœur plus tard, il quitta la
chambre en trombe et en claqua la porte.
Que faire ? s’interrogea Ellie. Crier à l’aide ? Attirer l’attention sur sa
situation, c’était courir le risque d’être trouvée nue, attachée… et mordue. Sale
affaire en perspective, les apparences plaidaient pour une agression sexuelle. Pas
question qu’il se fasse arrêter pour un crime qu’il n’avait pas commis.
Il avait déjà payé très cher la mort de Jacob dont Ellie, elle, était sortie
indemne. Elle garda le silence afin de ne pas alerter la personne venue frapper à
la porte : mieux valait subir le sort que Rage lui réservait que lui attirer des
ennuis supplémentaires. Nous voilà quittes, raisonna-t-elle. Il va me libérer sitôt
le visiteur congédié.
La porte de la chambre s’ouvrit à la volée. Ellie blêmit d’effroi en voyant
débouler Justice. Vêtu d’un jean et d’un tee-shirt jaune, il avait formé une queue-
de-cheval avec ses cheveux longs afin d’avoir les traits dégagés, ce qui permit à
la jeune femme de ne rien rater de sa réaction. Elle tressaillit : aucun doute, il
était en train de tirer des conclusions erronées. Un instant pétrifié, il se ressaisit,
gronda, fit trois pas et s’arrêta au bord du lit. Livide et mutique, Rage se tenait
dans l’encadrement de la porte, tête baissée, les yeux rivés sur le tapis.
Justice empoigna la couverture et tira. Ellie hurla, mortifiée d’être ainsi offerte
au regard d’un inconnu. Justice poussa un grondement sourd. Puis il recouvrit la
nudité de la jeune femme et prit place au bord du matelas. Il tendit le bras tout en
fusillant son second du regard et s’escrima sur le lien qui retenait un poignet
d’Ellie. Un barreau céda ; sa main était libre.
— Comment as-tu osé ? rugit le chef des Hybrides.
Il se leva, fit le tour du lit et libéra l’autre bras d’Ellie, puis rejoignit Rage en
faisant écran. Ellie se redressa, se massa les poignets et prit soin de rester
couverte. La carrure de son protecteur l’empêchait d’apercevoir Rage.
— Tu te rends compte ? C’est notre sauveuse, l’humaine qui a risqué sa peau
pour nous aider ! Quoi qu’elle ait pu te faire, tu lui dois le fait d’être en vie. De
respirer ! On s’échine à prouver aux humains que nous ne sommes pas des
animaux, et toi, tu la prends de force ? Tu l’attaches à ton lit et tu la violes,
comme un chien enragé ? Ils vont t’envoyer au trou, bordel de merde ! Je ne
pense pas être en mesure de te couvrir, et ça tombe bien, parce que j’en ai
modérément envie. Toi, nous faire un coup pareil ? Tu sais pourtant ce qui est en
jeu ! Les nôtres ont besoin qu’on leur montre l’exemple, qu’on veille sur eux. Tu
es mon adjoint, merde ! Si jamais j’échoue, c’est toi qui es censé reprendre le
flambeau.
Justice poursuivit d’une voix plus calme.
— Tu me fends le cœur, d’avoir agressé cette humaine. Elle saigne, je le sens,
ça va nous causer des torts pas croyables… Qu’est-ce qui t’a pris, bon sang ? Tu
as perdu la tête ? Ton crime va donner raison à ceux qui nous considèrent comme
des fauves sans cervelle, trop dangereux pour être laissés en liberté.
Ellie vit que ses fringues étaient par terre, à côté du lit ; Rage avait dû les jeter
là après l’avoir déshabillée. Son badge et ses chaussures avaient subi le même
sort. Elle se déplaça avec prudence, les ébats récents lui laissaient vraiment
l’entrecuisse ultrasensible, et glissa sur les fesses jusqu’au bord du matelas en
prenant soin de rester couverte. Elle ramassa ses affaires et les enfila à toute
vitesse. Les garçons en étaient toujours à se défier du regard.
— Les vigiles humains la cherchent partout, dit Justice avant de ménager un
court silence. Ils ont trouvé son bidule électronique près du plan d’eau et
craignent le pire. Dès l’instant où j’ai su qui manquait à l’appel, j’ai rappliqué en
priant pour que tu n’aies pas fait de bêtise. Il faut qu’on les prévienne qu’elle est
ici. Elle a besoin de subir un examen, et toi, d’affronter la punition qui t’attend.
Elle n’est pas des nôtres ; ils voudront sûrement appliquer leurs lois, dans cette
affaire. Je suis loin d’être expert dans ce domaine. Ma seule certitude : si tu te
défiles, tu nous fous dans la merde. Ne résiste pas s’ils viennent t’arrêter. Je sais
ce que tu ressentiras s’ils te menottent, mais évite d’aggraver ton cas.
— Je ne leur résisterai pas, promit Rage à mi-voix. Je les appelle tout de suite.
Ellie, déjà rhabillée, enfila ses chaussures et se leva. Elle ressentit une gêne au
niveau du sein quand l’étoffe frotta contre l’écorchure. S’étant promis d’y
remédier dès son retour du dortoir, elle n’avait pas pris le temps de vérifier la
gravité du coup de croc. Elle fit deux ou trois pas hésitants vers la porte.
— Excusez-moi, dit-elle en se raclant la gorge.
Justice, une grimace sévère aux lèvres, se tourna et la regarda dans les yeux.
Ellie n’eut pas un regard pour Rage.
— Je retourne au dortoir, là… inutile d’alerter qui que ce soit. J’expliquerai
que j’étais chez quelqu’un, la sécurité de Homeland n’a rien à voir là-dedans.
Rage et moi sommes quittes, désormais. Il n’y aura plus de grabuge entre nous.
(Elle s’obligea à braquer les yeux sur le beau brun et vit qu’il était stupéfait.)
Nous sommes quittes ?
Les sourcils froncés, il secoua la tête.
Le choc fit vaciller Ellie. Ses genoux flanchèrent, mais Justice la rattrapa
avant qu’elle s’écroule. Il la tint fermement par la taille jusqu’à ce que l’humaine
ait retrouvé l’équilibre, et la lâcha dès qu’elle esquissa le geste de le repousser.
Elle resta bouchée bée devant Rage.
— Comment ça, non ? Ça ne t’a pas suffi ?
Elle sentit les larmes affluer mais, cette fois, fut incapable de les retenir.
— Je suis désolée ! J’étais sûre qu’il ne t’arriverait rien, merde, il faut me
croire ! Je n’avais pas le choix. J’ai fait tout ce que j’ai pu pour toi. Et comment
t’expliquer mon geste ? Tu te méfiais de moi, c’était logique, je ne pouvais pas
courir le risque que tu ailles tout répéter à l’un d’eux…
Rage, visiblement peiné, sourcilla.
— C’est toi qui as une raison de m’en vouloir, à présent. Je n’ai pas fait exprès
de te blesser avec mes crocs.
Ellie, le poing serré autour de son badge, sécha ses larmes avec le dos de sa
main. Rage ne cessait de l’étonner.
— Je te crois. C’est une simple égratignure, rien de méchant. Nous voilà donc
quittes. Tu ne me dois rien. Il faut que j’y aille… (Ellie se mordit la lèvre.) Merci
de me laisser passer.
Rage s’écarta ; Ellie s’engouffra aussitôt dans la brèche. Elle arpenta le
couloir d’un pas mal assuré, déboucha dans un salon spacieux, repéra la porte
d’entrée et l’ouvrit à la volée en se redressant. La fraîcheur nocturne vint
caresser ses joues humides.
Combien de temps avait pu s’écouler depuis l’incident au bord du lac ? La
jeune femme voulut consulter sa montre et grimaça en découvrant qu’elle ne
l’avait pas au poignet. Retourner dans la chambre de Rage pour la récupérer ?
Plutôt crever. Elle franchit le seuil et regarda alentour afin de se situer. Ses
semelles glissèrent un peu sur l’herbe détrempée, puis elle s’engagea dans l’allée
qui menait aux dortoirs.
Agrippée soudainement par l’épaule, Ellie fit volte-face et leva un regard
inquiet sur l’imposante silhouette de Justice North. Le chef des Hybrides l’avait
suivie dehors.
— Pourquoi refusez-vous qu’il soit arrêté ? Qu’est-ce qui se passe, entre
vous ?
Justice cessa de lui broyer l’épaule. La confusion se lisait sur ses traits.
Ellie détailla ses beaux yeux de chat. La structure osseuse de son visage
n’était pas entièrement humaine, les pommettes étaient trop saillantes, le nez
excessivement large et aplati. Il était… différent, un peu comme Rage, mais dans
le registre félin. Elle se dégagea d’une ruade. Justice laissa son bras retomber.
— Il faut que je retourne à mon bâtiment et que j’informe la sécurité que je
n’ai rien, pour qu’ils mettent un terme aux recherches. Ce qui s’est passé chez
Rage n’est pas ce que vous croyez. Il ne m’a ni violée ni violentée.
— Et au laboratoire ? voulut savoir Justice. Il s’est passé quoi, au juste ?
Ellie jeta un coup d’œil alentour : pas de lumière à la vitre de Rage et sa porte
était fermée. Il n’était pas en vue. Elle reporta son attention sur Justice.
— Pourquoi diable, gronda-t-il, plaider pour son impunité après le tort qu’il
vous a fait ? Ne m’obligez pas à retourner le cogner jusqu’à ce qu’il crache le
morceau. Il se refuse à m’en parler. C’est la première fois qu’il me cache quoi
que ce soit.
Ellie refoula un nouvel accès de larmes. Elle haïssait l’idée que Rage puisse
souffrir si elle ne se confessait pas.
— C’est à lui d’en parler, pas à moi.
— Il n’en démord pas. Je suis son meilleur ami, pourtant… Ça n’a pas de
sens. Aidez-moi à comprendre ou je le fais mettre au trou et passer à la question.
Il va très mal le prendre, d’être remis en cage. Si son sort vous importe, dites-
moi ce qu’il refuse de me dire.
Ellie hésita. C’était détestable, d’être ainsi prise en porte-à-faux, mais c’était
encore plus insupportable d’imaginer que Rage pourrait pâtir une nouvelle fois
de ce qui s’était passé dans sa cellule. Elle posa les yeux sur le tee-shirt de
Justice.
— Vous ne vous en servirez pas contre lui ? Promettez-le-moi, dit-elle en
croisant son regard.
— Je l’aime comme un frère, et pour moi, la famille passe avant tout. Plutôt
me couper une main que lui faire du tort sans raison.
La jeune femme sut qu’il était sincère en contemplant ses yeux de chat.
— C’était ce type horrible, un technicien nommé Jacob, qui prenait plaisir à
faire du mal aux Hybrides. Rage lui avait pété le nez d’un coup de coude. Jacob
s’en est pris à lui lors de mon dernier jour chez Mercile. Je venais tout juste de
télécharger les données dans le bureau d’un médecin et de gober la clé USB pour
déjouer la sécurité. Alors que j’étais allée voir comment allait 416, enfin Rage,
depuis… hmm… une salle d’observation, j’ai entendu Jacob dire qu’il
s’apprêtait à le tuer. Il avait fait couper les caméras de la cellule. J’y suis allée
aussi vite que possible.
Elle hésita à poursuivre.
— Continuez.
Incapable d’obtempérer en continuant à le regarder dans les yeux, Ellie fixa de
nouveau son tee-shirt avant de reprendre.
— Jacob avait drogué Rage, l’avait enchaîné ventre à terre, et commençait à
lui faire des trucs… vraiment moches. Je l’ai attaqué. Et tué, conclut-elle, la voix
éteinte.
— Rage devrait vous en savoir gré…
Justice releva le menton d’Ellie pour l’obliger à le regarder dans les yeux.
— Qu’est-ce que vous omettez de me dire ? Pourquoi s’estime-t-il trahi alors
que vous lui avez sauvé la vie ?
Elle se racla la gorge.
— La clé que j’avais dans le ventre contenait assez de preuves pour décider un
juge à lancer des perquisitions chez Mercile Industries. Si jamais quelqu’un se
doutait que c’était moi qui venais de tuer Jacob, jamais on ne m’aurait permis de
quitter les lieux à la fin de ma journée. J’ai donc décidé de faire porter le
chapeau à Rage. Profitant de ce qu’il était toujours drogué, je lui ai étalé le sang
de ce fumier sur les mains, puis replanté la seringue dans le corps pour donner à
croire qu’il avait eu le temps de tuer Jacob avant que le produit agisse… et j’ai
eu trop peur de ce qui risquait d’arriver pour lui expliquer les raisons de cette
mise en scène.
Sous le feu d’un regard insistant, Ellie s’attendit à voir Justice entrer en rogne.
— Vous ne m’avez pas tout dit. Ce type d’incident était fréquent… Pourquoi
Rage l’a-t-il si mal pris ?
La jeune femme serra les dents.
— En entrant dans la cellule, j’ai découvert que ce salaud de Jacob l’avait
dérouillé et s’apprêtait à le violer. (Les larmes aux yeux, elle baissa de nouveau
la tête.) Il avait déjà commencé à lui… enfoncer… une matraque, c’était très
moche, d’accord ? Rage était convaincu que je ne lui voulais aucun mal, et voilà
que je lui colle un meurtre sur le dos. Un meurtre qui lui a valu d’être torturé : il
me l’a dit. C’est ma faute, s’ils se sont acharnés sur lui. Voilà pourquoi Rage
était furieux après moi. Il voulait qu’on règle nos comptes ; c’est fait.
Justice garda le silence. Un coup de vent fit bruisser les frondaisons. Ellie
n’osa lever les yeux vers ceux du chef des Hybrides, trop effrayée à l’idée d’y
lire du dégoût ou pire, de la colère. Elle venait d’avouer un acte horrible commis
contre son meilleur ami.
— Il m’a cueillie dans le parc pour me faire comprendre ce qu’il avait subi
suite à la mort du technicien : être entravé, sans défense, le corps livré à la merci
d’autrui. (Ellie ménagea une pause.) Il ne m’a pas forcée à coucher avec lui. Ni
frappée, ni rien. Mais il a décidé qu’en me séduisant, la sanction serait plus
efficace. J’étais consentante. Rage et moi sommes quittes, désormais, il tient sa
revanche ; quant à moi, j’ai envie de rentrer.
— Et le sang que j’ai flairé ? C’était consenti, ça aussi ?
— Un coup de croc accidentel. Rien de méchant.
Justice soupira bruyamment.
— Je vois, dit-il en lui lâchant le menton.
Ellie tourna les talons et s’élança sans un regard en arrière, de peur de
découvrir que Justice lui courait après. Elle ne s’arrêta qu’au bout de plusieurs
pâtés de maisons… en manquant de percuter un vigile. Elle prétexta une visite à
un ami et jura qu’il ne lui était rien arrivé de fâcheux. Quand le garde voulut
savoir de quel ami il s’agissait, elle refusa de répondre et fit comprendre à demi-
mot qu’il s’agissait d’un rendez-vous galant, ce qui avait le mérite de coller avec
sa tenue débraillée et ses cheveux en bataille.
Le sourire en coin du vigile ne lui échappa pas, pas plus que la façon dont il
avait louché sur son décolleté quand il avait signalé par talkie-walkie qu’il avait
retrouvé la disparue saine et sauve. En arrivant enfin au bâtiment des filles, Ellie
avait les jambes coupées par le chaos émotionnel.
Quatre Hybrides regardaient la télévision dans le salon quand Ellie passa dans
l’embrasure en se dirigeant vers l’ascenseur. Elle les regarda à la dérobée en
attendant l’arrivée de la cabine… et vit qu’elles la dévisageaient. La plus proche
se leva d’un bond, les narines frémissantes.
— Ça va ?
Ellie fut surprise de voir s’inquiéter l’une de ses protégées.
— Ça va, oui. Merci et bonne nuit.
Elle se tourna vers les portes de l’ascenseur pour rompre le contact visuel. La
cabine, hélas, mettait un temps fou à arriver. La jeune femme ferma les yeux et
croisa les bras. Elle s’efforça de rester sourde aux signaux de son corps :
l’irritation de son entrecuisse, la brûlure sous un sein. Il lui tardait de prendre un
bain, de se servir un truc fort… et pourquoi pas de pleurer tout son soûl.
La sonnerie de l’ascenseur résonna, les portes coulissèrent. Ellie rouvrit les
yeux, s’engouffra dans la cabine, pivota de manière à appuyer sur le bouton… et
resta bouche bée en voyant les quatre Hybrides entrer à leur tour dans l’espace
exigu sans la quitter des yeux. Elles la humèrent bruyamment, la détaillèrent des
pieds à la tête, s’approchèrent encore. Ellie recula dans un coin de la cabine.
Leur intérêt soudain pour son bien-être avait quelque chose de flippant. Toutes
étaient grandes, musclées, plus fortes qu’une humaine lambda. Elle était acculée
dans un coin. L’une d’elles tourna la tête et appuya sur le bouton du dernier
étage. Comment s’appelaient-elles, déjà ? Celle aux cheveux roux avait des yeux
de félin, lui semblait-il. Ses pupilles presque noires étaient braquées sur Ellie.
— On sent toutes la même chose : un mélange de sang, de peur et de sexe.
Aucun doute possible.
— Et l’odeur d’un des nôtres est sur toi, aussi, énonça celle qui se tenait tout à
fait à gauche.
Elle avait une allure étrange, avec ses traits félins et ses cheveux multicolores
de chatte écaille et blanc. Elle renifla à nouveau puis reprit.
— Hybride de chien, je parie. Notre odorat est moins affuté que celui des
mâles, cela dit. Eux pourraient immédiatement identifier celui qui t’a fait du mal.
Nous autres, on a plus de difficulté à savoir qui est qui rien qu’à l’odeur.
— Ne nous appelle pas comme ça, glapit la rouquine, une lueur jaune de
courroux dans le regard. Je ne suis pas une chienne ! J’ai des gènes canins, c’est
tout.
La féline haussa les épaules et reporta son attention sur Ellie.
— Tu as subi une attaque, dit-elle en reniflant derechef.
— Tout va bien, assura Ellie en déglutissant avec peine. Merci de vous
inquiéter pour moi.
Les quatre femmes la dévisagèrent sans mot dire. L’ascenseur émit un « ding »
en arrivant au second. Ellie essaya vainement de se faufiler, les amazones ne
bougeaient pas d’un pouce. Elle se mordit la lèvre et les regarda tour à tour.
— J’aimerais accéder à ma chambre…
Elles s’écartèrent pour la laisser passer. Ellie se faufila en prenant soin de ne
bousculer personne puis fila dans le couloir. Elles lui avaient flanqué la trouille.
Quelle surprise de découvrir qu’elles possédaient un odorat apte à détecter les
émotions ! Arrivée sur son palier, elle exhiba son badge. Sitôt le témoin
lumineux passé au vert, elle tourna la poignée, franchit le seuil et voulut
refermer la porte… mais s’en trouva empêchée. Les quatre Hybrides entrèrent à
leur tour ; Ellie prit peur en découvrant leurs visages durs. Elle recula pas à pas,
inquiète de la tournure des événements. L’une d’elles referma la porte.
— Kit, va faire couler un bain.
La plus grande des quatre, une fille aux cheveux noirs, prenait les choses en
main.
Kit se dirigea sans un mot vers la salle de bains.
— Je suis Brise, annonça la grande brune à mi-voix. Nous sommes
nombreuses, je ne sais pas si tu nous connais toutes par notre nom. Celle qui est
à la salle de bains, c’est Kit. (Coup de menton vers la rouquine.) Voici Rouille, et
celle qui ne dit jamais rien, c’est Soleil. Soleil, trouve-lui des vêtements
confortables à enfiler après son bain.
Soleil fila vers l’armoire d’Ellie. Cette dernière, abasourdie, ne pouvait
détacher ses yeux de Brise, qui l’observait en fronçant les sourcils.
— Tu sens le sang et le sexe, et tes poignets portent des marques de liens.
Nous avons toutes été prises de force à maintes reprises pendant nos années de
captivité. (Son regard s’obscurcit.) Les humains nous maltraitaient à la moindre
occasion. Nos mâles, eux, faisaient toujours attention à ne pas nous blesser
quand nous étions obligées de copuler. (Court silence.) Nous étions punies, ou
obligées de regarder quelqu’un d’autre être puni à notre place, si nous refusions
de coucher sur commande. Nos mâles sont incapables de faire du mal à l’une des
nôtres… pourtant, l’un d’eux t’a attachée et violentée. Pourquoi ?
Rendue muette par le caractère odieux de ce qu’elle venait d’entendre, Ellie
regarda Brise en priant pour que les coupables rôtissent en enfer.
— Je n’ai rien, promit-elle. Personne ne m’a forcée.
Brise gronda, faisant ressortir ses traits canins.
— Tu mens. Qui t’a fait ça ? Nous veillerons à ce qu’il souffre un maximum.
Un mâle n’a pas le droit de forcer une femelle. Nous sommes libres, désormais.
Le coupable doit payer. Il t’a fait du mal ; c’est inadmissible.
Soleil posa des vêtements sur le lit et se plaça derrière Ellie. En tournant la
tête, la jeune femme la vit se pencher pour lui renifler le cou. Sans crier gare,
l’Hybride souleva son débardeur. Ellie, médusée, sentit le nez de Soleil frotter
contre son dos et l’entendit inhaler à fond. L’étoffe retomba quand l’amazone se
redressa pour culminer à plus d’un mètre quatre-vingts.
— Pas moyen de savoir qui c’est. La trace olfactive est trop légère pour qu’il
l’ait montée de dos, il a dû la prendre à la manière humaine.
Ellie, mal à l’aise entre les deux amazones, tentait de s’extraire de la prise en
sandwich quand Brise se saisit du bas de son débardeur. L’Hybride s’agenouilla
devant elle, releva l’étoffe jusqu’à la naissance des seins et se mit à lui renifler le
ventre avant qu’elle ait le temps de protester. Soleil lui souleva le menton en
arborant un visage fermé.
— Il lui a transpiré dessus pendant l’agression, comme font les humains. Je
n’arrive pas non plus à savoir de qui il s’agit. (Brise fronça les sourcils en se
redressant.) Pourquoi tu le couvres ? Tu sais comment il s’appelle ? Sinon
décris-le-nous, on le retrouvera… et je te promets qu’il va en baver. Tu es avec
nous ; il savait à quoi s’attendre, en s’en prenant à toi.
Ellie resta bouche bée et s’obligea à cogiter. Elle était tombée des nues de
seconde en seconde, entre ce que les Hybrides avaient dit et ce qu’elles avaient
fait. Alors comme ça, elles étaient capables de renifler la sueur de Rage sur son
ventre ? Elle ferma la bouche et serra les cuisses, inquiète de leur réaction si
l’une d’elles détectait l’odeur de sperme. Puis elle repensa à la dernière phrase
de Brise.
— Je suis… avec vous ? Je croyais que vous me haïssiez…
Kit émergea de la salle de bains.
— On ne te hait pas. Tu es notre toutou.
— Kit ! la reprit Rouille en secouant la tête. Tu n’as pas le droit de dire ça,
c’est blessant.
Kit haussa les épaules.
— C’est la vérité, pourtant. Elle est si petite, si mignonne. Et elle jappe sans
arrêt comme si elle cherchait à nous faire plaisir, comme… comment ça
s’appelle, déjà ? Un yorkshire ?
Rouille soupira.
— On était d’accord sur le fait qu’elle fait plus penser à un gentil caniche,
avec ses longs cheveux blonds. (Grand sourire à l’attention d’Ellie.) Ne le prends
pas mal, surtout. On t’adore et tu nous fais beaucoup rire. On sait toutes à quel
point tu tiens à nous.
— J’ai besoin de m’asseoir, marmonna Ellie, qui flageolait sur ses jambes,
ayant du mal à avaler le fait d’être considérée comme un « gentil toutou ».
La jeune femme alla se vautrer au bord de son lit… et regretta son manque de
précautions quand son entrecuisse se rappela à son bon souvenir.
— Merde, lâcha-t-elle.
Ellie ferma les yeux. Je suis leur toutou. Le fait d’être vue comme un caniche
la fit grimacer.
— Tu l’as rendue triste, gronda Brise. Excuse-toi tout de suite.
— Désolée, enchaîna aussitôt Kit. C’est positif, ça veut dire qu’on t’aime
bien. Je l’ai précisé, pas vrai ? C’est si terrible, d’être un toutou ? Les gens les
adorent. On t’apprécie beaucoup.
Ellie rouvrit les yeux et se força à sourire.
— Il va me falloir un peu de temps pour m’y faire, mais merci quand même.
Je suis heureuse d’être appréciée. C’est l’essentiel, au fond.
— On t’aime bien, abonda Rouille. Maintenant, dis-nous qui est celui qui t’a
agressée, qu’on aille lui flanquer sa raclée. Notre odorat nous permet de
distinguer le sexe d’un des nôtres, de déterminer s’il s’agit d’un Hybride canin,
félin ou simien, mais savoir qui au juste, c’est une autre affaire. Dis-nous tout ce
que tu as retenu de lui, qu’on puisse se faire une idée précise.
Brise fit craquer ses jointures.
— Tu auras le droit d’assister à la correction. Ça te fera du bien de le voir
saigner un peu. (Elle se tourna vers ses consœurs.) Mais attention, pas question
de le tuer. On lui caresse juste assez les côtes pour qu’il dérouille une bonne
semaine.
Ellie détailla les quatre amazones. Devait-elle se réjouir de les savoir décidées
à la venger… ou se sentir affreusement mal à l’aise ?
— J’apprécie votre soutien, vraiment, vous n’avez pas idée à quel point. J’en
pleurerais presque de joie. Mais ce n’est pas ce que vous croyez, il ne m’a forcée
à rien.
— Ah bon ? Comment se fait-il que la sécurité soit venue fouiller les
chambres après nous avoir informées de ta disparition ? Ils ont parlé de traces de
lutte, dans le parc… (Brise braqua un regard inquisiteur sur Ellie.) Nous sommes
intelligentes, tu sais. Ne nous prends pas pour des débiles. Tu débarques en
sentant le sexe, la peur et le sang. Tu as été attachée, ça se voit à tes poignets.
J’ai lu quelque part que les humains le font parfois pour pimenter les choses,
mais c’est avec un Hybride que tu as copulé. Or on ne donne pas là-dedans, nous
autres. Ça nous rappellerait trop les sévices du laboratoire. Et pourtant, l’un de
nos mâles t’a ligotée. Dis-nous son nom ou décris-le-nous si tu l’ignores. Après
la raclée qu’on va lui infliger, il ne recommencera pas. Tu es notre toutou.
Personne n’a le droit de te faire du mal.
C’était – de très loin – l’échange le plus loufoque auquel Ellie ait jamais
participé : les filles la considéraient comme un toutou, un caniche, pas comme
leur responsable. Elle faillit faire une grimace. Elle détestait depuis toujours ses
boucles désordonnées, mais merde, elle n’était quand même pas bouclée comme
un caniche ! Penser à acheter du shampoing lissant.
Elles se montraient soucieuses de la protéger. Là était l’essentiel. Dire qu’elle
s’était persuadée que toutes les pensionnaires la haïssaient ! C’était plus
qu’encourageant, la glace était rompue, peut-être allait-elle parvenir à leur
transmettre ce qu’elle était censée leur enseigner. Aucun doute, jugea Ellie, le
bilan était positif.
— Je n’ai rien, lâchez l’affaire. C’est une histoire d’ordre privé. Je n’ai pas été
blessée, le saignement que vous détectez provient d’une égratignure accidentelle.
Kit s’approcha pour la dévisager.
— Elle a trop peur pour le dénoncer.
Penchée sur Ellie, l’Hybride lui souleva le débardeur et posa le nez sur son
ventre. Elle renifla… et s’écarta brusquement. Le visage déformé par l’effroi,
elle émit un petit gémissement.
— Rage, hoqueta-t-elle, interloquée. Pas possible. Il est…
Silence.
Rouille proféra un juron. Puis elle fondit sur Ellie, l’empoigna et l’allongea de
force. La jeune femme prit peur quand Rouille, beaucoup plus grande qu’elle,
releva son débardeur d’un geste brusque et plaqua son nez contre son ventre.
Elle l’entendit renifler puis grogner. L’Hybride aux cheveux multicolores se
redressa d’un bond et fit volte-face. Elle se dirigea vers un angle de la pièce et
abattit ses mains contre la paroi avec une violence qui fit sursauter Ellie.
— C’est bien Rage, bredouilla Rouille. Aucun doute.
Brise fut la seule à garder son calme. Elle posa un regard dur sur Kit et
Rouille.
— Vous m’avez affirmé qu’il s’agissait d’un protecteur, non ? Que de tous les
mâles du labo, c’était celui qui encaissait le plus de châtiments à la place des
femelles ? C’est bien son odeur, vous en êtes sûres ?
Rouille opina tout en sanglotant. Quand elle se tourna vers Ellie, celle-ci vit
qu’elle pleurait à chaudes larmes et paraissait perdue.
— Pourquoi il t’a fait ça ? Pourquoi ?
— On ne t’accuse de rien, s’empressa d’ajouter Kit, elle aussi au bord des
larmes. On a juste du mal à comprendre. Rage s’est toujours montré très
soucieux de ne pas nous faire souffrir, chaque fois que l’une d’entre nous était
désignée pour coucher avec lui. Si la partenaire disait non, il refusait de la
toucher et prenait sa raclée sans broncher. Il souffrait à notre place, quoi. On
savait toutes qu’il était prêt à mourir pour nous éviter une sanction
douloureuse… C’est pour ça qu’on ne pige pas.
Ellie s’agrippa aux draps pour s’aider à se redresser.
— Arrêtez de vous faire des idées fausses, de grâce. Je sais qu’il n’a pas fait
exprès de m’égratigner. C’est un truc entre nous. On a, hum… et merde.
Comment m’expliquer ? Il ne veut surtout pas que ça se sache, et je viens déjà de
tout raconter à Justice North quand il m’a découverte chez Rage. Ils vous ont
vraiment fait subir ça, au labo ? Quelle horreur…
Ellie se laissa retomber sur le matelas, oubliant une fois de plus sa gêne à
l’entrecuisse, et grimaça.
— Ça ne sortira pas de cette pièce, promit Brise d’une voix égale. Tu as notre
parole. Jamais nous ne répéterons ce que tu vas nous dire. Ces deux-là n’en
reviennent pas que Rage, un vrai héros à leurs yeux, ait pu s’en prendre à toi. Il
faut tout nous raconter. Nous te protégerons.
Ellie grogna faiblement. Elle épia tour à tour les quatre amazones : Brise la
regardait fixement, les bras croisés, et attendait qu’elle vide son sac. Kit et
Rouille étaient pâles, secouées, prêtes à pleurer de plus belle. Chagrinées.
C’était le mot juste. Soleil, quant à elle, était curieuse.
Il n’était pas question de les laisser penser pis que pendre de Rage. Kit et
Rouille, visiblement, le connaissaient bien. Très bien. Ellie s’en voulut à mort de
se sentir jalouse parce qu’elles avaient, de toute évidence, couché avec lui. Mais
enfin, ni Rage ni elles n’avaient eu le choix. La jeune femme prit une profonde
inspiration et commença par le commencement. Elle n’omit rien et conclut son
récit par leur intrusion dans son appartement. Les larmes aux yeux, elle se sécha
les joues avant de détailler les quatre Hybrides. Allaient-elles la détester,
maintenant qu’elle avait confessé ses crimes ?
Kit et Rouille avaient pris le parti de s’asseoir par terre pendant le récit
d’Ellie. Brise était restée debout près de la porte ; Soleil était toujours assise à
côté de l’humaine. Ellie croisa le regard de Brise.
— J’ai envie de prendre un bain, de me coucher et de ne plus jamais parler de
tout ça, d’accord ? Il ne m’a ni violée ni mordue exprès.
Brise hocha la tête, un sourire sans joie aux lèvres.
— Tu es une femme généreuse, Ellie Brower. Beaucoup, à ta place, auraient
refusé de comprendre son besoin de vengeance et ce qui a suivi. Plus d’une
aurait… (Elle soupira.) Menti, affirmé qu’il l’avait prise sans son consentement.
Quant à Rage, il n’avait pas le droit de t’en vouloir. Tu en es consciente,
j’espère : il te doit la vie. C’est le mâle en lui qui a voulu régler ce compte. Et
c’est injuste. J’ai très nettement perçu la honte que tu as ressentie quand il a fallu
que tu fasses croire à ceux de Mercile que c’était Rage qui avait tué ce
technicien. Tu as bien agi, j’aurais fait pareil à ta place. (Nouveau soupir.) Il ne
t’approchera plus. On va veiller sur toi à tour de rôle.
— Ce n’est pas nécessaire, nous sommes quittes, il n’a plus de raison de
revenir à la charge.
Ellie se leva.
— Merci de veiller sur moi et de me comprendre, j’avais très peur que vous
me haïssiez pour ce que j’ai dû faire. Il fallait que je le tire des griffes de Jacob et
que j’apporte les preuves à mon chef. Je ne m’attendais pas du tout à ce qu’ils
s’en prennent violemment à lui… Ça ira, vraiment, et je me sentirai dix fois
mieux demain. Je n’ai qu’une envie : tourner la page.
— Va dans la salle de bains et passe-nous tes fringues, proposa Soleil à mi-
voix. On les nettoiera pour chasser son odeur. Tu as fait ce qu’il fallait. Et ce
n’était rien à côté des atrocités qu’ils nous ont fait subir. En plus, tu as risqué d’y
passer, contre ce technicien.
— Ça vaut ce que ça vaut, ajouta Kit avec un pauvre sourire, mais Rage est un
type bien. Je te crois quand tu dis qu’il ne te voulait aucun mal, il s’est toujours
très bien comporté avec nous.
Ellie hocha la tête en s’efforçant de ne rien montrer de sa jalousie : Kit venait
de lui confirmer que Rage avait couché avec elle et avec Rouille. Elle passa dans
la salle de bains en laissant la porte entrouverte. Une baignoire pleine d’eau
chaude l’attendait. Elle se dévêtit, passa les fringues par l’embrasure et
s’immergea. Le contact du liquide sur la base des seins lui arracha une grimace.
Elle souleva celui qui lui faisait mal, pencha la tête et découvrit deux traces de
croc. Merde.
Ellie ferma les yeux et tenta de faire le point. Elle n’aurait plus à craindre un
nouveau coup monté de Rage, c’était toujours ça. Quant à effacer les images de
la passion sexuelle qui les avait unis… c’était une autre affaire.
Son ex-mari lui en avait tellement fait baver qu’Ellie s’était juré de ne plus
jamais tomber amoureuse. Penser jour et nuit à un type ? Non merci ! Elle avait
tenu bon – jusqu’à ce que ses yeux se posent sur le sujet 416. Rage avait
ressuscité une émotion qu’elle croyait morte. C’était vite devenu une obsession.
D’abord lui sauver la vie, puis faire amende honorable après ce qu’elle lui avait
fait subir. À savoir, vouer son existence au bien-être du peuple hybride quand,
malgré toutes les démarches entreprises, Ellie était restée sans nouvelles de
Rage.
Jamais son ex-mari n’avait autant compté que ce beau ténébreux. Naguère très
amoureuse d’un salaud qui l’avait trompée, Ellie s’était forgé une certitude : plus
aucun homme ne la ferait vibrer. Grossière erreur… ce qu’elle avait ressenti
envers Jeff – amour ou haine – n’était rien par rapport aux émotions fortes que
lui faisait vivre Rage.
Rien du tout. L’épisode torride avec Rage promettait de la hanter jusqu’à la fin
de ses jours. Elle se prit à rêver à un avenir commun. Ellie se sentait prête à
courir le risque d’avoir une nouvelle fois le cœur brisé, mais…
— Et merde, ronchonna-t-elle. Comme si me bercer d’illusions pouvait
changer la donne…
— Rage ?
Un brin alarmé d’entendre prononcer son nom à voix basse et dépité de s’être
fait surprendre, l’intéressé estima que son manque de vigilance devait être dû à
sa quasi-obsession : épier Ellie depuis les abords du bâtiment des filles. Il tourna
la tête juste ce qu’il fallait pour apercevoir Slade du coin de l’œil.
— Quoi ?
— Ta fixette pour l’humaine commence à me flanquer les jetons. Faut-il que
je le signale à Justice ?
— Pas la peine.
Le regard de Rage se reporta sur le dortoir. Ellie était assise dans un canapé du
rez-de-chaussée en compagnie d’une poignée de pensionnaires. Un propos la fit
sourire ; il regretta de ne pas savoir quoi.
— Je m’assure qu’elle va bien, rien de plus.
— Lâche l’affaire, mec. On nous a expliqué pour quelle raison elle travaillait
pour Mercile. Je comprends que tu aies ressenti le besoin de te venger, mais Ellie
n’est pas notre ennemie.
Rage tint sa langue. Tant mieux si son ami s’imaginait qu’il gardait rancune
envers celle qu’il surveillait depuis le couvert d’un arbre, car la vérité, c’est qu’il
n’arrivait pas à la chasser de sa tête. Incapable de penser à autre chose, il revivait
en boucle l’écho de ses gémissements, le goût de sa moiteur intime, le souvenir
de ce sexe où il s’était senti merveilleusement à l’étroit.
Sa queue durcit jusqu’au seuil de la douleur à l’évocation de leur étreinte.
Trois fois hélas, il avait tout foutu en l’air en l’écorchant avec ses crocs.
Comment diable se racheter ? Surtout qu’il avait reçu un ordre formel : garder
ses distances, ne pas interagir avec elle… ce qui n’interdisait pas de l’observer
de loin. Ellie, qui n’avait pas conscience d’être épiée, ne risquait pas de se sentir
menacée.
— Tu as entendu ce que je viens de dire ? dit Slade en s’approchant.
— Oui.
Rage gardait les yeux rivés sur Ellie. En la voyant écarter de sa joue une
mèche de cheveux blonds, il eut terriblement envie que ce soit son visage à lui
qui soit effleuré.
— J’ai entendu.
— Es-tu un danger pour elle ? Je veux une réponse franche. On est amis.
La tirade arracha Rage à l’objet de sa fascination.
— Je ne lui ferai aucun mal.
Ils se regardèrent en silence un long moment, puis Slade poussa un soupir et
se tourna vers le bâtiment des filles.
— Nos femmes ont l’air de l’apprécier.
Et moi donc, se retint d’avouer Rage. Elle m’obsède, je ne pense qu’à elle.
Elle peuple tous mes rêves… quand j’arrive à fermer l’œil.
— Tu la laisses tranquille, on est d’accord ? demanda Slade en quêtant son
approbation du regard.
— Oui, répondit Rage en priant pour avoir la force de tenir parole.
— Entendu comme ça, je te laisse.
Slade tourna les talons et se fondit dans les ténèbres.
Rage retourna à son spectacle favori. Cesser d’épier Ellie soir après soir, au
terme de sa journée de travail ? Bonne idée, sa santé mentale avait tout à y
gagner… sauf qu’il était incapable de s’y résoudre. Il s’était même risqué plus
près, en quête d’une faille dans le système de sécurité qui lui permettrait
d’accéder à l’étage où elle dormait, juste pour avoir un aperçu de son cadre de
vie. En savoir un peu plus.
Ses yeux se fermèrent ; il respira à pleins poumons. Que ne donnerait-il pas
pour la tenir dans ses bras, pour sentir son odeur, pour la toucher ! Un
grondement étouffé franchit ses lèvres entrouvertes, sa queue enflée lui fit mal, il
sut qu’il allait passer une nouvelle nuit à s’agiter sans trouver le sommeil. Pas
question d’oublier Ellie.
CHAPITRE 6
Ellie courut jusqu’à la cuisine. Quand les portes s’abattirent avec fracas, elle
sut qu’elle était prise au piège. Son choix était restreint : se cacher en priant pour
que les secours arrivent à temps ou combattre. Ses chances face à quatre types
armés étaient minces. Sa priorité avait été de mettre ses pensionnaires à l’abri ;
elles l’étaient, c’était déjà ça. Consciente d’avoir accepté un métier à risque, elle
n’avait toutefois jamais envisagé une situation aussi critique.
Elle ouvrit le tiroir qui contenait les couteaux et empoigna le plus grand tout
en gardant un œil sur le hall d’entrée. Surtout ne pas céder à la panique, garder la
tête froide et plus que tout, trouver une planque.
Son regard se fixa aussitôt sur l’îlot central. Elle se réfugia derrière et
s’accroupit. Puis elle ouvrit une porte du rangement situé sous le plan de travail
et y fit de la place en déplaçant les ustensiles le plus doucement possible.
— Minou, minou, fit une voix grave.
C’est une blague, ou quoi ? songea Ellie en secouant la tête. Ils sont infichus
de distinguer une humaine d’une Hybride… Ces idiots-là ne savent même pas
sur quoi ils tirent. Chasseurs mon cul, oui, maugréa-t-elle en se remémorant
l’inscription sur le flanc du pickup.
— Allez minette, montre-toi.
La voix paraissait plus proche. Le cœur battant à tout rompre, Ellie se glissa
dans le placard. Malgré le manque de place, la jeune femme parvint à se glisser
sous le plan de travail et à refermer la porte en se ramassant sur elle-même. Les
ténèbres régnaient dans cet espace clos. Elle s’efforça de contrôler sa respiration
pour ne pas se faire repérer et tendit l’oreille. Tout ce qu’elle pouvait faire à ce
stade, c’était prier pour que la cavalerie débarque à temps.
— J’ai pas l’intention de te tuer. Montre-toi, faut qu’on cause.
Ellie serra les dents. Ce gars-là devait la prendre pour une bille s’il s’imaginait
tromper son monde avec un bobard pareil. Pas question de discuter avec ces
dingues sans verre trempé en guise de séparation ! Se montrer, c’était mourir, et
Ellie avait envie de vivre.
Justice restait les yeux rivés sur les écrans de contrôle pour suivre l’évolution
de la situation dans le dortoir des filles. Il ressortit son portable et composa un
numéro enregistré après avoir vu Ellie Brower se dissimuler dans un placard,
sous le plan de travail central de la cuisine. Il suivit des yeux les quatre intrus qui
passaient le rez-de-chaussée au peigne fin après avoir compris qu’il était exclu
d’accéder aux étages supérieurs, que ce soit par l’ascenseur ou l’escalier : un
épais rideau de fer était en place en haut des marches. Les types s’étaient séparés
et fouillaient le bâtiment pièce par pièce en quête d’Ellie.
— Nos femmes sont à l’abri au dernier étage, mais l’humaine se cache dans la
cuisine. Elle ne va pas leur échapper éternellement. Elle est coincée. Quatre
humains lourdement armés sont à l’intérieur ; ils ont forcé l’entrée à la voiture-
bélier.
Il raccrocha.
— C’était qui ? voulut savoir Artino, les sourcils froncés.
— Mon équipe de sécurité est en route.
Darren ouvrit grand la bouche puis la referma.
— La sécurité, c’est mon domaine. Les communications sont toujours
coupées ; il m’est impossible d’appeler mes gars pour les autoriser à laisser
entrer qui que ce soit. Ils ont barricadé l’accès principal à Homeland à l’aide
d’un cordon de véhicules privés pour empêcher de nouvelles intrusions.
— Mon équipe est déjà dans la place, gronda Justice. Elle est composée de
gens de mon peuple.
La colère monta aux joues de Darren Artino.
— Je suis payé pour assurer la protection des Hybrides, pas pour apprendre
qu’ils quittent leur abri et vont se jeter dans les bras d’une bande de cinglés ! On
a quasiment la situation en main. Rappelez immédiatement vos gars.
— « Quasiment » ne sauvera pas la vie de l’humaine.
Justice désigna d’un coup de menton l’écran où s’affichait un plan large de la
cuisine. Il poussa un juron : l’un des intrus venait d’apparaître sur le seuil.
CHAPITRE 7
Ellie vit la fièvre qui habitait les yeux noirs de Rage quand l’Hybride
s’agenouilla devant elle. Il hésita une seconde avant de lui effleurer le menton. Il
portait des gants noirs, en cuir probablement, et entreprit de l’examiner avec le
plus grand soin. Il lui fit tourner la tête pour étudier son cou, les contours de son
visage. Puis il retira sa main. Sans un mot, il lui passa les avant-bras sous les
aisselles et l’aida à se relever.
La jeune femme prit conscience qu’elle avait le dos dénudé, puis Rage la
soutint plus fermement quand ses jambes refusèrent de la porter. L’Hybride émit
un grondement sourd ; ses traits se crispèrent. Ellie prit peur, qu’avait-elle fait
pour mériter pareil accès de colère ? Elle sentit qu’il la lâchait puis, toujours sans
un mot, passait un bras sous ses genoux et un autre derrière ses épaules. Ellie se
retrouva en un instant nichée contre son torse puissant. Rage n’eut pas un regard
pour elle.
— Je m’occupe de la nettoyer et de vérifier qu’elle n’a rien. Vous autres,
accompagnez ces messieurs dehors et ouvrez l’œil. Plus personne n’entre,
conclut Rage, en contenant difficilement sa fureur.
Un individu d’aspect féroce, aux longs cheveux noirs, hocha la tête.
— Compris.
Rage s’élança. Ellie hésita une seconde avant de s’agripper à son cou.
Épuisée, endolorie et en état de choc, elle se fichait de savoir où il la conduisait.
Elle posa sa joue contre son épaule et ferma les yeux. Comme par miracle, lui et
ses gars l’avaient sauvée de la mort horrible que lui promettaient ses deux
assaillants. Quelques minutes de plus, et… La jeune femme frissonna en
songeant à ce qu’ils s’apprêtaient à lui faire subir. Elle se pelotonna contre Rage
et sentit se raidir son corps massif. Il continua cependant à marcher d’un pas vif.
Ellie rouvrit les yeux quand il s’arrêta et poussa quelque chose du pied. C’était
la porte des toilettes. Rage fronça les sourcils, scruta la pièce puis se dirigea vers
la rangée de lavabos. Il l’aida à s’asseoir sur le rebord, en face de lui. Ellie lâcha
prise alors qu’il se reculait.
L’Hybride pivota sur lui-même et jeta un nouveau coup d’œil à la ronde. En
suivant son regard, la jeune femme vit qu’il s’attardait sur les angles, près du
plafond, et comprit aussitôt ce qu’il cherchait.
— Il n’y a pas de caméra ici, annonça-t-elle à voix basse. La sécurité voulait
en installer. J’ai dû insister pour que les filles aient droit à un peu d’intimité.
Rage hocha la tête et posa les yeux sur le lavabo situé à côté d’Ellie. Il ôta ses
gants qu’il jeta dans un coin, puis agita les mains sous le robinet afin de faire
couler l’eau. Sitôt sous le jet, il se savonna, se rinça et se tourna ensuite vers le
distributeur d’essuie-mains. Un sourcil arqué, Ellie le vit extraire plusieurs
poignées de serviettes en papier brun qu’il empila à côté d’elle. Il avait vidé le
premier distributeur et partait s’attaquer au second.
— Tu vas te servir de tout ça ?
Les sourcils toujours froncés, Rage la regarda. Il récupéra un nouveau lot de
serviettes puis la rejoignit avec la grâce féline d’un chat prêt à bondir sur sa
proie.
— Déshabille-toi.
D’abord bouche bée, Ellie eut la présence d’esprit de refermer la bouche. Quel
culot !
— Pas question.
L’Hybride gronda doucement.
— Tu es tellement couverte de sang et de leur puanteur que je n’arrive pas à
déterminer si ce sang est le tien ou le leur. Laisse-moi te nettoyer et voir si tu
saignes ; si tu rechignes à te dévêtir, je le ferai à ta place.
Ellie se détendit : sa requête faisait sens, en fin de compte.
— Tu as l’intention de me nettoyer pour voir si je suis blessée ? Rien d’autre ?
Les yeux de Rage se réduisirent à deux fentes.
— Tu préfères que ce soit l’un de mes gars qui vienne te déshabiller ? Les
vigiles humains en sont encore à essayer de colmater les brèches, précisa-t-il
avec un reniflement de mépris. On risque de rester coincés ici un moment. L’un
des nôtres doit t’ausculter pour savoir si tu n’as rien de méchant. À toi de voir si
tu préfères que ce soit moi ou un de mes gars. On perd du temps, là.
Ellie serra les dents. Quel grossier personnage il pouvait être, parfois ! Elle
venait de vivre le pire traumatisme de sa vie, il pourrait se montrer moins
abrupt…
— Ça ira, je vais me débrouiller.
— Tu ne tiens pas debout. Je t’ai rattrapée de justesse.
— Je viens de tuer deux types et j’ai failli me faire violer par les deux autres
avant qu’ils m’assassinent ! Vraiment désolée d’avoir les genoux qui flanchent…
Il s’approcha d’elle.
— Tu en as tué deux ? En déboulant au dortoir, on a entendu du raffut dans la
bibliothèque, du coup, on a foncé sans prendre le temps de fouiller les lieux.
— Ils ne se sont pas massacrés entre eux, dit-elle, prise de tremblements à
l’idée de ce qu’elle avait dû faire pour survivre. C’est moi qui les ai tués. Pour de
vrai.
Rage lâcha un nouveau grondement sourd.
— C’était de l’autodéfense. N’y pense plus, beauté. Tu n’as pas eu le choix, et
ils l’ont bien cherché. C’est un fier service que tu as rendu à la planète en nous
en débarrassant. Ils t’auraient tuée sans hésiter.
Il avança encore jusqu’à ce qu’ils se touchent presque, empoigna le bas de son
débardeur et décolla l’étoffe gluante de l’épiderme d’Ellie. La manœuvre était
rendue plus aisée par la récente découpe dans le dos.
— C’est bien compris ? Ils ne méritent pas la lueur de remords que je vois
dans tes yeux. Engueule-moi ou parle-moi, l’essentiel, c’est de penser à autre
chose. Et tâche de tenir le coup… je ne supporterais pas de te voir pleurer. Mets-
toi plutôt en rogne après moi.
Elle ravala ses larmes. C’était gentil de sa part de se montrer prévenant…
même si cela lui faisait remonter les émotions à fleur de peau. Il avait les plus
beaux yeux du monde. L’envie de se jeter dans ses bras était presque
irrépressible. Rage eut la sagesse de rompre le contact visuel.
— Allez hop, à la toilette. Leur puanteur sur ta peau m’est vraiment
insupportable. C’est un truc d’Hybride, ça me rend dingue. (Il la regarda par en
dessous.) J’ai des instincts qui me viennent de ce qu’on m’a fait subir, et parfois,
j’ai du mal à les réprimer. C’est encore plus difficile quand je suis en colère ou
effrayé. Si cette odeur ne part pas rapidement, ce sera plus fort que moi, il faudra
que j’aille leur arracher la tête.
— Entendu, acquiesça Ellie. Je n’ai rien contre le fait qu’on massacre ces
deux salopards, mais évite de le faire toi-même, ça pourrait t’attirer des ennuis.
La jeune femme se rendit compte que son soutien-gorge avait été découpé en
même temps que le tee-shirt et voulut se couvrir la poitrine. Rage l’en empêcha
en l’obligeant à écarter les bras à l’horizontale, puis lui examina les paumes
maculées de sang en prenant soin de ne pas loucher sur ses seins.
— Évite de te salir encore plus. Penche-toi sur le lavabo, que je te nettoie.
Apaisée par le timbre rauque de Rage, Ellie se garda de protester quand leurs
regards se recroisèrent. Elle descendit du plan de travail avec précaution et jugea
inopportun de s’emporter contre lui : il s’efforçait de lui faire oublier la gravité
de la situation, c’était délicat de sa part. En outre, elle n’avait pas oublié le petit
mot doux qu’il avait employé, « beauté ». Un vrai baume au cœur après ces
épreuves.
Quand ses pieds touchèrent le carrelage, elle se sentit de nouveau flancher.
Rage l’aida à se retourner, la relâcha, tendit les bras le long du flanc d’Ellie afin
de réactiver le robinet, puis il l’empoigna avec douceur par les poignets et lui
plaça les mains sous l’eau froide. Ellie vit l’écoulement se colorer à mesure que
le sang qui lui poissait les mains et les poignets se dissolvait. Elle dut fermer les
yeux pour lutter contre la nausée.
— Pourquoi diable il n’y a pas de douche au rez-de-chaussée ? grinça Rage.
— Tous les appartements sont munis d’une salle de bains avec douche. Il n’est
venu à l’idée de personne que le dortoir puisse être envahi.
Il soupira.
— Là tout de suite, ce ne serait pas du luxe, mais tout ce qu’on a, ce sont ces
lavabos.
Ellie garda les yeux clos et sut gré à Rage de lui tenir l’esprit occupé.
L’Hybride était collé à sa peau nue ; l’étoffe la grattait un peu, les bras
musculeux frottaient contre ses côtes tandis qu’il s’appliquait à lui rincer les
mains. Elle obéit sans hésiter quand il lui demanda de se pencher encore. Il
continua à la nettoyer en lui rinçant les bras, puis les épaules. Son pantalon
commençait déjà à se gorger d’eau. Rien à faire pour l’en empêcher, et ça n’avait
aucune importance puisque, de toute façon, ses fringues étaient imprégnées de
sang.
— Enlève tes chaussures, lui glissa-t-il à l’oreille.
Ellie obtempéra. Elle se débarrassa des sandales qui, autrefois blanches,
étaient désormais rougeâtres. Elle avait littéralement pataugé dans le sang dans
la cuisine, glissé et rampé dedans. Ses chaussures étaient foutues. Vite, penser à
autre chose ! Rage commença à baisser son pantalon en coton de quelques
centimètres puis s’arrêta.
— C’est pour te nettoyer, rien de plus. Sois forte, Ellie, il n’y en a pas pour
longtemps. Tu ne risques plus rien. Je ne laisserai personne s’en prendre à toi. Il
faudrait qu’on me passe sur le corps pour t’atteindre, et ça ne risque pas
d’arriver.
Elle le crut.
— D’accord.
La jeune femme garda les yeux fermés pour éviter de voir s’il en profitait pour
la reluquer. Il procéda avec délicatesse : d’abord le pantalon, puis la culotte qu’il
fit glisser en la prenant par les pouces. Elle leva une jambe pour l’aider, puis
l’autre, en prenant conscience qu’il souhaitait la dénuder complètement. Rage
refit couler l’eau et l’aspergea comme il put avec ses mains jointes. Quand il vit
qu’elle ruisselait de la tête aux pieds, il se servit des serviettes en papier pour la
frotter le plus doucement possible tandis qu’Ellie se tenait parfaitement
immobile.
— C’est le mieux que je puisse faire, déclara-t-il d’une voix grave où perçait
la tension. Tu as besoin d’une douche, mais au moins, je ne vois plus une trace
de sang. Et mon odorat est formel : tu as réussi à ne pas t’en mettre dans les
cheveux.
Ellie rouvrit les yeux quand elle sentit qu’il en avait terminé. Le miroir lui
renvoya sa propre image… et ce qu’elle vit derrière elle la laissa une nouvelle
fois bouche bée. Rage s’était détourné pour enlever sa veste puis déboutonner sa
chemise ; il était en train de dénuder ses larges épaules.
— Qu’est-ce que tu fais ? glapit-elle.
— Il te faut des habits propres et secs. Je n’ai que ma chemise et mon caleçon
à te proposer.
Il jeta un coup d’œil par-dessus son épaule et croisa son regard dans le miroir.
— Tu préfères sortir d’ici toute nue ? dit-il, les sourcils froncés. N’y pense
même pas. Au passage, si tu m’avais demandé d’envoyer un de mes gars t’aider
à te dévêtir, sache que j’aurais refusé aussi.
Ellie secoua la tête et croisa les bras.
— OK, passe-moi ta chemise et ton caleçon. Je t’en remercie.
Il détourna la tête.
— Tu n’es pas obligée de mater.
La jeune femme prit conscience qu’en effet, elle était fascinée par le spectacle
de Rage ôtant sa chemise et révélant un dos musclé à la peau mate. Elle ferma
les yeux : elle se tenait face au miroir et, si elle s’en détournait, elle se
retrouverait devant Rage en chair et en os. Le froissement d’étoffe de l’opération
lui parut durer une éternité.
— Tu peux rouvrir les yeux. Voilà.
Ellie s’exécuta. Rage était tout près, lui touchant presque le dos. Le regard
tourné ailleurs, il tendait devant lui sa chemise et un caleçon de couleur bleue.
La jeune femme dut tendre le bras pour les récupérer tant il était grand.
— Merci.
— Je te dois bien ça, gronda-t-il.
La colère de l’Hybride était palpable ; leurs rapports, tendus à l’extrême. Ellie,
qui n’avait pas besoin de ce rappel à cet instant, dut se faire violence pour
réprimer une repartie cinglante. Elle préféra s’habiller en vitesse. Le caleçon en
coton était doux et encore tiède, il lui tombait sur les hanches. Me voilà bien,
avec une braguette… Cette pensée la fit sourire tandis qu’elle enfilait la
chemise. L’étoffe avait son odeur, sa chaleur. Elle apprécia d’être de nouveau
couverte.
— Tu peux te retourner, dit-elle en finissant de boutonner sa chemise
d’emprunt.
Le colosse tourna les talons avec lenteur, très sexy dans sa veste sans manches
et son pantalon moulant, avec les muscles des bras saillants et des pectoraux
massifs qui menaçaient de faire céder les boutons du battle-dress. Elle s’arracha
difficilement à la vue des biceps et retroussa ses manches jusqu’à ce que ses
mains soient dégagées. Comme Rage s’approchait pour l’aider, Ellie vit que la
veste était barrée du logo OPH.
— J’ignorais que vous possédiez votre propre équipe de sécurité…
Il prit une profonde inspiration.
— Ouais, eh bien, disons qu’on ne peut pas entièrement compter sur les
humains pour assurer nos arrières. On s’entraîne en secret ; tu es la première de
ton peuple à l’apprendre. Regarde le boulot de merde qu’ils ont fait, aujourd’hui.
Mercile nous a rendus forts, rapides et résistants à la douleur. Ceux d’entre nous
qui savent se battre enseignent aux autres. Nos gars apprennent vite.
— Pourquoi en secret ? Homeland, c’est chez vous. Vous y faites ce que vous
voulez.
— Dis ça à ceux de ton peuple. (Il hésita.) On s’est vu refuser une salle
d’entraînement. Même chose quand on a demandé à être formés par des
instructeurs humains. Alors on s’entraîne entre nous, à l’abri des regards, dans le
dortoir des mecs. Après y avoir coupé toutes les caméras. La sécurité ne voulait
pas les enlever ; pas grave, on les a bousillées.
Ellie fronça les sourcils.
— Mike ne vous a pas dénoncés au directeur ?
— Le chef du dortoir ?
Rage secoua la tête.
— Il se soûle tous les soirs à l’alcool fort. À partir de 21 heures, une bombe
pourrait péter dans sa chambre sans le réveiller. Il n’a pas idée de ce qu’on fait la
nuit.
— Désolée d’apprendre que vous en êtes réduits à vous cacher, dit-elle, faute
de mieux. Si les filles veulent s’entraîner ici, je ne le dirai à personne. Pas la
peine qu’elles le fassent en cachette.
Rage haussa les épaules.
— On s’arrange avec les obstacles qu’ils imaginent pour nous barrer la route,
mais merci quand même. Je ferai passer le message. D’une manière ou d’une
autre, nous avons l’intention de devenir autosuffisants.
— Et vous y arriverez, j’en suis sûre.
Il tendit la main vers elle mais arrêta son geste à quelques centimètres de son
visage.
Ellie, incapable de résister, combla d’elle-même l’espace jusqu’à ce que les
doigts de Rage lui effleurent la joue. Sa main épousa la courbe de son visage, ses
phalanges glissèrent entre ses mèches de cheveux, elle se lova dans sa paume.
Son contact l’apaisait. Il lui aurait coûté de l’avouer, et pourtant, Ellie avait eu
plaisir à voir arriver Rage en dépit des circonstances apocalyptiques.
Elle leva les yeux vers lui.
— Merci de m’avoir sauvé la vie.
Une émotion indéchiffrable s’imprima un court instant dans les beaux yeux
chocolat de l’Hybride.
— Je ne souhaite plus ta mort, je te l’ai déjà dit, répondit-il en lui caressant la
joue. J’ai eu peur pour toi.
— Plusieurs filles m’ont dit qu’elles t’avaient vu rôder aux abords du dortoir,
avança Ellie après une hésitation. Je peux savoir pourquoi ?
Les joues de Rage s’empourprèrent et ses traits se durcirent. Il retira sa main.
— J’aime savoir où sont mes ennemis. Viens, gronda-t-il. Le sang n’était pas
le tien. Tu souffres d’hématomes et de quelques égratignures ; rien de méchant.
Le devoir m’attend, il faut que je sache comment évolue la situation.
Ces mots durs sortis de nulle part firent l’effet d’une gifle à Ellie : à
l’entendre, ils n’étaient même pas amis.
— Laisse-moi remettre mes sandales, dit-elle après avoir détourné le regard.
— Surtout pas. Elles sont pleines de sang et je viens juste de te nettoyer. Je ne
recommencerai pas. Je n’en ai pas la force, conclut-il dans sa barbe.
Qu’est-ce que ça signifie ? s’interrogea Ellie en se dirigeant vers la porte des
toilettes. Rage resta à sa hauteur en se gardant de l’effleurer et remit ses gants
tandis qu’ils traversaient la pièce. Il ouvrit la porte et sortit le premier. Ellie
suivit le mouvement et contempla sa nuque : qu’est-ce qui pouvait bien lui
trotter dans la tête ? Il s’était montré amical… jusqu’à cette brusque histoire
d’inimitié.
Les quatre agents de l’OPH veillaient sur l’entrée défoncée. Darren Artino
était sur le seuil avec une dizaine de ses gars ; il posa un regard noir sur Rage.
— Vos sbires m’interdisent d’entrer !
Rage se fendit d’un sourire sans joie qui fit saillir ses canines.
— Faites donc.
Artino maugréa un juron et fit signe à ses vigiles de pénétrer dans le bâtiment.
Son regard noir engloba Ellie… et ce qu’il vit le fit se cabrer. Quand il remarqua
le caleçon d’homme qu’elle portait, ou plus exactement les trois centimètres qui
en dépassaient sous la chemise, sa mâchoire s’affaissa. Il braqua derechef son
regard de braise sur Rage qui haussa les épaules.
— Ellie avait besoin de fringues, fit valoir l’Hybride. Ce serait bien d’équiper
la salle d’eau d’une douche et de serviettes avec cette sécurité de merde. Quand
les gens que vous n’arrivez pas à protéger ont besoin de nettoyer le sang qu’ils
ont fait couler, ils méritent un minimum de confort après s’être sauvés eux-
mêmes. Des serviettes en papier, c’était un peu mince pour couvrir sa nudité ;
j’ai jugé préférable de lui passer mes sous-vêtements plutôt que de la laisser
sortir à poil.
Ellie se couvrit la bouche pour masquer son hilarité : le visage d’Artino était
devenu de plus en plus rouge à mesure que Rage en rajoutait. Le chef de la
sécurité était un pète-sec de la plus belle eau ; assister à sa descente en flammes
s’avérait jouissif. La jeune femme cessa de se cacher derrière sa main et vit Rage
adresser un signe de tête à ses gars. La petite troupe quitta le dortoir sans un
regard en arrière.
Artino vint la rejoindre.
— Vous avez entendu ce qu’il ose me sortir ? glapit-il, outragé.
Ellie choisit ses paroles avec soin. Ce n’était pas à elle d’insister sur la faillite
complète de son dispositif de sécurité.
— Je suis favorable à l’idée d’installer une douche et des vraies serviettes
dans la salle d’eau du rez-de-chaussée. Ça n’aurait pas été du luxe.
Ellie laissa en plan le responsable médusé, se dirigea vers un canapé et
s’effondra dedans. L’épuisement et le besoin de pleurer un bon coup étaient en
train de la rattraper. Ou un verre bien tassé. Ou tout ça à la fois.
Rage fit une halte sur le trottoir et repéra Ellie par-dessus l’épaule de ses gars.
Vautrée dans un sofa, l’humaine était livide et paraissait épuisée. Rien
d’étonnant après ce qu’elle avait vécu. L’Hybride avait dû mobiliser toute sa
force de caractère pour l’abandonner ainsi alors qu’il n’avait eu qu’une envie :
l’enlacer, la rassurer. Si jamais elle fondait en larmes, au diable les apparences, il
était résolu à filer la rejoindre et à la cajoler jusqu’à ce qu’elle se sente mieux.
Son téléphone sonna ; il décrocha aussitôt.
— Oui, Justice ?
— Qu’est-ce qui s’est passé avec l’humaine, dans la salle d’eau ? Je t’ai suivi
à l’écran jusque devant la porte, mais il n’y a pas de caméra dedans. Tout va
bien ?
Rage répondit à voix basse.
— Ils l’ont violentée, mais j’ai gardé mon sang-froid.
— Bien. (Justice ménagea une pause.) Tu as fait un boulot remarquable, Rage.
Je suis fier de toi. Les humains sont un rien agacés que ce soient les nôtres qui
aient sauvé Ellie. Ils l’ont mal pris en découvrant qu’on avait notre propre
sécurité.
— Homeland est à nous. Le président des États-Unis en personne nous a
garanti que nous pouvions prendre les rênes dès que nous nous sentions prêts à le
faire.
— Je sais, je sais… Ils culpabilisent un max d’avoir financé Mercile
Industries sans vraiment savoir ce qui se passait. Les autorités tiennent à se
racheter ; si on annonce publiquement qu’ils ont merdé, leur image en souffrira
dans le monde entier. Nous avons intérêt à les ménager jusqu’à ce qu’on soit
capables de tout gérer nous-mêmes. J’ai cru comprendre que ça avait chauffé,
avec Artino… Qu’est-ce qui s’est dit, au juste ?
— Il n’était pas content qu’on ait réussi à la place de ses gars, et ça l’a fâché
tout rouge que j’aie ordonné aux nôtres de bloquer l’accès au dortoir le temps de
m’assurer qu’Ellie n’avait rien de sérieux.
Justice hésita.
— Tu contrôles la situation, avec elle ? C’est indispensable. Les nôtres ont
besoin qu’on fasse preuve d’autorité et qu’on serve d’exemple, faute de quoi,
jamais nous n’arriverons à sortir de cette semi-captivité. Je t’ai choisi pour me
seconder pour le respect que tu inspires, parce que tu sais discipliner tes
émotions et parce que tu es prêt à tout pour le bien-être de notre peuple, au
moins autant que je le suis.
— Tu n’as rien à craindre de ce côté-là, assura Rage, le regard toujours rivé
sur Ellie. Je sais qu’elle n’est pas pour moi.
— Sache que ça me désole, rétorqua Justice en soupirant. Tu as droit au
bonheur. Retourne au dortoir des mecs, j’y vais de ce pas pour féliciter nos gars.
CHAPITRE 8
Rage faisait les cent pas dans son bureau. Ellie était partie pour de bon, jamais
il ne la reverrait, il lui fallait à tout prix se faire à cette terrible réalité. On frappa
à sa porte. Il prit une profonde inspiration, se composa un visage impassible et se
racla la gorge.
— Entrez.
C’était Cuivre, un ami qu’il avait mis à la tête du programme de mise à niveau
des Hybrides. Il entra, referma derrière lui et prit appui contre la cloison.
— On a un problème.
— Encore ? C’est quoi, cette fois ?
— Des gardes humains qui font les yeux doux à plusieurs de nos nanas. Nos
gars sont très protecteurs envers elles.
Rage se fendit d’un rictus.
— Nos filles sont aptes à se défendre contre un humain. Je n’en ai pas croisé
un seul qui soit de taille face à une Hybride en colère. (Il redevint sérieux.)
Harcèlement ou simple flirt ?
— Simple flirt, mais ça peut suffire à nos gars pour déclencher une bagarre.
Les filles n’ont pas porté plainte, aucune ne se sent en danger. Je préfère qu’on
évite les conflits. Si nos mâles se mettent à frapper les humains au premier clin
d’œil un peu appuyé, ça promet pas mal de tensions…
— J’irai leur parler. Organise une réunion. (Rage consulta sa montre.) Dans
deux heures ?
— Ça me va, dit Cuivre, tout sourires. Tu es un père pour nous tous, tu sais.
Toujours à prodiguer tes conseils, à gérer nos sautes d’humeur. Justice, lui, c’est
un peu notre mère : il veille sur nous, il nous nourrit, c’est un nid douillet qu’il
nous fabrique à Homeland.
Rage lui présenta son majeur dressé.
— Voilà la leçon du jour, fiston.
Les rires fusèrent.
— Si c’est une proposition, non merci, tu n’es pas mon type.
— Tu prends tes rêves pour des réalités, gloussa Rage. Nos nanas ont bon
goût, aucune ne voudra jamais de toi.
Cuivre fit quelques pas vers son ami ; son sourire disparut.
— À propos de nana… j’ai su que la petite humaine à qui tu as sauvé la vie
était partie.
Rage se rembrunit à son tour et hocha la tête.
— Le directeur l’a virée, et Justice m’a demandé de ne pas intervenir. Je
n’avais qu’une envie, pourtant : dire merde à Boris, lui rendre son job et la
garder avec nous. D’un autre côté, l’attaque m’a fait comprendre qu’elle court un
vrai danger en restant ici. Justice a raison, elle s’en tirera mieux loin de moi.
— En court-circuitant cet abruti bouffi d’orgueil, abonda Cuivre, tu l’aurais
aidé à comprendre que nous nous savons maîtres de notre destin.
— C’est pile-poil ce que Justice m’a dit. Quel merdier… Je n’avais pas envie
de la voir partir, et en même temps, je suis conscient de mes responsabilités
envers les nôtres. Je me sens coupé en deux. Pour qu’elle reste, il fallait que je
provoque une crise avec Boris, ce qui promettait de saper tous les efforts
entrepris pour la communauté.
— Tu tiens tant que ça à cette nana ? s’étonna Cuivre, les sourcils arqués. Je
l’ai aperçue plusieurs fois… elle est très différente des nôtres. Toute petite.
— Notre différence de gabarit ne m’a pas échappé.
— En outre, c’est une humaine. (Cuivre se renfrogna.) Qui a travaillé pour
Mercile. Je sais bien pour quelles raisons elle a agi, on a tous été mis au courant
qu’elle était infiltrée afin de faire tomber Mercile, mais j’ai aussi cru comprendre
qu’il y avait du passif, entre elle et toi. J’étais présent dans la salle de
conférences, tu sais. Et j’ai bien cru que tu allais la tuer sous les yeux de tous ces
humains.
Rage posa une fesse sur le bord de son bureau, croisa les bras et poussa un
gros soupir.
— Il s’est passé un truc qui m’a donné à croire qu’elle m’avait trahi. J’ai
complètement pété les plombs.
— Sans déconner ! Jamais je ne t’avais vu aussi féroce, mec. Qu’est-ce
qu’elle t’a fait ?
Court silence. Puis :
— C’est la nana dont je t’ai parlé peu après notre libération, quand on était
logés dans ce motel, avant d’emménager ici. L’humaine qui est entrée dans ma
cellule et qui a tué Jacob.
— Merde alors, marmonna Cuivre.
— C’est la première fois que je réagis aussi violemment envers quelqu’un. Je
suis… (Rage resta quelques secondes à chercher ses mots.) Obsédé par elle. Dès
qu’elle sourit, je fonds. Je n’ai qu’une envie : entendre le son de sa voix, être
auprès d’elle.
— Merde alors, répéta Cuivre.
— Je veux qu’elle revienne. Je sais bien qu’on ne peut pas être ensemble,
mais rôder à la nuit tombée près du dortoir des filles et l’apercevoir de loin, ça
m’allait bien. Maintenant, même ça, je n’y ai plus droit. Et… ça me fait mal.
Le silence s’éternisa. Cuivre finit par s’exprimer.
— Quand on dirigera Homeland, tu pourras l’inviter à revenir. C’est toi qui
seras à la tête de la sécurité. On n’aura plus à s’en faire à propos de la façon dont
les humains se comportent. Tu te sens capable de tenir jusque-là ?
— J’en sais trop rien, admit Rage. Je veux juste qu’elle revienne, la savoir
près de moi… Même si ça ne va pas plus loin. Je n’arrive pas à arrêter de me
demander ce qu’elle est en train de faire. Quels sont ses projets, où elle compte
aller… (Sa voix se mua en grondement.) Et aussi, est-ce qu’un humain lui tourne
autour et cherche à approcher celle qui m’appartient.
— T’appartient ? glapit Cuivre, les yeux ronds.
— Oui, m’appartient. C’est ce qui me vient à l’esprit quand je pense à elle.
— Tiens bon, mec. Nos gars apprennent vite, on sera bientôt aptes à gérer
Homeland sans l’aide de personne et tu pourras l’inviter à revenir. J’espère
sincèrement qu’elle acceptera.
— Et moi donc, dit Rage en se relevant. Passe les appels et organise la
réunion. Je m’occupe d’aller voir les gars et de programmer des séances
supplémentaires d’entraînement pour les tenir occupés. Les humains qui vivent
ici ne sont pas nos ennemis – pour la plupart.
CHAPITRE 9
Ellie bouclait son sac ; un employé du motel avait débloqué sa serrure afin de
lui permettre de récupérer ses affaires. Satisfaite de ne pas avoir pris la peine de
tout déballer en arrivant, elle avisa le policier qui, resté sur le seuil, suivait
chacun de ses gestes.
— Merci d’avoir attendu. J’ai fini mes bagages et suis prête à partir. C’est très
aimable à vous de veiller sur moi.
Le flic haussa les épaules.
— Pas de quoi, c’est mon travail.
Ellie empoigna son sac à main et sa valise. L’agent s’écarta pour la laisser
sortir et referma la porte. Elle descendit les marches en s’efforçant d’oublier les
clients de l’hôtel qui louchaient sans vergogne sur l’attraction de la soirée. Un
soupir lui échappa ; il lui répugnait de devoir jouer la bête curieuse pour une
poignée d’inconnus.
Elle grimaça en revoyant les mots inscrits sur sa voiture. L’officier de police
avait pris note du préjudice subi, photographié le tag et lui avait fourni une carte
afin qu’elle prenne rendez-vous pour porter plainte. Il lui ouvrit le coffre alors
qu’elle soulevait sa valise. Son bagage rangé, elle referma et se fendit d’un
sourire forcé quand il lui rendit les clés.
— Je peux vous donner un conseil ?
— Bien sûr, dit-elle en opinant.
L’agent considéra la voiture puis la regarda dans les yeux.
— Allez louer une bagnole et laissez celle-ci sur le parking de l’agence. C’est
une petite ville, ici ; si ces crétins sont décidés à vous pourrir la vie, il leur suffira
de rouler de motel en motel jusqu’à tomber sur votre véhicule. Vous serez facile
à suivre à la trace tant que votre assurance n’aura pas fait repeindre la
carrosserie.
Génial, songea Ellie. Ses finances promettaient déjà d’être au plus bas tant
qu’elle n’aurait pas retrouvé un job, et voilà qu’il lui proposait de balancer son
maigre pécule par la portière. Cela étant… il avait raison sur toute la ligne.
— Merci à vous. C’est un très bon conseil, je vais le suivre.
— Il me tarde de voir ces débiles lever le camp. Depuis l’arrivée des
manifestants, c’est toujours la même rengaine. Les gens d’ici sont très heureux
d’accueillir Homeland, ne vous y trompez pas. Il y a de la place pour ces
malheureux au sein de notre communauté. En outre, c’est préférable au projet
initial : j’ai grandi aux abords d’une base militaire et les bidasses, ça fait du
grabuge en ville à la première occasion. Pas les Hybrides. Ce sont les fanatiques
de Race pure qui sèment le chaos depuis leur arrivée, à croire qu’ils n’ont rien de
mieux à faire, ma parole.
Le sourire d’Ellie n’eut, cette fois, rien de forcé. Elle sentit la tension
retomber, c’était agréable d’entendre quelqu’un abonder dans son sens après
toutes ces avanies.
— Bien d’accord avec vous. Les Hybrides ont déjà assez souffert sans avoir à
subir ces foutus racistes.
— Je vais rester un moment dans votre sillage pour m’assurer que personne ne
vous suit.
— Merci encore.
Ellie allait ouvrir sa portière quand un gros 4x4 noir arriva sur le parking. Elle
se figea, intriguée. Le véhicule ressemblait beaucoup à ceux de Homeland avec
ses vitres teintées. Il s’immobilisa derrière la voiture d’Ellie qui se raidit en
voyant l’agent empoigner son arme d’une main et sa radio de l’autre.
La portière s’ouvrit côté conducteur. Ellie observa d’un œil méfiant l’homme
qui contournait le 4x4 : costume sombre et lunettes noires. L’inconnu s’arrêta
devant le policier, puis parut regarder Ellie du coin de l’œil. Les mains écartées,
paumes tendues, il montra au flic qu’il n’était pas armé.
— Mademoiselle Brower ? Dean Hoskins. C’est M. Rage qui m’envoie. Vous
avez appelé le bureau de M. North, qui a cru comprendre que vous aviez un
genre de… problème.
Rage ? Ellie se détendit.
— Tout va bien, assura-t-elle à l’agent de police.
Hoskins cessa d’agiter les mains devant lui dès que le flic lâcha la crosse de
son pistolet. Puis il ôta ses lunettes noires : ses yeux verts pétillaient de
sympathie.
— M. Rage m’envoie vous chercher, vous et vos affaires. Il m’a chargé de
vous transmettre un message. J’ignore ce qu’il signifie, mais M. Rage m’a assuré
que vous comprendriez. Voici donc : puisqu’il vous a sauvé la vie, c’est
désormais vous qui lui êtes redevable. Il vous demande de me suivre jusqu’à
Homeland pour vous parler de vive voix. Il serait volontiers venu lui-même,
mais vu ce qui se passe aux abords de Homeland, nous avons jugé préférable que
je joue les émissaires.
Sans blague, songea Ellie. Rage voulait lui parler ? À quel propos ? Peut-être
regrettait-il de ne pas lui avoir fait de vrais adieux ; à moins qu’il souhaite lui
dire qu’il lui avait tout pardonné… ou, bien sûr, qu’il veuille simplement savoir
ce qui venait de lui arriver. Inutile d’espérer, en revanche, qu’il se languisse
d’elle. L’unique façon d’en avoir le cœur net était bien sûr de retourner à
Homeland. Ellie s’en voudrait à jamais de refuser l’invitation.
Elle adressa un signe de tête à Hoskins. Aucun coup fourré à craindre : le
message qu’il venait de transmettre était du Rage tout craché.
— Entendu.
Hoskins rechaussa ses lunettes noires. Ellie se tourna vers le policier.
— Merci pour tout, monsieur l’agent. Je me rends dans une agence de location
dès que j’en ai terminé avec M. Rage.
Ellie grimpa dans sa voiture et attendit qu’Hoskins fasse faire demi-tour à
l’imposant 4x4 sur l’aire de stationnement, puis elle le suivit jusqu’à Homeland.
Elle détesta les regards insistants des autres conducteurs et reprit peur quand la
foule de manifestants aperçut ce qui était inscrit sur le flanc de son véhicule.
Le tag horrible l’humiliait et la couvrait de honte. En voyant le vigile qui la
laissait entrer ouvrir des yeux ronds, Ellie étouffa un juron et réprima l’envie de
lui adresser un doigt d’honneur. Contrainte de rouler à bord de sa bagnole
vandalisée, la jeune femme suivit le 4x4 noir jusqu’au bâtiment principal et se
gara sur le parking des visiteurs.
Ellie prit son sac à main et sortit de voiture : il n’était pas question de se
séparer de ses papiers après la façon dont elle avait été virée de Homeland. Si la
mésaventure se reproduisait, elle tenait à garder le strict minimum avec elle.
Dean Hoskins contempla la carrosserie et fronça les sourcils.
— C’est ça, vos ennuis ?
— En partie seulement. Je suis tombée sur trois débiles persuadés qu’on
m’avait fait subir un lavage de cerveau, et venus me « sauver ». Dieu seul sait ce
qu’ils m’auraient fait subir si leur tentative d’enlèvement n’avait pas avorté.
(Ellie secoua la tête.) Quel monde de cinglés…
Rage faisait les cent pas sous le regard appuyé de Justice ; la réprobation
manifeste dont il faisait l’objet finit par l’agacer. Il s’immobilisa et affronta son
ami du regard.
— C’est quoi, ton problème ? Ellie avait des ennuis. Ta secrétaire l’a entendue
parler de police, d’escorte pour déménager… Ça te chiffonne tant que ça, que
j’aie envoyé Dean la chercher ? Il travaille pour nous. Il faut bien que les
humains qui se déclarent nos alliés servent à quelque chose, non ?
— Je ne remets pas en cause ton raisonnement. J’ai cru qu’elle serait plus en
sécurité dans son monde ; de toute évidence, je me suis trompé, les ennuis l’ont
rattrapée très vite. Ce qui m’inquiète, c’est la perspective de te voir péter les
plombs à son arrivée. Tu as déjà l’air au bord de la rupture.
Rage gronda, lutta contre sa colère et recroisa le regard bienveillant de Justice.
— C’est mon instinct protecteur qui me joue des tours… En apprenant
qu’Ellie avait des ennuis, ma première envie a été de sauter dans une Jeep et de
voler à son secours. Ça va beaucoup mieux depuis que j’ai envoyé Dean.
— Heureux de l’apprendre, dit Justice en s’approchant de Rage. Si ça te
tracasse à ce point, gardons-la ici. J’arrondirai les angles avec Boris, et si ça ne
marche pas, je lui donnerai l’ordre formel d’autoriser Ellie à rester. Les
circonstances plaident en faveur d’Ellie, ça ne devrait pas poser trop de
problèmes. Boris est très inquiet concernant notre volonté de reprendre la main,
il tient à garder le contrôle absolu sur Homeland. Ce mec a beau être une vraie
plaie et nous considérer comme des enfants, en définitive, il est notre employé.
Je suis sûr qu’il y a des chambres disponibles dans le bâtiment des visiteurs
humains ; je vais passer quelques coups de fil pour m’en assurer.
Rage fronça les yeux.
— Pour que ce foutu directeur continue à manigancer dans notre dos ? Tu
m’as placé à la tête de la sécurité. Je refuse de la quitter des yeux.
— Où envisages-tu de la loger ? rétorqua Justice, ébahi.
— Je dispose d’une chambre d’amis. Ellie y sera à l’abri. Personne n’est assez
stupide pour aller lui chercher des poux chez moi, je pourrai la garder sous clé.
— La protéger, tu veux dire.
— C’est du pareil au même.
— Mauvaise idée. Mais c’est toi le responsable, déclara Justice en haussant
les épaules. J’ai bien assez de problèmes avec la gestion de Homeland :
comment tout payer, où trouver les fonds supplémentaires qui nous seront
indispensables quand nous dirigerons tout… La générosité du président n’y
suffit plus, la mise aux normes des défauts structurels révélés par l’attaque va
nous coûter une blinde. N’oublie pas qu’une réunion est prévue dans la matinée
avec l’architecte. Je veux que tu épluches les plans avec lui ; c’est à toi de
décider si ce qu’il propose paraît suffisant pour faire échec à un nouvel assaut
sur l’entrée principale.
— J’y veillerai.
Justice vint étreindre son ami par l’épaule et plongea son regard dans celui de
Rage.
— Je n’ai aucun doute sur ton professionnalisme. Ce qui m’inquiète, c’est ta
charge émotionnelle dès qu’il est question de cette humaine. Je découvre une
faille dans ta carapace, qui n’existait pas avant. Méfie-toi : les émotions peuvent
nous jouer de sales tours, à nous autres.
— Je sais faire la part entre mes responsabilités envers le peuple hybride et ma
vie privée.
— J’en suis sûr, dit Justice en lui lâchant l’épaule. Bonne chance avec ton
humaine, dit-il, un sourire aux lèvres. Je n’aimerais pas être à ta place. Même si
une humaine doit évidemment être plus facile à appréhender qu’une Hybride.
Rage renifla bruyamment.
— Détrompe-toi. J’ai toutes les peines du monde à la comprendre, on vient de
deux mondes si différents… (Il hésita.) Ça me rend dingue, de penser qu’il aurait
pu lui arriver malheur.
— Essaie de te contrôler. Les humains pétochent dès qu’on grogne et qu’on
montre les crocs.
Justice s’éloigna en gloussant. Rage, quant à lui, grogna doucement. Il allait
s’efforcer d’en savoir plus sur ce qui était arrivé à Ellie sans faire étalage de sa
colère. Dean l’avait prévenu par téléphone qu’Ellie arrivait à Homeland mais
avait refusé d’en dire plus. Si la jeune femme pouvait conduire, c’est qu’elle
était indemne, ce qui était l’essentiel. Rage se dirigea en toute hâte vers le
parking des visiteurs. Il avait souhaité être sur place à l’arrivée d’Ellie, mais
Justice l’avait retardé.
Rage était sorti en toute hâte avant de se rendre ridicule. Le besoin d’attirer
Ellie tout contre lui, de coller son nez dans le cou de la jeune humaine, de
s’enivrer de son odeur, était si puissant que c’en devenait douloureux.
Il regretta de lui avoir avoué qu’ils n’étaient pas sexuellement compatibles : il
l’avait fait dans l’unique but de la choquer. De la faire reculer. Ce tête-à-tête sans
témoin avait fait naître mille désirs plus irréalisables les uns que les autres.
C’était pour cela qu’il avait pris la poudre d’escampette.
Il choisit de se concentrer sur sa colère. Ellie avait failli se faire kidnapper à
cause de son lien avec le peuple hybride… et cela le rendait furieux. Elle tenait
tant aux semblables de Rage qu’elle avait risqué sa vie pour eux, d’abord en
jouant les taupes au sein du labo clandestin, puis ici même, quand le dortoir des
filles avait été pris d’assaut. Elle était restée seule au rez-de-chaussée, face à des
extrémistes prêts à la tuer, dans l’unique but de pouvoir activer les volets de
protection.
C’était la première chose que Rage avait donné l’ordre de modifier. Les
humains avaient fait du sale boulot : il aurait fallu installer d’emblée la
commande des volets aux étages supérieurs. Quelle connerie d’avoir placé le
panneau principal dans la première pièce susceptible d’être envahie !
Les beaux yeux bleus d’Ellie le hantaient. Il se sentait capable de les admirer
toute une journée sans jamais se lasser du spectacle. Il brûlait d’effleurer cette
peau laiteuse, de se noyer dans ses boucles d’or. Sa voix était suave comme le
miel : douce et rauque à la fois. Il serait volontiers resté lui poser cent questions
s’il s’était su capable de résister à l’envie folle de la toucher. Rage voulait tout
savoir à son sujet, mais hélas, rester de marbre si près d’Ellie était au-dessus de
ses forces.
Elle était de retour, elle allait vivre sous son toit ! Pas question de la laisser
repartir. Rage se sentait de taille à veiller sur Ellie et sur son peuple. Il comptait
fermement respecter sa parole envers Justice, faire son travail… et se retrouver
avec Ellie sitôt sa journée terminée. Un demi-sourire naquit sur ses lèvres.
Elle était chez lui. Il força l’allure. Plus vite il en aurait terminé avec l’ordre
du jour, plus vite il la reverrait. Attention cependant à ne pas la brusquer, Rage
avait dû lui flanquer la trouille en s’enfuyant comme il venait de le faire. Il fallait
qu’il soit patient. Ce n’était pas son fort, certes, mais pour Ellie, il était résolu à
le devenir.
CHAPITRE 10
Rage sortit de sa rêverie en voyant Ellie disposer des assiettes sur la table.
L’envie de l’étreindre, déjà très forte, augmenta d’un cran quand elle s’approcha
et qu’il inhala son odeur.
Fais-moi comprendre que tu es prête, pria-t-il muettement. Il s’en était ouvert
auprès de deux ou trois vigiles humains de ses amis : selon eux, certaines
femmes attendaient que ce soit l’homme qui fasse le premier pas. Celles-là
aimaient que l’homme se montre fort, autoritaire ; si c’était le cas d’Ellie, Rage
serait cet homme.
Il jeta un coup d’œil aux victuailles. Ellie avait-elle préparé ce dîner en tête à
tête pour lui signifier qu’elle était prête à aller plus loin ? Tout doux, se reprit
l’Hybride. Il avait autorisé Brise à lui rendre visite, la seconde assiette lui était
peut-être destinée. Ne nous emballons pas. Ils dînaient ensemble, c’était bon
signe, d’accord…
S’il parvenait à attirer Ellie dans son lit, il se faisait fort de la convaincre
d’aller plus loin. Les femmes de son peuple avaient du tempérament ; elles
préféraient garder leurs distances avec les mâles en dehors des ébats sexuels.
Rage était résolu à tout tenter pour qu’Ellie veuille de lui au lit… et en dehors. Il
saurait lui démontrer qu’il était le partenaire qu’il lui fallait, et pas seulement
pour le sexe.
CHAPITRE 11
— C’est pour moi ? demanda Rage après avoir contemplé la table dressée.
Ellie sourit.
— Oui. Je suis bonne cuisinière, juré. Tu peux manger l’esprit tranquille.
Les yeux noirs de l’Hybride se posèrent sur elle.
— C’est très gentil à toi. Il y a quelque chose à fêter ?
— Rien de spécial. Je tenais juste à te faire plaisir et j’adore cuisiner. Les
courses ont été livrées hier. J’ai préparé le repas hier soir, mais tu n’es pas rentré
pour dîner. Ce soir, en revanche, tu tombes pile.
Il l’étudia plus attentivement.
— Tu tenais à me faire plaisir ?
— Oui.
— Pourquoi ?
— C’est normal, non ? Tu m’héberges chez toi, et moi…
Rage fondit si vite sur Ellie qu’elle n’eut pas le temps de réagir. Soulevée
comme un fétu de paille, la jeune femme ne se ressaisit qu’au moment où le
colosse débouchait dans le couloir.
— Rage ? glapit-elle en s’agrippant de toutes ses forces.
Il entra dans sa chambre et la déposa avec douceur sur le lit. Ellie, médusée, le
vit empoigner sa chemise par le col et tirer dessus. Les boutons cédèrent. Elle
baissa les yeux vers sa poitrine, médusée. Dans le peu de lumière que laissaient
filtrer les stores, les pectoraux saillaient sous la peau mate.
— Qu’est-ce que tu fais ? demanda-t-elle d’une voix tremblante.
Il porta la main à sa ceinture tout en se déchaussant.
— Je ne te ferai pas mal, cette fois. C’est promis.
Rage déboutonna son pantalon, fit coulisser sa ceinture et jeta celle-ci derrière
lui. Le son étouffé que produisit la boucle au contact de la moquette arracha Ellie
au spectacle des tablettes de chocolat et du caleçon noir sexy qui se devinait dans
le V formé par le bâillement du pantalon sur ses hanches étroites. Le pouls de la
jeune femme s’accéléra quand il se pencha pour ôter son jean. Puis il se redressa,
seulement vêtu de son caleçon. Ellie n’eut pas le temps de profiter de la vue : il
lui sauta dessus avant.
De plus en plus stupéfaite, Ellie le vit empoigner son débardeur qui subit le
même sort que sa chemise quelques secondes auparavant. Sa peau était à l’air
libre. Elle le regarda dans les yeux, interdite. Il grondait doucement, le regard
rivé sur ce qu’il venait de dénuder… son ventre et son soutien-gorge.
— Rage ?
Après avoir fini d’écarter les lambeaux d’étoffe, l’Hybride empoigna sa jupe.
Il ne prit pas la peine de la faire glisser le long de ses jambes : la taille du
vêtement serrée dans son poing, il contracta son biceps. L’étoffe craqua. Puis il
déchira la jupe de haut en bas. Incapable de bouger, le souffle coupé, Ellie
hoqueta en sentant les doigts du colosse lui glisser dans la culotte. Le dos de sa
main était chaud contre son bas-ventre ; un mouvement sec plus tard, il jeta la
culotte en lambeaux par-dessus son épaule.
— Rage ! s’emporta-t-elle en essayant de rouler sur le flanc.
Elle était presque nue, seul son soutien-gorge n’avait pas été arraché.
— Qu’est-ce que…
L’Hybride glissa les mains sous ses hanches et la reposa à plat dos sur le
matelas. Il s’agenouilla au pied du lit, s’insinua entre ses jambes et l’attira à lui.
— Je promets de faire attention à mes crocs, cette fois. Ne crains rien.
— Arrête, hoqueta Ellie.
Le cœur battant à tout rompre, elle n’était pas effrayée, seulement choquée et
surprise. Et respirait comme au sortir d’un huit cents mètres. L’Hybride la
regarda dans les yeux.
— Ça t’avait plu, l’autre fois.
Il lui caressa l’intérieur des cuisses puis commença à la lécher.
— Je t’avais fait jouir avec ma bouche.
Ellie déglutit avec peine, les yeux rivés sur ces mains puissantes qui lui
maintenaient les jambes écartées. Elle se souvint… et frémit. Oui, elle avait
apprécié ce premier round, une fois passé le choc initial. Pour tentée qu’elle soit
de le laisser récidiver, elle préféra écouter la voix de la raison.
— Laisse-moi. C’est une très mauvaise idée, tu le sais aussi bien que moi.
Il cessa son manège et la dévisagea, les yeux mi-clos.
— Pourquoi pas ? J’adore le goût de ton sexe, les petits cris que tu pousses
quand je cajole ton bouton qui se gonfle sous l’effet du plaisir.
Elle le regarda dans les yeux. Il n’a pas tort… pourquoi pas ? Tout son ventre
frémissait. Inutile de gamberger sur la façon dont son corps réagissait à ce qu’il
s’apprêtait à faire : il n’aurait pas besoin d’insister longtemps avec sa langue
pour la liquéfier, il suffisait à Ellie de le mater pour se sentir toute chose. Elle
ouvrit la bouche.
— Hmm…, gémit-elle, la tête vide.
— Je ne te ferai pas mal, tu as ma parole. Tu crieras uniquement de plaisir.
Ellie se mordit la lèvre inférieure. Rage l’excitait à mort, inutile d’essayer de
le nier. À la simple idée de le savoir si près de répéter ce qu’il lui avait fait la fois
précédente, la jeune femme sentait son estomac se nouer, et son corps
s’enflammer juste au-dessus de la zone où étaient posées ses mains, soit
l’intérieur de ses cuisses. Ses tétons se raidirent.
— Je sais que tu me désires, beauté.
Ellie adorait l’entendre utiliser ce mot doux avec sa voix rauque.
— Tu espères que je te désire, corrigea-t-elle.
Il montra les crocs.
— Tu oublies mon odorat. J’en suis sûr et certain : tu dégages un fumet
délicieux quand tu es excitée. J’ai très envie de te lécher, de me repaître de ton
désir. Ça me démange depuis des jours.
Ellie se sentit blêmir. C’était vrai, il lui suffisait de le dévorer des yeux ou
d’être près de lui pour être excitée, mais elle avait cru qu’il ne s’en rendait pas
compte.
— C’est vrai ?
— Oh que oui, gronda-t-il. Tes effluves intimes me hantent depuis ton
emménagement. J’ai vécu dans l’attente. Quand allais-tu cesser de te voiler la
face, me faire comprendre que tu étais prête à vivre avec moi ?
— Mais…
— Jamais je ne te tromperai. Je ne suis pas comme cet imbécile d’humain que
tu avais si mal choisi.
Ellie sourit malgré la gravité de l’instant.
— Doux euphémisme, « mal choisi ».
L’Hybride haussa les épaules.
— Tu es la seule dont je veuille, Ellie. Jamais je ne toucherai une autre
femme, tu as ma parole. Tu es tout pour moi. Je suis sérieux.
La sincérité se lisait dans ses yeux noirs. Ellie hésita un court instant puis
hocha la tête.
— Je craque pour toi, Rage. Depuis le premier jour, et ça n’a pas changé
depuis. Le seul hic, c’est que ce soit si compliqué pour nous d’être ensemble…
— C’est simple si nous le décidons, plaida Rage, une lueur de détermination
dans le regard. Laisse parler ton corps.
Il lui lâcha les cuisses et la saisit par les hanches. Puis il se remit à gronder
doucement tout en la faisant glisser jusqu’au bord du matelas. Ellie eut le souffle
coupé quand il posa les mains en haut de ses cuisses. Il lui écarta les jambes et
baissa la tête. Un battement de cœur plus tard, il se remit à la lécher. Sa langue
chaude et humide joua aussitôt avec son clitoris. Ellie, cambrée, froissa le drap
dans ses poings et griffa l’étoffe.
Il gronda de plus belle en pressant sa bouche contre son sexe. Il léchait son
petit bouton encore plus intensément, presque avec frénésie. Inondée de plaisir,
Ellie écarta les cuisses au maximum pour lui faciliter la tâche.
— Miséricorde, gémit-elle. Quand tu fais ça, on dirait un vibro avec une
langue.
Rage gloussa et gronda de plus en plus fort, toujours fourré entre ses jambes.
Les vibrations de ses cordes vocales accentuaient le plaisir suscité par les
mouvements de sa langue. Stimulée sans relâche, Ellie geignait, remuait la tête
en tous sens. L’Hybride lui cala les jambes autour de ses épaules puis se replaça
au-dessus de son sexe.
Ses cuisses étaient maintenues largement écartée et elle commença à
s’inquiéter : allait-il la faire mourir de plaisir ? Les sensations qu’il faisait naître
en elle étaient d’une intensité inouïe. Presque insupportable. L’incendie que
venait d’allumer Rage était si fort que rien ne pourrait l’éteindre. Ellie était
consciente d’être en train de déchirer les draps avec ses ongles. L’envie
d’étreindre son bel étalon était très forte ; elle se retint in extremis de crainte de
l’écorcher vif.
— Rage ! hurla-t-elle.
La montée du plaisir, vague après vague, la fit tressaillir des pieds à la tête.
L’orgasme fut d’une telle violence qu’elle poussa un nouveau cri.
La bouche de l’Hybride cessa d’appuyer contre son sexe. Il lui caressa la
cuisse avec la joue en quittant son entrejambe, lui souleva les jambes et
l’allongea.
Pantelante, hors d’haleine, Ellie s’efforça vainement d’émettre une pensée
cohérente. C’était comme si Rage venait de lui griller jusqu’au dernier neurone.
Le matelas s’enfonça. En rouvrant les yeux, elle vit qu’il était à quatre pattes au
bord du lit et qu’il venait vers elle. Il s’immobilisa une fois au-dessus d’elle.
Leurs regards se trouvèrent.
— Je ne perdrai pas le contrôle, cette fois ; mes baisers ne te feront pas
saigner. Remonte un peu, veux-tu ?
Ellie lorgna son torse magnifiquement sculpté tout en venant se positionner au
milieu du lit king size. Le caleçon qu’il portait encore ne parvenait pas à masquer
son excitation. Ellie tendit la main vers l’érection qui distendait l’étoffe. Le
coton était doux au toucher quand elle fit courir sa paume le long du sexe
prisonnier. Elle étreignit avec précaution la verge épaisse.
Une image lui revint immédiatement en mémoire : la dernière fois qu’elle
l’avait vu nu. Son sexe était tout ce qu’il y a de gigantesque sans être
monstrueux ; un gabarit XL qui lui avait donné beaucoup de plaisir. Les yeux
d’Ellie remontèrent jusqu’à ceux de Rage. Après avoir dégluti, elle lui ôta son
caleçon. Il accompagna son geste jusqu’à en être débarrassé.
— Tu es plus membré que…
Elle s’abstint de poursuivre en le voyant se rembrunir.
— Je ne veux rien savoir de ceux qui t’ont touchée auparavant, gronda-t-il.
Ellie hocha la tête. C’était réciproque : l’entendre discourir sur celles qui
avaient partagé sa couche ? Très peu pour elle. Elle avait voulu lui adresser un
compliment en oubliant qu’il n’était pas humain à cent pour cent. Gare à ne
jamais l’oublier ! Ellie s’humecta les lèvres. Il gronda doucement.
— Retourne-toi et mets-toi à quatre pattes. Comme moi.
Après une courte hésitation, Ellie obtempéra et se retrouva sur le ventre. Rage
l’aida à écarter sa jupe déchirée puis dégrafa son soutien-gorge. C’était mieux
ainsi, il n’y aurait rien entre leurs deux épidermes. Il se pencha sur elle ; passa un
bras sous ses hanches et lui releva le bassin. Elle prit appui sur les paumes.
Aucun doute, il souhaitait la « monter ». Le terme était adéquat. Elle se
remémora tout ce que Brise lui avait confié sur les préférences sexuelles des
hommes hybrides. Quand elle se cala sur les mains et les genoux, elle entra en
contact avec le corps de Rage, remarqua qu’il était brûlant et huma sa délicieuse
odeur de mâle.
— Tu as peur ?
En sentant la bouche de l’Hybride lui effleurer l’oreille, Ellie frissonna, trop
excitée pour en rire. Rage poursuivit d’une voix devenue rauque et terriblement
sexy.
— Ne te bile pas pour ça. J’en crève à force de me montrer prévenant… mais
il y a pire, comme façon de mourir.
Elle tourna la tête pour se plonger dans ses yeux de braise hallucinants. Il
approcha sa bouche à un cheveu de la sienne ; elle eut soudain très, très envie de
l’embrasser. Poussa son dos contre sa poitrine. Il hésita… puis passa à l’action.
Après l’avoir laissée se coller à lui, il bascula tout doucement jusqu’à se
retrouver assis sur les talons. Ellie, toujours adossée à son torse, reposait sur ses
cuisses.
— Embrasse-moi, lui glissa-t-elle.
Une main de l’Hybride se plaqua sur son ventre. Elle la sentit glisser toujours
plus bas, entre ses cuisses légèrement écartées. Et gémit quand il commença à
jouer avec son clitoris. Sa bouche s’ouvrit ; celle de Rage s’y colla. De l’autre
main, il lui empoigna un sein. Leurs langues se rencontrèrent puis se mêlèrent.
Ellie poussa un gémissement étouffé quand, du bout des doigts, il traça le
sillon de son sexe, puis une nouvelle fois en sentant l’index tout près de la
pénétrer. Elle poussa avec le bassin pour l’y inciter. Rage réagit en poussant un
grondement étouffé. Une canine effleura la langue d’Ellie ; il recula
immédiatement la tête. Il avait le souffle court quand leurs regards se croisèrent.
— Je vais bientôt perdre le contrôle…
L’Hybride cala ses hanches contre celles d’Ellie. Son érection était telle que
son sexe vint frotter contre les grandes lèvres de la jeune femme, à l’endroit où
ses doigts suivaient le sillon. Il poussa un grondement plus caverneux… un cri
de prédateur.
— Je m’y prends comme il faut, ça te plaît ?
Elle opina.
— Tu es superbe…
— Toi aussi, haleta-t-elle.
La perfection faite homme.
Il grogna. Un son effrayant. En levant les yeux, Ellie le vit grimacer.
— Qu’y a-t-il ?
— Je ne suis pas beau.
Ellie sourit.
— Je trouve que si, figure-toi.
— Seules les femmes sont belles.
— Les hommes aussi, quand ils te ressemblent.
La grimace de Rage s’accentua.
Nouveau sourire d’Ellie.
— Problème de communication ?
— On dirait, soupira-t-il.
Ellie partit d’un petit rire.
— Tu ris pendant l’amour ?
— Réjouis-toi, ça veut dire que je passe un super moment.
— Pas moi. J’ai tellement envie d’être en toi que c’en est douloureux.
Elle se mordit la lèvre pour réprimer un nouvel accès d’hilarité.
— On a discuté, Brise et moi. Elle m’a parlé de cette histoire de levrette.
Ellie se remit à quatre pattes devant Rage et tourna la tête pour lui lancer un
regard aguicheur. Les jambes écartées, le dos cambré, elle dressa la croupe au
maximum.
— Comme ça ?
Il fut sur elle en un quart de seconde et l’entoura de ses bras puissants. Son
torse entra en contact avec le dos d’Ellie.
— Oui.
— Vas-y, dit-elle, les yeux dans les yeux de l’Hybride. Monte-moi. J’en ai très
envie.
— En douceur, alors.
— Il y a intérêt. Ta queue est énorme. Donne-moi le temps de m’y adapter.
Il s’insinua entre ses cuisses. Ellie ferma les yeux pour s’ouvrir tout entière à
cette sensation merveilleuse : le gland de Rage venant lui caresser les lèvres. Elle
gémit quand il effleura son clitoris gonflé, puis il appuya à l’orée de son vagin.
Le sexe d’Ellie était ruisselant de désir et prêt à l’accueillir. Il poussa un
grognement sourd ; les vibrations se communiquèrent dans le dos de la jeune
femme alors qu’il accentuait la pression avec son gland.
— Détends-toi.
— Je le suis, dit-elle, la gorge serrée.
Sa verge lui était apparue d’une épaisseur respectable, ce qui collait avec le
souvenir de leur première fois. Quand le gland voulut glisser entre ses lèvres,
Ellie résista par pur réflexe, l’intrus était jugé trop gros par son cortex. Un
nouveau grondement émana de la gorge de Rage. Il poussa de plus belle,
obligeant le sexe d’Ellie à se distendre pour le laisser entrer. La jeune femme
poussa un cri étouffé tant cette sensation de plénitude était totale. Elle s’alarma :
Rage avait-il pris cela pour un cri de douleur ? Il cessa en effet d’insister et se
rétracta un peu. Puis il repartit à l’assaut, s’enfonça un peu plus en elle, et
grogna.
— Parle-moi, implora-t-il tout à trac.
Ellie rouvrit les yeux et découvrit un visage peiné en tournant la tête.
— Que veux-tu que je te dise ? Je n’arrive pas à penser, là. N’arrête pas. C’est
si bon. Je suis une grande fille, tu sais.
Il se mordit la lèvre inférieure.
— Dis-moi de ne pas te faire mal. De garder la tête froide, de ne pas te
pénétrer si fort et profond que cela te ferait hurler. Ton sexe est trop étroit, j’ai
peur de te déchirer en brusquant les choses. Je veux te baiser à fond.
L’aveu sidéra Ellie.
— C’est de ça que tu as envie ?
Rage grogna.
— Rassieds-toi.
— Pourquoi ? rétorqua l’Hybride, tendu comme un arc.
— S’il te plaît ?
Rage se retira totalement après avoir poussé un juron. Ellie se redressa dès
qu’il se retrouva assis sur les talons. Il l’agrippa par les hanches à s’en faire
blanchir les phalanges ; ses yeux, devenus presque noirs, témoignaient d’une
passion mâtinée de frustration.
Ellie se déhancha et lui empoigna la queue. L’Hybride ferma les yeux et
grogna. Sa grande carcasse fut prise d’un soubresaut dont l’intensité étonna la
jeune femme : un simple contact suffisait à l’électriser ! Elle recula entre les
genoux de Rage et positionna ses hanches de manière que, jambes fléchies, elle
n’ait plus qu’à se laisser choir pour s’enfoncer sur sa verge. Leurs regards se
croisèrent quand il rouvrit les yeux.
— Tu penses être capable de ne pas bouger du tout ?
— Quitte à en crever, promit-il.
— Inutile d’aller si loin.
Ellie recula jusqu’à ce que le gland de Rage lui appuie de nouveau à l’orée du
vagin puis se trémoussa. Son sexe avala la queue de l’Hybride avec moins de
difficulté, bien que demeure la sensation très nette d’avoir accepté quelque chose
de trop gros. Elle était trop serrée. C’était presque douloureux… mais surtout
infiniment jouissif. Elle se releva. Retomba. Répéta le mouvement de va-et-
vient, chaque fois un peu plus loin le long de sa verge. Il se mit à émettre des
sons étouffés et son immense carcasse, qu’il luttait pour garder sous son
contrôle, se couvrit d’une fine pellicule de sueur.
Les mains de l’Hybride restaient collées à ses hanches. Ellie gémit et accéléra
la cadence tout en faisant de son mieux pour l’accueillir jusqu’à ce que ses fesses
appuient contre les cuisses de Rage. La sensation était prodigieuse : leurs deux
sexes étaient comme soudés l’un à l’autre, la jeune femme était au septième ciel.
Chaque millimètre carré de sa queue dure comme de l’acier faisait des étincelles
dans son système nerveux.
— Ellie, râla-t-il.
La brusque poussée de Rage prit sa partenaire de court. Ellie se retrouva à
quatre pattes avec l’Hybride au-dessus d’elle. Il prit les choses en main en
accélérant à son tour ; Ellie gémit chaque fois que les hanches du colosse lui
heurtaient les fesses. Sa puissance était phénoménale, le plaisir affluait au fil des
coups de reins. Il déposa un baiser sur son épaule, lui passa une main autour de
la taille pour la stabiliser… puis perdit le peu de contrôle qui lui restait.
Ellie gémissait de plus en plus fort à mesure qu’il continuait sans relâche. Il
sembla à la jeune femme que sa queue devenait plus large. Elle se cambra et
hurla le nom de l’Hybride. En proie à la fièvre de l’orgasme, Ellie eut de
nouveau l’impression qu’il enflait en elle. La pression exercée devenait presque
intolérable. Rage se cambra à son tour, menaçant d’écraser sa minuscule
partenaire, et Ellie l’entendit pousser un cri inédit. Un son bestial, à mi-chemin
entre un cri d’origine humaine et un hurlement de loup. Rage s’apaisa ; les deux
amants étaient à bout de souffle. La pression diminua contre les parois vaginales
d’Ellie mais la queue de Rage, agitée de soubresauts, continuait à la titiller.
— Je t’ai fait mal ? haleta-t-il. Je ne t’ai pas mordue, cette fois.
— Mal ? Tout le contraire, gloussa-t-elle. C’était fabuleux.
Il gloussa lui aussi tout en aplatissant Ellie sur le matelas. Elle sentit que sa
queue était toujours en elle, que son torse et ses hanches lui appuyaient sur le dos
et que ses bras tendus l’encadraient. L’Hybride y faisait peser le haut de son
corps afin de ne pas l’écraser.
— Hmm… Rage ?
— Oui ? dit-il après lui avoir déposé un bisou sur la joue.
— Qu’est-ce qui vient de se passer ?
Il arqua les sourcils.
— Ben… on vient de s’envoyer en l’air.
Ellie acquiesça d’un hochement de tête.
— C’était le coup du siècle, d’accord, mais je voulais parler de la pression que
j’ai ressentie, vers la fin… On aurait dit que…
Elle ne trouva pas les mots.
— Ah, ça… (Il se rembrunit.) Vos docteurs ont trouvé le phénomène très
intéressant. Nous avons le sexe qui enfle au moment de l’éjaculation. Chez
certains mammifères, cela permet de souder le mâle à la femelle en fin
d’accouplement. Les médecins nous ont assuré que c’était sans danger pour la
partenaire : nous n’enflons pas au-delà du volume disponible. La première fois,
je m’étais retiré avant que cela n’arrive, mais aujourd’hui, j’avais très envie de
jouir en toi.
Ellie prit le temps de digérer l’information et s’efforça de comprendre.
— Le… volume disponible ? Celui de mon sexe, en clair ?
— Oui. Tu es tellement étroite que c’est presque douloureux pour moi.
J’aurais pu enfler davantage, mais ton corps me l’a interdit. C’est pour ça que je
ne me suis pas retiré tout de suite après avoir joui. D’abord parce que j’adore
être en toi, et aussi pour éviter de te blesser. Accorde-moi une minute ou deux
avant que j’essaie de m’extraire.
Ellie écarquilla les yeux.
— Ta queue est plus grosse qu’au moment où tu m’as pénétrée ?
Le visage grave, il lui adressa un bref hochement de tête.
— Tu es comme un poing serré autour de mon sexe, c’est pour ça que je
bouge le moins possible.
Ellie remua les hanches… et s’interrompit aussitôt : ils étaient soudés l’un à
l’autre de la meilleure façon qui soit. Rage grogna quand elle récidiva.
— Arrête.
Elle le regarda dans les yeux.
— Bouge un peu, pour voir ?
— Je te fais mal ?
— Non. Simple curiosité.
Le regard rivé sur Ellie, l’Hybride prit appui sur les mains et recula lentement.
— Arrête !
Il se figea.
— Inutile d’insister. La pression…
— Est douloureuse quand j’essaie de me retirer ?
Elle hésita.
— Pas vraiment, non… mais ça fait drôle.
— Ça te refroidit ? soupira Rage.
Ellie sourit.
— Disons plutôt que ce petit détail technique va faire de toi mon gros
nounours.
— Ton gros quoi ? glapit-il, son beau visage plissé par l’inquiétude.
La jeune femme s’esclaffa.
— Mon nounours, celui qui me cajole, quoi. Il va falloir que tu me parles
après l’amour.
Un large sourire lui découvrit les crocs.
— Aucun souci, ma belle, fais de moi ton nounours. Je te promets qu’on le
refera. Beaucoup et souvent.
— Quel programme ! se réjouit Ellie. J’en ai, de la chance…
Rage redevint sérieux.
— C’est moi qui ai de la chance, Ellie. Merci à toi de me faire confiance. Ce
que j’éprouve est loin de se limiter au plaisir sexuel que nous venons de vivre.
Le regard plongé dans ses beaux yeux chocolat, Ellie se sentit au bord des
larmes. Rage était sincère, c’était flagrant. Il était grand temps de changer de
sujet avant de se mettre à sangloter ; juste après une telle partie de jambes en
l’air, il aurait été très malvenu de pleurer comme une madeleine.
— Pourquoi tu ne m’as rien dit de cette histoire de… gonflement ?
— J’appréhendais ta réaction.
Un autre aspect de leur relation sexuelle resté sous silence vint subitement à
l’esprit d’Ellie.
— On a fait l’amour sans préservatif. Je n’ai rien de grave, à ma connaissance,
mais je ne prends pas non plus la moindre précaution… contraceptive, clarifia-t-
elle. Si nous continuons à coucher ensemble, il faut que je consulte un médecin.
C’est très risqué, ce que nous venons de faire…
— Je n’ai jamais utilisé de préservatif. Quant à savoir si je risque de te mettre
enceinte, sois tranquille : il n’y a aucun danger.
Ellie le dévisagea. La tristesse qui venait de transparaître dans sa voix ne se
lisait pas sur ses traits.
— Comment peux-tu en être sûr ?
Il se retira avec précaution, à l’affût d’un éventuel signe de gêne chez sa
partenaire. Ellie n’eut pas mal. Puis il roula sur le côté afin de pouvoir s’étirer de
tout son long sur le dos. Ellie tourna la tête et resta allongée sur le ventre. Leurs
regards se recroisèrent.
— Ellie… Au labo, ils ont tout essayé pour faire en sorte qu’on se reproduise,
et ce, pendant des années, mais ça n’a rien donné. Aucun des traitements
destinés à nous rendre fertiles n’a jamais eu le moindre effet. Puis ils ont cru
avoir trouvé le remède miracle, celui qui allait permettre de contourner les
bouleversements qu’ils avaient fait subir à notre ADN, mais la libération a eu
lieu avant qu’ils lancent un nouvel essai. L’effet des médocs s’est estompé. Notre
espèce s’éteindra d’elle-même le jour où mourra le dernier Hybride créé par
Mercile.
Taraudée par le souvenir de ce que tous ces malheureux avaient enduré, Ellie
se trouva à court de paroles de réconfort.
Rage se redressa comme un ressort.
— À la douche ! Je meurs de faim, et ton dîner sent délicieusement bon.
Heureusement que tu l’as sorti du four à mon arrivée : j’en ai l’eau à la bouche,
quel gâchis si tout avait été carbonisé !
Sans un regard pour Ellie, l’Hybride s’engouffra dans la salle de bains en
laissant la porte ouverte. Ellie s’en voulut à mort de lui avoir rappelé l’enfer du
laboratoire clandestin. Qu’allait-il penser ? Qu’il devrait la haïr pour ce qu’elle
lui avait fait subir… au point de regretter ce qu’ils venaient de vivre ensemble ?
La jeune femme frissonna. L’eau se mit à couler dans la salle de bains.
— Ellie, tu viens ?
Elle sauta du lit et partit le rejoindre. En franchissant le seuil, elle le vit dans
l’embrasure de la cabine de douche, qu’il gardait ouverte à son intention. Ses
yeux noirs se posèrent sur elle ; il sourit.
— Permets-moi de te laver les cheveux.
Surprise et soulagée qu’il lui fasse bon accueil, Ellie lui rendit son sourire.
— Tu seras la première personne à le faire à ma place… Depuis l’enfance, en
tout cas.
Le sourire de l’Hybride s’élargit.
— Marché conclu, alors.
Rage avait peur et détestait ça. Il était conscient d’inquiéter Justice avec son
comportement d’ours mal léché et sa fixation sur Ellie mais c’était plus fort que
lui, il paniquait à l’idée que des humains puissent l’exfiltrer de Homeland, hors
de sa portée. Et puis, comment faire confiance à Boris ? Le directeur aux yeux
globuleux n’arrivait pas à masquer son dégoût des Hybrides.
Plusieurs employés humains vivaient comme une trahison le fait qu’Ellie, une
des leurs, dorme sous son toit. En devenant sa compagne, Ellie était devenue une
Hybride ; les humains n’avaient donc plus aucun droit envers elle. C’était
simple, non ? Pour rassurer Rage, il suffisait qu’on l’autorise à assister à
l’entrevue avec le directeur… et on le lui interdisait. D’où sa réaction extrême.
Rage avait exigé qu’un garde hybride surveille en permanence l’appartement
pendant ses heures de travail. Il était prêt à tout pour empêcher qu’on lui enlève
sa bien-aimée. Il accrocha le regard de Justice. Son ami savait à quel point Ellie
comptait pour lui.
Le chef des Hybrides l’étudia avec étonnement.
— Je m’inquiète de te voir agir si différemment dès qu’il est question de cette
humaine.
— J’en suis conscient, mais jamais je ne lui ferai du mal. Sois tranquille.
Justice referma presque entièrement ses yeux de chat.
— Je le suis. Je suis désolé d’avoir douté de toi, mais tu dois avouer que tu
n’es pas toi-même dès que ta partenaire est concernée.
— Ça ne m’a pas échappé non plus.
Les deux Hybrides restèrent un court instant à se dévisager. Justice fut le
premier à reprendre la parole.
— Ils me tannent pour que je les autorise à la voir, afin de s’assurer qu’elle
n’a rien. Je n’ai pas le choix ; tu sais aussi bien que moi qu’il faut les rassurer.
Pour difficile qu’il lui soit de se montrer objectif dès qu’il était question
d’Ellie, Rage se rendit à l’évidence : Justice disait vrai. Les humains
continuaient à se méfier des Hybrides, il était normal qu’ils s’inquiètent pour
Ellie. Si d’aventure c’était un autre Hybride qui s’était mis en couple avec une
humaine, Rage aurait été le premier à veiller au grain. Un gros soupir l’aida à se
calmer. Inutile de s’en faire, jamais Ellie ne le quitterait de son plein gré. La
sagesse commandait qu’il laisse ses congénères la voir.
— Ils souhaitent qu’un docteur l’examine. Ils s’inquiètent… et moi aussi,
merde. On a parlé entre nous de cette éventualité mais, à ma connaissance, vous
êtes les premiers à franchir le pas. (Justice ménagea un silence.) Alors comme
ça… nous sommes compatibles, sexuellement ?
Rage hocha la tête.
— Un brin différents, comme on s’y attendait, mais vraiment rien
d’insurmontable. Ellie n’a pas besoin de voir un toubib. Je ne lui fais aucun mal.
Justice fronça les sourcils.
— Et les morsures ? demanda-t-il tout en jetant un coup d’œil aux épaules et
au cou d’Ellie. Les humaines sont plus fragiles que nos sœurs et cicatrisent
moins vite, tu le sais.
— Je ne la mords pas.
Ellie leva un regard intimidé vers les malabars qui l’entouraient. Cette
muraille de muscle l’obligea à lutter contre un accès de claustrophobie. Personne
ne la touchait, mais si elle levait un bras, elle était sûre d’effleurer un agent de
l’OPH. Justice agissait comme si sa protégée courait un péril mortel, ce qui
terrifia l’intéressée jusqu’à ce que le cortège débouche dans la salle de
conférences. La peur laissa la place au choc de découvrir une salle comble. Ellie
serra les dents pour empêcher sa bouche de s’ouvrir et jeta des regards alentour :
il y avait là soixante personnes au bas mot. Ce devait être un record pour une
réunion à Homeland…
Le directeur Boris était assis à une table, tout au fond.
— Mademoiselle Brower.
La moutarde lui monta au nez en croisant le regard de son ex-patron. Elle
découvrit Darren Artino assis à côté du boss, ainsi que d’autres visages familiers,
mais aussi une grande majorité d’inconnus. Cible de tous les regards, Ellie eut
l’impression d’être un insecte observé au microscope. D’un revers de la main,
Justice fit signe à ses agents de se répartir dans la salle et resta à côté d’Ellie afin
de s’adresser au directeur.
— Voici Ellie Brower. Qui va bien, comme vous pouvez tous le constater.
L’irritation était palpable dans la voix du chef des Hybrides.
Darren Artino, les yeux rivés sur Ellie, se racla la gorge avant de prendre la
parole.
— Il a été porté à notre attention que vous souhaitiez peut-être quitter le
domicile de M. Rage. Nous nous inquiétons pour vous.
Ellie, les bras croisés et le menton saillant, était mal à l’aise d’être observée
par tout ce monde.
— Je vais très bien, merci. M. Rage a eu la gentillesse de me laisser occuper
sa chambre d’amis. (Elle ménagea une pause et posa un regard courroucé sur
Boris.) Juste après avoir quitté Homeland, j’ai failli me faire enlever par trois
cinglés issus des rangs des extrémistes qui campent aux portes de la base.
M. Rage se soucie de ma sécurité. Je suis bien mieux ici qu’à l’extérieur.
Une jeune femme blonde, aux cheveux ramenés en chignon serré, se leva. Elle
portait un ensemble noir tout aussi strict que sa coiffure.
— Je suis le docteur Trisha Norbit.
Ellie, qui la jugeait bien jeune pour être médecin, s’abstint cependant de tout
commentaire.
— Enchantée, répondit-elle faute de mieux.
— Nous avons cru comprendre que vous étiez devenus très proches, M. Rage
et vous-même. J’aimerais pouvoir procéder à un examen médical et vous poser
quelques questions. (Elle embrassa la salle du regard puis adressa un signe de
connivence à Ellie.) En privé, cela va de soi.
— Je n’ai rien à déclarer et pas davantage besoin d’un examen médical.
Ellie poussa un soupir sonore ; il n’était pas question d’y passer la journée.
— Allons droit au but, voulez-vous ? J’ai vu le sujet aux infos. Je sais que
vous pensez que M. Rage m’a fait du tort, d’une manière ou d’une autre, mais
rien de tout cela n’est vrai.
Elle posa un nouveau regard chargé de mépris sur Boris puis reporta son
attention sur le médecin.
— Je suis son invitée et je dors dans la chambre d’amis. C’est à peine si nous
nous croisons, il ne se passe rien de louche. Je ne vois aucune raison d’être ici,
mais M. North a insisté pour que j’apparaisse en public, afin que tout le monde
puisse constater que je n’ai rien. Je passais une excellente journée, en fait,
jusqu’à ce que vous fassiez de moi une bête curieuse en imaginant le pire.
— Il n’y a rien de charnel entre vous et M. Rage ? lança un anonyme.
Ellie le fusilla du regard.
— La question est inappropriée et hors sujet, mais j’y réponds quand même, et
c’est non. Auriez-vous mal entendu le début ? M. Rage est un parfait gentleman.
Je loge dans sa chambre d’amis.
— Mais vous vivez ensemble, insista l’inconnu sans masquer son hostilité.
Nous savons que vous avez des relations sexuelles avec lui.
Ellie perdit patience, fit un pas en direction du fâcheux puis s’arrêta.
— Nous sommes colocataires, vous êtes sourd, ou quoi ? Feriez-vous partie de
ces abrutis convaincus qu’un homme et une femme ne peuvent pas vivre sous le
même toit sans coucher ensemble ?
Un homme plus âgé soupira.
— C’était dit sans intention de vous heurter, mademoiselle Brower. Le
problème, c’est que nous avons besoin de savoir si vous avez des relations
sexuelles avec M. Rage. Cela ferait de vous deux, à notre connaissance, le
premier couple interespèces actif sexuellement. Auquel cas il conviendrait de
procéder à une étude scientifique sérieuse. (Il remonta ses lunettes avec l’index.)
Les effets secondaires dangereux ne sont pas à exclure. C’est de votre bien-être
qu’il s’agit, et de celui de M. Rage. Vous ne tenez pas à le rendre malade,
j’imagine ?
Ellie fronça les sourcils.
— Je comprends votre point de vue, mais permettez-moi d’insister : je ne suis
pas en couple avec M. Rage au sens où vous l’entendez. Nous n’avons pas de
relations sexuelles. J’ai simplement affaire à un type bien qui m’héberge le
temps que je trouve un nouveau travail. Quand je suis sortie d’ici, des cinglés
racistes ont failli me kidnapper au prétexte que j’ai travaillé au contact des
Hybrides. Je suis plus en sécurité ici, à Homeland, qu’à l’extérieur.
— Très bien, dit le directeur Boris après un soupir bruyant à souhait. Vous
pouvez reprendre votre poste au dortoir des femmes. Immédiatement. La sécurité
va vous accompagner jusque chez M. Rage afin que vous y récupériez vos effets
personnels.
Ellie eut l’impression que le sol s’ouvrait sous ses pieds et présenta un visage
abasourdi à Boris. Le salopard. Elle prit le temps de se calmer puis secoua la
tête, il n’était pas question de laisser ce fumier l’éloigner de Rage. Toutes les
personnes présentes guettaient sa réaction. Qu’ils aillent tous se faire foutre,
songea-t-elle en réfléchissant à ce qu’elle allait rétorquer à cet abruti.
— J’aimerais beaucoup retrouver mon ancien poste, croyez-moi, mais si je
l’ai perdu, c’est parce que vous essayiez de me contraindre à produire un faux
témoignage. Vexé que les agents de l’OPH m’aient secourue alors que la sécurité
de Homeland était débordée par la prise d’assaut, vous m’avez donné l’ordre
d’accuser à tort l’un de ces agents qui, selon vous, m’aurait fait subir je ne sais
quelles horreurs. La vérité, c’est que les Hybrides m’ont sauvé la vie et que vos
gars étaient incapables de venir à ma rescousse.
La jeune femme vit Boris blêmir ; de nombreux regards se tournèrent vers lui.
Le directeur était visiblement trop choqué pour faire autre chose que jeter des
coups d’œil affolés à la ronde.
— Je refuse de me placer sous la responsabilité d’un type qui m’a incité à
livrer un faux témoignage particulièrement dégueulasse, puis qui m’a virée parce
que je refusais d’obéir. J’aurais démissionné si ce courage-là vous avait manqué,
monsieur le directeur Boris. Retravailler pour vous ? Jamais de la vie. Je
m’estime capable de retrouver un emploi où l’on ne me force pas à mentir.
— C’est… c’est faux ! bredouilla Boris, qui s’était enfin ressaisi, en pointant
un doigt accusateur sur Ellie. Qu’on évacue immédiatement cette femme et
qu’on la bannisse à jamais de Homeland !
Justice braqua un regard noir sur un garde qui s’approchait d’Ellie. La jeune
femme faillit buter contre un agent de l’OPH et, en se retournant, vit que tous ses
homologues avaient convergé vers elle pour faire barrage. Ellie se figea ; le
vigile humain fit de même.
— La question est intéressante, énonça froidement Justice. Auriez-vous un
problème avec mes équipes, monsieur le directeur ? Sauf erreur de ma part,
Homeland a été conçu pour permettre à mon peuple de se structurer, pour lui
fournir un foyer. Cela ne peut pas se concevoir sans personnel de sécurité.
Mademoiselle Brower m’a livré la teneur de la conversation que vous aviez eue
avec elle, le jour où vous l’avez licenciée. Ce que, soit dit en passant, vous
n’étiez pas habilité à faire sans mon consentement. Vous avez dépassé les bornes
et venez à l’instant de récidiver. Cette jeune femme est sous la protection de
l’OPH… et vous osez ordonner son évacuation musclée ?
Un homme plus âgé, vêtu d’un costume, se leva brusquement et contourna la
table. Il alla se placer devant Boris et fronça les sourcils.
— Jerry ? lança-t-il, d’évidence habitué à tutoyer le directeur.
— C’est faux, s’enferra l’intéressé. L’un de ses adjoints, ce Rage avec lequel
elle vit désormais, a porté mademoiselle Brower jusque dans une salle de bains
et l’a entièrement dévêtue. Puis il lui a donné ses propres sous-vêtements à
porter. Quand elle s’est débarbouillée au lavabo, il n’a pas pu faire autrement
que la voir se déshabiller et faire sa toilette. Tout ce que j’ai fait, c’est tenter de
la protéger en l’incitant à dire la vérité sur ce qu’elle avait enduré. Nous ne
pouvons tolérer qu’un vigile conduise une jeune femme de force dans une salle
d’eau pour abuser d’elle !
— Est-ce vrai ? demanda l’homme en costume à Ellie en arquant un sourcil.
— Non. Certes, Rage m’a conduite à la salle de bains en voyant que j’étais
couverte de sang. Il s’est enfermé dans une cabine et y a retiré son caleçon et sa
chemise pour que j’aie quelque chose à me mettre, pendant que je me nettoyais
seule. J’étais rouge des pieds à la tête. Les autres options auraient consisté à ce
que je ressorte nue, ou à ce je remette mes fringues poisseuses. Toutes les issues
étaient verrouillées ; je n’avais strictement rien d’autre à ma disposition. J’ai eu
beau me montrer très claire, le directeur n’a rien voulu savoir. Il s’est lancé dans
d’horribles accusations sans le moindre fondement, comme quoi j’aurais été
abusée sexuellement… ou que je me serais conduite comme la dernière des
salopes, ne songeant qu’à se faire sauter dans les toilettes juste après avoir vécu
l’expérience la plus traumatisante de ma vie. Boris m’a ordonné d’écrire un
rapport accusant M. Rage des pires atrocités. Comme c’était n’importe quoi, j’ai
refusé, d’autant plus que c’est bel et bien la sécurité de l’OPH qui m’a sauvé la
vie.
Le regard bleu glacier de l’homme âgé resta un long moment posé sur Ellie.
Puis il hocha la tête et se retourna vers Boris.
— Jerry, j’ai le regret de t’informer que je te remplace avec effet immédiat. Le
ver est dans le fruit, c’est manifeste, et le projet Homeland est trop important
pour que nous laissions pourrir la situation. (Il s’adressa à Justice.) Je vous
présente mes excuses. Nous disposions à l’évidence d’informations tronquées. À
compter de ce jour, ce sera moi le nouveau directeur. Si c’est acceptable pour
vous, bien sûr, ajouta-t-il après un court silence.
— Ça me va, Tom. J’ai un rendez-vous téléphonique avec le président dans
dix minutes ; je vous laisse.
Justice fit signe à ses gars puis proposa son bras à Ellie.
— On y va, mademoiselle Brower ?
Ellie adressa un ultime regard noir au directeur Boris. À l’ex-directeur, se
corrigea-t-elle en acceptant le bras tendu par Justice. Les agents de l’OPH prirent
position autour d’eux. Le petit groupe quitta la salle.
— Faites-moi penser à ne jamais vous mettre en pétard, mademoiselle
Brower, lui glissa le chef des Hybrides, hilare, alors qu’ils sortaient du bâtiment.
Ellie leva les yeux vers lui.
— La colère n’a pas grand-chose à voir là-dedans. J’étais un peu remontée,
c’est vrai, mais surtout, j’avais peur.
Justice cessa d’avancer et la dévisagea sans chercher à masquer son
incrédulité.
— Peur de quoi ? Jamais nous ne les aurions laissés s’en prendre à vous. Il
n’était pas question de les autoriser à vous remettre à la porte.
Ellie ne pipa mot. Jusqu’où pouvait-elle lui faire confiance ? Il resta un long
moment à la jauger.
— Vous pensiez qu’ils allaient réussir à vous éloigner de Rage ? C’est ça qui
vous faisait peur ?
Merde alors… Je suis transparente à ce point ? Elle détourna la tête et
contempla le parking : les véhicules étaient garés jusque dans la rue, à un endroit
d’ordinaire interdit au stationnement. Elle hocha la tête.
Rage avait pris une place énorme dans sa vie depuis l’instant où elle avait
posé les yeux sur lui. Elle était prête à tout pour le garder. Il avait peuplé ses
rêves, elle avait continué à jouer les sous-marins chez Mercile en faisant fi des
risques encourus, puis pris un job auprès des Hybrides dans l’espoir de réparer
les torts qu’elle avait commis à son encontre. Tourné le dos à sa famille, à ses
amis, après le séisme que représentait leur rencontre. Son existence gravitait
désormais autour de Rage et de son peuple. Ils vivaient en couple… et elle
n’avait aucune envie de le perdre. Elle n’y résisterait pas.
— Très bien, énonça Justice à voix basse. Je vous ramène auprès de lui.
Ellie croisa son regard de félin.
— Merci.
Ils n’avaient pas fait cinq pas quand, derrière eux, retentit un grognement
rauque. Justice fit volte-face, empoigna Ellie et la mit à l’abri derrière lui. Son
champ de vision occulté par la silhouette imposante du chef des Hybrides, la
jeune femme dut se déhancher pour regarder dans la même direction que lui.
Ellie reconnut Slade. L’agent de l’OPH ceinturait le médecin pour l’empêcher
de faire un pas de plus. Trisha Norbit était livide. Slade paraissait à cran et
grognait doucement. Justice se détendit.
— Que voulez-vous, docteur Norbit ?
— Tu la connais ? s’étonna Slade. Elle courait vers nous…
Justice opina.
— Tout va bien, Slade. Laisse-la approcher. Elle n’est pas une menace.
Trisha Norbit se dégagea dès que Slade cessa de la retenir. Son regard se fixa
sur Ellie.
— Je voulais juste toucher deux mots en privé à mademoiselle Brower.
Justice glissa ses pouces dans les poches avant de son jean.
— Que vouliez-vous lui dire au juste, docteur ?
— Lui laisser mes coordonnées.
Trisha Norbit, toujours secouée, sortit une carte de visite de la poche de sa
jupe et la tendit à Ellie d’une main tremblante. Ellie hésita à l’accepter.
— Pourquoi en aurais-je besoin ?
— Simple précaution. C’est nécessaire, croyez-moi. Laissez-moi devenir
votre médecin traitant. Tout ce que vous me direz dans ce cadre sera strictement
confidentiel. Dans l’hypothèse où vous-même et M. Rage seriez… intimes,
réfléchissez à tout ce que la science y gagnerait si vous m’autorisiez à vous
examiner.
— Ce qui me vient à l’esprit, là tout de suite, intervint Slade en gloussant,
c’est que vous faites preuve d’une curiosité mal placée. Laissez-la tranquille,
doc. Si Ellie avait besoin de vos services, elle l’aurait dit tout à l’heure.
Trisha Norbit décida d’ignorer Slade et resta concentrée sur Ellie.
— J’ai consulté les rapports sur la physiologie des Hybrides ; il existe
certaines différences. Et de nombreuses zones d’ombre.
— Quelles différences ?
Slade commença par froncer les sourcils puis sourit d’une oreille à l’autre.
— Ah, je vois… Cette question d’échelle de taille entre nous et les humains.
Le docteur Norbit adressa un regard courroucé à l’importun puis reporta son
attention sur Ellie.
— Vous n’avez pas envie de savoir si vous risquez de tomber enceinte ? De
savoir si c’est possible, à condition de suivre un traitement adapté ?
Justice fronça les sourcils.
— J’en ai discuté avec de nombreux spécialistes. Tous sont d’accord : c’est
impossible. Nous sommes stériles.
Norbit tourna la tête vers le chef des Hybrides.
— Rien n’est absolument certain dans ce domaine. Et surtout, jamais personne
n’a étudié ce qui se produit dans le cadre d’un couple mixte. Si une humaine a
des rapports sexuels avec l’un de vos semblables, il m’apparaît souhaitable de
découvrir ce qui peut en résulter, vous n’êtes pas d’accord ? Une grossesse
éventuelle n’est pas ce qui me préoccupe le plus. Réfléchissez-y, monsieur
North. D’autres couples mixtes sont appelés à se former, c’est dans l’ordre des
choses. Mieux vaut s’assurer qu’il n’y a aucun effet secondaire néfaste, non ?
Vos hommes n’ont jamais réussi à féconder une Hybride, c’est vrai. Mais Ellie
est cent pour cent humaine.
— Quel genre d’effet secondaire ? gloussa Slade. La surexcitation ? Il m’est
arrivé d’aller pisser en même temps qu’un humain, doc. Ce qui risque le plus de
faire flipper les humaines, c’est la différence de gabarit entre nos bites et celles
de vos gugusses.
— Vous êtes un porc, rétorqua Trisha Norbit en fusillant Slade du regard.
Slade cessa de sourire ; un grondement sourd émana de sa gorge.
— J’ai de l’ADN de chien, pas de cochon.
— C’est une image, intervint Ellie en parvenant à garder son sérieux. Le
docteur Norbit veut dire par là que vos propos sont… déplacés.
Slade adressa un signe de tête à Ellie puis un large sourire au médecin.
— Déplacés ? Je dirais plutôt dans le mille.
— Bien ! intervint Justice, goguenard. Cette conversation prend un tour très
amusant, mais il se trouve que j’ai vraiment un rendez-vous téléphonique avec le
président. Ce n’était pas une excuse bidon pour nous éclipser.
— Un instant, implora Trisha Norbit à voix basse. Mademoiselle Brower,
Ellie, je vous en prie, prenez ma carte. C’est moi qui m’occupe de la santé des
Hybrides. S’il est tout à fait normal que vous souhaitiez éviter d’aborder
publiquement certains sujets, sachez que je peux passer vous voir chez M. Rage.
En toute discrétion. Je vous laisse juge, mais gardez à l’esprit à quel point il
importe pour nous d’en savoir plus sur la façon dont cela se passe dans l’intimité
entre les deux espèces.
Ellie se résolut à accepter la carte de visite qu’elle fourra dans la poche de son
jean.
— Je ne couche pas avec M. Rage, c’est ce que j’ai déclaré publiquement, et
je sais quel tollé cela susciterait s’il en était autrement.
Slade fit frémir ses narines et posa les yeux sur Ellie qui soutint son regard. Il
inhalait lentement… et sourit. Elle se détourna aussitôt. Il savait qu’elle mentait
pour avoir senti l’odeur de Rage sur son corps. Elle soupira intérieurement en
constatant qu’il ne pipait mot.
— Il est impératif que je sache comment nos deux espèces interagissent
pendant l’acte sexuel, insista Trisha Norbit à mi-voix. Le bien-être des Hybrides
est sous ma responsabilité, mais aussi celui des humains. Je me dois d’en
apprendre le plus possible sur les conséquences éventuelles de relations
interespèces. Le sujet finira fatalement par devenir… brûlant.
— Voilà ce que je propose, mentit Ellie. Si jamais j’envisage la chose avec
M. Rage, je lui en fais part, et si par miracle il se montre intéressé, je vous tiens
immédiatement au courant.
Ellie tourna les talons et se dirigea d’un pas vif vers l’appartement de Rage,
aussitôt suivie par Justice qui se mit à glousser doucement.
— Habilement négocié. (Il marqua un temps.) Je suggère que vous l’appeliez
dès demain. Si j’en crois son dossier, Trisha Norbit est une praticienne très
réputée. C’est moi qui l’ai sélectionnée. Jeune mais très brillante, elle est en
outre favorable à la cause Hybride. Quand elle affirme qu’elle n’en dira rien à
personne, j’ai tendance à la croire.
Ellie hocha la tête.
— Le jour où j’aurai besoin d’un toubib, je n’hésiterai pas une seconde.
CHAPITRE 13
Convaincu que les choses allaient mal tourner, Rage fit les cent pas pendant
toute l’absence d’Ellie. Il s’était fait violence pour ne pas se précipiter dans la
salle de contrôle de Homeland où les caméras de surveillance lui auraient permis
d’espionner les débats. Il avait accès aux images en tant que responsable de la
sécurité de la base et bras droit de Justice, mais il souhaitait par-dessus tout être
présent à son retour.
Rage avait confiance en Justice et ses gars pour veiller sur Ellie. Il s’était
chargé personnellement de former chacun des agents de l’OPH, qui savaient tous
à quel point la jeune humaine comptait pour lui. Tout lui manquait : l’odeur
d’Ellie, le son de sa voix chantante, et il lui suffisait de fermer les yeux pour
qu’apparaisse le doux visage de sa belle, imprimé au fer rouge dans sa mémoire.
Être étendu à côté d’Ellie, sentir le grain de sa peau tandis qu’ils discutaient
jusque tard dans la soirée, que pouvait-il espérer de mieux avant de s’endormir ?
Ce bonheur-là, il souhaitait le revivre soir après soir et découvrir chaque détail
de la vie d’Ellie… sauf, bien sûr, ce qui avait trait aux hommes qu’elle avait pu
connaître intimement. Imaginer son Ellie dans les bras d’un autre ? C’était exclu,
il lui faudrait alors tous les retrouver – et les éliminer. Si jamais son ex-mari se
pointait à Homeland dans l’intention de la récupérer, Rage avait juré de lui
caresser les côtes jusqu’à ce qu’il change d’avis ; une promesse qu’il se ferait un
plaisir de tenir. Ellie était à lui. Pour toujours.
La référence à l’ex-mari lui fit songer aux parents démissionnaires d’Ellie.
Rage arrêta son va-et-vient et posa un regard dur sur la porte d’entrée. Plus
jamais, se promit-il, elle ne serait seule. Sa nouvelle famille, c’était lui-même et
tout son peuple. Il comptait fermement l’affirmer à Ellie et le proclamer haut et
fort. Quitte à batailler bec et ongle avec Justice si nécessaire, il ferait promulguer
une loi : tout représentant de l’espèce humaine en couple avec un ou une
Hybride devait être assimilé. Il était logique qu’Ellie dispose des mêmes droits
que lui, elle ne faisait pas de différence entre leurs deux espèces, les Hybrides
étaient de ce fait tenus de l’accepter. En tant qu’Hybride à part entière.
Rage hocha la tête. Justice entendrait parler de cette loi dès qu’il serait
question d’en rédiger pour leur peuple. Homeland était promis à devenir un
territoire administré par les Hybrides dans un proche avenir. Leur union pourrait
alors être officialisée. Ce qui, dans l’esprit de Rage, était déjà acquis.
Encore fallait-il qu’elle rentre à la maison…
Au terme d’une attente interminable, il l’aperçut enfin par la fenêtre. Et se
refit violence pour ne pas se ruer à l’extérieur. Qu’il lui en coûtait de garder son
calme ! Personne n’avait tenté de l’enlever, faute de quoi elle aurait eu l’air
affolée. Justice et ses gars paraissaient détendus. Il ouvrit la porte.
Ellie épia le directeur Tom Quish avec suspicion. Pour quelqu’un de son âge,
soixante-cinq ans peut-être, l’homme aux yeux bleus portait beau ; il était
d’évidence très bien conservé. C’était d’autant plus flagrant qu’il était pour
l’heure vêtu d’un débardeur et d’un pantalon de jogging. Il avait couru avant de
faire halte devant chez Rage. Ellie avait été surprise de le trouver en ouvrant
après qu’on eut sonné à la porte. Elle n’avait eu aucun mal à reconnaître celui
qui avait, sous ses yeux, viré l’ex-directeur Jerry Boris – un spectacle qu’elle
avait beaucoup apprécié.
— Je peux entrer ?
En le rejoignant sur le perron, Ellie repéra les deux agents hybrides chargés
par Rage de veiller sur la maison depuis le trottoir d’en face et ne vit aucun signe
d’inquiétude sur leurs faciès. Il était clair qu’à leurs yeux, le nouveau directeur
ne présentait aucune forme de menace, faute de quoi ils l’auraient empêché
d’accéder à l’entrée. La jeune femme se détendit.
— Ce n’est pas vraiment chez moi, vous savez ; je ne me sens pas le droit de
vous inviter à l’intérieur. (Elle prit une profonde inspiration.) Puis-je vous aider ?
— Je l’espère. Je suis ici pour vous offrir de reprendre votre poste au bâtiment
des femmes. Les pensionnaires vous apprécient beaucoup et vous respectent,
mademoiselle Brower. Elles ont décidé de remplacer l’actuelle responsable et
ont demandé après vous.
Ellie s’efforça de ne rien laisser paraître du désarroi que faisait naître cette
proposition. Aucune émotion ne se lisait dans les yeux bleu glacier de Quish.
Les rides autour de sa bouche, heureusement, témoignaient du fait qu’il riait
souvent, ce qui rendait sa physionomie plus avenante. Il avait l’air sympathique
et Ellie l’estimait sincère… mais ne savait que lui répondre. Accepter revenait à
cesser de vivre chez Rage ; elle n’en avait aucune envie.
— Je peux y réfléchir un peu ?
Gagne du temps, s’exhorta-t-elle avant de se justifier.
— C’est que j’en ai bavé, de ce licenciement brutal… Me retrouver en même
temps à la rue et au chômage…
Quish la détailla des pieds à la tête. Ses yeux pétillaient d’intelligence – un
peu trop au goût d’Ellie.
— Bien sûr, bien sûr. Vous n’avez qu’un mot à dire et le poste est à vous. Ne
traînez pas trop, quand même : le bâtiment a besoin d’une nouvelle responsable
aussi vite que possible. Comme vous le savez, d’autres pensionnaires doivent
arriver dans les semaines qui viennent.
— Je l’ignorais. J’avais cru comprendre que l’effectif devait se limiter à
quelques dizaines de filles jusqu’à ce que l’environnement soit jugé adapté.
— C’est chose faite, dit-il, tout sourires. Et vous y êtes pour beaucoup : toutes
les pensionnaires du bâtiment vous ont trouvée formidable. On m’a notamment
vanté vos cours de cuisine.
Ellie sourit à son tour.
— J’ai fait de mon mieux pour les intéresser.
— Et vous avez réussi. Elles vous adorent.
— Elles me manquent, admit Ellie. Je les aime beaucoup.
— Elles ont presque tout à apprendre, à ce que j’ai compris…
Ellie haussa les épaules.
— Elles ont vécu enfermées dans des cellules stériles. Faire la poussière, du
café ou des pancakes ne faisait pas franchement partie de ce qu’elles ont pu
glaner pendant leur captivité. Ça m’a rappelé l’adolescence et mes premiers
contacts avec le lave-linge, quand ma mère a décrété que je devais apprendre à
m’en servir pour m’occuper de mes fringues. Quand on grandit avec tous ces
trucs, on apprend petit à petit, mais les Hybrides, pour leur part, se coltinent tout
à la fois. Tout ce qui, pour nous, coule de source. Imaginez l’effet que doit faire
un répondeur quand on ignorait ce qu’était un téléphone un an auparavant !
Une lueur d’intérêt s’alluma dans les yeux du nouveau directeur.
— Se sont-elles confiées à vous au sujet de leur vie d’avant, quand elles
étaient prisonnières ?
Ellie se méfia. Il n’était pas question de dévoiler certains détails qui lui
avaient été confiés par pure amitié.
— Un peu, pourquoi ?
Quish se radoucit.
— J’ai lu les rapports et bavardé avec nombre d’entre elles. C’est
épouvantable, ce que ces femmes ont subi. J’ai promis à Justice North que je
ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour qu’elles aient une vie meilleure à
l’avenir. Le bien-être et la sécurité des Hybrides comptent énormément à mes
yeux. Je veux qu’ils bénéficient du fin du fin, et en ce qui concerne les femmes
hybrides, ce fin du fin, il se trouve que c’est vous.
Touchée par ce compliment, Ellie aurait repris son job sur-le-champ s’il
n’avait pas été nécessaire de ne plus vivre avec Rage pour l’assumer. La jeune
femme décela une lueur de satisfaction dans les yeux de Tom Quish et reprit la
parole.
— Vous êtes fortiche, côté manipulation. Je ne vous apprends rien, j’imagine ?
Le vieil homme s’autorisa un sourire en coin.
— C’est mon boulot. Avec quelles armes croyez-vous que j’aurais pu si vite
lever des fonds suffisants pour Homeland et persuader les militaires de lâcher le
morceau ? Si ce complexe est quasiment terminé, ce qui nous a permis d’y
emménager très rapidement, c’est parce qu’il s’agissait à l’origine d’une base
destinée à l’armée. Avoir du charme et des amis haut placés a ses avantages.
Acceptez-vous ce poste, mademoiselle Brower ?
Ellie avait très envie de dire oui mais se retint.
— J’ai encore besoin d’un peu de temps.
— J’ai le sentiment de vous proposer une friandise que vous mourez d’envie
d’accepter, mais que vous refusez uniquement parce qu’on vous a dit de vous
méfier des inconnus.
— C’est assez bien résumé, répondit Ellie, un grand sourire aux lèvres.
— Pour les formules qui font mouche aussi, je me débrouille.
— C’est quoi, ce cirque ? tonna Rage.
L’Hybride, visiblement sur les nerfs, rejoignit Ellie au pas de charge en
fusillant du regard le nouveau directeur de Homeland. La jeune femme leva les
yeux et faillit s’emporter contre lui : Rage avait tout l’air d’un petit ami jaloux,
ce qu’il était d’évidence. S’il laissait libre cours à ses émotions, Quish, à moins
d’être le dernier des imbéciles, ce qu’il n’était pas, aurait tôt fait de les percer à
jour. Elle fronça les sourcils. Peine perdue. Rage n’avait pas un regard pour elle,
trop occupé qu’il était à intimider le vieil homme qui recula de deux bons
mètres.
— J’étais en train d’échanger quelques mots avec mademoiselle Brower.
Heureux de vous revoir, monsieur Rage.
— Qu’est-ce que vous lui voulez ? Ellie reste ici. Vous n’avez pas le droit de
l’obliger à partir.
Ellie redouta le pire en voyant que le vieil homme les étudiait tour à tour… et
ses craintes furent confirmées quand, blêmissant malgré son bronzage, il fit un
pas de plus en arrière.
— J’étais venu proposer à mademoiselle Brower de reprendre son job. Elle
manque beaucoup à ses anciennes protégées qui viennent de congédier la femme
qui avait repris le flambeau. Elles souhaitent son retour au bâtiment des femmes.
Justice m’a informé qu’elles étaient libres de choisir elles-mêmes leur
responsable. Je suis passé dire à mademoiselle Brower que le poste est à elle si
elle le souhaite.
— Elle n’en veut pas, cracha Rage, toujours à cran.
Et merde, songea Ellie. Il ne se calme pas du tout… Son regard passa de Rage
à Tom Quish, qui reporta son attention sur l’Hybride après l’avoir dévisagée.
— Si c’est sa sécurité qui vous préoccupe, Ellie pourrait rester vivre chez
vous. Elle pourrait travailler au bâtiment des filles pendant vos heures de service.
Ce n’est pas exactement ce que stipule la fiche de poste, mais je suis certain qu’il
est possible de trouver un terrain d’entente qui convienne à tout le monde.
Rage daigna enfin accorder un coup d’œil à Ellie.
— Tu en penses quoi ?
Stupéfaite qu’il lui demande son avis après le refus véhément qu’il avait
commencé par opposer, la jeune femme hocha la tête, consciente que le vieil
homme continuait à guetter leurs réactions. Rage opina à son tour en se
retournant vers le directeur.
— Entendu comme ça. Ellie reprend son job à condition qu’elle puisse
continuer à vivre sous mon toit.
Ce soudain revirement parut amuser Tom au plus haut point.
— Excellent, mademoiselle Brower. Demain matin à 9 heures ?
— Oui, s’empressa-t-elle de répondre avant que Rage puisse intervenir à sa
place.
— Formidable ! Je m’occupe de passer les coups de fil nécessaires. Un
membre de la sécurité passera dans la journée vous apporter votre nouveau
badge.
— Merci, lança Ellie au vieil homme fringant qui s’éloignait déjà en petites
foulées.
Elle attendit qu’il ait disparu avant de jeter un regard noir à Rage.
— Tu aurais pu contrôler tes nerfs, merde ! Quish sait à présent que nous
sommes en couple. Tu t’es comporté comme si tu étais mon mec.
— Je le suis, rétorqua l’Hybride, les pupilles sombres et les lèvres pincées.
— Bien sûr, mais personne n’est censé le savoir, tu as oublié ? Oh, et merci de
m’avoir enfin laissée décider de mon avenir, conclut-elle avant de réintégrer
l’appartement au pas de charge.
— Quelle mouche te pique ? lança Rage en refermant après l’avoir suivie à
l’intérieur.
Ellie fit volte-face, les poings sur les hanches.
— Notre relation doit rester secrète, gros malin ! Tu as tellement envie qu’une
armée de toubibs nous oblige à passer des tests, et qu’on nous bombarde de
questions sur la manière dont on s’y prend au lit ? Pas moi ! Il ne manquerait
plus qu’ils demandent à filmer nos galipettes ! En plus, tu t’es permis d’affirmer
que je ne voulais pas ce boulot sans me demander mon avis ! Le dortoir me
manque, et en même temps, j’ai envie de vivre ici, avec toi.
Rage comprit qu’il avait merdé. Il s’était mis à flipper dès l’instant où ses gars
l’avaient averti que Tom Quish, le nouveau directeur, avait frappé à sa porte. Les
humains n’avaient aucune raison de se rendre dans cette partie de Homeland.
Hormis pour voir Ellie. Il avait pressé le pas : personne, chez les humains,
n’appréciait le fait qu’Ellie vive chez lui. Il avait fait la sourde oreille chaque
fois qu’une critique de ce genre lui était parvenue.
Ellie adorait son travail auprès des femmes hybrides ; Rage savait qu’elle leur
était très attachée, mais quand Tom avait offert à la jeune femme de retrouver
son poste, il avait immédiatement opposé son veto, estimant qu’il devait s’agir
d’un piège destiné à les séparer. Un regard à sa bien-aimée lui avait suffi pour
comprendre qu’il avait eu tort de répondre à sa place. Les humaines pouvaient
être aussi fortes têtes que ses sœurs hybrides. Ces dernières exigeaient de décider
pour elles-mêmes, et s’il leur était agréable d’être défendues par un mâle, elles
étaient assez fortes pour se débrouiller seules en cas de coup dur.
Rage s’était ravisé dès qu’il avait compris que la proposition de Quish n’avait
pas pour unique but d’inciter Ellie à déménager. Il s’était détendu en voyant
partir le nouveau directeur… mais pas Ellie. Aucun doute n’était permis : elle lui
en voulait beaucoup d’avoir réagi comme il l’avait fait. Alors même que Rage
n’avait souhaité qu’une chose – empêcher qu’on les sépare.
Il commençait à en avoir marre, du caractère secret de leur relation. Il était fier
d’être avec Ellie. Certains Hybrides risquaient de le voir d’un mauvais œil ? La
belle affaire ! Ils étaient nombreux à garder de la rancune envers les humains. Ça
leur passerait. Tant que personne n’inquiétait Ellie, chacun était libre d’enterrer
la hache de guerre à son rythme.
La priorité du moment : apaiser la colère d’Ellie. Vive d’esprit et dotée d’un
solide sens de l’humour, la jeune femme pardonnait vite… et Rage connaissait le
meilleur moyen de la dérider. Un sourire malicieux lui vint.
— Tu sais que tu es canon, quand tu te mets en colère ? Filmer nos
galipettes… Tu n’as qu’à demander et j’achète le matériel nécessaire.
— Pas question ! rétorqua Ellie, toujours en pétard. Tu plaisantes, j’espère…
— Bien sûr, s’esclaffa Rage. Je refuse qu’on nous filme en train de faire
l’amour. Je ne désire qu’une chose : qu’on le fasse. (Il s’approcha.) Tu es
vraiment sexy en diable quand tu m’en veux, beauté. Sincèrement. Tu n’as qu’un
mot à dire.
Ellie prit un peu de champ et quitta sa posture belliqueuse.
— Oui, je t’en veux. Ton baratin de joli cœur ne prend pas, je suis vraiment
d’humeur massacrante, là. Tu n’as rien fait pour cacher le fait qu’on est
ensemble et tu as dit à ce type que je ne voulais pas reprendre mon job. C’est
moi que ça regarde.
— Tu as raison et j’ai eu tort, j’en suis sincèrement désolé.
Souriant toujours, il fit un pas vers sa belle qui recula d’autant.
— Tu essaies quoi, là, de m’amadouer ?
— Absolument, dit-il en lui adressant un clin d’œil. Et maintenant… on baise.
Là-dessus, il s’élança et tenta de la ceinturer.
Ellie obliqua vers la cuisine, très amusée par son comportement joueur. C’était
génial de voir ce garçon, d’ordinaire ombrageux, d’humeur joyeuse. Comment
continuer à lui en vouloir quand il est ainsi ? Impossible. Arrivée dans la
cuisine, elle contourna le petit îlot central. Puis elle agrippa le bord du plan de
travail et plissa les yeux en voyant Rage s’immobiliser de l’autre côté.
— On était en pleine discussion. Arrête.
— Rien n’empêche de parler pendant qu’on baise, répondit-il en s’élançant
côté gauche.
Ellie secoua la tête et partit dans le même sens de rotation.
— Rage, bon sang, j’essaie de me fâcher contre toi ! Arrête de sourire, veux-
tu ?
Il cessa de tourner et redevint sérieux.
— Voilà.
À mieux y regarder, Ellie vit qu’un léger tic lui faisait relever les coins de la
bouche. Piquée au vif, elle eut envie de rire à son tour et dut se faire violence
pour se rappeler l’objet de sa colère. Ah oui.
— Tu n’as pas le droit de prendre les décisions à ma place, et tu sais que nous
sommes censés cacher le fait que nous formons un couple.
— Tu sais que tu m’excites de plus en plus ? À force de respirer si fort, ta
poitrine va finir par faire céder les boutons de ton corsage. (Il loucha sur ses
seins.) C’est ça, vas-y, respire à fond…
Alors qu’Ellie suivait le regard de l’Hybride, elle perçut du mouvement du
coin de l’œil. Trop tard. Rage se saisit d’elle. Ceinturée, elle se retrouva assise
sur l’îlot central, les yeux presque à hauteur de ceux de son amant. Rage lui
écarta les cuisses puis, l’étreignant toujours, il l’enlaça jusqu’à ce qu’ils soient
collés l’un à l’autre.
— Désolé de t’avoir contrariée, dit-il, l’air sincère. Réconcilions-nous en
faisant l’amour. C’est l’idéal, à ce qu’il paraît.
Ellie sourit d’une oreille à l’autre et lui prit le visage à deux mains.
— Tu es un sale type, tu sais ?
— Un type bien, tu veux dire. As-tu conscience à quel point, ou dois-je te le
rappeler ?
Il pencha la tête et poussa doucement celle d’Ellie jusqu’à ce que ses lèvres
effleurent le cou de la jeune femme. Puis il entreprit de lui lécher le point
sensible juste en dessous de l’oreille, avec sa langue râpeuse. Son souffle chaud
la caressa.
— J’ai envie de te prendre là, tout de suite.
— Dans la chambre, gloussa Ellie.
Rage redressa la tête ; sa voix se fit plus grave encore.
— Ici.
— Dans la chambre. Ce plan de travail sert à préparer à manger…
Les sourcils arqués, il cessa de l’étreindre et s’écarta un peu. Commença à
déboutonner son chemisier. Ellie retint son souffle tandis qu’il l’aidait à s’en
défaire. Puis il dégrafa son pantalon, s’écarta un peu plus et la fit descendre de
l’îlot. Sitôt la jeune femme debout devant lui, l’Hybride se mit à genoux et l’aida
à s’en extraire.
— Va pour la cuisine, murmura Ellie, moite de désir.
Le cœur battant à tout rompre, elle jeta son pantalon dans un coin et s’attaqua
à celui de Rage qui s’était relevé. Il balança lui aussi son tee-shirt.
— Parfait, marmonna Ellie en se frottant contre lui.
Sa langue entra en contact avec un mamelon de Rage qui émit un grognement
en se défaisant de son pantalon à gestes brusques. Les mains d’Ellie effleurèrent
son ventre plat puis s’aventurèrent plus bas, jusque sous l’élastique du caleçon.
Elle lui griffa les hanches. Rage réagit en venant coller son bassin contre le corps
de la jeune femme. Son sexe déjà dressé se retrouva coincé entre leurs deux
épidermes.
— Mmmmh, souffla Ellie en passant d’un téton à l’autre.
— Ma beauté, gronda Rage.
L’idée qui vint alors à Ellie la fit sourire ; elle leva la tête.
— Passe-moi le miel qui est rangé dans le placard, derrière toi. À gauche. Ma
gauche.
L’Hybride arqua un sourcil noir.
— Du miel ? Tu as un petit creux ?
— Je veux le lécher sur toi, répondit-elle, extatique.
Rage poussa un grognement étouffé et s’égratigna la lèvre inférieure avec ses
crocs. Au prix d’une torsion du buste, il récupéra le pot de miel en un temps
record et le passa à la jeune femme qui en dévissa le couvercle. Un rapide coup
d’œil suffit à Ellie pour avoir confirmation qu’il était partant. Elle entreprit de
verser un peu de la substance ambrée sur l’un de ses mamelons puis déplaça le
pot de façon à ce que l’écoulement se poursuive jusque sur l’autre téton. Rage
inhala à pleins poumons mais ne dit pas un mot. Elle posa le pot sur l’îlot
central, à portée de main.
Perchée sur la pointe des pieds, Ellie commença à lécher les gouttelettes de
miel qui collaient aux pectoraux saillants du colosse en laissant courir sa langue
d’un point à un autre. Rage poussa un grondement caverneux. La jeune femme
s’intéressa ensuite à un téton qui durcit sous ses coups de langue. Elle le prit
dans sa bouche et se mit à le suçoter. Rage lui passa la main dans les cheveux
mais se garda de tout geste susceptible d’être interprété comme une volonté de
mettre fin au jeu.
— Encore, grogna-t-il. C’est fabuleux.
Ellie lui mordilla le mamelon. L’Hybride tressaillit et frotta sa queue,
désormais rigide comme du bois, contre le ventre de la jeune femme qui
abandonna le téton et survola le torse offert. Sa langue et ses lèvres recueillirent
les gouttes de miel avec une lenteur étudiée, puis elle repoussa Rage contre un
meuble de cuisine auquel il s’adossa.
Le regard noir de Rage, où brûlait la passion, croisa celui d’Ellie quand elle
releva la tête. Elle avait déjà remarqué que ses pupilles s’assombrissaient chaque
fois qu’il était très excité et trouvait cela adorable. La jeune femme s’attaqua aux
gouttes de miel qui avaient coulé sur ses abdominaux. Elle les lécha une par une
puis, souriant toujours, elle fit glisser le caleçon vers le bas. Le sexe de Rage
était si tendu qu’elle dut mettre l’élastique du sous-vêtement à rude épreuve pour
en débarrasser son bel étalon.
L’Hybride gronda quand elle lui embrassa l’os de la hanche. Ellie tourna la
tête et contempla de près son impressionnante érection. Quel spectacle ! Le
sourire aux lèvres, elle fit courir sa langue de la base à la pointe du pénis au
garde-à-vous.
Grognant toujours, Rage l’empoigna par les avant-bras et obligea la jeune
femme à se relever. À sa grande stupeur, elle vit qu’il paraissait en rogne et
arqua les sourcils.
— Tu veux que j’arrête ? Pile au meilleur moment ?
Le beau ténébreux la souleva sans effort et lui cala les fesses sur le plan de
travail. Puis il s’en alla ouvrir un à un les tiroirs, comme s’il cherchait quelque
chose de précis.
— Rage ? Je t’ai mis en colère ? Qu’est-ce que…
— Je ne peux pas te laisser faire ça. Frustré en diable, je le suis, mais pas
fâché contre toi.
— Et pourquoi pas ? J’en ai envie.
Quand il se retourna vers elle, Ellie vit qu’il tenait un gros rouleau d’adhésif
argenté. Il revint, lui posa délicatement la paume à plat sur la poitrine, poussa en
douceur jusqu’à ce qu’elle soit allongée sur le dos et se pencha sur elle.
— J’ai la queue qui enfle, tu te souviens ? Tu m’as tellement excité que je ne
tiendrais pas une minute… et que se passerait-il, d’après toi, si je me mettais à
gonfler dans ta bouche ?
Ellie le dévisagea et imagina la scène.
— Hum… Je n’ose pas imaginer, vu qu’elle est déjà assez énorme… Surtout
que c’est le gland qui enfle.
L’Hybride se décrispa.
— Je risque d’adorer ça, aucun doute là-dessus, mais évite de trop me chauffer
quand on essaie un nouveau truc. J’éjacule fort, Ellie, tu as dû t’en rendre
compte quand je jouis en toi, non ? C’est si violent et abondant que je crains de
te faire suffoquer. Gardons ça pour le deuxième round, d’accord ? Il faut d’abord
que je me calme, sinon tu ne vas pas beaucoup en profiter.
— Et ça, c’est pour quoi faire ? demanda Ellie en louchant sur l’adhésif.
Il sourit jusqu’aux oreilles.
— Donne-moi tes poignets.
— Pourquoi ?
— Maintenant, insista-t-il en se saisissant d’un torchon.
La jeune femme hésita, mais elle lui faisait confiance et lui présenta ses avant-
bras. Rage, tout sourires, lui enroula le torchon autour des poignets puis décolla
la bande adhésive du rouleau avec les dents. Ellie, médusée, vit son amant
employer l’adhésif par-dessus l’étoffe pour lui lier les poignets ensemble.
Toujours allongée sur le plan de travail froid, elle assista au dévidage d’un bon
mètre de bande.
Rage fit le tour de l’îlot central et se retrouva derrière la tête d’Ellie. La jeune
femme eut beau se tordre le cou, il avait quitté son champ de vision. Elle
l’entendit continuer à dévider la bande adhésive… puis sentit une traction
progressive s’exercer sur ses poignets. Rage tira jusqu’à ce qu’Ellie ait les bras
tendus vers lui. Il fit un dernier truc avant de se relever : le rouleau avait disparu.
Ellie tira en vain sur ses entraves. Puis reporta son attention sur Rage qui
paraissait très amusé.
— Je peux savoir ce qui se passe ?
Brandissant le pot de miel, l’Hybride lui écarta les cuisses et se glissa dans la
brèche.
— C’est mon tour.
Ellie se mordit la lèvre et frissonna. Rage commença par lui verser du miel sur
le ventre puis descendit toujours plus bas ; des gouttes lui coulèrent sur
l’intérieur des cuisses. Le colosse lui écarta davantage les jambes en jouant du
bassin. La jeune femme ferma les yeux quand le liquide atterrit sur son sexe
offert.
Rage posa le pot de miel sur le bord du plan de travail et se pencha. Sa bouche
chaude et sa langue partirent à la chasse aux gouttelettes sucrées. Ellie avait très
envie de le toucher, mais elle avait les bras tendus au-dessus de la tête. Le temps
qu’il atteigne la peau sensible, à l’intérieur des cuisses, elle brûlait déjà de désir.
— Rage, implora-t-elle.
— Un peu de patience. J’y suis presque.
— Nooon… Tu me lécheras après, d’accord ? Prends-moi tout de suite…
Il gronda. Ellie rouvrit les yeux et croisa son regard de braise. Il se releva, lui
plaqua les mains sur les cuisses et joua des hanches pour rapprocher leurs deux
sexes. La jeune femme enroula ses jambes autour de la taille de Rage tandis qu’il
la positionnait plus près du bord de l’îlot… et la pénétra presque aussitôt. Ellie
rejeta la tête en arrière et hurla de plaisir.
— Libère-moi, gémit-elle. J’ai envie de te toucher.
Elle eut beau se débattre, le torchon et l’adhésif tinrent bon, et Rage n’avait
pas ménagé assez d’espace pour qu’elle s’en défasse en glissant entre les liens.
Rage l’empoigna par les hanches et commença à la besogner en profondeur, à
un rythme lent mais régulier. Ellie s’agita sur le plan de travail. Elle gémit,
hoqueta, se demanda si elle allait survivre à cet afflux incroyable de sensations.
L’orgasme était déjà tout proche. Il accéléra la cadence, c’était meilleur à chaque
seconde. Ellie serra les jambes autour de sa taille et se plaça un peu plus haut, de
manière que les coups de reins aillent le plus profondément possible.
Elle l’entendit gronder, puis la pression augmenta contre ses parois vaginales
lorsqu’il se mit à enfler en elle. Il la baisait toujours. Ellie était dilatée à
l’extrême. Continuant à la tenir d’une main, il se servit de l’autre pour lui
caresser le clitoris avec le pouce. Ellie jouit comme jamais en poussant de hauts
cris. Rage prit son plaisir et hurla son nom d’une voix caverneuse, le sexe
enfoncé jusqu’à la garde, tremblant des pieds à la tête. Son sperme chaud se
répandit en elle.
— Rage ! gronda une voix masculine.
Ellie rouvrit les yeux. Hébétée, sous le choc, elle vit avec effroi Justice North
ainsi que deux agents de l’OPH débouler dans la cuisine. Le chef des Hybrides
se jeta sur Rage et l’éloigna d’Ellie.
La jeune femme hurla de terreur : les deux colosses se battaient comme des
chiffonniers dans un angle de la pièce. Justice cognait Rage ; Rage, quant à lui,
mobilisait toute son énergie dans l’unique but de se rapprocher d’Ellie. Les
agents en uniforme s’empressèrent d’aider Justice à l’immobiliser. Ils le saisirent
par les avant-bras et l’acculèrent contre le plan de travail. Rage, fou furieux,
envoya valdinguer l’un des types contre un meuble de cuisine. Du verre se brisa.
Ellie, pendant ce temps, s’employait à essayer de descendre du plan de travail
où elle gisait nue. En état de choc et sous l’effet de l’adrénaline, elle tenta une
manœuvre désordonnée en tirant sur ses entraves.
Le mouvement était hélas trop violent et l’angle mal choisi. Ellie se sentit
tomber. Prise de panique, elle ne trouva rien à quoi se rattraper. Sa tempe heurta
de plein fouet l’arête du plan de travail. Une douleur atroce lui explosa dans la
boîte crânienne. Les ténèbres se refermèrent. Juste avant de perdre connaissance,
elle entendit Rage hurler.
— Elliiiiiiiiiiie !
À son réveil, Rage eut la détestable surprise de se retrouver enfermé dans une
cellule du poste de sécurité. Justice faisait les cent pas dans le couloir. Ce qui
s’était passé lui revint en mémoire.
— Où est Ellie ? Comment va-t-elle ? glapit-il en bondissant comme un
ressort et en s’agrippant aux barreaux.
— Chez le médecin, rétorqua Justice, le visage fermé. Tu l’as violée ?
— Non ! grinça Rage. Je t’aurais expliqué la situation si tu ne m’avais pas
assommé après t’être jeté sur moi.
— Tu l’avais attachée et elle hurlait ! rétorqua le chef des Hybrides,
anormalement pâle. Jamais je n’aurais pu croire que tu lui ferais du tort en
sachant à quel point tu tiens à elle… si je ne l’avais vu par moi-même.
— Je ne l’ai pas violée.
Justice gronda.
— C’est pile ce qu’on redoutait quand certains des nôtres se sont mis à céder à
leurs instincts d’animal… Tu en étais conscient, on en a discuté en long et en
large, et pourtant, tu n’as pas su te retenir.
Rage sentit la colère enfler en lui.
— Je suis conscient de me montrer déraisonnable dès qu’il est question d’Ellie
depuis qu’on forme un couple. Ça va bien au-delà du sexe. Ellie est à moi, c’est
vrai, mais jamais je ne lui ferai du mal. Tu te goures sur toute la ligne, Justice.
— Tu as pété les plombs !
Le chef des Hybrides se rua sur les barreaux et montra les crocs à quelques
centimètres du visage de Rage.
— C’est plus fort que nous, c’est ça ? Tu l’aimes, ton Ellie ? Alors explique-
moi pourquoi tu l’as ligotée et pénétrée de force !
— C’est faux, gronda Rage.
Justice lâcha les barreaux et s’éloigna.
— J’ai voulu te faire confiance, mais… (Il secoua la tête.) Tu es le premier
d’entre nous à t’accoupler à une humaine. Et tu as laissé tes bas instincts prendre
le dessus. Nous ne sommes pas entièrement comme eux, merde, quoique nous
puissions dire afin de vivre en paix avec les humains ! Il n’y a pas de caméra ici,
tu peux tout me dire. C’est à ce point-là ? Le besoin de la posséder est si puissant
que tu n’as pas pu faire autrement que la violer ?
— Je ne l’ai pas violée !
Afin d’essayer de se calmer, Rage lâcha à son tour les barreaux, qu’il
étreignait à s’en blanchir les phalanges, et prit un peu de champ.
— Ellie m’obsède, c’est vrai. Je ne vis plus que pour elle. Mon cœur bat pour
elle, Justice. Elle est tout à mes yeux. Je crois même que je suis accro à son
odeur. Quand je ne la sens pas flotter dans l’air, je me sens en manque. Mais
pour autant, jamais je ne lui ferai de mal. Tu fais fausse route.
— J’y croirai quand je l’entendrai de la bouche d’Ellie. Dans l’intervalle, tant
qu’on ignore si tu n’es pas victime d’un quelconque effet secondaire, je suis au
regret de te dire que tu n’as pas le droit de la voir.
Rage se rua sur la porte de sa cellule qu’il secoua en pure perte.
— Fais-moi sortir. Est-elle blessée ? Il faut que je la voie.
— Tu n’iras nulle part tant que je n’aurai pas parlé avec elle. Enfermer une
humaine et la ligoter… tu as perdu la tête, ou quoi ? (Justice gronda doucement.)
Cette femme te rend cinglé ! Je ne sais plus quoi dire. (Il se racla la gorge.)
Comment tu as pu faire un truc pareil ?
— Je ne lui ai fait aucun mal. Tu me connais bien et tu sais qu’elle est tout
pour moi. Jamais je ne m’en prendrai à Ellie. On faisait l’amour.
— Toutes ces années de labo souterrain t’ont rendu dingue, ou quoi ? Attacher
une nana et la violer jusqu’à ce qu’elle hurle de douleur, ça n’a rien à voir avec
« faire l’amour » ! Quelque chose cloche chez toi, mec. Je te laisse. Tu me fends
le cœur.
Justice tourna les talons et s’éloigna à grandes enjambées.
— Justice ? Reviens ! Ouvre cette cage ! Tu te plantes, je ne suis pas fou et
jamais je ne toucherai un cheveu de ma petite Ellie !
Il eut beau secouer les barreaux, ceux-ci tinrent bon.
Rage se retourna et laissa exploser son désespoir. Ellie était blessée ; on lui
refusait d’aller la voir ; son meilleur ami était convaincu qu’il était devenu fou
en s’accouplant à une humaine.
CHAPITRE 15
Ellie sut que quelque chose clochait avant même d’être pleinement réveillée.
Une douleur sourde lui vrillait la tête. Elle ouvrit les yeux et découvrit un
éclairage cru, puis un plafond qu’elle ne connaissait pas. L’angoisse déferla. Où
suis-je ? Qu’est-ce qui s’est passé ? Une silhouette apparut, occultant la source
de lumière.
Ellie reconnut Trisha Norbit et fronça les sourcils. Que fait-elle penchée sur
moi ? Le médecin avait noué ses cheveux en une queue-de-cheval
approximative. Faisant fi des dehors proprets, elle avait l’air inquiète. Ses yeux
bleus étaient rivés sur ceux d’Ellie.
— Tout va bien. Je vous ai administré un antidouleur. Voulez-vous boire un
peu d’eau ?
La grimace d’Ellie s’accentua.
— Qu’est-ce qui m’arrive ?
Trisha, à son tour, fronça les sourcils.
— Vous ne vous souvenez pas ?
Me souvenir de quoi ? La dernière image, c’est… La mémoire lui revint par
bribes. Ellie voulut se relever et chercha désespérément Rage du regard. Elle
avait atterri Dieu sait comment dans cette chambrette… et il n’était pas là.
— Où est Rage ?
— En cellule.
— Pourquoi ?
Trisha s’installa au bord du matelas.
— Justice a appris que le nouveau directeur était venu vous voir. (Elle prit une
profonde inspiration.) Il s’est aussitôt rendu chez Rage afin de savoir ce que
voulait Tom Quish. Il a frappé à la porte, mais comme personne ne venait ouvrir
et qu’il a entendu des cris, il a décidé d’intervenir. En déboulant dans la cuisine,
Justice et ses gars ont vu Rage en train de vous maltraiter. Selon toute
vraisemblance, il vous avait ligotée pour vous empêcher de vous défendre.
— Me… maltraiter ?
Ellie, bouche bée, était si abasourdie qu’il lui fallut plusieurs secondes avant
de reprendre.
— On faisait l’amour…
Trisha se mordit la lèvre.
— Vous vous êtes cogné la tête contre le bord du plan de travail auquel vous
étiez ligotée. Il a fallu que je vous fasse quelques points de suture à la tempe.
(Elle ménagea un silence.) Si vous le souhaitez, je peux faire venir dans l’heure
un psychologue spécialisé dans les agressions sexuelles. Vous n’avez rien de
grave à la tête. Une légère commotion cérébrale, peut-être, mais je me porte
garante de votre intégrité physique. Sur le plan émotionnel, en revanche…
(Trisha prit Ellie par la main.) Vous pouvez tout me dire. J’estime cependant
qu’il est préférable de consulter un spécialiste des agressions sexuelles. Personne
n’en saura rien. Justice North est dans la salle d’attente, il souhaite s’entretenir
avec vous dès que vous y consentirez. Il a fait le serment de punir sévèrement
Rage pour ce qu’il vous a fait subir, mais si vous préférez que ce soit la police du
monde extérieur qui prenne le relais dans cette affaire, il se dit prêt à leur livrer
Rage. Le choix vous appartient.
Ellie retira vivement sa main.
— Justice ! hurla-t-elle.
La porte s’ouvrit à la volée. Justice avait piteuse allure : chemise déchirée,
lèvre tuméfiée, cocard à un œil, vilain bleu au niveau du front. Il s’immobilisa
sitôt le seuil franchi.
— Libérez-le immédiatement, dit Ellie d’une voix rendue tremblante par
l’effet conjugué de la colère et de l’effroi. Il ne m’a fait aucun mal, mais vous, si.
Laissez sortir Rage, bordel !
La jeune femme s’entendait vociférer mais n’en avait cure.
— Qu’est-ce qui vous prend, tous ? Rage ne m’a pas violée !
Justice blêmit. Il ouvrit la bouche ; aucun son n’en sortit.
Ellie souleva la couverture sous laquelle elle était couchée… et fut soulagée
d’être vêtue. Elle n’en savait rien avant de lancer ses jambes à l’assaut du sol.
Quelqu’un lui avait passé un pyjama deux-pièces bouffant et rose pâle. Elle posa
les pieds par terre. La douleur qui fusa dans son crâne lui fit presque regretter de
quitter le lit lorsqu’elle se leva d’un bond.
— Tout doux, ordonna Trisha en l’attrapant par un bras. Vous êtes sous
sédatifs ; restez allongée.
Ellie se dégagea d’une ruade et concentra son courroux sur Justice. Elle
réussit à faire un pas… puis ses genoux cédèrent. Trisha la rattrapa comme elle
put, mais les deux femmes allaient dégringoler ensemble quand Justice, d’un
bond, les retint in extremis. Fort comme un bœuf, il parvint à orienter leur chute
de façon qu’elles retombent sur le matelas. Ellie s’y effondra la première, suivie
de près par Trisha qui se reçut en douceur juste à côté. Ellie, au bord des larmes,
resta étendue à foudroyer du regard le chef des Hybrides.
— Il n’abusait pas de moi ! Comment avez-vous pu penser un truc pareil ?
Justice marqua un temps.
— Vous étiez attachée et vous hurliez… C’est sa faute, si vous êtes blessée.
Ellie sentit les larmes rouler sur ses joues.
— On faisait l’amour et c’était génial jusqu’à ce que vous vous jetiez sur lui,
salopard ! On s’éclatait, on riait, et d’un seul coup… (Sa voix se brisa.) C’est
votre faute si je me suis fait mal, pas la sienne. La vôtre. Tout se serait passé à
merveille si vous n’aviez pas débarqué, attaqué Rage. C’est à cause de vous que
ma tête a heurté le plan de travail.
Justice recula d’un pas et passa de blême à livide.
— Mais… mais vous hurliez quand j’ai frappé à la porte… Et vous étiez
ligotée quand on a débarqué…
Ellie se tourna vers Trisha.
— Leurs femmes ne crient jamais, quand elles jouissent ?
La praticienne haussa les épaules.
— Aucune idée… Mais certaines d’entre nous le font, c’est une certitude.
— Il vous avait attachée, rappela Justice à voix basse.
— C’était un jeu, vous êtes sourd ou quoi ? Un jeu très excitant. Personne n’a
remarqué qu’il m’avait passé un torchon autour des poignets pour que l’adhésif
ne m’arrache pas la peau ? Vous croyez vraiment que les violeurs prennent des
gants avec leurs victimes ? (Les larmes chaudes redoublèrent.) Où est-il ? Vous
lui avez fait mal ? Libérez-le. Je veux le voir. Immédiatement.
— Je m’en charge, répondit Justice.
Il fit volte-face et claqua la porte en sortant.
Ellie, toujours en larmes, se détourna et se couvrit la figure. Elle sentit qu’on
lui frottait le dos : c’était Trisha qui s’efforçait de la réconforter. La jeune femme
renifla.
— Ils ont fait du mal à Rage ?
— Je n’en sais rien, avoua Trisha. Je me suis occupée d’un des agents qui sont
intervenus. Rage ne s’est pas avoué vaincu avant d’avoir distribué quelques
coups.
« Avoué vaincu » ? Alarmée par cette nouvelle, Ellie se redressa, sécha ses
larmes et dévisagea la jeune femme.
— Mais vous n’avez pas été appelée au chevet de Rage ? Ça veut dire qu’il
n’a rien ?
Trisha hésita.
— Désolée, je n’en sais vraiment pas plus. S’il avait été gravement touché,
j’imagine qu’on l’aurait conduit ici ou qu’on aurait appelé une ambulance…
— Mon Dieu ! gémit Ellie. C’est quoi, ce délire ? On s’éclatait, on faisait
l’amour… et boum.
Elle secoua la tête et le regretta aussitôt.
— Vivre notre vie peinards, c’est trop demander ?
La physionomie de Trisha s’adoucit.
— Personne ne sait à quoi s’attendre. Je suis certaine que M. North et ses
deux agents ont cru vous sauver.
— Me sauver… de Rage ? glapit Ellie, indifférente aux larmes qui
recommençaient à lui inonder les joues. Jamais il ne me ferait du mal…
Trisha prit la main d’Ellie dans les siennes.
— Je suis désolée.
Sans crier gare, la porte s’ouvrit avec fracas. Ellie et Trisha sursautèrent ; Tom
Quish déboula en trombe. Son regard passa d’une jeune femme à l’autre.
— Qu’est-ce qui se passe, ici ? C’est le bordel, si j’en crois la sécurité : on
m’a dit qu’un Hybride est sous les verrous et que Mlle Brower, inconsciente, a
été portée à l’infirmerie par deux agents de l’OPH qui, selon toute
vraisemblance, ont été pris dans une bagarre.
Génial, songea Ellie. Vraiment super. Les mots lui manquèrent. Le nouveau
directeur venait d’apparaître au générique de son pire cauchemar.
Trisha lâcha la main d’Ellie.
— De quel droit osez-vous débarquer chez moi ? C’est ma chambre ici,
directeur Quish. Quant à ce que vous venez d’évoquer, il s’agit d’un regrettable
incident, rien de plus.
Elle fit rempart de son corps entre Ellie et le vieil homme, qui parut navré.
— Que s’est-il passé ? reprit-il, l’air plus calme.
Trisha bomba le torse et posa un regard noir sur le directeur.
— C’est très simple : un intrus s’est faufilé dans l’enceinte, au nez et à la
barbe de vos vigiles, et a effrayé Mlle Brower. Elle s’est mise à hurler. M. Rage,
M. North et deux de ses agents étaient sur place, mentit Trisha. Je vous ai dit que
j’avais repéré ce matin un imbécile muni d’un appareil photo rôdant aux abords
de la clinique. C’est sûrement le même type. (Elle tourna la tête vers Ellie et lui
adressa un signe de connivence.) Le gars que vous avez vu par la fenêtre, était-ce
un petit blond, vêtu d’un jean et d’un polo vert ?
Abasourdie de voir une quasi-inconnue raconter des bobards afin de protéger
ses petits secrets, Ellie la dévisagea puis parvint à acquiescer.
— Ça ressemble en effet au mec qui m’a fait si peur…
Le vieil homme fronça les sourcils.
— Et pourquoi diable M. Rage est-il sous les verrous ?
Le soulagement se lut sur les traits de Trisha avant qu’elle se retourne vers
Quish.
— Parce qu’il s’est lancé à la poursuite de ce salopard dans l’intention de le
tuer, pardi. Sous l’effet de la frayeur, Mlle Brower a reculé précipitamment. Sa
tête a heurté un meuble de cuisine. Le choc l’a mise KO. Vous savez à quel point
les Hybrides sont protecteurs envers les femmes ; Ellie est son invitée, et voilà
qu’un abruti muni d’un flash provoque un grave accident sous ses yeux. Il a un
peu pété les plombs. Leur instinct animal les rend redoutables pour ce qui est de
donner la chasse, je ne vous apprends rien. M. North a estimé… malvenu… de
laisser son adjoint tuer un intrus humain. Dans le feu de l’action, il a fallu
intervenir de manière assez musclée. M. Rage a été placé en cellule le temps
qu’il recouvre son calme.
— C’est exact, intervint Slade.
Adossé au chambranle, l’Hybride avait délaissé l’uniforme des forces de
sécurité de l’OPH au profit d’un jean et d’un débardeur noir. Il reprit :
— Je passais dans l’intention de prendre la déposition de Mlle Brower à
propos du type qu’elle a aperçu par la fenêtre. Si vous voulez bien nous excuser,
monsieur le directeur, je ne suis pas en service, mais j’aimerais recueillir son
témoignage aussi vite que possible. Vous pourriez dire à vos gars de retrouver
cet intrus avant qu’il ne provoque d’autres incidents ?
Ellie épia Tom Quish et vit qu’il était piqué au vif.
— Très bien. Si telle est la version que vous avez tous envie de raconter, je
m’y range. (Il posa un regard soucieux sur Ellie.) Comment vous sentez-vous,
mademoiselle Brower ? Je peux faire quelque chose pour vous ?
— Ça ira, promit-elle à voix basse. Merci pour votre sollicitude.
Le vieil homme tourna les talons et quitta la pièce. Ellie dévisagea Trisha ;
elle n’en revenait toujours pas de l’avoir entendue mentir avec un tel aplomb. Le
médecin haussa les épaules.
— Je vous ai dit que vous pouviez me faire confiance.
Slade poussa un gros soupir.
— Je m’installe dans le salon, histoire de faire barrage si jamais quelqu’un
d’autre a l’idée de débarquer. (Son regard glissa jusqu’à Ellie.) Rage ne devrait
pas tarder. Il est furax comme pas permis, mais indemne.
Puis il adressa un grand sourire à Trisha.
— Vous mentez super bien, doc.
Slade se fendit d’un clin d’œil puis sortit à son tour et referma la porte. Les
épaules de Trisha s’affaissèrent ; elle retourna s’asseoir à côté d’Ellie.
— Ce n’est pas mon fort, d’habitude… Je n’ai pas été trop mauvaise ?
— Au contraire ! Quish est parti. C’est une preuve, non ?
Trisha posa un regard insistant sur Ellie.
— Ménagez-vous pendant deux ou trois semaines. Vous n’y êtes pas allée de
main morte, contre ce plan de travail ; au premier signe de migraine, de vertiges
ou d’inconfort, n’hésitez pas à m’appeler sur-le-champ. Quand je parle de vous
ménager, abstenez-vous par exemple de tout rapport sexuel pendant une bonne
semaine. Restez au calme et évitez toute activité physique. Et gardez la région
suturée aussi sèche que possible. J’ai utilisé du fil qui se dissout tout seul, il ne
me sera pas nécessaire d’ôter les points. La plaie est propre ; elle ne devrait pas
laisser de vilaine cicatrice.
— Formidable, grommela Ellie, incapable de masquer l’amertume qu’elle
éprouvait à l’énoncé de ces nouvelles.
— Puis-je vous poser quelques questions ?
— Du genre ?
— Eh bien, commença Trisha tout en ajustant sa position au bord du lit, j’ai
épluché les rapports concernant la physiologie des Hybrides… et il se trouve que
M. Rage a de l’ADN canin. Il est écrit qu’ils ont le pénis qui enfle pendant
l’acte. (Elle ménagea un silence.) Est-ce douloureux ?
— Non. (Ellie secoua la tête.) C’est ahurissant, ce qui vient d’arriver…
— Combien de temps devez-vous patienter avant que le gonflement
s’estompe ?
Ellie fronça les sourcils.
— Je vous en prie… C’est important.
— Comment ça, important ? Afin de rencarder les autres femmes qui
décideraient de coucher avec un Hybride ?
Trisha hésita.
— C’est… plus personnel encore. Je suis attirée par l’un d’eux.
— Ah d’accord, se détendit Ellie. Rassurez-vous, ce n’est pas douloureux du
tout. Il suffit d’attendre quelques minutes. Trois, je dirais.
— Je vous remercie. D’autres surprises auxquelles s’attendre ?
— Je l’aime plus que ma propre vie.
Trisha se leva.
— Vous pouvez rentrer chez lui mais n’oubliez pas ce que je vous ai dit à
propos des maux de tête. M. Rage devra vous réveiller toutes les deux ou trois
heures afin de vérifier que tout va bien. Dites-lui bien de me contacter au
moindre signe alarmant. Je vais vous donner des antalgiques qui vous aideront à
supporter la douleur.
— Merci, docteur Norbit.
— Appelez-moi Trisha, dit-elle avant de sortir.
Ellie entendit des voix quelques minutes plus tard. La porte s’ouvrit à la
volée ; Rage entra au pas de charge. La jeune femme hoqueta : le visage couvert
de bleus, il portait un tee-shirt tout déchiré qui n’était a priori pas à lui.
L’Hybride traversa la chambre en trois enjambées sans s’être donné la peine de
refermer. Il prit place avec précaution au bord du matelas, se saisit d’Ellie tout
aussi délicatement, la souleva puis la cala sur ses genoux avant de la serrer
contre sa poitrine.
— Tu vas bien ?
Ellie lui passa un bras autour du cou. Il avait un œil au beurre noir qui n’était
pas gonflé au point d’être occulté. Elle fit l’inventaire de ses plaies et bosses, lui
effleura le visage d’une main tremblante et posa sa paume au seul endroit qui
paraissait indemne.
— On m’a fait quelques points de suture. Et toi, ça va ? Qu’est-ce qui s’est
passé ?
— Ils ont voulu m’empêcher de te rejoindre, voilà tout, gronda-t-il. (Ses yeux
se posèrent sur la tempe d’Ellie.) Il y a vraiment des points de suture, sous ce
pansement ?
— Quelques-uns. Rien de méchant.
La main d’Ellie quitta la joue de Rage pour son tee-shirt déchiré. Elle tira sur
le col afin de jeter un coup d’œil sur ce que l’étoffe cachait et vit qu’il avait le
torse constellé de marques rougeâtres. Son regard horrifié remonta jusqu’aux
yeux noirs du colosse.
— Ce n’est rien. Un incident de plus à mettre au compte des soucis de
communication.
— Tu minimises, rétorqua Ellie en réprimant un sanglot.
Rage la serra un peu plus fort.
— C’est vrai, mais le problème est réglé. Et j’en retire une leçon importante.
— Laquelle ?
— Que le prochain coup, on a grand intérêt à se barricader.
Ellie esquissa un sourire pour le récompenser d’avoir tout fait pour alléger
l’ambiance.
— Rentrons à la maison. Trisha m’a donné son feu vert. Elle est partie me
chercher des antalgiques pour la nuit. Nous voilà privés de galipettes pour une
semaine, et tu es censé me réveiller toutes les deux heures pour t’assurer que tout
va bien.
Rage fit la grimace.
— Toute une semaine ? (Son regard s’adoucit.) J’y survivrai, beauté,
l’essentiel, c’est que tu n’aies rien de grave. Tu m’as flanqué la frousse de ma
vie en criant puis en tombant… Tu ne bougeais plus… et j’ai senti l’odeur de ton
sang.
— Ça va aller.
L’Hybride se releva en soulevant Ellie au creux de ses bras.
— Rentrons.
Ellie posa la joue contre son épaule et lui passa son autre bras autour du cou.
Elle allait sortir vêtue d’un pyjama d’emprunt – et celui lui était égal qu’on la
voie ainsi. Rage avança jusqu’à la porte qu’il ouvrit complètement à l’aide d’un
pied. Justice, Slade et Trisha patientaient dans le salon.
— Désolé, s’excusa Justice à mi-voix. Si j’avais su, jamais je ne me serais rué
dans cette cuisine. (Il regarda Rage dans les yeux.) Au fond de moi, je te savais
incapable de faire du mal à Ellie, mais après le premier incident, je me suis mis à
douter de toi.
— Un premier incident ? releva Trisha, un sourcil arqué. De quelle nature ?
Ellie soupira.
— Encore un malentendu, Trisha. Je vous expliquerai un autre jour.
Trisha exhiba une boîte de médicaments qu’elle tendit au couple.
— Je m’en charge, proposa Slade en se saisissant des médocs. Je les reconduis
en bagnole. Ça ferait jaser, si quelqu’un voyait Rage portant une humaine en
pyjama…
— Un comprimé toutes les quatre à six heures, précisa le médecin.
Slade hésita.
— Tu veux que je la porte à ta place, mec ? Ça dérouille comme pas permis,
les impacts de Taser.
— T’occupe, grogna Rage.
Slade ouvrit la porte et s’effaça. Rage sortit et obliqua vers la voiture garée à
l’angle de l’allée ; l’agent de l’OPH leur ouvrit la portière arrière. Rage se glissa
à l’intérieur sans lâcher Ellie, en prenant soin qu’elle ne se cogne pas au passage.
Le choc du colosse contre la banquette fut cependant assez violent pour réveiller
les élancements dans la boîte crânienne de la jeune femme, qui poussa un petit
gémissement.
Rage gronda. Ellie lui frotta la nuque comme elle put.
— Ça ira. J’ai un peu mal à la tête, c’est tout.
L’Hybride, confus, la serra contre lui. Ellie, quant à elle, eut un choc en
prenant la mesure de ce qui venait de leur arriver. Comment une soirée si bien
commencée avait-elle pu dégénérer à ce point ? Craignant d’accentuer le
désarroi de Rage, elle refoula ses larmes.
Ellie sourit aux jeunes Hybrides assemblées dans la cuisine du dortoir. Huit
nouvelles, arrivées ce matin même. Les découvrir sur le seuil du bâtiment, avec
leurs valises, lui avait fait un choc. Brise était à ses côtés au moment de les
accueillir.
— Elles sont minuscules, avait soufflé Ellie.
— En effet, avait répondu Brise, le visage fermé.
Ellie avait levé les yeux vers son adjointe.
— Je croyais que vous étiez toutes bâties sur le même modèle…
Brise avait marqué un temps d’hésitation.
— Nous sommes… des prototypes expérimentaux, Ellie. On nous a rendues
plus fortes, plus endurantes, afin de pouvoir encaisser les molécules conçues
pour rendre les humains plus costauds. Si Justice nous a envoyées ici les
premières, c’est précisément parce que nous sommes solides. Dures au mal.
Celles-ci… (Le regard de Brise s’était porté sur les huit arrivantes.) Celles-ci
n’ont vraiment pas eu de chance.
— Comment ça ?
— Plus tard, avait murmuré Brise.
Ellie leur avait montré leurs chambres. Elles étaient désormais réunies dans la
cuisine pour un topo d’introduction. C’était étrange, de côtoyer des Hybrides de
son gabarit, voire plus petites qu’elle, après tout ce temps passé en compagnie
d’amazones de haute stature ! La taille des nouvelles s’échelonnait entre un
mètre cinquante et un mètre soixante. Leur ossature, quant à elle, était aussi frêle
que chez une humaine menue ; seule la forme du visage permettait de déceler
leur statut d’Hybride. Elles paraissaient en outre timides et réservées,
contrairement à Brise et ses semblables. Ellie sourit dans l’espoir de les mettre à
l’aise.
— Je sais que ça paraît insurmontable, mais croyez-moi, d’ici une semaine,
vous saurez toutes faire la cuisine et utiliser les appareils qui se trouvent autour
de nous.
Une petite blonde aux grands yeux gris leva la main.
— Oui ? dit Ellie, souriant toujours.
La blonde se mordit la lèvre.
— Vous êtes des nôtres ?
Ellie secoua la tête.
— Je ne suis pas une Hybride.
Elle jeta un coup d’œil à Brise, restée auprès des nouvelles depuis leur arrivée
au dortoir.
— Ellie est une humaine pur jus – mais une gentille, affirma l’amazone d’une
voix douce. C’est la mascotte du dortoir, renchérit-elle avec un clin d’œil à
l’intéressée. On l’appelle notre caniche. Vous savez, ces petits chiens tout
mignons qui ont le poil bouclé ?
La blonde eut l’air choquée et braqua ses grands yeux sur Ellie.
— Vous n’êtes pas fâchée d’être traitée de mascotte ?
— Pas du tout, gloussa Ellie, je sais que c’est affectueux. Comment vous
appelez-vous ?
— Demi-portion, répondit la blonde après une courte hésitation.
Ellie eut un regard pour Brise qui haussa les épaules. Cette énigme-là devrait
attendre – comme le petit millier d’autres. Autant enchaîner.
— D’autres questions ?
— Je peux ? demanda Demi-portion à Brise.
L’amazone soupira.
— Bien sûr, vous êtes libres, désormais, plus la peine de demander la
permission à tout bout de champ. Il n’y a plus lieu d’avoir peur, Demi-portion.
Pose toutes les questions que tu voudras.
Demi-portion se crispa ; elle prit un air apeuré et s’adressa à Ellie.
— Ce que vous comptez nous apprendre… c’est pour qu’on devienne
meilleures dans ce qu’on faisait avant ?
— Non, grinça Brise. C’est du passé, tout ça. Vous êtes libres, vous
comprenez ? Ellie va vous enseigner à vous débrouiller par vous-mêmes dans
une maison, comme le font les humains. Leurs femmes apprennent à faire la
cuisine et à faire marcher toutes ces machines. (L’amazone se leva d’un bond.)
J’ai besoin de prendre l’air, dit-elle en prenant congé précipitamment.
Ellie, confuse, la regarda partir. La situation lui échappait. Les yeux gris de
Demi-portion étaient emplis de larmes. Ellie s’approcha d’elle.
— Ce n’est rien, beaucoup de nouveautés à la fois, c’est tout. Ça va aller ?
— Je l’ai fâchée, balbutia Demi-portion en séchant ses larmes.
Ellie se rangea à cet avis après un coup d’œil dans la direction prise par Brise.
— Que voulais-tu dire par « ce qu’on faisait avant » ?
De plus en plus apeurée, la petite blonde se détourna brusquement et se jeta
dans les bras d’une autre arrivante qu’elle étreignit avec force. Ellie prit
conscience qu’elles avaient toutes très peur, mais de quoi ? Jamais elle n’avait vu
une Hybride se comporter ainsi. Elle recula. Les aurait-elle effrayées en venant
trop près ?
— Si vous alliez déballer vos affaires, les filles ? Inutile de brusquer les
choses le premier jour, et ça vous donnera l’occasion de rencontrer les autres
pensionnaires. J’ai collé un mot sur la porte de votre chambre où figure l’heure
des repas. Si vous avez des questions, je suis dans les murs jusqu’à 17 heures.
Les autres nanas pourront vous venir en aide de jour comme de nuit.
Ellie assista au départ précipité de la petite troupe puis partit en quête de son
amie Brise. L’apercevant par une fenêtre du salon, elle sortit du bâtiment.
L’immense amazone avait pris place sur un banc, à l’ombre d’un arbre, dans le
jardin situé devant le dortoir. Ellie s’installa à côté d’elle.
— Je peux en savoir plus ?
Brise lissait compulsivement le gazon avec son pied nu.
— C’est ce qu’on leur a fait subir ; ça me met hors de moi. Les toubibs ont
fait d’elles des êtres faibles à dessein. Ces filles ont la trouille de te poser une
question… et tu as entendu ce qu’a dit la petite blonde, à propos d’avant ? J’ai
eu beau leur répéter cent fois que c’était fini et bien fini, toute cette merde, elles
continuent à vivre dans la terreur, convaincues qu’on leur a menti – et qu’elles
vont devoir y retourner.
— Je ne pige pas.
Quand Brise leva la tête, Ellie vit qu’elle avait la larme à l’œil.
— Ils leur ont collé des gènes d’animaux domestiques pour les rendre petites
et malingres. Pas pour qu’elles servent de cobayes, oh ça non. Ça n’avait rien à
voir avec la recherche scientifique. Elles ont été créées pour qu’on abuse d’elles.
Ellie, interdite, croisa les bras.
— Comment ça ?
Brise sécha une larme qui lui avait coulé sur la joue et baissa la tête.
— Des cadeaux. Les médecins ont fabriqué des esclaves sexuelles, offertes
aux fumiers qui avaient financé les labos souterrains. Et qui ont été revendues à
des salopards assez friqués et pervers pour avoir envie de se taper un animal
ayant l’air suffisamment humain pour les faire bander. S’ils les ont créées petites
et frêles, c’est pour qu’elles soient incapables de se défendre.
— Dieu du ciel, murmura Ellie en se sentant blêmir. Dis-moi que ce n’est pas
vrai…
Brise secoua la tête.
— Seules quelques-unes ont été libérées. Justice poursuit les recherches avec
l’aide du gouvernement américain. Pour la plupart de celles qui ont été
retrouvées grâce aux transactions financières, hélas, les secours sont arrivés trop
tard… Les types appréhendés ont avoué qu’ils les avaient maltraitées jusqu’à ce
que mort s’ensuive. Les huit nouvelles sont les moins malingres et les plus
résistantes. Elles ont survécu au pire.
— Je crois que je vais vomir…
L’Hybride la regarda dans les yeux.
— À qui le dis-tu ! Les pauvres petites ont été livrées à des barjos zoophiles et
à la lie du genre humain. Des assassins qui ont avoué battre leur esclave à
mort… ou la regarder crever de faim.
Ellie se félicita de n’avoir rien pris au petit déjeuner, faute de quoi elle aurait
dégobillé sur l’herbe.
— Et donc, quand la petite blonde m’a parlé de leur vie d’avant… à quoi
pensait-elle ? Que je suis là pour faire d’elles de meilleures…
Elle dut fermer la bouche ; la bile menaçait de refluer.
— De meilleures esclaves, gronda Brise.
— Les fumiers.
L’amazone acquiesça.
— Je sais que je n’aurais pas dû m’énerver, mais ça me met hors de moi. J’en
ai bavé, Ellie, tu peux me croire. Nos vies étaient un enfer… mais ces
malheureuses ont subi cent fois pire. Plusieurs vigiles ont tenté de me violer. Je
ne me suis jamais laissé faire, et j’ai même réussi à en tuer un. Pour l’essentiel,
le personnel s’efforçait de nous protéger contre ce genre de merde. Ça n’arrivait
pas souvent, d’ailleurs. Nous étions trop précieuses pour qu’ils laissent un abruti
nous abîmer ; je l’ai souvent entendu dire. Quand les types du labo nous
obligeaient à avoir des rapports sexuels avec les mâles de notre espèce, ça se
passait toujours sans violence. Dans la dignité et le respect mutuel. Les pauvres
petites, elles, n’ont pas eu droit à ce genre d’égard de la part de leurs violeurs.
Ellie se leva. Ses jambes flageolaient.
— Je vais faire mon possible pour gagner leur confiance, mais ça ne va pas
être facile…
Brise se leva à son tour et lui adressa un sourire sans joie.
— Ta petite taille pourrait être un atout. Demi-portion a d’abord cru que tu
étais des leurs.
Les deux femmes réintégrèrent le bâtiment. Ellie avait le moral au plus bas.
Chaque fois qu’elle pensait avoir touché le fond en matière d’atrocités infligées
aux Hybrides, une nouvelle monstruosité se présentait.
Ellie faisait les cent pas, les yeux rivés sur les types présents autour d’elle. Pas
moins de sept agents de l’OPH lui tenaient compagnie dans la salle d’attente
privatisée ; l’hôpital l’avait mise à leur disposition dès qu’il avait été manifeste
que l’escorte en armes avait pour mission de veiller sur Ellie. D’autres agents
faisaient le guet à l’entrée de la salle d’opération où Rage était entre la vie et la
mort.
— Il vit toujours, assura Justice.
La jeune femme fit un signe de la tête au chef des Hybrides, au téléphone avec
l’un des agents en faction devant la salle d’opération. Il voyait ce qui se passait à
l’intérieur et livrait des détails au fur et à mesure. Ellie savait gré à Justice
d’avoir songé à ce dispositif qui lui permettait d’être tenue informée. Comment
diable faisaient les gens pour attendre sans rien savoir quand un être cher était au
bloc ?
Slade entra et se dirigea droit vers Ellie, à qui il tendit un gros gobelet en
plastique avec couvercle. Une paille en dépassait. Ellie s’obligea à sourire.
— Le café ne se boit pas à la paille, mais merci quand même.
— C’est du café glacé, répondit Slade, souriant à son tour. Vous tremblez trop
pour avoir droit à un café chaud. Rage me botterait le cul si je vous laissais vous
brûler.
Les larmes aux yeux, Ellie se fendit d’un vrai sourire.
— Merci. C’est gentil.
Il hocha la tête puis se tourna vers Justice qui, toujours au téléphone, éloigna
le combiné de sa bouche.
— Je t’écoute.
Slade soupira.
— Les trois tireurs ont été retrouvés. L’un d’eux a survécu, malheureusement.
La police m’a dit qu’il s’agit d’un humain tellement bête qu’il crache tout. Il dit
appartenir au groupe terroriste Race pure.
Justice s’offusqua bruyamment.
— Dire qu’on n’est pas censés les traiter de terroristes… Continue.
— Ils ont eu vent de la conférence de presse et se sont fait passer pour des
photographes. Ce ne sont pas nos gars qui ont assuré la sécurité, gronda Slade. Il
semblerait qu’aucun de ceux qui se sont présentés avec une carte de presse n’a
été fouillé.
— À compter d’aujourd’hui, décréta Justice, c’est nous qui nous chargeons de
la sécurité des nôtres.
Slade acquiesça.
— Comment va Rage ?
— Il survit. Deux de nos gars sont compatibles. Traqueur et Pénombre sont en
train de donner leur sang.
Ellie tendait l’oreille en sirotant son café. Elle dut admettre qu’ils s’étaient
tous montrés formidables envers elle. Ils veillaient sur elle et sur Rage. Les
Hybrides étaient venus en nombre à l’hôpital afin de trouver un maximum de
donneurs compatibles. Le sang humain aurait pu faire l’affaire, mais Justice lui
avait expliqué que celui des leurs était préférable en raison de sa composition
spécifique.
La jeune femme se remémora son arrivée à l’hôpital. Justice l’avait conduite
dans une salle de bains, s’était efforcé de la calmer et lui avait promis que tout
serait fait pour tirer Rage d’affaire. Ce faisant, il l’avait orientée vers un lavabo.
Ellie était en état de choc. Il lui avait lavé les mains comme on le fait à un petit
enfant puis lui avait tendu des affaires achetées à son intention, qui portaient
encore les étiquettes. Justice était sorti le temps qu’elle ôte ses fringues
poisseuses et ne l’avait pas quittée d’une semelle depuis lors. Elle reporta son
attention sur lui : il reprenait le fil de sa conversation téléphonique.
— Je t’écoute. Où ça en est ?
Ellie crut défaillir en voyant Justice fermer les yeux après avoir coupé la
communication. Transie d’effroi, elle resta rivée sur lui jusqu’à ce qu’il rouvre
les yeux. Il se tourna vers elle.
— Il est vivant, Ellie. Les deux balles ont été extraites. L’hémorragie est sous
contrôle, les paramètres sont bons. Trisha est catégorique : sauf complication
imprévue, il est tiré d’affaire.
Les larmes ruisselèrent sur les joues d’Ellie quand elle prit conscience que
Rage était sauvé. Elle hocha la tête, mais refusa d’y croire tout à fait tant qu’elle
ne l’aurait pas vu. De longues heures s’écoulèrent avant que le blessé soit
transféré aux soins intensifs. Les agents de l’OPH furent autorisés à veiller sur
lui depuis la salle d’observation voisine de sa chambre.
Ellie se massa le cou, épuisée, mais refusa d’aller dormir. Elle gardait les yeux
rivés sur Rage à travers la paroi vitrée depuis cette même salle d’observation ; on
ne lui accordait que quelques minutes de temps en temps à son chevet. Un toubib
qui n’était pas Trisha surveillait l’état du blessé.
La scène en rappela d’autres à Ellie : toutes ces fois où elle avait épié le
sujet 416 derrière une vitre sans tain, quand il était captif du labo clandestin.
L’envie de pleurer revint en force : quel déchirement c’était, de voir un homme
d’ordinaire si vigoureux étendu et inconscient…
Justice était assis dans un angle. Quelqu’un lui avait apporté un ordinateur
portable ; l’oreillette de son téléphone était en place. Il chuchotait quelques mots
à son interlocuteur de temps à autre. Ellie l’épia du coin de l’œil : lui arrivait-il
de cesser de travailler ? Puis elle reporta son attention sur Rage qui, derrière la
vitre, paraissait dormir. Le docteur vérifia les paramètres du patient puis sortit
dans le couloir.
— Ellie ? lança Justice à voix basse.
— Oui ? dit l’intéressée en se retournant.
Justice lui souriait timidement.
— Il va s’en sortir. Je vous l’ai dit, Trisha a donné l’ordre qu’il reste sous
sédatifs. Il est pénible de rester étendu pour un Hybride, l’immobilité ne nous
vaut rien. Mieux vaut le laisser dormir et récupérer : dès qu’il ouvrira un œil, il
voudra se lever à tout prix. De vraies têtes de mule, tous autant que nous
sommes…
— Je le sais bien, mais je n’arriverai pas à fermer l’œil tant que je n’aurai pas
entendu le son de sa voix.
— Je comprends. Je suis au courant, pour cette affaire de mariage. Rage s’en
est ouvert ? Il m’a dit qu’il comptait se jeter à l’eau…
— Oui, avoua Ellie en se rasseyant. On en a parlé hier soir.
— Il vous aime, vous le savez, j’imagine ?
— C’est réciproque. Rage est toute ma vie.
— J’avais deviné, ça transparaît chaque fois que vous le regardez. (Il marqua
une pause.) Enfants, nous n’avions jamais rien qui soit vraiment à nous. Rage
vous en a parlé ? Du coup, mieux valait ne pas s’attacher à un objet
quelconque… Il se trouvait toujours un surveillant, ou un laborantin, pour nous
confisquer ce que nous avions eu la faiblesse de chérir un temps. Pour nous
punir, ou simplement nous faire du mal. Le mariage est, pour lui, synonyme de
sécurité. Il voit cela comme l’autorisation de vous garder jusqu’à sa mort. Vous
lui appartiendrez ; jamais personne ne pourra vous enlever à lui. Je tenais à ce
que ce soit très clair. Si vous l’épousez, c’est pour toujours. N’acceptez qu’en
parfaite connaissance de cause.
— Je le sais.
Justice plissa les yeux.
— Il ne voudra jamais entendre parler de divorce, vous comprenez ? Ça le
tuerait. À ses yeux, le mariage est une union définitive. C’est un vœu qui signifie
qu’il n’a plus à redouter de vous perdre. Il est prêt à tuer comme à mourir pour
vous protéger, et vous aime de tout son être. Je me suis renseigné sur les
mariages entre humains. Sur ce plan-là, nous sommes très différents. Rage est
d’une loyauté indéfectible. Laissez-vous séduire par un autre homme et vous
signerez son arrêt de mort. Nous sommes possessifs à l’extrême. C’est viscéral,
comme l’ADN qu’on a fourré dans nos cellules : les changements qu’on nous a
fait subir ne sont pas uniquement physiques. Nous sommes des protecteurs
teigneux, jaloux de ce que nous tenons pour acquis. J’ignore si Rage vous a
expliqué tout ça, mais j’y tenais, car quand l’un d’entre nous s’accouple, c’est
pour la vie. Ce lien-là est déjà en lui ; s’il s’est retenu jusqu’ici, c’était pour lui
permettre d’accepter l’idée que vous puissiez le quitter.
— Je vous remercie, Justice, mais il est vain d’essayer de me faire peur. Je
l’aime. Je n’ai nulle intention de divorcer un jour… et encore moins de le
tromper !
Ellie n’était pas vexée : Justice s’efforçait honnêtement de lui faire
comprendre ce que serait sa vie si elle épousait Rage.
— Je ne désire qu’une chose, reprit-elle. Passer toute mon existence auprès de
lui. Jour après jour, seconde après seconde.
— Il vous arrivera d’avoir peur. Un Hybride grogne, gronde, domine. Nous
avons beau essayer de nous restreindre, c’est pire depuis qu’on est libres. Le
combat est permanent entre nos parts animale et humaine, Ellie. Je sais à quel
point les femmes sont éprises d’indépendance. Les nôtres le sont aussi… mais
elles nous comprennent. Savent ménager notre susceptibilité. Je tenais à ce que
vous sachiez tout ça, Ellie. Rage ne fera jamais exprès de vous heurter ou de
froisser votre fierté. C’est tout simplement dans sa nature de se montrer
hargneux et de vouloir contrôler la situation.
— Comme la fois où il a refusé à ma place que je reprenne mon travail ? dit
Ellie, que ce souvenir fit sourire.
— Il a fait ça ? Vous l’avez repris, pourtant…
— Il a fini par me demander si je voulais rempiler. Mais sa réaction initiale
m’avait mise en rogne.
Justice esquissa un sourire.
— Je m’en doute. Même si, le connaissant, c’était pour vous protéger.
— Je sais.
— Vous connaissez bien nos différences, on dirait.
— En effet.
Le chef des Hybrides hésita.
— Puis-je vous poser une question très indiscrète ?
— Bien sûr. Je vous écoute.
— Pourquoi vous avoir attachée ?
M’avoir attachée ? Un instant interdite, Ellie comprit ce à quoi il faisait
allusion. Oh. Elle se sentit rougir.
— Vous voulez dire… avec le torchon et le scotch ?
— Oui.
— Eh bien… Rage était surexcité et avait besoin de se calmer. Il m’a lié les
mains pour que je ne puisse pas le caresser.
— Il était en colère ?
Ellie secoua la tête ; son rouge aux joues s’accentua.
— Il était surexcité… sexuellement. Comme il voulait que ce soit génial pour
tous les deux, il a décidé de me rendre la pareille jusqu’à ce que mon état
d’excitation soit équivalent au sien. Comme j’adore le toucher, il m’a lié les
mains.
Une lueur d’amusement s’alluma dans les yeux de chat de Justice.
— Je comprends, maintenant… Et ça ne vous ennuie pas, d’être attachée ?
Les nôtres ont horreur de ça. C’est viscéral.
— Personne ne m’a jamais fait subir ce que les Hybrides ont enduré. Je ne
rêve jamais que je sers de cobaye. Il se trouve certainement des gens qui flippent
quand on les attache, mais pas moi. J’ai confiance en Rage et je sais qu’il ne me
fera jamais de mal. Quant à être dominée, si c’est par lui, je trouve ça… très
excitant. Ça répond à votre question ?
— On ne peut mieux. Merci infiniment, Ellie. Je suis navré d’avoir réagi
comme je l’ai fait et du tort que cela vous a causé. J’ai cru qu’il avait perdu la
tête, qu’il s’en prenait à vous ; depuis ce jour où il vous a sauté dessus, dans la
salle de conférences, il n’est plus le même dès qu’il s’agit de vous. J’étais
convaincu qu’il avait pété les plombs.
— Il avait réellement envie de me tuer, ce jour-là. (Ellie gloussa.) Je suis ravie
qu’il ait changé d’avis.
— J’ai une bonne nouvelle, sinon.
— Ah bon ? dit Ellie, plus détendue, en se recalant dans son siège. Excellent,
laquelle ?
— Tous ces événements ont des répercussions très positives, exposa Justice en
désignant Rage. Je sors d’un débriefing avec notre directrice des relations
publiques, qui m’informe que les médias sont derrière nous à cent pour cent. Les
coups de fil et les mails de soutien affluent. Le grand public est horrifié par ce
qui vient d’arriver ; les caméras tournaient, beaucoup de chaînes ont diffusé la
fusillade. Vous étiez au courant ?
Ellie, pétrifiée, n’en crut pas ses oreilles.
— Les médias ont… retransmis en direct… le moment où Rage s’est fait tirer
dessus ?
— Tout va bien, s’empressa d’ajouter Justice pour la rassurer. C’est très
positif, semble-t-il : la cote des Hybrides auprès du plus grand nombre a fait un
bond spectaculaire. Que vous rappelez-vous, au juste ? Je suis conscient que,
contrairement à nous, vous n’avez pas été formée à retenir les moindres détails
d’une situation extrême…
— Pas grand-chose… Le chaos qui se déchaîne, puis Rage qui me porte à
l’intérieur, pour qu’on soit à l’abri des tirs… et qui s’effondre.
— Quand les humains ont ouvert le feu, relata posément Justice, Rage a réagi.
En renversant la table, il a placé à couvert tous ceux qui y étaient assis. Puis il
s’est jeté sur vous pour s’assurer qu’aucune balle ne pouvait vous atteindre.
Touché une première fois, il a compris que la table n’était pas assez épaisse pour
arrêter les projectiles. Alors il vous a soulevée et s’est mis à courir. Une seconde
balle l’a fauché en pleine course. (Justice marqua un temps.) C’était vous la
cible, Ellie. Ces types étaient venus dans l’intention de vous tuer. Rage les en a
empêchés en vous mettant à l’abri.
Les yeux inondés de larmes, Ellie s’essuya le visage d’un revers de main.
Rage lui avait sauvé la vie ! Elle en avait vaguement conscience, certes, mais
entendre le récit détaillé de ce qu’il avait fait pour la protéger lui brisa le cœur. Il
avait encaissé deux balles à sa place.
— Ils m’ont bel et bien fait du mal, sanglota-t-elle. En tirant sur Rage.
— Je sais. La bonne nouvelle, selon notre directrice des relations publiques,
c’est qu’un consensus semble s’être cristallisé : tous les pères de famille rêvent
de voir leur fille épouser un Hybride après avoir vu ce que Rage a fait pour vous
sauver la vie. Et toutes les femmes nous considèrent comme des héros. (L’air
déconfit, il haussa les épaules.) On m’a assuré que c’était une bonne chose, cette
adhésion des pères de famille…
Ce fut plus fort qu’Ellie : elle éclata de rire au milieu de ses larmes.
— Une chose est sûre, en tout cas : les femmes qui lorgnent du côté de types
comme Rage ou comme vous ont bigrement raison.
— Je vois. Merci. (Il la gratifia d’un clin d’œil.) Je suis censé le savoir, mais
en toute honnêteté, j’ai encore beaucoup de choses à apprendre en ce qui
concerne les humains.
— Quant à moi, je suis ravie que les Hybrides aient enfin la cote.
Justice hocha la tête.
— C’est extraordinairement bienvenu, en effet. Le fait que Rage ait risqué sa
vie pour vous a fait forte impression sur l’opinion publique. Il paraît même que
de très nombreux citoyens interpellent l’administration, tant fédérale que locale,
pour qu’elle agisse contre les groupes radicaux qui nous prennent pour cible. Ils
mettent la pression pour que tous ceux qui ont soutenu les anti-Hybrides cessent
de le faire. Aussi cynique que cela puisse sembler, cette tragédie est une vraie
bénédiction en ce qu’elle a permis à l’espèce humaine d’être en prise directe
avec ce que nous subissons. Nous en ressortons… un peu plus humains à leurs
yeux.
Ellie se retourna vers la vitre et contempla le visage endormi de son bien-
aimé.
— J’en suis heureuse.
— Moi aussi, Ellie. Ne vous en faites pas, il va s’en sortir.
— Je sais, dit-elle en acquiesçant.
Sourd à la douleur aiguë qui l’assaillit dès le réveil, Rage songea d’abord à
Ellie. Il voulut se redresser, la chercher du regard. Des mains fermes l’en
dissuadèrent.
— Rage ?
C’était la douce voix de son Ellie !
Il rouvrit les yeux : elle était là, tout près de lui, pâle et épuisée. Il respira à
fond pour s’assurer qu’il ne rêvait pas. Son odeur était là, presque imperceptible
en raison des effluves puissants de médicament, d’antiseptique et de Dieu sait
quoi encore.
— Ne bouge surtout pas, ordonna-t-elle. On t’a tiré dessus. (Ses beaux yeux
bleus étaient baignés de larmes.) Tu m’as sauvé la vie et tu vas t’en remettre.
Mais pour guérir rapidement, il faut que tu remues le moins possible.
Il détailla son visage avec soin.
— Tu… tu n’as rien ?
La peur l’assaillit en repensant à tout ce qui aurait pu arriver à son Ellie.
— Je… je n’avais qu’un seul but : te mettre à l’abri des tirs. Pour qu’il ne
t’arrive rien.
— Tu as réussi.
Rage se détendit ; les mains puissantes qui le retenaient cessèrent d’appuyer.
— Où est Justice ?
— Derrière toi.
Rage tourna la tête et vit qu’en effet son meilleur ami était là.
— Veille sur mon Ellie tant que j’en suis incapable. Je veux une escouade
entière pour la protéger. Hybrides uniquement. Seuls nos frères sont à la hauteur.
Ellie doit passer avant tout, Justice. Promets-le-moi.
— Rassure-toi. Les dispositions ont été prises. Concentre-toi sur ta guérison,
je m’occupe de tout le reste. Nos meilleurs gars veillent sur Ellie vingt-quatre
heures sur vingt-quatre. Personne ne peut l’approcher. Tu as ma parole.
Cessant de se tordre le cou, Rage contempla la jeune femme, tendit le bras et
lui caressa la joue. Son pouce balaya les larmes qu’elle n’avait pas su retenir.
— Je t’aime.
— Moi aussi, je t’aime. J’ai eu si peur de te voir mourir dans mes bras…
— Tu ne te débarrasseras pas de moi si facilement. On est ensemble à jamais.
La voir sourire malgré les larmes fit chaud au cœur à l’Hybride. Elle était
indemne, il avait encaissé les balles qui étaient destinées à sa bien-aimée. Là
était l’essentiel.
— J’en suis heureuse. Tu peux dormir tranquille, je reste auprès de toi,
d’accord ?
— Je t’aime, bredouilla-t-il sous l’effet des sédatifs, je te l’ai dit ?
Ses paupières étaient lourdes. Très lourdes.
— Moi aussi, je t’aime, et oui, tu me l’as déjà dit. Rendors-toi. Je vais bien.
Parfaitement détendu malgré la douleur sourde, il se laissa happer par les
ténèbres.
CHAPITRE 17
Ellie observait Puce, la brune minuscule, qui lessivait le couloir tout en riant
aux éclats. La jeune femme dut masquer son sourire puis se tourna vers Brise.
— À la voir, on pourrait jurer qu’il n’y a rien de plus exaltant que passer la
serpillière.
L’amazone gloussa.
— Et tu n’as rien vu : certaines se réjouissent de récurer les toilettes ! C’est
dingue, non ? Je déteste faire ça. Les produits chimiques sentent trop mauvais.
— C’est votre odorat qui est trop développé.
— Sans blague ! Et sinon, comment va Rage ?
— Impec. Furieux qu’on continue à le mettre sous sédatifs, cela dit. Bien
obligé : il n’arrêtait pas de vouloir se lever et exigeait qu’on lui rende ses
fringues. Imagine un peu la tête de la malheureuse infirmière ! Elle débarque,
Rage est nu comme un ver, il grogne pour qu’on lui passe des vêtements… Elle
s’est mise à hurler comme une possédée. Quand ses collègues l’ont rattrapée,
elle avait couru jusqu’au parking de l’hôpital.
— Pourquoi crier comme ça ? s’interrogea Brise, perplexe.
Ellie ricana.
— Rage est un colosse, Brise. Un colosse en rogne, au sang chaud. Au sens
propre. Essaie de te figurer ce que ressent une nana timide qui tombe nez à nez
avec un culturiste à poil, grondant comme un fauve et bandant comme un cerf !
L’amazone afficha un sourire carnassier.
— C’est vrai que nos mecs sont impressionnants, de ce côté-là…
— Tu l’as dit, abonda Ellie, un aussi large sourire aux lèvres.
— Elle n’a pas trouvé le spectacle excitant ?
— Terrifiant, plutôt.
— Quelle bourrique !
— Où es-tu allée pêcher cette expression ? s’esclaffa Ellie.
— À la télé, pardi. Je peaufine mon vocabulaire. Bourrique ; nunuche ;
chaudasse sans cervelle.
Riant de plus belle, Ellie secoua la tête.
— Mauvaise pioche. Tout allait bien jusqu’à ce que tu la traites de chaudasse :
ça désigne une nana qui couche à tout-va… et l’infirmière dont il est question a
pris la fuite en voyant un homme nu.
— Pigé, dit Brise en se fendant d’un clin d’œil. Je vais continuer à regarder la
télé.
— Au fait… j’ai une question à te poser.
— Envoie, rétorqua Brise, souriante. C’est de l’argot aussi. (Son sourire
s’effaça.) Ne le prends pas au pied de la lettre, surtout. Si tu m’envoies un truc à
la tête, ça ne me fera sûrement pas mal, mais je risque de te blesser en ripostant.
— Entendu, dit Ellie en s’efforçant de garder son sérieux. Je veux bien le
croire. Voici ma question : d’où sortez-vous vos noms ? Je les trouve géniaux
mais qu’avez-vous contre les prénoms ordinaires, de type Mary ou Tina ?
— C’est simple : nous ne sommes pas des gens lambda. Certains ont choisi un
nom adapté à ce qu’ils font de mieux, d’autres à ce qu’ils préfèrent dans la vie.
J’ai pris « Brise » parce qu’une fois libre, j’ai aimé par-dessus tout sentir le vent
me caresser le visage.
— Mon nom à moi, on l’a choisi à ma place, intervint Demi-portion en venant
prendre place à côté d’Ellie sur le canapé. Quand on m’a conduite à l’hôpital où
des médecins s’occupaient des Hybrides, l’un d’eux m’a regardée dans les yeux
et m’a dit que les autres filles faisaient deux fois ma taille. Tout le monde s’est
mis à m’appeler Demi-portion pendant ma convalescence, et ça m’est resté.
Ellie se retint de s’esclaffer et se contenta de lui sourire.
— Les docteurs qui nous ont soignées n’avaient vu que des sujets
expérimentaux dans mon genre, expliqua Brise. Demi-portion fut l’une des
premières de son… type… à arriver.
— Et Puce s’appelle Puce parce que les médecins ont vu qu’elle était encore
plus petite que moi, reprit Demi-portion, rayonnante.
— Quant à Justice, poursuivit l’amazone, il a choisi ce nom parce que c’est ce
qu’il souhaitait pour notre peuple. Il vient du labo le plus au nord – d’où son
nom de famille, North.
— Je me trompe, demanda Ellie en levant les yeux vers Brise, ou il est rare
que vous ayez un nom de famille ?
— Non, c’est vrai. On verra ça plus tard. Quand le besoin se fera sentir, j’y
réfléchirai ; Justice est d’accord pour que tous ceux qui le souhaitent prennent le
sien. Tu penses quoi de « Brise North » ?
— Ça sonne bien.
— Je trouve aussi. Et puis ça a du sens : je viens du même labo que Justice.
— Je l’ignorais.
— Eh oui. On a souvent copulé sous la contrainte, Justice et moi. Un type bien
sous tous rapports.
— Je n’en doute pas, convint Ellie.
Justice et Brise… couchant ensemble ? Ellie eut beau tenter de se figurer la
scène, rien ne vint.
— Quand un gars et une fille sont issus du même labo, reprit Brise, il y a de
fortes chances pour qu’on les ait obligés à copuler. Les scientifiques ont tout
essayé pour qu’on tombe enceintes. Dès que ça ne donnait rien avec un mâle, ils
nous en collaient un autre.
— Aucune d’entre nous n’a jamais été offerte à un Hybride, avoua Demi-
portion avec une pointe de regret.
Brise se pencha vers elle et lui pressa doucement l’épaule.
— Tu m’en vois navrée. Ils ont toujours été gentils et prévenants. Ça se
passait dans le respect mutuel et la dignité. Je regrette que tu n’aies pas connu
ça, mais si le cœur t’en dit un jour, je suis sûre que ton tour viendra.
Alors qu’Ellie refrénait les cent questions qui se bousculaient dans sa tête,
Demi-portion leva les yeux vers elle.
— J’ai eu de la chance, par rapport à beaucoup d’autres. On m’a donnée à un
vieux type qui n’était pas partageur. Puce, en revanche… (La petite Hybride était
au bord des larmes.) L’homme à qui on l’a donnée était jeune et costaud. Il la
battait. Et il la prêtait à ses meilleurs amis, aussi. Mon propriétaire, lui, était
malingre ; ses coups ne faisaient pas bien mal. Les dernières années, son truc ne
fonctionnait plus. Rapport à l’âge. Ça le mettait en rogne chaque fois qu’il
essayait, alors il me frappait, mais de moins en moins fort. Vers la fin, tout ce
qu’il faisait, c’était me crier dessus.
— Vraiment désolée, dit Ellie, résistant à l’élan qui l’incitait à prendre la
petite Hybride dans ses bras pour la réconforter. Sais-tu comment ils vous ont
retrouvées ?
— En remontant les transactions, intervint Brise. Tous les particuliers ayant
versé de fortes sommes à Mercile Industries ont fait l’objet de procédures
judiciaires dès que nous avons compris que certaines des nôtres avaient été
« offertes ». C’est comme ça que Demi-portion a été trouvée. Et la plupart de ses
semblables.
— J’ai eu très peur, murmura la petite Hybride, comme si elle craignait d’être
écoutée. Il y a eu un vacarme terrible, et des tas d’hommes armés ont défoncé la
porte. J’ai bien cru qu’ils venaient me tuer ! C’est là qu’est arrivée une femme
qui a dit aux types de nous laisser seules. Elle m’a parlé en ôtant mes chaînes
puis elle m’a fait sortir de ma cage. En me promettant que là où j’allais, plus
personne ne me ferait de mal.
— C’était une Hybride ? voulut savoir Ellie, curieuse.
— Non, fit Brise en secouant la tête. Une humaine à cent pour cent. Son nom
m’échappe, mais c’est elle qui participe aux raids chaque fois qu’un mandat est
délivré. Elle prend en charge les filles délivrées avant de nous les confier.
— Elle s’appelle Jessie, précisa Demi-portion, un sourire aux lèvres. Cheveux
très roux, immenses yeux bleus, aussi petite que nous autres et avec une voix
toute douce.
— Ellie ? lança une autre Hybride.
— Oui ? fit l’intéressée en se levant.
— Tu devrais rentrer. Je viens de répondre sur la ligne du dortoir : Rage a
quitté l’hôpital.
— Mais, mais… il ne devait pas sortir avant après-demain…
— L’autorité et nos mâles, ça fait deux, se gaussa Brise dans le dos d’Ellie.
— Misère, soupira Ellie. Bon, eh bien, à demain, les filles. Pourvu qu’il n’ait
blessé personne, marmonna-t-elle après s’être éloignée.
Ellie s’échinait à entraîner Rage vers le lit contre la volonté de celui-ci. Elle
adressa un regard torve à Tigre, l’agent de l’OPH qui l’avait raccompagné, et
que leur petit manège amusait au plus haut point. Les bras croisés, il rechignait à
aider la jeune femme à contraindre son supérieur et le signifia en obliquant vers
la sortie.
— Pas question de me coucher, gronda Rage, je n’ai fait que ça pendant toute
une semaine !
Ellie secoua la tête.
— Va te reposer ou je te jure que j’emprunte un Taser, je t’assomme avec et je
te ligote sur le lit.
Rage grogna de plus belle et plissa les yeux. La jeune femme l’imita tout en
continuant à s’escrimer.
— Arrête de grogner ! Moi aussi, j’en suis capable. Et va te déshabiller,
ajouta-t-elle en lui jetant un regard noir. Tu es sorti trop tôt. Inutile d’essayer de
me baratiner : amour de ma vie ou pas, si tu ne vas pas te coucher tout de suite,
j’emprunte son Taser à Tigre. Je ne plaisante pas.
Rage cessa de lutter et se fendit d’un large sourire qui lui découvrit les crocs.
— Si je me couche tout nu, tu te déshabilles et tu me rejoins ?
— Oublie, rétorqua Ellie, bouche bée. Tu as failli y passer il n’y a pas huit
jours, tu as oublié ? Les galipettes attendront. Allez, je t’en prie.
— Si on me demande, je suis à côté, déclara Tigre, hilare.
Ellie fit volte-face et vit l’agent franchir le seuil. Elle fusilla Rage du regard.
— Tu savais qu’il était encore là et tu as dit ça exprès !
Rage gloussa.
— Il est parti, à présent. Déshabille-toi et je fais pareil. Allons au lit tous les
deux. J’ai quand même le droit de te toucher. (Il se retourna et l’enlaça.) Je veux
sentir ta peau contre la mienne. Ça m’aidera à guérir plus vite.
— Parce que ça favorise la cicatrisation ? Première nouvelle…
— Tu as raison, mais ça m’aidera à me sentir mieux.
Ellie gloussa à son tour.
— Je te propose un marché : tu te désapes, tu vas au lit, et pendant ce temps,
je te prépare un truc à grignoter. Je viendrai m’allonger à côté de toi quand tu
auras déjeuné.
— Nue ?
— Non. Tu es censé te reposer. Par contre, rien ne m’empêche de te frotter le
dos et de jouer avec tes cheveux. Tu vas adorer.
Il gronda doucement.
— Tu sais quoi, beauté ? Je serais prêt à m’étendre sur une planche à clous si
tu étais d’accord pour me masser… mais pas le dos ou les cheveux.
Ellie se passa la langue sur les lèvres, réfléchit et décréta qu’il n’était pas
dangereux de le masser avec de la lotion – à condition qu’il reste immobile.
Rage gronda et la pressa tout contre lui. Elle hocha la tête.
— Je m’occupe de ton déjeuner. Toi, tu vas au lit. J’en ai pour deux minutes.
L’Hybride relâcha son étreinte. Ellie, en se dirigeant vers la cuisine, entendit
du tissu se déchirer et tourna la tête : Rage la suivait des yeux. Il avait employé
la manière forte pour ouvrir son tee-shirt par le devant, plutôt que de l’ôter au
risque d’appuyer sur son pansement. Elle éclata de rire.
— Tu es pressé à ce point de te coucher ?
— Cours à la cuisine et reviens vite.
En sortant de la chambre, Ellie faillit percuter Tigre qui recula, l’air réjoui.
— Laisse-moi deviner. Ouïe et odorat hyper développés ?
— Je vais monter la garde au salon. C’est assez loin de la chambre, ça
m’évitera d’entendre ce qu’il veut que vous lui massiez.
La jeune femme prépara un sandwich à la dinde accompagné d’un soda et
d’un paquet de chips. C’était bon d’avoir Rage de retour à la maison, départ
anticipé de l’hôpital ou pas. Elle avait émis le souhait de rester à plein-temps
auprès de lui, mais l’équipe médicale s’y était opposée : le cirque des médias
tournait à l’hystérie quand le couple vedette était rassemblé.
Ellie entra dans la chambre et referma avec soin. L’absence de verrou n’était
pas un problème, Tigre avait compris qu’il ne fallait pas les déranger. Rage, tout
sourires, était étendu – et visiblement nu comme un ver sous le drap. Il avait calé
les deux oreillers derrière lui afin d’attendre le plus confortablement possible.
L’étoffe formait un chapiteau au niveau de l’entrejambe. Ellie s’en aperçut et rit
aux éclats.
— Tout excité à l’idée de manger un morceau ? railla-t-elle. Je sais ton goût
pour la dinde, mais quand même…
Ses yeux noirs étincelèrent.
— Tu comptes réellement me faire avaler ça avant ?
Penchée au bord du matelas, Ellie lui tendit le plateau-repas. Son attention
dériva jusqu’à l’impressionnant « piquet » du chapiteau.
— Je ne sais pas où poser le plateau, s’amusa-t-elle. Dévore-moi ça, mon
grand.
Après un grognement, Rage empoigna le sandwich et en avala une énorme
bouchée presque sans mâcher. Ellie, toujours hilare, ouvrit la canette et la lui
proposa. Il but une gorgée sans cesser de la dévorer des yeux. Ellie se redressa et
se dirigea vers la salle de bains attenante.
— Où tu vas ? grinça l’Hybride, son sourire envolé.
— Je reviens tout de suite. Patience.
— Pas mon fort, maugréa-t-il.
Ellie ouvrit le meuble au-dessus du lavabo et y trouva la lotion. Munie d’une
serviette, elle retourna dans la chambre en brandissant les deux articles.
— Que dis-tu d’un massage ?
— Ne me tente pas. La semaine a été longue, très longue.
Ellie prit place au bord du matelas, défit le capuchon, s’étala de la lotion sur
les mains puis dut jouer des coudes pour soulever le drap. Rage grogna et se
cambra à la seconde où les paumes de la jeune femme entrèrent en contact avec
sa queue dressée. Ellie se pencha et entreprit de lui lécher la poitrine en prenant
soin d’éviter son pansement. Il avait écopé d’une balle dans le flanc et d’une
autre dans le dos, près de l’épaule. À quelques centimètres près, l’impact aurait
réduit l’omoplate en miettes.
— Je t’aime, gronda-t-il.
Ellie le caressa lentement. Chaque seconde passée à effleurer cette peau
soyeuse, tendue autour du manche aussi dur que de l’acier, était un rêve. Elle
joua de la langue sur un téton, puis sur l’autre, tout en continuant à lui stimuler le
sexe de la base jusqu’au bout du gland. Rage, grondant toujours, enfla jusqu’à
des proportions impressionnantes. Obnubilée par cet énorme engin, la jeune
femme tenait à le voir jouir.
L’Hybride, tendu comme un arc, grogna son nom. Puis trembla des pieds à la
tête : l’orgasme arrivait. Son gland enfla considérablement. C’était ce renflement
qu’elle sentait quand il la pénétrait à fond, dans les derniers instants. Ellie,
fascinée, observa la boule qui n’en finissait plus d’enfler.
Se rappelant qu’il éjaculait puissamment, Ellie plaça une main en coupole tout
en accentuant le mouvement de va-et-vient et la pression exercée sur sa queue.
Quand le jet de sperme fusa dans sa paume, elle sut qu’il n’avait pas exagéré : le
risque de suffocation était bien réel lorsqu’il était très excité. S’arrachant au
fascinant spectacle, Ellie leva les yeux vers le visage de son bien-aimé.
La tête rejetée en arrière, il hurlait son nom tandis qu’elle le vidait jusqu’à la
dernière goutte. Ellie, béate, continua à stimuler sa verge hypersensible jusqu’à
ce que Rage l’en empêche.
Elle l’embrassa sur la bouche. Fit courir sa langue sur sa lèvre inférieure.
Grognant toujours son nom, il lui caressa les seins.
— Tu te sens mieux ? Plus détendu ?
Pour toute réponse, il grogna.
Ellie se mit hors de portée de ses mains baladeuses, l’essuya avec la serviette
et lança celle-ci vers la salle de bains. Restée à distance, elle vit que Rage avait
les yeux rivés sur elle.
— J’ai envie de toi.
La jeune femme piailla, surprise, quand il lui sauta dessus sans crier gare et
l’étala de tout son long sur le lit. Son dos avait à peine heurté le matelas que
l’Hybride était sur elle. Ellie le dévisagea.
— Tu vas rouvrir tes plaies, mon amour.
— Mais non.
La jupe d’Ellie empoignée d’une main ferme, Rage la lui remonta jusqu’en
haut des cuisses.
— Rage, arrête.
Elle croisa ses yeux noirs.
— Je n’ai pas fini de déjeuner… et tu es au menu.
Ellie sentit le désir irradier en elle.
— Mais… tes points de suture…
— Je ferai très attention à ne pas tirer dessus. (Il sourit.) Je reste au-dessus,
comme ça, je ne remuerai pas trop. Comment l’appelles-tu, déjà… ton petit
bouton ? Je suis d’humeur à lécher un bouton, Ellie.
— Je devrais dire non mais c’est impossible, haleta-t-elle, tout entière tournée
vers ce qu’il s’apprêtait à faire.
La jeune femme appuya contre la main du colosse dès qu’elle le sentit
s’introduire dans sa culotte. Deux doigts se refermèrent sur l’échancrure, juste en
dessous du nombril. Il tira un coup sec. L’étoffe n’y résista pas. Il jeta les
lambeaux de sous-vêtement.
— Tu devrais arrêter de porter ces trucs, beauté. Ça m’agace.
— Entendu.
Il s’esclaffa.
— Pas de récrimination ?
Elle fit « non » de la tête. Rage commença à lui titiller le clitoris tout en
douceur. L’ardeur monta d’un cran. Le sentant glisser vers la terre promise, Ellie
écarta les cuisses afin qu’il puisse se caler confortablement.
— Je suis prête à toutes les brûler, si c’est le prix à payer pour que tu
continues.
— Brûle-les, pressa-t-il à voix basse en glissant toujours plus bas.
Usant de sa main libre, Rage lui dénuda la poitrine. Puis ses lèvres lui
effleurèrent le ventre et sa langue courut jusqu’au nombril.
— Brûle aussi tes soutiens-gorge.
— Tout ce que tu voudras, gémit Ellie, surexcitée.
Son bel amant lui avait tellement manqué qu’elle n’en pouvait déjà plus alors
qu’il l’avait à peine touchée. Elle gémit de plus belle.
— J’adore la façon dont tu me mets au supplice avec ton pouce…
Rage descendit en effleurant l’amas d’étoffe au niveau des hanches puis reprit
contact avec la chair nue. Il lui écarta les cuisses au maximum, gronda… et
enfouit sa tête. Agrippée aux draps, gémissant son nom, la jeune femme se
pressa contre sa bouche quand il commença à la lécher.
— Le goût de ton sexe m’a manqué, dit-il d’une voix rauque. J’y suis accro.
Sa langue allait et venait à l’endroit précis qui menaçait de la rendre folle.
Ellie gémit plus fort pour lui faire comprendre à quel point la sensation était
inouïe. L’Hybride accentua la pression ; collé à son clitoris, il stimulait le petit
bouton du plat de la langue.
— Rage, marmonna-t-elle.
— J’ai dit « Arrêtez-vous », merde ! beugla Tigre.
La porte s’était ouverte à la volée. Tout en levant la tête, Rage crispa le poing
sur la jupe remontée d’Ellie et rabattit l’étoffe de façon à occulter le sexe offert.
Ellie, abasourdie, se tordit le cou : une inconnue et Tigre coupaient brusquement
leur élan sur le seuil de la chambre. La femme était bouche bée ; l’agent de
l’OPH, quant à lui, éclata de rire avant de se détourner.
— J’ai fait de mon mieux pour l’en empêcher, gloussa-t-il. Vraiment désolé,
mec. Je te présente ton infirmière à domicile.
Rage gronda. Ellie, paniquée, voulut tirer sur sa jupe pour la baisser au
maximum, mais l’Hybride s’était montré plus prompt. La jeune femme se
dégagea comme elle put des épaules du colosse jusqu’à être en mesure de
s’asseoir. Ses yeux s’attardèrent sur le corps de Rage, toujours étendu sur le
ventre. Le drap avait glissé et ne lui couvrait presque plus les fesses. Ellie loucha
ensuite vers l’infirmière, une brune d’environ vingt-cinq ans, qui eut la présence
d’esprit de fermer la bouche… pour la rouvrir presque aussitôt.
— Vous ne devriez pas faire ça, monsieur Rage ! Enfin, vous risquez de faire
sauter vos points de suture… Quant à vous, mademoiselle Brower, vous devriez
avoir honte !
— Sortez, grogna Rage qui saisit au vol Ellie par le poignet alors qu’elle
tentait de se lever. Immédiatement !
L’infirmière, plutôt jolie au demeurant, avait les traits tirés par l’indignation.
— Pas question. Je me félicite d’être arrivée à point nommé.
— M’étonnerait que ces deux-là soient d’accord avec vous, ricana Tigre. Vous
avez plutôt le chic pour tomber mal, je dirais. Pas vrai, les tourtereaux ?
— Fais-la sortir, exigea Rage.
— Pas possible, répondit Tigre en se retournant derechef. C’est ton infirmière
à domicile, mec. Elle doit squatter ici toute la semaine. Justice est inflexible :
c’est ça ou le retour à l’hosto, vu qu’Ellie part toute la journée au boulot. Tu étais
d’accord parce que ça te permettait de finir ta convalescence ici. Désolé, mec.
Pas de mon ressort.
L’infirmière secoua la tête.
— Vous êtes consciente que M. Rage s’est fait tirer dessus deux fois pour vous
protéger ? Ça ne vous suffit pas, mademoiselle Brower ? C’est de dormir, dont il
a besoin. Pas de s’agiter au lit.
Là-dessus, elle se pencha, ramassa la culotte déchirée d’Ellie qu’elle brandit
entre le pouce et l’index et la fusilla du regard.
— Ceci n’est pas acceptable.
Adossé à la paroi, Tigre se tenait les côtes. Ellie sentit qu’elle était cramoisie ;
Rage, quant à lui, était d’humeur massacrante. L’infirmière jeta la culotte en
lambeaux dans la corbeille à papier située près de la porte.
— Laissez-moi seule avec mon patient, je vous prie. Je dois m’assurer que ses
sutures ont tenu, et c’est l’heure de ses antalgiques.
Ellie s’échina à échapper à la poigne de fer de Rage. À la seconde où il lâcha
prise, elle sauta du lit de son côté, se dirigea vers la commode et ouvrit le tiroir à
culottes. Puis, toujours écarlate, elle alla s’enfermer dans la salle de bains. Et
suivit ce qui se disait à côté tout en arrangeant sa mise.
— Et moi qui craignais de m’ennuyer, s’esclaffa Tigre.
— Ta gueule, grinça Rage. Ne remets jamais les pieds dans cette chambre
quand la porte est fermée. Jamais.
Ellie émergea de la salle d’eau et alla chercher un pantalon de jogging qu’elle
tendit à Rage. Son regard croisa celui de l’infirmière.
— Veuillez sortir ou tourner le dos pendant que j’aide Rage à s’habiller.
— Pas la peine, railla l’infirmière. Vu que je m’apprête à lui faire sa toilette.
— C’est moi qui m’en occuperai. Contentez-vous de lui donner ses
médicaments, puis sortez pour qu’il puisse enfiler ça.
L’infirmière et Ellie s’affrontèrent du regard.
— C’est mon boulot, de m’occuper de M. Rage.
— Non, c’est le mien, répliqua Ellie, les lèvres pincées. Je suis infirmière, moi
aussi.
— Oh, oh ! fit Tigre. Ça sent la querelle territoriale…
Rage fronça les sourcils, furieux d’avoir été interrompu alors qu’il profitait –
enfin ! – de son Ellie. Cet instant-là, il l’avait attendu des jours entiers : rentrer à
la maison et retrouver sa bien-aimée, loin des regards inquisiteurs des vigiles et
du personnel médical. Tout lui avait manqué. La tenir dans ses bras, l’entendre
rire, discuter jusqu’au bout de la nuit tendrement enlacés. Sans oublier le goût de
sa chair, le contact de ses mains sur lui. Il était suffisamment remis pour lui faire
l’amour.
L’infirmière était censée arriver bien plus tard, et Rage n’était pas satisfait de
celle qu’on lui avait envoyée. Le regard noir qu’elle dardait sur Ellie lui donnait
envie de gronder. Personne n’avait le droit de dévisager sa femme avec de la
haine dans les yeux ! S’il n’avait pas promis qu’il autorisait une infirmière à
s’installer chez lui, il aurait volontiers demandé à Tigre de la reconduire sur-le-
champ jusqu’au portail de la base.
Les femmes hybrides se montraient possessives. En observant Ellie, il
remarqua qu’elle avait les épaules et les mâchoires crispées. Tigre avait vu juste :
les deux humaines étaient à deux doigts d’en venir aux mains pour avoir
l’ascendant.
Autoriser Ellie à en découdre ? Pas question, décida-t-il, elle risquait de
prendre un mauvais coup. Rage s’exhorta au calme. En se montrant zen, peut-
être ferait-il comprendre à Ellie qu’elle n’avait pas à s’en faire et que l’autre
nana ne représentait pas une menace… Jamais il n’autoriserait une autre femme
à poser les mains sur lui. Il lui suffisait de clarifier la situation : c’était à Ellie de
faire sa toilette, de l’aider à s’habiller si nécessaire. L’infirmière avait intérêt à
filer doux. Il prit une profonde inspiration.
— C’est Ellie qui fera ma toilette, énonça-t-il sur un ton sans appel. Personne
d’autre.
L’infirmière, très remontée, le fusilla du regard.
— C’est moi votre infirmière attitrée, pas elle.
— J’en ai rien à foutre, glapit Rage, à deux doigts de s’emporter contre cette
humaine mal embouchée. Ellie est la seule autorisée à me toucher. Ellie ?
(L’intéressée tourna la tête vers lui.) Calme-toi. Je t’appartiens.
Il la regarda dans les yeux afin d’appuyer son propos.
— Il n’y a personne d’autre, reprit-il. Tu es la seule femme que je désire.
Aujourd’hui et pour toute la vie, compléta-t-il mentalement, désormais certain
d’avoir trouvé l’âme sœur. Chaque seconde passée auprès d’Ellie raffermissait le
lien qui les unissait.
— Toi seule existes.
— Je le sais, répondit-elle, plus détendue.
— Ne lui saute pas à la gorge, d’accord ?
Décidé à recourir à l’humour pour capter l’attention d’Ellie, Rage se fichait
comme d’une guigne que cela puisse effrayer cette pimbêche d’infirmière. Le
plus sérieusement du monde, il ajouta :
— Même si elle l’a bien mérité en débarquant comme une furie.
L’infirmière, qui prenait d’évidence la menace sous-jacente pour argent
comptant, fit les yeux ronds et recula jusqu’au seuil de la chambre.
— M-mais, bredouilla-t-elle, en proie à un début de panique, j’avais cru
comprendre que vous étiez humaine… V-vous êtes une Hybride, vous aussi ?
L’effroi suscité amusa Rage au plus haut point.
— Bien sûr qu’Ellie est une Hybride. Puisque c’est ma femme.
Ellie soupira.
— Je suis aussi humaine que vous. Ce qui, en l’espèce, n’a rien de glorieux.
(Elle s’approcha de Rage et lui parla à mi-voix.) Je n’avais aucune intention de
lui sauter à la gorge, enfin ! Simplement, je déteste l’idée qu’elle pose les mains
sur toi.
— Jalouse ? lança-t-il, narquois.
Toute trace de courroux évanouie, elle répondit par un léger hochement de
tête.
— C’est moi qui te fais ta toilette.
Le colosse lui prit la main.
— Rien que toi, marché conclu. Et sinon… j’ai droit à un autre sandwich ?
J’ai toujours faim. (Il réprima à grand-peine sa frustration.) Mon déjeuner a été
interrompu.
Un sourire aux lèvres, Ellie déposa le pantalon de jogging plié sur les genoux
recouverts d’un drap de l’Hybride.
— Enfile ça, nous ne sommes plus seuls.
À l’infirmière prostrée sur le seuil :
— Je vous montre où se trouve la chambre d’amis pendant que Rage passe un
pantalon.
À Tigre, avec un regard noir appuyé :
— Quant à toi… efface-moi ce sourire niais. Il n’y a pas de quoi rire. Tu peux
surveiller Rage et vérifier qu’il ne lui arrive rien de fâcheux en s’habillant ?
— Ça roule, répondit l’intéressé, hilare. Vraiment tout sauf ennuyeuse, cette
mission.
— Pousse-toi ou je te mords, lui glissa Ellie en passant.
— Mordre, c’est mon rayon, lança Rage, hilare lui aussi, ce qui fit rire son
comparse.
Ellie mourait d’envie d’assassiner Belinda Thomas. Elle eut beau desserrer les
poings et respirer à fond, rien n’y fit. Idem après avoir compté jusqu’à dix aussi
lentement que possible. Rien à faire, elle me tape sur les nerfs. Elle décrispa les
mâchoires : se casser les dents n’arrangerait rien, bien au contraire. Elle voyait
rouge.
L’infirmière était encore avec Rage. Elle se pavanait dans sa chambre vêtue
d’un short en jean si court qu’il frisait l’indécence et, pour couronner le tout,
d’un petit haut guère plus couvrant qu’un soutif. Le ventre plat, bronzé et
dénudé, elle était penchée sous le nez de l’Hybride, ayant cru bon de passer
l’aspirateur alors que la chambre était déjà nickel. Rage paraissait hypnotisé par
les quelques centimètres carrés de croupe à nu que la posture provocatrice de
Belinda mettait en valeur.
— Rage ?
Se tournant aussitôt vers Ellie, il lui sourit.
— Salut, beauté.
Belinda, surprise, se redressa, fronça les sourcils en découvrant Ellie et coupa
l’aspirateur.
— Vous rentrez tôt, aujourd’hui, dit-elle sur un ton de reproche.
Ellie hocha la tête.
— C’est le nouvel uniforme d’infirmière ? Quelqu’un devrait en toucher deux
mots à votre patron…
Une étincelle mauvaise s’alluma dans les yeux de Belinda.
— Il fait super chaud, se défendit-elle, et quand je suis détachée à domicile, je
ne suis pas tenue de travailler en uniforme.
— C’est regrettable. Quant à l’aspirateur, j’ai fait le ménage avant-hier, ce
n’était pas nécessaire.
— Vous avez des progrès à faire, question ménage, rétorqua Belinda en
arquant un sourcil. Il y a des tas de choses que je fais très bien. Je parie que je
vous vaux largement dans beaucoup de domaines, ajouta-t-elle, perfide, en
adressant un clin d’œil à Rage.
Ellie fit un pas vers elle.
— Sale petite…
— Ellie ! intervint Rage en haussant la voix. Viens ici, tu m’as manqué.
Coupant court à sa furieuse envie de gifler l’autre morue, la jeune femme
s’exécuta et prit place au bord du lit. Sa colère était intacte. Pire, elle s’intensifia
en découvrant la mine réjouie de l’Hybride. Rage se délectait de la voir sortir les
griffes. Quoi de plus normal, au demeurant ? Belinda Thomas l’aguichait à
longueur de journée !
— Je vais faire chauffer l’huile de massage, minauda Belinda. Il faut que je
m’occupe de cette épaule. Faute de traitement adéquat, c’est la contracture
assurée.
Là-dessus, elle quitta la pièce en emportant l’aspirateur.
— N’entre pas dans son jeu en te fâchant après elle, la pressa Rage à mi-voix.
— J’ouvre la porte et je te surprends les yeux rivés sur son cul ! s’indigna
Ellie. Si jamais elle te touche avec ses mains pleines d’huile, je te préviens : je
déménage illico.
Il cessa aussitôt de sourire.
— Elle ne m’intéresse pas, Ellie. Je regardais son cul, c’est vrai, mais c’est
parce qu’elle a la peau bizarre. Rien à voir avec le tien.
— Bizarre ? répéta Ellie, à deux doigts d’exploser.
— Le bas de ses fesses est tout plissé et marbré. Tes fesses à toi sont toutes
lisses. Je les adore.
— Tu lui matais les fesses parce qu’elle a de la cellulite ?
— Que veux-tu que je fasse d’autre ? Elle m’a confisqué la télécommande au
prétexte que la télé pourrait nuire à ma convalescence. J’ai voulu la récupérer,
mais Tigre m’a dit que je n’avais pas le droit de mettre sa chambre à sac.
Ellie le dévisagea.
— C’est invivable ; elle te drague ouvertement. Tu ne t’en es peut-être pas
rendu compte, mais elle n’y va pas par quatre chemins, tu peux me croire. Ça me
rend dingue. Et puis je suis infirmière, merde ! Je peux m’occuper de toi ! Peu
m’importe ce que tu as promis ou non à Justice.
— Tu es jalouse.
— Évidemment que je suis jalouse !
Rage sourit d’une oreille à l’autre.
— J’adore te voir comme ça, mais c’est inutile et tu le sais. Tu es la seule.
L’unique. Fais comme moi : méprise. J’ai bien vu qu’elle me draguait. En pure
perte. Je ne ressens absolument rien pour cette femme.
Il attira Ellie sur ses genoux.
— Tu es la seule qui me fasse de l’effet. Tu la sens ? Elle t’appartient.
— C’est l’heure du massage d’épaule, lança Belinda depuis le seuil.
Ellie ferma les yeux ; Rage l’attira tout contre lui jusqu’à ce qu’elle ait la tête
posée sur son épaule valide.
— Fichez le camp, grogna-t-il. C’est Ellie qui va me masser.
— Enfin, Rage, s’indigna l’infirmière. Je suis une professionnelle. Donnez
plutôt congé à votre petite nana, qu’elle aille jouer ailleurs pendant que je
travaille.
Ellie se cabra. Rage, d’évidence à court de patience, montra les crocs.
— Ellie n’est pas ma « petite nana » mais ma future femme. Ne faites plus
jamais allusion à elle comme si elle était quantité négligeable ; Ellie est tout pour
moi. Et cessez de m’appeler ainsi. Pour vous, c’est monsieur Rage, compris ?
Dernière chose, rugit-il. Quand je vous dis de foutre le camp, vous foutez le
camp !
Douce musique aux oreilles d’Ellie, qui entendit Belinda hoqueter puis la
porte claquer. Rage lui caressa le dos.
— Elle est partie.
Ellie rouvrit les yeux.
— Merci. J’ai confiance en toi, tu le sais bien. Simplement… (Elle secoua la
tête.) Tout rentrera dans l’ordre dès que tu seras rétabli et que cette poufiasse
aura fichu le camp pour de bon.
— Nous sommes sous pression avec tous ces gens qui vont et viennent à la
maison ; les moments en tête à tête sont rares. (Il prit la tête d’Ellie dans le creux
de ses mains.) Il me tarde de me retrouver seul avec toi. C’est ce que je désire le
plus au monde.
— Moi aussi. Mais quelle peste, celle-là ! Elle m’énerve au plus haut point, et
en plus, elle te fait du rentre-dedans ! Si les rôles étaient inversés et qu’un
infirmier me drague aussi lourdement, comment réagirais-tu ?
— Au quart de tour, répondit Rage, tout sourires. Ça ne durerait pas : le
pauvre gars aurait du mal à te toucher avec les deux mains en miettes et à te
baratiner avec le maxillaire brisé.
Ellie éclata de rire.
— Attention, tu me donnes des idées sur la façon de corriger l’autre peste ! Ce
qu’il me tarde de la voir partir… Il n’y en a plus pour longtemps, Dieu merci.
Rage rit à son tour.
— Bien dit ! Remercie ton Dieu, glissa-t-il, l’œil pétillant de malice. Et sinon,
pour ce fameux massage aux huiles chaudes… Tu es partante ?
— Avec grand plaisir.
— Pas à l’épaule, ronronna l’Hybride. Et débarrasse-toi de ce jean. J’espère
que tu as tenu ta promesse et que tu ne portes pas de culotte.
— Quelle promesse ? J’avais fait vœu de toutes les brûler si tu continuais à
me faire du bien, c’est vrai, mais tu as dû t’interrompre quand Super Poufiasse a
débarqué.
Ellie descendit du lit et s’en écarta de quelques enjambées, puis déboutonna
son jean et en écarta les pans.
— C’est ton jour de chance : promesse tenue ou non, je n’en porte pas.
Rage riva les yeux sur le triangle de chair ainsi dévoilé. Tout en poussant un
grondement sourd, il empoigna le drap qu’il envoya valdinguer et se leva d’un
bond. Ellie se passa la langue sur les lèvres et jeta un coup d’œil inquiet à la
porte.
— Il faudrait vraiment qu’on pose un verrou…
— Elle n’osera jamais, grogna l’Hybride.
— Chasse cette pensée, murmura-t-elle, l’index devant la bouche, tu vas lui
donner de mauvaises idées…
La jeune femme trottina jusqu’au petit secrétaire, souleva la chaise et alla
caler celle-ci sous la poignée de la porte. Puis elle fit volte-face, ôta sa tunique et
la jeta par terre.
— Tu n’as pas brûlé tes soutiens-gorge, fit remarquer Rage en se débarrassant
prestement de son bas de jogging.
— J’étais au travail. Tu tiens tant que ça à ce que mes seins ballottent sous le
nez d’autres hommes ?
— Pas vraiment, non. Je tuerai le premier qui louchera sur ces seins, qui sont à
moi.
Ellie s’esclaffa en ôtant son jean.
— À toi, hein ?
— À moi, confirma-t-il en l’enlaçant.
Puis il lui plaqua les mains sur la poitrine.
— Massage d’abord ?
— Non. La dernière fois, c’est moi qui ai été régalé le premier. Allonge-toi,
ma beauté. Tu me dois un repas.
Ellie sortit de son étreinte et grimpa sur le matelas. Allongée sur le dos, elle
sourit à Rage qui se penchait déjà sur elle.
— Si quelqu’un nous interrompt, gronda l’Hybride en la saisissant par les
hanches puis en commençant à la caresser, je jure que je fais un carton. Avec le
flingue que j’ai rangé dans le tiroir de la table de nuit.
Ellie ricana.
— Tu n’aurais pas dû me dire ça. C’est sur Belinda que je vais faire un carton.
Rage lui adressa un clin d’œil.
— Je te montrerai tout à l’heure comment ça fonctionne.
CHAPITRE 18
— Pas question.
Rage, inflexible, avait les yeux assombris par la fureur. Ellie soutint son
regard.
— Justice insiste. Il dit que le public demande à me voir, à s’assurer que tout
va bien pour nous. Ce serait l’occasion d’annoncer que tu te rétablis.
— Non, gronda l’Hybride, les bras croisés.
Ellie cessa d’occulter le micro du téléphone.
— Il refuse, Justice. Je suis désolée.
La jeune femme écouta la réponse puis raccrocha. Elle s’installa au bord du
lit.
— Il dit qu’il comprend et qu’il se contentera de diffuser un communiqué
écrit. Quelqu’un nous apportera le texte pour qu’on le valide dans l’après-midi.
Il partira ce soir.
— Peu m’importe son contenu. Rappelle-le et dis-lui que je me fie à son
jugement.
— Entendu. (Ellie marqua un temps.) Je peux savoir pourquoi tu refuses que
j’aille parler aux journalistes ?
— Tu n’iras nulle part. On t’a déjà prise pour cible, je refuse de t’offrir en
pâture aux cinglés de la gâchette.
— Tu te fais du souci pour moi, conclut Ellie, sa rancœur envolée.
— En permanence. C’est mon boulot de veiller à ce qu’il ne t’arrive rien, et
dans cette optique, le plus simple, c’est de ne pas t’exposer.
— D’accord.
— D’accord ? Tu ne râles pas ?
Le colosse n’avait pas l’air convaincu à cent pour cent.
— Tu n’as pas l’intention d’aller parler aux reporters dans mon dos, j’espère ?
— J’ai déjà dit non à Justice. Et pour qui tu me prends, d’abord ? maugréa
Ellie, les sourcils froncés.
— Pour une nana qui déteste s’entendre dire ce qu’elle doit faire ou ne pas
faire.
La jeune femme haussa les épaules.
— Je sais que tu agis ainsi pour me protéger. Et que tu as d’excellentes raisons
de me l’interdire : la dernière fois qu’on s’est présentés à la presse, tu as reçu
deux balles.
Rage se décrispa.
— Merci, lâcha-t-il sur un ton bourru.
— C’est l’heure de changer les pansements et d’avaler ses médicaments,
roucoula Belinda en entrant dans la chambre, sa trousse à pharmacie en main.
Ellie, plus qu’agacée, adressa une grimace à Rage pour lui signifier son état
d’esprit puis se leva.
— Je file sous la douche.
— Fais vite.
La jeune femme coula un regard noir en direction de l’infirmière en se
dirigeant vers la salle de bains. Peine perdue : Belinda l’ignora superbement. Il
en était ainsi depuis que Rage l’avait congédiée avec fracas. Cela étant, plus
personne n’avait déboulé dans leur chambre à l’improviste. Ellie se déshabilla
puis régla la température du jet. La journée avait été longue, elle était heureuse
de pouvoir se délasser.
Un profond soupir lui échappa tandis qu’elle se glissait sous l’eau chaude.
Elle ferma les yeux et s’obligea à se détendre.
Ses pensées dérivèrent aussitôt vers les problèmes de boulot. Au cours d’une
ronde, un vigile humain était tombé par mégarde sur l’une des Hybrides de petite
taille, qui s’était mise à hurler en découvrant un « intrus » mâle dans la cuisine
du bâtiment.
Il avait fallu une heure à Ellie pour la calmer. Puis elle avait téléphoné au
poste de sécurité, à Darren Artino et à Justice, exigeant d’eux que plus aucun
vigile de sexe masculin ne pénètre dans le dortoir des filles sauf en cas
d’urgence, et ce, jusqu’à ce que les nouvelles pensionnaires soient habituées à
côtoyer des hommes. Le responsable de la sécurité s’était insurgé contre cette
requête ; Ellie n’avait eu gain de cause que grâce à l’appui de Justice. Pour
couronner le tout, elle était tombée nez à nez avec Super Poufiasse en rentrant à
la maison, ce qui n’avait fait qu’accentuer son stress.
La porte de la salle de bains s’ouvrit à la volée. Le choc contre la paroi était
d’une rare violence. Ellie sursauta puis fit coulisser l’ouverture de la cabine de
douche : Rage était là, les traits assombris par la fureur. La jeune femme voulut
se saisir de sa serviette et grimaça. Un coup d’œil à sa main endolorie lui apprit
qu’elle s’était entaillé la paume contre une arête métallique. Un mince filet de
sang commençait à sourdre. Elle s’empressa d’oublier cette écorchure minime, il
y avait plus pressé, connaître l’origine du courroux de Rage.
— Qu’est-ce qui se passe ?
L’Hybride referma la porte tout aussi violemment, les enfermant ensemble.
— Cette nana doit foutre le camp !
Ellie s’entoura de la serviette et sortit de la cabine de douche, encore toute
ruisselante.
— Super Poufiasse ? Tu prêches une convertie !
— Cette salope-là, oui !
Rage, tremblant, dévisagea Ellie et devint tout pâle.
— Je ne l’ai pas embrassée. C’est elle qui m’a agrippé et a posé ses lèvres sur
les miennes. Elle a même essayé de faire entrer sa langue dans ma bouche. (Il
gronda.) Je l’ai repoussée ; elle a commencé à se déshabiller. (Nouveau
grondement, plus sonore.) Alors je me suis réfugié ici. Il faut qu’elle parte.
En entendant cela, Ellie sentit sa colère dépasser celle de l’Hybride.
— Elle t’a… embrassé ?
— Elle m’a d’abord fait une piqûre, puis elle a changé mes pansements, et là,
sans crier gare, voilà qu’elle se jette sur mes genoux et qu’elle m’embrasse à
pleine bouche. Fais-la sortir avant que je lui fasse du mal, Ellie.
— Elle est à moi.
Ellie défit la serviette et opta pour sa chemise de nuit accrochée à la porte. Pas
le temps d’aller chercher des fringues propres dans l’autre chambre, et pas
question non plus de remettre la tenue dans laquelle elle avait sué toute la
journée. Un nouveau coup d’œil à Rage lui fit prendre conscience de sa tension
extrême. Il la dévisageait sans mot dire.
— Je m’en occupe.
— Je n’ai rien fait pour provoquer ça…
— Je te crois, dit Ellie en acquiesçant.
Rage se saisit d’elle sans crier gare alors qu’elle passait sous son nez. Il
l’enlaça et lui prit le visage entre les mains.
— Embrasse-moi.
— Laisse-moi d’abord m’occuper d’elle.
— Embrasse-moi, grinça-t-il. Son odeur est sur moi, c’est insupportable.
Ellie comprit. Rage avait l’odorat hypersensible et appréciait d’avoir l’odeur
d’Ellie à fleur de peau : il se frottait à elle à tout bout de champ afin de s’en
imprégner. Aussi perturbant que cela soit, c’était en même temps génial de
savoir qu’il aimait aller partout avec sa trace olfactive.
Elle l’embrassa. Frotta son corps menu à l’immense carcasse de l’Hybride. De
toute évidence, Rage faisait peu de cas des auréoles qui fleurissaient sur sa tenue
au contact de celle d’Ellie. Elle fit courir ses mains sur son visage, dans son cou.
Prit soin de se frotter partout où Belinda avait pu apposer son odeur.
Ses pieds quittèrent le sol ; son dos heurta la paroi. Les mains de Rage
glissèrent jusqu’à ses hanches. Il la souleva encore et lui écarta les jambes afin
qu’elle les love autour de sa taille. À cet instant, la lucidité rattrapa Ellie qui se
débattit dans les bras du colosse. Elle cessa de le caresser et laissa pendre ses
jambes.
Mettant fin à l’embrassade, la jeune femme vit immédiatement le filet de sang
qu’avait laissé son écorchure oubliée sur le maxillaire et la joue de Rage.
— Lâche-moi. Je te mets du sang partout.
— Tu saignes ? s’inquiéta-t-il aussitôt. Où ça ? J’étais trop remué pour le
remarquer, et je retenais en plus ma respiration pour éviter d’inhaler l’odeur de
cette nana.
Elle rougit.
— Je me suis écorché la main sur la porte de la douche. Une vis qui dépasse,
peut-être… Je mets un pansement et ensuite, je m’occupe du cas Belinda.
Comme, en plus, je vais bientôt avoir mes règles, j’en connais une qui va
amèrement regretter d’avoir déconné avec toi.
Quelque chose changea dans le regard de Rage, qui inhala à fond.
— Tes règles sont pour bientôt ? Je ne sens rien…
— Bizarre, ça ! Brise m’a pourtant prévenue que les mecs hybrides s’en
aperçoivent à près d’une borne de distance… et m’a dit quoi faire quand ça
arrive.
Rage grogna doucement.
— Bien vu de sa part.
— Sinon, toujours selon elle, jamais je ne pourrais rentrer à la maison sans me
faire repérer à l’odeur. (Ellie sourit brusquement.) Elle a voulu me faire marcher,
ou quoi ?
— Ça nous excite, ronronna l’Hybride, les pupilles assombries par le désir.
— Ah bon ?
— Tu n’as jamais laissé un homme te toucher pendant tes règles ?
Ellie secoua la tête. Son ex-mari avait toujours joué les dégoûtés à cet égard et
la jeune femme, pour sa part, n’avait jamais jugé nécessaire d’insister : souvent
ballonnée et sujette aux crampes abdominales, elle ne s’était jamais trouvée sexy
pendant ces jours-là.
— Ça rend les femmes plus chaudes et plus humides, précisa Rage en la
plaquant plus fermement contre le mur. Je t’ai déjà dit à quel point c’était
excitant ?
— Rage, arrête, rétorqua Ellie qui, tout en souriant, le repoussa afin de
prendre un peu de champ. Mes règles n’ont pas commencé, j’ai la main qui
saigne et il faut que j’aille toucher deux mots à Super Poufiasse. Patience. J’en
termine avec elle et je suis à toi.
Rage gronda plus fort et refusa de reculer, continuant à coller Ellie à la paroi.
Prise d’un malaise diffus, elle poussa tant qu’elle put.
— Ça suffit, d’accord ? Tu m’écrases. Laisse-moi passer.
Il recula comme à regret. Ellie se faufila comme une anguille puis, enfin
libérée, secoua la tête.
— Allez, mon grand, laisse-moi sortir de la salle de bains. Je botte les fesses
d’une certaine infirmière et ensuite, je te remets au lit. (Elle lui frotta le bras.) Tu
dois te ménager, tu n’es pas encore totalement remis. Rappelle-toi ce qu’a dit
Trisha. En me faisant l’amour contre le mur, tu risquerais de faire sauter tes
points de suture. On pourra s’envoyer en l’air dans toutes les positions qu’on
veut d’ici quelques jours, mais dans l’intervalle, on la joue tranquille, d’accord ?
Dans un lit.
Brise descendit de voiture et posa un regard inquiet sur les deux mâles. Justice
et Slade patientaient devant chez Rage. Elle s’était attendue au pire en recevant
le coup de fil, mais manifestement, Rage ne s’en était pas pris à eux. Mise au
courant du seul plan susceptible de sauver l’amant d’Ellie, l’amazone avait
accepté de tenir le rôle clé. Elle les rejoignit en tremblant.
Justice s’exprima le premier.
— Brise, je suis navré de te demander ça. (Il contempla ses pieds.) Dans son
état, Rage est vraiment fichu de blesser Ellie. L’humaine est beaucoup moins
robuste que toi, il pourrait lui briser les os rien qu’en la serrant un peu trop
fort… voire la tuer s’il est aussi agressif que ce que nous craignons.
Brise réprima une grimace.
— Je comprends. Ellie risque de m’en vouloir à mort, mais c’est un moindre
mal. Il n’est pas question que je laisse Rage la tuer. J’y vais et je fais au mieux.
Justice releva enfin la tête. Ses yeux étaient emplis de tristesse.
— Vraiment désolé. Du fond du cœur.
L’amazone opina.
— J’aime vraiment beaucoup Ellie. Je l’aurais fait uniquement parce que tu
me l’avais demandé, mais là, c’est carrément hors de question que je n’y aille
pas.
— Ellie comprendra.
— Tss… Les mecs ne comprennent jamais rien, ricana Brise.
En réaction, le chef des Hybrides fronça les sourcils.
— Si nous entrons et essayons de le maîtriser, il tentera de nous tuer et nous
serons obligés de répliquer, exposa Justice d’un ton égal. Quant à l’endormir à la
seringue hypodermique, c’est trop risqué aussi : la surdose de produits chimiques
peut provoquer un arrêt du cœur. T’envoyer au casse-pipe dans l’espoir de
l’apaiser est notre meilleure option. Surtout, appelle à l’aide s’il se montre
dangereux. Je refuse de te laisser mourir. S’il t’attaque, il faudra qu’on le
neutralise… quitte à devoir le tuer.
Brise ouvrit la porte, pénétra dans le vestibule et referma derrière elle. Puis
elle dut faire une pause le temps que la peur reflue. L’amazone n’avait affronté
ce type de situation qu’une seule fois – et avait failli y passer. Elle fit rouler ses
épaules. Ellie était devenue son amie, la crise qui couvait se devait d’être résolue
entre Hybrides. Mais comme elle n’était pas celle que Rage attendait, Brise pria
pour avoir le temps d’en placer une avant qu’il ne la tue.
L’immense Hybride se figea après avoir fait trois pas en direction du salon,
respira à fond puis recula. Elle rouvrit la porte d’entrée et s’adressa à Justice.
— Qui est entré là-dedans ?
— Pourquoi ?
— Contente-toi de répondre, grinça Brise.
— Moi, Tigre, Slade, Rage, Ellie et l’infirmière. Je peux savoir pourquoi ?
L’amazone le foudroya du regard.
— Cette infirmière ne serait pas une petite nana aux yeux verts, par hasard ?
Justice acquiesça.
— C’est en effet ce à quoi ressemble Belinda Thomas. Quel est le problème ?
— Je connais cette odeur. La nana en question bossait dans mon secteur du
labo. Tu n’as jamais eu affaire à elle ? Son nom, c’est Beatrice Thorton, pas
Belinda Thomas.
— Tu en es sûre ? demanda Justice, une colère froide dans les yeux.
Brise manifesta son courroux en montrant les crocs.
— Oublier la puanteur de quelqu’un d’aussi tordu ? Jamais. C’est elle qui
s’est occupée de Rage ?
Justice blêmit.
— Elle lui administre son traitement…
— C’était la plus cruelle d’entre tous, gronda l’amazone. Et le hasard fait
rudement bien les choses : elle supervisait les drogues expérimentales qui nous
étaient injectées.
Quelque chose se brisa avec fracas à l’arrière de la maison. Brise serra les
poings.
— Où est-elle ?
— Au poste de sécurité, en attente de son expulsion. Comme on n’a pas pu
récupérer ses affaires, elle attend qu’on les lui rapporte.
Justice voulut utiliser son portable et prit conscience qu’en fuyant pour
échapper aux griffes de Rage, il avait dû le laisser tomber dans la chambre.
Probablement quand il avait été projeté contre le mur.
— Je me charge de la faire mettre au trou, dit-il avant de se diriger vers la
voiture pour passer un appel radio.
Brise referma la porte, inquiète du vacarme qui retentissait au fond du
bungalow. Si l’ennemie déclarée des Hybrides avait injecté à Rage les pires
saletés à sa disposition, il fallait s’attendre à une réaction effrayante. Elle
s’aperçut qu’elle tremblait et corrigea sa posture. Avec un peu de chance, il serait
possible de discuter avec Rage et la crise pourrait aisément être désamorcée. Le
raffut continuait. Comme si Rage, rendu fou furieux, était en train de saccager
une pièce entière de sa propre maison.
— Une seconde, grinça Ellie en coulant un regard noir à Tigre qui lui faisait
signe de se dépêcher de sortir. Le temps d’enfiler des chaussettes. Je ne vais
quand même pas sortir pieds nus !
— Du nerf. L’équipe sera là d’une seconde à l’autre, je veux qu’on soit prêts à
partir à leur arrivée. (Il se dirigea vers la porte d’entrée.) Pourvu que Brise
parvienne à le calmer avant qu’il se lance à vos trousses…
Ellie fit un pas vers lui après avoir entendu sa dernière phrase.
— Brise ? Qu’est-ce qu’elle fabrique chez Rage ?
Tigre se retourna.
— Elle s’efforce de remplacer votre odeur par la sienne. Brise est consciente
qu’il risque de vous tuer et fait son possible pour vous sauver la vie. De toutes
nos filles, c’est elle la plus solide. On a essayé d’envoyer une des nanas qui
étaient dans le même labo que Rage, puisqu’il les connaît, mais aucune n’a eu le
cran d’y aller. En captivité, toutes les Hybrides ont vu ce qui se passe quand un
mâle est victime d’une surdose de médocs. Seule Brise a eu le courage d’aller
risquer sa peau pour épargner la vôtre. Allez, Ellie, grouillez-vous. Si Rage
refuse de sentir Brise, il va vous donner la chasse.
— Brise va l’autoriser à ce qu’il la… renifle ? En quoi cela la met-elle en
danger ?
L’agent de l’OPH poussa un juron indistinct.
— Quand l’un des nôtres a pété les plombs et est bloqué en mode chasse, la
colère peut se muer en… désir sexuel. (Court silence.) Ça n’a rien d’agréable
pour la partenaire concernée, Ellie. Si Rage accepte Brise à votre place, elle va
vivre un enfer, c’est couru. Le risque qu’il la tue est bien réel.
Ellie eut l’impression d’avoir reçu un coup de poing au foie.
— Tu veux dire qu’elle… qu’il… qu’ils vont…
— Dans ces cas-là, il s’agit de sexe primaire et violent, Ellie. Finissez ce que
vous faisiez et allons-y. Il est impossible de savoir s’il va accepter ou non. S’il la
tue d’emblée, elle ne parviendra même pas à le ralentir. Les tranquillisants ne
sont pas une option non plus : avec ce qu’il a déjà dans les veines, ça pourrait lui
être fatal. Nous faisons le maximum pour vous sauver tous les deux.
Impatient de voir l’équipe arriver, Tigre lui tourna le dos et scruta la rue par la
fenêtre. Le cœur d’Ellie battait à tout rompre. Elle ferma les yeux et se laissa
submerger par l’afflux d’informations. Quel merdier…
— Je crois que je vais vomir.
La jeune femme courut jusqu’à la salle de bains, claqua la porte et ferma à clé.
Puis elle fit couler le robinet du lavabo à pleine puissance pour couvrir sa fuite et
ouvrit la fenêtre.
CHAPITRE 19
Cette odeur avait quelque chose d’irrésistible. Rage la renifla, aux prises avec
la brume mentale qui l’empêchait de formuler une pensée cohérente. Il n’était
plus que colère et douleur cuisante. Ses efforts payèrent ; son champ de vision se
dégagea.
L’humaine qui se tenait nue, à moins d’un mètre, lui rappelait vaguement
quelque chose. Ses grands yeux bleus étaient écarquillés par la terreur. Il renifla
de plus belle et fouilla dans sa mémoire embrouillée. L’Hybride se vit de retour
dans sa cellule. Ses bourreaux lui avaient fait du tort… L’humaine y était
forcément pour quelque chose… D’autres images l’assaillirent.
Il la vit qui lui souriait, perçut l’écho de son rire clair, crut se souvenir qu’il lui
avait caressé la joue. Il sut qu’il la connaissait bien malgré son état de confusion
totale. Nouveau reniflement, toujours cette odeur. Les fragments de souvenir
affluèrent.
Son regard s’attarda plus bas… et le désir s’empara de lui. Il eut brusquement
envie de l’attraper, de la mettre à genoux et de la posséder. Puis il hésita : agir
ainsi, ce serait faire mal à la petite humaine, et pour quelque raison obscure, il
sut que c’était mal. Elle comptait pour lui, c’était sûr, mais pourquoi ? Rage
consacra toute son énergie à déchirer cette brume. Qui était-elle ? Pourquoi
diable une humaine serait-elle importante puisqu’ils étaient tous ses ennemis ?
D’autres réminiscences se bousculèrent. La petite blonde qui lui souriait,
assise en face de lui ; puis assise sur ses genoux et pendue à son cou. Eux deux
prenant une douche ensemble, l’humaine lui savonnant le torse avec ses petites
mains couleur porcelaine, lui se penchant pour l’embrasser. Il avait son nom sur
le bout de la langue, sa cervelle était en ébullition… et soudain, il sut.
Ellie. La femme autour de laquelle tout gravitait, qui le rendait heureux. Rage
fit un pas hésitant vers elle, luttant à la fois contre la fureur noire qui menaçait de
l’engloutir et contre les élancements terribles qui le mettaient presque à genoux.
Il lui fallait l’étreindre, la toucher. Il connaissait son nom. L’aimait de toute son
âme. Son odeur lui servait de bouée. S’approcher encore.
— Ellie, grogna-t-il.
Quelque chose venait enfin de s’allumer dans les yeux noirs de l’Hybride.
Une lueur d’émotion. Ellie sourit.
— Oui, Rage, c’est bien moi. Approche tout doucement. Sans me faire de mal.
Deux pas de géant maladroits plus tard, il s’immobilisa devant elle. Ellie
tendit la main lentement, dans un geste d’apaisement… et se retrouva ceinturée
puis plaquée contre le mur, avec tant d’énergie qu’elle en eut le souffle coupé.
Rage enfouit sa tête dans le creux de son épaule pour mieux la respirer. Ellie
inspira à fond. Brise, debout au beau milieu de la chambre dévastée, observait la
scène en ayant l’air très, très inquiète.
— Tout va bien, murmura Ellie. Tu peux y aller.
L’amazone hésita.
— Ellie, gronda Rage.
— Oui, bébé, c’est moi, dit-elle en se pendant fermement à son cou.
Il gronda derechef et lui lécha le cou en haletant. Puis, d’une main puissante,
il lui pétrit les fesses avec une vigueur douloureuse. Ellie serra les dents et hocha
la tête à l’adresse de Brise pour lui signifier que tout allait bien. L’amazone
acquiesça et recula pas à pas ; Ellie la vit sortir en refermant la baie vitrée.
— Ellie, gronda Rage.
— Je suis là.
Changeant de posture, le colosse fit pression avec son torse massif. Il cessa de
lui martyriser le fessier pour déchirer quelque chose. Ellie ferma les yeux et
s’efforça de discipliner sa respiration.
— Rage ? Tu m’entends ? Parle-moi.
Énième grondement. Douleur à la taille : il la ceinturait avec hargne. De sa
main libre et d’un mouvement de hanches, l’Hybride força le passage entre les
cuisses d’Ellie qui hoqueta. Rage grogna de plus belle… mais la pression
diminua.
— Rage ?
Il la relâcha aussitôt et recula en titubant. Ellie, qui tremblait comme une
feuille, eut du mal à garder l’équilibre. Sous ses yeux, l’immense Hybride tomba
à quatre pattes et poussa un cri déchirant qui fit à Ellie un pincement au cœur.
Elle s’agenouilla à son tour et n’hésita pas une seconde à se coller à lui, à
l’enlacer tendrement.
— Je suis là, mon grand. Ça va aller. Tu m’entends ? Je t’aime.
Comme secoué d’un spasme, il se redressa en faisant pivoter sa grande
carcasse. Ellie, éjectée, se retrouva assise sur le tapis. Rage se pelotonna contre
elle en un éclair. Couché sur le flanc, la tête posée sur les cuisses d’Ellie, il replia
les jambes jusqu’à ce qu’elles lui appuient dans le dos et s’agrippa à elle comme
un naufragé à sa planche de salut. Le visage enfoui contre le ventre de la frêle
humaine, il se mit à sangloter.
Ellie baissa les yeux. Le voir ainsi lui brisait le cœur ; elle sentit les larmes
affluer. Se reprit aussitôt. C’était affreux, Rage avait l’air d’un enfant apeuré.
Secouée de légers tremblements, elle lui passa la main dans les cheveux tout en
lui frottant le dos.
— Tout va bien. Je suis là. On va s’en sortir ensemble.
— Qu’est-ce qui m’arrive ? dit-il d’une voix rauque en l’étreignant.
— Rien de méchant. Un produit utilisé pour te soigner qui te tape sur le
système. Ça va passer.
Il secoua la tête.
— Non, c’est autre chose. Je connais ces produits-là, j’en ai déjà pris. C’est
très différent. Ça vient d’un coup. (Il eut un soubresaut aussi violent
qu’involontaire.) J’ai du mal à penser ; la colère me consume.
— Tout va bien se passer, promit Ellie d’une voix douce. On est ensemble. Je
resterai assise avec toi le temps qu’il faudra. Tu ne vas pas me faire de mal, je le
sais, parce que tu m’aimes autant que je t’aime.
Il frotta son visage contre le ventre d’Ellie. Tira la langue et lui lécha la base
de la poitrine. La jeune femme, titillée, se cabra pour l’empêcher de
recommencer.
— Ça chatouille.
— Tu es nue.
— Oui, hein, tu as remarqué ? C’était pour attirer ton attention.
— Mon attention, tu l’as toujours.
En l’inspectant des pieds à la tête, Ellie vit que Rage avait le devant du jean
arraché : c’était ça, le bruit d’étoffe déchirée quand il l’avait plaquée contre le
mur. Elle frissonna. Si elle avait échoué à le calmer, à l’atteindre
émotionnellement, il l’aurait baisée debout, brutalement, sans le moindre égard
pour elle ou pour ses propres blessures. Ellie continua à lui frotter le dos et à
jouer avec ses mèches sombres.
— Parle-moi. Je fais mon possible, mais les ténèbres sont tout près.
Ellie vit qu’il avait les yeux rivés sur elle et qu’un voile de brume pesait sur
ses pupilles chocolat.
— Je suis avec toi, mon grand. (Un sourire forcé aux lèvres, elle tenta de
dissimuler son inquiétude.) Je ne bougerai pas tant que tu n’es pas redevenu toi-
même.
— J’ai fait du mal à quelqu’un ? Tout est flou, dans ma tête…
— Tout le monde va bien, ne t’en fais pas.
Brise exceptée, bien sûr. Mais mieux valait ne pas en parler.
— Je te veux, ronronna-t-il, les yeux fermés.
— Laisse-moi me rhabiller, réagit Ellie en se crispant.
Il secoua la tête.
— Le désir me fait oublier la colère. Et puis, ça ne changerait rien : je te
sentirais autant à travers les vêtements. Tu saignes. Je t’ai blessée ?
— Non. De bêtes égratignures en escaladant le mur derrière la maison.
Elle fit tourner son pied jusqu’à avoir la plante en ligne de mire. L’entaille
était plus profonde qu’elle l’aurait cru, une petite tache de sang maculait déjà le
tapis.
— C’est mon pied qui saigne. Si tu bouges un tout petit peu, je pourrai
attraper un truc à mettre en dessous. Histoire d’épargner le tapis.
— M’en fous, du tapis.
Ellie s’esclaffa.
— Tu dis ça maintenant parce que tu es dans les vapes, mais dès demain, tu
me chanteras une autre chanson quand il faudra recouvrir la tache.
L’Hybride grogna.
— Je t’aime, Ellie.
— Moi aussi. Comment te sens-tu ?
— Enragé. Mal partout, aussi. Comme si j’étais en train de cuire.
— Reste bien collé à moi.
— Te lâcher est au-dessus de mes forces. Tu es bien sûre que je ne t’ai pas fait
mal ?
— Certaine. Tu ne m’as rien fait. Juste flanqué une trouille de tous…
La porte de la chambre s’entrouvrit. Ellie tourna la tête. Rage se crispa et
gronda. Trisha risqua un œil.
— Tout va bien ?
Ellie caressa de plus belle le dos de l’Hybride pour l’apaiser.
— Tout va bien, dit-elle assez fort pour que tout le monde l’entende… et en
priant pour que ce soit vrai.
Puis, à mi-voix :
— Détends-toi, mon grand. C’est le docteur Norbit.
— Je peux entrer ? souffla l’intéressée. Il faudrait que je l’examine…
Ellie pouvait-elle courir le risque de faire entrer quelqu’un d’autre ? Elle fut
prise d’un doute en l’étudiant.
— Reste bien collé à moi, mon grand. Trisha doit t’examiner pour voir si elle
peut faire quelque chose.
— Non.
L’étreignant douloureusement, il leva la tête vers elle.
— Tu es à moi. Je ne veux pas qu’ils t’emmènent.
— Je n’irai nulle part. C’est promis, tu entends ? Laisse entrer Trisha, je t’en
prie. Rien ne nous empêche de rester collés pendant qu’elle t’ausculte.
Rage prit une inspiration saccadée puis cilla. Il fit un signe de tête
approximatif puis tourna de nouveau son visage vers le ventre d’Ellie. La jeune
femme adressa un coup d’œil à Trisha.
Cette dernière pénétra dans l’embrasure pas à pas.
— Ellie, il faudrait aussi que Ted vienne. Il saura mieux que moi identifier la
substance d’après les symptômes que montre Rage.
Ellie tiqua en se rappelant qu’elle était nue.
— Je peux avoir quelque chose à me mettre, avant qu’il entre ?
Trisha enjamba les débris afin d’atteindre le lit. Elle tira sur le drap du
dessous, s’approcha du couple d’un pas hésitant puis entreprit de recouvrir Ellie
sans toucher l’Hybride. La jeune femme ne sut que penser : pour la couvrir, le
drap devait aussi englober la grande carcasse de Rage puisque celui-ci était collé
à elle.
— Ça ne va pas marcher… Si vous me donniez plutôt un de mes hauts rangés
dans l’armoire ?
Ellie se rappela alors que ledit meuble était renversé et poussa un soupir.
— Passez-moi plutôt le tee-shirt de Rage… Vous le voyez ?
Trisha lança le drap sur le matelas et se dirigea vers l’angle de la pièce. Les
bris de verre crissaient sous ses semelles. Elle ramassa le tee-shirt de l’Hybride
et retourna vers Ellie, qui se vit contrainte d’arrêter de cajoler Rage pour
l’enfiler. À la seconde où ses mains ne furent plus en contact avec les cheveux et
le dos du colosse, il se crispa, l’étreignit à l’écraser et enfonça la tête dans le
ventre de la jeune femme. Ellie se servit du tee-shirt pour se couvrir la poitrine
en toute hâte puis se remit à caresser Rage. Aussitôt apaisé, il cessa de la
comprimer entre ses bras musculeux et de lui appuyer douloureusement sur le
ventre.
— Je suis là, murmura Ellie. Tiens-toi à moi. Ils vont découvrir ce que tu as et
te guérir. (Elle leva les yeux vers Trisha.) Je crois que vous pouvez le faire
entrer. Mes seins sont couverts et j’imagine qu’on ne voit pas le reste de mon
anatomie, avec Rage lové autour de moi.
Trisha secoua la tête.
— De toute façon, Ted est médecin, lui aussi. Il vous a blessée ?
— Je n’ai rien. Je vous l’ai déjà dit, non ? Il est incapable de me faire du mal.
Rage grogna pour tout commentaire. Ellie se rencogna contre lui tout en
continuant à lui masser le dos et le cuir chevelu.
— Tout doux, mon grand. Ce n’est rien. Fais-moi confiance.
Le docteur Treadmont entra à son tour. Justice, quant à lui, s’arrêta dans
l’embrasure, renifla, se raidit et fronça les sourcils en dévisageant Ellie.
— Il ne m’a fait aucun mal, je vous dis. C’est moi qui me suis écorchée en
faisant le mur. D’où l’odeur de sang.
— Je sais tout cela, j’écoutais à la porte et j’ai tout entendu. C’est lui que je
reniflais. (Resté sur le seuil, le chef des Hybrides épia Rage avec le plus grand
soin.) Ted, il y a un truc qui cloche. Il sent bizarre, l’odeur n’est pas celle des
médocs qu’il prend depuis plusieurs jours.
Le toubib hocha la tête.
— Je m’en doute. Les symptômes ne correspondent pas à ce que nous lui
avons prescrit.
— Mais encore ? intervint Ellie en les regardant tour à tour.
— Le traitement ne devrait pas lui faire cet effet-là, répondit Treadmont en
s’agenouillant près du couple. (Il ouvrit sa sacoche puis se tourna vers Ellie.) J’ai
besoin de lui faire une prise de sang. Il est possible que son comportement soit
dû à un produit que lui a injecté l’infirmière. Un peu de sang est nécessaire pour
conduire des examens.
Sentant Rage se crisper et l’entendant gronder, Ellie se colla encore un peu
plus à lui.
— Rage, écoute-moi bien. On est ensemble et c’est tout ce qui compte. Ces
gens sont là pour t’aider, tu comprends ? Détends-toi.
Il hocha la tête contre son ventre.
Justice se détourna et s’adressa à voix basse à un interlocuteur resté hors de
vue dans le vestibule.
— Fouille la maison et les affaires de l’infirmière, et rapporte-nous les
médicaments que tu trouveras.
Puis, à Ellie :
— Comment ça se passe ?
— Il assure comme un chef. Et Brise ?
— Elle s’inquiète à votre sujet.
— Aucun souci à se faire.
Ellie regardait Ted et Trisha examiner Rage. Elle le caressait en multipliant les
propos apaisants afin qu’il se tienne tranquille pendant que Trisha lui faisait une
prise de sang dans le bras. Tendu et grondant à plusieurs reprises, l’Hybride ne
lâchait pas Ellie et buvait ses paroles, le visage enfoui contre son ventre.
— Rage ? demanda Ted à voix basse. Comment te sens-tu, mon garçon ?
— En colère, murmura le colosse. En rut aussi. Du mal à penser. La peau qui
me brûle. Perdu. Si douloureux… Envie de baiser Ellie à en crever.
La jeune femme se sentit rougir sans s’offusquer pour autant. Rage, en rut ? Il
ne lui apprenait rien : avec son jean déchiré, collé à elle comme il l’était, Ellie
n’avait aucun doute sur son état d’excitation à travers l’étoffe du caleçon.
— Te sens-tu d’humeur violente ? poursuivit Treadmont en piochant une fiole
de liquide incolore dans sa sacoche, puis une seringue dont il déchira
l’enveloppe stérile.
Rage hocha la tête.
— Je meurs d’envie de massacrer un truc.
— Écoute-moi, mon garçon. Je ne le ferai pas contre ton gré, mais que dirais-
tu d’une petite piqûre ? Comme ça, tu dormiras quelques heures, et avec un peu
de chance, la saleté qu’on t’a flanquée dans les veines aura cessé d’agir au réveil.
Si jamais il y a un problème, Trisha et moi restons à tes côtés pour agir
immédiatement.
La peur s’empara d’Ellie.
— Pas question ! Tigre a dit qu’il risquait d’y passer si on essayait de
l’endormir !
Le docteur croisa son regard et prit un air pénétré.
— Le risque existe en conjonction avec un autre produit, mais celui qui agit
sur Rage n’est pas celui auquel nous pensions alors. Je suis tout à fait certain que
son organisme peut tolérer un sédatif. Et si jamais je me trompe, nous sommes
parés, ajouta Ted en brandissant une autre seringue. À injecter en cas de
défaillance cardiaque. Tout est prévu, comme vous pouvez le voir, mais Rage
souffre, il l’a dit lui-même. Il faut l’endormir.
D’abord tendu comme un arc, Rage finit par se décrisper.
— Faites-le, gronda-t-il. Ellie, ne me lâche pas.
Il l’étreignit de toutes ses forces.
— Je suis là, promit la jeune femme à voix basse.
Treadmont administra le sédatif à Rage puis adressa un signe de tête à Ellie.
— C’est l’affaire de quelques minutes. Il va se détendre puis s’endormir.
— Tranquillise-toi, mon grand, murmura-t-elle. Je ne bouge pas. À ton réveil,
tout ira bien, tu entends ? Et je serai présente au moment où tu rouvriras les
yeux.
Il hocha la tête. Au bout d’une poignée de minutes, Ellie prit conscience que
le corps massif de l’Hybride, devenu flasque, lui écrasait les jambes. Elle dut le
tenir contre elle pour empêcher sa tête de basculer dans un angle incongru. Puis
ce furent les bras du colosse qui se ramollirent et qui glissèrent jusqu’au sol,
derrière les fesses d’Ellie. Elle fit un signe de tête aux deux médecins.
— Il est KO.
— Soulevons-le, dit Justice en entrant dans la chambre.
— Je ne préfère pas, rétorqua Ellie. Je suis à poil.
— Faisons-le de manière à ne pas vous révéler aux garçons, proposa Trisha en
se relevant. Ted et Justice, soulevez-le par les bras et gardez les yeux fermés.
Dès que possible, je passe une serviette à Ellie pour qu’elle se couvre avec. Sitôt
dégagée, Ellie, vous pourrez aller vous rhabiller dans la salle de bains pendant
que les garçons s’occuperont de l’étendre sur le lit. On a de la chance : c’est le
seul meuble de la pièce qui soit resté intact.
Les yeux fermés, donc, Ted et Justice manipulèrent la grande carcasse pendant
qu’Ellie s’enveloppait de la serviette fournie par Trisha. La jeune femme se
releva avec l’aide de cette dernière puis se hâta de récupérer ses affaires sales,
disséminées au petit bonheur, et se réfugia dans la salle de bains pour les enfiler.
Quand elle émergea, plusieurs autres personnes avaient afflué dans la chambre.
Rage était étendu sur le dos et dormait. Ellie le rejoignit, s’installa au bord du
matelas et se saisit d’une main molle.
— Le danger est écarté, assura Treadmont.
— Visez un peu, grinça Trisha en exhibant un flacon de liquide marron foncé
provenant de la trousse de Belinda, découverte dans sa chambre. Du
Freltridontomez.
— Bigre, maugréa Ted. Heureusement qu’on ne l’a pas endormi quand il était
debout. En se sentant agressé, il aurait pu faire une attaque avant que le sédatif
fasse effet.
— Qu’est-ce que c’est ? voulut savoir Ellie en regardant tour à tour les deux
médecins.
— Un composé chimique qui agit sur le cerveau. De faux signaux de douleur
aiguë arrivent au cortex sans que le corps souffre. Le patient entre dans une rage
folle, perd les pédales et devient incapable de formuler une pensée cohérente.
Les symptômes de Rage s’expliquent… et ils auraient empiré d’heure en heure.
— Pourquoi diable lui administrer cette merde ? s’interrogea Trisha tout en
continuant à inventorier le contenu de la trousse de la fausse Belinda. Elle savait
que Rage allait devenir hyper dangereux. D’après ce que j’ai lu dans les
rapports, cette saleté était utilisée de temps à autre sur les Hybrides pour les
obliger à se battre.
— En effet, gronda Tigre depuis le seuil de la chambre. On m’a injecté cette
merde deux ou trois fois. Je ne me rappelais même plus mon nom. Il n’y avait
que l’envie pressante de tuer quelqu’un, de me déchaîner au premier prétexte.
Quand j’émergeais du brouillard, je ne gardais presque aucun souvenir de ce que
j’avais pu faire.
En le voyant entrer dans la pièce, Ellie s’interrogea : lui tenait-il rancune de
lui avoir faussé compagnie chez Trisha ? Le regard noir qu’il lui lança précéda sa
réponse.
— Ça va se payer cher… Me filer entre les doigts et me voler ma bagnole…
— C’était pas malin de laisser les clés sur le contact, rétorqua Ellie, agacée de
le voir réagir ainsi. Et puis je te l’avais bien dit, que je ne risquais rien.
— C’est moi qui avais pris cette décision, intervint Justice en soupirant. Je
craignais pour votre vie, Ellie.
— Parce que j’avais tort, en affirmant qu’il ne me ferait aucun mal ?
— Vous avez eu de la chance, glissa Trisha. J’ai épluché les rapports de
Mercile au sujet de ce produit. (Elle secoua la tête.) Comportement brutal, folie
et pulsions homicides sont la norme. Cela étant, ces salauds-là n’ont
probablement jamais drogué un sujet afin qu’il s’en prenne à l’amour de sa vie.
Brise entra à son tour d’un pas hésitant. Elle s’était nettoyé la figure et portait
un débardeur non déchiré. Ellie la détailla, inquiète à son sujet.
— Comment vas-tu ?
L’amazone vint s’asseoir au bout du lit et fronça les sourcils.
— Bien, merci. Toi, en revanche, tu es vraiment cinglée… ou très, très
amoureuse.
— Un peu les deux, j’imagine.
Brise afficha un grand sourire aussitôt suivi d’une grimace. Elle porta la main
à sa bouche : une lèvre était gonflée, un vilain hématome commençait à bleuir.
Ellie observa les dégâts.
— Vraiment désolée qu’il t’ait frappée… Il n’était pas dans son état normal.
— C’est toi qu’il voulait, pas moi, et ça l’a mis en rogne. Je l’ai compris très
vite. Il aurait pu me faire beaucoup plus mal mais il n’en a rien fait.
L’amazone contempla Rage avant de poursuivre.
— Tu as fait le bon choix, Ellie. C’est un type bien qui n’a pas son pareil,
question self-control.
— Comment peux-tu dire ça après qu’il t’a frappée ? Tu devrais lui en vouloir
à mort, non ? rétorqua Ellie, perplexe.
— J’ai vu ce dont nos hommes sont capables quand ils perdent la boule. Ils
font des ravages. Lui a tout fait pour se retenir. Il n’a réagi qu’au moment où j’ai
voulu le toucher, ou quand j’ai essayé de l’empêcher d’aller jusqu’à toi. Et même
alors, il s’est contenté de me repousser d’une gifle, sans me mordre ou chercher
à me faire mal. (Elle marqua un temps.) Il n’a pas levé la main sur toi. Tu
n’imagines pas à quel point il t’aime, pour avoir trouvé la force morale de
calmer ses ardeurs.
Brise hocha la tête puis conclut, quitte à radoter :
— Rage est quelqu’un de bien. Un mâle très fort et très protecteur. Tu as fait
le bon choix, Ellie Brower.
Ellie acquiesça à son tour.
— Merci à toi d’avoir risqué ta vie pour sauver la mienne.
— N’en jetez plus, gronda Tigre.
Slade éclata de rire.
— On se fait tous des bisous ?
— Arrêtez, ordonna Justice calmement. (Un brin irrité, il regarda ses gars tour
à tour.) Cette histoire, c’est du sabotage qualifié. Slade, va toucher deux mots à
cette infirmière, ajouta-t-il, les traits tendus par la colère. Peu m’importe la façon
dont tu t’y prends. Je veux savoir pourquoi elle a fait ça, et qui l’y a aidée.
Le sourire de Tigre se figea.
— Je peux l’accompagner ?
Justice, perplexe, l’observa par en dessous.
— Tu as passé pas mal de temps, avec cette nana… Aurais-tu des sentiments
pour elle ?
— Non. Je suis furieux, au contraire. Elle a agi sous mon nez. Si Slade a des
scrupules à lui faire cracher le morceau, sache que je n’en aurai pas. Je n’irai pas
jusqu’à la tuer… mais elle risque de le regretter.
— Entendu. (Justice ménagea un silence.) N’oubliez pas que les humains vont
vous épier via les caméras. Certaines méthodes pourraient les choquer.
— Message reçu, répondit Slade, un sourire mauvais aux lèvres, avant de
tourner les talons et de s’éloigner.
Tigre lui emboîta le pas. Ellie les regarda s’éloigner jusqu’à ce qu’ils soient
hors de vue. Elle reporta son attention sur Justice.
— Pourquoi faire ça à Rage ?
— À cause de vous, répondit aussitôt Treadmont. Tous les yeux sont rivés sur
la relation que vous entretenez avec Rage ; les groupuscules extrémistes ne
veulent pas d’une belle histoire d’amour.
— C’est même pire que ça, reprit Trisha. Ce serait du pain béni pour Mercile
Industries si Rage, devenu fou, avait tué Ellie. Ouvrons les yeux, merde. Ils se
fichent comme d’une guigne d’avoir emprisonné des gens dans leurs labos
clandestins et d’avoir mené des expériences illégales sur eux. Leur message est
univoque : les Hybrides sont des animaux, pas des humains ; ils font tout pour
que les médias et le grand public pensent la même chose. Si un Hybride avait
pété un plomb et tué sa petite amie humaine, imaginez un peu la cata. Ellie et
Rage sont la cible idéale puisque le monde entier les observe.
— Et Beatrice Thorton a travaillé pour Mercile, grinça Brise.
— Beatrice Thorton ? Qui est-ce ? demanda Ellie.
— Une ancienne employée de Mercile Industries. Alias Belinda Thomas,
expliqua Justice en allant s’asseoir sur la commode renversée.
— Cette salope a travaillé pour Mercile ?
Ellie, abasourdie, se tourna vers Brise en quête d’une confirmation.
— Je l’ai reconnue à l’odeur en entrant ici, grogna l’amazone sous l’effet de la
colère. Difficile de l’oublier, celle-là : c’était la pire de tous. Elle torturait les
nôtres, ça la rendait toujours hilare de nous planter une aiguille dans le corps.
Elle prenait plaisir à nous voir souffrir. (Brise s’adressa à Justice.) Tu es bien sûr
de ne l’avoir jamais rencontrée ?
— Sûr et certain. Elle devait travailler uniquement dans l’aile des filles.
— C’est quand même étrange qu’elle n’ait pas eu peur de se faire reconnaître
par l’un d’entre vous, avança Ted.
— Comme elle travaillait dans l’aile des femmes, elle a pu estimer que le
risque était minime. (Ellie jeta un coup d’œil à la ronde avant de reprendre.)
C’est vrai, si on y réfléchit, la seule femme dans la vie de Rage, c’est moi. Ils
savaient que je ne risquais pas de l’identifier : j’ai bossé dans la partie du labo où
Rage était détenu. Pas elle. Tout le monde sait par ailleurs que les femmes
hybrides sont logées dans un même bâtiment et qu’elles ne sont pas légion. Je
l’ai vu aux infos : à les entendre, elles ne seraient qu’une poignée.
— Vous travailliez pour Mercile ? s’étonna Treadmont en jetant un regard noir
à Ellie.
— Ne vous faites pas de fausses idées, intervint Justice, les sourcils froncés.
Ellie était sous la responsabilité de Victor Helio. Vous l’avez rencontré. Il l’a
approchée alors qu’elle travaillait au siège de la boîte, sans savoir ce qui se
tramait dans les labos secrets. Quand il lui a fait part de ce que quelques-uns
soupçonnaient, il a demandé à Ellie d’aider à faire éclater la vérité. Cette jeune
femme a sorti des preuves en douce au péril de sa vie – des preuves qui ont
permis de lancer les perquisitions. Certains des rapports médicaux auxquels vous
avez accès sont le fruit de son aventure.
— Oh, se radoucit le médecin. C’était sacrément courageux, dites donc.
Qu’est-ce qui vous a poussée à agir ? L’envie de devenir agent secret, de
travailler pour la police ?
— Non, répondit Ellie en se retenant de rire. L’aventure, très peu pour moi.
J’ai simplement réagi à ce que m’a dit Victor Helio à propos des rumeurs qui
circulaient. Je ne pouvais quand même pas rester les bras croisés en sachant que
mes employeurs étaient soupçonnés de prendre des prisonniers pour cobayes !
L’idée m’a révulsée.
— Vous êtes quelqu’un de bien, déclara Ted.
Puis, à Trisha :
— S’ils sont décidés à utiliser leurs saletés de produits pour s’en prendre aux
Hybrides, les grands moyens s’imposent. Blocus impératif de tout ce qui pénètre
dans Homeland et qui est susceptible de constituer une menace.
— À commencer par l’alimentation, approuva Trisha.
— C’est possible, d’après vous ? s’inquiéta Justice.
— J’essaie de me mettre à leur place, rétorqua Ted, la mine grave. Comment
s’y prendre pour nuire à votre peuple… Faire péter les plombs à tout le monde
en contaminant la nourriture ? Ça aurait de la gueule.
— Au risque d’affecter aussi les humains qui vivent ici ? rebondit Justice,
perplexe.
Treadmont haussa les épaules.
— Je suis prêt à parier qu’ils s’en contrefichent. Mis en cause pour ce qu’ils
vous ont fait subir, ils n’ont qu’une seule échappatoire : affirmer que vous n’avez
rien d’humain. Dans cette optique, rendre une partie des Hybrides suffisamment
cinglés pour qu’un bain de sang éclate, avec les médias qui s’emparent aussitôt
de l’affaire, c’est l’idéal, non ?
— Nous n’avons aucune preuve qu’un complot de cette ampleur soit
d’actualité, gronda Justice. Je n’ai pas envie de semer la panique pour rien.
— Très juste, trancha Ted. Je m’attelle à dénicher une molécule susceptible de
neutraliser les effets délétères du Freltridontomez. De cette manière, s’ils
récidivent, nous disposerons d’un antidote injectable par voie hypodermique qui
permettra d’éviter que le sang coule. Ce serait l’idéal. Comme je l’ai dit tout à
l’heure, il existe un vrai risque d’AVC ou de crise cardiaque si l’on essaie
d’endormir un sujet rendu enragé par cette saleté.
Trisha se leva.
— Quelles sont les chances de trouver l’antidote, selon vous ? Il va falloir
faire vite. Et, en parallèle, faire analyser l’eau et les vivres qui arrivent.
— Nous possédons des documents relatifs au Freltridontomez rédigés par les
gens de chez Mercile. Il est possible qu’ils aient mis au point ce fameux antidote,
dit Ted en empoignant sa sacoche. Le fait que nous n’ayons pas mis la main sur
un papier le stipulant noir sur blanc ne prouve rien.
— Mettons-nous au travail, rebondit Trisha en prenant elle aussi sa sacoche.
(Elle se figea et adressa un sourire à Ellie.) Quand Rage s’éveillera, il se peut
qu’il souffre de la tête et ait mal partout, mais sinon, il devrait être entièrement
remis. Appelez-nous au moindre souci. Vous pourrez nous joindre au labo
central.
Sitôt les deux médecins partis en trombe, Ellie arqua un sourcil et marmonna à
Justice :
— Ils m’ont donné le tournis, dites donc… Ils sont toujours comme ça ?
Le chef des Hybrides opina.
— Ted est un brin paranoïaque, mais pour le reste, il est le meilleur dans son
domaine. Je ne crois pas à sa théorie du complot à grande échelle. Vous pouvez
manger et boire tranquille, Ellie. Si nos ennemis étaient en mesure
d’empoisonner nos stocks de vivres, ils n’auraient pas eu besoin d’envoyer cette
sorcière faire une piqûre à Rage, et nous aurions tous été contaminés.
— Selon vous, cette Belinda-Beatrice nous a-t-elle été envoyée par un groupe
d’extrémistes ou par Mercile ?
— Je penche pour Mercile. D’une pierre deux coups.
— Comment ça ?
Il arqua à son tour un sourcil.
— C’est à vous qu’ils doivent tous leurs ennuis, Ellie. Quelle meilleure
vengeance que de faire de celui pour lequel vous avez risqué votre vie votre
bourreau ? Imaginez un peu l’écho qu’aurait eu votre mort des mains de Rage ;
l’OPH ne s’en serait pas relevée. Ted a raison. La seule ligne de défense, pour
Mercile, consiste à convaincre l’opinion publique que nous n’avons rien
d’humain et que, de ce fait, nous utiliser comme cobayes n’était pas un crime.
Les gros bonnets de Mercile risquent la prison ferme. Sans parler des
compensations financières que nous exigeons.
Ellie soupesa ces arguments.
— Moi aussi, je parierais sur Mercile.
Elle jeta un coup d’œil à Rage : il dormait paisiblement.
— J’ai des coups de fil à passer, Ellie. Histoire d’apprendre ce que nous
chante cette Beatrice Thorton. Si vous avez besoin de quoi que ce soit,
retrouvez-moi au salon.
— Ne vous donnez pas la peine de rester. Et merci pour tout, au fait. Enfin,
pour presque tout : pas pour Tigre me balançant dans un coffre de bagnole.
Le chef des Hybrides grimaça.
— Je suis dans la pièce voisine. Nous devons rester à proximité pour nous
assurer que Rage aura vraiment récupéré à son réveil.
Sur ces bonnes paroles, Justice fit signe à sa troupe de le suivre. Brise se leva.
— Bon, je rentre me coucher.
Ellie lui adressa un regard chargé de gratitude.
— C’est vraiment chouette, ce que tu as fait pour moi. Je ne l’oublierai pas.
Merci du fond du cœur.
— On se reverra à ton retour au boulot. Prends quelques jours ; on se
débrouille, au bâtiment. Ne t’en fais pas pour nous.
— Merci encore.
Ellie vit la chambre se vider. Enfin seule avec Rage, elle se pelotonna contre
l’immense Hybride endormi.
— Je t’aime.
Elle s’agrippa à lui, consciente qu’ils avaient été à deux doigts d’y passer l’un
comme l’autre. L’idée la terrifia.
CHAPITRE 20
Hybrides :
1. Rage
2. Slade
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