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2021 17:32

Anthropologie et Sociétés

Comment réaliser la piété dans l’immanence ?


Exercices de (re)composition de modèles sociaux et éthiques
d’intellectuelles engagées et converties à l’islam
How to Achieve Piety in the Immanence ?
Endeavors to Construct Social and Ethical Models among
Intellectual Women Committed and Converted to Islam
¿ Cómo hacer realidad la piedad en la inmanencia ?
Ejercicios de (re)composición de modelos sociales y éticos de
intelectuales comprometidos y convertidos al islam
Géraldine Mossière

Femmes et subjectivations musulmanes Résumé de l'article


Women and Muslim Subjectivations Notre terrain ethnographique mené en France et au Québec auprès de femmes
Mujeres y subjectivaciones musulmanas entrées dans l’islam a mis en évidence la centralité du travail sur le soi (djihad
Volume 42, numéro 1, 2018 an-nafs) dans le processus de conversion. Si cette herméneutique du soi
correspond à une lecture théologique de l’être musulman et de sa formation,
URI : https://id.erudit.org/iderudit/1045127ar ces exercices de composition du sujet s’opèrent également à l’intersection de
deux systèmes culturels et sociaux en tension, celui d’origine et celui choisi.
DOI : https://doi.org/10.7202/1045127ar
Comment les femmes rencontrées s’approprient-elles ces deux univers de sens
et de normes ? Quelles nouvelles possibilités sociales et politiques ces
Aller au sommaire du numéro processus de subjectivation ainsi négociés ouvrent-ils ? Dans cet article, nous
décrivons les activités caritatives, comportements d’entraide et engagement
sociaux que les nouvelles musulmanes organisent comme une forme de praxis
Éditeur(s) inhérente à leur compréhension de l’islam. C’est dans l’action, la
démonstration, voire l’ostentation des pratiques axées sur la réalisation de la
Département d’anthropologie de l’Université Laval piété personnelle dans l’immanence que les converties élaborent des cadres
normatifs alternatifs, la volonté de perfectionner le soi étant ainsi mise au
ISSN service de la communauté. L’islam apparaît ici comme un langage identitaire
et politique, vecteur d’un projet de société alternatif.
0702-8997 (imprimé)
1703-7921 (numérique)

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Citer cet article


Mossière, G. (2018). Comment réaliser la piété dans l’immanence ? Exercices de
(re)composition de modèles sociaux et éthiques d’intellectuelles engagées et
converties à l’islam. Anthropologie et Sociétés, 42(1), 135–153.
https://doi.org/10.7202/1045127ar

Tous droits réservés © Anthropologie et Sociétés, Université Laval, 2018 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des
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COMMENT RÉALISER LA PIÉTÉ
DANS L’IMMANENCE ?
Exercices de (re)composition de modèles sociaux
et éthiques d’intellectuelles engagées et converties à l’islam

Géraldine Mossière

Tourner le regard vers le soi en vue de mener une « vie bonne » apparaît
comme un impératif individuel et moral pour beaucoup de contemporains. Le
sociologue Pierre Prades (2014) note que cette réflexivité est habituellement
vécue comme un choix non seulement rationnel mais aussi utilitariste, le sujet
devenant un projet en soi, et l’humain un foyer de potentialités à réaliser. Selon
lui, ce projet prend ses racines dans une éthique protestante libérale toujours active
dans les pays de tradition chrétienne, s’appuyant sur l’idéal de sanctification ou
de perfection propre aux puritains. Cette morale axée sur l’individu se conjugue
également à un principe de responsabilité personnelle et, on pourrait dire, sociale.
L’héritage de la philosophie antique et son intérêt pour le travail du sujet sur
lui-même ne sont pas étrangers à la centralité actuelle de l’accomplissement
du soi. La démarche typique du philosophe antique s’opère en effet à l’aide
d’exercices dits « spirituels » qui visent la connaissance et le déchiffrement du
soi de façon à, ultimement, incarner et refléter ce que l’on médite. Selon le
sociologue et philososophe Jean-Louis Schlegel, la sécularisation et l’avènement
du rationalisme ont relégué ces ascèses axées sur la sagesse et l’attention au soi
dans le domaine de la vie religieuse. Le philosophe Pierre Hadot (2002) ajoute
que, historiquement, ce souci du soi ne se dissociait guère du souci d’autrui ni
des affaires de la cité, au rang desquels figurent le devoir d’agir au service de la
communauté humaine, et selon la justice. Comme l’indique Jean-Louis Schlegel,
cette « tradition profane ou terrestre de la vie antique visait avant tout la vie
bonne en ce monde, le rapport à soi, au cosmos et aux autres hommes, et [elle]
apprenait aussi à mourir » (Schlegel 2014 : 36).
Technologie du soi par excellence (Foucault 2001), la conversion représente
sans doute l’archétype de ce travail d’amélioration et de réalisation de l’un,
au service du tout. Notre étude ethnographique menée auprès de converties à
l’islam au Québec et en France montre en effet que pour ces dernières, entrer
dans l’islam signifie incorporer un ensemble de pratiques religieuses et sociales
qui façonnent le sujet de piété musulman (Mossière 2013). Cette herméneutique
du soi s’opère conformément à une nouvelle conception du collectif qui, tout
comme elle, s’inscrit dans une structure sociale et politique, est porteuse de
Anthropologie et Sociétés, vol. 42, no 1, 2018 : 135-153

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désirs et vecteur de choix. Pour la plupart des nouvelles musulmanes que


nous avons rencontrées, l’islam offre un langage qui permet d’exprimer une
expérience d’altérité, de marginalité, ou de féminité, dans des environnements
où les identités et modèles sociaux sont relativement normés. Au Québec, il leur
donne également la possibilité de combler un vide dans la continuité d’une quête
morale ou éthique, que d’aucuns apparentent à la vague hippie des années 1960.
En France, il permet de pallier les promesses non tenues du modèle de fraternité
universelle et aux constats de fragmentation sociale particulièrement marqués
dans certaines zones urbaines. Plus largement, de nombreuses converties disent
trouver dans l’islam les éléments d’un projet alternatif, fondateur de la société
renouvelée « de demain ». Elles illustrent ainsi la démarche de plusieurs figures
célèbres telles qu’Éva de Vitray-Meyerovitch, Vincent Mansour Monteil, Roger
Garaudy et René Guénon qui, en choisissant l’islam, exprimaient une protestation
contre les ordres dominants de leur temps (colonisation, civilisation occidentale,
etc.). De la même façon, plusieurs femmes que nous avons rencontrées ont été
éduquées dans des milieux alternatifs de type Nouvel Âge ; d’autres disent avoir
hérité de valeurs humanistes ou socialistes chrétiennes ; certaines plus âgées
évoquent un passé militant et des prises de position en faveur des minorités et
groupes dominés dans le monde, l’opposition à la guerre d’Algérie par exemple.
Si le récit de ces femmes veut avant tout exprimer un retour au spirituel
dont l’islam se fait le vecteur autant qu’il lui donne sens, ces exercices
apparaissent à l’intersection de deux systèmes culturels et sociaux en tension :
celui d’origine, vécu et hérité, d’une part, et celui choisi, visé et fantasmé, d’autre
part. Comment négocient-elles et s’approprient-elles ces deux univers de sens et
de normes ? Quelles nouvelles possibilités sociales et politiques leur processus de
subjectivation ainsi négocié ouvre-t-il ? Dans cet article, nous examinons comment
les modes de constitution du soi de ces nouvelles musulmanes ancrées dans la
praxis de l’islam opèrent via leur être au monde et leur action sur le monde. Si la
démarche d’entrée et d’incorporation de l’islam qu’entament ces femmes donne
à voir les rapports de pouvoir qui traversent leurs univers politiques d’origine
et d’adoption, elle expose également les possibilités d’aménagement que l’un
peut apporter à l’autre. C’est dans l’action, la démonstration, voire l’ostentation
des pratiques axées sur la réalisation de la piété personnelle que s’élaborent des
cadres normatifs alternatifs, la volonté de perfectionner le soi étant ainsi mise
au service de la communauté. Ces processus de constitution de subjectivités
musulmanes s’exercent au sein de réseaux sociaux locaux et transnationaux
actifs, où ils consolident et desservent un engagement idéologique et social fort.
Après avoir présenté notre étude ethnographique et le profil des converties
rencontrées, nous décrivons leurs activités et engagements communautaires
ainsi que le projet social qu’ils véhiculent. Nous rappelons ensuite la définition
de l’être humain ainsi que les modes de constitution du sujet de piété tels
que véhiculés par la théologie musulmane à laquelle ces femmes adhèrent, et
soulignons combien les contraintes et conditions sociales et politiques balisent

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la (re)composition de ces subjectivités musulmanes, et orientent leur agir


social. Ainsi constitué historiquement, le sujet doit être pensé dans les cadres
normatifs qui lui sont propres et qui organisent ses capacités d’action et en
orientent le sens. L’analyse de nos données ethnographiques suggère que, fortes
de ce changement de paradigme qui leur permet de revisiter leurs expériences
du soi et du social, les nouvelles musulmanes se font les chantres de projets
de sensibilisation et de déconstruction des idées et discours dominants par
rapport à l’islam. Nous démontrons enfin qu’en formulant une vision de l’islam
culturellement et socialement acceptable, leur piété musulmane constitue un
exercice de composition d’un discours critique et alternatif aux ordres politiques
et éthiques dominants.

Nouvelles musulmanes
Éduquées, urbaines, connectées et engagées
Entre 2006 et 2008, nous avons mené une enquête ethnographique auprès
de femmes converties à l’islam en France et au Québec : 38 entretiens semi-
dirigés ont été menés au Québec et 40 en France, ces entrevues ont donné lieu à
deux études longitudinales au Québec et quatre en France, incluant observations
et plusieurs discussions informelles à intervalle. Les entrevues ont été dirigées
selon la technique du récit de conversion de façon à mettre en parallèle les
trajectoires biographiques et religieuses. Nous avons également effectué des
observations au sein d’associations où les répondantes sont actives ainsi que dans
des mosquées et dans divers centres d’apprentissage où elles suivent des cours
d’arabe ou sur l’islam. Les récits collectés auprès de ces femmes traitent de leur
parcours biographique antérieur à la conversion, puis de leur démarche vers et
dans l’islam. Ils portent en particulier sur les modes d’apprentissage des pratiques
religieuses et sociales et des codes de conduite liés à la tradition musulmane
(alimentation, habillement, hygiène, etc.). Plusieurs des femmes interviewées lors
de cette première phase de collecte des données ont été recontactées depuis 2016
dans le cadre d’une étude longitudinale toujours en cours qui a permis de
retrouver huit de ces femmes au Québec, et cinq en France.

Profils de converties
Parmi les 38 femmes rencontrées au Québec, 28 sont nées dans la province,
deux proviennent du Canada anglophone, cinq sont européennes, et trois sont
originaires d’Amérique du Sud. 36 des 40 répondantes rencontrées en France y
sont nées ; l’échantillon compte également deux Belges, une Britannique, et une
Rwandaise ; cinq des femmes nées en France sont filles d’immigrants (quatre
d’Europe du Sud ou de l’Est, une du Cambodge) tandis que quatre femmes sont
originaires des Antilles francophones (Guadeloupe, Martinique, Haïti). Si tous les
âges sont représentés, la génération des moins de 35 ans prédomine nettement, en
particulier en France : elles ont 30 ans ou moins (21 au Québec et 24 en France),
et la grande majorité est âgée de moins de 38 ans (31 au Québec et 30 en France).

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La plupart des femmes interviewées sont mariées à des hommes nés dans l’islam,
et les rares célibataires recherchent activement un conjoint de la même confession.
Des profils-types de trajectoires de conversion semblent se dessiner selon les
catégories d’âge puisque les plus jeunes ont habituellement adopté l’islam à
la suite de démarches personnelles, alors que les quadragénaires y ont surtout
adhéré dans le cadre d’unions mixtes (via la reconversion d’un mari musulman
de naissance, non pratiquant au moment du mariage).
Étant donné leur catégorie d’âge, la plupart des répondantes sont étudiantes,
bien que toutes aspirent à rester au foyer afin de se consacrer à leur vie familiale
et religieuse qu’elles considèrent inextricablement liées. Les niveaux d’éducation
sont généralement élevés, en particulier au Québec où plus du trois-quart
des femmes préparent ou détiennent un diplôme universitaire, 17 de niveau
baccalauréat québécois (licence en France), et 12 de second cycle ou plus ; parmi
les neuf autres converties, certaines ont suivi une formation professionnelle ou
obtenu un diplôme collégial. Outre les 14 étudiantes, les sept femmes au foyer,
les trois en retraite ou préretraite, et une femme travaillant à temps partiel, les
domaines d’activités des autres femmes converties sont variés : enseignement,
administration, service à la clientèle. En France, neuf femmes rencontrées ont
une scolarité de niveau baccalauréat ou moins, et ce sont aussi les répondantes les
plus jeunes ; 11 converties ont suivi une formation technique ou professionnelle
de moins de trois ans après le baccalauréat, et 10 détiennent ou sont en voie de
détenir une licence ; 10 femmes, soit un quart des répondantes sont diplômées
de niveau second et troisième cycle. Les activités et choix professionnels des
répondantes ne reflètent pas leur niveau de qualifications : huit converties restent
au foyer, neuf sont étudiantes, et trois occupent des emplois précaires dans la
restauration, au sein de l’entreprise familiale, ou dans l’entretien ménager.
La plupart des musulmanes que nous avons interviewées vivent dans les
centres urbains (Paris, Lyon, Rennes, Montréal, Québec) et celles qui proviennent
de milieux plus ruraux ont habituellement une expérience internationale
(séjours touristiques à l’étranger, stage de coopération, unions mixtes, etc.).
Contrairement au Québec où les nouvelles musulmanes rencontrées proviennent
de milieux sociaux très divers, une forte proportion des converties françaises est
issue des « cités », c’est-à-dire de banlieues urbaines fortement défavorisées et
marginalisées. Tandis que la plupart des femmes adhèrent à une vision réformiste
de l’islam, certaines parmi les plus éduquées ont choisi la tradition soufie. Dans
les deux espaces considérés, une part significative des répondantes œuvre dans
le domaine associatif au sein de leur mosquée, des associations musulmanes
étudiantes, des associations de femmes musulmanes, ou encore sur les forums
et sites Internet d’échanges et d’entraide. De façon générale, même si elles ne
s’engagent pas activement sur ces sites, la majorité des femmes maintiennent
des liens avec la communauté musulmane francophone, souvent transnationale,
via Internet ; quelques femmes résidant en France étant d’ailleurs en interaction
virtuelle avec certaines de nos répondantes outre-Atlantique.

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Engagement social et dynamiques associatives


En France comme au Québec, la majorité des converties, souvent les
plus engagées dans leur religion, valorisent la forte dimension communautaire
de leur groupe d’adoption. Cette collectivité est néanmoins vue sur un mode
global et universel que les nouvelles musulmanes opposent aisément aux
identités nationales. Ainsi, elles imaginent une communauté transnationale
unifiée, la Umma, sans toujours soumettre cette représentation à l’épreuve de la
réalité. Une telle vision est rendue possible par l’usage intensif des nouvelles
technologies de communication, mais aussi par l’absence d’une institution
d’autorité centralisée. En fait, bien que conçue sur un mode global et unifié, la
Umma se construit autour de petits groupes ancrés au niveau associatif local.
Par exemple, la majorité des converties étudiantes s’impliquent, à divers degrés,
dans les associations musulmanes universitaires, parfois affiliées à des mosquées
locales, ou qu’elles ont elles-mêmes créées. À cet égard, les fêtes religieuses,
moments de forte sociabilité, sont particulièrement appréciées, au point que de
nombreuses femmes se sont converties au cours du Ramadan. Cet engagement
communautaire et le fort investissement de temps qu’il induit mettent en évidence
des tensions internes à la Umma fantasmée, par exemple lorsque certains maris
se plaignent de l’absence de leurs femmes ou lorsque les sermons et rituels
menés par les imams sont exclusivement dispensés en arabe. Les femmes que
nous avons rencontrées contournent ces contraintes en rappelant que, une fois
acquittées de leurs devoirs domestiques, elles sont libres de leur emploi du temps.
Au Québec par exemple, Jennifer1, une femme de 45 ans très impliquée dans
l’Association musulmane québécoise (AMQ) a lancé sur Facebook un appel à la
mobilisation à ses amis dans le but d’engager un imam francophone, l’actuel ne
maîtrisant que l’arabe et l’anglais ; ultimement, elle évoque la possiblité de créer
une mosquée de convertis : « tu as la mosquée libanaise la mosquée tunisienne la
mosquée algérienne. ...alors une mosquée québécoise     😲 je me question [sic].
...la oumma est tellement divisée c’est triste. ..... »
Ce devoir d’implication sociale et politique que les femmes rencontrées
projettent tant envers les musulmans qu’à l’égard de la société globale se combine
subtilement avec le discours féministe musulman auquel ces converties engagées
adhèrent. Ainsi, en dépit de leur respect de la segmentation genrée des espaces
privé et public, la plupart des femmes formulent des discours d’engagement social
qui, pour un grand nombre, se traduisent par des activités de bénévolat menées
auprès d’organismes communautaires qu’elles ont généralement contribué à
mettre sur pied. Outre la constitution d’une famille, leur projet de vie s’articule
donc autour d’un activisme altruiste, voire revendicateur. Cette implication au
sein de la communauté de « sœurs converties » donne lieu à un regroupement
des compétences de chacune, en vue d’une solidarité intracommunautaire qui,
au Québec comme en France, pourrait aboutir à une forme d’autarcie. C’est

1. Les prénoms utilisés ici sont tous des pseudonymes.

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le cas de Nathalie, qui après avoir perdu son emploi d’architecte, décide de se
réorienter professionnellement dans le domaine de la relation d’aide. Lors de
notre deuxième rencontre en 2017, elle vit depuis dix ans en offrant des services
de coaching islamique auxquels elle invite ses frères et sœurs musulmans dans le
cadre d’ateliers tenus dans une des salles d’un centre communautaire musulman
de la ville. À sa clientèle dont les problèmes concernent essentiellement la vie
quotidienne (éducation des enfants, relations de couples, etc.), Nathalie propose
une interprétation religieuse qui fait intervenir la relation à Allah comme point
focal des gestes et pensées du croyant.
Anissa et Juliette sont les membres fondatrices d’une association humanitaire
créée récemment dans la banlieue parisienne par une convertie d’origine
camerounaise. Elles évoquent avec enthousiasme leurs projets : distribution de
repas aux Sans domicile fixe (SDF), aide matérielle aux sœurs musulmanes
démunies qui ne bénéficient d’aucune assistance gouvernementale, etc. Ces
activités caritatives reconfigurent le lien social au-delà du niveau local, puisque
des aides sont également organisées pour des « sœurs » résidant à l’étranger,
au Moyen-Orient par exemple, et qui expriment leurs besoins via les forums
Internet. Ces formes d’entraide sont vécues comme des mises en pratique de la
philosophie de l’islam qui est décrit, non sans émotion parfois, comme un modèle
de justice et de solidarité sociale. Une telle interprétation permet de concilier
des systèmes de valeurs en apparence contradictoires, en attribuant à l’islam des
principes communs à ceux de la société environnante, tels que la justice sociale,
la sensibilisation écologique, l’équité entre les genres, et la solidarité avec les
pauvres. La promotion d’une éthique partagée entre l’islam et la société d’origine
vise à réhabiliter le paradigme musulman au sein du groupe majoritaire et à
terme, à délégitimer un discours qui semble circuler parmi certains musulmans et
que des femmes converties qualifient de victimaire car, comme l’indique Anissa
(France), « être musulman c’est être en quête de savoir et de lien social, celui qui
donne et tend la main pas pour recevoir, mais pour donner ». Cette éthique n’est
par ailleurs pas étrangère à un projet prosélyte qui vise à diffuser l’islam, projet
dont la plupart des convertis se font les hérauts.

La constitution de la piété dans l’islam


Immanence et transcendance
En présentant la démarche de femmes pieuses en Égypte, l’anthropologue
Saba Mahmood (2005) remet en question les définitions dominantes du sujet
libéral et humaniste en suggérant les possibilités d’agentivité du sujet de piété,
cadré par la discipline et la normativité. Le soi maîtrisé et déterminé pourrait-il
également être créatif, autonome, indépendant ou innovateur ? En fait, le sujet ne
peut être examiné sans considérer l’interprétation qu’il donne de lui-même. À cet
égard, nous ne pouvons occulter l’idée de la foi que les converties expriment
également dans leurs récits, ni leur définition de l’être humain qui s’inspire d’une
théologie musulmane, et dont nous présentons ici brièvement les traits et attributs.

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Définition et constitution de l’être dans l’anthropologie musulmane (fitra)


Dans l’islam, il est admis que chacun naît avec une prédisposition à la
grâce (baraka) et à la soumission à Dieu (taslim, islam) de sorte que l’être
humain est représenté comme un individu né dans un état naturellement pur
(fitra)2 (Mekki-Berrada 2013). Ainsi convaincu de l’innocence fondamentale
de l’Homme et de sa dimension théophanique initiale, l’islam ne constitue
finalement qu’un rappel de ce lien divin, ce qui justifie l’emphase qu’il porte
sur la da’wa, ou prosélytisme musulman. Fondamentalement, la conversion
constitue donc un acte de reconnaissance de la mémoire de l’Homme (dikhr),
soit une affirmation de sa propre nature. La démarche religieuse ne vise donc pas
tant à transformer le sujet, comme dans la tradition chrétienne, qu’à l’amener à
modifier son style de vie en vue de revenir à sa condition initiale, soit celle de
fitra et d’abandon confiant à Dieu (islam) (Woodberry 1992). Aussi, la grande
majorité des nouveaux musulmans ne considèrent-ils pas leur geste comme une
conversion, mais comme un retour (Winter 2000). Cette volonté de retour à Dieu,
et à un Dieu unique, n’est pas marquée par une rupture, mais par une aspiration
active au mérite et à la grâce divine, actualisée par le renouvellement quotidien
des performances rituelles et des aumônes. Pour Winter, « la sotériologie
musulmane ne repose pas sur le sacrifice d’un sauveur rédempteur mais sur
le combat de l’âme croyante pour se purifier des distractions et pour vivre la
grâce directement » (Winter 2000 : 95)3. Le retour vers l’état primordial de l’être
humain (fitra) est donc accompli à travers le rappel (dikhr) de l’âme à sa source
et à l’abandon à Dieu (islam).
De nombreuses femmes rencontrées comprennent ce retour au divin comme
un effort opéré sur elles-mêmes, qu’elles associent habituellement au djihad
an-nafs (lutte contre l’âme égotique), un principe d’amélioration personnelle
préconisé tant dans la tradition soufie que dans l’islam de type rigoriste. Cette
démarche rejoint le processus d’herméneutique du sujet qui, tel que proposé
par Foucault (2001), se réalise à l’aide d’un ensemble de « techniques de soi »
visant à réorienter les motifs intérieurs, désirs et états émotifs en vertu d’un
cadre défini. C’est par la juste répétition d’actions vertueuses dans le respect des
formes prescrites que le sujet de piété se constitue (Mahmood 2006). L’examen
du discours de nos répondantes montre que les pratiques du soi imprègnent le
sujet d’un ensemble de normes qui, plus qu’une imposition sociale, forment sa
substance et son intériorité. Ainsi les rituels axés sur le soi tels que l’acquisition
du savoir religieux, la prière et la modestie se matérialisent avant tout sur le
corps et se réfractent dans l’immanence du sujet. L’herméneutique du sujet
revenu à l’islam s’élabore ainsi dans l’apprentissage et la docilité de l’esprit et
du corps, vecteurs d’une morale révélée, et offerts par le divin pour accéder à son

2. En référence à la part que le créateur est supposé insuffler aux créatures au moment même de
leur création.
3. Notre traduction, comme pour tous les extraits dans ce texte.

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monde. C’est ainsi que les femmes rencontrées comprennent leur engagement
dans l’islam, la réflexivité et l’assiduité dont fait preuve leur démarche de
recomposition du soi au sein d’un nouveau cadre normatif pouvant confirmer
que le processus de conversion constitue une des plus importantes technologies
du soi comme le propose Foucault (2001).
Pour les femmes converties comme pour la majorité des femmes présentées
dans la littérature ethnographique (Mahmood 2005 ; Deeb 2006 ; Jouilli 2009),
reproduire les pratiques par lesquelles l’éthique musulmane s’incorpore ne
signifie pas les répéter de façon systématique. L’acte rituel ménage en effet
des espaces d’indétermination symbolique où peuvent se former changement,
résistance ou subversion, notamment via la performativité du corps qui ménage
un espace d’indétermination symbolique et de réinterprétation de la norme. Parmi
les femmes que nous avons rencontrées, la pratique du port du foulard est variable
et peut prendre diverses formes pour signifier aussi bien un acte de soumission
à la norme qu’un désir d’affirmation identitaire ou, dans certaines circonstances,
l’appartenance à une classe sociale moderne et urbaine. L’approche performative
de la ritualité quotidienne, axée sur l’examen microsociologique des discours
et activités sociales et rituelles, pourrait donc mettre en évidence la mouvance,
l’idiosyncrasie et l’historicité des appartenances, identités et subjectivités
(Werbner 2007 ; Fortin et al. 2008). Il s’agit donc moins de considérer le sujet
que la subjectivation, moins un modèle d’individu moderne qui s’inscrit dans
un passé et se projette dans un futur, que des processus de composition et
d’amalgames des subjectivités. Axée sur les discours et représentations qui
reconfigurent l’expérience subjective et la conscience du soi, la lecture éthique
des pratiques du soi trouve un champ d’application privilégié dans la conversion
du sujet. C’est dans cet espace liminal, transitoire, mouvant et éphémère de la
conversion que, à chaque instant et en tout lieu, le sujet compose et recompose le
soi et l’identité, entre l’être et le devenir. Comment alors se concilient la situation
historique et sociale du sujet et sa définition anthropologique ?

Historicité et conditions d’être au monde pour les nouvelles musulmanes


La constitution du sujet musulman ne s’inscrit pas tant dans le cadre du
nouveau dogme religieux adopté que dans une réappropriation subjective de ce
dernier, influencée par les logiques culturelles et systèmes d’action définis par le
milieu environnant (Bourdieu 1982). Le processus de retour du sujet musulman
à sa propre nature (fitra) se compose donc dans le terreau de forces sociales
et historiques qui en déterminent la possibilité et les contraintes. C’est dans
l’historicité de ces expériences vécues que se structurent son rapport au monde et
ses relations sociales. Dans le monde musulman, les dynamiques de construction
du sujet sont autant soumises à des logiques sociales qu’à la force normative de
l’islam. À cet égard, les islamologues distinguent habituellement le système de
références que constitue l’islam, des significations qui en sont faites localement
et des liens sociaux qui en découlent : « les références religieuses sont en quelque

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sorte “encapsulées” dans des systèmes d’actions qu’elles ne déterminent pas et


dont elles n’expliquent pas davantage le sens » (Ferrié 1996 : 5). Ainsi, au-delà
de la vision stéréotypée d’une victime passive et assujettie, le sujet féminin
musulman se construirait avant tout à l’intersection des logiques historiques et
des narratifs idéologiques et politiques (Benhadjoudja 2017).
Pour les convertis, l’acte de devenir musulman déclenche une dynamique
structure-sujet que Mannson, dans son étude auprès de nouvelles musulmanes en
Suède et aux États-Unis résume ainsi : « la trajectoire vers l’islam est certes vécue
et racontée dans un contexte socioculturel précis, mais il est toujours imprégné
par des expériences et des mémoires idyosyncratiques » (Mannson 2002 : 21).
Pour les femmes que nous avons rencontrées, le processus de constitution
du soi comme sujet de piété s’inscrit dans un contexte social et politique qui
génère, balise et oriente non seulement leur mode d’être au monde, mais aussi
les pratiques personnelles et activités communautaires. Ces dynamiques d’être
et d’agir s’articulent autour des logiques de classe sociale, d’ethnicité et de
religiosité, et s’exercent ultimement au sein de la communauté d’appartenance
comme concept et réalité, espace d’affirmation et de conflits, que celle-ci soit
d’origine ou d’alliance.
Confrontée au défi du soi et de l’appartenance, la subjectivation constitue
avant tout un projet en devenir, contraint par des éléments externes, fixes ou
impermanents, et dont un des enjeux fondamentaux est l’identité. Selon le
sociologue Craig Calhoun, les identités contemporaines résultent de dynamiques
implicites entre les individus et la multitude de discours culturels en compétition
qui les affectent. L’incommensurabilité d’expériences, de compétences, d’autorités
et d’organisations sociales induite par ces discours, revendiquant chacun
leur autonomie, exerce sur les individus et leur sentiment du soi une série de
contradictions, divisions et occasions de mobilisation sociale et politique. La quête
de reconnaissance peut s’exprimer par des mouvements de revendication collective
menés au nom de causes genrées, religieuses, morales, politiques ou autres :
Il y a donc une tension en nous, qui peut être autant le locus d’un combat
personnel que la source d’un régime identitaire qui ne vise pas seulement
à légitimer des identités catégorielles essentielles erronées, mais aussi à
s’élever à des valeurs morales et sociales plus hautes.
Calhoun 1994 : 29
Plus que des forces de résistance aux structures d’autorité ordonnées, les
modes contemporains de production du soi contribuent à l’émergence de discours
de mobilisation politique et sociale alternatifs. Les concepts du soi et de l’identité
manifestés par le processus du devenir musulman des converties rencontrées
proposent ainsi des réponses subjectives autant que sociales aux régimes de
pouvoir dominants en France et au Québec. Selon Somers et Gibson (1994),
l’action sociale n’est effectivement intelligible qu’à travers l’appropriation d’un
modèle narratif dans le répertoire de représentations et de récits disponibles, lui-

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144 GÉRALDINE MOSSIÈRE

même historiquement et culturellement construit. En nous inspirant de Somers


et Gibson, nous considérons l’islam comme un modèle narratif public, doté
d’un pouvoir politique alternatif au modèle narratif dominant en France et au
Québec. Les formes d’engagement social et politique des femmes que nous
avons rencontrées s’inscrivent dans ces processus de subjectivation qui visent
à constituer l’islamité du sujet, et à en infléchir les conditions d’existence et
de possibilité. À cet égard, la majorité des femmes que nous avons rencontrées
proviennent d’une catégorie sociale urbaine, éduquée, doté d’un capital culturel
et technologique fort qu’elles mettent au service d’un engagement social et
politique à vocation transnationale.

De l’efficacité de l’islam comme langage politique


Un idiome symbolique
L’adhésion à l’islam permet aux converties de réinterpréter leur expérience
de vie au Québec ou en France à travers un paradigme qui, selon elles, leur apporte
non seulement « plus de stabilité, plus de profondeur, plus de vérité », mais aussi
des valeurs qui leur correspondent davantage et qui pourraient ultimement mettre
en évidence les zones de tensions propres à leur environnement (Göle 2005).
L’islam constitue donc avant tout un mode d’expression de l’être dans son
environnement, et de transformation de ce dernier.

Des « vitrines de l’islam » : déconstruction et construction


d’un islam hybride et socialement acceptable
La plupart des converties se disent conscientes d’occuper un rôle politique
central et se pensent particulièrement bien positionnées pour agir comme
médiatrices dans un dialogue qu’elles décrivent comme « interculturel », entre la
société dominante et les musulmans de naissance qui y sont minoritaires. Bien
qu’elles déplorent le manque de valeurs morales de leur société d’origine, ainsi
que leur racisme et leur islamophobie endémiques, elles proclament leur volonté
de rapprocher les deux mondes, également dans un effort de cohérence identitaire
pour elles-mêmes. À cet égard, la plupart des femmes rencontrées se donnent
pour mission et devoir religieux de déconstruire les stéréotypes associés à l’islam
en sensibilisant et en éduquant les membres de la société dominante. Interrogée
sur ses éventuels regrets quant à son adhésion à l’islam dans un contexte de forte
discrimination, Anne-Marie répond :
C’est aussi notre responsabilité, en tant que femmes musulmanes voilées
de nous impliquer, d’être un peu partout dans la société pour que les gens
apprennent à nous connaître, et qu’après ce soit rendu normal et qu’il y ait
plus cette peur. On est là, on porte un message, c’est notre rôle. Dans mes
relations avec mes collègues, je vois que c’est le contact avec les gens qui
fait que les mentalités changent, donc j’ai de l’espoir.
Anne-Marie, France

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Comment réaliser la piété dans l’immanence ? 145

Bien que les converties les plus engagées occupent habituellement le


devant de la scène, mentionnons également la présence d’une catégorie de
converties plus discrètes, qui n’expriment pas de revendications et demeurent
invisibles, souvent de crainte d’être ostracisées, mais aussi parce que :
[L]es gens, ça ne leur suffit pas une explication simple, il faut toujours
qu’ils cherchent plus et qu’ils posent des questions. Et ça m’est déjà arrivé
de dire une bêtise en m’expliquant et en parlant de l’islam et c’est un gros
péché quand on parle pas bien de l’islam. Donc je préfère rien dire...
Anaïs, France
Motivées par l’ambition de déconstruire les préjugés, de sensibiliser
ou d’éduquer le public et surtout, d’éviter de nouveaux « apartheids », de
nombreuses converties s’engagent dans des activités communautaires et dans des
projets d’éducation et de sensibilisation à l’islam, à l’instar de Marie-Claude :
Je vais peut-être étudier l’intégration des femmes musulmanes ou des
communautés immigrantes en général. Les Québécois, ils savent des
choses de l’islam, mais ils ont une mauvaise vision, et de l’autre côté, il
y a les immigrants qui n’ont peut-être pas la bonne approche. Il y a une
incompréhension entre les deux, je voudrais trouver un moyen de faire ma
part pour faire un lien.
Marie-Claude, Québec
Auprès de musulmanes pieuses en France et en Allemagne, Jouilli
observe que ces projets s’appuient sur un savoir-faire et une participation
active dans les espaces publics qui « se traduit également par des degrés divers
de visibilité » (Jouilli 2007 : 41). Plusieurs de nos répondantes, souvent des
célibataires, présentent en effet un comportement militant, généralement dans
des cadres organisés comme les associations d’étudiants. En illustration d’une
entrevue qu’elle avait accordée à un magazine parents-enfants en France,
Mélanie a insisté pour apparaître avec le voile, en compagnie de sa fillette,
afin d’assurer la représentation des femmes voilées, et « pas juste des nanas en
bikini ». Certaines converties témoignent de leur mode de vie en rédigeant des
ouvrages ou en réalisant des documentaires décrivant le quotidien des femmes
musulmanes. D’autres créent des bibliothèques afin de diffuser la connaissance
sur l’islam. Les converties les plus activistes appuient leur engagement dans
l’islam sur des activités de bénévolat, motivées par l’ambition de « changer les
choses par de petites actions », une mobilisation pour les sans-papiers africains
à Paris, par exemple. Cette vision se projette dans un discours politisé qui
englobe la sphère publique internationale. Beaucoup de converties se prononcent
ouvertement sur les crises internationales telles que le conflit au Moyen-Orient,
associant ainsi leur engagement associatif à la cause du minoritaire. En France,
Sarah et ses amies s’interdisent la consommation de toute boisson fabriquée
par des compagnies américaines, sous prétexte que ces dernières financent les
activités belliqueuses et les ingérences politiques des États-Unis dans les pays

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musulmans. La position de ces femmes issues de milieux éduqués participe


d’une tendance intellectuelle actuelle qui tend à réhabiliter et à accorder un
nouveau crédit aux discours et populations provenant des pays du Sud, tout en
critiquant l’ethnocentrisme des pays du Nord. S’insurgeant contre le contrôle
de sécurité imposé à un jeune homme visiblement maghrébin dans l’épicerie de
son quartier, Dominique, une sexagénaire convertie de longue date qui n’affiche
aucun marqueur d’appartenance, invective le vigile de sécurité : « Et moi, je suis
musulmane, vous ne me fouillez pas ? ».
De nombreuses converties agissent cependant de façon plus discrète et
moins organisée, par exemple simplement en parlant positivement de l’islam
dans des discussions informelles tenues avec leur entourage. Elles considèrent la
démonstration de la performance musulmane plus efficace que les explications
rationnelles, et choisissent alors d’endosser un rôle de vitrine de l’islam en
affichant un comportement posé et mesuré. Ainsi, certaines femmes exercent
leurs devoirs familiaux, en particulier maternels, comme une manifestation
incarnée et quotidienne des vertus de l’islam ; d’autres travaillent leur allégeance
religieuse par l’application des principes de respect, de non violence, et de
conscience sociale qu’elles attribuent à l’islam. Denise accomplit certaines
pratiques religieuses dans son milieu de travail, comme la prière ou le jeûne
du Ramadan « pas pour confronter, mais pour faire tomber les tabous », et aussi
parce que :
Si les gens ont envie de croire quelque chose, peu importe ce que tu vas leur
dire, la seule chose qui va les faire changer d’avis, c’est ton comportement
à toi, l’image que tu vas dégager.
Denise, Québec
Incarner une image socialement et politiquement acceptable de l’islam crée
une pression permanente sur le processus de subjectivation dans l’islam, comme
le souligne Anne-Marie (France) : « le port du voile me force à être constamment
plus gentille, plus serviable et plus sympathique que les autres ».
Pour « faire le lien » avec leur milieu d’origine, la plupart des femmes
mobilisent leur identité d’origine, dans le but de déplacer le rapport d’altérité
autour d’une commune appartenance ethnique, comme l’explique Amélie :
En tant que Québécoise, je suis beaucoup plus crédible que l’Arabe et je
me le suis fait dire souvent : un Québécois, ça prend un Québécois qui lui
parle, si ça vient d’une femme musulmane, ils peuvent penser qu’elle est
opprimée ou que c’est son mari ou que c’est sa culture. Les gens ne sont
pas éduqués, c’est pas de leur faute parce que tu n’entends rien de bon sur
l’islam, nulle part. Il y a un travail à faire là-dessus : une petite conférence,
un peu de bénévolat, aider à défaire les mentalités.
Amélie, Québec

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Comment réaliser la piété dans l’immanence ? 147

Parce que leur mode de subjectivation dans l’islam est ancré dans un
discours de justice et d’égalité des genres puisé dans les principes coraniques,
les converties pensent se positionner à l’avant garde d’une approche renouvelée
de l’islam (Badran 2006). « Délocalisant » l’islam de ses univers traditionnels,
elles le situent dans un champ cognitif initialement étranger à sa production
(Haenni 2005 ; Frégosi 2014), et engagent ainsi une réflexion sur l’univers
culturel musulman en terre d’altérité, voire d’hostilité. Certaines converties que
nous avons rencontrées ont effectivement montré un plaisir espiègle, et quelque
peu provocateur, à afficher les stéréotypes essentialistes de l’islam en affirmant
sur un ton dérisoire : « Bien sûr, mon mari me bat tous les jours ! », ou encore :
« Ma copine et moi avons tellement entendu l’histoire de conversion l’une de
l’autre qu’on s’était dit que la prochaine fois, je raconterais son histoire, et elle
la mienne ! »…
En construisant et en reconstruisant l’idiome « islam », les femmes
rencontrées composent et affirment leur propre subjectivité en tant que
nouvelle musulmane ; plus largement, elles donnent à voir la figure inédite
d’un sujet féminin, pieux et occidental. Par de subtils jeux de différentiation et
d’identification qui empruntent aux stéréotypes et rapports de pouvoir locaux,
ces techniques de subjectivation négocient les forces et contraintes de leur
environnement social, et de leur situation de l’entre-deux.

Un projet de société alternatif


La quête d’une troisième voie ?
On est dans une société de consommation où tu jettes tout, que ce soit une
relation qui ne marche pas à ton goût, que ce soit un enfant qui ne t’écoute
pas, tu laisses aller, trop occupé à gagner ta vie, trop stressé, trop pressé.
Denise, Québec
La plupart des femmes fustigent la dégénérescence des valeurs des sociétés
française et québécoise, marquée par la « perte de références », « l’excès de
liberté individuelle », « l’émancipation de la femme et le déclin de l’institution
familiale », ou encore l’instrumentalisation de la sexualité. À l’inverse, elles
associent l’islam à l’équilibre et à l’ordre où elles disent trouver les éléments
nécessaires à une reconstruction du soi qui passe nécessairement par les vecteurs
de légitimité et de reconnaissance publiques. En produisant un discours critique
sur leur société d’origine, elles formulent un projet alternatif qui canalise autant
qu’il motive leur projet de réalisation personnelle. Si leur engagement social
et politique vise la « société de demain », il repose sur leur conviction ferme
du potentiel de changement et d’amélioration du sujet social que portent et
proposent les minorités.
Bien que plusieurs converties rencontrées déplorent les pressions sociales
qui peuvent en découler, la plupart des répondantes idéalisent la dimension
communautaire de l’islam. Certaines l’assimilent à un état humain originel

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148 GÉRALDINE MOSSIÈRE

qu’elles comparent aux premiers rassemblements du christianisme primitif,


antérieurs à l’institutionnalisation du catholicisme. Le projet collectif qu’elles
préconisent repose sur une gouvernance divine, ainsi que sur l’égalité des droits,
devoirs et interdits pour tous, au service du bien-être collectif, comme l’explique
Leila (Québec) :
L’interdit de l’alcool, c’est comme l’interdit du cellulaire au volant. Moi je
suis capable de parler et de conduire en même temps, mais comme certains
ne le sont pas, on l’interdit à tous et je trouve ça correct.
Leila, Québec
Un tel modèle fondé sur le communalisme balise, encadre, organise
et protège l’émergence et le perfectionnement du sujet musulman pieux :
les converties créent par exemple leurs propres lignes de services adressées
spécifiquement à leur communauté, en mettant à profit les compétences des unes
et des autres. Des diplômées en psychologie se spécialisent dans les problèmes
de santé mentale suivant l’entrée dans l’islam, certaines esthéticiennes dédient
leur savoir-faire à la création d’un style féminin pudique, adapté aux besoins
de leurs consœurs. Des deux côtés de l’Atlantique, des femmes québécoises
et françaises créent des compagnies de fabrication de vêtements adaptés à « la
femme musulmane », ainsi que des ateliers de couture.
Ces nouveaux modes de socialité naissent des dynamiques d’exclusion et
d’intégration des minorités ethniques et religieuses qui traversent les champs
sociaux français et, dans une moindre mesure, québécois (Bilge 2012). Pourtant,
très peu des femmes rencontrées envisagent de s’installer dans un pays de
tradition musulmane, y compris le pays d’origine de leur mari, dont elles ne se
disent attirées ni par le style de vie, ni par la culture. Elles préfèrent se tourner
vers le Canada ou vers la Grande-Bretagne, considérés comme des havres de
liberté religieuse, et dont elles apprécient le mode de fonctionnement moderne et
démocratique ainsi que la réputation de tolérance quant aux signes extérieurs des
identités et allégeances religieuses. Les discours collectés auprès de Françaises
candidates à l’émigration construisent une représentation idéalisée de la gestion
du multiculturalisme et de l’univers cosmopolite québécois qu’elles présentent
comme un modèle alternatif au choix républicain laïc. Stéphanie, qui réside au
Québec depuis plus de dix ans, compare les deux milieux où elle a vécu :
Par rapport à la France il y a des lois au Québec, qui n’a pas la même
histoire que la France. Il y a aussi la Charte canadienne qui protège la liberté
religieuse… Au Québec, c’est vraiment l’ouverture et la tolérance, rien que
de pouvoir travailler dans une école publique avec mon voile, en France, je
ne pourrais pas. Pour les Français, il faudrait que tu rentres dans le moule du
Français typique. Si t’es trop religieux, ça fonctionne plus, on va tout faire pour
que tu reviennes dans ce moule. Les Québécois sont respectueux par rapport à
la diversité, ils sont curieux d’apprendre, vont pas poser de jugement.
Stéphanie, Québec

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Comment réaliser la piété dans l’immanence ? 149

Les femmes converties en France et au Québec ne cherchent pas à se


dissocier de leur identité d’origine, sinon à en rappeler et à en actualiser le plein
potentiel de réalisation en matière sociétale, et pour l’individu. À titre d’exemple,
décrivons ce cas extrême et quasi unique dans notre échantillon, quoique très
éclairant : Dominique, une fonctionnaire française à la retraite, est convertie
depuis vingt ans, à la suite d’une longue mission professionnelle en Algérie. Elle
proclame son identité musulmane et sa solidarité envers les musulmans de France
et d’ailleurs, autant que son attachement aux valeurs laïques et républicaines.
Évoquant sa conversion sur la scène publique à des fins de provocation, son
attitude volontairement subversive vise en réalité à déconstruire les stéréotypes
formulés à l’endroit des musulmans car, selon elle, ces stéréotypes justifient
des discriminations qui sapent l’idéal républicain. Sa démarche de conversion
manifeste ici une volonté de réitérer et de renforcer les principes démocratiques
qu’elle reconnaît à son pays. Le même souci de retour du social à ses fondements
se retrouve dans le cas d’Anne-Marie, une convertie d’une trentaine d’années :
dans l’hôpital parisien où elle dispose d’un poste prestigieux, elle a décidé de
porter ostensiblement le foulard, instrumentalisant ainsi son statut social pour
déconstruire les préjugés, non sans une certaine provocation, car selon elle, « oui,
on peut être musulmane dans cette société ». L’islamologue Tim Winter apparente
le renouveau contemporain de l’islam à une sorte de « théologie de la libération »
qui répond à une tendance actuelle forte à la culture du « politiquement correct »,
et à son désir de solidarité avec les communautés ostracisées (Winter 2000 : 108,
notre traduction) ; en ce sens, les conversions à l’islam contemporaines pourraient
relever d’une idéologie de l’empathie.
Le comportement de ces femmes « nées en Occident » témoigne d’une
démarche activiste au sein de deux univers du discours construits de façon
antagoniste, qu’elles visent à concilier autour d’un troisième modèle alternatif,
lequel n’est pas nécessairement novateur. Le rôle actif de porte-parole et de
médiateur qu’elles s’attribuent vise certes à déconstruire les idéaux séculiers
homogénéisants, mais d’une même voix, les femmes converties cultivent le
principe de la liberté d’expression religieuse dans la sphère publique, dont elles
en valorisent également la nature pluraliste, idéalement régulée par un mode
de gouvernance non interventionniste. Ce positionnement marque l’avènement
d’une nouvelle citoyenneté concrète, participative et plurielle, combinée à la
multiplicité des appartenances et des références, des identités auxquelles l’islam
et son potentiel symbolique offrent des possibilités d’expression particulièrement
adéquates. Pour ces femmes, l’adhésion à l’islam fournit les ressources et
techniques nécessaires à la constitution d’un sujet dont l’accomplissement
personnel passe par la réalisation d’un modèle social. Ces femmes se présentent
d’ailleurs comme les chantres d’une alternative politique qu’elles considèrent de
moins en moins minoritaire ou marginale dans la société, mais encore largement
inconsciente dans l’imaginaire collectif.

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150 GÉRALDINE MOSSIÈRE

Éléments pour une conclusion provisoire


L’examen des parcours, récits et modes d’agir de Françaises et Québécoises
converties à l’islam offre des pistes pour penser la constitution du sujet pieux
au-delà de l’attention portée sur le soi, comme porteur d’agir et de vision dans
la polis. Les femmes que nous avons rencontrées se distinguent par leur niveau
d’éducation élevé, leur catégorie générationnelle (communément appelée X) et
par leur profil engagé. Si l’adoption de l’islam réorganise leur rapport à leur
propre subjectivité et les engage dans un travail sur leur intériorité, ces exercices
spirituels résonnent et se réfractent dans leur être au monde et leur agir social,
une vision qu’elles décrivent en conformité avec le rôle qui leur est dévolu
dans le Coran, « pourvu que je me sois acquittée de mes obligations au foyer ».
Tandis que la conversion à l’islam les inscrit dans une communauté minoritaire,
marginalisée, et donc organisée autour de comportements d’entraide, la plupart
sont aussi engagées dans des activités caritatives ou humanitaires à portée plus
large. Cette vie associative s’articule habituellement à des réseaux sociaux
virtuels qui translatent leurs agir sociaux en positionnements politiques calibrés
à l’échelle transnationale. Les projets communautaires menés auprès d’itinérants
ou en milieux hospitaliers se diffractent ainsi en engagements politiques en
faveur de la cause palestinienne, à l’encontre des hégémonies occidentales,
des ingérences militaires, etc. Localement, ils donnent lieu à des projets de
sensibilisation et de déconstruction des stéréotypes à l’égard de l’islam.
Si une telle attention portée à l’autre est inhérente aux processus
de subjectivation induits par la conversion, elle découle également du
positionnement liminal où les converties aiment se situer. Figures de l’entre-deux
par excellence, les converties capitalisent sur leur influence dans leur milieu
d’origine pour jouer un rôle d’intermédiaire culturel avec leur groupe d’origine
et ce faisant, diffuser une certaine vision de l’islam. Cet activisme social participe
d’une stratégie de construction d’une identité musulmane, en cela, il constitue un
mode de subjectivation politique. Ici, la production d’une subjectivité musulmane
gravite autour de la figure de l’intellectuelle musulmane engagée, pourvue
d’un capital social et de compétences culturelles reconnues, et mobilisées au
service de sa communauté religieuse d’appartenance, imaginée ou locale. Car
si cette technique de travail sur le soi visant à améliorer le vivre ensemble
recourt à la ressource musulmane, elle illustre avant tout les possibilités qu’offre
l’idiome de l’islam comme langage identitaire et politique pour compenser les
non-signifiés du langage dominant. En remettant en question les normativités
dominantes, l’islam offre ainsi des voies alternatives d’accès à la vie bonne selon
des paramètres considérés comme universellement partagés : justice sociale,
convivialité, solidarité, équité. Si le souci du soi est médiatisé par le souci de la
communauté, il vise aussi à transformer la société : en ce sens, herméneutique
du sujet, historicité politique et contingences sociales font du sujet une entité
impermanente, en constante mouvance et sans cesse, potentiellement malléable.

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Comment réaliser la piété dans l’immanence ? 151

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RÉSUMÉ – ABSTRACT – RESUMEN


Comment réaliser la piété dans l’immanence ? Exercices de (re)composition de modèles
sociaux et éthiques d’intellectuelles engagées et converties à l’islam

Notre terrain ethnographique mené en France et au Québec auprès de femmes entrées


dans l’islam a mis en évidence la centralité du travail sur le soi (djihad an-nafs) dans le
processus de conversion. Si cette herméneutique du soi correspond à une lecture théologique
de l’être musulman et de sa formation, ces exercices de composition du sujet s’opèrent
également à l’intersection de deux systèmes culturels et sociaux en tension, celui d’origine
et celui choisi. Comment les femmes rencontrées s’approprient-elles ces deux univers de
sens et de normes ? Quelles nouvelles possibilités sociales et politiques ces processus de
subjectivation ainsi négociés ouvrent-ils ? Dans cet article, nous décrivons les activités
caritatives, comportements d’entraide et engagement sociaux que les nouvelles musulmanes
organisent comme une forme de praxis inhérente à leur compréhension de l’islam. C’est dans
l’action, la démonstration, voire l’ostentation des pratiques axées sur la réalisation de la piété
personnelle dans l’immanence que les converties élaborent des cadres normatifs alternatifs, la
volonté de perfectionner le soi étant ainsi mise au service de la communauté. L’islam apparaît
ici comme un langage identitaire et politique, vecteur d’un projet de société alternatif.
Mots clés : Mossière, conversion, islam, sujet, engagement social, norme, projet politique

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Comment réaliser la piété dans l’immanence ? 153

How to Achieve Piety in the Immanence ? Endeavors to Construct Social and Ethical
Models among Intellectual Women Committed and Converted to Islam

The ethnographic fieldwork I have conducted in France and in Quebec among women
who embraced Islam has shown that the work on the self (djihad an-nafs) is central in the
process of conversion. While this hermeneutic of the self is concurrent with a theological
reading of the Muslim being and her formation, those endeavors to produce the subject also
combine two cultural and social systems that are in tension, the one of origin and the on
chosen. How do the women I have met appropriate those two universes of meanings and
norms ? Which social and political possibilities do these processes of subejctivation open as
they are negotiated ? In this paper, I describe the charity activities, the mutual aid behaviours
and the social commitments that the new Muslim women enter into, as a form of praxis related
to their understanding of Islam. It is through action, demonstration or ostentation of religious
practices aimed at achieving piety in the immanence that the converts make up alternative
normative frames. As the will to improve the self serves the community, Islam appears here
as a political language to express the identity and to convey an alternative project for society.
Keywords : Mossière, Conversion, Islam, Subjet, Social Commitment, Norm, Political Project

¿ Cómo hacer realidad la piedad en la inmanencia ? Ejercicios de (re)composición


de modelos sociales y éticos de intelectuales comprometidos y convertidos al islam

Nuestra encuesta realizada en Francia y en Quebec entre mujeres que ingresaron


al islam, pone en evidencia la centralidad del trabajo sobre el yo (djihad an-nafs) en el
proceso de conversión. Si esta hermenéutica del yo corresponde a una lectura teológica
del ser musulmán y de su formación, esos ejercicios de composición del sujeto se realizan
asimismo en la intersección de dos sistemas culturales y sociales en tensión, el de origen y el
elegido. ¿ Cómo las mujeres entrevistadas se apropian esos dos universos de significado y de
normas ? ¿ Qué nuevas posibilidades sociales y políticas dichos procesos de subjetivación así
negociados abren ? En este artículo describimos las actividades caritativas, comportamientos
de ayuda mutua y de compromiso social que las nuevas musulmanas organizan como una
forma de praxis inherente a su comprensión del islam. Es en la acción, la demostración,
véase en la ostentación de las prácticas centradas en la realización de la piedad personal en la
inmanencia que las convertidas elaboran los cuadros normativos alternativos, la voluntad de
perfeccionar el yo puesta al servicio de la comunidad. El islam aquí aparece como un lenguaje
identitario y político, vector de un proyecto de sociedad alternativo.
Palabras clave : Mossière, conversión, islam, sujeto, compromiso social, norma, proyecto
político

Géraldine Mossière
Institut d’études religieuses
Pavillon Marguerite-d’Youville
Université de Montréal
C.P. 6128, succursale Centre-ville
Montréal (Québec) H3C 3J7
Canada
geraldine.mossiere@umontreal.ca

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